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Dans un contexte en perpétuelle évolution où la créativité est de plus en plus recherchée tant
sur le plan professionnel que personnel mais où par opposition les activités créatives sont très
sous-estimées à l’adolescence. Période pourtant pionnière de l’identité de l’adolescent lui
permettant d’acquérir les compétences nécessaires au processus d’autonomisation menant à la
vie d’adulte. Nous voyons l’émergence de jeu vidéo de type « Sandbox » ou encore « bac à
sable » qui favoriseraient la créativité des joueurs. Pratiquer de façon intensive par les
adolescents d’aujourd’hui, ces jeux favorisent-ils réellement la créativité des adolescents ? La
présente étude vise donc à déterminer si la pratique des jeux vidéo de type « Sandbox » ont une
influence sur le potentiel créatif des adolescents. Nous émettrons l’hypothèse que les
adolescents qui jouent à ce type de jeu vidéo ont un potentiel créatif supérieur à ceux qui ne
jouent pas au jeu vidéo de type « Sandbox ».
L’approche a été réalisé auprès de 100 adolescents n’ayant jamais joués ou joués pour une durée
inférieure à 3 heures par jour, tous sont âgés entre 13 et 17 ans. Les participants ont été
regroupés en deux groupes de 50 adolescents, le premier groupe ne sera soumis à aucun jeu
vidéo de type « Sandbox » pendant la durée d’un mois et représentera notre groupe contrôle.
Le second groupe (groupe expérimental) composé de 50 adolescents sera soumis à un jeu vidéo
« Sandbox » appelé « Terraria » pendant une durée minimale de 2h par jour pendant 1 mois.
L’objectif étant de démontrer une différence significative entre les scores obtenus aux deux
temps de passation par les adolescents du groupe expérimental, ainsi qu’une faible corrélation
entre ces mêmes scores. Réciproquement, l’étude montrera qu’il n’y a aucune différence
significative entre les scores obtenus aux deux temps de passations ainsi qu’une forte
corrélation entre ces mêmes scores pour le groupe contrôle, ce qui permettra de conclure sur un
effet direct et unique du jeu vidéo de type « Sandbox ».
2. Les jeux vidéo, une nouvelle activité d’engagement pour les adolescents ........................... 8
2.1. Définition .......................................................................................................................................... 8
2.1.1. Opposition entre jeux de type Sandbox et Theme Park ............................................................... 8
2.2. Liens entre jeu vidéo et créativité ..................................................................................................... 9
2.2.1. Le jeu vidéo, la motivation et l’état de « flow » ........................................................................ 10
2.2.2. Quand le jeu vidéo rime avec entraînement cognitif ................................................................. 11
II. PROBLÉMATIQUE ET HYPOTHÈSE ................................................................................... 11
2.1. Problématique ........................................................................................................................... 11
Face à une pratique de plus en plus intensive des jeux vidéo par les adolescents, cette
étude vise à apporter un éclairage sur l’influence des jeux vidéo « Sandbox » sur le potentiel
créatif des adolescents et amène à modifier l’opinion générale sur le caractère uniquement
divertissant des jeux vidéo. En ce sens, cette étude tend à se questionner sur de nouvelles formes
d’activités créatives structurant pour la construction de l’identité de soi à l’adolescence.
I. REVUE DE QUESTIONS
1. La créativité
1.1.Définition
La créativité vient de l’étymologie latine « creare » signifiant pousser, produire ou encore
faire naître à partir de rien. Ainsi, la créativité a été considérée comme la capacité à créer et
faire une production qui n’a pas encore existé (Gintz, 2012). Devenu un grand domaine d’étude
depuis la moitié du XXème siècle, il existe désormais un consensus autour d’une définition
donnée par Lubart en 2003 définissant la créativité comme « la capacité à produire des
réalisations qui sont à la fois nouvelles et adaptées aux contraintes de la situation dans laquelle
elles prennent place » (Besançon & Lubart, 2015).
Bien qu’il existe aujourd’hui un grand intérêt pour la créativité, c’est le discours de Guilford
en 1950 au congrès annuel de l’APA (American Psychology Association) qui, dans une volonté
forte de changement, marque un tournant décisif permettant la multiplication des publications.
En effet, le behaviorisme a marqué une rupture avec toute la psychologie antérieure après sa
parution dans la Psychological review dans un article de John Broadus Watson en 1913. Ce
courant théorique ignorant toutes les problématiques liées à la conscience a dominé les
recherches en psychologie (Braunstein, 2020), ce qui explique que peu d’études se soient
intéressées aux processus de créations et d’imaginations et par conséquent à la créativité. Par
ailleurs, la créativité a longtemps été considéré comme un produit de l’intelligence, mais qu’en
est-il vraiment ?
1.2.Distinguer l’intelligence de la créativité
De manière générale, l’intelligence et la créativité sont deux notions qui ont été liés pour
certains auteurs ou considérer indépendantes pour d’autres (Wahl, 2019). Binet en 1905 fut
avec Simon le précurseur des tests d’intelligence, avec « l’échelle métrique de l’intelligence »
ou encore appelé Test de Binet-Simon. Ces tests d’intelligence permettent ainsi que distinguer
les individus de ceux qui sont dans la norme à ceux qui possèdent un haut potentiel intellectuel.
Les travaux de Guilford se sont intéressés plus particulièrement à la mesure de la pensée
divergente et permettra de distinguer les individus ayant un potentiel créatif moyen à ceux qui
présentent un haut potentiel créatif (Lubart et al., 2019). Mais Binet définit l’intelligence en
quatre mots : « la compréhension, invention, direction et censure » (Cognet, 2011), cette
définition démontre qu’il avait intégré des items de la créativité au sein de ces premières
échelles de mesures de l’intelligence. Les travaux de Guilford, quant à eux, lient la pensée
divergente à d’autres aspects de l’intelligence. Il semble ainsi difficile de différencier ces deux
notions. Aujourd’hui, grâce à la méta-analyse de Kim (2005) qui a démontré une corrélation
entre l’intelligence et la créativité, certains auteurs distinguent le haut potentiel créatif et le haut
potentiel intellectuel (Lubart et al., 2019).
1.3.Approches dominantes de la créativité
Les approches de la créativité sont nombreuses, parmi elles nous pouvons retrouver des
modèles de la créativité basés sur une approche psychologique, sociologique et culturelle telle
que le modèle de la pensée créative de Ronco et Chand (1995), ce modèle démontre
l’importance des connaissances théoriques et pratiques ainsi que de la motivation dans le
développement de la pensée créatrice ou encore les modèles de processus de la créativité tels
que le modèle de processus créatif de Guilford dans lequel il suggère l’existence de deux types
de pensées, à savoir la pensée divergente et la pensée convergente (Fadwa & Limamy, 2018).
Dans cette recherche, nous nous présenterons uniquement les deux modèles les plus dominants
de la créativité à savoir l’approche systémique de Csikszentmihalyi (1999) et l’approche
multivariée de Lubart (2003). Ces deux approches soulignent la multiplicité de divers facteurs
et les mettent en relation d’interdépendance.
1.3.1. Approche systémique (systems model de Csikszentmihalyi, 1999)
Le modèle systémique de Csikszentmihalyi (1999) (voir annexe 1) nécessite la prise en
compte du système social dans lequel l’individu créatif évolue. La créativité, à l’essence
sociale, serait le résultat d’un processus interactionnel entre trois éléments interdépendants d’un
système. Ce système se compose ainsi du :
- Domaine correspondant à une culture dotée de règles symboliques.
- De l’individu qui a pour rôle d’apporter une nouveauté dans ce domaine symbolique
- Et enfin du champ regroupant des experts qui peuvent reconnaître et valider les
nouvelles idées et les productions des individus.
Chacun de ces éléments correspond à un facteur indispensable à la créativité, mais si l’on
cherche à prendre l’un de ces facteurs de façon isolé, celui-ci sera insuffisant pour produire
l’innovation.
D’après ce modèle, l’individu va produire une idée, celle-ci sera acceptée ou refusée par le
champ et celles qui seront acceptées seront retenues par le domaine (Puozzo & Lapaire, 2016).
1.3.2. Approche multivariée de Lubart (2003)
A l’heure actuelle, l’approche multivariée (voir annexe 2) prédomine dans le domaine de la
recherche sur la créativité. Développée en 1995 par Lubart et Sternberg puis en 2003 par Lubart,
l’approche dite multivariée s’édifie autour de quatre facteurs qui agissent en interaction :
cognitifs, conatifs, affectifs et environnementaux. Les facteurs cognitifs correspondant aux
capacités et aux connaissances qui conduisent à l’élaboration de la production créative, telles
que la pensée divergente qui comprend la flexibilité, c’est-à-dire la capacité de prendre des
positions différentes ou inusuel face à une circonstance donnée, la fluidité soit la capacité à
produire plusieurs idées ainsi que l’originalité qui se réfère à la capacité à produire des idées
inhabituelles. Les facteurs conatifs se rapportent aux traits de personnalité, aux styles
cognitifs ainsi qu’à la motivation des individus. Les facteurs affectifs font références aux traits
affectifs ou encore aux états émotionnels. Enfin, les facteurs environnementaux sont associés
à l’environnement familial, à l’environnement scolaire ou encore culturel mais plus
généralement à l’environnement physique et social de l’individu (Besançon & Lubart, 2015).
1.4. Évaluer la créativité
Évaluer la créativité suppose tout d’abord de savoir ce qu’on l’on souhaite évaluer. En effet,
il existe des outils mesurant le potentiel créatif ainsi que l’accomplissement créatif. Il est
donc important de les distinguer.
1.4.1. L’accomplissement créatif ou le potentiel créatif ?
Pour Lubart en 2003, le potentiel créatif est une forme de « prédisposition à créer, qui se
distingue de l’accomplissement créatif qui renvoie à la réalisation de produits ou
comportements créatifs » (Patillon, 2016) ainsi, l’accomplissement créatif se réfère plutôt aux
œuvres artistiques (visuelles ou littéraires), aux théories, aux méthodes scientifiques.
L’accomplissement créatif est évaluée socialement et peut être effectué de trois différentes
façons, tout d’abord par le biais de questionnaire d’auto-évaluation, par l’évaluation de la
production que l’individu présentera sous forme de portfolio par un enseignant ou un expert ou
encore par le biais de concours ou de compétition (Besançon & Lubart, 2015). Le potentiel
créatif, quant à lui, s’évalue selon deux approches : les mesures componentielles qui se fonde
sur l’approche multivariée vu précédemment. Il s’agit de mesurer les différentes composantes
de la créativité. La seconde approche est la mise en situation qui, même si elle s’inspire de
l’approche multivariée, celle-ci se concentre spécifiquement sur le processus créatif. Dans ce
dernier cas, il s’agit d’engager l’individu dans une tâche créative dans le cadre d’une situation
test. Cette situation engage par ailleurs un processus de création qui implique deux phases : une
phase correspondant à la pensée divergente exploratoire et une phase correspondant à la
pensée convergente synthétique (Besançon & Lubart, 2015). La présente étude se centre sur
la mesure de la pensée divergente exploratoire.
1.4.2. La pensée divergente/exploratoire
Définit par Guilford en 1950 comme essentielle pour la créativité, la pensée divergente fait
référence à la recherche de solutions ou de stratégies diverses à une simple question. C’est
d’ailleurs grâce aux travaux de Guilford que Torrance en 1976 a construit un test de pensée
divergente créative (Torrance Test of Creative Thinking, TTCT). Ce test s’appuie sur les trois
composantes citées précédemment : la fluidité, la flexibilité, l’originalité auxquelles s’ajoute
l’élaboration qui fait référence aux nombres de détails ajoutés au dessin (Besançon & Lubart,
2015). Le Test de Torrance sera le test utilisé dans la cadre de cette étude.
1.5. La créativité chez les adolescents
La créativité est plus étudiée chez les jeunes enfants et l’adulte, pour autant, l’adolescence
est par nature un moment clé dans le développement de l’individu et ainsi sujette à l’expression
créative. En effet, l’adolescence est une période de réorganisation physique mais aussi
psychique. Cette période soumis à des changements sur le plan physique comme la forme du
corps, la force physique ou encore à des changements liés à la puberté apporte aussi des
changements sur le plan cognitif, moral ou encore au niveau de la représentation de soi. Des
changements qui bouleversent la construction identitaire de l’adolescent (Docquois, 2013).
C’est d’ailleurs à cette période que Torrance en 1968 observe la troisième période
d’affaiblissement des performances créatives (Besançon & Lubart, 2015). Apparaissant vers
l’âge de 13 ans aux États-Unis, cette période de déclin apparaît plus tardivement en France lors
de la transition entre le collège et le lycée. Tous ces bouleversements amènent le
questionnement sur la créativité au sein du processus de création de l’identité à l’adolescence.
1.5.1. Lien entre créativité, transformation de soi à l’adolescence et création identitaire
Certains chercheurs tels que Gutton (2008) ont placé l’adolescent comme « un acte de
création et aussi une expérience de création » (Blondiaux, 2020) ou Getz et Lubart (1998)
placent le processus de transformation de soi au sein d’un processus créatif (Barbot & Lubart,
2012). En effet, le remaniement physique et psychique à l’adolescence implique aussi les
facteurs intervenant dans la créativité et celle-ci s’accorde avec le développement identitaire.
La créativité va intervenir à plusieurs niveaux, tout d’abord elle favorisera les processus de la
pensée engagés dans la formation identitaire. Ces processus mobilisent la pensée divergente
exploratoire qui va permettre l’exploration de différentes possibilités de soi, la pensée
convergente intégrative permettra d’élaborer un produit qui se distinguera de l’identité du jeune
enfant que l’adolescent était et possédera à la fois une dimension sociale permettant la
reconnaissance par les autres. De plus, Freeman (1993) et Tierney et Farmer (2002) en
démontrant le lien entre l’estime de soi créative et la performance dans des tâches de créativité
ont montré que la créativité permettait aussi le développement et le maintien d’une
représentation positive et créative de soi. Enfin, les engagements des adolescents dans des
activités créatives (danse, musique, théatre ou encore des valeurs, croyances…) semblent
apporter une structuration dans la formation identitaire et faciliterait ainsi l’expression de soi
(Barbot & Lubart, 2012).
Mais à l’ère où l’utilisation des écrans devient de plus en plus fréquente par les jeunes
enfants et les adolescents, l’engagement des jeunes dans des activités créatives s’en trouve
affecté, est-ce aussi le cas des jeux vidéo ?
2. Les jeux vidéo, une nouvelle activité d’engagement pour les adolescents
2.1. Définition
L’industrie du jeu vidéo connaît un développement considérable depuis son apparition au début
des années 50 (Gury, 2010) et est devenu en 2020, l’un des secteurs les plus dynamiques de
l’économie française. La France, pays consommateur de jeux vidéo, comptait en 2021 près de
73% de joueurs occasionnels et 58% de joueurs réguliers (Syndicat des éditeurs de logiciels de
loisirs, 2021).
Le rayonnement mondial de cette industrie ainsi que son intérêt marqué pour les jeunes
pousseront l’émergence des « games studies », domaine de recherche comprenant des études
transdisciplinaires, principalement anglo-saxonne, sur le jeu vidéo (Rueff, 2008) et traitant des
problématiques sur les effets positifs et négatifs des jeux vidéo sur la mémoire, le
développement des capacités cognitives, les aptitudes spatiales et visuelles (Rueff, 2008).
Aujourd’hui, le jeu vidéo est définit comme étant un programme informatique ludique installé
sur différentes plateformes (ordinateurs, consoles, téléphones…) et permettant des interactions
avec un environnement virtuel seul ou en réseau (Fourmy, 2017). Ayant une typologie très
variée, il existe une typologie par genre (Forsans, 2013) comprenant les MMO abréviation de
MMOG (massively multiplayer online game) qui comporte lui-même deux catégories : les
MMO Sandbox et les MMO Theme Park.
2.1.1. Opposition entre jeux de type Sandbox et Theme Park
Le débat entre les MMO Sandbox et les MMO Theme Park est l’un des sujets les plus
discutés dans la communauté du jeu vidéo. Les MMO Sandbox ou encore « bac à sable »
désigne les jeux qui ne comportent aucun scénario et propose un espace libre de construction
et navigation (Caïra, 2014). L’intérêt même de ce type de jeu est la liberté d’action, l’omission
de linéarité et de contraintes. Les jeux de type Sandbox implique la création de territoires
imaginaires ou des reproductions de la réalité par une prise en main de différents outils de
développement. L’un des jeux Sandbox le plus connu est Minecraft, développé par Markus
Persson et ensuite par le studio Mojang. Ce jeu propulse le joueur dans un monde composé de
blocs, ceux-ci peuvent représenter différents matériaux ou encore des montres et des animaux,
le joueur peut ainsi exploiter toutes les ressources du jeu, construire et déconstruire dans le but
de transformer son environnement (Espié, 2020). En opposition à ce type de jeu se trouve les
MMO Theme Park qui propose un gameplay avec des quêtes, des aventures imposé par l’équipe
de développement du jeu. Les jeux Theme Park vont d’un point à un autre et ne laisse aucune
place à l’exploration. Les joueurs de ce type de jeu sont récompensés par des points EXP
(experience point), de nouveaux équipements ou encore par de la monnaie correspondant au
jeu. L’un des MMO Theme Park le plus connu est World of Warcraft lancé en 2004, ce jeu
permet au joueur d’évoluer dans un monde fantastique constitué de magies et de monstres
(Themepark VS Sandbox, sur MMOGratuit.com, 2020).
La grande diversité de jeu vidéo et son omniprésence auprès du jeune public qui s’investisse
de plus en plus dans la pratique du jeu vidéo nous amène désormais à nous questionner sur son
lien avec la créativité.
2.2. Liens entre jeu vidéo et créativité
Quelques études ont questionné le lien entre le jeu vidéo et son impact sur le potentiel
créatif, Hamlen (2009) par exemple a cherché a mesuré la créativité à l’aide du Test de Pensée
Créative de Torrance, son étude portait sur la corrélation entre le temps de jeu vidéo et le niveau
de créativité. Néanmoins, son étude n’a pas su mettre en évidence un lien pertinent entre le
temps de jeu vidéo et le niveau de créativité. De façon opposée, étude de Blanco-Herrera (2019)
qui mesure la corrélation entre la créativité et les habitudes de jeu sur le jeu Minecraft démontre
une corrélation positive entre ceux qui joue à Minecraft sans l’instruction « soyez créatif » et la
créativité par rapport à ceux qui ont joué au jeu avec l’instruction (Rahimi & Shute, 2020). Une
étude qualitative de Hewett (2016) démontre par ailleurs que les participants trouvent que le
projet fait avec Minecraft les a incités à être plus innovants et créatifs (Rahimi & Shute, 2020).
Le jeu vidéo est aujourd’hui perçu comme une activité ludique et créative et permet aux
individus d’aborder des situations nouvelles sans contraintes. Ils offrent ainsi une expérience
unique permettant aux joueurs d’expérimenter des environnements simulés et offre aux joueurs
la possibilité de résoudre, sans conséquence, divers problèmes qu’il aurait pu rencontrer dans
la vie réelle, un exemple connu est le jeu Sim City qui permet au joueur de rencontrer les
problèmes économiques, environnementaux ou encore sociales (Bowman et al., 2015). En plus
d’être une source d’apprentissage efficaces et créatives, les jeux vidéo induit une motivation
intrinsèque et c’est ce que Csikszentmihalyi (1975) appelle un état de « flow » (Bowman et al.,
2015).
2.2.1. Le jeu vidéo, la motivation et l’état de « flow »
La motivation, comme nous l’avons vu, est un facteur important dans la performance
créative (Besançon & Lubart, 2015). On distingue deux types de motivations, la motivation
extrinsèque qui fait référence à la réalisation d’un but pour atteindre des objectifs instrumentaux
(ex : obtenir une récompense) et la motivation intrinsèque qui correspond au fait qu’une activité
est réalisée car celle-ci procure satisfaction et plaisir (Louche et al., 2006). C’est ce dernier type
de motivation qui est au cœur de l’intérêt de l’utilisation des jeux vidéo et en particulier dans
le domaine de l’apprentissage. En effet, le jeu vidéo a une fonction autotélique, c’est-à-dire que
les joueurs y retrouvent une stimulation intrinsèque, l’acte de jouer est en soi source de plaisir
et de bien-être pour le joueur (Sutter Widmer & Szilas, 2017). L’étude de Yee (2006) a aussi
mis en évidence trois motivations à jouer aux jeux vidéo, on retrouve l’accomplissement qui
regroupe la progression dans le jeu, la mécanique du jeu ainsi que la compétition, la composante
sociale qui fait référence à la socialisation dans le jeu, la création de relation ainsi que la
collaboration en équipe et pour finir l’immersion qui rassemble l’aspect découverte, l’aspect
jeu de rôle par la création d’un personnage et l’interaction avec les autres joueurs, la
personnalisation de l’apparence et l’aspect évasion, soit le fait de s’évader, d’éviter les
problèmes de la vie réelle (Taquet, 2016).
En plus d’induire une motivation intrinsèque chez le joueur, le jeu vidéo induit un état de
« flow » ou encore « état psychologique optimal » décrit par Csikszentmihalyi en 1975. Ce
concept décrit un état d’immersion totale dans l’activité. Cet auteur a d’ailleurs identifié les
critères d’apparition de cet état qui sont « la perception d’un équilibre entre les compétences
personnelles et le défi qui doit être relever, une centration de l’attention sur l’action en cours,
des feedbacks clairs, des sensations de contrôle sur les actions réalisées et sur l’environnement,
l’absence de stress, d’anxiété et d’ennui ainsi que la perception d’émotions positives (ex :
plaisir) » (Demontrond & Gaudreau, 2008). Tous ces critères se retrouvent dans les jeux vidéo,
en effet, les jeux vidéo proposent généralement un équilibre entre les compétences du joueur et
les défis du jeu, des informations sonores et visuelles qui éliminent les distractions et aident à
la concentration du joueur, ils fournissent aussi des retours clairs (ex : les scores, les
accomplissements…), enfin ils proposent des ajustements manuelles ou automatiques en
fonction des joueurs (Bowman et al., 2015).
Bien que le jeu vidéo procure une motivation intrinsèque et cet état de « flow »,
l’engagement du joueur dans cette activité peut-elle permettre le développement de
compétences ?
2.2.2. Quand le jeu vidéo rime avec entraînement cognitif
De nombreuses études ont tenté de démontrer les conséquences des jeux vidéo sur les
différentes habiletés cognitives. Parmi elles, nous retrouvons une amélioration de l’attention
sélective qui correspond à la sélection rapide des éléments visuels présentés parmi d’autre dans
le but d’effectuer des traitements cognitifs approfondis. Cette amélioration serait liée aux genres
de jeux vidéo et plus spécifiquement aux jeux de type FPS (First Person Shooter) (Blacker et
al., 2014). L’étude de Boot (2008) a mis en évidence l’amélioration du traitement visuo-spatial,
elle désigne la capacité à manipuler mentalement un objet en le réorganisant ou en lui faisant
faire des rotations. Enfin, certaines études ont montré un effet des jeux vidéo sur les fonctions
exécutives (Shawn Green et al., 2012). Celles-ci regroupent différents processus impliqués dans
la réalisation de tâches complexes comme la flexibilité, la planification, la résolution de
problème.
En reprenant l’approche multivariée de Lubart (2003), nous avions définis les facteurs
cognitifs comme faisant partie des quatre facteurs agissant dans le processus de créativité. Dans
le cas où certains jeux vidéo permettent une stimulation de certaines habiletés cognitives, nous
nous questionnons sur le lien entre le jeu vidéo et la stimulation du potentiel créatif. Cette étude
longitudinale vise ainsi à enrichir les recherches encore peu nombreuses sur l’influence de la
pratique du jeu vidéo de type sandbox sur le potentiel créatif des adolescents.
V. DISCUSSION PROJETÉE
Bien que certains chercheurs se sont questionnés sur le lien entre la créativité et la création
identitaire des adolescents. Peu de recherches se sont réellement intéressés à ce sujet, ce qui
démontre le manque de considération pour les activités créatives dans le développement de
l’adolescent, contrairement à la période de l’enfance où les activités créatives sont largement
mises en avant. Pourtant, c’est bel et bien à l’adolescence que l’identité se fragilise par la crise
de personnalisation définit par Malrieu (1980). Celle-ci se caractérise par une opposition entre
l’identité du jeune enfant formé durant l’enfance et les changements (physiques et psychiques)
survenant à l’adolescence qui pousse le jeune à ne plus se reconnaître et donc à se créer un
nouveau « soi » (Lannegrand-Willems, 2017). Par ailleurs, les jeux vidéo sont davantage
associés à un aspect ludique et ceux-ci prennent une place importante dans la vie des
adolescents. Cette activité, pour le développement optimal des adolescents, est donc encore très
sous-estimée.
Dans le cas où l’hypothèse de cette étude est validée, cela remettrait en question
l’opinion générale associant divertissement et jeu vidéo, accordant par la même occasion une
place centrale aux activités créatives dans la construction de l’identité des adolescents. Cette
recherche pourrait permettre la création de programme permettant aux adolescents ayant une
identité très peu structurée de stimuler le processus d’exploration des différentes possibilités de
soi dans la vie, ces programmes se baseraient sur des activités créatives qui viendront faciliter
le processus de transition identitaire entre l’enfance et l’adolescence. De plus, cette recherche
permettrait le développement d’une autre forme de thérapie par le jeu vidéo, étant donné la
place singulière qu’occupe les jeux vidéo dans la vie des adolescents (près de 94% des jeunes
ayant entre 10 et 18 ans joueraient aux jeux vidéo quel que soit le type de plateforme), une
thérapie par le jeu vidéo permettrait de mieux accompagner cette population de joueur en
proposant une thérapie s’inspirant des techniques similaires au jeu du bac sable classique, mais
avec un support plus adapté, plus familier et peu menaçant, offrant ainsi un potentiel
thérapeutique plus intéressant. Les psychologues pourront ainsi se former à de nouvelles
approches thérapeutiques plus adaptés aux adolescents d’aujourd’hui et s’intéresser au jeu
vidéo de type « Sandbox » comme un outil de projection. Cet outil représenterait un fort atout
pour des adolescents ayant une expression verbale limitée, mais il pourra aussi s’étendre à une
population bien plus large puisque de plus en plus d’enfants et d’adultes s’intéresse aux jeux
vidéo.
5.1. Limites et biais
L’une des limites de cette étude pourrait être lors du recrutement des adolescents, de nos jours,
un grand nombre d’adolescents jouent aux jeux vidéo, il serait donc difficile de trouver des
jeunes qui n’ont jamais joués. De plus, le jeu pourrait ne pas plaire certains adolescents ce qui
pourrait entraver l’engagement de deux heures de jeu par jour auquel les adolescents et leurs
parents ont acceptés, il faudrait pour cela mettre en place un suivi disponible sur le jeu pour
évaluer le temps de jeu de chaque participant. Par ailleurs, il est difficile de savoir si le délai
d’un mois sera suffisant pour éviter un effet de maturation, soit un changement du score des
participants dû à l’effet du temps qui passe ou à un effet de testing, c’est-à-dire que le participant
améliore son score car celui-ci se rappelle des questions et des réponses données lors de la
première passation.
VI. CONCLUSION
Cette étude, si elle avait été menée à son terme, avait pour but de démontrer l’influence du jeu
vidéo de type « Sandbox » sur le potentiel créatif des adolescents et entre autres que ce type de
jeu vidéo permettait une augmentation du score de pensée créative chez les adolescents. Elle se
voulait enrichir le faible nombre de recherches sur la mesure de la pensée divergente
exploratoire chez les adolescents et marquer l’importance des activités créatives
particulièrement à cette période où la structure identitaire de l’individu se construit. De même,
cette étude devrait permettre de confirmer que le jeu vidéo est bien plus qu’un simple objet de
divertissement. Face à la perpétuelle évolution de la société actuelle, de nombreux outils (ex :
réalité virtuelle) voient le jour et peuvent aussi avoir une influence sur le potentiel créatif des
adolescents, tout comme le type de plateforme utilisée pourrait aussi avoir son influence, car
certaines plateformes impliquent le joueur plus que d’autres, prenons l’exemple de la Wii U qui
implique l’action entière du joueur d’un point de vue physique contrairement au smartphone.
Pour des recherches à venir, il faut encore prendre le temps d’étudier l’importance de la
créativité à l’adolescence ainsi que sur l’intérêt du jeu vidéo de type « Sandbox » dans le
développement optimal des adolescents, les recherches sur ces sujets sont peu nombreuses, axé
soit sur les enfants soit sur les adultes ou encore trop axé sur le jeu Minecraft, il existe à ce jour
une multitude de jeu vidéo de type « Sandbox » et leur influence sont encore méconnus. Par
ailleurs, mieux comprendre en quoi la créativité joue un rôle dans la construction identitaire
permettrait une avancée indéniable dans la compréhension des processus de formation
identitaire mais aussi dans le développement de la créativité elle-même.
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VIII. ANNEXES
Annexe 1 : Modèle systémique de Csikszentmihalyi (1999)