Voyage au bout de la nuit est un roman qui a daté l'histoire de la littérature. Dès sa publication, le scandale
et les polémiques soulevés par l'emploi de la langue orale et la dénonciation d'une société qui humilie
l'homme, sont immédiates. En 1932, l'introduction de la langue populaire en littérature reste rare et il est
encore moins fréquent que le narrateur parle cette langue, d'habitude réservée aux seuls dialogues.
Voyage au bout de la nuit se divise en deux grandes parties. La première relate les aventures de Bardamu, le
narrateur, à travers le monde et la seconde son retour à Paris et sa carrière de médecin. Céline utilise les
données de son expérience de soldat et de médecin pour doter sa prose d'un style particulier, qui fera de
Voyage un chef-d'œuvre.
En 1932, le roman de Céline avait toutes les chances d'obtenir le prix Goncourt mais celui- ci fut attribué à
Mazeline pour son roman « Les loups ».
WIKIPEDIA :
Voyage est le premier roman de Céline, publié en 1932. Grâce à ce livre, l'auteur obtient le prix Renaudot,
mais pas le prix Goncourt1. Il est traduit en 37 langues.
Le roman est célèbre pour son style, avec l’utilisation de la langue parlée et de l'argot, qui a influencé
la littérature française contemporaine. Il s'inspire principalement de l'expérience personnelle de Céline à
travers son personnage principal Ferdinand Bardamu : Céline a participé à la Première Guerre
mondiale en 1914 et celle-ci lui a révélé l'absurdité du monde. Il expose ainsi ce qui est pour lui la seule
façon raisonnable de résister à une telle folie : la lâcheté (codardia). Il est hostile à toute forme d'héroïsme.
Pour lui, la guerre met en évidence la pourriture (il marciume) du monde, qui est un thème récurrent du
roman.
Néanmoins, Voyage constitue plus qu'une simple critique de la guerre. C'est à l'égard de l'humanité entière
que le narrateur exprime son mépris : peuples colonisateurs ou colonisés, Blancs ou Noirs, Américains ou
Européens, pauvres ou riches ; Céline n'épargne personne. Rien ne semble avoir d'importance pour le
personnage principal.
Résumé :
Voyage est un récit à la première personne dans lequel le personnage principal, Bardamu, raconte son
expérience de la Première Guerre mondiale, du colonialisme en Afrique, des États-Unis et de la condition
sociale en général.
Bardamu a vu la Grande Guerre. C'est la fin de son innocence. Ce long récit est une dénonciation des
horreurs de la guerre, dont le pessimisme imprègne toute l'œuvre. Il part ensuite pour l' Afrique, où il y a
le colonialisme. Pour lui c'est l'Enfer, et il s'enfuit vers l'Amérique de Henry Ford, de l’argent et des bordels.
Bardamu n'aime pas les États-Unis, mais c'est peut-être le seul lieu où il ait rencontré un être (Molly) qu'il
aima jusqu'au bout de son voyage. Mais la vocation de Bardamu c'est de voir la misère humaine, quotidienne
et éternelle. Il retourne donc en France pour terminer ses études en médecine et devenir médecin des pauvres.
Il exerce dans la banlieue parisienne, où il rencontre la même souffrance qu'en Afrique ou dans les tranchées
de la Première Guerre mondiale.
Personnages principaux:
Ferdinand Bardamu, le narrateur ;
Léon Robinson ; son ami, presque sa conscience. Il apparait dans des moments décisifs.
Alcide, son collègue en Afrique ;
Lola, américaine rencontrée à Paris et retrouvée à Manhattan ;
Musyne, violoniste rencontrée à Paris ;
Molly, américaine rencontrée à Détroit ;
Bébert, petit garçon rencontré dans la banlieue parisienne ;
La tante de Bébert ;
La famille Henrouille (la bru, son mari et sa belle-mère) ;
Parapine, médecin ;
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Baryton, psychiatre ;
Madelon, amante de Robinson (et, à l'occasion, de Bardamu) ;
Sophie, infirmière slovaque, amante de Bardamu ;
L'abbé Protiste
ANALYSE:
Quelques adjectifs peuvent qualifier le roman :
antinationaliste/antipatriotique : le patriotisme (ou le nationalisme) est, selon Céline, une des
nombreuses fausses valeurs.
anticolonialiste : c'est surtout visible lors du voyage de Bardamu en Afrique. C'est le deuxième
aspect idéologique de cette œuvre. Il qualifie le colonialisme de « mal de la même sorte que la
Guerre » ;
anticapitaliste : cela se voit dans la partie consacrée aux États-Unis, lors du voyage à New York,
à Détroit, principalement au siège des usines automobiles Ford. Il condamne le taylorisme, système
qui réduit les individus à la misère et nie leur humanité. Le regard qu'il porte sur le capitalisme est lié
à celui qu'il porte au colonialisme.
anarchiste : l'absurdité d'un système hiérarchique est mise en évidence. À la guerre, aux colonies, à
l'asile psychiatrique... L'obéissance est décrite comme une forme de refus de vivre, d'assumer les
risques de la vie.
Le roman se distingue par son refus total de l'idéalisme : l'idéal et les sentiments sont un mensonge. La
question de Bardamu et celle de Céline est de découvrir ce qu'il appelle la vérité. Une vérité biologique,
physiologique, qui affirme que tous les hommes sont mortels et que l'avenir les conduit vers la
décomposition. C'est pourquoi l'œuvre peut apparaître comme totalement désespérée.
Style
Le livre suscita de nombreuses polémiques à l'époque de sa parution. Même si cela n'est pas encore affirmé,
l'auteur utilise à l'écrit le langage dit « oralisant » et l'argot. Céline refuse d'utiliser le langage classique, la
langue académique des dictionnaires, qu'il considère comme une langue morte.
Le narrateur est plongé dans le monde qu'il décrit. Les personnages appartiennent presque tous aux
populations des faubourgs (periferia) et parlent argot.
Thèmes abordés
Le roman aborde plusieurs thèmes :
l'errance (vagabondaggio): au cœur de ce roman. Il s'agit d'une errance à la fois physique et
psychique. Un homme est entraîné dans des aventures qui le font mûrir (maturare). La passivité du
personnage est évidente : il subit les événements sans y contribuer. Dès l'ouverture, le ton est donné :
« Moi, j'avais jamais rien dit. Rien. C'est Arthur Ganate qui m'a fait parler ». Engagé volontaire, le
héros va faire l'expérience de la guerre, de l'horreur et surtout du grotesque de l'existence. Le nom
même du personnage exprime cette idée : Bardamu, littéralement mû par son barda, c'est-à-dire en
errance perpétuelle et involontaire ;
la ville : omniprésente dans le roman. Que ce soit Paris, New-York, Detroit, la ville est l'élément
central.
la pourriture (marciume) : l'individu y est voué (destinato), qu'il s'agisse d'un pourrissement naturel
(la mort naturelle ou du fait d'une maladie) ou provoqué (la guerre, le meurtre). La seconde partie de
l'ouvrage, presque entièrement dédiée à l'expérience médicale du narrateur, fait ressortir les aspects
de décomposition et de pourrissement de l'individu qui doit affronter les maladies;
la lâcheté (vigliaccheria) : l'individu est lâche par essence. S'il ne l'est pas, il ne peut échapper aux
multiples menaces guerrières, ouvrières et sociétales. Céline développe une vision nihiliste de la
société humaine. La lâcheté permet à Bardamu de fuir ses responsabilités, de quitter son emploi chez
Ford, de réclamer de l'argent à ses connaissances aux États-Unis, d'ignorer la tentative de meurtre de
la grand-mère. Cependant il n'est pas lâche au point de mettre un terme à sa vie.
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Cette expérience commence en 1918, lors d'une mission de propagande pour la protection contre la
tuberculose, maladie qu'il rencontrera lors de sa carrière de médecin à Clichy.
En 1919, il reprend ses études de médecine pour être officier de santé. Il effectuera son premier stage en
gynécologie et obstétrique, qui occupera une place importante dans le roman.
Il fréquente en 1923 l'Institut Pasteur (« Institut Bioduret » dans le roman) que Céline qualifie de « petites
cuisines à microbes ».
Il rencontre le directeur de la section Hygiène de la Société des Nations, pour laquelle il effectuera des
missions en Afrique en 1926, et à Détroit.
Céline s'installe à Clichy en 1927.
Influence de Freud
Le texte qui a exercé une grande influence sur la pensée de Céline est un article de Freud: « Au-delà du
principe de plaisir », qui porte sur les conséquences psychologiques et psychiatriques de la guerre. Voyage
commence par deux séquences relatives à la Première Guerre mondiale, au front puis à l'arrière. Dans cette
étude, Freud s'est penché sur ce qu'il appellera « les névroses de guerre » : il analyse les rêves qui expliquent
ces névroses. Ainsi, Freud a mis en évidence une idée centrale du roman : « La fin vers où tend toute vie est
la Mort ». En réalité, ce qu'identifie Freud dans cet article sont « les instincts » ou « pulsions de mort ». Pour
lui comme pour Céline, c'est la guerre qui a permis de découvrir cette notion.
Céline et la Guerre
La nation et le nationalisme provoquent la guerre, dans laquelle les hommes s’entretuent. Le Voyage est un
plaidoyer (appello) pour le pacifisme. Bardamu oppose la lâcheté à l’esprit d’héroïsme. A travers la lâcheté,
c’est l’instinct de survie qui s’exprime.
Céline et la Subjectivité
Céline présente une conception fondée sur la subjectivité. Les hommes sont spectateurs de leur propre vie :
Bardamu s’engage dans la guerre sans le savoir, quitte l’Afrique dans un état de folie, dirige un hôpital
psychiatrique sans le vouloir… les hommes sont ballotés par la vie, sans pouvoir en prendre le contrôle.
Céline et le Colonialisme
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L’épisode africain témoigne l’anticolonialisme de Céline. Il décrit une domination sauvage des colons sur les
locaux.
Céline et le Capitalisme
La critique du capitalisme intervient lors de l’épisode américain. Bardamu travaille dans une des usines Ford.
Là, il découvre la condition abrutissante du travail à la chaîne. Céline s’insurge contre la déshumanisation de
la vie ouvrière.
Levinas a appris qu’à chaque instant et dans son existence entière, l’homme voit ce qui l’entoure d’une
manière interprétative. La vision serait la manière d’exister de l’homme entier. Si Levinas dit que l’homme
est caractérisé par la vision, il dit que l’homme est le lieu où le monde se fait interpréter. C’est parce que
l’homme appartient à l’évènement de l’être qu’il est lui-même, et c’est sa manière d’être qui fait que sa
vision est une interprétation.
La philosophie de Levinas nous présente deux genres de sens : un ontologique, l’autre éthique ; le premier
qui représente le problème auquel l’homme ontologique est attaché, l’autre la solution ou l’évasion.
D’où vient la conviction que l’être est le mal ? Entre en scène Céline
On sait que Levinas admirait Céline et plus précisément Voyage. Quelques rares références nous permettent
d’entrevoir une approbation de la perspective du monde présentée dans Voyage et un accord sur «
l’antihumanisme ».
La première de ces deux références est: si Levinas en 1935 a déjà commenté Voyage, cela veut dire qu’il
avait lu ce livre très peu de temps après sa parution, et que ce roman aurait pu influencer le philosophe dans
ses premiers essais dans lesquels il commence à prendre une distance par rapport à Heidegger en reformulant
la condition ontologique de l’homme.
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Le premier paragraphe décrit les profondeurs de l’existence humaine, qui se révèleraient dans des « infinis
du cauchemar » ; le deuxième paragraphe montre qu’il existe une continuité entre ces cauchemars et
l’existence — cette continuité est un cauchemar.
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Voyage c’est un voyage au cœur de l’homme, de l’humanité, dans toute son absurdité et son horreur, quand
elle se met en guerre ou quand la haine de l’autre prend le dessus.
Ce premier roman paru en 1932 a marqué l'histoire de la littérature. Et suscité scandale et polémiques par
l'emploi d’une langue orale (qu’il a été l’un des premiers à introduire dans les « belles lettres ») et la
dénonciation d'une société humiliant l'homme. Céline se révèle un formidable portraitiste des caractères, des
relations humaines, des hiérarchies militaires, des valeurs faussées, de la lâcheté, ecc. Dans ce chef d’œuvre,
il autopsie les mécanismes qui conduisent les hommes à être les uns contre les autres, à s’attaquer et se
détruire au nom de causes dites « héroïques », au nom d’une morale ou par égoïsme. Une œuvre qui a
influencé tout le genre romanesque des anti-héros à tendance nihiliste qui a suivi et trouve un écho dans la
jeune littérature actuelle française ou anglo-saxonne.
Aujourd’hui on pourrait qualifier ce livre « d’autofiction » puisque « Ferdinand Bardamu » vit ce que
l’auteur a lui-même traversé dans le passé. Céline utilise en effet sans retenue les données de son expérience
de soldat et de médecin.
Ce qui étonne le plus c’est son humour noir et cynique. Il déploie aussi une grande autodérision et ironie sur
l'absurdité de l'homme.
Céline, l'anticolonialiste
Poursuivant le voyage, Céline plonge son lecteur au cœur de la mécanique colonialiste. Nous voici projetés
en Afrique dans la colonie de Bambola-Bragamance. Il livre une satire du gouverneur despotique et
tyrannique envers ses militaires et fonctionnaires.
Il dénonce l'exploitation de ces travailleurs, petits blancs ou nègres, la chaleur qui aveugle, abrutit, ecc.
Toutefois le sourire se fait de plus en plus rare face à l'intolérable et au révoltant des scènes rapportées.
L'absence de rencontre féminine commence à se faire sentir dans cet univers brutal et masculin.
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Bardamu, héros engagé ou nihiliste ?
Céline disait qu'il n'était pas un "homme à idées" ni "à message". C'est dans cette direction qu'il faut
appréhender le personnage de Bardamu. Il n'est pas là pour dénoncer mais pour raconter ce qu'il voit, ce qu'il
vit, cette exploration, ce drôle de voyage qu'il effectue. Bardamu ne se sent pas investi d'aucune mission et
encore moins d'un engagement. Raconter des anecdotes, des souvenirs : voici l'essentiel de son propos qui
pourrait ainsi apparaître nihiliste. Incapable d'attachement et presque d'émotion.
GODARD :
Henri Godard, professeur émérite de littérature, éditeur des romans et de la correspondance de Céline dans la
collection de la Pléiade, connaît celles de l'écrivain par cœur. Mais, dans le cas de Céline il faut articuler
l'homme et l'œuvre. Car Céline est justement un cas à part d'articulation biographique : comment concilier
l'écrivain, auteur de Voyage et le raciste qui déversa une haine antisémite monstrueuse dans ses pamphlets et
sa correspondance ? Henri Godard suit l'homme dans ses voyages et ses péripéties, analyse les œuvres: «
Comment en était-il venu à se faire une vision si noire des hommes, de la société, de la vie ? Et, qui plus est,
à vouloir donner de cette vision une expression si brutale et si provocante ? »
L'entrée de Céline dans le XXe siècle monstrueux, elle commence avec la guerre de 14-18: blessé, réformé,
dévasté, il fera le récit de sa première vie d'homme dans Voyage. Le médecin Destouches devient alors
Céline.
Parti de France en 1944, revenu en 1951 après son intermède danois et l'amnistie accordée par la justice
française, Céline a encore dix ans à vivre. L'existence de l'écrivain vacille entre haine et outrance, espoir de
réapparaître comme un grand auteur et doute. Cette magnifique biographie rend justice à tout ce que l'on doit
savoir de Céline : un homme sur le fil du génie et de l'ordure, fantôme errant qui ne cesse de hanter l'histoire
politique et littéraire.