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VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT (1932)

Voyage au bout de la nuit est un roman qui a daté l'histoire de la littérature. Dès sa publication, le scandale
et les polémiques soulevés par l'emploi de la langue orale et la dénonciation d'une société qui humilie
l'homme, sont immédiates. En 1932, l'introduction de la langue populaire en littérature reste rare et il est
encore moins fréquent que le narrateur parle cette langue, d'habitude réservée aux seuls dialogues.

Voyage au bout de la nuit se divise en deux grandes parties. La première relate les aventures de Bardamu, le
narrateur, à travers le monde et la seconde son retour à Paris et sa carrière de médecin. Céline utilise les
données de son expérience de soldat et de médecin pour doter sa prose d'un style particulier, qui fera de
Voyage un chef-d'œuvre.

En 1932, le roman de Céline avait toutes les chances d'obtenir le prix Goncourt mais celui- ci fut attribué à
Mazeline pour son roman « Les loups ».

WIKIPEDIA :
Voyage est le premier roman de Céline, publié en 1932. Grâce à ce livre, l'auteur obtient le prix Renaudot,
mais pas le prix Goncourt1. Il est traduit en 37 langues.
Le roman est célèbre pour son style, avec l’utilisation de la langue parlée et de l'argot, qui a influencé
la littérature française contemporaine. Il s'inspire principalement de l'expérience personnelle de Céline à
travers son personnage principal Ferdinand Bardamu : Céline a participé à la Première Guerre
mondiale en 1914 et celle-ci lui a révélé l'absurdité du monde. Il expose ainsi ce qui est pour lui la seule
façon raisonnable de résister à une telle folie : la lâcheté (codardia). Il est hostile à toute forme d'héroïsme.
Pour lui, la guerre met en évidence la pourriture (il marciume) du monde, qui est un thème récurrent du
roman.
Néanmoins, Voyage constitue plus qu'une simple critique de la guerre. C'est à l'égard de l'humanité entière
que le narrateur exprime son mépris : peuples colonisateurs ou colonisés, Blancs ou Noirs, Américains ou
Européens, pauvres ou riches ; Céline n'épargne personne. Rien ne semble avoir d'importance pour le
personnage principal.

Résumé :
Voyage est un récit à la première personne dans lequel le personnage principal, Bardamu, raconte son
expérience de la Première Guerre mondiale, du colonialisme en Afrique, des États-Unis et de la condition
sociale en général.
Bardamu a vu la Grande Guerre. C'est la fin de son innocence. Ce long récit est une dénonciation des
horreurs de la guerre, dont le pessimisme imprègne toute l'œuvre. Il part ensuite pour l' Afrique, où il y a
le colonialisme. Pour lui c'est l'Enfer, et il s'enfuit vers l'Amérique de Henry Ford, de l’argent et des bordels.
Bardamu n'aime pas les États-Unis, mais c'est peut-être le seul lieu où il ait rencontré un être (Molly) qu'il
aima jusqu'au bout de son voyage. Mais la vocation de Bardamu c'est de voir la misère humaine, quotidienne
et éternelle. Il retourne donc en France pour terminer ses études en médecine et devenir médecin des pauvres.
Il exerce dans la banlieue parisienne, où il rencontre la même souffrance qu'en Afrique ou dans les tranchées
de la Première Guerre mondiale.

Personnages principaux:
 Ferdinand Bardamu, le narrateur ;
 Léon Robinson ; son ami, presque sa conscience. Il apparait dans des moments décisifs.
 Alcide, son collègue en Afrique ;
 Lola, américaine rencontrée à Paris et retrouvée à Manhattan ;
 Musyne, violoniste rencontrée à Paris ;
 Molly, américaine rencontrée à Détroit ;
 Bébert, petit garçon rencontré dans la banlieue parisienne ;
 La tante de Bébert ;
 La famille Henrouille (la bru, son mari et sa belle-mère) ;
 Parapine, médecin ;

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 Baryton, psychiatre ;
 Madelon, amante de Robinson (et, à l'occasion, de Bardamu) ;
 Sophie, infirmière slovaque, amante de Bardamu ;
 L'abbé Protiste

ANALYSE:
Quelques adjectifs peuvent qualifier le roman :
 antinationaliste/antipatriotique : le patriotisme (ou le nationalisme) est, selon Céline, une des
nombreuses fausses valeurs.
 anticolonialiste : c'est surtout visible lors du voyage de Bardamu en Afrique. C'est le deuxième
aspect idéologique de cette œuvre. Il qualifie le colonialisme de « mal de la même sorte que la
Guerre » ;
 anticapitaliste : cela se voit dans la partie consacrée aux États-Unis, lors du voyage à New York,
à Détroit, principalement au siège des usines automobiles Ford. Il condamne le taylorisme, système
qui réduit les individus à la misère et nie leur humanité. Le regard qu'il porte sur le capitalisme est lié
à celui qu'il porte au colonialisme.
 anarchiste : l'absurdité d'un système hiérarchique est mise en évidence. À la guerre, aux colonies, à
l'asile psychiatrique... L'obéissance est décrite comme une forme de refus de vivre, d'assumer les
risques de la vie.

Le roman se distingue par son refus total de l'idéalisme : l'idéal et les sentiments sont un mensonge. La
question de Bardamu et celle de Céline est de découvrir ce qu'il appelle la vérité. Une vérité biologique,
physiologique, qui affirme que tous les hommes sont mortels et que l'avenir les conduit vers la
décomposition. C'est pourquoi l'œuvre peut apparaître comme totalement désespérée.

Style
Le livre suscita de nombreuses polémiques à l'époque de sa parution. Même si cela n'est pas encore affirmé,
l'auteur utilise à l'écrit le langage dit « oralisant » et l'argot. Céline refuse d'utiliser le langage classique, la
langue académique des dictionnaires, qu'il considère comme une langue morte.
Le narrateur est plongé dans le monde qu'il décrit. Les personnages appartiennent presque tous aux
populations des faubourgs (periferia) et parlent argot.

Thèmes abordés
Le roman aborde plusieurs thèmes :
 l'errance (vagabondaggio): au cœur de ce roman. Il s'agit d'une errance à la fois physique et
psychique. Un homme est entraîné dans des aventures qui le font mûrir (maturare). La passivité du
personnage est évidente : il subit les événements sans y contribuer. Dès l'ouverture, le ton est donné :
« Moi, j'avais jamais rien dit. Rien. C'est Arthur Ganate qui m'a fait parler ». Engagé volontaire, le
héros va faire l'expérience de la guerre, de l'horreur et surtout du grotesque de l'existence. Le nom
même du personnage exprime cette idée : Bardamu, littéralement mû par son barda, c'est-à-dire en
errance perpétuelle et involontaire ;
 la ville : omniprésente dans le roman. Que ce soit Paris, New-York, Detroit, la ville est l'élément
central.
 la pourriture (marciume) : l'individu y est voué (destinato), qu'il s'agisse d'un pourrissement naturel
(la mort naturelle ou du fait d'une maladie) ou provoqué (la guerre, le meurtre). La seconde partie de
l'ouvrage, presque entièrement dédiée à l'expérience médicale du narrateur, fait ressortir les aspects
de décomposition et de pourrissement de l'individu qui doit affronter les maladies;
 la lâcheté (vigliaccheria) : l'individu est lâche par essence. S'il ne l'est pas, il ne peut échapper aux
multiples menaces guerrières, ouvrières et sociétales. Céline développe une vision nihiliste de la
société humaine. La lâcheté permet à Bardamu de fuir ses responsabilités, de quitter son emploi chez
Ford, de réclamer de l'argent à ses connaissances aux États-Unis, d'ignorer la tentative de meurtre de
la grand-mère. Cependant il n'est pas lâche au point de mettre un terme à sa vie.

Influence de l'expérience médicale de Céline dans le roman

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Cette expérience commence en 1918, lors d'une mission de propagande pour la protection contre la
tuberculose, maladie qu'il rencontrera lors de sa carrière de médecin à Clichy.
En 1919, il reprend ses études de médecine pour être officier de santé. Il effectuera son premier stage en
gynécologie et obstétrique, qui occupera une place importante dans le roman.
Il fréquente en 1923 l'Institut Pasteur (« Institut Bioduret » dans le roman) que Céline qualifie de « petites
cuisines à microbes ».
Il rencontre le directeur de la section Hygiène de la Société des Nations, pour laquelle il effectuera des
missions en Afrique en 1926, et à Détroit.
Céline s'installe à Clichy en 1927.

Influence de Freud
Le texte qui a exercé une grande influence sur la pensée de Céline est un article de Freud: « Au-delà du
principe de plaisir », qui porte sur les conséquences psychologiques et psychiatriques de la guerre. Voyage
commence par deux séquences relatives à la Première Guerre mondiale, au front puis à l'arrière. Dans cette
étude, Freud s'est penché sur ce qu'il appellera « les névroses de guerre » : il analyse les rêves qui expliquent
ces névroses. Ainsi, Freud a mis en évidence une idée centrale du roman : « La fin vers où tend toute vie est
la Mort ». En réalité, ce qu'identifie Freud dans cet article sont « les instincts » ou « pulsions de mort ». Pour
lui comme pour Céline, c'est la guerre qui a permis de découvrir cette notion.

LE VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT, UN ROMAN INITIATIQUE DE LOUIS-FERDINAND


CELINE
Le Voyage au bout de la Nuit est le premier et le plus célèbre roman de Louis-Ferdinand Céline. Au-delà de
la révolution stylistique apportée par Céline, il s’agit d’un roman initiatique dans lequel Bardamu, le héros,
va apprendre la misère et le vide de l’existence.

Résumé du Voyage au bout de la Nuit de Céline


Bardamu s’engage dans l’armée par hasard et découvre l’horreur de la première guerre mondiale, mais se lie
d’amitié avec Robinson, son frère d’arme. Blessé, puis réformé, il fréquente quelques femmes de basse
condition (Lola, Musyne) puis quitte la France pour l’Afrique. Là, il constate la brutalité de la vie coloniale.
Bardamu contracte une maladie tropicale et est transporté en bateau jusqu’aux États-Unis. Il visite New-
York, puis Detroit où il est engagé comme ouvrier chez Ford. La découverte de la vie ouvrière ne l’empêche
pas de se lier à Molly, une prostituée. Mais il rentre en France pour y devenir médecin à Drancy, une ville
pauvre. Là, il découvre le quotidien misérable, la mort et la cupidité. Il s’engage dans une troupe de music-
hall tandis que Robinson, qui a rencontré une femme (Madelon), devient aveugle. Il revient à Paris pour
travailler dans un hôpital psychiatrique. Le docteur Baryton, qui dirige l’établissement, devient fou. Bardamu
dirigera l’hôpital. Robinson sera tué par sa maîtresse, laissant Bardamu seul, amer et définitivement
désillusionné.

Analyse du Voyage au bout de la Nuit de Céline


Le Voyage décrit l’errance des hommes, condamnés à l’absurdité de l’existence et victimes de la folie.
Profondément misanthrope et nihiliste, la thèse du roman peut être résumé comme ceci : l’homme n’a pas de
lieu de confort, la vie, sous la forme de la métaphore du voyage qui ne finit jamais, est inutile.
Céline détruit toutes les illusions humaines : la nation, le progrès technique, l’ordre, l’amour.

Céline et la Guerre
La nation et le nationalisme provoquent la guerre, dans laquelle les hommes s’entretuent. Le Voyage est un
plaidoyer (appello) pour le pacifisme. Bardamu oppose la lâcheté à l’esprit d’héroïsme. A travers la lâcheté,
c’est l’instinct de survie qui s’exprime.

Céline et la Subjectivité
Céline présente une conception fondée sur la subjectivité. Les hommes sont spectateurs de leur propre vie :
Bardamu s’engage dans la guerre sans le savoir, quitte l’Afrique dans un état de folie, dirige un hôpital
psychiatrique sans le vouloir… les hommes sont ballotés par la vie, sans pouvoir en prendre le contrôle.

Céline et le Colonialisme

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L’épisode africain témoigne l’anticolonialisme de Céline. Il décrit une domination sauvage des colons sur les
locaux.

Céline et le Capitalisme
La critique du capitalisme intervient lors de l’épisode américain. Bardamu travaille dans une des usines Ford.
Là, il découvre la condition abrutissante du travail à la chaîne. Céline s’insurge contre la déshumanisation de
la vie ouvrière.

Le Voyage au bout de la Nuit est donc le récit de la misère humaine, sociale, psychologique et


métaphysique, que Bardamu rencontre partout où il va, depuis les tranchées de la Grande Guerre à un hôpital
psychiatrique parisien en passant par le vide de l’existence new-yorkaise. De ce voyage, Bardamu ne
rapportera pas grand-chose, sauf le constat de la pourriture de l’existence.

LE MAL, LE DESTIN ET L’ÉTHIQUE. LEVINAS ET LE VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT DE


CÉLINE

Levinas a appris qu’à chaque instant et dans son existence entière, l’homme voit ce qui l’entoure d’une
manière interprétative. La vision serait la manière d’exister de l’homme entier. Si Levinas dit que l’homme
est caractérisé par la vision, il dit que l’homme est le lieu où le monde se fait interpréter. C’est parce que
l’homme appartient à l’évènement de l’être qu’il est lui-même, et c’est sa manière d’être qui fait que sa
vision est une interprétation.

La philosophie de Levinas nous présente deux genres de sens : un ontologique, l’autre éthique ; le premier
qui représente le problème auquel l’homme ontologique est attaché, l’autre la solution ou l’évasion.

D’où vient la conviction que l’être est le mal ? Entre en scène Céline
On sait que Levinas admirait Céline et plus précisément Voyage. Quelques rares références nous permettent
d’entrevoir une approbation de la perspective du monde présentée dans Voyage et un accord sur «
l’antihumanisme ».
La première de ces deux références est: si Levinas en 1935 a déjà commenté Voyage, cela veut dire qu’il
avait lu ce livre très peu de temps après sa parution, et que ce roman aurait pu influencer le philosophe dans
ses premiers essais dans lesquels il commence à prendre une distance par rapport à Heidegger en reformulant
la condition ontologique de l’homme.

Corps, vérité et destin dans Voyage au bout de la nuit


Voici un passage qui me semble capital dans l’interprétation du roman :
« en pensant à présent, à tous les fous que j’ai connus chez le père Baryton, je ne peux m’empê cher de
mettre en doute qu’il existe d’autres véritables réalisations de nos profonds tempéraments que la guerre et
la maladie, ces deux infinis du cauchemar. La grande fatigue de l’existence n’est peut-être que cet énorme
mal qu’on se donne pour ne pas être simplement soi-même».
Dans ce passage, un nombre d’éléments me semblent commentaires pour le roman entier :
l’homme, nous, a un tempérament profond ;
1. ce tempérament est fixe — on peut dire une nature profonde ;
2. on ne voit pas toujours ces profondeurs ;
3. la nature profonde de l’homme se montre dans des conditions bien particulières : la guerre et la
maladie ;
4. la maladie, aussi bien que la guerre, a cette possibilité révélatrice grâce au fait qu’elle expose ce qui
est caché dans le corps.

le deuxième paragraphe distingue deux modes d’existence humaine :


1. le premier est la vie d’un « sous-homme claudicant » (donc malade) qu’on reçoit à sa naissance, le
deuxième est la vie d’un « surhomme » qui s’efforce d’être raisonnable ;
2. au fond, le sous-homme que nous sommes est « immonde, atroce, absurde », le surhomme se donne
du mal pour cacher cet aspect de son existence

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Le premier paragraphe décrit les profondeurs de l’existence humaine, qui se révèleraient dans des « infinis
du cauchemar » ; le deuxième paragraphe montre qu’il existe une continuité entre ces cauchemars et
l’existence — cette continuité est un cauchemar.

a) Corps, guerre, destin


dans l’optique présentée ci-dessus, le premier point de référence dans la « philosophie » du Voyage serait le
corps. Le corps y est présenté comme la vérité. On est attaché à son corps, à soi-mê me. Levinas reconnaît
que la vérité du corps n’est pas toujours visible et pour y trouver accès il cherche un évènement dans lequel
le corps se montre tel qu’il est.
La guerre nous permet de décrire la nature humaine dans son détail. En décrivant la guerre avec des détails
explicites dans la première partie du livre, le narrateur nous montre comment la guerre imprègne toute la vie.
Le caractère homicide de l’homme fait partie de notre existence sociale quotidienne.

b) Du corps au sujet corporel : le « dualisme » de Céline


Par nature, l’homme cache l’absurdité de son existence corporelle ou animale. Pour Céline, l’homme est un
animal, mais l’auteur affirme que l’homme, la bête verticale, est une bête qui tente de cacher son animalité
pure.
De l’espèce humaine, il existe deux sous-espèces : les riches et les pauvres qui se développent selon les
pressions et exigences de leur environnement.
L’homme n’est donc pas animal ou corps : l’homme a une âme ou un esprit. Il y a un dualisme célinien, qui
n’est pas le dualisme corps / âme de la tradition platonicienne, mais un dualisme du corps seul et du corps
qui se montre de telle ou telle manière.
L’âme pour Bardamu c’est l’envie de sortir du corps dès qu’il est malade ou que les choses tournent mal.
Le plaisir, d’une part, n’est rien de plus qu’une expression de la corporéité dont l’homme ne peut pas se
débarrasser, mais, d’autre part, le plaisir permet une fausse, mais apparente, sortie de la « destinée ».
Ce n’est pas seulement la nudité d’existence et les tentatives d’une fuite de cette condition qui ont attiré
l’attention de Levinas, mais également les différentes manifestations de cette fuite.
Le narrateur dans Voyage se veut rationnel, prétend pouvoir comprendre certains aspects de l’existence
humaine et croit être initié à une vérité plus profonde. Il faut reconnaître la provenance de la raison dans la
nature humaine et l’insuffisance tragique dans le domaine le plus important : la mort.
Bardamu est encore plus explicite sur l’autre aspect humain : la langue. La langue appartient à la misère de la
condition corporelle de l’homme. Les mots qui blessent sont hérités comme des traits physiques. La langue
n’est pas une solution ou une sortie de la condition humaine, mais en fait partie :
« avec les mots on ne se méfie jamais suffisamment, ils ont l’air de rien les mots, pas l’air de dangers bien
sûr, plutôt de petits vents, de petits sons de bouche, ni chauds, ni froids, et facilement repris dès qu’ils
arrivent par l’oreille par l’énorme ennui gris mou du cerveau. on ne se méfie pas d’eux des mots et le
malheur arrive ».
La description continue en assimilant les mots à des créateurs d’ « une avalanche » et « une tempête » trop
fortes pour l’homme.
S’il y a quelque chose de génial dans l’anti- humanisme, c’est de comprendre la condition de l’homme pour
qu’il soit réduit à son existence ontologique.

Éthique levinassienne — éthique célinienne


Pour résumer : dans ce roman, Levinas trouve un collaborateur et une aide pour interpréter et formuler ce
qu’il considère comme problématique.
Le thème de l’éthique dans Voyage est d’une grande complexité, mais je me permets quelques remarques
pour indiquer une direction dans laquelle on pourrait chercher une réponse. La plupart du temps l’auteur
décrit l’éthique comme une manière de continuer la guerre par d’autres moyens et donne plus de soutien à
une lecture antihumaniste. Il y a souvent dans la voix du narrateur une inquiétude ou une condamnation des
luttes variées entre les gens.
S’il y a une éthique dans le roman, les termes qui la constituent sont présentés sous un angle particulier par le
romancier. Peut-être le narrateur veut-il nous inviter à reconnaître notre insuffisance devant les autres.

VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT DE LOUIS FERDINAND CELINE: « IL N’Y AVAIT QUE DE


L’ANGOISSE ETINCELANTE »

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Voyage c’est un voyage au cœur de l’homme, de l’humanité, dans toute son absurdité et son horreur, quand
elle se met en guerre ou quand la haine de l’autre prend le dessus.
Ce premier roman paru en 1932 a marqué l'histoire de la littérature. Et suscité scandale et polémiques par
l'emploi d’une langue orale (qu’il a été l’un des premiers à introduire dans les « belles lettres ») et la
dénonciation d'une société humiliant l'homme. Céline se révèle un formidable portraitiste des caractères, des
relations humaines, des hiérarchies militaires, des valeurs faussées, de la lâcheté, ecc. Dans ce chef d’œuvre,
il autopsie les mécanismes qui conduisent les hommes à être les uns contre les autres, à s’attaquer et se
détruire au nom de causes dites « héroïques », au nom d’une morale ou par égoïsme. Une œuvre qui a
influencé tout le genre romanesque des anti-héros à tendance nihiliste qui a suivi et trouve un écho dans la
jeune littérature actuelle française ou anglo-saxonne.
Aujourd’hui on pourrait qualifier ce livre « d’autofiction » puisque « Ferdinand Bardamu » vit ce que
l’auteur a lui-même traversé dans le passé. Céline utilise en effet sans retenue les données de son expérience
de soldat et de médecin.

Ce qui étonne le plus c’est son humour noir et cynique. Il déploie aussi une grande autodérision et ironie  sur
l'absurdité de l'homme.

Céline, l'anticolonialiste
Poursuivant le voyage, Céline plonge son lecteur au cœur de la mécanique colonialiste. Nous voici projetés
en Afrique dans la colonie de Bambola-Bragamance. Il livre une satire du gouverneur despotique et
tyrannique envers ses militaires et fonctionnaires.
Il dénonce l'exploitation de ces travailleurs, petits blancs ou nègres, la chaleur qui aveugle, abrutit, ecc.
Toutefois le sourire se fait de plus en plus rare face à l'intolérable et au révoltant des scènes rapportées.
L'absence de rencontre féminine commence à se faire sentir dans cet univers brutal et masculin.

Le cauchemar climatisé vu par Céline


Après une maladie, il finit donc par quitter ces rivages pour gagner ceux de New-York, où il devient «
compteur de puces ». Une ville qui le fait rêver et lui rappelle sa Lola, conquête amoureuse du passé,
rencontrée lors de son séjour à l’hôpital. Il découvre Broadway, Manhattan, les belles américaines riches et le
cinéma. Mais il y souffre de pauvreté, de solitude, d’ennui et de l’indifférence générale. Il part pour Detroit
et finit par être embauché chez Ford en pleine ère industrielle. C'est la rencontre avec Molly, la prostituée au
grand cœur qui le délivre de l'enfer de l'usine Ford et fait enfin entrer un peu de féminité et de chaleur :
Molly aime Bardamu, l'entretient et lui propose de partager son bonheur. Mais son désir d'explorer
l'existence le pousse à renoncer à cette femme généreuse. Il quitte les États-Unis et revient à Paris, le cœur
gonflé par toutes ces expériences. 
Bardamu apparaît encore plus vulnérable dans sa quête de chaleur humaine et affective. Des rencontres
féminines ont ici enfin lieu. D’abord les retrouvailles avec Lola qu’il avait connu à Paris, mais qui
s’avèreront très décevantes. Son expérience traumatisante ouvrière est déchirante. Il démontre encore ici tout
son talent à nous faire vivre de l’intérieur l’horreur des machines et des hommes, la condition infernale de
ses esclaves modernes. La guerre et le colonialisme ne sont pas si éloignés du capitalisme sauvage.

Retour à Paris, l'expérience de médecin de banlieue


Il revient à Paris et achève ses études de médecine. Il raconte alors ses débuts de jeune médecin dans une
banlieue parisienne (Rancy) grise et triste « où toutes les envies vous passent ». Il dit la pauvreté, la misère
de ses patients dont il n’ose se faire payer : « Ils avaient l’air si misérables, si puants la plupart de mes
clients, si torves aussi que je me demandais bien où ils allaient les trouver les vingt francs qu’il fallait me
donner, et s’ils allaient pas me tuer en revanche ».
Débute alors pour lui une nouvelle période incertaine où il abandonne provisoirement la médecine. Il vit dans
un hôtel avec d’autres pauvres, fréquente assidûment les prostituées, hanté par les fantômes de son passé.
C'est finalement dans un asile qu'il prendra de nouvelles fonctions à Vigny sur Seine. L'asile, comme
destination ultime de ce voyage. 
On pourra regretter que la dernière "étape" de ce voyage en forme de dérive et de fuite, ne fasse que répéter
la thèse pessimiste et désespérée de l’auteur sur l’humanité, sans trouver vraiment de nouvel élan ou d’autre
direction de développement.

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Bardamu, héros engagé ou nihiliste ?
Céline disait qu'il n'était pas un "homme à idées" ni "à message". C'est dans cette direction qu'il faut
appréhender le personnage de Bardamu. Il n'est pas là pour dénoncer mais pour raconter ce qu'il voit, ce qu'il
vit, cette exploration, ce drôle de voyage qu'il effectue. Bardamu ne se sent pas investi d'aucune mission et
encore moins d'un engagement. Raconter des anecdotes, des souvenirs : voici l'essentiel de son propos qui
pourrait ainsi apparaître nihiliste. Incapable d'attachement et presque d'émotion.

GODARD :
Henri Godard, professeur émérite de littérature, éditeur des romans et de la correspondance de Céline dans la
collection de la Pléiade, connaît celles de l'écrivain par cœur. Mais, dans le cas de Céline il faut articuler
l'homme et l'œuvre. Car Céline est justement un cas à part d'articulation biographique : comment concilier
l'écrivain, auteur de Voyage et le raciste qui déversa une haine antisémite monstrueuse dans ses pamphlets et
sa correspondance ? Henri Godard suit l'homme dans ses voyages et ses péripéties, analyse les œuvres: «
Comment en était-il venu à se faire une vision si noire des hommes, de la société, de la vie ? Et, qui plus est,
à vouloir donner de cette vision une expression si brutale et si provocante ? »
L'entrée de Céline dans le XXe siècle monstrueux, elle commence avec la guerre de 14-18: blessé, réformé,
dévasté, il fera le récit de sa première vie d'homme dans Voyage. Le médecin Destouches devient alors
Céline.
Parti de France en 1944, revenu en 1951 après son intermède danois et l'amnistie accordée par la justice
française, Céline a encore dix ans à vivre. L'existence de l'écrivain vacille entre haine et outrance, espoir de
réapparaître comme un grand auteur et doute. Cette magnifique biographie rend justice à tout ce que l'on doit
savoir de Céline : un homme sur le fil du génie et de l'ordure, fantôme errant qui ne cesse de hanter l'histoire
politique et littéraire.

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