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Master 1 Communication des Entreprises et Médias Sociaux

Le Speedrun, pratique
compétitive du jeu vidéo
Sociologie d’une discipline émergente

Mémoire réalisé par Vincent Bézaguet


Soutenu sous la direction de Philippe Brunet
Mai 2016
Déclaration sur l’honneur

Je déclare sur l’honneur que le présent mémoire est uniquement le


fruit d’un travail personnel, que je n’ai ni contrefait, ni falsifié, ni copié tout
ou partie de l’œuvre d’autrui afin de la faire passer pour mienne.
Toutes les sources d’information utilisées et auteurs cités sont de ce fait
explicitement mentionnés et référencés.

Vincent Bézaguet,
Le 12 mai 2016.

BÉZAGUET Vincent 2
Table des matières :
Déclaration sur l’honneur ........................................................................................................... 2
Table des matières : .................................................................................................................... 3
Introduction ................................................................................................................................ 4
Chapitre 1 : Aux origines du speedrun ....................................................................................... 8
1 – Du jeu vidéo au speedrun : une histoire des idées ............................................................ 8
1.1 – État du jeu vidéo ........................................................................................................ 8
1.2 – Brève histoire du jeu vidéo ...................................................................................... 12
1.3 – Du jeu vidéo compétitif au speedrun ....................................................................... 15
2 – Cross-média vidéoludique et culture de la réappropriation ............................................ 18
2.1 – Machinima, mods, fanfictions & co. ........................................................................ 18
2.2 – le besoin de se former en communauté .................................................................... 20
3 – Qu’est-ce que le speedrun ? ............................................................................................ 22
3.1 – Définition ................................................................................................................. 22
3.2 – Faire communauté(s)................................................................................................ 27
3.3 – L’expérience en plus ................................................................................................ 31
Chapitre 2 : Entre loisir et compétition .................................................................................... 36
1 – Sport et speedrun ............................................................................................................ 37
1.1 – Se dépasser, atteindre la perfection. ......................................................................... 37
1.2 – Entre loisir et discipline : poser les règles................................................................ 42
2 – Entraide et solidarité ....................................................................................................... 45
2.1 – Apprentissage et vulgarisation ................................................................................. 45
2.2 – Un évènement international : la GDQ ..................................................................... 49
3 – Le speedrun comme objet d’étude .................................................................................. 56
3.1 – La coopération avant tout......................................................................................... 56
3.2 – Hacker le jeu ............................................................................................................ 60
3.3 – Gameplay émergent ................................................................................................. 63
Conclusion ................................................................................................................................ 67
Références bibliographiques .................................................................................................... 69
Annexes .................................................................................................................................... 71
Grille d’entretien ................................................................................................................... 71
Entretiens .............................................................................................................................. 72
Autre : ................................................................................................................................... 94

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Introduction
Une minute, quinze secondes et sept centièmes. C’est le temps obtenu par le recordman
de speedrun sur Super Mario World (1990, Nintendo), un jeu vidéo habituellement terminé en
six à sept heures. Comme le laisse supposer cette première phrase, le speedrun (littéralement
« courir plus vite » ou « course rapide ») consiste à terminer un jeu vidéo le plus rapidement
possible.

Si chacun apprécie à sa façon le jeu vidéo, les speedrunners (ceux qui pratiquent le
speedrun) décident de le faire par la vitesse et la perfection. Leur objectif principal sera donc
de trouver des moyens d’accéder plus rapidement à la fin du jeu.

Cela se rapproche du concept de metagame (ou « méta-jeu » en français), qui désigne


l’ensemble des stratégies et des méthodes non-pensées par les développeurs d’un jeu. Il s’agit,
dans le sens courant, de jouer en essayant d’être plus malin que le concepteur.

Cette pratique est presque aussi vieille que le jeu vidéo lui-même. Mais les premiers jeux
d’arcade n’ayant pas de fin, le score était alors le seul moyen de mesurer la performance d’un
joueur. C’est avec l’arrivée des consoles de salon que les premiers jeux possédant une fin ont
permis de mesurer le temps. En 1986, Metroid (Nintendo) est le premier jeu vidéo à proposer
une récompense aux joueurs les plus rapide à terminer le jeu : on y découvrait alors Samus,
l’héroïne, en bikini.

Et si jusqu’aux années 2000, les joueurs devaient acheter des magazines spécialisés pour
connaître les meilleurs scores, l’arrivée d’Internet a permis de révolutionner le speedrun. En
2003 ouvre le site Speed Demos Archive, où les joueurs du monde entier peuvent mettre en
ligne leurs records personnels. Aujourd’hui, il existe des milliers de speedrunners dans le
monde, cherchant à obtenir le record du monde sur leur jeu favori.

Pourtant si le jeu vidéo se veut ludique, le speedrun semble à première vue être une compétition
dans laquelle les concurrents se battent pour décrocher le record. Peut-on pour autant postuler
qu’il s’agit d’une discipline compétitive, au même titre que le sport ?

Mon hypothèse est que le speedrun est au croisement de plusieurs pratiques existantes, et ne
peut pas être réduit à son seul cadre compétitif. Le speedrun n’ayant pas ou très peu été étudié

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en sciences sociales, ma démarche consistera tout d’abord à m’intéresser à la manière dont s’est
construit le speedrun, puis de m’intéresser plus en détail à ses similarités avec d’autres
pratiques, à partir desquels nous pourrons produire une analyse plus concrète de ce qu’est, ou
non, le speedrun. Cela permettra également de comprendre l’intérêt que peut avoir le speedrun
dans le domaine vidéoludique, un secteur ayant rapporté plus de 90 milliards de dollars en
20151.

Je ne saurais par ailleurs que trop vous conseiller, avant de commencer ce mémoire, de
regarder la vidéo « speedrun Super Mario World »2. D’une durée de deux minutes, celle-ci vous
permettra probablement de mieux saisir l’objet dont il sera ici question.

Méthodologie d’enquête

Le speedrun étant une pratique avant tout présente sur Internet, il m’est rapidement apparu
indispensable de construire une partie de mon analyse à partir de ressources numériques. Pour
cela, je me suis basé sur les méthodologies d’enquêtes en ligne proposées par Stéphane Héas,
Véronique Poutrain, Anne Sophie Béliard et Baptiste Brossard.

Stéphane Héas et Véronique Poutrain proposent de considérer l’observation participante et les


entretiens sur Internet comme des sources d’informations légitimes. En effet, si la méthodologie
est différente de l’enquête hors-ligne, les informations récoltées par ce biais restent légitimes :
« Les informations sont traitées comme n’importe quelles autres informations : elles peuvent
être consignées dans un carnet de terrain et se transformer en données de corpus ; elles peuvent
ne pas l’être, il est alors question d’imprégnation. » (Héas et Poutrain, 2003)

Une grosse partie de mon travail a justement consisté à m’imprégner de l’univers du speedrun,
en observant le fonctionnement de ces différents lieux d’existence.
Pour ce qui est des entretiens, ces deux auteurs notent que « l’entretien via internet permet une
autre relation à l’individu. […] L’individu se retrouve face à sa machine et peut « prendre son
temps pour réfléchir, ce qui n’enlève pourtant rien à la spontanéité de ses réflexions et de ses
réponses » (Ibid.).

1
Newzoo, “2015-2019 global games per segment” - URL: https://newzoo.com/resources/ (dernière
consultation 12 mai 2016)
2
Accessible à l’adresse : https://www.twitch.tv/sethbling/v/64033764 (dernière consultation 12 mai 2016)

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Pour Anne Sophie Béliard et Baptiste Brossard, qui étudient les amateurs de séries télévisées,
cette utilisation des entretiens en ligne est d’autant plus importante que « la population étudiée
est plutôt jeune, dispersée géographiquement, et utilise intensivement les messageries en ligne.
Prendre contact, effectuer des entretiens et entretenir des liens de cette manière apparaît alors
comme une solution appropriée d’un point de vue méthodologique » (Béliard et Brossard, 2012)

Pour ce qui nous intéressera dans ce mémoire, à savoir le speedrun, cette méthodologie me
semble d’autant plus indispensable qu’il s’agit d’une pratique à l’échelle mondiale, et avant tout
présente sur Internet. La plupart de mes entretiens se sont d’ailleurs passés en anglais, et je n’ai
pu rencontrer qu’un seul speedrunner en direct.

Mes entretiens se sont donc déroulés pour la plupart via des logiciel de messagerie, sur lesquels
j’ai pu longuement discuter avec les speedrunners interrogés. Comme le note d’ailleurs Anne
Sophie Béliard et Baptiste Brossard, ces échanges s’inscrivent « dans la continuité de leurs
habitudes de communication en ligne » (Ibid.). Ces entretiens, recoupés aux autres sources
d’information ainsi que l’entretien en direct, m’ont donc permis de dégager un corpus de
connaissances, m’ayant été utile pour la rédaction de ce mémoire.

La plupart de mes enquêtés m’ont contacté suite à mes demandes sur différents lieux de
discussion du speedrun : La partie anglophone et la partie francophone du forum de Speed
Demos Archive d’une part, le groupe Facebook « speedrunning » d’autre part. Ceux-ci ont tous
acceptés de se livrer à un entretien sur messagerie instantanée, sauf un, que j’ai pu rencontrer
en direct.

- Théo, 22 ans est un speedrunner Français, en études de lettres modernes. J’ai pu le


rencontrer en direct.
- Fred, 28 ans, est également Français. Cet ingénieur de recherches en physique, pratique
le speedrun depuis 2010, et a pris contact avec moi sur la partie francophone du forum.
- Hugo, 16 ans, est un étudiant anglais qui pratique le speedrun, ayant pris contact avec
moi sur le groupe Facebook « speedrunning ».
- Nicolas, 25 ans, est un speedrunner allemand, en licence d’informations et technologies.
Il pratique le speedrun depuis 2007, et m’a contacté suite à mon message sur la partie
anglophone du forum.

J’ai également eu l’occasion d’avoir de nombreuses discussions non-formelles sur différentes


messageries, notamment lors de speedruns en direct.

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D’autre part, mon terrain d’enquête ne s’est pas limité aux seuls entretiens : l’analyse des
différents sites où est mis en avant le speedrun a représenté une grosse partie de mon travail
d’enquête.

Je me suis particulièrement intéressé à Speed Demos Archive l’un des principaux sites traitant
du speedrun, et probablement à l’origine de son essor. Le forum rattaché au site a également
été une source non-négligeable d’information, étant un lieu de discussion très actif pour les
speedrunners, avec plus de vingt-deux mille membres.

Deux autres lieux d’échanges ont également été intéressants à observer :

- Le reddit (une plateforme communautaire très proche d’un forum) dédié au speedrun,
puisque près de quarante-sept mille membres y sont abonnés.
- Le groupe Facebook « Speedrunning ». Il s’agit d’un groupe fermé, constitué d’un peu
plus de cinq cents membres, où ces derniers s’échangent de nombreux contenus en
rapport avec le speedrun.

Par ailleurs, l’étude de la GDQ (Games Done Quick), un événement caritatif organisé par des
speedrunners, a également représenté une part importante de mon travail d’enquête. Ayant
réunis près de deux millions six cent mille euros en 2015, il s’agit d’un événement non-
négligeable. Héas et Poutrain notent d’ailleurs à propos des festivals, qu’« Il importe à
l’anthropologue de ne pas négliger cette piste du terrain plus classique, afin de pouvoir contrôler
les données obtenues sur Internet » (Héas et Poutrain, 2003). Notons cependant que cet
événement se déroule aux Etats Unis, aussi n’aurai-je pas l’occasion de me rendre sur place.
Celui-ci étant en revanche intégralement disponible en format vidéo, sur Internet, il m’a tout de
même été possible d’en observer une grosse partie.

L’émission Speed Game (auparavant 88mph), diffusée entre 2009 et 2015, m’a également
apporté des éléments de réflexion. Le speedrun y est analysé, et de nombreux speedrunners sont
intervenus au cours de ces émissions, afin d’expliquer leur travail ; constituant ainsi une source
précieuse d’informations.

Enfin, le documentaire « King Of Kong : a fistful of quartet », sortit en 2007, ainsi que d’autres
vidéos plus informelles m’ont permis d’étoffer ma réflexion autour de la pratique du speedrun.

Vous pouvez retrouver toutes ces sources dans la partie « références bibliographiques »
présente en fin de document.

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Chapitre 1 : Aux origines du
speedrun

Le speedrun est, par définition, inhérent aux jeux vidéo. Aussi, pour comprendre
comment celui-ci s’est structuré, il est essentiel de commencer par définir ce qu’est un « jeu
vidéo ». Dans cette première partie, nous allons donc tenter d’en apporter à la fois une définition
scientifique, mais également un historique de ce médium, afin d’en comprendre les rouages.

Cette définition du jeu vidéo permettra à la fois d’en appréhender – partiellement – les tenants
et aboutissants, mais également de comprendre l’émergence d’une culture de la réappropriation
autour de ce médium, dont le speedrun est l’un des principaux représentants. Nous poserons
ainsi les bases de la définition du speedrun, afin de pouvoir analyser ses mécanismes plus en
détail dans le second chapitre.

1 – Du jeu vidéo au speedrun : une histoire


des idées
Si le jeu vidéo s’est progressivement ancré dans notre culture moderne, cela ne s’est pas fait
sans accrocs. Comme pour de nombreux autres médiums en leur temps (romans, radio,
cinéma…), celui-ci a d’abord été perçu comme aliénant, avant de pouvoir devenir un sujet
légitime de recherche en sciences sociales. Apparu à partir des années 60, le jeu vidéo s’est
défini progressivement, au fil des idées de ses concepteurs.

1.1 – État du jeu vidéo

Depuis son apparition dans la sphère publique, le jeu vidéo a longtemps été détracté par
les médias traditionnels, les principales critiques lui reprochant de véhiculer des attitudes non

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conformes, tel que la violence, l’enfantillage, ou encore la misogynie. Des études de tous types
ont ainsi attestées tour à tour des méfaits ou bienfaits du jeu vidéo, n’hésitant pas à utiliser de
nombreux raccourcis. Ces différentes attaques à l’égard du jeu vidéo sont d’ailleurs encore
l’objet de débat, comme en attestent les différentes polémiques, souvent en rapport avec des
émissions de télévision. On peut par exemple citer l’exemple récent d’une journaliste de
l’émission « Le Petit Journal » sur la chaîne privée Canal +, s’étant moquée des utilisateurs de
Twitch, une plateforme de visionnage de parties de jeux vidéo3. Une pétition signée par 73 500
personnes a également été lancée pour demander des excuses publiques4, qui ont finalement eu
lieu quelques jours après. La principale réponse des joueurs fut d’ailleurs de rétorquer que
regarder un match de foot à la télévision était dans ce cas tout aussi stupide.

Durant les années 2000 les sciences humaines commencent à s’emparer peu à peu du sujet,
abordant le plus souvent les thématiques de la violence ou de la socialisation au sein des jeux
vidéo. D’autres auteurs comme Mathieu Triclot ont également tenté de définir ce qu’est le jeu
vidéo. L’exercice est difficile : le jeu vidéo est désormais installé dans notre culture, nous
sommes loin d’en avoir exploré toutes les possibilités.

En effet, si de nombreux auteurs ont par le passé étudié le jeu (R. Caillois, J. Huizinga,
D.Winnicott ou encore J. von Newmann), il s’agissait alors du jeu « classique » - principalement
les jeux d’argent ou de hasard. Mais avec l’arrivée des jeux informatisés, un nouveau rapport à
l’objet s’est créé : celui de l’homme à la machine.

Les études portant sur ce médium appartiennent plus généralement aux « game studies » (ou «
sciences du jeu », voire parfois « ludologie » en français), qui découlent directement des
théoriciens cités précédemment, et non aux « play studies » qui m’intéresseront ici. Celles-ci
présentent comme intérêt de prendre pour objet d’étude non pas le jeu en lui-même, mais le «
jouer » (play), selon la définition qu’en donne Mathieu Triclot:

« Cette étude du « play » se structure autour des deux propositions que nous avons examinées dans le
travail d'Henriot : la relativité radicale du jeu comme objet par rapport au jeu comme activité, le caractère
inévitablement inachevé de l'analyse des processus de subjectivation et le recours que cette analyse engage à un
certain usage de la philosophie. Cet usage peut se concevoir aussi bien comme une montée en généralité vers

3
Le Monde - Antoine de Caunes s’excuse d’avoir « froissé » les joueurs de jeu vidéo,
http://www.lemonde.fr/pixels/article/2014/09/01/antoine-de-caunes-s-excuse-d-avoir-froisse-les-joueurs-de-
jeu-video_4479800_4408996.html, 02/09/2014
4
Pétition « Canal +, Le grand journal : excuses à la communauté « jeux Vidéo » de la plateforme Twitch au
prochain grand journal »
https://avaaz.org/fr/petition/Le_grand_journal_Canal_Excuse_a_la_communaute_jeux_videos_ludiques_dans
_le_prochain_Grand_Journal/ (dernier accès mai 2016)

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l'analyse des cadres métaphysiques de l'attitude ludique que comme une redescente vers l'analyse des singularités
concrètes et des opérations de la subjectivité en situation, en lien avec le travail des sciences humaines. » 5

On peut néanmoins noter que ces auteurs s’attardent en général uniquement sur les jeux
vidéo grand public (généralement dénommés « AAA »). En effet, une part de plus en plus
grande de jeux vidéo indépendants apparaissent sur les plateformes de vente de jeux, proposant
des contenus souvent très subversifs en comparaison des jeux à gros budgets. Les études à leurs
propos restent très marginales, et le terrain semble encore en grande partie inexploré.

Enfin, le récent essor du « sport électronique » (ou e-sport) a permis de modifier une partie de
l’opinion publique. Bien qu’encore méconnu auprès de nombreuses personnes, l’e-sport est une
pratique montante qui pourrait à terme concurrencer les sports classiques. Née dans les années
90 avec les premiers jeux réseau multijoueurs et l’arrivée d’internet, la pratique éclate à partir
de 2005 avec le tournoi du jeu Painkiller (People Can Fly, 2004) qui mettra en jeu un million
de dollars de récompense. Désormais, il est possible de devenir un joueur professionnel, de
participer à des compétitions mondiales, bref, de devenir célèbre en tant que joueur.

Le succès de cette pratique est d’ailleurs visible : des compétitions suivies en direct par des
millions de spectateurs, 32 millions de spectateurs sur la finale du jeu League of Legend (Riot
Games, 2009) en septembre 20136. Cette année (2016), le « prize pool » (l’ensemble des gains
répartis entre les gagnants) de la compétition ‘’The International’’ du jeu Dota 2 (Valve, 2013)
dépasse les 18 millions de dollars7. On peut également noter la présence de partenaires tel que
Coca Cola ou MSI (fabricant d’ordinateur). Twitch, la principale plateforme de streaming vidéo
(voir encadré), et qui diffuse notamment les tournois d’e-sport, a d’ailleurs été rachetée en 2014
pour près d’un million de dollars par le géant Amazon8.

5
Mathieu Triclot, « Game studies ou études du play ? », Sciences du jeu [En ligne], 1 | 2013, mis en ligne le 01
octobre 2013, consulté le 05 mai 2016. URL : http://sdj.revues.org/223 ; DOI : 10.4000/sdj.223
6
Riot Games, “One World Championship, 32 million viewers” - URL:
http://na.leagueoflegends.com/en/news/esports/esports-editorial/one-world-championship-32-million-viewers>,
2014 (dernier accès mai 2016)
7
Valve Corporation, « The International Dota 2 Championships »
http://www.dota2.com/international/overview/, 2016 (dernier accès mai 2016)
8
Marco Mosca, « Pourquoi Amazon s’offre Twitch pour près d’un milliard de dollars »,
<http://www.challenges.fr/high-tech/20140826.CHA6921/pourquoi-amazon-rachete-twitch.html>, 27/08/2014
(dernier accès mai 2016)

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« Le streaming (…) ou diffusion en mode continu, désigne un principe utilisé principalement
pour l'envoi de contenu en « direct » (ou en léger différé) »9

En pratique, la technologie de streaming actuel permet de recevoir à partir d’un navigateur web
une capture audio et/ou vidéo en direct. Des sites internet tel que Twitch, livestream ou
récemment Youtube, permettent aux utilisateurs qui le souhaitent de « streamer » du contenu
vidéo sur la plateforme. Ils sont généralement nommés « streamers » (se prononce « strimeur
»). Dans le cas de Twitch par exemple, qui diffuse principalement du streaming de jeu vidéo,
les utilisateurs peuvent regarder les streamers jouer en direct. Il est possible de s’abonner à la
chaine de ce dernier, moyennant parfois un prix, variant entre cinq et quinze euros.

La pratique s’est beaucoup développée ces dernières années, et permet à certains streamers de
gagner leur vie. Leurs revenus proviennent essentiellement des dons, que les utilisateurs
peuvent faire pour encourager le streamer. Viennent ensuite les abonnements, puis les
éventuelles pubs diffusées pendant les pauses, permettant à un petit nombre d’atteindre parfois
un salaire supérieur à 2000€ par mois10.

Tout ceci concourt à faire de l’e-sport une pratique reconnue. Les médias traditionnels n’y sont
pas tous sensibles, mais quelques-uns s’adaptent : on peut citer l’exemple récent de la chaine «
l’équipe 21 », qui propose depuis janvier 2016 des matchs d’e-sport à la télévision11.

Mais avant de devenir une véritable industrie culturelle, avec des « blockbuster » (appelés jeux
triple A) proposant des compétitions à haut budget, le jeu vidéo a d’abord été sujet à de
nombreuses mutations. Ces évolutions ont été à la fois techniques, avec les progrès industriels
et technologiques liés aux machines de jeux, mais aussi conceptuelles. Le jeu reste un médium
très jeune en comparaison du cinéma par exemple. Il n’est en effet vieux que d’une soixantaine
d’années. Celui-ci a donc d’abord dû se définir.

9
Source : définition de « streaming » sur wikipédia - https://fr.wikipedia.org/wiki/Streaming, (dernier accès
mai 2016
10
Judgehype, « combien d’argent gagne un streamer sur twitch »
http://starcraft2.judgehype.com/news/combien-d-argent-gagne-un-streamer-sur-twitch-141052/ (dernier
accès avril 2016)
11
L’équipe 21, « E-football League : dès demain, le E-sport en prime time sur l’équipe 21 »,
http://blog.lequipe.fr/communiques/efootball-league-le-e-sport-en-prime-time-sur-lequipe-21, 21/01/2016
(dernière consultation : Mai 2016)

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1.2 – Brève histoire du jeu vidéo

Bien qu’il faille attendre jusqu’en 1972 pour découvrir le premier jeu commercialisé,
l’histoire du jeu vidéo commence vingt ans plus tôt. Les premières traces de sa
conceptualisation datent de 1951. Ralph Baer, un ingénieur américain travaillant chez le
fabricant de téléviseur Loral Electronics, a alors une idée : intégrer des jeux aux téléviseurs.
Mais son idée est refusée, et il faudra attendre 1966 pour qu’il développe sa première console
de jeux vidéo, la Brown Box.

Cependant, bien que Ralph Baer soit aujourd’hui considéré par beaucoup comme le « papa du
jeu vidéo », d’autres lui ont emboîté le pas, sans le savoir, au cours des années 50. C’est le cas
de Sander Shafto Douglas, qui en 1952 développe OXO, un jeu de morpion qui se joue contre
l’ordinateur, ou encore de William Higinbotham, dont l’histoire retiendra surtout son exploit :
en 1958, en reliant un oscilloscope à un ordinateur et en y ajoutant des manettes, il créera un
jeu souvent cité comme le premier jeu vidéo de l’histoire, Tennis for Two. Le concept est on-
ne-peut-plus basique : les deux joueurs doivent se renvoyer une balle, représentée par un point
lumineux, sans toucher la ligne centrale qui fait office de filet.

Mais l’histoire du jeu vidéo débute réellement en 1962 au Massachussetts Institute of


Technology (MIT). Trois étudiants y créent Spacewar, un jeu où deux joueurs se défient dans
l’espace à l’aide de vaisseaux. Sans le savoir, ils créent le premier jeu vidéo public :

« Le programme de 1962 est à l’histoire des jeux vidéo ce que les vues Lumière sont au cinéma. La forme
est encore rudimentaire, à peine une minute pour les vues Lumière, pas de montage, pas de film au sens moderne,
des graphismes réduits à leur plus simple expression pour Spacewar, mais l’effet fonctionne déjà à plein. »
(Triclot, 2011, page 104)

Cependant, ce jeu n’est pas vraiment le fruit du hasard. En effet, Steve Russell, John Graetz et
Wayne Wiitanen, les trois étudiants à l’origine de Spacewar font partis des pionniers du « hack
». Ce terme, bien qu’aujourd’hui souvent connoté et associé aux pirates informatiques. Mais en
réalité, il désigne le fait de « bidouiller » un objet ou un concept afin de l’améliorer :

« Un « hack » désigne alors une combinaison ingénieuse, une invention à laquelle personne n’avait
encore songé, que personne ne croyait possible avec les moyens du bord, un raccourci qui permet de faire plus
vite et plus élégamment. C’est de la technique, mais élevée au rang d’art, appréciée pour sa valeur esthétique, son
style, plutôt que pour son utilité. Tous les systèmes sont destinés à être ouverts, démontés, remontés. Le complexe
pourra toujours être ramené à ses éléments simples, l’opacité réduite à la transparence d’une compréhension
intégrale. » (Triclot, 2011, page 104)

BÉZAGUET Vincent 12
Le « hack » né en 1950 avec l’arrivée des premiers ordinateurs au MIT. Les étudiants utilisent
alors leur temps extra-scolaire pour « bidouiller » les machines. Ceux-ci progressent très vite,
outrepassant les systèmes de sécurité au besoin. À force d'exploits informatiques et de
commutations entre ordinateurs, les hackers parviennent à stabiliser un point sur un moniteur
vidéo, à le déplacer. Il ne manquera plus qu’à ajouter une manette au dispositif pour créer
Spacewar, en 196212.

Durant les années 60, les autres universités accèdent progressivement à des ordinateurs, et le
jeu se diffusera rapidement au sein des universités américaines, profitant des premiers systèmes
d’échanges informatiques, ancêtres d’internet. Le jeu finira par être intégré aux ordinateurs
DEC, servant ainsi à tester leur bon fonctionnement.

À force d’échange et de modifications, de nombreux clones du jeu apparaissent. En novembre


1971, l’un d’eux - Computer Space – est présenté aux industriels de l’amusement. Créé par
Nolan Bushnell, le jeu est présenté sous forme de borne d’arcade, copiant l’idée sur Galaxy
Game (Bill Pitts et Hugh Tuck, 1971), présenté deux mois plus tôt. Contrairement à Spacewar,
le jeu passe de deux à un joueur, et est désormais limité en temps par la borne. Bien que 1500
bornes finissent par être fabriquées, les ventes sont décevantes. Le jeu, encore complexe, ne
plaît quasiment qu’aux étudiants qui connaissent déjà Spacewar.

Mais Nolan Bushnell ne se laisse pas abattre, continuant de croire au potentiel des jeux vidéo.
En 1972, il fonde avec Ted Dabney la société Atari13. Tous deux commencent par essayer de
vendre sous licence des concepts de jeux vidéo aux grands fabricants de Chicago. En 1972, ils
recrutent un jeune ingénieur du nom de Al Alcorn et lui demandent de s’entraîner en créant un
jeu de ping-pong. N’ayant jamais vu le Tennis for Two de 1958, il parvient à créer un jeu
complètement différent de ce qu’avait imaginé Bushnell. Les raquettes disposent désormais de
sept angles différents pour renvoyer la balle, et le jeu accélère progressivement. Le but d’Alcorn
était ainsi de créer un jeu exigeant à la fois de l’habilité et de la vitesse d’exécution.

Le jeu, nommé Pong, connaîtra un succès phénoménal. Atari vendra ainsi près de 19 000 bornes
d’arcades, soit un énorme succès pour l’époque. La société est d’ailleurs connue comme celle
ayant eu l’ascension la plus rapide de l’histoire économique Américaine14. A l’origine Bushnell
et Dabney n’avaient investis que 500 dollars dans la société. Suite au succès de leur second jeu,

12
Wikipédia « Hacker (programmation) » https://fr.wikipedia.org/wiki/Hacker_%28programmation%29
01/05/2016 (dernier accès : Mai 2016)
13
Wikipédia « Atari Inc. » https://fr.wikipedia.org/wiki/Atari, 28/04/2016 (dernier accès : Mai 2016)
14
Steven C. Kent, “The Ultimate History of Video Games”, New York, Three Rivers Press, octobre 2001, p.227.

BÉZAGUET Vincent 13
Breakout (1976), la société sera rachetée par Warner Communication pour plus de 28 millions
de dollars.

Le succès de ces premiers jeux entraîne un engouement des industriels et du grand public pour
les bornes d’arcade. À partir 1972 commence « l’âge d’or des jeux vidéo d’arcade », période
où la popularité et l’innovation des jeux d’arcade furent à leur apogée. Les bornes d’arcade
envahissent tous les espaces publics, des centres commerciaux aux salles d’attente.

Au-delà de permettre au jeu vidéo d’être visible par le grand public, l’arcade a également
modifié la façon de jouer : si jusque-là, les jeux consistaient soit à s’affronter entre deux joueurs,
soit à gagner contre la machine, le modèle économique des bornes d’arcade modifie
radicalement le rapport à la machine. Pour s’assurer de la rentabilité des machines, il est en
effet nécessaire que les joueurs perdent leurs parties. Si ceux-ci arrivaient à triompher
continuellement du jeu, alors ils n’auraient pas besoin de remettre de crédit dans la machine.
Celle-ci cesserait alors d’être rentable pour son propriétaire.

Et c’est là l’un des coups de génie de Bushnell pour son jeu Pong. Alors que jusque-là, le but
était de terminer le jeu, de gagner contre l’ordinateur, le but sera désormais de ne pas perdre.
Pour se faire, il y rajoute des contraintes, comme l’accélération du jeu ou la saturation visuelle
à l’écran, afin d’empêcher les joueurs de passer trop de temps sur les bornes. Ainsi, dans le jeu
Tetris (Alekseï Pajitnov, 1984), les blocs sont de plus en plus rapides à tomber, et il deviendra
rapidement difficile pour le joueur de lutter contre le fatal « game over ».

On peut alors s’interroger sur l’intérêt de jouer si l’on sait que l’on va perdre. Il existe deux
réponses, dont la première est avancée par Mathieu Triclot:

« Dans l’arcade, on joue pour perdre, ou plus exactement pour ce moment de la perte de soi, de la perte
du contrôle, de l’accident, du débordement, de la petite mort. Et d’où vient la jouissance ? Non pas de perdre pour
perdre, certainement, mais plutôt de pouvoir se sauver à l’extrême limite » (Triclot, 2011)

Il y a donc un sentiment proche de la montée d’adrénaline chez le joueur d’arcade, un plaisir à


aller au bout de ses limites, toujours plus loin contre la machine.

L’autre réponse, qui nous intéressera ici d’autant plus, est le classement (ou « ranking » en
anglais). Celui-ci, disponible dès 1972 sur les bornes d’arcade « Pong », et d’autant plus mis en
avant par son mode d’emploi – qui tient en une phrase : « Avoid missing ball for high score. »,
littéralement : « ne rate pas la balle pour obtenir le meilleur score ». Ce « meilleur score » est

BÉZAGUET Vincent 14
disponible directement sur la borne d’arcade, et visible de tous. Le but n’est plus simplement
d’aller le plus loin possible, mais d’aller plus loin que les autres.

Ce système va rencontrer un tel succès que la première borne du jeu Pong cessera de fonctionner
au bout d’une semaine, victime de son succès. Ce succès fulgurant va donner naissance à une
vague de « pong-like », le jeu étant copié par des dizaines et des dizaines d’entrepreneurs, dans
des formes parfois très éloignées de l’original.

Quoi qu’il en soit, Pong a, à lui seul, posé les bases du jeu d’arcade, mais aussi de nombreux
principes du jeu vidéo dit « compétitif ». De cela naîtra une nouvelle pratique au début des
années 1990 : le speedrun.

1.3 – Du jeu vidéo compétitif au speedrun

Le speedrun tire directement ses origines de la communauté du jeu Doom (ID Software,
1993). Distribué à l’origine en tant que shareware15, ce jeu de tir à la première personne16,
premier jeu vidéo du genre, rencontre un énorme succès. Il sera téléchargé près de 10 millions
de fois17 sur le site web de l’éditeur, et l’idée sera rapidement copiée par de nombreux autres
éditeurs de jeu vidéo.

En novembre 1994, soit presque un an après sa sortie, le joueur britannique Simon Widlake
créé le site Compet-n. Il souhaite alors réunir les records de temps réalisés pour terminer les
différents niveaux de Doom. Pour cela, les joueurs doivent envoyer une « démo » (‘’demo’’ en
anglais), c’est-à-dire un enregistrement de leur partie, afin que le temps puisse être vérifié par
d’autres. A l’origine, les démos étaient principalement utilisées par les éditeurs afin de
promouvoir leurs jeux. On date ainsi du 18 novembre 1994 la première démo postée sur le site
internet de Compet-n, par un joueur du nom de « Sven ‘’Dasa’’ Huth ». La plateforme

15
Un shareware, ou partagiciel en français, est un logiciel distribué gratuitement, mais demandant généralement
aux utilisateurs de l’acheter après une période d’essai.
16
Dans les jeux de tirs à la première personne, ou FPS en anglais (First Person Shooter) le joueur joue à travers
les yeux d’une personne armée, généralement un militaire, devant se battre ou tuer des ennemis. Dans Doom, le
joueur incarne un space marine devant survivre contre des créatures démoniaques.
17
(Référence Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Doom#cite_note-3) John Roadie, 19 septembre 1994,
Interview with Jay Wilbur. En septembre 2004, id Software a vendu environ 100 000 copies du jeu. D’après Jay
Wilbur, responsable du marketing de Doom, pour le marché du partagiciel cela représente 1 % des jeux en
circulation, ce qui laisse penser que 10 million de copies ont circulé

BÉZAGUET Vincent 15
continuera d’accueillir les records des joueurs jusqu’en 2005, avant que le site ne soit
progressivement abandonné.

Pourtant, plus d’une dizaine d’années avant l’arrivée de Compet-n, existait déjà le site Twin
Galaxies. Walter Day, son créateur, eu l’idée de créer un tableau des scores international des
jeux d’arcade, après avoir vu une couverture du Time sur laquelle figurait des jeux vidéo.
D’après le site, six mois après sa création, Walter Day recevait plus de cinquante appels par
jour de joueurs provenant des quatre coins du monde et voulant faire valider leurs scores. C’est
ainsi plus d’une centaine de jeux qui vont rapidement être référencés sur le site internet, qui
deviendra rapidement le tableau de score officiel des jeux d’arcade. Cette officialisation des
scores va permettre l’apparition du jeu vidéo compétitif : désormais, chaque joueur peut se
confronter aux autres, en proposant un score meilleur que celui présent sur le site. Walter Day
se chargeait alors de regarder chacune des cassettes qui lui étaient envoyées, afin d’en vérifier
l’intégrité et ainsi valider le score avant que celui-ci ne soit ajouté au site. Il sera rapidement
rejoint par d’autres personnes, qui l’aideront dans cette tâche.

Alors qu’est ce qui explique que ce site ne soit pas considéré comme à l’origine du speedrun ?
On peut trouver la réponse dans les règles de soumission de scores, présentes sur le site de Twin
Galaxies18.

Ces règles stipulent que le jeu doit être joué avec le matériel pour lequel il est prévu, et dans «
l’esprit du jeu » prévu par ses développeurs :

« The use of "glitches" or "glitch tactics" that defeat the generally accepted understanding of the spirit of
the game / or reasonable interpretation of the intention of the game's designers are disallowed as a general rule. »
(Twingalaxies.com, general gameplay global rules and guidelines)

Comme nous le verrons par la suite, il s’agit là de la principale différenciation entre jeu
compétitif et speedrun.

La légitimité du site atteindra son apogée en 2008, avec la publication de « The Guinness World
Records - Gamers Edition 2008 », né d’un partenariat avec la société éponyme, qui considérera
alors le site comme son partenaire officiel pour valider les records du monde de jeux vidéo.

Mais si Twin Galaxies a pour but de recenser les meilleurs scores réalisés, le site se limite au
jeu « neutre », sans artifice ni manipulation - selon les règles que nous avons évoqué plus haut.
Il n’est donc qu’assez peu surprenant que les premiers speedrun de Doom aient été postés sur

18
Accessible à l’adresse http://www.twingalaxies.com/help.php (dernier accès mai 2016)

BÉZAGUET Vincent 16
une plateforme dont les règles sont plus permissives, bien que la triche y soit tout aussi mal
considérée.

C’est probablement en raison des limitations de ces deux sites, l’un limité à une forme « pure »
de compétition, et l’autre au seul jeu Doom, qu’à la toute fin du 20e siècle, en 1998, apparaît
l’un des derniers acteurs centraux du speedrun : le site internet Speed Demos Archive (SDA).
Il est à l’origine ouvert, à la façon de Compet-n, comme le site de référence des records sur le
jeu Quake (id Software, 1996), connu pour être le principal concurrent du jeu Doom – et
pourtant édité par la même société.

En 2004, le créateur de Speed Demos Archive, Nolan ‘’Radix’’ Pflug, après avoir réussi à
terminer le jeu Metroid Prime (Retro Studios et Nintendo, 2002) à 100% en 1h3719, décide
alors d’ouvrir le site à d’autres jeux. Rapidement, une équipe de bénévoles se met en place afin
de vérifier et mettre en ligne les run20. Devant le succès du site, l’équipe sera rapidement
modifiée, certains ne pouvant pas être assez disponible face à l’augmentation constante du
nombre de vidéos soumises à arbitrage sur le site.

Début 2010, l’équipe de Speed Demos Archive organise le premier marathon de speedrun à but
caritatif, le « Classic Games Done Quick ». Pendant plusieurs jours, des speedrunners se
succèdent pour tenter de battre leurs records. L’évènement est retransmis en direct sur la
plateforme internet Twitch. En 2015, l’évènement permettra de récolter près de 2M7 $ de
donations.

Le succès grandissant du marathon va ainsi permettre la découverte du speedrun pour


de nombreuses personnes, l’évènement étant au fil des années retransmis et commenté par de
plus en plus de sites internet spécialisés. C’est le cas par exemple de jeuxvideo.com, le plus
gros site francophone traitant de jeu vidéo. Des vidéastes présents sur la plateforme vidéo
Youtube sont également à l’origine ce succès, ayant pour certains fait découvrir l’évènement à
leurs abonnés, que ce soit en y participant, ou simplement en diffusant l’information. Ainsi, si

19
Nolan Pflug (archives), « Metroid Prime (GCN) - 100% 1:37 - Nolan Pflug »
https://archive.org/details/MetroidPrime_137, 2013 (dernier accès mai 2016)
20
Run = littéralement « course » en anglais ; il s’agit du nom donné à un essai de speedrun. Exemple : j’ai fait
une run sur mario et j’ai presque battu mon record

BÉZAGUET Vincent 17
le speedrun a d’abord été une pratique de niche, il est aujourd’hui pratiqué, mais surtout regardé
par un public de plus en plus large.

2 – Cross-média vidéoludique et culture de


la réappropriation

2.1 – Machinima, mods, fanfictions & co.

Nous l’avons vu, le jeu vidéo a d’abord été un objet de recherche dans les milieux étudiants
américains. Spacewar fut ainsi le pionnier de ce mouvement, et les années qui suivirent ont été
l’occasion de reprendre, modifier, améliorer le jeu. En somme, se le réapproprier. Le jeu
« Computer Space » de Bushnell, n’est autre qu’une modification de son ancêtre spacewar, dans
le but de répondre à des besoins commerciaux, en adaptant la puissance nécessaire pour le jeu
aux configurations informatiques de l’époque. Cette propriété du jeu vidéo à pouvoir être
réutilisé – parfois contre la volonté de son créateur – s’est largement diffusée, et l’on retrouve
aujourd’hui plusieurs exemples de jeux commercialisés (DayZ, The Stanley’s Parable, …)
s’étant construits à partir de jeux pré-existants.

De nombreuses communautés se sont ainsi formées autour de la réappropriation de ce médium.


Fanny Barnabé21, qui a étudié ce processus, distingue 4 formes actuelles de réappropriation
propre au jeu vidéo :

- Le modding22, qui consiste à modifier le système d’un jeu. Cela peut être un système
intégré par les créateurs au jeu afin de permettre aux joueurs d’y rajouter du contenu
(des armes, des cartes, etc…), ou au contraire un détournement du jeu par les joueurs.
C’est le cas par exemple de Dota, une version minimaliste23 du jeu Warcraft III qui fut

21
Barnabé Fanny, « Autour du jeu vidéo : la culture de la réappropriation » [En ligne], Université de Liège, mai
2013, (URL : http://hdl.handle.net/2268/159509 )
22
Un mod (abréviation de modification) est un jeu vidéo créé à partir d'un autre, ou une modification du jeu
original, sous la forme d'un greffon qui s’ajoute à l'original, le transformant parfois complètement. Les mods les
plus courants se rencontrent sur PC, dans les genres tir à la première personne ou stratégie en temps réel. Les
auteurs de mods sont appelés moddeurs. (Source : Wikipédia)
23
Il s’agit en réalité d’une modification des mécanismes du jeu. Le jeu original étant un jeu de gestion basé sur
la guerre, où le joueur doit construire des structures afin de créer une armée. Le mod supprime la création de

BÉZAGUET Vincent 18
par la suite commercialisé. Ce mods a par la suite rencontré un énorme succès, et créé
son propre genre vidéoludique : les MOBA (Multiplayer Online Battle Arena ou Jeu de
bataille en arène multijoueur). Le jeu le plus célèbre, League of Legend, rassemble
désormais près de 67 millions de joueurs actifs chaque mois.

- Les Machinimas, qui sont des films d’animation créés à partir de contenus
vidéoludiques. Les « vidéastes » utilisent des séquences tirées du jeu (cinématiques ou
actions du joueur) afin de créer des vidéos de taille et de sujet très variés. Il peut s’agir
aussi bien de vidéos humoristiques que musicales ou documentaires. Le jeu vidéo
devient alors un matériau permettant de produire du contenu à bas coût. F.Barnabé note
que bien qu’il s’agisse d’une pratique périphérique, elle est progressivement légitimé
par les milieux universitaires ainsi que par la mise en place de festivals dédiés.
(Barnabé, 2011, p.2)

- Les fanfictions (ou « fanfic »), des récits littéraires basés sur des univers fictionnels
existant. Il s’agit de récits que les fans d’une œuvre écrivent afin de prolonger, enrichir
ou transformer celle-ci. Il peut s’agir de romans, d’une série télévisée, d’un jeu vidéo,
d’un manga ou encore d’une célébrité. Pour prendre un exemple connu, le livre
« Cinquante Nuance de Grey » est à l’origine une fanfiction basée sur le livre
« Twilight ».

- Enfin, la dernière forme de réappropriation qu’identifie F. Barnabé est le speedrun. Elle


note :
« Les speedrunners mettent un point d’honneur à personnaliser leurs parcours, à le
ponctuer d’actions divertissantes propres à susciter l’intérêt de leur public. Ces amateurs
ne sont donc pas uniquement des joueurs assidus, ils sont aussi des metteurs en scène
qui, en détournant les jeux de leurs buts initiaux, génèrent un produit neuf. » (Barnabé,
2013)

Le jeu vidéo est donc un médium malléable, ayant permis l’émergence d’une culture du
détournement, et dans lequel le speedrun puise ses origines. Ces différents aspects que nous
venons de voir n’auraient cependant pas été possibles, du moins pas avec une telle envergure,
sans le concours d’Internet. En effet, c’est grâce l’apparition de ce nouveau moyen de

structure, et ne rend utilisable qu’un seul personnage, le joueur devant aller le faire se battre contre les joueurs
ennemis.

BÉZAGUET Vincent 19
communication que vont pouvoir converger progressivement des individus isolés, et ainsi se
former en communauté.
Autour d’une culture qui a su progressivement se mettre en place, le jeu vidéo n’appartient
désormais plus à ses seuls créateurs.

2.2 – le besoin de se former en communauté

Que ce soit pour les programmeur de mods, les scénaristes de machinimas, les écrivains
de fanfictions, ou plus encore les speedrunners, tous ont besoin d’échanger entre eux.
Qu’il s’agisse d’échanger des conseils, trouver de l’aide ou simplement trouver un public à qui
présenter leurs œuvres, ces créateurs ont tout intérêt à se rassembler. Pourtant, dans les années
60, les premières communautés de moddeurs se forment, très proches de la mouvance hacker.
Cependant, celles-ci sont d’abord limitées aux milieux étudiants et chercheurs, d’abord du MIT,
puis aux autres universités américaines ayant accès à Internet. Mais grâce à la démocratisation
des ordinateurs et d’Internet, ces communautés ont pu s’ouvrir très largement au reste du
monde.
La communauté hacker est à ce titre très intéressante, car elle est probablement la plus
représentative de ces types de mouvements communautaires « 2.0 »24 . Son histoire commence
au début des années 60 dans les laboratoires du MIT (Massachussetts Industry of Technology),
avec des étudiants qui manipulent les ordinateurs présents dans les sous-sols de l’université -
nous en avons déjà parlé. Cependant, ce n’est qu’à partir des années 80 qu’émerge au grand
jour l’éthique hacker (voir encadré) avec une seconde vague de bidouilleurs. Bénéficiant du fort
développement technologique et de l’arrivée des micro-ordinateurs, cette nouvelle génération
est cette fois-ci avant tout constituée d’étudiants issus de la classe moyenne, là où la précédente
génération était associée à un certain élitisme. Influencés par la science-fiction et la cyberculture
d’un côté, insatisfaits par la société de l’autre, ils tentent au travers de leurs exploits
informatiques de transformer le monde. Bien loin du stéréotype du pirate informatique souvent
véhiculé, les hackers sont avant tout des bidouilleurs à la recherche de solutions.

24
En référence à l’expression « web 2.0 » qui désigne l'ensemble des techniques, des fonctionnalités et des
usages qui ont suivi la forme originelle du web, caractérisée par plus de simplicité et d'interactivité. Elle
concerne en particulier les interfaces et les échanges permettant aux internautes ayant peu de connaissances
techniques de s'approprier de nouvelles fonctionnalités du web. Les internautes peuvent d'une part contribuer
à l'échange d'informations et interagir (partager, échanger, etc…) de façon simple, à la fois au niveau du
contenu et de la structure des pages, et d'autre part entre eux, créant notamment le Web social. L'internaute
devient, grâce aux outils mis à sa disposition, une personne active sur la toile. (Source : Wikipédia -
https://fr.wikipedia.org/wiki/Web_2.0 , dernier accès mai 2016)

BÉZAGUET Vincent 20
L’éthique Hacker est un ensemble de principes, d’abord (sous-jacents) au sein des hackers du
MIT, avant d’être formalisés par Steven Levy en 1984. Ce journaliste américain identifie cinq
principes propres à ce mouvement. Bien que jamais débattus jusque-là, ils firent rapidement
consensus au sein de la communauté :

 Toute information est par nature libre, afin d’améliorer la créativité collective.
 Il faut être anti-autoritariste, ou plus précisément « ne pas faire confiance à l’autorité,
promouvoir la décentralisation ».
 Les hackers doivent être jugés uniquement sur leurs prestations techniques, et non pas
sur des critères socio-économiques (âge, sexe, diplôme, position sociale, …).
 Un programme informatique peut répondre à des critères purement esthétiques et donc
représenter une forme d’art. Cela englobe par extension toute production basée sur
l’esprit hacker.
 Enfin, « Les ordinateurs peuvent changer votre vie pour le meilleur ». Il s’agit là du
postulat que l’évolution des ordinateurs (puissance de calcul, développement de
nouveaux services, etc...) va permettre de nombreuses améliorations sociales
(conditions de travail, partage et production de connaissances, …)

Cette éthique hacker a orienté l’essentiel du mouvement, et se retrouve désormais très largement
au-delà du simple domaine informatique. Des mouvements mondiaux (« Do It Yourself »,
mouvement faire, etc…) rassemblent ainsi des hackers de toutes origines autour de problèmes
variés et parfois très éloignés de l’informatique. Créer ses propres vêtements, concevoir soi-
même des objets, inventer de nouveaux modèles politiques ; sont autant de possibilités
développées par ces communautés.

Source : Michel Lallement, L’âge du faire : hacking, travail, anarchie (2015)

Mais ce qui différencie réellement le second mouvement hacker de son prédécesseur,


c’est sa capacité en quelques années à se transformer en un mouvement mondial, utilisant alors
Internet comme moyen de communiquer. Le mouvement n’étant plus limité aux seuls
universitaires américains, celui-ci s’intensifie au fil des années, se regroupant en communautés
sur Internet via l’apparition de sites communautaires accessibles à tous (forums, messagerie
instantanée, …). Cela permettra dès lors d’intensifier les échanges entres hackers, qui finiront
par se regrouper physiquement, d’abord au sein de conférences et de hackathons25 puis de

25
Un hackathon (contraction de « hack » et « marathon ») est un rassemblement ponctuel de hackers, durant
lesquels ceux-ci doivent par exemple créer un objet utile, dans un temps restreint (généralement 48 à 72h).

BÉZAGUET Vincent 21
clubs26 ou de hackerspaces27. Dans son ouvrage L’âge du faire, Michel Lallement met ainsi en
évidence la nécessité pour ces mouvements de se « faire communauté » (Lallement, 2015).

Ce besoin de se rassembler en communauté semble donc à la fois cause et conséquence


d’Internet. De plus, les hackers sont en partie les fondateurs de l’Internet que nous connaissons.
Il n’est donc pas surprenant que les communautés s’étant développées à partir des années 90,
avec l’accès « généralisé » à Internet, aient naturellement intégrées une partie de ces concepts :
il est d’ailleurs intéressant de voir que l’éthique hacker se retrouve en partie dans les différentes
communautés de fans qui gravitent autour du jeu vidéo. Que ce soit les fanfictions, les
machinimas, les mods ou encore le speedrun, tous utilisent par exemple des critères esthétiques
pour juger leurs œuvres (informatiques).

Comme nous allons le voir, le speedrun ne pourrait d’ailleurs pas exister dans sa forme actuelle
sans s’être fait communauté.

3 – Qu’est-ce que le speedrun ?


3.1 – Définition

Le terme « Speedrun » est la contraction des termes anglais « speed » (vitesse) et « run
» (course). Il s’agit donc littéralement d’une course de vitesse. Le terme est utilisé dans le
domaine du jeu vidéo pour désigner la tentative d’un joueur d’atteindre un objectif le plus
rapidement possible, généralement la fin du jeu.

26
C’est le cas du Chaos Computer Club (CCC), un club de hackers allemand actif depuis le début des années 80.
27
Les hackerspaces (ou Hacklabs) sont des espaces de travail dédiés au hack, s’étant développés à partir du début
des années 2000. Dans la forme, ils peuvent être vu comme des laboratoires communautaires, ou les échanges de
ressources et de savoirs sont encouragés.

BÉZAGUET Vincent 22
La définition officielle la plus représentative est présente sur le Reddit (une plateforme web
sociale, proche d’un forum) officiel des speedrunners - le nom générique des personnes
pratiquant le speedrun :

“Speedrunning is a play-through of a video game performed with the intent of completing a goal as fast
as possible. “28

« Le speedrun est le fait de jouer à un jeu avec l’intention de compléter un objectif le plus rapidement
possible ».

Les speedrunners choisissent un jeu vidéo, se fixent un objectif (généralement selon des
catégories prédéterminées) et tentent de l’atteindre en un minimum de temps. Les meilleurs
temps sont disponibles sur les sites de speedrun, auxquels chaque speedrunner est libre de
soumettre son propre temps, record du monde à la clef. Ceux-ci sont envoyés sous forme de
vidéos et vérifiés par les administrateurs du site avant d’être éventuellement publiés.

Contrairement au « jeu compétitif », l’utilisation de glitchs29 y est autorisée, bien que certaines
catégories de speedrun l’interdisent (« glitchless »). Cette utilisation d’éléments non souhaités
par les créateurs du jeu fait d’ailleurs débat30, certains speedrunners considérant qu’il ne s’agit
alors plus du jeu original.

Il existe au total quatre catégories principales de speedrun :

 Le any% : aucune règle spécifique, le joueur doit terminer le jeu le plus rapidement
possible, avec ou sans utilisation de glitch. Le low% est un dérivé dans lequel le joueur
doit terminer en ayant remplis le moins d’objectif possible (le moins de niveaux
parcourus ou d’objets ramassés, par exemple).

 Le 100% : le joueur doit terminer le jeu à 100%, c’est-à-dire remplir tous les objectifs
présents (par exemple, ramasser toutes les pièces du jeu). Cela peut se décliner pour

28
Source : https://www.reddit.com/r/speedrun/
29
Les glitchs sont des bugs informatiques pouvant provoquer des évènements non-prévus par les développeurs
du programme. Dans l’utilisation qu’en fait le speedrun, il s’agira principalement de bugs affectant le
déplacement du personnage (traverser des murs, se téléporter, courir plus vite…) ou permettant de sauter une
partie du jeu. Par extension, le terme désigne l’exploitation de ce bug.
30
Débat sur l’éthique du speedrun sur le site Reddit,
https://www.reddit.com/r/speedrun/comments/450t4j/ethics_of_speedrunning_games_possibly_an_open/
(dernière consultation 25 avril 2016)

BÉZAGUET Vincent 23
certains jeux en catégories spécifiques, comme dans Super Mario Galaxy où il existe
trois catégories (60, 120 ou 242 étoiles à récupérer durant la partie).

 Le glitchless : Le joueur doit terminer le jeu sans utiliser de raccourcis ou de bugs non-
prévus par les développeurs.

 Le tool-assisted speedrun (ou TAS) : Le joueur utilise un logiciel externe (un émulateur)
afin de contrôler le déroulement du jeu. Il peut alors le regarder image par image (on
parle de « frame31 » dans le cas d’un jeu vidéo) et ainsi y programmer des actions
spécifiques32 seconde par seconde. Une fois terminé, le TAS est donc équivalent à une
« run parfaite », c’est-à-dire le parcours optimal permettant de terminer le jeu le plus
rapidement. Les TAS permettent par ailleurs d’utiliser certains glitchs n’étant pas
humainement réalisables lors d’un speedrun classique. Certains considèrent par ailleurs
le tool-assisted speedrun comme une forme d’art.

Cette dernière catégorie reste cependant séparée des trois autres, ne s’agissant ‘’que’’ de
programmation, et non d’une façon de jouer à part entière. Les scores obtenus ne sont donc pas
comparables avec les autres catégories. Bien que certains aspects du tool-assisted speedrun nous
intéresseront, je m’intéresserai avant tout aux trois autres formes de speedrun.

Un même jeu peut également avoir en son sein des catégories spécifiques, selon le type
de jeu, mais aussi l’imagination de chacun. Il existe par exemple des « blind speedrun », qui
consistent à tenter de terminer un jeu tout en ayant les yeux masqués.

31
La frame est la plus petite unité de temps dans un jeu vidéo, celui-ci étant composé en général de soixante
frame par seconde. Cela correspond à la fréquence d’animation (en images par seconde) de la console ou de
l’écran utilisé. Dans un speedrun, on parle de « sauver des frames », c’est-à-dire gagner quelques secondes de
temps en optimisant ces frames. Enfin, on parle de « frame perfect » lorsqu’une action est réalisée à la frame
précise (dans un laps de temps d’un soixantième de seconde)
32
Ou « Input » (‘’données’’ en anglais), c’est-à-dire des commandes obtenues habituellement via une manette
ou un clavier. Par exemple, la touche « espace » sur clavier est généralement associé au mouvement de saut du
personnage. Dans un TAS, le speedrunner va donc ‘’dire’’ au logiciel « à ce moment, tu utilises la touche espace »,
ce qui aura pour conséquence de faire sauter le personnage à ce moment précis de l’enregistrement.

BÉZAGUET Vincent 24
Tableau 1 - Sondage présent sur le forum SDA - https://forum.speeddemosarchive.com/post/blind_speedrunning.html
Lecture : 18 des 37 utilisateurs du forum ayant répondu au sondage ont déjà effectué un « blind » speedrun.

A ces premières catégories s’ajoutent les « segments », c’est-à-dire la façon dont le speedrunner
va jouer au jeu : soit en un seul essai - il s’agira alors d’un « single-segment » - soit en plusieurs
sessions mises bout-à-bout - on parlera alors de « multi-segment » (ou « n-segment »). Là où
un speedrun en single-segment nécessitera la concentration du speedrunner de bout en bout, le
multi-segment permet au contraire de diviser le travail en plusieurs parties, généralement en
fonction des niveaux du jeu à l’aide des sauvegardes.

Les speedruns, et encore plus les tool-assisted speedruns peuvent ainsi atteindre des records
phénoménaux. Le jeu « Super Mario World », sortit en 1990 sur Super Nes est un très bon
exemple. Si pour un joueur averti il faudra compter au minimum trois à quatre heures pour
terminer le jeu, il n’a fallu qu’une heure et vingt-cinq minutes en 100%, ou dix minutes et vingt-
neuf secondes en any% pour le double-recordman Jon O’Rourke. En tool-assisted, les
speedrunners BrunoVisnadi, Amaraticando et Masterjun ont atteint les quarante et une
secondes et quatre-vingt-un centièmes, toujours sur ce même jeu.

Enfin, presque n’importe quel jeu peut être speedrunné, ce qui m’a été confirmé par mes
entretiens (traduit de l’anglais) :
Moi : Tu penses que c’est possible de speedrunner des jeux sur smartphone?
Nicolas : Comme quels jeux ? Le problème c’est que la plupart n’ont pas de fin précise
Moi : Donc un jeu avec une fin clairement définie, c’est possible ?
Nicolas : Tu lis les règles, quand le jeu est conforme à celle-ci, tu peux le speedrunner. Je pense que ça
ne s’applique pas à la plupart des jeux adaptés pour téléphone portable, mais il y a peut-être des
exceptions.

BÉZAGUET Vincent 25
Moi : On peut speedrunner tous les jeux ?
Hugo : Je crois oui
Moi : Si je veux speedrunner un jeu sur internet par exemple ?
Hugo : Je pense, mais la plupart des tableaux de score (présents sur les sites officiels) contiennent pas
plus de 3 personnes.

Moi : Et on peut speedrunner n’importe quoi ?


Fred : on peut le faire si c'est fun évidemment. Par contre pour enregistrer et/ou partager des vidéos, bof.
SDA a pas mal de runs sur DS par exemple33

Le speedrun peut donc a priori concerner n’importe quelle œuvre vidéoludique tant-est qu’elle
ait une fin identifiable. La liste des « règles fondamentales » présente sur le site de Speed Demos
Archive34 - et auxquelles mes enquêtés ont régulièrement fait référence au cours des entretiens
- renseigne les jeux acceptés ou non par le site :

SDA will accept hosting speedruns for many games, but not all. Here are some examples of games that
won't be accepted:

- Alpha/beta versions or early access of a game


- Shareware and demos (i.e. partial full games)
- Romhacks
- Game mods (defined as requiring the original game in order to play)
- Games that can't be sped up. Examples are games that run on a fixed timer or rail shooters. A rail
shooter can be an acceptable game choice if there are enough gameplay elements that allow the game to
be sped up compared to a normal playthrough. Examples could be lag reduction techniques, particularly
long boss fights or boost abilities.
- Games without clearly defined start and end points.
- Games where you play against other human players.
- Games with ”morally questionable” content (extreme racism or adult content etc).

Les jeux interdits ne se limitent donc pas aux seuls jeux sans fin précise : les jeux non terminés
ou partiels (comme les versions de démonstration), les jeux piratés, modifiés ou ayant un
contenu « moralement questionnable », et enfin les jeux contre d’autres joueurs.
La page des règles ne se limite d’ailleurs pas à la description des jeux qui ne peuvent être
speedrunnés, et détail également le type de configuration matérielle nécessaire (les émulateurs
autorisés, la façon d’enregistrer la vidéo, les éléments indispensables pour faire valider le

33
Ndlr : Il existe plusieurs speedrun de jeux sur DS (une console portable produite par Nintendo) sur le site
Speed Demos Archive
34
Speed Demos Archive, « règles fondamentales »
https://kb.speeddemosarchive.com/Rules#Fundamental_rules (dernier accès mai 2016)

BÉZAGUET Vincent 26
speedrun, etc...). Enfin, pour toute question ne figurant pas dans cette liste, nous sommes invités
à la poser sur le forum du site (traduit de l’anglais) :

Que faire si j’ai une question qui n’est pas présente ici ?

Premièrement, utilisez la fonction rechercher sur le forum et regardez si quelqu’un n’a pas déjà poser la question.
Ensuite, s’il y a un sujet spécifique au jeu [qui vous intéresse] sur le forum, posez votre question et voyez si vous avez
des réponses. Si tout le monde échoue, expliquez au mieux votre question sur la partie générale du forum. Souvenez-
vous qu’il n’y a pas toujours un expert de votre jeu parmi les membres de Speed Demos Archive. Pour qu’ils puissent
vous aider au mieux, essayez d’être le plus clair possible dans votre demande.

Enfin, le speedrun est accessible à tous. Il n’y a pas de prérequis pour devenir
speedrunner (traduit de l’anglais) :

Moi: Et tout le monde peut être dans cette communauté ?


Hugo : Oué, le speedrunning est une communauté fantastique
Moi : Haha d’accord
Hugo : Tout le monde peut être dedans oui. C’est une communauté très ouverte.
Moi : Donc je pourrais moi, par exemple ?
Hugo : Oui tu peux. Et tu seras vraiment bien traité.

Pour résumer, le speedrun consiste donc à tenter de terminer un jeu le plus rapidement possible.
Chaque personne est libre de participer n’importe où et à n’importe quel moment, du moment
qu’elle se plie aux règles créées en amont par les autres speedrunners. Les scores sont ensuite
vérifiés et centralisés sur une plateforme spécialisée afin d’obtenir un classement mondial.

Les sites de speedrunning - Speed Demos Archive en tête - jouent donc un rôle essentiel
dans l’univers du speedrun. Nous l’avons vu, ceux-ci ont été créés afin de recenser tous les
scores mondiaux, et ainsi créer un classement mondial de chacun des jeux proposés. Mais au-
delà de leurs rôles d’arbitres, ces sites ont également su devenir des plateformes actives. A la
façon des hackers, les speedrunners ont pu échanger grâce à internet et aux différents hubs qui
s’y sont développées, se formant alors en communauté(s).

3.2 - Faire communauté(s)

L’une des questions que je me posais au début de cette enquête était : existe-t-il une ou
plusieurs communautés ? A ce titre, j’ai donc demandé sur le groupe Facebook
« speedrunning » quels étaient les sites qu’ils fréquentaient :

BÉZAGUET Vincent 27
Capture 1 - Sondage posté sur le groupe Facebook « speedrunning »

Possibilité de choisir plusieurs réponses ou d’ajouter des choix au sondage.

Les commentaires de ce sondage m’ont également aidé, certains m’expliquant l’usage fait des
différentes plateformes (traduits de l’anglais)35 :

Bryce : j’ai ajouté « twingalaxies », mais c’est moins un endroit pour parler de speedrunning que pour
soumettre ses runs. Il y a moins de speedrunners ici que j'aimerais en voir, car c'est la section jeux vidéo
du Guiness World Record
Peter : Speed Demos Archive c’est pour les forums, Speedruns live c’est pour les courses. Speedrun.com
c’est un peu pour tout.
Andreas: Je parle le plus souvent sur les chats des stream sur twitch, et c’est là que j’apprends les stratégies
ou que je pose mes questions. Gaminglive c’est l’équivalent pour la communauté française. Ils ont réussi
à rassembler tout le « gaming » à un seul endroit.
Thorben : Et il y a des forums spéciaux, par exemple pour Mario Kart 64, Ocarina Of Time, …

Ce dernier point m’a d’ailleurs été confirmé au cours de mes entretiens :

Fred : chaque jeu ou série de jeux a sa communauté je dirais


Fred : Tomb Raider, Dark Souls, Final Fantasy, Assassin's Creed, etc
Fred : des communautés de toutes les tailles

35
Sondage et commentaires visibles par les membres du groupe facebook « speedrunning » -
https://www.facebook.com/groups/206524582855662/permalink/521451604696290/ (dernier accès avril
2016)

BÉZAGUET Vincent 28
Fred : Super Mario 64 doit être parmi les plus grandes
Fred : Dark Souls aussi d'ailleurs

Le speedrun semble donc s’être développé en une multitude de communautés. Ou plutôt, une
multitude de groupes gravitent au sein de la grande communauté des speedrunners. Celle-ci est
partagée entre plusieurs plateformes, ayant pour la plupart un rôle spécifique. Twin Galaxies
est le site le plus officiel, les records y étant affiliés au Guiness World Record (mais rappelons
que seul les speedruns glitchless y sont éligibles), Speed Demos Archive rassemble les règles
généralistes ainsi que le principal forum de discussion, Twitch et Speedruns Live permettent de
regarder des vidéos en direct, et éventuellement de discuter avec les autres spectateurs ou le
joueur. Enfin, speedrun.com semble être un hub pour ces différents sites, et gaminglive son
équivalent pour la communauté française.

Après quelques recherches à propos des communautés spécifiques à des jeux, il semblerait que
celles-ci se développent au sein même des sites cités précédemment.

L’exemple du jeu Dark Souls est assez explicite. Bien que sorti en 2011, il bénéficie d’une
communauté de speedrunners non négligeable (118 scores référencés sur speedrun.com36), bien
que celle-ci semble également très disparate :

Les meilleurs scores sont présents sur speedrun.com, speed demos archive, ainsi qu’un wiki
dédié, speedsouls37. Chacun de ces sites indique le temps obtenu, le pseudo du joueur et le lien
de la vidéo faisant preuve. Des chanels de discussion en ligne ont également été mis en place
par les speedrunners du jeu, par exemple sur Discord (logiciel de discussion vocale) ou IRC
(messagerie instantanée). Cependant, cette communauté reste avant tout visible sur les forums
officiels (Speed Demos Archive en tête), dans les sous-parties du forum qui lui sont dédiées ;
ou encore sur le reddit /r/speedrun.

Enfin, les nouveaux speedrunners demandant de l’aide sont soit redirigés vers ces ressources,
soit vers une liste référençant des vidéos explicatives 38 - par exemple sur la façon de passer un

36
Tableau des meilleurs scores sur le jeu Dark Souls - http://www.speedrun.com/Dark_Souls#Any (dernier
accès mai 2016)
37
Wiki dédié au jeu Dark Souls - http://speedsouls.com/darksouls:Leaderboard (dernier accès mai 2016)
38
Document texte présentant les différentes solutions pour speedrunner le jeu -
http://pastebin.com/WkfywHbd (dernier accès mai 2016)

BÉZAGUET Vincent 29
boss39 plus rapidement - sinon sont-ils au moins aiguillés vers les vidéos et expériences des
autres speedrunners.

Capture 2 - Une demande d’aide sur le reddit /r/speedrun. Source :


https://www.reddit.com/r/speedrun/comments/1xgcys/dark_souls_speed_running_community/

Question : « J'essaie de faire un speedrun de Dark Souls, mais je ne trouve pas de bonne communauté ou ressource. Quelqu’un
en connait ? » Réponse : « Dark Souls a une assez grande communauté de speedrunning, avec plein de guides. Ici [lien vers
une liste de vidéos explicatives] tu trouveras des liens avec les routes et les guides. Regarde aussi Santzo84, Noobest, Hantzbro
et Lobosjr sur Twitch. Ce sont tous des streamers actifs sur Twitch. »

Bien que des sites spécifiques se développent pour ces jeux - comme c’est le cas du wiki
« speedsouls » - leur portée semble cependant rester limitée. Les principaux sites de speedrun
restent les plateformes de référence. En revanche, les communautés de ces jeux développent
des espaces de communication intermédiaires, tel que des messageries instantanées, afin de
communiquer entre eux de manière plus efficace, et peut être plus informelle.

Enfin, les vidéos semblent représenter l’une des principales ressources du speedrun, celles-ci
étant porteuses de savoirs ou de techniques particulières. Ce sont également des lieux de
discussion privilégiés.

Que ce soit sur Twitch (ou autre plateforme de streaming) où les spectateurs peuvent discuter
entre eux - et éventuellement avec le streamer - pendant la diffusion, ou sur Youtube (ou autre
plateforme d’hébergement de vidéo) où les spectateurs peuvent commenter la vidéo et faire
référence à des passages explicites de celle-ci. Ainsi, les « communautés » que j’ai pu identifier
ne semblent pas s’inscrire dans des cadres délimités.

Il semblerait au contraire que, bien qu’une communauté mondiale existe (nous reviendrons sur
son caractère international plus tard), celle-ci soit composée d’une myriade d’acteurs, chacun

39
Un « boss » désigne généralement, dans un jeu vidéo, un ennemi plus puissant que les autres. Il se trouve
généralement en fin de niveau, et doit être battu pour passer au niveau suivant.

BÉZAGUET Vincent 30
plus ou moins présents sur ses différents lieux d’existence. Qu’il s’agisse de la communauté au
sens large ou de ses satellites, ce sont avant tout les différents lieux de pratique ou d’échange
qui représentent leurs espaces d’existence.

Ainsi, si les scores et techniques sont centralisés sur un nombre restreint de sites, il existe
en revanche de nombreux autres foyers créatifs inhérents à la communauté des speedrunners,
parfois pour un même jeu.

3.3 - L’expérience en plus

Si je me suis intéressé jusque-là à la manière dont s’est construit, puis organisé le speedrun, je
n’ai en revanche pas encore abordé la question de son intérêt. En effet, à l’occasion de
discussions informelles concernant mon sujet de recherche avec des personnes ne connaissant
pas le speedrun, ou n’ayant jamais joué aux jeux vidéo, deux questions sont régulièrement
revenues : « ça leur apporte quoi de faire le jeu le plus vite possible, ils n’en profitent même
pas ? » et « à quoi bon refaire le même jeu en boucle ? »

Il s’agit là de critiques souvent formulées à l’encontre du speedrun, mais légitimes. Le speedrun


gâche-t-il l’expérience de jeu en ne se concentrant que sur le but de finir celui-ci le plus vite
possible ? N’est-il pas ennuyeux, voir rébarbatif de refaire le même jeu en boucle ?

L’une des premières réponses des speedrunners est généralement d’expliquer qu’au contraire,
il s’agit d’une plus-value pour le jeu. En effet, au regard de l’industrie du jeu vidéo actuel, ayant
tendance à produire des jeux de plus en plus courts (5 à 15h de jeu sur des triple A actuels,
contre 30 à 60h au début des années 2000), le speedrun permet d’augmenter la durée de vie des
jeux. Bien qu’il s’agisse d’une durée de vie qualifiée d’« artificielle » (car non prévue par les
concepteurs), il n’en reste qu’un jeu peut être considéré comme inachevé par un joueur s’il n’a
pas été exploité à 100% par ce dernier.

Par exemple, des jeux comme ceux de la franchise Mario, particulièrement appréciés des
speedrunners, sont encore joués 20 ans après leur sortie. Il y a l’expérience de jeu de base (tenter
de sauver la princesse) et celle du jeu complet (trouver toutes les pièces, découvrir les passages
secrets, etc…). Le jeu donne donc, ipso facto, la possibilité d’être rejoué pour obtenir un

BÉZAGUET Vincent 31
meilleur score. Cette nouvelle partie peut alors être l’occasion pour le joueur de se donner un
challenge : essayer de terminer le jeu le plus rapidement possible. Dès lors, le joueur devient
un speedrunner, il ne s’agit pourtant là que de sa deuxième tentative sur le jeu. Peut-on alors
parler d’action rébarbative ?

La boucle de gameplay est un élément central du game-design40. Celle-ci consiste à définir des
boucles de gameplay41 plus ou moins grandes (micro, moyen ou macro) d’éléments de jeu. Une
action qui consiste à se déplacer, ou taper un ennemi sera ainsi considéré comme une boucle
micro, se rendre d’un point A à un point B ou obtenir un objet correspondra à une boucle
moyenne, tandis qu’une boucle macro sera l’accumulation des boucles micro et moyennes, et
représentera l’objectif majeur du joueur, de terminer le jeu par exemple. Cela permet de diviser
le jeu en plusieurs parties afin de le travailler et de le comprendre plus facilement. 42

Si ces boucles de gameplay sont invisibles pour les joueurs, celles-ci sont présentes sur tous les
jeux, et représentent l’un des principaux rapports à l’objet (au jeu) pour le joueur. En effet,
celui-ci sera contraint de les utiliser afin d’avancer dans le jeu, bien qu’il n’ait pas forcément
conscience de leur existence. On peut donc dire que tout jeu vidéo est répétitif, car ne représente
qu’un enchaînement de boucles de gameplay, plus ou moins variées selon le jeu. Pourtant, si
cela n’est pas rébarbatif pour autant, c’est que ces éléments sont intégrés au sein d’un univers
vidéoludique donnant au joueur l’impression de varier son expérience de jeu. Tout comme
marcher tout droit peut être rébarbatif car il s’agit de répéter le même geste (une jambe après
l’autre), le fait de faire une randonnée et de découvrir des paysages changera drastiquement le
regard du marcheur sur ses actes.

Concernant les speedrunners, ceux-ci décortiquent les boucles de gameplay afin d’en optimiser
l’efficacité, et en ont donc pleinement conscience. Leur expérience n’y est pas pour autant
limitée, d’autant que le choix des jeux speedrunnés se fait selon l’affinité des joueurs. Il semble
alors nettement moins ennuyeux de refaire un jeu qui plaît, tout comme l’on retournerait toutes

40
Ce terme désigne l’ensemble des mécaniques et règles servant de base à tout jeu, bien que le terme soit
surtout utilisé dans le domaine du jeu vidéo. La caméra (ce qui est montré au joueur), les commandes (définie
selon le dispositif utilisé) et les personnages (ce que le joueur peut faire comme action) sont les trois principaux
éléments dans le game-design d’un jeu.
41
Le gameplay (fait de jouer, ou « expérience vidéoludique » en français) est un anglicisme qui désigne de
manière générale le ressenti du joueur lors de l’utilisation d’un jeu vidéo. Il s’agit d’un concept au croisement
entre la jouabilité, la maniabilité et la difficulté du jeu.
42
Pour plus de détails, voir les vidéos de Doc Geraud sur le sujet :
https://www.youtube.com/watch?v=2z7nIDSbloc

BÉZAGUET Vincent 32
les semaines contempler un paysage qui nous plaît. L’aspect répétitif du jeu ne se faisant pas
forcément sentir, par exemple lorsqu’il existe de nombreuses boucles de gameplay dans le jeu.

D’ailleurs, certains jeux proposent des boucles de gameplay de « speedrun » : C’est par
exemple le cas de Crash Bandicoot (Naughty Dog, 1996), dans lequel certains niveaux doivent
être traversés le plus rapidement possible, chronomètre à l’appui. Ce procédé est présent dans
de nombreux jeux, parfois même sur son ensemble. Le premier épisode de la série de jeux vidéo
Prince of Persia (Brøderbund, 1989) demandait ainsi au joueur de terminer le jeu en moins
d’une heure.

La présence d’un chronomètre dans le jeu permet par ailleurs aux speedrunners de comparer
leurs temps de manière plus précise : contrairement aux logiciels externes, ceux-ci ne prennent
pas en compte les temps de chargement, par exemple. Cela permet donc de réduire les
différences matérielles (comme la puissance de l’ordinateur) pouvant exister entre deux joueurs.

Enfin, mes entretiens m’ont permis d’identifier différentes raisons pour lesquelles le speedrun
apporte une expérience supplémentaire à celle offerte par le jouer « classique » (traduit de
l’anglais) :

Moi: Tu m’as dis que le speedrun était un nouveau moyen de t’amuser avec les jeux vidéo? Pourquoi ?
Hugo : Et bien d’habitude quand je joue à un jeu vidéo, j’essaie juste de le terminer. Quand tu speedrun, ça
ajoute plein d’éléments techniques, un rythme plus rapide et un facteur fun.
Moi : Pourquoi est-ce plus technique ?
Hugo : Eh bien tu as des trucs spécifiques à faire pour avoir de bons résultats, comme le « frame perfect », des
mouvements ou d’autres trucs dont je ne me rappel pas.

Moi : Pourquoi t'as voulu en faire du coup?


Moi : Enfin, qu'est ce qui t'intéressais dans le speedrun?
Fred : parce que j'adore le jeu et que j'adore être efficace
Fred : dans le sens où
Fred : j'aime bien prendre du temps pour planifier scientifiquement quelque chose pour que, au final, ce soit
efficace
Moi : Ok, donc c'est une sorte de hobbies pour toi?
Fred : exactement
Moi : Et du coup pour toi, c'est quoi l'intérêt de speedrunner?
Fred : ben ça fait bien passer le temps, déjà
Fred : et puis quand on voit le résultat qui est très efficace c'est agréable

BÉZAGUET Vincent 33
Nicolas : J’ai fait un de mes premiers speedrun sur le jeu portal 1, c’était mon premier.
Moi: Donc tu connaissais déjà le speedrun avant?
Nicolas : Plus tard, je me suis débattu avec la méthode « OOB » et j’ai abandonné. Et puis en 2008 j’ai trouvé
ThimeShift, j’en ai fait un speedrun, et je n’y ai plus touché jusqu’en 2015.
Moi : C’est quoi la méthode « OOB » ?
Nicolas : (…) « Out Of Bounds” 43(OOB) signifie que tu atteins des zones que les développeurs n’avaient pas
prévu que tu atteignes. A partir de là ça te fait prendre des raccourcis de fou !
Moi : Pourquoi t’as été intéressé par le speedrun ?
Nicolas : J’ai joué a Portal le jour de sa sortie et je l’ai adoré. Après avoir terminé l’histoire, j’ai continué avec les
challenges proposés par le jeu : les dernières étapes et objectifs du jeu, les meilleurs temps. Je voulais tous les
faires, mais je ne comprenais pas comment obtenir le meilleur temps sur certains niveaux. J’ai dû chercher sur
Youtube, et je suis tombé sur une vidéo de fou, sur comment atteindre les meilleurs temps du jeu. Je pense que
c’est à partir de là que j’ai découvert la communauté SDA, et qu’il y avait un gros sujet de discussion sur Portal,
mais personne n’avait encore fait de speedrun sérieux. J’étais intéressé par le jeu, et par le fait de pouvoir dire
« j’ai un record du monde », du coup je m’y suis mis.
Moi : Du coup pourquoi tu aimes le speedrun ?
Nicolas : Quand il y a un record à battre, ou à établir, tu veux essayer de speedrunner le jeu pour montrer à tous ce
qui est possible de faire avec ce jeu, quelles astuces peuvent être utilisées pour le faire, ou comment on pourrait
s’améliorer sur un autre essai. Quand tu as le record, tu essaie de t’améliorer. Je regarde plein de fois mes vidéos
après, et j’essaie de trouver d’autre raccourcis, ou d’améliorer le temps et les itinéraires de certains passages.
Quand je stream, j’essaie aussi de faire du single-segment, qui est une expérience plus difficile pour moi, mais ça
me permet d’apprendre parce que j’ai plus de chance de tomber sur un imprévu que sur une run segmentée. C’est
marrant de montrer aux gens à quel point tu peux « casser » un jeu auquel ils ont surement joué un jour, et les voir
ébahis.

Bien que ces entretiens et leur propos ne soient pas exhaustifs, ils permettent de mettre en
lumière différentes raisons poussant les joueurs à s’intéresser au speedrun. Certains
speedrunners - principalement des tool-assisted speedrunners - évoquent également le plaisir à
déconstruire le jeu, à en analyser les mécanismes. L’analyse de Fanny Barnabé44 quant aux
motivations des TASpeedrunners permet d’apporter des éléments de réflexion
supplémentaires :

« L’accès au système (au game) et sa maîtrise passent avant tout par une déconstruction de l’œuvre. D’une
part, la volonté de réduire le temps de jeu à son minimum entraine nécessairement un aplanissement de la
complexité formelle du titre vidéoludique (les dialogues ou cinématiques sont passés, les événements importants
sont évités ou franchis dérisoirement vite,...) : «There is an almost perverse pleasure to be derived from
reducing games of this scale and complexity to their barest [...]»(Newman, 2008: 129). D’autre part, la recherche
de bugs exploitables demande, bien souvent, de tester le jeu jusqu’à sa destruction (Newman, 2008 : 114). Ce

43
Littéralement « en dehors des frontières » en français.
44
Barnabé Fanny (2014), « Le speedrun : pratique compétitive, ludique ou créative ? Trajectoire d’un
détournement de jeu vidéo institué en nouveau game », Communication au colloque Ludovia 2014. Les objets
numériques : création et consommation, Ax-les-Thermes [en ligne]. URL :
http://culture.numerique.free.fr/publications/ludo14/Barnabe_Ludovia_2014.pdf (dernier accès mai 2016)

BÉZAGUET Vincent 34
désir de pousser le logiciel dans ses derniers retranchements se retrouve, d’ailleurs, régulièrement énoncé dans
les discours des praticiens :

Déclaration des administrateurs de TASVideos45 sur la page de présentation du site46 :

« we make these movies because they are entertaining to watch, and because we are curious how far a game
can be pushed »

L’objectif de cette déconstruction méthodique est, ultimement, d’exhiber la structure du jeu en mettant au jour
toutes ses possibilités, toutes les utilisations inédites qui peuvent en être faites. (Barnabé, 2014)

Plus qu’une réappropriation, le speedrun semble donc avant tout représenter un


challenge personnel pour ceux qui s’y essaient. Il s’agit alors de décortiquer le jeu vidéo afin
de pouvoir en tirer son plein potentiel. Réunis en communautés, les speedrunners peuvent ainsi
échanger entre eux et continuer de s’améliorer. Pourtant, au-delà de l’aspect technique,
artistique, et peut être même personnel du speedrun, n’est-il pas avant tout une compétition ?
Sa définition primaire est, rappelons-le, d’atteindre la fin d’un jeu le plus rapidement possible,
record du monde à la clef. Les speedrunners semblent donc être en constante compétition entre
eux. Pourtant ils ne semblent pas se définirent comme des compétiteurs.

45
www.tasvideos.org Il s’agit d’un site spécialisé dans le référencement et l’arbitrage des speedrun « tool-
assisted » uniquement.
46
Note associée: « Welcome to TAS Videos » sur TASVideos. URL:
http://tasvideos.org/welcometotasvideos.html.

BÉZAGUET Vincent 35
Chapitre 2 : Entre loisir et
compétition

Les hommes ont toujours été en compétition. Que ce soit par les armes, la science, l’art,
ou d’autres moyens, celle-ci a toujours été présente chez l’Homme. La compétition permet de
se comparer, de savoir qui est le meilleur. Pourtant, au fil du processus de civilisation qui a
abouti à nos sociétés actuelles, les affrontements ont en grande partie perdu leur caractère
mortifère. Nos sociétés sont ainsi progressivement passé d’affrontements guerriers à des
compétitions régulées et non-violentes. Norbert Elias s’est justement intéressé à cette
transformation, au travers de la naissance du sport.

« La plupart des sports comportent une part de compétition. Ce sont des jeux qui
requièrent une force et une adresse de type non militaire, les règles imposées aux concurrents
visant à diminuer les risques de blessures corporelles » (Elias, 1984 ; p.25)

Le speedrun rentre également dans cette définition. Peut-il pour autant être assimilé à un sport ?

Dans le but de comprendre si le speedrun a une portée compétitive, je m’intéresserais donc à


ses similitudes avec le sport, tout en essayant d’en comprendre les éventuelles limites. Pour cela
j’utiliserai principalement les travaux de Norbert Elias et Eric Dunning, rassemblés dans
l’ouvrage Sport et civilisation - La violence maîtrisée (1998), ainsi que ceux de Pascal Duras
dans Sociologie de la compétition (2009). Je tenterais d’adopter la même démarche que ces
auteurs, qui, comme le souligne, Roger Chartier dans l’avant-propos « proposent un
comparatisme sans anachronisme, puisqu’ils confrontent le sport moderne et les jeux grecs ou
médiévaux sans pour autant postuler leur appartenance commune à une même catégorie ».

Dans ce chapitre, je m’interrogerai également sur l’aspect disciplinaire du speedrun. Il


m’intéresse en effet de comprendre, en analogie avec le sport mais aussi avec la science, si cette
pratique se limite ou non au simple loisir.

BÉZAGUET Vincent 36
1 - Sport et speedrun
Tout comme le speedrun, le sport engage deux adversaires dans le but de gagner la victoire.
Sont-ils pour autant comparables ?

1.1 - Se dépasser, atteindre la perfection.

Dans le sport, « n’importe qui peut devenir quelqu’un, quelle que soit sa race ou sa condition
d’origine47 ». Le speedrun et le sport ont en commun leur caractère universel. Comme je l’ai
montré dans le premier chapitre, la pratique du speedrun est ouverte à tous, et tout comme le
sport, elle revêt également un caractère fortement compétitif. Ces deux disciplines ont pour
objectif d’atteindre la perfection ou, du moins, de dépasser ses concurrents.

« Nul meilleur modèle de classement méritocratique que celui où une seconde représente
une immensité, où un dixième de seconde est encore une unité de mesure bien trop vaste et
imprécise pour départager deux concurrents, et où, pour y parvenir, il est nécessaire
d’avoir recours à un chronométrage au centième de seconde ». (Duras, 2009)

Si Pascal Duras parle ici du sport, il est possible d’effectuer un rapprochement avec le speedrun.
Dans l’un comme dans l’autre, l’arbitrage est un élément central. Celui-ci permet de garantir
l’égalité entre les concurrents, et l’on considère donc que seul leurs compétences personnelles
les départageront. Or, plus les enjeux de la compétition seront important, plus l’arbitrage devra
être précis, les différences entre les différents sportifs se réduisant progressivement avec le
temps. Pascal Duras souligne à ce propos l’importance de l’évolution des instruments de
mesure. L’évolution technique du chronomètre a ainsi permis d’enregistrer des temps toujours
plus précis, dans des épreuves où les compétiteurs sont toujours plus proches les uns des autres.
Cette évolution est également la conséquence d’une amélioration continue des athlètes. Par
exemple, le record du 100m est resté entre 1968 et 1986 autour des 11 secondes, et ce n’est
qu’aux jeux de Mexico que Jim Hines a finalement réussi à passer sous la barre symbolique des
10 secondes. En 2009, un nouveau record est établi par Usain Bolt : 9 secondes et 69 centièmes.
Le record se joue désormais en dixièmes de seconde, faisant de la seconde être une unité de
mesure obsolète.

47
Alain Ehrenberg, Le Culte de la performance, p.91, Paris, Calmann-Lévy, 1991

BÉZAGUET Vincent 37
Cette précision de la mesure est également très importante dans le speedrun, les outils
d’arbitrage s’y étant également développés au fil du temps. Certains records, comme le
speedrun de Super Mario Bros en any% se départagent ainsi en centièmes de secondes :

Tableau 2 - Meilleurs temps réalisés en speedrun sur le jeu Super Mario Bros, en catégorie "any%". Disponible sur
http://www.speedrun.com/smb1

La perfection ne semble ainsi jamais atteinte. Tout comme les sportifs, les speedrunners sont
en recherche constante d’amélioration. Cela m’a d’ailleurs été confirmé lors de mes
entretiens. L’un d’eux m’explique :

Fred : aucun run n'est parfait.


Fred : donc ça peut changer mais ça dépend des standards et des stratégies
Fred : par exemple Dark SOuls
Fred : le record est resté très longtemps à 50:56 et on le considérait très bon
Fred : puis quelqu'un a fait un 50:30 ou quelque chose comme ça
Fred : puis j'ai découvert ce truc qui a fait un 49:30 environ
Fred : puis il y a eu d'autres gros raccourcis et de plus petites stratégies
Fred : aujourd'hui on est à 44:45
Fred : et le recordman est moyennement content !

Cette envie constante d’amélioration peut d’ailleurs s’expliquer par la place centrale des
tableaux de score sur les différents sites de speedrun. G.Vigarello explique pour le sport que
l’omniprésence des tableaux de résultats dans les stades amène à une « inéluctable avancée vers
un toujours plus, lui-même valorisé par un toujours mieux » (Vigarello, 2004). Pascal Duras
note à ce propos qu’« il ne peut guère y avoir de records ni de dépassements de soi sans
possibilité de chiffrage et d’archivage des performances. Les victoires ne deviennent des
records que comparées aux performances passées » (Duras, 2009, p.56).

BÉZAGUET Vincent 38
Car pour ‘’comprendre’’ un exploit, il est souvent nécessaire de le comparer à son prédécesseur.
Dans le cas du speedrun, il est facile d’établir un record : n’importe quel jeu peut être ajouté du
moment qu’il respecte les règles imposées par le site.

Moi: Si je veux speedrunner un jeu sur internet par exemple?


Hugo : Je pense oui, mais la plupart des tableaux de scores contiennent genre trois personnes.

Mais si n’importe qui peut décider d’obtenir un record du monde de speedrun de cette façon,
celui-ci n’aura probablement que très peu de valeur. Premièrement, car il s’agira d’un jeu peu,
voire pas connu. Deuxièmement, car la « performance » ne pourra pas être appréciée, aucun
élément ne permettant de la comparer, et donc de la juger.

Au contraire, dans le cas de performances comparables, le record sera d’autant plus


impressionnant que la marge de progression est infime. C’est le cas des scores de Super Mario
Bros, vus précédemment. Sorti en 1985 et ayant rencontré un vaste succès mondial, ce jeu est
l’un des plus speedrunnés. En 2003, le record est de 5 minutes et 17 centièmes, quatre ans plus
tard il n’est descendu qu’à 5 minutes et 5 centièmes. En 2014 le record passe finalement sous
la barre des cinq secondes. Mais la « run parfaite » n’est toujours pas atteinte. Le dernier record
est une amélioration de 4 dixièmes par rapport au précédent, réalisé en avril 2016 par le
speedrunner américain Darbian.

Réalisé durant un streaming sur la plateforme Twitch, sa réaction ainsi que celle du public
(visible dans le chat à droite) montre bien à quel point l’exploit est de taille :

BÉZAGUET Vincent 39
Capture 3 - Le speedrunner Darbian quelques secondes après avoir obtenu le record du monde sur le jeu Super Mario Bros.
À gauche : temps réalisé sur chaque partie du speedrun, temps total et rythme cardiaque ; Au centre : l’écran de fin du jeu ;
À droite : le salon de discussion sur lesquels les spectateurs peuvent réagir en direct. Vidéo accessible à l’URL :
https://www.twitch.tv/darbian/v/60465436

Le rythme cardiaque du speedrunner, disponible en temps réel lors de la vidéo, monte alors
jusqu’à 172 battements par minutes après l’exploit. Le public, qui peut réagir en direct au
streaming via un chat, l’encourage tout du long. Le nombre de messages à la seconde explose
au moment où le résultat tombe : le record est battu. Le speedrunner n’en revient pas, et son
public continue de le féliciter durant de longues minutes, avant que son cœur ne finisse par se
calmer. La vidéo est sobrement sous-titrée « I have reached my potential in this category - I'm
done! My quest is over. » (J’ai atteint mon plein potentiel dans cette catégorie - j’ai fini ! Ma
quête est terminée.), en référence à la phrase de fin du jeu « Thank you Mario ! your quest is
over. » (Merci Mario ! Ta quête est terminée.)

Tout comme pour le record de Usain Bolt aux 100 mètres, il n’est pas dit qu’un nouveau record
ne sera pas atteint. En revanche, la marge est cette-fois ci bien mince : le tool-assisted speedrun

BÉZAGUET Vincent 40
de ce jeu est de 4 minutes 57 secondes et 31 centièmes… soit à peine 2 dixièmes de
différence. Sur la discussion Reddit concernant le record 48, quelqu’un note:

Capture 4 - Traduction : Pour ceux qui ne sauraient pas, il s’agit d’une amélioration d’à peu près 0,15 secondes, ce qui signifie
que la catégorie « any% » est à peu près morte. Darb a dit qu’il avait terminé avec cette run, et franchement je ne peux pas le
blâmer.
D’ailleurs, pour ceux qui ne saurait pas à quel point c’est extraordinaire parce que tous les passages sont à +0.0, il était
littéralement à égalité avec ce que peut faire un tool-assisted speedrunner jusqu’au passage 8-4. Il est à moins de 10 frames
de la run parfaite. Je ne suis pas sûr à 100% de ce chiffre, donc si quelqu’un sait, merci de me corriger.

Tout comme pour le sport, la seconde n’est donc plus une unité de mesure assez précise
pour comparer les joueurs. Car si certains records ont longtemps été considérés comme
imbattables, les speedrunners ont dans la plupart des cas réussi à montrer le contraire. Là où le
sport est limité par les capacités physiques de l’homme, le speedrun est avant tout limité par la
physique du jeu. S’agissant d’un environnement virtuel, le jeu vidéo est soumis aux mêmes
conditions que n’importe quel logiciel : il peut être altéré49.

Pourtant, si les règles du jeu proposées par les développeurs sont souvent contournées par les
speedrunners, il ne s’agit pas pour autant d’une activité anomique. Au contraire, le speedrun est
très fortement réglementé. L’égalité des participants est garantie d’une part par la justesse des
instruments de mesure, d’autre part par la régulation de la pratique. Si les différentes catégories
sont soumises à des règles strictes, l’enregistrement de la vidéo l’est tout autant : un record du
monde doit être vérifiable.

De la même façon que pour le sport, la régulation est une composante essentielle du
speedrun. Pourtant, il faut garder à l'esprit que le sport peut n'être qu'un simple loisir dans lequel

48
Fil de discussion reddit “[WR] Super Mario Bros. any% in 4:57.260 by darbian” - URL:
https://www.reddit.com/r/speedrun/comments/4epd2v/wr_super_mario_bros_any_in_457260_by_darbian/
(dernier accès 5 mai 2016)
49
Tout logiciel peut présenter des failles dans sa conception, permettant d’en modifier l’utilisation ou le
contenu.

BÉZAGUET Vincent 41
la performance n'est pas l'objectif, en même temps qu'une discipline codifiée et régulée. Le
speedrun serait-il donc, tout comme le sport, tour à tour loisir ou discipline ?

1.2 - Entre loisir et discipline : poser les règles

Pourquoi le sport peut-il à la fois être considéré comme un loisir et une discipline ? Un
loisir est, par définition, une activité se déroulant sur un temps libre, dont l’on peut disposer, en
opposition avec un temps prescrit, contraint.

Mes entretiens m’ont rapidement confirmé que c’était également le cas du speedrun.
Les propos de Fred sont explicites : « Comme c'est pas multijoueur je décide de mon temps
comme j'en ai envie. Donc si je veux faire autre chose je gère mes priorités. D'ailleurs ça va
faire 10 ans que je suis avec ma copine qui n'est pas gameuse.». Le speedrun est un loisir.

La définition d’une discipline renvoie quand-à elle, à deux significations :

1) Le respect des règles :

La discipline peut alors être personnelle (comme la discipline ecclésiastique) ou imposée


par le groupe, par exemple la discipline militaire.

2) L’appartenance à une branche d’étude :

Il peut s’agir de l’enseignement (disciplines académiques, scientifiques, éducatives), de l’art


ou du sport. De manière générale, cela désigne donc une branche de savoir développée par
une communauté de spécialistes adhérants aux mêmes pratiques de recherche.

Intéressons-nous d’abord au premier point. Comme le souligne Rocher Chantier dans l’avant-
propos des travaux d’Elias et Dunning, « L’histoire de chaque sport est fondamentalement
l’histoire de la constitution d’un corps de règlements, de plus en plus détaillé et précis, qui
impose un code unique à des manières de jouer ou de s’affronter qui, auparavant, était
strictement locales ou régionales » (Chantier, 1994). En effet, si le sport tel que nous le
connaissons actuellement est régulé de manière très stricte, et que ces règles sont universelles,
cela n’a pas toujours été le cas.

BÉZAGUET Vincent 42
Elias retrace l’origine des premiers sports à l’Angleterre du XVIIe siècle. A cette période, de
nombreux pays se « civilisent », selon le terme utilisé par Erasme de Rotterdam, « civilité ».
Cette recherche de raffinement s’est traduit dans la société anglaise par un accroissement de la
sensibilité à l’égard de la violence. C’est au cours de ce processus de civilisation que plusieurs
activités ont été rigoureusement codifiées, se transformant en sport par l’acquisition de ces
nouvelles caractéristiques. C’est par exemple le cas de la boxe, où l’utilisation des jambes pour
frapper son adversaire a été proscrit, ou encore le football (soccer) et le rugby, s’étant
principalement distingués par l’utilisation ou non des mains pour déplacer la balle.

Ce processus de sportification50 des passe-temps ne relève pour Elias ni du hasard, ni du


déterminisme social. Pour lui, « le sport [est] étroitement lié aux conditions de civilisation dans
la société en général, et donc au jeu combiné des avancés de processus de civilisation et de dé-
civilisation » (Elias, 1984 ; p.59).

La société anglaise du XVIIe siècle a connu de nombreux changements politiques, qui se sont
entre autres traduit par la fin des luttes armées pour le pouvoir. Suite à de nombreux conflits est
apparu la gentry, la noblesse anglaise non-titrée. L’accès progressif de cette classe de
« gentlemen » ainsi que des propriétaires fonciers au pouvoir a entrainé une vague de
pacification du peuple anglais. Or, ce sont également au sein de ces classes que sont apparus
les premiers sports régulés. Elias en conclue « que l’apparition du sport en Angleterre au cours
du XVIIe siècle a fait partie intégrante de la pacification des classes supérieures anglaises ».
(Elias, 1984 ; p.39)

En effet, le sport permet à la fois de se dépenser physiquement, mais aussi psychologiquement.


Celui-ci permet également de simuler la tension, c’est la mimesis d’Aristote : le sport permet
d’expérimenter un affrontement réel sans risque, en le transposant dans un cadre différent. La
catharsis du sport permet quant à elle de jouir de la victoire sans avoir à tuer ou humilier son
adversaire.

Au-delà du sport, ces concepts peuvent d’autant plus s’appliquer au jeu vidéo. Si dans
le cas du sport, la transposition dans un nouveau cadre se fait par la pratique dans un lieu dédié
(stade, gymnase, …), le jeu vidéo dispose, lui, d’un cadre purement artificiel. La violence

50
Elias utilise cette expression « pour traduire [la] transformation [des loisirs] en sport dans la société » (Elias,
1986 ; p.28)

BÉZAGUET Vincent 43
physique y est réduite à zéro, mais reste simulée, permettant donc également le phénomène de
catharsis.

Elias écrit à propos du sport, ce qui pourrait probablement être dit à propos du speedrun :

« Le football ainsi que les sports en général ont la caractéristique d’une bataille mimétique contrôlée et
non violente. Une phase d’affrontement, de tension et d’excitation qui peut être éprouvante sur le plan de
l’effort physique et de l’adresse, mais stimulante parce qu’elle apporte une libération par rapport aux
actions quotidiennes et aux tensions, au stress de la vie de non-loisir, est habituellement suivie par une
phase de décision et de relâchement de la tension provoquée par la bataille, soit avec le triomphe de la
victoire, soit avec la déception de la défaite. Le sport peut consister en un affrontement entre des humains
luttant individuellement ou en équipe. (…) Dans toutes ces situations, que l’adversaire soit une montagne,
la mer, un renard ou un être humain, le sport consiste toujours à livrer un combat contrôlé sur un champs
de bataille imaginaire. » (Elias, 1984 ; p.67)

Si le jeu vidéo peut être joué en équipe, ou entre équipes concurrentes comme c’est le cas de
l’e-sport, le speedrun a la particularité de se résumer à la lutte de l’homme contre la machine.
Pourtant, s’il ne s’agit pas d’une puissance naturelle (comme dans le cas de l’alpiniste qui lutte
« contre » la montagne), il s’agit bien d’une « bataille mimétique contrôlée et non violente ».
L’ordinateur permet, justement, de créer ce mimétisme, de contrôler le déroulement de la
bataille, et de garantir la non-violence de celle-ci.

Tout comme le sport, le jeu vidéo est construit sur des règles strictes, généralement transmises
au joueur par un tutoriel. C’est l’assimilation progressive de ces règles qui va lui permettre de
progresser, en les réutilisant progressivement au cours du jeu. Mais là où le jeu vidéo laisse le
joueur découvrir et utiliser les règles comme bon lui semble, le speedrun codifie leur utilisation.
Cela permet, tout comme dans le cas du sport, de comparer deux performances entre elles, et
ce au niveau mondial.

Car si le jeu vidéo et le speedrun ont presque toujours été internationaux, la pratique du sport a
tout d’abord commencé dans des clubs locaux. Mais à l’occasion de compétitions entre ces
clubs, le besoin d’unifier les règles au niveau national s’est rapidement imposé. Les premières
fédérations ont ainsi été fondées, et avec eux le classement national, puis international et
mondial. On peut dès lors mieux comprendre le rôle essentiel qu’a joué le site Speed Demos
Archive dans le développement de cette pratique.

BÉZAGUET Vincent 44
Le speedrun est donc bien une discipline, au sens où des règles très strictes l’encadrent.
Le speedrunner doit se discipliner à utiliser ces règles, sans quoi il sera considéré comme un
tricheur. Cependant la notion de discipline renvoie aussi, rappelons-le, à « une branche de
savoir développée par des spécialistes ». Dans le cas du speedrun, cela se manifeste
principalement par l’accessibilité de la communauté, dont nous avons déjà parlé. En effet, pour
de nombreux joueurs, le speedrun est moins un lieu de compétition que d’échange de savoirs.
Noyau dur de la communauté du speedrun, la solidarité y est peut-être valorisée au-delà de
l’esprit de compétition.

2 - Entraide et solidarité
Pour Bernard Lahire, un individu peut participer à une activité sans être totalement possédé par
son illusio spécifique, c’est-à-dire sans avoir à entrer dans la compétition (Lahire, 1999). En
effet, si nous avons vu l’aspect compétitif du speedrun, la solidarité et l’entraide restent des
valeurs dominantes au sein de cette communauté. De nombreux speedrunners produisent par
exemple du contenu pour permettre à d’autres de s’adonner à leur tour à cette pratique. C’est le
cas des vulgarisateurs, qui participent activement à enseigner les connaissances liées à la
discipline.

2.1 - Apprentissage et vulgarisation

Si l’on a déjà parlé de la facilité d’entrer dans la communauté du speedrun, il est


également possible d’y trouver toute l’aide nécessaire pour se lancer dans un speedrun.

Dans la plupart des cas, du fait du caractère inachevé du speedrun, un speedrunner détrôné de
son record aura bien plus tendance à encourager son successeur, qu’à le blâmer d’avoir repris
son travail. L’apport personnel de chaque joueur permet ainsi de faire constamment évoluer les
speedruns, parfois de quelques secondes, d’autres fois de plusieurs minutes. Ici, la concurrence
est également synonyme de collaboration :

Moi : Mais du coup tu es quand même en compétition avec d'autres joueurs non?
Fred : oui effectivement un peu
Fred : dans le monde mes concurrents sont quand même peu nombreux

BÉZAGUET Vincent 45
Fred : il y a 1 américain, 1 taïwanais, et 1 russe
Fred : ils m'ont battu sur certains jeux / certaines catégories
Fred : mais c'est une concurrence tout à fait cordiale
Fred : on partage toutes les stratégies et tout ce qui nous importe c'est que les runs deviennent plus
courtes et/ou plus faciles

Ces informations sont partagées à différents endroits : sur les forums, sur les sites spécialisés,
dans des vidéos explicatives, et bien sûr au cours de discussions entre speedrunners.

Sur les forums comme celui de Speed Demos Archive, chacun est libre de poser ses questions
ou d’apporter des éléments de réflexions. Le site dispose également d’une base de données,
dans laquelle se trouve de nombreuses informations utiles à tout speedrunner : Par où
commencer, comment enregistrer son speedrun, quelles sont les règles du site, etc…

Capture 5 - Capture d'écran de la base de donnée du site Speed Demos Archive - "SDA
knowledge base" - URL: https://kb.speeddemosarchive.com/Main_Page

Dans la partie « strategy » se trouve ainsi de nombreux guides : au total 234 jeux possèdent un
guide, dans lequel sont détaillés les informations pouvant aider à speedrunner le jeu. Le jeu
Super Mario Bros possède par exemple 23 sujets différents : la définition des catégories de
speedrun, les glitchs du jeu, les techniques pour aller plus vite etc…

BÉZAGUET Vincent 46
Capture 6 - Schéma des "hitbox" (leur point de vulnérabilité) des monstres de Super Mario
Bros - URL: https://kb.speeddemosarchive.com/Super_Mario_Bros.#Hit_Detection

La vidéo est également beaucoup utilisée, celle-ci permettant de montrer le jeu aux autres
speedrunners. Certaines vidéos expliquent par exemple comment réaliser certaines
manipulations dans le jeu, d’autres le parcours idéal pour gagner le plus de temps, etc...
Ces vidéos permettent à n’importe qui de se renseigner sur les façons de speedrunner un jeu, et
l’on peut dans un sens les rapprocher des vidéos de vulgarisation.

« La vulgarisation est une forme de diffusion pédagogique des connaissances qui


cherche à mettre le savoir (et éventuellement ses limites et ses incertitudes) à portée d'un public
non expert. C'est l'ensemble des actions permettant au public d'accéder à la culture, et en
particulier aux cultures scientifiques, techniques, industrielles ou environnementales, c'est-à-
dire aux savoirs, savoir-faire et savoir-être de ces disciplines. »51

La vulgarisation n’est pas un phénomène nouveau. Des revues (Découverte, Science et vie, …),
des émissions télévisuelles (E=M6, C’est pas sorcier, …) ou encore radiophoniques (Les P’tits
Bateaux, La Tête au carré, …) ont permis de vulgariser des domaines de connaissance parfois
peu accessibles aux néophytes. Mais avec Internet et la libre diffusion de contenu, notamment
vidéo, le phénomène s’est fortement répandu. En disposant d’un accès internet et d’un moyen

51
Définition de « Vulgarisation » sur Wikipédia. Url = https://fr.wikipedia.org/wiki/Vulgarisation Dernier accès
8 mai 2016

BÉZAGUET Vincent 47
d’enregistrement, chacun peut mettre en ligne le contenu de son choix. De ce fait, plusieurs
personnes ont choisi de poster des vidéos dans lesquelles ils enseignent des connaissances.

Sur Youtube principalement, on trouve des vulgarisateurs dans quasiment tous les domaines.
En France entre octobre 2011 et décembre 2015, l’émission Speed Game faisait office
d’émission de référence pour le speedrun. Réalisée et présentée par ‘RealMyop’ (Ronan
Letocqueux) et ‘CœurDeVandale’ (Yann Chauvière), l’émission présentait des speedruns de
jeux, en commentant ce qui se passait à l’écran. Les deux présentateurs vulgarisaient alors les
termes employés pour permettre aux spectateurs de comprendre les vidéos. Entre 2009 et 2011,
ils animaient déjà l’émission 88mph52, consacrée uniquement au tool-assisted speedrun. Près
de 135 000 personnes sont abonnées à la chaîne Youtube « NesBlog / Speed Game »53, bien
que l’émission ai d’abord été diffusée sur le site jeuxvideo.com.

Si la principale chronique de la chaine s’intéresse au speedrun et tool-assisted speedrun, ses


auteurs ont également produit de nombreuses autres vidéos. Entre autres, une cinquantaine
d’entre elles sont des conférences, réunissant des chercheurs et des professionnels du jeu vidéo
(éditeurs, chroniqueurs, joueurs, …) afin de débattre autour de diverses thématiques. Ces
conférences touchent autant à l’essence du jeu (les idées qu’il véhicule, la manière dont il est
construit) que sa place dans notre société, s’intéressant alors aux liens entre jeu vidéo et culture,
travail ou encore politique. Bien que cela ne concerne pas le speedrun, il reste très intéressant
de voir que de tels acteurs sont eux-mêmes demandeurs (et en sont donc devenus producteurs)
de débats concernant le jeu vidéo.

Enfin, l’accès aux informations peut également se faire en discutant avec les autres
speedrunners. Cela peut se faire sur des canaux de discussion dédiés, mais aussi lors des streams
par exemple. J’ai ainsi pu discuter avec de nombreux spectateurs, mais également avec le
speedrunner que je regardais, en leur adressant mes questions via le chat. Tout comme sur les
forums, la communauté y est très ouverte, et répond facilement à toute question, technique ou
non.

52
Quatre Vingt Miles par heure, en référence au film « Retour Vers le Futur ».
53
Chaîne Youtube « NesBlog /Speed Game », sur laquelle était également diffusée l’émission #88mph. - URL :
https://www.youtube.com/user/RealMyop (dernier accès mai 2016)

BÉZAGUET Vincent 48
2.2 Un évènement international : la GDQ

Contrairement aux tournois de jeu vidéo habituels, organisés par les développeurs, la GDQ
(pour « Games Done Quick ») est un événement caritatif mis en place par la communauté des
speedrunners, principalement Speed Demos Archive. Sur le site officiel de ce marathon,
l’événement est présenté comme un rassemblement de superplayers :

“Games Done Quick is a series of charity video game marathons. These events feature high-level play by
speedrunners raising money for charity. Games Done Quick has teamed up with several charities in its
six-year history, such as Doctors Without Borders and the Prevent Cancer Foundation.”

Games Done Quick est une série de marathons caritatifs de jeu video. Au cours de cet événement, des
speedrunners proposeront du jeu de haut niveau afin de récolter de l’argent pour la bonne cause. Game
Done Quick s’est associé à plusieurs associations au cours de ses six ans d’existence, comme Médecins
Sans Frontière et Prevent Cancer Foundation.

Initiée d’abord en 2010 sous le nom de « Classic Games Done Quick », ce premier essai verra
se succéder 72 jeux, et permettra de récupérer plus de 10 000$ pour l’association ‘’CARE’’.
Devant le succès de cette première édition, l’événement sera réitéré l’année suivante, permettant
cette fois ci de récolter plus de 50 000$ pour l’association ‘’Prevent Cancer Foundation’’.

Le marathon va alors devenir bi-annuel : la « Awesome Games Done Quick », ayant lieu en
janvier, et la « Summer Games Done Quick » ayant lieu autour du mois de juin. L’édition 2016
se déroulera par exemple du 3 au 10 juillet.

En 2015, le double événement permettra de récolter plus de 2,7 millions de dollars (voir
tableau), bien loin des 10 000 dollars de la première édition. Il s’agit d’ailleurs là de l’une des
plus grosses levées de fond de l’histoire du jeu vidéo. Pour tenter de comprendre ces chiffres,
j’ai décidé de m’intéresser aux raisons pour lesquelles les personnes décident de donner. Pour
cela, intéressons-nous d’abord au fonctionnement actuel de cet événement, avant de s’intéresser
aux résultats de mon enquête.

La GDQ est donc un événement bi-annuel, rassemblant des speedrunners du monde entier.
Durant une semaine et presque sans pause, les speedrunners s’enchaînent tour à tour.

BÉZAGUET Vincent 49
Tableau 3 - Liste des marathons caritatifs organisés par Speed Demos Archive - Source : Wikipédia
https://en.wikipedia.org/wiki/Speed_Demos_Archive#List_of_marathons

L’événement est retransmis en direct sur la chaîne Twitch54 de la GDQ, les présentateurs
se succédant également au fil des jeux abordés. Leur rôle est à la fois d’intéresser le public en
vulgarisant le speedrun, et d’encourager les dons à la manière du téléthon. Des « re-stream »,
c’est-à-dire une rediffusion en direct par d’autres présentateurs, ont également lieu partout dans
le monde. La GDQ étant commentée exclusivement en anglais, cela permet aux non-
anglophones de suivre l’événement tout en ayant des explications dans leur langue natale.
En France, la plateforme de streaming « gaming live », sur le site jeuxvideo.com tient lieu de

54
http://www.twitch.tv/gamesdonequick

BÉZAGUET Vincent 50
principal re-stream français, bien qu’il en existe d’autre. Différents chroniqueurs, dont
RealMyop et CœurDeVandale que nous avons vu précédemment, commentent l’événement
durant toute sa durée.

Tout le monde peut postuler pour participer à la GDQ, mais seuls les jeux répondant à
certains critères55 pourront être sélectionnés. De plus, le speedrunner doit posséder un bon
niveau sur le jeu. En effet, l’événement étant mondial et destiné à tout public, les jeux
speedrunnés doivent être intéressant à regarder, comme le rappelle l’introduction des règles de
l’événement :

Your run is not only a representation of yourself, but a representation of the speedrun community to a
wide audience.

Votre ‘run’ n’est pas qu’une représentation de vous-même, mais une représentation de toute la
communauté du speedrun à un large public.

La faisabilité est également un critère important dans le choix des jeux présentés : certains
échecs au cours d’un speedrun peuvent signifier devoir à recommencer le jeu à zéro, cela doit
donc être évité au possible lors d’une telle performance live. De plus, un planning de
l’événement devant être créé, il est nécessaire aux organisateurs de connaître le temps
approximatif pour chaque jeu, afin de permettre un déroulement sans problème.

Enfin, des critères plus subjectifs peuvent également servir à trancher en faveur ou en défaveur
d’un jeu :

If the game is long, such as an RPG, does it have many potential donation incentives? Does it have
nostalgia in its favor? Is the gameplay entertaining or exciting? Does it have downtime for donation
reading

Si le jeu est long, comme dans un RPG, a-t-il beaucoup de potentiel d’intention de don ? Est-ce qu’il a la
nostalgie en sa faveur ? Est-ce que le gameplay est amusant ou excitant ? Y’a-t-il des temps morts pour
les lectures de donation ?

L’événement ayant pour but principal de récolter de l’argent, et comme but second de donner
de la visibilité au speedrun, de nombreux défis ont lieu tout au long de la rencontre. Ainsi, aux

55
Critères de soumission de jeux à la GDQ - URL : https://gamesdonequick.com/submission-guide (dernier
accès mai 2016)

BÉZAGUET Vincent 51
traditionnels speedruns se succèdent du superplay56, des races (course en direct entre deux
speedrunners sur un même jeu) ou encore du blind speedrun (speedrun aveugle)

Capture 7 - Lors de l'AGDQ 2015, le speedrunner Runnerguy2489 réalisé un blind speedrun du jeu Zelda : Ocarina of Time. A
aucun moment durant la run (qui dure 1h26) le speedrunner ne voit l’écran. URL :
https://www.youtube.com/watch?v=IhHMW_atNG4

À tout moment de l’événement, les spectateurs peuvent donner de l’argent pour l’association
représentée. Durant les moments de creux, les commentateurs lisent les messages des donateurs.
Il est également possible de faire des dons « incitatifs » : les speedrunners proposent au public
d’augmenter la difficulté de leur prestation en échange de dons. Il peut s’agir d’un changement
de parcours ou de la non-utilisation d’un bug, par exemple :

- Soit il laisse le choix entre deux challenges, celui obtenant le plus de dons étant sélectionné.

- Soit il promet un challenge particulier, qu’il ne fera qu’une fois un certain montant de don
atteint.

56
Le superplay consiste à détourner un jeu de son objectif initial. Un bon exemple est celui du jeu Dr
Kawashima, dans lequel le joueur doit répondre à des questions de calcul mental. Dans le superplay présenté à
l’AGDQ 2016, les réponses aux calculs étaient remplacées par des dessins, interprétés par l’ordinateur comme
étant la réponse correcte aux calculs. Vidéo : « AGDQ 2016 TASBot plays Brain Age with chat »
https://www.youtube.com/watch?v=U22_noWVwsE

BÉZAGUET Vincent 52
Maintenant que nous avons vu les différents types de dons, intéressons-nous aux raisons des
donateurs. Pour avoir un premier avis général, je me suis servis de deux sondages, l’un sur la
partie du forum de SDA dédié à la GDQ, le second sur le groupe facebook « speedrunning »
(visibles en annexe) :

« Pourquoi faites-vous des dons lors de la GDQ ? »


Speed Demos Archive Speedrunning (Facebook) Total
Pour la charité 18 22 40
Pour supporter les speedrunners 5 1 6
Pour supporter la communauté du speedrun 11 3 14
Pour les incitations au don 4 2 6
Je ne donne jamais d'argent sur les streams 0 0 0
Je ne donne pas d'argent à la GDQ 7 7 14
Je ne veux pas/je n'ai pas de monnaie pour ça 3 1 4
Autre (expliquer) 5 2 7
Total 53 38 91
(Autre) Pour le meme 1 1
(Autre) Pour entendre ma donation sur le stream 1 4 5
Tableau 2 - Résultat des sondages sur le forum speed demos archive et le groupe facebook « speedrunning ».
Sondages originaux disponible en annexe. Lecture : sur les 91 personnes ayant répondu à la question « pourquoi
faites-vous des dons lors de la GDQ ? » 40 ont répondu « Pour la charité ». Note : Il était possible de
sélectionner plusieurs choix, et il est possible (mais peu probable) que certains aient répondu aux deux
questionnaires.

Ces chiffres sont issus des deux sondages que j’ai posté, l’un sur la partie du forum de Speed
Demos Archive dédié à la GDQ, l’autre sur le groupe facebook « speedrunner ». Au total,
43.9% des votants ont répondu donner pour la charité. L’un d’entre eux m’explique ses raisons
dans la partie commentaire :

Redman: Charity. The past AGDQs have been for Prevent Cancer Foundation, and that hits home since
my stepdad's had colon cancer twice, and whupped it both times. If a marathon like that supports a cause
that can help people like him, I'll jump on every time. :3
Redman: Pour la charité. Les dernières AGDQ ont été pour Prevent Cancer Foundation, et ça me touche
particulièrement depuis que mon beau-père a eu le cancer du côlon deux fois, et survécu à chaque fois. Si
un marathon comme ça peut supporter des causes qui aident des personnes comme lui, je suis prêt à
donner à chaque fois.

Cependant, chose étonnante, ce chiffre monte à 57,9% des votants sur le groupe facebook,
contre seulement 33,9% sur les forums de Speed Demos Archive. En revanche on note qu’ils
sont beaucoup plus nombreux sur ce dernier à déclarer « supporter la communauté du
speedrun » (20,7%) et à « supporter les speedrunners » (9,4%) que sur le groupe facebook
(respectivement 7,9% et 2,6%). Cela peut probablement s’expliquer par le phénomène

BÉZAGUET Vincent 53
‘’multicommunautaire’’ que nous avons déjà mis en avant dans la première partie. On peut faire
l’hypothèse que les utilisateurs des forums de speed demos archive sont beaucoup plus
impliqués dans la vie de leur communauté que ceux présents uniquement sur facebook.

Derrière la volonté de soutenir la charité vient donc celle de supporter la communauté des
speedrunners, à égalité avec ceux ne donnant pas à la GDQ (15,4%).

Les incitations au don sont donc assez peu nombreuses, seulement 6,6%, tandis que les « autres
raisons » sont à peu près dans les mêmes proportions : 5 votants (5,5%) ont ainsi précisé donner
pour entendre le message de leur donation lu en direct :

Prolix: Sometimes I have only donated when I thought of a comment that I would like to have read on
stream.
Prolix: Parfois je donne juste parce que je pense à un commentaire, et que je souhaite qu’il soit lu sur le
stream.

Les raisons poussant les spectateurs à faire des dons sont donc relativement nombreuses, mais
restent majoritairement désintéressées. Une petite partie (12%) donne pour interagir en direct
(lecture de dons et incitations).

Enfin, il est également possible de participer à l’événement sans faire parti des
speedrunners sélectionnés, moyennant cinquante à soixante-dix dollars, selon la date d’achat
des billets. Pour la SGDQ qui se déroulera du 3 au 10 juillet 2016, 1500 places sont disponibles.
Plus de 180 jeux sont déjà annoncés, et à peu près autant de speedrunners. L’événement sera
retransmis partout dans le monde et dans de nombreuses langues, grâce aux différents re-stream.

La GDQ n’est d’ailleurs plus le seul événement autour du speedrun, plusieurs autres initiatives
ayant été lancées depuis. On peut notamment citer l’Ultime Décathlon en France, un
championnat organisé principalement par ‘CoeurDeVandale’ (l’un des producteurs de
l’émission Speed Game dont nous avons déjà parlé), Etienne Laplane, ‘Ninanthea’ et Prospere
Lecul57. Le but de cette compétition est avant tout ludique, comme le souligne la description
du site officiel :

57
Il s’agit pour la plupart de leurs pseudonymes, qui m’ont été communiqué via le compte twitter de
l’événement. Url - https://twitter.com/UltimeDecathlon/status/730076600184745984 (dernier accès 10 mai
2016)

BÉZAGUET Vincent 54
« L'Ultime Décathlon est un challenge de speedrun ouvert à tous et toutes, libre et gratuit. Il s'agit
simplement d'apprendre à finir le plus vite possible 10 jeux : Super Mario Bros 2, Trials Evolution,
Megaman X, Left 4 Dead 2, Metal Slug X, TrackMania Nations Forever, Super Ghouls'n Ghosts, Nuclear
Throne, Lovely Planet et Castlevania »58

Le but y est avant tout de montrer que le speedrun est accessible à tous, et que cela ne nécessite
pas de grosses compétences. Ces joueurs débutants ou n’ayant que peu de temps à consacrer au
speedrun sont appelés « casual speedrunners », littéralement « speedrunners décontractés ».
Une partie du forum de speed demos archive y est d’ailleurs consacrée59.

Enfin, les speedrunners européens peuvent également participer à la European Speedster


Assembly, en Suède. Il s’agit d’un équivalent de la Games Done Quick sur le vieux continent,
bien que l’événement se veuille plus axé sur l’accessibilité du speedrun que sur la charité :

ESA is not a pure charity/speedrunning marathon. While it's true that's what it started as, the event has
evolved into a slightly more casual gaming event with a charity aspect attached.
L’ESA n’est pas un marathon uniquement dédié à la charité/speedrunning. Même s’il est vrai qu’il a
commencé ainsi, l’événement a évolué en quelque chose de plus décontracté, avec un petit aspect caritatif.

Ces événements seront donc surement amenés à se multiplier, et seront peut-être un jour
organisées par les éditeurs de jeux vidéo eux même. Dans l’attente, les speedrunners continuent
de s’entraider.

58
Présentation de l’ultime décathlon. Url : https://www.ultimedecathlon.com/ (dernier accès mai 2016)
59
« Casual speedrunning » sur le forum de Speed Demos Archive. Url :
https://forum.speeddemosarchive.com/board/casual_speedrunning.html

BÉZAGUET Vincent 55
3 - Le speedrun comme objet d’étude
La pratique du speedrun nécessite une réflexion sur le jeu : comment puis-je utiliser ses
mécanismes pour me permettre d’avancer plus vite ? Le speedrun devient dès lors une
discipline, basée sur un raisonnement empirique. Pour arriver à des résultats satisfaisants, les
speedrunners travaillent en équipe.

3.1 - La coopération avant tout.


Si la solidarité est très présente au sein de la communauté des speedrunners, comment
peut-elle être conciliée avec l’aspect compétitif de la pratique ? La collaboration est l’une des
réponses proposées par Pascal Duras. Il s’agit d’une une action collective fondée sur l’entraide
pour atteindre un objectif (Duras, 2009).

Observant les rivalités pour la reconnaissance au sein des milieux scientifique, elle remarque
un constant va-et-vient entre compétition et collaboration au sein des laboratoires :
« L’affirmation d’un sentiment communautaire transcende les singularités sans pour autant les
gommer. Dans le laboratoire, comme sur le stade, l’esprit d’équipe est nécessaire » (Duras,
2009, p.110). C’est également le cas pour les speedrunners, qui n’hésitent pas à partager leurs
découvertes à leurs concurrents :

Fred : dans le monde mes concurrents sont quand même peu nombreux
Fred : il y a 1 américain, 1 taïwanais, et 1 russe
Fred : ils m'ont battu sur certains jeux / certaines catégories
Fred : mais c'est une concurrence tout à fait cordiale
Fred : on partage toutes les stratégies et tout ce qui nous importe c'est que les runs deviennent plus
courtes et/ou plus faciles

La coopération est en effet un élément indispensable pour permettre l’avancée commune.


L’expérience personnelle de Nicolas, un speedrunner Allemand, en est un bon exemple (traduit
de l’anglais) :

BÉZAGUET Vincent 56
Nicolas : Mon ami qui a fait le speedrun en 2015 a utilisé le baril dans une autre zone pour accéder à un
sur-relief, mais il a sauté tout en traversant, et s’est envolé très loin. Il n’a jamais réussi à répliquer [ce
glitch]. Donc j’ai essayé plein de choses pour voir si j’étais capable de me faire pousser si loin par le baril.
La solution est qu’il fallait tomber de quelques mètres et ne pas être au ralenti. Avoir beaucoup d’images
par seconde (fps) aide aussi beaucoup avec le moteur physique. Donc une fois que j’ai été capable d’aller
vraiment loin avec le baril, j’ai facilement atteint des zones qui sont normalement totalement inaccessibles.

Mais bien que j’aie trouvé autant de choses, il y en a encore plein d’autres que je ne peux pas trouver. Parce
que je vois le jeu d’une certaine façon, et que des fois il faut réussir à s’aérer les idées. Quelques amis d’un
forum m’ont été d’une grande aide en m’apportant de nouvelles possibilités. Timeshift n’a pas une grosse
communauté, donc en gros y’a deux mecs et moi. Si on était plus de gens actifs, je parie qu’on pourrait
faire beaucoup plus.

Cela fait d’ailleurs écho à ce que nous avons déjà vu concernant cette communauté, à
savoir ses nombreux lieux d’échanges et la vulgarisation. A ce titre, le speedrun semble plus
proche de la compétition au sein du milieu scientifique que sportif : il n’est ici plus question de
battre un record personnel, mais de faire avancer l’ensemble de la discipline.

Pourtant, si l’objectif collectif prime sur les buts plus personnels, la compétition au sein du
milieu scientifique est telle, qu’elle peut ralentir les avancées scientifiques. En effet, souhaitant
chacun être à l’origine de la découverte, les scientifiques peuvent par exemple refuser de
collaborer avec un autre laboratoire. Leurs avancées mutuelles n’étant pas mises en commun,
le travail de recherche global avancera en conséquence moins vite.

Dans le speedrun, le partage est continu : si un score est valide, la vidéo est mise à disposition
sur les différentes plateformes d’hébergement ainsi que les différents tableaux de score (Speed
Demos Archive, speedrun.com, etc…). Ces vidéos pouvant être visionnées par tout le monde,
les nouvelles techniques y ayant été développées pourront être analysées par un autre
speedrunner, qui pourra lui-même les reprendre à son compte. Les éventuels ‘secrets’ utilisés
ne donneront tout au plus qu’une avance temporaire au speedrunner « indépendant ».

Pourtant, la collaboration n’a pas toujours été aussi active. Le documentaire King of
Kong60, sorti en 2007 et s’intéressant aux jeux d’arcade des années 80, nous apporte quelques
éléments de réflexion. Prenant pour objet la compétition entre les joueurs d’arcade, le
documentaire présente la compétition féroce ayant lieu entre deux joueurs de Donkey Kong
(Nintendo, 1981), Billy Mitchel et Steve Wiebe. Le premier, détenteur du record du monde sur
le jeu, est battu par le second, s’étant lancé quelques mois plus tôt dans l’aventure.

60
King of Kong : A Fistful of Quarters (2007), documentaire réalisé par Seth Gordon (USA). IMDb :
http://www.imdb.com/title/tt0923752/combined

BÉZAGUET Vincent 57
Cependant, ce dernier ayant réalisé son record seul dans son garage, est accusé de triche. Il finit
pourtant par battre de nouveau son score, cette fois-ci dans une salle d’arcade où des personnes
peuvent témoigner de sa bonne foi. Mais au même moment, Walter Day61, l’arbitre officiel de
la compétition, reçoit une cassette de la part de Billy Mitchel, ce dernier ayant atteint un
nouveau record. Mais Steve Wiebe étant de son coté, occupé à essayer d’obtenir son score, ne
voit pas cette vidéo. Déçu d’avoir été battu sur son score, avant même que celui-ci n’ait pu être
validé officiellement, il demande à voir la vidéo, mais Billy Mitchel refuse.

Il faudra alors attendre 2007 pour connaître le dénouement de cette compétition initiée dans les
années 80. Steve Wiebe, déterminé de bout en bout, finira par dépasser les techniques
développées par Billy Mitchel, et obtiendra un nouveau record du monde (dépassé depuis).
L’arbitre Walter Day, d’abord méfiant, finira par le féliciter pour sa performance, mais « au-
delà du joueur, la personne ».

Ce documentaire est intéressant à bien des égards. Tout d’abord, il permet de remettre en
contexte les débuts du speedrun (qui était encore au stade de « jeu compétitif »), notamment en
montrant le rôle essentiel de l’arcade dans l’évolution future du jeu vidéo et de sa compétition.
Mais surtout, il permet d’observer la manière dont la compétition était organisée avant l’arrivée
d’internet : pas d’ordinateur personnel pour s’entrainer, ni d’enregistrement vidéo de qualité.
De plus, seul les arbitres de Twin Galaxies voyaient les vidéos, si celles-ci n’étaient pas
disponibles publiquement. À ce titre, la reconnaissance ne pouvait être acquise que par le
détenteur du record.

Dans le documentaire, Billy Mitchel est prêt à tout pour conserver son record, quitte à
saboter la crédibilité de son principal concurrent. Pourtant, c’est notamment grâce aux nouvelles
techniques découvertes par Steve Wiebe qu’il sera en capacité de battre son propre record. À
l’occasion d’une interview à la fin du documentaire, quelqu’un explique que selon lui,
l’intégrité et les capacités de Steve Wiebe ne sont plus à remettre en jeu :

« Il ne s’est pas seulement imposé comme le joueur de Donkey Kong, mais vraiment comme une personne
droite qui veut faire les choses comme il faut. ».

Lorsque le journaliste demande à Billy Mitchel s’il est d’accord, celui-ci répondra simplement
« je ne connais pas la situation ».

61
Il s’agit également du fondateur de Twin Galaxies, que nous avons vu dans la partie 1.3 du chapitre 1.

BÉZAGUET Vincent 58
Si Twin Galaxies reconnait officiellement le record de Steve Wiebe, ça ne semble donc pas être
le cas de Billy Mitchel. Pourtant, si celui-ci est également le premier à avoir réussi un score
parfait sur le jeu Pac-Man (Namco, 1980), il n’en reste pas moins un compétiteur comme les
autres. Il possède à ce titre, moins de légitimité que le site Twin Galaxies.

Pourtant, son attitude peut être mise en relation avec ce que Pascal Duras souligne chez les
chercheurs. Dans les laboratoires, « la bonne conduite tient dans l’impératif de dénégation des
écarts de grandeur et dans la discrétion de celui qui est grandi par le prix » (Duras, 2009, p.
111). Bien que ceux-ci se considèrent comme égaux entre eux, la « grandeur » de certains peut
pourtant parfois être mobilisée pour régler des conflits. D’ailleurs, « être collectif ne signifie
pas pour autant effacer les individualités, lorsque celles-ci se mettent par exemple au service
d’un mandarin incarnant le groupe. » (Ibid). Dans notre exemple, Billy Mitchel utilise sa
« grandeur » pour détracter son concurrent, et est à ce compte assez mal perçu, car allant à
l’encontre de l’intérêt du groupe. S’il veut incarner cette position de mandarin, celle-ci semble
pourtant bien plus se situer en la personne de Steve Wiebe.

La lutte pour la reconnaissance peut donc être tout aussi féroce au sein du speedrun que
dans le domaine du sport ou de la science. Notons tout de même qu’avec l’arrivée d’internet et
des plateformes et outils informatique, le système de reconnaissance a évolué. Si les détenteurs
des premiers records n’affichaient que leurs propres noms (ou pseudonyme), la plupart des
records actuels font également référence aux autres personnes les ayant rendus possibles.

Ce n’est cependant pas toujours le cas. Fred, le speedrunner français avec lequel je me suis
entretenu me confie son expérience personnelle sur le sujet : « Ce sont surtout les runners qui
sont connus. Et je sais de quoi je parle : j'ai découvert quelque chose sur Dark Souls qui a permis
au numéro 1 de descendre sous les 50 minutes. Il a eu un article sur Kotaku et d'autres sites,
mais aucun de ces articles ne parle de moi ». Cependant, si les médias ne parlent souvent que
du recordman, la reconnaissance est tout de même présente au sein de la communauté :

Moi : Et il ne t’a jamais cité ?


Fred : je suis cité sur le wiki des speedruns de Dark Souls
Fred : et dans la communauté la plupart des gens savent que c'est moi
Moi : Quand tu dis la communauté, c'est SDA ?
Fred : non là dans ce cas je veux dire les gens qui font des speedruns de Dark Souls

BÉZAGUET Vincent 59
Ces deux différents types de reconnaissance font, encore une fois, écho aux travaux de Pascal
Duras. Celui-ci note l’existence de trois cercles de reconnaissance au sein du milieu
scientifique :

« Dans le champ scientifique, la reconnaissance s’acquiert à l’intérieur de trois cercles,


celui des pairs, celui des médias et celui du grand public : il est évidemment très
important de ne pas confondre la reconnaissance scientifique apportée par les pairs, ni
avec la reconnaissance médiatique, ni avec la reconnaissance du grand public, cette
dernière constituant une forme de reconnaissance disqualifiante si elle n’est pas
accompagnée des deux autres puisqu’elle sert alors d’argument critique aux pairs qui
disent que tel ou tel auteur n’écrit « que » pour le grand public » (Duras, 2009, note p.
114)
Ces trois cercles de reconnaissance sont également applicables au sport, tout comme au
speedrun. Pour ce dernier en particulier, la reconnaissance médiatique est d’autant plus
importante qu’elle est rare, et permet de faire connaître la pratique. Mes recherches pour ce
mémoire n’ont d’ailleurs que rarement aboutis sur des articles de presse généraliste, les
principaux articles traitant du speedrun étant en général produits par des sites spécialisés comme
Kotaku. On peut également noter que, malgré les récents succès de la Games Done Quick, et
l’ampleur que prend l’événement d’années en années, celui-ci reste traité de manière
anecdotique par les médias traditionnels, en comparaison des événements sportifs traditionnels.

Et si l’on s’est intéressé au communautés sportives et scientifiques, une dernière


discipline mérite d’être mise en perspective avec le speedrun : le hacking.

3.2 - Hacker le jeu

Si nous avons vu dans le premier chapitre les rapprochements que l’on peut faire entre
la communauté des speedrunners et celle des hackers, il ne s’agit pas de la seule analogie. En
effet, au-delà de l’éthique du mouvement hacker que nous avons déjà abordé, ces disciplines
partagent également leur méthodologie.

Cette dernière peut être rapprochée du schéma classique de la méthode scientifique, à savoir
théorie, prédiction, expérience et observation. En effet, dans le hack tout comme dans le
speedrun, les recherches sont empiriques. Les « bidouillages » dont font preuve les hackers ont
pour objectif principal d’améliorer un objet ou un concept. Il s’agit donc de déterminer quelles

BÉZAGUET Vincent 60
sont les problèmes d’un objet ou d’un concept, d’imaginer une solution puis de la tester, pour
enfin tirer des conclusions sur la réussite ou l’échec de ce hack.

Dans le cas du speedrun, il s’agit cette fois d’améliorer le temps global que met le joueur à
parcourir le jeu. Les speedrunners vont donc chercher différents moyens pour réduire ce temps :
découvertes de glitchs ou de skips62, optimisation du parcours du joueur (routing), ou encore
corruption de mémoire ou de sauvegarde63.

Certaines personnes ne s’intéressent d’ailleurs qu’à cet aspect du jeu, permettant de faire
avancer l’ensemble des speedrunners :

« C’est un travail communautaire, puisque la communauté des speedrunners est très active, et j’en
profite pour rendre hommage à un type qui s’appelle ‘Fhyber34’, qui est un américain, et qui est en fait
l’homme de l’ombre, l’éminence grise du speedrun de Dark Souls, puisque c’est lui qui est à l’origine de
toutes les strat’, toutes les routes. Il a une compréhension du système de jeu qui nous dépasse tous de très
loin… On dirait un joueur d’échec en fait : quand on lui dit euh… Il est capable d’anticiper des réactions
plusieurs mouvements à l’avance en fait. » (Commentaires du speedrun de Dark Souls par ‘Exserv’ et
‘CoeurDeVandale’ dans l’émission Speed Game) 64

Le speedrunner auquel font référence les animateurs de l’émission, ‘Fhyber34’ de son


pseudonyme, est connu pour avoir découvert de nombreux raccourcis dans le jeu Dark Souls,
et ce dans toutes les catégories de speedrun (excepté le tool-assisted). Il se définit lui-même
comme un théoricien du speedrun : « I used to actually try to speed run at one point but that's
really hard to do so I went fully into speedrunning theory »65 (Auparavant je faisais du
speedrun, mais c’était trop exigeant donc j’ai préféré me consacrer à sa théorisation).

Cette théorisation du speedrun à étudier scientifiquement l’environnement « physique » du jeu.


En effet, bien qu’un jeu vidéo soit par définition virtuel, il possède une infrastructure basée sur
des lois physiques virtuelles. Celles-ci permettent par exemple de simuler la gravité dans le jeu,
ou encore le déplacement des véhicules. Ne représentant pas totalement (toutes) nos propres

62
Un « skip » (« passer » en français) est le fait de passer un passage du jeu, par exemple une cinématique.
Certaines cinématiques supposées être regardées intégralement par le joueur peuvent être évités de cette façon,
faisant gagner un temps précieux.
63
La corruption des données d’une sauvegarde consiste à provoquer un bug de la mémoire permettant de la
modifier. Cela peut s’obtenir, par exemple, en éteignant une console de jeu durant sa sauvegarde. Sur le jeu
Pokémon, il était par exemple possible de dupliquer des objets par ce procédé.
64
(Vidéo) « Speed Games - Dark Souls II - Speed Run All Bosses » - https://youtu.be/bL38hiymRlM?t=24m56s
(15/09/14) dernier accès mai 2016
65
Fil de discussion Reddit « I know a lot about Dark Souls Speedrunning, Ask Me Anything » -
https://www.reddit.com/r/darksouls/comments/1v6fla/i_know_a_lot_about_dark_souls_speedrunning_ask_
me/

BÉZAGUET Vincent 61
lois physiques, certaines situations conduisent à entraîner des conséquences non-naturelles. Par
exemple, les « out of bounds » (OOB) qui permettent d’accéder à des zones non-accessibles du
jeu, sont généralement obtenues à partir d’erreurs de physique. Nicolas m’explique au cours de
notre entretien la manière dont il procède pour y parvenir :

« Tu vas partout dans un niveau du jeu, et tu essayes de réfléchir à tout ce qui peut te permettre de casser le
jeu qui peut être à ton avantage. Tu essayes de faire des sauts dans des zones où ce serait pratique de passer
par-dessus, tu essaie de te glitcher dans les murs en faisant des mouvements bizarres, ou autres. Une fois que
tu sais où tu peux faire des OOB, tu essayes de voir là où tu peux aller (le jeu n’affiche plus le niveau, mais
tu peux encore te déplacer) ou regarder ce que tu peux faire à partir de là en essayant différentes routes,
mouvements, ou réglages de paramètres. »

Capture 4 : Dans le jeu “The Beginner’s Guide”(Everything Unlimited Ltd), les créateurs mettent le joueur face
à la réalité du jeu : l’espace que l’on croit d’abord voir depuis une fenêtre, n’est que le papier peint d’un espace
clos.

Cette manière de procéder rappelle fortement la façon de faire des hackers. Déjà les premiers
d’entre eux manipulaient les ordinateurs du Massachussetts Industry of Technology, ce qui
avait d’ailleurs donné naissance au « premier » jeu vidéo. Les hackers informatiques, encore
aujourd’hui, tentent pour la plupart de déceler des failles au sein des systèmes informatiques66.

Le temps passé par les speedrunners à faire ce travail de recherche est d’ailleurs conséquent.
Parmi les enquêtés m’ayant répondu sur cette question, beaucoup passent en moyenne dix

66
En sécurité informatique, les hackeurs ont pour but de déceler les failles de sécurité permettant de contourner
les protections logicielles et/ou matérielles. Leur but peut aussi bien être de signaler la faille que d’en tirer profit
ou de ne rien faire.

BÉZAGUET Vincent 62
heures par semaine minimum sur cette activité. Nicolas passe ainsi vingt heures par semaine à
speedrunner, sans compté le temps pour ses recherches, mais trouve ça peu par rapport à
d’autres : « je ne me considère pas vraiment comme un speedrunner bosseur (« hard worker »),
il y en a qui font bieeeeeeeen plus. » (Traduit de l’anglais).

Hugo passe d’ailleurs, lorsqu’il peut, près de soixante heures par semaines, à raison de huit à
neuf heures par jour à s’entraîner. Cela lui permet de s’entraîner et développer sa maîtrise de
certains passages, parfois complexes. La préparation peut s’étaler sur plusieurs mois, comme
pour Fred, qui passe environ deux heures par jour pendant trois à quatre mois, avant de se lancer
dans des runs de trois à six heures de long.

Ce temps consacré à l’entraînement est d’ailleurs souvent visible sur le résultat des speedruns :
le nombre de tentatives se compte généralement en milliers. Dans le cas de Darbian, le
speedrunner de Super Mario Bros dont j’ai parlé dans la première partie de ce chapitre, son
record du monde était également sa treize mille deux cent quatre-vingt douzième tentative !

Tout ce travail de préparation permet de trouver de nombreuses manières d’élaborer un


speedrun. Cela permet non seulement de découvrir de nouveaux raccourcis, mais également de
nouvelles manières de jouer.

3.3 - Gameplay émergent

Le travail du game et level designer, est de guider le joueur vers son objectif. Tout
comme en architecture, le jeu vidéo peut induire un chemin au joueur : une route me conduira
sûrement à une ville, et un cul de sac m’obligera à faire demi-tour. Le gameplay, quant à lui,
permettra au joueur de réaliser un certain nombre d’actions prédéterminées. Il s’agit des boucles
de gameplay que nous avons vu dans le premier chapitre.

Cependant, le rôle du speedrunner est essentiellement de contourner ce qui lui est proposé par
les développeurs :

Si un jeu demande au joueur de récupérer quatre objets disséminés dans l’univers du jeu, le
speedrunner pourra essayer de contourner cet objectif. Il est peut-être possible de terminer ce
jeu sans récupérer les quatre objets : quand le concepteur imagine son jeu, il pense que le joueur
va logiquement aller au point A, puis au point B, puis au point C, ainsi de suite. Pour s’en

BÉZAGUET Vincent 63
assurer, rajoutera des portes, ne s’ouvrant qu’avec la clef obtenue au point où il veut emmener
le joueur.

Pourtant, en utilisant le jeu, un joueur va se rendre compte qu’il peut passer à travers la porte
sous certaines conditions. Le speedrunner va alors se servir de ce raccourci pour aller
directement au point C, sans passer par le point B où se trouvait la clef pour la porte, mais
également l’un des quatre objets à récupérer. Il arrive pourtant à terminer le jeu sans le
récupérer : le joueur étant normalement obligé de récupérer chaque objet pour accéder à la zone
suivante, le concepteur n’avait pas prévu ce cas de figure. Le jeu n’ayant pas été configuré pour
vérifier que le joueur avait bien en sa possession les quatre objets, considère donc le joueur
vainqueur.

Cet exemple permet de comprendre comment, par la recherche des différentes failles du jeu,
permet de découvrir des « routes émergentes ». Il s’agit de nouveaux chemins pouvant être
utilisés par les speedrunners, se démarquant parfois totalement avec le chemin classique
proposé au joueur.

De la même façon, des « gameplay émergents » peuvent apparaître. Il s’agit cette fois de trouver
une nouvelle manière détournée de jouer, au sein du jeu. Les différents glitchs en sont un bon
exemple, permettant bien souvent de ne pas jouer selon l’intention des créateurs du jeu. En soit,
le speedrun peut lui-même être considéré comme du « gameplay émergent », s’agissant de
s’amuser autrement avec le jeu.

Ces gameplay émergents ont d’ailleurs donné lieu à certains jeux, comme Kaizo Mario World
(« Asshole Mario » en anglais). Ce jeu est une rom-hack (une modification du jeu original) de
Super Mario World (Nintendo), dans lequel la difficulté a été poussée à son maximum. Ce jeu
conçu par T. Takemoto a été créé pour l’un de ses amis, trouvant le jeu original trop facile.
Kaizo Mario World sera repris par la communauté des speedrunners, y voyant là un challenge
particulièrement intéressant. Le jeu se base en effet sur de nombreuses techniques
habituellement utilisées pour le speedrun, permettant par exemple au personnage dirigé par le
joueur de rebondir sur ses ennemis.

Le récent Super Mario Maker (2015), produit par Nintendo, est d’ailleurs vu par beaucoup
comme une réponse de la part de l’éditeur aux différentes personnes s’intéressant à ces
« gameplay émergents ». En permettant à chacun de construire son propre niveau, Nintendo
permet une exploration illimitée des possibilités de son jeu.

BÉZAGUET Vincent 64
Chaque joueur peut créer librement le niveau de son choix, en utilisant les éléments et les
mécanismes du jeu à sa disposition. Le joueur devient concepteur.

Capture 5 - L’outil de création du jeu Super Mario Maker. Le joueur peut créer son propre niveau de Super
Mario, en utilisant les objets et mécanismes du jeu.

S’il existait bien des jeux « sandbox67 » (Minecraft, Garry’s Mod, Subnautica, …), Super Mario
Maker fait également office de plateforme sociale68. Les joueurs peuvent mettre leurs niveaux
en ligne, et ainsi mettre au défi les autres joueurs. Il ne s’agit plus simplement de jouer au jeu,
mais de proposer sa propre version du jeu aux joueurs du monde entier. Enfin, un chronomètre
permet de proposer un classement sur chaque niveau créé. De quoi donner envie de speedrunner
à n’importe quel joueur.

Ce jeu est par ailleurs proposé par Nintendo, qui a déjà été salué par le passé pour plusieurs de
ses jeux Mario. Le jeu ayant connu un grand succès commercial, il est possible que d’autres

67
Littérallement « bac à sable ». Il s’agit de jeux n’ayant pas d’objectif prédéterminés, dans lequel le joueur sont
munis d’outils leur permettant la création d’objets. C’est l’imagination du joueur qui déterminera le plus souvent
la durée de vie de ces jeux.
68
Les joueurs peuvent envoyer leurs niveaux et jouer à ceux des autres directement sur le jeu. Le site officiel fait
également office de hub, en référençant les différents niveaux et scores obtenus. Url :
http://supermariomaker.nintendo.com/ (dernier accès mai 2016)

BÉZAGUET Vincent 65
éditeurs décident à leur tour de proposer ce type de contenu. Il sera alors intéressant d’observer
l’utilisation par les joueurs des gameplay émergents.

Comme nous avons pu le voir dans ce chapitre, les speedrunners sont continuellement
à la recherche de leurs limites, mais aussi de celles du jeu. L’esprit compétitif qui règne au sein
du speedrun semble finalement assez éloigné de celui du sport, bien que les deux disciplines
aient de nombreux traits en commun. Sur ce point, les speedrunner se rapprochent bien plus de
l’esprit collaboratif des milieux scientifiques, et peut être plus encore de celui des hackers.

Finalement, la compétition n’a peut-être pas tant lieu entre les speedrunners, qu’entre ces
derniers et les concepteurs de jeux.

Hugo: And you have the opportunity to be friends with your opponents
(Et tu as l’opportunité de devenir ami avec tes adversaires).

BÉZAGUET Vincent 66
Conclusion générale

Par l’exploration des « limites » du médium, le speedrun participe à définir le jeu vidéo, en
outrepassant ses règles. Les speedrunners proposent une version alternative du play de Mathieu
Triclot69, dans laquelle la perfection est d’ordre. Selon la catégorie de speedrun, les critères de
perfection ne seront pas les mêmes : un speedrun en « single segment » ne sera pas considéré
de la même manière qu’un « tool-assisted ». Dans ce dernier, le joueur abandonne ses réflexes,
pour la programmation. Le tool-assisted speedrun, à bien des égards, peut être considéré comme
un play parfait. À l’instar du Dieu de Leibniz qui a créé le meilleur des mondes possibles, le
speedrunner créé le meilleur des play possibles.
Cette nouvelle façon d’utiliser le jeu permet de faire émerger de nouveaux concepts, de
nouvelles façons de jouer. L’histoire du jeu vidéo est d’ailleurs faite d’emprunts. Computer
Space qui emprunte à Spacewar, Dota qui réinvente Warcraft ou Kaizo Mario qui se
réapproprie Super Mario World en sont autant d’exemples. Les créateurs de jeux vidéo auraient
tort de ne pas se saisir des travaux produits par les speedrunners. Nintendo l’a prouvé avec son
récent Super Mario Maker.
Car si le travail des speedrunners consiste à révéler les failles du jeu vidéo, il s’agit
essentiellement de jeux que les speedrunners apprécient. Aussi, bien loins de détruire le travail
des développeurs, ils en augmentent indéfiniment la durée de vie. Plus de vingt ans après leur
sortie, des communautés de speedrunners continuent de faire exister certains jeux.
De plus, la communauté des speedrunners est en constante augmentation. Pour preuve, La GDQ
rassemble toujours plus de speedrunners, de spectateurs, et finalement de dons. Les personnes
s’y intéressant sont – a priori – dans la majorité des cas eux-mêmes joueurs. Il s’agit donc d’une
cible privilégiée des éditeurs de jeux vidéo. Il serait ainsi intéressant pour ces derniers de
proposer des jeux plus accessibles au speedrun, ou d’organiser des tournois dédiés aux
speedruns de leurs jeux. Cela profiterait très certainement autant aux éditeurs qu’aux
speedrunners.

Enfin, le speedrun peut être vu comme une réponse à une société de plus en plus régulée.
Comme le dit Luc Boltanski en parlant de notre société, « ce que savent les responsables, c’est

69
Voir chapitre 1, partie 1.1, page. 9.

BÉZAGUET Vincent 67
que celui qui se contente de suivre les règles sans les contourner, les adapter ou les modifier,
n’aboutit à rien »70. Le speedrun propose d’adopter une attitude similaire à celle que montre
Boltanski, en réponse au phénomène de plus en plus courant de la « gamification ». La
gamification est l’application du game-design ou d’éléments du jeu, généralement à un
environnement non ludique. Le parti communiste Chinois a d’ailleurs récemment lancé une
application pour téléphones sur ce principe : les « crédits sésames », un score citoyen vous
permettant d’obtenir, ou non, un crédit à la banque. Ce score est déterminé par l’attitude de la
personne en public : « Tout le monde est mis à contribution pour savoir si vous êtes bon payeur,
bonne cliente, bonne copine, si vous achetez chinois ou non, si vous partagez des informations
en ligne avec le parti, si vous protestez, si vous êtes ‘’citoyen sincère’’ »71.
Cet exemple permet de prendre conscience de la portée qu’à aujourd’hui le jeu vidéo, et
l’importance de l’étude de ses mécanismes. Les speedrunners, par leur côté hacker, sont là pour
rappeler que nulle règle n’est parfaite, qu’il n’y a pas de restriction qui ne puisse être
contournée.

70
Boltanski L. (2008), rendre la réalité inacceptable, Paris, Demopolis
71
L’OBS avec rue 89, “tremblez le parti communiste chinois à compris les jeux video” URL:
http://rue89.nouvelobs.com/blog/extension-du-domaine-du-jeu/2016/01/11/tremblez-le-parti-communiste-
chinois-compris-les-jeux-video-235168, 11/01/2016 (dernier accès 12 mai 2016)

BÉZAGUET Vincent 68
Références bibliographiques
Ouvrages :
Duras P. (2009), Sociologie de la compétition. Sociologie contemporaines, Armand Colin,
129 p.

Ehrenberg A. (1991), Le Culte de la performance, Paris, Calmann-Lévy, 336 p.

Elias N. & Dunning E. (1998), Sport et civilisation : la violence maîtrisée, Fayard, 392 p.

Fouillet A. (2014), L’empire ludique, Éditions François Bourin, 209 p.

Lallement M. (2015), L’âge du faire : hacking, travail, anarchie, Paris, Seuil, 451 p.

Triclot M. (2011), Philosophie des Jeux Vidéo, Paris, Zone, 252 p.

Articles :
Fanny Barnabé, « Autour du jeu vidéo : la culture de la réappropriation » [En ligne],
Université de Liège, mai 2013, consulté le 04 mai 2016. Url :
https://culture.ulg.ac.be/jcms/prod_1301677/autour-du-jeu-video-la-culture-de-la-
reappropriation?part=1

Barnabé Fanny (2014), « Le speedrun : pratique compétitive, ludique ou créative ? Trajectoire


d’un détournement de jeu vidéo institué en nouveau game », Communication au colloque
Ludovia 2014. Les objets numériques : création et consommation, Ax-les-Thermes [en ligne].
URL : https://culture.numerique.free.fr/publications/ludo14/Barnabe_Ludovia_2014.pdf

Mathieu Triclot , « Game studies ou études du play ? », Sciences du jeu [En ligne], 1 | 2013,
mis en ligne le 01 octobre 2013, consulté le 05 mai 2016. URL : http://sdj.revues.org/223 ;
DOI : 10.4000/sdj.223

Pour la méthodologie :

Anne Sophie Béliard, Baptiste Brossard, "Internet et la méthode ethnographique : l'utilisation


des messageries instantanés dans le cadre d'une enquête de terrain" Génèse 3/2012 (n°88),
p114-131.

BÉZAGUET Vincent 69
Stéphane Héas, Véronique Poutrain, 2003. « Les méthodes d’enquête qualitative sur
Internet ». ethnographiques.org, Numéro 4 - novembre 2003. URL :
https://www.ethnographiques.org/2003/Heas,Poutrain

Sites de références :
Encyclopédie en ligne Wikipédia - https://www.wikipedia.fr/

Dictionnaire en ligne Larousse - http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais /

Rapports du Syndicat des Editeurs de Logiciel de Loisir (SELL) - http://www.essentiel-jeu-


video.fr/
Site officiel de Twin Galaxies - https://www.twingalaxies.com/

Site officiel de Speed Demos Archive (SDA) - https://speeddemosarchive.com/

Forum de Speed Demos Archive - https://forum.speeddemosarchive.com/

Site officiel de speedrun.com - https://www.speedrun.com/

Fil de discussion reddit officiel du speedrun - https://www.reddit.com/r/speedrun/

Groupe “speedrunning” sur Facebook- https://www.facebook.com/groups/206524582855662/

Site official de TAS Vidéo - https://www.tasvideos.org/

Site official de la Games Done Quick (GDQ) - https://gamesdonequick.com/

Site officiel de l’Ultime Décathlon - : https://www.ultimedecathlon.com/

Ressources vidéo :
(Documentaire) King of Kong : A Fistful of Quarters (2007), documentaire réalisé par Seth
Gordon (USA). IMDb : http://www.imdb.com/title/tt0923752/combined
Émission “Speed Game” sur Youtube - https://www.youtube.com/user/RealMyop
‘RealMyop’ et ‘CoeurDeVandale’ “Introduction au speedrun” -
http://videothequealexandrie.fr/introduction-au-speedrun-nesblog/
‘Doc Geraud’, « Les boucles de gameplay » -
https://www.youtube.com/watch?v=2z7nIDSbloc

BÉZAGUET Vincent 70
Annexes
Grille d’entretien

« Speedrun », ça veut dire quoi ?


> Donc c’est ce que toi tu fais ?
> Et du coup, « speedrunner » ? D'autres noms équivalents ?
Comment t'as découvert le speedrun ?
> (approfondir)
Quels sont les jeux que tu speedrun ?
Pourquoi est-ce que tu aimes le speedrun ?

Comment se forme-t-on au speedrun ?


Y-a-t-il une part de chance, d’aléatoire ?
Ça t'apporte quoi de plus que d’y jouer de façon normale ?
T'y passes combien de temps à t’entrainer généralement ? Pour une session ? Par semaine ?
Tu te renseigne comment sur l’actu ? Tu te tiens au courant des records ?

Quand de nouvelles techniques sortent sur les jeux que tu speedrun, est ce que tu essayes ? Au point de refaire une run
complète ?

Tu penses quoi de l’AGDQ ? tu aimerais y participer ?

Quels sites consulte-tu ?


Tu regardes des streamers ? Qui ? Ils sont connus ? Ils jouent aux mêmes jeux que toi ? Stream de Speedrun uniquement ?

Est-ce que tu publies tes runs? Ou tu stream ?

> Si non :

Pourquoi ?

Tu ne montres à personne ?

...

> Si oui :

Tu en publie souvent ?

Beaucoup de gens te suivent ?

Quelles sont leurs réactions ?

T'as des potes qui en font ?


Ta famille en penses quoi ? Et tes potes ?
Peut-on se professionnaliser ?

Jeux vidéo :
C'est quoi tes jeux favoris ? Ceux sur lequel t'as passé le plus de temps ?
Tu fais du speedrun / essaie d’en faire sur tous les jeux ?
Tu fais quoi comme activité extra-scolaire ?

Tu fais du sport ? Quel genre ? Plutôt solo ou en équipe ?


/ Tu fais quoi comme métier ? Tu es en compétition avec tes collègues ?

Le but est de se dépasser ?

> Dépasser les autres ? dans quelle mesure ?

Existe-t-il des injustices ?

As-tu parfois de l’adrénaline ? Ou même une impression de mise en danger, de prise de risque ?
Es-tu tellement absorbé que tu oublies la vie « réelle » (IRL) ?
C'est quoi tes passions/hobbies ?

Tous les jeux peuvent-être speedrunnés ?

Existe-t-il des jeux par navigateur speedrunnés ?


Sur smartphone ?

Sont-ils "légitimes" ?

BÉZAGUET Vincent 71
Entretiens
Les entretiens ci-dessous sont retranscrit tels qu’ils ont été écrits.

Entretien n°1 : Hugo (en anglais)


Speedrunner de 16 ans qui a répondu à mon message sur Facebook

Nous nous sommes entretenus via la messagerie intégrée du site web.

Hugo : Conversation started today


Hugo : the only place i can talk- on facebook messenger

You accepted [hugo] request.

Me : Hey
That's fine for me 
Hugo : so what is it that youd like to know
Me : Just to explain you what i'm looking for, i'm a french student who do a study about speedrunning. This is anonymous (but we are on
facebook, so i can't guarentee that's ^^), and it will help me a lot to don't stay stupid things about speedrun :p
And my english is not very good, so say me if you don't understand some of my request!
Hugo : like general thing about speedrunning??
also you can use my name if you want
Me : Allright
And it's a sociological study about competition in video games
I try to understand how speedrunners work, learn, etc.
Hugo : hmmm. well specifically in speedrunning its a very close community, while were all trying to beat the game as fast as possible we
are all very friendly and supportive towards each other
Me : Try to make your answers as you think, not as you think it would be ;)
Hugo : that is my experience with speedrunning. im on twitch chats quite a lot and when i was new to it they welcomed me with open arms
Me : And last thing, generaly it's about 45 mins (less or more) to make an "interview" like this, so have you enough time now?
Hugo : i do but theres a coupke of other people im talking to too so i may be a bit slower
Me : Ok no problem for me :)
Habitually i do live interview, so it's harder to stop it ^
Just let me few minutes, i've just come home and i'm hungry :p
Hugo : i love being interviewed if theres question i can answet
Me : Ok nice (i have lots of questions :p)
Hugo : yass. this will be fun
Me : ;)
well i afk, bbs
Hugo : bbs?
Me : be back soon ^^
i'll *
Hugo : aah yes. thanks
Me : (we use that shortcut in french :o)
Hugo : i think its babes in scotland. i dont know though

BÉZAGUET Vincent 72
Me : I'm back :)
babes?
Hugo : i dont know. thats my 1st guess
Me : ok ^^
Well, ready to start? :)
Hugo : lets do this
Me : Well, can you introduce yourself?
Hugo : my name is Hugo : and i speedrun mario galaxy mainly alongside crash bandicoot:wrath of cortex and possibly the simpsons:hiy and
run in the future
Me : Ok, and you said me, the speedrun is to beat a game as fast as possible?
Hugo : yes. in some games you can be given certain rules or methods of finishing. like in super mario galaxy you have 61 star and 120 star
with either mario or luigi. 61 star is the smallest possible stars needed to beat the game and 120 is all the stars with that character
Me : How do you know there is rules? Who decide them?
Hugo : im not sure who decides them but there is a website called speedrun.com and they give you certain categories like the ones stated
above
Me : Ok :)
And how do you know speedrun?
Hugo : it came up on my feed once on youtube and i watched it and thought "this looks so cool" so i did some research and now im actually
doing it
Me : Oh ok! Do you remember what was the video?
Hugo : i think it was a mario sunshine speedrun on SGDQ by averagetrey
Me : What is SGDQ?
And why did you like this video?
Hugo : SGDQ is Summer Games Done Quick. its a speedrunning event held once a year that raises millions of dollars for charity. there is
another event in january which is AGDQ which is Awesome Games Done Quick and they're run by the same people. also what i liked about
the video was it was fadt paced, great to watch and it shown me a new way to have fun with videogames
Me : Why it's a new way to have fun?
And did you go to this event?
Hugo : well for a while i was starting to feel burned out from videogames and when i discovered speedrunning it made me feel refreshed
again to play stuff. and no i didnt you require an application and stuff to go and also its in america and i cant afford it
Me : Why you was burned? And what the speedrun is better than video games?
Hugo : burned out. it means starting to get sick of something. in this case videogames. please repeat that??
Me : Hmm sorry
Hugo :dont worry
Me : I asked you why you had had enough of video games
And what
what have the speedrun, more than classic play?
Hugo : oh right. its just playing them it was starting to feel very stale and kind of boring
Me : Oh ok
Hugo : again-i dont understand. sorry
Me : You said me than speedrunning was a new way to enjoy video games, right?
Hugo : yes thats correct
Me : I try to know why ^^
Hugo : oh right. well usually when i play videogames i just try to beat them. with soeedrunning it adds more of an element of technique,
fast pace and fun factor
Me : Why it's more technique?
Hugo : well you have to do specific things to get good results like with frame perfect timing, with movement or with other things i cant
remember

BÉZAGUET Vincent 73
Me : Oh ok! and it's hard to do that? Did a classic player can make it?
Hugo : some things can be easy, some can be hard and some can be god awful. i think with people who play it casually they maybe wouldnt
know most stuff because its things you have to go out of your way to learn
Me : Out of your way?
Hugo : like youre researching what to do. most of the time you wouldnt just happen to discover it
Me : Yeah i understand, but can you give me some example
Hugo : yeah. gelato skip in mario sunshine. it involves a very precise camera angle and a lot of movements that need to be exact. it took a
very long time to discover even in the speedrun world
Me : What you mean by "the speedrun world"?
Hugo : https://www.youtube.com/watch?v=mEYSF_xaT94 *****
i dont knowl i occasionaly say that. i mean speedrunning community
Me : Where this community take place?
Hugo : everywhere in the world. its mostly online
Me : And what are she doing?
I mean, can you explain me what the community is and represent for you?
Hugo : the community is badically everyone in speedrunning. were all nice to each other and were all good friends. and also it represents
sort of proof that gaming isnt just all a bunch of screaming 12 year olds in call of duty
Me: Haha thanks god it isn't! :p
And everybody can be in this community?
Hugo : yeah. speedrunning is a fantastic community
Me : Haha right :)
Hugo : everybody can be in it yes
its a very open community
Me : So i can come in, for example?
Hugo : yeah you can
and you will be treated very well
Me : :)
And how are you involved in this community?
Hugo : i dont talk to people as often as id like to but when im involved it is always some of my greatest moments
Me : how can you be involved?
Hugo : like talking to people, discussing stuff about games. things like that
Me : Oh ok :)
Do you try to find new skip in community?
Hugo : nah. you can but for now im not at a kevel where i can participate in that
Me : There is a "level" ?
Hugo : well its a level of ability. im not good enough or knowledged enough about it
Me : Oh ok! And there is a lot of people who have it?
Hugo : im not totally sure but i have heard about a couple of people who do it and they have a lot of knowledge of coding
Me : Oh ok!
And they give you these knowledges?
Hugo : i dont have knoledge for coding
Me : I mean knowledge of skips
Like the video you sent me
That’s one of these guys?
Hugo : oh right. i dont hve knwledge for that either
i dont know if he does that, he was just some guy i found doing gelato skip

BÉZAGUET Vincent 74
Me : So how do you know there is these skips?
Hugo : i look up full runs of games then when i see skips i look up tutorials
Me : Oh ok! You usually find these tutorials on youtube?
Hugo : yeah. yiutube is a great place for finding them
also the SDA knowledge base is good for skip tutorials too
Me : the SDA knowledge base?
What is it?
Hugo : Speed Demos Archive. a place where if you need speedrun knowledge its usually there
Me : Oh ok
But the rules are on speedrun.com ?
Hugo : rules and leaderboards are on speedrun.com but guides, rules and everything else ison the SDA knowledge base
Me : Everything else? ^^
Hugo : i cant remember really. when i say rules on sppedrun.com theres only a brief description. SDA go fully into details on it
Me : I see
And you said me before, you speedrun 2 games
Why these games ?
Hugo : mainly yes but i used to do a third (mario sunshine) and i plan on doing more
well mario galaxy is my second favourite videogame of all-time and is fantastic to do fast, its so fun
and crash bandicoot:wrath of cortex has a special place with me from my childhood and is also great for speedrunning
Me : Do you play them on Wii and PlayStation?
Hugo : mario galaxy-wii, crash bandicoot wrath of cortex-xbox 360
Me : Ok!
And so you go very fast in these games
Do you have some speed sensation?
Hugo : yeah
sort of. maybe. i dont know to be honest
Me : I mean like adrenaline or something like that?
Hugo : not really no
Me : So what?
If you can explain me ^^
Hugo : i just find it great fun
Me : Ok! :)
How many time you spent in a normal weak to practice speedrun?
week*
Hugo : uuuuuuh i dont know if i should answer that (60 hours)
Me : And you just "try hard" on these games?
Hugo : basically too much
i try to develop my skills
Me : Like doing a scene again and again ?
Hugo : i could go for hours if its fun
Me : In some way, it's like sports training?
Hugo : yeah. i spend about 8-9 hours a daypractising
Me : What are you doing the rest of the time?
Hugo : messaging friends, plsying games casually, revision for school. oh yeah im only 16
that may need to be a point

BÉZAGUET Vincent 75
Me : Not necessary ^^
And i see on your picture, you practice rugby?
Hugo : oh. Sorry
i play american football and rugby but im currently out from injury
Me : It's nice for me to know it, but the discussion stay the same :p
Oh unsure emoticon
So you spend more time than usually on speedrun?
Hugo :if i wasnt injured it would be only about 40 hours a week
Me : You practice sports 20 hours a week?
Hugo : 3-4 hours actual practises and the rest is exercising and conditioning
Me : Ok
Do you play some competitions?
Hugo : yeah i do, i only really play american football competitively becauze rugby games are on the same day as americzn football practise
and i like american football more
Me : Oh ok! so if you could, you would have play rugby competition too?
Hugo : yeah i would
Me : Do you like speedrun because is competition too?
Hugo : it is but it is very friendly competition
Me : friendly? In which way?
Hugo : well it feels a lot less bitter against opponents
Me : oh ok :)
Hugo : and you have the oppurtunity to be friends with your opponents
Me : And do you play "against" other players?
Hugo : yeah id say so but i like the people
Me : How do you play against?
I mean, do you try to do the same speedrun at the same time?
Hugo : i play my run nd compare it to the leaderboard on speedrun.com
you can do tha too
Me : oh ok! and there is a lot of players on leaderboard?
Hugo : on mario galaxy on 61 star mario theres somewhere in the 140s total amountof players
Me : What's your rank?
Hugo : currently iv havent posted a time on the leaderboard but if i did i would be 99 people
*99th. where did 99 people come from
Me : Why you didn't?
Hugo : because i think i need capturing devices and i dont have it
Me : Oh ok
Do you use twitch or other streaming platform?
Hugo : twitch and youtube when i can
Me : How many viewers do you have?
Hugo : i havent streamed on twitch yet but i have 2 youtube videos which im planing o deleting
Me : Oh ok xD
Why?
Hugo : theyre terrible
Me : Haha ^^
Well, do you friends practice speedrun too?

BÉZAGUET Vincent 76
Hugo : nope
just me
Me : And they know you do?
Hugo : yeah. i dont shutup about it
Me : You parents too I guess?
Hugo : they dont really know what it is but yeah
Me : What they say?
Hugo : theyre okay with it
Me : Ok :)
Hugo : thats good
Me : And your friends?
Hugo : they like it xxx
Me : Haha so they watch you speedrunning?
Hugo : when im starting twitch i will notify them when im streaming
Me : ok! And did they watch some others speedrunners?
Hugo : no they dont
Me : And you?
Hugo : i think theyre watching it because me
i watch speedruns very often usually for research
Me : Do you have a favorite speedrunner? Or some?
Hugo : not particularly. i like way too many to answer that question
Me : Ok ^^
Hugo : its a great thing like
Me : So you watch more Bandicoot & M.Sunshine than other videos?
Hugo : i dont watch bandicoot much. its almost always galaxy and used to be sunshine too
Me : Ok! And when you find some new skip, do you try it immediatly?
Or when a new technique is discovered
Hugo : once ive refined the last one ive practised yes
i am yet to come across that so i wouldnt know
Me : Oh ok ^^
And can you say me if you practice it just for fun, or because its competiton, or to go "beyond your limits"
What do you think?
Hugo : all of them
theyre all true
Me : Other reasons maybe?
Hugo : none that i can think of
Me : Ok :)
And to back to the speedrun itself
Do you find it is a fair practice?
I mean in terme of rules, justice, etc.
(i don't know if my question is very clear :s)
Hugo : it is very fair yes
everything is explained clearly enough and i understand everything about the rules and other stuff
Me : And when you play, do you find the game is fair?
I mean, there is some random no?

BÉZAGUET Vincent 77
Hugo : yes. the games i play (especially galaxy) are very well made. im nott as knowledged on crash but with galaxy i have came across no
random stuff
Me : And you said me before, there is different kind of speedrun?
Hugo : not necessarily. just different categories within a game
Me : Like what?
Hugo : like the 61 star and 120 star example i used for mario galaxy
Me : And what do you think about TAS?
Hugo : im not really opinionated on it. ive not really had much interest in it
Me : Ok! And about glitchless speedruns?
Hugo : i love those. im not a fan of glitched speedruns. its why i dont run majoras mask which is my favourite videogame of all time
Me : What's the difference between skip and glitch?
Hugo : im not totally sure about that
(no other answer come)
Me : ok ^^
Can we speedrun every game?
Hugo : i believe so yes
Me : If I want to speedrun a game on internet for example?
Hugo : i think so but most leaderboards contain like3 people
Me : Oh ok
Candy crush would be accepted?
Hugo : i dont know. i would assume not considering the type of game
Me : ok :)
Hugo : also pleasedont try candy crush
Me : Hahaha! Never!!!
Hugo : thanks
Me : Even install ;)
Hugo : no. no no no
Me : That's just because every game hate this game i ask if they will accept it ;)
every gamer*
Hugo : not all of them-just all who have common sense
Me : I agree
Hugo : thank you
Me : I'm gamer too ;)
I just don't practice speedrun :p
[The discussion continue but not about speedrun, then we end the interview]

BÉZAGUET Vincent 78
Entretien n°2 : Nicolas (en anglais)
Speedrunner de 25 ans qui m’a contacté par message privé suite à mon message sur le
forum SpeedDemosArchive :
« Hi,
if you want, you can talk with me for a bit.
Via this private thread, mail, skype or discord, how you like.
Mail, Skype, Discord: (…) »

L’entretien s’est déroulé sur Discord, un logiciel de discussion.

Moi : Hi
Nicolas : now it worked, discord is weird. haven't used it yet for direct friends
Moi : Well, I think the #number is the most efficient way to add someone ^^
Nicolas : i have an hour or so to spare now if you want, or we can continue tomorrow or so. I live in approximately the same time zone as
you i think
Moi : I live in France, and you?

Nicolas : Germany

Moi : Oh fine
Well it will be easier!
Moi : This evening I have already a lot of stuff to do
But i will be free thursday or friday
Nicolas : alright, should be fine. my work week should be tuesday-thursday this week, but most days I am home after ~8PM anyways. Also I

think the study questions won't take really long


Moi : It can take like 1 hour sometimes, there is a lot of things to speak about :p
Nicolas : We can also talk for a bit longer then if needed, no worries, I have time
Moi : Ok nice!

Well, try to see you here thursday then


Nicolas : i'll be here or at least answer a few hours later, just write when you have time

Moi : Ok perfect! Good evening


Nicolas: FYI, I should be home today at ~1940
Moi : Ok fine, i think it will be 18h40 for me ^^
Nicolas: Alright, I'm home now, baking a pizza in the background. We can start anytime now if you want
Moi : Well thanks
You want to start now then?

Nicolas : Alright
Moi : Let me 2 mins to take my papers
Well that's fine
So, the study is about the speedrun, I try to know who practice it, when, why, etc.

BÉZAGUET Vincent 79
And this is totally anonymous

Nicolas : Alright So should I just talk about my speedrunning history or do you have specific questions?

Moi : I will try to guide you, so you just have to talk what you mean
If you have any questions, ask
Oh, and i'm not very good in english, so say me if you don't understand ^^
So, let's start
Can you present yourself firstly?
Nicolas : Alright, I'm a 25yo male German who is currently studying IT and works a student job as a programmer
Moi : Ok, so you're in Master?
(I don't know the german name for classes)
Nicolas : still working on my bachelors degree for quite a few semesters too long

Moi : Ok
Nicolas : we also have bachelor/master system in university
Moi : Ok fine ^^
So, you practice speedrun, that's right?
Nicolas : yes, you can pinpoint my start of interest to the release of portal 1, in october 2007. I did one of the first speedruns for the game
and it was also my first.
Moi : So, you already knew speedrun before?
Nicolas : later i got beat with OOB methods and didn't retry again. Then in 2008 I found TimeShift, did a speedrun of that and laid low until
2015
Moi : What's OOB methods? (And can you explain me what's speedrun for you?)
Nicolas : vaguely. there was no AGDQ/SGDQ or great common knowledge back in the days. I have seen some via youtube I think
OOB means out of bounds. Most games have levels created by the developers with clear boundaries which areas the player can reach and
which they should not. Going OOB means you reach areas in the game the developers did not intent you to reach. From there you can take
crazy shortcuts often
Moi : Oh ok
Nicolas : back then in 2007/2008 I did the speedruns mostly for me or to say that I have the record, without really getting integrated in the
community, besides getting some feedback and getting told more tricks. That started again now in 2015, when I saw, that a friend who
helped me in 2008 with timeshift, did a speedrun of himself, which was nice
Moi : Oh ok, so you just try it in 2007/2008 and start again last year?
Nicolas : i released a portal speedrun in 2007/2008 officially and also did in 2008 for timeshift, after that I did nothing regarding speedruns
except watch some others, watch AGDQ, watch the scene grow. And now I am also active again since last year
Moi : And what is timeshift?
An FPS from 2007 where you have some control over time. The game plays like being an overpowered soldier and getting creative with
your powers, like in crysis: https://en.wikipedia.org/wiki/TimeShift
TimeShift:
TimeShift is a 2007 first-person shooter developed by Saber Interactive and published by Sierra Entertainment for Microsoft
Windows, Xbox 360, and PlayStation 3. It was developed using the Saber 3D engine, v.S-3 and Havok. On August 31, 2007 a
demo of TimeShift was released on Xbox Live Marketplace. A PlayStation 3 demo was then released onto the PlayStation Store
on November 1, 2007. The game was released on Xbox 360 and Windows on October 30, 2007 in North America; November 1,
2007 in Australia; and Novem...
Moi : Oh i thought that was a software
And you play video games since a long time?
Nicolas : yes, since I can remember i was always interested in games and still am
back then with gameboy and old windows, ps1 and such

BÉZAGUET Vincent 80
Moi : Good old time :p
why have you been interested by speedrun*
Nicolas : i played portal on release day and loved it. after beating the story i continued with the portal challenges, least steps, least portals,
least time. i wanted to do them all and could not figure out for some levels how the time challenge could be done. I think I googled around
a bit on youtube and found crazy videos on how to solve those time trials. I think from there on I discovered the SDA community and saw,
that the portal thread was discussing vividly, but no one had done a serious run yet. Being interested in the game and interested to be able
to say "i have a world record" I just started it then.

let me look up that old thread again real quick and see my awkward posts, maybe they freshen up my memory a bit...

Moi : Send me
And what's the SDA community?
Nicolas : http://speeddemosarchive.com/ the forum where you posted in, where hundreds of speedruns are being hosted and discussed.
they also do the AGDQ/SGDQ streams. do you know them?
Moi : No, what's it?
Nicolas : https://gamesdonequick.com/ its one of the biggest events on twitch. they plan an event where speedrunners meet and stream
speedruns live for charite, for 1 week 24/7. It has a big popularity and is fun to watch. They do it twice a year somewhere in a hotel in the
USA
Moi : Do you go there?
Nicolas : no, i don't have the money or the time, and i think my timeshift speedrun would also not be interesting or marathon-safe enough.
sometime i'd like to maybe, but not now
Moi : Ok ^^
So actually, you speedrun “Timeshift”?
Nicolas : yes. i did a segmented run on october last year again and that is still being processed by SDA. soon it will be hosted on their site
again. I also re-opened the thread again to discuss new things we found, new tricks, new routes, new mechanics. And now that twitch is a
thing, I also started to stream some practice for fun
i am currently re-doing a segmented run, but haven't continued yet for a month because of studying and stuff
Moi : How do you train?
Nicolas : there are basically two parts to speedrunning, finding new stuff and actually executing. what part do you want to know?

Moi : Both
Nicolas : i'm not the best at finding new tricks I think, but i did manage to find some. you just play around in a level and think of ways that
might be possible to break the game to your advantage. you try to do jumps in areas it would be really helpful to jump over something, you
try to glitch yourself into walls with some weird movement or something. once you know points where you can go OOB, you can try to find
out where to go (the game might not render the level anymore, but you can still move) or figure out what you can do from there by trying
different routes, movement, menu settings and so on
take this for example at 4:57: https://www.youtube.com/watch?v=PrPCGrL2kFY (this is also my speedrun in verification on SDA right now) I
do some magic with the barrel, fly really high, get stuck somewhere, fall, land without dying, walk OOB and enter an area that should be
only scenery

TimeShift Speedrun 43:07 - Casual difficulty

[Commentaire de la vidéo à 4 :57 : We knew back in 2008 we could stand on a fallen down barrel and time-reverse ourselves up.
HeRMe did a bigger jump while doing his level 2 with another route by accident, so I tried to reproduce this. I found out that if
you time-reverse while standing on some physical object and mash jump you sometimes get a boost in that direction. Then by
accident I noticed that I could get a much bigger boost by playing on a friends computer that had weaker hardware. So after
some research I found out that the physics engine tends to be weird and give such big boosts when the graphics card is busy. I
was able to reproduce this behaviour by playing the entire game with vertical synchronization off, so the game was running with
~200fps and the graphics card was busy.]

Moi : So you try to find some "errors" in level design?


Nicolas : yes, level design and coding

BÉZAGUET Vincent 81
back then we had 2 levels where we wanted to go to an above area where we were not supposed to go yet. we figured out to shoot a
barrel down that was up there, jump on the barrel and reverse time. this way we got reversed back to where the barrel stood in the first
place. this was a quite normal method possible with the game mechanics, but still not thought through by the developers
Moi : Oh yeah it's obvious on the video ^^
Nicolas : my friend who did the speedrun in 2015 used the barrel in another area to also reach an above area, but jumped while traversing
and accidentally flew really far. he was not able to replicate it ever. so i tried around what i would have to do to push myself with the barrel
so far. the solution is that it has to fall quite a few meters, can't be in slow-motion and high fps also help somehow with the physics engine
so once i was able to push myself really far with a barrel, i could easily reach areas you definately should not be able to reach
but although i found so many things, there are still so many things i could not find. because i think in a specific pattern and sometimes you
have to think outside of the box. a few forum friends were a great help there and came up with new possibilites. timeshift doesn't have a
big community, so basically there are 2 guys+me. if there would be more people active we could do much more i would bet

Moi : Yeh I see


So there is still a lot to do on the game?
Nicolas : in most games, actually. i saw a video of a new trick for the original punch-out for NES from 1987 a few days ago. unless you talk
to the game developers or study the decompiled code, who knows what quirks or hidden features everybody who plays the game misses?
Moi : Yes ^^
How many time you spend on when you do that?
Nicolas : since 2015, maybe 100 hours or so. earlier maybe 30, but i don't quite know. in 2008 i mostly did the normal gameplay quick,
without big strategies
Moi : So you just speedrun few hours by weaks?
Nicolas : yeah, it comes and goes. sometimes 20h/w, sometimes not at all. the researching part can also be done while you are just
watching youtube oder AGDQ meanwhile, it doesn't require that much attention as executing the run
i also don't consider me as a really hard-working speedrunner, there are others who do wayyyy more
Moi : Like who?
Nicolas : i don't exactly follow specific people, but when I look at the twitch streams regarding speedruns, I often see people with a huge
community on themselfes, who stream every day for hours and do a dozen different speedruns. they also get sponsored to go to AGDQ
sometimes.
Moi : So they're professional?
Nicolas : i don't know, it's the same margin where you can say a youtuber is a professional when he does videos and makes some money
from it. but i don't think you would really aim to became a professional speedrunner before you start, with everything like getting rich and
famous and such. I think most speedrunners do what they like for fun and the viewers are happy with watching the runs and talking with
the runner
i think this guy is pretty invested, i also saw him on AGDQ at least once https://www.twitch.tv/thefuncannon

Moi : Ok
And you said me you still play video games?
I mean, without speedrunning?
Nicolas : yes. the last friend who helped me with timeshift seems to play everything with the intent to do some sort of speedrun with it, but
i play most games without speedrunning them. whether there already is a run and it already looks to hard to do, the game is too long or it
is not applicable for speedruns
Moi : What king of game isn't applicable for speedrun?
kind*
Nicolas : https://kb.speeddemosarchive.com/Rules under "fundamental rules" you can scroll to the last point
most importantly, no MP and the game has to have an end
Moi : MP?
Nicolas : multiplayer
Moi : Ah ok ^^
So can I speedrun candycrush for example?
Nicolas : you could get external help from friends which would not show fairly how one could beat the game under a given scenario

BÉZAGUET Vincent 82
it would basically just be watching a deus ex machina mechanic with hundreds of other players, while the runner does mostly nothing
Moi : Deux ex machina? So games with random are not speedrunned?
Nicolas : deus ex machina is a general plot device. like when the hero in a movie loses his weapon and the enemy has him at gunpoint. then
suddenly an ally helps him. thats called deus ex machina i think. of course games with random elements are also run. most try to use seeds
so it "isnt that random anymore" or are just really hard often otherwise
Moi : Seeds?
Nicolas : like in minecraft, normally a really random world is generated, but the random generator uses a random seed/number to start the
generation with, because computers work that way. so when you have random number generator (RNG) and give it a fixed seed, the
random output will always be the same
so the minecraft speedrunner used this. generated worlds until he found one where his run would be easiest/fastest, saved the seed and
can study the world and the run from there on. the world will always be the same with the given seed (unless the devs change something
in the randomness engine)
did you understand?
Moi : (yes i'm reading ^^)
Oh ok yes
Nicolas : it's quite technical, but everything on computers that is random works this way. most times you just use the system timestamp as
the seed
Moi : Ok
And you can also use software to manipulate it?
Nicolas : no, that is prohibited in the rules. but there are some games and runners where you can detect RNG patterns ingame, or some
runners even know strategies where they force the game to use a certain RNG pattern over another (here the seed is most probably not
only the system time, but dependent on ingame things like enemies on screen/player coordinates, player input, etc)
Moi : Ok
Nicolas : you can only use the seed in games that allow it ingame. mostly games that use procedural content generation like minecraft
what else do you want to know?
Moi : Did timeshift allow it?
Nicolas : no. but timeshift (and portal too) are also not too RNG-heavy. I think the only thing that is random is ammo drops. Like getting 0-2
grenades from an enemy
Moi : Ok
Do you have friends who play speedrun too?
Nicolas : no, not RL friends
Moi : They know that you do it?
(look like weird conversation xD)
Nicolas : yes, some even watch sometimes when I stream

Moi : You stream a lot?


Nicolas : currently not much, like every 2-20 days 1-4h
i had some tests to write in april and now the new semester starts, that is more important
*march
Moi : How many viewers you have ?

Nicolas : 0-4 i'm not very popular on twitch yet


Moi : Haha it will come :p
You live alone?
Nicolas : but i do it less for the stream, i do it more for the video which i can then post to youtube or sda
Moi : Ok, and you have more peoples on it?
Nicolas : i still live at my mom's flat because i don't have that much money

BÉZAGUET Vincent 83
yeah over the months some hundreds at least. again, i don't do this to get famous primarily
Moi : She know what speedrun is?

ok
Nicolas : i didn't explain it in detail, just in a few sentences maybe. to her i just play games
(which i also still mostly do)
Moi : Haha ^^
How many time you spend on video game per week?
+s
Nicolas : afk, brb
Moi : ok
Nicolas : according to steam currently ~18. varies to 5-50 i think, but on average ~20 i would say
Moi : re
Ok
And you have extracurricular activities?
Nicolas : like being in a club or something? not really
Moi : Make sport, play music, or something like that
Nicolas : ah ok, rarely sport, i meet with friends on weekends to watch movies or hang out, watch youtube alone sometimes i code on
some projects i discard later
Moi : What kind of project?
Nicolas : i do medical android apps at my work, so sometimes i have an idea for a game app, start with it and then later realize it is getting
too complex or probably wasn't that good of an idea i first thought
Moi : Ok ^^
And do you consider that speedrun it's a kind of sport?
I mean, you have to train, then to concentrate a lot on, as you can do for athletisme?
Nicolas : i think it is in the e-sports category. when you consider that a sport, then speedrunning is as well, just not with live competition
(unless you stream races)
Moi : But it's still a competition?
Nicolas : of course it is not a real sweaty sport, but it is some kind of soft-sport like chess or e-sports
just because you have to concentrate, plan ahead and practice it, doesn't mean that it is exhausting you
on a scale from 1 to 10 where 1 is no sport and 10 is olympics, i would say 2
Moi : Only?
I mean, this is difficult, and you can obtain a world record
Nicolas : maybe 3, but not much more. i mean there is so much more after that which is also kind of a sport, but more exhausting
take motorsports for example. you "just sit in the car", but it is still more exhausting and difficult probably than speedrunning
Moi : Ok
So why do you like speedrun?
Nicolas : running or watching?
Moi : Running
Nicolas : When there is a record to beat or to be set in the first place, you want to run the game to show everyone what is possible with the
game, what tricks can be done with it or where you can improve another run. When you have the record you try to improve yourself. At
least I watched my videos a lot of times after and tried to find more ways to cut corners, and then I try to improve my times and routes.
When streaming I also try single-segments, which is also a harder experience for me, but I learn from it because I enter more random
situations as in a segmented run. It is fun to show people how broken you can make a game which they have probably played themselves
at sometime and be amazed
https://www.youtube.com/watch?v=Qk-HDKvZZzY
Moi : Do you feel something "special" when speedrunning?

BÉZAGUET Vincent 84
I mean, like adrenaline or something like that?
Nicolas : when you get past a part you failed a few dozen of times maybe and then don't want to fuck up until the end of the segment or

level i think i had more adrenaline when i started streaming by the feeling that my friends are watching me instead of running the
game itself, though
Moi : Maybe at the end?
Nicolas : speedrunning a game in most cases also doesn't feel like playing the game itself, you play a version of the game you created
yourself. you don't play the game with the story and intricacies as the developers intended, you have your own routes and tricks that you
need to do. the game's boundaries and failsafes are the new rules then and story is just an obstacle, the biggest enemy is yourself at that
point when you execute the run
Moi : I've seen https://youtu.be/Ev-QpxN8wPo?t=5m3s today ^^
[A video about a new world record on one of the most famous games in the world (Super Mario Bros), where the speedrunner is very very
happy!]
Nicolas: since i do segmented speedruns originally, not really. when i stream single-segments, i get most nervous on the hardest parts, level
2,9,10,12,17,18,22 out of 24 levels. so at the end it is not toooo hard anymore
nice^^
Moi : yeh :p
And do you think you can make speedrun on smartphone games?
Nicolas : like what games?
the problem is most of them don't even have a clear end in the first place
Moi : So for games with clear end it's possible?
Nicolas : you read the rules, when the game applies to them you could speedrun them. i think most games that are optimized for mobile
devices don't apply, but there may be exceptions
Moi : Ok ^^
And you speak about SDA community before
Have you had difficulties to speak with them ?
I mean, i don't know if you was good in english as now?
Nicolas : i understand english really well i think, and i can speak well enough to make a point. i think i can speak with them well, they are
also open and nice people who help when i have questions in the forums

Moi : Ok
Nicolas : i don't know if it is true, but there is a rumor in germany that french people often don't want to speak english or try to learn it,

everybody else should have to learn french


Moi : O_o

Well, i think there is some dumb peoples in france, but like in every country
Maybe a bit more ^^
But we just have a very bad english education
Governement was scared of english at first
Then now they try to catch up
For myself, i was hating english first because it was complicated and only learn and learn again some words with no senses
Nicolas : i learned it since 5th grade, played games in english then, watched some shows in english, discovered youtube and the internet, so

online i am pretty much english. but i don't like to speak live english because that is harder than reading or hearing it
[We spoke a little then we stop the conversation.]

BÉZAGUET Vincent 85
Entretien n°3 : Fred (en Français)
Speedrunner de 28 ans qui a répondu à mon message posté dans la section francophone du
forum :
« Je suis dispo, tu peux me contacter via ces forums (MP) ou Twitch ou Youtube. Je fais des runs
segmentés de la série Assassin's Creed, j'ai plusieurs runs sur SDA et je suis en vedette du Guinness. »

L’entretien s’est déroulé sur Skype, un logiciel de discussion.

Fred : alors, je t'écoute


Moi : Je t'avais précisé un peu ce que je faisais ?
Fred : pas plus que ça
Moi : Je fais une étude sur le jeu vidéo pour mon mémoire de M1
Fred : ok
Fred : et pourquoi particulièrement le speedrun ?
Moi : Je me suis focalisé plus particulièrement sur le speedrun, parce que je m'intéressais aux façons de détourner le jeu
Moi : Depuis, j'ai un peu dérivé de problématique, mais je suis resté sur le speedrun
Fred : ok
Moi : Du coup tu es speedrunner toi ?
Fred : oui
Fred : de la série des Assassin's Creed très principalement
Moi : Ok, et tu as quel âge ?
Fred : 28 ans
Moi : Ok ça marche
Moi : Ah oui et pour info, l'entretien est totalement anonyme :)
Moi : Du coup ça fait combien de temps que tu speedrun ?
Fred : ok, peu importe
Moi : ^^
Fred : heu ça fait un bon moment en fait :p je réfléchis
Moi : Bah est ce que tu te souviens de quand tu as découvert le speedrun sinon ?
Fred : j'ai commencé en 2010
Fred : j'ai découvert en 2008 avec le half-hour half-life :)
Moi : Le half hour?
Fred : oui half-life fini en moins de 30 minutes
Moi : Ah, oui x)
Fred : je suis tombé par hasard dessus sur YouTube
Fred : puis j'ai donc connu Speed Demos Archive
Moi : Direct après ?
Fred : oui
Moi : Ok, et t'as regardé d'autres speedrun du coup?
Fred : et comme il n'y avait aucun Assassin's Creed et que j'adorais ce jeu je me suis dit pourquoi pas moi
Fred : oui j'en ai regardé plein
Fred : d'abord les jeux que je connaissais puis d'autres un peu aussi
Moi : Pourquoi t'as voulu en faire du coup?
Moi : Enfin, qu'est ce qui t'intéressais dans le speedrun?

BÉZAGUET Vincent 86
Fred : parce que j'adore le jeu et que j'adore être efficace
Fred : dans le sens où
Fred : j'aime bien prendre du temps pour planifier scientifiquement quelque chose pour que, au final, ce soit efficace
Moi : Du coup tu passes beaucoup de temps à préparer tes runs?
Fred : en comparaison du temps de la run, oui, énormément
Moi : Et tu les prépares comment?
Fred : entre le planning, les tests, les essais infructueux et tout ça il y a parfois 300 fois la même section
Fred : je prépare d'abord les chemins et les choses absolument nécessaires à faire dans les missions/mémoires
Fred : ensuite je fais les chemins entre elles et je décide éventuellement de leur ordre si on a le choix
Moi : Tu le fais direct dans le jeu?
Fred : ça dépend
Fred : j'ai une fois écrit un script pour savoir
Fred : car il y avait 9 missions à choisir
Fred : et j'avais pas envie de chronométrer toutes les possibilités
Fred : je prends souvent du papier ou un autre support
Fred : par exemple, pour AC2 100%, j'ai mis les missions principales et secondaires sur des bouts de papier et j'ai passé des soirées à en
optimiser l'ordre
Moi : D'accord
Fred : car il y a des contraintes d'ordre dans le jeu mais aussi et surtout la contrainte de temps
Moi : Et tu passes combien de temps sur cette partie généralement?
Fred : en général je passe grosso modo 3-4 mois sur le planning
Fred : enfin c'était comme ça jusqu'à présent
Fred : à raison de environ 2 heures par jour en moyenne
Fred : un peu moins peut-être
Moi : Et après sur les runs?
Fred : le même ordre de grandeur, 2-3 mois
Fred : (pour des runs de 3 à 6 heures)
Fred : j'ai fait un run d'un truc d'une demi-heure en niveaux individuels j'ai mis 2 mois au total
Moi : Ah oui quand même ^^
Fred : oui ça prend du temps
Moi : Et du coup tu me dis 3 à 6h, tu en faisais tout les jours aussi?
Fred : surtout si on veut un plus beau résultat
Fred : non je veux dire le total fait ça
Fred : mais j'ai fait des segments de quelques secondes à quelques minutes
Moi : C'est du multi-segment c'est ça?
Fred : oui on peut appeler ça 'segmenté'
Moi : C'est plus facile comme ça?
Fred : oui et non
Fred : en segmenté il y a des stratégies qu'on ne fait pas autrement
Fred : souvent des choses qui nécessitent de la chance
Moi : Donc tu t'entraine jusqu'à avoir le segment parfait?
Fred : par exemple, dans AC Brotherhood, en single-segment on va chercher l'argent dans des coffres
Fred : en segmenté on tire les dés, littéralement
Fred : oui j'enregistre et je refais le segment jusqu'à être satisfait
Fred : mon standard est 1% : si j'ai cumulé plus de 1% d'erreur je refais

BÉZAGUET Vincent 87
Fred : en termes de temps
Moi : D'acc!
Moi : Et ça te prend du temps sur d'autres activités?
Fred : non
Fred : comme c'est pas multijoueur je décide de mon temps comme j'en ai envie
Fred : donc si je veux faire autre chose je gère mes priorités
Fred : d'ailleurs ça va faire 10 ans que je suis avec ma copine qui n'est pas gameuse
Moi : Félicitation :)
Moi : Et elle connaît le speedrun du coup?
Fred : du coup, oui
Fred : je lui ai montré un run du roi lion sur NES
Fred : elle était un peu impressionnée mais elle ne s'y intéresse pas plus que ça
Moi : Ok, donc c'est une sorte de hobbie pour toi?
Fred : exactement
Moi : Ok :)
Moi : Mais du coup tu es quand même en compétition avec d'autres joueurs non?
Fred : oui effectivement un peu
Fred : dans le monde mes concurrents sont quand même peu nombreux
Fred : il y a 1 américain, 1 taïwanais, et 1 russe
Fred : ils m'ont battu sur certains jeux / certaines catégories
Fred : mais c'est une concurrence tout à fait cordiale
Fred : on partage toutes les stratégies et tout ce qui nous importe c'est que les runs deviennent plus courtes et/ou plus faciles
Moi : D'accord, donc en gros c'est à celui qui découvrira un raccourcis supplémentaire qu'iront les honneurs?
Fred : peut-être mais pas forcément
Fred : ce sont surtout les runners qui sont connus
Fred : et je sais de quoi je parle
Fred : j'ai découvert quelque chose sur Dark Souls
Fred : qui a permis au numéro de descendre sous les 50 minutes
Moi : numéro 1 ?
Fred : il a eu un article sur Kotaku et d'autres sites
Fred : numéro 1 oui :D
Fred : mais aucun de ces articles ne parle de moi
Moi : Et il t'as jamais cité?
Fred : je suis cité sur le wiki des speedruns de Dark Souls
Fred : et dans la communauté la plupart des gens savent que c'est moi
Moi : Quand tu dis la communauté, c'est SDA?
Fred : non là dans ce cas je veux dire les gens qui font des speedruns de Dark SOuls
Moi : D'acc
Moi : Il y a plusieurs communautés donc?
Fred : chaque jeu ou série de jeux a sa communauté je dirais
Fred : TOmb Raider, Dark SOuls, Final Fantasy, Assassin's Creed, etc
Fred : des communautés de toutes les tailles
Fred : Super Mario 64 doit être parmi les plus grandes
Fred : Dark SOuls aussi d'ailleurs
Moi : Et du coup SDA dans tout ça?

BÉZAGUET Vincent 88
Fred : SDA est un peu à la dérive ces derniers temps
Fred : mais il y a plusieurs personnes sur les forums de SDA qui me connaissent bien
Fred : et encore quelques autres qui savent à mon pseudo que j'ai fait les runs de Assassin's Creed
Fred : ... et pour l'anecdote j'ai été contacté par un gars que j'avais connu au collège car il a vu mon nom sur un run de SDA
Moi : Comme quoi ^^
Moi : Tu post tes runs sur YouTube?
Fred : d'abord sur YouTube puis je les soumets à SDA
Fred : jusqu'à présent ils ont tous été acceptés
Moi : Et t'as beaucoup de gens qui suivent tes runs?
Fred : quand je poste un nouveau run j'ai quelques centaines de vues en quelques semaines
Moi : (on dit "un run"?)
Fred : un peu moins d'une dizaine de gens qui font des commentaires
Fred : heu... j'ai toujours dit 'un run' :p
Moi : Ah d'accord ^^
Fred : je fais du streaming sur Twitch aussi, j'arrive autour de 20 spectateurs
Moi : D'acc!
Moi : C'est quoi ton pseudo de speedrun?
Fred : (suivant les activités évidemment)
Fred : [Il a une chaine twitch avec environ 700 personnes qui le suivent]
Fred : ça vient de mon nom de famille et les 981 chevaux de la Suzuki Escudo dans Gran Turismo 2 :D
Moi : :D
Moi : Et du coup vous êtes que quatre à speedrunner AC?
Fred : on peut dire ça oui
Fred : mais certains sont plus ou moins actifs
Moi : Les autres sont aussi connus que toi?
Fred : je penses pas
Fred : j'ai été le premier et presque le seul pendant plusieurs années
Fred : le russe commence à avoir pas mal d'audience sur Twitch
Moi : Et c'est toi qui a le record mondial?
Fred : ceci dit je suis le seul à être en photo dans le livre des records :p
Moi : Wow gg
Fred : j'ai pas mal de records
Fred : dont 4 homologués pour l'instant
Fred : mais le russe a pas mal de records aussi
Moi : C'est le Guinness Book?
Fred : oui Gamer's edition
Moi : Ok
Moi : Et tu gagnes un peu d'argent avec ça?
Fred : j'ai totalisé environ 80 euros de dons sur ma chaîne Twitch depuis 2 ans
Fred : donc pas de quoi gagner ma vie
Moi : En effet ^^
Moi : Et tu speedrun que AC?
Fred : j'ai aussi fait un peu de Dark Souls
Fred : mais une catégorie particulière
Fred : autrement je me focalise sur AC oui

BÉZAGUET Vincent 89
Moi : Une catégorie particulière?
Fred : oui j'ai fait des runs NG+ (qui commence une fois le jeu fini une fois)
Moi : D'acc
Fred : donc ça nécessite une sauvegarde
Moi : Et en dehors de ça tu joue à des jeux?
Fred : les autres font en partant de zéro
Moi : Ok je vois ^^
Fred : oui j'aime beaucoup les jeux de réflexion
Fred : par exemple Portal, Talos principle
Fred : j'aime aussi par exemple la série des Tomb Raider
Moi : Les premiers?
Fred : tous
Moi : Ok :)
Fred : j'y ai joué étant petit et j'ai beaucoup aimé le dernier
Moi : Et ces jeux là t'essaie de les speedrunner?
Fred : non j'ai pas le temps pour tout faire
Moi : D'ailleurs tu fais quoi dans la vie, si c'est pas indiscret?
Fred : et il a des communautés assez développées pour les autre styles de jeu
Fred : je suis ingénieur de recherches en physique
Moi : Dans le privé?
Fred : oui
Moi : D'accord
Fred : j'ai fait une thèse mais je travaille dans le privé car je préfère
Moi : Et tu fais d'autres activités en dehors?
Fred : je dirais non
Fred : pas de façon régulière
Moi : D'accord
Moi : Parce que je m'interroge sur l'aspect sportif du speedrun.
Fred : pour moi c'est avant tout cérébral
Moi : Est-ce que tu penses qu'il s'agit d'e-sport?
Fred : comme les échecs par exemple
Moi : D'accord
Fred : oui on pourrait parler d'e-sport mais bon
Fred : c'est juste parce qu'il y a des maillots et tout ça
Fred : le speedrun c'est d'abord de la réflexion et de la patience
Moi : Donc ça reste du jeu pour toi?
Moi : Enfin une façon de jouer?
Fred : par opposition à...?
Fred : un sport / e-sport?
Moi : Non
Moi : Dans le sens où la compétition n'est pas primordiale
Fred : dans ce cas oui
Fred : c'est du jeu et ça reste du plaisir
Moi : Enfin ça se rapproche plus du sport comme activité de détente que de match de league ^^
Moi : Enfin l'exemple du foot est mauvais

BÉZAGUET Vincent 90
Fred : oui et comme je disais, même si il y a de la compétition, tout le monde reste content quand les temps baissent
Moi : Et tu penses qu'il est encore possible de changer les temps de toutes les runs?
Fred : aucun run n'est parfait
Fred : donc ça peut changer mais ça dépend des standards et des stratégies
Fred : par exemple Dark SOuls
Fred : le record est resté très longtemps à 50:56 et on le considérait très bon
Fred : puis quelqu'un a fait un 50:30 ou quelque chose comme ça
Fred : puis j'ai découvet ce truc qui a fait un 49:30 environ
Fred : puis il y a eu d'autres gros raccourcis et de plus petites stratégies
Fred : aujourd'hui on est à 44:45
Fred : et le recordman est moyennement content!
Moi : xD
Moi : Pourtant 6 mins y'a de quoi ^^
Moi : Mais oui je vois ce que tu veux dire
Fred : ça s'est fait petit à petit
Moi : Et du coup, comment on apprend à speedrunner?
Fred : comme je disais au début ça passe d'abord par l'amour du jeu
Fred : car on y passe beaucoup de temps
Fred : je veux dire, ça peut être assez répétitif
Fred : si les stratégies existent il faut apprendre les bases (les mouvements, les raccourcis)
Fred : puis des subtilités
Fred : selon les jeux et les catégories il existe des notes avec des liens vers des vidéos
Fred : et même des conseils aux débutants ou des routes alternatives, plus faciles mais plus lentes
Fred : encore une fois Dark SOuls est un bon exemple
Fred : http://speedsouls.com/darksouls:Black_Knight_Halberd_Any%25
Moi : Et on les trouves où ces notes?
Moi : Ah.
Moi : ^^
Fred : voir le lien ^^
Fred : et si tu voir certaines de mes notes tu peux voir mon pastebin
Fred : par exemple http://pastebin.com/LAZcdgUq
[Il s’agit d’une document texte disponible en ligne, qui explique étape par étape les mouvements à effectuer dans le jeu.
Extrait :
segment
jusqu'à la fin (osef des bords)
prendre un cheval juste après le bâtiment à l'est et aller sur le point

garder le cheval et suivre le chemin pour aller au voyage rapide (plutôt par la gauche)
{Florence – Santa Maria Novella – west gate}
{Romagna – docks}
sans bouger sur Leonardo {Δ, …, X}
En tout il y a 1776 lignes sur le document.]

Moi : T'as tout rédigé toi-même?


Fred : mes notes oui

BÉZAGUET Vincent 91
Moi : Ok
Moi : T'as passé combien de temps sur celui-ci?
Fred : AC2 any% le nouveau? difficile à dire, j'avais mes notes de l'ancien run any%
Fred : on va dire 2-3 mois pour le planning
Moi : D'accord
Fred : peut-être moins
Moi : Et tu suis d'autres speedrunners?
Fred : je suis très actif dans la communauté Dark Souls
Fred : et je suis évidemment les runners de Assassin's Creed
Fred : et je regarde souvent les autres runners sur SpeedrunsLive
Fred : par exemple je regarde https://www.twitch.tv/360chrism depuis avant :D
Fred : j'ai joué à SMG2 avec ma copine et les runs sont sympa à regarder
Moi : Ok ^^
Moi : Et tu me parle de catégories depuis tout à l'heure
Moi : Elles sont déterminées comment ?
Fred : il y a le any% : finir le jeu sans contrainte, le plus vite possible
Fred : 100%, qui peut être défini par le jeu (par exemple Assassin's Creed)
Fred : il y a parfois low%, qui consiste à finir en ramassant le moins d'objets ou de niveaux possible
Fred : et des catégories particulières aux jeux
Fred : par exemple, tous les boss dans Dark Souls
Fred : ou 64/120/242 étoiles dans les super mario galaxy
Fred : et dans tout ça on fait la distinction entre segmenté et en un coup
Fred : et si ça s'applique on fait la distinction avec des gros raccourcis ou pas
Fred : par exemple pour Dark SOuls sur console on peut activer un glitch qui fait sauter la moitié du jeu
Moi : ^^
Moi : Ok je vois
Moi : Vois*
Moi : Donc les catégories sont déterminées par le jeu?
Fred : parfois oui
Fred : mais en général ça découle assez naturellement
Moi : Et où est ce qu'on trouve ces règles?
Fred : ça dépend
Fred : il y a des règles généralistes sur Speed Démos Archive
Fred : mais aussi sur SPeedrunslive
Fred : parfois sur speedrun.com ou bien sur les sites très spécialisés
Fred : (exemple SpeedSouls)
Moi : Ok
Moi : Et tout les jeux peuvent êtres speedrunnés?
Fred : tous ceux qui ont une fin oui
Fred : par exemple Guitar Hero, non
Moi : Oui surtout que ça doit être un peu difficile d'améliorer les temps... ^^
Fred : justement
Moi : Et du coup c'est SDA qui vérifie que les runs sont conformes ?
Fred : ce sont des gens qui se proposent de le faire pour le compte de SDA
Fred : je l'ai fait aussi pour certains runs

BÉZAGUET Vincent 92
Moi : Ah d'accord
Moi : Et il faut une seule personne pour valider un jeu?
Fred : non la règle c'est 3 je crois
Moi : D'accord
Moi : Donc y'a pas de triche?
Fred : au moins 2 en tout cas
Fred : il y en a le moins possible
Fred : justement sur SDA ils vérifient par exemple la cohérence des sauvegardes (nombre de munitions, argent etc)
Moi : D'accord
Moi : Et on peut speedrunner n'importe quoi?
Moi : Enfin par exemple, un jeu sur téléphone portable?
Fred : on peut le faire si c'est fun évidemment
Fred : par contre pour enregistrer et/ou partager des vidéos, bof
Moi : Ah oui ok
Fred : SDA a pas mal de runs sur DS par exemple
Moi : D'accord
Moi : Et quand tu speedrun un jeu
Moi : Est-ce que tu es particulièrement concentré?
Fred : sur certaines parties il le faut oui
Fred : pour se souvenir de tout
Fred : ou éventuellement calculer
Fred : (je pense surtout à AC Brotherhood single-segment)
Fred : et aussi il faut être attentif parfois pour réagir à des événements aléatoires
Fred : par exemple dans les AC, une patrouille qui débarque : combattre, envoyer les recrues, essayer de se cacher, etc...?
Fred : il faut constamment analyser la situation et savoir ce qui fera perdre le moins de temps
Moi : Et si tu te rate, tu recommence?
Fred : dans une certaine limite oui
Fred : par exemple j'ai du mal à faire plus d'une centaine d'essais de suite
Moi : Oui ok
Fred : et sur des runs plus longs il faut avoir le temps
Moi : Et dans les moments de forte concentration, tu as de l'adrénaline en quelque sorte?
Fred : par exemple refaire un run de 3h30 quand il ne t'en reste que 2, bof
Moi : Ah oui en effet ^^
Fred : parfois quand j'arrive à la fin d'un segment que j'ai eu du mal à faire j'ai le cœur qui bat plus fort oui
Fred : mais rien d'extravagant
Moi : Ok :)
Moi : Et du coup pour toi, c'est quoi l'intérêt de speedrunner?
Fred : ben ça fait bien passer le temps, déjà
Fred : et puis quand on voit le résultat qui est très efficace c'est agréable
Moi : Ok!
Moi : Bon j'ai plus trop d'autres questions
Moi : Je sais pas si t'as pensé à d'autres choses?
Fred : non je pense avoir vidé mon sac là
Moi : Ouep c'était nickel :p
Fred : ravi d'avoir pu t'aider alors

BÉZAGUET Vincent 93
Moi : Bah un grand merci à toi oui :)
Fred : si tu veux bien m'envoyer une copie de ton mémoire je serais content
Moi : D'accord ça marche
Moi : Pour info c'est un mémoire de sociologie
Fred : je me disais que c'était un truc comme ça
Moi : ^^
Fred : hop, bonne soirée
Moi : Yep, a toi aussi et merci encore :)
Fred : de rien, ++
Moi : Bye 
---
Fin de l’entretien

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BÉZAGUET Vincent 94
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