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L’Histoire dans les jeux vidéo : une nouvelle approche pour les historiens
par
Jorris Sermet
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Jorris Sermet
Université de Lausanne Mémoire en Histoire
Plan
Partie II. Les jeux vidéo historiques, un objet culturel particulier………………….p. 19-24
III. a. iii. Assassin’s Creed, l’évolution d’une série devenue historique…… p. 32-38
IV. b. Ce que font les historiens au sein de l’industrie du jeu vidéo………………… p. 50-53
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Partie I. Problématique
Le domaine des jeux vidéo est en plein expansion, comme en témoigne le chiffre
d’affaires généré par cette industrie du divertissement1. Si le jeu vidéo s’est intégré dans
les foyers depuis plusieurs années, il reste encore peu étudié formellement dans le do-
maine académique. Sa grande disparité ainsi que sa prise en main difficile le rendent
souvent compliqué à analyser. Son évolution depuis plus de 50 ans en fait un objet aux
multiples facettes, possédant plusieurs formes de jeux, plusieurs genres de narrations et
surtout plusieurs interactivités possibles de la part du joueur qui devient, en plus de
spectateur et acteur, interacteur. Mais au-delà de la part de responsabilité du joueur, il
y a tout ce que le jeu raconte et ceux qui le font. Dans cette perspective, il faut noter le
rôle concret des historiens dans le processus créatif de certains jeux vidéo. Recréer l’His-
toire, faire revivre des périodes historiques, rencontrer des personnages célèbres ou tout
simplement se balader dans des villes en trois dimensions, voilà bien souvent les tâches
que ces historiens sont amenés à prendre en charge au sein de l’industrie du jeu vidéo.
Si leur rôle reste encore peu mis en avant, de plus en plus d’éditeurs et de développeurs
font appel à des historiens afin de préparer les équipes de développement aux contraintes
historiques traitées dans un jeu vidéo. De gros éditeurs comme Ubisoft ont même engagé
des historiens à temps plein, chargés d’alimenter les développeurs en documentation et
sources. Comment, dès lors, ces historiens s’y prennent-ils pour concilier à la fois un
travail scientifique tout en sachant qu’un jeu vidéo reste d’abord un objet de divertisse-
ment ? De ce rôle de consultant pourrait bien pousser un jour une nouvelle branche à
l’arbre des historiens, celui de game designer historique. Si nous sommes encore loin de
cette réalité, le chemin pris par certains historiens pourrait bien y mener. Ce d’autant
que l’industrie du jeu vidéo semble intéressée par de nouvelles idées et apports histo-
riques solides, comme en témoigne le parcourt d’Ubisoft qui a beaucoup joué sur le côté
historique de ses jeux en allant racheter la licence Prince of Persia2, avant de pousser
ce concept bien plus loin avec la série Assassin’s Creed3. Mais à trop vouloir en faire
un média de divertissement et de fiction, Ubisoft a peut-être soulevé un problème de
1
En 2013, l’AFJV et la société eCap Partner estiment que l’industrie du jeu vidéo a rapporté environ 70
milliards de dollars et tablent sur plus de 85 milliards pour 2016, soit 30 milliards de plus que l’industrie
de la musique ou du cinéma. Source : http://www.lesnumeriques.com/jeux-video/jeu-video-conforte-sa-
place-premiere-industrie-culturelle-n31902.html, consulté le 17.11.16.
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Prince of Persia, Ubisoft, 2003
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Assassin’s Creed, Ubisoft, 2007-2016.
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fond : est-ce qu’un jeu vidéo a un devoir de fidélité par rapport aux événements histo-
riques qu’il décrit, dans le sens où il devrait faire preuve d’exactitude historique ? Ce
problème est marqué par des représentations historiques jugées erronées par certains
politiciens français qui dénoncent une manipulation et une propagande de la part des
éditeurs. Le politique s’est mêlé des affaires du jeu vidéo et des dérives historiques qu’il
entraîne, offrant par là même une tribune inédite et une reconnaissance encore jamais
vue. Si ce débat a pendant longtemps été mis de côté, il semble aujourd’hui réapparaître
et a poussé les historiens qui ont travaillé avec Ubisoft à prendre récemment la parole.
Il conviendra donc de comprendre les trois parties actrices de ce débat, à savoir l’éditeur
Ubisoft et ses jeux, les historiens engagés et certains politiciens qui cherchent à faire
respecter une vision de l’Histoire en particulier.
Dans cette perspective, le jeu vidéo est pris comme un objet culturel qui possède
des spécificités, notamment en ce qui concerne les aspects historiques. Regroupant une
somme de connaissances historiques conséquente à analyser, ces jeux vidéo ont sans
doute de quoi apporter aux historiens de nouvelles perspectives de recherches, voire
même, en détournant l’aspect « jeu », des reconstitutions fidèles. Les nouvelles techno-
logies, et notamment la réalité virtuelle ont déjà commencé à travailler ces aspects en
proposant au joueur/acteur de visiter des lieux historiques de manière virtuelle. Les liens
étroits entre ces nouvelles possibilités de vivre des événements historiques et les jeux
vidéo sont évidents puisque l’industrie qui développe ces derniers maîtrise les outils
informatiques capables de recréer des environnements particuliers. Il sera donc intéres-
sant de voir les échanges possibles entre les sciences historiques et ces nouvelles pra-
tiques.
Deux objets se mêlent dans ce travail, avec d’un côté les jeux vidéo, ce qu’ils
sont et ce qu’ils proposent comme interaction, et de l’autre l’Histoire avec ce qui l’en-
toure, les professeurs et personnalités qui travaillent sur les aspects historiques des jeux
vidéo, ce que ces derniers permettent de faire en représentant des événements histo-
riques, et le discours qui ressort de ces jeux vidéo à tendance historique. Il sera primor-
dial de commencer par définir les jeux vidéo et l’industrie vidéoludique, puisque cette
dernière est celle qui impose sa vision dans un jeu, une vision qui, dans le cas des jeux
vidéo historiques, peut parfois prendre des tournures particulières, comme en témoigne
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Le cheminement sera donc logique avec en premier lieu un aperçu des jeux vidéo
historiques et de ce qu’ils représentent dans le marché des jeux vidéo tout en mettant en
perspective leurs différentes spécificités, notamment en lien avec l’Histoire. Par la suite,
il sera question de la série Assassin’s Creed, de son contenu et de ce qu’elle symbolise
au sein de l’industrie vidéoludique. Cette série, immensément jouée à travers le monde,
doit composer avec des contextes historiques précis tout en offrant au joueur un amuse-
ment. Comment, dès lors, concilier rigueur académique et « fun » au sein d’un jeu qui
tente d’être crédible historiquement sur certains aspects en faisant appel à des historiens
? Malgré ses tentatives de rassembler dans un jeu des reconstructions historiques de
villes, de personnages et de contextes historiques, Assassin’s Creed a été très critiqué
en France, principalement à cause d’un épisode se déroulant durant la Révolution fran-
çaise. Le débat articulé autour de la question de la représentation historique a réveillé
les historiens sur cette question et a surtout mis en exergue le travail des historiens qui
ont collaboré avec l’éditeur d’Assassin’s Creed. Il sera donc important de comprendre
les étapes réalisées par ces historiens, ainsi que leurs questionnements en travaillant avec
une industrie du divertissement. Plus largement, est-ce que le monde académique peut
faire bénéficier l’industrie vidéoludique de ses savoirs et inversement ? Les jeux vidéo
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Assassin’s Creed Unity, Ubisoft, 2014.
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Battlefield 1, EA, 2016.
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sont peut-être un nouveau champ d’études pour les historiens mais ils leur offrent éga-
lement de nouvelles perspectives de travail, ce qui devrait susciter leur intérêt concer-
nant cet objet culturel particulier.
Par la suite, deux jeux seront analysés. Chaque jeu a pour sujet la Première
Guerre Mondiale, une période peu traitée dans les jeux vidéo mais qui connait un certain
renouveau dû aux commémorations du centenaire de cet événement. Il sera ainsi ques-
tion de connaître à travers une analyse comment deux jeux, aux contextes de production
différents, expriment tous deux des propos sur la guerre, et comment ils traduisent en
jeu les aspects liés à cet événement. De manière globale, chaque jeu fera l’objet d’une
déconstruction de différents aspects, tels que le gameplay, la narration, les effets sonores
ou le contexte de production dans le but de comprendre jusqu’à quel point ils parlent et
traitent de la Première Guerre Mondiale, en ayant en perspective la méthode des déve-
loppeurs et des historiens. La méthodologie appliquée sera donc cartésienne en réduisant
l’objet d’analyse à ses aspects les plus explicites. À l’inverse de nombreuses études sur
les jeux vidéo, cette analyse emprunte la méthodologie des journalistes et critiques qui
s’intéressent aux jeux vidéo, puisqu’ils décortiquent les différents aspects d’un jeu avant
de donner leur avis global. Il s’agit de la méthode classique, qui permet de cerner rapi-
dement les aspects du jeu sans s’attarder sur toutes ses notions. L’idée consiste à prendre
le point de vue d’un journaliste qui s’intéresserait uniquement aux aspects historiques
et qui appliquerait cette méthode. Cette approche journalistique se justifie par le fait que
ceux qui traitent du jeu vidéo quotidiennement comme objet d’analyse sont les journa-
listes spécialisés et non les académiciens. Samuel Rufat et Hovig Ter Minassian, deux
enseignants-chercheurs en géographie et co-fondateurs du laboratoire junior « Jeux vi-
déo : pratiques, contenus et discours » expliquent ainsi que les approches des jeux vidéo
diffèrent selon les cultures et les méthodes employées.
6
RUFAT, Samuel et TER MINASSIAN, Hovig, Les jeux vidéo comme objet de recherche, Paris: Ed.
Questions théoriques, coll. Lecture > Play, 2011, p. 6.
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Les historiens qui commencent à parler de jeu vidéo s’accordent7 à dire que les
sciences historiques n’ont jamais su trouver la manière ou la méthodologie pour vérita-
blement étudier ce nouveau média. Tout comme le fait que les sciences historiques ont
rejeté les jeux vidéo, et ce malgré de nombreuses études d’autres disciplines, alors même
que beaucoup de jeux traitent d’événements historiques :
Alongside this partly populist discussion, the sciences are also dealing in-
tensively with the topic. Media Studies, Psychology, Education Science, as
well as technically and economically oriented perspectives are occupied
with the phenomenon of video games. The Historical Sciences however, with
few outstanding exceptions, have more or less neglected this topic in recent
years.8
La tendance semble tout de même s’inverser puisque plusieurs livres et articles
sur les jeux vidéo écrits par des historiens ont vu le jour ces dernières années, et que des
7
WINNERLING, Tobias, KERSCHBAUMER, Florian, Early Modernity and Video Games, Newcastle:
Cambridge Scholars Publishing, 2014., Introduction X.
8
Ibid, Early Modernity and Video Games, Introduction x.
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programmes tels que celui mis en place par l’Université de Lausanne9 montrent qu’il est
possible de mêler jeux vidéo, Histoire et éducation. Les jeux vidéo ouvrent des perspec-
tives d’études aux historiens en étant des objets qui définissent l’Histoire par des codes
spécifiques, mais aussi qui fait réfléchir sur notre propre perception de cette discipline.
Quel regard les jeux vidéo apportent-ils sur cette discipline et que peuvent-ils raconter
sur notre propre manière de concevoir le passé ? Ce sont là quelques questions qui tra-
versent cette réflexion sur les jeux vidéo. S’il convient de dire que l’Histoire ne concerne
pas que l’étude du passé10, il semble important de montrer aussi que les jeux vidéo sont
parfois « plus » que des jeux lorsqu’ils développent des propos sociaux ou historiques.
Les historiens doivent s’intéresser aux jeux vidéo parce qu’ils créent des mondes
relatifs à notre passé, qu’ils forment en soi un média disposant d’une ouverture particu-
lière sur les événements historiques, tout en étant des objets actuels. Il s’agit au final
d’un revirement de situation. Tandis que l’historien examine les traces du passé pour en
sortir une actualité, les jeux vidéo façonnent un passé éventuel sur la base des traces
relevées, avant d’essayer de nous dire quelque chose sur notre présent. Il y a ce qui s’est
réellement passé et ce qu’on nous raconte qu’il s’est passé. On ne peut ainsi pas com-
prendre un jeu comme Assassin’s Creed qui est un pur produit de notre époque sans
examiner ce qu’il nous dit du passé, ce qu’il montre aux joueurs, et sans comprendre les
points de vue de ceux qui l’ont créé. L’historien qui s’y intéresse doit ainsi d’abord
examiner le contexte de production d’un jeu avant de réfléchir au contenu et à la forme.
Il serait possible de se concentrer uniquement sur un élément comme le rôle des Croisés
dans le premier Assassin’s Creed, tout comme il serait aisé de montrer les problèmes et
anachronismes (parfois volontaires) de ces jeux vidéo historiques, mais l’historien se
doit d’aller plus loin dans sa recherche, en englobant le jeu vidéo dans une analyse qui
réfléchit également sur notre propre perception du passé. C’est pour cette raison qu’une
partie sera consacrée à l’analyse du contexte de création de ces jeux vidéo et aux créa-
teurs eux-mêmes.
9
Colloque prévu pour octobre 2017 à l’Université de Lausanne. Source : http://wp.unil.ch/mediations-
cientifique/colloquejv_aac/, consulté le 21.11.16.
10
« History is not about the past. It is distinctly about the present. It is about what memories of events we
think of as past mean to us; why we are interested, fascinated, enthralled or disappointed by them, and
why we try to puzzle out a coherent picture from the scraps and leftovers of the past strewn around us. »
in WINNERLING, Tobias, KERSCHBAUMER, Florian, Early Modernity and Video Games, Newcastle:
Cambridge Scholars Publishing, 2014., Introduction, xix.
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Video games have also become an issue under public discussion where an
irreconcilable battle is being waged between people who emphasize the
great potential of this medium, because of the way it encourages creativity,
troubleshooting and teamwork, and those who represent the exact opposite.
They warn the danger of isolation, learning disabilities and the promotion
of violence.13
Etablir une méthodologie qui facilitera le débat entre les Game Studies, les re-
cherches faites sur ce sujet et le public sera un grand défi, mais une étape logique et
nécessaire dans la reconnaissance de cette nouvelle discipline.
Il reste cependant une question fondamentale : pourquoi parler de jeux vidéo
dans le cadre de l’Université ? Parce que les aspects financiers de cette industrie méritent
quelques recherches tant leur importance est grandissante, redéfinissant certainement
les représentations culturelles actuelles à travers des milliers de jeux vidéo consommés
par des millions de personnes chaque jour. Les jeux eux-mêmes disposent d’éléments
esthétiques et culturels qui mériteraient certains approfondissements notamment en ce
11
En France, la maison d’édition Third Edition publie la série « L’Année du jeu vidéo » qui est principa-
lement écrite par des journalistes spécialisés, tout comme les livres des éditions Pix’n Love. Source :
http://www.thirdeditions.com et http://www.editionspixnlove.com, consulté le 15.11.16.
12
On trouve de plus en plus de chercheurs s’intéressant au Game Studies grâce à des sites comme DiGRA,
pour « Digital Games Research Association ». Source: http://www.digra.org/, consulté : le 25.11.16.
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WINNERLING, Tobias, KERSCHBAUMER, Florian, Early Modernity and Video Games, Newcastle:
Cambridge Scholars Publishing, 2014., Introduction X.
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qui concerne les aspects non-linéaires que les livres et les films n’arrivent pas à pourvoir
:
For the younger generations, especially, games are crucial to the way they
express themselves artistically and, presumably, in the way they conceive of
the world. What does it mean, for instance, when a person’s self-expression
moves away from linear representations, such as books and films, and they
find more meaning in interactive, non-linear systems where outcomes de-
pend on players choices? 14
Une question évidemment centrale en Game Studies se reflète dans la théma-
tique de ce mémoire à travers l’idée que les jeux vidéo historiques touchent eux aussi
des millions de personnes et proposent, de ce fait, des représentations de l’Histoire par-
ticulières.
Cette question de l’Histoire dans les jeux vidéo est par ailleurs très récente.
Quelques chercheurs comme Adam Chapman, post-doctorant de l’Université de Göte-
borg, s’y intéressent depuis moins de dix ans et la tendance semble indiquer que les
questions concernant la représentation de l’Histoire dominent les recherches historiques.
En un sens, et à ma connaissance, parler de quelques historiens qui travaillent avec l’in-
dustrie des jeux vidéo est une première. Le fait est que cette collaboration est également
récente et, à l’issue de mes recherches, il semblerait que seuls les professeurs Laurent
Turcot et Jean-Clément Martin aient proposé une réflexion sur leur travail à la suite de
la sortie d’Assassin’s Creed Unity. D’autres historiens, principalement au Canada et aux
Etats-Unis, ont travaillé avec des éditeurs comme Ubisoft, sans toutefois détailler leur
travail, et on assiste en Europe à certaines collaborations15. Cela montre que les choses
commencent gentiment à se mettre en place et que des historiens et professeurs sont
amenés à travailler sur des jeux vidéo.
14
EGENFELDT-NIELSEN, Simon, HEIDE SMITH, Jonas, PAJARES TOSCA, Susana, Understanding
video games: the essential introduction, New York, and London: Routledge, 2008, p. 1.
15
Voir Annexe 1 - Interview Kingdom Come : Deliverance.
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sera faite. L’année indique la sortie de la version du jeu, tout support confondu. Exem-
ple : [Age of Empires II : The Age of Kings, Ensemble Studios, Microsoft, 1999].
16
Site, http://www.histogames.com/, consulté le 25.11.16
17
Vgchartz, source, http://www.vgchartz.com/ et https://www.chart-track.co.uk/, consulté le 25.11.16.
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de jeu. Les ludologues18 réduisent ainsi les jeux vidéo à un système de règles qui ne
prend pas en compte le sens même de l’œuvre. Il serait cependant absurde de penser
qu’un jeu vidéo qui représente la guerre comme Soldats Inconnus : Mémoires de la
Grande Guerre19 n’est qu’une suite de mécanismes, et que le traitement de la guerre
importe peu dans l’analyse. Difficile dès lors de soutenir cette position, tant il apparaît
que les jeux vidéo sont « plus » que des mécanismes. A l’inverse, les narratologues20
pensent que le jeu vidéo est une nouvelle forme d’expression et que les règles ne sont
en aucun cas importantes. Là aussi, impossible de soutenir concrètement cette idée
puisque tous les jeux vidéo disposent de mécanismes qui jouent une grande part dans
l’expérience du jeu et dans la forme de la narration elle-même. Les jeux vidéo histo-
riques sont à la fois mus par des mécanismes dictés par les développeurs et soutenus par
une narration qui raconte quelque chose au joueur. Le mélange entre les mécanismes et
la narration du jeu ne s’oppose ainsi pas, mais forme un tout qui distille du sens. Dans
cette perspective d’analyse, chaque jeu doit être compris de manière unique et il appa-
raît, après avoir essayé de trouver une méthodologie applicable à ce mémoire, que la
déconstruction de l’universalité de l’objet étudié, ici le jeu vidéo, permet de mieux les
saisir. Cela exclut alors une méthode d’analyse qui pourrait s’appliquer à tous les jeux
vidéo de manière universelle.
I.c. Historiographie
18
Voir les travaux de JUUL, Jesper, Half-real: video games between real rules and fictional worlds,
Londres: MIT Press, 2005.
19
Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre, Ubisoft, 2014.
20
Pour mieux saisir de quoi il retourne, voir SIMON, Jan, « Narrative, Games, and Theory », The inter-
national journal of computer game research, volume 1, issue 1, 2007, http://gamestu-
dies.org/07010701/articles/simons, consulté le 28.10.16.
21
Youtube est indispensable dans l’étude et l’analyse des jeux vidéo. Toutes les vidéos des jeux se re-
trouvent sur Youtube, des chaînes entières sont consacrées à son étude et les plus grands « youtuber »
sont des vidéastes de jeux vidéo : le Suédois « Pewdiepie » compte plus de 50 millions d’abonnés à sa
chaîne de jeux vidéo. Il ne sera ainsi pas rare de voir dans ce travail des liens renvoyant à des vidéos se
trouvant sur Youtube.
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concentrer sur ces auteurs tout en lorgnant du côté de la presse spécialisée pour intégrer
le travail des historiens à cette thématique puisqu’aucun ouvrage scientifique s’y inté-
ressant n’a vu le jour. Les articles de la presse spécialisée donnent souvent la parole aux
historiens qui ont collaboré avec les éditeurs et studios de jeux vidéo, offrant une pre-
mière tribune sur leur travail réalisé. En plus d’éplucher ces articles, j’ai pris la décision
de réaliser moi-même une interview d’une historienne travaillant pour le studio War-
horse22. Malheureusement, n’ayant pas eu un accès direct à cette personne, j’ai dû passer
par l’entremise d’un responsable presse qui a transmis mes questions à l’historienne
dont le nom m’est resté caché. Les réponses semblent d’ailleurs formulées par ce même
responsable, ce qui en soi peut simplement indiquer que la communication au sein de
l’industrie du jeu vidéo se doit d’être maîtrisée et verrouillée, afin d’éviter une quel-
conque fuite dommageable au studio. Le propos exprimé donne tout de même un aperçu
global de la manière de fonctionner entre un studio indépendant, donc non soumis à un
éditeur, et une historienne. Concernant le travail des historiens qui ont collaboré sur
Assassin’s Creed Unity, le livre de Laurent Turcot et Jean-Clément Martin23, ainsi que
la conférence qu’ils ont donnée en octobre 2015 au Musée Carnavelet de Paris24, ont été
mes principales sources.
Cette thématique étant à ses débuts, difficile d’exposer une historiographie éta-
blie et solide, un état des lieux précis. Il n’existe pas, comme mentionné, d’ouvrage
critique sur cette thématique de l’Histoire dans les jeux du point du vue des historiens
et en ce sens, ce mémoire s’inscrit comme une recherche à part, une tentative de dé-
broussailler ce qui s’est produit ces dernières années dans l’industrie vidéoludique. De
par les angles choisis, ce travail s’inscrit dans la volonté d’explorer différents problèmes
liés les uns aux autres, alors que la littérature existante traitant d’Histoire et de jeux
vidéo se démarque par des formats d’articles courts et des problèmes méthodologiques.
Le choix des angles se définit par un besoin d’exprimer l’entièreté du problème, qui est
à la fois politique, académique, journalistique et évidemment historique. L’Histoire dans
les jeux vidéo et le travail des historiens nécessitent des approches spécifiques encore
peu, voire pas du tout développées dans la littérature actuelle. Cette dernière explore le
22
Voir Annexe 1 - Interview Kingdom Come : Deliverance.
23
MARTIN, Jean-Clément, TURCOT, Laurent, Au coeur de la Révolution : les leçons d’histoire d’un
jeu vidéo, Paris : Vendémiaire, 2015.
24
Conférence : « Au cœur de la Révolution : les leçons d’histoire d’un jeu vidéo », 17.10.15.
https://www.youtube.com/watch?v=1gB7Tf4pzck, consulté le 21.10.16.
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jeu vidéo et ses aspects d’un point de vue d’historien, sans s’être encore intéressée aux
aspects développés par les créateurs, développeurs et historiens de jeux vidéo. Il ne sera
ainsi pas vraiment question dans les parties II et III d’analyser des jeux vidéo histo-
riques, comme d’autres ouvrages le font, mais bien de comprendre le discours qui les
entoure et d’observer le travail des développeurs et des historiens.
Les jeux vidéo à tendance historique sont légions et semblent avoir toujours été
présents sur le marché. Le site Historiagames est la seule base de données de jeux vidéo
historiques autant fournie et semble être tenue en grande partie par des historiens. Clas-
sés par périodes historiques (Préhistoire, Antiquité, Moyen-Age, Moderne, Contempo-
raine, Non classé), ces jeux nous donnent de précieuses informations sur l’évolution du
média, le genre le plus développé et l’époque comportant le plus de jeux vidéo. La pé-
riode contemporaine domine largement ce classement des jeux historiques. La raison est
particulièrement simple et s’explique grâce à deux éléments. Le XXème siècle regorge
d’événements marquants qui offrent aux développeurs des terrains de jeu particulière-
ment intéressants, la Seconde Guerre Mondiale en tête de lice. La proximité de cet évé-
nement et son caractère particulier en font une des périodes les plus jouées à ce jour.
L’autre caractéristique en lien avec la Seconde Guerre Mondiale concerne le genre de
jeu. Il aura fallu attendre que le genre FPS (First Person Shooter)25 trouve ses marques
à la fin des années 1990 pour voir apparaître le premier titre en vue subjective sur la
Seconde Guerre Mondiale avec Medal of Honor26, sorti en 199927 sur Playstation. Vivre
la réalité d’un soldat en vue subjective n’est pourtant pas quelque chose qui, de prime
abord, s’associe à la Seconde Guerre Mondiale. Les développeurs maîtrisent un autre
genre depuis très longtemps, leur permettant de réaliser des jeux qui se vendent et qui
se développent plus facilement. Il s’agit des jeux de stratégie (STR). La domination de
ce genre dans les années 1990 est indiscutable, en témoigne le nombre de jeux histo-
riques (1078, représentant 67% des jeux vidéo historiques)28 sortis à ce jour depuis 1980.
Le jeu de stratégie offre plusieurs avantages : il permet d’intégrer des éléments textuels
25
La caméra est placée à la place des yeux du personnage. Le joueur voit ce que la personne en jeu
regarde.
26
Medal of Honor, DreamWorks Interactive, Electronic Arts, 1999.
27
Certains diront que Wolfenstein 3D (id Software, 1992) est le premier FPS sur la Seconde Guerre Mon-
diale bien qu’il ne fasse pas revivre d’événements historiques. Le joueur est prisonnier d’un château Nazi
et doit s’en échapper avant de voler des plans et d’essayer d’éliminer Hitler.
28
Voir Annexe 3 – Statistiques.
16
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entre différentes missions et ainsi apporter des précisions historiques aux événements et
il reprend les codes de stratégies militaires avec plus ou moins de succès. La Seconde
Guerre Mondiale est ainsi un terrain de jeu tout indiqué pour faire s’affronter des ar-
mées, gérer des bases, revivre des événements clés de la guerre, des batailles célèbres
etc.
Il est tout de même intéressant de noter que les jeux de stratégie ont quasiment
disparu du marché depuis plusieurs années, laissant place à d’autres genres comme le
FPS, le jeu de rôle, le jeu de gestion et le TPS (Third Person Shooter)29. Le dernier grand
jeu de stratégie sur la Seconde Guerre Mondiale, R.U.S.E30, s’est vendu à 1 millions
d’exemplaires31. Un joli chiffre mais qui se retrouve loin derrière le dernier opus sur la
Seconde Guerre Mondiale de Call of Duty, sorti deux ans auparavant. Vendu à plus de
15.532 millions d’exemplaires, Call of Duty : World at War33 est sans doute le dernier
grand FPS marquant de la guerre de 39-45. Il existe néanmoins toujours des jeux de
stratégie historique, mais leur confidentialité, leur spécificité et leur technicité en font
des produits de niche. Le jeu vidéo de type Action/Aventure, à la première ou troisième
personne, est devenu la tendance en vogue. Il est évident que les éditeurs de jeux vidéo
tablent sur les lois du marché pour favoriser certains produits, et les jeux vidéo histo-
riques tels qu’Assassin’s Creed répondent parfaitement à la demande du marché. Le
processus est toujours le même : reprendre une formule, l’améliorer et en faire une
marque sur le long terme. De ce fait, les jeux de stratégie ont de la peine à se renouveler
et à proposer de nouvelles idées, tant ils ont été nombreux sur le marché du jeu vidéo
pendant plus de vingt ans.
Les supports jouent également un rôle crucial dans la construction des jeux vi-
déo. Il est d’ailleurs important de bien comprendre que si la majeure partie des jeux
29
La caméra est cette fois-ci placée à l’arrière du personnage. Le joueur voit le personnage de dos mais
peut souvent tourner librement la caméra autour de lui.
30
R.U.S.E, Ubisoft, 2010
31
VGchartz, source, http://www.vgchartz.com/game/32916/ruse/, consulté le 29.11.16.
32
VGchartz, source, http://www.vgchartz.com/game/23992/call-of-duty-world-at-war/, consulté le
29.11.16.
33
Call of Duty: World at War, Treyarch, Activision, 2008
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vidéo historiques sont joués sur PC (77% des jeux de la base de données d’Historia-
games sont des jeux PC), ce support ne détermine pas forcément le succès et le nombre
d’exemplaires vendus. Les jeux vidéo historiques ont toujours existé mais ils n’ont ja-
mais été autant nombreux qu’aujourd’hui. De 1980 à 1999, Historiagames recense 311
jeux vidéo historiques tandis que depuis l’an 2000, 1299 jeux vidéo ont fait leur appari-
tion sur le marché34. Le fait que le nombre de jeux vidéo historiques double en l’espace
d’une dizaine d’années entre 1995 et 2004 peut sans doute trouver une explication,
comme dit auparavant, avec l’apparition du FPS et le désistement progressif du STR
ainsi que l’accès aux nouvelles consoles, moins chères.
Je ne peux que tirer des hypothèses pour comprendre cette évolution. Il est
possible qu’un autre élément de réponse puisse venir de la puissance des machines. Les
jeux vidéo historiques suivent les tendances du marché du jeu vidéo. Grâce à la
puissance des PC et des consoles de dernière génération et aux outils mis à disposition,
il est bien plus facile pour un petit développeur de créer un jeu vidéo, et donc un jeu
vidéo historique par extension. La puissance des cartes graphiques et des processeurs
entraîne également une reconstruction des jeux vidéo qui vont chercher à dompter cette
puissance. La quête de réalisme (voire de photoréalisme), chose impossible dans les
années 1990, est adoptée par beaucoup de développeurs. Le FPS est bien évidemment
le genre qui offre les meilleures sensations en matière de réalisme. Medal of Honor avait
ouvert la porte en 1999 et il suffit de découvrir les premières images d’un jeu de 2016
tel que Battlefield 135 pour se rendre compte de l’évolution du genre et le degré
d’immersion atteint par ce jeu vidéo. La démocratisation des consoles de salon associée
à la diffusion massive du FPS pourrait expliquer cette progression.
34
Voir Annexe 3 – Statistiques.
35
Battlefield 1, DICE, EA, 2016.
18
Jorris Sermet
Université de Lausanne Mémoire en Histoire
36
TRICLOT, Mathieu, Philosophie des jeux vidéo, Paris : Zones, 2011, p. 14.
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Jorris Sermet
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derniers, une denrée encore rare, se faisaient « hacker » par ces ingénieurs. Il ne s’agis-
sait pas d’une technique de détournement à des fins malhonnêtes, mais plutôt d’expé-
riences dans le but de comprendre la machine et l’améliorer37. Penser et créer des pro-
grammes informatiques relevait de l’exploit, et c’est dans cette perspective de challenge
que des ingénieurs du MIT ont commencé à créer des logiciels informatiques. L’idée
générale ressemble à celle qui prévaut aujourd’hui dans la création de jeux vidéo
indépendants : les game jam. Il s’agit d’un rassemblement de différentes équipes qui
vont, en un temps donné, s’affairer à créer un petit jeu vidéo. Au MIT dans les années
1960, les pratiques étaient presque les mêmes : les informaticiens se rassemblaient en
une sorte de club38 et se lançaient volontiers des challenges. Steve « Slug » Russell39
était l’un d’eux, et est l’une des figures marquantes derrière le jeu Spacewar !. Grands
amateurs de science-fiction, ces ingénieurs du MIT ne vivaient presque uniquement que
pour découvrir de nouvelles utilisations à ces ordinateurs, et c’est dans cette perspective
de découverte que Spacewar ! a été pensé. Ce petit jeu permettait à deux joueurs de
s’affronter en dirigeant un vaisseau et de se tirer dessus, mais il est surtout connu pour
être le premier vrai jeu vidéo, né de l’esprit de hackeurs40. De ce fait, il n’a jamais été
pensé comme un jeu vidéo moderne capable d’être vendu et de rapporter de l’argent41.
Il aura fallu attendre la fin des années 1960 et un homme, Ralph Baer42, pour mettre en
place la première console de jeux vidéo, L’Odyssée, sortie en 197243.
Le langage informatique derrière les jeux vidéo n’a pas changé, puisque le sys-
tème binaire continue d’être derrière les jeux modernes. En ce sens, il est toujours éton-
nant de voir le saut réalisé entre ce système et le produit final. Il y a une sorte de magie
informatique qui se dégage de cette spécificité, tant il apparaît impensable que des 1 et
des 0 reconstituent une ville comme Paris en 1789 dans Assassin’s Creed Unity44. Alors
certes, le tour de magie est un peu tronqué, puisqu’un jeu vidéo est avant tout le fruit de
plusieurs composants et d’un langage informatique choisi qui seront, seulement par la
suite, appliqués par la machine à travers des 1 et 0. Mais tout de même, le fait de penser
37
KENT, Steven, The Ultimate history of video games, New York: Three Rivers Press, 2001, p.17.
38
Ibid, KENT, Steven, p.17.
39
Ibid, KENT, Steven, p.20.
40
GRAETZ, Martin J., « The Origin of Spacewar », Creative Computing, août 1981.
41
KENT, Steven, The Ultimate history of video games, New York: Three Rivers Press, 2001, p. 20.
42
Ralph Baer (1922 - 2014) est considéré comme un des pères du jeu vidéo
43
L’Odyssée est la première console de jeux vidéo, sortie en 1972 par la société Magnavox, source :
KENT, Steven, The Ultimate history of video games, New York : Three Rivers Press, 2001, p.26.
44
Assassin’s Creed Unity, Ubisoft, 2014.
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Jorris Sermet
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que les jeux vidéo ne sont que des chiffres a de quoi faire réfléchir, et surtout de quoi le
rendre unique par rapport aux autres médias. L’évolution technologique permet certes
de disposer de plus de composants, de plus d’objets, de mettre du son de qualité, des
vidéos en haute définition, de créer des mondes toujours plus grands avec toujours plus
de substances et d’actions, mais ce qui permet à ces éléments de fonctionner et de vivre,
ce sont ces 1 et ces 0 et ces « in put » et « out put ». Jouer à un jeu vidéo se résumerait
presque à uniquement appuyer sur des touches et recevoir en retour une action, un mo-
dèle lui aussi binaire. Il y a un d’un côté les « in put », les touches que l’on presse, et de
l’autre les « out put », à savoir le résultat traduit à l’écran par l’ordinateur.
45
TRICLOT, Mathieu, Philosophie des jeux vidéo, Paris : Zones, 2011, p. 14.
46
Ibid, TRICLOT, Mathieu, p.14.
47
Ibid, TRICLOT, Mathieu, p.15.
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Jorris Sermet
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d’interagir avec l’écran. Traditionnellement, il s’agit des claviers, souris, manettes, mais
aussi des écrans eux-mêmes qui sont devenus tactiles ces dernières années. L’expérience
vidéoludique, et donc l’expérience historique d’un événement joué, est ainsi agencée
par la relation entre l’écran et le périphérique, deux éléments qui forment une des spé-
cificités du jeu vidéo. L’expérience ressentie par le joueur lors d’une partie est ainsi
multiple, variée et diffère selon les genres de jeux vidéo. Ces derniers rassemblent toutes
les manières de jouer ; il peut s’agir de jeux vidéo de stratégie, de jeux vidéo en vue à
la première personne ou à la troisième personne, de jeux vidéo en deux ou trois dimen-
sions, de jeux de rôle, de gestion etc. Ces genres vont évidemment influencer l’expé-
rience vidéoludique. Cette dernière peut également être réitérée à chaque instant,
puisqu’un des principes du jeu vidéo consiste à disposer de sauvegardes et donc à frac-
tionner le jeu afin de vivre et revivre différemment certaines séquences. Un des jeux
vidéo qui exemplifie parfaitement cette multiplicité des choix est The Stanley Parable48.
Dans ce dernier, le joueur incarne Stanley, un employé de bureau qui tape machinale-
ment une suite de chiffres indiqués, jusqu’au moment où le jeu démarre véritablement.
Déambulant dans les bureaux étrangement vides de son entreprise, Stanley est amené à
faire des choix : faut-il prendre la porte de gauche ou de droite ? Le joueur décide d’une
direction mais peut à tout moment recharger la partie pour en changer. Ce principe s’ap-
plique à tous les jeux vidéo, mais semble en contradiction avec les jeux vidéo historiques
à forte tendance narrative, qui vont formuler un scénario taillé et précis. Dans Assassin’s
Creed, pour que le scénario avance, il va falloir compléter les tâches et les missions
demandées. Or, il est impossible de refaire une mission et de ne pas être soumis aux
contraintes de l’objectif imposé. Il est certes possible de la refaire de plusieurs manières
différentes, mais l’objectif sera toujours le même.
48
The Stanley Parable, Galactic Café, 2013.
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joueur, racontent déjà quelque chose. Comme un réalisateur de cinéma, l’auteur du jeu
vidéo a disposé dans son jeu des éléments visuels qui vont « parler » à celui qui les
regarde. Mais en plus de ces éléments, qui ne sont que des formes visuelles ou auditives,
l’auteur d’un jeu vidéo a façonné des règles et des interactions entre le joueur et le jeu.
Ces interactions, couramment appelées « gameplay », forment bien souvent le cœur de
l’expérience du joueur qui va devoir les comprendre et les maîtriser. Le gameplay de
Mario est ainsi pensé pour que ce dernier puisse avancer à droite dans un environnement
en deux dimensions, qu’il puisse sauter mais aussi éliminer ses ennemis en leur sautant
dessus, etc. Ces règles en mouvement nous racontent alors ces interactions. Cependant,
le gameplay n’est pas unique aux jeux vidéo puisque tous les jeux en possèdent une
forme, qu’ils soient vidéo ou pas. On retrouve également des traces de gameplay dans
les théâtres d’improvisation, dans les foires ou encore dans les jeux d’enfants. Cache-
cache est ainsi un jeu dont le gameplay consiste à utiliser un environnement défini pré-
alablement par les participants dans le but de cadrer le jeu tout en respectant les règles,
à savoir compter un nombre de secondes avant de chercher les autres joueurs, se dissi-
muler au mieux etc. L’expérience des joueurs n’en sera que plus forte dès lors que les
règles sont suivies par tout le monde. Un joueur trichant et s’affranchissant du cadre
donné brisera le système de règles mis en place et les interactions des autres joueurs, et
donc le gameplay. Il ne s’agit en conséquence pas d’une spécificité à proprement parler
du jeu vidéo. Mais cette particularité est sans aucun doute l’un des éléments les plus
marquants du jeu vidéo, puisque tout jeu dispose d’un gameplay. Là où ce dernier est
intrinsèquement lié au jeu vidéo, c’est qu’il est une forme narrative liée au contexte et à
la narration voulue par l’auteur. On ne raconte pas la Révolution française dans un jeu
vidéo de la même manière lorsque le gameplay est différent d’un jeu à l’autre.
Comprendre la spécificité du jeu vidéo, c’est admettre que le gameplay est
aussi un vecteur de narration au même titre que tous les autres éléments
présents dans le jeu et que le jeu vidéo ait donc une capacité à inscrire un
contexte, voire une histoire, tout en faisant œuvrer le joueur au sein de li-
mites suffisamment pensées pour respecter ce que veut dire l’auteur.49
Déplacer Mario de gauche à droite en 2D dans son environnement nous raconte
quelque chose sur le monde de Mario. Cela serait évidemment différent s’il pouvait tirer
à l’arme à feu ou voler des voitures ; le joueur serait en droit de se demander ce qu’un
49
Les auteurs de la chaîne youtube « Undropdanslamare » expriment régulièrement quelques notions sur
les jeux vidéo. Leur série « 2 minutes pour convaincre » propose d’approfondir ces notions. Undropdan-
slamare parle du gameplay lorsqu’ils abordent le jeu d’Ubisoft, Watch DogsII : https://www.you-
tube.com/watch?v=cgIBEQ4HiU8, leur site internet : http://undropdanslamare.com, consulté le 20.11.16.
23
Jorris Sermet
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plombier moustachu ferait de ces éléments dans le but de sauver une princesse détenue
dans un château par une sorte de tortue dinosaure crachant du feu. Tout comme il serait
étrange si un dragon géant ravageait la ville de Paris en 1789 dans Assassin’s Creed
Unity, alors même qu’aucune présence fantastique n’était annoncée préalablement ou
que le héros, un assassin discret, se mue en chevalier digne d’un roman de Chrétien de
Troyes. Le gameplay est donc intimement lié à la narration, et inversement, et ce surtout
dans les jeux vidéo qualifiés de mondes ouverts, puisque le joueur peut choisir de réali-
ser ce que le jeu lui demande - ou de faire autre chose. Dès le moment où le joueur quitte
le fil narratif, souvent proposé par des missions ou des quêtes, c’est au gameplay et aux
autres éléments du jeu qu’incombent la tâche de raconter en lieu et place de la narration
traditionnelle : « Tous les éléments du jeu sont susceptibles de porter le contexte et la
narration. Le gameplay est un élément qui raconte, au même niveau que le reste »50.
C’est une des spécificités du jeu et donc du jeu vidéo, et probablement celle qui importe
le plus dans l’analyse historique des jeux. Ces derniers contextualisent la narration par
des événements historiques et, d’une certaine manière, gagnent un degré de réalisme par
rapport à d’autres productions plus fantasques et fictives. Le gameplay de ces jeux est
donc lui aussi lié à cette contextualisation et raconte, au même titre que la narration, les
événements historiques.
50
Ibid, Undropdanslamare, https://www.youtube.com/watch?v=cgIBEQ4HiU8, consulté le 20.11.16.
24
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51
Créé en 1986 par les frères Guillemot, Ubisoft est considéré comme un des grands éditeurs de jeux
vidéo avec Activision Blizzard et Electronic Arts, https://www.ubisoft.com/fr-FR/groupe/presenta-
tion.aspx, consulté le 08.11.16. Ses licences marquantes sont Rayman, Prince of Persia, Assassin’s Creed,
Les Lapins Crétins et Just Dance.
52
Difficile de donner des chiffres de ventes précis mais Pac-Man a au moins été distribué sur plus de 10
supports entre 1980, sa date de sortie, et 1990. Il s’est vendu à plusieurs millions d’exemplaires tout en
subissant la loi du « clonage », faisant le bonheur d’autres jeux reprenant le même système et le même
principe.
53
Le Gameboy de Nintendo a dépassé les 100 millions de ventes depuis sa commercialisation. Source :
Nintendo : https://www.nintendo.ch/fr/Societe/L-Histoire-de-Nintendo/Game-Boy/Game-Boy-
627031.html, consulté le 17.10.16.
54
Bioagraphie de Jordan Mechner, http://www.jordanmechner.com/bio/, consulté le 25.11.16.
25
Jorris Sermet
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Prince of Persia ne laisse finalement que peu de place à l’Histoire. Il s’agit d’abord de
mettre en avant un gameplay efficace et surtout des animations encore jamais vues à
l’époque dans un jeu vidéo. Si Prince of Persia n’est finalement qu’une sorte de copie
de Super Mario Bros55, dont l’histoire n’est autre que le sauvetage d’une princesse et
dont le gameplay consiste à sauter par-dessus des obstacles et à éliminer des ennemis,
c’est bien le côté technique qui impressionne. Jordan Mechner a ainsi filmé son frère56
réalisant certaines actions, comme sauter ou escalader des murets, pour ensuite décorti-
quer image par image les mouvements et les intégrer dans son jeu vidéo. Une prouesse
qui a fait date dans l’histoire du jeu vidéo. La qualité technique et le rendu graphique
sont des éléments qu’Ubisoft a gardés par la suite, avec plus ou moins de succès. Mais
avant d’être la propriété d’Ubisoft, Prince of Persia est édité par Brøderbund, une so-
ciété américaine qui se fera justement racheter par Ubisoft en 2001. Avec ce rachat,
l’éditeur français acquiert également la marque Prince of Persia. Si le jeu vidéo de
Mechner a connu une suite appréciée en 199357, le 3ème opus sorti en 199958 ne séduit
plus le public, la faute surtout à une sortie précipitée souffrant de nombreux bugs et
problèmes. Jordan Mechner n’est d’ailleurs que peu impliqué dans sa réalisation.
L’échec de ce troisième jeu est fortement lié aux problèmes financiers de Brøderbund.
Racheté une première fois en 1998 par The Learning Company puis quelques mois plus
tard par Mattel, deux sociétés spécialisées dans les jeux vidéo et les jouets, Brøderbund
peine à sortir la tête de l’eau. Peu étonnant dès lors que Prince of Persia 3D soit un
échec.
Grâce à ce rachat, Ubisoft décide de capitaliser rapidement sur la marque Prince
of Persia et met en branle un projet chargé de relancer cette série. Sorti en 2003 sur les
nouvelles consoles de Sony (Playstation 2), Microsoft (Xbox) et Nintendo (GameCube),
Prince of Persia : les sables du temps est immédiatement un succès59. Techniquement
à la pointe, possédant une narration développée et mettant en avant un principe de jeu
qui évite toute mort60, ce nouveau Prince of Persia a définitivement permis à Ubisoft de
55
Super Mario Bros, Nintendo, 1985.
56
Prince of Persia Animation Reference 1985, Source:
https://www.youtube.com/watch?v=PH0cpppGuow, consulté le 29.11.16.
57
Prince of Persia 2: the shadow of the flame, Brøderbund, 1993.
58
Prince of Persia 3D, The Learning Company, 1999.
59
Prince of Persia : les sables du temps s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires en quelques mois.
Source : http://www.jeuxactu.com/un-million-de-prince-of-p-1503.htm, consulté le 17.10.16.
60
Le Prince peut revenir de quelques instants dans le temps en utilisant le pouvoir de sa Dague qui ren-
ferme les sables du temps, s’évitant dès lors de mourir sur les pièges ou de tomber dans le vide.
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devenir un des éditeurs majeurs de jeux vidéo liés à l’Histoire. Le producteur du jeu,
Yannis Mallat, raconte dans une interview61 les diverses influences qui ont marqué
l’équipe de développement :
La lecture du conte Les Mille et Une Nuits s’est imposée à l’équipe entière.
Elle nous a permis une immersion totale dans le monde arabe : un monde
fantastique, empreint d’un imaginaire fort et qui dépasse les frontières.
C’est exactement ce que nous cherchons à reproduire dans le jeu.
Les contes ont certainement eu une grande influence mais les développeurs ont
également utilisé une imagerie venue du cinéma d’action hongkongais et de documen-
taires sur la Capoeira. L’idée consistait à reproduire les mouvements des combattants et
les appliquer au Prince de Perse. On est, certes, encore loin de l’inspiration d’événe-
ments historiques, mais l’esthétique travaillée, le gameplay et ce lien marquant avec une
époque teintée de mythes et de légendes que l’on retrouve dans le conte des Mille et une
Nuits sont à la base de cette licence qui annonce Assassin’s Creed. Le jeu Prince of
Persia précède ainsi Assassin’s Creed. L’idée même de jouer avec les mythes, avec
l’histoire mais aussi avec le temps, puisque le Prince peut sans autre utiliser un pouvoir
qui lui permet de remonter dans le temps et d’ainsi revivre le passé et changer les évé-
nements, ont probablement inspiré Ubisoft à développer une nouvelle licence qui ra-
conte des événements historiques. Le joueur d’Assassin’s Creed incarne un personnage
dont les ancêtres ont vécu des événements historiques importants. Il est littéralement
plongé dans l’histoire de ses aïeux et revit exactement ce qu’ils ont fait. Le procédé
s’explique par l’idée que les événements historiques laissent une empreinte dans l’ADN
et peuvent être décodés grâce à l’animus, une machine établie dans ce but. L’animus est
contrôlé par des Templiers modernes qui cherchent à s’accaparer de reliques qui pour-
raient changer la face du monde. Leurs plans sont contrecarrés par la secte des Assassins
qui ont réussi jusqu’à présent à garder secret l’emplacement de ces reliques. Il y a ainsi
une double confrontation à deux époques différentes : d’abord dans le présent où le
joueur incarnant le descendant d’un Assassin est capturé par les Templiers mais égale-
ment dans le passé lorsqu’il revit les événements de son ancêtre. L’animus fait office de
lien entre le passé et le présent et pourrait tout à fait se traduire par « animer l’histoire ».
C’est en tout cas dans ce sens qu’Assassin’s Creed s’est développé.
III. a. i. Les influences d’Assassin’s Creed
61
Interview de Yannis Mallat. Source, Xbox-mag.net, http://xbox-mag.net/2003/03/12/interview-avec-
le-producteur-de-prince-of-persia/, consulté le 17.10.16.
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Assassin’s Creed est sorti en 2007 soit cinq ans après le livre de Dan Brown, le
Da Vinci Code62, et un an après le film tiré du livre. Le jeu d’Ubisoft s’intéresse égale-
ment aux idées relatives aux théories du complot, aux sociétés secrètes et au rôle de
l’histoire et des traces laissées dans des objets, reliques et autres. Assassin’s Creed surfe
sur cette vague du complot qui a probablement connu une résurgence à l’aube du 21ème
siècle après le 11 septembre 2001. L’histoire en mouvement serait gérée et influencée
par des groupuscules cachés qui tentent d’établir un nouvel ordre mondial. L’idée n’est
pas neuve mais elle est efficace et permet surtout d’établir des narrations complexes qui
s’intègrent dans notre propre réalité. C’est d’ailleurs en ce sens qu’Assassin’s Creed a
été pensé. Dès 2004, juste après la sortie de Prince of Persia : les sables du temps,
Ubisoft réfléchit à une nouvelle licence qui sortira sur les consoles PS3 (Sony, 2006) et
Xbox 360 (Microsoft, 2005). Jade Raymond, productrice chez Ubisoft, est alors chargée
de développer un nouveau jeu en collaboration avec Patrice Désilets, créateur de jeux
vidéo et ayant travaillé sur le premier Prince of Persia d’Ubisoft. Une équipe est mise
sur pied dont une grande partie des développeurs a contribué au succès des trois opus
Prince of Persia entre 2003 et 2005 en Europe, aux Etats-Unis et dans les pays occiden-
taux63. Il aura fallu quatre ans de développement pour que naisse Assassin’s Creed. Si
le lien entre Prince of Persia et Assassin’s Creed se traduit par le fait qu’ils sont tous
les deux issus d’une bonne partie des mêmes esprits, les méthodes employées sont éga-
lement identiques. Pour Prince of Persia, le conte des Mille et une Nuits a été une des
sources d’inspiration principales alors que pour Assassin’s Creed, il s’agit du livre sur
les Assassins de l’écrivain slovène Vladimir Bartol64, Alamut65. Assassin’s Creed est
ainsi un produit culturel relié à l’Histoire par plusieurs biais. Tout d’abord, il reprend
les histoires sur les Nizârites, cette communauté chiite qui a pris le fort d’Alamut à la
fin du XIème siècle66. Le nom d’hashashin ou heyssessini leur est bien souvent prêté,
62
Publié en 2003 et édité par Doubleday
63
Les marchés du jeu vidéo se divisent en plusieurs parties : l’Europe, les Etats-Unis et les pays occiden-
taux forment bien souvent un seul marché tandis que le Japon reste à part. Les chiffres de ventes concer-
nant l’Asie, la Chine, l’Afrique et l’Amérique du Sud (excepté le Brésil, Source : http://www.le-
monde.fr/technologies/article/2011/06/17/le-bresil-nouvel-eldorado-du-jeu-vi-
deo_1536849_651865.html, consulté le 08.11.16) sont bien souvent inconnus. Il est également possible
au sein du marché occidental de distinguer les pays anglophones (Etats-Unis, Royaume-Uni et l’Australie
principalement) des pays européens et de la Russie.
64
Vladimir Bartol (1903-1967) est un écrivain slovène. Son roman, Alamut, est paru en 1938 aux éditions
Scala House Press.
65
Interview de Jade Raymond, Wired, source : http://www.wired.com/2007/07/jade-raymond-as/, con-
sulté le 14.10.16.
66
ARNALDEZ, Roger, « ASSASSINS, secte », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté
28
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29
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environ 200 millions $, avait vu le jour en 2010. Le lien entre les jeux vidéo et le cinéma
est en phase de prendre un nouveau chemin. De plus en plus de productions vidéolu-
diques se rapprochent du cinéma tout en reprenant ses codes. De nombreux jeux, comme
Uncharted72, mêlent judicieusement aspects ludiques à une narration et une esthétique
propre au 7ème art. Le jeu vidéo The Order 186673 est ainsi un excellent exemple de ce
rapprochement grandissant puisqu’il dispose des deux fameuses bandes noires présentes
à l’écran, signe qu’il veut être « plus qu’un jeu ». Ce lien entre cinéma et jeu vidéo est
à double sens. Autant les jeux vidéo s’inspirent de plus en plus des techniques de pro-
duction des films parce qu’ils bénéficient de budgets conséquents, autant le cinéma mise
sur les progrès technologiques qui viennent bien souvent des moteurs graphiques et stu-
dios de jeux vidéo. Star Wars est un bon exemple pour comprendre comment le film et
le jeu vidéo se sont entremêlés, outre les dimensions techniques liées aux effets spéciaux
ou à la « motion capture ». Des jeux vidéo ont accompagné les sorties des films, notam-
ment de Star Wars : la menace fantôme (1999) et Star Wars : la revanche des Siths
(2005). Le jeu vidéo permettait de (re)vivre les films tout en y prenant part. Il s’agissait
de rendre l’action au spectateur afin qu’il devienne joueur. La fameuse séquence de
course de Podracer dans le film Star Wars : la menace fantôme est ainsi souvent décrite
comme un pur moment de jeu qui ressemble étrangement à ce que des joueurs de
Wipeout74 avaient pu connaître quelques années auparavant. Le critique et historien,
Charles Tesson, exprime d’ailleurs cette idée du film comme support au jeu.
30
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d’être un film ? Il possède, certes, en lui tout le matériel nécessaire pour devenir un film,
mais il est surtout pensé comme un jeu vidéo ouvert sur les autres médias. A l’instar de
Star Wars, univers fourre-tout dont les règles ne cessent de changer au fil des histoires
racontées comme en témoigne le rachat de la licence par Disney qui a décidé de ne
garder comme légitimes que certaines d’entre elles, Assassin’s Creed raconte l’histoire
de plusieurs personnages liés entre eux par l’Histoire.
En fin de compte, ce qui unifie toutes les expériences des jeux, films et livres
Assassin’s Creed, c’est la fiction spéculative de l’Histoire comme incessante
lutte souterraine entre les Templiers et les Assassins.76
L’élément clé qui régit cet univers est l’Histoire, c’est elle qui fait le liant entre
tous les personnages et toutes les époques. Elle est la clé de ce concept de "transmédia-
lité" puisque sans elle, Assassin’s Creed n’existe pas. Il est alors facile pour Ubisoft de
proposer de nombreux produits dérivés qui vont ponctuellement satisfaire les joueurs et
leur permettre d’explorer cet univers. Il est toujours possible de comprendre Assassin’s
Creed en ne jouant qu’aux jeux, qui restent les éléments phares de la licence, mais il est
également possible d’acquérir de nouvelles connaissances sur des personnages annexes
ou des événements par le biais de ces nouveaux produits que sont les courts-métrages,
les bandes dessinées, les livres et les mangas. Il est d’ailleurs intéressant de noter que
les courts-métrages nommés Assassin’s Creed Lineage77 (Ubisoft, 2009) ont précédé la
sortie d’Assassin’s Creed II78. Diffusés sur Youtube, ils ont servi dans un premier temps
d’argument marketing avant d’être également un test pour Ubisoft, afin de savoir s’il
était rentable de réaliser ce genre de produits et d’envisager un jour d’en faire un véri-
table film. Dans Lineage, le spectateur suit Giovanni Auditore, le père du héros d’As-
sassin’s Creed II, dans un complot qui le mènera à sa perte et que son fils devra déjouer
dans le jeu. On a donc droit à une histoire qui n’est pas dans le jeu mais qui en est à la
base. Outre ces liens scénaristiques, Lineage a été un pas fondamental dans la construc-
tion de l’univers Assassin’s Creed parce qu’il est technologiquement entre le jeu vidéo
et le cinéma. Les acteurs sont ceux qui ont prêté leurs voix aux personnages du jeu et
les décors sont tirés du jeu vidéo lui-même. Avec cette volonté de « transmedialité »,
76
ARSENAULT, Dominic, MAUGER, Vincent, « Au-delà de « l'envie cinématographique » : le com-
plexe transmédiatique d'Assassin's Creed », Nouvelles Vues, revue sur les pratiques et les théories du
cinéma au Québec, n°13, p. 7.
77
Le court-métrage est disponible sur visible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=K30xjP-
kIjhU, consulté le 13.12.16.
78
Assassin’s Creed II, Ubisoft, 2009
31
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Ubisoft n’a pas fait que transposer son histoire sur plusieurs médias, il a également dif-
fusé l’Histoire présente sur ces supports. Qu’on lise un manga Assassin’s Creed ou
qu’on regarde un film Assassin’s Creed, la trame de fond reste l’Histoire, élément cen-
tral de la licence. Au-delà des aspects techniques, scénaristiques, médiatiques et écono-
miques, c’est bien l’Histoire qui est présente partout, qui est décrite, racontée, filmée et
surtout jouée. Et en ce sens, il y aurait de quoi examiner profondément les différents
chemins pris par Ubisoft au niveau historique et en fonction des médias et supports uti-
lisés. Comment est racontée la trame historique dans un livre Assassin’s Creed et en
quoi diffère-t-elle de celle du jeu, voilà une des questions soulevées par cet examen
transmédiatique qui mériterait d’être explorée dans le cadre d’un autre travail.
Ubisoft se positionne ainsi sur différents plans, maximisant son objet pour plu-
sieurs publics qui s’intéressent à Assassin’s Creed. Néanmoins, à force d’annualiser sa
série, Ubisoft a créé des jeux vidéo souvent critiqués, qui ont finalement lassé les
joueurs. En chargeant le marché de ses produits, Ubisoft a pris de gros risques en pro-
posant des jeux Assassin’s Creed chaque année. Les contraintes économiques ont ainsi
eu raison de cette licence qui a souffert de plusieurs problèmes, souvent techniques et
intrinsèques au développement. Une pause en 2016 était donc bienvenue pour l’éditeur
français qui n’a pas sorti un « gros » jeu Assassin’s Creed. A vrai dire, de plus petites
productions Assassin’s Creed ont tout de même été réalisées en 2016, montrant
qu’Ubisoft n’est pas non plus prêt à abandonner sa licence79.
La saga d’Ubisoft dispose en 2016 de 19 jeux vidéo au total dont six épisodes
majeurs forment la base de la licence. Dans le domaine des jeux vidéo, il est commun
de voir apparaître chaque année ou chaque deux ans des suites qui viennent continuer
ou prolonger la narration du premier épisode. La licence Assassin’s Creed a ainsi an-
nualisé ses jeux à partir du deuxième opus sorti en 2009. Il ne s’agit donc pas de réédi-
tion du premier jeu mais bel et bien de nouveaux jeux originaux. Il existe ainsi dans la
multitude des jeux Assassin’s Creed, six jeux majeurs qui façonnent la chronologie de
la licence et bénéficient de campagnes marketing et de budgets conséquents contraire-
ment aux autres productions, plus modestes et moins valorisées. Pour mieux saisir de
Assassin’s Creed Chronicles: India, Ubisoft, 2016. Assassin’s Creed Chronicles: Russia, Ubisoft
79
Montréal, 2016.
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Jorris Sermet
Université de Lausanne Mémoire en Histoire
quoi il en retourne, il faut entrer dans ces jeux et comprendre l’évolution historique
opérée par Ubisoft.
Après Assassin’s Creed sorti en 2007 et les croisades du XIIème siècle, l’éditeur
français propose aux joueurs de se concentrer sur la Renaissance et plus précisément
Florence. Le joueur incarne dans Assassin’s Creed II le florentin Ezio Auditore entre
1459 et 1499 tout en continuant à faire évoluer le « sujet » d’expérimentation qu’est
Desmond Miles, le descendant d’Altaïr, héros du premier jeu. Ezio apprend que son
père, exécuté par un Templier, était un Assassin et part en quête de vengeance dans
Florence avant de se rendre compte que les événements liés au meurtre de son père
cachent une éventuelle fin du monde si les Templiers s’emparent de plusieurs reliques.
L’ennemi d’Ezio Auditore n’est autre que Rodrigo Borgia à la tête des Templiers. De-
venu le Pape Alexandre VI, ce dernier affronte Ezio Auditore dans un combat final et
échoue à mettre son plan de domination du monde en action grâce à l’intervention de
l’Assassin. Dans la suite d’Assassin’s Creed II intitulée Assassin’s Creed Brother-
hood80, on apprend que le fils de Rodrigo Borgia, César Borgia, traque Ezio Auditore et
enlève son amante, Catherine Sforza. Ezio Auditore tentera sans succès d’assassiner les
Borgia avant d’assister au meurtre de Rodrigo par son fils. La scène explique la mort du
Pape par le fait que ce dernier avait voulu empoisonner son fils alors même que César,
ayant découvert que la pomme qui lui était destinée contenait du poison, survécut avant
d’enfoncer dans la bouche de son père le reste du fruit empoisonné. Si la mort du Pape
Alexandre VI reste encore un mystère, Ubisoft a choisi la thèse de l’empoisonnement.
Il est à noter que la figure de Rodrigo Borgia dans Assassin’s Creed II corres-
pond relativement bien à celle du Pape81. Il est décrit comme un homme assoiffé de
pouvoir, dont l’immense fortune a servi à l’élever jusqu’à la plus haute place de l’Eglise.
Le contexte du jeu fait référence à la lutte entre les Borgia et Laurent de Médicis (ami
de la famille Auditore) et la guerre des Pazzi et propose de suivre, en parallèle des agis-
sements d’Ezio, cette ascension des Borgia en Italie.
Après l’Italie, Ubisoft a déplacé l’action de la seconde suite d’Assassin’s Creed
II à Constantinople dans l’épisode Assassin’s Creed : Revelations82. Autant ce dernier
que Brotherhood font office de suite à l’épisode deux et se chargent de raconter les
80
Assassin’s Creed: Brotherhood, Ubisoft, 2010.
81
GIANNONI, Gilbert, « Alexandre VI, Rodrigo Borgia (1431-1503) - Pape (1492-1503) », Ency-
clopædia Universalis [en ligne], consulté le 13.12.16. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/ro-
drigo-alexandre-vi/
82
Assassin’s Creed : Revelations, Ubisoft, 2011.
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Jorris Sermet
Université de Lausanne Mémoire en Histoire
aventures d’Ezio Auditore. L’Assassin tente cette fois de remonter dans l’histoire de son
ordre et se retrouve dans des lieux déjà parcourus dans Assassin’s Creed, comme la ville
de Masyaf. Mais c’est avec Assassin’s Creed III qu’Ubisoft opère un double change-
ment dans la manière de construire son jeu. Tout d’abord, les villes construites comme
Florence ou Rome disparaissent, laissant place à des espaces naturels plus larges et à
des villes plus petites. Ensuite, la narration d’Assassin’s Creed III diffère grandement
des autres jeux par le fait qu’elle s’intéresse à un événement historique majeur, à savoir
la Révolution américaine du XVIIIème siècle. Alors que les premiers jeux étaient cons-
truits autour d’événements historiques se référant à quelques personnages, ce troisième
opus place le joueur dans la peau de l’Amérindien Ratohnhaké:ton83, surnommé par la
suite Connor, en pleine révolution américaine entre 1754 et 1783. Le contexte est donc
primordial et les actes du joueur ont une place centrale dans le déroulement de la révo-
lution. Parallèlement à ces événements, le joueur continue de vivre les événements du
présent avec Desmond Miles. Le jeu alterne ainsi les phases dans le passé aux situations
du présent et se conclut par la mort de Desmond. L’un des intérêts de ce troisième opus
réside dans les passages qui plongent le joueur dans la culture amérindienne. Le joueur
est ainsi amené à incarner Connor enfant apprenant les rudiments de la chasse et le res-
pect de la nature dans sa tribu Mohawk. Ce passage jouable se construit autour d’une
partie de cache-cache entre enfants de la tribu. Les personnages sont doublés dans une
langue amérindienne, maximisant ainsi le sentiment de crédibilité et d’immersion.
L’une des forces est de ne jamais obliger le joueur à suivre bêtement un objectif. Il peut
sans autre vagabonder au sein de la forêt et observer les villageois travailler.
La rencontre avec les Blancs se fait, elle, par hasard dans la forêt. Ces derniers,
cherchant un temple d’une ancienne civilisation, brûlent le village Mohawk, pensant
que la tribu cachait l’emplacement du temple. Connor, qui a survécu, se forme alors
auprès d’un ancien maître Assassin, cherchant à se venger de ces hommes qui ont
anéanti son monde. Après plusieurs années, Connor participe à la Révolution américaine
et à divers événements comme la Boston Tea Party dont l’une des missions du jeu n’est
autre que de réussir à jeter par-dessus bord des navires anglais les barils de thé. L’idée
consiste toujours à mêler événement historique réel, contexte historique global et micro-
événement du joueur dans une fluidité historique crédible. Le joueur participe ainsi à
ces moments qui ont fait la Révolution américaine sans forcément en être le déclencheur.
83
Il s’agit de son nom amérindien
34
Jorris Sermet
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On ressent également toute la tension entre les différentes cultures : les Britanniques
sont aux prises avec les colons tandis que les tribus amérindiennes souffrent du conflit
et de l’expansion vers l’ouest qui se profile, sans compter la traite des esclaves, élément
en arrière-fond du contexte du jeu. Le joueur rencontre également Washington ou encore
Benjamin Franklin, franc-maçon reconnu. Ubisoft a ainsi gardé sa ligne directrice en
faisant intervenir des personnages historiques importants tout en exploitant les mystères
les entourant, leurs affiliations à des mouvements ou corporations dites secrètes.
Après l’Europe et ses grandes villes, les Etats-Unis et ses larges espaces, Ubisoft
a tenté un pari en changeant radicalement de lieu. Assassin’s Creed IV : Black Flag84,
sorti en 2013 en Europe et aux Etats-Unis, plonge littéralement le joueur dans la mer
des Caraïbes en 1715. Il y a donc un léger retour en arrière dans la chronologie établie
puisque chaque jeu qui sort avance dans le temps. Le joueur incarne le grand-père de
Connor, Edward Kenway, pirate et voleur. Dans le présent, et depuis la mort de Des-
mond Miles, la société Abstergo, celle qui détient l’animus, est devenue une corporation
d’entertainment qui cherche à ouvrir un parc d’attraction où les visiteurs pourraient re-
monter dans leur passé. Il s’agit en réalité de continuer la recherche de reliques à travers
le passé des visiteurs qui ne se doutent de rien. Les locaux d’Abstergo ressemblent ainsi
étrangement à ceux d’Ubisoft, qui s’amuse de ce double jeu. Cet aspect est également
renforcé par le fait que le joueur n’incarne désormais plus une personne tierce mais lui-
même. La caméra est en première personne et le sujet ne dispose pas de nom ou de
caractéristiques physiques. Contacté par les Assassins, le sujet doit effectuer des tâches
d’espionnage tout en vivant les aventures d’Edward Kenway grâce à l’animus. Ce der-
nier serait apparemment tombé sur un temple qui contiendrait une relique. Capitaine
d’un navire, Kenway est amené à voguer sur la mer, le terrain de jeu principal. Il ren-
contre les célèbres pirates Barbe Noire, Benjamin Hornigold, Anne Bonny ou encore
Mary Read et visite La Havane, l’île de Tortuga, Kingston et Nassau. Assassin’s Creed
IV : Black Flag se réfère également à la culture maya et à ses nombreux temples disposés
dans la jungle. Mais la mer et le conflit entre Britanniques, Espagnols et Français pri-
ment sur tout le reste. Moins impliqué historiquement que les autres jeux, sans événe-
ment majeur, cet opus fait la part belle à l’exploration, à la conquête maritime et cherche
plus à reconstituer la vie d’un pirate en mettant en exergue son équipage, les chansons
des marins, les attaques de forts, la recherche de trésors etc. Ubisoft s’est en quelque
84
Assassin’s Creed IV: Black Flag, Ubisoft, 2013.
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Jorris Sermet
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sorte distancé petit à petit de ce qui faisait le sel de sa série, à savoir une implication du
joueur dans les événements historiques et des villes comme terrain de jeu.
En 2014, l’éditeur français a voulu faire marche arrière en proposant une sorte
de « retour aux sources ». Assassin’s Creed Unity85 est le premier jeu estampillé Assas-
sin’s Creed à sortir uniquement sur les consoles PS4 (Sony, 2013) et Xbox One (Micro-
soft 2013) et PC. Techniquement plus détaillé, mieux réalisé, et proposant un nouveau
moteur graphique, Assassin’s Creed Unity devait être l’opus qui allait lancer Ubisoft sur
le marché des nouvelles consoles de salon. Le cadre de la Révolution française et la ville
de Paris promettaient une liberté d’action, un scénario intéressant, un événement histo-
rique majeur et une ville taillée pour ce jeu. Le Paris du jeu durant la Révolution est une
ville exceptionnelle qui offre un terrain de jeu au joueur encore jamais vu. Les foules
nombreuses, les caractéristiques des bâtiments et le quotidien des Parisiens ont été re-
constitués de manière à rendre le tout crédible. Outre les problèmes techniques récur-
rents, la narration a souffert d’une ligne directrice trop floue. Si Assassin’s Creed Unity
brille par sa reconstitution de Paris, il en est autrement par ce qu’il raconte. Le joueur
incarne Arno Dorian, fils d’un Assassin, qui tente de résoudre les meurtres de son tuteur
et de son père. Sur sa route, il croise le Roi de France, Louis XVI, Napoléon Bonaparte,
Mirabeau ou encore Robespierre. Bénéficiant de consultants historiques, Assassin’s
Creed Unity a fait un pas en avant sur le réalisme architectural, en reproduisant des
bâtiments tels que Notre Dame86 ou l’Hôtel de ville87, mais en détaillant également la
vie quotidienne, les costumes, les chansons révolutionnaires et plus globalement les per-
sonnages historiques rencontrés. Ubisoft n’avait aucunement l’intention de traduire en
jeu les événements tels qu’ils se sont déroulés, mais plutôt de façonner un scénario dans
ce contexte particulier et d’y intégrer toute la mythologie Assassin’s Creed. On assiste
ainsi à certains changements comme le fait que la Bastille88 soit toujours debout après
le 14 juillet 1789 ou quelques anachronismes. La Révolution étant un événement histo-
rique majeur de l’histoire de France, Assassin’s Creed Unity a subi de vives critiques de
la part de politiciens français89 qui y ont vu une déformation de l’Histoire90.
85
Assassin’s Creed Unity, Ubisoft, 2014.
86
Voir Figure 1 – Annexe Images.
87
Voir Figure 2 – Annexe Images.
88
Voir Figure 3 – Annexe Images.
89
Jean-Luc Mélenchon, député européen et Alexis Corbière, ancien secrétaire du Parti de Gauche (2008-
2014) ont notamment pris part à ce débat par des déclarations dans la presse.
90
Voir Partie III. b. La polémique Assassin’s Creed Unity et l’affaire Mélenchon, p. 38.
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Jorris Sermet
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Ubisoft, ayant sans doute senti le vent tourner, a décidé de sortir un dernier épi-
sode majeur en 2015 avant de faire une pause. Il faut dire que l’éditeur a exploité au
maximum sa licence avec 19 jeux sortis entre 2007 et 2016 et ce sur tous les supports
possibles, allant des consoles de salon aux téléphones mobiles avec des applications
dédiées à ce support, en passant par les consoles portables et les jeux spécialement créés
pour les réseaux sociaux comme Facebook. L’exploitation maximale des Assassin’s
Creed a créé une sorte de saturation. Il suffit de regarder les chiffres de ventes91 du
dernier jeu, Assassin’s Creed Syndicate92, à la baisse par rapport aux précédents opus93
pour se rendre compte de ce changement. Après Paris et la Révolution, Ubisoft s’est
attaqué au Londres de 1860 dans Syndicate, à l’époque victorienne, à la guerre des gangs
et à la révolution industrielle. Une transition dans le monde moderne qui s’est traduite
en jeu par une ville aux rues plus larges, à l’intégration de véhicules comme les calèches
ou à la présence du métro. Le joueur incarne deux personnages, les frères et sœurs Jacob
et Evie Frye. Evie est la première femme jouable dans un Assassin’s Creed majeur.
Chargés de retrouver des artefacts et de régler le problème des gangs dans les rues de
Londres, Evie et Jacob vont rencontrer plusieurs grands personnages historiques tels que
Karl Marx, Charles Darwin, Charles Dickens, la Reine Victoria et même Jack l’Even-
treur. Londres en 1860 est l’une des plus grandes villes du monde et propose des lieux
iconiques tels que l’Abbaye de Westminster, Charing Cross, le Palais de Buckingham
ou encore la Tamise, élément central du bon fonctionnement économique de la ville. En
jeu, il est ainsi possible d’observer les arrivées et départs de bateaux venus décharger
leurs marchandises sur les bords de la Tamise. La ville de Londres dans Assassin’s
Creed Syndicate semble véritablement animée, vivante et bénéficie d’un soin particu-
lier. Les équipes d’Ubisoft ont prouvé encore une fois qu’ils étaient passés maîtres dans
la reconstitution des villes. Mais la question sur le traitement de l’Histoire, au-delà des
points factuels et des bâtiments reconstitués, reste mitigée, notamment en ce qui con-
cerne le rapport aux personnages et au message historique du jeu vidéo.
91
Selon l’institut britannique GFK Charts qui calcule les ventes en magasins et en version digitale au
Royaume-Uni et en Irlande, Assassin’s Creed Syndicate a moins bien marché que ses prédécesseurs.
Source : https://www.chart-track.co.uk/index.jsp, consulté le 08.11.16.
92
Assassin’s Creed Syndicate, Ubisoft, 2015.
93
Lemonde.fr, source : http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/02/12/suite-a-ses-ventes-decevantes-
ubisoft-ne-sortira-pas-de-jeu-assassin-s-creed-en-2016_4863986_4408996.html, consulté le 25.04.16.
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Jorris Sermet
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Jouer avec l’Histoire comporte des risques. Ubisoft en a fait l’expérience avec la
sortie, en novembre 2014, d’Assassin’s Creed Unity. L’idée générale consiste à intégrer
différents personnages historiques dans la narration et le contexte de la Révolution fran-
çaise afin d’immerger le joueur dans un Paris crédible et sensé. Il n’est dès lors pas rare
de discuter avec Napoléon ou de récupérer différents masques mortuaires pour Marie
Tussaud. Ces personnages historiques sont pour beaucoup à la base du scénario. Ils
prennent différentes formes selon les envies des scénaristes tout en essayant de garder
une ligne directrice conforme aux faits historiques. Mais cette ligne directrice n’est pas
autant dirigiste qu’elle parait et bien souvent ces personnages historiques mis en jeu ont
des objectifs clairs, précis et répondent aux logiques narratives, se détachant alors d’une
certaine complexité bien réelle. Assassin’s Creed Unity met surtout en scène les person-
nages de Robespierre et Louis XVI de manière à se conformer au scénario fictif prééta-
bli, exagérant ou réprimant certains traits de caractère. Ces mises en scène sont néces-
saires au bon déroulement de l’intrigue. Il ne s’agit pas d’un procédé unique aux jeux
vidéo mais relatifs à toute fiction. La fiction est un paramètre fondamental dans la cons-
truction d’une narration dont la base est historique. On pourrait même arguer que, fina-
lement, tout est fiction étant donné qu’il s’agit pour la plupart du temps d’une vision
d’un créateur ou de plusieurs personnes qui n’auront jamais accès à toutes les sources
ou informations nécessaires à la construction du passé tel qu’il était. On peut cependant
s’approcher d’un passé, un parmi d’autres, mais un passé qui respecte une certaine lo-
gique, des règles et des approches historiques. Il s’agit d’ailleurs du rôle de l’historien
que de fixer une ligne directrice et de s’y tenir, de démêler les sources, de donner du
sens aux informations trouvées et, petit à petit de « raconter, quand cela est possible,
une histoire »94. La narration se mêle gentiment dans le fil historique pour raconter une
histoire personnelle, celle d’un personnage, qui va petit à petit croiser la route de l’His-
toire de la période racontée. « According to Jörn Rüsen, historical narration brings past
events into present, it is a form of remembering. »95 Les jeux vidéo, de par cette structure
narrative tournée autour de la fiction et de l’Histoire, se positionnent aussi comme des
94
MARTIN, Jean-Clément, TURCOT, Laurent, « Au cœur de la Révolution : les leçons d’histoire d’un
jeu vidéo », Paris : Vendémiaire, 2015, p.60.
95
SCHWARZ, Angela, « Narration and narrative: (hi)story telling in vidéo games» in, WINNERLING,
Tobias et KERSCHBAUMER, Florian, Early modernity and video games, Newcastle: Cambridge Schol-
ars Publishing, 2014. p. 141.
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Jorris Sermet
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objets culturels marqués par notre propre conception du passé mais également influen-
çant notre vision de ce passé. Dès lors, lorsque ce passé est différent d’une vision com-
mune, il détonne avec les représentations traditionnelles. C’est le cas du personnage de
Robespierre dans Assassin’s Creed Unity. Le jeu vidéo, de par sa nature ludique, se
démarque des autres médias par « les possibles » qu’il propose96. Il offre aux joueurs
des dispositifs innovants. Les différents genres de jeu permettent de (re)créer des situa-
tions qui vont plonger le joueur au cœur de l’action. Le jeu vidéo crée également des
environnements et du sens à l’Histoire à travers des procédés technologiques. Recons-
tituer le Paris de 1789 de manière exacte et précise est une mission quasiment impos-
sible. Il n’existe que peu d’archives, aucune image en dehors de certaines peintures97 et
les plans de la ville datent du début du XVIIIème siècle. Mais il est possible de faire
émerger en 3D un Paris « éventuel », un Paris « probable », qui offre toutes les condi-
tions nécessaires afin de vivre une expérience crédible. Le joueur/visiteur du temps est
ainsi emmené dans une ville fictive aux allures de Paris à l’aube de la Révolution. Pour
reconstituer cette ville, il aura fallu aux équipes d’Ubisoft plus de deux ans de produc-
tion et des centaines de personnes, dont trois historiens : Maxime Durand, engagé par le
studio, ainsi que Laurent Turcot et Jean-Clément Martin, deux professeurs d’Histoire et
spécialistes de cette période, qui ont collaboré avec Ubisoft. Le résultat permet au joueur
de virevolter sur les toits de Paris entre 1789 et 1794. Mais la relecture de la Révolution
française ne se fait pas qu’à travers la reconstitution d’une ville, elle se fait également à
travers une narration. Ce Paris est alors en quelque sorte utopique98 ; il se veut réaliste
mais non réel, et il sert surtout le scénario qui, même s’il se veut multiculturel99, dégage
forcément une idéologie. Cette dernière ne fait pas que des heureux et des appareils
politiques français ont dénoncé une manipulation et une propagande contre-révolution-
naire. Le politique s’est mêlé des affaires du jeu vidéo et des dérives historiques qu’il
entraîne, lui offrant par-là même une tribune inédite et une reconnaissance encore jamais
vue100. Jean-Luc Mélenchon, député européen et Président du Parti de Gauche jusqu’en
96
Voir Partie I.a : les spécificités du jeu vidéo en lien avec l’histoire, p. 19.
97
Elles sont souvent elles-mêmes des visions romancées de Paris (voir les tableaux de Raguenet (1715-
1793).
98
Voir Figure 4 – Annexe Images.
99
Le message suivant précède chaque début de partie de chaque opus: « Inspired by historical events and
characters, this work of fiction was designed, developed, and produced by a multicultural team of various
beliefs, sexual orientations and gender identities ».
100
Le site de Mélenchon, source : http://www.jean-luc-melenchon.fr/2014/11/17/le-lendemain-et-meme-
ensuite, consulté le 17.10.16.
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Jorris Sermet
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août 2014, et Alexis Corbière, ancien secrétaire du Parti de Gauche entre 2008 et 2014,
professeur d’Histoire dans un lycée et porte-parole de Jean-Luc Mélenchon pour les
élections présidentielles de 2017, s’en sont ainsi pris au jeu sur la simple base de
quelques vidéos promotionnelles, en prenant fortement position dans les médias101. Ils
reprochent à Assassin’s Creed Unity de déformer l’Histoire et surtout de faire de Ro-
bespierre une figure monstrueuse. Ce dernier de par son rôle durant la Révolution fran-
çaise pourrait être associé, pour Mélenchon et Corbière, à la figure de « fondateur » des
mouvements politiques français qui vont à l’encontre du pouvoir centralisé, de la mo-
narchie et de ceux qui sont contre la République ou la Démocratie. Dans Assassin’s
Creed Unity, Robespierre est un membre de l’Ordre des Templiers, il est considéré
comme un ennemi des Assassins, du héros, de la démocratie et du joueur. Il ne s’agit
donc pas de se lancer dans un débat sur Robespierre et son histoire mais de comprendre
que certains politiciens de gauche voient en lui une figure sociale immuable. Et en faire
un personnage presque sanguinaire (du moins selon Jean-Luc Mélenchon et Alexis Cor-
bière) est inacceptable et va même jusqu’à dire qu’il s’agit de « propagandes contre le
peuple »102. Robespierre « celui qui est notre libérateur » est présenté comme un
« monstre ». « C’est une relecture de l’histoire en faveur des perdants et pour discrédi-
ter les gagnants, c’est-à-dire la grande et splendide Révolution de 89 et la République
une et indivisible »103.
Selon Mélenchon, un tel jeu vidéo est un indicateur de la politique du moment
qui traduit :
101
Lemonde.fr intitule son article :« Jean-Luc Mélenchon et « Assassin’s Creed Unity » : " deux formes
différentes de la mémoire " de la Révolution ». http://www.lemonde.fr/pixels/article/2014/11/14/jean-luc-
melenchon-et-assassin-s-creed-unity-deux-formes-differentes-de-la-memoire-de-la-revolu-
tion_4523940_4408996.html, consulté le 29.02.16.
102
LeFigaro.fr, source : « Jean-Luc Mélenchon dénonce la "propagande d’Assassin’s Creed Unity »,
http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/citations/2014/11/13/25002-20141113ARTFIG00300-un-res-
ponsable-du-parti-de-gauche-denonce-la-propagande-d-assassin-s-creed-unity.php, consulté le 29.02.16.
103
Propos retranscrits d’un entretien radiophonique du 14.11.14 sur France Info. Source,
http://www.dailymotion.com/video/x2a5f5q_melenchon-s-enerve-contre-assassin-s-creed_news, con-
sulté le 29.11.16.
40
Jorris Sermet
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tocrates, les Privilégiés ! ". Ça tombe bien, c’est eux qui ont le pouvoir en-
core aujourd’hui.104
Mais est-ce que le jeu vidéo et Assassin’s Creed Unity sont véritablement des
indicateurs de la tendance politique ? Difficile à dire. Il n’empêche qu’un jeu vidéo trai-
tant du passé peut faire office d’objet culturel qui pose des questions sur notre société
d’aujourd’hui. Mélenchon prend au sérieux le jeu vidéo en tenant un discours destiné
au grand public. S’il est possible d’y voir là une volonté de légitimer un média qui peine
à s’imposer dans la culture traditionnelle, difficile d’enlever à ce discours son côté ins-
trumentalisé et opportuniste. On perçoit également aujourd’hui que ce média qui a séduit
un public particulier est utilisé de plus en plus par des politiciens pour véhiculer un
message. La Paris Games Week, salon français du jeu vidéo, a vu son édition 2016 mar-
quée par l’apparition de nombreuses personnalités politiques : Arnaud Montebourg,
Florian Philippot, Nicolas Dupont-Aignan, Audrey Azoulay, la ministre de la culture ou
encore Axelle Lemaire, la secrétaire d’Etat au numérique, ont tenté l’exercice de com-
munication en visitant ce salon105. On sent une certaine volonté d’apparaître au sein
d’une communauté dans le but de paraître à la mode ou au contact d’un public de plus
en plus grand, celui des jeux vidéo106. A l’inverse, il y a encore quelques années, les
politiciens n’hésitaient pas à ressasser cette vieille rancœur du jeu vidéo violent comme
source de tous les maux107, en témoignent certaines déclarations de candidats à la Pré-
sidentielle française de 2012 qui voulaient voir le jeu vidéo tout simplement interdit108.
L’affaire Mélenchon est ainsi un cas presque unique où le traitement et la place
accordés aux jeux vidéo dépassent largement le discours politique traditionnel français.
Il faut en effet remonter de quelques années pour trouver des traces d’un discours et
104
Ibid, entretien radiophonique de France Info réalisé le 14.11.14.
105
LeMonde.fr, source, http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/10/29/tournois-de-jeux-video-politi-
ciens-et-hot-dog-de-luxe-48-heures-a-la-paris-games-week_5022508_4408996.html, consulté le
31.10.16.
106
L’industrie du jeu vidéo est la deuxième industrie culturelle en France. Plus de 50% de la population
s’associe aux pratiques du jeu vidéo. Source, AFJV http://www.afjv.com/news/4783_le-marche-francais-
du-jeu-video-en-2014.htm, consulté le 31.10.16.
107
Nicolas Sarkozy s’exprimait ainsi au lendemain des attentats de Paris du 13 novembre 2015, source,
http://www.lexpress.fr/culture/jeux-video/violence-inouie-des-jeux-video-les-professionnels-repondent-
a-nicolas-sarkozy_1742110.html, consulté le 17.10.16.
108
Voir les déclarations de Jacques Cheminade dans le Nouvelobs, source, http://o.nouvelobs.com/high-
tech/20120320.OBS4172/quand-les-politiques-veulent-interdire-les-jeux-video-violents.html, consulté
le 17.10.16
41
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traitement médiatique similaires dans le paysage politique français. Au milieu des an-
nées 1990 sort le jeu Jean-Marie, jeu national multimédia. Front national 92109 qui pro-
pulsera le jeu vidéo des colonnes « divertissement » de la presse à celles qui s’intéres-
sent à la société ou à la politique. Ce jeu vidéo permet de jouer un Jean-Marie Le Pen
jovial qui affronte les ennemis de la France en devant les éviter, ce qui rend la situation
tout à fait comique.
109
Jeu vidéo initialement pensé par Philippe Le Gallou, fils du député européen et conseiller régional FN
d’Ile-de-France Jean-Yves Le Gallou.
110
LALU, Julien, « Jean-Marie, jeu national multimédia : l’affaire du « jeu raciste » comme indice d’une
nouvelle vision sociale et politique du jeu vidéo durant les années 1990 », Revue Theoria, 2014, p.3.
111
Ibid, LALU, Julien, p.1-2.
112
Ibid, LALU, Julien, p.5-6.
113
Ibid, LALU, Julien, p.8.
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est pris au jeu vidéo presque uniquement à travers le traitement de Robespierre dans
Assassin’s Creed Unity, ce qui pose plusieurs questions : en quoi Mélenchon est-il apte
à critiquer l’ensemble des jeux vidéo sur la base d’un personnage d’un seul jeu vidéo et
surtout, est-ce que le jeu vidéo doit répondre à une certaine histoire nationale et favoriser
une pensée plutôt qu’une autre ? Oui pour Mélenchon, non pour les développeurs d’As-
sassin’s Creed Unity qui pensent qu’il s’agit plus d’une romance se déroulant durant un
événement historique qu’une « leçon d’Histoire ». Un des producteurs du jeu, Antoine
Vimal de Monteil, affirme ainsi :
On ne voulait pas mettre l’Histoire autant en avant que dans d’autres épi-
sodes. Nous avons utilisé certains événements clés pour qu’Arno, le héros
du jeu, en soit le témoin ou l’acteur, mais ce n’est pas sa révolution, ce n’est
pas lui qui la fait, c’est plus subtil. L’histoire du jeu est avant tout une his-
toire d’amour et un dilemme cornélien. La Révolution n’est qu’une toile de
fond.114
Pour caricaturer un peu, avant Assassin’s Creed Unity, personne ne semblait
s’offusquer des libertés entreprises par Ubisoft sur les aspects historiques. Il aura fallu
que l’éditeur français réalise un opus en France pour qu’éclatent des polémiques.
Il convient avant tout de mettre en lumière certains aspects moins connus qui ont
traversé ce débat. Jean-Luc Mélenchon n’est pas un historien, c’est un politicien de
gauche. Il est connu pour avoir défendu l’image de Robespierre par le passé, en té-
moigne sa lettre ouverte adressée à M. Rémy Pflimlin, Président de France Télévision,
après la diffusion du documentaire « Robespierre, bourreau de la Vendée ? » diffusé en
2012 et 2013. Mélenchon en veut « au contenu idéologique, politique et historique, de
cette émission de 52 minutes [qui la] range clairement dans l’arsenal de la propagande
grossière »115. Mélenchon ne s’en prend ainsi pas qu’au jeu vidéo et à son traitement de
l’Histoire qu’il juge aléatoire et sans fondement mais bel bien à tout ce qui a trait à
Robespierre et au peuple116. De l’autre côté, Ubisoft s’est toujours retranché derrière des
arguments économiques : Ubisoft n’est pas un éditeur à vocation éducative ou maître
d’enseignement, c’est un éditeur qui doit faire de l’argent, rentabiliser un produit et sur-
114
Propos d’Antoine Vimal du Monteil, producteur du jeu. Lemonde.fr, source, « Assassin’s Creed Unity
est un jeu vidéo grand public, pas une leçon d’histoire ». http://www.lemonde.fr/jeux-video/ar-
ticle/2014/11/13/assassin-s-creed-unity-est-un-jeu-video-grand-public-pas-une-lecon-d-his-
toire_4523111_1616924.html, consulté le 29.02.16.
115
Le site de Mélenchon, source, http://www.jean-luc-melenchon.fr/arguments/france-3-bourreau-de-la-
revolution-francaise/, consulté le 29.09.16.
116
Son blog est intitulé : « L’ère du peuple ».
43
Jorris Sermet
Université de Lausanne Mémoire en Histoire
tout divertir. Il semble dès lors compliqué d’allier rigueur scientifique et historique, spé-
cialistes et analyses pertinentes au divertissement, à la fiction et à la narration dans une
perspective de rentabilité et de ventes. Par ailleurs, l’histoire de Robespierre est ensei-
gnée en France et connue des Français et pourrait choquer ces derniers quant à son trai-
tement dans un jeu mais Assassin’s Creed Unity n’est pas qu’un jeu vendu en France, il
l’est aussi aux Etats-Unis, en Afrique, au Brésil, au Japon, en Suisse etc. La représenta-
tion de Robespierre, et plus particulièrement celle de la Révolution française, est proba-
blement très différente au Japon par exemple. Que sait un Japonais ou un Américain de
la Révolution française ? Il serait intéressant de comprendre la perception d’un tel jeu
dans ces pays du jeu vidéo. Ce qui semble intriguant en regardant le débat s’articuler
sur ces questions de véracité historique et de représentations, c’est qu’il n’a pas eu lieu
lors de la sortie d’Assassin’s Creed III aux Etats-Unis alors même qu’il met en scène un
Amérindien à moitié Anglais durant la Révolution américaine. Comme si ces interroga-
tions ne pouvaient avoir lieu qu’en France, pays des droits de l’homme. C’est d’ailleurs
les propos tenus par Dan Bilefsky117 dans le New York Times: « Perhaps only in France
could a video game provoke an earnest philosophical debate over the decadence of the
monarchy, the moral costs of democracy, the rise of the far right and the meaning of the
state »118. La réponse d’Emmanuel Carré, responsable du service presse d’Ubisoft, n’a
pas tardé119. Il explique qu’en France, tout est politisé, le jeu vidéo ne faisant pas excep-
tion. Au-delà du fait que le débat a été autant bref qu’intense, personne ne semble avoir
gagné quoi que ce soit dans cette histoire. Le jeu n’a pas été retiré de la vente et Ubisoft
n’a pas modifié sa manière de fonctionner ni son discours autour de sa licence :
Assassin’s Creed n’est pas une leçon d’histoire. Pourtant, les producteurs du jeu, comme
Antoine Vimal du Monteil, n’hésitent pas à marteler dans les médias que « l’Histoire
est notre terrain de jeu »120. Un double discours qui concerne les historiens ayant tra-
vaillé sur ces opus et qui ont la lourde tâche d’assumer, après coup, les décisions prises
par les développeurs. Il en résulte que ce sont les historiens qui ont travaillé sur ce jeu
qui doivent alors défendre leur intégrité en tant qu’historien, pour reprendre les mots du
117
Dan Bilefsky est correspondant à Paris et Londres, journaliste et diplômé en histoire.
118
NewYork Times, source, http://www.nytimes.com/2014/11/21/world/europe/assassins-creed-unity-
french-revolution-left.html, consulté le 29.09.16.
119
Propos d’Emmanuel Carré, conférence : « Au cœur de la Révolution : les leçons d’histoire d’un jeu
vidéo », 17.10.15. https://www.youtube.com/watch?v=1gB7Tf4pzck, consulté le 29.11.16.
120
FranceCulture.fr, source, http://www.franceculture.fr/histoire/lhistoire-fait-date-dans-le-jeu-video#,
consulté le 29.09.16.
44
Jorris Sermet
Université de Lausanne Mémoire en Histoire
professeur d’Histoire, Laurent Turcot121. D’ailleurs, selon lui toujours, ce débat est tou-
jours d’actualité.
Ce qui est une bonne chose parce que ça prouve que l’histoire est encore
actuelle. Ce débat a révélé beaucoup de choses de l’identité française et du
côté épidermique de la France par rapport à son histoire.122
L’Histoire et particulièrement la Révolution sont toujours au cœur du débat en
France qui a « cette volonté d’inclure l’histoire dans un patrimoine général, fondateur
d’une nation ». Ce n’est donc pas tant le média jeu vidéo qui est remis en cause mais
bien la représentation globale de l’histoire française à travers les différents médias qui
posent un problème récurrent aux politiques.
121
Entretien de Laurent Turcot par Maxime-André Robert, doctorant en histoire à l’Université Laval.
Source, http://histoireengagee.ca/?p=4611, consulté le 24.10.16
122
Ibid, Entretien de Laurent Turcot par Maxime-André Robert.
45
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Le marché du jeu vidéo dispose de bon nombre de jeux vidéo liés à l’Histoire.
Le site Historiagames123 indique que 1340 jeux vidéo historiques sont sortis entre 2000
et 2016, tous supports confondus. Il est certes impossible de comparer ces chiffres avec
le nombre total de jeux vidéo124 mais on peut tout de même voir dans cette masse de
jeux un marché établi du jeu vidéo historique, avec ses acteurs et son public. L’Histoire
dans les jeux vidéo ne peut pourtant pas être considérée comme un genre à part entière
comme peut l’être le jeu d’action ou le genre stratégie. L’Histoire se décline, elle forme
le contexte ou le prétexte à une narration, une fiction, et elle est au service du joueur.
Dans cette perspective où le jeu vidéo capitalise sur cette discipline, la question de savoir
où sont les historiens est primordiale. Il ne s’agit pas de dire qu’il faut que les historiens
s’engouffrent dans ce nouveau marché mais qu’ils y prêtent attention pour plusieurs
raisons. Tout d’abord, si un objet culturel traite d’histoire, les historiens ont du travail,
ce qui semble une bonne chose pour eux. Mais encore faut-il comprendre cet objet et
l’intégrer de manière adéquate aux méthodologies existantes ou repenser ces méthodo-
logies. C’est le problème lancé par Laurent Turcot125 et Jean-Clément Martin126, ces
deux spécialistes de la Révolution française qui ont travaillé avec Ubisoft. Leur livre,
« Au cœur de la révolution : les leçons d’histoire d’un jeu vidéo »127 a pour but d’explo-
rer « ce que le jeu vidéo dit de notre époque et de notre relation avec l’histoire et l’en-
seignement de l’histoire […] ; ce que le jeu vidéo dit et ne dit pas du Paris de la Révo-
lution que l’on voit si bien, mais aussi si mal, en suivant "l’assassin volant" »128. Mais
ce que cet ouvrage nous dit entre les lignes concerne aussi la place des historiens au sein
d’une industrie du divertissement grandissante, qui pourrait bien se passer d’eux mais
qui a tout de même la volonté de travailler avec des spécialistes. Ubisoft a d’ailleurs
123
Historiagames. Source, http://www.histogames.com/, consulté le 18.10.16.
124
Voir Annexe 3 - Statistiques
125
Laurent Turcot est professeur en histoire à l’Université du Québec à Trois-Rivière, source,
http://lturcot.com/, consulté le 25.11.16.
126
Jean-Clément Martin est professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ancien directeur de
l’institut d’Histoire de la Révolution française, source, https://ihrf.univ-paris1.fr/equipe/jean-clement-
martin/, consulté le 25.11.16.
127
MARTIN, Jean-Clément, TURCOT, Laurent, Au coeur de la Révolution : les leçons d’histoire d’un
jeu vidéo, Paris : Vendémiaire, 2015.
128
Ibid, MARTIN, Jean-Clément, TURCOT, Laurent, p.10.
46
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engagé Maxime Durand, un diplômé en Histoire129, qui a pour fonction d’éclairer les
équipes de développement sur les aspects historiques130. Si Ubisoft a les moyens d’em-
baucher ce genre de personnes et de faire appel à des professeurs d’Histoire, d’autres
studios disposent eux-aussi de spécialistes. Les Tchèques de Warhorse, petit studio in-
dépendant, travaillent actuellement sur un jeu nommé Kingdom Come : Deliverance qui
simule la vie d’un jeune homme en 1403 en Europe de l’est. L’histoire raconte les évé-
nements précédents la guerre des Hussites de 1420. Le joueur incarne Henry, le fils d’un
forgeron, qui se voit pris au sein d’une guerre civile. Des troupes armées ont massacré
le village de Henry et ce dernier, seul survivant, part en quête de vengeance avant de
comprendre qu’il se trame une guerre plus grande encore en Bohême. Si cette histoire
de vengeance semble classique, les développeurs ont insisté sur le fait que Henry n’est
en aucun cas un « héros » ou « the chosen one », qu’il n’a pas de destinée extraordinaire
et ne répond à une aucune prophétie. L’aventure sera difficile, sale et le travail mal payé.
Pour réussir à créer cette ambiance et à l’intégrer judicieusement dans le contexte his-
torique, les développeurs de Kindgom Come : Deliverance ont fait appel à des spécia-
listes et à une historienne qui travaille avec eux131. Dans un entretien accordé, les déve-
loppeurs ont indiqué que cette historienne avait pour tâche de vérifier si tous les élé-
ments historiques étaient valables, allant des quêtes, du comportement des personnages
non-joueur ou de la végétation à la nourriture. En plus de tous cela, d’autres spécialistes
entourent l’équipe de développement et s’assurent que les aspects historiques sont véri-
fiés et approuvés par eux. L’exemple type concerne le maniement des armes et notam-
ment des épées puisque les développeurs ont contacté un maître d’arme qui a décodé de
vieux manuscrits médiévaux sur les techniques de combat à l’épée. S’en est suivi de la
captation de mouvements par des acteurs, qui sont ensuite retraduits en jeu. La « motion
capture » de Prince of Persia de 1989 semble encore d’actualité lorsqu’il s’agit de re-
produire les mouvements d’un acteur.
Nous voyons donc que les studios ou grands éditeurs n’hésitent pas à s’entourer
de connaisseurs, savants et académiciens afin de restituer l’Histoire de la manière la plus
129
Selon son profil et après recherche, Maxime Durand a été engagé par Ubisoft à la suite de son Ba-
chelor en Histoire de l’Université de Montréal en 2010. On ne peut donc pas le considérer comme un
historien au même titre que Laurent Turcot ou Jean-Clément Martin.
130
Voir entretien du site LaPresse.ca de Maxime Durand sur son rôle au sein d’Ubisoft. Source,
http://affaires.lapresse.ca/cv/201304/01/01-4636501-historien-en-jeux-video.php, consulté le 28.11.16.
131
Voir Annexe 1 - Interview Kingdom Come : Deliverance.
47
Jorris Sermet
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adéquate. Il faut évidemment ici prendre ce mot d’adéquation avec prudence, l’idée con-
siste à essayer de reproduire fidèlement certaines actions selon les documents en main
et les personnalités qui travaillent sur le projet. Tout comme un travail d’historiens peut
être réalisé de différentes manières dépendant des sensibilités, des méthodologies et des
écoles, le travail autour d’un jeu vidéo n’échappe pas non plus à cette règle. Mais plus
les professeurs d’Histoire et les spécialistes s’y intéresseront, meilleurs seront ces jeux
vidéo en termes de crédibilité et de fidélité historique. Il s’agit d’ailleurs de la principale
remarque qu’adresse Laurent Turcot lors d’une conférence donnée sur le sujet en oc-
tobre 2015132 : où sont les historiens et que font-ils pour ne pas s’être encore intéressés
à cette industrie ? Difficile évidemment de répondre à cette question de but en blanc.
Probablement que cette indifférence qui a longtemps couru envers le jeu vidéo vient de
la réputation de cette industrie associée à un loisir enfantin, voire à une pratique débili-
tante, et qui pour une certaine partie du grand public perdure encore133. Jean-Clément
Martin a par ailleurs pris conscience de l’importance du jeu vidéo en travaillant sur As-
sassin’s Creed Unity. Travailler dans cette industrie, ce n’est plus toucher, au mieux,
quelques milliers de personnes mais bien quelques millions, et que cette question du jeu
vidéo au sein de l’Université, et plus particulièrement dans le cas qui nous intéresse, au
sein des historiens, doit être prise en compte. Travailler sur Assassin’s Creed Unity,
c’est travailler sur un jeu qui sera touché par des millions de personnes, de cultures
différentes et de connaissances historiques différentes. Qu’est-ce qu’un Japonais ou un
Nigérian connait de la Révolution française ? Doit-il s’énerver de voir que Robespierre,
comme le soulignait Mélenchon, n’est pas traité de la meilleure manière ? Evidemment
que non et il en va de même pour de nombreux Français qui pourraient tout simplement
se contenter de simples notions communes de cette période. Cela ne veut pas dire que
tout est permis et que les développeurs peuvent réaliser n’importe quoi. Au contraire, il
s’agit de toujours entretenir ce dialogue entre l’historien et l’équipe de développement
afin que les erreurs commises soient minimes ou assumées. Jean-Clément Martin ex-
plique ainsi que les équipes de développement hiérarchisent les informations, qu’elles
détaillent tout, exactement comme un historien pourrait le faire et ce dans le but de
rendre le jeu le plus immersif possible.
132
Conférence : « Au cœur de la Révolution : les leçons d’histoire d’un jeu vidéo », 17.10.15.
https://www.youtube.com/watch?v=1gB7Tf4pzck, consulté le 29.11.16.
133
Voir la revue spécialisée JVLemag, « Le jeu vidéo, paria de la culture ? », Wildfire Media, Numéro
34, octobre 2016, n°34, p.32-37.
48
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Il convient de s’arrêter un instant sur cette notion d’immersion qui est primor-
diale dans la compréhension du rôle des historiens dans le processus de création d’un
jeu vidéo. Il ne sera pas question de savoir pourquoi un jeu vidéo est immersif, mais ce
que cette immersion apporte au joueur. Lorsque Adam Chapman débute sa thèse « The
Great Game of History : An Analytical Approach to and Analysis of the Videogame as
a Historical Form 134 sur cette question qui lie les jeux vidéo à l’Histoire, il commence
par décrire ses premières impressions du jeu Medal of Honor135 et plus précisément de
la brutalité de la première scène du jeu, le débarquement en Normandie, le 6 juin 1944 :
I am told it is June the 6th 1944, 6.35am, just off the coast of Normandy.
The sky is grey, the water a little choppy. The other soldiers huddling in the
landing craft all look scared. Ahead, one of them nervously taps his rifle
against the floor. A commanding voice shouts ‘Clear the ramp, thirty sec-
onds!’. Suddenly, I hear the whistling of distant artillery shells answered by
the nearby crump of impact and jets of water.136
Adam Chapman s’est immergé dans ce passage qu’il décrit relativement préci-
sément presque 20 ans après la sortie du jeu. Cette scène marquante et iconique de Me-
dal of Honor l’est ainsi parce qu’elle a su immerger le joueur dans cette bataille san-
glante et violente mais jamais insoutenable au regard. Il ne s’agit que d’un jeu vidéo au
final. Ceci dit, il semble être l’unique media capable d’immerger une personne dans un
événement historique. C’est du moins ce que pense Jean-Clément Martin : le jeu vidéo
n’innove pas mais il a cette capacité à traduire les usages du passé par l’immersion of-
ferte au joueur. La violence évoquée plus tôt est ainsi remise en perspective par l’histo-
rien qui perçoit dans les moments violents un rapport très différent de la violence des
autres médias. Dans Assassin’s Creed Unity, « on se tue les yeux dans les yeux »137, à la
fourche et à l’épée, pas avec des drones et des bombes. Cela nous renvoie à une réalité
très différente de celle que nous connaissons aujourd’hui, à une réalité sur laquelle il
convient de réfléchir « parce qu’aucun livre d’histoire n’est capable de faire sentir » le
poids d’une guerre d’une telle manière. En plus de tout cela, un jeu comme Assassin’s
Creed rompt avec la tradition historique qui pense qu’une fois un événement passé, il
ne peut être vécu à nouveau. Si dans son ADN, ce jeu emprunte évidemment plusieurs
134
Adam Chapman, Université de Hull, 2013.
135
Medal of Honor, EA, 1999.
136
CHAPMAN, Adam, « The Great Game of History: An Analytical Approach to and Analysis of the
Videogame as a Historical Form », p.7. Thèse de doctorat, University of Hull, UK, 2013.
137
Conférence : « Au cœur de la Révolution : les leçons d’histoire d’un jeu vidéo », du 17.10.15 :
https://www.youtube.com/watch?v=1gB7Tf4pzck, consulté le 10.10.16. Jean-Clément Martin intervient
à partir de la 33ème minute de la vidéo.
49
Jorris Sermet
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aspects à son ancêtre Prince of Persia, il offre toujours la possibilité de remonter dans
le temps, non pas à travers un mécanisme mais bien en rejouant indéfiniment la même
partie et d’ainsi éliminer un ennemi des dizaines de fois. D’ailleurs, la série toute entière
des Assassin’s Creed baigne dans ce fantasme de l’histoire répétée et répétable. Tout au
long de la série, le joueur joue un ancêtre qui va combattre les Templiers. Qu’importe
l’époque, le lieu, la ville et les personnages, sur le fond la série rejoue les mêmes sé-
quences. Seul le contexte diffère sans qu’il n’ait cette importance qu’on voudrait lui
donner.
Jean-Clément Martin et Laurent Turcot ont permis, à travers leur livre et une
conférence, d’expliquer leur travail. S’ils ne sont pas les premiers à travailler étroite-
ment avec des éditeurs de jeux vidéo, ils sont en revanche les seuls à avoir communiqué
sur ce qu’ils ont fait durant leur collaboration. Il faut comprendre qu’en travaillant avec
Ubisoft, Jean-Clément Martin et Laurent Turcot ont été contraint par l’éditeur français
de garder le silence sur leurs activités durant une période donnée et n’ont que rarement
communiqué entre eux, l’un étant basé à Paris, l’autre à Montréal. Le travail des deux
historiens diffère également sur le fond et la forme. Lors de leur conférence139 à Paris,
138
WEISS MARTIN, Isaac, « Assassin’s Creed and the Fantasy of Repetition », in WINNERLING, To-
bias et KERSCHBAUMER, Florian, Early modernity and video games, Newcastle: Cambridge Scholars
Publishing, 2014, p.202.
139
Conférence : « Au cœur de la Révolution : les leçons d’histoire d’un jeu vidéo », du 17.10.15 :
https://www.youtube.com/watch?v=1gB7Tf4pzck, consulté le 10.10.16.
50
Jorris Sermet
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ils ont évoqué le contenu de leurs travaux et les problèmes rencontrés. Laurent Turcot a
été chargé de former les équipes de développements de Toronto en présentant la vie
courante parisienne, l’urbanisme, des lieux particuliers et les différentes classes sociales,
le tout sur six heures, réparties sur deux semaines. Une tâche qu’il jugeait impossible à
réaliser tant il lui apparaissait compliqué de donner des informations précises en si peu
de temps. La contrainte temporelle est probablement l’un des aspects les plus déran-
geants dans ce type de collaboration, et dans une industrie où la maxime « le temps,
c’est de l’argent » prime, difficile pour un historien de présenter en détail tout ce qu’on
lui demande. Toute la difficulté dans le travail de Laurent Turcot aura été de faire penser
les développeurs comme des hommes du XVIIIème siècle. Ubisoft ne voulait pas des
« cours d’histoire » mais bien de la matière, des images, des plans, des peintures dans le
but de compléter toutes les photographies réalisées par les équipes de développement
qui se sont déplacées sur les lieux réels du jeu, en l’occurrence Paris. Outre les grandes
lignes architecturales de Paris, le travail en amont de la sortie du jeu nécessitait une
préparation dans les moindres détails. Les développeurs d’Ubisoft devaient être ca-
pables de réaliser des objets tels qu’ils existaient en 1789 : des intérieurs de maison ont
donc été dessinés mais c’est au rôle de l’historien que de montrer comment et où les
objets, chaises, tables, bureaux se plaçaient dans un appartement parisien du XVIIIème
siècle140.
Pour Jean-Clément Martin, il ne s’agissait pas d’informer et d’accompagner les
équipes de développement mais de relire le scénario du jeu afin de s’assurer qu’il ne
comportait pas de grosses erreurs. Ses remarques ont parfois été suivies tandis que
d’autres commentaires n’ont pas été pris en compte dans la construction du scénario.
Jean-Clément Martin savait que ce qu’il était en train de faire n’était pas sous son con-
trôle et que, d’une certaine manière, si Ubisoft ne suivait pas ses commentaires, il ne
pouvait rien y faire. Malgré cela, travailler sur un jeu vidéo l’a fait prendre conscience
de l’importance de ce média et de son caractère « tangent », à savoir ce qu’il est possible
de faire ou pas. Pour lui, le jeu vidéo offre aux historiens et aux joueurs des réflexions
intéressantes sur ce qu’il nomme des « zones d’ombre », ces moments de jeu où la fic-
tion semble prendre le pas sur le contexte historique. L’exemple141 donné concernant
« ces trous d’histoire » met en scène le joueur avec son personnage, Arno, parti à la
140
Voir Figure 5 – Annexe Images.
141
Un autre exemple a déjà été donné sous Partie III. a. iii. Assassin’s Creed, l’évolution d’une série
devenue historique, avec l’assassinat du Pape par une pomme empoisonnée, p.33.
51
Jorris Sermet
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rencontre de Bonaparte. L’action se déroule le 10 août 1792, jour de l’attaque des Tui-
leries. Si, selon Jean-Clément Martin, les historiens savent que Bonaparte était présent
ce jour-là, qu’il a vu les insurgés entrer dans le palais, personne ne sait pourquoi il était
là et ce qu’il y faisait. Assassin’s Creed Unity comble cette « zone d’ombre » en mon-
trant Bonaparte agissant en coulisses dans le but de renforcer sa position et devenir le
futur empereur. Ces deux historiens ont donc été en charge d’amener de la matière aux
équipes de développement et d’expertiser le scénario. Ils ont également dû fournir des
entrées « wikipédia » sur les personnages : quelques lignes biographiques142 qui doivent
permettre au joueur de rapidement se faire une idée de qui sont ces personnages. L’his-
torien qui travaille sur un jeu vidéo doit donc faire preuve d’une bonne capacité de vul-
garisation, ce qui n’est pas forcément chose facile. De cette vulgarisation naît bien sou-
vent des imprécisions qu’il faut accepter tout en essayant d’être cohérent. C’est finale-
ment un travail complexe que de réussir à jongler avec une industrie qui n’accorde que
peu de temps à ces questions et qui cherche à maximiser son produit, tout créatif qu’il
soit.
Ubisoft est donc un éditeur qui a su faire appel à des historiens et des professeurs
tout en gardant un certain pragmatisme : vendre des jeux vidéo est plus important que
créer des jeux vidéo historiques crédibles mais il existe tout de même un intérêt à capi-
taliser sur les aspects historiques. D’autres jeux vidéo ont fait appel à des historiens. Il
a été fait mention de Kingdom : Come Deliverance, mais l’une des séries qui a su tirer
le plus profit des connaissances académiques s’appelle Total War. Cette série de jeux
de stratégies met en place des armées, des empires et des nations à gérer, ce qui veut
dire qu’il faut ajuster des paramètres réels qui vont être ensuite simulés par le jeu : im-
pôts, diplomatie, alliances, ressources, armées etc. Dans cette perspective, le joueur est
par exemple amené à jouer l’Empire romain dans le jeu Total War : Rome II143. Plusieurs
historiens144 ont participé de près ou de loin à la création de ce titre et entourent cette
série de jeux qui dure depuis 2000145. L’intérêt de ce genre de jeux pour les historiens
consiste à faire éclore ces « zones d’ombres » mentionnées plus haut. Les historiens ont
142
Voir Figure 6 – Annexe Images.
143
Total War: Rome II, The Creative Assembly, 2013.
144
Une vidéo promotionnelle montre des images du jeu accompagnées des commentaires de plusieurs
spécialistes. Source, https://www.youtube.com/watch?v=BAjsDrKeFvI, consulté le 25.11.16.
145
Total War : Rome II a notamment reçu le prix du meilleur jeux vidéo historique du magazine Historia
en 2013. Source, http://www.afjv.com/news/2954_prix-historia-du-jeu-video-historique-pour-total-war-
rome-ii.htm, consulté le 25.11.16.
52
Jorris Sermet
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avec les jeux vidéo des exemples variés d’hypothèses historiques qui peuvent s’appli-
quer. En poussant quelque peu cette expérience de la « zone d’ombre », il serait possible
de simuler ces trous historiques grâce au modèle du jeu et d’ainsi observer sur le court
ou long terme les conséquences de telle ou telle décision. L’enseignant en Histoire, Ju-
lien Lalu, prépare une thèse sur le jeu vidéo et s’est intéressé à Total War : Rome II et à
l’uchronie qui résulte de ces jeux de stratégies. Il rappelle que déjà Tite-Live s’amusait
à imaginer ce qu’il se serait passé si Alexandre le Grand avait voulu soumettre Rome ;
les jeux vidéo de stratégie permettent aujourd’hui d’appliquer ces uchronies, de décou-
vrir des passés alternatifs libérés de la « tentation téléologique impliquée par le regard
en arrière »146. La « zone d’ombre », ce trou dans l’histoire qui semble perdu, peut ainsi
être comblé par l’ordinateur et le jeu qui vont calculer et ouvrir des possibilités et des
hypothèses aux historiens sans que les moyens soient colossaux à mettre en place. Un
ordinateur, un jeu de stratégie et il est possible d’observer un passé parmi d’autre mis
en mouvement147.
Les historiens apportent leur savoir, des compétences, des sources, des images,
des textes aux développeurs qui vont ensuite utiliser ces documents dans la création du
jeu. Mais qu’est-ce que les historiens gagnent en retour de cette collaboration avec des
éditeurs ou studios de jeux vidéo ? En plus d’être engagés dans une tâche particulière
mêlée à une industrie du divertissement148, de parfois toucher des millions de personnes,
les historiens peuvent utiliser les jeux vidéo comme outils pédagogiques. Les reproduc-
tions architecturales des bâtiments et des monuments, voire de villes entières, offrent
des espaces ludiques incomparables qui détiennent en eux des fonctions pédagogiques.
Laurent Turcot exprime149 ainsi la possibilité d’utiliser en retour ces jeux vidéo histo-
riques comme Assassin’s Creed Unity dans le cadre de cours, permettant de visiter150
146
LALU, Julien, RAY, Jean-Charles, « Total War : Rome II – L’uchronie en système dans le jeu vidéo »,
Revue Theoria, 2015, p.2.
147
Sur les usages du passé dans les jeux vidéo, voir les travaux de LALU, Julien, octobre 2015, janvier,
février, juin et juillet 2016, Revue Theoria. Cette série d’articles est disponible sous la référence biblio-
graphique LALU, Julien, consulté le 29.11.16.
148
L’industrie du jeu vidéo semble être un nouveau marché de l’emploi pour les diplômés d’histoire.
Source, http://www.cbc.ca/news/entertainment/history-grads-find-future-in-video-game-design-
1.2698576, consulté le 28.11.16.
149
Interview de Laurent Turcot par Radio-Canada Info, source, https://www.youtube.com/watch?v=A3-
VUbLXtL0, consulté le 28.11.16.
150
Ubisoft a réalisé un montage vidéo promotionnel qui retrace le Paris du jeu vidéo. Source,
https://www.youtube.com/watch?v=cOJ1fG7gc2U, consulté le 28.11.16.
53
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Paris durant la Révolution française, de s’attarder sur Notre Dame, les jardins des Tui-
leries ou tout simplement d’observer la vie quotidienne reproduite dans le jeu. A la de-
mande de Laurent Turcot, Ubisoft a éliminé d’Assassin’s Creed Unity toute la trame
narrative pour ne garder que le moteur du jeu comportant la ville de Paris et ses habi-
tants. De là, il peut utiliser ce nouvel outil pédagogique interactif qui ne nécessite que
peu de contextualisation contrairement à des images de films. Avec ce genre d’outils
qui doivent être affinés, il n’existe pas de personnage principal, pas de narration, pas de
réalisateur, les étudiants peuvent entrer dans le jeu librement. Outre cet échange de sa-
voir-faire, les moyens mis à disposition des historiens sont colossaux. L’argent dépensé
dans une production telle qu’Assassin’s Creed Unity avoisine les 200 millions de dol-
lars, ce qui donne un aperçu de la puissance dégagée et des moyens mis en place pour
la sortie du jeu. L’accès à des sources à grande échelle est ainsi grandement facilitée et
on pourrait presque commencer à entrevoir les débuts du big data des sources historiques
tant les éditeurs comme Ubisoft rassemblent des tonnes d’images, textes et autres docu-
ments sous un même toit. On est encore loin de l’appropriation de ces sources par les
éditeurs, les rendant inaccessibles au public ou aux chercheurs, mais il semble important
de mentionner qu’il s’agit d’un scénario possible. Des milliers de documents, images,
archives et photographies sont nécessaires à l’élaboration d’un jeu comme Assassin’s
Creed et de ce fait, il se peut qu’une appropriation de ces documents à des fins d’exclu-
sivité marketing se fasse. Cette possibilité est certes très exagérée et peu probable. Mais
au vu de ce qu’il se passe sur les réseaux sociaux avec des entreprises comme Facebook
qui, en plus d’être devenues des banques d’images conséquentes (Facebook étant peut-
être la banque d’images la plus grande du monde), n’hésitent pas à utiliser la censure151,
il est possible d’imaginer un avenir où ces grands groupes disposent de millions de do-
cuments dont l’accès pourrait être interdit au grand public. Certes, les réseaux sociaux,
ou des entreprises tentaculaires comme Google, ne sont pas identiques à celles des jeux
vidéo, mais le parallèle est possible tant la masse de données qui circulent au sein de ces
entreprises est énorme.
Laurent Turcot et son Université ont ainsi bénéficié de l’argent d’une entreprise
privée à des fins pédagogiques ce qui peut poser un certains nombres de problèmes si
aucun cadre n’est mis en place. Il s’agit pour l’instant d’un exemple unique mais au vu
151
Voir la censure de septembre 2016, source, http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/09/09/censure-
le-plus-grand-journal-norvegien-attaque-facebook_4995029_4408996.html, consulté le 8.12.16.
54
Jorris Sermet
Université de Lausanne Mémoire en Histoire
152
Voir le documentaire d’Arte : « Jeux vidéo – Les nouveaux maîtres du monde », Jérôme Fritel, Arte,
2014. Source, http://www.arte.tv/guide/fr/055146-000-A/jeux-video, consulté le 28.11.16.
153
Les casques de réalité virtuelle comme l’Oculus Rift, le HTC Vive et le Playstation VR sont des
produits destinés à l’industrie du jeu vidéo.
154
Rslnmag, source, https://rslnmag.fr/cite/realite-virtuelle-histoire-initiatives/, consulté le 28.11.16.
55
Jorris Sermet
Université de Lausanne Mémoire en Histoire
Dans cette partie seront analysés deux jeux vidéo traitant chacun à leur manière
de la Première Guerre Mondiale : Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre155
et Battlefield 1156. Il conviendra d’abord d’expliquer le choix de ces deux jeux et de la
période avant de détailler précisément de quoi ils parlent. Par la suite, plusieurs para-
graphes expliqueront le contenu de ces jeux en croisant certaines données afin de les
comparer. Il sera, par exemple, fait mention du gameplay et du traitement visuel de la
Première Guerre Mondiale afin de montrer comment et de quelles manières il est pos-
sible de représenter un événement historique majeur. Ces analyses des aspects histo-
riques se feront donc sous le prisme du côté ludique des jeux, bien que pour Soldats
Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre, l’approche historique didactique prime plus
que dans Battlefield 1, ce qui rend évidemment intéressante la comparaison entre deux
produits différents mais traitant de la même période.
La Première Guerre Mondiale est une période peu traitée dans le jeu vidéo. La
base de données du site Historiagames en recense 49 depuis 1990, avec une majorité de
jeux de Stratégies (23) et de Simulations (19), les autres étant quelques jeux de rôle et
d’action. Pour comparaison, la Seconde Guerre Mondiale compte plus de 500 jeux sortis
entre 1981 et 2016, ce qui fait plus d’un jeu par mois depuis 35 ans157. Il s’agit proba-
blement de la période la plus traitée dans l’histoire du jeu vidéo. Si ces deux genres,
Stratégie et Simulation, dominent ce classement, c’est bien parce qu’ils permettent d’ex-
primer la guerre de différentes manières. Les jeux de stratégie offrent aux joueurs la
possibilité de diriger des armées, de construire des unités, de les déplacer et d’avoir un
point de vue en hauteur sur le champ de bataille. La guerre se voit donc de manière
globale, comme un général déplaçant de petites figurines sur une carte. Il faut voir dans
ce genre un aspect jeu d’échecs, jeu qui simulait déjà un affrontement entre deux armées.
Il existe des jeux vidéo dits de « simulation ». Ce genre s’intéresse bien plus à la repré-
sentation des nombreux véhicules sur le champ de bataille : navires, avions, tanks etc.
155
Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre, Ubisoft, 2014.
156
Battlefield 1, DICE, 2016.
157
Sans compter le nombre de jeux non recensés dans la base de données d’Historiagames, comme les
jeux indépendants, amateurs ou exclusifs à certaines régions comme le Japon.
56
Jorris Sermet
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Tous ces véhicules disposent d’un jeu de simulation qui veut coller au plus près de la
réalité en proposant souvent au joueur une courbe de progression extrêmement raide,
nécessitant un apprentissage long et fastidieux, avant de pouvoir maîtriser tel ou tel vé-
hicule. Pour exemple, la série de jeu Flight Simulator158 proposait des vues intérieures
hyper détaillées des avions et demandait au joueur d’effectuer les actions et commandes
réelles afin de les diriger. Il s’agit, dans le cas des simulations de véhicules militaires,
d’être un peu moins à cheval sur ces précisions mais de tout de même respecter certaines
contraintes : munitions limitées, moteurs défectueux, avions fragiles, pilotage complexe
mais surtout design véridique. Ceci dit, les deux jeux vidéo qui vont être analysés ne
sont ni des jeux de stratégie, ni des simulations à part entière. Chacun d’eux comporte
des éléments de stratégies ou de simulations mais n’entrent jamais pleinement dans ces
catégories. Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre est un jeu d’aventure/ré-
flexion avec des énigmes à résoudre tandis que Battlefield 1 est un pur jeu d’action en
vue à la première personne, plongeant le joueur au cœur de la guerre dans des affronte-
ments extrêmement réalistes. Ce choix permet d’élargir le propos puisque le premier jeu
détonne tout simplement avec ce qui se fait traditionnellement, tandis que le second se
veut immersif. De plus, les jeux de simulations ou de stratégies sont bien souvent com-
plexes à prendre en main et demandent pour certains des centaines d’heures de pratique
avant d’être totalement maîtrisés, chose impossible à faire pour des contraintes de
temps. En ce qui concerne la période de la Première Guerre Mondiale, plusieurs facteurs
ont déterminé ce choix. Tout d’abord, le fait qu’il y ait une vague de commémorations
en 2014 a relancé certains développeurs à parler de cette période. C’est le cas de Soldats
Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre qui est un jeu produit dans le cadre de la
Mission Centenaire159 du Gouvernement français afin de commémorer la Première
Guerre Mondiale. Cet événement majeur de l’histoire est pourtant peu mis en avant dans
les jeux vidéo, peut-être parce que la Seconde Guerre Mondiale a occupé pendant de
nombreuses années le terrain des jeux vidéo de guerre, mais aussi parce qu’il pose un
certains nombres de problèmes. Il est possible de tirer quelques hypothèses sur ce point :
le fait que le contexte de la Première Guerre Mondiale repose sur de nombreuses pro-
blématiques pose peut-être des difficultés à vulgariser un événement de cette taille. Dif-
ficile de résumer cette guerre, son jeu d’alliances et les différents partis, contrairement
158
Flight Simulator, subLOGIC, 1979.
159
Le site de la Mission Centenaire : http://centenaire.org/fr/la-mission/la-mission-du-centenaire, con-
sulté le 17.10.2016.
57
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aux jeux de la Seconde Guerre Mondiale qui définissent de manière très manichéenne
les idéologies. D’un côté, les méchants nazis, de l’autre les gentils Américains. Il sera
d’ailleurs intéressant de voir comment les deux jeux analysés répondent à ce critère de
la vulgarisation, ayant tous deux des approches différentes. Par ailleurs, en termes de
gameplay, il apparaît difficile d’instaurer du « jeu », du « fun » dans une guerre de tran-
chées où les deux parties ne bougent pas et c’est peut-être une des raisons majeures qui
fait qu’il n’existe que très peu de jeux sur cette période.
L’analyse se fera en six parties distinctes avec une septième partie conclusive.
L’idée de cette section consiste à montrer certains éléments historiques pour chaque
fonctionnalité d’un jeu. Il sera d’abord question de voir dans quel contexte ces jeux ont
été créés avant de les résumer. L’exploration des aspects techniques que sont les gra-
phismes, le gameplay, les effets sonores et les éléments historiques précis viendront
ensuite compléter ces premiers paragraphes. Chaque jeu sera traité indépendamment
dans le but de croiser les données en conclusion de l’analyse. Etant donné qu’il s’agit
de deux jeux très différents dans leur conception, il sera intéressant de prêter attention
aux différents éléments historiques que l’on retrouve dans les deux et de voir comment
ils sont amenés.
Le contexte de conception explique comment et sous quelle forme ces jeux ont
été produits. Il s’agit surtout de poser le cadre d’analyse qui permettra par la suite de
mieux cerner les éléments historiques. Il sera donc question des éditeurs, du public cible
et du contexte dans lequel ces deux jeux sont sortis.
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Jorris Sermet
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Soldats Inconnus est un jeu créé et édité par Ubisoft dont l’implication dans les
jeux historiques a largement été démontrée précédemment. L’éditeur est donc français
et de ce fait a un rapport particulier avec la période de la Première Guerre Mondiale. Le
studio Ubisoft Montpellier, en charge du développement de ce projet, a ainsi eu la tâche
de créer un jeu qui exploite le moteur graphique UbiArt Framework, un moteur de jeux
en 2 Dimensions. Il est difficile de véritablement savoir si ce jeu a été pensé dans un
premier temps uniquement par Ubisoft, ou s’il a également été « commandé » par la
Mission Centenaire du Gouvernement Français, cette mission qui consiste à commémo-
rer les cent ans de la Première Guerre Mondiale. La Mission Centenaire a pour but d’or-
ganiser des événements entre 2014 et 2018 mais surtout de :
160
Source : Mission Centenaire, http://centenaire.org/fr/la-mission/la-mission-du-centenaire, consulté le
17.10.16.
161
Source : Mission Centenaire, http://centenaire.org/fr/la-mission/le-label-centenaire, consulté le
17.10.16.
162
Source : http://alexandre.lafon.monsite-orange.fr/, consulté le 17.10.16.
59
Jorris Sermet
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Soldats Inconnus est sorti sur PC, PS3, PS4, Xbox360, Xbox One, iOS et An-
droid le 25 juin 2014. Il est déconseillé aux moins de 16 ans alors qu’il ne s’agit pas à
proprement parler d’un jeu de guerre mais d’un jeu sur la guerre, pour reprendre l’ex-
pression qui a accompagné sa sortie. Le public cible semble pourtant être celui qui s’in-
téresse à l’Histoire en général et qui voudrait allier plaisir du jeu à l’apprentissage his-
torique. Soldats Inconnus ne fait ni appel à des formes de violences sanglantes ni à un
langage cru ou à une quelconque représentation ultra détaillée de la guerre, mais joue
plutôt sur les aspects humains tout en tenant compte du fait qu’il s’agit d’une guerre.
Les joueurs sont donc amenés à découvrir cette période sous un autre angle plutôt qu’à
y participer pleinement.
b. Battlefield 1
Battlefield 1 est un jeu édité par Electronic Arts (EA), développé par le studio
suédois DICE et sorti le 21 octobre 2016. Cet épisode est le 11ème de la série Battlefield
et le premier à prendre pour cadre la Première Guerre Mondiale. Il s’agit également du
deuxième jeu de DICE qui fait référence à un événement historique puisque le tout pre-
mier Battlefield, Battlefield 1942166, avait pour contexte la Seconde Guerre Mondiale.
Le contexte de production est totalement différent de Soldats Inconnus. D’abord, EA
163
Documentaires diffusés entre le 18 mars et le 1er avril sur France 2. Source, http://apoca-
lypse.france2.fr/, consulté le 08.11.16.
164
Disponibles sur Youtube à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/play-
list?list=PLBnrd5k2F2IPSF5IhWrIFMK4zRQ40ZMLq, consultée le 08.11.16.
165
Source, Soldats Inconnus - Making-of #1: Art & Émotion :
https://www.youtube.com/watch?v=pVctSEt9Frw, consulté le 29.11.16.
166
Battlefield 1942, DICE, 2002.
60
Jorris Sermet
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n’est pas un éditeur connu pour ses jeux vidéo didactiques ou historiques. Battlefield 1
n’est d’ailleurs en aucun cas un jeu vidéo historique au sens propre du terme. La Pre-
mière Guerre Mondiale est ici plus un prétexte que véritablement un contexte développé.
S’il n’existe aucun chiffre à l’heure actuelle concernant les ventes et le budget de Battle-
field 1, le risque de dire que ce jeu de guerre bénéficie d’un budget plus conséquent que
Soldats Inconnus et de se tromper est faible. Battlefield 1, c’est d’abord une machine
marketing bien huilée, un jeu dit triple A167 disposant d’une immense campagne marke-
ting qui entoure la sortie du jeu. Le but étant d’offrir aux joueurs une occasion unique
de s’immerger dans cette guerre en proposant de l’action « hollywoodienne ». Battle-
field 1 est donc plutôt un gros jeu d’action qui se veut surtout destiné aux joueurs qui
vont préférer la frénésie et l’intensité des batailles aux éventuelles reconstitutions histo-
riques. Mais comme la bataille est aussi une partie intégrante de la guerre, elle doit être
traitée comme les autres aspects historiques. Le public visé, lui, est plutôt occidental et
surtout américain. L’absence de soldats français ou russes tend d’ailleurs à expliquer
qu’EA se soucie plus de ses consommateurs américains et britanniques que du reste du
monde. C’est un point extrêmement important puisqu’un tel jeu, vendu à des millions
d’exemplaire, donne évidemment une certaine image de ce qu’était la Première Guerre
Mondiale et principalement à de nombreuses personnes qui n’ont probablement jamais
étudié en détail cet événement. Est-ce que des Américains qui jouent à Battlefield 1 vont
se mettre à croire que la Première Guerre Mondiale a surtout été l’affaire des Etats-Unis
et de l’Empire Britannique ? Difficile de répondre, mais il se peut qu’en minimisant (ici
en le supprimant totalement) le rôle de la France ou de la Russie dans le conflit, Elec-
tronic Arts crée une sorte de confusion historique. Difficile également de parler de pro-
pagande pro-américaine mais la question peut être posée de la sorte : est-ce que les jeux
vidéo ont une responsabilité, un devoir de transparence lorsqu’ils racontent des événe-
ments historiques ? Non, mais l’apport d’historiens à cette industrie pourrait peut-être
développer ces aspects historiques et justifier certains choix de production.
V.b.2. Narration
167
Les jeux AAA sont des jeux au budget, à l’équipe et au temps alloué conséquents.
61
Jorris Sermet
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b. Battlefield 1
Battlefield 1 dispose de deux modes de jeux : une partie narrative et une partie
multijoueurs. Dans la partie dite « campagne solo », le joueur évolue seul dans six petits
scénarios. Ces derniers n’ont aucun lien entre eux et les personnages que le joueur in-
carne ne se connaissent pas. Par ailleurs, il est mentionné en début de partie que le jeu
ne s’attend pas à revoir le joueur vivant169, exprimant le fait que le taux de survie parmi
168
Voir la partie d’analyse « Eléments historiques », p. 69.
Le message est clair. D’entrée, le joueur est averti de la manière suivante : « What follows is front line
169
62
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les soldats était très faible, justifiant ainsi cette campagne scénaristique décousue. Il
s’agit donc de plusieurs destins racontés de manière disparate dont voici les intitulés170 :
1) Tempête d’acier : une percée allemande menace la position tenue par le 369e
régiment d’infanterie américain, les « Harlems Hellfighters ».
2) Dans la boue et le sang : le char britannique Mk.V est un monstre blindé créé
dans un seul but : déchirer les lignes ennemies.
3) Des amis haut placés : combattez pour la suprématie aérienne avec un pilote
volontaire du Royal Flying Corps britannique.
4) Avanti Savoia : engagez-vous chez les Arditi italiens, une unité d’élite qui
combat dans les Alpes italiennes.
5) L’estafette : bombardez les plages de Gallipoli sous le feu de la plus grande
flotte de guerre jamais assemblée.
6) Rien n’est écrit : rejoignez Lawrence d’Arabie lors de sa campagne dans le
désert contre l’Empire ottoman.
Comme montré auparavant, il n’est fait aucune mention d’un quelconque soldat
français ou russe alors même qu’il s’agit des deux pays les plus engagés, avec l’Alle-
magne, dans la Première Guerre Mondiale. D’ailleurs, aucun soldat allemand n’est
jouable dans cette campagne solo et aucune mention n’est faite du contexte géopolitique.
On ne connait ni les enjeux, ni le pourquoi de cette guerre et donc, a fortiori, des raisons
qui poussent ces individus à combattre. L’exemple le plus frappant concerne la partie
au côté de Lawrence d’Arabie, dépeint comme une sorte d’Indiana Jones belliqueux. A
la rigueur, le joueur ne sait même pas que les ennemis sont Ottomans, ce qu’ils font là
et pourquoi il faut les combattre. Ceci dit, il n’a jamais été fait mention que Battlefield
1 était un jeu vidéo qui se voulait historiquement valable. D’un certain côté, ne pas faire
mention du contexte vaut mieux que de mal le décrire si le but est d’offrir aux joueurs
des moments d’action et des batailles épiques. D’ailleurs, les développeurs ne cachent
pas que ces récits de guerre « se concentrent plus sur les gens que sur l’histoire des
batailles »171. L’occasion de rappeler aux joueurs que le but de ce jeu n’est pas son
historicité mais bien son immersion :
Le fait d'avoir un seul personnage voyageant d'un lieu à l'autre n'aurait pas
été très immersif. Par ailleurs, il aurait pu ne pas s'accorder avec tel ou tel
environnement. C'est pour cela que nous avons opté pour une anthologie
170
Extraits écrits tirés du jeu vidéo.
171
Site officiel – Battlefield 1, source : https://www.battlefield.com/fr-fr/news/article/the-single-player-
of-battlefield-1, consulté le 28.10.16.
63
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V.b.3. Graphismes
172
Ibid, Site officiel – Battlefield 1.
173
Voir Figure 7 – Annexe Images.
174
Source, Soldats Inconnus - Making-of #1 : Art & Émotion : https://www.you-
tube.com/watch?v=pVctSEt9Frw, consulté le 29.11.16.
64
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d’autres esthétiques que celles liées au cinéma. Du réalisme des situations au côté des-
sins animés, les jeux vidéo varient et représentent l’Histoire chacun à leur façon.
b. Battlefield 1
Du côté de Battlefield 1, le choix graphique est plus classique et porté sur l’ultra-
réalisme grâce au moteur physique Frostbite. Ce dernier est ainsi capable de détailler
avec précision des environnements, des décors et d’ajouter à cela la possibilité de les
détruire en temps réel. Dès lors, le champ de bataille qui pourrait apparaître comme
réaliste mais inchangé au cours du temps mue également durant la partie. Les explosions
laissent des trous dans lesquels les joueurs peuvent se positionner, les bâtiments s’ef-
fondrent après plusieurs explosions, les armes ne tirent pas juste, la précision des obus
est toute relative et même le climat météorologique vient modifier les aspects de la
guerre. Le brouillard ou les tempêtes de sable permettront aux soldats en première ligne
de passer discrètement derrière d’éventuels tireurs d’élite en embuscade tandis que la
pluie ajoute une certaine lourdeur à l’équipement. La qualité immersive de Battlefield 1
doit beaucoup (voire uniquement) à son moteur graphique qui offre par moment d’ex-
traordinaires images175. De ces panoramas, il en résulte une certaine vision de la guerre
à la fois belle et séduisante tout en étant affreusement réaliste. On passe à côté de soldats
se tenant la tête entre les mains, perdus au milieu du No Man’s Land, on voit avec hor-
reur ces tranchées176 couvertes de cadavres boueux mais on découvre les beautés du
désert arabe ou l’extraordinaire puissance qui se dégage des zeppelins allemands survo-
lant Londres177 lors d’une fin de journée portée par un soleil retiré derrière des nuages.
S’il sera difficile de reproduire, un jour, tout le réalisme de la Première Guerre Mon-
diale, il est possible tout de même d’en proposer une image, même fantasmée, des évé-
nements. Sur cet aspect, Battlefield 1 est un modèle du genre tant il sublime par moment
ces moments où, planqué derrière un tas de boue, le joueur se met à comprendre que se
lever lui sera fatal mais que rester là à ne rien faire le sera tout autant.
175
Source, trailer officiel - BF1 https://www.youtube.com/watch?v=c7nRTF2SowQ, consulté le
29.11.16.
176
Voir Figure 8 – Annexe Images.
177
Voir Figure 9 – Annexe Images.
65
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V.b.4. Gameplay
178
AARSETH, Espen, « Computer Game Studies: Year One », The international journal of computer
game research, volume 1, issue 1, juillet 2001, http://www.gamestudies.org/0101/editorial.html, consulté
le 31.10.16.
66
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Pour rythmer le jeu, les différents tableaux alternent entre énigmes et phases d’action.
La Première Guerre Mondiale est donc, de ce point de vue, un mélange entre des mo-
ments d’émotion et des moments de réflexion. « On veut que ce soit impactant, on veut
que pour lui [nda : le joueur] ce soit mémorable »179. Concrètement, le joueur se déplace
latéralement, peut sauter, donner des petits coups avec une pelle ou frapper de ses mains
pour assommer des ennemis, lancer certaines grenades afin de débloquer des passages
mais il ne peut jamais tirer au fusil et tuer des ennemis de cette manière. Il s’agit d’un
jeu, comme mentionné, de réflexions et d’énigmes principalement et non un jeu de
guerre. Il est également possible de collecter des objets perdus afin d’en apprendre plus
sur eux180. Le gameplay ne nécessite donc pas spécialement d’habileté de la part du
joueur ou des compétences particulières. Soldats Inconnus est facile à prendre en main
et ne demande pas un entraînement spécifique.
b. Battlefield 1
179
Source, Soldats Inconnus – Making of #2: Gameplay,
https://www.youtube.com/watch?v=kMQ7TBJVRgU
180
Voir partie sur les « Eléments historiques », p. 65.
67
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Les effets sonores regroupent la musique, les voix et tous les sons qui émanent
du jeu. Ces derniers sont notamment au cœur de l’immersion de certains jeux vidéo et
l’ambiance sonore ou la musique ont une part très importante dans le ressenti émotion-
nel. En plus de cela, la question principale derrière les effets sonores concerne la recons-
titution de ces derniers. Comment recréer des sons d’un événement historique, d’obus
qui tombent, de balles d’armes spécifiques ou des sons de la vie quotidienne ?
181
La série de documentaires Apocalypse, source, http://apocalypse.france2.fr/, consulté le 21.10.16.
182
Source, Soldats Inconnus – Making of #4 : Sons et Musiques https://www.you-
tube.com/watch?v=UFdCWg4feg0, consulté le 29.11.16.
68
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par le piano, instrument mis au centre par l’équipe d’Ubisoft Montpellier. Le côté
« émotion » voulu par les développeurs passe donc par la bande son et les musiques.
Finalement, il a fallu des heures, d’abord de recherche mais aussi de mon-
tage, d’édition et de transformation pour calibrer tout ce contenu avec au-
tant de minutie que possible dans le jeu afin de garantir d’abord l’homogé-
néité de la bande sonore mais aussi et surtout pour pouvoir faire vibrer le
joueur au bon moment.183
b. Battlefield 1
La série des Battlefield a toujours bénéficié d’un soin particulier en ce qui con-
cerne les effets sonores. Cet épisode sur la Première Guerre Mondiale ne fait pas excep-
tion puisqu’il dispose d’une banque sonore tout simplement exceptionnelle. De nou-
veau, le côté immersion de ce jeu ne passe pas que par l’aspect visuel mais aussi par les
sons d’ambiance. Cris, obus qui tombent à quelques mètres, balles qui sifflent, sifflets
d’officiers, moteurs d’avions, chenilles de tanks qui s’embourbent, chaque son semble
accentuer l’immersion. Quelques musiques tentent de coller à l’atmosphère, mais
Battlefield 1 brille bien plus par la qualité de ses effets sonores que par ses musiques.
Chaque arme ou véhicule possède ses sons. On parlera plus facilement ici de sound
design tant il apparaît en jeu que les sons ont une véritable importance sur le gameplay :
il est ainsi possible d’entendre des ennemis de l’autre côté d’une porte ou d’anticiper la
chute d’un obus de mortier en prêtant bien attention, même s’il sera très souvent com-
pliqué de différencier chaque son tant il y en a. Le soin apporté à ce genre de détail
démontre une véritable envie de pousser l’immersion à son maximum en passant par
l’ultra-réalisme, ici sonore.
Les éléments historiques regroupent l’ensemble des aspects du jeu qui propose
des connaissances historiques. Il peut s’agir de textes, d’objets, d’explications contex-
tuelles, d’images mais aussi de décors, de reconstructions fidèles de situations, bâti-
ments ou événements. De nombreux jeux vidéo historiques font appel à des éléments
historiques précis afin d’immerger le joueur dans sa partie et la rendre crédible.
183
Ibid, Soldats Inconnus – Making of #4.
69
Jorris Sermet
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c. Battlefield 1
V.b.7. Conclusion
Ces jeux vidéo traitant de la même période sont deux produits diamétralement
opposés. L’un est un jeu d’aventure et de réflexion, l’autre un pur jeu d’action qui se
184
Voir vidéo Soldats Inconnus – Introduction : https://www.youtube.com/watch?v=OYu11cnSB1U,
réalisée et consultée le 24.11.16.
185
Voir Figure 10 – Annexe Images.
186
Voir Figure 11 – Annexe Images.
187
Voir vidéo Battlefield 1 : Solo : https://www.youtube.com/watch?v=FjCmaWwyNbI&t=271s, réalisée
et consultée 22.11.16.
70
Jorris Sermet
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veut réaliste. Dans leurs approches, tout semble les différencier : Soldats Inconnus se
veut ainsi un jeu sur la guerre tandis que Battlefield 1 est un jeu de guerre. Le propos
est très différent et le public cible également. Le premier est un jeu qui se veut pédago-
gique, en proposant des interactions avec des objets, des écrans textuels et une base de
données sur la Première Guerre Mondiale accessible au joueur tandis que Battlefield 1
est uniquement un jeu d’action qui veut immerger le joueur au coeur même de la bataille
sans jamais lui proposer de contextualiser la guerre. Battlefield 1 n’explique rien et pose
certains problèmes sur le traitement qu’il fait de la guerre, de l’absence totale de l’armée
française ou russe tout en jouant sur cette sensation que le bon soldat américano-britan-
nique est le sauveur du monde. Il permet néanmoins d’entrevoir les problèmes de repré-
sentation historique dans un jeu vidéo qui se vend à des millions d’exemplaires et qui
est joué à travers le monde.
The game and its makers feel they cannot comprehensively, or even ade-
quately, sum the war up, so they prefer not to try; the campaign intends to
provide not an historical or traditionally educational context but an emotive
188
LeMonde.fr, source, http://www.lemonde.fr/pixels/article/2014/05/19/soldats-inconnus-est-un-jeu-vi-
deo-sur-la-grande-guerre-mais-ce-n-est-pas-un-jeu-de-
guerre_4421313_4408996.html#7P6iQ1TUb2sWo3VG.99, consulté le 21.11.16.
189
Les articles des sites spécialisés Numerama et Engadget. Sources, http://www.numerama.com/pop-
culture/203531-test-de-battlefield-1-vivez-la-guerre-des-oublies-pas-celle-des-nations.html, et
https://www.engadget.com/2016/10/31/battlefield-1-single-player-mode/, consulté le 24.11.16.
71
Jorris Sermet
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one, encouraging players to feel the war rather than attempt to coolly un-
derstand it.190
Le débat lancé par les journalistes sur la représentation de cette période dans un
jeu vidéo commence néanmoins à devenir l’affaire de quelques historiens. L’entretien
sur la chaîne youtube « History Respawned »191 (littéralement : La résurrection de l’His-
toire) entre l’animateur Bob Whitaker, historien et professeur à la Louisiana Tech Uni-
versity, et Chris Kempshall, historien à l’Université du Sussex et spécialiste de la Pre-
mière Guerre Mondiale et de sa représentation dans les jeux vidéo, montre qu’il existe
un intérêt pour ce média. Différents problèmes sont mentionnés, allant de la question de
savoir s’il est possible de représenter dans un média « mainstream » un événement his-
torique tel que celui de la Première Guerre Mondiale à la place des historiens dans ce
débat et dans cette industrie. Sur cette dernière question, les deux intervenants se sont
rapidement mis d’accord sur le fait qu’il ne faut plus attendre des séries télévisées, des
films et des jeux vidéo qu’ils fassent le travail d’analyse historique mais que c'est bien
à eux, historiens, que revient cette tâche qui consiste à former une opinion, intéresser
les gens et surtout faire des jeux vidéo des produits culturels précis192 historiquement.
Chris Kempshall a par ailleurs remarqué qu’en discutant avec les concepteurs de ces
jeux vidéo historiques, et notamment ceux de Soldats Inconnus, qu’une collaboration
plus pointue entre les historiens et les développeurs serait une excellente entreprise pour
l’industrie du jeu vidéo. Actuellement, le débat autour des imprécisions historiques dans
les jeux vidéo, leur caractère vague ou mal formulé, est notamment dû l’absence géné-
rale des historiens qui ne s’intéressent que très peu à ce média. Selon Chris Kempshall,
il devrait y avoir plus de passerelles entre historiens, académiciens et développeurs, mais
aussi réalisateurs de film ou de séries télévisées.
190
Waypoint.vice.com, source, https://waypoint.vice.com/en_us/article/battlefield-1-offers-a-unique-
emotional-history-of-the-first-world-war, consulté le 17.11.16.
191
Chaine Youtube « History Respawned », source, https://www.youtube.com/watch?v=WHXzMhY9-
VU, consulté le 21.11.16.
192
Le terme anglais utilisé principalement est « accuracy » que l’on peut traduire par « exactitude »,
« précision » ou encore « cohérence ».
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Dans le cadre de cette recherche, plusieurs pistes ont été parcourues. En première
intention, ce mémoire consistait à explorer les différentes représentations de l’Histoire
que peuvent offrir aux joueurs et historiens certains jeux vidéo. A la lumière de certaines
réflexions qui se sont greffées par la suite sur cette problématique, il est rapidement
apparu que, plus que les représentations, la mise en avant du travail des historiens dans
le développement d’un jeu vidéo était intéressante. Le travail des historiens dans cette
industrie est encore peu connu et très confidentiel alors même que les jeux vidéo histo-
riques touchent, pour certains, des millions de personnes. Ce d’autant que les historiens
qui ont collaboré sur des jeux vidéo bénéficient d’une entreprise aux moyens impres-
sionnants, capable de rassembler énormément de sources à traiter : des milliers de do-
cuments, images et vidéo circulent ainsi entre les équipes de développement et les his-
toriens. De quoi y voir la possibilité d’accéder à des documents plus facilement. Dans
cette perspective, la rencontre entre des académiciens, professeurs d’Universités et une
industrie du divertissement rend compte des problèmes récurrents à représenter le passé
dans un produit culturel. Soumise aux critiques, cette collaboration a marqué les débuts
d’une prise de conscience dans l’espace public de l’importance du jeu vidéo et de ce
qu’il raconte. Des personnages historiques reconstitués de manière fictive dans un jeu,
certains anachronismes et la représentation d’événements historiques masquée par une
narration romancée ont ainsi été clairement mis en avant comme étant dangereux pour
le public par certains représentants politiques, notamment Jean-Luc Mélenchon et
Alexis Corbière. Quand bien même les jeux vidéo génèrent des possibilités, un rapport
à l’Histoire et au passé, ils devraient être pensés comme « vrais » par ces représentants
politiques. La multitude des passés que fournit les jeux vidéo entre en contradiction avec
leur pensée unique de l’Histoire qui se définit par une prise de position établie et ne
laisse aucune explication à d’éventuels doutes ou interprétations. Les zones d’ombre
comblées astucieusement par les développeurs de jeux vidéo forment alors une vision
désagréable de l’Histoire, en contradiction avec leur pensée. Robespierre, dans Assas-
sin’s Creed Unity, est ainsi mal traité selon Jean-Luc Mélenchon et Alexis Corbière et
la vérité historique qu’ils pensent juste est ainsi altérée. Cette vision de ce qu’est l’His-
toire va à l’encontre du travail minutieux des historiens qui, comme des enquêteurs,
découvrent le passé plus qu’ils ne le font visiter. Il est alors bon d’entendre les historiens
qui ont travaillé sur ces jeux vidéo afin qu’ils expliquent comment ils s’y sont pris et
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qu’ils puissent exprimer les problèmes rencontrés. Laurent Turcot et Jean-Clément Mar-
tin sont ainsi les premiers historiens à tenter cet exercice après avoir travaillé avec
Ubisoft, l’éditeur, sur le jeu Assassin’s Creed Unity. Excluant d’entrée le fait d’avoir
voulu représenter la Révolution français telle qu’elle s’est déroulée, et ces deux histo-
riens et Ubisoft se sont dédouanés de cette responsabilité. Ils ont tous deux expliqué
clairement que leur jeux vidéo n’était pas une leçon d’histoire et que le Paris dans lequel
évolue le joueur est un Paris parmi d’autre. Ce débat autour de la représentation de
l’Histoire dans les jeux vidéo, en plus de mettre en exergue le travail des historiens, a
également propulsé le jeu vidéo dans une nouvelle sphère, celle de savoir si un jeu vidéo
doit avoir un certain devoir de fidélité lorsqu’il parle d’Histoire, quel héritage de ce qu’il
traite il laisse aux nombreux joueurs, et s’il doit être tenu par une vision particulière de
l’Histoire. A l’aube d’une possible réécriture des manuels d’Histoire, le jeu vidéo dé-
tonne par sa forme, sa propension à penser cette discipline comme un contexte et à jouer
avec la multitude des passés qu’il crée. Cette infinité de mondes possibles offre aux
historiens l’occasion de repenser le passé non pas comme unique mais en mouvement,
teinté de zones d’ombres, ces trous qui jalonnent l’Histoire. Le jeu vidéo permet de
modifier, de donner du sens et de changer les paramètres à tout instant, permettant d’ex-
plorer le passé et d’apprendre « ce qu’il aurait été si ». Les jeux vidéo historiques sont
ainsi des portes d’entrées dans les passés possibles, créés par des équipes multicultu-
relles et soutenus par des historiens et des professeurs d’Histoire.
Des nombreux jeux vidéo historiques ont marqué l’histoire du jeu vidéo : les
séries Age of Empires, Total War et Assassin’s Creed ont chacune proposé de jouer sous
différentes formes avec l’Histoire et ont peut-être été le premier contact avec une pé-
riode ou un événement historique pour certains joueurs. Une entrée en matière non né-
gligeable tant l’industrie du jeu vidéo propose de nombreux jeux vidéo historiques, de
variété et possibilités à des millions de joueurs. Le jeu est ainsi devenu une nouvelle
forme didactique et pédagogique que les historiens peuvent utiliser en cours. Une ma-
nière originale de regarder le passé en mouvement à travers des formes ludiques. Si ce
dernier aspect est au centre de l’expérience du jeu, les jeux vidéo peuvent aussi offrir de
nouvelles possibilités aux historiens, étant intimement liés par des moyens techniques
aux nombreuses reconstitutions historiques. La réalité virtuelle et les musées proposent
ainsi de visiter des lieux inaccessibles, détruits et reconstitués ou des événements histo-
riques qui respectent finalement les codes du jeu. Ces casques de réalité virtuelle vien-
nent de l’industrie du jeu vidéo et sont, de base, destinés aux joueurs mais peuvent à
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terme devenir des outils formidables pour les historiens en sauvegardant des traces du
passé.
L’Histoire dans les jeux vidéo se regarde aussi à travers des analyses possibles
de jeux. Cet exercice a été réalisé sur deux jeux vidéo représentant la Première Guerre
Mondiale. Le choix de la période se justifie par le fait qu’il s’agit d’un événement peu
traité dans le milieu des jeux vidéo, ce qui permet d’y voir des éléments moins récurrents
que dans d’autres jeux vidéo. La commémoration des cent ans de la Première Guerre
Mondiale offre également l’occasion à des développeurs de mettre en avant cette pé-
riode en jeu avec Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre d’Ubisoft et Battle-
field 1 d’Electronic Arts. Deux jeux aux propos variés et aux contextes de production
différents qui permettent de montrer ce qu’il est possible de réaliser comme analyse.
L’idée consiste à sortir quelques éléments propres aux jeux vidéo et à regarder ce que
les deux produits que sont Soldats Inconnus et Battlefield 1 proposent comme aspects
historiques. A travers ce procédé, il est possible de voir comment les équipes de déve-
loppements ont travaillé et comment ils ont appréhendé l’Histoire. Ubisoft a ainsi réalisé
un jeu d’aventure sur la guerre en incluant des éléments didactiques, des images d’ar-
chives et des connaissances historiques tandis qu’Electronic Arts a joué la carte de l’im-
mersion en plongeant le joueur au cœur des tranchées dans une production ultra-réaliste.
Deux approches différentes qui ne sont pas sans intérêt pour des historiens qui cherche-
raient à découvrir de nouvelles manières d’étudier des événements historiques.
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Bibliographie
Littérature secondaire
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un-jeu-video-grand-public-pas-une-lecon-dhistoire_4523111_1616924.html, consulté
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Endgadget – Battlefield 1’ reminded me that before war was a game, it was hell,
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L’express – « Violence inoïe des jeux vidéo » : les professionnels répondent à Sarkosy,
http://www.lexpress.fr/culture/jeux-video/violence-inouie-des-jeux-video-les-profes-
sionnels-repondent-a-nicolas-sarkozy_1742110.html, consulté le 17.10.16.
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Lemonde – Après avoir censuré une photo de la guerre du Vietnam, Facebook fait
machine arrière, http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/09/09/censure-le-plus-
grand-journal-norvegien-attaque-facebook_4995029_4408996.html, consulté le
8.12.16.
Lemonde – « Soldats inconnus » est un jeu vidéo sur la Grande Guerre, mais ce n’est
pas un jeu de guerre, http://www.lemonde.fr/pixels/article/2014/05/19/soldats-incon-
nus-est-un-jeu-video-sur-la-grande-guerre-mais-ce-n-est-pas-un-jeu-de-
guerre_4421313_4408996.html#7P6iQ1TUb2sWo3VG.99, consulté le 21.11.16.
Nouvel Obs – Quand les politiques veulent interdire les jeux vidéo violentes,
http://o.nouvelobs.com/high-tech/20120320.OBS4172/quand-les-politiques-veulent-
interdire-les-jeux-video-violents.html, consulté le 17.10.16
Numerama – Test de Battlefield 1 : vivez la guerre des oubliés, pas celle des nations,
http://www.numerama.com/pop-culture/203531-test-de-battlefield-1-vivez-la-guerre-
des-oublies-pas-celle-des-nations.html, consulté le 24.11.16.
Waypoint – Battlefield 1’offers a unique emotional history of the first world war,
https://waypoint.vice.com/en_us/article/battlefield-1-offers-a-unique-emotional-his-
tory-of-the-first-world-war, consulté le 17.11.16.
Wired – Jade Raymond : Assassin’s Creed a mix of Ridley Scott and Parkour,
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Film
Jeux vidéo – Les nouveaux maîtres du monde, Jérôme Fritel, Arte, 2014. Source :
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Sites internet
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Youtube
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Hello,
First of all, thank you for giving me the opportunity to ask you a few questions on the
historical aspects of Kingdom Come Deliverance.
My name is Jorris Sermet, 26 years old. I am a Master student of History in the Univer-
sity of Lausanne and I am currently working on my mémoire on history in video games.
I analyse video games that are dealing with historical periods or that aim to reconstruct
historical events. Kingdom Come Deliverance falls in these categories by offering to
revive the late Middle Ages.
I have therefore thought of several questions to ask you and thank you in advance for
your answers.
Kingdom Come Deliverance throws the player in 1403. Why did you choose this year?
And in what context is the player evolving?
Because we believe that this period offers many interesting and intrigues stories to tell.
It’s an important part of Europeans history but it’s not very well covered – at least not
in videogames. Also the story we tell, or the events we show could be seen as a prequel
to the Hussite wars which break out just a few years later. You are one of the people,
you will incarnate as Henry the son of a blacksmith who gets torn into this civil war.
First you are driven by revenge because a raiding army destroyed your home and killed
your friends and family… but while travelling through bohemia you will quickly under-
stand that there are bigger things going on. That an organized war is happening… and
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you find yourself in the midst of this chaos. Learn how to use your weapons, craft your
supplies and prepare yourself to take revenge on those who shattered your dreams.
But always keep in mind that you are not some ‘chosen one’, there is no destiny or
ancient prophecy. This will be a tough, dirty and bloody job, but driven by the shadows
of your past and the desire to redeem your failures, you may - perhaps - emerge a hero.
Do you have any historians or specialists in your team, or did you call upon historians
to faithfully reconstruct this era and all its aspects?
We have both. We have a full time historian in our team who is checking every single
element we have in the game. She is checking if everything is historically accu-
rate : from quests, behavior, vegetation and food. So we are working on balancing the
historical and fun factor, making a game pleasant and enjoyable and based on true facts
at the same time. It isnt quite easy but I belive we are succeding. As for reconstruction
of the area our final in-game map will be a reconstructed 16km² area of south Bohe-
mia. You need to take that into consideration when talking about the content on it.The
map is actually a real satellite hide map we bought, but it’s adjusted to our needs so we
had to move the villages a bit closer to each other.
Did you have to imagine certain things, to suggest some rather "fictitious" yet credible
elements?
You should think of our game as < based on true story game >. Every story that is based
on true facts has some fiction elements, so does KC: D. Mostly fiction that can be seen
in our game are quests, that is one element where our game designers and our Creative
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Director, Daniel Vavra unleashed their imaginations. The map as I have said is a recon-
structed map of the South Bohemia region, but we put the villages closer to each other
so the gameplay will be more fast and thrilling, in medieval times, those villages where
quite far from each other. Our main character, Henry is also fictional, so is his story. But
even though there is no Henry, everything that happens in our game is very believable
and could have happened in the past. We are not making up some fantasy stories, eve-
rything was very common and we project common situations on screen with a bit of
WOW!
Kingdom Come Deliverance allows to fight like a knight. How does one faithfully carry
out a knight battle in a video game?
It does. But remember, your character, Henry is no knight. We have provided our play-
ers with great combat : sword fighting. Our combat system is something very new and
unique on the gaming market. What we try to show is real historical European fenc-
ing. Which is why we invited, as I have said real swordfighters to the studio who help
us with the animations in our MoCap Studio and they also help our historian to decode
medieval manuscripts. But since it’s a game we adjusted the system to our needs. It
should be very challenging but still user-friendly.The player needs to understand and
learn that he can’t rush into the battle and win by just button mash. In Kingdom Come:
Deliverance we demand a huge amount of personal skill, even if there is an RPG system
supporting you. We prepared a good video about our combat system that explains our
vision and approach: https://www.youtube.com/watch?v=n0sK7Xqfvpc
There are some specific elements in your game, in particular with regard to alchemy.
Several recipes are legible. On what basis did you write these recipes?
Our sources (professional historian/ manuscripts/ universities) help us decode and find
the recipes used in medieval times. In gaming mostly when you hear <alchemy> players
associate it with magic potions or powers. In our case we are talking about real potions
that where made in order to feel better, we are talking more about Herbalism. In medi-
eval times there where a lot of potions that were used in different situations, of course
in some aspects our potions effects are fictions: faster healing than in real time, but still
they are based on true facts.
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The community seems to find some historic mistakes at times, such as owning a sword
(see post of Martin_ch - 07.01.2014 and masozravapalma - July 2014) or medieval
clothing (Dushin - 02.19.2014)? How do you respond to such criticism? Do you agree
or do you manage to justify them?
Let’s say way try to stick to reality and historical facts. But on the other hand there is a
lot of room for interpretations. Again – in the end this is just a game that tries to be as
realistic and historical accurate as possible. And of course we have to do compromises
now and then. But it’s no simulation, right? ☺
How does one reconcile Kingdom Come Deliverance's narration, which is inevitably
fictitious, to a context that aims to be real? Did you experience some difficulties while
writing your story and including the main character in his context?
Of course it isn’t easy to combine fiction with facts, but our talented game designers and
Creative Designer Daniel Vavra have worked long hours on finding the right way to
combine these to and create an epic story that lingers on facts. In the end, they have
found a right way and we have created a great experience for players who want to enjoy,
explore the 15th century. We want our players while playing to feel as if they were a part
of a story, as if they have travelled back in time. I believe our players will appreciate
that.
Jorris Sermet
Thank you for your answers. I may write to you again to complete some elements, ac-
cording to your answers. I will not modify your statements and this document will be
directly included in my mémoire.
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Annexe 2 – Images
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Vue intérieure d’un appartement parisien richement décoré, image tirée du jeu –
Ubisoft, 2014.
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Figure 8 – Battlefield 1
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Figure 9 – Battlefield 1
La Royal Flying Corps tente de riposter l’attaque allemande sur Londres, image offi-
cielle – EA, 2016.
Explications des gueules cassées dans Soldats Inconnus, image tirée du jeu – Ubisoft,
2014.
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Anecdote sur un objet retrouvé en jeu, image tirée du jeu – Ubisoft, 2014.
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Annexe 3 – Statistiques
No m b re d e je u x h is to riq u e s
Pré his toire Antiquité Moye n-Age Mode rne Conte mporaine Non clas s é
3% 1%
14%
11%
55%
16%
Le PC est le support qui accueille le plus de jeux vidéo historiques loin devant les
consoles. Cela est sans doute lié au genre de jeux le plus joué, un genre presque exclusif
au PC.
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P o u rc e n ta g e d e je u x p a r s u p p o rts
PC Cons ole Cons ole Portable Mobile Navigate ur
4% 1%
4%
15%
76%
Les genres de jeux vidéo historiques ne sont pas très variés. Le genre « straté-
gie » domine très largement les autres genres, alors que les jeux d’action, que l’on pour-
rait croire plus nombreux, ne forment que 14% du nombre de jeux vidéo historiques.
P o u rc e n ta g e d e je u x p a r g e n re s
Action Action/ave nture Ave nture S traté gie
je ux de rôle autre ge nre ré fle xion s imulation
1% 0%
2% 9%
14%
3%
4%
67%
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Source, https://steamspy.com/, consulté le 8.12.16
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