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UFR SCIENCES HUMAINES

DEPARTEMENT DE SOCIOLOGIE

La femme dans l’esport : état des lieux de


la mixité au travers du parcours
des joueuses et joueurs compétitifs
du jeu vidéo en France

MEMOIRE DE MASTER 2 METSO

Rédigé sous la direction de :

Isabelle Danic
Par :

Julien Borkowski
21301831

Année universitaire 2017 – 2018


Sommaire
I - Une sociologie du jeu vidéo ?....................................................................... 4
1. De la pratique vidéoludique à la population des joueuses............................... 5
2. Le jeu vidéo : entre interaction et dire que l’on joue....................................... 7
3. La pratique compétitive/esportive du jeu vidéo..............................................11
4. La pratique professionnelle du jeu vidéo en France : une réalité plus
complexe.................................................................................................................14
II - Cadre théorique et problématisation....................................................... 18
1. Le genre comme facteur déterminant d’une reconnaissance différente.......18
2. Le concept de genre...........................................................................................19
3. La notion de représentation sociale et de stéréotype......................................22
4. Le concept de reconnaissance : un lien nécessaire avec la notion de
légitimité.................................................................................................................24
4.1 Le renversement de l’individualisation dans la reconnaissance......................................... 27
4.2 Légitimité et reconnaissance : deux notions inter-dépendantes..........................................28
5. Le concept d’épreuve : le lien entre épreuve-sanction et épreuve-défi.........31
5.1 Les épreuves genrées...........................................................................................................33
5.2 Les réponses face aux épreuves genrées............................................................................. 35
5.3 Les ressources vidéoludiques..............................................................................................38
6. Identité pour soi et identité pour autrui.......................................................... 40
7. Monde social et monde social du jeu vidéo..................................................... 45
8. Concept de carrière et de capital......................................................................48
III - Méthodologie de la recherche................................................................. 50
1. La population des joueuses et joueurs compétitifs du jeu vidéo en France. 50
2. Une prise de contact discontinue......................................................................52
3. L'entretien : une priorité aux expériences et aux sens des acteurs...............54
IV – La reconnaissance des joueuses et joueurs compétitifs de jeu vidéo en
France............................................................................................................... 55
1. Le contexte vidéoludique.................................................................................. 55
1.1 Début de la pratique vidéo ludique : entre initiation et groupements................................. 55
1.1.1 L’initiation au jeu vidéo : l’entourage familial et amical............................................ 55
1.1.2 Les groupements..........................................................................................................59
1.2 Le jeu vidéo : un univers masculin ?...................................................................................65
1.1.1 Une activité masculine ?..............................................................................................65
1.1.2 La représentation des sexes dans le jeu vidéo............................................................. 67
2. L’entrée dans une pratique compétitive.......................................................... 73
2.1 Les pré-requis : épreuves générales et plaisir de jeu...........................................................73
2.2 La pratique compétitive amateur.........................................................................................78
2.2.1 La compétition : une vocation partagée ?....................................................................78

2
2.2.2 La pratique vidéoludique au prisme des influences sociales.......................................81
2.2.3 Les premières compétitions.........................................................................................86
2.3 Les structures esportives : une entrée vers une pratique semi-
professionnelle/professionnelle ?..............................................................................................91
3. L’expérience compétitive du jeu vidéo.............................................................96
3.1 Le « bon » joueur professionnel : un idéal à atteindre ?..................................................... 96
3.2 Entraînement et compétitions : le quotidien d’un joueur compétitif.................................100
3.2.1 Un entraînement en trois parties : échauffement, affrontement et visionnage..........100
3.2.2 Compétitions en ligne/hors ligne : déplacements et contrôles des émotions............103
3.3 Les objectifs : une tendance vers l’épreuve-défi...............................................................108
3.4 La pratique vidéoludique : une pratique discréditée ?.......................................................113
3.5 Reconnaissance « personnelle » et reconnaissance « sociale » : une première mesure de la
reconnaissance.........................................................................................................................118
4. L’esport en France...........................................................................................124
4.1 Genèse, organisation et représentation : un état des lieux de l’esport en France..............124
4.1.1 Historicité de l’esport................................................................................................ 124
4.1.2 Organisation et médiatisation de l’esport..................................................................127
4.1.3 Esport et statut du joueur en France : une récente considération du domaine..........130
4.2 Les scènes compétitives au centre d’un développement différent....................................138
5. La mixité dans l’esport....................................................................................148
5.1 Une féminisation de l’esport ?.......................................................................................... 148
5.1.1 Les joueuses : un groupe minoritaire « sur-visible ».................................................148
5.1.2 Circuit féminin et équipe mixte : deux modèles de développement en vogue..........155
5.2 Un sexisme vidéoludique adapté à l’esport ?....................................................................162
5.2.1 La performance au sein des épreuves genrées...........................................................162
5.2.2 Performance esportive et performance de genre : un avantage d’être « féminine » ?
............................................................................................................................................171
5.2.3 Une ignorance prônée face aux remarques sexistes.................................................. 176
5.3 Des leviers d’actions pour une mixité dans l’esport......................................................... 184
6. Vers une reconnaissance des joueuses et joueurs compétitifs en France ?. 188
Bibliographie................................................................................................. 191
Annexe............................................................................................................ 195
Annexe 1 : Glossaire............................................................................................195
Annexe 2 : Profil sociologique des enquêtés......................................................200
Annexe 3 : Cartographie des jeux compétitifs rencontrés en compétition.....202
Annexe 4 : Document du rendez-vous du 1er mars 2018 à Katowice concernant
la sous-représentation des femmes dans l’esport..............................................203
Annexe 5 : Guide d'entretien..............................................................................214

3
I - Une sociologie du jeu vidéo ?

Le jeu vidéo, apparu dans le début des années 70, sur bornes d’arcades et consoles de salon,
a depuis bien évolué dans ses formes et ses représentations. On connaît ses nombreuses apparitions
dans les canaux d’information, au départ traité comme un objet étrange aux aboutissants inconnus et
aux effets a priori négatifs. On baigne alors dans de nombreuses études psychologiques qui traitent
principalement de l’addiction aux jeux vidéo, de l’isolement social mais aussi de la possible
violence engendrée par une pratique des jeux vidéo. Depuis quelques temps, celui-ci apparaît de
plus en plus familier dans ces mêmes canaux d’information, qui ne montre plus un objet inconnu
aux yeux des lecteurs et téléspectateurs, mais plutôt une industrie culturelle qui ne cesse de grandir,
en formant notamment des scènes esportives de ces mêmes jeux vidéo. Derrière les intérêts
économiques, politiques ou même sociaux d’un tel développement, des études scientifiques, et
notamment sociologiques, se développent autour de ce média. On arrête alors de se centrer
exclusivement sur les joueurs excessifs, qualifiés de « no-life »1 par les joueurs, et on s’intéresse à
la population des joueuses. C’est le début d’articles et d’ouvrages sur la place des femmes dans un
milieu masculin qui commence, sur les femmes en tant qu’actrices dans le milieu de la création
vidéoludique, mais aussi plus largement sur la représentation des sexes au sein du jeu vidéo, à
l’intérieur de l’industrie vidéoludique ou même à l’intérieur des univers virtuels développés. Qu’en
est-il des joueuses de jeu vidéo ? Population encore mal connue, la sociologie commence à retirer
l’intérêt d’interroger des joueuses dans un média comme le jeu vidéo, qui persiste à garder des
stéréotypes forts sur la place de la femme et de l’homme au sein de la société, alors transposés dans
les mondes vidéoludiques. S’intéresser aux femmes dans un milieu masculin, c’est aussi chercher à
savoir si le monde réel à une influence sur les univers virtuels créés de toutes pièces, si les normes,
valeurs et représentations concernant les hommes et les femmes sont transposé dans un monde a
priori égalitaire, où les « différences » biologiques n’opèrent plus et donc cesserait d’exister en tant
qu’argument viable pour distinguer homme et femme dans leurs pratiques. Mais, comme d’autres
activités de loisirs ou même sportives, le jeu vidéo regroupe une innombrable variété de pratiques
qui n’ont pas les mêmes attraits, ni les mêmes buts. C’est pourquoi il faut resserrer notre focale pour
analyser un type de pratique spécifique qui pourra rendre compte de l’intégration des joueurs et des
joueuses, de leur reconnaissance au sein du jeu vidéo. Mais avant ça, il nous faut faire une brève

1 Qui sont des joueurs totalement immergé dans le monde du jeu, coupé de toute conscience de leur corps. Pour plus
d'informations : Sylvie Craipeau, La société en jeu(x) : le laboratoire social des jeux en ligne, 2011, p.112-114.

4
rétrospective sur ce qui nous a amené à porter un intérêt au jeu vidéo, aux joueuses et à la scène
compétitive du jeu vidéo en France2.

1. De la pratique vidéoludique à la population des joueuses

L’intérêt pour un tel objet que le jeu vidéo vient tout d’abord d’un attrait personnel, celui de
pratiquant du jeu vidéo régulier depuis mon plus jeune âge. Le deuxième point, toujours personnel,
est celui de développer ce champ peu étudié, et cela seulement par la sociologie, comme en
témoigne l’ouvrage de Hovig Ter Minassian, mettant en lumière un objet à la prise d’approche
pluri-disciplinaire3. Cette nouvelle recherche tient aussi dans la poursuite de réflexions déjà
engagées ces deux dernières années. La première recherche s’intéressait à la pratique compétitive
du jeu vidéo en ligne, à la façon de la définir, ses aboutissants et la perception qu’en avait les
pratiquants. La deuxième recherche approfondissait les questionnements sur la pratique
compétitive, en les actualisant à la population des joueuses, en s’interrogeant sur leur place dans les
mondes vidéoludiques, en alliant des analyses sur la représentations des joueuses mais aussi des
avatars vidéoludiques, dans un but de voir ce que ses représentations révélaient sur la question de
l’égalité des sexes au sein du jeu vidéo. Bien entendu, cet intérêt pour les joueuses provient aussi
d’une attention particulière qui s’est formée avant la formation de sociologie : celui de n’avoir
perçu que peu de joueuses dans les mondes vidéoludiques expérimentés. En effet, la lecture
d’articles contant l’arrivée croissante de nouvelles joueuses (elles représentent un peu moins de la
moitié de la population de pratiquants)4 et le fait de n’en voir que très peu au sein des univers
virtuels laissait entendre que les pratiquantes étaient peu visible au sein du jeu vidéo. C’est la raison
de la deuxième recherche qui s’est exclusivement tournée sur les joueuses régulières, sur leur place
au sein des mondes vidéoludiques, et sur la reconnaissance qu’elles pouvaient retirer ou non de
cette pratique, qui se base grandement sur le plaisir de jouer. Mais alors, pourquoi cibler
actuellement les joueuses et joueurs professionnels de jeux vidéo ? Après avoir tenté de répondre

2 Derrière le terme de scène compétitive du jeu vidéo, nous ne donnons pas de spécificité nationale ou géographique
car on stipule que les joueuses et joueurs professionnels vont concourir à une variété de tournois et championnats à
travers le monde, ne se restreignant pas à leur pays. Certes, il y a un classement français des joueuses et joueurs
professionnels des jeux joués en compétition, mais l’intérêt est d’être au sommet de la scène professionnelle
internationale du jeu vidéo en ligne, où se rencontre les meilleurs joueurs du monde entier. Nous verrons à ce titre
en quoi l’esport s’est d’abord structuré à l’international.
3 Samuel Rufat, Hovig Ter Minassian (dir.), Les jeux vidéos comme objet de recherche, 2011, 197 p.
4 Comme cet article du Slate qui dénombre que 45% de la population vidéoludique serait composé de joueuses :
Florian Reynaud, « Jeux vidéo : une étude confirme le sexisme des joueurs », Slate, 2013. URL :
http://www.slate.fr/culture/74637/jeux-video-etude-sexisme-joueurs

5
aux différents questionnements posé l’année dernière – dont nous prendrons beaucoup
d’informations et d’analyses pour les continuer – le manque de ciblage sur les pratiques a fait
défaut. En effet, derrière le terme de pratique régulière ou de pratique compétitive, les joueuses
interrogées n’avaient pas le même parcours ni les mêmes ambitions. On passait donc de joueuses
régulières mais ne se définissant pas dans un but compétitif, à des joueuses professionnelles dont
leur temps était clairement dévoué à cette pratique. Malgré une telle limite, les profils des joueuses
laissaient transparaître des expériences semblables, permettant de rendre l’analyse pertinente. Le
fait de resserrer sur la pratique professionnelle vient tout simplement réduire cette limite en
approfondissant cette fois-ci l’état actuel de la compétition vidéoludique en France. De plus, nous
pensons que la pratique professionnelle permettrait de voir les phénomènes avec une régularité plus
importante que pour la pratique compétitive, notamment car les joueuses et joueurs y sont investis
virtuellement de façon plus importante, mais aussi physiquement par les déplacements qu’ils
doivent effectuer pour concourir à des compétitions. Si l’on revient sur la population, le fait
d’ajouter les joueurs à l’équation nous vient d’un constat quelque peu évident : Comment peut-on
interroger et évaluer le manque de reconnaissance des joueuses si nous ne connaissons pas la
reconnaissance que peuvent en retirer les joueurs ? Autrement dit, comment peut-on stipuler une
différence de reconnaissance entre joueurs et joueuses si nous ne connaissons qu’un seul des
versants concernés ? C’est suite à ces réflexions que nous est venu une question de départ : En quoi
le sexe pèse sur la reconnaissance des joueuses professionnelles de jeu vidéo en ligne ? Avant de
continuer plus loin et d’entrevoir la problématique, il faut revenir sur l’objet vidéoludique.

6
2. Le jeu vidéo : entre interaction et dire que l’on joue

Avant de commencer, nous tenons à souligner que la définition qui va être


présentée sur l’objet de recherche qu’est le jeu vidéo reste exactement la même que celle présentée
l’année passée, notamment car elle s’intègre aussi bien dans les nouvelles considérations qu’amène
ce sujet. Le jeu vidéo suscite tout de même des définitions variées de la part des joueurs, des
journalistes mais aussi des sociologues. De base, on considère généralement le jeu vidéo comme
« un jeu électronique qui implique une interaction humaine avec une interface utilisateur dans le but
de générer un retour visuel sur un dispositif vidéo »5. La première caractéristique de ce média, qui le
distingue du cinéma mais aussi de la littérature, est le principe d’interaction : le joueur peut agir sur
le jeu vidéo « et percevoir les conséquences de ses actes sur l’environnement virtuel »6. Il est équipé
pour cela de périphériques d’entrée, comme un contrôleur de jeu (manettes pour les consoles de
jeux vidéo), un clavier et une souris ou un écran tactile. Les jeux vidéo sont jouables par le biais
d’ordinateurs, de bornes d’arcades, de consoles de jeux vidéo ou encore de smartphones ou de
tablettes. Mais ce critère seul ne peut pas définir en quoi consiste réellement un jeu vidéo : le
principe d’interaction fait rentrer des éléments non vidéoludiques dans la définition, comme par
exemple des logiciels qui implique un retour sur écran après une interaction de l’utilisation, comme
par exemple Photoshop. Allier une définition du jeu vidéo avec celle du jeu est essentiel.

Comme les réflexions précédentes, nous soutenons notre opposition face aux
propos de Johan Huizinga7 qui considère le jeu comme un espace clos, comme unité spatiale, se
déroulant dans un endroit précis, séparé du reste du monde social. Cet enfermement, souligné par le
terme de « cercle magique », protège le jeu des interférences du monde extérieur, et donne donc un
jeu « absolument autonome, distinct et séparé du monde social »8. Rappel pour comprendre notre
définition du jeu vidéo, nous nous opposons clairement à cette perspective, notamment car le jeu est
en constante relation avec les dynamiques extérieures et des nombreuses hétéronomies 9 invoqués
par Samuel Coavoux. Celui-ci nous montre que le monde du jeu vidéo s'autonomise de façon
constante face à des facteurs exogènes, ces hétéronomies qui perturbent l'équilibre de ce monde.
Déjà utilisé avant, l'exemple de Hearthstone 10 est toujours d'actualité pour montrer la pertinence de
5 Wikipédia, Jeu vidéo [en ligne], 16 décembre 2016.
6 Ibid.
7 Huizinga, Johan. 1988. [1938] Homo ludens : essai sur la fonction sociale du jeu. Gallimard. Paris.
8 Samuel Coavoux, Comment un monde social se construit, p.3.
9 On définit l'hétéronomie comme le fait qu'un être vive selon des règles qui lui sont imposées, selon une « loi » subie
(Ibid).
10 Hearthstone : Heroes of Warcraft est un jeu gratuit de cartes à collection en ligne sorti le 11 mars 2014 sur
ordinateur (puis sur tablettes et smartphones), se déroulant dans l'univers de fiction de Warcraft. Développé et édité

7
la notion d'hétéronomie économique. Celui-ci propose un système de paiement par le biais d’argent
réel pour obtenir des cartes, la relative égalité étant brisée puisque celui qui possède un capital
économique fort pourra prendre l’avantage sur le joueur qui tente de passer par la voie « plus
longue », de débloquer les cartes du jeu par le biais de l’argent virtuel du jeu, et donc de devoir
investir plus de temps à l’obtention de ces cartes. D'autres jeux peuvent être contenus dans cet
exemple, notamment les jeux dénommés « Pay-to-Win », littéralement traduit comme payer pour
gagner, dénomination pour des jeux où l'égalité entre les joueurs dans le jeu est brisé par une
obtention d'équipements et d'objets qui ne sont disponibles que par de l'argent réel11. Le cadre du jeu
vidéo est donc celui du perpétuel changement, les joueurs essayant de bannir et punir les pratiques
amenant des hétéronomies dans le jeu, comme la triche qui est une pratique sanctionnée par les
joueurs, mais aussi par les développeurs qui interdisent l'accès au jeu pour les tricheurs. De par
notre précision sur les joueuses, on pourrait penser à une hétéronomie basée sur la réintroduction
des distinctions sexuées au sein du jeu vidéo, hétéronomie qui cependant est à questionner car elle
n'est pas forcément punie par les joueurs de jeu vidéo, et n'est pas forcément ressentie chez toutes
les joueuses. Cette notion d'hétéronomie peut aussi être ramenée aux « contingences » invoquées
par Sébastien Genvo, notamment la contingence sémiotique qui rapporte dans le jeu les moments
« où un caractère d'incertitude accompagne les tentatives d'interprétation des résultats d'un jeu. »12.
Le jeu vidéo est traversé par des facteurs exogènes, des représentations sociales de la société
moderne, qui influent sur les pratiques et les choix des participants. Il faut donc prendre appui sur
une deuxième caractéristique du jeu qui nous vient directement de Georg Simmel.

Celui-ci nous dit que « jouer c'est contempler le monde comme un artifice », c'est-à-dire
jouer une situation dont on sait qu'elle est fictive, mais qui peut néanmoins reprendre les aspects de
la société13. Par cette caractéristique, le jeu amène à jouer des rôles, fictifs, mais qui reprennent des
normes et valeurs de la société, comme le témoigne la pratique compétitive du jeu vidéo en ligne.
On veut donc insinuer que savoir que l'on joue ne suspend pas le fait de ne pas pouvoir contrôler
tous les ressortissants lors d'interactions entre joueurs. La nouveauté du propos vient de la prise en
compte des caractéristiques sociales dans le « calcul » des pratiques, dans leur continuités, dans
leurs bifurcations ou arrêts. Ainsi les joueurs font semblant de jouer en manipulant des éléments

par Blizzard Entertainment, les joueurs s'affrontent dans des duels de cartes où chacun peut confectionner son
paquet de cartes (deck) et où le but est de faire tomber les points de vie de l'adversaire à zéro.
11 Dans ce cadre-là, le dernier « Star Wars Battlefront II » sorti le 17 novembre 2017 sur les récentes plateformes (PC,
PS4 et Xbox One) a fait vivement polémique suite à l’introduction de micro-paiements à l’intérieur du jeu pour des
éléments qui avantageaient les joueurs lors des affrontements entre joueurs. Suite à ça, l’entreprise Electronics Arts
a définitivement retiré les micro-transsactions. Pour plus de détails : http://www.lepoint.fr/pop-culture/jeux-
videos/pour-tout-comprendre-sur-la-polemique-des-loot-boxes-dans-le-jeu-video-01-12-2017-2176543_2943.php.
12 Fanny Lignon (dir.), Genre et jeux vidéo, p.86.
13 Simmel, Georg. 1991. Sociologie et épistémologie. 2 éd. Paris: Presses universitaires de France.

8
d'interactions réelles dans la société moderne. Le joueur dit qu'il joue, en faisant « l'exerce du
possible » entre les différences possibles qui s'offrent à lui. Cependant, le cadre à priori stable et
structuré de Johan Huizinga est en fait une structure à négocier, une structure « mise en action »14,
non prête à l'avance et qui s'autonomise en permanence. L'égalité des positions des joueurs se fait
bien évidemment par la conception du jeu, mais aussi par les joueurs qui établissent des interactions
par le biais de socialisations bien réelles. La structure du jeu vidéo, mais aussi du joueur, se modifie
au fil de ses choix et des cas de réflexivité, des expériences des joueurs d'un point de vue collectif
mais aussi individuel. Conception globalisante du jeu vidéo, nous tenterons d'en esquisser un rapide
portrait dans la définition du concept de monde social, et notamment du monde social du jeu vidéo.
Si l'on précise notre définition, il est important de voir en quoi consiste un jeu en ligne, mais aussi
un jeu de compétition.

Un jeu en ligne ou jeu sur Internet est un jeu vidéo jouable par le biais d'un réseau
informatique, où les utilisateurs se connectent le plus souvent à des serveurs spécifiques aux jeux ou
à l'hôte de la partie, les individus pouvant jouer ensemble et même communiquer par le biais de la
messagerie instantanée, et plus récemment par le biais de canaux vocaux incluant le microphone
comme moyen de communication. Dans le cadre de cette étude, nous ne restreignons pas
concernant les jeux joués par les enquêtés, mais nous gardons une certaine précision en ciblant des
jeux que nous nommons jeu de compétition en ligne. Un jeu de ce type est caractérisé par un aspect
compétitif plus ou moins important, conçu ou non dans un but compétitif et possédant une
conception pouvant tendre le joueur à jouer « sérieusement » (c'est-à-dire selon les principes d'une
pratique compétitive), mais aussi un classement interne pouvant classer les joueurs selon leurs
ressources et leur maîtrise du jeu, ainsi que la possibilité de jouer par le biais d'Internet pour
affronter d'autres joueurs du monde entier. Cependant, l'aspect compétitif n'est pas forcément prévu
par les concepteurs du jeu vidéo concerné, comme le cas de Super Smash Bros. Melee 15, présent
dans différents tournois de Versus Fighting16 alors qu'il n'offrait pas de possibilités aux joueurs de
s'affronter en ligne par le biais d'une connexion Internet. Pour notre cas, on s'intéresse toujours à
l'étude des pratiques vidéoludiques dans les jeux vidéo en ligne, jugés plus visibles, notamment en
termes d'interaction entre les joueurs. D’un autre côté, la pratique compétitive permet de voir un

14 Vinciane Zabban, « Ceci est un monde » Le partage des jeux en ligne : conceptions, techniques et pratiques, 2011,
p.15.
15 Nous faisons référence à Super Smash Bros. Melee et Super Smash Bros. Brawl. Ces deux jeux ont été élaboré par
leurs concepteurs comme un « Party-Game », définit comme « un jeu censé rassembler les foules autour d'un
concept simple, amusant et accessible. », devenant des Versus Fighting suite à une exploitation plus compétitive du
jeu par les joueurs, amenant le jeu à être joué de façon compétitive comme les autres jeux de combats et à figurer
dans les différents tournois de Versus Fighting.
16 Pour plus de détails sur ce qu’est un jeu de combat/Versus Fighting, la définition se trouve dans le glossaire,
première annexe du mémoire.

9
engagement plus fort dans le jeu en ligne par la présence de classements et un affrontement régulier
entre les joueurs du monde entier pour grimper dans les classements. C’est pourquoi la pratique
professionnelle, ou hyper-compétitive, reste un choix pertinent puisqu’elle cible les mêmes enjeux
qu’une pratique compétitive en les hissant dans un engagement beaucoup plus important, et dans
des espaces bien plus visibles comme la scène professionnelle du jeu vidéo. Il nous revient
maintenant de définir ce qu’est une pratique compétitive dans un jeu vidéo.

10
3. La pratique compétitive/esportive du jeu vidéo

« On entend par pratique compétitive une manière sérieuse de s'adonner au jeu en se


consacrant à l'objectif considéré comme le plus légitime, à savoir l'accumulation spécifique du
capital spécifique au jeu, qu'il soit humain (incorporé dans le personnage : compétences,
expériences, etc.) ou économique (en particulier l'équipement, les objets magiques possédés par le
personnage, etc.). »17. Coavoux nous donne une définition du terme « jouer sérieusement » par la
définition donnée du « bien jouer » : « En ce sens, jouer sérieusement, c'est simplement « jouer le
jeu » en ne s'opposant pas à ses règles et à ses normes » (Coavoux, 2010 : 5). Le « bon joueur » est
celui « qui prend sa pratique au sérieux, y consacre du temps, maîtrise techniquement le jeu – ou du
moins son personnage – et respecte certaines règles communes. » (Coavoux, 2010 : 5). Cette
définition, toujours d’actualité pour cette année, doit être précisée. Le critère principal qui définit la
pratique compétitive/esportive18 est l’accumulation du capital spécifique au jeu, structuré en trois
éléments : le capital humain, le capital économique et le capital culturel. Inspiré des capitaux de
Pierre Bourdieu, nous ajoutons le capital culturel pour englober l'expérience du joueur dans un jeu
(et non son personnage), c'est-à-dire son expérience au sens de maîtrise d'un jeu et des différentes
astuces/stratégies de ce jeu, ou du genre auquel il est attaché 19. Mais, l’élément fondamental dans ce
capital n’est autre que le rang possédé par le joueur au sein des classements internes aux jeux, qui le
distingue des autres joueurs et permet de voir un engagement plus ou moins fort dans la
compétition. Ainsi, ce capital, rajouté par nos soins, vient généralement après avoir atteint le
maximum de capital humain et économique, autrement dit après avoir passé le niveau maximum
obtenable par expérience (et non pas le nombre de victoires dans des parties classées) et après avoir
obtenu tous les équipements souhaités par le joueur. Ces deux premiers peuvent aussi devenir
obsolètes selon les jeux joués : des jeux comme Counter-Strike20 sont un très bon exemple puisque
celui-ci prend tout son intérêt en compétition, dans des parties classées, là où le capital humain est
très peu valorisé et le capital économique simplement constitué de « skins »21 d’armes qui n’ont
17 Samuel Coavoux, La carrière des joueurs de World of Warcraft, p.8.
18 Le terme de pratique esportive est seulement un synonyme que nous utilisons pour désigner la pratique compétitive,
repris des recherches de Nicolas Besombes, sociologue du sport qui travaille sur ces questions en France. Ainsi
l’esport n’est autre que la pratique spécifique du jeu vidéo qui permet aux joueurs de s’affronter entre eux, en ligne
ou hors ligne, en équipe comme seul.
19 On entend par là qu'un jeu peut avoir des techniques et astuces similaires à d'autres jeux du même genre, et donc
réutilisables dans d'autres jeux. Les expériences antérieures ont donc un certain poids dans la maîtrise d’un jeu.
20 Counter-Strike est un jeu de tir à la première personne multijoueur en ligne basé sur le principe de jeu en équipe,
sorti le 8 novembre 2000. Cette licence de jeu s’est dénombré sous de nouveaux jeux, dont le dernier est Counter-
Strike : Global Offensive (CS : GO), sorti le 21 août 2012.
21 Les « skins » sont des apparences de personnages, d’objets que le joueur peut utiliser pour personnaliser son avatar,
les équipements qu’il possède. Dans Counter-Strike, les skins sont exclusifs aux armes et n’ont qu’un but

11
qu’une valeur esthétique en jeu. Si l’on revient à la pratique compétitive, il reste un élément central
à dévoiler pour la définir : son découpage en étapes.

Repris de Samuel Coavoux, il définit en quatre étapes la pratique compétitive : l'introduction


au jeu ; l'apprentissage de la technique au sens du savoir et des connaissances de base pour jouer au
jeu ; l'acceptation de la règle d'accumulation du capital ; l'intégration dans un groupement
compétitif. Toujours constitué par le concept de carrière 22, ces étapes sont entremêlées et ne se font
pas forcément dans l’ordre linéaire présenté. De plus, nous pensons que toutes ces étapes ne
définissent pas une pratique compétitive, mais qu’elles désignent un panel de pratique beaucoup
plus vaste que celles centrées sur la compétition. En effet, si l’on considère l’introduction au jeu
comme constitutif d’une pratique compétitive, on fait rentrer tout joueur, soucieux ou non de
s’engager dans la compétition, dans une pratique compétitive. Celui-ci, dès qu’il commence le jeu,
apprends les commandes de base pour se mouvoir et interagir dans l’univers virtuel choisi, serait
donc déjà un compétiteur qui recherche l’accumulation du capital spécifique au jeu. Mais, il faut
aussi relativiser la deuxième étape désigné par Coavoux : on y présente l’apprentissage de
techniques basiques, des déplacements propres au jeu, des règles simples pour appréhender le
monde vidéoludique exploré, et non des mouvements ou des techniques qui pourraient demander
des heures d’entraînement pour les utiliser et les parfaire. On pense que les étapes que Coavoux
présente et désigne une pratique compétitive spécifique aux MMORPG 23, où le joueur n’est pas
entravé par des déplacements ou techniques demandant une exécution à maîtriser, comme cela peut
être le cas pour des jeux de combat où les joueurs compétitifs apprennent par cœur les différents
coups du/des personnage(s) qu’ils veulent maîtriser. Ainsi, les deux premières étapes, dans notre
identification des pratiques vidéoludiques, sont plus constitutives d’une pratique quelconque du jeu
vidéo en ligne, dans sa dimension la plus simple et accessible, restant tout de même des étapes où
tout joueur doit passer avant de s’engager dans une pratique plus complexe, nécessitant un
engagement beaucoup plus fort, sur le plan du temps donné à celle-ci mais aussi sur le plan de
l’affect, des émotions qu’ils éprouvent vis-à-vis des expériences qu’il peut vivre au sein de ces
univers virtuel. La première étape qui tend à définir la pratique compétitive n’est autre que
l’accumulation du capital spécifique au jeu, et plus précisément l’accumulation du capital culturel
qui est vu comme le plus légitime. Au niveau amateur/professionnel, le capital culturel prend son
sens dans les tournois, les compétitions et les classements des équipes professionnelles, qui sont
composés par les meilleurs joueurs au monde d’un jeu précis. Cette étape est plus ou moins liée à

esthétique, ne donnant pas d’avantage au joueur qui s’en équipe.


22 On le définit comme « la modélisation du processus d'engagement dans une pratique sociale », tiré de : Samuel
Coavoux, La carrière des joueurs de World of Warcraft, p.2.
23 Annexe 1, Glossaire.

12
l’intégration de groupements compétitifs, qui permettent de réaliser les actions les plus lucratives
qui sont le plus souvent collectives. Nous reviendrons plus tard sur les groupements qui sont
simplement des regroupements de joueurs dans des formes variées, d’une simple communauté de
joueurs sans réelles règles et n’ayant pas de but compétitif précis, à l’équipe professionnelle, où
chaque individu à un rôle qu’il connaît et maîtrise, structuré autour d’un canal de communication
largement utilisé lors des compétitions24. Néanmoins, ces deux dernières étapes ne figurent pas
exclusivement dans une pratique esportive.

L’accumulation du capital n’est pas forcément propre à une accumulation consciente du


capital culturel, mais simplement une pratique régulière qui, lorsqu’elle se perpétue, implique la
récupération de tels capitaux. C’est le cas de pratiques essentiellement tournées vers une
communauté de joueurs, ou vers des amis, le jeu vidéo faisant alors office de moyen pour prolonger
les relations établies dans la vie réelle. D’autres vont accumuler du capital en vue de s’équiper de la
manière la plus adaptée pour parfaire leur personnage, son histoire, pour ensuite s’incarner à
l’intérieur en prenant réellement le rôle d’un personnage médiéval dans un tel univers 25. Certains
jeux font même rentrer cette étape en même temps que l’introduction au jeu, le joueur n’ayant pas
encore conscientisé le principe d’accumulation du capital 26. Cette distinction permet de faire figurer
les autres pratiques sans pour autant les cantonner aux deux premières étapes qui sont trop larges
pour les définir précisément. De même, ces deux dernières étapes n’expliquent pas totalement la
pratique compétitive mais permettent de les situer par rapport aux autres. La différence se fait alors
sur la nature de ces étapes : c’est l’intégration d’un groupement compétitif qui va montrer
l’orientation compétitive de la pratique, de même que l’accumulation du capital culturel
virtuellement et dans les classements de tournois va permettre de distinguer la pratique compétitive
de loisir à la pratique compétitive professionnelle/amateure.

24 C’est à ce titre qu’une des joueuses professionnelles nous décrit l’année dernière l’importance de la communication
comme « pilier » d’une équipe.
25 On pense au role-play qui est une pratique où le joueur va jouer le rôle de son personnage en imitant un certain style
vestimentaire dans le jeu, mais aussi un langage spécifique pour incarner ce personnage de fiction, à l'image d'un
acteur de théâtre.
26 On prend ici le cas du didacticiel de Hearthstone où le joueur obtient des cartes tout en apprenant à jouer.

13
4. La pratique professionnelle du jeu vidéo en France : une réalité plus complexe

Mais comment différencier la pratique compétitive de la pratique professionnelle ? La


pratique compétitive est généralement définie comme présente dans les univers virtuels, et peut
s’extérioriser dans quelques tournois sans pour autant que la pratique soit ciblée vers une volonté de
concourir dans le classement des meilleurs joueurs, ou d’atteindre une pratique professionnelle. De
son côté, la pratique professionnelle se distingue généralement par le cadre « physique » qu’elle
implique : il ne suffit pas de rester chez soi à jouer pour prétendre jouer de façon professionnelle.
Certes, les joueurs professionnels s’entraînent, montrent leurs parties en streaming 27 depuis chez
eux, mais une partie majeure de leur pratique s’extériorise dans des événements sportifs qui attire de
nombreuses personnes, notamment depuis l’extension de la scène esportive qui rend possible
l’organisation de grands événements dans des stades de sports pour les jeux les plus regardés
comme League of Legends28. A ce titre, on définit une compétition comme la confrontation de
« concurrents » ou d’équipes pratiquant une activité (e)sportive dans le cadre de règles fixées. Une
compétitive esportive, semblable à une compétition sportive, est donc régit par des règles et des
critères qui sont propre au format joué dans le tournoi, autrement dit le mode de jeu. Dans le même
sens, les résultats et performances des joueurs sont comparés par des arbitres qui veillent au respect
des règles institués dans le tournoi joué. Cette comparaison permet ainsi aux joueurs de monter dans
les différentes étapes du tournoi (phase de poules/bracket, huitième de finale, quart de finale, demi-
finale et finale(s)) et de gagner des prix selon leur montée dans le classement de la compétition, en
sachant que généralement les 3-4 premiers joueurs/premières équipes sont récompensés par
différents prix. Enfin, il ne faut pas oublier la spécificité des jeux joués qui vont changer
drastiquement la façon de jouer en compétition, les formats joués, l’arbitrage, les règles mais aussi
les prix selon l’importance du tournoi. Si l’on revient au joueur professionnel, celui-ci converger sa
pratique vers cet unique but d’affronter d’autres équipes/joueurs professionnels, avec à la clé des

27 Le streaming est un principe utilisé principalement pour l'envoi de contenu en « direct » (ou en léger différé). Il
permet notamment à un joueur de diffuser en direct ces parties sur des platefomes de streaming dont la plus connue
est Twitch, plateforme dédiée aux streams sur les jeux vidéo. Sur ce point, Nicolas Besombes définit la pratique de
streaming comme « pratique de spectacle » transversale aux différentes pratiques compétitives, de loisir comme
professionnelle. Pour plus de détails : Nicolas Besombes. (2018). Pratique de l'esport : place du corps et aspects
sociaux . Paroles de doctorants/chercheurs, Rennes, 19 mai 2018. URL : https://soundcloud.com/ludologies/64-
esport-quelle-place-pour-le-corps-quels-impacts-sociaux
28 League of Legends est un MOBA gratuit et développé par Riot Games, sorti le 27 octobre 2009. C'est un jeu qui fait
sensation ces dernières années : en 2013, il devient l'un des jeux les plus joué au monde, séduisant aussi le monde
de l'esport (sport électronique) en devenant l'événement esport le plus regardé de l'histoire, avec plus de 8,5
millions de vues simultanées lors de la finale de la saison 3 en 2013.

14
gains matériels/financiers plus ou moins conséquent. C’est donc le cadre de la scène esportive 29 qui
définit en premier lieu la pratique professionnelle du jeu vidéo : des événements sportifs semblable
aux sports traditionnels, composé de commentateurs, de gains nommés « cashprize », d’équipes qui
sont majoritairement soutenues par un manager ou un coach, des sponsors et des spectateurs sur
l’événement ou chez eux en tant que « téléspectateurs »30. Un des critères importants de ce cadre est
la médiatisation des événements et donc la médiatisation des joueurs : c’est un point qui définit la
pratique professionnelle lorsqu’il est accordé avec les autres caractéristiques. Qu’en est-il du fait de
pouvoir vivre de sa pratique professionnelle ? C’est vrai, on définit généralement un professionnel
dans le sport comme un individu qui concoure dans des compétitions et qui vit financièrement de
cette pratique. Cette définition pourrait convenir pour le jeu vidéo, mais la pratique professionnelle
n’est pas encore autant institutionnalisée comme pourrait l’être la pratique professionnelle du
football par exemple. Si on l’accepte, nous serions obligés de restreindre la scène esportive à une
infime partie de joueurs et de joueuses, notamment en France, alors que le nombre de joueurs
participants aux compétitions hors ligne est beaucoup plus important. En effet, Nicolas Besombes,
dans sa conférence tenue à Rennes31 sur la pratique de « l’esport »32, explique le caractère
dénaturant de choisir la rémunération comme critère fondamental : cela revient à accepter que
seulement 150 joueurs en France soient professionnels et compétitifs, alors qu’on dénombre entre
400 000 et 850 000 pratiquants esportifs, au sens de joueurs et joueuses participant à des
compétitions sans pour autant vivre de cette pratique. Il faut donc ajouter plusieurs niveaux
supplémentaires pour intégrer ces nombreux joueurs, qui certes ne visent pas systématiquement
l’objectif d’être pratiquant professionnel – notamment car les opportunités de carrière
professionnelle sont peu nombreuses voir inexistantes – mais qui réalise une pratique avec les
mêmes aboutissants : s’améliorer, obtenir le meilleur niveau et obtenir des résultats en compétition
hors ligne.

29 Derrière le terme de scène compétitive/esportive, nous désignons l’ensemble des tournois compétitifs, des acteurs
(joueurs, organisateurs, marques, commentateurs…) qui sont réunis autour de la pratique esportive amateure, semi-
pro et professionnelle sur un jeu en particulier, généralement dans un cadre physique même si des tournois existent
en ligne. On parlera donc de scène compétitive du jeu joué par l’enquêté, mais aussi de la scène compétitive du
genre de jeu, qui regroupe tous les jeux compétitifs du même genre, pour signifier les différences qui peuvent
exister entre les différents genres de jeux au niveau de la compétition, au niveau des opportunités de carrière
professionnelle.
30 Suivant les compétitions le plus souvent par « streaming » mais aussi par le biais de plusieurs chaînes spécialisées
dans de nombreux pays comme la France avec « BeIN esports » et « Canal Esport Club » notamment.
31 BESOMBES, N. (2018). Pratique de l'esport : place du corps et aspects sociaux . Paroles de doctorants/chercheurs,
Rennes, 19 mai 2018.
32 Il définit l’esport comme une « forme de pratique spécifique du jeu vidéo » qui regroupent les formes de pratiques
permettant aux joueurs de s’affronter par l’intermédiaire du jeu vidéo. Il se distingue donc de la définition générale
de l’esport qui résonne habituellement comme la pratique professionnelle du jeu vidéo.

15
Dans ces nouveaux échelons33, on distingue la pratique amateure, qui n’est autre que
l’activité des joueurs de participer à des compétitions, d’affronter d’autres joueurs et de figurer dans
un classement compétitif. Celle-ci se distingue essentiellement de la pratique « réellement »
professionnelle par le fait que les joueurs participent à des tournois, mais ne vivent pas de cette
pratique malgré quelques gains financiers. Plusieurs profils peuvent se retrouver dans ce cadre : des
joueurs qui participent à leurs premières compétitions, des individus sans sponsor qui participent à
quelques tournois, les joueurs compétitifs qui ne sont pas encore repéré par un sponsor ou qui n’ont
pas de possibilité de partir sur une pratique professionnelle du jeu vidéo. A ce titre, deux critères
permettent de définir concrètement la pratique professionnelle du jeu vidéo en France : l’adhésion à
une structure, d’un sponsor qui finance plus ou moins la pratique du joueur, ainsi que sa
participation régulière aux évènements compétitifs, aux compétitions notamment les grandes
compétitions, que les joueurs nomment sous le terme de « Major »34 . Il nous reste ainsi un dernier
échelon à définir, plus ou moins interne à la pratique professionnelle du jeu vidéo : la pratique semi-
professionnelle.

Ce terme ne renvoi pas nécessairement à ce qui est défini dans le sens commun, et qui n’est
autre qu’une pratique différente de la pratique professionnelle car les pratiquants ne vivent pas de
cette activité. Cette pratique retient toutes les conditions de la pratique professionnelle sauf cet
aspect de rémunération, qui est ici porté à une rémunération complémentaire, secondaire qui
demande aux joueuses et aux joueurs de lier le plus souvent une activité professionnelle à côté.
Mais cette définition se distingue de celle donnée généralement car elle prend en compte la
spécificité de la pratique compétitive en France, mais aussi les particularités des scènes
compétitives des jeux joués ou même du genre de jeu. Derrière le terme de spécificités ou de
particularités, nous désignons simplement l’évolution générale d’une scène esportive au vu de sa
médiatisation, de leur organisation en termes de compétitions/circuit compétitif et ainsi des
opportunités professionnelles qui en découlent. Cette distinction est importante car elle va nous
permettre de montrer dans la partie correspondante en quoi il ne faut pas confondre par exemple un
joueur professionnel de Counter-Strike et un joueur professionnel de Street Fighter 5 35, deux jeux
qui ne présentent pas les mêmes carrières et opportunités professionnelles en France. Enfin, il ne
faut pas opposer pratique compétitive et pratique professionnelle/amateure du jeu vidéo : une
33 Qui sont repris des propos de Nicolas Besombes dans sa conférence, tout en adaptant celle-ci aux réalités des
joueuses et joueurs interrogés.
34 Dont la définition se trouve dans le glossaire en annexe.
35 Street Fighter 5 est un jeu de combat/versus fighting développé et édité par Capcom, sorti le 16 février 2016 sur
Playstation 4 et PC. C’est l’un des jeux de combat le plus populaire en compétition (en terme d’audience et de
nombre de joueurs), disposant d’un circuit de compétition officiel organisé par Capcom. Street Fighter est aussi une
licence de jeu de combat largement ancré dans le paysage vidéoludique : le premier opus est sorti en 1987, des
compétitions s’organisant déjà sur Street Fighter 2, sorti en 1991, peu après sa sortie.

16
pratique esportive/compétitive désigne simplement l’orientation de la pratique, tandis que la
pratique professionnelle, semi-professionnelle et amateure désigne l’investissement plus ou moins
important qu’un joueur peut mettre dans cette pratique à la coloration compétitive, mais aussi et
surtout sa place et la carrière qu’il entretient au sein de la scène esportive française de son jeu. La
définition de la pratique compétitive n’est donc là que pour signifier la « coloration » que peut
prendre une pratique du jeu vidéo, et ainsi la distingue de d’autres pratiques vidéoludiques, tout en
signifiant les « préceptes » que le joueur accepte, qu’il soit dans une pratique de loisir, amateure,
semi-professionnelle ou professionnelle. Avant de se lancer dans la problématisation et la
conceptualisation de ce sujet, il nous reste à mettre brièvement en avant le concept de carrière,
déterminant dans notre façon de définir les pratiques vidéoludiques.

Lorsqu’on évoque la notion de carrière dans la pratique professionnelle ou compétitive, on


pense à une rupture parmi les autres pratiques. Choisi pour sa focale sur les pratiques, on le
considère plutôt comme un processus, une sorte d’évolution de pratiques des joueurs au sein de
leurs différentes expériences vidéoludiques. On pense donc qu’une pratique « sociale » du jeu vidéo
en ligne peut se transformer en pratique compétitive, l’inverse pouvant se produire. L’idée ici est
que la pratique ne constitue pas la carrière : une carrière vidéoludique peut contenir plusieurs
pratiques de colorations différentes. Ce concept nous permet de penser les bifurcations, autrement
dit les changements de pratique, voir les arrêts de pratique ou les arrêts de carrière vidéoludique.
Nous reviendrons plus tard sur ce concept nécessairement lié aux pratiques, qui permet d’identifier
les différentes pratiques qu’un joueur ou une joueuse peut expérimenter au sein de sa carrière
vidéoludique. Il nous faut maintenant se diriger vers le cœur du sujet, à savoir la lutte pour la
reconnaissance chez les joueuses et joueurs professionnels de jeu vidéo en ligne.

17
II - Cadre théorique et problématisation
1. Le genre comme facteur déterminant d’une reconnaissance différente

Comme déjà décrit, les deux dernières recherches, sur la pratique compétitive du jeu vidéo
en ligne et sur les joueuses régulières, alimentent nos réflexions actuelles. La poursuite d’une
recherche sur la pratique professionnelle vient donc compléter les questionnements sur la pratique
compétitive, tandis que l’ajout des joueurs à la lutte pour la reconnaissance vient préciser la
reconnaissance qu’ils peuvent retirer d’une telle pratique, et ainsi comparer la possible différence
avec les joueuses. Le constat, déjà repéré l’année précédente dans plusieurs ouvrages, est celui d’un
lien spécifique entre jeu vidéo et le genre. L’idée d’interroger l’effet du genre dans les rapports entre
joueurs et joueuses, dans la lutte pour la reconnaissance nous vient de l’idée que celui-ci pourrait
constituer une nouvelle mesure dans les rapports de domination dans le monde vidéoludique, et plus
précisément dans la scène esport. A ce titre, nous rappelons que le genre désigne la construction
sociale du biologique, et donc du sexe. Nous reviendrons sur ce concept plus tard, en expliquant son
intérêt pour une recherche qui vise à percevoir les différences de reconnaissance entre joueurs et
joueuses, tout en relativisant avec d’autres caractéristiques sociales comme le degré de
qualification, la position sociale ou même l’âge.

A partir de ces éclaircissements, on peut donc s’interroger sur le genre et sa place dans la
lutte pour la reconnaissance : En quoi le genre, dans la pratique esportive du jeu vidéo, participe à
une différence de reconnaissance ? Comment cette différence de reconnaissance s’effectue entre
joueuses et joueurs professionnels français ? En quoi peut-on distinguer la pratique esportive des
joueuses de celles des joueurs ? Quelles sont les épreuves que les joueurs/joueuses affrontent dans
la lutte pour la reconnaissance ? Dans quelles conditions ? D’un autre côté, quelles sont les
épreuves que les joueurs/joueuses affrontent dans cette différence de reconnaissance par le genre ?
Enfin, dans une optique de cerner les représentations genrées de la femme et de l’homme, mais
aussi des joueuses et des joueurs, plusieurs questions sont à mettre en avant : Comment les joueurs
et joueuses se représentent-ils cette différence de reconnaissance ? Y a-t-il une ou plusieurs
divergences entre les joueurs et les joueuses sur cette différence de reconnaissance ? De même, ces
divergences sont-elles aussi présentes entre les femmes, ainsi qu’entre les hommes ? Avant
d’avancer d’hypothétiques réponses, il faut se tourner du côté du cadre théorique qui fournit déjà
quelques pistes.

18
2. Le concept de genre

« Le genre fonctionne comme une catégorie d’analyse rendant compte des manières dont
sont distingués des femmes et des hommes associés de manière « naturelle » à des caractéristiques
« féminines » et « masculines ». Au-delà d’éventuelles différences biologiques entre femmes et
hommes, le genre fait de cette distinction une construction sociale mise en œuvre dès les premiers
temps de l’enfance qui participe à produire une différence irréductible entre femmes et hommes et à
lui donner un sens social spécifique. »36. L'attribution des caractéristiques féminines et masculines
aux femmes et aux hommes renvoient à une construction sociale du sexe, hiérarchisé dans une
distinction binaire entre femmes et hommes, entre féminin et masculin (Buscatto, 2004 : 13). Dans
ces rapports sociaux de sexe, la hiérarchie se fait en faveur de l’homme, dont certains énumèrent
une domination masculine comme Pierre Bourdieu dans son ouvrage « La domination masculine ».
Le genre est donc un concept qui vise à rendre compte des processus sociaux « de production, de
légitimation, de transgression et de transformation de différences sexuées hiérarchisées entre
femmes et hommes, entre féminin et masculin selon des principes visant à les « naturaliser » et à
stigmatiser tout comportement contraire. » (Buscatto, 2004 : 13). Il faut bien entendu le relativiser
avec les autres caractéristiques sociales des individus interrogés, et dans notre cas, la carrière
vidéoludique qui peut, on le pense, limiter l’effet de ces distinctions non biologiques. Ce dernier
point doit aussi être relativisé puisque on a déjà pu percevoir l’effet limité d’une légitimité par le
capital culturel, qui permet certes de s’élever au rang des meilleurs joueurs pour la scène
compétitive, alors possiblement insouciant des remarques négatives des joueurs « lambdas », mais
qui ne protège pas l’individu contre des remarques négatives vis-à-vis de son sexe, son orientation
sexuelle, ou son identité genrée qui peut ne pas correspondre aux « standards »37. Dans tous les cas,
on pense que les normes sociales sont contraignantes mais non déterministes : la transgression
d’une identité genrée est possible, avec tout de même des conséquences sociales, la formation d’un
phénomène de rejet, de stigmatisation, de marginalisation, produit par le contrôle social. Les
individus peuvent transgresser et adopter des pratiques ou pensées contraires, mais aussi faire ce qui
est attendu de leur sexe, en adoptant ou non une position critique vis-à-vis de ce comportement
(Buscatto, 2004 : 26). Nous reviendrons sur l’ouverture de la norme dans notre vision, qui prend
une place importante dans le concept de reconnaissance.

36 Marie Buscatto, Sociologies du genre, Paris, 2014, p.12.


37 Derrière le terme de standard, on veut simplement désigner les identités genrées traditionnelles, en accord avec les
normes de la société. Nous reviendrons sur ces dites normes et ce qu’elles impliquent pour les joueuses et joueurs.

19
La société va former des normes qui vont générer des manières sexuées « de marcher, de se
tenir, de s’habiller, de se coiffer, de bouger, de sourire, de s’exprimer, de muscler ou de pleurer. »
(Buscatto, 2004 : 18). Pourtant, le genre est performatif et n’a « pas d’autre statut ontologique que
les actes divers qui constituent sa réalité. »38. En soi, le genre « est à la fois une règle, un cadre et un
outil, tenant constamment en équilibre les forces de la reconnaissance et celles de la rénovation. »
(Lignon, 2005 : p.216). Derrière cette citation, on veut simplement exprimer que le genre ne doit
pas être seulement pris comme un concept qui va nous permettre de dévoiler et expliquer les normes
qui régissent les rapports sociaux de sexe et les identités de genre, mais aussi comme un outil
permettant de dénoncer ces normes qui peuvent paraître arbitraires pour un certain nombre
d’individus, oscillant alors entre les règles prédéfinies par la société et le changement de ces règles
par le biais de transgressions. Derrière le terme de performatif, on entend donc l’idée que le genre
n’est constitué que par les actes qui le compose, et donc que la norme, reproduite par certains de ces
actes, peut aussi être changée par le biais de transgressions, par le travail réflexif de l’acteur qui va
alors pouvoir remettre en cause des identités genrées traditionnelles attribuées sans réelle
explication que celle de « l’évidence », du « naturel » de se comporter de cette façon lorsqu’on est
un homme ou une femme. On revient toujours au point d'une transgression possible mais limitée,
qui permet d’inventer de nouvelles formes sociales, tout en restant contrôlée socialement par les
processus de stigmatisation, de marginalisation, de rejet. Dans la scène esportive du jeu vidéo, le
genre n’est pas exclu par le cadre vidéoludique qui est traversé par des dynamiques extérieures au
jeu vidéo, ainsi qu’investi par des individus possédant chacun une identité genrée. Derrière ce genre
qui amène une identité qui ne se définit pas seulement sur la distinction homme/femme, doit-on
prendre en compte le cas des transgenres 39 ? Les prendre en compte dans l’équation serait
bénéfique, dans le cas d’une recherche plus longue, qui vient vraiment faire la typologie des
identités de genre que joueurs et joueuses peuvent posséder. Mais, pour ne pas complexifier les
questionnements, qui recouvrent déjà plusieurs identités de genre, non restreint au seul critère du
sexe, nous préférons exclure cet élément de notre recherche. Contraint par un temps imparti,
l’inclusion des transgenres dans la question des identités de genre et de la reconnaissance ne
permettrait pas d’y voir plus clair, d’élaborer des typologies assez élaborées pour voir le lien entre
genre et reconnaissance. Nous laissons donc cet élément à une recherche ultérieure plus développée,
qui s’étendrait sur plusieurs années. Il nous faut maintenant continuer sur le cadre vidéoludique, qui
38 Judith Butler, Gender Trouble : Feminism and the Subversion of Identity, 1990, p.139. Cette même citation est tiré
de l’ouvrage de Fanny Lignon, Genre et jeux vidéo, 2005, p.215.
39 On définit généralement un transgenre comme un individu dont l’identité de genre ne correspond pas ou plus à celle
que l’état civil indique à la naissance. Ainsi, une personne transgenre adopte l’apparence et le mode de vie d’un
sexe différent de celui de sa naissance. Autrement dit, le sexe inscrit sur son état civil ne correspond pas à
l’apparence qu’il ou elle renvoie. On les distingue donc des cisgenre, qui sont les personnes où leur identité de
genre, leur genre ressenti correspond à leur genre de naissance, majoritaires dans notre société.

20
est notamment imprégné de représentations sur les sexes, sur les joueurs et les joueuses, ainsi que
sur les rôles « féminins » et « masculins ».

21
3. La notion de représentation sociale et de stéréotype

La notion de représentation sociale est présente dès la fondation de la sociologie, dont


Durkheim distingue les représentations individuelles et les représentations collectives. Ces dernières
sont définies comme des croyances, des valeurs communes à tous les membres d’une société,
intrinsèquement distinctes de l’addition des représentations de ces individus40. Mais c’est Moscovici
qui, en psychologie sociale, délimite la notion de représentation sociale : « à la fois mentale et
sociale, elle « est construite pour et par la pratique », autrement dit la notion désigne les éléments
mentaux qui se forment par nos actions et qui informent nos actes, le sens commun. » (Danic,
2006 : 29). Cette notion fait encore l’objet de nombreuses études, et est considéré de façon bien
différente, notamment en tant qu’objet d’étude, en tant que dimension du phénomène étudié ou
comme élément d’analyse. Si on doit actualiser cette notion à une définition qui nous correspond
dans notre façon de la considérer, c’est-à-dire en tant que dimension du phénomène étudié mais
aussi comme un élément d’analyse permettant de rendre compte de la différence de positions, de
reconnaissance entre joueurs et joueuses, nous pouvons reprendre la définition de la
psychosociologue Denise Jodelet : « la représentation sociale est une forme de connaissance,
socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une
réalité commune à un ensemble. »41. Elles permettent aux groupes sociaux de comprendre et
d’expliquer la réalité, de définir son identité sociale, d’orienter son action en fonction du contexte
exploré et de justifier a posteriori ses choix ou attitudes. Mais, est-ce que les représentations
sociales sont produites de la réalité ou productrices de la réalité ? Les deux si on se considère dans
une approche constructiviste. En effet, « la réalité est construite historiquement, dans la durée, et
reconstruite, reproduite, transformée dans les pratiques et interactions quotidiennes. » (Danic,
2006 : 30). C’est ce processus de construction qui désigne un monde à la fois objectivé et
intériorisé : les individus s’approprient le monde objectivé et les éléments qui l’entoure, structurant
et contraignant nos actions. Mais, cette intériorisation va se faire sous la forme de perceptions, de
connaissances, de représentations qui vont nous permettre de nous situer au sein de la réalité
sociale, de se définir et d’agir. C’est notamment par cette appropriation subjective, nommé aussi
réalité subjectivée, que l’on va agir sur les représentations mêmes, par le travail réflexif de l’acteur
dans l’appropriation de ces représentations, dans leur activation mais aussi dans leur dénonciation,

40 Les idées présentées dans cette partie sont tirées de l’article : Isabelle Danic, « La notion de représentation pour les
sociologues. Premier aperçu », Textes et documents pour la classe (TDC), n°25, décembre 2006, p.29-32 ; ainsi que
de la définition de la notion de représentation sociale par le site « La Toupie ».
41 Denise Jodelet, Représentations sociales : phénomènes, concepts et théorie, 1984.

22
comme on peut le voir vis-à-vis des représentations sur les rôles traditionnellement féminins et
masculins. Les représentations ciblées dans cette recherche concerne la perception qu’ont les
joueurs et les joueuses de la scène esportive, et notamment du circuit « masculin » et « féminin »42.
Mais on pense aussi que des représentations des joueurs et des joueuses sur les questions de rôles
genrés, autrement dit des représentations sur les sexes, serviront à analyser des situations où une
hiérarchie s’opère entre hommes et femmes, entre joueurs et joueuses. Nous gardons toujours en
main les représentations déjà étudiées l’année précédente, et qui concernait les représentations des
avatars/personnages vidéoludiques, de l’homme et de la femme par le biais de ces avatars, même si
nous ne les analyserons pas plus en détail, restant alors au plan d’informations complémentaires
pour détailler les rôles féminins et masculins que l’on peut renvoyer aux joueurs et joueuses au sein
de leur pratique professionnelle. Il faut tout de même relativiser les représentations déjà analysées :
même si elles seront probablement utiles pour l’analyse du matériau, nous pensons que ces
représentations n’ont pas autant d’effet que dans une pratique régulière, qui déjà, montrait la
relative distanciation des joueuses aux avatars. Elles seront utilisées pour contextualiser le monde
du jeu vidéo, avant de s’intéresser réellement aux représentations qui constituent la scène
compétitive du jeu vidéo. L’objectif est donc d’identifier les représentations qui structurent la scène
esportive et la pratique professionnelle des joueurs et des joueuses, ainsi que les représentations qui
vont structurer les identités de genre des individus, et on le pense, influer sur les positions que
tiennent joueurs et joueuses sur la place des femmes au sein du jeu vidéo, et au sein de la scène
esportive. Il nous reste encore à définir ce qu’est un stéréotype, et en quoi cette notion risque de
nous être utile dans nos analyses.

Les stéréotypes sont des éléments perceptibles dans plusieurs dimensions : dans les
représentations sociales, dans le discours des acteurs qu’il soit public, associatif, privé, ou même à
l’intérieur des familles et des médias. Mais qu’est-ce qu’un stéréotype ? On peut le définir comme
une représentation sociale qui catégorise de manière rigide un ou plusieurs groupes sociaux,
simplifiant les faits en se basant sur des a priori, des préjugés. Le stéréotype est souvent construit
par effet de contraste en accentuant certains traits, certaines différences entre les groupes sociaux
pour les distinguer, et en minimisant les différences au sein des groupes. On utilise cette notion pour
désigner le plus souvent des préjugés, mais on peut aussi les désigner comme des éléments
nécessaires pour intégrer des distinctions entre les individus, bien que ces distinctions soient
simplificatrices. A ce titre, les stéréotypes ont « une fonction de structuration du monde environnant

42 C’est une des joueuses professionnelles interrogées l’année dernière qui nous dévoile la présence d’un second
circuit professionnel, le circuit féminin, alors que la scène soi-disant masculine est officiellement ouverts à tout
types de joueurs, sans distinction de sexe.

23
dans la psychologie des individus (aspect cognitif), mais ils ont aussi des répercussions sur les
comportements et actions des groupes (aspect collectif). »43. Ils peuvent aussi masquer des réalités
plus complexes à cause de simplifications primaires, qui vont être présentées comme des
affirmations, des vérités prouvées (Gaborit, 2009 : 18). Ainsi, les stéréotypes ne doivent pas être
compris comme de simples représentations symboliques, mais comme « des éléments de jeux de
pouvoir et de domination. » (Gaborit, 2009 : 18). Bien entendu, ils s’appliquent aussi aux questions
de genre puisque les stéréotypes de genre viennent nier les possibles différences entre les femmes et
entre les hommes : ils possèdent alors une fonction homogénéisante des groupes sociaux bien qu’ils
puissent être composés d’individus différents. Le stéréotype est aussi un « outil » fort lorsqu’il est
utilisé pour contrôler socialement les individus : « les stéréotypes présentent une fonction normative
en stigmatisant les déviances qui pourraient exister dans les comportements d’hommes ou de
femmes qui ne correspondraient pas au stéréotype dominant. » (Gaborit, 2009 : 22). C’est par ces
stéréotypes de genre que le sexisme est opéré puisqu’ils renvoient à des catégories simplifiées
concernant le rôle des femmes et des hommes dans la société, et dont certains cas ont pu être
observés par les joueuses interrogées dans leurs expériences vidéoludiques44. Notre but est donc
d’identifier les différents stéréotypes qui dessert des discours visant à inférioriser les joueuses ou à
valoriser les hommes, en marquant une différence de niveau de jeu ou simplement des
comportements en équipe bien différents, dévalorisants pour les joueuses 45. On pourra par la même
occasion voir le positionnement des joueurs et des joueuses vis-à-vis de ces stéréotypes et
représentations sexuées, pour ensuite les comparer avec leur engagement au sein de la scène
professionnelle du jeu vidéo en ligne. Il faut maintenant poursuivre sur un des concepts cœur de
cette recherche : le concept de reconnaissance.

4. Le concept de reconnaissance : un lien nécessaire avec la notion de légitimité

Le concept de reconnaissance fait écho à une volonté de trouver un concept qui nous permet
de cerner des différences de traitement entre des individus, des différences qui se forment dans des
relations d’interdépendance entre les acteurs sociaux. On dit que la « reconnaissance a lieu à chaque
43 Pascaline Gaborit (dir.), Les stéréotypes de genre : identités, rôles sociaux et politiques publiques, Paris,
Harmattan, 2009, p.17.
44 C’est un point que nous verrons lorsque nous expliquerons le contexte vidéoludique par le biais de nos anciennes
analyses, qui seront ensuite actualisées au cadre de la scène esport.
45 Sur ce dernier point, nous nous aiderons des analyses de Christine Mennesson sur le quotidien des footballeuses
professionnelles, leur façon d’évoluer en équipe et les stéréotypes qui sont accrochés à la présence d’équipes
féminines au sein du football, faisant eux-mêmes référence à des rôles sexués stéréotypés.

24
fois qu’un individu, un groupe ou une institution valide une identité revendiquée par autrui ou le
crédite d’une certaine valeur sociale. »46 . La reconnaissance peut être formelle (cérémonie de
remise de prix) ou informelle (compliments), s’accompagnant souvent d’une attente de réciprocité,
c’est-à-dire de respect mutuel. Mais, ce respect mutuel n’est pas toujours vrai : il peut y avoir une
position dominante qui prend l’avantage, un individu ou un groupe d’individus pouvant être
respecté mais pas forcément respectueux. C’est notre hypothèse de base, qui stipule que le genre
amènerait une différence de reconnaissance dans la pratique professionnelle du jeu vidéo en ligne.
Les processus qui marqueraient cette différence sont multiples et recouvrent plusieurs aspects, dont
l’identité genrée, mais aussi le contexte des scènes esportives, avec pour nous une claire différence
en défaveur du circuit féminin lorsque celui-ci existe. Inspiré des propos d’Axel Honneth, notre
ancrage théorique est clairement situé vers sa théorie de la reconnaissance réciproque, et dont nous
parlerons sous le terme de « lutte pour la reconnaissance »47. Nous suivons aussi le postulat que le
besoin de reconnaissance est un élément clé de la construction de l’identité 48, pour notamment
renforcer ou non l’identité genrée mais aussi l’identité de joueur compétitif de jeu vidéo. C’est
notamment Georges Herbert Mead qui explique que la reconnaissance est cruciale dans le processus
de socialisation. Placé en tant que principe fondateur de la vie sociale, la lutte pour la
reconnaissance présente des groupes dominants dans plusieurs mondes sociaux, et donc
nécessairement des dominés. L’appui que nous prenons sur le concept de reconnaissance vient dans
le but de donner plus d’importances aux « attentes normatives » des individus, c’est-à-dire leurs
besoins de reconnaissance, bien plus grand chez les dominés, en manque de reconnaissance. Cette
approche nous permet donc d’intégrer le point de vue des dominés, dont nous pensons que les
joueuses se situent de ce côté sur la scène professionnelle du jeu vidéo, et dont la domination se
basent sur des processus de distinction entre hommes et femmes, conscient ou inconscient, de la
part des joueurs, des organisations de la scène esport mais aussi des joueuses qui peuvent renforcer
les distinctions entre joueurs et joueuses. Le but est donc d’y montrer des individus qui ne subissent
pas simplement une autorité sans pouvoir s’y détacher, mais qui utilisent leurs ressources pour se
défendre face au contrôle social, pour revendiquer leur position de joueuse, de femme au sein d’une
activité masculine.

Si on revient au concept de reconnaissance, celui-ci nous permet de penser une plus grande
autonomie dans la dimension normative, qui se modifierait par les accords des individus entre eux.

46 Wenceslas LIZÉ, « RECONNAISSANCE, sociologie », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 10


janvier 2018. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/reconnaissance-sociologie/
47 Qui est aussi un ouvrage du même auteur : Axel Honneth, La lutte pour la reconnaissance, 2000, 352 p.
48 Nous verrons plus en détail en quoi l'acte de reconnaissance permet d'identifier une plus ou moins grande distance
entre « identité pour soi » et « identité pour autrui ».

25
La norme est donc changeante, par le biais notamment des transgressions que peuvent opérer
joueuses et joueurs sur le plan du genre. Elle reste tout de même lente à changer, et les
transgressions produisent un effet limité sur ce changement, souvent rappelé à l’ordre par un
contrôle social fort. On gardera donc le même point de vue où la norme est définie comme une
violence potentielle faites aux singularités, où elle est contraignante et peut ne pas prendre en
compte les exclus, les dominés qui sont en besoin de reconnaissance. Ce dernier point dévoile la
limite du concept : A quel point la norme peut-elle se modifier ? Avec quelle intensité et quelle
fréquence les transgressions peuvent modifier les normes sexuées dominantes ? Et si la norme peut
être modifiée, comment garde t-elle sa caractéristique contraignante pour les individus ? Ces
questionnements mettent en évidence la tension entre la contrainte de la norme et son changement,
et dont nous pensons que les transgressions ont un effet limité de changement sur la norme,
notamment sur les normes sexuées dominantes. Cette nécessité de garder la contrainte de la norme
au sein du concept de reconnaissance nous permettrait de voir les manifestations des attentes
normatives des individus lorsqu’il y a violence faite aux singularités, c’est-à-dire lorsqu’il y a
dissonance entre les besoins de reconnaissance et la reconnaissance ou non que les individus
ressortent de la situation vécue. C’est notamment le concept d’épreuve, définit plus bas, qui nous
permettra d’identifier les expériences « négatives » des joueurs et des joueuses au sein de leur
pratique professionnelle. Mais quand est-ce qu’on peut dire qu’il y a violence faites aux
singularités ?

On ne parle pas d’une violence seulement faite aux droits des individus, mais aussi aux
conditions de la vie « bonne ». Ces conditions se divisent en trois sphères de la reconnaissance : la
sphère de l’affectif avec la recherche d’amour, d’affection qui est la condition de la confiance en
soi ; la sphère publique du droit et du politique où l’on recherche l’égale reconnaissance, condition
du respect ; et la sphère de coopération, où nous recherchons l’estime que nous jugeons mériter par
rapport à notre contribution productive et notre efficacité49. La prise en compte des trois sphères
créé une reconnaissance complète. On peut déjà aisément imaginer la dernière sphère comme
constituée des épreuves propres au « niveau de jeu », c’est-à-dire toutes les injonctions nécessaires
pour perpétuer une pratique professionnelle, maîtriser le jeu, connaître son rôle, connaître son
équipe et développer une synergie avec le reste des joueurs de l’équipe 50. La première sphère, elle,
nous renverrait aux statuts attribués dans les jeux vidéo en ligne, à savoir les rôles, rangs et classes ;
49 Alain Caillé, « Introduction », in Alain Caillé, La quête de reconnaissance, La Découverte, 2007, p.7.
50 Cette dernière sphère fait directement lien avec la ressemblance entre pratique vidéoludique compétitive et monde
du travail. Elle renvoie aux critères du « bien jouer », de l’efficacité et du joueur qui doit gérer au mieux son temps,
ressource la plus précieuse, tout en étant autonome et responsable. Pour plus de détails sur l’analogie entre monde
du travail et monde vidéoludique : Sylvie Craipeau, La société en jeu(x) : le laboratoire social des jeux en ligne,
Paris, Presses universitaires de France, 2011, 200 p.

26
la sphère affective viendrait nous montrer le besoin de reconnaissance en termes d’attention, de
convivialité, résultant d’une confiance en soi. Ce sont ces trois sphères, combinés dans les situations
qui vont permettre l’expérience de la reconnaissance : l’attention, les remarques attribuées, le statut,
mais aussi la performance font parti de la reconnaissance. Cette expérience va notamment se
manifester sous un trait particulier : celui du renversement de l’individualisation.

4.1 Le renversement de l’individualisation dans la reconnaissance

Derrière ce terme, Axel Honneth signifie que l’individu doit maintenant participer à la
société et non plus être seulement contenu. Il doit être reconnu comme sujet autonome, responsable,
c’est-à-dire un sujet que l’on compte mais surtout sur lequel on peut compter 51. La « réalisation de
soi », autrefois utilisé comme argument par les individus pour justifier leur manque d’attention, leur
besoin d’être reconnu en tant qu’individu, est maintenant une condition nécessaire pour exister dans
la société. Dans le monde des pratiques vidéoludiques, cette réalisation individuelle va donner lieu à
plusieurs épreuves où le maître mot va être l’autonomie, la responsabilité, de connaître sa place et
celles des autres au sein des affrontements multijoueurs. L’effet direct de cet impératif est que le
sentiment d’injustice devient individuel et donc difficilement objectivable. L’individualisation rend
hétérogène, dynamique et instable la quête de reconnaissance qui, recouvre de nombreux mondes
sociaux. De nouvelles exigences émergent alors du monde du travail, marquant la réalisation de soi
comme un impératif. Dans le monde du jeu vidéo en ligne, ces normes du travail vont se répercuter
et vont donner lieu à des discours argumentés autour du terme d’efficacité, de productivité par
rapport au temps investi, d’une optimisation du temps en vu d’accumuler les capitaux spécifiques
aux jeux joués. Par cette individualisation, la reconnaissance donnerait lieu à des compromis
temporaires qui ne sont jamais acquis une fois pour toute, à l’image de l’autonomisation
permanente du monde social du jeu vidéo en ligne. Mais cette reconnaissance retient tout de même
un changement possible dans les ordres de valeurs pour reconnaître un individu. Comme à l’image
de la norme contraignante mais changeante, ces ordres de valeurs peuvent se modifier, et donc
déprécier une reconnaissance autrefois légitime ou majoritaire, donner lieu à de nouveaux critères
de reconnaissance. Ce changement d’ordres de valeurs reste lent au même titre que la norme,
nécessitant une forte intensité et régularité de transgressions pour s’opérer, comme cela peut être le
cas dans les mobilisations collectives qui rendent possible ces changements de valeurs.
51 Katia Genel, « L'inclusion sociale, entre autorité, reconnaissance et justification dans l’École de Francfort et la
sociologie (de la) critique », in Katia Genel, Reconnaissance, identité et intégration sociale, 2012, p. 23-43.

27
L’individualisation, ancré dans l’expérience de la reconnaissance des individus, nous questionne
alors sur la reconnaissance, notamment dans l’action de reconnaître : Comment dans l’acte, est
reconnu un individu ?

Lorsqu’on reconnaît un individu, on revient à faire connaître quelqu’un qui cesse d’être un
inconnu, retrouver en cette personne ce qui est déjà connu, pour ensuite l’introduire dans l’ordre de
ce que l’on a reconnu comme sien dans le monde52. On fixe donc un profil à la personne reconnue,
profil qui n’est pas nécessairement celui que le reconnu se reconnaît à lui-même : on l’assigne à une
adresse, un lien, une pratique, une identité, en vertu de laquelle il est supposé devoir être identique à
lui-même ou plutôt à ce qui est reconnu en lui. En soi, « la reconnaissance, on le voit, est toujours
normative et normalisatrice. Elle relève d’un jugement de valeur. » (Trigano, 2007 : 152). Dans
l’acte de reconnaissance, les joueuses et joueurs peuvent donc être reconnus pour leur identité de
joueur professionnel, mais aussi leur identité de genre. Par ce biais, on comprend que la
reconnaissance peut ne pas correspondre aux attentes normatives des individus. Chez les joueuses,
leur reconnaissance pourrait se faire en défaveur de leurs attentes normatives si elles sont
exprimées. Même si le respect mutuel est de mise, une position dominante peut prendre avantage et
reconnaître une ou des identités qui ne correspondent pas à ce que les individus revendiquent. De
plus, Honneth intègre dans sa pensée le poids des caractéristiques sociales des individus dans la
reconnaissance. Ces caractéristiques sociales, désignées sous le terme « d’obstacle cognitifs »,
empêcheraient les individus de représenter leurs intérêts et d’engager une lutte pour la
reconnaissance. C’est d’ici que le manque de reconnaissance, la différence de reconnaissance peut
être possible entre joueurs et joueuses. On pense notamment à des joueuses qui revendiqueraient
une ouverture de la scène professionnelle « masculine » pour les joueuses mais qui ne seraient pas
entendues, voir stigmatisées pour leurs opinions divergentes, ou encore leur identité de genre non
conforme aux schémas genrés dominants dans la société actuelle. Maintenant que toutes les
caractéristiques de la reconnaissance ont été énoncées, il faut voir son lien avec la notion de
légitimité.

4.2 Légitimité et reconnaissance : deux notions inter-dépendantes

Initialement vues comme deux notions qui ne se relient pas, elles sont en fait inter-
dépendantes. La légitimité n’est pas un processus qui viendrait après la reconnaissance, mais bien
un processus qui structure la reconnaissance tout en étant englobé dedans, désignant les
52 Shmuel Trigano, « Qui reconnaît-on ? L'identité dans la reconnaissance », in Alain Caillé, La quête de
reconnaissance, 2007, p.151.

28
valeurs/pratiques/objets/personnes qui sont légitimes, dominants dans les ordres de valeurs. Il va
sans dire que les personnes dominantes créent cette légitimité majoritaire et ses composantes. Cette
dernière peut aussi être modifiée par d’autres acteurs non dominants. Dans ce cas-là, chaque
individu a une prétention à la légitimité et peut considérer les autres points de vue comme
« illégitimes ». Mais il y a néanmoins une légitimité dominante qui subsiste, influence les individus,
notamment leur place dans un monde social comme celui du jeu vidéo, ou concernant les valeurs
masculines et féminines, la façon d’être femme ou homme. Si on revient à la reconnaissance, elle
intervient au niveau de l’individu tandis que la légitimité apparaît au niveau de la pratique et de ses
composantes. Dans le terme de pratique, il ne faut pas juste voir la pratique vidéoludique mais aussi
la façon de se comporter en tant qu’individu de sexe féminin/masculin. Ainsi, les individus peuvent
avoir une prétention à la légitimité qui n’est pas reconnue, créant un manque de reconnaissance vis-
à-vis de leurs revendications, devant se plier à une légitimité dominante, à des caractéristiques
dominantes dans une pratique précise. C’est notamment par ce manque, cette distance entre
revendication et reconnaissance que peut apparaître la « chose humiliante », qui désigne selon
Zygmmunt Baumman « tout acte qui tend à nier la perception qu’un groupe donnée à de ce qu’il est
ou de ce qu’il aspire à devenir, à saper les fondements de son mode de vie ou à lui refuser la
légitimité dont bénéficient les autres groupes. »53. Le concept de reconnaissance englobe donc la
notion de légitimité, qui peut notamment être rapportée à la sphère du sport, composé des statuts des
individus. De plus, la notion de légitimité permet de penser la légitimité dominante par laquelle les
individus vont se situer, en conformité ou en opposition. Cette distinction ne vient donc pas les
séparer dans l’analyse mais simplement les présenter pour comprendre l’importance qu’ils revêtent
dans notre cadre théorique.

Compris sous un nouvel angle, la notion de légitimité ne fait plus référence à une
négociation du joueur vis-à-vis de son entourage54, mais plutôt de pratiques qui seraient
majoritairement légitimes parmi les innombrables peuplant le monde social du jeu vidéo. Elle reste
toujours aussi pertinente et intègre nos nouvelles réflexions, qui se basent sur les façons d’être
femme ou homme. C’est par ces différentes manières de se comporter en homme ou en femme que
l’on pense identifier les profils où le manque de reconnaissance est le plus visible, c’est-à-dire les
identités genrées qui s’intègre le moins au sein de la scène e-sport. Après avoir présenté le lien entre

53 Alain Caillé, « Introduction », in Alain Caillé, La quête de reconnaissance, La Découverte, 2007, p.10.
54 Nous faisons référence à la notion de légitimité sociale inspiré par Samuel Coavoux, qui explique que même si le
jeu vidéo est en cours de légitimation dans les hiérarchies culturelles (légitimité culturelle), les pratiques
vidéoludiques se présentent toujours comme inacceptable à l'entourage des joueurs, mais aussi aux joueurs. Par ces
notions, Samuel Coavoux veut voir les différentes façons dont la pratique vidéoludique se présente comme
inacceptable, puis comment les joueurs négocient leurs pratiques au vu de leur entourage.

29
concept de reconnaissance et légitimité, il nous faut présenter le deuxième concept qui se relie à la
lutte pour la reconnaissance.

30
5. Le concept d’épreuve : le lien entre épreuve-sanction et épreuve-défi

Le concept d’épreuve est fortement lié au concept de reconnaissance, en soi que c’est par les
épreuves que la reconnaissance va pouvoir se faire, que les individus vont pouvoir retirer ou non de
la reconnaissance. Tiré de l’article « Le concept de l’épreuve en sociologie », Danilo Martuccelli
présente la notion d’épreuve, de façon historique, en montrant deux voies d’analyse de cette notion
en sociologie : l’épreuve-sanction et l’épreuve-défi. L’épreuve-sanction est définie autour de la
notion de justice, sur le fait de trancher une controverse, de rendre justice aux acteurs, par le biais
de plusieurs ordres de justifications. Elle constitue l’aspect objectif de l’épreuve : elle fait référence
aux sanctions qui peuvent humilier les joueuses et les joueurs, rendant plus difficile les épreuves
qu’ils doivent affronter. On peut situer l’épreuve-sanction du côté des caractéristiques et des statuts
sociaux, autrement dit la sphère du droit. Cette dimension de l’épreuve reste critiquée puisque la
force et l’évidence avec laquelle l’épreuve-sanction peut trancher une controverse donne lieu à des
zones de doutes. On pense aux situations où la science, les institutions ne parviennent pas à
proposer des sanctions univoques. Ainsi, les sanctions « claires » des épreuves relèvent plutôt de
l’exception, dans une société où différents acteurs vont utiliser diverses rhétoriques pour essayer de
trancher la controverse en leur faveur. On voit notamment que certains individus peuvent avoir une
position dominante pour trancher les controverses concernant un certain sexisme, utilisant comme
processus la marginalisation, la stigmatisation ou le rejet de joueuses ou de femmes dans le jeu qui
tenteraient de modifier les représentations du jeu vidéo 55. On pense à ce titre que les épreuves vont
nous permettre de percevoir les ressources que détiennent les individus pour y répondre, et en
déduire en lien avec les caractéristiques sociales, la position qu’ont chacun dans la hiérarchie des
rapports entre joueurs et joueuses, que ces rapports se basent sur le plan des identités de genre, des
normes sexuées, ou sur le plan des performances, comprenant la pratique professionnelle. Nous
dissocions les deux dans notre discours, mais nous pensons que les deux plans sont interdépendants,
se répondent et s’influencent mutuellement : c’est notamment pour cela que certaines de nos
hypothèses stipulent le lien entre une dépréciation de la pratique compétitive des joueuses et une
identité genrée qui ne correspond pas ou peu vis-à-vis des normes sexuées dominantes. Nous
n’allons pas plus loin sur les éléments qui permettent d’identifier des identités de genre différentes,

55 A ce titre, on pense à Anita Sarkeesian qui, évoqué par Mar_Lard, a reçu de nombreuses menaces de mort et de viol
après avoir remis en cause la représentation de la femme dans le jeu vidéo par le biais de vidéos où elle
déconstruisait les personnages vidéoludiques et les stéréotypes qu'ils incarnaient. Pour plus d'informations :
Mar_Lard, Sexisme chez les geeks : Pourquoi notre communauté est malade, et comment y remédier. URL :
https://cafaitgenre.org/2013/03/16/sexisme-chez-les-geeks-pourquoi-notre-communaute-est-malade-et-comment-y-
remedier/

31
mais nous pensons que la présentation de soi ou même le fait de revendiquer une façon
« différente » d’être femme ou homme joue dans la reconnaissance des pratiques compétitive du jeu
vidéo. En soi, cette recherche vise à voir si le genre influence la lutte pour la reconnaissance chez
les joueuses et joueurs professionnels de jeu vidéo en ligne. Si on reprend la définition de l’épreuve,
le deuxième versant, à savoir l’épreuve-défi, est le niveau subjectif de l’épreuve : il se situe du côté
biographique des individus affrontant ces épreuves. Cet aspect de l’épreuve renvoi à l’élaboration
de soi toujours lié aux réactions d’autrui (d’où sa pertinence avec le concept de reconnaissance),
tandis que l’épreuve-sanction fait plus référence aux sanctions qui peuvent humilier les joueuses,
rendant plus difficile les épreuves qu’elles doivent affronter, voir même créer des épreuves
spécifiques aux joueuses. L’un se situe donc au niveau des défis qu’un individu va s’imposer ou va
se voir imposer dans la construction de son identité, tandis que l’autre va se trouver sur les sanctions
que peut subir le joueur, du fait de ses actions/discours, de sa position, de son statut ou de ses
caractéristiques sociales. Ces deux aspects de l’épreuve permettent de voir la dimension réflexive
donnée aux acteurs, et donc se positionner dans une sociologie compréhensive où le but est de
comprendre le sens de leurs actions, leurs discours sur ces actions. L’objet central de l’épreuve-défi
« est de décrire et d’analyser, sous la forme de défis sociaux et historiques spécifiques, l’expérience
que les individus font d’un état de société. »56. Les défis sont vus sous la forme d’épreuves peu
formalisées et institutionnelles, possédant une signification importante dans les expériences
individuelles, notamment en termes de conséquences. On peut mettre ce concept directement en lien
avec le concept de carrière : les épreuves peuvent permettre une meilleure compréhension du
déroulement des carrières vidéoludiques des joueurs et joueuses, et notamment les épreuves qui
peuvent amener à des bifurcations ou des arrêts d’une telle pratique. Il nous permet de monter en
généralité par l’élaboration de schèmes objectives, d’épreuves types que rencontreraient les joueurs
dans leurs pratiques, mais aussi des réponses types à ces épreuves. On considère tout de même qu’il
existe un « travail différentiel » des individus, c’est-à-dire une appropriation du résultat des
épreuves par les individus, mais aussi une mobilisation de leurs compétences pour tenter de
résoudre cette controverse qui n’est jamais réellement tranchée : elle est à l’image de la
reconnaissance qui est temporaire et qui doit être réaffirmée sans cesse. Mais le concept contient
des limites à réduire par une méthode rigoureuse. La grande limite vient du nombre important de
situations qu’on pourrait définir comme épreuve. Pour compenser ce problème, il faut s’intéresser à
l’étendue et l’intensité des événements susceptibles d’être réellement défini comme des épreuves.
Autrement dit, il faut définir comme épreuve les expériences qui ont du sens pour les individus, qui

56 Danilo Martuccelli, Le concept d'épreuve en sociologie, p.11.

32
les interpellent dans leur identité de joueur mais aussi dans leur identité de genre. On peut déjà
désigner deux catégories d’épreuves déjà observées l’année dernière : les épreuves genrées.

5.1 Les épreuves genrées

Les deuxièmes épreuves vont se former suite à l’identification d’un sexe ou d’une identité
genrée57. A ce titre, nous gardons cette dichotomie entre sexisme hostile et bienveillant. Le sexisme
hostile est une notion qui figure dans la théorie avancée par Glick et Fiske en 1996. Elle fait
référence au concept du « sexisme ambivalent » qui comprend deux aspects distincts mais reliés : le
sexisme hostile et bienveillant. Le sexisme hostile « est le sexisme tel qu’on l’entend
traditionnellement : une hostilité envers les femmes, des idées telles que « une femme est incapable
de créer », « une femme n’est pas faite pour travailler ». »58. Dans les pratiques régulières de jeu
vidéo en ligne, nous avons pu identifier plusieurs formes du sexisme hostile, distinguables par la
force avec laquelle les épreuves s’imposent dans le quotidien vidéoludique des joueuses. Il nous
faudra donc réactualiser les épreuves identifiées, comme le « sexisme communicationnel »59. Nous
reprendrons aussi le constat formé l’année dernière : les épreuves s’imposent à un degré plus fort,
interpellent avec une intensité plus forte lorsqu’elles se situent dans des cadres où les joueuses et
joueurs sont engagés de façon importante. C’est notamment le cas des joueuses observées qui nous
parlaient de situations fortes dans des groupements où elles déchargeaient habituellement leur
investissement régulier du jeu vidéo. La contrainte d’une épreuve est donc perçue par le cadre dans
lequel elle opère, mais aussi par la force à laquelle l’épreuve apparaît, tributaire du cadre plus ou
moins strict, ainsi que leur étendue dans les expériences vidéoludiques, autrement dit leur fréquence
au sein du quotidien des joueurs et joueuses. Nous pensons notamment que le cadre des pratiques
professionnelles peut être un facteur de l’intensité des épreuves puisqu’il est basé sur des
engagements bien plus importants que le simple plaisir de jouer dans les pratiques régulières 60.
Ainsi, notre postulat sur le cadre libre et égalitaire du jeu vidéo s’estomperait lorsqu’on
57 L’approfondissement de cette hypothèse vient donc de l’influence d’une identité de genre dans le calcul des
épreuves, qui plus ou moins conforme, permettrait de répondre plus ou moins à son avantage aux épreuves genrées.
58 Antisexisme, « Sexisme hostile et sexisme bienveillant : le sexisme ambivalent », 2011. URL :
https://antisexisme.net/2011/03/09/sexisme-ambivalent-ambivalent-sexism-2/
59 Qui désigne les cas où des représentations stéréotypées, où des remarques sexistes sont proférées dans les pratiques
des joueuses par le biais des canaux de communications à la portée des joueurs.
60 Certes, le plaisir de jouer est le premier facteur de l’engagement d’une pratique, mais la pratique professionnelle
contient un cadre beaucoup plus strict que les autres pratiques : on voit mal une joueuse professionnelle, investie
dans son équipe, quitter celle-ci comme réponse aux épreuves. Cette réponse, qui peut déjà être forte pour certains
engagements vidéoludiques, reste rare pour les individus dans une pratique professionnelle, qui détient des enjeux
économiques beaucoup plus importants.

33
s’intéresserait à la pratique professionnelle. En effet, les joueurs et joueuses ne peuvent plus
changer de mode de jeu comme de groupement à l’aide d’un simple clic sans éprouver des
conséquences sociales fortes, qui vont notamment déterminer le futur de leur carrière vidéoludique.
Ce n’est plus l’anonymat des avatars et des pseudonymes qui briserait cette liberté61, mais bien la
visibilité des joueurs et des joueuses sur la scène professionnelle qui les contraindraient à effectuer
des choix seulement en leur avantage, visible et empreint de conséquences sociales. De plus, une
deuxième dimension s’ajoute à ces épreuves genrées qui seraient plus intenses que ces homologues
dans le cadre virtuel des pratiques régulières : le sexisme bienveillant. « Le sexisme bienveillant est
bien plus subtil : c'est plus l'idée qu'il faut être galant et protecteur envers les pauvres femmes […]
Cette vision paternaliste est en concordance avec le concept de « complémentarité des genres », où
les hommes sont décrits comme possédant des caractéristiques dont les femmes seraient
dépourvues, et vice-versa. »62. Dans le cadre des pratiques régulières, ce sexisme bienveillant
s’opérait essentiellement par une plus grande attention des joueurs envers les joueuses. Ce sexisme,
plus complexe et diffus que le premier, est difficilement identifiable chez les joueuses observées.
Benoît Dardenne explique que le sexisme bienveillant peut être défini comme « l’adoption à son
égard d’une attitude subjectivement positive, bienveillante, qui a pour effet de le maintenir dans un
état de subordination. »63. La subtilité du sexisme bienveillant tient dans le contexte : « La manière
dont le sexisme bienveillant est ressenti par la femme est fonction du contexte dans lequel il
s’exprime. » (Dardenne, 2010 : 3). La façon de ressentir ce sexisme bienveillant ne sera pas la
même selon le contexte : là où les femmes obligent par exemple les hommes à se montrer sexistes
dans un cadre romantique (galanterie), elles se trouveront hostiles à ses comportements dans le
cadre du travail car elles seront en quête d’égalité. C’est là qu’on peut aussi rapporter le jeu vidéo
au monde du travail puisque celui-ci reprend certains aspects, notamment la compétition, la
performance et l’efficacité, mais aussi cette recherche d’égalité puisque les joueuses se trouvent
hostiles à ce type de comportements. Cette précision vient mettre en exergue les positions de
joueuses ou de joueurs qui seraient « hostiles » envers les joueuses qui se plaindraient du sexisme
dans le jeu vidéo. Cette distinction entre « Elles et nous » apporté dans les pratiques régulières de
joueuses de jeu vidéo en ligne doit être actualisé au cadre professionnel, pour voir si les joueuses
qui tentent de modifier les représentations et les comportements sont discrédités pour leurs
revendications. C’est donc toutes les questions autour de l’intériorisation des normes dominantes, et
61 Une de nos analyses passées expliquaient que l’anonymat de ces deux éléments permettaient aux joueurs d’exercer
un sexisme sans pour autant en subir les conséquences sociales.
62 Antisexisme, « Sexisme hostile et sexisme bienveillant : le sexisme ambivalent », 2011. URL :
https://antisexisme.net/2011/03/09/sexisme-ambivalent-ambivalent-sexism-2/
63 Benoît Dardenne, « Quand le sexisme se veut bienveillant... », Reflexions [En ligne], mis en ligne le 24 février
2010, p.2, consulté le 11 janvier 2018. URL : http://reflexions.ulg.ac.be/cms/c_25043/quand-le-sexisme-se-veut-
bienveillant

34
donc de la position dominée des femmes dans la société. Cette vérification partiellement opérée
l’année dernière, montrant des joueuses qui renforçaient les rapports de force en faveur des
hommes, notamment en renvoyant aux autres joueuses des stéréotypes concernant les femmes et
leur « non-capacité » à jouer aux jeux vidéo, doit être réactivée pour voir si des distinctions
s’opèrent entre les joueurs et entre les joueuses. On pourra aussi se demander si les joueuses
peuvent tirer avantage de ce sexisme bienveillant, en soutirant des stratégies, des informations, en
jouant la carte de la « féminité » conforme aux normes sexuées dominantes, et donc tirer parti de la
perception des femmes comme « « des petites choses » faibles et merveilleuses qui doivent être
protégées, aimées et placées sur un piédestal. » (Dardenne, 2010 : 3). Si une telle stratégie est
utilisée par les joueuses, nous nous questionnerons sur les conséquences sociales d’un tel
comportement, et si une telle action permet une réelle reconnaissance, en sachant qu’elle utilise une
représentation stéréotypée de la femme. Cela revient à se questionner sur les réponses que les
joueuses et joueurs peuvent émettre face aux épreuves, dont nous dénombrons trois réponses types :
la conformité ou loyauté, la prise de parole et la défection.

5.2 Les réponses face aux épreuves genrées

Ces trois réponses types sont repris des schémas de réponses élaborés par Albert O.
Hirschman dans « Exit, Voice, Loyalty : Défection et prise de parole ». L’auteur nous montre trois
idéaux-types de réponses concernant des consommateurs face à la baisse de qualité de produits
propre à une entreprise. Transposés au cadre des joueuses qui répondent à des épreuves genrées
dans leur pratique régulière du jeu vidéo, nous l’utilisons aussi pour les joueurs et joueuses dans une
pratique compétitive qui s’incarne dans des compétitions hors ligne. Le premier idéal-type est celui
qui fait référence à la « Voice », autrement dit la prise de parole : « le consommateur peut rester
fidèle à la marque mais va se plaindre et protester contre les défauts qu’il lui trouve. »64. Autrement
dit, la prise de parole peut être définie comme « toute tentative visant à modifier un état de fait jugé
insatisfaisant, que ce soit en adressant des pétitions individuelles ou collectives à la direction en
place, en faisant appel à une instance supérieure ayant barre sur la direction ou en ayant recours à
divers types d’action, notamment ceux qui ont pour but de mobiliser l’opinion publique. »
(Hirschman, 1995 : 129-130). Pour les joueuses, la prise de parole va se faire dans une certaine

64 Albert O. Hirschman, Exit, voice, loyalty, Défection et prise de parole, Paris, Fayard, 1995, p 8.

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volonté de résister aux épreuves genrées. On l’a déjà vu se faire contre les innombrables « blagues
sexistes » que les joueuses régulières subissaient au fil de leurs pérégrinations vidéoludiques. Il faut
comprendre que la prise de parole n’est possible que si la joueuse ou le joueur est fidèle au contexte
vidéoludique, c’est-à-dire fidèle soit au groupement dans lequel il s’exprime ou le cadre, le mode de
jeu où il s’exprime65. La prise de parole est donc intrinsèquement lié à la loyauté du joueur qui veut
s’exprimer : il se doit d’être fidèle envers ses engagements vidéoludiques, autrement dit sa pratique
et son engagement dans un groupement. La loyauté fait donc parti d’une réponse type qui englobe
la de prise de parole, mais être loyal ne veut pas dire que l’individu est forcément dans ce but : les
individus peuvent très bien rester conforme car la prise de parole n’est pas envisageable ou limité
dans son effet, et la défection ne satisfait pas car les alternatives manquent. Mais la prise de parole
est souvent la première réponse qui est envisagée par les joueuses régulières, dans leurs actes et
dans leurs discours, bien qu’elle s’avère limitée pour trancher la controverse en leur faveur. Ce
dernier aspect se doit d’être actualisé puisque les canaux de communications des joueuses et joueurs
professionnels se font principalement envers leurs équipes, et les protestations envers des joueurs
connus de la scène professionnelle, ou même possiblement envers des structures de cette même
scène e-sport. On verra alors si cette prise de parole amène une résistance directe, si les joueurs et
joueuses demandent du soutien, et si cette prise de parole est réellement effective, c’est-à-dire
qu’elle permet la reconnaissance en tranchant le désaccord en faveur du groupe ou de l’individu qui
s’est exprimé. On se demandera aussi si cette prise de parole vient dans la volonté de modifier
l’orientation ou des manières de faire jugés, ou simplement pour respecter l’intégrité de l’individu 66.
Une dernière mise à jour sera fait sur un point vérifié dans la pratique régulière des joueuses de jeu
vidéo en ligne : Est-ce que la parole des joueurs a plus d’influence que celle des joueuses dans la
scène esportive ? Dans quel cadre ? En effet, on observait dans la pratique régulière des joueuses
une moindre écoute pour les protestations des joueuses, qui demandait alors du soutien à des
joueurs qu’elles reconnaissaient, qui alors protestaient à leur tour avec un effet bien plus important
pour calmer d’autres joueurs amenant des épreuves genrées. Nous revérifierons aussi le fait que la
contrainte d’un cadre, d’un engagement permet aussi pour les individus prenant la parole d’avoir
plus de poids. Autrement dit, est-ce que la menace de défection lorsque les pratiquants
professionnels prennent la parole a le même poids que dans les pratiques régulières de jeu vidéo en
ligne ?67.

65 Cette dernière distinction vient préciser les réponses face aux blagues sexistes où la joueuse reste dans les canaux
de communication pour exprimer sa complainte.
66 Les deux peuvent très bien être associé mais on n’a vu que les joueuses régulières prenaient souvent la parole pour
se défendre en tant qu’individu et non pour changer des mentalités, qui pour elles, étaient peu ou pas modifiables.
67 Notre hypothèse est que la pratique esportive, plus contraignante qu’une simple pratique régulière, donne plus de
poids aux individus menaçant de quitter une structure, un groupement si les comportements ne changent pas.

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La deuxième réponse type est la défection (Exit), qui consiste à opter pour une marque ou
une marchandise différente car le produit ne satisfait plus le consommateur (Hirschman, 1995 : 7).
Elle correspond à un retrait face aux épreuves genrées que les joueuses et joueurs peuvent subir au
sein de leur carrière vidéoludique, avec une plus forte importance pour les joueuses dont la
fréquence et l’intensité des épreuves reste plus forte dans un milieu masculin comme le jeu vidéo 68.
Ce retrait peut prendre plusieurs formes, mais il stipule toujours une mise en arrière, une volonté de
quitter la situation. Elle est utilisée souvent en dernier recours ou lorsque celle-ci est avantageuse :
« faire défection, c’est perdre la possibilité de prendre la parole, mais l’inverse n’est pas vrai ; aussi
la défection sera-t-elle dans certains cas la solution adoptée en dernier recours, lorsque l’échec de
la prise de parole est devenu certain. » (Hirschman, 1995 : 48). Dans le cas des joueuses régulières,
la possibilité de changer de situation, d’avoir des alternatives est grande : la joueuse peut
simplement sélectionner les personnes pour participer à des activités collectives, faire des affaires
ou simplement discuter. Lorsqu’une situation ne lui convient pas, elle peut simplement faire
défection en bloquant les canaux de communication ou en ignorant les individus indésirables. Mais,
la défection dans un groupement est plus lourde de conséquence : elle vient en derniers recours
lorsque la joueuse à déjà tenter de modifier les comportements en prenant la parole. Nous avions
même observé une défection vis-à-vis de la carrière vidéoludique, c’est-à-dire une joueuse qui
stoppa complètement de pratiquer le jeu vidéo en ligne. Ce cas unique reste rare et lourd de
conséquences sociales pour la joueuse utilisant cet ultime retrait. On pense que la défection, dans un
cadre aussi contraignant que la pratique esportive, est plus complexe et engage à plus de
négociations, de prise de parole avant d’utiliser une solution de retrait. De plus, il faudra chercher à
savoir si les joueuses et joueurs compétitifs, subissant des épreuves genrées, utilisent des stratégies
préventives, c’est-à-dire mettent en marche des stratégies permettant de réduire la fréquence et
l’intensité des épreuves genrée. Là où les stratégies se basaient sur l’avatar et le langage, les joueurs
et joueuses doivent redoubler d’efforts dans un cadre aussi visible que celui de la scène
professionnelle69. Nous verrons donc si la défection recouvre de nouvelles formes dans les pratiques
professionnelles, et si celle-ci comporte plus ou moins de risques que la défection dans une pratique

68 Nous n’excluons pas dans le calcul des masculinités moins dominantes qui pourraient faire face à des épreuves
genrées. Cependant, nous pensons que les joueuses, simplement par leur identification au sexe féminin, subissent
ces épreuves genrées avec une intensité forte, et d’autant plus forte si leur identité de genre ne correspond pas aux
normes sexuées dominantes.
69 C’est sur ce point que les propos de Christine Mennesson sur les footballeuses nous seront utiles : on pourra
comparer les comportements des footballeuses avec les stratégies préventives des joueuses qui essaient de cacher
une identité de genre non conforme, en essayant notamment d’user de leur féminité pour trancher les épreuves en
leur faveur. On se questionnera aussi sur la relative intériorisation de ces mécanismes préventifs, qui chez les
joueuses régulières, n’était pas forcément conscientisé.

37
régulière du jeu vidéo en ligne. Il nous reste encore un point à élucider sur la question des épreuves
et de leurs réponses : les ressources vidéoludiques.

5.3 Les ressources vidéoludiques

Les ressources vidéoludiques sont les éléments que la joueuse ou le joueur dispose pour
répondre aux épreuves genrée. Chez les joueuses régulières, la première ressource identifiée était le
soutien, permettant une aide directe contre une épreuve sexuée. On a notamment constaté que le
soutien devenait efficient lorsqu’il venait de joueurs figurant dans l’entourage de la joueuse. Cela
revient à activer son capital social, qui n’est autre que l’état des réseaux sociaux de l’individu, le
nombre de relations et l’intensité de ces relations au sein du jeu, lui permettant un soutien plus ou
moins efficace et plus ou moins régulier. Il est aussi présent dans ce que nous avons appelé les
« cercles sociaux protégés », désignant des groupements relativement fermés, réservé aux joueurs et
joueuses connus et reconnus dans l’entourage de l’individu. Possédant une régulation forte des
entrants, ils n’acceptent que des personnes contenues dans les réseaux de relations de l’individu. Ce
retrait dans un groupement sécurisé se double généralement d’un abandon des communications dans
le chat public, d’un ostracisme par le langage chez les joueuses régulières. Cette ressource intervient
en tant que dernier recours, ou simplement dans l’habitude des joueuses qui ont intériorisé le fait de
se renfermer exclusivement sur un groupement. Mais, la donne change pour le cadre vidéoludique
professionnel puisque l’engagement dans un groupement exclusif reste la norme dominante. Cette
notion, pertinente pour une pratique régulière du jeu vidéo en ligne, devient obsolète dès lors qu’on
s’intéresse à la scène e-sport. Une autre tendance dans ce domaine vient de la coloration exclusive
des équipes : la majorité des équipes sont soit exclusivement féminines, soit exclusivement
masculines. Comme pour l’état actuel de la scène « mixte » devenue masculine, nous
questionnerons la distinction claire entre équipe masculine et féminine, les raisons derrière cette
division, et ce que peuvent en penser les joueurs et les joueuses professionnelles. D’un autre côté, il
n’est pas impossible d’observer des équipes mixtes puisqu’elle ne sont pas interdites, bien qu’elles
révèlent plus de l’exception que de la norme. On peut toujours stipuler que le capital social détient
toujours son rôle de ressource, et qui dans le cadre physique de la scène professionnelle, recouvre
plus de formes que pour le cadre virtuel d’une pratique vidéoludique. On le relativisera en prenant
en compte la position de la joueuse ou du joueur dans l’équipe intégrée, sa place dans le classement
sportif (censé traduire son niveau de jeu), et les relations qu’il ou elle entretient avec les gérants de

38
la scène esportive. De plus, il faut rappeler que ces ressources vont aussi impacter la perception du
sexisme vidéoludique, avec une plus ou moins grande distance avec les épreuves genrée. Les
ressources viennent donc en tant qu’élément permettant de répondre aux épreuves, mais aussi en
tant que réducteur de l’intensité et de la fréquence des épreuves genrée. Il nous reste donc à
identifier les nouvelles ressources qui se présentent dans les pratiques compétitive des joueurs et
joueuses de jeu vidéo en France. Maintenant que les épreuves et la reconnaissance ont été abordés,
il faut tourner notre regard sur les notions d’identité pour soi et d’identité pour autrui, qui revêtent
une partie des réflexions sur les identités de genre.

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6. Identité pour soi et identité pour autrui

Lorsqu’on pense à « l’identité pour soi » et « l’identité pour autrui », c’est la distance entre
les deux qui nous vient à l’esprit. L’identité pour soi ou identité réelle « fait référence au travail
d’intériorisation de traits identitaires par les individus eux-mêmes. Ce processus de choix ou de
refus d’appartenance se réalise en fonction des identifications extérieures et de la trajectoire sociale
de l’individu. »70. D’un autre côté, l’identité pour autrui ou identité virtuelle n’est autre que « le
résultat de processus d’attribution d’identités par des institutions ou des acteurs en interaction avec
l’individu. »71. Il faut donc comprendre l’identité pour autrui comme l’identité définie par autrui.
Dans cette dernière, il y a toujours le souci de la définition d’un individu par autrui, qui va alors
accepter ou refuser ces choix d’appartenances dans son identité pour soi. En somme, l’identité
sociale résulte de la combinaison entre identité pour soi et identité pour autrui. Au 18ème siècle, la
philosophie définit l’identité comme le résultat « de la reconnaissance réciproque du moi et de
l’autre, elle naît d’un processus conflictuel où se construisent des interactions individuelles, des
pratiques sociales objectives et subjectives. »72. Claude Dubar, de son côté, définit l’identité comme
« le résultat d’un double processus d’appartenance (l’identité pour soi) et d’attribution (identité pour
autrui) négociées et renégociées tout au cours de la vie. » (Doray, 1991 : 309). Si on revient sur
l’identité pour autrui, c’est donc toujours une identité qui s’élabore en interaction avec autrui,
reliant l’idée d’une certaine reconnaissance venant d’autrui. Du côté de l’identité pour soi, Paul
Ricoeur définit notamment cette notion par sa dernière composante, développé par Erving Goffman,
qui n’est autre que le « sentiment subjectif de sa situation et de la continuité de son personnage que
l’individu en vient à acquérir par sa suite de ses diverses expériences sociales » (Baudry & Juchs,
2007 : 163). De son côté, Goffman explique que l’identité d’un individu s’élabore par le jeu de
l’interaction qui résulte de l’opposition entre identité pour autrui et l’identité pour soi. Mais cette
opposition n’est pas stricte, c’est-à-dire qu’elle n’a pas lieu pour chaque individu : « Certes
l’individu se sert pour édifier son image de lui-même des mêmes matériaux que les autres ont déjà
utilisés pour lui bâtir une identification sociale et personnelle. Il n’en reste pas moins une grande
liberté quant au style de la construction. » (Baudry & Juchs, 2007 : 161). Ainsi, l’opposition entre
identité pour autrui et identité pour soi n’est pas forcée d’exister, les deux pouvant être en accord,
c’est-à-dire que l’individu utilise les identités attribués dans l’identité définie par autrui pour définir

70 Pierre Doray, « Claude Dubar, la socialisation, construction des identités sociales et professionnelles », Cahiers de
recherche sociologique, 18-19, 1991, p.309.
71 Ibid.
72 Robinson Baudry, Jean-Philippe Juchs, « Définir l’identité », Hypothèses, 2007/1 (10), p.159.

40
l’identité pour soi. Là où ces deux notions portaient à confusion dans notre réflexion, c’est qu’on
pensait que l’identité pour autrui était l’identité que l’on renvoie aux autres, tandis que l’identité
pour soi était l’identité qu’on revendique, personnelle et qui n’implique pas autrui. Si on réfléchit
dans la perspective de reconnaissance et d’attentes normatives, l’identité pour soi peut être
effectivement en accord avec ce qu’on attend de nous par rapport à la légitimité dominante, mais un
désaccord peut se trouver avec l’identité pour autrui, une distance entre les deux. En effet, les
identités attribuées par autrui ne sont pas forcément acceptées par l’individu qui ne se construit pas
en fonction de toutes les identités qu’on lui transmet, notamment lorsque celles-ci peuvent être
négatives. Ainsi, plus le monde social expérimenté est proche de l'identité revendiquée par
l'individu73, plus la distance serait réduite entre identité pour soi et identité pour autrui, les individus
n'ayant donc pas besoin de jouer avec plusieurs identités qui ne correspondraient pas à leurs
revendications. Il faut rappeler que les individus expérimentent plusieurs mondes sociaux, et donc
expérimentent plusieurs identités pour autrui, qu'on pourrait dénommer aussi par le diminutif « Moi
sociaux » dans la terminologie propre au concept de monde social. Pour les interactionnistes, les
identités individuelles naissent des interactions sociales plus qu'elles ne les précèdent. Nous n’allons
pas aussi loin dans le rôle des interactions à l’intérieur de la construction des identités, pensant tout
de même à un cadre structurant que l’on peut désigner sous les termes d’identité héritée ou identité
forgée, qui sont antérieures à la construction de nouvelles identités et qui ont un rôle plus ou moins
important selon que l’individu se décroche ou non des identités antérieures attribuées à sa personne.
On pense à une certaine malléabilité dans ces identités, du changement des identités par le biais des
interactions, les identités étant vues alors comme le fruit d’un processus et non comme des données
stables, immuables.

Tout l'intérêt dans ces deux notions résident dans l'explicitation d'une tension identitaire qui
surviendrait chez les joueuses : elles oscilleraient entre une revendication stipulant l’efficacité et la
performance des joueuses, la volonté d’accueillir de nouvelles joueuses, et un certain contrôle social
des nouvelles arrivantes qui pourrait remettre en cause leur intégration durement acquise. L’idée est
donc de questionner les stratégies identitaires lorsque l’identité pour autrui et l’identité pour soi ne
sont pas en accord, et dont leur but est de réduire l’écart entre les deux. Claude Dubar désigne deux
formes générales pour les stratégies identitaires : la « transaction objective » et la « transaction
subjective ». La première « confronte l’individu à son environnement dans un travail d’ajustement
entre identité attribuée et identité pour soi. Cette confrontation conduit ou bien à un accord entre
les deux identités (reconnaissance de l’identité pour autrui et incorporation dans l’identité pour

73 Autrement dit, l'individu s'identifie assez fortement à la légitimité dominante en vigueur dans le monde social
expérimenté.

41
soi) ou bien à un désaccord (non-reconnaissance de l’identité virtuelle) et donc à un conflit. »
(Doray, 1991 : 309). C’est donc l’idée que l’individu met en avant son identité pour soi face à
l’environnement qui lui attribue notamment des identités qui ne lui correspond pas. La deuxième
fait plus référence à une construction « intérieure » concernant l’identité pour soi, en référence à des
identités antérieures : « dite transaction subjective, les individus rapprochent les termes des
identifications antérieures (identité héritée ou forgée) et ceux utilisés lors de la construction de
nouvelles identités (identité visée). La relation entre identité forgée et identité visée se structure
sous le mode la continuité ou de la rupture. Les identités se construisent aussi de l’articulation de
ces deux grands types de transaction. » (Doray, 1991 : 309). Ainsi, les relations entre les individus
et leur groupe d’appartenance donne lieu à des stratégies identitaires pour s’affirmer, pour énoncer
son identité devant les autres acteurs sociaux. L’intérêt d’étudier les stratégies identitaires permet de
voir la permanence des identités, dans un groupe ou une population précise, mais aussi chez
l’individu qui va actualiser certaines identités, car celles-ci ne sont pas données une fois pour toutes,
n’existant que dans leurs actualisations (Baudry & Juchs, 2007 : 166) .

Dans notre sujet, les identités à observer se caractérisent sous le terme d’identité genrée,
rapporté aux joueuses et joueurs compétitifs du jeu vidéo en France. On pense notamment que c’est
par l’acception plus ou moins forte de l’identité genrée dominante, que l’on pense ici fortement
masculine pour les joueurs et conformément féminine pour les joueuses, que l’on pourra percevoir
la force avec laquelle la reconnaissance s’effectue : c’est donc simplement la mesure de la
reconnaissance ou de sa différence en fonction de l’identité genrée de l’individu observé, qui n’est
pas forcément exclusif à la distinction entre identité féminine et masculine dominante. Notre intérêt
est donc de questionner les stratégies identitaires, si elles sont présentes, pour voir le décalage qui
peut s’opérer entre l’attribution d’identités, notamment de genre, qui sont plus ou moins en accord
avec l’identité pour soi que les joueuses et joueurs revendiquent au sein de l’espace social qu’est la
scène esportive. Comme l’explique Robinson Baudry et Jean-Philippe Juchs, on pense que l’analyse
des identités est possible par une étude du discours des individus, du langage qu’ils utilisent pour se
définir, pour se nommer, et donc en quelque sorte se présenter aux autres. On pense aussi que dans
la définition d’une identité genrée, les joueuses et les joueurs ne se définissent pas seulement dans
une dialectique entre identité masculine et identité féminine traditionnelle. Par le parcours atypique
des joueuses, qui évoluent dans un milieu fortement masculin, on stipule la présence d’une variété
d’identités masculines et féminines, de masculinités et de féminités, qui vont nous permettre de voir
quelles sont les valeurs, les façons de présentation de soi, ou autres éléments pertinents dans
l’identité de genre qui vont permettre une reconnaissance. Nous ne faisons pas de typologie, même

42
si nous nous aidons des propos de Christine Mennesson concernant les footballeuses. On peut
néanmoins penser que, du côté des joueuses, on est une certaine hiérarchie, allant du plus
« féminin » traditionnellement, à un comportement et une présentation de soi plus « masculine », à
l’image des « garçons manqués » qu’évoque Christine Mennesson lorsqu’elle parle de la
socialisation sexuée « inversée » des footballeuses qui intègre, dès leur plus jeune âge, des équipes
mixtes de football74. Il faut donc prendre en compte les identités de genre des joueuses a priori
intégrées et reconnues pour voir leur parti pris sur les questions de féminisation du milieu
vidéoludique dans la scène e-sport. C’est seulement à partir de l’identification de leurs
comportements de genre, de leur présentation de soi en tant que femme plus ou moins « masculine »
(ou pas du tout), que nous pourrons envisager les positions vis-à-vis de l’accueil de nouvelles
joueuses dans cet univers, et de leur contrôle. De plus, cette volonté d’accueillir plus de joueuses
reste plus complexe à questionner dans un cadre aussi fermé et structuré que la pratique compétitive
du jeu vidéo, là où on questionnait seulement une pratique régulière du jeu vidéo en ligne, où les
joueuses pouvaient accéder à la pratique comme la plupart des autres joueurs, sans pour autant avoir
un objectif compétitif et un engagement spécifique. Ainsi l’hypothèse visant à montrer une tension
entre identité pour autrui et identité pour soi n’est pas assez approfondie, n’intégrant pas la variété
des féminités, et les positions contradictoires des joueuses, qui peuvent se comporter selon les
normes sexuées dominantes tout en critiquant ces dernières dans leurs discours. On pourrait y
intégrer le cas des transgenres dans la question des identités de genre, en s’intéressant à leur
revendication ou plutôt à l’ostracisme de leur genre au sein de la scène compétitive. Mais, comme
expliqué précédemment, l’inclusion des transgenres dans le questionnement complexifierait
l’analyse et la recherche, qui dans le temps donné, ne permet pas déjà de questionner toutes les
masculinités et féminités que l’on pourrait rencontrer au sein de cet espace 75. De plus, dans sa forme
de base, l’hypothèse n’intègre pas l’avis des joueurs vis-à-vis de la question de la possible
féminisation du jeu vidéo, alors que leurs discours nous éclairerons sûrement sur l’évolution de la
scène sportive vidéoludique dans sa globalité, du côté du circuit féminin comme masculin dans les
jeux où ils sont présents. Il fallait donc la spécifier, bien que sa forme de base peut recouvrir des
comportements de joueuses qui tiendrait cette position, de façon inconsciente, notamment celles qui
veulent se distinguer des joueuses trop « féminines »76. Cependant, le matériau récolté ne permet
pas de valider ou invalider la présence de « masculinités » et « féminités » dans le cadre de la
74 Pour plus de détails : Christine Mennesson, Être une femme dans le monde des hommes : socialisation sportive et
construction du genre, Paris, Harmattan, 2005, p.99-125.
75 D’un point de vue de l’intérêt scientifique, la recherche vise à éclairer des catégories, des modèles sur les identités
de genre, en les actualisant au cadre vidéoludique pour voir le lien entre reconnaissance et genre.
76 Nous en revenons toujours à la multiplicité des masculinités et féminités, qui auront un parti pris plus ou moins
différent sur cette question de la féminisation de la scène esportive du jeu vidéo. Le point tient donc aussi pour les
hommes, même si leur présence dans un milieu fortement masculin semble plus évident et moins discutable.

43
pratique compétitive du jeu vidéo. En effet, l’étude et l’analyse de comportements genrés différents
n’est possible que si l’on y investit un temps plus important, par le biais d’observations prolongées,
en suivant notamment des équipes amateures/semi-professionnelles/professionnelles dans leur
pratique, au sein des compétitions, mais aussi en interrogeant les différents acteurs de ce domaine :
coach, manager, organisateur d’évènement, commentateurs, joueurs, une multitudes d’acteurs au
sein de l’esport en France. Nous gardons donc cette hypothèse pour une future recherche qui
impliquerait plusieurs années pour observer ces comportements et percevoir les similitudes et
différences avec le monde du football féminin ou du jazz.

Les effets d’une telle tension identitaire se verrait dans la réalisation de soi : les joueuses et
joueurs aux identités contradictoires peineraient à se réaliser. Cela donnerait des situations où les
joueuses seraient estimés dans leur pratique professionnelle, dans des ordres de valeurs plutôt
« masculins », mais dans une honte de soi lorsqu’elles se rapporteraient à leur identité pour soi qui
n’accepte pas ce principe de rejet, de stigmatisation des joueuses, relayés au second plan de la scène
esport. Bien entendu, cette réversibilité entre estime et honte de soi peut être contrée par la
confiance en l'autre et en soi, le respect social et le respect de soi, ou encore l'estime social et
l'estime de soi, par une reconnaissance qui inclurait l’identité sociale de l’individu, et donc de
l’identité pour soi et pour autrui. La réversibilité intervient donc quand il y a un écart, avec des
tensions internes aux joueuses et à leurs expériences vidéoludiques, puisqu'elles chevaucheraient
des rôles contradictoires, donnant lieu à une « gymnastique » entre des valeurs, des principes
opposés. L'exemple le plus approprié vient de Catherine Discroll dans « Genre et jeux vidéo » : elle
nous fait le portrait de joueuses peu reconnues dans leurs différences, se retrouvant à encourager
d'autres filles/femmes à jouer tout en surveillant scrupuleusement celles qui rentrent dans leurs
groupements, par peur qu'elles « fassent des histoires », et donc décrédibilisent la reconnaissance
durement obtenue par les joueuses « confirmées ». L'identité pour soi et pour autrui sont donc des
notions qui serviront à parler de certaines positions qui peuvent être contradictoires dans
l'expérience des joueuses, positions qui vont ensuite donner lieu à des cas de réflexivité, des
épreuves. Il nous reste encore à évoquer le terme de monde social, concept englobant nos réflexions
et nos analyses.

44
7. Monde social et monde social du jeu vidéo

Concept englobant les précédentes réflexions, il faut le définir dans sa globalité avant de
l'actualiser à notre sujet. Thématisé par Shibutani Tamotsu, Anselm Strauss et Howard S. Becker, il
est défini autour de deux notions antérieures : la notion de « champ d'expérience » et « d'univers de
discours ». Combinatoire de ces deux notions, le monde social est défini :

« comme un réseau de perspectives sur des perspectives, relativement stabilisé et clos sur
lui-même, avec une distribution de rôles et de statuts, des idiomes partagés de participation, une
allocation de droits et de devoirs, une concession de privilèges pour les insiders et une régulation de
l'accessibilité pour les outsiders »77.

Dans cette définition, l'individu va expérimenter le monde social en interagissant avec


d'autres « Soi », contenu dans une perspective qui n'est pas vraiment singulière puisque l'individu
est pris dans une perspective reliée à celles qui sont présentes dans le monde social. Il y a donc des
perspectives organisées ou générales qui sont acceptées dans le monde social expérimenté par
l'individu. Il expérimente ce monde « en définissant des situations et ce faisant, en se définissant
soi-même et en définissant des objets physiques et objets sociaux »78. On retiendra de ce concept
qu'il y a des expériences qui font sens par des objets et gestes, expliquant donc qu'un monde social
donne lieu à des expériences « sensées », mais aussi des discours sur ces expériences, permettant de
reproduire ou redéfinir ces champs d'expérience. Cela veut donc dire que par nos conduites, nous
indiquons aux autres et à nous même (par le biais d'une réflexivité) les caractéristiques d'une
situation qui nous importent, celles qui ont du sens et celles que l'on néglige. On relativisera ce
point en le rapportant à la notion de reconnaissance, où les individus peuvent mettre de l'importance
dans des caractéristiques précises d'une conduite pour ne pas être décrédibilisés, voir exclus du
monde social expérimenté. On rapporte ces lignes d'actions, ces perspectives par le biais du concept
d'« Autrui généralisé ».

On le définit comme une « transcendance dans l'immanence »79, c'est-à-dire qu'il


« gouverne » en quelque sorte les actions, les conduites des individus contenus dans le même
monde social. Il faut relativiser : il n'est pas une instance transcendante, il est notamment influencé
par les situations et les actions des individus, la perspective de l'Autrui généralisé est en constant
changement, à l’image de l’ouverture de la norme dans la reconnaissance. Si l’on revient au monde
77 Daniel Cefaï, Mondes sociaux, 2015, p.2.
78 Ibid p.2.
79 George Herbert Mead, L'Esprit, le soi et la société, Paris, Presses universitaires de France, 2006 (1934), p.89-90.

45
social, celui-ci est composé de perspectives qui sont les lignes d'actions acceptées par les acteurs,
qui font appel à des valeurs, des objets, des personnes et des règles. Dans ce cas, l'individu peut être
ramené à plusieurs identités en même temps : on pense aux cas des joueuses qui peuvent être
rapportées à leur statut de pratiquante de jeu vidéo et leur statut de femme.

Monde social et reconnaissance sont reliés : si il y a désorganisation personnelle ou sociale


dans un monde social, on peut avoir des cas de « dissociation de la personnalité » et donc une
réversibilité entre estime de soi et honte de soi. Déjà expliqué par le biais du concept de
reconnaissance, il interviendrait lorsque les actions entreprises sont désajustées par rapport aux
rôles, et donc par rapport à une perspective dominante. On aurait donc l'apprentissage d'une « bonne
conduite » par le biais d'essais et d'erreurs, d'anticipation des attentes d'autrui vis-à-vis du Soi de
l'individu, qui peut être rappelé à l'ordre lorsqu'il ne respecte pas les principes d'une légitimité
« majoritaire ». La légitimité observée pour la pratique compétitive du jeu vidéo en ligne faisait
mention d’une rationalisation du temps de jeu, dans l’objectif d’accumulation du capital spécifique
au jeu. Cette rationalisation nous semble d’autant plus forte pour la pratique professionnelle, qui
nécessite un engagement fort, un rythme soutenu où s’enchaîne entraînements individuels,
entraînements collectifs et compétitions. Il nous faut cibler les éléments qui légitiment clairement
cette pratique esportive, qui la spécifie au regard des autres pratiques vidéoludiques.

Le monde social est aussi composé de divisions, qui se constituent au gré des perspectives
acceptées par ces divisions. Les individus ne sont pas restreints à un monde social, mais
expérimentent plusieurs mondes sociaux, reliés entre eux par des frontières floues. Ce flou entre les
mondes sociaux donne lieu à un « embrouillamini de trajectoires et de positions qui ne tiennent pas
en place et qui défient l'analyse de réseaux. »80. A l'intérieur d'un même monde social, on percevrait
des divisions construites selon l'acceptation de perspectives qui ne sont pas acceptées forcément de
la même manière, avec le même degré d'engagement et le même nombres de perspectives. Dans le
cadre du jeu vidéo, ces divisions s'axeraient en fonction des pratiques vidéoludiques. Mais comme
pour l'acte de reconnaissance et la notion de légitimité, le réseau de perspectives et de perspectives
sur perspectives se transforme tout en étant fixé par des habitudes et attitudes collectives, une
certaine structure présente dans le monde social.

Originalement, on considérait le monde social du jeu vidéo comme relativement stable, avec
des divisions caractérisées par des pratiques vidéoludiques, mais aussi propres à un support précis,
un jeu précis ou encore un genre de jeu. Le monde social du jeu vidéo n'est pas clos, et rejoint la
même perspective que l'on a intégré pour la définition du jeu vidéo. A l'image des hétéronomies et

80 Samuel Coavoux, Comment un monde social se construit, p.6.

46
des contingences, le monde social du jeu vidéo fait rentrer des facteurs exogènes au jeu vidéo,
demandant une autonomisation permanente de ce monde social. Cela va de pair avec l'idée de
perspectives multiples désignant des engagements multiples dans le monde social du jeu vidéo. La
bonne coordination des perspectives n'est donc pas donnée comme telle, traversant des crises, des
conflits qui changent en permanence dans cette coordination : la perspective de l'Autrui généralisé
se modifie en permanence, même pour le monde social du jeu vidéo. Le changement prendrait tout
de même une certaine durée à se mettre en place, à l'image de la modification des normes qui ont
toujours un poids contraignant, et donc l'idée d'une certaine stabilité qui vient à être modifiée lors de
grands changements. Lorsque toutes les perspectives sont vues comme légitimes par chacun des
acteurs adoptant ces perspectives, on voit que la définition d'un centre est compliqué : n'importe
quelle perspective peut valoir comme centre, et selon les actions ou les événements, les zones
périphériques peuvent devenir centrales, le reste du monde social devant se réordonner autour de ce
foyer. Cela montre donc les possibles situations de domination, de rapports de force : des relations
d'asymétrie, de contrôle, de subordination et parfois de violence peuvent subsister dans des rapports
sociaux non réciproques. C’est pourquoi nous stipulons que la pratique professionnelle est
spécifique à la division compétitive du monde social vidéoludique, notamment car celle-ci est
composée d’individus dont le niveau de jeu n’est pas à remettre en cause, ou du moins possédant un
engagement très fort. Nous ne tranchons donc pas la question du foyer central en faveur de la
pratique professionnelle, revenant à prôner un certain élitisme vis-à-vis de l’esport alors qu’il existe
une multitudes de pratiques vidéoludiques. On pense néanmoins que la pratique compétitive
représente tout de même une division importante qu’il ne faut pas négliger. Enfin, ces rapports de
force et cette hiérarchisation peuvent se renforcer par le biais des « obstacles cognitifs », dont on
pense qu'ils créeraient une hiérarchisation par le sexe dans le monde social du jeu vidéo. Les
outsiders ne seraient plus seulement régulés par la condition de pratiquer le jeu vidéo, mais aussi
selon leur sexe, ou leur engagement dans le jeu vidéo.

47
8. Concept de carrière et de capital

Le concept de carrière nous provient essentiellement de l'approche de Samuel Coavoux


lorsqu'il traite de la pratique compétitive. Il la définit comme « la modélisation du processus
d'engagement dans une pratique sociale »81. Le but est de comprendre comment un individu en vient
à occuper une position particulière dans un espace donné, à savoir le monde social du jeu vidéo.
L'intérêt nous vient de sa focale sur les pratiques, en y ajoutant une autre focale sur les individus
pour comprendre dans sa globalité les pratiques. On va donc voir « ce qui est régulier et récurrent
d'un côté, et ce qui est unique de l'autre » (Hughes, 1996 : 76).

Dans cette perspective, le concept de carrière est à rallier au concept de capital, réactualisé
par Coavoux pour l'intégrer dans le jeu vidéo. Au sens de Pierre Bourdieu, les capitaux découpent
l'espace social en un certain nombre de champs et de sous-champs dans lesquels les agents sociaux
s'affrontent, chacun ayant une dotation plus ou moins différente en termes de capitaux. On
dénombre trois capitaux : le capital économique constitué par des facteurs de production
traditionnels (revenus, installations productives) ; le capital culturel que Bourdieu distingue en trois
états : l'état incorporé dans chaque agent social (c'est-à-dire les dispositions inconscientes et
durables de l'individu acquises dans l'habitus), l'état institutionnalisé comme le titre scolaire et l'état
objectif qui sont les objets matériels et culturels que possède l'individu ; le capital social qui est le
« carnet d'adresses » de l'individu, c'est-à-dire les différentes relations que possèdent l'individu et
qu'il doit entretenir en permanence et tout au long de son existence ; et le capital symbolique qui est
la « reconnaissance » par autrui de l'agent social et de ses qualités, donc de ses capitaux 82. Dans sa
réactualisation, Coavoux considère deux capitaux : le capital humain (compétences, expériences,
niveau du personnage) et le capital économique (équipement, objets magiques possédés par le
personnage) (Coavoux, 2010 : 4). Comme exprimé auparavant, nous rajoutons le capital culturel,
défini comme la maîtrise d'un jeu ou d'un genre de jeu par un joueur, ainsi que le rang possédé par
le joueur dans les classements internes aux jeux, principal élément de distinction à niveau élevé,
lorsque le capital économique et humain est à son maximum. Ces classements internes se
substituent en compétitions, en classement propre aux joueurs professionnels pour la pratique
étudiée : ils sont toujours spécifiques au jeu joué mais recouvrent alors une partie extérieure, qui
n’est engagé que dans des regroupements de joueurs esportifs au sein de tournois, de compétitions,
de championnat. Si l’on repart sur les capitaux, ils ne sont plus définis autour d’un habitus unifié

81 Samuel Coavoux, La carrière des joueurs de World of Warcraft, p.2.


82 Howard S. Becker, Dictionnaire de la sociologie, p.76-77.

48
comme Pierre Bourdieu, qui rappelons-le, « renvoie d'abord aux apprentissages par lesquels des
perceptions, des jugements ou des comportements sont véhiculés et inculqués pendant la
socialisation individuelle »83. On reprend ici un « habitus pluriel », qui montre la pluralité des
dispositions acquises par l'individu, venant de plusieurs instances de socialisation parfois
contradictoires. Cette conception nous permet d'englober une socialisation qui serait spécifique au
monde social du jeu vidéo, et plus précisément de la pratique compétitive avec ses propres normes
et valeurs. Cependant, l'approche d'une structure mise en action revient toujours : on envisage que
ces socialisations se modifient au fil des interactions entre les individus, et des discours sur les
pratiques et autres éléments propres à cette socialisation vidéoludique. Ce dernier point nous permet
d’intégrer le travail réflexif des acteurs, qui au fil des essais et des erreurs, apprennent différents
rôles au sein de la variété des mondes sociaux côtoyés.

Le cadre théorique est posé, composé avec les hypothèses qui en découlent : il nous reste à
décrire la méthodologie souhaitée pour interroger et englober nos questionnements sur la population
des joueuses et joueurs compétitifs du jeu vidéo.

83 Ibid. p.385.

49
III - Méthodologie de la recherche

1. La population des joueuses et joueurs compétitifs du jeu vidéo en


France

La population interrogée est exclusivement composée de pratiquants compétitifs du jeu


vidéo. A l’instar de notre recherche sur les joueuses régulières de jeu vidéo en ligne, seul le critère
du type de pratique est gardé. Nous reprenons à ce titre les mêmes distinctions faites dans la partie
sur la définition de la pratique compétitive et professionnelle. Cette caractéristique nous permet de
cibler des individus investis dans le jeu vidéo, des joueurs et des joueuses qui vont avoir un rythme
soutenu autour d’un jeu en particulier, composé d’entraînements avec les autres membres de
l’équipe, de réunions où ils se mettent en accord sur les stratégies a opérer pendant les matchs,
notamment en visionnant des parties des meilleurs joueurs pour appréhender leur style de jeu 84.
Nous verrons néanmoins plus tard que tous les joueurs et les joueuses ne s’accordent pas sur tous
les points d’une pratique professionnelle du jeu vidéo, du bon joueur professionnel, même si
plusieurs similitudes ressortent. De plus, leur parcours compétitifs nous permettra de voir en quoi la
définition commune d’une pratique professionnelle ne peut pas convenir pour désigner l’expérience
des esportifs en France, trop restreinte notamment concernant les possibilités de vivre pleinement de
cette activité85. On pense aussi que le critère de l’exposition du sexe n’est plus valable dans la
dimension professionnelle des pratiques vidéoludiques tout simplement car les pratiquants contenus
dans la scène esport sont forcément connus puisqu’ils sont médiatisés, et donc reconnus comme
femme ou homme du point de vue du sexe. De plus, à l’instar des sports traditionnels, aucun test
n’est passé pour déterminer si les individus sont femmes ou hommes biologiquement. En effet, le
circuit professionnel masculin n’a pas de restriction de sexe comme on pourrait le croire puisqu’il
est mixte dans ses règles. Nous verrons donc les facteurs qui ont pu influencer le développement
d’un circuit mixte quasi exclusivement par des hommes. Dans tous les cas, ce sont les joueuses et
les joueurs qui se revendiquent homme ou femme dans les compétitions et n’ont pas besoin de
passer de test pour déterminer leur sexe, puisque le jeu vidéo ne stipule pas de différences
biologiques entre hommes et femmes qui pourraient différencier leurs performances. Nous ne
prenons pas d’autres critères, l’âge nous important peu dans les analyses bien qu’il sera demandé,

84 C’est notamment le rôle du manager ou coach de coordonner les individus d’une même équipe, d’organiser un
planning d’entraînement, de les préparer en faisant un travail de recherche vis-à-vis des stratégies à développer pour
l’équipe, des éléments à améliorer vis-à-vis des résultats des derniers matchs.
85 Manon, joueuse professionnelle interrogée l’année dernière, se considère elle-même comme semi-professionnelle
car elle ne vit pas de sa pratique du jeu vidéo. Cependant, on a observé que cela provient plus de difficultés
financières à vivre de cette passion que d’une non-volonté de s’engager corps et âme dans sa pratique.

50
comme le diplôme, deux caractéristiques qui nous permettrons tout de même de relativiser certaines
analyses qui seraient trop portées sur le genre exclusivement. Enfin, la position géographique n’est
pas un facteur pris en compte dans la sélection et dans l’analyse, tout simplement parce que les
enquêtés seront essentiellement interrogés par le biais du logiciel Skype86, et donc possiblement
situé dans des zones très différentes. On restera bien entendu avec des joueurs et des joueuses
françaises, pour une facilité de communication et de retranscription de leurs discours et pensées. A
ce titre, nous ne donnons pas de coloration géographique à la scène compétitive du jeu vidéo, car les
joueuses et joueurs professionnels vont tenter de concourir à des compétitions en dehors de la
France, pour ainsi se classer dans les meilleurs joueurs du monde. Ainsi, des championnats comme
le Capcom Pro Tour87 se situe en France comme dans de nombreux autres pays du monde entier.
Cependant, même si les joueurs et joueuses peuvent concourir à des compétitions hors ligne hors
France, nous désignerons par développement de la scène esportive française l’évolution de l’esport
en France, et les possibilités de carrière professionnelle des joueuses et joueurs français, toujours en
se rapportant aux scènes compétitives des jeux joués, et donc à leurs spécificités. Se pose encore la
question des tournois virtuels : Doit-on les intégrer en tant que rencontre entre joueurs et joueuses ?
On peut les considérer comme le début d’une pratique compétitive plus poussée, où les joueurs
tentent leur chance en se mesurant dans un cadre plus restreint avec un gain financier et/ou matériel
à la clé. Cependant, on pense qu’ils ne mettent pas autant en avant le rapport entre joueuses et
joueurs car il n’y a pas de rencontre physique, et l’on connaît les stratégies pour qu’une joueuse
puisse se cacher derrière une identité masculine. C’est pour cela que nous ne l’intégrons pas comme
critère principal, bien qu’on pense que les joueuses et joueurs interrogés participent à de tels
tournois qui sont des bons exercices d’entraînement et un moyen d’avoir des gains financiers. Il
nous faut maintenant parler de la prise de contacts qui s’est déroulée tout au long de cette enquête.

86 Skype est un logiciel qui permet aux utilisateurs de passer des appels téléphoniques ou vidéo via Internet, mais
aussi d'envoyer des messages, de transférer des fichiers ou de faire une visioconférence.
87 Le Capcom Pro Tour est une série de tournois internationaux qui se forme en 2014, anciennement sur Street Fighter
4, pour être actuellement sur Street Fighter 5. Sponsorisé par le développeur Capcom, il est présent dans des
endroits comme le « Stunfest », festival de jeu vidéo mais aussi point de rendez-vous important des joueurs
compétitifs de jeu de combat à Rennes, mais aussi en Chine ou encore au Japon. Cibler donc la France comme zone
géographique des compétitions esportives seraient donc trop restrictif, limitant seulement au classement des joueurs
évoluant seulement en France.

51
2. Une prise de contact discontinue

La prise de contacts avec les futurs enquêtés commence par l’intermédiaire de Manon,
joueuse semi-professionnelle qui consacre une grande partie de son temps à sa pratique sur Counter-
Strike. Débutant en février, nous obtenons très rapidement le contact d’une joueuse (Annabelle) elle
aussi semi-professionnelle sur Counter-Strike. Seule intermédiaire, qui nous permet notamment de
remanier notre guide d’entretien, les autres enquêtés ont du être trouvé par le biais d’une recherche
sur les réseaux sociaux, et notamment Twitter, réseau social où les joueurs et joueuses sont plutôt
actifs, à l’écoute notamment de leurs abonnés. S’ensuit alors une longue période s’étendant sur plus
de deux mois où le contact avec les joueurs et joueuses ne fut pas des plus simple, notamment car la
plupart ne répondaient pas aux messages envoyés. Là où les anciennes enquêtes laissaient place à
une prise de contacts dans des cadres physiques, notamment avec la création d’affiches déposées
dans des lieux côtoyés par les joueurs, la nécessité de cibler des individus à la pratique
amateure/semi-professionnelle/professionnelle nécessitait de faire des recherches préalables sur
Internet avant de les contacter. Contactant au total 20 personnes, par le biais de Facebook et de
Twitter, nous avons donc réussi à interroger 5 joueurs et 3 joueuses. Concernant les joueurs, la
quasi-totalité des entretiens ont pu être réalisé lors du Stunfest, qui s’est déroulé du 14 au 20 mai
2018, et dont le dernier fut interviewé par le biais de Discord 88 suite à son impossibilité de se
déplacer à l’évènement. Cette étape d’entretien avec les joueurs a notamment nécessité une
modification du guide d’entretien pour intégrer la spécificité des jeux de combat qui sont des jeux à
l’investissement individuel, notamment car une grande partie des tournois sont individuel, les
joueurs ne pouvant compter que sur leurs propres performances. Cette deuxième prise de contacts
s’achèvent donc avec les joueurs de jeu de combat, pour laisser place à la dernière prise de contact,
plus complexe puisque l’objectif est de trouver des joueuses compétitives, et idéalement dans une
pratique professionnelle. Celle-ci s’opère aussi par le biais de Twitter, avec plusieurs recherches
préalables sur Internet, tout en ciblant de nombreuses joueuses reconnues, dont la plupart ne
répondaient pas ou ne pouvaient tout simplement pas suite à un emploi du temps trop chargé. Ce
dernier point est notamment une des difficultés lorsqu’on enquête autour de joueurs dont leur
pratique nécessite un investissement importante, des horaires régulières et des déplacements
fréquents à plusieurs compétitions. Dans tous les cas, cette prise de contacts nous permet
d’interroger deux joueuses compétitives sur League of Legends, dont l’une a servie d’intermédiaire
88 Discord est un logiciel gratuit de serveurs vocaux où les individus l’utilisant peuvent se retrouver pour
communiquer ensemble. Outre son aspect gratuit, concurrençant Teamspeak et Mumble, Discord peut être utilisé
sur navigateur Internet ou directement être téléchargé comme logiciel sur ordinateur comme sur téléphone portable.

52
pour interroger la suivante, possédant un certain nombre d’abonnés lui permettant de relayer
l’information à plusieurs personnes connaissant ou non des joueuses esportives.

C’est avec ces deux derniers entretiens que l’enquête se finit, cumulant ainsi 8 entretiens,
dont 5 joueurs et 3 joueuses. On peut expliquer cette plus grande difficulté de trouver des joueuses
compétitives, qui figurent au minimum dans une pratique amateure, comme résultant de la
proportion moins importante de joueuses compétitives par rapport aux joueurs qui, pour la plupart,
possèdent un sponsor qui leur permet de retirer une rémunération plus ou moins importante, ou du
moins finance leurs déplacements aux compétitions hors ligne. Néanmoins, nous verrons tout au
long des analyses que les enquêtés fournissent de nombreuses convergences, ainsi que de nouvelles
réflexions non appréhendées avant le début de cette enquête, nous permettant ainsi de développer
une réflexion sur le développement de l’esport en France, allié aux spécificités que les jeux
compétitifs peuvent contenir. Il nous faut maintenant passer à la seule technique d’enquête utilisée
tout au long du terrain, à savoir l’entretien.

53
3. L'entretien : une priorité aux expériences et aux sens des acteurs

Dans un souci d’englober cette réalité qui peut être complexe et contradictoire, de
nombreuses questions ont été élaborées pour nous guider lors des entretiens. Cette anticipation des
thèmes abordés au sein des futurs entretiens vient réduire les risques d’impasses au sein des
entretiens, d’interrogations non comprises ou d’impossibilité à continuer les échanges. Notre
posture, compréhensive, converge avec l’objectif de comprendre le sens que les acteurs donnent à
leurs actions, les représentations qu’ils ont de la pratique professionnelle et de la scène esport, mais
aussi vis-à-vis des questions de genre, d’identité de genre. Cette technique contient tout de même
des limites, dont celle relative à l’effet d’imposition. Celui-ci revient à guider un enquêté à un
certain type de réponse, non parce qu'il pense comme cela et qu'il veut l'exprimer, mais plutôt qu'il
pense que c'est de cette façon que la question doit être répondue, en vue de satisfaire l'enquêteur. On
le voit souvent lors d'incompréhensions sur certaines questions, lorsque l'enquêteur doit expliciter
plus précisément ce qu'il veut amener dans la question. En effet, les enquêtés vont reprendre les
mêmes termes et se diriger dans cette direction, sans nécessairement le comprendre de cette manière
dans leurs jugements et opinions. L’autre limite, qui la situe comme technique d’enquête qualitative,
est la difficulté à quantifier, à posséder un échantillon représentatif. La dernière limite dans
l’utilisation des entretiens se situe dans l’analyse : c’est le fait de posséder un matériau nuancé mais
contradictoire par moments. Les enquêtés peuvent tenir des discours divergents, voir se contredire
lors de l’entretien. Ce dernier point, par une méthode rigoureuse, peut être corrigé, en mettant en
rapport les entretiens entre eux, mais aussi les lectures qui vont permettre de détailler les propos des
enquêtés. Il peut aussi être corrigé par un guide d’entretien qui explicite clairement les questions et
termes utilisés et qui limite les interprétations divergentes.

54
IV – La reconnaissance des joueuses et joueurs compétitifs de
jeu vidéo en France

1. Le contexte vidéoludique

Avant de débuter précisément sur la pratique compétitive des joueuses et des joueurs
interrogés, il nous faut commencer par une contextualisation visant à situer les débuts de chacun
dans le jeu vidéo, mais aussi de voir leur passage d’une pratique vidéoludique de loisir à une
pratique compétitive, plus sérieuse. De plus, même si nous avons déjà décrit le monde social du jeu
vidéo, il est important de préciser en quoi le jeu vidéo est toujours considéré comme un univers
masculin, et comment les représentations contenues dans les univers vidéoludiques peuvent nous
permettre de signifier la « coloration » masculine de ce média.

1.1 Début de la pratique vidéo ludique : entre initiation et groupements

1.1.1 L’initiation au jeu vidéo : l’entourage familial et amical

La seule façon de commencer une pratique vidéoludique reste encore de jouer directement
au jeu, comme le décrit Howard Becker lorsqu'il explique que la pratique précède le statut, et donc
que le jeu fait le joueur et non le contraire 89. L'initiation constitue la première étape d'une pratique
compétitive selon Coavoux, et dont nous pensons qu'elle constitue seulement l'entrée dans une
carrière vidéoludique et non forcément compétitive. A ce titre, les pratiquants s'introduisent
schématiquement de deux façons : « par les pratiques antérieures du jeu vidéo et par un proche. »90.
On note que parmi ces deux voies, les joueuses et joueurs compétitifs débutent majoritairement par
le biais d’un proche, exclusivement de l’entourage familial côtoyé par l’individu. Ainsi, Laurent

89 Howard Becker, Outsiders, 1985, p.64.


90 Samuel Coavoux, La carrière des joueurs de World of Warcraft, p. 4.

55
commence dès son plus jeune âge sur les jeux vidéo par le biais de son frère joueur mais aussi ses
deux parents qui perpétuent une pratique occasionnelle sur les jeux vidéo. Celui-ci est directement
introduit par un entourage familial joueur, avant de partir sur une pratique plus régulière et
compétitive sur Street Fighter 4 avec un pair, débutant ensemble sur le jeu. Ce schéma se retrouve
dans la plupart des initiations présentées, notamment car ce sont les parents qui permettent au
joueur de jouer en lui organisant un cadre propice à la pratique. Ce cadre dans certains cas n’est
autre que l’acceptation de la pratique vidéoludique avec l’achat de support de jeux, de matériels de
jeux ou de jeux vidéo permettant ainsi au joueur de débuter et/ou de continuer sa pratique sur un
support qui lui « appartient » au sens qu’il en est l’utilisateur principal. Dans d’autres situations, le
cadre offert par les parents, par l’entourage familial permet au joueur d’être accompagné sur les
premiers jeux auquel ils jouent, en ligne ou non. Christian explique ainsi avoir été initié au jeu
vidéo par le biais de son oncle qui l’introduit aussi dans l’apprentissage des bases, de la technique
au sens du savoir et des connaissances de base pour jouer au jeu.

D’autres joueurs, comme Quentin, n'ont pas d’idée précise quand à leur commencement du
jeu vidéo, notamment car leur pratique est tellement antérieure qu’il est compliqué d’avoir des
souvenirs précis des premiers jeux joués. Dans ce cas, les enquêtés désignent d’autres étapes dans
l’initiation, relatif au début d’une pratique compétitive par l’introduction à un nouveau jeu. Ce
dernier explique donc le rôle majeur de son cousin qui l’initie aux jeux de combat et le forme tout
au long de sa pratique qui va ensuite devenir compétitive, et qui va même s’extérioriser dans des
compétitions hors ligne, toujours accompagné de son cousin. L’initiation par l’entourage familial est
donc une des premières et principales voies pour débuter le jeu vidéo. Néanmoins, il faut relativiser
ce constat puisque cette plus grande proportion de l’initiation par la famille est à entendre dans deux
sens. Le premier relève d’une initiation au jeu vidéo par l’achat de supports de jeu, que le joueur
obtient par le biais de sa famille. Celui-ci est un des plus importants généralement et permet au
joueur de commencer la pratique, de la perpétuer voir d’y investir un usage plus important sur le
plan du temps. En effet, l’obtention de supports de jeux personnels permet au joueur de réellement
investir sa pratique de manière indépendante sans forcément obtenir un accord du détenteur du
support vidéoludique. Ce point est tout de même à relier avec les contraintes sociales, le cadre
familial donnant plus ou moins de règles vis-à-vis de la pratique vidéoludique 91. Le deuxième peut
suivre cette direction d’achats de supports personnels pour le joueur, mais accompagne aussi le
joueur dans ses premières aventures vidéoludiques, celui-ci s’accordant par exemple sur le même

91 Nous reviendrons sur ce point dans la partie concernant la vision de l’entourage des joueurs, permettant ainsi de
comprendre en quoi la pratique vidéoludique peut être discréditée, tandis que le jeu vidéo reste un média
généralement accepté dans la société française.

56
jeu que son entourage familial. C’est le cas de Laurent qui regarde son père jouer à Counter-Strike
avant de recevoir son propre ordinateur et le jeu et ainsi commencer le jeu entouré du groupe de
joueurs de son père. L’échantillon interrogé se détache par une entrée dans le jeu vidéo qui implique
des parents joueurs, là où une plus grande partie des joueuses interrogées l’année dernière débutent
par le biais de la fratrie, et notamment du frère qui constitue une première entrée dans le jeu vidéo.
Noémie débute ainsi par le biais de son frère mais aussi par le biais de ses parents, ses cousins qui
jouent tous ensemble sur le MMORPG « Dofus »92. Une si grande présence de la famille dans le
début d’une pratique vidéoludique reste tout de même rare mais permet de voir que le jeu vidéo
peut ainsi figurer comme une activité familiale où les individus se regroupent pour partager un
moment ensemble. Dans tous les cas, on voit que l’initiation par le biais de l’entourage familial,
dont les parents constituent une importante part dans l’échantillon retenu (5 entretiens sur 8, le
restant montrant une introduction par un frère ou un cousin), est une des voies les plus représentées
pour l’initiation au jeu vidéo. L’introduction au jeu vidéo ne se fait donc pas par les pairs, mais
ceux-ci détiennent un rôle tout aussi important : l’introduction à une pratique plus régulière, qui va
tendre vers une pratique compétitive.

Cette pratique régulière qui va suivre les règles d’une pratique compétitive va
essentiellement être introduite par les pairs. Laurent débute grâce à son père, pour ensuite se
constituer un cercle d’amis et ainsi se distancier du groupe de son père, jouant ainsi de façon plus
intensive à Counter-Strike. Il en est de même pour Noémie et Marie qui vont se diriger toutes les
deux sur League of Legends suite au changement de jeu de leurs groupes d’amis, amenant donc à
l’apprentissage d’un nouveau jeu vidéo où chaque joueur est au même niveau au vu de l’entrée
commune dans le jeu choisi. Tous les enquêtés – à l’exception de Quentin qui commence une
pratique régulière avec son cousin – commencent donc à intensifier leur pratique le plus souvent par
l’obtention de supports de jeux personnels, permettant de personnifier leur pratique et leur
investissement dessus, mais aussi avec un groupe d’amis qui va notamment se diriger vers un
nouveau jeu. Ce nouveau jeu constitue le plus souvent le jeu compétitif joué actuellement par les
joueurs, bien que les joueurs de jeu de combat peuvent cumuler plusieurs jeux du même genre dans
leur pratique actuelle93. On peut aussi noter que les jeux qui sont introduits par l’entourage familial
ne sont pas forcément des jeux vidéo en ligne, tandis que les joueurs se regroupent
systématiquement avec leurs groupes de pairs sur des jeux en ligne, notamment car c’est le moyen

92 Dofus est un MMORPG français développé et édité par Ankama, sorti le 1 er septembre 2004. Le jeu est connu
pendant les années 2000 (notamment pour son style cartoon), perdant ensuite de la popularité auprès des joueurs à
partir des années 2010, nécessitant la fusion de plusieurs serveurs francophones.
93 Nous vous renvoyons à l’annexe 2 qui présente le profil sociologique des enquêtés, qui présente les jeux joués dans
la pratique compétitive actuelle.

57
le plus simple de perpétuer une pratique ensemble. Cependant, l’échantillon présenté ici montre que
les joueurs, à l’exception de Quentin et de Christian, commence sur des jeux en ligne avec leurs
familles. Les pairs ont ainsi un rôle d’encouragement à une pratique vidéoludique plus régulière, où
à la découverte de nouveaux jeux ensemble. On peut donc se demander si l’initiation par « les
pratiques antérieures de jeu vidéo » (Coavoux, 2010 : 4) est un processus qui est présent dans
l'expérience des joueuses, distinct de l'initiation par un proche, par un pair. Nous pensons que ces
pratiques antérieures viennent surtout supplanter l’introduction à de nouveaux jeux, pour la plupart
compétitif chez les joueurs, doublé à une introduction à ces jeux par un groupe de pairs. Dans de
rares cas, comme pour Madi, les pratiques antérieures sont le seul facteur qui explique le début sur
le jeu compétitif actuellement joué. De plus, nous verrons que les joueurs de jeu de combat ont plus
de chance d’alimenter une pratique compétitive sur plusieurs jeux de combat, ce qui peut expliquer
aussi cette initiation à de nouveaux jeux par les pratiques antérieures, notamment lorsque ces
anciennes pratiques se regroupent sous un même genre de jeu que celui joué actuellement.

Il nous faut aussi regarder l’âge du début de la pratique vidéoludique pour situer le parcours
des joueurs et des joueuses, et voir si des différences peuvent déjà s’opérer dans cette initiation au
jeu vidéo. De ce côté, la distinction entre joueuses et joueurs n’est pas flagrante : la plupart des
enquêtés expliquent avoir commencé très tôt le jeu vidéo, notamment pour certains qui ne se
souviennent pas d’un moment précis qui désigne clairement leur début sur les jeux vidéo : « j’ai
pas vraiment le sentiment où un moment je me suis dis « aller, je me mets aux jeux vidéo » parce
que ça à toujours été présent dans ma vie. » (Christian). Ce constat est important à noter puisqu’il
représente une grande majorité des joueurs interrogés qui expliquent ne pas se souvenir d’un
moment distinct qui définirait ce moment. Seul Laurent tend à se souvenir d’un moment précis,
qu’il explique par l’obtention d’un ordinateur personnel, lui qui regardait auparavant les parties de
jeu vidéo de son père sur Counter-Strike. Du côté des joueuses, cette définition du début sur le jeu
vidéo est plus clair puisque les trois joueuses désignent un âge relativement précis : 6-7 ans pour
Noémie, 10 ans pour Marie et 22-23 ans pour Annabelle. A l’exception d’une joueuse, on voit donc
que l’initiation au jeu vidéo se fait relativement tôt, invalidant partiellement un des arguments cités
par certaines joueuses qui expliquent l’avantage des joueurs de commencer plus tôt sur les jeux
vidéo. Néanmoins, nous n’invalidons par cet argument qui devra être soumis à de nouvelles
vérifications en ce qui concerne le début de la pratique compétitive, et dont les différences sont un
peu plus visibles entre joueurs et joueuses.

Dans tous les cas, la visée d’une pratique vidéoludique se fait dès le plus jeune âge, le plus
souvent avant l’adolescence, montrant ainsi le rôle majeur de la famille dans l’introduction au jeu

58
vidéo. On retiendra aussi que le facteurs des pratiques antérieures et des pairs est surtout à relayer à
une pratique plus intensive qui va se former dans les différents groupements rencontrés par les
enquêtés.

1.1.2 Les groupements

Dans les univers vidéoludiques, on peut identifier de nombreux types de groupements qui se
distinguent ou convergent par leurs caractéristiques, qui sont spécifiques à certaines fonctionnalités
des jeux explorés. Dans sa façon de considérer la pratique compétitive du jeu vidéo en ligne,
Samuel Coavoux la structure en quatre étapes, entremêlées et dont la dernière de ces étapes est tout
simplement l'intégration d'un groupement compétitif. Centré sur World of Warcraft, on comprend
son positionnement puisque ce dernier jeu nécessite une coordination de joueurs investis pour
participer aux activités lucratives et collectives que sont les donjons et les raids. Mais la pratique
régulière du jeu vidéo peut aussi tout simplement se perpétuer par le biais d’un groupement
composé exclusivement d’amis, d’un cercle d’amis. Coavoux désigne donc l'archétype des
groupements dans les MMORPG, à savoir les guildes. Ce sont des groupes structurés par des rangs
hiérarchisés, une division du travail plus ou moins claire et un chef commun. La plupart du temps,
la guilde est structurée par une fonctionnalité du jeu qui permet d'élaborer un tel type de
groupement directement dans le MMORPG. Si le propos doit être illustré par du concret, Marie et
Madi ont notamment rejoint ce type de groupements dans le même type de jeu. Marie explique ainsi
commencer sa pratique avec Metin 2, MMORPG sorti en juin 2007 en France, où elle rejoint une
guilde avec son frère au début de sa pratique du jeu vidéo. Madi de son côté expérimente très
rapidement ce que Coavoux appelle un groupement compétitif, à savoir une guilde sur le
MMORPG Guild Wars, dont le premier est sorti en 2005. Celui-ci explique ainsi son engagement
très tôt dans ce qu’on appelle une pratique compétitive, avec cet objectif clair de s’améliorer,
d’affronter d’autres joueurs, ici des guildes, dans des modes qui mettent en avant les affrontements
en joueurs, le « PvP ». Ce PvP peut s’incarner dans différents modes : des duels de joueurs, des
affrontements en équipes (4 contre 4, 5 contre 5, 6 contre 6 suivant la taille des équipes dans le jeu
joué), des affrontements entre guildes qui revient à un affrontement entre plusieurs guildes (souvent
classées selon leurs performances), ainsi que le « Monde contre Monde » qui revient à participer à
des affrontements de grande envergure entre des joueurs de différents serveurs où l’objectif revient
à capturer et défendre des structures comme des forts, des châteaux, et où les combats se déroulent

59
entre des centaines de joueurs. Ces deux derniers modes, vraiment spécifiques et qui ne sont pas
propres à tous les MMORPG (du moins pour le Monde contre Monde), ne sont pas tributaires de la
majorité des pratiques vidéoludiques régulières dans ces jeux. Ce n’est notamment qu’avec Guild
Wars 2 que le « Monde contre Monde » apparaît, le premier contenant la compétition dans les autres
modes, dont le « Guilde contre Guilde » que Madi expérimente dans sa pratique compétitive. Ces
indications viennent signifier la particularité des MMORPG qui détient plusieurs façons d’être
compétitif, mais aussi une autre façon de jouer qui ne demande pas un affrontement entre joueurs :
le « PvE » (Player vs Environnement) où le joueur combat des ennemis non joueurs au travers de
quêtes mais aussi de donjons, de raids qui nécessite une coordination collective pour réussir ces
instances.

Si on sort de l’archétype de la guilde largement visible dans les MMORPG, il y a d’autres


types de groupements que l’on a pu schématiser à partir du vécu des enquêtées de l’année dernière,
actualisé ici aux expériences vidéoludiques des joueuses et joueurs compétitifs. Nous pouvons ainsi
voir les équipes, rassemblement d’un petit nombre de joueurs dans le cadre de jeu, effectuant leurs
parties essentiellement ensemble, ou du moins s’exerçant ensemble sur un ou plusieurs jeux. Ces
équipes sont souvent caractérisées par les équipes sportives dans des jeux où l’esprit d’équipe est
obligatoire à un niveau professionnel. On pense alors League of Legends qui demande cinq joueurs
avec des rôles précis pour avoir un groupe complémentaire et efficace, mais aussi Counter-Strike
qui demande le même nombre de joueurs pour concourir à une partie. Dans ce cadre, on aperçoit
Annabelle, Madi, mais aussi Noémie et Marie intégré à ce type de groupement. Pour Madi, ce type
de groupement va être caractéristique de sa pratique compétitive sur Call of Duty 94 où le joueur va
rejoindre une multitudes de groupements, des simples équipes réalisées entre amis à des équipes
réellement compétitives avec des joueurs français reconnus sur la scène compétitive de Call of
Duty. Ce même type de groupement compétitif est aussi rejoint par Annabelle puisqu’elle se lance
très rapidement dans une pratique compétitive, dont nous verrons les aboutissants plus tard. Enfin
Noémie et Marie ont rejoint ce type de groupement plutôt tardivement, lorsqu’elles ont jugé que
leur niveau de jeu sur League of Legends était suffisant pour investir une pratique collective.

Concernant les formations d’équipes, elle demande souvent une division des rôles assez
claire, une division des tâches que Sylvie Craipeau compare notamment au monde du travail (Sylvie
Craipeau, 2011). A ce titre, on retient que la coloration d’un groupement, au sens de sa visée sociale

94 Call of Duty est une série de jeux vidéo de tir à la première personne sur la guerre. La licence de jeux va notamment
voir arriver un nouveau opus le 12 octobre 2018, intitulé « Call of Duty Black Ops 4 ». On distingue généralement
Call of Duty pour son record de ventes dans le monde (plus de 240 millions d’exemplaires), qui place la série en
troisième place parmi les séries de jeux vidéo les plus vendues de l’histoire, derrière Mario et Pokémon.

60
ou compétitive, va plus ou moins influencer l’investissement du joueur dans le groupement, et ainsi
limiter ou non son entrée dans d’autres groupements à côté. Dans le cas de la compétition, dont la
totalité des enquêtés sont présents, l’investissement se fait exclusivement sur un groupement précis.
On peut tout de même désigner un dernier type de groupement qui peut être nommé sous
l’appellation du « cercle d’amis » ou de « communauté ». C’est un groupement à visée sociale dans
la pratique des joueurs et joueuses, où le rassemblement ne se fait pas forcément sur un même jeu,
sur les mêmes objectifs mais simplement sur une volonté de se rassembler autour d’un espace
commun pour approfondir les relations entre individus. On peut donc avoir des communautés où les
individus se regroupent autour d'une même base de connaissance sociale, amenés à tisser de
nouveaux liens sociaux, en respectant plus ou moins une manière « sérieuse » de joueur, c'est-a-dire
d'accumuler du capital vidéoludique pour progresser tout en respectant certaines règles communes
(Coavoux, 2010 : 5). On peut aussi avoir des communautés qui se fondent autour de relations
sociales déjà établies en dehors du cadre vidéoludique, vu alors comme un moyen de perpétuer des
relations dans un cadre virtuel, à l'image d'adolescents qui continuent leurs relations avec leurs amis
en dehors du cadre scolaire en jouant aux jeux vidéo ensemble. On y désigne alors plusieurs
groupements rejoints par les joueurs comme Noémie et Marie qui explique perpétuer avant tout une
pratique plus sociale du jeu vidéo pendant leur adolescence, permettant de continuer les relations
sociales entretenues au collège, au lycée. Laurent explique aussi s’être constitué un groupe d’amis
qui se retrouve sur Counter-Strike pour jouer de façon régulière, sans réelle idée de compétition
derrière, là où certains groupes d’amis peuvent se concentrer vers des compétitions en ligne, voir
hors ligne comme Madi nous le montre dans sa pratique sur Call of Duty. Outre le facteur social, ou
un investissement spécifique qui va définir le type de groupement, existe t-il d’autres facteurs qui
permettent de les distinguer ?

Tout d'abord, un groupement peut être défini comme un regroupement de joueurs au sein
d'un même espace, espace plus ou moins structuré et plus ou moins formel. On remarque que tous
les groupements se structurent autour d'un outil de communication 95 utilisé par les membres. Si on
les juge sur leur stabilité et leur structure plus ou moins contraignante, le groupement le plus
structuré et le plus large reste la guilde compétitive, où les rôles sont clairs96, mais aussi les objectifs
95 Par outils de communication structurant un groupement, nous faisons référence à l'utilisation de logiciels d'audio-
conférence qui permet de converser à l'oral avec les autres joueurs. Les outils écrits permettent aussi de structurer
un groupement, mais la sphère la plus investie du groupement se retrouvera le plus souvent à utiliser des outils
vocaux, jugés plus pratique pour jouer du fait de leur rapidité, mais aussi permettant de réduire la distance entre les
individus, par l'instauration d'une meilleure convivialité et d'une limitation de la barrière de langage qui peut être
imposée par l'écrit.
96 Les rôles classiques sont les membres, les officiers qui viennent régler les conflits entre les personnes, conseiller les
joueurs sur les équipements et autre points du jeu, qui ont la possibilité de faire des sessions de recrutement ; et
enfin le ou les chefs de guilde qui sont les garants d'une certaine autorité. On peut aussi voir d'autres rôles
spécialisés, notamment dans les grandes guildes, comme les officiers de classe qui viennent conseiller les joueurs

61
de la guilde, pouvant être organisé autour d'un forum lorsque les objectifs demandent une
organisation collective du temps, un emploi du temps collectif. Un groupement met en lien
plusieurs joueurs qui vont coordonner leurs actions ensemble, dans un but compétitif ou non. Ainsi
seul le nombre de joueurs présents dans le groupement distingue une équipe d'une guilde. De plus,
chaque guilde ou chaque équipe n'est pas la même selon les individus présents dedans, les objectifs
attribués, la force à laquelle se dirige les joueurs concernant les objectifs. Concernant les
communautés, la différence se fait sur la présence d'une hiérarchie ou non. Il reste le groupement à
l'opposé de la guilde car il n'est pas structuré formellement par une hiérarchie qui établit une
division du travail stricte. Dans ce cadre, les groupements de joueurs rejoints par Noémie et Marie,
mais aussi Christian pour ses premiers jeux en ligne, se recoupent dans ce qu’on appelle les
« communautés » : chaque joueur développe un style de jeu propre à lui, possédant ainsi un ou
plusieurs rôles « fétiches », tout en ne se restreignant pas à ces seules possibilités puisqu’il n’est pas
rare de voir les rôles s’échanger pour laisser aux joueurs la découverte de nouveaux horizons, de
nouvelles façons de joueur sans être cloisonné dans une perspective parce qu’on la maîtrise mieux.
De plus, on pense bien que les communications ne sont pas du même ordre que pour une
guilde/équipe structurée : on entend souvent dire chez les enquêtés que la communication ne porte
pas ou peu sur le cadre du jeu, de la partie jouée, les discussions divaguant sur plusieurs sujets qui
ne sont pas forcément propre au jeu joué ni à la situation expérimentée. On peut donc prendre en
compte trois facteurs : une différence en terme de communication, formelle ou informelle, une
différence en terme de structuration et de hiérarchisation du groupement, et enfin une prise en
compte à des degrés différents de la montée de classement et de l'accumulation du capital. On voit
notamment la création de groupements éphémères le temps d'une activité collective, classé selon
ces deux critères, à savoir la coopération voulue entre des joueurs et un axe de communication qui
va structurer les actions dans l'activité97. On pense aussi que ces critères ne sont pas refermés sur
eux, mais qu'ils sont reliés de façon permanente. Ils s'alimentent de diverses façons, et on comprend
bien le lien continu entre coopération et accumulation du capital, coopération et communication,
ainsi que communication et capital.

Maintenant que nous avons défini les types de groupements rencontrés dans les expériences
vidéoludiques en ligne, il nous reste une grande question à régler : En quoi les groupements sont
importants dans la reconnaissance des joueuses régulières du jeu vidéo en ligne ? La première
clarification que l'on peut montrer tient tout simplement au fait que les groupements sont souvent
d'une classe précise.
97 Ces groupes sont cependant caractéristique d’une pratique compétitive de loisir et non amateure, semi-
professionnelle et professionnelle car ces dernières nécessitent une cohésion de groupe, une coordination collective
soutenue qui demande un entraînement régulier avec les mêmes joueurs.

62
caractéristiques d'un engagement vidéoludique précis, pour les joueurs comme pour les joueuses.
On perçoit alors l’engagement compétitif chez Madi lorsqu’il nous décrit ses expériences
vidéoludiques sur les nombreux jeux, où chaque pratique du jeu choisi mène à une dimension
compétitive :

« je voulais vraiment avoir un niveau, c’est vraiment les jeux que je t’ai cité, Warcraft,
Guild Wars, y avait pas mal de compétition, Call of Duty ça s’est fait sur ESL, c’était à un niveau
un peu plus intéressant. ».

Il n’est donc pas rare pour des joueuses et joueurs investis comme la population interrogée
de rejoindre plusieurs groupements aux engagements bien différents. Madi passe notamment par un
investissement dans une communauté de joueurs, un cercle d’amis, pour ensuite passer à des guildes
et équipes compétitives où il va même faire des tournois en ligne dotés de récompenses
financières/matérielles pour les équipes situées sur le podium. Cet exemple d’expérience est
d’autant plus vrai lorsqu’on regarde des joueurs et joueuses qui présentent un investissement plutôt
long sur les jeux vidéo en ligne, et qui ont ou ont déjà eu une expérience de pratique compétitive,
que celle-ci reste au stade de loisir ou s’incarne dans une pratique amateure. Dans certains cas, les
relations formées exclusivement dans ces groupements peuvent s’externaliser du cadre
vidéoludique. Cependant, ces situations sont rares du fait de la nature fragmentée et discontinue des
relations. Sylvie Craipeau nous parle notamment de ce temps court de la commutation, principe qui
permet de passer d'un mode de jeu à un autre en un clic. Par cette fluidité du social, les joueurs
s'évitent des engagements à long terme, fragmentant les relations qui deviennent discontinues,
empêchant d'une certaine façon la construction de réseaux durables de devoirs et d'obligations
mutuelles avec les autres joueurs98. Mais même dans ces réseaux qui ne sont pas forcément
durables, la reconnaissance est toujours présente car elle s'effectue toujours en fonction de l'autre,
par un acte de reconnaissance qui peut provenir d'un individu comme d'une organisation, à l'image
d'un groupement qui accepterait un joueur car il remplit toutes les conditions pour y rentrer, ou alors
un joueur qui est promu à un rang supérieur dans une guilde dû à ses loyaux services au sein de cet
espace. Ainsi, l'intégration dans un groupement pourrait déjà constituer une épreuve générale pour
tout individu pratiquant, notamment lorsque celle-ci établit des critères d'adhésion au groupement
strict, qui demande que plusieurs conditions soient remplies pour être intégré.

Cependant, cette intégration à un groupement ne peut pas être considérée comme une
épreuve générale à tous les joueurs mais seulement à ceux qui veulent se diriger vers une pratique
compétitive dans un jeu en équipe, ou du moins qui nécessite sur certaines activités une dynamique

98 Sylvie Craipeau, La société en jeu(x) : le laboratoire social des jeux en ligne, p.142-143.

63
collective pour réussir ces situations. En effet, les cercles sociaux ou communautés ne sont pas
établis sur des critères aussi stricts qu’une équipe ou une guilde compétitive, bien que l’on peut y
apercevoir une certaine division des rôles pour jouer efficacement au jeu. De même, un joueur de
jeu de combat ne rejoindra pas forcément de groupe pour concourir à une pratique compétitive, bien
qu’il peut être contenu dans un cercle d’amis où il s’entraîne avec d’autres joueurs. C’est
notamment le cas de Quentin et Alexis, qui perpétuent des pratiques régulières sur les jeux de
combat, et cela même avant d’être dans leur pratique compétitive actuelle, qui visent la compétition
dans des tournois hors ligne et le classement des meilleurs joueurs du monde, et dans un moindre
cas, européen. Avec ce constat, nous ne nions pas l’importance du capital social dans les carrières
compétitives des joueurs et des joueuses, qui permet d’avancer sur plusieurs situations
problématiques, d’obtenir du soutien certes pour les épreuves sexuées, mais aussi pour les épreuves
générales qui jonchent la pratique compétitive amateure, semi-professionnelle/professionnelle. Le
groupement n’est donc pas nécessairement une mesure majeure selon les jeux joués, puisque les
jeux de combat, dont les cinq joueurs perpétuent une pratique compétitive, ne demande pas
l’intégration à un groupement pour jouer de façon esportive, là où les trois joueuses sont contenues
dans des équipes car les jeux joués, à savoir League of Legends et Counter-Strike, obligent à un
investissement collectif à plus haut niveau et dans les compétitions hors ligne, le jeu se jouant de
base en équipe99. Il permet tout de même de montrer que les pratiquants peuvent retirer une
reconnaissance concernant la sphère de l’affectif, visible par les encouragements des joueurs ou tout
simplement les relations sociales durables qui se sont établies, mais aussi la sphère de la
coopération, où les individus sont reconnus pour leurs performances, récompensés en fonction de
leurs efforts. De même, les pratiquants s’investissant individuellement peuvent tout de même retirer
cette reconnaissance par le biais d’un cercle d’amis dans lequel il évolue sans forcément y consacrer
l’intégralité de leur pratique vidéoludique.

Cette première partie introductive nous permet d’en savoir plus sur les voies possibles pour
commencer une pratique vidéoludique, mais aussi de voir comment cette pratique peut être investie
lorsqu’elle est contenue dans des relations sociales plus ou moins durables. Cependant,
l’introduction par le contexte vidéoludique ne serait pas complète sans présenter les représentations
qui entourent le jeu vidéo, et qui participe à le définir comme un univers masculin.

99 Il faut comprendre ici que les jeux, dans leurs modes de jeux les plus joués, se jouent exclusivement en équipe, là
où les compétitions de jeux de combat permettent différents formats, dont le format solo qui reste le plus répandu,
ainsi que le format en équipe de 2, de 3 voir de 5 joueurs. Nous reviendrons sur ce deuxième format dont sa
popularité le transforme en tournoi secondaire, le tournoi solo restant actuellement le format légitime pour les jeux
de combat.

64
1.2 Le jeu vidéo : un univers masculin ?

1.1.1 Une activité masculine ?

Dans le jeu vidéo, une question revient souvent lorsqu’on observe cet univers : le jeu vidéo
est-il une activité masculine ? Tous s’accordent pour dire que le jeu vidéo, à ses débuts, est une
activité réellement masculine, marginale et qui fait l’objet de nombreux jugements négatifs. Si l’on
regarde ce même objet actuellement, celui-ci n’a plus exactement le même statut. On assiste à un
processus de légitimation du jeu vidéo, avec des institutions érigeant le jeu vidéo au rang d’objet
culturel légitime. D’un autre côté, la pratique du jeu vidéo reste toujours controversée, notamment
dans l’entourage familial et dans la représentation de l’activité vidéoludique 100. David Gerber nous
parle alors du processus « d’artification », processus qui précède celui de l’accès éventuel à la
légitimité, et qui montre de moins en moins de connotations négatives rapportés au jeu vidéo. Le jeu
vidéo en tant qu’objet jouit donc d’une « attention de plus en plus bienveillante » (Gerber, 2015 : 2)
auprès des institutions culturelles, mais l’activité fait toujours face à de nombreux rejets, à des
problèmes dans les familles. Le traitement médiatique est notamment pris entre une valorisation du
jeu vidéo et une dévaluation de celui-ci, les joueurs répondant de cette médiation par des
positionnements défensifs. On retiendra de cette situation cette citation de David Gerber : « s’il
semble bien que le jeu vidéo en tant qu’objet réussisse à accéder à un statut de bien culturel valorisé
par les institutions légitimes, les pratiques, elles, demeurent sujettes à critique. » (Gerber, 2015 : 3).
Dans ce processus d’artification, le jeu vidéo tend à changer de coloration concernant son genre.

Les joueuses s’accordent pour dire que de plus en plus de femmes s’aventurent dans le
média vidéoludique sous différentes pratiques, et qu’une joueuse qui perpétue une pratique
compétitive dans le jeu vidéo est quelque chose de beaucoup moins rare qu’au début du jeu vidéo,
lorsque les joueurs se regroupaient pour effectuer des parties en réseau local et commençaient à
organiser des tournois avant même qu’on puisse parler de l’esport tel qu’il est présenté
actuellement. Ce premier point de démocratisation du jeu vidéo avait déjà pu être vérifié comme
aidant les joueuses à s’exprimer sur cette activité en dehors du cadre vidéoludique. Certains joueurs
comme Christian soutiennent aussi ce point de démocratisation du jeu vidéo, qui vient avec la

100 David Gerber, Le jeu vidéo comme pratique discréditable, p. 2.

65
démocratisation de l’univers « geek », mais aussi du développement important de l’industrie
vidéoludique en France101 :

« Maintenant, je pense que c’est quand même l’image, c’est devenu relativement cool d’être
geek, c’est, bon là , tout le monde regarde Game of Thrones, tout le monde joue à des jeux sur
portable, plus de gens se permettent de dire que voilà je suis joueur, j’adore les jeux vidéo. »
(Christian) ; « Avant tu disais, je suis semi-pro gameuse, les gens ils te regardaient avec des yeux en
mode « mais non » » (Manon102).

On voit donc que le jeu vidéo n’est plus systématiquement perçu comme une activité
négative, non pertinente, même pour les joueuses qui peuvent s’exprimer plus librement sur le jeu
vidéo, même si certaines remarques négatives subsistent sur la pratique vidéoludique des joueuses,
concernant notamment leur légitimité ou non à jouer aux jeux vidéo au vu de leurs connaissances
vidéoludiques jugées de façon arbitraire par les tenants de ces propos. Doit-on alors penser que le
jeu vidéo est réellement une activité masculine ? Quels sont les critères qui peuvent mesurer le
degré de masculinité d’une telle activité ? Le premier argument, qui est la proportion du nombre de
joueurs et de joueuses, sera indiqué plus tard lorsque sera questionnée la mixité de l’esport. On peut
néanmoins déjà expliquer que même si les femmes sont de plus en plus présentes sur les jeux vidéo,
on note un écart de représentation entre hommes et femmes important dans l’esport en France. Il ne
faut donc pas confondre une reconnaissance et visibilité plus grande des joueuses et le fait qu’elles
soient plus présentes. Le deuxième argument concerne la création de jeux qui ciblent un public bien
précis, notamment avec la classification de jeux « pour filles » et des autres qui sont « pour les
garçons ». Ce point fait référence à une réflexion déjà engagée l’année dernière, où les joueuses
étaient questionnées sur le caractère possiblement masculin de l’activité vidéoludique. A ce titre, on
peut désigner certains jeux qui sont souvent montrés comme des jeux à destination d’un public
féminin : on attribue notamment « Les Sims »103 ou encore les jeux musicaux comme des jeux
« féminins ». Nous n’irons pas plus loin dans cette distinction qui demanderait une étude plus
détaillée des codes graphiques de plusieurs jeux pour pouvoir identifier les caractéristiques d’un jeu
« pour filles » et celui d’un jeu « pour garçons ». On laissera seulement entendre que les jeux « pour
filles » font office d’un traitement bien spécifique, et qu’ils sont souvent dénigrés dans la hiérarchie
101 En 2017 en France, le marché du jeu vidéo à progressé de 18 % en France et a enregistré un chiffre d’affaires record
de 4,3 milliards d’euros. Pour plus d’informations : Hellolife, L’industrie du jeu vidéo en chiffres, 2018. URL :
https://www.hellolife.fr/article/l-industrie-du-jeu-video-en-chiffres_a13192/1
102 Cet extrait est tiré d’un entretien réalisé avec une joueuse semi-professionnelle de Counter-Strike l’année dernière.
Il est réutilisé, malgré que les conditions d’enquête n’étaient pas exactement les mêmes, pour illustrer ce point chez
les joueurs et les joueuses, mais aussi car Manon rentre dans notre population actuelle par son parcours compétitif,
se dévouant maintenant intégralement à sa pratique esportive.
103 « Les Sims » est un jeu vidéo de simulation de vie, développé par Maxi et dont le premier est sorti en 2000 sur PC.
Le but du jeu est de créer ses personnages et des habitations pour construire et organiser la vie de ses personnages.

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des jeux car ils font place à des représentations de la femme stéréotypée, enfermant encore plus les
femmes dans des représentations déjà assez présentes dans les autres jeux104.

Après cette entrée en matière sur le jeu vidéo et sa coloration à priori masculine, on peut
admettre que le simple argument grandiloquent des joueuses comme de plus en plus présentes ne
suffit pas à définir le jeu vidéo comme une activité non masculine. On dénombre tout de même chez
les joueurs et joueuses interrogés une certaine tendance à désigner le jeu vidéo comme une activité
masculine, notamment car c’est « un univers qui de base est très masculin » (Laurent), non pas
parce que le jeu vidéo est dédié aux hommes, mais parce que les hommes ont pris parti en
investissant en premier lieu cette pratique et en le montrant comme une activité exclusive aux
hommes. A ce titre, Catherine Discroll reprend l’article de Dimitri Williams et al, « Looking for
Gender », qui explique que malgré la population de plus en plus importante de joueuses, les deux
sexes pensent que le jeu vidéo est « une activité masculine avant tout » (Lignon, 2015 : 184). C’est
donc un premier constat qui nous permet de répondre favorable au caractère masculin du jeu vidéo.
Néanmoins, l’analyse ne serait pas complète sans aller voir du côté de la représentation des sexes
dans le jeu vidéo.

1.1.2 La représentation des sexes dans le jeu vidéo

Longuement étudié l’année dernière, la représentation des sexes dans le jeu vidéo regroupe
plusieurs aspects. Le premier aspect se rapporte directement aux avatars/personnages que les
joueuses et joueurs peuvent incarner au sein des univers vidéoludiques, et notamment des avatars
prédéfinis qui montrent diverses représentations de l’homme et de la femme. On perçoit dans de
nombreux cas une différence de construction entre les avatars féminins et masculins au sein des
jeux vidéo105. La première différence notable provient du soin apporté aux avatars féminins sur leur
apparence physique, privilégiant le plus souvent la beauté des personnages en accord avec certains
canons de beauté propre à notre société. Il va sans dire que les avatars, féminins comme masculins,
sont idéalisés dans leurs représentations et dans leur créations, et donc qu’ils sont toujours plus ou

104 Dans ces jeux, on pense notamment à « Léa passion » qui est un jeu « essentiellement destinée aux jeunes filles »,
et dont plusieurs versions sont sorties depuis 2007. On y trouve notamment des versions assez explicites sur le rôle
qu’on peut attribuer aux femmes dans une société à dominante masculine : « Léa passion bébés », « Léa passion
baby-sitter » ou encore « Léa passion danseuse étoile ».
105 Ces réflexions sont reprises de l’ouvrage « Genre et jeux vidéo » mais aussi des réflexions du mémoire de Master 1
où une longue partie est dédiée aux représentations des sexes dans le jeu vidéo.

67
moins décalés de la réalité sociale et de sa complexité. Cette idéalisation, dans son processus, va
amener un certain grossissement des traits physiques et mentaux des personnages.

Si l’on s’intéresse aux avatars féminins, ce grossissement passe par la beauté, la silhouette
des personnages. Il n’est pas rare alors de voir des avatars féminins dotés d’une poitrine ou
d’attributs physiques anormalement construits, impossible à apercevoir dans la réalité. L’objectif,
conscient ou non, est de sexualiser les avatars féminins. Denis Colombi nous explique notamment
que cette tendance à mettre des personnages féminins sexualisés n’est pas récente et qu’on la trouve
notamment dans les premiers moments du jeu vidéo. On voit notamment le cas de Lara Croft,
héroïne de Tomb Raider106 et réelle icône du jeu vidéo. Son cas révèle bien l’ambiguïté des avatars
féminins : elle est sexualisée107 tout en étant l’incarnation de l’aventurière au sang-froid qui n’a peur
de rien108. Cette sexualisation n’est pas seulement l’apanage de personnages préconçus figurant dans
des jeux vidéo hors ligne puisque certaines joueuses nous signifiaient la présence de personnages
aux tenues supplémentaires qui font référence à certaines pratiques érotiques ou sexuelles. La
sexualisation des personnages féminins se perpétue donc aussi par les vêtements que les
développeurs mettent à disposition pour les avatars féminins. On glisse clairement vers le stéréotype
de la femme sexualisée, de la femme en tant qu’objet sexuel, sachant qu’un stéréotype de genre est
une représentation simplifiée, déformée, de certaines caractéristiques attribuées à un individu ou un
groupe : « Les stéréotypes de genre sont des caractéristiques arbitraires (fondées sur des idées
préconçues) que l’on attribue à un groupe de personnes en fonction de leur sexe. »109. Ce constat
s’étend aussi aux avatars personnalisables, que les joueurs créent de toute pièce, tout en étant limité
par un outil de créations qui va notamment mettre en avant plusieurs représentations des hommes et
des femmes, notamment car ils sont crées par des développeurs qui ont aussi intériorisés plusieurs
stéréotypes. On ne dit pas que tous les développeurs acceptent cette représentation de façon
délibérée lorsqu’ils fondent leurs jeux, mais que celle-ci est tellement présente que même les
joueuses qui sont méfiantes à cet égard ne font pas forcément attention à de telles représentations. Il
existe aussi certains développeurs qui sont conscients de telles représentations et qui jugent bon de

106 Tomb Raider est une franchise constituée de jeux vidéo d’action-aventure, de comics, romans et de films qui se
centrent sur les aventures de Lara Croft, archéologue britannique. Le premier jeu Tomb Raider sort en 1996 sur
Playstation 1, et la licence a eu de nombreux autres jeux sur différents supports (dont le dernier est Rise of The
Tomb Raider sorti en novembre 2015) et plusieurs films dont un troisième sorti en 2018.
107 La première représentation de Lara Croft dans le premier jeu montre une femme maigre, en mini-short, avec une
poitrine imposante. Beaucoup de rumeurs ont circulé derrière cette poitrine, et dont la plus courante est que la taille
de bonnet n’était pas initialement volontaire, résultat d’une simple erreur de programmation. On se questionnera
tout de même sur l’importance qu’elle a pris et sur la réduction assez tardive de cette poitrine.
108 Pour plus d’informations sur Lara Croft de Tomb Raider : Fanny Lignon, Genre et jeux vidéo, p.37-52. Denis
Colombi parle aussi de ce personnage en décrivant la réappropriation des avatars féminins sur Internet : Denis
Colombi, « Sexe, marchés et jeux vidéo », 2011. URL : http://uneheuredepeine.blogspot.fr/2011/03/sexe-marches-
et-jeux-videos.html.
109 Crips Ile-de-France, Sexisme, stéréotype, rôles sexuels : quelques concepts, 2014.

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les souligner, soit pour en faire un argument de vente auprès des joueurs, soit pour ridiculiser ces
représentations : c’est notamment le cas du personnage de Bayonetta dans le jeu du même titre, qui
est hypersexualisé, donnant lieu à une hypervisibilité de l’héroïne qui accumule les stéréotypes
genrés au point de les exagérer et de les rendre ridicules, de les remettre en cause par l’humour
(Lignon, 2015 : 60-62). Cette sexualisation peut notamment se renforcer par les éléments de
personnalisation des personnages, mais aussi par les vêtements et armures qu’équipe un joueur sur
son personnage pour améliorer ses statistiques, qui dans plusieurs cas, dont notamment dans les
MMORPG, les avatars féminins se retrouvent cantonnés à des pièces d’équipement dénudant les
personnages, ne renvoyant pas visuellement au rôle d’une armure de chevalier protégeant par
exemple intégralement le corps, comme c’est le cas pour les personnages masculins.

Comment l’homme est représenté dans une activité présumée masculine ? Si l’on suit les
réflexions de l’année dernière, l’homme serait vu selon l’idéal de la « masculinité militarisée »110,
c’est-à-dire un mâle blanc, guerrier et hétérosexuel. La masculinité est alors rapportée à son plus
grand stéréotype, à savoir la virilité. Celle-ci va passer par la puissance du personnage, la violence,
l’agressivité, le physique musclé et la force, ou encore l’attitude rebelle et aventurière. Le
personnage masculin est fort, il transparaît par sa virilité contrairement au personnage féminin,
généralement décrit comme discret. Si ce dernier devient présent, il le devient par la mise en avant
de son corps alors sexualisé. Mais alors, en quoi des avatars masculins comme Kratos de God of
War, ou encore Geralt de The Witcher sont-ils différents des avatars féminins sexualisés ? Quelle est
la différence entre avatar féminin et masculin s’ils sont tous deux idéalisés, pris dans des
stéréotypes de genres ? Dans une question qui peut paraître épineuse, et dont les enjeux ne sont pas
minces, Denis Colombi nous offre une clé de lecture pour comprendre cette situation 111. Face à de
nombreux arguments qui prônent aussi une sexualisation des avatars masculins, celui-ci explique la
situation pour signifier cette différence entre la sexualisation des avatars masculins et féminins.
Bien que les modèles masculins rencontrés dans le jeu vidéo sont aussi quasiment et complètement
impossibles à suivre, irréalistes au possible, la sexualisation de personnages relèvent de facteur bien
précis. Prenant Zangief comme exemple, personnage de Street Fighter qui est un catcheur russe à la
musculature imposante, il explique que son corps magnifié ne fait pas l’objet de désir sexuel mais
seulement l’objet d’une expression de la force et de la puissance. Il représente une vision idéalisé de
l’homme comme Kratos ou Geralt, idéalisé pour d’autres qualités que ses qualités sexuelles. C’est
sur ce point que la différence s’opère : la représentation sexualisée des avatars féminins pose

110 Stephen Kline, La fin de l'histoire et la tyrannie des algorithmes, 2007.


111 Les propos suivants seront donc mis en avant en s’inspirant grandement de l’article de Denis Colombi nommé « Le
sexisme expliqué à ceux qui n’y croient pas ».

69
problème car les qualités que l’on retire d’une telle vision sont simplement des qualités sexuelles,
prenant essence dans un corps idéalisé pour plaire aux regards, notamment avec certaines
proportions irréalistes. On parle donc de sexualisation du personnage féminin car ses qualités mises
en avant vont amener à un désir sexuel. On peut comprendre alors que ces représentations de la
femme peuvent se transposer sur les joueuses, qui peuvent alors être vues comme des objets
sexuels, comme des femmes disponibles aux désirs des joueurs. Au contraire, si un désir sexuel naît
vis-à-vis d’un avatar masculin, il viendra de ses qualités présentées, et non venant comme caractère
principal, comme caractère influençant la façon de présenter le personnage ou de le percevoir
principalement par ce trait.

Qu’en est-il de la proportion de personnages féminins et masculins principaux, et donc


jouable, dans le jeu vidéo ? Stephen Kline, dans son approche historique, prend le cas des FPS,
tributaires d’une représentation propre à la masculinité militarisée (Kline, 2007). Marion Coville va
aussi s’intéresser à ce genre en prenant appui sur ce même auteur. Elle nous fait part d’un constat
plutôt intéressant : « sur 556 jeux vidéo de type FPS, 81 % des avatars étaient des hommes […] et
sur les 482 jeux dont le sexe du personnage était identifiable, seulement 20 proposaient d’incarner
une femme en tant que personnage unique, soit à peine plus de 4 % » (Lignon, 2015 : 58). On
pourrait alors se dire que ce cas est caractéristique à ce genre de jeu, tributaire d’une certaine
violence et d’actions héroïques dont les joueurs peuvent s’identifier à priori plus facilement. Mais
des controverses notamment récentes, comme le cas du jeu Red Dead Redemption 2 montre que la
visibilité des avatars féminins n’est pas encore d’actualité, ou du moins relayé à un personnage
secondaire, à un personnage non joueur qu’il faut sauver. Certes, cela reste un cas isolé des autres,
et il serait intéressant de voir comment ces controverses se répondent et comment évoluent les
avatars féminins dans leurs représentations et dans leur visibilité. Mais, c’est un déjà un indicateur
qui nous permet de nous questionner sur l’apparente évolution des avatars vers des représentations
plus complexes et plus justes d’une réalité sociale, et non des archétypes pures et dures où femmes
comme hommes ne peuvent s’y retrouver. A ce titre, il faut se demander pourquoi la représentation
de la femme présentée ici est sexiste.

La représentation de la femme observée dans nos lectures et nos observations, à savoir la


femme sexualisée ou la femme comme récompense d’actions héroïques du personnage masculin,
peut être définie comme sexiste non pas par son contenu mais plutôt car « le sexe, les femmes et la
rencontre des deux sont des éléments qui sont dévalorisés par ailleurs dans nos sociétés » (Colombi,
2011). Une image ou un avatar est alors sexiste à partir du moment où il s’inscrit dans des structures
déjà sexistes. Le jeu vidéo est donc tributaire de représentations sexistes qui prennent leur source

70
dans nos sociétés patriarcales. On pourrait dire que les avatars masculins comme Kratos ou d’autres
héros, dont la première qualité est la force et la puissance, sont aussi sexistes. La différence se fait
sur la diversité des représentations concernant les sexes. Là où les avatars masculins montrent des
hommes à la musculature imposante, mais aussi un physique plus fin pour souligner un rôle
différent, les avatars féminins se retrouvent majoritairement sexualisés, avec pour seule qualité
d’être belle, attirante, voir promise à être sauvée par des mâles « en puissance » et finir dans une
certaine romance hétérosexuelle.

Le jeu vidéo n’est pas tout « blanc » ni tout « noir » : il est composé de divers avatars qui
mentionnent de nombreuses représentations. Toute cette analyse ne visait qu’à montrer le caractère
ambigu de la femme dans le jeu vidéo dont sa représentation majoritaire est sexualisée, tout en
déconstruisant certains arguments utilisés pour montrer que les avatars masculins sont dans la
même position. Mais, après avoir lancé ce débat long et sans fin qui demanderait une étude
exhaustive sur les avatars, que peut-on en retirer ? En premier, que la représentation de la femme
pose de nombreux problèmes, et qu’on peut comprendre qu’elle donne lieu à des situations sexistes
pour les joueuses qui investissent un univers aux fondations masculines bien présentes. Le sexe
masculin n’est pas épargné puisqu’il fait lui aussi office d’un traitement stéréotypé, le jeu vidéo
étant toujours tributaire de la société où il est créé et consommé. En même temps, il ne faut pas
tomber dans une dénonciation pure et dure, où toute représentation stéréotypée serait vue comme un
« sacrilège ». L’avatar, dans notre conception, est défini comme un historique des performances où
les individus y imprègnent leurs performances, leurs expériences vidéoludiques. Dans la pratique, il
est donc relayé au rang de réglage secondaire dans lequel l’individu instrumentalise l’avatar pour
parvenir à ses fins, pour perpétuer sa pratique du jeu vidéo. Certes, il peut s’incarner en lui en
idéalisant un avatar dont il se reconnaît, mais ce type d’action n’est réellement caractéristique que
de pratiques minoritaires112. En même temps, l’avatar vidéoludique reste tributaire de
représentations dont les conséquences sont elles réelles, qui font état de notre société dans lequel le
jeu vidéo puise ses références et inspirations tout en essayant de s’en démarquer. Ainsi, il ne faut
pas le voir comme un réglage majeur d’une pratique vidéoludique, mais plutôt comme un élément
qui fait état de l’imaginaire collectif du jeu vidéo et des représentations qui peuvent y être.

Ces représentations stéréotypées permettent donc de nous fournir plusieurs clés de lecture en
faveur du caractère masculin du jeu vidéo. C’est un premier critère qui peut signifier une différence
de reconnaissance entre joueuses et joueurs, notamment si ces représentations sont reprises pour

112 On pense au role-play, pouvant littéralement être traduit par jeu de rôles : à l'image du théâtre, le joueur va jouer le
rôle de son personnage en imitant un certain style vestimentaire dans le jeu, mais aussi un langage spécifique pour
incarner ce personnage de fiction.

71
être étiquetées aux joueuses vis-à-vis de leur apparence, critère qui pourrait être invoqué pour
invalider la performance des pratiquantes au vu de leur éloignement vis-à-vis des canons de beauté,
ou leur trop grande proximité vis-à-vis de ceux-ci, ne pouvant être perçu que par le simple attrait de
l’apparence physique et non du niveau de jeu. Nous reviendrons sur le poids de ces représentations
après avoir évoqué les expériences vidéoludiques et compétitives des joueuses et des joueurs qui
nous permettront ainsi de distinguer l’évolution de leurs carrières compétitives, les opportunités qui
se sont présentés à eux, et les objectifs qu’ils se sont fixés pour perpétuer leur pratique compétitive
du jeu vidéo.

72
2. L’entrée dans une pratique compétitive

2.1 Les pré-requis : épreuves générales et plaisir de jeu

Les épreuves générales définissent le parcours de tout joueur voulant rentrer dans une
pratique compétitive. Elles désignent de multiples expériences vidéoludiques communes aux
joueurs et joueuses, sans distinction de sexe. L’épreuve de l’intégration à un groupement compétitif,
dont nous avons déjà discuté dans la partie correspondante, ne constitue pas une épreuve en soi
puisqu’elle est surtout présente dans des jeux où la coordination collective est nécessaire pour
monter en niveau, ou du moins réussir les objectifs attribués en groupe. Ainsi, même si les joueurs
de jeu de combat peuvent rejoindre des communautés ou des cercles d’amis, la coordination ne fera
pas partie de leurs pré-requis pour rentrer dans une pratique compétitive puisque le classement est
exclusivement individuel. Une épreuve est tout de même commune aux pratiquants compétitifs de
tout genre de jeux.

Celle-ci, nommée « l’épreuve du langage », renvoie à l’importance du langage vidéoludique


dans l’apprentissage du jeu vidéo mais aussi dans la communication avec les autres joueurs présents
dans ces univers vidéoludiques. Rangé dans les normes les plus communes du monde du jeu
(Coavoux, 2010 : 4), le langage fait partie d’une des perspectives à accepter pour rentrer dans le
monde social du jeu vidéo, et dans des pratiques où la communication est nécessaire. Ce n’est donc
pas une épreuve que le joueur affronte en tant que tel lorsqu’il perpétue une pratique compétitive,
ayant déjà intégré une grande partie des subtilités du vocabulaire utilisé en jeu. Cependant, dans son
aspect général, banal, on comprend que celui qui ne maîtrise pas le langage vidéoludique se
retrouve vite bloqué dans une stigmatisation du plus faible, où le joueur qui n’arrive ou ne veut pas
s’adapter aux règles se retrouve vite exclu (Sylvie Craipeau, 2011 : 73). Même dans les jeux de
combat, où la communication ne vient pas forcément dans un but de coordination en vu d’une
action collective, un joueur compétitif devra maîtriser le vocabulaire pour accumuler des
connaissances théoriques en vu de parfaire la maîtrise de son personnage. Il en vient même à
expérimenter de nouvelles combinaisons de coups, de nouvelles situations lorsque les propriétés de
son personnage subissent des changements suite à des mises à jour du jeu. L’épreuve du langage,
même si elle est intériorisée par les joueuses et joueurs qui ont accepté les conditions du « bien
jouer », de jouer sérieusement en acceptant les règles, reste tout de même importante à désigner car

73
elle permet au joueur de rentrer dans une pratique compétitive, qui devient alors un pré-requis pour
perpétuer cette pratique. Le langage vidéoludique est notamment nécessaire pour appréhender les
différents rôles qui s’offrent au joueur dans une pratique compétitive, pour comprendre les conseils
des joueurs s’exprimant dans ce vocabulaire technique pour réduire leur temps à se faire
comprendre, et donc maximiser leur temps de jeu vers d’autres préoccupations, dans une pratique
où le temps est la ressource la plus précieuse pour les joueurs : « Le temps est ce que l’on offre, ce
que l’on gagne, ce que l’on échange » (Craipeau, 2011 : 128). Ce temps économisé par une
communication claire va être investi dans un groupement, dans une activité spécifique, dans une
volonté d’accumuler le capital vidéoludique. L’apprentissage et la maîtrise du langage va toujours
dans cet objectif d’autonomie, de responsabilisation individuelle propre au jeu vidéo. Il est peut être
rapporté aux autres épreuves qui demandent cette base pour être affrontées efficacement. L’épreuve
du « rôle » fait notamment parti de ces épreuves.

Là « l’épreuve du rôle » est pertinente pour des pratiques qui impliquent une division des
tâches en équipe, il faut préciser cette épreuve pour les jeux à l’investissement individuel. En effet,
cette épreuve désigne surtout la nécessaire maîtrise du ou des rôles choisis par l’individu dans sa
pratique compétitive : rôle vis-à-vis de la fonction choisie, du personnage, du grade dans un
groupement compétitif mais aussi du mode de jeu joué. Annabelle, qui rejoint plusieurs équipes au
cours de sa pratique compétitive, développe ainsi plusieurs rôles au sein du « trio d’attaque », petit
groupe qui dans Counter-Strike va être sur les premières lignes d’attaque. Elle joue tantôt infanterie,
tantôt support selon les environnements où les affrontements se déroulent, et selon les stratégies que
son équipe opère. Marie de son côté voue exclusivement sa pratique compétitive sur League of
Legends au rôle de support, bien qu’elle explique être flexible selon le niveau de jeu dans la partie,
mesuré par les échelons atteint dans le classement du jeu 113 : « Je joue ADC, je joue Mid mais oui,
plus on monte, plus on monte en niveau et plus mon rôle ce sera support. » (Marie). Noémie tient le
même discours en expliquant l’investissement quasi exclusif de sa pratique vers le rôle d’ADC dans
League of Legends. Concernant les joueurs de jeu de combat, le rôle ne peut pas être défini comme
il l’est dans les jeux compétitifs en équipe. Si le joueur seul n’a pas de rôle qui divise son travail,
son utilité par rapport à des coéquipiers contenus dans le même groupe, celui-ci a tout de même
besoin de maîtriser un ou plusieurs personnages en particulier. En effet, le jeu de combat se jouant

113 Le classement interne de League of Legends est une instance légitime pour tout joueur dans une pratique
compétitive va passer et investir plus ou moins de temps selon son engagement. Passant par des parties que l’on
appelle « classées », le classement interne est composé de plusieurs divisions : la division bronze, la division argent,
la division or, la division platine, la division diamant, le rang de maître et de challenger. Elles sont divisées en 5
sous-divisions qui permettent d'évaluer le niveau des joueurs sur un large classement. Nous distinguons classement
interne et externe car il existe plusieurs instances externes au jeu qui vont mesurer les performances des joueurs en
les classant, avec une légitimité plus ou moins grande.

74
en duel, c’est-à-dire en 1 contre 1, le joueur se doit de maîtriser un ou plusieurs personnages. Cette
maîtrise passe par une connaissance des coups du personnage, des combinaisons de coups, de ses
forces et faiblesses contre les différentes situations qui se présentent au joueur, mais aussi les
« match-up » propre à ce personnage, qui n’est autre que l’avantage d’un combattant par rapport à
un autre, et donc qui définit une certaine hiérarchie de personnages adverses plus ou moins forts
pour le personnage que le joueur maîtrise, toujours en fonction des mises à jour effectuées sur le jeu
qui modifient l’équilibrage entre les personnages. Mais cette maîtrise est d’autant plus complexe
pour les joueurs qu’il est rare de voir des compétiteurs semi-professionnels/professionnels jouer
plusieurs personnages dans les jeux de combat. On voit certes des stratégies se mettre en place,
notamment pour contrer des « match-up » compliqués pour le premier personnage principal, et qui
demande la maîtrise d’un nouveau personnage plus avantageux, mais ce cas reste beaucoup plus
rare dans les compétitions hors ligne. Ainsi, un joueur compétitif de loisir pourra s’adonner au
plaisir de jouer avec plusieurs personnages contre des joueurs à la même pratique, là où il sera
complexe pour un joueur professionnel de parfaire ses connaissances sur plusieurs personnages
pour les utiliser dans les compétitions hors ligne qui font s’affronter les meilleurs joueurs français,
européens voir mondiaux selon la compétition. Il ne faut donc pas confondre plusieurs personnages
qui sont contenus dans le même rôle, comme League of Legends, et les personnages de jeu de
combat comme Street Fighter 5 qui sont beaucoup plus complexes.

On peut donc faire correspondre la maîtrise d’un personnage de jeu de combat avec la
maîtrise d’un rôle dans un jeu en équipe, ces deux activités demandant un investissement plutôt
important, qui augmente au fur et à mesure que la pratique devient de plus en plus compétitive.
L’épreuve du rôle varie donc en fonction du jeu, de ses possibilités mais aussi de ses contraintes
pour maîtriser ces éléments. En effet, une joueuse de League of Legends comme Noémie va axer
son investissement sur le rôle d’ADC, rôle jouable par le biais de plusieurs personnages à maîtriser,
tandis qu’Alexis s’investira exclusivement sur le personnage d’Ibuki dans Street Fighter 5 qui offre
un style de jeu particulier. L’appellation de rôle ne désigne donc plus seulement la fonction du
joueur au sein d’un groupe, d’une équipe, mais aussi le style de jeu qu’il décide de développer dans
le cadre des jeux de combat, style de jeu qui va se définir par la maîtrise d’un ou plusieurs
personnages.

Cette épreuve peut être d’autant plus complexe qu’elle implique un investissement
majoritairement individuel pour le joueur de jeu de combat, comme l’explique Madi : « pour les
jeux de combat, c’est un peu plus perso du coup, et c’était un peu plus dur, faut vraiment se faire
une discipline, et apprendre à apprendre. ». En effet, le rôle dans les jeux en équipe est soutenu par

75
un investissement plus ou moins collectif, notamment lorsque le joueur rejoint un groupement de
quelconque type114. Le jeu de combat demande un investissement essentiellement individuel, bien
que le joueur puisse jouer contre ses amis pour s’entraîner et s’investir, ce type de situations restant
tout de même bien différentes des jeux en équipe où les joueurs avancent ensemble vers un même
objectif. Ainsi, si le joueur de jeu de combat n’a pas de contrainte propre au règlement du
groupement intégré, celui-ci doit se créer une discipline pour pouvoir appréhender le jeu, dans ce
que Madi appelle notamment le « neutral » :

« En fait le neutral c’est le gameplay d’un jeu de combat, toutes les questions de zoning,
spacing, gestion de tes moves, enfin c’est « flow du match », le rythme, enfin y a vraiment un
feeling du jeu à comprendre au début quand tu commences un jeu de combat. » (Madi).

Bien entendu, cette gestion du rythme de jeu n’est pas exclusive au jeu de combat et se
retrouve aussi dans tous les autres jeux compétitifs qui délivrent des parties plus ou moins rapides
dans leur rythme mais aussi dans leur durée. Dans tous les cas, les épreuves présentées, dont
l’épreuve du rôle, ne peuvent être affrontées que si le joueur ressent un certain plaisir de jeu derrière
les efforts réalisés et les récompenses qui s’offrent au joueur suite à son investissement. Christian
explique alors son attirance pour les jeux de combat par leur aspect compétitif, qu’il décrit comme
« la version la plus pure du PvP » puisque l’affrontement entre joueur n’est pas régit par des
équipements, des armes ou autres objets boostant les capacités du personnage joué. Marie décrit
notamment l’intérêt d’une pratique compétitive en équipe sur League of Legends, où la joueuse
peut compter sur les autres joueuses dans son équipe dans la partie, tout en ayant la confiance de
ces mêmes coéquipières vis-à-vis de la maîtrise du jeu de Marie :

« c’est-à-dire que par exemple dans une de mes games, c’est possible que quelqu’un y aille
parce qu’il m’a juste vu y aller et il a eu confiance, et ça je trouve ça, je sais pas, j’aime vraiment,
j’adore, j’aime vraiment le côté team, j’aime vraiment le côté qu’on puisse compter sur moi en fait
et j’adore ne pas décevoir les gens et c’est pour ça je pense, c’est pour ça que je suis toujours le
support dans tous les jeux que j’ai pu jouer, je crois que c’est pour ça que en général, je suis le
support de l’équipe. » (Marie).

La description des parcours par les joueuses et joueurs permettent notamment de voir leur
réflexion sur certains choix effectués dans leur carrière compétitive, comme Marie qui explique son
appétence pour le rôle du support, qui revient à aider ses coéquipiers en leur fournissant divers
outils pour les avantager en combat, dans diverses situations. Même si toutes les joueuses et joueurs

114 Et dont on sait la proportion importante des groupements d’amis qui constitue un moyen d’introduction à un
nouveau jeu où à une pratique compétitive qui va être plus régulière.

76
ne l’explicitent pas clairement, leur expérience, notamment à travers les différentes compétitions
hors ligne, montre un réel plaisir de se dépasser sur les jeux choisis, de maîtriser le jeu, de connaître
toutes ses possibilités et limites pour ensuite affronter d’autres joueurs puisque la pratique esportive
est toujours reliée à cet acte d’affrontement entre joueurs, entre équipes sur des formats prédéfinis.
Ce plaisir est d’autant plus essentiel qu’il donne lieu à des bifurcations de carrière vidéoludique
lorsqu’il n’est plus présent115. On retiendra donc que les épreuves générales sont caractéristiques
d’une entrée dans une pratique compétitive de loisir, supplanté par le plaisir de jeu qui va motiver
en partie l’investissement des joueuses et joueurs interrogés, en lien avec les contraintes sociales et
le temps disponible pour perpétuer cette pratique. Il faut maintenant analyser les parcours des
joueuses et joueurs interrogés pour trouver les facteurs déterminants qui vont permettre de les
classer dans une pratique compétitive amateur.

115 Plusieurs joueuses interrogées l’année dernière expliquaient ainsi la difficulté de retrouver du plaisir derrière une
pratique compétitive où elles n’ont plus d’intérêt pour le jeu joué, ou parce qu’elles avaient subies des situations
sexistes dans les espaces virtuels (groupement, mode de jeu) où elles déchargeaient habituellement leur
investissement régulier.

77
2.2 La pratique compétitive amateur

2.2.1 La compétition : une vocation partagée ?

Dans les discours des enquêtés, l’appétence pour la compétition est une caractéristique qui
revient assez souvent :

« c’est vrai que j’ai toujours aimé la compétition, donc peu importe le secteur, je me suis
toujours intéressé aux champions du domaine, dès que j’ai commencé à me renseigner sur qui
étaient les meilleurs joueurs de Street Fighter bah j’ai vu qu’y avait des professionnels »
(Christian) ; « la pratique de la compétition pure, euh je l’avais pas cherché en dehors du jeu. Je
t’explique : par exemple moi dans les jeux de stratégie, je voulais m’améliorer pour être vraiment
fort tout simplement et c’est pas non plus faire des tournois mais ça reste quand même être
compétitif, y a un niveau qui se développe. » (Madi).

Cet intérêt pour la compétition apparaît chez certains enquêtés avant même leur début dans
une pratique compétitive vidéoludique, comme Laurent qui explique déjà entretenir cet intérêt par
sa pratique du ping-pong au collège. Cependant, la compétition n’apparaît pas comme une évidence
pour tous les enquêtés, et certains n’envisagent pas leur pratique vidéoludique comme un tremplin
pour alimenter un sentiment de compétition, comme le montre les propos de Madi. Annabelle décrit
notamment une certaine distance vis-à-vis des jeux vidéo :

« bah avant j’étais contre les jeux vidéo, enfin ça vient peut-être de la famille qui était
contre et de toute façon j’avais pas d’amis qui jouait aux jeux vidéo du tout donc, quand je voyais
mes cousins, mon frère jouer tout le temps enfin j’étais un peu la fille modèle qui écoutait la
famille donc j’étais contre » (Annabelle).

Elle se lance dans l’aventure vidéoludique pour se rapprocher de la passion de son frère,
avant de perpétuer une pratique compétitive sur Counter-Strike où elle aperçoit un potentiel
compétitif qui l’attire, repéré par le visionnage de compétitions hors ligne diffusées sur Twitch. La
découverte du potentiel compétitif, mais aussi de l’esprit de compétition peut ainsi se trouver après
l’entrée dans la pratique vidéoludique. Cette introduction à la pratique esportive peut être amené par
un groupement qui entretient cet esprit de compétition, mais aussi tout simplement par la
découverte d’une scène compétitive sur le jeu joué par l’individu. Cet intérêt pour la compétition
peut aussi venir de proches, d’amis qui motivent ainsi le joueur à se lancer dans celle-ci en

78
participant à des compétitions hors ligne. Alexis explique ainsi son étonnement lorsqu’il découvre la
présence de compétitions hors ligne sur Street Fighter 4 :

« en fait j’étais pas du tout au courant qu'il y avait des grosses compétitions, pour moi les
max compétitions c’était les tournois FNAC, le FNAC du coin qui faisait un tournoi quand le jeu
sortait et voilà. » (Alexis).

Cette introduction à une pratique compétitive amateure se fait par un ami qui l’invite ainsi à
participer à un tournoi situé à Cannes, la « Cannes Winter Clash », « Major » français situé à
Cannes. Ce joueur explique tout de même perpétuer une certaine pratique compétitive de loisir
avant de renforcer son investissement et se lancer dans des compétitions hors ligne. La compétition
n’est donc pas forcément instituée dès le départ chez les joueuses et les joueurs interrogés : certains
développent naturellement cet aspect par le biais d’activités antérieures, d’autres trouvent leur
intérêt dans la compétition, dans la pratique du jeu vidéo, tandis que des individus peuvent trouver
cette appétence en participant directement à des compétitions hors ligne, en tant que joueur mais
aussi en tant que spectateur. Noémie peut être rangée dans cette dernière catégorie puisqu’elle
découvre l’ambiance des LAN en suivant une équipe compétitive amateure, connue par son activité
dans une WebTV toute récente qui embauche la joueuse pour streamer. Celle-ci, streamant à
l’évènement participé, décrit ainsi sa découverte :

« c’est là que j’ai un peu aimé tout ce qui est, enfin je trouvais ça fou de trouver autant de
gens se réunir à un seul et même endroit, prendre le temps de se déplacer, faire une compétition et
jouer tous ensemble en fait, et c’est là que j’ai commencé à vouloir faire des équipes » (Noémie).

Une attirance pour la scène compétitive hors ligne est notamment signifiée chez l’intégralité
des enquêtés qui expriment diriger leur pratique compétitive du jeu vidéo vers cet objectif de
participer à des LAN, de pouvoir affronter d’autres joueurs, d’obtenir des résultats et de prouver sa
valeur. Ce n’est pas pour autant que les joueuses et joueurs se lancent directement dans les
compétitions hors ligne, jugeant auparavant leur niveau pour se lancer dans cette aventure. La
plupart des joueurs ne le mentionnent pas ouvertement mais ils expliquent conjointement leurs
efforts de se préparer avant leurs premières compétitions, de juger si leur niveau de jeu est suffisant
pour participer à une compétition hors ligne. Noémie et Marie donnent ainsi un certain pallier
atteint comme garantie pour pouvoir participer à une compétition hors ligne pour obtenir des
résutats :

« Le Master me suffisait, je pense le Master m’a suffit à me dire que je pouvais aller en LAN
sans me demander ce que je faisais là entre guillemet » (Marie) ; « Je crois que c’est le moment où

79
je suis passée Platine je crois, c’est là, c’est à partir de ce niveau où les équipes commencent à se
créer parce que pour progresser facilement jusqu’au Diamant, tous ensemble, je me suis dit que
c’était un bon niveau pour commencer à jouer en équipe, et par rapport au niveau féminin, je pense
que c’était ok. » (Noémie).

C’est avec ces extraits que l’on voit que l’appréciation du niveau de jeu reste subjectif. On
peut certes y ressortir certains éléments objectifs de la pratique des enquêtés, mais ils ne sont
réellement pertinents qu’au moment où ils débutent dans ces compétitions hors ligne. En effet,
l’esport évoluant plutôt rapidement, les scènes compétitives n’ont pas le même état que lorsque les
joueurs commencent leur pratique compétitive amateure. De plus, n’ayant pas commencé au même
moment, jouant sur différents jeux plus ou moins populaires dans les compétitions hors ligne, le
niveau de jeu suffisant pour décider de partir dans ces compétitions ne sera pas globalement le
même sur la base qu’on pourrait les comparer par rapport à la mesure de l’investissement
temporel116. Par cette pluralité de facteurs, on peut simplement expliquer que cette appréciation est
potentiellement et fortement subjective et que les attendus selon les joueurs pour espérer rentrer
dans une pratique compétitive amateur ne sont pas les mêmes :

« l’organisateur du tournoi m’avait demandé la veille de jouer contre lui et c’était aussi un
joueur, et je lui avais mis un truc du genre 10-0 mais genre vraiment sec, et il m’a dit « Oh mon
dieu faut que tu fasses le tournoi » (rires). Moi j’étais pas super confiant, c’était mon premier et
tout, je lui ai dit « non je préfère juste venir en observateur » (Christian).

L’exemple de Christian nous démontre ainsi les appréhensions que peuvent avoir les joueurs
lorsqu’ils ont comme projet d’essayer de participer à des compétitions hors ligne, pour avoir une
jauge de leur niveau de jeu qui n’est démontré qu’en ligne, et ainsi percevoir concrètement le
niveau de jeu qui est présent dans ces compétitions. Le joueur ne jugeant pas son niveau adéquat
peut ainsi être motivé par un groupement, l’entourage mais aussi d’autres joueurs pour participer
ensemble à ces compétitions. Le niveau de jeu est donc plus une mesure subjective que réellement
objective qui nous permettrait de dresser un tableau du grade en ligne possédé, incarné dans le
classement interne du jeu, comme mesure de la possibilité de participer aux compétitions hors ligne,
indépendamment des autres facteurs contraignant socialement le joueur. La mesure de la
performance du joueur moyen participant de façon amateure pourrait néanmoins être mesurée,
toujours en gardant en compte la spécificité des jeux joués, par une collecte de données sur les
compétitions présentes en France sur une année, en prenant compte de la popularité des
116 Un joueur commençant sur un jeu compétitif à ses débuts n’aura probablement pas la même mesure du niveau de
jeu adéquat pour les compétitions hors ligne qu’un joueur qui débute sur ce même jeu lorsque la scène compétitive
est beaucoup plus développée.

80
compétitions, mais aussi des moyens d’y participer, par qualification ou entrée libre par exemple 117.
Dans tous les cas, même si le niveau de jeu reste une mesure subjective et peu pertinente au vu de
nos données, l’appétence pour la compétition reste un critère essentiel pour l’entrée dans une
pratique compétitive amateure. Même si le discours des acteurs ne tend pas dès le départ vers cette
idée d’attirance pour la compétition, on reconnaît un discours vocatif, en soi que les joueurs mettent
tous en condition majeure, aux côtés notamment du plaisir de jeu, le fait d’être en compétition avec
d’autres joueurs. L’origine de cette appétence a beau être différent selon le parcours des joueurs et
leurs choix de vie, il reste tout de même, au moment où ils ont été interrogés, un critère essentiel qui
définit leur pratique vidéoludique. Il faut cependant supplanter ce critère en y ajoutant une subtilité,
propre au capital social : l’influence des « idoles », mais aussi l’influence de l’entourage social du
joueur.

2.2.2 La pratique vidéoludique au prisme des influences sociales

Les influences sociales sont diverses pour un joueur, décomposées ici en deux parties :
l’entourage familial et/ou amical, mais aussi l’influence des idoles, autrement dit des joueurs
professionnels suivis par les pratiquants lorsque ceux-ci visionnent des compétitions. Le deuxième
point étant plus rare, il convient de le décrire en premier lieu. Il est illustré par Christian et Alexis
qui nous décrivent la motivation d’être compétitif par le visionnage de parties de joueurs
professionnels :

« j’ai commencé à me renseigner sur qui étaient les meilleurs joueurs de Street Fighter bah
j’ai vu qu’y avait des professionnels, des gens qui en vivaient, comme Daigo, au début c’était les
précurseurs, Daigo, Tokido, Momochi et d’autres, Fuudo et compagnie. Je me suis pas directement
dis que j’allais devenir comme eux, c’est vrai que dans un premier temps j’étais un peu plus en
mode fan boy, mais après en fait tout c’est fait naturellement, j’ai pas eu de moment ouais où j’ai
découvert que, que y avait des pros, ils ont toujours été là pour moi en fait. » (Christian) ; « enfin
quand tu n’est pas pro tu les suis et quoi qu’il arrive quand tu es pro, y a des joueurs qui
t’impressionnent toujours et aujourd’hui y a deux des joueurs auquel je suis complètement fan, qui

117 On pense notamment que les tournois à qualification permettent de mesurer un niveau plus élevé car les joueurs
doivent s’affronter en ligne avant de pouvoir obtenir une place au sein de la compétition hors ligne. Néanmoins, il
faudrait prendre en compte les deux facteurs selon les jeux choisis, car les jeux de combat comme Street Fighter
propose majoritairement des tournois à entrée libre, où tout le monde peut s’inscrire.

81
m’ont énormément apporté, et rien que de leur parler aujourd’hui, c’est toujours une rencontre
trop bien. » (Alexis).

Avant de concourir à des compétitions hors ligne et initier une pratique compétitive
amateure, le joueur explique donc suivre les tournois de plusieurs joueurs professionnels, dont
Tokido, joueur qui lui inspire le plus grand respect, expliquant ainsi l’influence que peuvent dégager
les personnes suivies. D’autres joueuses et joueurs expliquent aussi de façon sous-entendu
l’influence que peuvent détenir des joueurs reconnus au sein des scènes compétitives suivies,
couplés souvent à cette attirance pour la scène compétitive hors ligne :

« ils montraient ça un peu comme un show et y avait une mise en scène, des entrées joueurs,
y avait une régie derrière où tu voyais quand fonction des directions, y avait des gens qui géraient
les caméras etc, je trouvais ça super beau à regarder et à suivre. Et j’étais un petit peu envieux des
joueurs parce que je me disais que ça doit être une expérience en fait superbe à vivre. » (Laurent)

Les situations décrites ramènent donc souvent à cette idée d’engouement qui peut se former
autour des compétitions, mais aussi autour des joueurs, dont certains développent une réelle
communauté de fans, dans un même esprit que les supporteurs de football qui suivent leur équipe
favorite dans leurs matchs. Manon décrivait déjà cette situation l’année dernière en expliquant la
starification qui pouvait s’opérer autour des équipes masculines professionnelles de Counter-Strike
au vu des audiences que le circuit mixte-masculin obtenait (et obtient toujours). Nicolas Besombes,
dans sa conférence, note notamment un certaine tendance à l’élitisme dans l’esport, en rapport avec
l’idée d’une pratique professionnelle comme seule pratique légitime au sein de la compétition, la
pratique amateure mais aussi semi-professionnelle étant relayées à une pratique vidéoludique non
sportive, non compétitive. Cet élitisme peut être expliqué par cette starification des joueurs qui peut
engendrer certains comportements de distanciation entre joueurs professionnels et joueurs amateurs,
mais aussi un ostracisme des joueurs compétitifs amateurs et semi-professionnels selon les scènes
compétitives, qui ne sont pas reconnus réellement pour leurs pratiques compétitives. Bien entendu,
il ne faut pas considérer ce constat comme définitivement présent dans toutes les scènes
compétitives qui régissent les jeux joués par les joueuses et joueurs amateurs en France.

Petit aparté terminé, la question des joueurs professionnels comme idole reste tout de même
un facteur « optionnel » au sens qu’il ne régit pas le parcours d’une majorité des enquêtés. Il est
souvent lié à une attirance pour la scène compétitive, pour le monde de l’esport et l’engouement qui
se forme autour. Le réel suivi de joueurs professionnels peut certes être un avantage pour motiver le
joueur à s’initier dans une pratique compétitive amateur – tout en relativisant son niveau par rapport

82
aux performances des dits joueurs professionnels – mais n’est pas une condition obligatoire pour
rentrer dans ce type d’activité. Marie le démontre bien en expliquant ne pas connaître forcément la
scène compétitive de League of Legends à son niveau professionnel, figurant tout de même dans
une pratique compétitive amateure dont elle veut continuer son investissement dans les mois à
venir. De plus, même si Annabelle désigne plusieurs équipes dans son « top » des meilleures
équipes, elle ne signifie à aucun moment s’être lancée dans une pratique amateure suite à un suivi
important de ces équipes, de leurs performances, à l’image d’une supportrice. Le visionnage de
compétitions n’est donc pas fondamental dans un but de suivre une équipe préférée, mais aussi de
découvrir la scène compétitive, de suivre les diverses évolutions, à titre d’information, permettant
tout de même de s’inspirer des stratégies réalisées par les professionnels, et ainsi tenter de les
appliquer dans sa pratique vidéoludique.

Que peut-on alors penser de l’entourage social, composé des pairs mais aussi de la famille
du joueur ? On a déjà pu décrire l’influence que pouvait avoir l’entourage amical sur l’entrée dans
une pratique compétitive. Marie explique s’être définitivement lancée dans les compétitions hors
ligne suite à un encouragement de son coéquipier, dans le rôle d’ADC :

« c’est surtout le fait que je m’entendais super bien avec mon ADC, qui était aussi de mon
niveau et du coup bah j’ai eu beaucoup plus de facilité à aller là-bas parce on s’entendait super
bien du coup, bah ça m’a motivé à y aller » (Marie).

Les pairs, qu’ils soient rencontrés hors de la pratique vidéoludique ou dans celle-ci,
détiennent une certaine influence pour motiver l’entrée dans la pratique compétitive amateure. Madi
décrit ainsi un intérêt pour la compétition qui se développe avant même sa pratique vidéoludique
sur les jeux de combat :

« Moi, tout seul, je pense pas que je l’aurais commencé, c’est du fait du jeu en équipe, vu
que, tu dois rester quand même au level de tes coéquipiers, qui m’a motivé à me lancer dans cette
pratique » (Madi).

Les équipes fondées avec des pairs lui « ouvre » les portes de la pratique compétitive
amateure, qu’il développe plus tard sur les jeux de combat. Bien entendu, la participation à ce type
de compétitions permet aussi de se forger de nouvelles relations qui vont renforcer cet intérêt pour
la pratique compétitive amateure, pour garder un certain niveau et jouer avec ces nouveaux amis
dans ces compétitions mais aussi en ligne. Laurent fournit notamment l’exemple de ces nouvelles
relations lorsque celui-ci rejoint la compétition vers ses 15-16 ans, alors un des plus jeunes à
concourir dans la scène esportive de Street Fighter 4, effectuant des rencontres qui façonnent son

83
comportement et sa « maturité ». Annabelle explique aussi avoir participé à plusieurs compétitions
en variant ces équipes avec les nouvelles relations sociales qui ont émergées des premières
compétitions.

Si l’on revient à l’entourage comme influence pour rentrer dans une pratique compétitive
amateur, Annabelle explique aussi avoir découvert cette scène par sa participation à des petits
tournois, accompagnée de ses amis mais aussi de son copain : « Bah j’ai déjà fait des petits LAN en
mix avant, j’en ai fait avec mon copain, avec mes amis mais c’était des petites LAN locales on va
dire » (Annabelle). Cet accompagnement peut s’effectuer avant même de rentrer dans une pratique
amateure, comme en ont déjà témoigné plusieurs enquêtés lorsqu’ils évoquent leur entrée dans un
nouveau jeu qui va être le support d’une pratique compétitive de loisir. Ce suivi peut, dans de rares
cas, se poursuivre jusqu’à l’entrée dans la pratique amateure. Quentin explique alors l’influence de
son cousin dans son entrée sur les jeux de combat, et notamment sur Guilty Gear, ainsi que la
motivation qu’il a pu retirer des encouragements de cette même personne pour participer à des
compétitions hors ligne. Cela est simplement explicable par l’investissement amateure de son
cousin dans la scène esportive des jeux de combat, connu des autres joueurs compétitifs et amenant
Quentin dans cette même pratique. De plus, la pratique intensive, le plaisir de jeu et la découverte
de la compétition par le jeu de combat renforce cet engouement pour perpétuer une pratique
compétitive amateure. Il arrive donc que l’entourage familial soit enclin à produire une influence
sociale pour rentrer et perpétuer cette pratique, mais aussi la limiter. Alexis explique ainsi son
soulagement d’avoir un entourage qui le soutient pour investir plus de temps dans cette activité :
« Donc déjà t’en parles à ton entourage et si ils sont plutôt pour, si ils commencent à te dire ouais
ça peut le faire, et bien déjà t’es plus libéré et tu peux accepter des propositions différentes. »
(Alexis). Cette expérience n’est pas généralisable, et nous le verrons ultérieurement, puisque
l’entourage familial peut émettre des réticences, voir limiter l’investissement des joueuses et
joueurs :

« je pense que c’est la chose qui a été le plus difficile pour moi, c’est-à-dire que j’ai pas
l’habitude de me déplacer, c’est la première fois que je suis parti de chez moi sans repères, c’est-à-
dire hors vacances etc, donc du coup ouais ça été difficile pour elle de me laisser partir, parce que
elle m’a demandé « tu vas où ? Tu fais quoi ? Est-ce que ça vaut vraiment le déplacement ? »
(Noémie).

C’est un des premiers exemples qui peut montrer cette influence sociale de l’entourage
familial sur l’entrée dans une pratique amateure. Une grande majorité des enquêtés expliquent ainsi
avoir eu des réticences à se lancer au vu des propos de l’entourage familial se demandant l’utilité

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d’un tel investissement. Cependant la mesure reste floue car cet investissement n’est pas forcément
chronologiquement spécifié, les joueurs expliquant alors certains rappels à l’ordre suite à un emploi
du temps tiraillé entre pratique vidéoludique intensive et études. Ce point sera souligné pour
montrer les possibles changements de perception de l’entourage familial après l’entrée dans cette
pratique compétitive amateure. Si l’on revient aux influences sociales, on peut finir en expliquant
que l’entourage familial et amical n’est pas le seul qui permet de motiver une telle pratique. Noémie
explique ainsi avoir découvert l’univers esportif par le biais de la WebTV où elle détient le rôle de
« streameuse » pendant une compétition où elle suit une équipe. Christian explique aussi avoir eu
des réticences à participer à un tournoi où l’organisateur l’inscrit contre son gré : « et il m’a inscrit
contre mon gré donc j’arrive et puis je sais directement que je tombe dans la poule d’un des
meilleurs joueurs lyonnais si ce n’était le meilleur à l’époque, il s’appelait El Juni, que je bats on
stream. » (Christian). On ne peut pas ranger ces relations dans le cadre amical puisque les deux
enquêtés expliquent rencontrer les personnes qui les amènent à participer/assister à une compétition
hors ligne. Néanmoins, cette influence sociale, dont Christian double avec les idoles, est un critère
intéressant qu’il faudrait prendre en compte dans une étude de plus grande envergure s’intéressant à
l’entrée des joueurs dans une pratique esportive Elle ne représente pas la majorité des expériences
des joueurs interrogés – rangeant l’influence amicale au cœur de cette pratique de loisir transformée
en pratique amateure – mais on pense que les acteurs extérieurs peuvent avoir un poids sur la
direction des carrières vidéoludiques.

Le constat est quelque peu évident : les influences sociales jouent un rôle important dans
une possible entrée dans la pratique compétitive amateure. De nature diverse, on stipule que les
relations qui se forment ou qui évoluent par la pratique vidéoludique vont permettre d’intensifier
cette pratique compétitive, voir l’extérioriser pour s’incarner dans des compétitions hors ligne. Mais
les informations récoltées ne nous permettent pas de désigner un moment précis, un stade clair de
ces relations, de ces influences qui permet de mesurer les conditions d’une entrée dans cette
pratique. On peut simplement expliquer leurs rôles plus ou moins importants, le joueur étant
toujours empli de relations sociales, qu’elles soient extérieures ou intérieures à la pratique
vidéoludique. La difficulté sera alors moindre de tenter cette nouvelle aventure pour le joueur, qui
déjà poussé par les pairs joueurs, aura l’approbation de son entourage familial. Bien entendu, il
faudrait mesurer l’influence de l’entourage familial au vu de l’âge d’entrée dans la pratique
compétitive amateure, qui pour les joueurs est notamment relativement plus tôt que les joueuses
interrogées118. On peut donc simplement stipuler que l’entourage familial a une fonction limitante

118 Nous reviendrons sur cette différence d’âge dans la partie sur la mixité comme possible argument pouvant
expliquer une différence de reconnaissance entre joueuses et joueurs.

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ou facilitante de cette entrée dans la pratique compétitive, tandis que les influences sociales
provenant de nouvelles relations, de joueurs professionnels suivis, permettent d’ouvrir les portes des
scènes compétitives côtoyées par ces mêmes personnes sans posséder les mêmes contraintes que le
cadre familial. L’entourage amical vient lui dans une certaine fonction d’encouragement, de
valorisation à la pratique compétitive, qui dans de moindre cas, s’extériorise dans une pratique
compétitive amateure comme pour les enquêtés interrogés. Les influences sociales ne peuvent donc
pas être décrites à proprement parlé comme un facteur primordial de l’entrée ou non dans la
pratique compétitive amateure, mais plutôt comme un élément qui permet de soutenir, de favoriser
cette entrée sans pour autant la définir. Il nous reste un dernier facteur à présenter qui signe l’entrée
dans la pratique compétitive amateur, mais surtout son actualisation auprès des enquêtés.

2.2.3 Les premières compétitions

Le meilleur moyen de découvrir les scènes esportives reste encore de se rendre aux
compétitions présentes en France et dans le monde entier. Derrière cette évidence se cache plusieurs
façons d’accéder à cette découverte pour les joueuses et joueurs interrogés. La première, moins
répandue, est d’assister à une compétition en s’y déplaçant. Un téléspectateur pourra certes assister
aux compétitions directement en streaming, mais c’est le déplacement qui va définir cette
découverte de la scène esportive, en soi que le joueur expérimente physiquement ce que représente
une compétition hors ligne, se retrouve directement dans le même espace que des joueurs dont il a
pu admirer plusieurs performances, et se retrouver à son tour dans le rang des spectateurs qui
participent à cette ambiance caractéristique de ces évènements, animée par un commentateur dont le
but est de développer cet engouement derrière les matchs, derrière les joueurs qui s’affrontent,
derrière la compétition. De ce côté, quelques joueurs nous content leur participation en tant que
spectateurs d’un évènement esportif :

« c’est là où j’étais allée à ma première LAN, j’avais suivi l’équipe à la DreamHack Tours
de 2016 je crois, la DreamHack 2016 où je suis venu avec eux, avec l’équipe parce que j’étais
streameuse, j’ai streamé là-bas et du coup j’avais suivi un peu ce qu’était une LAN et tout et ça m’a
un peu émerveillé. C’est là que j’ai un peu aimé tout ce qui est, enfin je trouvais ça fou de trouver

86
autant de gens se réunir à un seul et même endroit, prendre le temps de se déplacer, faire une
compétition et jouer tous ensemble en fait, et c’est là que j’ai commencé à vouloir faire des équipes,
et à la DreamHack de l’année d’après j’avais une équipe et j’ai fait mon équipe féminine. »
(Noémie).

Même si Noémie reste la seule à l’exprimer clairement derrière une expérience marquante –
les enquêtés gardant le terme de première compétition pour leur première fois en tant que joueur –
Laurent accompagne aussi cette découverte par le visionnage puis la participation en tant que
spectateur à de tels tournois. Ce cas reste tout de même rare, la plupart des joueuses et joueurs
expliquant s’être initié à la compétition hors ligne par des évènements de différentes tailles. La
deuxième voie, la plus répandue donc, reste alors de participer à une compétition pour s’initier à la
pratique compétitive amateure, et ainsi juger de son niveau de jeu et des performances possibles lors
de ces tournois. La mesure du pallier de jeu entrant déjà avant les compétitions, la plupart des
joueuses et joueurs interrogés se lancent soit sur des petites compétitions, ou attendent un niveau
plutôt élevé avant de participer à une compétition où le niveau est réputé pour être haut.

C’est là que la distinction est intéressante dans les choix opérés par les enquêtés pour
désigner leur compétition. Annabelle va par exemple questionner le statut de compétition
lorsqu’elle évoque ses premières « LAN » :

« Bah j’ai déjà fait des petits LAN en mix avant, j’en ai fait avec mon copain, avec mes amis
mais c’était des petites LAN locales on va dire, tu vois dans des bars et tout, y a des petits tournois
qu’étaient organisées donc je sais pas si je le compte » (Annabelle).

Elle tendra donc à désigner sa participation à la Copenhagen Games en 2017 comme


première « vraie » compétition, tournoi prestigieux qui regroupe un certain nombre d’équipes de
haut niveau sur Counter-Strike mais aussi sur d’autres jeux. La première compétition devient donc
la première grande compétition, reconnue pour regrouper des joueurs de haut niveau. Pour autant,
les joueurs, dans leur démarche d’expliquer leur parcours, définissent aussi les petits tournois
comme ayant une importance toute particulière. Quentin, alors entraîné par son cousin, lui-même
joueur compétitif amateur, motive celui-ci à extérioriser sa pratique dans des tournois hors ligne, de
former des relations sociales avec d’autres joueurs présents sur Rennes. Il participe alors au
« ranking » de 3 Hit Combo119, qui constitue un premier réseau de compétitions locales réunissant
les joueurs situés sur la même ville, sur la même zone géographique entourant celle-ci. Ainsi, même

119 3 Hit Combo est une association rennaise créée en 2005. Leur objectif de valoriser le jeu par différentes actions, et
le montre comme un moyen de faire émerger de nouvelles pratiques numériques créatives, culturelles et populaires.
Ils sont notamment à l’origine des « ranking », mais aussi du Stunfest, tournoi de jeu de combat reconnu, ainsi que
des débats sur le jeu vidéo qui figurent pendant cet évènement.

87
si Nicolas Besombes explique que les clubs amateurs à l’image des clubs de football n’existent pas
encore pour l’esport, on peut apercevoir le développement d’un tissu associatif et local, au moins
dans les grandes villes, autour de la pratique esportive sur plusieurs jeux. Il serait néanmoins
intéressant de développer cette supposition en étudiant notamment le rôle des bar esport 120 derrière
le développement de ces réseaux locaux. Petite parenthèse fermée, Christian désigne ainsi sa
première compétition hors ligne, qui n’est autre qu’un tournoi dans un bar esport, comme
constitutive de son parcours et de la raison pour laquelle il s’est lancé dans une pratique compétitive
amateure, gagnant le tournoi, et notamment un match contre un des meilleurs joueurs lyonnais de
Street Fighter 4 à l’époque. Cette première performance lui permet d’obtenir plusieurs opportunités,
dont des invitations sur des plateaux de WebTV, mais aussi des invitations à des sessions et à
d’autres tournois. Laurent, dans un autre cas, énonce ses performances au sein d’une compétition où
il a pu prouver son niveau en finissant 30ème sur 250, et notamment en battant un des joueurs
« top » français. Il se prouve donc à lui-même sa capacité à continuer dans cette direction :

« je me suis rendu compte que j’étais pas mauvais en fait, que j’avais un petit niveau, j’étais
clairement pas solide et un des meilleurs français mais que ça faisait quoi, 1 an et demi que je
jouais au jeu et à un moment donné, sur ma première compétition, j’avais réussi à battre un top
français » (Laurent).

Dans la même approche, Madi explique aussi que les performances obtenues avec les
diverses équipes constituées sur Call of Duty l’ont grandement motivé à s’investir dans ce type de
pratique, et ainsi de la continuer sur des jeux de combat. Nous relativisons son expérience car le
joueur se lance dans la compétition par un circuit compétitif disponible en ligne, qui reprend la
même organisation des tournois hors ligne avec un système de points par compétition, mais
exclusivement en ligne. Son premier « vrai » tournoi est aussi spécifique puisque le joueur désigne
un tournoi organisé par lui-même et son association, où il a pu porter la double casquette
d’organisateur et de joueur compétitif, obtenant de bons résultats. Mais l’obtention de résultats,
d’une performance qui permet au joueur de prouver son niveau de jeu et sa capacité à se défendre
dans les compétitions hors ligne, n’est pas forcément une condition pour se lancer dans une pratique
compétitive amateure. Linkexelo explique ainsi être motivé par d’autres joueurs pour participer à la
Cannes Winter Clash, tournoi de plus grande ampleur, où celui-ci décrit ses résultats comme faible.
Noémie fait aussi ce constat :

120 Un bar esport est un bar qui propose régulièrement des diffusions de compétitions de jeu vidéo à l'image d'un bar
sportif. Il diffuse des compétitions mais organise aussi des événements comme des tournois le soir sur différents
jeux et différents plateformes toute la semaine. Enfin, un bar esport peut proposer des supports de jeux permettant
aux consommateurs de jouer ensemble : ordinateur conçu pour jouer, borne d'arcade et consoles de jeux de dernière
génération.

88
« bah la première compétition, avec les filles on s’était entraînées mais c’était vraiment dur,
on s’attendait pas à un niveau aussi haut, c’est-à-dire que la DreamHack de cette année là, enfin
les DreamHack en général ont un très haut niveau du coup bah nous on a pas forcément réussi à
sortir des poules ou quoi, du coup ça été une expérience, ça été un peu échec au début on va dire,
puis je me suis dit « faut pas m’arrêter là » » (Noémie).

Les joueurs sont donc tiraillés entre deux orientations. Les premiers, moins présents,
désignent réellement leur première compétition, sans distinction de l’importance de celle-ci mais
aussi des résultats obtenus, tandis que d’autres viennent à désigner leur première compétition
comme celle qui marque l’entrée dans une pratique compétitive amateure ou plus pour eux, qui
signe leur volonté de s’investir au maximum dans cette activité. Nous verrons notamment en quoi
ces autres compétitions, qui sont plus des compétitions « marquantes » pour les enquêtés – en soi
qu’elles sont porteuses d’un sens spécifique dans leur parcours – permettent de désigner un échelon
plus élevé que la pratique compétitive amateure, du moins dans la plupart des cas. En effet, Quentin
raconte son parcours au Stunfest 2016, première « grande » compétition, qui accueille notamment
un tournoi solo de Street Fighter 5 qui figure dans le Capcom Pro Tour, circuit esportif officiel du
jeu organisé par l’éditeur et les organisations s’occupant d’aménager ces évènements. Il explique
alors ressortir de cette compétition en gagnant le tournoi solo sur Guilty Gear, où plusieurs joueurs
de haut niveau du jeu ont pu s’affronter. Les raisons de sa continuité sur une telle pratique amateure,
qui continue toujours, vient de son attirance certes pour la compétition, mais aussi pour ce que
représente les compétitions, à savoir un regroupement de joueurs qu’il peut affronter, rencontrer ou
revoir, ainsi qu’une « ambiance » particulière où les individus regroupés viennent pour participer de
façon plus ou moins directe au spectacle qui se forme par l’organisation du tournoi mais aussi
l’engouement situé derrière la compétition, le jeu ainsi que les joueurs. C’est Noémie et Marie qui
expliquent le mieux cette attirance pour les compétitions hors ligne, partagé par l’ensemble des
individus interrogés :

« je trouvais ça fou de voir autant de gens se réunir à un seul et même endroit, prendre le
temps de se déplacer, faire une compétition et jouer tous ensemble en fait, et c’est là que j’ai
commencé à vouloir faire des équipes, et à la DreamHack de l’année d’après j’avais une équipe et
j’ai fait mon équipe féminine. » (Noémie) ; « parce que je m’y plais vraiment, l’ambiance, les gens,
et chaque vois j’y retourne, ça me marque donc … parce que j’adore vraiment l’ambiance qu’y a
etc, que j’y joue ou pas, après jouer c’est un plus, mais j’adore. » (Marie).

C’est donc un des critères qui semble définir le mieux cette continuité vers un
investissement pour une pratique compétitive amateure. Les premières compétitions, en tant que

89
spectateur, mais aussi et surtout en tant que joueur, permettent ainsi d’expérimenter les aboutissants
de la scène compétitive du jeu choisi, de la popularité du jeu, des opportunités en termes de carrière
qui peut s’offrir aux joueurs. Bien entendu, les joueurs n’ont pas cet objectif en tête de devenir
professionnel, notamment car l’écart de niveau est trop élevé, ou tout simplement car la scène
compétitive du jeu choisi n’offre pas cette possibilité, impossible ou réservée à une infime partie de
joueurs qui excellent dans leur pratique compétitive. Ces premières compétitions ne peuvent donc
pas être définies comme une condition pour rentrer dans une pratique plus compétitive, mais
comme un facteur qui va influencer l’entrée ou non dans la pratique amateure. Elles sont donc des
étapes essentielles pour les joueurs qui veulent s’investir dans la pratique compétitive amateure,
donner une chance à une pratique plus compétitive, après avoir montré un intérêt certain pour la
compétition, motivé par des influences sociales mais aussi après avoir fait la mesure de son niveau
de jeu et de sa capacité à pouvoir aller en tournoi sans remettre en cause la place du joueur dans la
compétition hors ligne choisie. C’est l’ensemble de ces facteurs qui va ainsi permettre cette décision
d’expérimenter une pratique compétitive amateure mais surtout de la perpétuer en gardant un
rythme régulier sur le jeu et en participant à d’autres compétitions hors ligne.

La reconnaissance se ressent alors dans cette entrée puisque les joueuses et joueurs
interrogés retirent une satisfaction d’être reconnus pour leurs performances, de prouver aux autres
mais aussi à soi-même sa place dans la scène esportive choisie, de se reconnaître soi-même comme
étant capable de participer à ces compétitions et d’y développer un style de jeu qui permet
d’affronter efficacement les autres joueurs. La reconnaissance passe alors par cette volonté d’être
reconnu pour ses efforts investis dans une pratique compétitive, visible par les résultats que le
joueur peut obtenir en compétition hors ligne. Ils y expriment aussi une reconnaissance propre à la
sphère affective, entourés de pairs joueurs qui vont les soutenir à rentrer dans cette pratique, et d’un
certain sentiment d’appartenance à cette « entité » esportive, à cet univers qui les attirent. C’est
donc bien ce dernier point qu’il faut souligner : derrière les descriptions d’une « ambiance »
particulière, les joueurs désignent leur volonté de rentrer dans ces scènes esportives, de faire partie
de cet univers en tant que joueuses/joueurs reconnus par les mêmes acteurs qu’ils reconnaissent
eux-mêmes pour leurs qualités, présents pour développer et investir une pratique compétitive dans
les compétitions hors ligne. Le sentiment d’appartenance semble donc bien le terme à choisir pour
définir cet état de fait concernant le ressenti des joueurs vis-à-vis de la pratique compétitive
amateure et des scènes esportives dans lesquelles elle se développe. Mais ce sentiment
d’appartenance, accompagné des autres facteurs présentés, ne saurait complètement définir l’entrée
dans une pratique compétitive semi-professionnelle/professionnelle.

90
2.3 Les structures esportives : une entrée vers une pratique semi-
professionnelle/professionnelle ?

Dans les facteurs déterminants désignés par les joueurs pour décrire leur entrée dans une
pratique compétitive semi-professionnelle/professionnelle, la structure esportive rentre en compte.
Derrière ce terme se retrouve une multitude d’organisations dont l’objectif est de porter des joueurs,
une équipe en signant un contrat avec les personnes recrutées. Ce contrat stipule généralement une
certaine visibilité offerte par la structure vis-à-vis du joueur ou de l’équipe, mais aussi des frais
engagés dans la pratique compétitive du joueur. On parle alors de défraiement des déplacements et
de la participation aux tournois (qui est payante) plus ou moins important, mais aussi d’une
rémunération du joueur qui peut dans certains cas vivre de cette rémunération et donc s’investir
entièrement dans sa pratique professionnelle. Nous reviendrons sur ce point qui dépend de
beaucoup de facteurs, dont la popularité du jeu, les acteurs présents sur la scène compétitive du jeu,
mais aussi du statut du joueur professionnel qui n’est pas forcément le même selon le pays.

On peut déjà désigner la différence d’importance de ces structures esportives qui peuvent
être récentes, cherchant alors des joueurs, une « formation » pour les jeux compétitifs choisis, à une
structure qui a un passé majeur dans l’esport, voir qui peut être considérée comme une des
premières à donner un cadre « sécurisé » aux joueurs compétitifs en leur donnant des moyens pour
porter leur pratique et leur permettre de se développer dans la compétition. A ce titre, plusieurs
structures esportives américaines s’exportent aussi en France et recrutent des joueurs compétitifs sur
plusieurs jeux. C’est le cas d’un des joueurs interrogés qui explique être recruté par une structure
américaine reconnue dans l’esport qui s’intéresse depuis peu au jeu de combat. Toutefois, il ne faut
pas les confondre avec les sponsors, entreprise qui va soutenir une personne, un organisme
(habituellement les structures esportives) ou une action d’intérêt général (comme une compétition
par exemple) dans un but commercial. Le but pour les entreprises est d’avoir un support de
communication, une visibilité par le joueur, l’organisme ou l’évènement sponsorisé, qui vont en
retour promouvoir les produits et services des entreprises sponsorisant ces éléments. Un joueur
pourra alors être sponsorisé par une entreprise, mais le cadre habituel dans l’esport vient plutôt
d’une signature d’un contrat avec une structure esportive, donnant un cadre sécurisé au joueur, qui
va ensuite être sponsorisé par plusieurs marques sélectionnant les joueurs parmi les structures
esportives visibles. Il arrive tout de même que certains sponsors, par leurs moyens importants,
structurent la pratique du joueur et lui permettent de vivre pleinement de sa pratique 121 Mais sont-
121 On pense notamment au premier joueur professionnel français de Street Fighter, Luffy, qui détient un contrat avec
Redbull qui lui permet entre autres de s’adonner pleinement à sa pratique compétitive.

91
elles vraiment un facteur déterminant concernant l’entrée dans une pratique compétitive
professionnelle/semi-professionnelle ?

Si l’on regarde le parcours des enquêtés, les structures esportives semblent prendre une part
prépondérante. Christian, après sa victoire à sa première compétition, se motive à perpétuer une
pratique amateure. À l’arrivée de Street Fighter 5, le joueur décide de se lancer plus intensément
dans la compétition pour tenter de vivre de cette pratique. Il gagne alors le tournoi Street Fighter 5 à
la Cannes Winter Clash. Cette performance lui vaudra d’être contacté par plusieurs structures
esportives, acceptant l’offre du Meltdown, bar esport présent dans plusieurs villes en France. Dans
le cadre de son expérience, le joueur se voit offrir de nouvelles opportunités pour stabiliser sa
pratique vers une régularité et une sécurité, autrement dit la possibilité de vivre partiellement de sa
pratique. Il obtient plus tard un contrat avec une autre structure esportive qui lui permet de vivre,
encore aujourd’hui, complètement de sa pratique esportive sur Street Fighter 5. Dans son discours,
celui-ci explique notamment le facteur déterminant de sa première structure esportive, sorte de
« tremplin » qui lui a permis de s’investir plus fortement pour atteindre sa situation actuelle de
joueur professionnel. Mais la structure esportive ne permet pas nécessairement d’atteindre une
pratique entièrement professionnelle, dépendant des moyens mis en avant pour soutenir l’activité du
joueur sponsorisé. Christian reste le seul dans l’échantillon interrogé qui perpétue ce type de
pratique. Il n’en est pas moins que les structures esportives ont un rôle de structuration de la
pratique, d’une régularisation de celle-ci, de formation d’un cadre « sécurisé » au sens que le joueur
est soutenu par une entité qui lui met à disposition des moyens financiers mais aussi une visibilité
par la communication de la structure esportive. Laurent et Alexis, recrutés par la même structure
esportive cette année, explique alors leur entrée dans cette organisation comme le facteur
déterminant les faisant rentrer dans une pratique semi-professionnelle :

« Le facteur déterminant, je pense que c’est juste tout simplement le premier contact avec
un vrai sponsor en fait » (Alexis) ; « j’avais jamais gagné dans ces tournois mais ils voyaient que
j’avais un réel potentiel et en gros ils m’ont accordé le budget que je voulais pour continuer dans
ce sens-là. » (Laurent).

Annabelle enchérit aussi ce point en expliquant son entrée dans une structure esportive qui
s’est faite suite à une opportunité saisie :

« Bah ça été le fait de rentrer dans une organisation professionnelle, voilà c’est ça, et
ensuite ouais d’avoir l’impression qu’avec mon équipe on pouvait aller loin, et puis on avait les
moyens. Voilà, c’est surtout le fait d’avoir un contrat » (Annabelle).

92
Chez ces quatre joueurs, la structure esportive détermine leur pratique compétitive, leur
transition vers une pratique semi-professionnelle voir professionnelle. Cette distinction est
importante car Christian est le seul à investir pleinement son temps dans la pratique vidéoludique,
les autres cumulant un emploi à côté pour subvenir à leurs besoins financiers. Les autres joueurs
sans structure esportive se retrouvent alors dans une pratique compétitive amateure, ne pouvant
participer à autant de compétitions que les joueurs semi-professionnels et professionnels dont leurs
frais de déplacement et de participation sont financés par la structure esportive, par le ou les
sponsors avec lequel le joueur a signé des contrats. Marie et Quentin, sans structure, explique alors
leurs difficultés pour se déplacer aux compétitions auxquels ils participent. Et même si les joueurs
peuvent rentabiliser leurs déplacements en obtenant des gains suite à de bons résultats sur le ou les
tournois où ils participent, la régularité des déplacements n’est pas aussi importante que pour un
joueur professionnel ou semi-professionnel qui est financé par une structure, pouvant ainsi se
déplacer à plusieurs évènements sans mettre en place un budget prévisionnel. De plus, l’obtention
de ces gains n’est pas systématique et dépend exclusivement des performances du joueur lors des
compétitions. Bien entendu, les moyens mis en avant par les structures esportives vont aussi
contraindre la pratique du joueur. Laurent nous parle à ce titre d’un premier sponsor au financement
au départ limité :

« Et en gros au début j’avais le droit, j’avais pas forcément le droit au défraiement dans les
tournois, j’avais le droit qu’à 50 € par tournoi, du coup en gros je me démerdais pour faire rentrer
tous les frais dans les 50 €, quitte à me déplacer en bus, de faire un Paris Lyon c’est pas grave, tant
que je rentrais dans le budget. Et en fait je devais faire mes preuves avant d’avoir un plus gros
budget ».

D’un autre côté, Alexis va décrire la récente évolution de sa carrière vidéoludique qui lui
permet de s’extirper hors de la France : « j’étais plutôt basé en France l’année dernière et cette
année je vais pouvoir voyager en Europe pour le circuit CPT en Europe. ». Le joueur, grâce à sa
nouvelle structure, va ainsi pouvoir renforcer sa participation dans les compétitions hors ligne et
gagner de l’expérience en affrontant d’autres joueurs.

Mais l’adhésion à une structure esportive ne permet pas forcément de définir une pratique
professionnelle. En effet, Madi fait bien parti d’une association regroupant des joueurs et qui
organisent des évènements autour des jeux de combat. Même si le joueur explique que l’association
est en réflexion pour financer les déplacements des joueurs compétitifs membres, elle n’a pas le
même objectif initial qu’une structure esportive qui vise elle à recruter des joueurs, à constituer des
formations de joueurs autour de plusieurs jeux compétitions, et d’attirer les sponsors. Dans d’autres

93
cas, les moyens mis en avant par la structure sont trop faibles pour rentrer dans une pratique semi-
professionnelle. Noémie, joueuse compétitive amateure, explique donc être intégrée au sein de la
structure Coexistence. Structure esportive récente, elle ne permet pas à la pratiquante de gagner un
revenu complémentaire et de la classer parmi les joueuses semi-professionnelles. De plus, sa
récente adhésion à la structure ne lui donne pas encore le fait d’expérimenter les possibilités offertes
et de s’investir plus intensément dans une pratique compétitive par le biais de compétitions hors
ligne. Au moment de l’entretien, celle-ci est encore dans une pratique compétitive amateure. Il n’est
pas impossible que cette structure lui sert de tremplin dans sa pratique compétitive, dans son niveau
de jeu, dans sa participation à des compétitions mais aussi dans les opportunités qui peuvent s’offrir
si elle obtient des résultats dans des compétitions reconnues pour leur organisation, pour le niveau
de jeu, pour les enjeux (financiers mais aussi de reconnaissance) qui se situent derrière.

Les structures esportives conditionnent l’évolution des carrières compétitives des joueuses et
joueurs. Individuellement, ils peuvent se hisser vers une pratique amateure en explorant le monde
esportif, sous couvert d’un certain niveau de jeu, d’influences sociales pouvant encourager cette
pratique mais aussi d’un attrait certain pour la compétition, qu’il se développe avant la pratique
vidéoludique, pendant la pratique vidéoludique ou lors de la découverte des évènements esportifs.
Les premières compétitions sont l’étape particulière de cette entrée : elles permettent la découverte
de l’univers esportif, et dans la plupart des cas, du moins pour les enquêtés, la découverte d’un
intérêt tout particulier pour ces compétitions hors ligne, pour l’ambiance, l’engouement, les
relations sociales qui peuvent se former. La performance des joueurs n’est alors pas un point
essentiel pour mesurer une envie de continuer dans cette pratique, même si elle peut encourager
cette motivation, et peut même ouvrir des portes aux joueurs pour évoluer vers une pratique semi-
professionnelle, ou du moins une pratique amateure plus intensive. La pratique professionnelle ou
semi-professionnelle va dans ce cas s’incarner dans deux critères. Le premier n’est autre que
l’intégration du joueur dans une structure esportive, la signature d’un ou de plusieurs contrats
stipulant un encadrement de la pratique du joueur, financé plus ou moins fortement selon les
moyens possédés et mis en avant par cette dernière. Ce critère doit aussi être relié à un autre, déjà
présenté : la participation aux évènements compétitifs hors ligne, aux compétitions (dont des
grandes), nommées habituellement sous le terme de « Major ». La combinaison de ces deux critères
distingue ainsi le parcours des joueuses et joueurs interrogés. De même qu’il n’y a qu’un seul
joueur réellement professionnel, Christian, pour des raisons de rémunération plus importante pour
sa pratique compétitive, quatre joueurs ne sont pas dans une pratique semi-professionnelle : Madi,
Quentin, Noémie, Marie. La cause est à situer dans ces deux critères : Marie et Madi ne sont pas

94
intégrés au sein d’une structure esportive, participant de façon occasionnelle à des compétitions
hors ligne ; Noémie possède une structure esportive mais ne participe pas encore de façon régulière
à des compétitions ; Quentin n’est pas au sein d’une structure mais utilise ses moyens financiers
pour se déplacer régulièrement à plusieurs évènements compétitifs. L’échantillon observé montre
donc une certaine égalité entre les joueurs ayant obtenu et saisi des opportunités pour
professionnaliser leur carrière compétitive, tandis que d’autres commencent à s’intégrer dans une
pratique amateure. On trouve aussi des joueurs comme Quentin qui voue un investissement régulier
aux compétitions hors ligne mais qui reste dans une pratique amateure au vu des opportunités
professionnelles trop faibles, complexes à obtenir122. Dans tous les cas, l’intégration dans une
pratique compétitive amateure reste un facteur intéressant pour souligner les expériences des
enquêtés, qui figurent aussi dans la scène esportive en France, même si leur engagement est moins
important. Il est ainsi important de souligner leurs activités pour percevoir la reconnaissance
obtenue dans leurs efforts, dans leur investissement vers le monde esportif.

122 Nous reviendrons sur ce point lorsque nous évoquerons les spécificités des scènes compétitives et les opportunités
qu’elles proposent pour les joueurs.

95
3. L’expérience compétitive du jeu vidéo

3.1 Le « bon » joueur professionnel : un idéal à atteindre ?

Le quotidien des joueurs compétitifs de jeu vidéo a été questionné de plusieurs manières.
Parmi les questionnements, les joueuses et joueurs étaient amenés à s’exprimer sur ce qu’est une
pratique professionnelle du jeu vidéo, mais aussi ce qu’est un bon joueur professionnel de jeu vidéo.
Les deux questions, souvent comprises comme un même ensemble, donne lieu à plusieurs
caractéristiques qui va définir les qualités d’un « bon » joueur professionnel, au sens d’un idéal que
le joueur dans sa pratique doit atteindre. L’intérêt pour nous est d’identifier les caractéristiques
attribuées à cet idéal et de voir en quoi les joueuses et joueurs interrogés s’identifient à ces
caractéristiques dans leur pratique, en quoi ils essaient d’atteindre les critères avancés. Annabelle
nous donne un premier aperçu de comment elle perçoit la pratique professionnelle et le « bon »
joueur professionnel :

« une pratique professionnelle du jeu vidéo c’est, des horaires assez fixes, une quantité de
travail à fournir quand même, pour moi c’’était minimum, enfin les pros qui veulent vraiment
réussir, ils doivent être vraiment à 8 heures par jour, pas forcément que à jouer, mais à analyser le
jeu, analyser les équipes adverses, à … une pratique pro c’est … c’est aussi une attitude, une
attitude professionnelle, faut pas donner une image d’un enfant qui joue et qui rate tout à côté, une
certaine responsabilité à avoir, et voilà. Ouais, c’est surtout les horaires et puis l’image qu’on peut
donner. » (Annabelle).

Deux caractéristiques ressortent de ces propos : un cadre stable demandant une rigueur chez
le joueur, une image à entretenir par son comportement. La rigueur fait notamment référence à la
nécessité d’organiser son investissement sur le jeu pour obtenir des résultats, toujours dirigé vers cet
objectif de performance, de rationalisation de son temps pour maximiser l’efficacité des
entraînements et des sessions faites par le joueur hors compétition. Mais cette caractéristique n’est
pas exprimé que par Annabelle : Alexis, lorsqu’il explique l’importance de dédier du temps pour sa
pratique, démontre que ce temps se doit d’être régularisé sous une certaine rigueur, s’incarnant dans
des horaires régulières, un certain planning, mais aussi dans la façon d’utiliser ce temps, de
rationaliser celui-ci. Cet esprit est largement décrit par Sylvie Craipeau lorsqu’elle explique la
ressemblance entre monde vidéoludique et monde du travail sur ces questions de temps : l’idée est
de « ne pas perdre de temps » (Craipeau, 2011 : 141-142), de maximiser le temps utilisé pour

96
obtenir des résultats concluants, qui vont notamment se manifester en tournoi lorsque le joueur
prouve à lui-même et aux autres son niveau de jeu et sa capacité à rester compétitif. Alexis en vient
notamment à expliquer que l’objectif derrière une telle régularité est tout simplement de montrer
que le joueur vaut son statut de joueur professionnel, que les moyens mis en avant pour cette
pratique vaille le coup d’être mis en place. La rigueur fait aussi passer en avant plusieurs qualités
propre au « bon » joueur professionnel, dont celle d’adaptation, de réflexivité. Les deux sont reliés
et désigne la capacité du joueur à se remettre en cause, à réfléchir sans cesse sur sa pratique, sur sa
façon de jouer, pour ensuite s’adapter aux nouvelles situations : une situation problématique contre
un personnage/un joueur en particulier, une mise à jour qui change l’équilibrage du jeu, des
habitudes du joueur lisible par les autres joueurs. Laurent nous explique cette nécessité d’être
réflexif sur cette pratique :

« c’est la personne qui pendant on va dire trois quatre mois, il va être dans les meilleurs du
monde, à un moment donné les gens vont analyser ce qu’il va faire pendant ces trois quatre mois
pour ensuite le contrer, il va perdre et en fait le bon joueur pro en question, il va pas être bon que
sur trois quatre mois, il va voir que ce qu’il a fait pendant trois quatre mois ça a marché, il était
dans les meilleurs du monde, maintenant on a trouvé des contres à ça et c’est à lui de trouver des
contres de contres. Un bon joueur pro, c’est quelqu’un qui va se remettre en question sur ce qu’il
fait, sur ce qu’il est, et sur comment il joue. » (Laurent).

L’idée revient à celle de la performance, qui s’incarne par une rigueur concernant
l’investissement, mais aussi une réflexion sur la pratique vidéoludique que développe le joueur
professionnel. Cette réflexivité va avec l’idée de s’adapter à tout type de changement, mais aussi de
garder une certaine ouverture d’esprit pour prévoir tout type de situations qui pourrait subvenir lors
des compétitions hors ligne. La performance reste donc un critère, décliné sous plusieurs qualités,
majeur pour les enquêtés pour définir le « bon » joueur professionnel, idéal que les joueurs veulent
atteindre en respectant les préceptes énoncés. Elle est aussi reliée à cette idée de posséder un
« mental » particulier, d’appliquer les stratégies et les connaissances accumulées lors des sessions
de jeu avec un certain sang-froid :

« Euh, faut savoir rester calme, faut savoir aider les autres, faut avoir la mentalité et pas
rage up, faut savoir jouer bien entendu, je pense que y a beaucoup de qualités qui font qu’un joueur
pourrait être un bon joueur pro. » (Marie).

Ce calme propre au « bon » joueur professionnel vient dans cet esprit d’adaptation à toutes
les situations possibles, avec un fort contrôle des émotions pour appliquer les stratégies apprises

97
lors des sessions d’entraînement, seul ou avec son équipe. Un « mental » implique donc certes cette
gestion des émotions qui permet de garder son calme pendant les situations les plus critiques en
partie – par exemple lorsque se creuse une différence de points entre le joueur et l’autre (parties
gagnées, équipements plus forts…) – mais aussi de réfléchir sur sa pratique, de remettre en cause
ses acquis en tant que joueur, et de s’investir dans une pratique intensive malgré des défaites : « les
gens qui gagnent le plus c’est aussi les gens qui ont perdu le plus je pense, et c’est eux qui ont
appris de leurs erreurs, » (Noémie).

La deuxième caractéristique se détache de cette nécessité de performance et renvoi à l’image


du joueur professionnel. En effet, la plupart des enquêtés évoquent le rôle du joueur professionnel
auprès de sa structure esportive et des sponsors qui le soutiennent :

« c'est un facteur très important d'avoir une bonne image car bon quand tu représente une
marque par un sponsor justement si tu as une mauvaise image, le sponsors peut être plus difficile et
même ça te ferme des porte mine de rien d'avoir euh comment dire, d’être connue pour avoir un
sale caractère » (Quentin) ; « Ça c’est plus l’aspect marketing mais oui pour devenir joueur pro, va
falloir que t’apprennes à communiquer, à développer tes réseaux sociaux, à donner envie aux
marques de travailler avec toi, y a beaucoup de choses à travailler qui sont plus sur le plan
effectivement professionnalisme que de ta performance, tu peux devenir un très bon joueur pro et
être un mauvais communiquant, c’est possible, y a des joueurs qui ont un niveau extraordinaire et
qui ont, qui ont pas une visibilité géniale par rapport à leur niveau. » (Christian).

L’image s’entretient donc par une communication du joueur, une présence de celui-ci sur les
réseaux sociaux pour communiquer sur ces résultats, sur ces sponsors, sur les prochains tournois où
il se trouvera. Le joueur peut même en venir à streamer des parties pour ainsi constituer une
communautés de spectateurs autour de lui. Alexis désigne notamment cet aspect comme propre à la
partie « professionnelle » de la pratique, déterminant ainsi les opportunités que le joueur peut se
voit offrir au vu de sa popularité sur les réseaux sociaux :

« un nombre d’abonnés sur Twitter c’est quelque chose que les sponsors regardent
beaucoup, ça peut déterminer notamment ton salaire, qui peut déterminer euh, enfin les opérations
que tu vas avoir, enfin tu peux avoir des partenariats extérieurs, euh ça va se jouer à ton nombre
d’abonnés sur Twitter parce que les gens ont besoin de toucher un public large et pour toucher un
public, il faut que t’ai déjà une bonne base de followers par exemple. » (Alexis).

L’image, la communication du joueur en tant que représentant d’une ou plusieurs marques,


d’une structure, transparaît par son comportement dans les tournois, les interviews et autres

98
situations où il est visible « publiquement », mais aussi dans sa façon d’animer les comptes de ses
réseaux sociaux, de donner des nouvelles, de constituer entre autres une base d’abonnés qui va
suivre ces pérégrinations vidéoludiques. Cette caractéristique passe néanmoins en second plan par
rapport à cette nécessité de performance, jugée plus importante pour les joueurs lorsqu’on veut
devenir compétitif

Certains joueurs, comme Christian, explique cette nécessité de faire de la pratique


compétitive un axe de vie principal, que le joueur va incarner par ces deux caractéristiques.
D’autres, comme Alexis, explique que cette performance est primordiale, permettant tôt ou tard de
pallier le deuxième aspect propre à l’intégration dans une structure esportive, au fait d’être un bon
communiquant et ainsi d’être repéré par une structure. Dans tous les cas, l’accent est clairement mis
sur la performance, le « bien » joué qui va passer par plusieurs qualités chez le « bon » joueur
professionnel : rigueur, concentration, mental, détermination, adaptation, réflexivité sur soi-même.
L’image du joueur est importante mais passe plus facilement au second plan pour les enquêtés qui la
définissent en deuxième caractéristique, prônant la performance comme caractéristique majeure
définissant une pratique professionnelle, un joueur professionnel de jeu vidéo. Cependant, il ne faut
pas négliger ce second aspect, qui nous permettra notamment de différencier le parcours des
enquêtés, les opportunités qui s’offrent à eux pour rentrer dans une pratique semi-professionnelle,
professionnelle, toujours en rapport avec l’évolution de la scène compétitive choisie. Ces deux
critères sont notamment des éléments adéquats pour mesurer l’investissement que les joueurs
affectent à leur pratique compétitive, et la possible reconnaissance qu’ils peuvent retirer vis-à-vis de
la sphère affective (image du joueur) ainsi que de la sphère de coopération (performance). Dans ce
cadre, il faut directement regarder comment les joueurs investissent leurs temps dans une pratique
vidéoludique, notamment lors des sessions d’entraînement et lors des compétitions.

99
3.2 Entraînement et compétitions : le quotidien d’un joueur compétitif

3.2.1 Un entraînement en trois parties : échauffement, affrontement et visionnage

Dans la pratique compétitive du jeu vidéo, l’entraînement prend une place importante au
sein de l’investissement des joueuses et joueurs interrogés. Tous les joueurs décrivent plus ou moins
les mêmes étapes, variables selon le jeu joué mais aussi selon l’investissement temporel mis en
avant123. Laurent décrit notamment son entraînement type :

« Bah ça dépend, en général je mets, je vais prendre 10-15 minutes en training pour
chauffer les doigts et après je vais aller en match etc pour jouer, et après en fonction des matchs je
vais adapter ce que je vais faire. Si je vois que je déroule c’est bon, puis après je continue, si je vois
que y a un truc qui commence à, si je vois qu’y a un truc qui commence à me gêner, je vais regarder
des replays, je vais voir comment contrer le truc qui me gêne etc, donc en fait je vais adapter mon
entraînement en fonction de l’expérience que j’ai eu dans les matchs d’avant. »

Trois étapes ressortent : une première partie dans un mode entraînement ou dans une partie
pour reprendre les points appris dernièrement, mais aussi les mécaniques de jeu que le joueur doit
intériorisé ; une deuxième partie où le joueur, après son échauffement, va directement affronter
d’autres personnes en ligne de son niveau de jeu, en privilégiant notamment les modes de jeu
classés, qui classent les joueurs selon leurs victoires, leurs nombre de points. A ce titre, les jeux
classent plus ou moins différemment les joueurs, mais on retrouve tout de même dans les jeux joués
un système de division où chaque joueur, selon leurs performances, se voient placer dans les
divisions correspondantes. La dernière partie consiste à visionner les parties effectuées, de voir les
situations qui peuvent poser problème au joueur et d’adapter son entraînement actuel ou suivant en
fonction des problèmes rencontrés. La première partie est intéressante car elle stipule la remise en
forme du joueur concernant les connaissances et techniques avancées qu’un joueur possède dans
une pratique compétitive. Dans les jeux de combat, ces techniques se caractérisent par une
connaissance des combinaisons de coups, des possibles de son personnage, des distances où les
coups peuvent toucher, mais aussi les façons de contrer tel ou tel personnage. Les deux premières
parties sont intéressantes car elles sont distinguées plus fortement dans les jeux en équipe comme
Counter-Strike et League of Legends. En effet, là où la première partie reste individuelle, Marie

123 Vous pouvez à ce titre apercevoir le temps de jeu par jour des joueurs dans l’annexe « Profil sociologique des
enquêtés ».

100
expliquant s’entraîner sur les personnages propre à son rôle de support, la deuxième partie, soit
l’affrontement contre d’autres joueurs, se fait en équipe. Le but ici est de s’entraîner sur les
stratégies en équipe, sur la coordination des actions individuelles vers une stratégie collective, sur le
fait de pouvoir compter les uns sur les autres. A ce titre, Sylvie Craipeau, dans le cadre des
MMORPG, explique que la force des groupements, qu’il soit éphémère ou stable, vient du fait que
chacun connaît son rôle, sa place dans le groupe, tout cela dans une division du travail très
spécialisée : « Appel donc, à la responsabilité de chacun dans un système de forte
interdépendance » (Craipeau, 2011 : 104). Dans certains cas, lorsque l’équipe est encadrée par une
structure esportive, les joueurs peuvent bénéficier d’un coach qui va définir l’entraînement, va
visionner les parties de l’équipe pour corriger les possibles problèmes, tout en donnant certains
objectifs d’entraînement pour que les individus puissent s’améliorer sur les points à perfectionner. Il
va aussi visionner des parties de joueurs professionnels, s’inspirer des stratégies existantes et des
nouvelles pratiques qui émergent pour les insuffler dans l’équipe coachée. C’est le cas de Noémie et
d’Annabelle qui vont avoir une structure esportive leur permettent de disposer d’un coach
spécialement pour leur équipe, et qui va s’investir dans les entraînements mais aussi dans les
compétitions, le coach pouvant proposer de nouvelles stratégies pour contrer l’équipe adverse. Mais
ce rôle est plus ou moins exclusif aux jeux compétitifs qui sont collectifs. Christian passe
notamment un moment sur cette spécificité de la pratique professionnelle du jeu de combat où les
joueurs sont les seuls maîtres de leur entraînement :

« le problème du coaching dans le versus fighting, c’est que l’aspect stratégique est
beaucoup plus restreint que dans un jeu comme Counter-Strike, c’est-à-dire alors ça reste un jeu
d’échec en temps réel mais en temps réel, c’est-à-dire tes décisions n’appartiennent qu’à toi sur le
moment, sur comment tu le sens, et il serait très dur de critiquer un joueur je pense sur ses
décisions et ses choix, c’est comme si on joue à pierre feuille ciseaux et que toi tu choisis, je te dis
« allez je viens de perdre en jouant ciseaux », je suis sûr qu’il sait que je viens de perdre en jouant
ciseaux donc je vais rejouer ciseaux pour justement contre le fait qu’il va essayer de changer pour
s’adapter à moi tu vois. » (Christian)

L’investissement individuel du joueur professionnel, mais aussi le rythme rapide du jeu de


combat rend le coaching plus complexe selon Christian. On peut comprendre son avis lorsqu’on sait
que le jeu n’offre pas tant de différences dans le gameplay autres que des personnages différents, un
joueur au style de jeu différent et des mises à jour qui vont changer l’équilibrage du jeu.
Néanmoins, le coaching est présent dans les jeux de combat mais n’est pas popularisé à la pratique
professionnelle : on le voit exister pour des joueurs qui souhaiteraient approfondir leur maîtrise d’un

101
jeu dans leur pratique compétitive de loisir, voir amateure. Le coach devient réellement pertinent
dans sa capacité d’analyse des parties d’un joueur pour lui recommander de nouveaux exercices et
ainsi renforcer sa connaissance du jeu compétitif. Dans tous les cas, on perçoit la grande différence
entre jeux collectifs et jeux individuels comme les jeux de combat, demandant une certaine
discipline que le joueur va s’imposer, effectuant ainsi lui-même les opérations de visionnages de ces
parties mais aussi des parties des autres pour s’en inspirer.

L’idée, pour ces deux types, est néanmoins de parfaire sa façon de jouer, d’intérioriser des
mécanismes de jeu, des stratégies, des combinaisons de coups/touches pour qu’elles puissent être
utilisées de façon systématique, même en situation de stress comme pendant une compétition hors
ligne. Ce dernier point peut être défini par les joueurs comme un stade « ultime » où l’on juge, selon
les performances du joueur, si son entraînement a porté ses fruits. A ce titre, plusieurs enquêtés
expliquent investir plus de temps dans l’entraînement avant une compétition, voir même d’élaborer
une nouvelle façon de s’entraîner. En effet, selon les informations détenues sur le tournoi
prochainement investi, les joueurs vont s’axer sur plusieurs stratégies. Les joueurs de jeu de
combat, lorsqu’ils disposent du nom des joueurs dans les phases de poule, vont ainsi s’entraîner
pour être efficace contre le style de jeu des joueurs, contre leurs personnages. Cette différence n’est
pas exprimée par les joueuses qui expliquent seulement investir un temps plus important dans
l’entraînement avant une compétition hors ligne. Cela peut se comprendre simplement par le fait
que les joueuses se trouvent dans des jeux collectifs où les facteurs sont nombreux et où les
personnages n’ont pas une importance aussi importante que dans les jeux de combat, où les joueurs
maîtrisent rarement plus de deux personnages. Dans League of Legends, la grande diversité de
personnages ne permet pas aux joueuses de s’entraîner concrètement contre tous les personnages,
essayant alors de maîtriser au mieux les personnages contenus dans le rôle choisi (Support, ADC,
Mid, Jungle, Top). Dans Counter-Strike, les rôles ne sont pas définis par des personnages mais
simplement par les positionnements des joueurs, leurs fonctions, mais aussi les armes détenus par
les joueurs. L’avatar ici est impersonnel et ne représente que les performances du joueur, sorte de
« véhicule transparent » où le joueur va déposer ses performances, ses compétences, devenant ainsi
un « historique des performances » (Lignon, 2015 : 200-201). Outre ce point, et malgré les
différences qui peuvent exister dans l’entraînement, le but est commun : maîtriser les possibles du
jeu choisi. La performance revient alors sans cesse, comme peut l’expliquer Laurent lorsqu’il
définit la pratique professionnelle du jeu vidéo :

« Les gens qui jouent à un jeu vidéo de façon professionnelle vont lancer le jeu, pour eux en
fait ça devient un travail et ils vont faire tels choses dans un tel but, et dans un tel but pour faire tels

102
choses. Donc en fait c’est un petit peu comme, tu es dans une boîte, dans une boîte où tu dois faire
un certain chiffre d’affaire, tu dois faire tels choses pour avoir ce chiffre d’affaire, là c’est un peu
près le même principe : tu dois t’entraîner tant pour avoir tant de résultats quoi, c’est un peu près
le même principe. » (Laurent).

L’analogie avec le monde du travail, évoqué par Sylvie Craipeau tout au long de son
ouvrage, n’est donc pas à négliger tant certains principes et attendus peuvent être semblable. Ici,
l’attendu d’un investissement régulier en entraînement va se faire dans un objectif bien précis : la
participation à des compétitions de jeu vidéo.

3.2.2 Compétitions en ligne/hors ligne : déplacements et contrôles des émotions

Les compétitions de jeu vidéo se dénombrent sous plusieurs formes. La première, plus
populaire chez les enquêtés, est la compétition hors ligne. Elle se distingue clairement par son cadre
physique, la présence de tournois sur différents jeux, la présence d’un cash price pour les différents
jeux, un règlement selon les formats joués et selon les jeux. On distingue plusieurs types de
compétitions hors ligne, essentiellement par leur taille, dont certaines sont considérés comme des
« Majors », des compétitions à la renommée importante dans la scène esportive du jeu joué, et où
généralement figure des équipes/des joueurs de haut niveau, notamment du fait des enjeux en place
dans cette compétition. Pour un joueur amateur, remporter un « Major » lui permet de se voir offrir
de nouvelles opportunités pour avancer dans sa carrière vidéoludique vers le statut de joueur semi-
professionnel/professionnel. Christian nous a déjà démontré ce point en expliquant sa victoire à la
Cannes Winter Clash qui lui a valu une offre du bar esport Meltdown pour encadrer sa pratique,
financer ses déplacements mais aussi rémunérer sa pratique compétitive. Dans un autre cas, Alexis
et Laurent obtiennent tous les deux un contrat avec leur structure actuelle en participant à la Gfinity,
compétition qui se déroule dans un format de ligue, c’est-à-dire une compétition qui dure sur
plusieurs semaines/mois et où les équipes accumulent un certain nombre de points en fonction de
leurs victoires et leurs défaites. Ils postulent alors au recrutement organisé par leur structure actuelle
et participent à cette compétition. Ces « Majors » sont ainsi visés par les joueurs qui veulent
affronter les meilleurs joueurs de différentes nationalités, comme pour le Stunfest où de nombreux

103
japonais s’affrontent, considérés chez beaucoup comme les meilleurs sur les jeux de combat 124.
D’autres personnes, comme Marie et Noémie, s’introduisent directement à la compétition avec des
compétitions plutôt prestigieuses, où le niveau de jeu est élevé. Plusieurs compétitions viennent en
tête : Lyon E-sport, Katowice, DreamHack Tours, Gamers Assembly, etc. Comme expliquée
auparavant, elles sont souvent synonymes d’un marquage spécifique dans le parcours des enquêtés,
constituant majoritairement la ou les compétitions marquantes dans leur carrière vidéoludique. La
régularité de participation des joueuses et joueurs dépend évidemment de leurs contraintes sociales,
de l’investissement mis en place mais aussi des moyens disponibles pour s’y rendre.

A ce titre, on distingue plusieurs profils concernant les déplacements aux compétitions. Le


premier profil est représentatif des pratiques compétitives de Noémie, Marie et Madi. Joueurs
amateurs, les trois enquêtés se déplacent occasionnellement à des compétitions, par manques de
moyens financiers (Noémie et Marie), mais aussi par manque de temps de s’investir dans une
pratique plus régulière et compétitive (Madi). Le deuxième profil est réellement caractéristique d’un
enquêté qui n’est autre que Quentin. Lui aussi contenu dans une pratique amateure, le joueur se
déplace de façon plus régulière aux compétitions esportives grâce aux moyens financiers
économisés spécialement pour ces évènements, mais aussi grâce à son temps libre qui lui permet
non seulement de s’investir sur une multiplicité de jeux à la fois, mais aussi de participer à des
compétitions hors ligne. Ces deux premiers profils concernent des joueurs amateurs qui se déplacent
majoritairement en France. En effet, les joueurs restants, possédant une structure esportive finançant
leurs déplacements, se déplace hors France, voir hors Europe. On voit alors Laurent, Alexis qui
débutent leurs déplacements hors France depuis leur nouveau contrat, tandis qu’Annabelle part
directement avec son équipe dans des compétitions renommées en dehors de la France. Le dernier,
Christian, est un cas particulier dans notre échantillon car il est le seul à vivre pleinement de sa
pratique, mais aussi à partir en dehors de l’Europe en participant notamment à l’EVO à Las Vegas
cette année, considérée comme une des plus importantes compétitions hors ligne concernant les
jeux de combat. Ces profils, surtout définis dans un but de situer les déplacements et leur régularité
entre les joueurs, montrent clairement l’avantage de posséder une structure esportive qui finance les
déplacements du joueur recruté. Bien entendu, il faut relativiser le cas de Noémie qui rentre tout
juste dans une structure esportive et qui donc n’a pas eu encore la possibilité de participer à plus de
compétitions. Néanmoins, elle reste située en France, ne pouvant pas encore s’extirper pour
participer à des « Majors » situé dans des pays européens, voir dans le monde entier. Mais d’autres

124 Nous reviendrons sur cette croyance qui n’est pas sans fondement et qui fait référence au développement de l’esport
dans les différents pays du monde.

104
possibilités s’offrent aussi aux joueurs qui ne peuvent pas se déplacer aussi régulièrement qu’un
joueur sponsorisé : les tournois en ligne.

Ces tournois, exclusivement disponible en ligne, permettent aux joueurs de participer depuis
chez eux. Ils sont organisés de diverses manières, semblables aux compétitions hors ligne : un
tournoi le temps d’un week-end ou une ligue sur plusieurs semaines/mois. On trouve aussi une autre
forme de compétitions en ligne qui se relie aux compétitions hors ligne : les qualifications. Elles
sont organisées en vue d’une compétition hors ligne, les équipes/joueurs s’affrontant auparavant
dans cette phase préliminaire, les gagnants de ces qualifications (qui peuvent être par pays voire par
continent) ayant le droit de participer à la compétition hors ligne. Le but est donc de sélectionner les
meilleures équipes pour la compétition hors ligne, qu’elle se fasse le temps d’un week-end ou soit
organisée comme une ligue. Ils sont essentiellement caractéristique des jeux collectifs comme
Counter-Strike et League of Legends, les compétitions hors ligne de jeux de combat ayant une
spécificité particulière pour la plupart : l’entrée est libre pour tout type de joueur, il n’y a pas de pré-
requis (âge, sexe, niveau de jeu) pour y participer. Bien entendu, des compétitions hors ligne de jeux
collectifs peuvent aussi être libres à l’entrée comme ont pu le montrer Noémie et Marie qui ont déjà
organisé des équipes en vu de participer à une compétition sans pour autant participer à une
qualification. Outre ce type de compétition en ligne plutôt spécifique, les joueurs peuvent participer
à des tournois réguliers, sur une base mensuelle. On prend notamment l’exemple de la « Française
des Jeux » qui organise des tournois amateurs gratuits, la « FDJ esport Open Series » où les joueurs
peuvent s’affronter sur différents jeux comme Street Fighter 5, Rocket League, Counter-Strike ou
Tekken 7 pour un cash price avoisinant les 100 euros. Elle organise aussi la « FDJ esports Master
League », compétitions pour professionnels où des phases de qualifications sont organisées dans des
compétitions hors ligne, pour ensuite assister à la finale dans une autre compétition hors ligne.
D’autres compétitions sont aussi organisées sur les jeux compétitifs choisis, respectifs à ces mêmes
jeux et non aussi transversal que ce que peut organiser la Française des Jeux. Du côté des joueuses,
elles expliquent leur plus grande accessibilité, sorte d’entraînement en attendant une compétition
hors ligne aux enjeux plus forts. En effet, une des principales distinctions qui ressort chez tous les
enquêtés s’observe dans la gestion des émotions que doit avoir le joueur professionnel. Là où la
compétition en ligne permet à celui-ci de s’exercer dans un cadre compétitif depuis chez lui, la
compétition hors ligne décuple les effets de stress, d’excitation au vu de son cadre physique plus
contraignant, de l’affrontement d’autres joueurs qui sont présents physiquement, mais aussi de
l’engouement qui se fait derrière, et donc de la visibilité offerte aux joueurs, notamment si il se
hisse jusque dans les dernières étapes d’un tournoi. La façon de jouer peut alors différer, Annabelle

105
expliquant que les joueurs peuvent être plus sur leurs gardes, conscient des enjeux importants et de
la reconnaissance qu’ils peuvent retirer de la victoire dans un tournoi hors ligne :

« bah les personnes vont jouer un petit peu, elles vont avoir plus peur, du coup ça va se
ressentir dans le jeu, y aura moins de, y aura moins d’actions individuelles, y aura moins de héros,
de gros plays, ils vont être plus tu vois, ils vont revenir à un jeu classique alors qu’en ligne, ils vont
se permettre de, des mouvs à un ou à deux, des mouvs risqués et en LAN bah en général, les
équipes vont prendre beaucoup moins de risques que en ligne. » (Annabelle).

Annabelle explique ainsi la nécessité d’obtenir une expérience de la compétition hors ligne
pour maîtriser son jeu mais aussi ses émotions et se trouver dans la même posture que lorsque le
joueur joue en ligne. Dans d’autres cas, comme pour les joueurs de jeu de combat, ils expliquent
privilégier l’expérience hors ligne au maximum, en évitant le plus possible les tournois en ligne.
Alexis va même jusqu’à définir la pratique professionnelle du jeu vidéo par le fait de concourir à
des compétitions hors ligne, la compétition en ligne restant limitée. Ce discours, entendu chez tous
les enquêtés, place une hiérarchie en faveur des compétitions hors ligne, plaçant les tournois en
ligne comme un bon moyen de s’entraîner mais n’ayant pas plus d’aboutissants. Cependant, ils ne
dénigrent pas totalement ce point-là car certaines compétitions peuvent se trouver exclusivement en
ligne et influencer le compétiteur essentiellement hors ligne. C’est le cas des joueurs de Street
Fighter 5 où Capcom organise des tournois en ligne qui sont contenus dans son circuit officiel et qui
permettent donc d’obtenir des points pour l’année et se hisser plus haut dans le classement pour se
retrouver à la fin de la saison (une saison durant un an) dans les 32 meilleurs joueurs mondiaux et
participer au championnat du monde. Malgré ce point, ils expliquent éviter ce type de tournois dès
que cela est possible – quand ils ne sont pas contenus dans le circuit officiel – notamment car ils ont
acquis une expérience du hors ligne qui les avantagent, mais aussi car un facteur aléatoire entre en
jeu : le « lag ».

Ce terme désigne un délai dans les communications informatiques. Il signifie le retard des
données allant d’un point à un autre sur le réseau internet. Ce terme est communément utilisé pour
désigner des délais longs, perceptibles par les utilisateurs/joueurs entre l’exécution d’une
commande (appuyer sur un bouton, faire une combinaison de touches pour effectuer un combo) et
son retour visuel à l’écran. Cela engendre donc pour les joueurs une différence d’appréciation et une
difficulté à s’adapter à cette latence qui est variable selon les connexions et qui n’est pas forcément
présente sur tous les jeux, ni sur tous les réseaux. C’est donc un facteur aléatoire qui entre en jeu
lorsque le joueur participe, là où le jeu en compétition se joue sur un réseau local, dédié
exclusivement à la pratique du jeu. Dans les jeux de combat, il arrive même, notamment dans les

106
premières phases d’un tournoi, dénommé les poules, que les joueurs jouent côte à côte sur le même
support, ne disposant pas alors de latence particulière lié à une connexion internet. Dans tous les
cas, ce critère du « lag » ressort quasi systématiquement chez les joueurs de jeu combat (excepté
Madi), là où les joueuses ne s’expriment pas sur ce sujet. On peut expliquer cette différence en
regardant les jeux joués par les joueurs. A l’exception de Madi, tous les joueurs jouent à Street
Fighter 5, qui selon ces mêmes joueurs, expliquent plus ou moins fortement les problèmes que le
jeu possèdent dans les parties en ligne, avec notamment une recrudescence du « lag » au fur et à
mesure du temps de jeu du joueur et de la longueur de la partie (match) effectuée. C’est un critère à
prendre en compte lorsqu’on évoque le discours moins valorisant concernant les tournois en ligne :
les joueurs possèdent certes une expérience du hors ligne qui les avantagent, attiré par les « LAN »
au même titre que les autres, mais sont aussi désavantagés si ils veulent perpétuer une pratique
constitué aussi de la participation à des compétitions en ligne.

Cette partie, très concrète, permet d’observer comment la pratique compétitive peut être
investie par des joueuses et joueurs aux profils différents, aux jeux différents, aux statuts différents.
Le but était de montrer leur quotidien, de voir comment pouvait s’agencer la pratique vidéoludique
à un stade compétitif, et en quoi la différence de statut pouvait permettre de tisser des distinctions,
notamment sur la question des déplacements aux compétitions hors ligne. Les joueuses et joueurs,
malgré leurs différences d’investissement dans la compétition, ont ainsi tous comme objectif de
concourir de façon régulière à des compétitions hors ligne, jugées plus légitimes et regroupant les
meilleures équipes/joueurs notamment par l’organisation des « Majors », grandes compétitions
prestigieuses qui ont un rôle important dans la structuration de la scène esportive choisie. Les
pratiquants vont alors se fixer des objectifs en vue de participer à ces compétitions, et plus
largement d’évoluer dans leur pratique compétitive.

107
3.3 Les objectifs : une tendance vers l’épreuve-défi

L’épreuve-défi, ressenti au niveau subjectif, se situe du côté biographique des individus


affrontant ces épreuves. Toujours dans cette idée d’une reconnaissance par autrui, qui est légitime
pour le reconnu, l’épreuve dans ce cadre renvoi à l’élaboration de soi liés aux réactions d’autrui.
L’individu va donc s’imposer ou se voir imposer des épreuves dans la construction de son identité,
de sa pratique. Il faut savoir que les défis sont vus sous la forme d’épreuves peu formalisées,
possédant une signification importante dans les expériences individuelles. Concernant les objectifs,
le joueur sera alors situé du côté des épreuves que celui-ci s’impose, qu’ils soient posés en tant
qu’idéal à atteindre, ou en tant qu’objectif qui se réalisera à court terme si les efforts investis sont
suffisants.

Du côté des objectifs à court terme, les joueurs s’imposent une certaine discipline à
respecter dans leur entraînement, avec un investissement temporel régulier qui diffère selon la
disponibilité des enquêtés pour perpétuer leur pratique vidéoludique. Cette discipline va passer par
le respect des objectifs à court terme dans les entraînements, comme la maîtrise d’une combinaison
de coups, d’une situation problématique, ou tout autre élément que le joueur doit parfaire :

« Le dernier problème que j’ai essayé de résoudre, je pense que c’est un personnage, c’est
Cammy, qui a été buff sur le dernier patch et qui posait beaucoup de problèmes et en fait, pour
s’entraîner contre ça, c’est tu vas en mode entraînement, tu taffes la situation qui t’embête, t’en as
plusieurs, et après tu joues contre des joueurs de Cammy, tu focus tu leurs demandes, si ils
acceptent, tu joues avec eux etc. » (Alexis).

Ce sont donc des objectifs à très court terme (quotidien, hebdomadaire) que le joueur
s’impose pour accentuer sa maîtrise du jeu compétitif choisi. Ils sont ainsi plus difficile à percevoir
dans les propos des joueurs car ils les décrivent brièvement, sorte « d’évidence » lorsqu’on pratique
de façon compétitive le jeu vidéo. Cet objectif-défi ressort de façon plus explicite lorsque les
joueurs mettent en avant l’objectif continuel de performance, qui s’incarne sous plusieurs angles. La
performance, placée en idéal, met alors en avant une participation plus régulière aux compétitions
hors ligne selon les joueurs. On le ressent surtout chez ceux qui n’ont pas la possibilité de se
déplacer aussi régulièrement que des joueurs professionnels/semi-professionnels, ou qui n’ont pas
encore eu le temps d’expérimenter les moyens mis à leur disposition pour accentuer leur
connaissance de l’expérience hors ligne. Les joueurs amateurs éprouvent alors les mêmes difficultés
que les joueurs semi-professionnels/professionnels lorsqu’ils se trouvaient dans la même situation :

108
une difficulté à se déplacer à cause d’un emploi du temps chargé, d’un investissement sur la
pratique vidéoludique trop peu important, ou tout simplement un manque de moyens financiers pour
organiser et effectuer les déplacements aux compétitions hors ligne. Ce manque de temps pour les
compétitions hors ligne peut aussi se retrouver chez les joueurs semi-professionnels, dont Annabelle
évoque la différence de temps investie dans sa pratique compétitive au vu de certaines équipes qui
s’investissent exclusivement dans une pratique compétitive.

Les objectifs à court terme desservent donc la plupart du temps des objectifs à long terme,
des idéaux que le joueur se fixe. Ainsi, Laurent va décrire son objectif de remporter un « Major »
pour atteindre cet idéal de devenir le meilleur joueur à Street Fighter 5. Ses principales difficultés
viennent de son entrée plus tardive sur la scène compétitive du jeu et de son statut récent de joueur
professionnel, expérimentant tout juste la possibilité de se déplacer régulièrement à des
compétitions, dont plusieurs sont organisées les week-ends. Dans d’autres cas, la difficulté peut
provenir d’une pratique trop intense qui fatigue physiquement le joueur. De ce côté, Quentin nous
explique la complexité d’investir une pratique compétitive sur plusieurs jeux de combat, couplé à la
fatigue des déplacements, notamment pour les joueurs qui se déplacent hors Europe, subissant un
décalage horaire qui peut limiter la concentration du joueur lors du tournoi. Tout cela peut être
couplé avec les horaires de la compétition, durant souvent le temps d’un week-end, où le joueur se
retrouve tiraillé entre le fait de jouer plusieurs matchs d’affilés et le fait d’attendre un certain
nombre d’heures entre les matchs. A ce titre, Nicolas Besombes dément la représentation du joueur
comme joueur robot/pur esprit dont la pratique ne serait que cérébrale, sans réelle implication du
corps dans l’action. Le corps est immergé au sein de la pratique, avec l’apparition de blessures
corporelles du à une pratique intensive aux mouvements répétés. Besombes, dans sa conférence,
explique notamment les blessures qu’occasionnent une pratique esportive de haut niveau : douleurs
liés à la posture, inflammation au niveau du poignet et des doigts, syndrome du canal carpien,
problème de vision, etc. Dans un cas plus large, mais toujours situé dans les pratiques régulières du
jeu vidéo, Sylvie Craipeau parle de la fatigue liée aux écrans et à l’hyperstimulation sensorielle
permanente dans notre société, où le joueur se retrouve à effectuer une ou plusieurs occasions
disparates en même temps (Craipeau, 2011 : 106-107). Le joueur peut donc faire face à des
difficultés pour réaliser ces épreuves qui demandent un investissement régulier, parfois intensif.

Il arrive au joueur de se donner des objectifs qui n’ont pas forcément à voir avec la
compétition, avec la performance, mais qui englobe cet aspect :

« j’aimerais euh bon évidemment améliorer mes résultats, mes performances mais mon
objectif c’est vraiment d’être le champion que j’aurais aimé aduler étant petit en gros. C’est-à-dire

109
bah quelqu’un de très proche de Tokido quoi, qui est a la fois accessible généralement aux gens,
euh a un bon niveau, travaille énormément et reste quand même quelqu’un qui, qui donne envie de,
de travailler avec, que ce soit par rapport à sa manière de se comporter avec les gens, à son
respect envers les autres joueurs » (Christian).

Dans un autre sens, Noémie désigne une autre sorte d’idéal à atteindre, celui de la mixité
dans l’esport. Marie, dans la même direction, explique vouloir prouver que les joueuses peuvent
être performantes : « ce serait de montrer que les filles sont capables de jouer à haut niveau et je
pense que ça ce serait mon objectif, c’était mon objectif, ça l’est toujours. ». La mixité et la
visibilité des femmes est donc de mise dans les objectifs à long terme pour les deux joueuses. On
peut tout de même les prendre en compte car ils font sens dans leur parcours vidéoludiques
respectifs. En effet, ayant vécu des épreuves genrées, basées sur leur statut de joueuse, les deux
enquêtées se donnent ces idéaux pour aller dans le sens contraire, et ainsi diminuer les épreuves
genrées qu’elles pourraient rencontrer à nouveau. Ce ne sont donc pas des épreuves au sens des
défis qu’elles peuvent se lancer, mais plutôt des orientations qui sont des fins en soi, des objectifs
« finaux » que les joueurs et joueuses peuvent se donner. Ils peuvent être plus personnels, se
rapporter à leurs expériences vidéoludiques, ou avoir un spectre plus large, comme l’idéal de la
performance, qui reste partagé chez l’ensemble des enquêtés, soucieux de renforcer leur maîtrise du
jeu vidéo. Ils peuvent aussi, par une certaine mesure, dévoiler d’autres épreuves vidéoludiques,
d’autres défis jonchant le parcours compétitif des joueurs : la victoire à une compétition importante,
l’intégration dans une structure esportive, l’organisation de tournois exclusivement féminins/mixtes
qui promeuvent la mixité dans l’esport, etc. Ces grandes orientations vont ainsi structurer la
pratique des joueurs et des joueuses qui vont quotidiennement se fixer des défis en vu d’atteindre
ces objectifs. Mais les joueuses et joueurs peuvent aussi se donner ces mêmes directions pour
d’autres jeux, voir sensiblement bifurquer dans leur carrière compétitive.

Dans les questionnements posés aux enquêtés, l’idée de bifurquer, ou du moins de s’investir
de façon compétitive sur un autre jeu a été lancé. Chez Noémie et Marie, le jeu Fortnite 125 a été
envisagé comme second jeu compétitif dans leur carrière vidéoludique. Marie n’accroche pas au jeu
et préfère se concentrer sur League of Legends, tandis que Noémie débute depuis quelques
semaines, jeu demandé par les spectateurs de son stream. Du côté des joueurs, trois d’entre eux

125 Fortnite est un jeu en ligne développé par Epic Games, sorti le 25 juillet 2017. Proposant au départ un mode de
coopération entre joueurs contre l’environnement (PvE), le jeu sort un mode « Battle Royale » suite au succès des
jeux dans ce genre. Le joueur est alors lâché sur une grande carte avec 99 autres joueurs, le but étant d’être l’unique
survivant tandis que la zone de jeu se réduit progressivement par une tempête qui blesse les joueurs qui restent
dedans. Fortnite est devenu un phénomène de société puisque celui-ci attire plus de 125 millions de joueurs en
moins d’un an et connaît un début dans l’esport important avec des tournois aux cash price important pour une
première année de compétition du jeu.

110
expliquent jouer à un jeu secondaire, un « side game », toujours situé dans les jeux de combat.
Madi, ancien joueur de Mortal Kombat X, dédie maintenant une pratique compétitive au jeu Dragon
Ball FighterZ, sorti le 26 janvier 2018, jeu reprenant l’univers du célèbre manga Dragon Ball pour
en faire un jeu de combat, plutôt populaire lors des compétitions avec un nombre de participants
parfois plus élevé que Street Fighter 5, jeu de combat qui reste le plus visionné et joué sur la
longueur. A côté, il débute tout juste sur « Blazblue Cross Tag », jeu de combat tout récemment sorti
au Japon au moment de l’entretien, le joueur achetant la version japonaise, sorti le 31 mai 2018,
pour ne pas attendre la sortie de la version française, sorti le 22 juin 2018. Christian prend de son
côté Dragon Ball FighterZ comme jeu secondaire, investissant un certain temps sur ce jeu tout en
restant concentré sur sa pratique de Street Fighter 5 qui reste son jeu principal. Dans un cas plus
extrême, Quentin explique joue à un certain nombre de jeux de combat de façon compétitive :
Guilty Gear, Street Fighter 5, King of Fighter 14, Dragon Ball FighterZ et Tekken 7. Le joueur,
possédant un temps disponible important au moment de l’entretien, explique intervertir entre ces
plusieurs jeux au cours d’une journée. Néanmoins, il explique que sa pratique compétitive se dirige
essentiellement sur deux jeux : Guilty Gear, qu’il considère comme son jeu principal, ainsi que
Street Fighter 5, que le joueur investit de plus en plus pour acquérir un niveau de jeu qui lui
permettrait d’obtenir des résultats dans des compétitions hors ligne.

Mais cette multiplicité des jeux de combat joués, habituellement avec un jeu principal et un
jeu secondaire, ne se retrouve pas chez tous les joueurs de jeu de combat interrogé. En effet,
Laurent et Alexis, investissant une pratique semi-professionnelle sur Street Fighter 5, expliquent ne
pas avoir trouvés leur « side game ». Laurent nous décrit alors son objectif d’être plus performant
sur Street Fighter 5 pour remporter un « Major », trop occupé pour se lancer sur un autre jeu, tandis
qu’Alexis reste exclusivement sur ce jeu car il n’a pas trouvé d’autres jeux de combat assez plaisant
pour lui : « quand Dragon Ball est sorti là, Dragon Ball FighterZ, je pensais m’y mettre et le jeu
m’a pas plu plus que ça et je me suis dis que ça allait être trop de temps de gâcher pour Street
Fighter. ». L’objectif est toujours d’investir une pratique compétitive qui va s’extérioriser dans des
compétitions hors ligne, en se justifiant de l’intérêt de « perdre du temps » sur le jeu précis, en vu de
résultats en tournoi.

Cependant, les joueurs ne bifurquent pas totalement vers une nouvelle pratique, vers une
orientation différente dans leur carrière vidéoludique. Ils restent tous dans cet objectif de
compétition, de s’investir dans une carrière compétitive même avec un nouveau jeu, dans le but
notamment de développer une pratique amateure sur ce nouveau jeu. A l’exception de Noémie et
Marie, la majorité des enquêtés expliquent rester sur le même genre de jeu. Cette décision devient

111
compréhensible lorsqu’on sait que la maîtrise d’un jeu dans un certain genre permet d’obtenir
certaines compétences, connaissances qui peuvent se transférer à d’autres jeux du même genre. Le
joueur, doté d’un certain capital culturel vidéoludique, va pouvoir alterner entre plusieurs jeux du
même genre qui sont plus ou moins différents. On comprend ainsi la multiplicité des jeux joués par
les joueurs de jeu de combat, notamment chez les joueurs professionnels où il n’est pas rare de les
voir dans une même compétition sur plusieurs tournois de jeux différents. L’attachement à un genre
de jeu est tel que les joueurs restent le plus souvent sur ce genre de jeu, bien que certains joueurs
professionnels peuvent recentrer leur pratique compétitive sur un jeu d’un genre différent mais avec
des similitudes126. L’objectif est alors d’évoluer dans ce genre de jeu en y accumulant des
connaissances, des compétences qui se transfèrent d’un jeu à l’autre. C’est un sentiment partagé
chez les joueurs de jeu de combat qui privilégient exclusivement ce genre de jeu même si ils ont pu
jouer auparavant à d’autres genres de jeux de façon compétitive. Dans tous les cas, c’est une
particularité qui se retrouve régulièrement chez les joueurs de jeu de combat en compétition,
privilégiant un à plusieurs jeux de combat, bien que l’exclusivité d’une pratique sur un seul jeu
existe aussi. Il faudrait ainsi voir la pratique des autres joueurs professionnels, en comparant avec le
développement des scènes compétitives des jeux joués, mais aussi la ressemblance entre les
différents jeux du même genre. A ce titre, nous stipulons que les jeux de combat, par un système
plus ou moins semblable, permettraient un meilleur transfert des compétences d’un jeu à l’autre 127.
Les bifurcations peuvent donc se baser sur plusieurs situations : un changement de jeu, de genre de
jeu, de type de pratique. Dans l’échantillon sélectionné, seules les bifurcations vis-à-vis d’un jeu
dans le même genre de jeu, et plus rarement d’un autre genre de jeu, sont exprimés. Cependant, ces
bifurcations sont toujours contenues dans le même type de pratique, à savoir une pratique
compétitive dont l’objectif est de participer aux tournois hors ligne des nouveaux jeux joués
commencés par les pratiquants. L’objectif principal reste donc toujours celui de la performance, de
maximiser ses efforts pour développer un niveau de jeu qui les hissent parmi les meilleurs joueurs
français, européens voir du monde entier. Reste à savoir si l’entourage, dans sa perception de la
pratique compétitive du pratiquant, influence les efforts du joueur pour atteindre ces objectifs.

126 On pense notamment à des joueurs connus comme Gotaga, ancien joueur de Call of Duty, qui joue maintenant de
façon compétitive à Fortnite, ou encore à Ninja, ancien joueur américain jouant à Halo de façon professionnelle qui
s’est aussi lancé sur Fortnite. Même si les similitudes ne sont pas nombreuses entre jeu de tir à la première personne
et battle royale, les deux genres de jeux impliquent une visée précise avec des armes à feu.
127 Nous ne pouvons néanmoins pas valider ou non cette hypothèse qui pourrait être vérifiée en observant les
pratiquants compétitifs des autres scènes esportives, et en comparant le nombre de jeux joués avec le
développement de la scène compétitive propre au genre de jeu, mais aussi en étudiant les compétences qui peuvent
se transférer d’un jeu à l’autre du même genre.

112
3.4 La pratique vidéoludique : une pratique discréditée ?

Cette partie fait directement écho à une réflexion engagée par David Gerber sur le statut
ambigu du jeu vidéo dans les hiérarchies culturelles, ainsi que sur la pratique du jeu vidéo :

« D’un côté, on assiste à un processus de légitimation du jeu vidéo : des institutions


productrices et reproductrices des valeurs légitimes semblent effectivement avoir érigé le jeu vidéo
au rang d’objet culturel légitime. De l’autre, le média vidéoludique fait l’objet de controverses au
sujet de ses impacts sur ceux qui le consomment, avant tout à propos de ses supposées propriétés
addictives et de sa capacité à engendrer des comportements violents. »128.

L’auteur explique que le jeu vidéo, en tant qu’objet culturel, est pris dans un processus
« d’artification », processus précédant l’accès éventuel à la légitimité, par le biais de plusieurs
institutions (musées, journaux). Dans un autre sens, la pratique vidéoludique fait l’objet de tensions,
de controverses sur ses effets pour les joueurs, notamment lorsque celle-ci est intensive 129. Ces
situations problématiques peuvent se retrouver dans la carrière vidéoludique des enquêtés. En effet,
la plupart des joueuses et joueurs expriment cette difficulté à faire accepter la pratique vidéoludique
régulière. Alexis explique clairement cette tension :

« Alors, ça c’est toujours, ça toujours été un problème, je jouais beaucoup de toute façon,
euh mes parents savaient que je jouais beaucoup, euh ils ont tenté des trucs, des tentatives de,
« ouais on va couper le courant » tout ça, c’est la base, tout le monde fait ça, tout se passait par
là. ».

Le critère de l’investissement temporel d’une pratique vidéoludique qui se veut régulière et


compétitive est le premier argument mis en avant par le joueur. Celui-ci en vient même à lancer ce
constat comme une sorte d’évidence que tout joueur régulier dans sa pratique vidéoludique
viendrait à subir par ses parents qui veulent contrôler son temps de jeu, jugé trop important. Madi
acquiesce d’un même vécu lorsqu’il nous explique les tensions présentes concernant la régularité de
sa pratique et le temps de jeu mis en avant pour la perpétuer. Annabelle confirme aussi ce jugement

128 David Gerber, « Le jeu vidéo comme pratique discréditable », RESET [en ligne], p.2. URL :
http://reset.revues.org/452
129 A ce titre, l’Organisation Mondiale de la Santé à reconnu officiellement le 18 juin 2018, l’addiction aux jeux vidéo
comme maladie. Nommé « trouble du jeu vidéo », la pathologie est définie comme « un comportement lié à la
pratique des jeux vidéo ou des jeux numériques, qui se qui se caractérise par une perte de contrôle sur le jeu, une
priorité accrue accordée au jeu, au point que celui-ci prenne le pas sur d’autres centres d’intérêt et activités
quotidiennes, et par la poursuite ou la pratique croissante du jeu en dépit de répercussions dommageables. ». Pour
plus d’informations : http://www.who.int/features/qa/gaming-disorder/fr/.

113
négatif en expliquant son début de pratique sur les jeux vidéo qui, rappelons-le, se fait plus
tardivement que le reste des autres joueurs :

« Euh assez mal, euh assez mal, mon frère voulait pas trop que je joue au début, euh … bah
vu que j’étais à fond dans les études avant, ça été un peu, ça été un petit peu mal vu. En plus,
j’avais pas de PC et tout au début donc du coup je squattais beaucoup les autres PC, enfin bref, ça
me prenait énormément de temps que j’aurais pas du prendre, et après je me suis pris mon propre
PC et alors là ça été, enfin là y avait plus de limites donc ça a pas trop plu à mon entourage
proche. C’est un peu excessif on va dire. ».

Annabelle, adoptant au départ un jugement négatif sur le jeu vidéo, s’y essaie pour se
rapprocher de son frère et découvrir en quoi les univers vidéoludiques explorés peuvent être
intéressants. Elle subit alors à son tour un jugement négatif sur son début de pratique par sa famille,
y compris par son frère. On pourrait aussi prendre la pratique vidéoludique de Marie qui reste
incomprise par ses parents, jugeant aussi sur le temps de jeu trop important à leur yeux. David
Gerber explique cet argument du temps par la complexité qu’engendre une pratique régulière du jeu
vidéo dans l’organisation de l’emploi du temps du joueur : « le principal jugement parental que
relatent les récits des joueurs porte sur l’agencement des priorités entre activités, ainsi que sur les
modalités temporelles de la pratique : durée, fréquence. » (Gerber, 2015 : 4). C’est donc la prise de
temps importante d’une pratique régulière qui peut amener à ce type de jugement sur la pratique
vidéoludique, notamment lorsque le jeu vidéo prend le dessus sur les responsabilités sociales.
Annabelle, mais aussi Laurent, expliquent ainsi avoir eu des remontrances concernant l’équilibre
difficile entre études et jeu vidéo. Dans certains cas, le jeu vidéo en tant qu’objet culturel peut aussi
être remis en cause. C’est le cas de Noémie qui débute une pratique vidéoludique régulière alors
que son frère joue de façon intensive :

« Ma mère elle comprenait pas trop, étant donné que mon frère était en échec scolaire à
cause des jeux vidéo, vraiment il jouait très très souvent, ma mère elle avait pas été vraiment très
contente de savoir que je commençais à jouer aux jeux vidéo ».

Le jeu vidéo, jugé comme facteur responsable de l’échec scolaire, peut alors être jugé en
tant qu’objet culturel illégitime. David Gerber explique ce point avec un exemple de joueur en
échec scolaire, où les parents jugent alors le jeu vidéo comme à « caractère abrutissant » (Gerber,
2015 : 5), comme activité futile. Le temps de jeu revient néanmoins plus en jeu dans la mesure des
jugements négatifs, en soi que la pratique est jugée selon « le temps de jeu versus le temps passé
avec la famille ou d’autres proches » (Gerber, 2015 : 6). C’est notamment le cas de Laurent qui,

114
initié par des parents joueurs, se fait tout de même réprimander sur sa pratique trop intensive. Les
parents, joueurs eux aussi, jugent alors sur le temps de jeu trop important et non simplement sur le
jeu vidéo comme activité futile, sans intérêt, abrutissant.

Mais il arrive aussi que l’entourage familial accepte la pratique du joueur même si celle-ci
est régulière. Christian et Quentin nous décrivent un entourage familial tolérant leur pratiques
vidéoludiques :

« Alors c’est une bonne question, c’est vrai que y a toujours plusieurs sons de cloches, moi
c’est vrai que j’ai de la chance d’avoir une maman très compréhensive et qui m’a laissé faire ce
que je voulais. » (Christian) ; « Mes parents, ils étaient juste content que je fasse ce que j'aime bien
en fait du coup j'ai pas vraiment eu des soucis sur ça, même si j'ai commencé le jeu de combat dans
ma période où je ne savais pas ce que voulais faire en formation du coup » (Quentin).

Les deux joueurs expliquent alors un cadre familial permettant à une pratique régulière et
compétitive du jeu vidéo d’exister sans être reprise par sa place dans l’emploi du temps du joueur.
La pratique vidéoludique n’est donc pas forcément discréditée dans tous les cas. Cela s’aperçoit
aussi pour les autres enquêtés lorsqu’ils évoquent leur entrée dans une pratique compétitive
amateure/semi-professionnelle/professionnelle. Il va sans dire que lorsque Quentin débute dans une
pratique compétitive amateure, son entourage familial ne change pas réellement, content qu’il
puisse s’épanouir dans sa passion tout en ramenant des gains financiers et matériels, sorte de preuve
matérielle qui ramène la pratique vidéoludique au monde « concret ». C’est notamment le cas de
Laurent qui, malgré les remontrances lorsqu’il débute une pratique amateure, voit la perception de
ses parents sur sa pratique se modifier :

« maintenant que ça fait deux-trois ans que ça s’est fait, que je suis vraiment joueur pro,
maintenant ma mère le vit très bien, elle suit même certaines de mes compétitions, mon père il les
suit toutes. ».

La professionnalisation et ce qu’elle amène pour le joueur, à savoir un cadre stable et une


rémunération, peut favoriser le changement de perception vis-à-vis de la pratique vidéoludique. Elle
n’est alors plus perçue comme un investissement futile mais comme une pratique qui s’incarne dans
le réel, par le biais des compétitions hors ligne mais aussi par l’obtention de gains
matériels/financier pour le joueur. Alexis fait le même constat pour ses parents :

« à partir du moment où j’ai commencé à aller dans les tournois, et que j’ai commencé à
remporter des choses, je ramenais des sous, des goodies ou n’importe quoi, et qui voyait que, au
final je faisais des belles rencontres, que je voyageais beaucoup et tout, là au contraire, ça a

115
commencé à devenir quelque chose qu’ils commençaient à suivre mes parents, mon entourage en
général, et euh maintenant que je suis même payé pour jouer, là ça a vraiment changé, ils sont très
vraiment derrière moi, voilà ça a changé la mentalité au fur et à mesure. ».

On retient alors des jugements positifs pour les joueurs semi-professionnels et


professionnels, à l’exception d’Annabelle qui explique avoir eu plusieurs tensions avec sa famille
vis-à-vis de sa pratique, se détachant ainsi de cette perception pour mener à bien sa pratique semi-
professionnelle. On perçoit tout de même une nette différence entre les enquêtés, notamment sur la
base de leur statut, et sur les potentielles récompenses que peuvent obtenir ces joueurs. C’est
notamment ce point qui distingue Marie du reste des enquêtés, notamment de Noémie, elle aussi
joueuse de League of Legends. En effet, là où Noémie exprime apercevoir un changement dans le
jugement de sa mère, passant d’une activité vidéoludique illégitime à une pratique tolérable, Marie
explique que la perception de sa pratique n’a pas réellement changé depuis son début en tant que
joueuse régulière. Le passage d’une pratique compétitive de loisir à une pratique amateure n’est
donc pas un facteur valable lorsqu’il est présenté seul. En effet, celui-ci doit être relié aux gains
matériels obtenus par les joueuses et joueurs, mais aussi le cadre plus ou moins stable de la
pratique, autrement dit les opportunités d’avenir que peut offrir une telle activité. Christian explique
cette situation lorsqu’il présente le caractère incertain d’un tel projet :

« alors c’est vrai que y a eu des périodes de haut et de bas où lorsque tu gagnes pas
d’argent, c’est toujours compliqué de justifier une pratique, mais euh à partir du moment que ça
commence à venir, ma mère m’a dit « bah fonce maintenant que tu es sur les rails, tu vas tout
droit » […] Mais bon comme j’ai dit, y a toujours des périodes où on dit « ouais mais ça vaut, est-
ce que c’est une perspective d’avenir ? Est-ce que quelque chose qui peut t’apporter de l’argent ?
De la sécurité ? », c’est c’est évident ».

Le joueur en vient à douter sur les possibilités d’avenir que peut offrir une telle voie. On
perçoit bien la complexité de se lancer dans un projet ambitieux comme celui-ci, où seul le travail
du joueur, ses compétences, mais aussi la chance – en soi que le joueur peut obtenir des
opportunités juste par le hasard d’être situé au bon endroit et au bon moment – permettent la
réussite de l’objectif lancé initialement. Le gain matériel/financier vient alors prouver la
vraisemblance d’une telle pratique autrefois simplement virtuelle aux yeux de l’entourage familial,
sans réel but ni avenir. L’expérience de Noémie permet notamment de soutenir ce point, puisque sa
mère, réticente sur les aboutissants de sa pratique, tolère celle-ci lorsque la joueuse gagne de
l’argent par son activité de streameuse. L’entourage peut alors brimer les efforts du joueur, sa
capacité à investir une pratique, en vu de réaliser des objectifs fixés, ou encourage cette même

116
pratique. On retient tout de même une certaine tendance à discréditer la pratique vidéoludique sur le
plan d’un investissement temporel régulier. Le changement de vision peut alors se faire lorsque le
joueur réduit sa pratique, s’adaptant aux exigences de l’entourage (Gerber, 2015 : 8-10), ou lorsque
celui-ci valorise sa pratique par les apports de celle-ci : des gains matériels/financiers, la création de
relations sociales durables, une possibilité de transférer les compétences apprises hors du cadre
ludique, comme un cadre professionnel par exemple (Gerber, 2015 : 12-13). Les joueurs peuvent
aussi dans certains cas valoriser l’expérience compétitive du jeu vidéo, valoriser le développement
de l’esport en France comme argument pour montrer « l’utilité » des pratiques vidéoludiques au
sens qu’elles ne s’incarnent pas seulement dans un cadre virtuel (Gerber, 2015 : 14).

L’entourage, dans sa « variante » familiale, est à prendre en compte dans le calcul de la


reconnaissance des joueuses et joueurs compétitifs du jeu vidéo. L’entourage d’amis est quand à lui
plutôt unanime. Tous les joueurs expriment posséder des relations durables avec des joueurs
côtoyant la scène compétitive de façon régulière, mais aussi d’autres personnes non-joueurs qui
marquent un certain respect quand à la pratique compétitive des joueurs, notamment lorsque le
joueur est rémunéré, encadré par une structure esportive. Le joueur alterne donc entre relations
« vidéoludiques » durables avec des joueurs rencontrés en ligne, dans les compétitions hors ligne, et
des amis non-joueurs, dont ils ne s’expriment pas forcément sur le sujet car le jeu vidéo reste avant
tout une « partie » de leur personnalité. L’entourage, dans ses deux variantes, constitue tout de
même un élément mesurable intéressant pour connaître la reconnaissance que peut obtenir un joueur
compétitif sur le plan de la sphère affective, où l’individu recherche l’affection, les encouragements
de son entourage, condition de la confiance en soi. Il est alors possible d’effectuer une première
mesure de la reconnaissance que joueuses et joueurs compétitifs du jeu vidéo peuvent retirer.

117
3.5 Reconnaissance « personnelle » et reconnaissance « sociale » : une première
mesure de la reconnaissance

Dans les expériences des enquêtés, deux périodes permettent de viser une certaine mesure de
la reconnaissance. Le premier moment correspond à leur satisfaction lorsqu’ils rentrent dans une
pratique compétitive amateure, semi-professionnelle, professionnelle. Cette entrée se traduit chez
les joueurs par une compétition hors ligne marquante qui caractérise une étape importante, une
bifurcation où la carrière compétitive s’incarne dans une pratique amateure. Les joueurs sont donc
alors tiraillés entre leur première compétition et la compétition qui caractérise réellement leur
investissement dans le jeu, visible par un résultat inattendu pour le joueur lorsque celui-ci débute
dans la compétition. Il est intéressant de voir que les enquêtés désignent majoritairement un
« Major » comme une de leurs compétitions marquantes, et non forcément leurs premières
compétitions, plus constitutives d’une découverte de l’esport. Elles sont souvent caractéristiques
d’un certain niveau de jeu que les joueuses et joueurs redoutent, tout en étant satisfait lorsqu’ils
réussissent à obtenir des résultats, des performances. Quentin désigne le Stunfest et la Gamers
Assembly comme les deux tournois les plus marquants actuellement dans sa pratique amateure :

« je dirais le Stunfest 2016 car c'était dans mes premiers gros tournois et là ou j'ai gagné en
même temps, me retrouver sur la scène et jouer devant le public c'était intéressant et aussi la
Gamers Assembly comme j'ai aussi gagné c'était intéressant d'être devant une grande scène, jouer
contre Luffy, un très bon joueur. Je pense que c'est les deux tournois qui m'ont le plus marqué pour
l'instant ».

Alexis de son côté désigne aussi de son côté un « Major » comme compétition marquante :

« le Zowie Fighter, les finales mondiales, parce que je pensais vraiment pas arriver jusque
là. Déjà la qualif française je pensais l’avoir mais c’était chaud, euh la qualif européenne j’ai pas
compris j’ai fini premier, même moi ça m’a étonné, et alors les finales mondiales, j’ai fini deuxième
j’ai pas compris non plus, c’était une expérience incroyable. Déjà c’est la première fois que j’allais
en Asie et euh le tournoi était juste génial et le résultat encore mieux alors parfait. ».

Le point commun, qui ressort aussi pour l’intégralité des enquêtés, à l’exception de Marie,
s’observe dans les performances des joueurs au sein de ces compétitions hors ligne. Outre le fait
qu’elles soient considérées comme des compétitions prestigieuses pour la scène esportive du jeu, les

118
enquêtés désignent leurs résultats comme principal critère marquant. Dirigé principalement vers cet
objectif de performance, d’être le meilleur, il est compréhensible que les joueurs se sentent
reconnus lorsqu’ils obtiennent un résultat satisfaisant vis-à-vis de leurs efforts. C’est un point
partagé par l’ensemble des enquêtés qui mentionnent le plus souvent une compétition qui leur a
permis de prouver leur niveau de jeu, de les motiver dans un investissement plus important au vu
des performances réalisées. Les joueurs désignent alors les premières compétitions comme
encourageant cet investissement, et les compétitions marquantes comme doublant cette motivation.

Ces compétitions peuvent même amener à une bifurcation dans le parcours des joueurs. La
distance est alors mince entre première compétition et compétition marquante. Les premières
compétitions marquent néanmoins l’entrée dans une pratique amateure, là où les compétitions
marquantes, signent l’entrée dans une pratique semi-professionnelle/professionnelle. En effet,
Annabelle explique alors avoir obtenu une structure esportive, un sponsor après avoir participé à
une compétition avec une amie. C’est le même cas pour Christian qui remporte la « Cannes Winter
Clash », premier gros tournoi européen lors de la sortie de Street Fighter 5 (en 2016), lui permettant
de signer un contrat avec une structure esportive et d’être financé pour participer à d’autres tournois
en Europe, et notamment de se hisser dans les 32 meilleurs joueurs pour le championnat du monde.
La reconnaissance s’effectue alors par le biais des structures esportives qui s’intéressent au joueur,
populaire sur la scène compétitive et détenant un niveau de jeu intéressant, qui pourrait se
développer si celui-ci remporte des compétitions importantes. Cependant, cette situation n’est
réellement exclusive qu’à Christian et Annabelle, les deux autres joueurs semi-professionnels
contant des compétitions marquantes qui ne font pas référence à la signature d’un contrat avec une
structure esportive. On voit tout de même qu’ils désignent tous cet aspect comme fondateur de leur
entrée dans une pratique semi-professionnelle, en expliquant que la structure esportive, qui recrute
les joueurs pour la Gfinity, les reconnaît comme joueur performant. C’est donc la personne/structure
à l’origine de l’acte de reconnaissance qui est différent. Là où la signature d’un contrat avec une
structure esportive montre un acte de reconnaissance de la structure esportive au joueur,
reconnaissance basée sur la sphère de la coopération, la reconnaissance d’une performance dans une
compétition se fait par le joueur lui-même, qui se prouve sa capacité à être compétitif, mais aussi
par les autres joueurs marquant une certain respect, et par les participants et organisateurs du
tournoi qui lui signifie cette reconnaissance par des gains matériels/financiers. On assigne le joueur
alors à une pratique compétitive, ses résultats étant la preuve de sa légitimité en tant que joueur
compétitif. Il peut aussi être reconnu par son entourage social, composé de joueurs mais aussi de sa
famille.

119
Cette reconnaissance fait écho à la sphère de l’affectif. Il faut à ce titre rappeler que les trois
sphères se combinent dans les situations. Ainsi, un joueur peut éprouver de la reconnaissance par le
biais de remarques qui se font sur la base d’une performance, de résultats, par le biais d’un joueur
qu’il reconnaît comme son ami. Bien entendu, il est tout aussi possible qu’un joueur se voit reconnu
par un joueur qu’il reconnaît lui-même sans le connaître, comme notamment un joueur
professionnel que celui-ci a pu suivre lorsqu’il n’était encore que dans une pratique compétitive de
loisir. Mais l’entourage social, par ses encouragements, ses remarques, permet aux joueurs non
seulement de se sentir reconnu lorsque les performances sont au rendez-vous, mais aussi lorsque le
joueur est en manque de motivation. Les encouragements peuvent provenir de la famille, et plus
largement par les autres joueurs présents dans la même scène compétitive, dans le même genre de
jeu. Quentin explique alors s’être lié d’amitié avec plusieurs joueurs rennais de Street Fighter 5,
réels amis sur lesquels il peut compter en cas de soucis vis-à-vis de sa pratique. Il a aussi de fortes
relations avec plusieurs joueurs de la scène compétitive de Guilty Gear qu’il retrouve à chaque
compétition, lieu certes où la performance doit ressortir, mais aussi où les relations sociales
discontinues peuvent continuer dans un cadre physique. A ce titre, les joueurs compétitifs
longuement inscrits dans la participation à des compétitions hors ligne expliquent aussi cet aspect
plaisant des compétitions, qui se lie avec l’ambiance, l’engouement propre à une compétition hors
ligne. Les joueurs peuvent alors compter, en ligne comme hors ligne, sur un réseau de joueurs plus
ou moins familiers qui les aident dans leur pratique, par des échanges de connaissances mais aussi
simplement des encouragements. Ces relations peuvent se former autour d’une équipe que les
joueuses investissent de manière intensive, ou autour d’une réseau de liens sociaux, où les joueurs,
participant à des compétitions, se lient d’amitié avec d’autres joueurs qui connaissent d’autres
joueurs, amenant à une certaine proximité avec les acteurs d’une même scène compétitive.
L’entraide peut alors être palpable puisque les enquêtés désignent la facilité avec laquelle ils
peuvent échanger des informations entre joueurs, et cela même entre joueuse et joueur. Manon,
joueuse semi-professionnelle de Counter-Strike explique ainsi la facilité d’accès pour discuter avec
les joueurs professionnels sur ces points. Cette reconnaissance « affective » peut aussi se coupler
avec une pratique du stream. Noémie décrit notamment cette double satisfaction lors de sa
performance pour sa deuxième compétition :

« Alors pour le top 8, j’avais streamé ce jour-là mes parties en compétition, on est monté, je
crois que ça été un de mes meilleurs streams, c’est-à-dire qu’on est monté à 60 viewers ce jour-là,
les gens avaient envie de suivre ces compétitions là, donc ça les intéressaient, donc du coup pour
moi c’était la preuve la plus intéressante que je pouvais avoir, me dire que y avait des gens, des

120
centaines de personnes qui voulaient me suivre en direct pour, pour moi, pour ma manière de jouer,
pour ma personnalité etc, et euh, qu’est-ce que j’allais dire d’autre ? Et voilà ! Rien que ça déjà
c’est, je trouve ça juste énorme. ».

La reconnaissance concernant la sphère affective peut ainsi se remplir par le biais d’une
communauté soutenant une joueuse dans sa pratique vidéoludique. Néanmoins, Noémie, seule
streameuse, est la seule personne a nous conter une telle expérience. La reconnaissance se fait certes
dans le cadre de la pratique amateure de la joueuse, mais elle n’est possible que parce que la
joueuse s’investit dans une pratique du streaming, qui est transversale aux pratiques compétitives,
qu’elles soient de loisir, amateure, semi-professionnelle et professionnelle. Il serait intéressant
d’interroger des streameurs engagés dans une pratique compétitive au minimum amateure pour voir
en quoi la communauté de spectateurs fondé autour de l’individu peut être importante dans la
perspective d’une reconnaissance affective.

Le constat n’est évidemment pas le même concernant l’entourage familial, dont les joueurs
qui sont reconnus par leur famille sont ceux qui ont un avis favorable à la pratique du jeu vidéo,
même régulière, où qui se sont intéressés à la pratique du joueur lorsque celui-ci rentre dans un
cadre « professionnel », ou du moins un cadre concret avec l’apport de gains. C’est là toute la
différence que l’on peut émettre entre les pratiques amateures présentées et semi-
professionnelles/professionnelle. Christian, Laurent, Alexis expriment leur satisfaction en décrivant
leurs parcours jusqu’à leur situation actuelle, tout en expliquant avoir plusieurs objectifs à atteindre,
dont notamment une reconnaissance plus grande en Europe, dans le monde entier. Ils cumulent
plusieurs compétitions hors ligne de façon régulière (hebdomadaire), réalisent des performances
plus ou moins satisfaisantes (dans le top 32, 16, 8) selon leur jugement, et se retrouvent avec un
entourage familial qui encourage leur pratique, voir même qui suivent les performances des joueurs.
Quentin, dans une pratique amateure, explique aussi retenir de la reconnaissance de son entourage
familial et amical, tout en étant satisfait de certaines de ces performances. On sent tout de même
une différence entre lui et les autres enquêtés semi-professionnels/professionnels :

« je sais que je peux faire mieux du coup euh parfois je suis content mais il y a toujours un
peu d'amertume ensuite quelque soit le résultat, même si je gagne il m'arrive d'être pas satisfait de
moi-même car je sais que c'est pas mon maximum et que je peux faire encore mieux en soi ».

La différence, observable vis-à-vis de sa satisfaction, pourrait s’expliquer par le manque


d’une structure esportive pour perpétuer sa pratique de façon régulière dans les compétitions hors
ligne. Le joueur, reconnu par les autres joueurs pour ses performances, possède donc un manque

121
vis-à-vis d’une reconnaissance venant d’une structure esportive. Certes, on peut attribuer son
discours à une personnalité perfectionniste où le joueur veut atteindre le meilleur niveau possible,
mais dans ce cas il faudrait intégrer tous les joueurs interrogés qui expliquent vouloir s’améliorer
dans leur jeu de combat respectifs. On pense donc que le manque de structure esportive peut amener
à un cadre instable de la pratique compétitive, où le joueur n’a pas d’injonctions plus fortes à
performer, notamment pour représenter une ou plusieurs marques dont il a signé des contrats avec.
A ce titre, Laurent, dans son discours de productivité et de résultats, transcrit réellement le discours
de l’efficacité du monde du travail à sa pratique semi-professionnelle, où le jeu n’est plus perçu
dans sa composante ludique, mais aussi dans sa composante compétitive, sérieuse, aux aboutissants
réels pour l’avenir du joueur qui explore les possibles de l’univers vidéoludique choisi pour en tirer
le meilleur lors des compétitions hors ligne. Chez les joueuses, Annabelle reste la seule joueuse à
perpétuer une pratique semi-professionnelle encadrée par une structure esportive. Satisfaite lors de
cette pratique, la joueuse explique avoir pu être encadrée par une structure organisée, lui permettant,
à elle et son équipe, de participer à des « Majors » en dehors de la France. La reconnaissance dans
la performance est visible : la joueuse reconnaît avoir un niveau compétitif intéressant, prouvé par
les performances qu’elle a pu obtenir, tout en étant reconnue par son intégration dans une structure
esportive, par ses amis joueurs mais aussi et surtout par l’entente qui règne dans son équipe
compétitive :

« Alors c’était une petite famille, je pense que, on faisait attention les unes aux autres, euh
on était des je pense des amies, dans le jeu et en dehors du jeu, on se connaissait ».

Cependant, la reconnaissance affective n’est pas totale lorsqu’on regarde la perception de


son entourage familial : comme pour son début de pratique, ses parents ne considèrent toujours pas
sa pratique compétitive comme « utile », ne comprenant pas les aboutissants et l’intérêt que peut en
retirer la joueuse. Ce cas est aussi visible chez les deux autres joueuses, bien que Noémie explique
que sa mère tolère sa pratique au vu des gains financiers qu’elle apporte. Là où tous les joueurs ont
une reconnaissance plus ou moins importante pour leur pratique vidéoludique, à l’exception de
Madi qui explique que sa pratique d’organisateur de tournois compétitifs est plus accepté, les
joueuses semblent décrire un manque de reconnaissance vis-à-vis de l’entourage. Le critère de la
pratique amateure ne suffit donc plus seulement pour expliquer ce point. L’explication pourrait alors
se trouver dans le fait d’être une femme engagée dans un univers masculin.

Cette première mesure de la reconnaissance nous permet déjà de tisser des conclusions sur
l’expérience vidéoludique des enquêtés. La performance, principe majeur dirigeant l’ensemble des
pratiques compétitives, est fixé comme objectif principal. Le joueur va notamment fixer une

122
« figure idéale », celui du « bon » joueur professionnel, insufflé des qualités, compétences que le
joueur doit parfaire pour obtenir un niveau de jeu optimal et se hisser parmi les meilleurs joueurs.
Le joueur va alors rationaliser son temps de jeu, organiser sa pratique vidéoludique entre
entraînement individuel, collectif et/ou en ligne, et compétitions hors ligne. Bien entendu, le statut
de sa pratique, conditionné par l’entrée dans une structure esportive et par la participation régulière
à des compétitions hors ligne, va aussi conditionner cet effort, les ambitions du joueur, liés aux
contraintes sociales qui accompagnent sa vie. Le but est néanmoins de participer au maximum de
compétitions hors ligne et d’obtenir des résultats, en se hissant notamment dans le top du
classement au(x) tournoi(s) d’une même compétition. Là aussi l’investissement n’est pas le même
selon le statut du joueur et de sa pratique, selon les ressources disponibles pour perpétuer cette
pratique dans le cadre des évènements esportifs. Tous ne sont pas égaux aussi concernant une
reconnaissance du point de vue de l’entourage. Si la performance peut être reconnue par des acteurs
importants de la scène compétitive, les remarques et encouragements d’individus reconnus comme
des amis vont influer sur la motivation du joueur à continuer dans le sens d’une pratique
compétitive. De même, la famille peut influer sur cette motivation dans la pratique compétitive,
pouvant ainsi conditionner fortement l’entrée dans une pratique amateure. On voit à ce titre que les
regards changent lorsque le joueur obtient des gains financiers/matériels, ou même obtient un
contrat avec une structure esportive, lui permettant de perpétuer sa pratique dans un cadre
« professionnel », visible pour son entourage familial. C’est donc l’extériorisation du jeu vidéo dans
le monde réel, la véracité du cadre physique qu’implique une pratique amateure, mais surtout semi-
professionnelle/professionnelle qui amène à changer les regards sur cette activité. Là aussi, tous les
joueurs ne sont pas égaux face aux opportunités d’avenir proposées par la scène esportive française,
mais aussi par les scènes compétitives côtoyées par les compétiteurs.

123
4. L’esport en France

4.1 Genèse, organisation et représentation : un état des lieux de l’esport en


France

4.1.1 Historicité de l’esport

L’esport semble récent dans l’esprit des joueurs, des spectateurs qui suivent les
compétitions. Cependant, on observe les premières traces de compétition bien avant l’arrivée des
plateformes de diffusion et de rediffusion (Twitch, Youtube Gaming, etc.) qui ont permis la
popularisation de l’esport. Nicolas Besombes, dans sa tentative de dresser un panorama de l’esport,
situe la première trace de compétition en 1972, sur un jeu intitulé « Space War »130 dans le
laboratoire de recherche « Stanford Artificial Intelligence Lab in Los Altos » en Californie131. Le jeu
vidéo, alors dans son stade de développement dans les laboratoires de recherche, voit déjà son
aspect compétitif se développer. Celui-ci s’étend au public et fait apparaître dans les années 70 les
affrontements par jeu d’arcade, sur des bornes d’arcade où les joueurs s’affrontent de façon différée,
c’est-à-dire par « high score » interposé. L’affrontement est bien différent puisque chaque joueur va
essayer d’obtenir le maximum de points dans le jeu joué (en détruisant des ennemis, en récupérant
des objets donnant des points, en finissant rapidement les niveaux, etc.). De leur côté, les éditeurs
des jeux vont organiser des compétitions qui se déplacent dans plusieurs villes d’Amérique du Nord
mais aussi du Japon, comme par exemple le « All Japan TV Games Championship », le « National
Space Invader Championship », le « Pacman Tournament », mais aussi le tournoi « Intergalactif
Space War Olympics » (1972) et le « Nintendo World Championship » (1990). On peut observer
dans ces deux dernières compétitions la présence de la joueuse Pam Hart, championne du premier
tournoi, et de Heather Martin, championne du « Nintendo World Championship » pour le tournoi
organisé dans sa ville, Oklahoma City, et dans la catégorie 11 ans et moins132.

130 Space War est un jeu en deux dimensions qui met en scène deux vaisseaux dans un combat spatial. Le jeu est
considéré comme un des plus importants et des plus influents dans la genèse du jeu vidéo.
131 Pour plus d’informations : RollingStone, Steward Brand Recalls First « Spacewar » Video Game Tournamenet,
2016. URL : https://www.rollingstone.com/culture/culture-news/stewart-brand-recalls-first-spacewar-video-game-
tournament-187669/
132 Ces deux joueuses compétitives, considérées comme les pionnières, sont désignées pour montrer la présence d’un
intérêt de la part des femmes pour la compétition vidéoludique avant même que la question de la mixité dans
l’esport ne soit posée. Pour plus d’informations, nous vous invitons à visionner la conférence introductive « La
mixité dans l’esport : état des lieux, enjeux et perspectives » qui s’est déroulée pendant le 7 juillet lors de
l’évènement « Esport & Mixité » organisé par l’association France Esports et Women In Games. URL :
https://www.youtube.com/watch?v=xZQ9uEWT5ZU.

124
Mais c’est dans les années 1990 que l’esport rentre dans sa phase de structuration et de
modernisation, en prenant une forme semblable à celle que l’on connaît actuellement. On peut
désigner certains tournois comme fondateurs de l’esport, du moins pour la partie occidentale du
monde : « Red Annihilation » et « The Frag » en 1997, s’organisant autour des jeux de tir à la
première personne comme Counter-Strike, pilier de l’esport. Concernant la partie orientale et
notamment la Corée du Sud, le « Tooniverse Pro Tournaement » en 1999 s’organise aussi du jeu
« Starcraft », jeu de stratégie en temps réel qui connaît un fort succès en Corée du Sud. On peut
apercevoir un développement de l’esport différent en fonction des pays occidentaux et asiatiques,
avec un développement culturel qui se fait sur des jeux différents. On distingue plusieurs
développements culturels différents : les européens et américains s’approprient en compétition les
jeux de tir à la première personne comme Counter-Strike, mais aussi plus récemment, les jeux de
simulation sportive comme la licence de jeux « Madden NFL » (simulation sportive de football
américain) ou encore « FIFA » (simulation sportive de football) ; les coréens développent une
pratique compétitive autour des jeux de stratégie comme « Starcraft », « Warcraft 3 », mais aussi
plus récemment le MOBA « League of Legends » ; enfin, le Japon se distingue par son
développement de l’esport autour des jeux de combat, où l’on aperçoit par exemple un grand
nombre de japonais parmi les meilleurs joueurs mondiaux sur Street Fighter 5. Ce dernier point est
notamment mentionné par les joueurs de jeu de combat qui exprime un certain respect envers les
joueurs japonais, et leur satisfaction lorsqu’ils parviennent à les vaincre lors des compétitions hors
ligne :

« Mais l'écart de niveau peut être aussi très grand entre les continents par exemple entre
l'Europe et le Japon c'est un monde entier qui il y a entre les meilleurs joueurs européens et les
japonais tout de même, si on prend bien sur les meilleurs niveaux. » (Quentin).

Le développement culturel de l’esport est donc différent dans son origine, notamment par les
jeux joués, leur appropriation par les joueurs de ce pays. Cette spécificité culturelle se retrouve
aussi dans le sport traditionnel avec des préférences culturelles selon les pays. Ce n’est pas pour
autant que chaque zone géographique se cantonnent seulement à certains jeux : c’est une tendance
que l’on peut percevoir, notamment dans l’appréciation du public vis-à-vis de ces jeux. De plus, ces
différences culturelles ne sont pas exclusives au genre de jeu joué puisque l’on peut apercevoir une
certaine tendance aux mêmes genres sans pour autant voir les mêmes jeux joués. Cela peut se
traduire par une appropriation différente du public selon le pays, mais aussi par des sorties
différentes : on peut prendre l’exemple de Fortnite, jeu en vogue qui n’est pas encore sorti en Chine,
les chinois développant une scène compétitive sur un autre « Battle Royale » dénommé

125
« PlayerUnknown’s Battlegrounds » (PUBG), qui est aussi populaire dans les pays européens,
concurrent de Fortnite. Dans tous les cas, la structuration de l’esport en 1990 par les premiers
tournois présentés peut être désigné comme la première grande étape vers ce qu’est actuellement
l’esport dans le monde. Outre ces différences culturelles dans le développement de l’esport, on
aperçoit plusieurs étapes du développement de l’esport jusqu’à sa forme actuelle.

Nicolas Besombes décrit l’histoire de l’esport comme une histoire qui se crée par le biais
« d’accidents », par le détournement des joueurs. En effet, l’évolution de l’esport transparaît certes
par l’apparition de tournois fondateurs, par le développement de ligues, d’organisations esportives
(ESL133, etc.) qui organisent compétitions en ligne et hors ligne, mais aussi par une évolution en
terme de gameplay qui amène à des nouvelles façons de jouer et à l’apparition de genres de jeux, de
jeux compétitifs. Cela se perçoit dès les premières étapes de structuration de l’esport dans les
années 90. En effet, il faut savoir que Counter-Strike, maintenant considéré comme un des piliers de
l’esport, est à la base un « mod » du jeu Half-Life, jeu de tir à la première personne, réalisé par un
joueur. Le « mod » devient alors tellement populaire que le jeu sort officiellement le 8 novembre
2000, et connaît de nombreuses versions jusqu’à aujourd’hui avec « Counter-Strike : Global
Offensive ». Le jeu de tir apparaît en Europe comme un des premiers genre de jeu, avec Counter-
Strike, à être joué de façon esportive. C’est la première grande évolution dans l’histoire de l’esport,
structurant majoritairement ce milieu en Europe par le jeu de tir, et aussi d’une autre façon par les
jeux de stratégie, même si leur influence est plus importante en Corée du Sud . La deuxième
évolution, beaucoup plus récente (aux alentours des années 2010), se produit avec l’arrivée en
masse des MOBA, nouveau genre de jeu qui est introduit par le détournement d’un certain jeu. En
effet, des jeux comme « League of Legends », ou encore « DotA 2 »134, trouvent leur origine dans le
« mod » de Warcraft 3 nommé « DotA ». L’esport est ainsi jonché de plusieurs grandes évolutions
par l’arrivée de nouveaux genres de jeux qui apporte une nouvelle manière de pratiquer le jeu vidéo.
Bien entendu, ces évolutions sont aussi à relier à l’expansion croissante de l’esport qui permet à
chaque nouveau genre de jeu, populaire chez tous les joueurs, d’être encore plus visible. La dernière
évolution de l’esport se trouverait dans l’apparition toute récente des « Battle Royale », qui sont
apparus pour la première fois par le biais du mode de jeu « Hunger Games » sur Minecraft135 et qui
133 Autrement dit, l’« Electronic Sports League » qui est une ligue de sport électronique pour les joueurs compétitifs
134 A ce titre, la scène esportive de DotA 2 détient le tournoi avec le plus gros « cash price », « The International » où
l’équipe européenne « OG » a remporté cette année la somme de 11,228,470 dollars en gagnant cette compétition
regroupant les meilleurs équipes du monde entier.
135 Minecraft est un jeu vidéo de type « bac à sable/sandbox », où le joueur évolue dans un monde généré
aléatoirement sans réel objectif particulier indiqué par le jeu. Il peut alors à sa guise récupérer des matériaux pour
construire des structures, des bâtiments. A ce titre, on voit sur Internet de nombreuses créations des joueurs qui ont
déjà pu reproduire de célèbres monuments dans une échelle grandeur nature, mais aussi reproduire complètement
une ville comme pour Rennes avec le dénommé projet « RennesCraft » en co-construction entre l’association 3 Hit
Combo et Rennes Métropole, et dont le but est de penser et construire la ville en utilisant le jeu comme outil de

126
reprend le principe du livre/film du même nom : un grand nombre de joueurs est lâché sur une
grande carte, l’objectif étant d’être le dernier survivant. Le joueur s’équipe alors d’armes, d’objets,
d’équipements trouvés sur le terrain de jeu où il évolue pour vaincre ces ennemis et remporter la
victoire. Le succès du « mod » fait alors apparaître des jeux actuellement très populaires comme
PUBG (sorti le 23 mars 2017) ou encore Fortnite (sorti le 25 juillet 2017) qui sont joués dans des
compétitions esportives malgré le jeune âge des jeux et la réflexion autour des possibilités du jeu
dans ce domaine, dont les développeurs de Fortnite procèdent à de nombreux changements dans les
règles des compétitions pour rendre celui-ci attractif en compétition.

Ce bref panorama de l’histoire de l’esport nous permet de percevoir le développement de


celui-ci ces dernières années. Actuellement dans une nouvelle étape d’évolution avec l’arrivée du
« Battle Royale » comme genre de jeu compétitif, l’esport est un domaine en pleine expansion où
sont expérimentés différentes façons de jouer en compétition. Il est organisé de multiples façons
selon les jeux joués, les genres de jeux mais aussi les pays. La France, de par son historique dans
l’esport – avec notamment la présence de joueurs français partant en Corée du Sud affronter les
meilleurs joueurs sur des jeux comme Starcraft, mais aussi d’un tissu de LAN important, formé lors
de l’arrivée de Counter-Strike – est un pays regorgeant de compétiteurs. Pour autant, le
développement de ce secteur n’est pas aussi clair qu’on pourrait le penser.

4.1.2 Organisation et médiatisation de l’esport

L’esport dans sa configuration, emprunte beaucoup au sport traditionnel. Composé d’une


multitudes de compétitions, plusieurs acteurs se regroupent dans ce domaine : éditeurs/développeur
de jeu vidéo, organisateurs, commentateurs, arbitres, structures esportives, sponsors, médias,
spectateurs et joueurs. Chacun va s’agencer et structurer à sa manière la scène esportive choisie, en
investissant un rôle particulier. Les organisateurs, de tout type (privés, associatif, structure
esportive, entreprise), vont être tributaire d’un encadrement de l’esport en France en proposant
différents types d’évènements compétitifs sur plusieurs jeux. Ces évènements, composés de
plusieurs tournois, vont être organisé sous plusieurs règles. Certains modèles de règlement vont se
retrouver dans les différentes compétitions portant sur un même jeu, bien qu’il existe aussi des
modes de jeu différents et d’autres façon d’organiser un tournoi. Les résultats et les performances

médiation et de réflexion. Pour plus d’informations : http://rennescraft.fr/.

127
des joueurs sont comparés par des arbitres qui veillent au respect des règles instituées dans le
tournoi joué, permettant au joueur de monter dans les différentes étapes du tournoi pour ainsi
remporter les prix distribués aux meilleurs joueurs/équipes.

L’agencement d’une telle compétition peut se trouver dans un lieu physique spécialement
loué pour cette occasion, ou inclus dans un évènement vidéoludique plus large, où les spectateurs
peuvent vaquer à d’autres occupations que simplement le visionnage des compétitions qui se
déroulent pendant le week-end de l’évènement. C’est le cas du Stunfest à Rennes qui permet aux
personnes venant pour l’évènement de jouer à d’anciens jeux (ou jeux « rétros »), des jeux
indépendants, mais aussi assister aux différentes compétitions qui se déroulent pendant les trois
jours de l’évènement. Les compétitions sont de leur côté animées par des commentateurs qui vont
tenter d’amener une certaine « ambiance », un engouement derrière la compétition, les équipes qui
s’affrontent, tout cela par un certaine compétence du « commentary » et de l’animation. Dans ce
cadre, la plupart des joueurs de jeu de combat désigne le commentateur français Ken Bogard, qui
selon eux a largement participé à la structuration de la compétition en France sur les jeux de
combat, et dont nous reviendrons amplement plus loin. Dans tous les cas, l’esport en France ressort
sous un certain schéma classique qui ressemble au sport, avec notamment cette mise en scène qui
vient faire de l’évènement un spectacle, où les joueurs peuvent même être élevés au rang de « star »
comme a pu l’expliquer Annabelle lorsqu’elle décrit la scène mixte-masculine de Counter-Strike. Il
est donc normal de retrouver dans certains cas une certaine communauté de supporters qui va
soutenir une équipe et/ou un joueur en particulier. Les compétitions sont alors retransmises en direct
sur les plateformes de diffusion disponibles sur Internet, mais aussi en rediffusion par le travail de la
logistique qui permet ainsi de garder une archive des matchs joués pendant la compétition, ou du
moins les matchs qui sont montrés sur la scène de l’évènement esportif, où se concentre la plupart
du temps les dernières étapes du tournoi comme les quarts de finale, les demi-finales et les finales.

Mais l’esport ne ce serait pas réellement développé si les éditeurs des jeux concernés
n’étaient pas impliqués dans le développement de leur jeu dans la compétition. A ce titre, les
éditeurs peuvent choisir de développer un circuit officiel de compétition, à l’image du Capcom Pro
Tour pour Street Fighter 5, ou les « League of Legends Championship Series » (LCS), qui sont une
série de compétitions qui s’organisent par zone géographique : LCS nord-américaine, européenne,
« League of Legends Champions Korea » pour la Corée du Sud, avec pour championnat du monde
les « Worlds », regroupant les meilleures équipes de chaque zone. Cependant, l’organisation d’un
circuit officiel n’est pas une norme au sein de l’esport. Là où les deux jeux cités le font, pilier de
l’esport dans leur genre de jeu respectif, certains autres jeux, moins connus mais compétitif, ne sont

128
alors pas développés autour d’un circuit officiel, mais seulement un réseau de compétitions dans les
différents pays où ils sont joués. D’autres, populaires mais récents, comme Dragon Ball FighterZ,
n’ont pas encore de circuit officiel à proprement parler, alors présent dans des compétitions qui
regroupent des jeux du même genre136. Le développement d’un circuit officiel est néanmoins
bénéfique pour les joueurs et la compétition autour du jeu, permettant aux joueurs et aux
compétitions de jouir d’une certaine reconnaissance, l’éditeur validant la présence d’une pratique
esportive sur leur jeu. Ainsi, une compétition peut aisément regrouper plusieurs tournois sur
plusieurs jeux différents, du même genre ou non comme pour l’ESWC Metz 2018, proposant des
tournois sur League of Legends, Fortnite ou encore Hearthstone. Mais les compétitions énoncées ne
concernent le plus souvent qu’une infime partie de l’esport, à savoir les compétitions réservées aux
joueuses et joueurs professionnels, qui ont acquis un statut et un niveau de jeu leur permettant de se
hisser parmi les meilleurs.

Là où la comparaison avec le sport comme le football s’arrête, c’est lorsqu’on veut observer
le développement de l’esport à l’échelle amateure en France. Nicolas Besombes explique
notamment ce phénomène propre à notre pays. L’esport, partant d’une pratique dématérialisée dans
sa base, s’est vu structurer internationalement en premier lieu. Le prochain objectif reste alors à
structurer l’esport à l’échelle nationale et locale. C’est à ce titre que la France possède un
développement de l’esport sous un grand circuit de LAN, avec de nombreux types d’organisateurs,
de la communauté de joueurs à l’éditeur de jeu, en passant par des associations qui vont organiser
les compétitions. Ainsi, le joueur compétitif ne peut pas actuellement se diriger concrètement vers
l’équivalent d’un club local de jeu vidéo, bien qu’il existe selon les villes un réseau de joueurs
compétitifs qui se réunissent le temps de compétitions plus petites, comme les « ranking » de 3 Hit
Combo, où les nombreux tournois organisés dans les bars esport. Certains éditeurs peuvent tenir
compte de la spécificité nationale d’un pays en prenant appui sur son circuit compétitif organisé par
de nombreux types d’organisateurs. C’est à ce titre que Riot Games ouvre des bureaux d’agence
dans plusieurs pays pour saisir cette spécificité et réfléchir à comment prendre en considération les
singularités culturelles de chaque pays concerné, tout cela dans l’objectif de développer de la
meilleure manière possible un tissu amateur. Néanmoins, la pratique amateure reste encore peu
structurée si on la compare à la pratique professionnelle, encadré à l’international par de grandes
compétitions et des structures esportives aux moyens importants.

136 On peut néanmoins souligner la tendance qui s’inscrit chez les éditeurs de jeux à réfléchir sur l’aspect compétitif de
leur jeu, la potentialité du jeu vidéo dans l’esport. Le développement de l’esport est donc une dynamique assez
importante pour influer sur la façon de développer un jeu, notamment car les développeurs, comme pour Epic
Games avec Fortnite, vont penser à la façon dont le jeu serait le plus attractif en compétition, quelles seraient les
règles qui permettraient une compétition intéressante et agréable visuellement à regarder.

129
Cette structuration différentielle peut aussi être prise en compte concernant la médiatisation
de l’esport. La première diffusion de la compétition vidéoludique se trouve dans l’utilisation
d’Internet qui, encore aujourd’hui, reste le média le plus utilisé pour visionner les compétitions en
direct ou en différé. C’est notamment cet outil sans frontière qui a permis cette structuration
internationale de l’esport, dont les acteurs locaux tentent d’adapter la pratique esportive amateure à
leur pays. On dénombre néanmoins l’apparition de chaînes de télévisions dédiées au jeu vidéo, et
plus spécifiquement à la compétition vidéoludique. Tout dépend alors de la prise en compte du
domaine dans le pays. Certains pays comme la France, le Royaume-Uni, et plus fortement la Corée
du Sud, ont ainsi leurs propres chaînes de télévision sur l’esport (Canal Esport Club et BeIN Esports
pour la France). Ce média reste toutefois minoritaire au vu du rôle d’Internet dans la structuration
de l’esport dans le monde, prenant le phénomène lorsque celui-ci est en phase de popularisation, de
massification. Le développement de l’esport tient donc d’une dynamique internationale, avec la
présence de spécificités culturelles selon l’organisation de la compétition, mais aussi selon les jeux
populaires joués en compétition. Une autre spécificité culturelle est à notifier lorsqu’on s’intéresse à
l’esport : le statut de l’esport et du joueur professionnel.

4.1.3 Esport et statut du joueur en France : une récente considération du domaine

Le développement de l’esport en France se fait principalement au départ par les acteurs du


milieu qui organisent et perpétue une scène compétitive sur les jeux joués. On voit apparaître des
acteurs clés qui, chacun dans leurs jeux, genres de jeux, démocratisent la pratique esportive du jeu
vidéo. Les enquêtés les désignent sous plusieurs noms dont celui d’« ambassadeurs », détenant un
rôle clé dans le développement de l’esport :

« Et en fait ça c’est démocratisé parce que y a eu des ambassadeurs qui ont voulu faire en
sorte que ça soit démocratisé. Y a Kayane, y a Luffy, y a Gen1us, je pense que sans ces trois
personnes, y aurait pas eu autant d’engouement et autant de sponsor actuellement en France. »
(Laurent) ; « je pense que celui qui a fait le plus explosé la scène, c’est Ken Bogard, après euh,
après c’est très dur de donner un deuxième acteur parce que tout le monde a apporté un peu sa

130
pierre à l’édifice, mais Ken Bogard a quand même relié tout le monde, en tout cas sur Street
Fighter 4. » (Christian).

Ces acteurs clés vont ainsi avoir un rôle de structuration en France concernant le jeu de
combat, en ralliant une communauté par un travail d’archives, d’informations, d’émissions dédiées,
et de « commentary » (Ken Bogard), ou en acquérant une certaine notoriété dans le milieu avec des
performances impressionnantes (Luffy), qui vont parfois même, selon l’individu, s’extérioriser à la
simple scène du jeu de combat (Kayane). Cette dernière est ainsi plutôt connue pour son
investissement en tant que joueuse esportive et la démocratisation qu’elle a pu apporter à la scène
esportive des jeux de combat par sa notoriété. A ce titre, Christian la désigne comme une très bonne
communicante, largement visible sur les réseaux sociaux, sans pour autant dévoiler des
performances extraordinaires. De l’autre côté, Luffy est surtout connu pour son engagement esportif
régulier et son titre de premier français et européen a avoir gagné l’« Evolution Championship
Series » (EVO) en 2014, première année du circuit officiel Capcom Pro Tour, compétition sur les
jeux de combat se déroulant à Las Vegas, et considéré comme le tournoi le plus important en terme
du nombre de joueurs et du prestige. Les acteurs clés peuvent donc avoir différents rôles au sein de
l’esport, leur similarité étant qu’il démocratise et structure l’esport derrière leurs actions, qu’elles
représentent des performances, un statut de joueuse au sein d’un univers masculin, ou encore un
acteur non joueur qui investit ses efforts pour faire connaître la scène esportive choisie. La
structuration de l’esport peut aussi se faire par la communauté qui investit le jeu et organise des
évènements. Pour autant, l’esport n’est pas forcément visible par les institutions de la société
française, par l’État. Si les médias généralistes relaient le développement de l’industrie
vidéoludique dans le monde entier et en France, notamment en expliquant le chiffre d’affaire
qu’engendre ce secteur, l’esport n’est pas autant médiatisé. La visibilité de l’esport par l’État est
telle que l’on voit seulement apparaître des lois permettant à celui-ci d’exister « légalement ». En
effet, la loi n°2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation interdit les jeux d’argents
cumulant quatre critères : la présence d’une offre publique, au sens que l’offre est à un public large,
sans restriction ; la naissance de l’espérance d’un gain chez le joueur ; le sacrifice financier de la
part du joueur, au sens que celui-ci doit engager une somme pour pouvoir jouer, comme par
exemple les frais d’inscriptions ; et la présence même infime de hasard 137. Le problème vient alors
du fait que les compétitions de jeux vidéo remplissent l’intégralité de ces critères et doivent donc
être considérées comme illégales. Ce n’est que par l’investissement des acteurs de l’esport qui

137 Ces propos sont repris du site « droit esport » qui explique les différentes lois votées concernant plus ou moins
directement l’esport. Pour plus d’informations : Droit Esport, Légalité des compétitions e-sport, 2017. URL :
https://droit-esport.com/2017/03/03/lillegalite-des-competitions-e-sport/.

131
demande à apporter une spécificité aux compétitions vidéoludiques pour les faire sortir de
l’illégalité que l’esport vient à être visible dans la loi française. Ainsi, on voit apparaître dans la loi
du 7 octobre 2016 pour une république numérique, des spécifications concernant les compétitions
de jeux vidéo qui sont légales dès lors que :

« la compétition est organisée en la présence physique des participants ; L’organisateur ne


fait de bénéfice par le biais des droits d’inscriptions des joueurs. En effet, le montant des droits
d’inscriptions ou les sacrifices financiers des joueurs rapporté au coût total d’organisation de la
compétition (+ total des gains et lots) ne doit pas dépassé le taux de 100%. En d’autres termes, la
somme payée par les joueurs pour intégrer le tournoi doit permettre de rémunérer uniquement
l’organisation de la compétitions et les cash prize. Rien n’empêche l’organisateur de faire des
bénéfices en demandant un droit d’entrée aux spectateurs ou en louant des places aux
commerçants. »138.

Concernant les tournois en ligne, celle-ci ne sont légales qu’à la condition qu’il n’y ait pas
d’inscription onéreuse pour les participants, les frais d’accès interne et les coûts d’acquisitions au
jeu n’étant pas considéré comme un sacrifice financier au vu de la loi. Cette loi est importante à
noter puisqu’elle permet une récente considération de l’esport dans la loi, amenant à légaliser et à
cadrer les pratiques esportives au même titre que le sport l’est depuis plusieurs années. Ces
considérations dans les compétitions s’étendent même à la question du dopage, qui commencent
tout juste à sortir de l’ombre par certaines révélations de joueur. Nicolas Besombes explique à ce
titre le peu de témoignage dans l’esport, sport jeune et encore peu encadré. On comprend la
présence du dopage lorsqu’on sait les sommes mises en jeu dans les grandes compétitions pour des
jeux esportifs reconnus comme League of Legends, DotA 2 ou encore Counter-Strike. On peut à ce
titre désigner deux dopages : le dopage technologique et cognitif. Le premier, présent
essentiellement dans la compétition en ligne, consiste à installer des « bots informatiques », agent
logiciel automatique qui va être utilisé pour collecter plus rapidement des ressources et ainsi
prendre l’avantage sur son adversaire, ou encore pouvoir voir à travers les murs dans un jeu de tir,
permettant ainsi de prévoir les trajectoires des adversaires. Non consigné dans la loi par des
interdictions, cette triche est jugé par les instances représentatives de l’esport, dont notamment les
organisateurs de ces évènements qui doivent surveiller les joueurs. Le deuxième type, cognitif,
concerne la prise de psychostimulants comme l’« Aderall », utilisé pour accroître les facultés
d’attention, de concentration du joueur pouvant ainsi rester concentré durant des heures. Ce
médicament illégal en France peut être néanmoins achetable par le biais d’Internet sur des sites

138 Ibid.

132
nords-américains, certains joueurs français ayant notamment avoué s’être dopés lors de
compétitions139. Nicolas Besombes – expliquant cette prise d’amphétamines sous formes de
médicaments, servant à traiter les troubles de l’hyperactivité chez les enfants – sont encore peu
contrôlés, notamment dans une discipline où le dopage n’est pas relayé de façon publique. Pour
contrer ce point, certaines structures esportives comme l’« Electronic Sport League » (ESL)
s’associe alors avec l’Agence Mondiale Anti-Dopage (AMA) depuis maintenant quatre ans, listant
alors une variété de produits dopants interdits dans les compétitions et effectuant les premiers tests
pour ensuite former une organisation, l’« Esport Integrity Coalition », fondée en Angleterre en
2016. Mais même si cette structure se charge des contrôles anti-dopage, des matchs truqués et de la
triche, les organisateurs d’évènements ne sont pas soumis officiellement à cette réglementation,
bénéficiant de l’aide de l’organisation si besoin. La mesure est donc encore incitative et n’est pas
développé à l’ensemble des scènes compétitives, ni l’ensemble des compétitions, notamment les
« Majors ». Cet état des lieux permet de voir le développement récent de l’esport, et le début de
réflexions semblables au monde du sport, montrant donc la considération naissante des pays sur ces
questions, notamment la France qui va commencer à encadrer le statut de joueur professionnel de
jeu vidéo.

Cet encadrement débute aussi par la loi république numérique 2016. Le statut du joueur
professionnel en France vient à être complété par un décret d’application en juillet 2017 (n°2017-
872) qui précise le régime applicable au contrat de travail à durée déterminée que signe les joueurs
avec leur structures esportives, en expliquant la durée du contrat (minimum 12, maximum 5 ans) et
ses spécificités mimées sur le contrat de sportif professionnel. Selon Nicolas Besombes, les
premiers contrats de joueur professionnel sont alors seulement émis, 1 an après le décret
d’application. Il faut savoir que la structure qui émet les contrats doit être agrée par le Ministère de
l’économie et des finances, demandant donc des démarches administratives pour que les structures
esportives rentrent dans la loi. Ces contrats sont émis selon les saisons qui sont différentes en
fonction des jeux, et dont l’éditeur du jeu doit définir clairement la durée d’une saison esportive.
Dans ce cadre, on remarque que les saisons durent en général une année comme pour le Capcom
Pro Tour (Street Fighter 5) et les LCS (League of Legends). A ce titre, ce décret prévoit aussi la
prise en compte des joueurs compétitifs mineurs entre 16 et 18 ans pour leur assurer une vraie
protection. On voit bien que la prise en compte du joueur professionnel dans la loi est somme toute
récente, mettant en avant une sécurité de l’emploi et une protection des joueurs qui n’était pas
présent auparavant. Cependant, cette nouvelle prise en compte des joueurs professionnels n’atteint

139 Ces propos sont repris du même site « droit esport » sur l’article Le dopage dans l’ombre de l’esport, 2017 URL :
https://droit-esport.com/2017/07/27/le-dopage-dans-lombre-de-lesport/.

133
pas encore et forcément tous les joueurs français qui sont présent dans une structure esportive. En
effet, les joueurs expliquent les biais qu’ils utilisent pour pouvoir être rémunéré de leur pratique tout
en gardant un statut légal :

« y a des solutions pour ce qui est de, si c’est par rapport aux impôts et compagnie, y a des
solutions, perso moi je suis auto entrepreneur, c’est quelque chose qui marche très bien, bon par
exemple on prend pas mal, on prend assez cher au niveau des impôts mais c’est quelque chose qui
est clairement possible sans problème au niveau de la justice ou quoi. » (Christian) ; « Moi dans
mon cas par exemple, je suis auto-entrepreneur, euh j’ai une micro entreprise à mon nom avec un
statut, je sais même plus l’intitulé du statut mais rien à voir avec joueur professionnel d’esport,
c’est un truc dans le récréatif et je sais plus quoi. Et du coup, c’est bien pour le coup on est, enfin
j’ai mon auto-entreprise, je gère tout seul, après au sein de la France on est quand même un monde
à part clairement, on a pas, on paye pas, on a pas de fiche de paie type avec impôt et tout vu que
c’est nous qui devons gérer notre truc. Donc voilà c’est un peu différent, c’est une activité à part,
ma foi ça marche bien pour l’instant mais on a pas encore le statut et voilà c’est tout, ouais c’est à
part clairement » (Alexis).

Les joueurs semi-professionnels et professionnels expliquent donc utiliser certains détours


au niveau du droit pour être rémunéré de l’activité par le biais d’un contrat avec une structure
esportive. Ils sont conscients de l’état de l’esport actuel, exprimant ainsi le retard en France vis-à-
vis des questions relatifs au statut du joueur professionnel mais aussi à la place de l’esport en
France, représenté par une diversité de compétitions se déroulant dans toute la France. Certains
affirment même une incompréhension vis-à-vis de ce retard au vu de la popularité de l’esport dans
ce même pays :

« Pour le coup je pense que y a encore des changements à faire effectivement, je pense que,
je trouve que c’est pas assez, compte tenu de l’argent que ça génère mine de rien l’esport, je trouve
que c’est pas assez reconnu comme une pratique officielle tel que d’autres sports, le tennis et
autre » (Christian) ; « créer un réel statut social déjà dans l’esport, le fait de légaliser la pratique
du jeu vidéo professionnellement. Là actuellement en tant que joueur pro, je dois me déclarer auto-
entrepreneur pour faire mes factures pour percevoir un salaire là où directement c’est ce que je
disais, y a directement un statut de joueur pro où t’es perçu comme un joueur pro au yeux de la
société et être salarié. Là justement je suis obligé de passer par autre chose pour être joueur pro,
parce que en fait en France c’est pas encore très développé. » (Laurent).

134
Le statut du joueur professionnel est donc pris dans de nombreuses dynamiques qui l’amène
progressivement à être reconnu. Et même si les joueurs expriment leur incompréhension, ils
expliquent aussi que l’expansion croissante de l’esport en France permettra d’amener à une réelle
professionnalisation qui n’en est qu’à ses balbutiements. L’analyse de l’aspect juridique montre
donc que les dynamiques sont encore récentes et que la reconnaissance vis-à-vis de la sphère
publique du droit et du politique n’est pas encore totalement accomplie pour les joueurs qui
oscillent entre reconnaissance progressive mais aussi limitée. En effet, le joueur cherche alors
l’égale reconnaissance vis-à-vis de son statut, en rapport avec la reconnaissance qu’il peut obtenir
des deux autres sphères, et donc obtenir une reconnaissance qui montrent une vie épanouie dans la
pratique compétitive du jeu vidéo. Du point de vue social, la pratique esportive n’est pas forcément
encore accepté. Plusieurs des enquêtés vont s’exprimer sur la complexité encore apparente d’être
reconnu en tant que joueur compétitif. Elle ressort surtout lorsque les joueurs expliquent la
reconnaissance hors du cadre compétitif, c’est-à-dire l’acception de l’esport dans la société
française. Les discours tendent alors à désigner une évolution lente, en retard par rapport aux autres
pays : « les considérations de l’État en fait sur le jeu vidéo se font beaucoup plus doucement que
dans les pays asiatiques » (Noémie). Les joueurs expliquent aussi percevoir une représentation
encore négative de l’esport, notamment vis-à-vis des médias qui vont relayer les grandes sommes
obtenues par les joueurs sans pour autant s’intéresser à la pratique :

« ça parle toujours d’argent, un mec, c’est toujours un reportage c’est « Il passe 72 heures
derrière son ordinateur et il gagne 6000 euros par jour », non c’est pas ça l’esport, et c’est ce qu’il
faut faire comprendre, il faut aussi que les athlètes améliorent leur image » (Alexis) ; « Euh,
arrêter en fait, tous ces reportages sur, « oui il y a 50 jeunes qui sont enfermés dans une salle pour
jouer à des jeux vidéo en compétition », tous les reportages un petit peu débile sur les joueurs et sur
ce qu’ils font. En général, la télé est vraiment, diabolise ce qu’on fait etc, alors qu’au final bah
quand tu regardes, le jeu vidéo c’est, je crois que c’est la première industrie de vente devant la télé
et le cinéma quoi, ça sert à rien de dénigrer les joueurs. » (Laurent).

Il faut relativiser les propos présentés. Même si les enquêtés expriment un retard de la prise
en compte de l’esport en France, notamment par certains médias qui « diabolisent » encore la
pratique vidéoludique, les joueurs expliquent tout de même voir une nette amélioration vis-à-vis de
la représentation de l’esport. Christian désigne alors une certaine reconnaissance des personnes non-
joueurs qu’il peut côtoyer, tandis que Madi va soutenir l’expansion croissante de ce domaine avec
l’arrivée exponentielle de nouveaux joueurs professionnels français. On peut soutenir ce point de
vue avec le recrutement d’Alexis et de JuniorLeo dans une structure esportive française qui

135
s’intéresse alors depuis peu aux jeux de combat. On a donc une base de joueuses et de joueurs
compétitifs qui oscillent largement entre développement de l’esport et reconnaissance encore
limitée. Ils sont néanmoins tous d’accord pour exprimer une évolution lente en France comparé aux
autres pays qui ont déjà pu prendre en compte la question du statut du joueur professionnel, mais
aussi mettre en avant les joueurs professionnels par le biais de médias généralistes, connu du grand
public. Ils expriment aussi une faible reconnaissance sociale hors du cadre de l’esport, obtenant tout
de même le respect voir l’admiration de certains pairs et/ou individus non-joueurs. Sur ce dernier
point, nous ne pouvons pas trancher correctement la réponse puisqu’elle se base essentiellement sur
des ressentis personnels, sur la base des relations sociales qu’entretient le joueur, mais aussi sur la
base de sa pratique, si elle est amateure/semi-professionnelle/professionnelle. Ainsi, là où Quentin
et Noémie explique obtenir une reconnaissance sociale limitée, malgré un entourage encourageant
pour Quentin, Christian explique obtenir une certaine admiration vis-à-vis de sa pratique
professionnelle. Ainsi, même si le critère d’un cadre physique pour une pratique compétitive rentre
en compte lorsque les joueurs obtiennent des gains matériels/financiers, changeant le plus souvent
la vision de l’entourage familial vis-à-vis de l’engagement dans une telle activité, cet argument seul
ne suffit plus pour expliquer l’appréciation d’une reconnaissance chez les joueuses et joueurs
interrogés. Certes, on perçoit une plus grande reconnaissance chez les joueurs semi-professionnels
et professionnels, mais cela est contrecarré par un parcours différents, des jeux joués différents et un
cadre social plus ou moins favorable à l’engagement dans une pratique compétitive. Les joueurs,
dans leur description de leur reconnaissance sociale, oscille alors entre ressenti personnel, statut de
la pratique, influence de l’entourage et perception de l’esport en France. On aperçoit tout de même
une majorité des enquêtés qui désignent la France comme en retard sur ces questions, tout en
signifiant une évolution importante vis-à-vis de la popularité de l’esport, du plus grand nombre de
joueurs, du nombre de compétitions et de structures, de sponsors qui s’intéressent au domaine.
Noémie fait notamment mention de l’intérêt des premières marques non « gaming », c’est-à-dire qui
ne sont pas déjà impliquées dans la réalisation de jeux vidéo, de matériels vidéoludiques, dont un
marché autour de l’hyper-technologisation du matériel se développe grandement 140. Cet intérêt
grandissant de ces marques peut notamment témoigner d’une popularisation de l’esport qui attire les
entreprises au vu des intérêts financiers, médiatiques/marketing. La conclusion se tient donc vers un
développement progressif de l’esport, couplé à une lente reconnaissance de l’État vis-à-vis de ce
domaine et de son potentiel en France, ainsi qu’à des parcours de joueuses et joueurs compétitifs
qui décrivent bien la situation encore naissante et incertaine de ce domaine en France. La
140 A ce titre, Nicolas Besombes explique la recrudescence de matériels dédiés à la pratique esportive : chaise gaming
adapté pour avoir la meilleure posture possible, lunettes spécifiques pour réduire la fatigue des yeux,
écrans/claviers/souris/manette avec des latences les plus faibles possible.

136
reconnaissance concernant la sphère du droit n’est donc pas encore engagée pour les joueuses et
joueurs, notamment ceux qui sont dans une pratique amateure, échelle de l’esport qui n’est pas
encore bien structurée par les éditeurs de jeux vidéo, mais aussi par les lois qui entourent la pratique
esportive. Du côté des joueurs semi-professionnels et professionnels, la reconnaissance concernant
la sphère du droit peut simplement se montrer par leur engagement au sein d’une structure esportive
par le biais du contrat signé par celle-ci, seule reconnaissance d’une instance plus ou moins
importante dans l’esport. Mais même dans ce cadre, il faudrait regarder la popularité de la dite
structure esportive, et voir ainsi les moyens mis en place par celle-ci pour mesurer une certaine
reconnaissance au recrutement et à l’encadrement d’un joueur par cette organisation. Là où on peut
stipuler une certaine reconnaissance d’une instance « supérieure » de la pratique compétitive pour
Alexis, Laurent, Christian, mais aussi Annabelle, la structure esportive de Noémie est encore toute
récente et ne permet qu’une certaine visibilité et un défraiement des déplacements, sans pour autant
rémunérer la joueuse pour sa pratique compétitive. La reconnaissance reste alors « nulle » pour une
moitié des enquêtés, tandis que l’autre reçoit une reconnaissance partielle, tout en attendant la prise
en compte plus importante de l’État vis-à-vis de l’esport. Mais la scène compétitive en France n’est
pas uniforme dans son développement : elle dépend de la popularité des jeux joués, de leur
médiatisation et de leur organisation, différente selon les jeux compétitifs joués par les enquêtés.

137
4.2 Les scènes compétitives au centre d’un développement différent

Avant de commencer à partir sur les différences de développement des scènes compétitives
investies par les enquêtés, il faut rappeler la définition que nous donnons d’une scène compétitive.
Derrière ce terme, nous désignons l’ensemble des tournois compétitifs, des acteurs (joueurs,
organisateurs, marques, commentateurs…) qui sont réunis autour de la pratique esportive amateure,
semi-pro et professionnelle sur un jeu en particulier, généralement dans un cadre physique même si
des tournois existent en ligne. On réunit donc plusieurs catégories de scènes compétitives : une
scène compétitive pour le jeu joué, et une scène compétitive regroupant en quelque sorte les jeux du
même genre de jeu. Chez les enquêtés, on peut ainsi voir trois scènes compétitives distinctes selon
le genre de jeu : la scène compétitive des FPS, des MOBA et des Versus Fighting. Bien entendu,
cette échelle vient seulement spécifier la popularité que peuvent avoir les genres de jeux joués et en
aucun cas un développement général de l’esport concernant tous les jeux du même genre joué en
compétition. Il serait ainsi réducteur de dire que tous les jeux de tir sont aussi populaires et
médiatisés que Counter-Strike, ou encore de dire que tous les jeux de combat sont aussi connus que
Street Fighter.

On voit tout de même un certain développement similaire en France de l’esport avec une
reconnaissance progressive des joueurs compétitifs qui se professionnalisent, du moins sur les jeux
les plus populaires dans leur genre. Mais cette évolution ne s’effectue pas à la même vitesse selon
les genre de jeux. Là où l’on perçoit des joueurs professionnels français (sOAZ et Yellowstar)
pendant l’explosion de League of Legends dans l’esport, soit aux alentours de 2013, le jeu de
combat ne connaît pas encore réellement de joueurs professionnels à proprement parler, c’est-à-dire
des joueurs qui sont rémunérés pour s’investir et vivre de cette pratique. La première apparition
d’un joueur professionnel français sur Street Fighter remonte alors à 2014, soit un peu plus tard,
avec la victoire de Luffy à l’EVO 2014, qui devient ensuite sponsorisé par Redbull, rémunérant le
joueur pour son activité. On pourrait aussi remonter plus loin en regardant les joueurs
professionnels français au sein de Counter-Strike et de Starcraft, montrant l’ancrage plus ancien et
plus fort de ces deux jeux profondément installés dans la fondation européenne et coréenne de
l’esport. Mais la date d’apparition du jeu dans la compétition n’est pas forcément un critère
suffisant pour expliquer cette différence de développement. Le contre-exemple parfait reste encore
Street Fighter où l’on voit apparaître de la compétition dès le deuxième opus, alors sorti dans les
années 80. Le jeu reste toutefois majoritairement joué en Amérique du Nord, mais aussi au Japon au

138
vu du développement de l’arcade spécifique au pays, et dont les joueurs se réunissent encore dans
ces salles d’arcades qui restent un marché florissant au Japon 141. L’appropriation du jeu dans le pays
étudié a donc son importance pour le développement de la scène esportive.

En France, on voit une scène du jeu de combat qui se développe plus lentement, et qui
commence à se faire connaître depuis peu. La majorité des enquêtés, notamment les joueurs de
Street Fighter 5, explique l’intérêt croissant des sponsors pour le jeu de combat et les joueurs
français depuis peu :

« avant y avait pas de joueurs professionnels en France ni en Europe à part Luffy qui avait
Redbull, et sinon y en avait pas. Quand la Gfinity s’est créée, là y a vraiment eu le statut de joueur
professionnel avec des joueurs rémunérés, payé pour jouer etc » (Alexis).

Cette récente évolution se ressent puisque les joueurs semi-professionnels et professionnels


expliquent avoir obtenu leurs récents contrats avec les structures esportives depuis cet évènement
qui s’est déroulé l’année dernière. Bien entendu, on peut désigner Christian, Laurent et Alexis
comme possédant un contrat avec des structures esportives, mais ils expliquent largement
l’avantage de leur nouvelle situation compte tenu de la rémunération plus importante, des moyens
financiers plus importants de leurs nouveaux sponsors. Les joueurs targuent ce retard du jeu de
combat sur les autres jeux comme venant de la moindre popularité des Versus Fighting chez les
joueurs. A ce titre, plusieurs arguments permettent d’expliquer ce « retard ». Le premier provient de
la nécessité d’acheter le jeu pour jouer et investir possiblement une pratique compétitive. Là où
League of Legends, DotA 2, Fortnite sont gratuits, des jeux de combat comme Street Fighter 5,
Guilty Gear, Mortal Kombat ou encore Tekken demandent une certaine somme avant de pouvoir
accéder au jeu. Le jeu est alors nécessairement moins populaire puisque celui-ci demande un
investissement financier pour pouvoir y jouer. Ce critère reste à relativiser puisque l’on voit certains
jeux beaucoup plus populaires, comme Counter-Strike et PUBG qui sont largement joués chez les
joueurs et en compétition malgré la nécessité d’y investir une première somme pour s’engager
ensuite dans une pratique vidéoludique. La somme reste toutefois sensiblement différente : moins
d’une dizaine d’euros pour Counter-Strike, une trentaine d’euros pour PUBG, tandis que Street
Fighter 5 en édition complète, c’est-à-dire comprenant tous les personnages sortis à ce jour,
nécessite de débourser 70 € euros pour y jouer 142. Néanmoins, le critère de l’investissement

141 Nous laissons un article tentant d’expliquer la popularité des bornes d’arcades au Japon : Hitek, Pourquoi les salles
d’arcade sont-elles intemporelles au japon ?, 2017. URL : https://hitek.fr/actualite/salles-arcade-japon-
tokyo_12135
142 En effet, on voit apparaître dans les Versus Fighting des personnages additionnels qui s’ajoutent au fur et à mesure
des saisons compétitives, redonnant un certain intérêt du jeu par l’introduction de nouveaux éléments autre que
l’équilibrage du jeu modifié par les mises à jour. On voit ainsi Dragon Ball FighterZ ajouter un certain nombre de

139
financier pour jouer à un jeu ne suffit pas pour expliquer une différence de popularité entre jeux et
entre genres de jeux. On a notamment le cas de « FIFA », jeu de simulation sportive dont l’éditeur
sort un nouvel opus chaque année, et dont le jeu est toujours aussi vendu et médiatisé en
compétition, avec le recrutement d’équipes professionnelles par les clubs de football 143. En effet, si
le jeu de combat se développe de façon beaucoup plus importante au Japon, le genre de jeu
populaire en Europe reste le jeu de tir, dont Counter-Strike fait office de figure esportive au sein de
ces différents jeux. Ce deuxième facteur renvoi tout simplement à l’implantation de l’esport en
France, dont nous avons déjà décrit les origines dans la partie précédente.

Le dernier facteur, qui concerne directement les joueurs soucieux de s’engager dans ce
genre, est à observer sur le gameplay des jeux de combat. Les joueurs décrivent le jeu de combat
comme un genre de jeu moins facilement appréhendable, non pas par sa difficulté de maîtrise
beaucoup plus forte, mais simplement par sa première appréhension, en soit que le jeu de combat
nécessite une certaine discipline au départ pour comprendre les mécaniques du jeu et ainsi prendre
du plaisir à jouer. De plus, l’investissement individuel du jeu de combat, même si le joueur peut
rejoindre une communauté, peut rendre difficile l’appréhension du jeu choisi, là où League of
Legends et Counter-Strike permettent de débuter le jeu en groupe, avec des coéquipiers. Certes, ils
existent des formats en équipe sur le jeu de combat, mais ils restent minoritaires par rapport au
format 1 contre 1 qui reste le plus légitime en ligne et en tournoi 144. Laurent revient notamment sur
ce facteur qui permettrait de comprendre la différence de médiatisation :

« Au départ, c’est plus une question d’engouement et de facilité, tous ces jeux sont très
facile pour en profiter, Street Fighter faut beaucoup s’investir avant d’être bon, là où Counter-
Strike, LoL etc, du moment où tu joues au bout d’un moment t’auras forcément un petit niveau, là
où Street Fighter sans t’investir tu pourras jamais faire quelque chose quoi. ».

Ces critères, réunis ensemble, peuvent donc permettre l’explication d’une différence de
popularité entre les jeux, et donc la différence de médiatisation de ces mêmes jeux. La majorité des
enquêtés désignent des jeux comme Counter-Strike, League of Legends, Hearthstone, Fortnite

personnages depuis sa sortie en début d’année, tandis que Street Fighter 5 sort actuellement les derniers
personnages de sa troisième saison compétitive.
143 On pourrait à ce titre stipuler que cette popularité vient notamment des nombreux joueurs qui ont aussi un intérêt
pour le football, là où les joueurs de jeu de combat ne sont pas forcément des spectateurs ou pratiquants de sports de
combat.
144 En effet, les enquêtés jouant aux jeux de combat ont pu expérimenter le format en équipe (3 contre 3, 5 contre 5)
qu’ils apprécient pour la différence psychologique, la dynamique collective et les stratégies naissantes (entrée d’un
joueur maîtrisant un certain personnage pour contrer le personnage en face). Les joueurs déplorent le peu
d’existence de ces tournois en équipe, relayés souvent en tant que tournoi « secondaire » à côté du tournoi solo.
Seules des compétitions comme la Coupe de France et la Gfinity proposent le format en équipe comme mode de jeu
principal.

140
comme les jeux en vogue actuellement dans l’esport, c’est-à-dire comme étant les plus visionnés en
compétition. Cependant, même si la popularité sur les plateformes de diffusion mais aussi le
nombre de spectateurs aux compétitions est différent, les joueurs compétitifs de Versus Fighting
exprime apercevoir une expansion de la popularité des jeux de combat, dont notamment Street
Fighter 5 et Dragon Ball FighterZ.

Cette expansion s’expliquerait par une appréhension « visuelle » du jeu plus facile que pour
les autres jeux. Christian et Alexis nous expliquent leur argument :

« L’avantage du jeu de combat, c’est que c’est quelque chose qui est facilement regardable,
c’est-à-dire que quand tu regardes du LoL et que t’as jamais joué aux jeux vidéo enfin t’es
complètement paumé, un jeu de combat tu peux le regarder, tu vois les deux barres de vie, tu vois
les deux personnages se castagner, à la fin les joueurs ils font des pop-up, ils font des trucs
marrants donc du coup ça marche relativement bien. » (Christian) ; « Par contre, euh ce qui faut
savoir c’est que Street Fighter, c’est un jeu qui marche énormément lorsqu’il est diffusé, pas dans le
sens en termes de viewers mais les gens qui regardent aime regarder ce qu’ils regardent. Par
exemple, la Gfinity c’est trois jeux, c’est FIFA, Rocket League et Street Fighter, et ça a toujours été
Street Fighter qui fait les meilleures audiences parce que c’est simple à comprendre, c’est deux
personnages à l’écran, t’as deux barres de vie, celui qui a plus de vie est mort. » (Alexis).

Les joueurs mettent en avant une simplicité visuelle pour comprendre un match compétitif
de Street Fighter pour les non-initiés, là où il faut être déjà être joueur de jeux comme League of
Legends et Counter-Strike pour comprendre ces derniers. Le point est intéressant à soulever, dont
on pourra corroborer avec une enquête visant à répertorier le profil des spectateurs des compétitions
en ligne mais aussi sur place. Dans tous les cas, on peut comprendre cet avis lorsqu’on visionne
League of Legends qui demande une connaissance du terrain, des personnages mais aussi des
équipements pour comprendre les mécaniques et aboutissants d’une partie. On pourrait néanmoins
renverser cet argument pour les jeux de combat où les joueurs élaborent des stratégies en temps réel
pour contrer leurs adversaires. Bien entendu, le jeu n’est pas le même et l’engagement aussi. Là où
il est impossible de visionner l’intégralité des actions des joueurs le temps d’une partie dans League
of Legends et Counter-Strike (composé de deux équipes de 5 joueurs pour les deux jeux), une partie
de jeu de combat est visible dans son intégralité dans le sens où les deux joueurs s’affrontent avec
un seul personnage en face à face, dans un jeu en trois dimensions où les joueurs peuvent déplacer
leurs personnages en avant, en arrière mais aussi sur les côtés (Tekken, Soul Calibur), ou en deux
dimensions, où seul les déplacements en avant et en arrière sont possibles. De plus, la rapidité des
parties peut aussi expliquer cette « différence visuelle ». En effet, malgré les différents formats, les

141
matchs entre joueurs sur les jeux de combat se jouent généralement en « FT3 », c’est-à-dire en
« For The Win 3 » qui signifie tout simplement que le gagnant du match sera celui qui arrivera en
premier à deux victoires sur trois matchs maximum joués. Une partie étant souvent composée de
deux à trois rounds selon les jeux, le joueur devra ainsi vaincre l’adverse deux fois dans une partie,
et comptabiliser deux parties en tant que gagnant pour gagner ce match. Lors des finales, les joueurs
sont ainsi amenés à jouer en « FT5 », autrement dit le premier joueur à 3 parties gagnantes sous 5
parties jouées maximum. Cela peut sembler long mais il faut savoir qu’un round dure au maximum
1 minutes et 39 secondes si les joueurs ne parviennent pas à finir leur adversaire avant le temps, le
gagnant sera alors celui qui aura le plus de vie restante à la fin du temps. La différence est notable
avec des parties de League of Legends qui peuvent durer généralement entre une trentaine de
minutes voir plus d’une heure, les joueurs jouant aussi dans ce format de deux à trois parties
gagnantes. Dans le cas de Counter-Strike, les équipes s’affrontent dans cette même idée avec des
parties d’une quinzaine de rounds qui peuvent durer plusieurs minutes. Néanmoins, on verra moins
de joueurs s’affronter que pour les compétitions d’un jeu comme Street Fighter.

En effet, la particularité du jeu de combat vient du type d’inscription dans la majorité des
tournois : les inscriptions sont libres et ne demandent pas de critère précis. C’est notamment par
cette particularité que l’on a pu retrouver un peu plus de 2500 participants pour Dragon Ball
FighterZ, ainsi que 2484 participants pour Street Fighter 5 à l’EVO 2018, le temps d’un week-end.
Les autres jeux vont notamment mettre en place des qualifications pour filtrer l’entrée aux
compétitions hors ligne, voir instaurer un système de ligue où les équipes vont être qualifiées pour
la saison et vont affronter les autres équipes (League of Legends). Dans tous les cas, c’est un point
en faveur des Versus Fighting qui va potentiellement être plus apprécié et se développer dans le
futur, notamment lorsque l’esport touchera des individus non-joueurs. Actuellement, la
médiatisation de ces scènes restent à l’avantage des jeux de tir, des MOBA, et plus récemment, des
Battle Royale dont Fortnite qui attire non seulement beaucoup de compétiteurs, mais aussi
beaucoup de joueurs avec une popularité qui ne cesse de croître pour le jeu. Il faut maintenant
regarder du côté des jeux joués dans ces genres, et ainsi percevoir une différence de popularité entre
les jeux de combat.

Les joueurs interrogés montrent une certaine dextérité à maîtriser plusieurs jeux de combat.
On a déjà pu voir la particularité des joueurs qui maîtrisent le plus souvent un jeu principal et un jeu
secondaire, faisant directement référence à cette possibilité de transférer les compétences obtenues
dans un jeu vers un autre jeu du même genre. Et même si Alexis et Laurent ne maîtrisent qu’un seul
jeu, ce n’est pas tellement par manque de compétences, mais plutôt par manque de « side game »,

142
de jeu secondaire qui vaudrait le coup de sacrifier du temps pour être compétitif. Du côté donc des
joueurs de jeu de combat, cette multiplicité des jeux joués leur permet d’expérimenter plusieurs
scènes compétitives aux enjeux différents, à la popularité et médiatisation différente. En effet, Madi,
joueur actuel de Dragon Ball FighterZ, et tout récemment de Blazblue Cross Tag, nous explique être
un joueur des jeux de combat « NetherRealm Studios », dont le dernier sorti est Injustice 2 (11 mai
2017), et qui permet au joueur d’incarner des super-héros de l’univers DC (Batman, Wonderwoman,
Flash, Superman…). Jouant pendant un certain moment à « Mortal Kombat X », jeu de combat de
NetherRealm sorti le 7 avril 2015, le joueur explique avoir été déçu de leur dernier jeu : « Je
voulais me mettre sur Injustice 2 mais ça m’a pas beaucoup plu ». Il change alors pour Dragon Ball
FighterZ au vu de la faible popularité de Mortal Kombat qui n’est actuellement plus joué dans un
grand nombre de compétitions françaises. Le jeu, à peine plus vieux que Street Fighter 5, sombre
alors en quelque sorti dans l’oubli concernant la scène compétitive française, tandis qu’Injustice 2
peine à être représenté en France. Comment peut-on expliquer cette différence de popularité chez
les joueurs et les spectateurs ?

Outre la particularité du genre de jeu, on peut aussi mettre en avant le critère d’appropriation
différentielle des jeux selon les pays. En effet, comme l’explique Nicolas Besombes, les pays et
zones géographiques s’approprient certes des genres de jeux plus ou moins différents, mais ce n’est
pas pour autant que des jeux sont fondamentalement non joués. On verra néanmoins une certaine
popularité pour certains jeux comme pour certains genres de jeux. Là où Mortal Kombat X mais
aussi Injustice 2 peinent pour s’imposer en France en tant que jeu compétitif attractif, Street Fighter
5 reste un des jeux de combat les plus joués. Cela peut aussi se corroborer avec la popularité
générale d’un jeu dans un genre précis. Là où Street Fighter 5 et Dragon Ball FighterZ sont
actuellement populaires, Injustice 2 tend aussi à être moins populaire dans les autres pays comme
les États-Unis où pourtant se trouve beaucoup de joueurs de jeu de combat. La popularité d’un jeu
dans un pays peut donc aussi s’expliquer par sa médiatisation générale dans le monde entier,
notamment car l’esport s’est avant tout structuré de façon internationale avant de rentrer dans une
phase de structuration par pays comme nous le voyons actuellement. On voit à ce titre certaines
stratégies s’opérer chez les joueurs de jeu de combat pour être compétitif sur des jeux plus attractifs.
C’est le cas de Quentin qui explique son choix de s’être tourné sur Street Fighter 5 :

« Street Fighter 5 est plus permissif en soi et il y a aussi plus de joueurs, c'est aussi ça qui
donne envie, surtout sur Rennes, moi maintenant j'habite autour de Rennes à Châteaubourg et les
rennais jouent principalement à Street Fighter 5 ».

143
Le joueur explique s’être tourné aussi sur Street Fighter 5 pour son aspect compétitif qui
désigne simplement la plus grande présence de joueurs compétitifs français sur le jeu, mais aussi
des compétitions qui sont médiatisées à une plus grande échelle. Le joueur décrit d’un autre côté la
scène compétitive de Guilty Gear comme limitée mais « existante », décrivant ainsi l’impossibilité
de développer une carrière professionnelle sur ce même jeu, là où des joueurs français parviennent à
vivre de leur pratique compétitive sur Street Fighter 5. Le nombre de joueurs, de compétitions mais
aussi la médiatisation du jeu sont donc des facteurs impactant les possibilités de
professionnalisation pour les joueurs. Cependant, il faut aussi ajouter un dernier critère pour
compléter cette analyse concernant une différence de popularité entre jeux du même genre. Ce
dernier critère se retrouve aisément dans les propos de Madi lorsqu’il évoque la scène compétitive
de Dragon Ball FighterZ qu’il décrit comme jeune, à l’avenir incertain. En effet, même si le jeu est
actuellement plus populaire que Street Fighter 5 en nombre de joueurs et en spectateurs visionnant
les compétitions, le jeu est encore récent. Le joueur explique cette médiatisation très simplement :

« ça fait un nombre assez élevé, et du coup justement parce que y a cette multitudes de
communautés qui regardent, et même ceux qui jouent pas aux jeux, ils viennent voir des joueurs
avec les personnages de Dragon Ball Z s’affronter » (Madi).

Néanmoins, celui-ci est très pessimiste concernant le jeu et son potentiel compétitif au fil
des années, notamment car l’éditeur du jeu, Bandai Namco Entertainment, n’a pas encore annoncé
de circuit officiel compétitif qui permettrait de structurer la scène du jeu autrement que par
simplement sa présence à divers tournois, tout en permettant le classement des joueurs entre eux par
un système de points. Madi garde donc un avis critique sur la situation : « Alors soit y a un pro tour
annoncé, soit le jeu il meurt à la fin de l’année ». Celui-ci explique aussi que le jeu, même si il est
populaire, est souvent joué en tant que jeu secondaire. Ainsi, là où une communauté de joueurs
compétitifs, investi sur un jeu précis en tant que jeu principal, tentera de faire vivre le jeu en
organisant des compétitions, en participant à un maximum de compétitions, comme pour Quentin
avec Guilty Gear, la scène compétitive de Dragon Ball Fighter Z est décrit comme un regroupement
de joueurs compétitifs venant de jeux de Versus Fighting différents, mais aussi d’une minorité de
joueurs y jouant comme jeu principal :

« c’est pas vraiment une communauté DBZ, c’est plutôt un conglomérat de plusieurs
communautés, pour moi y a pas vraiment de communauté DBZ à part les gens qui se révèlent sur le
jeu et ils ont pas assez de poids pour créer une communauté » (Madi).

144
Les joueurs, déjà investis dans un autre jeu, porteront donc moins d’importance au
développement de la scène compétitive du jeu, pouvant toujours se rabattre sur leur jeu principal.
C’est ainsi la grande différence avec des jeux comme Street Fighter 5 (Capcom Pro Tour) et Tekken
7 (Tekken World Tour) qui possèdent une communauté plus investie, mais aussi tous les deux dans
un circuit officiel où l’éditeur investit son temps pour organiser un classement entre les joueurs des
meilleures zones géographiques (Amérique, Europe, Asie) et un classement des meilleurs joueurs
mondiaux qui ont accumulé assez de points pour s’affronter en finale. L’éditeur investit certes du
temps, mais aussi une certaine somme d’argent pour financer les récompenses des compétitions et
organiser certains tournois. Le Capcom Pro Tour se voit ainsi divisé entre plusieurs compétitions :
les « ranking » ou « regional » et les « Premier Event » , grandes compétitions rapportant beaucoup
plus de points que les « ranking », bien que ces deux types de compétitions soient présentes dans le
monde entier. A ce titre, les joueurs européens n’ont le droit qu’à trois compétitions « Premier
Event » (dont le Stunfest), ce qui réduit lourdement les possibilités pour des joueurs comme Alexis
et Laurent qui ne peuvent se déplacer qu’en Europe, rendant la concurrence difficile par rapport aux
américains et aux japonais/coréens qui se déplacent dans le monde entier. Cela revient à s’exprimer
sur les différences de développement de l’esport selon les pays et le retard, énoncé par les enquêtés,
de la France concernant la professionnalisation des joueurs professionnels et les possibilités qui leur
sont offertes pour se déplacer en dehors de l’Europe. Bien entendu, un tel constat n’est pas uniforme
pour l’ensemble des jeux compétitifs, et dépend notamment de la scène des Versus Fighting qui
reste encore un genre en deçà des géants que sont League of Legends, Counter-Strike et plus
récemment Overwatch, où figure notamment une équipe professionnelle exclusivement française
dans l’« Overwatch League ».

Dans tous les cas, l’organisation de la scène compétitive, mais aussi sa médiatisation amène
à percevoir des enjeux économiques pour les sponsors plus ou moins importants, amenant dans
certains cas des marques non impliquées dans la vente de jeux et de matériels « gaming » à
s’investir. Les opportunités d’avenir en terme de carrière professionnelle vont alors drastiquement
changer. Annabelle nous fait notamment l’état du circuit mixte-masculin de Counter-Strike où
d’importantes sommes d’argent sont mises en avant :

« Y a beaucoup de mercato, sur la scène CS y a beaucoup d’équipes qui kick des joueurs,
qui en rachètent, etc et d’ailleurs maintenant les prix sont, pour les joueurs sont assez élevés, euh
en tête j’ai s1mple pour 500 000 dollars je crois, donc voilà. ».

Counter-Strike regroupe des dynamiques que l’on retrouve dans le football, avec l’achat et
la vente de joueurs professionnels dans un marché où les équipes viennent à investir des sommes

145
pour recruter un joueur dans leur formation. De son côté, Fortnite signe sa première année de sortie
et un début des compétitions, avec notamment la « Summer Skirmish Series » qui s’est déroulé
pendant 8 semaines, et dont la mise totale investi par l’éditeur est de 8 millions de dollars. Les
joueurs comptabilisaient alors des points selon plusieurs critères (victoire, nombre de meurtres),
remportant en fonction de ces points une certaine somme. Là aussi, les sommes investies doivent
être reliées à la popularité du jeu et au chiffre d’affaire qu’obtiennent les éditeurs par la
commercialisation de ces jeux. Il faut donc regarder du côté du modèle économique du jeu :
Counter-Strike est disponible pour une somme plutôt faible mais contient un système de « skins »
d’armes, d’échanges et de pari autour de ces « skins », dont certains peuvent atteindre plus d’une
centaine d’euros à la revente ; Fortnite, complètement gratuit, dispose d’une boutique où les joueurs
peuvent acheter des cosmétiques (skins d’armes, tenues, pioche) qui personnalise l’apparence, tout
en innovant en inventant un système économique se basant sur un « passe de combat » qui permet
au joueur acheteur de débloquer une multitude de récompenses en jouant. Le joueur qui ne paie pas
n’est donc pas désavantagé mais, lorsqu’il observe ces récompenses obtenues gratuitement, il
perçoit aussi toutes les récompenses qu’il aurait pu gagner si il avait investi de l’argent 145. Le
modèle économique au centre d’un jeu vient aussi à modifier le développement des scènes
compétitives, si bien entendu l’éditeur investit du temps et des moyens financiers pour organiser
cette scène compétitive autour de « Majors », autour d’un circuit professionnel officiel.

L’esport est un domaine en pleine expansion, qui se structure tout d’abord à l’échelle
internationale. On voit apparaître des spécificités culturelles entre les pays : genre de jeu privilégié,
organisation du tissu compétitif national différent, vitesse de la popularité de l’esport, prise en
compte diverse de la part de l’État. La France n’est pas épargnée et voir grandir un grand réseau de
LAN sous l’effort d’associations, de joueurs passionnés. L’esport devient alors de plus en plus
populaire et commence à se massifier, notamment grâce aux plateformes de diffusions en direct,
mais aussi par l’intérêt grandissant de la télévision où se forment quelques chaînes spécialisées. On
voit alors une grande popularité auprès de plusieurs jeux, dont le plus récent est Fortnite, qui attire
compétiteurs comme joueurs occasionnels. Cependant, la France n’est pas uniforme dans son
développement : elle voit certes grandir des « Majors », des joueurs professionnels français, dont
certains vont même en Corée du Sud affronter les champions coréens, mais est accusée d’une prise
en compte tardive de ces joueurs et du domaine. L’esport, alors seulement visible par les acteurs du
domaine et du jeu vidéo, vient tout récemment à être pris dans des dynamiques visant à reconnaître

145 Pour plus d’informations, je vous invite à consulter la vidéo Youtube « Game Anatomy – Comment Fortnite vous
fait payer pour un jeu gratuit » de Doc Geraud qui explique le modèle économique et son efficacité pour amener les
joueurs à investir de l’argent dans un jeu gratuit.

146
le statut légal des compétitions et celui des joueurs professionnels. Les joueurs expriment ainsi ce
retard qu’ils trouvent dommageable au vu des intérêts économiques importants contenus dans les
compétitions de sport électronique. Le retard est ressenti chez les joueurs professionnels, mais aussi
chez les joueurs amateurs dont l’esport se trouve dans une dynamique de structuration pour cette
échelle. Ils sont donc pris entre reconnaissance inexistante ou partielle selon que leur pratique soit
amateure, semi-professionnelle ou professionnelle. Ce retard est d’autant plus perceptible que les
jeux ne sont pas tous autant popularisé. On voit des genres de jeux qui s’imposent, mais aussi
certains jeux spécifiquement qui se hissent parmi les jeux les plus joués en ligne, et où la
compétition est d’autant plus rude au niveau professionnel. Les opportunités pour atteindre une
carrière professionnelle ne sont pas alors les mêmes, difficilement atteignable pour certains jeux
trop peu joué, médiatisé et encadré par l’éditeur du jeu. Ce dernier détient un rôle crucial dont il ne
faut pas négliger les ressortissants, participant grandement à la popularisation de son jeu pour les
joueurs en ligne mais aussi en compétition, en investissant des moyens humains et financiers pour le
développement d’une scène esportive. Les joueurs sont alors plus ou moins avantagés selon
l’organisation de la compétition sur leurs jeux respectifs, pouvant ainsi toucher l’idée de perpétuer
un jour une pratique professionnelle. Là aussi, tous les joueurs ne sont pas égaux face au
développement de leur scène compétitive. On voit alors apparaître des différences nettes entre
joueurs compétitifs et joueuses compétitives, tant sur le plan de la visibilité, sur le plan des
opportunités dans la carrière compétitive, que sur le plan de l’intégration des joueuses au sein de
l’esport.

147
5. La mixité dans l’esport

5.1 Une féminisation de l’esport ?


5.1.1 Les joueuses : un groupe minoritaire « sur-visible »

En 2017, le S.E.L.L (Syndicat des Éditeurs de Logiciels de Loisirs) dénombraient pas moins
de 47 % de joueuses de jeu vidéo régulières146, soit un peu moins de la moitié des pratiquants
réguliers du jeu vidéo. Derrière ces pourcentages, nous avons la présence de joueurs et joueuses de
jeux vidéo solos comme multijoueurs. Si on suit ces chiffres, on pourrait ainsi penser retrouver une
proportion équivalente entre hommes et femmes au sein de l’esport en France. Tout d’abord, il faut
relativiser ces chiffres, qui comprennent tous les jeux vidéo, jeux mobiles comme les « desktop
games » qui sont des jeux présents sur un ordinateur dès le départ (démineur, solitaire, etc.) 147. Une
certaine partie des joueuses et joueurs présentés n’iront donc pas forcément vers une pratique
compétitive, cantonné à des jeux leur permettant de passer du temps, voir de se réapproprier le

146 Selon une étude réalisée par le S.E.L.L/GfK, « Les Français et le jeu vidéo », sur une base de 1023 personnes âgées
de 10 à 65 ans, à l’octobre 2017. URL :
http://www.sell.fr/sites/default/files/lessentiel_du_jeu_video_fevrier_2018_0.pdf
147 Pour visualiser l’étendue des types de jeux joués en compétition, nous laissons en troisième annexe une
cartographie des jeux joués dans les compétitions, en incluant la pratique du speedrun. Cette carte, réalisée par un
ensemble de chercheurs sur le jeu vidéo (Nicolas Besombes, Nick Taylor, Emma Witkowski, T.L Taylor...), même si
il n’est pas complète en termes de jeux et genres de jeux, permet déjà d’entrevoir la multiplicité des jeux présents
dans les compétitions en ligne et hors ligne.

148
« temps perdu » dans les transports148. De plus, la pratique compétitive n’est pas forcément
souhaitée par tous les pratiquants du jeu vidéo qui n’ont pas comme objectif de performer sur les
jeux choisis. Cependant, on note une forte différence entre femmes « engagées » dans l’esport, en
tant que spectatrices, vieweuses (visionnant des compétitions sur les plateformes de diffusion en
ligne), en tant que joueuse, et le pourcentage de compétitrices en France, inscrites en LAN :

Le graphique, repris de la conférence introductive lors de la rencontre « Esport & Mixité »


le 7juillet 2018, vient montrer alors la grande différence entre femmes « engagées » dans l’esport et
le pourcentage de compétitrices en France. Le premier pourcentage, repris dans une étude de PwC
de 2016 est comparé par le recensement effectué par Nicolas Besombes et Labonne lors de trois
compétitions hors ligne : la Gamers Assembly à Poitiers, la DreamHack à Tours et le Stunfest à
Rennes. Ces chiffres sont certes à relativiser au vu du peu de compétitions traitées pour sortir un tel
pourcentage, mais ils permettent déjà d’apercevoir cette différence qui peut s’opérer entre femmes
engagées dans l’esport et joueuses esportives. Ce point est notamment ressenti chez les enquêtés qui
signifie cette différence de nombre entre joueuses et joueurs compétitifs :

« en soi il y a pas vraiment de joueuses françaises même dans les jeux de combat en général
c'est pas quelque chose de très répandu » (Quentin) ; « je sais juste que niveau femme y en a pas
beaucoup tout simplement, y en a mais très peu et du coup bah en termes de nombre c’est plus les

148 A ce titre, Sylvie Craipeau désigne le téléphone portable comme apprécié dans les transports, permettant une
réappropriation de notre temps qui est de plus en plus contraint quotidiennement, notamment par les temps de
transport mais aussi par le temps de travail (Craipeau, 2011 : 140).

149
hommes clairement » (Alexis) ; « j’avais été surprise que y avait aucune autre équipe, du coup je
me suis simplement dit que c’était dommage parce que moi dans mon expérience de LoL, enfin du
jeu et tout, je vois pas comment dire, euh je vois pas pourquoi y a pas de filles en tournoi alors que
y a des filles qui jouent, c’est-à-dire que c’est pas représentatif, sur 100 personnes, va y en avoir
une vingtaine qui vont être des filles, mais alors pourquoi on le retrouve pas ce pourcentage là en
tournoi. » (Noémie).

Les propos de Noémie et Marie sont notamment édifiants sur ce point, expliquant ainsi
retrouver peu de joueuses en compétitions alors qu’elle côtoie un grand nombre de joueuses qui ont
le niveau pour participer à des évènements esportifs hors ligne. Chez les joueurs, qui côtoient plus
d’hommes, ils expliquent observer une participation faible aux compétitions hors ligne, trop faible
pour certains. Plusieurs arguments sont alors mis en avant : niveau plus faible, une attirance moins
forte pour la compétition, une appréhension à aller en compétition en tant que joueuse, de faire face
aux regards masculins. Ces arguments, que nous détaillerons dans la partie concernant le sexisme
vidéoludique, sont tant de raisons invoqués par les enquêtés pour tenter d’expliquer cette différence.
Les joueuses sont alors majoritairement perçus comme un groupe minoritaire au sein des scènes
compétitives investies par les joueuses et joueurs, peu visible au sein de la masse de compétiteurs
amateurs/semi-professionnel/professionnel. A ce titre, on pense tout de même que le nombre de
joueuses amateures est plus important que le nombre de joueuse professionnelles, non pas parce
qu’elles sont cantonnés à un niveau de jeu « inférieur », mais tout simplement car la proportion
globale de pratiquants professionnels est plus faible. C’est donc un constat qui s’applique aussi pour
les hommes, notamment si la scène n’est pas encore assez développée pour permettre la
professionnalisation des pratiquants compétitifs. On dénombre tout de même une proportion moins
importante de joueuses compétitives qui ne peut pas s’expliquer simplement par le fait que les
femmes jouent moins aux jeux vidéo ou s’investissent moins dans l’esport. En effet, dans cette
même étude de Pwc effectuée en 2016, il dénombrait 18 % d’hommes engagés dans l’esport en tant
que spectateurs, viewers et joueurs, contre 22 % des femmes. La différence de proportion ne se
ferait donc pas sur un intérêt moins grand vis-à-vis de l’esport, mais bien sur la participation des
femmes en tant que joueuses dans des compétitions hors ligne. A ce titre, Christian nous explique
côtoyer un certain nombre de femmes dans l’esport, mais qui ne sont pas de le groupe des
pratiquants compétitifs :

« la majorité des joueurs sont masculins, mais je côtoie aussi pas mal de filles qui sont
externes au jeu de combat mais qui quand même contribue via des photographes, que ce soit des
streameuses, où des gens que je vois au Melt ou avec qui je travaille, qui fait des expos ou des trucs

150
comme ça, qui vont, malgré le fait qu’il n’y ait pas trop de filles dans la compétition, y en a quand
même qui gravite autour énormément. » (Christian).

Ce constat est intéressant puisqu’il désigne aussi le projet d’Annabelle, ancienne joueuse
semi-professionnelle qui veut intégrer l’esport durablement par une autre porte que celle de
pratiquante esportive. Il serait intéressant d’étudier cette proportion et de voir dans quels secteurs
les femmes sont le plus représenté concernant l’esport. Une observation de la participation des
joueuses aux compétitions hors ligne en fonction des genres de jeux serait aussi à effectuer, Nicolas
Besombes expliquant par exemple la plus grande participation de joueuses aux compétitions de
« Just Dance », jeu où le joueur est amené à reproduire les mêmes pas de danse que ceux
représentés par des avatars sur l’écran. Certains joueurs comme Laurent explique notamment cette
proportion par le fait que le jeu vidéo est un univers masculin, au sens où il n’est pas forcément
destiné aux hommes mais où ces derniers ce sont appropriés ce média comme si il était dédié aux
hommes. Dans tous les cas, cette proportion plus faible de joueuses a des effets bien précis chez les
quelques participantes compétitives qui se dévouent à une pratique amateure, semi-professionnelle
voir professionnelle. Le premier effet identifiable est celui d’une « sur-visibilité » des joueuses qui
se présentent à ces compétitions.

Lorsque les joueurs, dans leur perception personnelle, évoquent la présence de joueuses en
compétition, ils décrivent cette « sur-visibilité » par deux arguments :

« il y en a tellement peu qu’au final maintenant les gens quand ils en voient, ils sont surpris,
ils vont pas forcément bien agir, ils vont avoir un comportement sexiste ou machin etc, ce qui
convient pas et c’est pour ça qu’au final y a très peu de filles qui viennent. » (Laurent) ; « Après au
niveau social, bah oui forcément on entend « oui les joueuses elles sont plus mises en avant car
c'est des femmes », oui quelque part je pense qu’y a une part de vérité en soi même si y a beaucoup,
enfin c’est beaucoup sur la moquerie, ce genre de truc et après il faut laisser aux joueurs et aux
joueuses avoir une chance » (Quentin).

Le première critère revient à décrire que le peu de présence des joueuses en compétition fait
que les rares joueuses compétitives sont sur-visible, minoritaire dans la scène compétitive choisie.
On le retrouve aussi dans le discours de Kayane, joueuse professionnelle de jeu de combat, qui
s’exprime lors de la rencontre « Esport & mixité ». Joueuse compétitive depuis ses 9 ans, la joueuse
explique apercevoir une plus grande attention des « viewers » quand une joueuse est présente sur le
stream d’une compétition, sujette à des pressions extérieures plus fortes. Ces pressions
supplémentaires sont notamment caractéristique de ce que peut évoquer Christine Mennesson

151
lorsqu’elle parle des femmes dans le football qui cherchent à concilier deux nécessités : « être
femme et être performante »149. La joueuse subit donc une pression supplémentaire que le joueur ne
subit pas : celui de prouver qu’elle est performante certes, mais aussi de montrer que les femmes
peuvent être compétitives sur les jeux vidéo. Marie en fait notamment un de ces objectifs
principaux, voulant prouver que les femmes sont capables de jouer à haut niveau, au même titre que
les hommes. Elle ne désigne pas directement une visibilité plus forte des joueuses mais elle
explique cette pression exercée sur les joueuses vis-à-vis de leur statut de femme, de leur place en
tant que groupe minoritaire. Cette pression peut donc être rapportée à cette « sur-visibilité » qui
touche les joueuses, minoritaire au sein de l’esport en France mais aussi dans les autres pays. Les
seules joueuses compétitives sont alors des sortes « d’exception » qui infirmerait la croyance que
les joueuses ne seraient pas compétitives, qu’elles ne seraient pas assez fortes pour jouer dans des
compétitions hors ligne. Certaines personnes désignent néanmoins cette sur-visibilité comme un
avantage pour les joueuses qui leur permettent une meilleure reconnaissance de leurs performances
au vu de leur statut minoritaire. Quentin l’explique déjà dans les propos présentés en reprenant des
propos de joueurs se plaignant que les joueuses sont plus mise en avant du fait de leur statut de
femme. Christian décrit aussi ce point : « je pense qu’une joueuse qui ira loin fera beaucoup plus
de bruit qu’un joueur qui va loin mais, mais en terme de, en terme de reconnaissance bah c’est
évident vu que y a moins de filles, et pour le coup bon, ouais je pense qu’une joueuse qui va loin
fera toujours beaucoup plus de bruit qu’un joueur qui va loin. ». Le joueur prend alors l’argument
de la minorité des joueuses en expliquant donc leur sur-visibilité et leur possibilité d’être reconnu
plus grandement si les joueuses s’élèvent au même niveau que les joueurs, réalisent des
performances qu’aucune autre femme n’a accompli à ce jour. Il prend le même exemple pour
d’autres minorités : « Et encore c’est pas une mauvaise chose, un enfant qui ira loin fera plus de
bruit qu’un joueur qui ira loin, en fait tout ça c’est des histoires de ratio par rapport au nombre de
style de personne dans la communauté. » (Christian). Ce critère est soutenable puisqu’on le retrouve
dans les propos des joueurs lorsqu’ils expliquent la prouesse du joueur Luffy, premier français à
devenir professionnel sur Street Fighter 5. Le joueur est alors caractérisé par sa nationalité et son
nouveau statut, alors minoritaire pour les joueurs français à cette époque. Néanmoins, la sur-
visibilité n’est pas la même car là où le joueur est visible par sa performance, la joueuse le sera
simplement pour son statut de femme dans un milieu masculin. La joueuse peut alors user de cette
sur-visibilité à son avantage pour obtenir des opportunités au niveau de sa carrière compétitive.
Certains expliquent notamment cet argument au travers de la carrière de Kayane qui, du fait de son

149 Christine Mennesson, Être une femme dans le monde des hommes : socialisation sportive et construction du genre,
Paris, Harmattan, 2005, p.29.

152
statut de femme, doublé par ses résultats en compétition, a pu être sollicitée par différentes
entreprises pour les représenter, et ainsi extérioriser sa visibilité au cadre de la scène compétitive du
jeu de combat pour se faire reconnaître en tant que femme ayant réussit dans l’esport en tant que
joueuse. On aperçoit donc tout de même des joueuses qui parviennent à retenir une reconnaissance
malgré les pressions extérieures qui peuvent s’appliquer à elles dû à cette « sur-visibilité »,
explicable largement par la proportion très faible de joueuses visible au sein des scènes
compétitives. Mais cette « sur-visibilité » est à double tranchant. Là où elle permet une
reconnaissance plus grande des joueuses s’intégrant dans les scènes compétitives et obtenant des
résultats, elle tend aussi à limiter l’entrée des joueuses dans la compétition. On a déjà expliqué la
pression extérieure plus forte que les joueuses conscientisent ou non et qui revient à prouver que les
femmes sont capables d’être performantes, notamment dans un milieu masculin. Cette pression est
notamment un facteur qui peut expliquer cette « rareté » des joueuses, leur entrée limitée. Certains
témoignages font écho de ce point :

« je sais que j’ai des amis, elles ont une place dans une structure mais elles vont jamais se
déplacer parce qu’elles sont timides, et parce qu’elles ont beaucoup trop peur du jugement des
autres, alors que derrière, se cacher derrière un pseudo c’est beaucoup plus simple, surtout en
étant une fille, c’est beaucoup plus facile de se faire remarquer par les autres. » (Noémie) ;
« Chaque fois qu’on m’emmenait à, à ce genre de trucs en fait, ce genre de finalité, de voie parce
qu’au final c’est tous ce que voudrait faire n’importe quel joueur de LoL au final, de jouer pour
même monter sur LoL pour ne rien faire, je pense que ça intéresserait personne. Et au final, chaque
fois qu’on m’emmenait à cette finalité, je bégayais, j’avais un peu peur de me retrouver, de jouer
devant des personnes où je sais pas donc en fait, j’esquivais ce genre de truc-là, genre, dès qu’on
parlait de LAN ou dès qu’une team parlait, enfin dès que j’étais avec une team, que je jouais et
qu’au final ça parlait de LAN, j’avais un peu peur, je savais absolument pas pourquoi pas. Euh
parce que j’étais une fille aussi et que les filles sont rares, et j’avais vraiment peur en fait » (Marie).

Cette sur-visibilité peut ainsi limiter l’entrée de joueuses dans la compétition, qui vont
notamment avoir des appréhensions vis-à-vis des jugements qui pourront s’opérer sur elles, sur leur
statut de femme mais aussi sur leur physique. La pression de performer en tant que joueuse peut
alors se renforcer lorsque les joueuses subissent des remarques vis-à-vis de leur apparence.
Certaines joueuses évoquent aussi la plus grande visibilité des femmes qui streament, dont elles
peuvent subir des remarques sur leur physique, sur leur apparence. Dans tous les cas, on ressent un
consensus commun dans les discours des enquêtés pour désigner ce faible ratio de joueuses, et de
leur visibilité plus importante qu’un joueur compétitif qui peut les avantager comme les limiter dans

153
leur carrière compétitive. La différence s’opère entre les joueuses et les joueurs sur la pression
supplémentaire que les joueuses subissent par leur statut de femme. Les joueurs penchent alors
surtout sur les cas de sexisme rencontrés, sur les comportements déplacés vis-à-vis des joueuses,
tandis que les joueuses penchent plutôt sur le fait de prouver leur niveau en tant que femme et
compétitrice, en expliquant cette pression qu’elles ressentent lorsqu’elles jouent, notamment devant
des joueurs. La perception n’est pas forcément la même mais les deux côtés rejoignent cette idée
que la joueuse, peut certes obtenir une plus grande visibilité et possiblement de meilleures
opportunités, mais se voit aussi limiter l’entrée dans la scène esportive, notamment par des
remarques sexistes mais aussi des critiques plus dures sur leur niveau de jeu. Ce dernier point est
intéressant à notifier, notamment lorsqu’on analyse le discours d’Annabelle – seule joueuse semi-
professionnelle – sur ces remarques : « du coup ça va être surtout eux qui sont pas, qui sont pas
doux avec la scène féminine, ceux qui aimeraient avoir les moyens qu’on a et qui pense qu’on a
pas, qu’on le mérite pas quoi. Les remarques qui reviennent tout le temps, c’est « pourquoi vous
jouez pas dans des tournois mixtes ? Pourquoi vous jouez pas avec des garçons ? Pourquoi vous
restez entre vous ? C’est plus facile » » (Annabelle). Annabelle, déjà intégrée dans une pratique
semi-professionnelle, subit ainsi plusieurs remarques sur son niveau de jeu et sur les opportunités
qu’elle obtient en tant que joueuse. La sur-visibilité devient alors un avantage jalousé par certains
joueurs qui aimeraient plus de reconnaissance, plus d’opportunités pour développeur leur pratique
compétitive. Mais quels sont concrètement les choix qui s’offrent pour une joueuse qui veut
s’intégrer dans une scène compétitive en France ?

154
5.1.2 Circuit féminin et équipe mixte : deux modèles de développement en vogue

La prise en compte des joueuses dans l’esport fait aussi, comme pour la structuration de
l’esport, face à des développements divers. On dénombre généralement deux options : l’intégration
dans un circuit exclusivement féminin ou l’intégration dans une équipe mixte. Il faut savoir que
l’esport est une pratique mixte à la base, c’est-à-dire que les compétitions sont mixtes et donc
joueur comme joueuse peuvent y participer. Le jeu vidéo ne suit donc pas totalement le sport avec la
distinction homme/femme puisqu’il n’y a pas de différences biologiques/physiques qui
différencieraient hommes et femmes dans leurs performances. Pour autant, la majorité des
compétitions mixtes sont composés d’hommes et d’équipes masculines. La scène mixte devient
donc une scène masculine, seulement mixte dans la possibilité d’y participer. Un circuit
exclusivement féminin parvient alors à s’installer sur certains jeux compétitifs. C’est le cas de
Counter-Strike où l’on voit apparaître très rapidement un circuit féminin à côté du circuit mixte-
masculin. Cette évolution est compréhensible lorsqu’on sait que le jeu est présent dans la première
phase de structuration de l’esport en Europe, lorsque les joueuses sont alors moins présentes sur les
jeux vidéo, et lorsque le jeu vidéo commence tout juste à s’ouvrir à la pratique vidéoludique en
ligne par l’arrivée d’Internet. Dans tous les cas, des joueuses comme Annabelle et Manon
(interrogée l’année dernière) évolue alors dans ce circuit féminin où sont exclusivement présents
des équipes féminines. Ce circuit, beaucoup moins visible, proposera alors moins de perspective
d’avenir, de possibilité d’investir une carrière professionnelle pour les joueuses, là où les joueurs de
Counter-Strike sont contenus dans une scène mixte-masculine où ils font face à un phénomène de
« starification » et où certains joueurs sont recrutés pour des sommes importantes, comme peut
l’expliquer Annabelle lorsqu’elle parle de l’achat d’un joueur pour 500 000 euros. Les chances
d’évoluer vers une carrière professionnelle, où les joueuses peuvent vivre de leur pratique est alors
beaucoup plus complexe que pour les joueurs aux opportunités plus grandes. Bien entendu, ce
développement est à relier avec plusieurs facteurs. Le premier vient de la médiatisation plus
importante du circuit mixte-masculin de Counter-Strike vis-à-vis du circuit féminin. Si les joueurs
semi-professionnels peuvent envier les joueuses d’être beaucoup plus visible du fait de leur statut de
femme, les joueuses évoluent dans un circuit beaucoup plus restreint aux possibilités réduites. On
retrouve une situation équivalente dans le football, comme peut nous le décrire Mennesson : « Le
faible intérêt des médias pour les performances sportives des femmes, comparativement à la place
consacrée aux hommes, concerne l’ensemble des pratiques sportives. » (Mennesson, 2005 : 38).

155
Annabelle, interrogé peu après son départ de son équipe semi-professionnelle, explique aussi le
statut incertain du circuit féminin de Counter-Strike :

« le futur de la scène féminine euh pff, j’ai du mal à le voir grandir en fait, y a eu une
annonce y a quatre cinq mois de ça […] J’attendais beaucoup de ça mais euh bah il était censé
l’annoncer là en avril mais y a toujours pas d’annonce donc je soupçonne que ce soit annulé et si
c’est annulé euh, si cette compétition, si ce circuit n’a pas lieu enfin voilà y a, faut se dire que tous
les ans y a une LAN en moins pour les filles donc du coup ça me paraît pas si encourageant que ça,
la scène féminine elle paraît pas, son avenir il m’a pas si radieux que ça, je suis un peu
pessimiste. » (Annabelle).

Le peu de tournois importants, de « Majors », mais aussi l’annulation des compétitions


amènent donc Annabelle à avoir un discours mitigé sur l’avenir du circuit féminin. La différence est
alors palpable entre les deux circuits : le circuit masculin reste largement plus développé avec une
plus grande visibilité des compétitions et des joueurs (médiatisation, popularité du jeu), un plus
grand nombre d’équipes masculines, augmentant ainsi le niveau par une compétition plus rude ; et
des moyens financiers beaucoup plus important pour le circuit mixte-masculin de Counter-Strike.
Pour les joueuses, le constat est tel qu’il est complexe de pouvoir vivre entièrement de sa pratique
sans accumuler un métier à côté. C’est notamment Manon qui nous expliquait déjà ce cas-là l’année
dernière en expliquant la complexité de lier travail et pratique compétitive semi-professionnelle.
Ainsi, si la pratique est semi-professionnelle, c’est surtout par le peu de possibilités des joueuses
pour développer une carrière vidéoludique réellement professionnelle. Cette organisation fait que
les joueuses ne peuvent pas s’investir pleinement dans leur pratique, à la différence des meilleurs
joueurs professionnels qui jouent quotidiennement et de façon intensive à Counter-Strike. Cela crée
une différence de niveau de jeu entre hommes et femmes compétitifs qui restent ainsi dans leur
circuit respectif. Le circuit féminin de Counter-Strike reste donc fermé, sans réelle sortie possible
pour les joueuses qui voudraient s’intégrer dans le circuit mixte-masculin. Manon décrit ainsi cette
fermeture comme un cercle vicieux : comme la joueuse ne peut pas rentrer dans le circuit masculin,
elle s'enfermerait dans le circuit féminin de niveau « inférieur », et comme la joueuse s'entraînerait
dans un circuit de niveau inférieur, les joueurs ne voudront pas d'elle car elle ferait baisser le niveau
d’une équipe masculine déjà bien constituée. La solution serait donc probablement l’implantation
de joueuses dans des équipes masculines compétitives, pour ensuite rapporter leur savoirs dans leur
circuit, tout en permettant d’ouvrir un peu plus le circuit mixte-masculin. Mais le circuit féminin a
aussi son avantage. Si il peut enfermer les joueuses dans une scène limitée aux enjeux moindre, le
circuit féminin permet aussi d’augmenter la visibilité des joueuses qui ont alors des possibilités

156
d’évoluer un cercle sécurisé où elles se côtoient entre elles. Manon insiste notamment sur
l’existence d’un tel circuit qui permet aux joueuses d’évoluer à leur niveau, sans pour autant faire
face à des remarques sexistes continuelles ou des conflits avec des joueurs. Certaines joueuses
voient ainsi dans les compétitions hors ligne exclusivement féminine la possibilité de favoriser la
visibilité des joueuses, de les inciter à jouer dans un cadre moins complexe au sens où elles pourront
être intégrées rapidement là où le peu de présence dans la scène mixte-masculin amènerait à des
pressions supplémentaires pour les joueuses. Conscient de la visibilité que pourrait apporter une
compétition exclusivement féminine, même sans restriction particulière de niveau de jeu, Noémie
fonde un tournoi communautaire dénommé « La Ligue Féminine ». En effet, ayant déjà pu observé
le peu de joueuses dans les équipes adverses lors de ces précédentes compétitions, souvent seule
joueuse à ces tournois, la joueuse fonde ce tournoi pour donner de la visibilité aux joueuses, mais
surtout inciter les joueuses à se montrer, à jouer en compétition :

« C’est-à-dire que même si je vais retrouver des filles en LAN, elles sont pas joueuses et du
coup c’est pas normal parce que y autant de filles, pourquoi on trouve pas le pourcentage d’équipes
qui participent proportionnelle enfin aux nombre de personnes qui jouent au jeu. Du coup, à ce
niveau-là je me suis dit « pourquoi y a pas eu de », je me suis dit pourquoi pas créer, créer des
équipes féminines et c’est à partir de ce moment-là que j’ai créée la ligue féminine » (Noémie).

Ce tournoi, dont la première édition s’est déroulé en début d’année 2018, dépasse les
attentes de Noémie : la joueuse se retrouve à gérer une demande importante de joueuses françaises
qui veulent participer à son tournoi. A la base prévu pour quatre équipes de cinq joueuses, la
demande est telle que Noémie organise un vrai tournoi avec un « cash price » et une compétition
avec 19 équipes, soit 95 joueuses, dont Marie et son équipe ont gagné le tournoi. La demande est
donc bien réelle chez les joueuses qui cherchent de l’expérience dans une compétition hors ligne
tout en commençant par un cadre plus sécurisé. On perçoit donc les avantages et les inconvénients
d’un circuit féminin, qui permet une visibilité des joueuses dans un cadre plus sécurisé, mais peut
aussi les enfermer dans une scène aux enjeux plus limités, au niveau de jeu plus faible comparé à la
scène mixte-masculine. C’est à ce titre que Manon veut continuer de développer une pratique semi-
professionnelle avec son équipe féminine en continuant de faire exister le circuit féminin par sa
participation, mais aussi en se rapprochant du niveau de jeu des joueurs en participant à des tournois
mixtes en ligne où elles peuvent affronter des équipes masculines et ainsi trouver une concurrence
plus rude, consciente de la différence de niveau entre les meilleures équipes féminines et les
meilleures équipes masculines. Il faut maintenant regarder du côté des équipes mixtes qui sont la
deuxième alternative pour les joueuses voulant se lancer dans la compétition.

157
Les équipes mixtes sont une alternative longuement mise en avant dans les débats qui
portent sur la mixité dans l’esport, sur le fait d’intégrer les joueuses aux scènes compétitives de
plusieurs jeux. L’idée est d’avoir des formats d’équipes qui intègrent généralement une à plusieurs
joueuses, les joueurs étant majoritaire dans ce type d’équipes. Il arrive cependant que l’on trouve la
configuration inverse avec la présence d’un seul joueur. Cependant, ce format reste beaucoup plus
rare que l’intégration d’une joueuse au sein d’une équipe composée majoritairement d’hommes.
C’est le ressenti des deux joueuses de League of Legends qui nous expliquent avoir déjà
expérimentée des équipes mixtes :

« Je suis déjà parti en LAN en équipe mixte, ça s’est super bien passé, y a pas eu de
problème. Après c’est juste que ça demande quand même pas mal de, ça se fait comme ça. De
prendre une fille dans son équipe pour faire une équipe mixte, ça se fait pas comme ça. » (Marie).

Les joueuses, toutes les deux dans une pratique amateure, expérimentent à leur tour une
équipe mixte dont elles ont plutôt des bons souvenirs. Marie, qui a participé à plus de compétitions
hors ligne que Noémie, notamment en équipe mixte, explique ainsi la relative entente avec les
autres joueurs, dont notamment avec sa première équipe où un de ces coéquipiers l’a soutenu pour
participer à une compétition hors ligne, auparavant effrayée à l’idée d’aller dans une LAN.
Cependant, la joueuse explique être généralement la seule femme dans cette situation,
intégrée dans des équipes où elle reste la seule présence féminine : « mais avant c’était vraiment
que des garçons, quand je faisais des team, j’étais la seule fille donc avant vraiment que des
garçons ». Son changement de direction vers des équipes exclusivement féminines se fait suite à la
découverte de la ligue féminine et son objectif de participer à nouveau à cette compétition où elle a
remporté la première édition. Il faut à ce titre connaître la position de l’éditeur de League of
Legends, Riot Games. Celui-ci ne souhaite pas développer un circuit féminin à l’image de Counter-
Strike, considérant le jeu et la compétition comme mixte, ne voulant ainsi pas faire de
différenciation par le biais d’un deuxième circuit qui serait exclusivement féminin. Noémie,
expliquant cette situation, fait tout de même le constat d’une demande de tournois féminins avec la
fondation de sa compétition et le succès auprès des joueuses compétitives françaises. Cette position
différente par rapport à Counter-Strike peut être compréhensible : la première saison compétitive de
League of Legends commence en 2011, soit 11 ans après la sortie de la première version de
Counter-Strike. La position vis-à-vis de la mise en avant des femmes dans l’esport n’est alors pas la
même, les questions sur la mixité ayant eu le temps d’émerger entre temps. Il ne faut donc pas
dissocier position de l’éditeur vis-à-vis des joueuses compétitives dans l’esport et sortie du jeu.
C’est notamment Manon, lors de sa participation à l’évènement « Esport et Mixité » qu’elle

158
s’exprime sur cette nécessité de distinguer les jeux et le développement de leur scène esportive. Elle
soutient alors le fait que les joueuses pourraient s’imposer plus facilement dans un jeu plus récent,
sorti dans une époque où la mixité dans le domaine du divertissement mais aussi du sport est en réel
débat chez les acteurs de ces milieux. Ainsi, la popularisation de la présence de femmes jouant aux
jeux vidéo, de façon notamment compétitive peut permettre une plus grande acception des joueuses
dans la scène compétitive. Pour autant, il est intéressant de noter qu’Annabelle et Manon, se trouve
dans des équipes mixtes au début de leur pratique amateure, avant de rejoindre des équipes
exclusivement féminines. La mixité se dévoile donc dans la pratique amateure des jeux compétitifs,
comme le témoigne Marie, Noémie, mais aussi Annabelle et Manon par leurs expériences passées
sur un jeu qui, malgré tout, possède un circuit féminin. Les équipes mixtes présentent ainsi un
certain avantage en intégrant les joueuses au circuit mixte, mais ne sont pourtant pas aussi
populaires qu’on pourrait le penser. Si Marie explique sa participation à plusieurs équipes mixtes,
elle nous décrit aussi les nombreuses remarques vis-à-vis de sa présence dans l’équipe, relayé
souvent à la « mascotte » de l’équipe, présente seulement pour faire de la figuration et non pour
performer : « je me souviens d’une équipe qu’on avait battu, ensuite on s’est levé pour aller leur
serrer la main, j’étais la dernière pour serrer la main du dernier et il m’a dit « Ah t’es la pom pom
girl » » (Marie). De plus, même si les équipes mixtes peuvent être fondées sur une bonne entente,
avec un respect des joueuses et des joueurs dans l’égalité, ils arrivent aussi que des conflits internes
peuvent se former150. Enfin, si les équipes mixtes sont une bonne alternative à l’enfermement de
joueuses dans un circuit féminin aux opportunités plus faibles, l’entrée dans une équipe mixte n’est
pas forcément quelque chose d’aisé pour les joueuses. En effet, celles-ci doivent doubler leur effort
pour prouver leur niveau de jeu en tant que « joueuse ». Là aussi on retrouve cette pression
supplémentaire de devoir prouver aux autres que l’on peut être une femme et être une compétitrice.
Pour autant, les équipes mixtes reste l’alternative la plus envisagée par l’ensemble des enquêtés
interrogés. Noémie et Marie vont notamment souligner l’intérêt de développer ces équipes mixtes,
en désignant notamment un certain nombre d’acteurs (Women In Games, Gamer’Her) qui
organisent des actions pour soutenir la formation d’équipes mixtes, voir même en créer eux-
mêmes : c’est le cas de Game’Her qui compose une équipe mixte amateure constituée de quatre
hommes et d’une femme. Là aussi, il faut souligner que les équipes mixtes désignées chez les
enquêtés sont le plus souvent des équipes amateures, où des équipes professionnelles
« secondaires » d’une structure esportive, censé remplacer l’équipe principale, un ou plusieurs
150 Nous reprenons à ce titre l’exemple de Mar_Lard qui décrit le harcèlement d’une joueuse dans une compétition de
« Street Fighter X Tekken » par l’animateur du stream. Ce cas reste extrême mais nous informe tout de même des
problèmes qui peuvent exister dans les scènes esportives. Pour plus d’informations : faire référence
https://cafaitgenre.org/2013/03/16/sexisme-chez-les-geeks-pourquoi-notre-communaute-est-malade-et-comment-y-
remedier/comment-page-15/

159
joueurs de l’équipe si certains membres ne pouvaient pas participer aux compétitions prévues. Ceci
est notamment percevable dans l’ancienne pratique amateure d’Annabelle et de Manon, intégré
dans diverses équipes mixtes pour ensuite se retrouver dans des équipes exclusivement féminines
dans une pratique semi-professionnelle, montrant la difficulté de perpétuer ce modèle à un niveau
plus compétitif. Les joueurs interrogés restent tout de même favorable au développement de ces
équipes dans les autres scènes compétitives. Ils sont aussi plus ou moins conscient de la complexité
de mettre en place ces équipes mixtes : possibilité de conflits internes, peur des joueuses de se
lancer dans la compétition, interrogation sur une possible différence de niveau de jeu. Certains
joueurs, comme Laurent, vont notamment expliquer leur incompréhension face à la présence de
circuits féminins dans l’esport : « je comprends pas les gens qui veulent faire des équipes full
féminines et des ligues full féminines parce que tout simplement, on est dans un univers où y a pas
de différences physiques etc, là tout le monde est logé à la même enseigne et de vouloir catégoriser
les filles dans la catégorie fille, ça a aucun sens, moi je trouve. Elles devraient être logées à la
même enseigne au même titre que les autres. » (Laurent). Ce constat est intéressant puisqu’il vient
d’un joueur semi-professionnel dont la scène compétitive est organisé autour d’un seul circuit
mixte. En effet, le jeu de combat se jouant majoritairement seul, les joueuses et joueurs n’auront pas
le soucis de devoir retirer de la reconnaissance vis-à-vis de joueurs pour possiblement intégrer une
équipe. Cependant, la difficulté de l’investissement individuel évoqué par les joueurs, doublé au
statut de femme, peut aussi rendre difficile l’entrée dans une pratique amateure. On revient alors au
facteur de « sur-visibilité » des joueuses, et à cette peur de vouloir se rendre visible dans une
compétition majoritairement composé d’hommes. La mixité de la scène compétitive ne se retrouve
alors que dans le règlement des compétitions, dans la décision de l’éditeur de Street Fighter 5
(Capcom) de ne pas faire de distinction. Les mêmes problèmes se retrouvent ainsi dans le jeu de
combat qui pourtant montre une forme spécifique de perpétuer une pratique compétitive, là où une
grande partie des jeux compétitifs, notamment les plus populaires, se jouent en équipe. Un
investissement individuel n’omet donc pas la difficulté des joueuses à se présenter en compétition et
à s’intégrer dans la scène compétitive, pouvant même faire face à des remarques de la part d’autres
joueurs, comme nous l’explique Alexis en parlant d’une joueuse française de Street Fighter 5. Ce
peu de présence féminine se ressent notamment lorsque les joueurs de Versus Fighting sont
interrogés sur les joueuses compétitives de jeu de combat en France. Pour autant, Kayane explique
que la demande de jouer en compétition est présente chez les joueuses de jeu de combat, dont elle a
pu apercevoir la présence d’un certain nombre de joueuses au seul grand tournoi féminin : l’EVO
féminin en 2010 qu’elle a elle même remporté, se déroulant à l’époque sur la deuxième version de
Street Fighter 4, « Super Street Fighter 4 ». Elle décrit ainsi la présence de 64 joueuses, à l’instar de

160
4-5 joueuses pour les autres grandes compétitions hors ligne. Ce chiffre reste tout de même
relativement faible puisque l’on dénombre approximativement 1800 joueurs pour la compétition
mixte de Super Street Fighter 4 à cette époque. De plus, la popularité du jeu Street Fighter auprès
des joueurs étant plus faible que pour des jeux comme Counter-Strike, League of Legends et
Fortnite, on peut comprendre le nombre relativement plus faible de joueuses dans les compétitions
hors ligne de Versus Fighting. Néanmoins, on perçoit une certaine demande des joueuses de
compétitions exclusivement féminines, possiblement pour gagner en visibilité, dont l’EVO 2010
reste actuellement le seul grand tournoi féminin. Le point intéressant de cette compétition est la
participation obligatoire des joueuses à la compétition mixte : les joueuses devaient ainsi participer
aux deux compétitions, féminines comme mixtes. Cette initiative est à noter et pourrait ainsi
permettre, si elle est étendue à d’autres compétitions de jeu de combat, une meilleure intégration
des joueuses qui alterneraient entre compétitions féminines amenant plus de visibilité et
compétitions mixtes où elles peuvent évoluer avec des joueurs.

La féminisation de l’esport est en cours mais fait encore face à plusieurs difficultés. On
perçoit ainsi une « sur-visibilité » des joueuses qui se révèlent être à « double tranchant », les
favorisant dans leurs opportunités en terme de carrière compétitive, tout en les exposant à des
critiques, des remarques négatives sur leur niveau de jeu et leur apparence. Elles peuvent à ce titre
choisir d’évoluer dans un cadre mixte-masculin, composé majoritairement d’hommes, et un cadre
exclusivement féminin. Les deux ont leur avantage : le premier permet d’être compétitif avec les
meilleurs joueurs du monde entier, tandis que le second permet une visibilité autours des différentes
joueuses compétitives, doublé avec un cadre sécurisé permettant une intégration plus simple à la
scène compétitive choisie. Tous les jeux compétitifs ne proposent cependant pas ces deux options
pour les joueuses qui, évoluent alors dans un cadre incertain où elles sont sujettes à des critiques et
des remarques sexistes. Mais même les joueuses contenues dans un circuit féminin font aussi
expérience, à un degré différent, d’un certain sexisme vidéoludique. Il faut donc se pencher sur les
situations et remarques sexistes qu’ont pu expérimenter les joueuses dans leur pratique compétitive.

161
5.2 Un sexisme vidéoludique adapté à l’esport ?

5.2.1 La performance au sein des épreuves genrées

Malgré une massification du jeu vidéo en France, la place de la femme reste encore
problématique. Cela se voit en premier lieu chez les avatars vidéoludiques qui restent imprégnés de
stéréotypes sur les femmes : rôle de la « femme-objet », sexualisée ou vu comme une récompense
pour le joueur. Le monde social du jeu vidéo n’est pas une sphère renfermée sur elle-même, mais
bien un espace qui tente de s’autonomiser perpétuellement face à la société, aux représentations du
monde réel sans y arriver. Les stéréotypes propres au « masculin » et au « féminin » se retrouvent
donc indéniablement dans le jeu vidéo, par la reprise de représentations stéréotypées chez les
développeurs comme chez les joueurs qui ne contrôlent pas forcément les éléments qu’ils peuvent
introduire dans le monde du jeu vidéo. Les idées reçues qui peuvent se perpétuer, et même si elles
sont en décalage fort avec la réalité, ont des conséquences sociales bien réelles sur le vécu des
joueuses, sur leur carrière vidéoludique, et sur leur façon de percevoir le « sexisme vidéoludique ».

Derrière ce terme, nous ne désignons pas forcément une forme spécifique du sexisme, mais
simplement une présence du sexisme à l’échelle du jeu vidéo. Le sexisme vidéoludique est une
extension du sexisme plus général, qui se base sur les mêmes représentations stéréotypées, comme
le rôle de la femme destinée aux tâches domestiques, peu responsable, trop fragile ou émotionnelle.
Comme l’année dernière, une majorité des enquêtés considèrent ce sexisme comme imprégné de
celui déjà présent dans les sphères de la société, et que les femmes peuvent expérimenter au
quotidien. On a ainsi pu voir une représentation « genrée » des rôles qui pouvaient être présents
dans les jeux détenant une division des tâches par le biais de rôle. C’est le cas du « support » dans
les MOBA qui est perçu comme plus propice aux joueuses, venant tout simplement des
représentations que l’on peut avoir de la femme dans des activités où l’objectif est de s’occuper de
l’autre, comme les métiers de soi et d’aide à l’autre, ou encore les métiers relatifs à l’enfance.
L’idée est alors de signifier que les femmes seraient plus dans la coopération que dans la
compétition. Cependant, les joueuses ne s’expriment pas tant sur les rôles attribués aux femmes
mais plus aux stéréotypes mentionnés pour désigner les joueuses et leur pratique vidéoludique. Ces
attributions arbitraires ne sont pas réellement mentionnées notamment car les joueuses s’extirpent
de cette logique, tout en s’exprimant clairement sur leur pratiques amateures hors ligne, où les rôles
dans les équipes sont attribués en fonction des affinités des pratiquants. De plus, l’attribution à un

162
rôle ne désigne pas forcément une attribution contrainte des joueuses à ces seuls rôles « féminins » :
c’est simplement une représentation stéréotypée qui peut se retrouver dans le discours de joueurs
qui vont attribuer généralement les joueuses à ces rôles-là. La différence vient donc de la
malléabilité du cadre vidéoludique où la prise de choix est beaucoup plus libre pour choisir ses
rôles, ses positions, son engagement vis-à-vis des univers vidéoludiques. C’est une première
particularité du jeu vidéo : il est moins contraignant que le monde du travail, pour différentes
raisons, comme le fait que les récompenses soient beaucoup plus fréquentes, « rémunérant » à juste
titre l’investissement d’un joueur. Il permet ainsi de développer une pratique compétitive de loisir
dans un cadre virtuel où le joueur change de mode au gré des envies, toujours guidé par un certain
plaisir de jeu qui ici se retrouve dans la compétition. Mais là où les pratiques vidéoludiques
régulières observées l’année dernière faisait mention quasi exclusivement de joueuses jouant en
ligne, les joueuses et joueurs interrogés se retrouvent dans un cadre physique bien réel lorsqu’ils
participent à des compétitions hors ligne. Qu’en est-il des stéréotypes et épreuves genrées dans une
pratique amateure et semi-professionnelle ?

Les épreuves genrées, qui se forment suite à l’identification d’un sexe ou d’une identité
genrée, s’observent aussi pour les nouvelles joueuses interrogées. Ces épreuves se basent sur
plusieurs croyances et idées reçues. La première idée reçue vient d’une croyance que les joueuses
ne pourraient pas être performante. C’est un stéréotype qui ressort systématiquement lorsque les
joueuses et joueurs s’expriment sur ce sujet. Il met en avant une incompatibilité entre le statut de
femme et le statut de compétiteur :

« y a beaucoup de gens qui vont penser qu’une fille ne peut pas forcément bien jouer, où
sera forcément limitée alors qu’en fait pas du tout » (Laurent) ; « enfin je fais vraiment abstraction
de ça en fait, je ne suis pas « ah non il ne faut absolument pas que je me fasse battre contre une fille
car c'est une fille » » (Quentin) ; « Une fille Silver ce serait normal, aucun problème, normal elle
peut jouer à LoL sans qu’on lui dise rien, ça y a pas de problème. Mais une fille avec un niveau
supérieur du Diamant 5, automatiquement là c’est pas normal, y a un problème et on va chercher le
problème en fait » (Marie).

Chez les joueuses comme chez les joueurs, c’est le stéréotype qui ressort le plus dans les
discours qui tentent de désigner les différentes idées reçues vis-à-vis des joueuses. Il est notamment
invalidé par les joueurs qui expliquent leur incompréhension face à cette croyance, comme Laurent
qui explique son point de vue au travers de la présence de circuits féminin. Ce constat avait déjà été
observé lorsqu’on interrogeait les joueuses régulières l’année dernière, et qui expliquait la
différence de reconnaissance qu’elles pouvaient percevoir, notamment sur des jugements sur le

163
niveau de jeu prenant comme critère le fait d’être une femme et non simplement le critère de
performance. Cela tient alors à une différence qui se ferait faite entre les joueurs et les joueuses, ces
dernières étant perçues comme nouvelles dans l’esport. Bien entendu, il faut relativiser ces
jugements, qui prennent cœur dans plusieurs stéréotypes, dont celui d’une appétence « naturelle »
plus forte des joueurs pour la compétition. A ce titre, on peut noter un certain argument de
Christian :

« alors moi je pense que les filles sont naturellement ou généralement moins intéressées par
une compétition brutale que les hommes euh, je pense que ça se retrouve dans la plupart des
compétitions en fait, que ce soit échec, que ce soit jeux vidéo, que ce soit sport ou quoi que ce soit,
il arrive quand même que certaines filles arrivent à exceller dans ces domaines là, mais en terme
de quantité par rapport aux hommes, je pense que c’est quelque chose de relativement inférieur.
Peut-être l’idée un petit peu guerrière de l’homme qui dit je veux être meilleur que mon collègue, je
veux être absolument meilleur que mon collègue. C’est peut-être quelque chose qui touche un peu
moins les filles, en tout cas, c’est pas, elles sont le bienvenue si jamais elles veulent apprendre et
s’y mettre évidemment. » (Christian).

Il place ainsi l’attirance plus faible de la compétition chez les femmes comme facteur
pouvant expliquer le peu de présence de femmes. Ce critère, invoqué comme naturel, proviendrait
plutôt d’une socialisation spécifique pour les joueuses compétitives intégrées dans les scènes
compétitives en France. A ce titre, Christine Mennesson expliquent que les sportives se distinguent
de la majorité des filles, avec notamment la constitution d’un habitus sportif compétitif :

« Le goût de l’affrontement compétitif préexiste donc, dans la plupart des cas, à


l’investissement dans la pratique de haut niveau de la boxe et du football – et, pour une minorité, à
la pratique compétitive de l’haltérophilie. Il se construit, soit par la pratique en compétition
d’activités sportives diverses à l’adolescence, soit par un engagement compétitif précoce dans
l’activité de prédilection, notamment dans le cas des footballeuses. » (Mennesson, 2005 : 81).

Cet habitus sportif compétitif ne se retrouve néanmoins pas totalement chez les joueuses
interrogées. Si Noémie et Marie expliquent commencer leur pratique vidéoludique sur League of
Legends pendant leur adolescence, lorsqu’elles sont au lycée, Annabelle commence plus
tardivement, lorsqu’elle se trouve à l’université. Elle reste cependant la seule joueuse parmi toutes
celles interrogées, cette année et l’année dernière, a commencer plus tardivement la pratique
compétitive de loisir. Il est intéressant de voir qu’elle exprime, avec Manon, un retard dans l’entrée
dans une pratique compétitive pour les joueuses :

164
« en fait j’ai l’impression que y a tellement plus de mecs qui ont commencé le jeu à 15 ans
et qui ont fait ça toute leur jeunesse dessus, bah les filles j’ai pas l’impression qu’on est passé
autant de temps. » (Annabelle).

Ce retard vis-à-vis d’une entrée tardive ne peut pas se tenir pour la simple pratique
compétitive de loisir, notamment car l’ensemble des enquêtées invalident ce point. La différence
entre joueuses et joueurs est alors à trouver dans l’entrée dans une pratique compétitive amateure.
En effet, même si Noémie et Marie expriment un investissement dans une pratique compétitive de
loisir depuis un certain moment, leur entrée dans une pratique amateure se fait bien plus
tardivement, lorsqu’elles expérimentent leurs premières compétitions hors ligne en tant que
participante : Annabelle commence ainsi à ces 24 ans de participer à ces premières compétitions
hors ligne, tandis que Noémie débute aux alentours de ces 20 ans, et aux alentours de 21 ans pour
Marie. Du côté des joueurs, ils expliquent expérimenter leurs premières compétitions à
l’adolescence, entre 15 et 17 ans, soit beaucoup plus tôt que les joueuses qui ont notamment déjà
passée le lycée lorsqu’elles débutent les compétitions hors ligne. Seule Manon expérimente une
pratique amateure aux alentours de ces 17 ans en participant à des compétitions hors ligne de
Counter-Strike dans des équipes mixtes. Elle rejoint alors le camp des joueurs interrogés qui
débutent une pratique amateure bien avant, et dont certains sont maintenant semi-professionnel, voir
professionnel.

L’argument d’Annabelle peut donc être validée au vu du parcours des enquêtés interrogés, et
où seul Manon fait office d’exception en débutant plus tôt une pratique amateure. La distinction se
fait donc clairement dans cette seconde étape de la pratique compétitive, là où la pratique de loisir
homogénéise cette distinction entre joueuses et joueurs. Cela se corrobore notamment avec l’idée de
l’appréhension des joueuses à venir en compétition hors ligne, comme pour Marie qui explique
avoir longtemps refusé de venir en tournoi en tant que joueuse. Cette peur de venir en tournoi peut
aussi être un argument pour expliquer la position du joueur lorsqu’il explique que l’esprit compétitif
est moins présent chez les joueuses. Outre le fait que les joueuses soient contenues dans une
socialisation spécifique, tout en se différenciant des footballeuses en participant à des compétitions
hors ligne plus tard, leur faible présence dans les LAN peut donc permettre d’expliquer pourquoi un
joueur comme Christian peut penser à réfléchir de cette façon. Il faut bien sûr relier cette faible
présence au développement de la scène compétitive choisie, elle-même liée à la popularité du jeu
chez les joueurs et à la médiatisation du jeu en compétition. C’est un des critères invoqués par
Quentin lorsqu’il suppose la plus grande présence de joueuses compétitives sur League of Legends
en comparaison avec le jeu de combat. De plus, la comparaison avec le football reste limité car ce

165
dernier s’est structuré par des organismes locaux et nationaux avant de se structurer à
l’international. L’esport suit le chemin inverse, se trouvant actuellement dans une phase de
structuration des scènes nationales et locales des jeux compétitifs joués chez les joueurs
professionnels. Ainsi, si les footballeuses expérimentent le football à un âge très jeune en
compétition, les joueuses ne peuvent pas expérimenter une pratique amateure à un âge aussi jeune
(les footballeuses commençant à l’enfance), notamment car l’esport est une discipline récente qui
tente de se structurer à ce niveau. On retrouve néanmoins une socialisation similaire sur plusieurs
points, dont celui d’une appétence pour la compétition, qui permet à la comparaison d’être
pertinente. Il arrive aussi que des joueuses commencent très tôt comme Kayane, tout en faisant face
à des difficultés de reconnaissance. Mais comment cette différence se reflète concrètement dans
l’expérience des joueuses compétitives ? Quelles sont les épreuves genrées que les joueuses peuvent
expérimenter vis-à-vis de ce stéréotype de la femme comme peu performante aux jeux vidéo ?

Lors de notre enquête sur les joueuses régulières de jeu vidéo en ligne, plusieurs épreuves
genrées ressortaient. La première épreuve, plutôt générale, n’est autre que le « sexisme
communicationnel ». Par ce terme, on désigne les cas où des représentations stéréotypées, où des
remarques sont proférés dans les pratiques compétitives des joueuses. Le qualificatif de
« communicationnel » fait référence aux différents canaux de communication utilisés dans leurs
pratiques : on pense au chat écrit du jeu, mais aussi aux serveurs vocaux publics des jeux vidéo en
ligne, ainsi que les serveurs vocaux privés, attribués à un groupement dans lequel la joueuse
perpétue sa pratique. On avait alors désigné le cas des « blagues sexistes » rencontrées dans la
pratique en ligne des joueuses. Cependant, cet élément ne se retrouve pas chez les joueuses qui
désignent directement des remarques sexistes qui range le sexisme rencontré dans le sexisme
hostile. En effet, il ne faut pas confondre remarques et blagues sexistes : ces dernières décrivent des
situations où les joueuses, dans leurs communications, recevaient des messages au statut ambigu
dont certaines n’arrivaient pas à faire la distinction entre réelle remarque sexiste ou simple blague.
Dans tous les cas, elles renvoyaient au mécanisme de l’humour dont Denis Colombi expliquent les
aboutissants, et la force de celui-ci en tant que mécanisme d’exclusion sociale 151. Si on regarde du
côté des joueuses interrogées cette année, elles parlent tout de même d’un certain sexisme présent
sur Internet, et qui peut parvenir à leurs canaux de communication, aux réseaux sociaux qu’elles
côtoient :

« là y a du sexisme (rire), en veux tu en voilà, humm oui « Go back to the kitchen » enfin
« retourne dans ta cuisine », euh, pff enfin les filles, euh « Oh my god not a girl in my team » quand
151 Pour plus d’informations : Denis Colombi, Qu’est-ce qui fait qu’une image est sexiste ?, 2012. URL :
http://uneheuredepeine.blogspot.com/2012/08/lhumour-est-une-chose-trop-serieuse.html

166
tu joues, tu sais avec des gens que tu connais pas, euh … « Girl are bad », les filles sont
mauvaises » (Annabelle) ; « En général c’est ça, les gens croient pas, quand je leur dis que je suis
Master les gens me croient pas, ou du moins ils mettent un temps à, c’est un peu incroyable »
(Marie).

Ces remarques qui sont mentionnées par les joueuses font ainsi toujours mention de rôles
féminins fortement stéréotypés, mais aussi de cette idée reçue que les femmes ne pourraient pas être
performantes sur les jeux vidéo. Les joueuses expriment tout de même se détacher de ces
remarques, énoncés par des individus non légitimes et non reconnus à leur yeux. On ne peut
malheureusement pas vérifier la régularité de ces remarques dans l’expérience des joueuses, bien
que l’on avait pu voir une certaine régularité de blagues et remarques sexistes chez les joueuses
régulières de jeu vidéo en ligne. Les seules qui se détachaient de ces remarques étaient alors les
deux joueuses à perpétuer une pratique compétitive amateure et semi-professionnelle, expliquant se
focaliser sur les compétitions hors ligne où la communauté n’est pas la même. Il faut tout de même
penser les remarques et blagues sexistes qui peuvent se perpétuer dans le cadre virtuel des pratiques
compétitives des joueuses. Si les remarques en ligne ne sont pas forcément vécues comme des
éléments limitant la pratique des joueuses, des épreuves genrées visant à réduire leur champ des
possibles, ils sont néanmoins assez présents pour leur signifier les stéréotypes qui sont émis à
l’encontre des joueuses. Laurent explique notamment la présence de remarques sexistes vis-à-vis
des joueuses, jugeant sur le niveau de jeu mais aussi sur l’apparence lorsqu’elles sont visibles sur
leur stream personnel ou sur le stream d’une compétition hors ligne où la joueuse est présente en
tant que participante. La visibilité de la compétitrice en tant que femme peut donc ramener à ces
remarques sexistes dans le cadre virtuel qu’offre Internet, où les individus sont anonymisés et
peuvent émettre des jugements, des remarques sexistes sans pour autant en éprouver les
conséquences sociales. Madi explique dans ce cas que le peu de présence de joueuses compétitives
dans les compétitions de jeux de combat ramènerait donc le sexisme à Internet :

« Dans les jeux de combat y a pas beaucoup de femmes du coup (rires), du coup y a,
potentiellement y a beaucoup de sexisme mais y a pas de support pour ça (rire) et du coup bah soit
ça reste souvent sur les réseaux sociaux mais sinon sur place du sexisme, j’en vois pas. » (Madi).

Le cadre virtuel relayerait une plus grande régularité des remarques sexistes, là où le cadre
physique de la compétition ne le permettrait pas forcément cela au vu du peu de joueuses présentes.
Ce point est intéressant car il permet aussi d’expliquer en partie cette différence qui peut s’opérer
dans la proportion de joueuses compétitives et le pourcentage de compétitrices à tenter l’expérience
des compétitions hors ligne. Habituées aux remarques sexistes sur Internet, les joueuses peuvent

167
alors craindre que les stéréotypes entendues se reproduisent dans un cadre ici physique, où elles ne
peuvent pas quitter aussi facilement l’espace où sont proférés les remarques sexistes. Le cadre
physique est donc plus contraignant pour les joueuses, mais aussi pour les individus qui émettent les
remarques sexistes. En effet, le cadre réel est plus contraignant en soi que l’identité des individus
qui lancent ses remarques peut être reconnue et identifiée à des comportements sexistes. La
personne peut alors être identifiée visuellement là où Internet permet l’anonymat derrière un
pseudonyme. Les contraintes sociales s’exercent donc dans ce cadre physique qui impliquent un
certain respect des conventions sociales : le respect de l’autre, les marques de politesse et de tenue.
Ces contraintes peuvent être d’autant plus fortes lorsque l’espace est côtoyé par un certain nombre
de spectateurs/participants, rendant difficile d’émettre ces remarques sexistes. Cependant, et même
si l’anonymat n’est pas présent, il arrive aussi que les joueuses fassent face à des remarques
sexistes, du sexisme hostile toujours lié à cette idée qu’une femme ne peut pas être performante sur
les jeux vidéo :

« Ah oui oui, y en a eu plein. Y en a eu plein, que ce soit en LAN ou pas, je me souviens


d’une équipe qu’on avait battu, ensuite on s’est levé pour aller leur serrer la main, j’étais la
dernière pour serrer la main du dernier et il m’a dit « Ah t’es la pom pom girl », pfff enfin bon.
(rire) Oui y en a plein de partout, que ce soit en ligne ou que ce soit en LAN. » (Marie) ; « Bon
après y a aussi quand on arrive en LAN et que, qu’on croit pas qu’on est du côté joueur mais plutôt
du côté spectateur, enfin y a pleins de trucs comme messages, qu’on me croit pas quoi. » (Marie) ;
« Euh donc du coup ça va être surtout eux qui sont pas, qui sont pas doux avec la scène féminine,
ceux qui aimeraient avoir les moyens qu’on a et qui pense qu’on a pas, qu’on le mérite pas quoi.
Les remarques qui reviennent tout le temps, c’est « pourquoi vous jouez pas dans des tournois
mixtes ? Pourquoi vous jouez pas avec des garçons ? Pourquoi vous restez entre vous ? C’est plus
facile », bon c’est pas faux mais voilà. » (Annabelle).

Le cadre des compétitions hors ligne n’exempte donc pas la présence de remarques sexistes
même si ils sont contraints dans les possibilités de l’exercer. Les cas où les joueuses reçoivent
directement des remarques au contenu clairement sexiste est donc quelque chose de plutôt rare,
seule Marie expliquant avoir vécu ce cas parmi toutes les joueuses interrogées durant ces deux
années qui sont au moins dans une pratique amateure. Ainsi, si le sexisme hostile ne se dévoile pas
aussi fortement et régulièrement que dans le cadre d’Internet, celui-ci peut prendre une forme moins
conscientisée, sous-entendue, comme pour Marie qui explique l’incompréhension d’organisateurs,
de joueurs quand elle dévoile son grade qu’elle détient dans le classement en ligne de League of
Legends – instance légitime qui sert de mesure aux joueurs concernant le niveau de jeu – où qu’elle

168
explique participer à des compétitions hors ligne. Les épreuves genrées peuvent ainsi se dévoiler au
vu d’un langage non-verbal, de dynamiques de groupe visant à exclure la joueuse. Il faut relativiser
ce dernier point car si les joueuses de jeu de combat s’investissent individuellement dans la
compétition, les joueuses comme Marie, Noémie et Annabelle se retrouvent dans des équipes où
elles sont bien intégrées, et se retrouvent ainsi dans un cadre relativement sécurisé. Dans un cas plus
spécifique, les joueuses de Counter-Strike, contenues dans un circuit féminin, se retrouvent dans
une équipe exclusivement féminine, mais aussi dans une compétition féminine, ce qui peut tendre à
limiter l’apparition de remarques sexistes. Annabelle désigne néanmoins les remarques de joueurs
semi-professionnels attribués sur les joueuses et leur « sur-visibilité » leur permettant d’obtenir une
opportunité avec une structure esportive « plus simplement ». Les remarques se feraient alors sur un
enfermement des joueuses qui restent dans un circuit féminin au niveau de jeu plus simple, sans
pour autant se confronter à la scène mixte-masculine, et donc aux joueurs professionnels. A ce titre,
Annabelle donne un argument intéressant, qui fait mention d’une différence de façon de jouer entre
joueurs et joueuses :

« Puis même, je pense qu’on travaille pas assez bien, on est pas assez critiques sur soi-
même, on va être plus émotive, on va avoir une autre façon de jouer que les garçons, de voir le jeu,
on va avoir peut-être moins de sang froid … » (Annabelle).

La joueuse, comme pour Manon, explique la différence de niveau de jeu entre joueurs et
joueuses professionnelles de Counter-Strike comme venant d’une façon de jouer différente, de voir
le jeu, de le réfléchir et de prendre des décisions dessus. L’accent est aussi mis sur le contrôle des
émotions, qualité du « bon » joueur professionnel, qui ici serait moins important chez les joueuses.
Renvoyant indéniablement au stéréotype de la femme comme peu responsable au sens qu’elle ne
pourrait pas contrôler ses émotions, la joueuse tente néanmoins d’expliquer cette différence de
niveau qui tient plus à des facteurs déterminants qu’à une réelle façon de jouer différemment. A ce
titre, le rapprochement avec les discours sur le jeu des footballeuses est tout à fait pertinent :

« Les femmes se réfèrent plutôt à leurs qualités techniques voire esthétiques pour qualifier
leur pratique : elles insistent sur le caractère « civilisé » de leur pratique, opposée à l’expression
brute de la puissance musculaire, censé définir la pratique des hommes » (Mennesson, 2005 : 130) ;
« L’idée « paternaliste » d’une pratique féminine qui représenterait une forme inachevée de la
pratique masculine se décline également sur le versant ontologique. La pratique des femmes est
comparée alors à celle des juniors ou des cadets, dont elle garde la « fraîcheur » voire l’innocence.
Même si les auteurs de ces propos défendent fermement la pratique féminine, ils renforcent de fait
la différenciation et la hiérarchisation des pratiques des deux sexes. » (Mennesson, 2005 : 131).

169
La pratique du football chez les femmes est donc perçu, chez les joueuses comme chez les
entraîneurs, comme une pratique plus tactique, sérieuse, moins brutale que les hommes. Celle-ci
correspond alors à une vision plus « familiale » du football en compétition, où les footballeuses
sont caractérisées par leur technicité, mais aussi par leur contrôle des émotions plus faible que les
hommes. Annabelle utilise donc les mêmes arguments dans son discours pour signifier cette
différence de niveau de jeu entre joueuses et joueurs. On expliquera cette différence plutôt par les
facteurs structurels déjà présenté auparavant : une entrée plus tardive dans la pratique amateure, un
circuit féminin moins développé, un nombre de compétitrices plus faibles que chez les hommes, une
faible possibilité d’évoluer vers une carrière professionnelle, obligeant les joueuses à lier métier et
activité compétitive du jeu vidéo pour subvenir à leurs besoins. Ce dernier facteur est d’autant plus
important qu’il témoigne des différences d’opportunités entre joueuses et joueurs, les premières
étant largement limitées par un circuit féminin qui les enferment, tout en leur permettant un cadre
plus sécurisé. Il est d’autant plus complexe pour les joueuses de rentrer à nouveau dans le circuit
mixte dû à la différence de niveau de jeu, mais aussi aux barrières sociales qui se dressent devant
elles :

« quand on veut jouer avec une équipe mixte on veut pas de nous, parce que y a trop de
préjugés, donc de dire ce qu’ils veulent, ils feront jamais le premier pas et ils font aucun effort non
plus pour qu’il y ait des équipes mixtes de haut niveau et même pour aller en LAN, même des
petites LAN, où on pourrait aller dans des petites LAN, y a très rarement des mix hommes-garçons
alors que y a des filles, on y va pour faire ce genre de petite LAN » (Annabelle).

La joueuse explique ainsi les barrières qui peuvent se dresser lorsqu’elles tentent de
s’intégrer au sein d’une équipe mixte, devant doublement performer : performer au niveau de la
performance esportive, mais aussi au niveau de la performance de genre, au sens qu’elles doivent
prouver qu’elles sont « dignes » d’intégrer une équipe composé de joueurs tout en restant dans une
certaine norme de « féminité ». Marie revient notamment sur le point de la performance de genre, et
la possibilité de jouer la carte de la « féminité » pour obtenir des avantages.

170
5.2.2 Performance esportive et performance de genre : un avantage d’être
« féminine » ?

Les avantages d’être une joueuse dans un univers masculin comme le jeu vidéo n’est pas
quelque chose d’étranger aux enquêtées : elles ont toutes conscience de certaines joueuses qui
profiteraient de ce traitement de faveur pour obtenir divers objets et récompenses qui nécessitent
normalement un investissement temporel plus ou moins important. Cet avantage renvoi directement
à la perception des femmes comme « « des petites choses » faibles et merveilleuses qui doivent être
protégées, aimées et placées sur un piédestal. » (Dardenne, 2005 : 3). L’idée est d’appuyer sur cette
idée pour obtenir des récompenses de la part des joueurs, notamment du capital vidéoludique
économique voir culturel dans certains cas. Le sexisme ici peut alors être « ambivalent » au sens
qu’il peut se dévoiler en tant que sexisme bienveillant comme en tant que sexisme hostile. Dans le
cadre du sexisme bienveillant, on retrouve les expériences de certaines joueuses régulières
interrogées qui expliquent un certain don des joueurs en capital économique, qu’il soit voulu ou non
par celles-ci. Plus diffus, le sexisme bienveillant est défini comme le fait de maintenir les femmes
dans un état de subordination par le biais d’une attitude positive, bienveillante. Celui-ci est
grandement tributaire du cadre dans lequel il est ressenti par les joueuses. En effet, les joueuses vont
notamment le ressentir comme du sexisme dans un cadre où elles rechercheront une égalité certaine,
comme dans le monde du travail. Cela se relie aussi au monde de l’esport puisque les joueuses
veulent être reconnues pour leurs performances, sans pour autant être avantagées par leur statut de
femme. Elles vont donc tendre à percevoir ces dons, ces attitudes bienveillantes comme du sexisme,
des remarques qui les classent et les jugent toujours selon leur statut de femme :

« ou alors à l’inverse c’est plus des gens qui vont flirter pour amuser la galerie quoi, qui
vont être trop gentil ou qui vont être genre quand tu vas louper des tirs « oh non t’inquiète pas,
t’inquiète pas, t’as très bien joué », enfin c’est surjoué quoi. » (Annabelle)

Dans un autre cas, on observe que les footballeuses décrient la part de « féminité » de
certaines joueuses de foot, que Mennesson désigne sous la catégorie des « vraies » femmes, au sens
qu’elles défendent et assument leur féminité dans une pratique fortement masculine. Cela amène à
concevoir une figure repoussoir, qui chez les footballeuses, est signifié par la « poupée Barbie »
(Mennesson, 2005 : 144). Cette figure désigne dans les propos des sportives les tenues et les
comportements jugés « trop féminins »152. Les footballeuses adoptent alors une distance vis-à-vis de
cette figure :

152 Ibid.

171
« Elles évitent en fait les comportements « féminins » renvoyant directement à la situation
dominée des femmes et à leur statut d’objet – « objet sexuel » notamment. Elles se réfèrent pour
cela à des modèles sexués flous et parfois contradictoires, et reproduisent les catégories sexuées tout
en retravaillant sans cesse leurs contenus. Ici encore, les frontières fluctuent en fonction des
acteurs. » (Mennesson, 2005 : 144).

Du côté des joueurs interrogés, Christian passe aussi sur le fait de jouer la carte de la
« féminité » pour obtenir des avantages :

« Alors évidemment t’as toujours des abus des deux côtés, donc à la fois t’as le mec qui euh,
le mec qui aime pas les filles pour le coup j’en ai jamais rencontré honnêtement mais euh tu peux
avoir de temps en temps un peu l’esprit e-girl qui naît, c’est la fille qui profite un petit peu du fait
qu’elle soit une fille pour avoir quelques avantages, mais selon moi c’est quelque chose de
relativement anecdotique et même de plutôt, plutôt positif. Si les filles se sentent à l’aise et peuvent
jouer un petit plus de leurs charmes voilà pour avoir des petits bouts de place en plus, je suis pas
forcément contre, après bon faut bien évidemment des limites hein, je veux pas créer de mauvaises
histoires mais à partir du moment où elles se sentent à l’aise, tant mieux. » (Christian).

Le joueur fait référence au sexisme hostile déjà présenté, décrit comme abus de la part des
joueurs, mais aussi les joueuses qui useraient d’une certaine féminité pour obtenir des avantages. Il
est intéressant de voir que le joueur établit une limite pour le deuxième comportement : là où il
bannit des comportements sexistes hostiles de la part de joueurs, il explique qu’user d’une certaine
« féminité » pour les femmes n’est pas forcément un comportement à bannir si il ne se situe pas
dans l’excès. A ce titre, il ne désigne pas clairement de limite à franchir, restant sur une idée vague
de ne pas créer de conflits dû à des avantages que les joueuses obtiendraient grâce à cette
« féminité », mais aussi tout simplement grâce à leur statut de femme dans un univers masculin.
Christian explique aussi la complexité pour une « jolie » femme de s’intégrer au sein d’un univers
masculin comme le jeu vidéo. Il relativise son constat en expliquant que cela ne provient pas
spécialement du jeu vidéo mais en général des domaines masculins. De plus, les enquêtés
n’observent pas concrètement ce type de situation où les joueuses seraient jugées selon leur
physique, leur apparence, dans le cadre des compétitions hors ligne. Ils relaient alors cela, comme
pour Laurent, à Internet où les joueuses peuvent être jugées sur leur physique dès lors qu’elles sont
visibles sur un stream par exemple. Les joueuses, dans cette pratique transversale, peuvent ainsi
subir des remarques sur leur physique sans pour autant mettre en avant une certaine « féminité » :
« Alors que quand tu vois une fille qui stream, on va voir notre tête, on voit notre corps et du coup il
va y avoir des jugements vis-à-vis de ça. » (Noémie). On revient en quelque sorte à cette « sur-

172
visibilité » des joueuses, et dont certains joueurs décrient une « popularité » des streameuses du fait
qu’elles soient des femmes, et non forcément pour leur niveau de jeu. D’un autre côté, les joueuses
ne nient pas la présence de streameuses qui se mettent en avant sur Twitch ou tout autre plateforme
de diffusion de contenus vidéos. Aucun des enquêtés ne tranchent réellement la question, puisque
l’on voit un certain consensus autour de l’existence de streameuses mettant en avant leur
« féminité », dans une certaine habitude ou pour incarner un « personnage » spécifique à l’écran. Si
l’on reprend sur la pratique compétitive, on retrouve une certaine dénonciation de ces joueuses
« féminines » qui utiliserait leur statut de femme à leur « avantage » :

« Et tu penses que y a des joueuses qui peuvent user de leurs atouts, de leur féminité à leur
avantage ? Oui oui y en a pas mal, je pense, je pense vraiment les trois quart, euh faut dire que les
25 % qui restent ça va être les filles qui vont pas se montrer en fait parce que justement, bah c’est
la seule façon d’avancer en fait parce que, c’est dur, c’est un peu pour ça que j’ai pris un pseudo
sur LoL qui ne me fait pas paraître comme une fille » (Marie).

Marie, dans son discours, oscillent entre deux positions. La première montre une joueuse
dont son objectif est de prouver que les joueuses sont performantes, par ses résultats, mais aussi en
incitant les joueuses à se montrer en compétition, à s’investir dans une pratique compétitive
amateure. Elle met tout de même en garde en exposant la figure repoussoir de l’« egirl », de la
« Fake Geek Girl », c’est-à-dire de la femme « faussement » joueuse, qui se désigne comme telle
pour se rendre intéressante et avoir l’attention des joueurs. La deuxième position dévoile donc une
joueuse qui établit une claire distinction entre « vraies » joueuses » et « Fake Geek Girl ». Elle se
classe alors dans la catégorie des « vraies » joueuses, compétitives, qui cherche à juste titre la
performance et une reconnaissance de ses efforts. La « Fake Geek Girl », qu’elle nomme sous le
terme de « boosted girl », est donc la joueuse qui va utiliser son statut de femme, sa « féminité »
pour obtenir des récompenses sans réellement avoir fait les efforts nécessaires. La récompense se
place ici dans le cadre du capital culturel, et plus précisément dans l’obtention d’un grade dans le
classement de League of Legends qui, rappelons-le, est une instance légitime aux yeux des
pratiquants pour mesurer le niveau de jeu de quelqu’un. Nous avions déjà eu une joueuse qui
utilisait aussi cette distinction pour s’identifier comme une « vraie » joueuse. On retrouve ici en
quelque sorte les propos des footballeuses et les catégories qu’énoncent Christine Mennesson pour
différencier les footballeuses par leur rapport à la « féminité » et à la figure repoussoir de la
« poupée Barbie ». Les joueuses forment leur discours pour repousser cette identité pour autrui que
les joueurs, mais aussi les joueuses, peuvent renvoyer sur les pratiquantes compétitives du jeu
vidéo. Il faut cependant relativiser notre utilisation du terme de figure repoussoir. L’objectif ici n’est

173
pas d’effacer la visibilité d’une minorité que tout le monde semble connaître, mais plutôt de montrer
en quoi cette minorité en est devenue une représentation qui renforce le discrédit vis-à-vis des
joueuses et leur difficulté de reconnaissance.

La « Fake Geek Girl » oscille donc entre existence réelle pour les joueuses, et croyance,
figure idéale négative que les joueuses se renvoient pour prouver à autrui leur légitimité en tant que
joueuse compétitive. Dans tous les cas, cette représentation allie sans aucun doute le fait qu’une
joueuse ne peut pas être performante et féminine en même temps. Catherine Discroll décrit de
même cette contradiction présente chez certaines joueuses compétitives : « Le dilemme auquel les
joueuses expertes sont confrontées a moins à avoir avec la réfutation du stéréotype de la Gamer Girl
qu’avec le fait de se représenter elles-mêmes comme l’exception qui confirme la règle. » (Lignon,
2015 : 200). Les joueuses sont donc pris entre deux dynamiques contradictoires : l’encouragement
et le soutien aux nouvelles joueuses qui veulent débuter sur le jeu vidéo, et le contrôle de ces
nouvelles arrivantes dans l’espace de jeu des « joueuses confirmées » pour ainsi éviter qu’elles ne
créent des « histoires » et invalident la légitime durement acquise par les pratiquantes
expérimentées. Dans le cas de Marie, on aperçoit donc une joueuse qui tente de se détacher du
stéréotype indiqué, tout en l’actualisant aux autres joueuses qu’elle ne trouve pas légitime. On
comprend alors pourquoi la joueuse a pu avoir des réticences à se lancer dans la compétition hors
ligne, notamment par une possible peur de recevoir des remarques sexistes qui remettrait en cause
sa légitimité acquise en tant que joueuse performante. Elle reste néanmoins la seule joueuse qui
exprime clairement cette distinction, compréhensible lorsqu’on sait qu’elle reste aussi la seule a
avoir expérimenté des remarques sexistes dans des compétitions hors ligne.

Les joueurs évoquent de leur côté une connaissance de ce stéréotype sans pour autant le
vérifier complètement lors de leurs expériences vidéoludiques, en ligne comme en compétition. Ils
soutiennent notamment le cadre « bienveillant » des jeux de combat en compétition hors ligne,
affirmant que l’âge moyen plus élevé chez les compétiteurs de Versus Fighting permet un cadre plus
sécurisé pour les joueuses qui voudraient s’y investir. Il est intéressant de voir que même si les
joueurs et joueuses en grande partie n’expriment pas retrouver un sexisme vidéoludique en
compétition qui se base sur l’idée de la « Fake Geek Girl » – alternant les deux phases de
l’« ambivalent sexism » – on perçoit des injonctions de la part de certaines structures, de certains
sponsors concernant une demande de « féminité » de la part des joueuses. Ce point est en outre
évoqué par Manon mais aussi par une joueuse lors de la conférence « Esport & Mixité – Table-
ronde de joueuses professionnelles », qui explique la présence de demandes de la part de sponsors
cherchant chez les joueuses non pas leurs performances mais plutôt un « outil marketing », en

174
prenant notamment en compte l’apparence et le physique des joueuses dans le recrutement.
L’objectif est de prendre la joueuse pour en faire un « produit marketing », entretenir l’image du
sponsor qui finance des joueuses pour leur donner une visibilité dans la compétition, tout en
choisissant ces joueuses selon des critères physiques et non forcément les performances. Il faut
relativiser ce point énoncé par les joueuses. Si il est vrai que des pratiquantes peuvent être ainsi
recrutées pour des critères supplémentaires à leur performance, à leur niveau de jeu, il est tout aussi
vrai que ce niveau de jeu, cette nécessité d’être performante pour être recrutée au sein d’une
structure esportive, financer par un sponsor, reste impérative. Ces injonctions restent tout de même
réelles et on peut aussi les percevoir dans le cadre de la pratique du football féminin :

« Au cours de ces journées, les joueuses doivent arriver au stade vêtues d’une tenue
« féminine » – robe ou jupe obligatoires –, et la revêtir à nouveau à l’issue du match. Le pot
d’après-match partagé au club-house doit permettre aux – rares – spectateurs, « ébahis », et
éventuellement à quelques journalistes invités pour l’occasion, de se « rassurer » sur le genre des
footballeuses : elles ressemblent aux « vraies » femmes, elles ne sont donc pas des hommes ou des
« drôles » de femmes. » (Mennesson, 2005 : 186).

Ils existent chez les joueuses, comme chez les footballeuses, des femmes qui répondent
positivement à ces injonctions en se pliant au jeu d’une certaine « féminité », tandis que d’autres
dénoncent ces actions, jugés comme inefficaces pour promouvoir les femmes compétitives, voir
contre-productif lorsqu’elles évoquent l’image négative – notamment l’image de la « Fake Geek
Girl » – que ces situations peuvent renvoyer aux autres. La performance de genre s’actualise donc
bien au cadre esportif, les joueuses amateures/semi-professionnelles/professionnelles gérant ainsi
les injonctions que les différents acteurs du monde esportif peuvent émettre à propos de ces
joueuses. Si la performance esportive reste toujours un critère majeur de leur pratiques
compétitives, elle est supplantée par la performance de genre qui demandent aux joueuses d’être
femme et d’être performante (Menesson, 2005 : 29). Il faut ainsi voir comment les joueuses peuvent
réagir aux injonctions, mais aussi aux épreuves genrées, et en quoi les ressources vidéoludiques
influencent la perception du sexisme, et les réponses vis-à-vis de celui-ci.

175
5.2.3 Une ignorance prônée face aux remarques sexistes

Tout au long des entretiens, joueurs comme joueuses étaient amenés à s’exprimer sur la
présence d’un sexisme vidéoludique au sein des scènes compétitives. Le but était de vérifier si le
sexisme évoqué par les joueuses régulières de jeu vidéo en ligne s’observait aussi dans le cadre
physique des pratiques amateures, semi-professionnelles et professionnelles. Le sexisme
vidéoludique est alors défini comme quelque chose d’ambiant, imprégné de stéréotypes qui
ressortent dans certains cas dans des situations sexistes, où les joueuses sont directement
confrontées aux idées reçues qui peuvent se propager concernant les femmes qui jouent aux jeux
vidéo. Le cadre défini dans ce cas la puissance des épreuves genrées que rencontrent les joueuses :
là où les « blagues sexistes » énoncées sur des canaux de communication généraux sont facilement
ignorées par les joueuses, la présence de remarques sexistes régulières dans un espace investi par la
joueuse, comme un groupement, peuvent affecter fortement la pratique d’une compétitrice. Le
plaisir de jouer peut s’en trouver perturbé, demandant à la joueuse de réagir face aux remarques
sexistes. Trois options générales sont possibles : la prise de parole, la loyauté ou la défection 153. Là
où les joueuses régulières utilisaient régulièrement la prise de parole comme première réponse,
faisant notamment menace de défection dans l’espace où les remarques sexistes se profilaient 154, les
joueuses compétitives vont préférer s’affirmer par d’autres moyens, en gardant une certaine loyauté.
Elle va se dévoiler par une certaine discrétion des joueuses, une ignorance des remarques sexistes :

« Bah la seule réponse, en tout cas pour moi, la seule réponse c’est de se faire discrète tout
simplement. Répondre ça sert à rien, ça entretient le troll comme on dit. » (Noémie) ; « Tu penses
que c’est le meilleur moyen d’ignorer ce genre de choses ? Oui c’est le meilleur moyen, voilà et là,
et comme j’ai dit la seule façon de le prouver c’est de le montrer, et moi j’étais la pour ça et voilà. »
(Marie) ; « Je sais pas, moi ça me passe au-dessus et puis, enfin je prends quand même la petite
part de vérité » (Annabelle).

Les joueuses préconisent une certaine ignorance de ces remarques sexistes, des idées reçues
qu’elles peuvent entendre de la part de joueuses et de joueurs. On aperçoit alors une nette
différence : si les joueuses sont fidèles au cadre investi, elles n’utilisent pas pour autant la prise de
parole comme résistance aux épreuves genrées. En effet, la prise de parole n’est possible que si les
joueuses sont fidèles au contexte vidéoludique, au groupement, ou au mode de jeu où les remarques

153 Albert O. Hirschman, Exit, Voice, Loyalty, Défection et prise de parole, 1995.
154 Lorsqu’on parle d’espace, on désigne les différents cadres dans lesquelles une joueuse investit sa pratique
vidéoludique. Cela revient à désigner ces engagements dans la pratique vidéoludique : engagement dans un mode
de jeu, dans un groupement, dans la compétition ou encore dans un rôle précis.

176
sexistes s’expriment. La loyauté de la joueuse va donc donner du poids à sa prise de parole, en
faisant notamment la menace de partir des espaces virtuels côtoyés. Cependant, les joueuses
compétitives interrogées n’utilisent pas la prise de parole, et ne la considèrent pas comme une
réponse efficace, alimentant en quelque sorte le débat autour du stéréotype de la joueuse « peu
performante » et de la « Fake Geek Girl ». A ce titre, les deux sont intrinsèquement liés, car si le
deuxième stéréotype renvoi à des joueuses qui mettent en avant leur apparence, leur « féminité », il
stipule aussi que ce type de joueuses ne sont pas performantes.

Si on revient à la différence entre les joueuses régulières de jeu vidéo en ligne, interrogées
l’année dernière, et les joueuses compétitives, contenues au minimum dans une pratique amateure,
ces deuxièmes montrent un consensus commun sur la nécessité de rester loyal aux espaces investis
et de prouver leur distance aux deux stéréotypes par d’autres moyens. L’idée est donc de faire
abstraction de ces remarques sexistes et de prouver leur légitimité en établissant des performances,
des résultats dans les compétitions hors ligne. Il faut aussi savoir qui si les joueuses expérimentent
des remarques sexistes, celles-ci sont la plupart du temps relayées au cadre virtuel de la pratique
compétitive, autrement dit l’entraînement et les parties classées pour évoluer dans les classements
internes des jeux compétitifs. Ainsi, si Marie connaît des remontrances vis-à-vis de son grade de
Master sur League of Legends, la joueuse explique que le seul moyen reste encore de prouver son
niveau de jeu en gagnant des compétitions, ou du moins en obtenant des résultats satisfaisants pour
la joueuse montrant que son grade actuel correspond bien à sa maîtrise actuelle du jeu vidéo choisi.
Noémie explique aussi que le seul moyen pour invalider ces remarques restent d’encourager les
joueuses à jouer le plus possible en compétition hors ligne et d’obtenir des résultats : c’est
notamment pour cela que la joueuse a fondé la Ligue Féminine. Il arrive néanmoins que les
pratiquantes subissent aussi ces stéréotypes dans le cadre de compétitions hors ligne, comme pour
Marie. Ce cas reste néanmoins plus rare que le sexisme vidéoludique présent dans le cadre virtuel,
notamment car l’anonymat permet d’émettre des remarques sexistes sans en subir réellement les
conséquences sociales. Le cadre physique amène donc plus de contraintes sociales, comme
l’explique notamment Christian :

« généralement tu sais que les gens vont te revoir, tu sais que t’as quand même une image
même si t’es pas joueur pro, t’as quand même une image qui va se garder et qui va tourner tout le
long de ta carrière donc t’essaie de te tenir un minimum bien envers tous le monde quoi. ».

Marie ignore les remarques sexistes proférées à son encontre dans les tournois. En effet, si la
défection restait une alternative intéressante pour les joueuses régulières, elle n’est pas aussi simple
à mettre en place dans un cadre physique. Elle ne peut donc pas se profiler et quitter directement

177
cette situation où les joueurs qui se sont affrontés se serrent la main, conventions sociales établies
dans les compétitions hors ligne, et ne peut pas non plus quitter la compétition, contenue dans une
équipe où ces coéquipiers comptent sur elle pour continuer le tournoi. Le cadre physique rend donc
la défection beaucoup plus complexe, notamment car les compétitions hors ligne détiennent des
enjeux plus importants, comme des gains financiers/matériels, mais aussi une reconnaissance plus
importante au niveau de la sphère de coopération.

La défection reste tout de même possible si la joueuse ne prend du plaisir à jouer dans un
groupement par exemple, sur un mode de jeu ou sur le jeu actuellement joué. Manon avait déjà
montré des signes de défection vis-à-vis d’une ancienne équipe semi-professionnelle où elle ne se
sentait plus à sa place, assurant un rôle qui n’était à la base pas le sien. Elle tend alors vers une
défection vis-à-vis de ce groupement, mais continue toujours son engagement dans une pratique
semi-professionnelle. La carrière vidéoludique peut donc bifurquer sur plusieurs plans, mais on
assistera rarement à un arrêt de cette carrière vidéoludique à cause d’épreuves genrées. En effet,
cette situation restait déjà rare chez les joueuses régulières de jeu vidéo, préférant alors se retirer par
le biais de stratégies d’évitement, de stratégies préventives pour limiter l’apparition d’épreuves
genrée. Marie, dans la partie virtuelle de sa pratique amateure, utilise aussi une des stratégies
préventives déjà évoquées auparavant : l’utilisation d’un pseudo non féminin. Le but est tout
simplement d’éviter que les joueurs inconnus jouant avec la joueuse ne l’identifie comme une
femme, et la ramène au stéréotype de la « Fake Geek Girl », notamment au vu de son grade de
Master dont plusieurs personnes démentent sa légitimité comme reflétant les performances de la
joueuse. Cet évitement peut aussi être rencontré dans sa pratique amateure puisque la joueuse
explique se restreindre la plupart du temps à des interactions avec les équipes qu’elle a pu former au
fil des compétitions hors ligne. Les stratégies préventives restent tout de même plus limitées que
dans le cadre virtuel d’une pratique compétitive : la joueuse ne peut pas faire défection
temporairement et revenir plus tard, elle ne peut pas forcément quitter d’un seul « clic » une
discussion où sont énoncés des remarques sexistes et blagues sexistes, tandis qu’elle doit justifier
qu’elle vaut son niveau de jeu en obtenant des résultats ou en le justifiant verbalement. La prise de
parole se fait alors lorsque la joueuse y est contrainte, ne pouvant pas faire défection au vu de son
engagement déjà important dans la compétition : Marie se justifie auprès des organisateurs du
tournoi qui croit que la joueuse vient en tant que spectatrice et non compétitrice.

Malgré tout, les joueuses, dans leurs expériences vidéoludiques, tendront plus à choisir la
simple réponse de loyauté, en ignorant les remarques sexistes qu’elles peuvent rencontrer au sein
des compétitions hors ligne. De plus, là où les remarques peuvent être virulentes en ligne, le

178
sexisme sera ici plus diffus dans ces compétitions, notamment par un langage non verbal, mais aussi
par des dynamiques de groupe où des joueurs vont juger une joueuse au loin :

« Bah par exemple, y a des gens qui sont en groupe et ils voient une fille au loin, ils vont
être entrain de juger sur le physique de la fille alors qu’elle est juste venue pour jouer en fait, elle
est pas là pour son physique, elle veut juste jouer avec des gens. Et en fait, ils vont directement
catégoriser la fille est-ce qu’elle est jolie ou non ?, oui ou non, et pas s’intéresser en fait à ce est-ce
qu’elle joue bien ou non ? » (Laurent).

Le sexisme vidéoludique peut alors être plus rare que sur Internet, mais il reste présent dans
des formes beaucoup plus sous-entendues, des jugements non-directs, faisant en quelque sorte
référence au « sexisme ambivalent » qui alterne sexisme hostile par des jugements négatifs, des
critiques directes, et sexisme bienveillant, où les joueuses sont jugées positivement toujours en
fonction de leur statut de femme, aux stéréotypes qui entourent les femmes et leur pratique
vidéoludique. Néanmoins, ces remarques peuvent être classées dans les épreuves genrées
notamment car les joueuses les identifient tout d’abord comme des remarques sexistes, mais aussi
parce qu’elles font sens dans leur parcours de joueuses : elles renvoient aux différents stéréotypes
que les joueuses essaient d’invalider au cours de leur pratique. Plus globalement, ces différentes
épreuves peuvent être désignées sous la double performance que doivent effectuer les joueuses : la
performance de genre et la performance esportive. Les épreuves genrées se déclinent donc sous
cette pression supplémentaire que les joueuses subissent, qu’elles décrivent sous le fait de devoir
prouver aux autres le fait que les femmes peuvent être performantes dans les jeux vidéo, et
notamment en compétition.

De ce côté, les ressources vidéoludiques interviennent pour renforcer la force des réponses
des joueuses, mais limitent aussi l’apparition d’épreuves genrées. La première ressource n’est autre
que le capital social possédé par les joueuses, désignant l’état des réseaux sociaux de l’individu, le
nombre de relations et l’intensité de ces relations au sein du jeu joué. Le capital social peut
s’incarner dans les soutiens dont les joueuses peuvent disposer, notamment vis-à-vis de joueurs qui
défendraient les joueuses et trancheraient les épreuves genrées en leur faveur, sans que cela soit
perçu comme du sexisme bienveillant. A ce titre, nous pouvons pas réellement vérifier si le soutien
venant de joueurs est plus efficace dans les pratiques amateures/semi-
professionnelles/professionnelles, qu’un soutien provenant d’autres joueuses. Ce constat validé
l’année dernière par l’expérience des joueuses régulières de jeu vidéo en ligne n’est
malheureusement pas visible chez les joueuses amateures et semi-professionnelles. Mais le capital
social, dans sa fonction de répondre/réduire les épreuves genrées, se retrouve plus largement dans

179
les « cercles sociaux protégés ». Derrière ce terme, on désigne des groupements relativement
fermés, réservés aux joueurs et joueuses connus et reconnus dans l’entourage de l’individu. Ces
groupements possèdent une forte régulation des entrants, et n’acceptent que des personnes
contenues dans les réseaux de relations de l’individu. Cependant, ils peuvent être présents sous
toutes les formes de groupements déjà désignées : guilde, équipe, communauté. Parmi les joueuses
interrogées, elles sont toutes présentes dans une équipe, mais peuvent aussi être engagées dans une
communauté plus large, où elles côtoient des membres de leur équipes mais aussi d’autres joueuses
et joueurs reconnus, rencontrés sur Internet et pendant les compétitions hors ligne. Le groupement
fait office de « cercle social protégé » lorsque la joueuse s’investit quasi exclusivement dedans,
coupant ainsi toute communication avec d’autres joueurs inconnus en ligne. Là où ce type de
groupement trouve une certaine efficacité dans les pratiques vidéoludiques en ligne, il dévoile ses
limites dans le cadre physique d’une pratique amateure. La joueuse est alors obligée de maintenir
une certaine communication avec d’autres personnes de la compétition, ne serait-ce que pour
respecter les conventions sociales de présentation, de respect de l’autre, de politesse. Elle peut
néanmoins limiter au maximum ces communications avec d’autres personnes inconnues, comme
pour Marie qui préfère rester avec son équipe pendant les compétitions esportives. Sa limite
provient donc du cadre physique qui impliquent une interaction, même à minima, avec les autres
individus qui sont présents à l’évènement, joueur comme organisateur, arbitre.

Dans ce cadre, le cercle social protégé n’est réellement disponible pour les joueuses que
dans le cas d’une pratique vidéoludique en ligne, ressource utilisée après avoir subi des épreuves
genrées trop fortes, amenant à bifurquer vis-à-vis des groupements. Il est aussi présent dans les
habitudes des joueuses qui n’ont pas forcément subi d’épreuves genrées régulières et puissantes, et
qui s’engage exclusivement dans une pratique tournée vers ce groupement. De plus, le cercle social
protégé n’est pas forcément ressenti comme tel puisque les joueuses doivent former une équipe et
s’investir fortement dedans pour atteindre un niveau de jeu collectif intéressant et ainsi concourir en
compétition. Enfin, la présence de joueuses dans des équipes féminines, circuit féminin comme
mixte-masculin, n’amènent pas à des épreuves genrées internes au groupement, notamment car les
joueuses se sont reconnues entre elles comme des joueuses performantes. Le cercle social protégé
n’est donc qu’une ressource vidéoludique valable dans la partie virtuelle de la pratique compétitive
des joueuses, où la constitution d’équipes n’est pas une norme comme dans les compétitions hors
ligne.

Pour finir, il faut aussi regarder du côté de la légitimité du « niveau de jeu », en soi qu’un
niveau de jeu élevé permettrait d’ignorer plus facilement les épreuves genrées, mais aussi de la

180
trancher en sa faveur avec plus d’aisance. Cet argument était avancé par Manon, joueuse semi-
professionnelle, qui expliquait sa relative ignorance vis-à-vis de remarques sexistes sur Internet
provenant de joueurs non reconnus et dont leur niveau de jeu était « inférieur » au sien. Dans l’état
actuel de l’enquête, il n’est pas réellement vérifiable comme une réelle ressource vidéoludique
puisque si les joueuses semi-professionnelles comme Annabelle et Manon expliquent se détacher
des remarques, elles gardent tout de même celles-ci comme marquants leurs parcours puisqu’elles
tentent d’invalider le stéréotype de la femme comme joueuse peu performante en obtenant des
résultats en compétition. Cela se ressent particulièrement dans les témoignages d’Annabelle et de
Marie lorsqu’elles s’expriment sur cette pression supplémentaire ressentie par l’apparition
d’épreuves genrées. On pense donc que si le niveau de jeu permet une certaine légitimité de la
joueuse, qui se prouve à elle-même son niveau de jeu par un grade, un statut particulier dans sa
carrière compétitive, il n’invalide pas ou ne réduit pas forcément les épreuves genrées.

181
Les réflexions engagées tout au long du mémoire nous permettent d’observer un certain
schéma qui limite l’entrée des joueuses dans une pratique amateure, dans la participation régulière à
des compétitions hors ligne. Il se forme par plusieurs facteurs que nous avons pu désigner dans les
différentes parties qui constituent ce document : un média à l’origine très masculine, une faible
présence de femmes dans les compétitions, un sexisme vidéoludique présent en ligne mais aussi
hors ligne, un développement à deux vitesses entre circuit mixte-masculin et circuit féminin, une
rareté des équipes mixtes ou encore une sur-visibilité des joueuses qui les avantagent mais aussi les
rendent vulnérables à une pression supplémentaire dans leur pratique. Le but ici est donc de voir les
facteurs qui influencent l’entrée des joueuses, indépendamment des éléments déjà traités qui
concernent la popularité, la médiatisation d’un jeu et le développement de sa scène compétitive, et
qui concernent les joueurs comme les joueuses. On peut entrevoir un système cyclique qui permet
de comprendre comment ces facteurs peuvent influer sur l’entrée des joueuses dans l’esport :

Derrière ce schéma, on entrevoit quatre étapes qui peuvent être décrites par des éléments
déjà mentionnés tout au long du mémoire. La première, exprimée au début du mémoire, vise à
définir le jeu vidéo comme une activité masculine. Elle fait tout simplement référence à l’origine
« masculine » du jeu vidéo comme l’évoque Stephen Kline 155, mais aussi de l’appropriation du jeu
vidéo dans son origine par les hommes, vu à la base comme une pratique masculine. On ne sous-
tend donc pas que le jeu vidéo reste une activité exclusivement « masculine » mais que celui-ci tient
155 Stephen Kline, « La fin de l'histoire et la tyrannie des algorithmes », 2007.

182
toujours à être vu comme quelque chose de « masculin » dans le sens commun, notamment parce
que les jeux contiennent une certaine forme de compétition, valeur que l’on attribue généralement à
la socialisation « masculine », aux hommes. Cet état des faits va engendrer une entrée plus tardive
des joueuses en grand nombre sur le jeu vidéo, mais aussi une entrée plus tardive en compétition par
rapport aux joueurs qui commencent généralement plus tôt, pendant l’adolescence. Ce faible
nombre de joueuses en compétition les classent alors comme groupe minoritaire, affectant
drastiquement leur pratique compétitive par une sur-visibilité qui va les avantager comme les
désavantager dans leur carrières compétitives, notamment par l’apparition de stéréotypes de genre,
d’épreuves genrées, tributaire d’un sexisme vidéoludique. C’est cette dernière étape qui renvoi ainsi
au qualificatif d’une pratique « masculine » pour le jeu vidéo. A ce titre, il faut savoir que si ce
schéma est réalisé en quatre étapes, les étapes concernant la « masculinité » du jeu vidéo et le faible
de nombre de joueuses en compétition sont conjointes : c’est le faible nombre de joueuses dans
l’esport qui va amener à garder ce qualificatif de « masculin » pour la pratique vidéoludique,
empreint de représentations sexistes sur les femmes mais aussi d’épreuves genrées qui va limiter
l’entrée des joueuses dans ce domaine. Enfin, il faut relativiser la portée de ce schéma puisque
celui-ci n’a pour but que de représenter visuellement quelques facteurs importants que nous avons
énoncé tout au long de cette recherche. Il n’est donc pas complet dans sa représentation, désignant
surtout des grandes étapes, en laissant de côté les différents éléments déjà énoncés qui vont influer
l’entrée des joueuses dans la compétition, et dont une représentation visuelle par un système
cyclique serait trop complexe à réaliser. Cette représentation visuelle permet tout de même de
percevoir les facteurs qui pourraient être étudiés en profondeur pour contrer l’entrée limitée des
joueuses, pour promouvoir une forme de mixité en intégrant plus de joueuses dans l’esport. De
notre côté, on peut émettre quelques outils et actions qui permettraient d’améliorer la mixité dans
l’esport.

183
5.3 Des leviers d’actions pour une mixité dans l’esport

La mixité dans l’esport est une question majeure dans les débats qui peuvent se faire autour
de l’esport. Les joueuses et joueurs étaient amenés à répondre sur les moyens possibles pour réduire
le sexisme vidéoludique, pour inviter plus de joueuses à se lancer dans l’aventure esportive. Le
premier moyen nommé par une grande partie des joueurs est l’émergence « d’ambassadeurs », de
« rôles-modèles » qui vont soutenir le développement de l’esport en France, mais aussi promouvoir
la mixité : « on a une joueuse qui est Kayane et qui justement, elle permet de montrer que tu peux
être une fille et on peut être compétiteuse quoi. » (Madi). Nommé sous le terme d’acteurs clés pour
notre part, les joueurs les désignent en tant qu’individus reconnus dans le monde de l’esport, qui ont
participé et qui participe encore à développer la pratique esportive en France. Il faut alors soutenir
ces acteurs dans leurs actions, homme comme femme, qui participe au développement de l’esport,
mais aussi à la mixité par leurs actions. Laurent va désigner à ce titre Kayane comme « rôle-
modèle » pour les femmes et joueuses qui voudraient se lancer dans la compétition en France. Le
but est de permettre à des jeunes femmes de s’identifier au parcours des « rôles-modèles » féminins,
reconnus dans la scène compétitive choisie, mais aussi dans l’esport, cette popularité pouvant même
s’extérioriser en dehors du cadre esportif.

Cette émergence de « rôles-modèles » peut se trouver dans les compétitions et circuits


féminins. Le but ici est de promouvoir ces compétitions et ligues féminines pour donner de la
visibilité aux joueuses, inciter les compétitrices à s’investir dans une pratique amateure, pour
possiblement s’investir dans une pratique semi-professionnelle/professionnelle si des opportunités
se présentent pour elles. Dans le cas d’Annabelle et de Manon, joueuses de Counter-Strike, l’intérêt
est de disposer d’un circuit féminin qui soit constitué d’une diversité de compétitions hors ligne,
dont Annabelle déplore la disparition progressive. Il faudrait alors créer et soutenir des actions qui
viendraient augmenter les moyens (financiers, humains notamment) mis à disposition de ce circuit
féminin, pour former de nouvelles LAN, pour investir dans des cash price plus importants qui
permettraient aux joueuses d’être rémunérées dans leur pratique. Bien entendu, l’investissement
seul sur des cash price plus importants n’est pas une solution viable si les moyens financiers et
humains supplémentaires ne sont pas mis à disposition pour augmenter les opportunités des
joueuses vers des carrières professionnelles dans l’esport, leur permettant de jouer à plein temps.
Pour les deux enquêtées, ces efforts doivent être menés pour rattraper le retard des joueuses en

184
terme de niveau de jeu par rapport aux joueurs professionnels et ainsi pouvoir les affronter à niveau
égal dans la scène mixte-masculine. Le but est donc de décloisonner les pratiquantes d’un circuit
féminin moins développé et leur permettre de participer à la scène mixte. Le développement de
ligues féminines dans les autres jeux doit donc se faire dans cet objectif de mixité dans la scène
mixte, sous peine de créer une scène féminine comme pour Counter-Strike où les joueuses semi-
professionnelles ont peu d’opportunités pour développer une carrière réellement professionnelle. On
peut à ce titre reprendre le schéma présenté lors de la conférence introductive de la rencontre
« Esport & Mixité » organisée par Women In Games, France Esports et Paris & Co :

Ce schéma reprend les points présentés sous formes d’étapes, dont le but est l’engagement
de nouvelles compétitrices. Ainsi, l’émergence de talents féminins pourra être augmenté si les
ligues féminines dans la scène amateure viennent à se développer, permettant aux joueuses de
commencer les compétitions hors ligne dans un cadre plus sécurisé, où les épreuves genrées ne sont
pas ou peu présentes. L’idée est donc de donner toutes les conditions pour favoriser l’émergence
d’une pratique féminine dans l’esport. Noémie va encourager ce point de vue en fondant la Ligue
Féminine sur League of Legends, dans une finalité de donner de la visibilité aux joueuses, de les
inciter à jouer en compétition, de montrer que les joueuses peuvent être performantes en condition
de LAN. On peut aussi noter la présence du festival « Girl Gamer Festival » qui allie compétitions
entre joueuses compétitives et conférences sur l’esport et la mixité. Si on revient aux compétitions
hors ligne féminines, elles permettront aux joueuses de continuer pour s’intégrer dans les scènes

185
mixtes, dans des équipes mixtes qui sont pour l’instant une exception, et qui deviennent de plus en
plus rares lorsqu’on passe des pratiques amateures aux pratiques professionnelles. Marie place ainsi
ses espoirs dans la Ligue Féminine, soucieuse de voir l’image des joueuses compétitives de League
of Legends s’améliorer en montrant le niveau qu’elle détient en compétition féminine. A ce titre, les
joueuses soutiennent l’intégration des joueuses dans des compétitions féminines, tout en émettant
certaines conditions à l’inscription. En effet, elles pensent que la participation à une compétition
féminine sous restriction de participer à la compétition mixte permettrait d’éviter l’apparition d’un
circuit féminin, de décloisonner celui de Counter-Strike, et ainsi faire la transition entre
participation à des compétitions féminines et participation à des compétitions mixtes. Certains
joueurs soulignent notamment l’EVO féminin comme une tentative intéressante puisque ce tournoi
demandait aux joueuses voulant y participer de s’inscrire au tournoi mixte, dans une volonté de
rendre visible les joueuses de Street Fighter, mais aussi de les inciter à s’intégrer dans un tournoi
mixte important, l’EVO étant souvent considéré comme le « Major » du circuit Capcom Pro Tour,
aux côtés de la Capcom Cup. De plus, le soutien aux équipes mixtes est aussi mentionné par les
enquêtés qui nomment quelques équipes mixtes et expliquent l’importance de développer ce type de
groupement pour permettre la mixité au sein de l’esport, et ne pas se retrouver dans un schéma
d’équipes féminines contre équipes masculines au sein de la scène mixte. Enfin, on peut aussi noter
l’importance de développer et d’encourager les associations et organisations qui promouvent la
mixité dans l’esport, comme « Gamer’Her » et « Women In Games ». Ces associations vont
notamment se regrouper pour se concerter autour de cette question, comme « Women In Games
France » et différentes associations européennes qui se sont concertées le 1 er mars 2018 à l’occasion
du « Global Esport Forum » à Katowice afin d’émettre ensemble des suggestions pour lutter contre
la sous-représentation des femmes dans l’esport156.

Les leviers d’actions présentés permettent d’entrevoir une partie de l’éventail des possibles
pour favoriser la mixité dans l’esport, pour intégrer les joueuses compétitives dans l’esport. Ils sont
aussi un moyen d’observer et de décrire la présence d’acteurs, d’organisations qui portent la
question de la mixité à cœur, et la connaissance que peuvent avoir les joueuses comme les joueurs
compétitifs en France. Bien entendu, ces actions doivent être adaptées au contexte dans lequel elles
peuvent s’opérer : développer la mixité dans les jeux de combat ne relèvera pas des mêmes actions
que le développement d’une mixité dans la scène compétitive de Counter-Strike. De même, ces
démarches seront d’autant plus efficaces que si la question de la mixité est traitée dans toutes les
sphères du jeu vidéo : pratique vidéoludique, représentations dans le jeu vidéo, dans les médias

156 Vous pouvez retrouver le document publié en anglais suite à cette réunion en Annexe 4.

186
spécialisés, dans l’industrie vidéoludique avec l’encouragement des femmes à s’investir dans le jeu
vidéo, notamment dans sa création. La mixité dans l’esport est donc dépendante de la mixité dans le
monde social du jeu vidéo, lui-même rattaché aux normes et valeurs sociales dominantes dans nos
sociétés occidentales.

187
6. Vers une reconnaissance des joueuses et joueurs compétitifs en
France ?

L’esport en France est un domaine en plein expansion, dont les joueurs et joueuses vantent
les mérites d’un développement actuel et futur toujours plus important. On stipulait néanmoins au
départ une différence de reconnaissance entre joueuses et joueurs compétitifs qui se déroulerait par
le genre. La reconnaissance prend alors des formes diverses : une reconnaissance par l’affection,
une reconnaissance vis-à-vis des efforts fournis dans la pratique compétitive, une reconnaissance
vis-à-vis du statut du joueur par le biais des institutions françaises, mais aussi par les structures
esportives. Là où les deux premières sphères sont en générales complètes pour l’ensemble des
joueuses et joueurs compétitifs, le statut du joueur compétitif professionnel reste encore une
question sous-traitée, où les lois récentes parviennent tout juste à considérer l’importance de
l’esport en France, en donnant un cadre légal aux compétitions esportives et au statut du joueur
professionnel. Les joueuses et joueurs comblent ce manque de reconnaissance par leur intégration
dans des structures esportives, qui les rémunèrent à juste titre en fonction des moyens possédés par
ces organisations. Les pratiquants tirent alors des objectifs, des figures idéales, comme le « bon »
joueur professionnel, pour atteindre une performance qui les satisfassent. Ils ont à disposition le
soutien, l’encouragement des joueurs rencontrés au fil des aventures virtuelles mais aussi des
compétitions hors ligne, dont certains deviennent des amis. Certains peuvent aussi compter sur un
entourage familial qui les motivent pour continuer une carrière compétitive, voir qui les supportent
en regardant les compétitions du joueur. Cependant, le jeu vidéo comme pratique discréditable reste
encore un phénomène fort au sein des familles françaises, notamment lorsque la pratique devient
plus intense, plus régulière. Se traîne alors la question des responsabilités sociales et de l’utilité
d’une pratique si « chronophage ». Le changement de vision de l’entourage familial s’opère lorsque
le joueur montre une utilité réelle à sa pratique, en ramenant des gains financiers/matériels, des
opportunités pour être rémunéré dans cette activité, ou tout simplement la formation de nouvelles
relations sociales, montrant alors que le jeu vidéo n’est pas l’apanage de l’isolement social. Tous
n’ont pas cette possibilité d’obtenir des opportunités professionnelles pour investir une pratique
semi-professionnelle/professionnelle, dont la cause est directement à rechercher dans le
développement de la scène compétitive du ou des jeux choisis. On voit à ce titre des différences
notables entre les jeux compétitifs des enquêtés, notamment sur le plan de la popularité du jeu chez

188
la population des joueurs et la médiatisation de la scène compétitive. Un joueur professionnel de
Street Fighter 5 n’est donc pas comparable à un joueur professionnel de Counter-Strike, les deux
scènes n’ayant pas eu le même développement dans l’esport. On perçoit ainsi des « piliers » de
l’esport, des jeux compétitifs qui ont marqué l’esport en offrant de nouvelles perspectives de jouer
en compétition, de nouvelles façons de créer du spectacle autour des performances extraordinaires
que joueuses et joueurs peuvent exécuter pendant les compétitions hors ligne. Les enquêtés
désignent à ce titre un intérêt pour les « Majors », grandes compétitions hors ligne dressées en tant
qu’instances légitimes, où se regroupent un grand nombre de joueurs, un niveau de jeu élevé et un
grand nombre de spectateurs prêt à supporter les équipes, à réagir aux matchs qui se déroulent
devant leurs yeux, qu’ils soient à l’évènement ou chez eux à regarder en direct. L’esport rejoint le
sport sous plusieurs aspects, regroupant des acteurs aux fonctions similaires, une certaine mise en
scène, un « entertainment » visant à rendre les compétitions attractives

Mais l’esport rejoint aussi le sport sur d’autres aspects plus « malheureux », comme la
question de la mixité. A ce titre, on ne peut émettre que la réponse d’une reconnaissance bien
différente entre joueuse et joueur compétitif en France. Les joueuses, présentes dans les pratiques
vidéoludiques, sont très peu visibles au sein des scènes compétitives. L’explication ne se trouve pas
dans un attrait moins important pour la compétition mais plutôt dans les stéréotypes de genre et le
sexisme qui recouvre le jeu vidéo. L’origine masculine du jeu vidéo persiste dans les pratiques
vidéoludiques, limitant les joueuses dans leur épanouissement au travers d’une pratique
vidéoludique. Le plaisir de jouer reste certes, mais il est inclut dans des espaces cloisonnés où
celles-ci sécurisent les accès en s’ostracisant par plusieurs moyens en ligne : pseudo non féminin,
arrêt des communications dans les canaux publics, communication à l’écrit. Dans le cadre physique
des compétitions hors ligne, beaucoup de ces stratégies préventives ne sont plus valables. Ces
femmes prônent alors une ignorance face aux remarques sexistes, restant loyal aux espaces investis.
Elles restent néanmoins marquée par ces situations et le mentionnent à maintes reprises sous les
stéréotypes de genre de la femme « peu performante » dans les jeux vidéo, de la « Fake Geek Girl »,
femme « faussement » intéressée par le jeu vidéo, qui ne cherche que l’attention des joueurs pour
obtenir des récompenses dans le jeu joué. Le résultat s’en fait sentir : on perçoit une entrée limitée
des joueuses en compétition, qui peuvent craindre de retrouver un sexisme vidéoludique dans ce
cadre physique. Ces stéréotypes sont tellement puissants que les joueuses les intériorisent au sein de
leur pratique et de leurs agissements. S’ensuit alors une peur de ne pas être légitime, causant une
réversibilité entre accueil de nouvelles joueuses et contrôle de ces joueuses qui pourraient
décrédibiliser la légitimité durement acquise par ces pratiquantes. Elles partent avec une pression

189
supplémentaire en compétition : outre le fait de montrer son niveau de jeu par les performances, les
joueuses intègrent cette pression de devoir montrer aux autres que les femmes peuvent être
compétitrices, peuvent être performantes dans le jeu vidéo. C’est notamment cette pression qui peut
amener certaines joueuses à dénoncer d’autres joueuses comme non légitimes, à minimiser leurs
performances en arborant des discours « négatifs » sur leur pratiques et leurs performances. Cette
différence de reconnaissance se poursuit aussi dans le développement de la pratique compétitive
« féminine ». Les joueuses, peu présentes, font face à une « sur-visibilité » au sein des scènes
compétitives. Du côté positif, cette sur-visibilité leur permet d’obtenir nouvelles opportunités,
comme des contrats avec des sponsors et des structures esportives qui visent à promouvoir la
joueuse. Du côté négatif, cette sur-visibilité entraîne l’apparition de remarques sexistes car la
joueuse, dans son statut de femme, reste concentrée dans un groupe minoritaire sujet aux
stéréotypes. Ces stéréotypes peuvent aussi se profiler chez les sponsors qui recherchent chez les
joueuses une femme « féminine » dans un milieu masculin, non forcément intéressé par ces
performances mais plutôt par sa valeur en tant « qu’objet marketing » représentant la marque. Elles
peuvent choisir de s’affirmer en tant que compétitrice dans un circuit mixte où les équipes mixtes
sont encore l’exception, ou dans un circuit féminin, si celui-ci est disponible, moins visible que le
circuit mixte-masculin, rendant difficile la vue d’une pratique professionnelle permettant aux
pratiquantes de vivre de cette activité. On observe alors plus fortement chez les joueuses une
alternance entre pratique compétitive amateure/semi-professionnelle et leur métier pour subvenir à
leurs besoins. A ce titre, aucune différence n’est réellement perceptible entre les joueuses et les
joueurs. Si les joueurs ne subissent pas le sexisme vidéoludique, ils sont conscients des difficultés
pour intégrer les joueuses dans l’esport, et de les maintenir au sein de cet espace sans qu’elles soient
prises pour cible par des épreuves genrées. Les joueuses, plus ou moins conscientes de ces
difficultés, justifient alors leur pratique par l’amour de la compétition, le plaisir de joueur,
l’ambiance unique des compétitions de jeu vidéo. Elles évoluent tout de même dans un domaine
encore fortement masculin, où elles peinent à s’intégrer, et où celles qui sont intégrées font face à
un sexisme vidéoludique, à des épreuves genrées complexifiant leur pratique compétitive et la
reconnaissance qu’elles peuvent en retirer.

190
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Conférences

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Paris, 7 juillet 2018.

-Rencontre « Esport & Mixité », Table-ronde de joueuses professionnelles, Paris, 7 juillet 2018.

194
Annexe

Annexe 1 : Glossaire

ADC : Un ADC ou Attack Damage Carry est un personnage infligeant des dégâts physiques,
comptant principalement sur ses auto-attaques pour effectuer des dégâts. Considéré comme le
personnage le plus fort en termes de dégâts à la fin d’une partie, celui-ci se retrouve avec un
personnage support à ses côtés pour l’aider à augmenter sa puissance au fil de la partie.

Battle Royale : Le Battle Royale est un genre de jeu vidéo mêlant jeu de survie et jeu de tir à travers
un système de jeu de jeu basé sur la mécanique du dernier survivant, c’est-à-dire que le but est
d’être le dernier survivant. Les jeux « battle royale » propose le plus souvent des environnements
assez vastes pour regrouper une centaine de joueurs, qui s’arme pour se défendre et tenter d’être le
dernier survivant, tout en se dirigeant de zone en zone, l’environnement de jeu se réduisant au fil de
la partie.

Esport : L’esport ou sport électronique désigne la pratique sportive du jeu vidéo à un stade de
compétition élevé, où les joueurs vont notamment se réunir pour participer à des tournois. Le sport
électronique à haut niveau est souvent financé par des sponsors et on y voit une structure semblable
aux sports traditionnels : des sponsors, une grande médiatisation des joueurs, des commentateurs et
un public qui va regarder les matchs des équipes qui s’affrontent.

DPS : DPS ou Damage Per Second (dommage par seconde) est un acronyme qui correspond à
différentes classes où l'objectif est de maximiser les dégâts, de faire le plus de dégâts possible.

Geek : Un geek est généralement défini comme une personne passionnée par un ou plusieurs
domaines précis, plus souvent utilisé pour les domaines liés aux « cultures de l'imaginaire »
(cinéma, bande dessinée, les jeux vidéo, etc.) ou encore aux sciences, à la technologie et
l'informatique.

FPS : Un FPS (First-Person Shooter) est un jeu de tir à la première personne, le joueur voyant
l'action à travers les yeux du personnage. Dans les jeux de tir récents et particulièrement joué, on
peut citer Counter Strike : Global Offensive, mais aussi Battlefield et Call of Duty qui nous mettent
dans des contextes de guerre récentes, futuristes, ou dans des grandes batailles provenant de
plusieurs guerres historiques.

195
Guilde : Une guilde est un groupement structuré par des rangs plus ou moins hiérarchisés, des rôles
plus ou moins précis qui amène une division du travail, ainsi qu'un chef commun qui a le plus
souvent créé la guilde. Les guildes sont un des types de groupement caractéristique des MMORPG.

LAN : Une LAN est initialement un réseau local, un « Local Area Network », réseau informatique
reliant plusieurs ordinateurs qui peuvent s’envoyer des données, partager des informations sans
utiliser d’accès à Internet. Ce terme est habituellement utilisé par les joueurs pour désigner des
évènements compétitifs où des joueurs se regroupent avec leur matériel (ordinateur, consoles,
périphériques, etc.) pour s’affronter directement en reliant les dits supports, que nous désignons par
le terme de compétitions hors lignes, d’évènements esportifs. Il désigne aussi une certaine histoire
de l’esport en France où plusieurs LAN se sont organisés autour de jeux maintenant phares dans
l’esport, comme par exemple Counter-Strike.

Sandbox : Sandbox ou « bac à sable » en français est un terme qui représente un certain type de jeu
vidéo. Ces jeux sont caractérisés par une notion de liberté, où le joueur peut construire et modeler le
monde qui se présente à lui avec beaucoup de liberté. Minecraft, jeu le plus connu dans ce genre,
permet notamment au joueur de collecter un grand nombre de ressources et de construire des
structures, des objets, des bâtiments selon son envie, le jeu ne posant pas d’objectifs prédéterminés
au joueur.

Stuff : Terme anglais désignant les équipements que peut posséder un joueur.

McM : le Monde contre Monde est une instance où les territoires conquis changent souvent de
propriétaire et où les batailles pour prendre du territoire ne cessent de se perpétuer. Dans le cas de
Guild Wars 2, on voit notamment trois camps qui s’attaquent en permanence pour la conquête des
différentes structures présents dans l’environnement de jeu, et dont le but principal est de conquérir
tout le territoire proposé par le jeu.

Mid : Le terme « mid » renvoi à une position spécifique dans les MOBA qui n’est autre que la ligne
du milieu. En effet, les jeux étant divisés en plusieurs lignes d’actions, on attribue généralement le
Mid à un rôle spécifique et à des champions spécifiques. Le mid désigne dans notre utilisation du
terme le joueur qui va se concentrer sur cette voie du milieu, en incarnant des personnages
recommandés, dont notamment des mages pour League of Legends.

Mod : Un « mod » est une modification du jeu original, ajoutant de nouvelles fonctionnalités. On
aperçoit des mods à des degrés divers : on peut penser au mod qui ajoute des informations au
joueur, à des mods qui change radicalement le jeu, comme c'est le cas pour le mod DayZ, tiré du jeu

196
Arma II (une simulation militaire) et qui place les joueurs dans un monde post-apocalyptique rempli
de zombies et de joueurs hostiles.

MMORPG : Un MMORPG (Massively Multiplayer Online Role-Playing Game) est un jeu de rôle
en ligne massivement multijoueur, un type de jeu vidéo associant le jeu de rôle et le jeu en ligne
massivement multijoueur. C'est donc un jeu en ligne qui permet à un grand nombre de personnes
d'interagir simultanément dans un monde virtuel, le joueur étant représenté par un avatar qu'il crée
et fait progresser dans un monde virtuel inspiré du fantastique, de la science-fiction ou d'autres
univers fictif.

MOBA : Un MOBA (Multiplayer Online Battle Arena) est un genre de jeu où les joueurs
s'affrontent dans une arène. C'est un genre qui se joue essentiellement en multijoueur, généralement
avec deux équipes de cinq joueurs, l'objectif pour chaque équipe étant de détruire la structure
principale de l'équipe adverse, tout cela à l'aide des personnages contrôlés par chaque joueur et avec
l'aide des unités contrôlées par l'ordinateur. On le désigne aussi par l'acronyme A-RTS (Action Real
Time Strategy).

Role-play : Le role-play est une pratique originaire des jeux de rôle sur table, où chaque joueur est
dans un jeu d’acteur, incarnant leur personnage. Dans les jeux vidéo en ligne et notamment les
MMORPG, le joueur va aussi créer une histoire pour son personnage, et l’incarner en jouant tel un
acteur de théâtre, c’est-à-dire en imitant son personnage et en s’exprimant dans un langage
spécifique aux volontés du joueur. Le but n’est plus alors d’améliorer son personnage mais plutôt de
parfaire son histoire en l’incarnant.

Skin : Les « skins » (signifiant peau en anglais) sont des apparences d’un personnage que le joueur
peut utiliser pour personnaliser l’avatar qu’il souhaite. On parle souvent de skins pour des
personnages préconçus que l’on peut modifier. Dans League of Legends, les skins sont notamment
disponible à l’achat avec de l’argent réel (transformé en une monnaie virtuelle bien spécifique
nommé les RP, « Riots Points ») et peuvent permettre de se démarquer des autres joueurs qui
auraient l’apparence par défaut du personnage. On voit donc qu’ils n’ont qu’un but cosmétique et
esthétique.

Speedrun : Le « speedrun » est une pratique dont le but est d’atteindre le plus rapidement possible
un objectif donné, le plus souvent terminer le jeu. Il s’agit donc de jeux hors ligne que les joueurs
vont tenter de finir en respectant certains critères, et vont passer plusieurs journées pour maîtriser le
jeu dans ces moindre recoins. Le Speedrun fait place à plusieurs records que les joueurs vont

197
essayer de battre pour être ainsi la personne qui finit le plus rapidement un jeu donné selon certaines
conditions.

Streaming : Le streaming est un principe utilisé principalement pour l'envoi de contenu en « direct »
(ou en léger différé). Il permet notamment à un joueur de diffuser en direct ces parties sur des
plateformes de streaming dont la plus connue est Twitch, dédiée aux streams sur les jeux vidéo.

Support : Le support est un rôle qui se jouent en coordination avec l’ADC. La fonction de support,
le plus souvent présent sur la ligne du bas avec son ADC, est de l’accompagner pour l’aider dans
ces combats, pour l’aider à prendre l’avantage sur sa ligne, dans les combats. Le support est souvent
relié au rôle de soigneur dans l’équipe, de celui qui va investir son personnage et la partie dans le
but d’aider ces coéquipiers à prendre l’avantage.

Tank : Le tank désigne une catégorie de personnage spécialisée dans le combat de mêlée (guerre,
paladin, fantassin, barbare). Il est destiné à protéger ses compagnons d’armes en encaissant les
coups à leur place, tout cela grâce à son nombre élevé de points de vie ou son armure lourde. Dans
cette deuxième spécialité qui recouvre les joueuses interrogées, l’individu va prendre « l’aggro »,
c’est-à-dire attirer les monstres pour qu’ils s’attaquent en priorité au tank et non aux alliés aux
points de vie plus faible.

Top : Le Top désigne la ligne du haut dans les MOBA. Seul sur sa ligne, le joueur va le plus souvent
jouer des personnages résistants, appelés sous le terme de « tank », et va évoluer sur cette ligne en
essayant de prendre le dessus sur son adversaire. Là aussi, le terme de top est utilisé dans cette
recherche pour désigner l’investissement du joueur sur cette ligne, sur les connaissances à avoir
pour être efficace, les personnages à maîtriser, dont la plupart sont rangés sous le terme de « tank ».

Versus Fighting : Un Versus Fighting est un jeu de combat opposant un nombre limité de
personnages, le plus souvent limité à deux, durant un match avec un temps défini ou non par le
joueur et qui est divisé en plusieurs rounds (le plus souvent deux). On peut le définir par le fait que
les personnages se trouvent le plus souvent en face-à-face, les joueurs devant toucher l'autre à l'aide
d'un panel de coups pour faire baisser la barre de vie de son adversaire et le mettre K.O lorsque
l'adversaire n'a plus de vie. On peut donner comme exemple la série des Street Fighter, Tekken ou
encore la série des King of Fighter, trois licences reconnues par les joueurs et régulièrement jouées
dans les tournois.

Viewer : Un viewer est le terme général pour désigner un individu regardant du contenu vidéo par le
biais de streams en direct, sur des plateformes de diffusions comme Twitch. C’est donc le terme

198
commun pour désigner le spectateur qui regarde les parties en direct des streameurs, mais aussi les
compétitions hors ligne qui sont visibles sur ces mêmes plateformes.

199
Annexe 2 : Profil sociologique des enquêtés

Caractéristiques sociales
Sexe Age Diplôme Situation professionnelle
Annabelle F 27 Bac+5 Contrôleur de gestion
Alexis H 23 Bac+3 Développeur

Quentin H 22 Bac
Laurent H 21 Bac+2 En formation / Bibliothécaire

Christian H 23 CAP Joueur professionnel

Madi H 26 Bac+5 Juriste


Noémie F 21 Bac+3
Marie F 25 CAP Restauration

Les enquêtés étaient questionnés sur trois questions : leur âge, leur diplôme en cours ou
dernier diplôme, leur profession ou dernière profession. Le seul enquêté actuellement en formation
n’est autre que Laurent qui continue vers une Licence 3, et qui alterne entre une pratique semi-
professionnelle, ses études et son job étudiant de bibliothécaire. Quentin de son côté, rentre
prochainement en formation, ce qui rend compréhensible son discours alternant entre volonté de
rester dans une pratique aussi intensive, et de possiblement rentrer dans une pratique semi-
professionnelle par l’intégration dans une structure esportive, et son désir de réduire sa pratique
pour accepter sa formation qui lui permettrait d’avoir une sécurité si sa pratique compétitive ne lui
permet pas de subvenir à ces besoins. Si l’on revient aux caractéristiques sociales, le diplôme
n’intervient pas en tant que variable pouvant expliquer une différence dans les discours des
enquêtés, où une différence dans leur avancée concernant leur carrière compétitive. De même, l’âge
n’intervient pas dans la formulation des discours, dans des prises de position différentes, ou dans un
statut différent dans la pratique compétitive. Ces trois caractéristiques viennent donc surtout
présenter le profil des enquêtés plus que montrer des différences qui s’expliqueraient par ces
variables.

200
Caractéristiques sur la pratique vidéoludique
Jeu joué Support de jeu Temps de jeu (par jour)
Annabelle Counter-Strike PC 4 à 5 heures
Alexis Street Fighter 5 PS4 2 à 3 heures / 5 heures
Guilty Gear,
Quentin Street Fighter 5 PS4 et PC 6 à 8 heures
Laurent Street Fighter 5 PC 2 heures
Street Fighter 5,
Christian Dragon Ball FighterZ PS4 3 heures
Dragon Ball FighterZ,
Madi Blazblue Cross Tag PS4 1 à 3 heures
Noémie League of Legends PC 5 à 6 heures
Marie League of Legends PC 8 heures maxi

Ce deuxième tableau vient décrire le profil vidéoludique des joueurs, déclinés sous trois
points : les jeux joués, les supports utilisés et le temps de jeu. Là où le support tient d’information
indicative, le temps de jeu permet de voir que l’investissement n’est pas le même chez les enquêtés.
La comparaison entre les joueuses et les joueurs ne mènent pas réellement à de constats
intéressants, tandis que l’on remarque que les enquêtés contenus dans une pratique amateure jouent
potentiellement plus. Cependant, cela ne s’explique pas par le statut détenu dans leur pratique
compétitive, mais plus par leur temps disponible face au métier qu’ils peuvent exercer. Si Madi est
un des enquêtés qui jouent le moins, possédant peu de temps avec sa carrière en tant que juriste,
Marie et Quentin sont les deux pratiquants investissant le temps le plus grand dans la pratique
vidéoludique. La première travaille dans la restauration, lui permettant de jouer la journée, tandis
que le second ne travaille pas au moment de l’entretien, disposant d’un temps assez grand pour
jouer à une diversité de jeux. De même, là où on entrevoit un jeu compétitif unique pour les
joueuses, les joueurs tendent à jouer à une multiplicité de jeux. Cependant, cette différence ne
s’explique pas par la caractéristique du sexe mais simplement par le genre de jeu, les joueurs étant
tous des joueurs de jeu de combat. Ce genre de jeu montre ainsi, chez ces joueurs mais aussi
généralement dans la scène compétitive du Versus Fighting, des pratiquants compétitifs aux jeux
diverses, cumulant le plus souvent un jeu « principal » et un « side game », un jeu secondaire.

201
Annexe 3 : Cartographie des jeux compétitifs rencontrés en compétition

202
Annexe 4 : Document du rendez-vous du 1er mars 2018 à Katowice concernant
la sous-représentation des femmes dans l’esport157

Post Workshop Draft 10 March 2018.

GLOBAL ESPORTS FORUM, Unleashing the Next Billion Esports Fans


MARCH 1, 2018 Katowice
Invite Only Expert Session (from 09am to 04pm):
Experts Discussion/ Workshop: Increasing female interest and participation
in tech, gaming and esports careers

Workshop Recommendations on Women in Esports for Intel/ESL and other


market leaders reading this paper.

Contents
1. Executive Summary – Pages 2-3
2. A Discussion Paper to summarise and address the underrepresentation
of women in all aspects of esports. – Pages 4-9
3. Workshop origins and delegates – Page 10-11

157 Les titres sont rayés à cause du transfert du fichier en un autre format et non parce qu’ils ne sont plus d’actualité.

203
Women in Esports Katowice Workshop Recommendations for Intel/ESL and
other market leaders reading this paper.

1. Executive Summary

1.1 Women’s esports needs to be seen as a “product” in its own right and not a by-product or add-
on, or proving ground for the existing male dominated industry which has grown up with the
majority of attention paid to the men’s game. This is not a segregation of men and women’s
esports, as girls at school being directed by teachers and those women who want and choose to
compete with men, should be encouraged to play in an open environment. This is a short term
expedient to grow significantly the esports global audience.
1.2 Intel/ ESL and other market leaders are encouraged to make board level appointments in North
America, Europe and Asia Pacific to take responsibility for developing the women’s esports
product. “ Product Directors”
1.3 Product Directors responsible for the women’s esports product should be set and agree targets
to decrease the “gender awareness gap” and the “gender turn-off” gap on a county by country
basis and given sufficient resources to achieve the targets.
1.4 Data and analytics needs to be defined and built in to tournament software to capture and track
gender statistics objectively over time and measure progress in all areas like sign ups and
tournament results.
1.5 Women’s esports Product Directors should be asked to work closely with organisations like
Anykey but crucially will be able to take part in and intervene in daily management actions in
Intel/ ESL and other market leaders to bring more focus to the needs of their Product.
1.6 Anykey is a well-respected, advisory Center of Excellence and it budget should be protected.
1.7 A significant investment in marketing to reach the non-core audience is needed to promote the
spectacle and successes of the small numbers of women in esports and demonstrate that
esports is for women as well as men.
1.8 Linked to the need for promotional opportunities, there is a need to increase significantly the
number of women only tournaments and leagues which will grow both the audience and player
base and give more opportunities to develop women staff in areas like desk host, analyst,
shoutcasters and off stage roles.
1.9 Product Directors should be asked to lead the search for incremental non endemic and endemic
sponsors keen to reach the untapped marketing budgets targeting the female esports
demographic.

204
.

1.10 Additional tournaments, sponsorship and prize money and direct discussions with existing
orgs will encourage existing orgs to add and nurture women’s teams to their roster. It will also
indirectly inspire and promote the birth of new women’s teams.
1.11 Direct and co-investment should be considered is schools, universities and esports
academies to promote the birth of new women’s teams.
1.12 Intel/ ESL and other market leaders are encouraged to work with existing women’s groups
and national grass roots organisations to build networks and communities fit for a grass roots
esports demographic with information and resource for parents, young women and allies to
foster the growth of women’s esports.

205
2. Women in Esports – A Discussion Paper to summarise and address
the underrepresentation of women in all aspects of esports.
2.0 Introduction
The esports industry is male dominated. The number of women working in any role in esports or
playing esports is estimated to be about 5% or 1 in 20.
Steph “missharvey” Harvey is one of the most successful gamers in the world. She says that the
number of women in e-sports is as low as 5% and the main reason is the stereotype attached to
gamers. "It's still a 'boy's club' so as a woman you're automatically judged for being different. The
way I get harassed is about what they would do to my body, about why I don't deserve to be there
because I use my sexuality - it's all extremely graphic." BBC Technology News 21 Nov 2016.
Women in Games WIGJ seeks to use its experience in promoting gender diversity in video, online
and mobile games to help encourage more diversity in esports.
Many professionals in the esports industry understand that encouraging more women to participate
in the industry, both on stage and behind the scenes, is critical for the commercial success of the
industry as well as promoting a socially responsible sector. However, there is little or no information
available, or readily accessible on how to do this. This paper seeks to redress this lack of information
with a summary of the issues with suggestions to encourage all those interested to read, understand
and implement.
2.1 Market Research - Awareness Gap
Market Research from YouGov, entitled Just a game? published in September 2017 researched
esports in 6 territories. In the UK, across all age groups, 52% of men and 77% of women are unaware
of esports. In the core 18-24 age group the lack of awareness was 19% of men and 52% of women.
The “awareness gap” between genders creates a self-fulfilling prophecy that allows some men in
esports to say that women are not interested in esports. In addition to creating awareness for
esports amongst all households, the marketing of esports needs also to target actively the potential
female audience which includes 77% of all women in the UK and over half of the core 18-24 age
group.
2.2 Market Research - Less Attractive Product (Turnoff Gap)
The same research from YouGov, published in September 2017, reveals the turnoff gap between
genders. For all ages in the UK, the proportion of the population who are aware of esports, i.e. have
watched esports at least once and are not interested in watching esports in the future is 24% for

206
men and 76% for women. 3 times more women than men are turned off by the offering of the
esports industry. These are lost customers that may be attracted at a later date. However, the
esports product needs to be developed to decrease this gender turnoff gap. One way of bringing
some focus to the offering to women would be to treat women is esports as a separate, additional
product to complement the existing open esports product.

2.3 Visibility of Women

There is little data on the number of women relative to men attending esports tournaments or
playing or working in esports. But a Google Image search will confirm the high visibility of teenage
boys and young men. We know from video games and other sectors that women need to see
themselves in jobs to want to be in these jobs. Women are unlikely to be inspired by men or
celebrities. With few exceptions, the lack of visibility of the existing women in esports compounds
the unattractiveness of esports to women.

2.4 Open tournaments and leagues and women only leagues

There is a belief amongst many men and some women in the industry that open competitions are
good for women in esports. On the face of it, this is “fair” to both genders and reflects that esports
are not thought to be “physical” and that mentally women are just as capable as men.

The fact that this peak of equal opportunity has not been achieved in the nearest equivalent
traditional sports like chess or shooting where genders are segregated is not a reason not to
continue with the status quo where open tournaments are mostly spurned by women. However,
more and more commentators are calling for additional women only leagues and tournaments to
assist the development of the women’s game.

The reasons for this look more to be based on practicability than ideology.

2.4.1. Very few women are entering the open tournaments that are on offer.

2.4.2. The small number of women, relative to men in the industry, puts women at an immediate
disadvantage in team esports as it is difficult for individual women to find each other to create teams
to practice and compete.

2.4.3. Women only events create safe spaces for women. Whilst it is acknowledged that any player
who is different is liable for abuse, there is a level of gender based abuse in esports which is
especially pernicious for women.

2.4.4. A small number of women only tournaments have already been created by the market and
seem to be successful, with very little promotion.

The Female Pro League (FPL) @femaleproleague hosts a regular Call of Duty showdown. Riot
Gaming UK and Barrage Esports from UK were winners and runners up in Feb 2018.

In South Africa the Mettlestate organisation launched a second Valkyrie Challenge - an all-
girl CS:GO tournament for 2 seasons with a prize pool of R50000 (£3000) per season

207
The Intel Challenge women only CSGO event in Katowice, Poland has now run for 4 years,
starting in 2015 with $15000 and now $50000 prize money. This year’s tournament attracted
78 teams for the qualifiers.

2.5 Recommendations on women only tournaments for promoters of tournament and


leagues

2.5.1 In a co-educational, school environment there should be no segregation of girls


and boys playing esports. Girls and boys have the same potential and playing
together, learning good habits, is essential. (About 60% of UK schools are co-
educational during GCSE years.)
2.5.2 In teenage years, when boys are pumped with testosterone, it is equally essential
to recognise that a proportion of boys no longer want to play team esports with
girls and will start to form men only teams. At this stage a skill gap between the
genders will start to appear if there are no facilities for girls to play together in
‘friendship groups’ or compete in women only teams.
2.5.3 In single player esports like Starcraft 2, Super Smash Bros. Melee and
Hearthstone it is easier for women to continue to compete equally with men.
However, cultural stereotyping, and casual sexism means that it will be necessary
to offer women only tournaments and leagues until the playing environment is
much improved.
2.5.4 In the short term, women only tournaments and leagues are encouraged to
inspire, promote the birth of new female teams, create visibility, and provide
competitive experience in a safe space.

A useful template for a women only tournament is ESL’s Open Go4 tournaments which are
designed for teams of all abilities to give the opportunity to compete against some of the
best and up-and-coming teams. Featuring one cup each Sunday with the chance to win prize
money and qualify for the monthly finals. Sundays win €100 prize money & Go4 points. The
Monthly final wins €500 prize money.
2.6 A variant of women only tournaments are tournaments with equal numbers of women and
men with seeding to make sure teams are of a similar ability. For example the best women's
teams may play regularly against up and coming (tier 3) men's teams.

The SKYLLA CS:GO tournaments in from Germany operates on the basis of open qualifiers for
female teams, paired with direct invites (both male and female). 7 grassroots tournaments so far
organised.

2.7 Sexualisation of product

Women only tournaments should not be sexualised in any way, for example organisers asking
players to wear inappropriate clothing. Women should be empowered to dress as they please.

208
In 2015, the Hearthstone International Women’s Invitational by IMBAtv consisted of eight
women wearing white dresses, with stage decorations consisting of rainbow card back design
walls, purple drapes, flowers projected on the floor, and uncomfortable stools at high tables:
chair manufacturer DXRacer sponsored the tournament.

2.8 Games with diverse demographics

More competitions should be encouraged around competitive games with diverse demographics like
Hearthstone, Super Smash Bros. Melee and Rocket league. Expecting many women to play at pro
level games that they would not choose to play by choice is unrealistic and holds back the
development or more potential pro players.

2.9 Codes of Conduct

2.9.1 Game developers and league organisers should make promotional and structural changes to
tournaments so that they actively create inclusive gaming environments, fostering diverse
communities of gamers to flourish.

“All events, both online and off, should have two key elements in place: 1) a Code of Conduct,
and 2) a mechanism for reporting and enforcement. Codes of Conduct are a guideline of values
and behaviours that you expect from all participants and staff. They signal what is expected,
prohibited, and valued by an organization. They help frame who is welcome and what civil
participation should look like.” Anykey Dec 2017.

2.9.2 All levels of harassment should be treated as unacceptable and any breach of published codes
of conduct should be dealt with appropriate severity. Initiatives should be undertaken to help create
respectful environments, for example workshops of harassment awareness.

2.9.3 Competitors and shoutcasters on stage behind the microphone should set good examples. Any
infractions of codes of conduct should be met with warnings by officials and ultimately sanctions.

2.10 Non playing talent

Tournament recruiters should be encouraged to undertake diverse hiring practices to increase the
pool of talent on and off stage. Sensitive fast tracking of talented women and minorities needs to
take place to give them the required experience. Women tournaments should not be used as a
“proving ground” for male talent. In open tournaments all male rosters of casting talent should
become as outmoded as all male panels at games industry events.

2.11 Marketing

Much more promotion of women in esports is needed by both the mainstream and the esports. In
particular more content of how women play and replays.

"Mainstream media should provide more online coverage of female pro-gamers, need more
content created of how women play. Esports athletes can't find footage of opponents online if
they're females; if you're a guy you can see exactly what you're up against" Catherine Warren
@fantrust Feb 2018.

209
“Given how player and team narratives provide some of the most compelling promotional
opportunities for esports events, consider including stories that highlight, for example, the
women who may be involved in making an event possible. This ranges from players to hosts,
observers, and administrators. Images and press around your event can powerfully signal to
people they are welcome and valued to your organization.” Anykey Dec 2017

The Intel Challenge Women’s CSGO World Championship had 78 teams playing qualifiers over 4
days. 500 of the world’s best women players. There was no promotion of these matches by the
organisers or sponsors on Twitter, as there was for the Men’s qualifiers for the IEM World
Championships.

2.12 Moderation

Community management and timely moderation is essential to educate and manage diverse
communities.

“If you broadcast online via Twitch, use moderators and moderation tools. At the minimum, the
built-in AutoMod feature can help you manage the chat. Bringing on moderators will help
manage the chat, proactively set the tone for the space, educate viewers about your Code of
Conduct, and typically provide help with utilizing additional technical moderation bots.” Anykey
Dec 2017.
st
The announcement on 31 Jan of the Intel Challenge CSGO tournament finals in Katowice 24-25
Feb on ESL’s FB page with 1.7m followers attracted 1600 Likes but comments on the post were
unmoderated for days such that the top posts remaining at the time of writing now read:

Linn Jägstad Sundin: ESL do you really think the comments in this post are ok? (41 likes)
elicia Warga Alyssa Johanneson: ELS, I'd say it is time to act against these sexists.. (30 likes)
Alva Lundberg: How can ESL accept this behaviour in the comments? (16 likes)

The finals of the women’s Intel Challenge was not listed a separate FB event, unlike ESL One
(Men’s DOTA) and IEM World Championship ( Men’s CSGO)

2.13 Equal treatment of men’s and women’s teams by team owners

2.13.1 Team owners should be encouraged to run both men’s and women's teams provided the
welfare and needs of the different sexes are recognised.
2.13.2 Women teams should be equally nurtured and celebrated both within team camps and the
competitive environment.
2.13.3 All kinds of harassment on the ground of sex or any other category should be taken seriously
and dealt with appropriately. Explicit codes of professional and personal conduct should
apply in both training and match environments.
2.13.4 Players of either sex who are unable to behave professionally in either a training or match
environment should be sanctioned by the team owner or preferably an impartial regulatory
body approved by team owners, after appropriate warning and counselling.

210
2.13.5 Successful payers of both sexes will be seen as role models and should be encouraged
but not compelled to take up this responsibility. Senior players should be encouraged to
speak up and support other teams in the training environment.

2.13.6 Owners should recognise the importance of promotion and provide media training in
addition to coaching as well as everyday emotional support to all players.

2.14 Language

The word “females” is common in esports, especially in countries where English is not the
native language. This terminology is disparaging in some countries and is offensive to a
number of women. Likewise the word “girls” is sometimes a colloquial reference to women in
some cultures. This terminology is also unpopular to a number of women who equate girls to
children. “Women” is a neutral term, lacking either favourable or unfavourable implication,
and is preferable in a global industry.

2.15 Non-binary people

Non binary folk exist. The esports industry needs to support the inclusion of additional
genders, beyond male and female. The Women in Games organisation defers to and supports
the Anykey Best Practice Recommendations produced in December 2017 which cover this
topic in detail.

****

211

=
3. Workshop origins and delegates

Invite Only Expert Session (from 09am to 04pm):

Experts Discussion: Increasing female interest and participation in tech, gaming and esports careers

This workshop was requested and its scope defined by Brenda Lynch, Global Marketing Strategist -
Esports and Gaming at Intel Corporation and organised by Anna Rozwandowicz, VP Communications
and Public Relations at ESL.

The agenda for the workshop was set by and the delegates were invited by

David Smith Founder of Women in Games WIGJ

David is the founder of Europe’s leading diversity group, Women in Games WIGJ which seeks to double the
number of women in gaming industry by 2025. With over 5000 supporters globally, this not for profit works
closely with gaming and esports companies across Europe to attract and keep inspired the talent that is sought
after by many other industries. WIGJ develops programmes to bring more creative and commercial success to
its international and small studio partners. David has a background in Finance and Recruitment with over 20
years in the gaming industry.

Delegates

Ruth Lemmen, INTERIM MANAGEMENT + COACHING

Ruth Lemmen co – developed the concept for Womenize! – the action day for new talent in Tech, Digital
Business and Media and is the event’s program director. Ruth is an experienced project and event manager
and also working as a systemic coach for individuals and companies alike. From 2006 – 2013 she worked for
the Federal German Trade Association for Interactive Entertainment Software (BIU), today called game, and
was among several other events in charge of gamescom the world biggest trade fair show for interactive
entertainment. Ruth has strong networking abilities and her focus is with the International games, film and
digital media industries. She is specialized in media literacy themes, funding questions, gamification and
Serious Games and also working as an expert for the European Commission.

Audrey Leprince, CO-FOUNDER AND PRESIDENT OF THE GAME BAKERS, FOUNDER OF WOMEN IN
GAMES FRANCE

Audrey Leprince co-founded The Game Bakers, an indie studio with a portfolio of exciting games like Furi or
Squids. At Game Bakers she is in charge of executive production and some narrative direction. She started in
the industry as a game designer for Quantic Dream then moved to China to work as a producer on several AAA
console games for Ubisoft. In 2017 she created the association Women in Games France to increase diversity
and promote women in the industry.

212
Jenny Nordenborg, CEO, NEAT CORP – Jenny was absent on the day through illness

Jenny Nordenborg is running the Stockholm based games studio Neat Corp as CEO, currently working on the
VR title Budget Cuts. She also leads Glorious Games Group as Head of Studio, founded Women in Games
Stockholm and is representing Swedish diversity organisation Diversi. Her passion for making the games
industry space more inclusive is the driving force behind her many events and initiatives in the Swedish game
development scene.

Micaela Romanini, VICE DIRECTOR, VIGAMUS FOUNDATION | EVENT DIRECTOR, GAMEROME

After working as Content Manager and Head of Research at VIGAMUS Foundation, she was employed by
Microsoft as Xbox.com International Coordinator in the EMEA Integrated Marketing Team at the European HQ
in Reading, England. Currently employed as Vice Director at VIGAMUS Foundation, She is in charge of planning
new business strategies and International Partnerships. She is the Event Director of Gamerome, the
Developers Conference based in the Capital of Italy. Expert in communication, VR, interactive storytelling and
author of Game Studies, She is teaching assistant in Theory and Criticism of Multimedia Interactive Works at
the University of Rome “Tor Vergata and Professor at Link Campus University.

The workshop was also joined by a guest observer on the day Jerome Joel Josy, EMEA Digital &
Social Media Lead of HP.

213
Annexe 5 : Guide d'entretien

Le guide d’entretien est structuré de façon à ce que les questions principales soient présentes en
gras, composé ensuite de nombreuses relances permettant de resituer ou de relancer la discussion.
Le but est d’anticiper les points abordés en laissant à disposition un bon nombre de relances.

Je vais vous poser des questions sur votre pratique du jeu vidéo et votre ressenti dessus
pendant une heure environ, en vous demandant de répondre le plus librement possible. Je tiens à
rappeler que cet entretien est enregistré et anonyme. N'hésitez pas à me reprendre si vous ne
comprenez pas une question.

Questions générales : servent à introduire le sujet par quelques questions générales

-Vous jouez à quelle fréquence ?


-Dans une session de jeu, combien de temps jouez-vous environ ?
-Sur quel support jouez-vous le plus en ce moment ?
-A quel jeu jouez-vous ? Pourquoi celui-ci par rapport à d’autres jeux en ligne ?
-Est-ce que vous jouez à d’autres jeux en ligne à côté où seulement celui-ci ?

Début de la pratique vidéoludique : permet de situer le parcours des individus et


contextualiser leur carrière vidéoludique

-De quelle façon avez-vous commencé à jouer aux jeux vidéo ?


> A quel âge ?
> Quelle personne vous a initié aux jeux vidéo ?
> Quel a été votre premier jeu ? Sur quel support ?
-De quelle façon avez-vous commencé à jouer aux jeux en ligne ?
> Quelqu’un vous a conseillé un jeu ?
> Quel a été votre premier jeu en ligne ? Sur quel support ?
> Avez-vous commencé des amis ou tout seul ? Est-ce que vos amis étaient déjà présents sur le jeu ?
> Ont-ils rejoint le jeu en même temps ?
> Avez-vous rejoint des groupements dans ce jeu ?
> Avez-vous fait des rencontres sur ce jeu ? Si oui, est-ce que certaines sont marquantes pour vous ?
Est-ce que vous côtoyez toujours ces personnes ?
> Combien de temps cela a duré ?
-Comment avez-vous débuté sur [Nom du jeu joué actuellement] ?
> Quelqu’un vous l’a conseillé ?
> Avez-vous commencé tout seul ou avec des amis ? Jouez-vous toujours avec ces amis ?
> Avez-vous fait des rencontres sur ce jeu ? Des marquantes ?

214
> Avez-vous rejoint des groupements avant d’être dans celui où vous êtes ? Si oui, est-ce que vous
en avez un qui vous a marqué ? Comment l’avez-vous découvert ? Jouiez-vous exclusivement avec
ce groupement ?
-Comment votre entourage voyait votre pratique au départ ? Selon vous, pourquoi ?
> Vos amis, vos parents, vos frères et sœurs ?
> Est-ce qu’ils encourageaient cette pratique du jeu vidéo ?
> Est-ce que vous avez eu des remarques vis-à-vis de votre pratique du jeu vidéo ? De quelles
types ?
> Est-ce que vous vous sentiez reconnu par votre entourage concernant votre pratique ?

Entrée dans la pratique professionnelle : permet d’identifier les facteurs/éléments


importants voir déterminants pour s’engager dans une pratique professionnelle

-Comment avez-vous découvert pour la première fois la pratique professionnelle du jeu vidéo
en ligne ?
> A quel moment en avez-vous entendu ? A quel âge ? Quand ?
> Par le biais de qui ? De quels médias ?
> Comment avez-vous reçu cette information ? Est-ce que cela vous attirait ? Où étiez-vous
indifférent ?
-Comment avez-vous découvert pour la première fois la scène professionnelle du jeu vidéo en
ligne ?
> Quel a été le premier événement auquel vous avez assisté, ou participer ?
> Quel a été votre première compétition ? Comment celle-ci s’est passée ? Où se passait-elle ?
> Est-ce qu’elle vous a motivée pour continuer dans le sens d’une pratique professionnelle ?
-Comment êtes-vous entré dans une pratique professionnelle du jeu vidéo en ligne ?
> Quand vous êtes vous dit que vous vouliez devenir professionnel ? Où autrement dit, Est-ce qu’il
y a eu un moment, une expérience qui vous a donné envie de devenir joueur professionnel ?
> Qu’est-ce qui vous a motivé ? Pourquoi cette envie de devenir joueur professionnel ?
> Qu’est-ce qui vous a attiré dans cette pratique ?
> Quel jeu avez-vous choisi pour vous lancer dans une pratique professionnelle ? Pour quelles
raisons ?
> Avez-vous joué à plusieurs jeux de façon compétitive ? Lesquels ?
> Qu’avez-vous fait pour rentrer dans cette pratique professionnelle ? Quels moyens avez-vous
utilisé ?
-Quels ont été le/les facteurs déterminants qui vous ont fait entrer dans la pratique
professionnelle ?
> Est-ce qu’il y a eu un moment précis et déterminant ?
> Des personnes qui ont déterminé votre entrée dans une pratique professionnelle ?
> Une expérience particulière ? (Penser aux contrats aussi)
> Un pallier ou un niveau de jeu atteint qui vous a permis de rentrer dans cette pratique ?
-Est-ce que vous avez eu des difficultés pour réaliser ce projet de devenir joueur
professionnel ?
> Lesquelles ?

215
> Est-ce qu’il y a eu un obstacle plus important que les autres ? Si oui, lequel ?
> Est-ce que des personnes vous ont soutenu dans ces difficultés ? Si oui, comment ?
> Comment avez-vous surpassé ce ou ces obstacles ? Qu’avez-vous retirez du fait de franchir
cet/ces obstacle(s) ?
> Combien de temps vous a-t-il fallu pour devenir joueur professionnel malgré ces difficultés ?
> Qu’avez-vous retiré du fait de rentrer dans une pratique professionnelle ? Etiez-vous ou êtes-vous
satisfait ? Est-ce que vous avez retiré de la reconnaissance, de la satisfaction de rentrer dans
une pratique professionnelle, compétitive ?
-Que pensait votre entourage de votre pratique lorsque vous commenciez à essayer de devenir
professionnel ?
> Vos amis, vos frères et sœurs, vos parents ? Pourquoi selon vous ?
> Est-ce qu’il y a d’autres raisons à ces avis ? (Si non dit) Est-ce que le fait d’être une femme peut
expliquer ces avis ? Est-ce que vous vous sentiez reconnu par votre entourage ?
-Que pense-t-il maintenant de votre pratique professionnelle ? Est-ce que leurs avis ont
changé ? Pourquoi selon vous ? Est-ce que vous vous sentez reconnu par leurs avis ? (modifier
la question) ? Y a t-il toujours un ou plusieurs points qui pose problème pour eux ?

Pratique professionnelle actuelle : sert à situer le parcours des individus dans leur pratique
professionnelle et ainsi voir les épreuves qu’ils affrontent

-Qu’est-ce qu’une pratique professionnelle pour vous ?


> Quels sont les critères qui la définisse pour vous ?
> Est-ce qu’il y a un critère plus important que les autres ?
> Comment la situez-vous par rapport à d’autres pratiques du jeu vidéo ?
> Comment pensez-vous que la société se représente la pratique professionnelle du jeu vidéo en
ligne ? Et ses scènes sportives ? Que faudrait-il faire pour changer cette représentation selon vous ?
-Pour vous, qu’est-ce qu’un bon joueur professionnel ?
> Quels sont les critères pour définir un bon joueur professionnel ?
> Est-ce qu’il y a un critère plus important ?
> Est-ce que vous vous retrouvez dans cette définition que vous donnez ?
> [Si non] Qu’est-ce qui vous manque ?
> Est-ce que vous pensez à un joueur en particulier lorsque vous donnez cette définition ?
-Est-ce que vous pouvez me décrire la scène professionnelle du jeu vidéo en ligne ? Et de votre
jeu ?
> Quels sont les acteurs de cette scène ?
> Est-ce que vous pouvez me décrire leurs rôles ?
> Selon vous, quels sont les acteurs les plus importants de la scène professionnelle du jeu vidéo en
ligne ?
> Est-ce qu’il y a des différences vis-à-vis de la scène professionnelle dans laquelle vous êtes ?
Lesquelles ?
> Est-ce que la scène professionnelle où tu es médiatisé ? A quel point ? Que pense tu de cette
médiatisation ?

216
> Est-ce que tu as en tête d’autres jeux vidéo plus médiatisés ? Pourquoi selon vous sont-ils autant
médiatisés ?
> Quel est, selon vous, la meilleure équipe ou le meilleur joueur au sein de la scène professionnelle
où vous êtes ? Pourquoi ? Et au sein de l’autre scène (mixte ou féminine) ?
-Qui côtoyez-vous dans votre pratique professionnelle du jeu vidéo en ligne ?
> Est-ce qu’il y a un ou des acteurs importants dans vos relations ?
> Côtoyez-vous plus des hommes ou des femmes ? Pourquoi ?
> Comment expliquez-vous cette proportion ?
-Depuis combien de temps jouez-vous à [Nom du jeu] en professionnel ?
> Pouvez-vous me lister quelques tournois auquel vous avez participé dernièrement ?
> Selon vous, quel est le tournoi le plus important dans la scène professionnelle où vous figurez ?
Pourquoi ?
> Est-ce qu’il y a un tournoi en particulier qui vous est important ? Pourquoi ?
> Est-ce que vous avez un tournoi, une compétition qui vous a marqué ? Laquelle et pourquoi ?
> Est-ce que vous pouvez me raconter une compétition où vous êtes particulièrement fier de votre
performance ? Et de celle de votre équipe ?
> Est-ce qu’il y a des compétitions que vous aimeriez participer ? Pourquoi ne pouvez-vous pas ?
Qu’est-ce que vous retiriez dans votre pratique professionnelle si vous pouviez participer à ces
compétitions ?
> Est-ce que vous participez à des tournois virtuels ? Qu’est-ce que vous retirez de ces tournois
(Quel est leur rôle, utilité?) ? En faites-vous beaucoup ?
> Quelles différences donneriez-vous entre les tournois virtuels et les tournois réels (IRL/LAN) ?
Qu’est-ce que ces différences ont comme effet sur les joueurs/joueuses ? (performance, stress,
émotion, etc.)
> Avez-vous déjà perçu ces différences au sein de votre équipe ? Comment ?
> Est-ce que vous avez pensé à essayer de vous lancer sur un autre jeu ? Un autre genre de jeu ?
Pourquoi ?
> Est-ce que vous vous voyez jouer à un jeu exclusivement solo en compétition ? Pourquoi ?
-Pouvez-vous me décrire l’équipe dans laquelle vous jouez ? → On oublie pour les joueurs de
Versus
> Combien êtes-vous ?
> Comment l’équipe s’est-elle fondée ?
> Depuis combien de temps êtes-vous dedans ?
> Quel est l’esprit général de l’équipe ? En entraînement, en compétition, en dehors du jeu ?
> Quel est votre ou vos rôles au sein de l’équipe ? En jeu ? Et hors jeu ?
> Pouvez-vous me décrire votre rôle et sa place au sein de l’équipe ? Quel est son importance au
sein de l’équipe et du jeu ?
> Pouvez-me décrire les autres rôles dans l’équipe ?
> Comment gérez-vous les conflits au sein de votre équipe ? Avez-vous des exemples de situations
conflictuelles entre les membres de votre équipe ? Comment cela s’est résolu ?
> Jouez-vous avec d’autres personnes où exclusivement votre équipe ?
> Etiez-vous dans d’autres équipes avant celle-ci ? Pourquoi les avez-vous quittés ?
> Est-ce que vous avez retiré des enseignements, des choses de votre expérience dans les équipes
précédentes ?

217
-Comment vous entraînez vous en général ?
> Vous avez un planning spécifique ? Comment s’agence t-il ?
> Quels sont les activités dans celui-ci ?
> Est-ce que vous pouvez m’en décrire quelques unes ?
> Qu’est-ce que vous retirez de ces activités ?
> [Si non mentionné] Est-ce que vous avez un coach ou manager dans votre équipe ?
> Quel est son rôle au sein de l’équipe ? Est-ce qu’il est un élément important, vital de l’équipe ?
Pourquoi ?
> Surveille t-il vos performances et celles des autres ? Est-ce que entre vous, vous surveillez vos
performances ? Pourquoi ? Qu’est-ce que vous pensez de ce comportement ?
> Est-ce que l’entraînement est différent avant une compétition ? Si oui, comment l’est-il ?

Objectifs et difficultés : vient spécifier les épreuves générales que peuvent rencontrer les joueurs

-Actuellement, êtes-vous satisfait de votre pratique professionnelle/compétitive ? Pourquoi ?


> Êtes-vous satisfait de vos performances actuelles sur [Nom du jeu] ? Pourquoi ?
> Vous sentez-vous reconnu de façon satisfaisante par rapport à vos performances de joueur ?
> Et concernant votre statut de joueur/joueuse au sein de la société ?
> Pensez-vous qu’il y ait des changements à faire concernant le statut de joueur professionnel dans
la société ? Quels changements ?
-Avez-vous un ou des objectifs importants que vous voulez atteindre ? Lesquels ?
> Qu’est-ce que ces objectifs vous apporteront si vous les réalisez ? Est-ce important pour vous ?
> Est-ce que vous avez des objectifs à court terme ? Si oui, lesquels ?
-Comment comptez vous les réalisez ?
> Par quels moyens ?
> Est-ce que cela passe par un entraînement spécifique ? Ou autre chose ?
-Est-ce que vous rencontrez des difficultés pour les réaliser ? De quels types ?
> Est-ce qu’il y a des obstacles personnels ? Et des obstacles inhérent à l’équipe ? Ou d’autres
obstacles ?
> Qu’est-ce qu’il vous faudrait pour les réaliser ?
> Pensez-vous dépasser ces obstacles rapidement ? Pourquoi ?
> Est-ce qu’il y a des obstacles que vous pensez difficile à dépasser ? Lesquels ? Pourquoi ?

Question du sexisme : spécifie les épreuves genrées et la différence qui peut s’opérer entre scène
masculine et féminine, les différents stéréotypes qui peuvent subsister

-Est-ce qu’on vous a déjà fait des remarques déplacées vis-à-vis de votre pratique
professionnelle ? Est-ce que vous avez déjà entendues des remarques déplacées vis-à-vis
d’autres joueurs et joueuses ?
> A propos de quoi ? De quel type ?
> Qui a fait ces remarques ?
> Étaient-elles justifiées ?
> Est-ce que ces remarques sont fréquentes, ou étaient-elles exceptionnelles ?

218
> Est-ce que vous pensez que ces remarques ne peuvent provenir que des joueurs ? Ou aussi des
joueuses, des organisateurs, etc ? Est-ce que vous avez un exemple particulier à raconter ?

-Comment avez-vous répondu à ces remarques ? Comment les autres personnes ont
répondues à ces remarques ?
> Est-ce que ça a fonctionné ?
> Quelle réponse a le mieux fonctionné ?
> Est-ce que vous pensez qu’il y a une meilleure façon de répondre à ces remarques ?
> Comment auriez-vous fait si c’était vous à la place de la personne ?
> Que conseilleriez-vous à d’autres personnes qui subissent ces remarques ?
-Comment pensez-vous qu’on puisse se prémunir de ces remarques ?
> Est-ce que ça peut fonctionner selon vous ?
-Est-ce que certaines remarques peuvent être spécifiques à certains types de joueurs ou de
joueuses ?
> Est-ce que vous pensez que les joueuses sont plus ciblées par certaines remarques ? Pourquoi ?
> Avez-vous déjà entendues certaines remarques sexistes vis-à-vis des joueuses ? Avez-vous un
exemple à me décrire ?
> Est-ce qu’il y a certains types de joueuses qui sont plus ciblées par ces remarques ? Pourquoi ?
> Que pensez-vous de ces remarques ?
> Selon vous, sur quoi se basent ces remarques ?
> Est-ce que les éléments sur lesquels se basent ces remarques sont fondés pour vous ?
-Est-ce qu’il y a des idées reçues sur les joueuses en général ? Et sur les joueurs ?
> Lesquelles ?
> Elles se basent sur quoi ?
> Est-ce qu’elles sont spécifiques à certains types de joueuses ? Certains types de joueurs ?
Pourquoi ?
> Qu’en pensez-vous ?
> Pensez-vous que ces idées reçues ont un poids important dans la scène professionnelle du jeu
vidéo en ligne ? Et chez les personnes ?
-Est-ce que certaines connaissances ont déjà subies ces idées reçues ?
> Pouvez-me raconter une expérience dans ce sens qui vous a marqué ?
> Pourquoi cela vous a t-il marqué ? Sur quoi se basait ces idées reçues ?
> Comment s’est résolu ce cas ? Est-ce que la personne a obtenu du soutien ? De la part de qui ?
> Est-ce que ces cas sont plutôt fréquents ? Est-ce qu’il y en a d’autres dans ce style ?
-Pensez-vous que certaines personnes peuvent jouer de ces idées reçues ? Ou des joueuses qui
peuvent user de leurs atouts, leurs féminités ? Si oui, qu’en pensez-vous ?
> Avez-vous déjà vu ou entendu parler de joueuses/joueurs qui utilisent ces idées à leur avantage ?
> Avez-vous déjà entendu ou vu des joueuses professionnelles se mettre en valeur pour obtenir des
avantages ?
> Qu’en pensez-vous ?
> Est-ce que vous pensez qu’utiliser ces idées est vraiment utile pour les personnes qui le font ?
-Côtoyez vous l’autre scène professionnelle ? Des joueurs de cette autre scène ?
> Est-ce qu’elle est différente de celle dans laquelle vous êtes ? Pourquoi ?

219
> De quels types sont ces différences ? Est-ce qu’elles sont importantes ? Vis-à-vis de votre scène
professionnelle ?
> Y a t-il une différence de reconnaissance entre les deux scènes (masculines/mixtes et
féminines) ? Comment cette différence se fait voir ?
> Selon vous, pourquoi cette différence existe ? Sur quoi se base t-elle ?
> Est-ce que ces différences ont des effets particuliers sur les personnes présentes dedans ?
> Selon vous, comment pensez-vous que ces différences pourraient se réduire ?
> Est-ce que cela est possible ? Combien de temps ça prendrait ?
> Quelles personnes devraient intervenir pour réduire ces différences ? Quels seraient leurs rôles ?
> Pourquoi selon vous, ces différences ne se réduisent pas pour l’instant ?
Pour prochain entretien : poser des questions sur la féminisation de l’esport, comment ça se
fait, ce qu’elle en pense, comment ça pourrait changer,
-Côtoyez vous des équipes mixtes ?
> Est-ce que vous en connaissez ?
> Est-ce que vous avez déjà participez à ce type d’équipe ? Si oui, comment était la cohésion au
sein de l’équipe ? Était-ce différent des autres équipes dans lesquels vous étiez ?
> Sont-elles présentes dans votre scène professionnelle ? Et en général ?
> Que pensez-vous de ce type d’équipe ?
> Sont-elles différentes des équipes que vous côtoyez habituellement ? Pourquoi ?
> Pensez-vous qu’elles se développent ? Comment faudrait-il les développer selon vous ?
> Est-ce que vous seriez prêt à intégrer une équipe mixte ? Pourquoi ?
-Comment voyez-vous le futur de votre scène professionnelle ? Et de l’e-sport en général ?

Talon sociologique

Age ? Plus haut diplôme/dernier diplôme en date ? Profession/dernière profession ?

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