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MÉMOIRE DE RECHERCHE

Être travailleur au sein d’un tiers-lieu, reflet d’une organisation


contemporaine du travail

Master 2 : Sociologie

Mention : Sciences sociales

Parcours : Organisation, développement et gestion des entreprises de l’économie sociale et


solidaire

Sous la direction de Jean-Philippe TONNEAU

Session : Septembre 2020

HÉMAR ALEXIS
Faculté UCO / ESSCA
Institut ou Département : SHS
Année Universitaire : 2019-2020
CHARTE DE NON-PLAGIAT

Protection de la propriété intellectuelle

Tout travail universitaire doit être réalisé dans le respect intégral de la propriété intellectuelle
d’autrui. Pour tout travail personnel, ou collectif, pour lequel le candidat est autorisé à utiliser
des documents (textes, images, musiques, films etc.), celui-ci devra très précisément signaler
le crédit (référence complète du texte cité, de l’image ou de la bande-son utilisés, sources
internet incluses) à la fois dans le corps du texte et dans la bibliographie. Il est précisé que
l’UCO dispose d’un logiciel anti-plagiat dans lms.uco.fr, aussi est-il demandé à tout étudiant
de remettre à ses enseignants un double de ses travaux lourds sur support informatique .

Cf. « Prévention des fraudes à l’attention des étudiants »

Je soussigné(e), HÉMAR Alexis, étudiant(e) en Master 2 Sociologie m’engage à respecter cette


charte.

Fait à Tours, le 21/08/20

Signature (pour la version imprimée) :

2
Remerciements

Je tiens en premier lieu à remercier M. Jean-Philippe Tonneau, mon directeur de mémoire, qui
par sa patience, son temps et ses précieux conseils a grandement participé à l’élaboration de
ma réflexion tout au long de ce travail.

Je voudrais également remercier l’ensemble du corps professoral de l’ESSCA et de l’UCO pour


la qualité des interventions qu’ils ont proposé dans le cadre de ce Master 2. Les apports
théoriques que j’ai pu y acquérir m’ont été d’une grande aide pour me lancer dans cette
recherche en sociologie. Une première expérience dans les sciences sociales qui, nous
pouvons l’écrire, m’a mis à l’épreuve.

Je remercie aussi chaleureusement ma famille pour le soutien qu’ils m’ont apporté pendant
cette période si singulière. En particulier, ma maman pour ses nombreuses heures de relecture
et mon petit frère pour son inédite première expérience de retranscription. J’ai également une
pensée pour ma tante, que je remercie pour le temps qu’elle m’a accordé dans le cadre la
relecture de ce travail.

Enfin, un grand merci à toutes les personnes que j’ai pu rencontrer au cours de l’exploration
de mes terrains d’enquêtes. Je pense aux membres travailleurs, mais aussi aux animateurs des
tiers-lieux #AngersFrenchTech, La Gob et le 122, qui se sont ouverts à moi au travers de
témoignages très inspirants.

1
Sommaire
Remerciements ................................................................................................................. 1

Introduction ...................................................................................................................... 4
Contexte et tendance du phénomène en France ............................................................................................. 5
Définition originelle de la notion de tiers-lieu.................................................................................................. 7
Une appropriation protéiforme de la notion ................................................................................................. 11
Méthodologie ................................................................................................................................................. 16

Chapitre 1 : Le travail, une notion de plus en plus prégnante au sein des tiers-lieux .......... 18

1. Apparition du travailleur au sein du tiers-lieu, le fruit d’une professionnalisation progressive 19


1.1 Une catégorie politique et administrative................................................................................................ 19
1.2 Une catégorie gestionnaire et managériale ............................................................................................. 22
1.3 Une catégorie culturelle et identitaire ..................................................................................................... 26

2. L’émergence de nouveaux lieux en réponse au contexte d’organisation contemporaine du


travail ..................................................................................................................................... 27
2.1 Une transformation du capitalisme qui questionne la place du travailleur............................................. 27
2.2 La relation des français au travail qui interroge son organisation ........................................................... 31
2.3 Le déclin progressif du statut protecteur du salariat en France .............................................................. 33
2.4 L’essor du statut d’autoentrepreneur et du travail indépendant comme réponse à la précarisation
croissante des travailleurs .............................................................................................................................. 37
2.5 Entre salariat et travail indépendant, quel rôle pour le travail dans cette nouvelle configuration ? ...... 40
2.6 De nouvelles conditions socio-économiques qui se traduisent au sein du tiers-lieu .............................. 41
2.7 Une digitalisation du travail qui a rendu possible le développement du travailleur au sein du tiers-lieu
........................................................................................................................................................................ 46
2.8 Le tiers-lieu nouveau havre d’innovation et de travail collaboratif ......................................................... 51

Conclusion : ............................................................................................................................ 53

Chapitre 2 : Analyse des terrains d’enquête étudiés ......................................................... 55

Le tiers-lieu « #AngersFrenchTech »......................................................................................... 55

Le tiers-lieu « La Gob » ............................................................................................................ 60

Le tiers-lieu « Le 122 »............................................................................................................. 62

Convergences et divergences des tiers-lieux étudiés ................................................................ 65


Inscription dans des dynamiques territoriales singulières ............................................................................. 65
Lien avec les acteurs publics ........................................................................................................................... 66

2
Constitution d’une communauté de travail ................................................................................................... 67

Conclusion .............................................................................................................................. 69

Chapitre 3 : Caractéristiques des travailleurs investis au sein de tiers-lieux....................... 69

Profils sociologiques des travailleurs interrogés ....................................................................... 70

Conditions d’intégration d’un tiers-lieu pour un travailleur ...................................................... 73


#AngersFrenchTech ........................................................................................................................................ 73
Le 122 et La Gob ............................................................................................................................................. 76
Principaux points de convergences entre les terrains d’enquête .................................................................. 80

Pratiques induites par l’évolution au sein d’un tiers-lieu pour un travailleur ............................. 81
#AngersFrenchTech ........................................................................................................................................ 81
Le 122 et La Gob ............................................................................................................................................. 88
Principaux points de convergences entre les terrains d’enquête .................................................................. 95

Processus de désengagement d’un tiers-lieu pour un travailleur............................................... 96

Conclusion .............................................................................................................................. 99

Conclusion générale ........................................................................................................ 99

Bibliographie ................................................................................................................ 101

Résumé et mots clés ...................................................................................................... 104

3
Introduction

Espaces de co-working, Fablab, open spaces, télécentres, tout un éventail de dénominations


qui fleurit un peu partout sur le territoire français ces 20 dernières années. Des structures qui ont
pour caractéristique commune d’être regroupées sous l’appellation de tiers-lieu. Souvent mal
maitrisée, la notion de tiers-lieu a tendance à être assimilée par le grand public à un simple
espace de rencontre qui serait à mi-chemin entre le domicile et le lieu travail ; il est parfois
même réduit exclusivement aux espaces de co-working. Nous verrons au cours de cette
recherche que le phénomène va bien au-delà de ces seules considérations et questionne plus
largement l’évolution de l’organisation du travail de ces 30 dernières années. En effet, le
système capitaliste industriel ayant façonné le XXème siècle et sur lequel notre société salariale
s’est construite fait face à un changement de paradigme. Ce dernier, se matérialisant par
l’appellation de « nouveau capitalisme »1 (Chiapello & Boltanski, 1999), a pour conséquence
la déstabilisation du salariat et la fragilisation du statut de l’emploi. Des caractéristiques
principalement dues à une internationalisation et financiarisation de l’économie
accompagnée d’une exacerbation de la concurrence. C’est dans ces conditions que les tiers-
lieux sont investis au quotidien pour inventer une autre manière de travailler et un autre rapport
au travail qui se veut bien loin de l’organisation tayloriste. Toutefois, les appropriations de ces
espaces sont multiples et les entreprises comme les pouvoirs publics influencent grandement
la forme des tiers-lieux. Ces derniers y voient une aubaine pour répondre aux nouvelles
configurations de l’organisation du travail et ont tendance à les instrumentaliser dans des buts
bien précis. Ce travail de recherche compte donc s’intéresser à l’articulation de la relation
entre le travailleur et le tiers-lieu tout en tentant de décrypter les enjeux de chacun des acteurs
qui gravitent autour du phénomène. Il s’agira de comprendre pourquoi et comment cela
retient l’attention de certains acteurs ainsi que d’identifier en quoi ceci fait écho aux nouveaux
enjeux de l’organisation du travail contemporaine.

Cette recherche tend à dégager des caractéristiques communes quant à l’organisation du


travail au sein des tiers-lieux. L’objectif est d’avoir une approche générique du mouvement et
non de le traiter au regard des singularités de chaque structure qui le compose. Nous nous
attacherons donc à identifier des convergences au sein d’un phénomène qui peine à être
traité comme un tout tant il est hétérogène. Dans ces conditions, il est essentiel d’apporter un
éclairage sur la notion de tiers-lieu afin d’en clarifier la définition et faire émerger les
caractéristiques structurantes utilisées dans le cadre de cette recherche.

1 Chiapello, È., & Boltanski, L. (1999). Le nouvel esprit du capitalisme. Gallimard.

4
Contexte et tendance du phénomène en France

Le mouvement des tiers-lieux prend ses origines à la fin des années 90, néanmoins sa
progression dans le paysage français se fait encore lente. Le phénomène existe mais peine à
réellement prendre forme. Ceci peut s’expliquer par un engagement faible des pouvoirs
publics qui ont mis du temps à prendre la mesure de ce qui se faisait au sein des territoires. Il
faut spécifier que jusqu’à présent les tiers-lieux se sont structurés en grande partie grâce à un
fort engagement citoyen qui est resté relativement silencieux pendant de presque deux
décennies. De ce fait, nous n’avons alors longtemps eu qu’une vision que parcellaire de ce
que pouvait représenter les tiers-lieux en France. Les entretiens préliminaires menés auprès
d’experts du secteur dans le cadre de l’enquête menée par la fondation « Travailler
autrement » illustrent parfaitement cette avancée à pas feutrés des tiers-lieux. En effet, il était
alors apparu qu’il en existait entre 700 et 800, essentiellement présents dans les grandes
métropoles dont la plupart étaient assimilés à des espaces de co-working. Dans les faits, le
travail de recensement fait depuis montre que la réalité est toute autre, en effet les tiers-lieux
sont bien plus profondément ancrés dans les territoires français que ce que l’on pouvait
imaginer. Ce nouveau décompte mis en lumière par la fondation « Travailler autrement »
relève plus 1800 tiers-lieux en France dont près de la moitié seraient en dehors des grandes
villes et métropoles.

Figure 1 Recensement Tiers-lieux en France proposé par la fondation "Travailler Autrement"

5
Un constat évocateur de la méconnaissance d’un pan entier d’acteurs d’un mouvement qui
avait en réalité émergé sur les territoires sous les radars des pouvoir publics et autres institutions.
Cette prise de conscience a été suivie d’un réel changement de paradigme de la part des
pouvoirs publics. Cela se traduit par un investissement dans ce qui est désormais considéré
comme de nouveaux lieux palliant la solitude de l’autoentrepreneur et du télétravailleur,
stimulant les échanges de compétences, et faisant naitre de nouvelles activités. De réels
carrefours d’innovation qui se doivent d’être pensés au-delà de ses caractéristiques physiques,
il s’agit alors d’un « processus social » (Y. Duriaux, 2018). L’État intègre donc pleinement le
phénomène dans ces différents dispositifs, au risque d’occulter certains points de vigilance
formulés par certains experts. En effet, ce sont Antoine Burret et Yoanne Duriaux qui alertaient
en 20132 sur les dangers que peuvent générer les tiers-lieux pour les futures organisations du
travail. Il était précisément question de ce qu’ils appelaient des « effets toxiques » qui ne se
traduiraient par une élasticité des temps de travail à outrance qui détruirait les avantages
sociaux recherchés par le tiers-lieu. Une configuration que rendrait tolérable la surcharge pour
les travailleurs sous couvert d’une bienveillance communautaire. Ces exemples de dérives
potentielles ne sont pour l’heure que très peu considérées, la tendance est plus à la
célébration d’un modèle qui se positionne comme une sorte d’utopie pour répondre aux
enjeux économiques. C’est donc, après une enquête de terrain3 approfondie ayant permis
d’interroger quantité d’acteurs du secteur que le potentiel et les besoins réels du mouvement
ont été mis en lumière (Levy-Waitz, 2018). Une étude initialement portée sur le co-working et a
définitivement révélé le phénomène des tiers-lieux dans toute son ampleur. L’État s’est donc
emparé avec énergie de cette question avec une réelle volonté d’en faire un outil de
transformation des territoires. Néanmoins, le discours des politiques publiques est clair : « il n’est
pas question d’étatiser le phénomène mais simplement d’aider à lever des obstacles qui
freinent encore trop aujourd’hui l’émergence des tiers-lieux », rappelait encore Patrick Levy-
Waitz sur France inter au mois de juillet 20204.

Concrètement, c’est très récemment, le 17 juin 2019, que fût lancé le programme « Nouveaux
lieux, nouveaux liens » avec pour objectif la mise en œuvre d’aides aux financements afin de
faciliter le télétravail et l’accès à des services divers comme la formation, le travail, l’accès aux
droits, l’éducation ou encore la culture. C’est dans ce cadre que l’État s’engage à ce que,

2 Dans leur manifeste pour les tiers-lieux.

3 Levy-Waitz, P. (2018). Mission Coworking—Faire ensemble pour mieux vivre ensemble.


https://www.fondation-travailler-autrement.org/2018/09/19/mission-coworking-faire-
ensemble-pour-mieux-vivre-ensemble/

4 Les tiers-lieux peuvent-ils dynamiser l’économie ? (s. d.). Consulté 17 août 2020, à l’adresse
https://www.franceinter.fr/emissions/le-debat-de-midi/le-debat-de-midi-28-juillet-2020

6
d’ici à 2022, 300 « fabriques des territoires »5 dont 150 dans les territoires ruraux et villes
moyennes et 150 dans les QPV6 soient créés. Ces « fabriques » bénéficieront d’un soutien
financier de l’État allant de 75 000 à 150 000 euros par le biais d’un fonds d’amorçage de 3
ans. Un mécanisme qui a pour but de pérenniser les structures émergeantes en les aidant à
trouver leur équilibre économique. Ce fonds ouvert à tous prend la forme d’un AMI 7 doté de
45 millions d’euros. Une manœuvre pour le moins politique qui vise plus largement à
développer les territoires et particulièrement les QPV. Son objectif est d’assurer la viabilité du
secteur dans la durée et d’impliquer d’avantage ces nouveaux acteurs dans l’application de
politiques publiques. L’État en profite également pour orienter le secteur vers des
problématiques qu’il a lui-même identifié comme la transition numérique. Pour ce faire, il offre
un bonus de 100 000 euros supplémentaires avec un label spécifique « fabrique numérique de
territoire ». Des objectifs clairement assumés par les 5 ministres présents le jour du lancement
de ce programme en juin 2019 : Ministre du travail, Ministre de la Cohésion des territoires et des
Relations avec les collectivités territoriales, ministre de la Cohésion des territoires et des
Relations avec les collectivités territoriales, chargé de la Ville et du Logement, Ministre de
l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Ministre de la Culture. Ces
derniers ont unanimement présenté les tiers-lieux comme « un véritable potentiel de
reconquête économique ».

Il sera intéressant dans le cadre de cette recherche d’étudier en détail certains tiers-lieux et
mettre en perspective ce discours proposé par les acteurs publics au sujet du mouvement.
Cela permettra de constater si ces différentes influences sont réellement ressenties ou alors s’il
y a une rupture entre le discours proposé et ce qui est vécu par les acteurs du secteur.

Définition originelle de la notion de tiers-lieu

Trouver une définition générique des tiers-lieux est un exercice des plus complexes tant la
notion est retravaillée en fonction de ceux qui la mobilisent. Il n’existe par conséquent pas de
littérature faisant consensus sur ce qu’est un tiers-lieu aujourd’hui. Si les travaux à ce sujet
restent en nombre restreint, il est notable que le sociologue Antoine Burret y a consacré une
thèse8 (A. Burret, 2017). Un ouvrage qui permet d’éclairer en partie la notion et qui a pour
vocation de circonscrire une définition conceptuelle de ce terme. C’est dans l’optique d’en
comprendre précisément ses différentes configurations que le sociologue spécialisé en la

5 Notion qui correspond à une labellisation spécifique aux tiers-lieux.


6 Quartier Prioritaire de la Ville
7 Appel à manifestation d’intérêt
8 Burret, A. (2017). Etude de la configuration en Tiers-Lieu : La repolitisation par le service

[Thesis, Lyon]. http://www.theses.fr/2017LYSE2001

7
matière nous propose une définition minimale du tiers-lieu9 (Burret, 2018). Selon ses termes, il est
possible de définir le tiers-lieu de la manière suivante :

« Plusieurs unités isolées et distinctes, réunies par et autour d’un récit commun et qui
sont enveloppées dans les limites d’un contenant ordonné, situé et sensible. »

Une définition qualifiée de minimale par son auteur car elle reprend indépendamment les
définitions de « tiers » et celle de « lieu » dans le but de construire une définition la plus inclusive
possible répondant à la caractéristique polyforme du phénomène. Par ailleurs, A. Burret
reconnait lui-même que cette définition peut faire face à certaines objections légitimes du fait
de son caractère large et englobant.

Dans le contexte de la définition proposée par cette thèse, A. Burret, s’appuie sur les théories
développées par Georg Simmel10 sur la notion de « tiers », qui s’avère être l’un des rares
sociologues à y avoir consacré une partie de sa recherche. Selon lui, le tiers est considéré
comme l’entrée en matière d’une tierce personne dans un groupe, elle possède la double
fonction d’allier et de séparer. Dans le contexte des tiers-lieux, la notion de « tiers » peut alors
prendre la forme qu’une troisième entité qui interfère dans la relation de deux autres par la
médiatisation. En effet, selon les différentes fonctions énumérées par Simmel du tiers, Burret en
identifie une qui semblerait être pertinente. Le tiers serait un médiateur, il aurait pour rôle de
lier les individus, d’unifier des groupes ou unités hétérogènes dans un « récit commun ». En
conséquence, le tiers-lieu se placerait comme médiateur entre deux sphères que sont la
sphère privée et la sphère professionnelle.

Toujours selon A. Burret, la représentation du « lieu » induit qu’il est multiple est peut prendre
nombre de formes différentes en fonction du contexte. Une particularité qui prend son
importance ici au vu des formes contemporaines revendiquées par certains comme tiers-lieu.
Dans le cas de notre objet de recherche, la distinction entre espaces virtuels et espaces
physiques pose question, interrogeant ainsi la dimension spatiale d’internet (Flavie Ferchaud
et Marc Dumont, 2017)11. La matérialité du lieu comme caractéristique est dans cette définition
volontairement non-excluante afin de laisser place à ces nouvelles considérations.

9 Burret, A. (2018, janvier 12). Tiers-lieux, fablab, hackerspaces. Et plus si affinités. FYP Editions.
https://www.fypeditions.com/tiers-lieux-et-plus-si-affinites/

10 Georg Simmel, (1999), La détermination quantitative du groupe., dans Simmel G.,


Sociologie. Études sur les formes de la socialisation (premi.re édition originale 1908), Paris, PUF,
pp. 81-161.
Extrait de la thèse : Burret, A. (2017). Etude de la configuration en Tiers-Lieu : La repolitisation
11

par le service [Thesis, Lyon]. http://www.theses.fr/2017LYSE2001

8
Cette première définition ne considère pas la manière dont interagissent ces « unités isolées et
distinctes, réunies par et autour d’un récit commun » ni la façon dont le récit se construit en lui-
même. Cette approche considère le lieu comme « limites d’un contenant ordonné, situé et
sensible », ne renseigne pas sur la forme prise par ces lieux ni comment ces derniers sont
organisés et comment ils intègrent les « unités isolées distinctes ».

Afin de s’orienter vers une définition plus institutionnelle12, il est nécessaire de se rapprocher du
sociologue urbain Ray Oldenburg. Initiateur de la notion, il offre une première définition en
1989, dans son ouvrage « The great good place. Cafés, coffee shops, bookstores, bars, hair
salons and other hangouts at the heart of the community »13, de l’idée de « Third place » qui
sera traduite par la suite en français en « Tiers-lieu » ou « troisième lieux ». Bien que les
recherches d’Oldenburg soient rangées du côté de à l’école de Chicago, l’ouvrage en
question n’est fondé sur aucune thèse connue de manière notable, et ne revendique aucun
courant de pensé particulier. Il semble nécessaire d’insister sur le fait que ces travaux
s’inscrivent dans la sociologie urbaine, et que la discipline dans laquelle ma recherche s’inscrit
est la sociologie du travail. Les perspectives évoquées dans son ouvrage seront par
conséquent pensées et analysées sous un autre prisme que celui présenté par Oldenburg.
Selon lui, la dénomination de tiers-lieu induit un nouvel environnement social qui serait à mi-
chemin entre le domicile, « First place » appartenant à la sphère privée et le lieu de travail,
« Second place », étant, lui, réservé à la sphère professionnelle.

Dans son ouvrage de 1989, le tiers-lieu est dépeint selon des caractéristiques bien précises. Tout
d’abord la neutralité, aucun lien de subordination ne lie les deux parties. Il n’y a d’obligation
ni d’un côté ni de l’autre. Le lieu égalise les statuts sociaux, il est propice au développement
d’amitiés. Suit l’ouverture, le tiers-lieu ne laisse pas place à la sélection, chacun peut s’y rendre
librement. Il doit être possible d’y faire des passages sans contrainte, sans avoir à rendre de
compte auprès de qui que ce soit. Il doit être possible d’y faire des rencontres fortuites qui ne
seraient pas envisageables au sein de la sphère professionnelle et familiale. Il n’y a pas de
place pour les discriminations ou bien encore les critères d’adhésions formels. L’auteur fait
également référence à la communication, les conditions se doivent de permettre d’échanger
de la meilleure manière qu’il soit. Les dispositions se doivent de favoriser les échanges et
l’amorçage de conversations. Une facilité de contact qui contribue grandement à

12À savoir, qui s’efforce à dépeindre une réalité plus concrète en s’attardant sur la forme de
structures plus localisées, qui s’inscrivent dans le temps et qui sont régies par des règles.

13 Oldenburg, R. (1989). The Great Good Place: Cafes, Coffee Shops, Bookstores, Bars, Hair
Salons, and Other Hangouts at the Heart of a Community

9
l’instauration d’une démocratie. Oldenburg considère qu’un tiers-lieu se doit d’être
accommodant et accessible, ceci afin qu’il réponde aux différents rythmes de vie, dans
l’idéal, il devrait être ouvert le plus souvent possible voire même en permanence. Il doit être
en mesure de proposer une vie communautaire à tout moment afin de pallier la solitude et
l’ennui de chaque membre de la communauté. Autre caractéristique forte, son noyau dur, la
constitution d’une communauté est essentielle afin de donner une orientation et ainsi créer de
l’attractivité. Les personnes qu’on y retrouve doivent être familières et accueillantes avec pour
objectif de faciliter la création d’un esprit de convivialité et de confiance. Faire profil bas est
également une caractéristique centrale, le tiers-lieu se doit de ne pas paraitre un lieu
extravagant afin de conserver son accessibilité à tous et pour tous. Par conséquent, les
modalités d’utilisation se doivent d’être flexibles pour que chacun y trouve son compte. Ainsi,
il n’y a pas de temporalité précise, chacun est libre de rester le temps qu’il le souhaite. Pour
finir, le tiers-lieu se construit dans le respect d’autrui, pour se faire il est nécessaire de dégager
une ambiance, une atmosphère, qui se veut chaleureuse et amicale. Chacun doit avoir le
sentiment de participer à quelque chose d’unique qui motive à renouveler son expérience.
Cinq points de ressemblance avec le cercle domestique peuvent être identifiés, 1) L’ancrage
physique l’individu au sein de la communauté, 2) La récurrence de la fréquentation qui donne
un sentiment d’appropriation, 3) La sensation de revigoration du lien social, 4) La possibilité
d’être soi-même et s’exprimer librement, 5) l’ambiance et l’atmosphère y sont joviales et
accueillantes.

Cette première définition est adaptée et pensée pour les problématiques d’urbanisation États-
uniennes. Ces troisièmes lieux étaient alors identifiés et pensés dans un cadre de reconstruction
des interactions sociales dans les villes américaines, essentiellement celles en perte de vitesse
économique. Il est intéressant de relever que son ouvrage se place dans un projet politique de
reconstruction de ces lieux qui sont, selon lui, essentiels tant ils ont un rôle à jouer dans la société
civile, la démocratie et l’engagement civique aux États-Unis. Un contexte bien différent de
celui de la France qui est constitué d’un tissu associatif plus fort et d’un territoire moins étendu
avec des lieux d’échanges répartis de façon plus homogène.

On observe ici que l’analyse portée par R. Oldenburg du phénomène est pleinement ancrée
dans la sociologie urbaine et nombre des problématiques qu’il a formulé peuvent être traitées
sous un angle qui questionnerait plus en profondeur les influences du phénomène sur le rapport
au travail. Même si Oldenburg explore le phénomène des tiers-lieux sous un prisme différent
qu’est l’urbanisme, mon travail de recherche se doit de prendre en considération les
observations faites par Oldenburg tant elles ont eu une influence théorique sur l’essor du
mouvement. Néanmoins dans le cadre de la sociologie du travail, nous nous éloignerons de la
nature dépeinte précédemment pour s’appuyer davantage sur le travailleur au sein du tiers-
lieux. Un aspect nullement développé dans les travaux d’Oldenburg puisqu’encore trop peu
présent à l’époque. On peut même aller plus loin en affirmant que les caractéristiques

10
dépeintes par ce dernier rapprochent plus le tiers-lieu de la sphère domestique que
professionnelle. Nous le verrons, cette réalité est aujourd’hui partiellement dépassée au vu de
la banalisation des travailleurs au sein des tiers-lieux.

Il est par conséquent possible de considérer cette définition comme en partie datée,
répondant à un contexte précis qu’est celui des États-Unis des années 80. Ces éléments
avancés par l’œuvre fondatrice d’Oldenburg offrent donc une vision des tiers-lieux qui semble
altérée par le temps et demanderait d’être actualisée. Les caractéristiques établies
concernant les tiers-lieux sont essentiellement utilisées comme des références théoriques mais
peinent à exister dans les structures existantes aujourd’hui. En effet, les changements socio-
économiques de ces trois dernières décennies ont entrainé une reconfiguration du tiers-lieu,
de sa définition et de son appropriation. De nouvelles fonctions et attributions lui sont associées
de fait et nous allons nous attacher à démontrer que le nouveau rôle que prend le tiers-lieu
dans ce contexte.

Une appropriation protéiforme de la notion

Comme rappelé précédemment la sémantique du terme tiers-lieu a fortement évolué ses 30


dernières années. Elle est utilisée pour définir une multitude lieux très différents formant un tout
très hétérogène. Il est possible d’observer que nombre d’organisations qui revendiquent la
notion de tiers-lieu sont considérablement éloignées de la définition originelle qui la
caractérise. Dans ces conditions, et malgré l’utilisation récurrente qu’il est fait de la notion,
nous constatons qu’une bonne partie des acteurs constituants des tiers-lieux n’en
reconnaissent que partiellement les principales caractéristiques. En atteste les témoignages
des travailleurs que j’ai pu interroger dans le cadre de mon travail d’enquête. Leur ayant posé
à chacun la question de la définition d’un tiers-lieu, très peu d’entre eux n’avais de réponses
précises à m’apporter. Nous retrouvons alors des définitions variables et très adapté au
contexte :

« Un seul mot sérendipité » Franck, tiers-lieu #AngersFrenchTech

« Un espace qui regroupe des activités et des gens d’origines différentes mais aillant un
point commun ou une affinité commune. » Karen, tiers-lieu La Gob.

« Ce que je vois quand je suis ici c’est plutôt le fait qu’on rencontre plein de gens qui
ont des métiers, des parcours différents qui utilisent le lieu de manière différente et ce
qui est marrant finalement c’est d’être tous retrouvés dans ce même lieu et d’avoir des

11
discussions totalement différentes que d’être juste dans un lieu dédié à quelque chose
spécifique. » Flavien, tiers-lieu Le 122

« L’avantage d’un tiers-lieu, c’est qu’on a des personnes très différentes avec plein de
connaissances qui se croisent et qui ont pour la plupart une très grande ouverture
d’esprit, une envie de partage. Et c’est comme ça que je définirais un tiers-lieu. » Martin,
tiers-lieu Le 122

« Ah c’est la grosse question piège ça (rire), […] C’est compliqué parce que pour moi
le tiers-lieu c’est un mot fourre-tout pour mettre une case mais comme tu l’as dit il y a
une diversité dans les tiers-lieux. Je pense qu’on peut définir le tiers lieu comme un
espace où des personnes morales ou physique se regroupent pour différentes raisons
que ce soit commerciales, professionnelles, culturelles. Mais pour moi un tiers-lieu ça
veut rien dire. » Martin, tiers-lieu La Gob.

Ces définitions se rejoignent tout de même sur le fait de partager et des rencontrer de nouvelles
personnes au quotidien. Néanmoins elles restent parcellaires et centrées sur des expériences
individuelles.

La définition sociologique du tiers-lieu peine donc à être maitrisée tant son emploi fait face à
des réalités multiples. Pour cause, son appropriation s’inscrit en « miroir d’un référentiel »14 (Tiers-
lieu, 2017), qui facilite les diverses appropriations. En effet, avant de pouvoir définir ce qu’est
un tiers-lieu il est plus facile d’énoncer ce qu’il n’est pas. Son inscription dans un entre-deux 15
qui incite les différents acteurs qui l’investissent à prendre les libertés quant à la configuration
qu’ils en font et ainsi renforce le flou autour de l’appropriation de la notion.

Ce qui rend d’autant plus délicat le traitement des tiers-lieux tient dans la subjectivité de sa
définition. Les critères établis par Oldenburg comme l’ambiance et le « Home away from
home »16 sont bien souvent intangibles et variables d’une appréciation à une autre (Tiers-
lieux.be, 2010). Ce sont en grande partie ces conditions qui ont participé à l’éclosion d’un
phénomène des tiers-lieux très hétérogène et qui demeure à ce jour sans référentiel commun.

14Tiers-lieu : Enquête sur un objet encore bien flou (1/2). (s. d.). Makery. Consulté 17 août 2020,
à l’adresse https://www.makery.info/2017/10/10/tiers-lieu-enquete-sur-un-objet-encore-bien-
flou-12/

15 Entre la sphère familiale et professionnelle

16 « Une maison loin de chez soi »

12
Devant la nécessité de rendre compte au mieux de ce que les tiers-lieux sont réellement
aujourd’hui, certains auteurs ont élargi la définition en proposant des critères plus souples,
rendant plus large et inclusive la notion de tiers-lieu. Ceci étant un moyen également
d’appliquer plus aisément ce concept à des circonstances et pays différents. Selon ces
nouveaux critères le tiers-lieu pourrait se constituer uniquement des concepts de neutralité, de
libre accès ainsi que le devoir d’être propice aux rencontres et aux échanges (Genoud &
Moeckli, 2010)17. On y ajoute également la fréquentation de mêmes usagers (Gershenfeld,
2005)18, s’apparentant au noyau dur que décrivait Oldenburg. En conclusion, les tiers-lieux sont
de plus en plus définis par leur capacité à voir le savoir ou la fabrication qui en résulte perdurer
dans le temps que ce soit après la fermeture du lieu ou la fin d’une collaboration. C’est ce
dernier point qui permet la distinction entre les lieux simplement ouverts au public et les
troisièmes lieux (Liefooghe, 2018)19. Une caractéristique d’autant plus importante dans le cadre
de cette recherche étant donné qu’elle introduit l’idée de production au sein des tiers-lieux et
par extension de potentiels travailleurs.

La définition la plus contemporaine et qui se veut très empirique est celle élaborée par
Movilab. Une structure qui se revendique comme « un capital informationnel commun de tiers-
lieux au service des communautés qui l’utilisent, l’étudient, le modifient et l’essaiment » ou
encore un « Laboratoire de mode de vie durable »20. Cet espace numérique collaboratif est
en libre contribution et permet à tout un chacun d’apporter de la ressource sur la thématique
des tiers-lieux. Néanmoins, ses influences sont multiples, en effet, cette initiative est la résultante
d’un appel à projet issu du Ministère de l’Écologie, du Développement et de l’Énergie en 2010.
L’objectif étant l’émergence de « recherches pluridisciplinaires sur l’accompagnement au
changement vers des modes de vie et de consommation durables ». Les principaux acteurs à
son origine, ayant remportés l’appel projet, sont l’école de commerce Skema Business School
et la fondation POC (Fondation militante pour les communs). On y retrouve dans les
contributeurs réguliers des personnes ayant créé des tiers-lieux, des chargés de mission au sein
de tiers-lieu ou encore des acteurs du milieu coopératif. En parcourant les différents contenus,

17 Genoud, P., & Moeckli, A. (2010). Espaces d’émergence de créativité. REVUE ECONOMIQUE
ET SOCIALE, 9.

18 Gershenfeld, N. A. (2005). Fab : The Coming Revolution on Your Desktop--from Personal


Computers to Personal Fabrication. Basic Books.

19 Liefooghe, C. (2018). Le tiers-lieu, objet transitionnel pour un monde en transformation.


L’Observatoire, N° 52(2), 9-11. (s. d.). Cairn.info. Consulté 20 janvier 2020, à l’adresse
https://www-cairn-info.srvext.uco.fr/revue-l-observatoire-2018-2.htm

20 https://movilab.org/wiki/C%E2%80%99est_quoi_Movilab_%3F

13
il est possible de rapidement se rendre compte du message politique véhiculé au-delà de la
notion de tiers-lieu. Ce « collectif », place le tiers-lieu au centre de deux mouvements plus
globaux que serait le développement durable et le monde du libre au sens de l’open source.
Néanmoins cette définition trouve sa légitimité du fait de son caractère empirique ayant été
élaboré en collaboration avec des acteurs évoluant au sein des tiers-lieux :

« Le « Tiers Lieux » est une « configuration sociale » qui se matérialise le plus souvent par
un « lieu physique et/ou numérique » dans lequel est activé par l’action du
« Concierge* » un « processus singulier » qui va permettre à des « personnes venues
d’univers différents », voire contradictoires, de se rencontrer, se parler et créer ainsi un
« 3ème langage » leur permettant de construire des projets (en) « communs ».

*Concierge est un « rôle tournant » qui s’articule autour de « postures » comme la


veilleuse, le jardinier, le facteur, le scrib… »

Une définition plus ouverte et qui correspond davantage à l’usage qu’il est fait de la notion
aujourd’hui. Afin de compléter ce tableau, certains sociologues ont pris le temps de dresser
une typologie des différents composites afin d’appréhender au mieux le phénomène. Mon
travail de recherche se base sur celle de R. Besson qui propose une classification en cinq sous
parties et permet d’éclairer simplement les différents types d’organisation.

Dans un premier temps le tiers-lieu d’activités se caractérise par son espace de travail partagé
destiné aux télétravailleurs et aux indépendants. Il anime également un réseau de travailleurs
et ceci en fait un lieu de collaboration. Ces espaces de coworking encouragent une « ubiquité
informationnelle » dans laquelle les travailleurs trouvent des liens de sociabilité et de
collaboration forts (Moriset, 2016). À la différence des espaces de travail partagés traditionnels
tels que les télécentres ou encore les opens spaces, ce tiers-lieu intègre deux singularités qui lui
sont propres. Premièrement, la présence de collaborations entre les membres issues de
l’animation du lieu. Dans un second temps, la génération d’innovation par le biais de ces
collaborations. (Besson, 2015)

Le tiers-lieu d’innovation est ensuite identifié au travers d’espaces regroupant une grande
diversité d’acteurs (académiques, professionnels etc.) utilisant ainsi le lieu pour y faire des
rencontres fortuites incitant l’intelligence collective et la créativité. Ces tiers-lieux sont conçus
dans une logique de pluridisciplinarité et de complémentarité propice au partage de
connaissance, au prototypage et à l’expérimentation. Les grands représentants de ce sous
ensemble sont essentiellement les fab labs ou les living labs. (Besson, 2015)

Nous trouvons ensuite le tiers-lieu culturel, il est souvent déployé sur des friches culturelles, des
bibliothèques ou encore des centres de culture scientifiques. L’enjeu ici est de stimuler

14
l’innovation et de créer un lien d’attractivité avec son public. Cela passe par repenser son
mode de gestion et la configuration en tiers-lieu semble répondre en partie à ces nouvelles
attentes. Cela se traduit par l’assimilation d’un mode de travail collaboratif et ouvert propice
à la diffusion du savoir et de la culture. (Besson, 2015)

Se distingue également le tiers lieu social, ce dernier sert un dessein social s’articulant bien
souvent autour de problématiques sociétales, de la participation citoyenne ou encore de
l’entrepreneuriat social. Les acteurs qu’on y retrouve sont bien souvent ceux de l’ESS
(Économie Sociale et Solidaire) et de l’économie collaborative. (Besson, 2015)

Enfin, se dégage le tiers lieu de service et d’innovation publique. Pour la plupart se sont des
projets qui naissent sous l’impulsion d’une collectivité territoriale. On peut compter parmi eux
les Maisons de Services au Public, les conciergeries solidaires et certains commerces
multiservices. S’y ajoute les laboratoires d’innovation publique qui sont eux majoritairement
implémentés par l’État, l’objectifs de ces structures visent particulièrement la transformation de
l’action publique. (Besson, 2015)

Compte tenu de ces considérations, nous pouvons affirmer que la notion de tiers lieu a
beaucoup évoluée depuis sa création. Ses appropriations sont multiples et les enjeux sont
désormais radicalement différentes de ce qu’ils ont pu être à la fin du XXème siècle. En effet,
initialement issue de la sociologie urbaine la notion a été pensée hors du prisme du travail si ce
n’est pour trouver un équilibre entre le cercle professionnel et domestique. À fortiori, Oldenburg
essaie de s’en détacher et place le tiers-lieu au plus proche de la sphère domestique. Il met
l’accent sur l’idée d’un lieu convivial, d’échange ou encore lui trouve une place dans la
participation démocratique sans jamais identifier de travailleurs en son sein. Néanmoins, nous
observons que les différentes appropriations du tiers-lieu et les changements socio-
économiques ont mené à la redéfinition de la notion tant le travail est aujourd’hui une
composante structurante du phénomène. Comme observé, Liefooghe apporte l’idée de
production en définissant qu’un tiers-lieu doit voir résulter de son utilisation un savoir ou encore
une fabrication. Le Movilab, lui, met en avant le développement d’un « troisième langage »
dans le but de construire des projets en communs. Besson va même plus loin en adossant le
tiers-lieu aux termes d’activité et d’innovation et en insistant sur les caractères créatifs et
collaboratifs qui sont selon lui inhérents à l’existence de telles structures. L’ensemble de ces
définitions incitent à interroger l’influence que peut avoir la configuration en tiers-lieu pour le
travailleur et comment cela transforme ses pratiques.

15
Nous pourrions poser comme hypothèse que l’intégration21 durable des tiers-lieux par les
travailleurs renvoi à une transformation plus en profondeur de l’organisation du travail en
France ces 30 dernières années. A partir de cette hypothèse, nous sommes amenés à nous
intéresser à la relation d’influence qu’a le tiers-lieu sur le travailleur et les répercussions que cela
peut avoir sur les pratiques et les conditions de travail.

Méthodologie

Appréhender les tiers-lieux dans leur ensemble est complexe c’est pourquoi la méthodologie
utilisée pour l’enquête de terrain portera sur un échantillon réduit de 3 tiers-lieux évoluant dans
des secteurs d’activité bien distincts. L’objectif étant d’avoir une vision globale qui mettra bien
en évidence les divergences et convergences entre les différents terrains d’enquêtes.
L’ensemble des structures étudiées seront dans un périmètre restreint à la région de d’Angers
et ses environs afin de mettre en perspectives l’ancrage territorial de ces différents lieux.

Ces terrains d’enquête vont donc être abordés sous le prisme de leurs usagers et
particulièrement des professionnels qui les composent. Le territoire présente plusieurs lieux
d’étude pertinents qui ont pour singularité d’être tous relativement jeunes. Ce paramètre
s’explique par l’éclosion d’un environnement propice dû à l’attraction croissante de la
métropole d’Angers pour ce phénomène. Un investissement apportant de nouvelles sources
de financement, permettant ainsi la concrétisation de projets qui était jusqu’à présent difficile
à concrétiser. Cette singularité est à prendre en compte dans l’analyse des matériaux aux vues
du peu de recul qu’il est possible d’avoir sur les pratiques et les modèles de ces tiers-lieux.

Afin de pouvoir dresser un état des lieux des motivations, profils et usages que sont les
professionnels de ces tiers-lieux, la récolte des matériaux se fera par entretiens semi-directifs.
Ce sont donc 4 personnes par tiers-lieu qui ont été interrogées avec à chaque fois la volonté
d’avoir une représentativité fidèle de chaque terrain. L’entrée dans ces terrains s’est faite par
le biais de la personne en charge de l’animation des lieux. Une opportunité facilitant l’accès
aux travailleurs car ils connaissent parfaitement les rouages du tiers-lieu et peuvent m’introduire
aisément aux différents membres. De plus, cela me permet également de pouvoir sélectionner
des profils variés qui me permettront de dépeindre l’entièreté du lieu tout en évitant une
quelconque omission.

Au sens de Durkheim dans son ouvrage : De la division du travail social. Il définit l’intégration de la
21

manière suivante : « agrégat d’individus se réunissant pour former un tout, faire société. Les individus
doivent partager des normes et des valeurs communes pour pouvoir vivre ensemble. »

16
Pour représenter au mieux la diversité des tiers-lieux sur le territoire j’ai choisi des structures avec
des domaines de spécialisation clés, qui sont des composants forts du mouvement : le
numérique, la culture et la ruralité.

Dans un premier temps je me suis rapproché d’#AngersFrenchTech, un tiers-lieu en centre-ville


d’Angers, spécialisé sur la thématique des nouvelles technologies, du digital et de l’IoT (Internet
of Things/ Objets connectés). C’est dans le prolongement de l’obtention du label « French
Tech » par la métropole qu’est né la coopérative #AngersFrenchTech, elle-même, en 2018, a
créé son tiers-lieu. Un espace qui s’étend sur 1600 m2 et qui se constitue à ce jour d’une
quarantaine de professionnels. Cet espace se revendique stimulateur d’innovations et
créateur d’un réseau fort autour des nouvelles technologies sur son territoire.

Ensuite, je suis entré en contact avec le tiers-lieu « Le 122 » qui lui se situe également à Angers
mais en QPV22. Il a une approche pédagogique de la culture et lance officiellement au grand
public son lieu à la fin du mois de janvier 2020. Il se compose d’une scène où ont lieu des
représentations artistiques en tout genre. Les travailleurs composant cet espace évoluent tous
dans le secteur culturel. Pour la plupart ils ont des professions qui s’articulent autour de
l’accompagnement artistique comme des bookeurs, des graphistes, des monteurs vidéo etc.
Le tiers-lieu « Le 122 » est initialement une association qui existait depuis 2009 et se dénommait
Paï PaÏ et qui par souci de développement et d’orientation de son projet a ressenti la nécessité
de créer un tiers-lieu pour faire la promotion de la culture à Angers. Il a pour caractéristique
d’avoir un business model hybride basé sur des financements publics et des prestations
pédagogiques assurées par les travailleurs du lieu. Sa mission est plus d’intérêt général et
bénéficie d’une délégation de pouvoir public.

Enfin, La Gob est tiers-lieu situé à Bressuire, commune de 19 000 habitants, et à la frontière entre
une zone péri-urbaine et rurale. Ce dernier a pour particularité d’héberger, entre autres, des
ateliers d’artisans. Ce lieu est empreint d’une forte idéologie autour de la décroissance et
l’écologie, on y retrouve aussi l’idée de faire soi-même. Une démarche participative qui se
matérialise par la construction du lieu qui est réalisée uniquement par les membres du tiers-lieu.
Cette organisation héberge une vingtaine de personnes qui varient entre des artisans, des
indépendants et des salariés délégués.

Cette recherche d’articulera donc de la manière suivante :

Dans une première partie, nous identifierons quelles sont ces conditions socio-économiques
qui ont permis au travail de se développer au sein des tiers-lieux. Nous nous appliquerons dans

22 Quartier Prioritaire de la Ville

17
cette première partie à décrire le processus de professionnalisation du tiers-lieu qui s’opère
depuis déjà une vingtaine d’année. Après avoir identifié ce premier cadre régissant le travail
au sein des tiers-lieux, nous nous intéresserons aux grandes transformations de l’organisation du
travail qui font suite au capitalisme industriel. Nous verrons alors comment ces différentes
mutations ont permis de développer un contexte favorable à l’essor de ces nouveaux lieux de
travail. Afin de compléter cette première analyse nous nous intéresserons à la digitalisation du
travail qui a grandement participée au développement du travail nomade et par conséquent
à l’investissement des tiers-lieux par les travailleurs, qu’ils soient salariés ou indépendants. Pour
finir, nous analyserons comment se traduit la montée de l’économie collaborative et les
répercussions que cela peut avoir sur les travailleurs qui constituent les tiers-lieux.

Dans une deuxième partie, nous nous attarderons à présenter le terrain d’enquête de cette
étude qui se constitue de 3 tiers-lieux spécifiques. Tout d’abord, nous commencerons par faire
un état des lieux des tiers-lieux en France (formes, implantation etc.), puis nous nous
concentrerons plus spécifiquement sur les tiers-lieux choisis dans le cadre de cette recherche.
Il s’agira de comprendre la genèse de ces lieux, leurs spécificités, leur ancrage territorial et les
figures emblématiques qui le composent. Une partie qui a pour vocation de contextualiser
l’analyse du matériau récolté basée sur des entretiens semi directifs de travailleurs au sein de
ces lieux.

Enfin, la troisième partie de cette étude analysera le rapport au travail qu’ont les individus
enquêtés ainsi que leur perception de l’organisation du travail dans laquelle ils évoluent. Ce
sont les pratiques qui rythment le travail au sein des tiers-lieux étudiés qui seront mises en lumière
dans le but de comprendre leur singularité. Une manière de mettre en perspective les discours
théoriques présentés et la réalité observée.

Chapitre 1 : Le travail, une notion de plus en plus


prégnante au sein des tiers-lieux

Après avoir constaté l’évolution de la notion et les différentes configurations que peut prendre
le tiers-lieu, nous pouvons affirmer que la conception contemporaine du phénomène est
grandement associée au travailleur. En effet, qu’ils soient usagers ou animateurs de ces
espaces, les acteurs qui composent les tiers-lieux sont pleinement insérés dans une démarche
de développement d’activités économiques. L’objet de ce chapitre est de rendre compte
des différents facteurs qui ont conduit à une nouvelle organisation du travail et qui, par la
même occasion, ont rendu possible l’éclosion de travailleurs au sein des tiers-lieux. Nous verrons
alors comment les conditions socio-économiques de ces vingt dernières années ont amené à

18
une transformation des enjeux qui accompagnent les tiers-lieux. Il est possible de poser
l’hypothèse selon laquelle l’appropriation des tiers-lieux par les travailleurs est en partie le reflet
des différentes évolutions de l’organisation du travail. Il s’agira alors de constater le lien entre
les tiers-lieux et les différents changements dans l’organisation du travail. Tout d’abord, cette
partie s’attachera à dépeindre le processus de professionnalisation comme un première
élément structurant du travail au sein des tiers-lieux. Par la suite, nous mettrons en perspectives
les grandes mutations de l’organisation du travail de ces 3 dernières décennies avec les
l’intégration du travailleur au sein du tiers-lieu. Il sera ensuite question de démontrer l’influence
de la digitalisation du travail et comment elle a rendu possible le travail nomade favorisant
l’investissent des tiers-lieux par les travailleurs. Pour finir, le développement de l’économie
collaborative sera traité afin de comprendre dans quelle mesure elle a transformé en
profondeur les pratiques professionnelles et a fait du tiers-lieu un espace idéal pour son
développement.

1. Apparition du travailleur au sein du tiers-lieu, le fruit


d’une professionnalisation progressive

La professionnalisation des tiers-lieux amène à de nouvelles considérations qui modifient


l’appropriation de ces espaces par les travailleurs. En effet, ce nouveau paradigme influence
les normes, les pratiques et l’organisation même au sein du tiers-lieu. Afin de comprendre au
mieux ce phénomène de professionnalisation il est nécessaire de se rapprocher de D.
Demazière23 (Demazière, 2009) qui y a consacré une partie de ses travaux. Selon lui, la
professionnalisation est une notion flottante qui prend la forme d’un processus inachevé et
inaccomplie. Cette dernière tend vers une « perspective idéale » qui dans la grande majorité
des cas fait face à des obstacles ralentissant la progression vers cet objectif. Afin de saisir au
mieux la notion de professionnalisation, Demazière la décline en trois sous-catégories. Dans le
cas des tiers-lieux il est pertinent de s’attarder sur chacune d’entre-elles et d’observer en quoi
le phénomène répond aux critères décrits par le sociologue.

1.1 Une catégorie politique et administrative

Dans un premier temps, il est possible d’aborder la professionnalisation en la considérant


comme une catégorie politique et administrative. Ce cadre d’analyse considère que la notion

23 Demazière, D. (2009). Postface. Professionnalisations problématiques et problématiques de


la professionnalisation. Formation emploi. Revue française de sciences sociales, 108, 83‑90.

19
se caractérise par la création d’activités nouvelles qui ont prouvé leur utilité et leur solvabilité,
et qui à terme se transforment en emplois. Il est donc possible d’assimiler le secteur à des
métiers et constitue un marché où se rencontrent la demande et des services ou des produits.
Cet aspect de la professionnalisation se caractérise par la forte promotion faite par les pouvoirs
publics qui cherchent à soutenir le développement de l’emploi et créer des « gisements
d’emplois ». Dans ce cadre et toujours en ayant pour finalité la création d’emploi, l’action
publique s’attache développer des formations professionnelles afin de renforcer de
développement d’un marché. Le cas des tiers-lieux voit sa singularité dans son modèle qui
navigue entre la sphère publique et la sphère privée (Genoud 2010), une caractéristique qui
rend complexe la pérennisation et la formalisation de son activité. En effet, son évolution tend
à intégrer de plus en plus la variable économique et à marchandiser un concept initialement
pensé comme hors de la sphère professionnelle. Désormais, les tiers-lieux sont des entités
juridiques, bien souvent des associations ou des coopératives à part entière qui sont
pourvoyeurs de salariés. S’ajoute à cela, le processus de professionnalisation des tiers-lieux
incarné réellement par l’intérêt croissant porté par les pouvoirs publics, plus précisément les
collectivités territoriales. En effet, ces dernières ont identifié le phénomène comme une
opportunité de redynamisation des territoires et positionnent les tiers-lieux comme des
« animateurs des territoires ». Ce nouvel écosystème place les tiers-lieux comme des
organisations d’utilité publiques pouvant répondre au désengagement de l’État sur les
questions de l’emploi et par extension de l’attractivité économique de chacun des territoires.
C’est dans ce contexte de raréfaction de la ressource publique et de décentralisation que les
collectivités territoriales se voient dans l’obligation de repenser le pilotage de l’action publique
au niveau des territoires et de mobiliser de nouveaux acteurs. Cette rationalisation de l’action
publique entraine dans le même temps un besoin de renouvellement des fonctions qui étaient
auparavant incombées aux collectivités territoriales. Cette nouvelle configuration
d’intervention des collectivités a incité les pouvoirs publics à investir les initiatives de tiers-lieux
et d’en faire fortement la promotion. De nombreux dispositifs voient donc le jour dans l’optique
d’appuyer le développement des tiers-lieux partout en France et ainsi créer des gisement
s’emplois durables au cœur des territoires. Il est observable que la place des élus et de leur
administration se veut de plus en plus structurante, d’autant plus qu’elle prend le rôle de
facilitateur de création et de développement pour les tiers-lieux. Ces derniers sont en mesure
d’apporter des soutiens de diverses natures qui vont de la notoriété à la mise à disposition d’un
local en passant pour une aide au financement (Subventions, prêts d’honneur etc.). L’exemple
le plus illustrateur est la création du label « Fabrique des territoires » par les Ministère de la
Cohésion des Territoires et des Relation avec les Collectivités Territoriales (Communiqué de

20
presse, 2020)24. Une dénomination qui s’imbrique au sein d’un AMI (Appel à Manifestation
d’Intérêt) qui vise à encourager la dynamique des tiers-lieux dans les territoires. Une manne de
fonds public à hauteur de 45 millions d’euros dédiée au soutien à la création de tiers-lieux ou
à leur développement. Une labellisation qu’il est possible d’apparenter à un facteur fort de
professionnalisation mis en place par les pouvoirs publics. En effet, cet outil permet de guider
le mouvement, proposer sa vision, et définir les critères précis qui font tiers-lieu. Cette
labellisation ouvre la porte à des subventions d’amorçage et d’investissement, la mise à
disposition de fonds propres, de locaux vacants et surtout l’accès à l’accès à des outils
communs. Ces outils permettent la création d’une base de ressources communes et instaurent
des normes pour l’ensemble du marché.

Par ailleurs, la Fondation « Travailler Autrement » a produit en 2018 un rapport intitulé « Faire
ensemble pour mieux vivre ensemble » qui dresse un panorama des tiers-lieux en France et met
en avant les opportunités qu’ils représentent en termes de création d’emploi et transformation
de l’organisation du travail. La fondation, initiée par des organismes syndicaux de cadre
comme la CFDT Cadres et l’UGICT CGT Cadres, répond à une commande qui émane
directement de Commissariat Général à l’Égalité des Territoires (CGET). Une preuve encore de
la volonté des acteurs publiques de s’emparer du phénomène et de le développer. Le rapport
en question soumet également à proposition la création d’une « académie des tiers-lieux »
dans le but de créer des savoir-faire communs à l’ensemble des acteurs. Un pas de plus vers
la transformation des activités issues des tiers-lieux en emplois. Nous retrouvons ici ce que
Demazière avance quand il évoque la promotion de formations professionnelles pour
pérenniser un marché encore en structuration.

Ce poids croissant des pouvoirs publics façonne le mouvement et dans le même temps les
métiers qui le composent. Pour les professionnels gestionnaires des tiers-lieux, il est alors question
de s’accaparer le nouveau mode d’intervention des pouvoirs publics dans le but de saisir les
opportunités qui se présentent face à lui. Cette complexe gestion publique des territoires
génère des enjeux de coordinations qui s’accompagnent d’instrument et instaurent de
nouvelles normes de travail (P. Lascoumes et Le Galès, 2004). Une perspective nouvelle pour
ces métiers et qui demande de maîtriser les notions d’appel à projet, d’indicateurs de
performance ou encore de dispositif. Sans le développement de telles compétences, il est
difficile pour les tiers-lieux de tendre vers une pérennisation de leur activité tant les relations
avec les pouvoirs locaux sont des facteurs de succès importants. Ces instruments se présentent

24 Communiqué de presse. (2020). 80 fabriques de territoire et fabriques numériques de territoire


lauréates. https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/80-fabriques-de-territoire-et-fabriques-
numeriques-de-territoire-laureates

21
comme des interfaces de traduction (M. Caillon) entre l’action publique et le domaine
d’action des tiers-lieux.

Pour prendre l’exemple d’#AngersFrenchTech, nous constatons que la relation avec les
collectivités et la ville est très forte. Une configuration qui a amené à une contractualisation
avec Angers Loire Métropole. Le tiers-lieu répond donc à un mandat de gestion d’intérêt
général et doit être en mesure de répondre au cahier des charges proposé par les pouvoirs
publics :

« On est en délégation de service publique sur une partie de nos activités donc
l’animation de l’écosystème c’est une compétence que Angers Loire métropole nous
a relégué sous la forme d’un contrat qui est en fait un mandat de gestion d’intérêt
général, contrat SIEG, qui est l’équivalent d’une délégation de service publique grosso
modo mais à côté duquel on a des activités chez nous en tant que start-up, on est une
coopérative donc on a aussi des activités annexes. » Mathieu, animateur
d’#AngersFrenchTech

Même si le tiers-lieu est présenté comme une activité annexe de la coopérative les connexions
sont très fortes et toujours sous l’injonction des pouvoirs publics :

« Il y a un business model du coup voilà, je te parlais des aspects innovations


accélérations international aussi puisque Corine (Co-fondatrice du lieu) elle travaille sur
cette partie-là on propose des délégations à l’internationale, on a 5 actions véritables,
une, l’animation d’écosystème qui est vraiment au profit du territoire puisque sous
mandat d’intérêt général. Le lien avec le politique est fort puisque qu’on travaille de
manière très étroite avec la CCI, Aldev avec le bureau/cabinet du maire parce que
c’est lui qui fixe le cap sur le territoire donc on lui doit des comptes, on leurs doit des
comptes à tous. Nous on est apolitique mais sous délégation de service publique donc
on reçoit autorité du maire. Ce qui est logique. » Mathieu, animateur
d’#AngersFrenchTech.

1.2 Une catégorie gestionnaire et managériale

Par la suite, la professionnalisation peut être traitée en s’inscrivant dans une catégorie
gestionnaire ou managériale. Cette dernière se rapporte aux exigences et injonctions
émanant de personnes qui sont en position d’exercer un contrôle sur le travail des producteurs.
Par conséquent elle ne se réfère pas à l’emploi ou l’activité mais concrètement au résultat et
produit du travail. Cette catégorie s’applique à de nombreuses situations mais est
principalement mobilisée dans le cadre du salariat où la relation de subordination est la plus

22
évidente. Néanmoins la hiérarchie n’est pas la seule à être en mesure de formuler des
injonctions à la professionnalisation, il est fréquent que les usagers fassent valoir leurs exigences.

Les entreprises sont de plus en plus dans la nécessité de s’ouvrir à de nouveaux modes de
travail, de coopération et de production que lui impose le marché actuel. En effet, nous
verrons que les relations salariales évoluent et incitent les entreprises à repenser leur mode de
management pour considérer de nouvelles conditions de travail pour ses employés. De plus,
le rapport des entreprises au territoire est de plus en plus interrogé ce qui les engage dans une
forme d’utilité collective qui se traduit par une nouvelle implication économique et sociale sur
leur territoire. Un rapport entreprise-territoire encore jeune et qui tend à se développer au
travers de nouvelles formes d’implications comme la relocalisation d’une partie de la chaine
de valeur et l’importance attachée aux services de proximités. Dans une logique plus néo-
libérale, les entreprises sont à la recherche d’une innovation plus performante et d’une
augmentation de la créativité de leurs salariés25 (Guenoud et Moeckli, 2010). Un ensemble de
facteurs qui pousse les entreprises à se rapprocher d’entités comme les tiers-lieux qui sont
désormais identifiés comme potentiels « catalyseurs de productivité ».

C’est ce point précis que Franck DG de la filiale Parade du groupe Eram nous fait savoir. Il a
installé le pôle innovation qui cherche à développer une chaussure de sécurité connecté dans
le tiers-lieu #AngersFrenchTech pour la raison que l’organisation du travail proposé
classiquement ne lui permet pas d’être assez attractif pour attirer des ressources humaines dont
il a besoin :

« L’enjeu pour nous c’est d’attirer à nous les talents qui vont développer nos produits
connectés. Le problème c’est qu’aujourd’hui c’est des profils très recherchés qui
demandent des conditions de travail bien précises. Par exemple l’idée d’aller travailler
dans un siège social qui est à 40 mins d’Angers c’est niet pour eux. En plus, nous on a
aucun intérêt à les mettre dans un siège social à côté des fonction régaliennes comme
la compta, la finance et les RH par exemple. Donc pour les attirer et leur proposer un
environnement de travail stimulant les mettre à #AngersFrenchTech faisait
complétement sens pour nous » Franck, #AngersFrenchTech

Par conséquent et indirectement, les entreprises qui sont ici des usagers voire des
consommateurs des tiers-lieux sont en mesure de formuler des injonctions vis-à-vis des
travailleurs des tiers-lieux. Étant désormais dans un système de marché les tiers-lieux sont de
plus en plus nombreux à développer des propositions de services afin d’être le plus attractif

Genoud, P., & Moeckli, A. (2010). Espaces d’émergence de créativité. REVUE


25

ECONOMIQUE ET SOCIALE, 9.

23
possible vis-à-vis des usagers. Il ne faut pas oublier que le tiers-lieu doit théoriquement se mettre
au service de sa communauté ce qui lui confère un pouvoir sur l’organisation de travail en son
sein. C’est donc toujours dans l’optique de développer un modèle économique viable que les
tiers-lieux mettent en place des gammes de services dédiés. Pour la plupart ceci vise à créer
un environnement de travail spécifique à chaque tiers-lieu. Plus largement, que les usagers
soient des indépendants ou des entreprises, cette monétisation des tiers-lieux les place comme
un outil d’optimisation de la productivité et redessine la relation entre le capital et le travail. Le
plus couramment, les services à forte valeur ajoutée sont de l’ordre de l’infrastructure comme
les espaces de travail partagés (co-working), les salles de réunions, les espace de créativité,
une connexion très haut débit et un accès en libre-service. Néanmoins, bien souvent se
greffent des activités d’ordre plus intangible comme les offres d’animation en termes de
partages de connaissances, et de réflexions collectives, un pan de l’activité des tiers-lieux qui
se traduit souvent par l’organisation d’événements et de formations.

L’exercice de ce contrôle et de cette injonction sur le travail se traduit par un système


d’administration qui intègre les travailleurs. Si la configuration sociale du tiers-lieu repose sur la
communauté qu’il anime, il n’en reste pas moins que sa structuration est un enjeu central. À
ses débuts la notion de tiers-lieu ne considérait que rarement le pilotage de ses activités qui
étaient perçues comme informelles dans la majeure partie des cas. Néanmoins, l’intérêt des
pouvoirs publics et entreprises grandissant a encouragé la formalisation des structures afin
d’optimiser l’action des tiers-lieux. La question se pose alors de l’autonomie, une
caractéristique essentielle pour assurer un service fidèle aux besoins de sa communauté et qui
définit clairement la configuration d’un tiers-lieu. L’investissement de ces nouveaux acteurs est
nécessaire, néanmoins il est important de trouver un équilibre afin d’assurer la bonne conduite
de la mission du tiers-lieu et ne pas émettre des injonctions au travail unilatéralement. Pour que
la dynamique communautaire soit préservée, une grande majorité de tiers-lieux se sont
orientés vers des systèmes de gouvernance inclusive et démocratique. Pour servir ce but, les
formes juridiques sont des outils efficaces, par exemple, comme énoncé précédemment, le
secteur de l’ESS offre des opportunités avec des statuts associatifs ou encore coopératifs
(SCOP, SCIC, CAE) qui sont monnaie courante au sein du mouvement. Ils permettent ainsi une
intégration des parties-prenantes de tous bords incluant à la prise de décision aussi bien les
usagers, les travailleurs, que les acteurs externes comme les pouvoirs publics par exemple. Il est
observé que les projets de tiers-lieux sont bien souvent portés par une dynamique
entrepreneuriale qui place les collectivités et les entreprises comme des acteurs
d’accompagnement et de soutien. Une perspective d’investissement qui entraine parfois à
des jeux de pouvoirs et qui demande le développement de compétences spécifiques pour
les gestionnaires de ces lieux.

24
Dans le cas de mes terrains d’enquête nous observons que tous sont basés sur des structures
associatives ou coopératives qui assurent la gestion du lieu. De surcroit dans deux d’entre eux
nous notons la présence d’acteurs publics. Pour #AngersFrenchTech il y a un « comité
d’orientation » où l’on retrouve Angers Loire Métropole et les Chambre de Commerce et de
l’Industrie. Ces deux acteurs ont également souscrit à des parts sociales dans la coopérative
et ont donc un droit de regard sur les actions menées par la coopérative ainsi que le tiers-lieu
par extension. Le 122, dont la gestion est administrée par l’association Paï Paï a son CA
composé entre autres de membre de la mairie d’Angers. Une présence légitime étant donné
que c’est la ville qui leur a mis à disposition leur local. Néanmoins, ces deux configurations
limitent en partie l’autonomie que peuvent avoir ces tiers-lieux vis-à-vis des acteurs publics du
territoire. À l’inverse, La Gob a volontairement exclu les pouvoir publics de sa gouvernance
garder le plus de marge de manœuvre possible dans ses actions. Une organisation qui entraine
d’autres considérations comme la mise en place d’un modèle économique viable qui peut se
passer de ressources publiques pour se développer.

Au-delà de ces exemples, se traduit une diversité des modèles de développement présentés
une part croissante de la dimension économique. Si les tiers-lieux oscillent entre le modèle
marchant privé et le modèle public gratuit il est claire que la tendance est à l’hybridation de
ces deux configurations. Une configuration nouvelle qui est au cœur de la relation entre le
développement du travail et des tiers-lieux. En effet, les influences sont désormais marquées
d’un côté par une dépendance à une économie de marché dans sa relation aux entreprises
et au indépendants ; de l’autre l’imbrication des pouvoirs publics dans le modèle de
développement des structures leur donne un droit de regard sur les activités menées en leur
sein. De nouveaux paramètres qui vont transparaitre dans l’organisation même du travail, les
pratiques et les différents niveaux de collaboration. Le phénomène observé étant relativement
nouveau, les acteurs sont encore dans une phase de recherche et d’adaptation. Ces modèles
économiques interrogent néanmoins sur le niveau, le type d’intervention ainsi que la
dépendance à ces nouveaux acteurs. La place des financements publics devient une
variable centrale qui rend vulnérable des tiers-lieux étant à la merci de l’émission ou non de
subvention par exemple. De plus, les tiers-lieux légitiment leurs actions et leur accès aux fonds
publics par le biais des externalités positives qu’ils produisent. Il arrive que les tiers-lieux se
placent comme des substituts de l’action des collectivités territoriales et que des transferts de
responsabilités soient observés.26 (Besson, 2017)

26 Besson, R. (2017). Rôle et limites des tiers-lieux dans la fabrique des villes contemporaines.
Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement. Territory in movement
Journal of geography and planning, 34, Article 34. https://doi.org/10.4000/tem.4184

25
1.3 Une catégorie culturelle et identitaire

Pour finir, la professionnalisation peut également être déclinée en une catégorie culturelle et
identitaire qui elle résulte d’un effet quasi mécanique de l’expérience. Dans cette catégorie,
la professionnalisation peut être mobilisée par tous les travailleurs individuellement ou
collectivement. Elle se manifeste par le biais de l’accumulation d’expérience, de maitrise et
de savoir-faire. Le tiers-lieu ayant longtemps été un espace informel et très peu identifié en tant
que tel, les compétences qui s’y adossent ont par conséquent mis du temps à être mises en
lumière. Par ailleurs, au vu de la grande hétérogénéité du mouvement il est difficile d’avoir une
lecture d’ensemble des savoir-faire qui le compose. Malgré tout, il est possible d’assimiler le
phénomène à un métiers qui serait une hybridation entre, d’une part celui d’animateur et
d’autre part celui d’entrepreneur. Une professionnalisation empirique qui serait le fruit de
l’accumulation de l’expérience des travailleurs. Une observation qui se placent très clairement
comme le reflet de cette nouvelle configuration à laquelle fait face le mouvement. En effet,
l’entrepreneuriat prend une part très importante dans les compétences nécessaires à la
pérennisation des tiers-lieux. L’entrepreneur se doit de développer des aptitudes en gestion de
projet, en fonction administrative et financière, en communication. Ce qui fait plus
particulièrement sa singularité c’est sa capacité d’animation de communautés constituées de
professionnels différents et de développement de méthode de travail collaboratif et créatif. Il
se doit d’agir comme un facilitateur de transfert de compétences et a pour principale valeur
ajoutée sa capacité à circuler entre des cultures, métiers et institutions afin de créer des
dynamiques communes. Une hybridation encore complexe pour les tiers-lieux qui demande
par conséquent un savoir-faire et des compétences particulières. Être entrepreneur de tiers-
lieu est un métier à part entière qui se doit d’assimiler l’implication croissante des collectivités
et des entreprises tout en continuant de déployer ses compétences de maitre d’ouvrage et
de créateur de communauté.

Comme nous pouvons le constater le phénomène des tiers-lieux est ancré dans un processus
de professionnalisation qui est encore récent et demande à être poursuivi dans le temps. Une
condition nécessaire s’il veut se stabiliser, renforcer ses acquis qui et ainsi se forger une réelle
identité. Si le recul nécessaire pour en rendre contre dans sa globalité est encore insuffisant,
une première identification de dissidence de la part de certains modèles se dressent face à
ce processus de professionnalisation. Tout d’abord, la culture même des tiers-lieux, qui prône
des valeurs de partage, de faire soi-même, d’égalité et de liberté sont parfois en contradiction
avec les principes de marché et de financiarisation. Dans ce cadre, nombre de tiers-lieux se
reposent sur l’engagement de leurs usagers et ont recours au bénévolat pour la réalisation de
nombreuses taches. Par exemple, il arrive que le poste d’animateur n’existe pas car considéré
comme absorbable par l’investissement de la communauté dans la vie du lieu. Ce

26
fonctionnement est apparenté à l’idée de tiers-lieu communautaire, en opposition à celle de
tiers-lieu entrepreneurial. En effet, la naissance d’un tel projet ne se fait pas dans l’optique de
générer des revenus mais plutôt dans l’idée de créer un lieu qui chercherait simplement à
exister sans se focaliser sur des investissements et une offre de service structurée. Un modèle
qui repose sur des revenus limités à la location des espaces et la cotisation des membres. Le
recours au bénévolat est alors la norme permettant une réduction des coûts de
fonctionnement et renforçe l’appartenance des membres au groupe. Des compétences sont
alors difficilement identifiables et les activités restent floues, on ne peut parler d’emploi tant
l’autogestion se fait par la capitalisation des compétences préexistantes dans la
communauté. Néanmoins, cette modalité de configuration des tiers-lieux permet un lien avec
le territoire et assoie sa légitimité sur l’engagement de sa communauté. Cependant, les
exemples ne manquent pas pour attester que la mobilisation de ressources humaines
bénévoles peut s’avérer instable ce qui rend difficile la pérennisation de l’activité. Une gestion
qui se détache en partie du processus de professionnalisation au sens où l’idée de métier ne
transparait pas. La visée de ces lieux n’est donc plus de s’inscrire dans un marché et de
développer de nouvelles activités. Il n’y a pas de métiers affiliés dans la mesure où l’ensemble
des taches sont assurées par la communauté n’ayant pas de ressources humaines spécialisées
mobilisées autre que des bénévoles. L’injonction travail est par conséquent bien moins
développée. À titre d’exemple, la Coopérative Tiers-lieux, en région Nouvelle-Aquitaine,
décompte plus de 700 bénévoles répartis sur 116 tiers-lieux. La relation avec les pouvoirs publics
se veut plus restreinte et le statut se veut plus informel.

Nous retrouvons cette caractéristique dans le tiers-lieu La Gob qui prône l’auto-gestion et par
conséquent mobilise fortement le travail bénévole. Nous avons alors une gestion du lieu qui est
partiellement assurée par les membres du lieu soit les travailleurs. Il y même une commission
« convivialité » qui assure certaines animations. Néanmoins, il existe tout de même une
association qui assure des prestations et assure un modèle économique viable grâce aux
entrées d’argent assurées par les locataires.

2. L’émergence de nouveaux lieux en réponse au


contexte d’organisation contemporaine du travail

2.1 Une transformation du capitalisme qui questionne la place du


travailleur

Après avoir identifié le processus de professionnalisation comme un élément structurant du


travail au sein des tiers-lieux, il est désormais intéressant de se pencher plus largement sur les

27
changements de fond qui régissent les différentes mutations de l’organisation du travail de ces
trente dernières années. Le XXème siècle a été marqué par la domination d’un système
capitaliste industriel qui a fortement structuré l’organisation du travail et propulsé le salariat
comme la norme en France. En effet, nous vivons dans une « société salariale » (R. Castel, 1995)
où plus de 88% des emplois sont salariés, un héritage issu du système de production Tayloriste
et par extension Fordiste qui a façonné le XXème siècle. Une organisation du travail à laquelle
il est également possible de lier une contractualisation et l’apparition de droits pour le
travailleur permettant ainsi sa sécurisation 27 (Claude Didry, 2020). Ces différents paramètres qui
constituent la base de l’organisation du travail du siècle dernier ont considérablement évolué
mais n’ont certainement pas disparu. Le capitalisme industriel caractérisé d’un côté par l’«
exigence d’accumulation illimitée du capital par des moyens formellement pacifiques et la
remise en jeu perpétuelle de ce capital dans le circuit économique dans le but d’en tirer un
profit soit, l’accroissement du capital qui sera à son tour réinvesti » 28 (L. Boltanski, E. Chiapello,
1999). De l’autre, c’est le salariat qui constitue le ciment de ce système et qui a longtemps
permis son efficience. Une organisation du travail bouleversée à la fin du XXème siècle par
l’arrivée de l’internationalisation et ainsi le passage à un capitalisme mondial. En opposition au
capitalisme industriel, cette nouvelle forme de capitalisme fragilise le caractère stable du
salariat, R. Castel parle alors dans les années 90 d’« effritement du salariat »29 (Dubet, 1996). En
effet, la hausse de la concurrence des suites de la délocalisation des industries, la
financiarisation et la servicisation du marché du travail ont fait sortir une part croissante
d'individus de la stabilité que leur offrait leur statut de salarié. Un rôle de « collectif protecteur »
délaissé, laissant les travailleurs dans des situations d'insécurité et d'incertitude, des conditions
pouvant mener jusqu’à une désaffiliation sociale de certains travailleurs (R. Castel, 1995).

Depuis sa création le capitalisme fait face à un paradoxe qu’est celui de l’adhésion pacifique
du travailleur et la fuite du capital par l’accumulation. Selon Weber, l’engagement du
travailleur repose sur une idéologie certaine qui permettrait l’adhésion au système. Boltanski et
Chiapello caractérisent la réponse à ce paradoxe comme l’ « esprit du capitalisme ». Il en
existe trois dont le dernier qui verrait le jour dans ce contexte de mondialisation et de
fragilisation du statut de l’emploi à la fin du XXème siècle. Dans l’ordre, le premier est incarné

27 Claude Didry. (2020, avril 10). Le salariat, une classe révolutionnaire ? BALLAST |. BALLAST.
https://www.revue-ballast.fr/le-salariat-une-classe-revolutionnaire-entretien-avec-claude-
didry/

28 Chiapello, È., & Boltanski, L. (1999). Le nouvel esprit du capitalisme. Gallimard.

29 Dubet, F. (1996). Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique
du salariat. Sociologie du travail, 38(2), 240‑244.

28
par la figure héroïque du chevalier d’industrie intrépide ; il se caractériserait par le goût du
risque et de l’innovation, avec pour contrepartie un système de sécurité familiale et
patrimoniale. Le deuxième, apparu dans l’entre-deux-guerres et généralisé dans l’après-
guerre, serait celui de la grande entreprise. Il est possible de l’assimiler à des notions comme
l’organisation, la centralisation, la bureaucratie, la planification avec une hiérarchie très
marquée (directeurs, cadres, ingénieurs etc.). Il est également régi par la consommation, la
production de masse ainsi que la standardisation. L’engagement est assuré par la perspective
de carrière et la sécurité que peut apporter la grande entreprise en termes de prise en charge
de la vie quotidienne. Le dernier, que l’on retrouve sous la dénomination de « nouvel esprit du
capitalisme », s’inscrit en réaction à ces courants de pensée. Les années 90 sont marquées par
une littérature managériale qui pour objectif l’engagement de tous les employés et non plus
uniquement les cadres comme cela a pu être le cas dans les deux modèles précédents. Il est
intéressant de constater que ce nouvel esprit du capitalisme s’inspire grandement des critiques
qui sont formulées à l’égard de sa précédente forme. C’est donc à contre-pied de ces
nombreux principes qui l’ont construit que se développe cette nouvelle perception. En effet,
la bureaucratie, la planification ainsi que les formes de hiérarchies pyramidales sont pointées
du doigt au profit de l’organisation flexible, la notion d’adaptabilité, d’idée de changement
perpétuel et de concurrence saine. L’imagerie autour de l’entreprise est alors complétement
transformée pour laisser place à un travail en réseau où l’entreprise prend une place moindre.
Les travailleurs sont moins présents au bureau, nous entrons dans l’air de l’auto-organisation,
l’autocontrôle des équipes et le rôle autrefois incombé au patronat mais aussi aux cadres est
grandement dévalué. Cela se ressent dans la sémantique utilisée qui se tourne vers des
appellations anglophones comme « manager », « leader » ou encore « coach ». Ces dernières
sont associées à des qualifications d’adaptabilité, de flexibilité, d’autonomie, il se doit d’être
curieux avec un caractère enthousiaste. Ce nouveau personnage central, se doit d’être
innovant et mobile, des qualités qui ont pour but de contraster avec la rationalité gestionnaire
des cadre désormais dépassés. Encore une fois l’idée est de balayer ce qui peut être associé
à la rigidité et l’inertie des organisations hiérarchiques de l’ancien esprit du capitalisme. Nous
ne sommes plus à la recherche de stabilité mais plutôt d’« intuition créative »30 (Simioni, 2002).
Le travailleur est alors leader de soi-même, il doit être en mesure de s’auto motiver, se
responsabiliser et se forme en permanence. À l’ère où les nouvelles technologies et
l’électronique prennent de plus en plus de place dans le monde professionnel, la compétence
la plus précieuse est la capacité à rechercher de l’information au bon endroit, elle qui est
considérés comme une source de productivité et de profit aux yeux des entreprises.

30 Simioni, O. (2002). Un nouvel esprit pour le capitalisme : La société de l’information ? Revue


européenne des sciences sociales. European Journal of Social Sciences, XL‑123, 75‑90.
https://doi.org/10.4000/ress.616

29
Ce nouvel esprit du capitalisme est cristallisé par la création dans le même temps du modèle
de la « cité par projet ». Ce dernier permet de répondre aux potentielles critiques à l’égard de
ce troisième et dernier esprit. Le fait de passer d’un projet à un autre permet d’accroitre
l’employabilité des travailleurs et de fonctionner sous la forme de réseau. Par conséquent, le
grand est celui qui possède une capacité à créer des liens dans ce monde connexionniste
basé sur l’information et d’enchainer les différents projets. Par ailleurs, le petit sera lui
caractérisé par son incapacité à s’engager, à communiquer, et par sa rigidité. Il n’arrive alors
pas à se connecter au réseau ce qui fait de lui un individu désaffilié. Cette organisation du
travail, se caractérise par un effacement de la frontière entre la vie privée et professionnelle
où l’individu tend à s’épanouir par le biais de son activité. Le travail n’est plus assimilé à une
besogne comme cela a pu être le cas sous le capitalisme industriel.

Une nouvelle réalité que les acteurs des tiers-lieux ont bien comprise et qui, par conséquent, a
rapidement été instrumentalisée par certains. En effet, cette nouvelle perception du travail a
grandement participé à l’essor du phénomène tel que nous le connaissons aujourd’hui mais
également à sa transformation. Ce nouveau capitalisme se présente comme une aubaine
pour certaines organisations qui n’hésitent pas à faire la promotion du tiers-lieu à des fins
commerciales. Les caractéristiques des tiers-lieux s‘avèrent avoir de nombreuses
convergences avec les exigences de ces nouveaux managers qui sont à la recherche de
créativité et de flexibilité. L’une des premières formes controversées fût celle revendiquée par
la marque Starbucks Coffee qui en a fait un argument phare de sa stratégie marketing. Sur
leur site internet leur appartenant au mouvement des tiers-lieux est clairement revendiquée
avec un « story telling » tout trouvé :

« En 1983, lors d'un voyage en Italie, Howard Schultz tombe sous le charme des bars à expresso
italiens et de leur rituel autour du café. Il a alors l'idée de transposer aux États-Unis la tradition
des cafés italiens, des lieux de conversation et d'échanges, un troisième lieu en quelque sorte
à mi-chemin entre la maison et le travail. »

Un positionnement idéal pour attirer les travailleurs dans leurs établissements rendu notamment
possible grâce à une organisation du travail qui désormais le permet. Cet exemple atteste que
le capitalisme a bel et bien rattrapé le tiers-lieu, il s’illustre ici par une appropriation de la notion
qui sert des intérêts économiques et qui redessine encore un peu plus ses frontières. L’entreprise
a saisi les nouveaux intérêts du travailleur qui est plus flexible, plus mobile et à la fois à la
recherche de lieux stimulant son innovation. Des conditions que la firme américaine est en
mesure d’offrir grâce à ses implantations dans un grand nombre de centres urbains, la
possibilité d’échanger librement sans contrainte apparente et la mise à disposition d’une

30
connexion internet qui nous le verrons par la suite est la clé de la productivité des « grands »
dans la cité par projet.

Nous pouvons observer un alignement de discours entre le nouveau capitalisme et les tiers-
lieux. En effet, nous retrouvons bon nombre de caractéristiques communes promues à la fois
par les acteurs des tiers-lieux et les partisans de la doctrine managériale qu’est celle de la cité
par projet. Les termes qui sont les plus récurrents sont l’innovation, le travail collaboratif,
l’ouverture, la rencontre et l’échange, l’intelligence collective, la mise en réseau de travailleur,
la flexibilité, autant de notions qui font échos à une perception commune de l’organisation du
travail. Une concordance qui affirme la proximité évidente qu’ont les nouvelles organisations
du travail avec les tiers-lieux. Ces discours portés par les manuels de management, les pouvoir
publics et les instigateurs de tiers-lieux d’activité interrogent sur la réalité que peut vivre le
travailleur. Ces conditions de travail sont-elles réellement effectives et vraiment adaptées à
l’usage qu’en font les tiers-lieux ? L’imagerie proposée par ces acteurs est-elle une réalité pour
tous ? Il semble nécessaire de s’attarder sur le revers de la médaille de ces nouvelles
considérations afin de s’assurer qu’elles ne nuisent pas en un sens au travailleur. Étudier la
relation au travail du point de vue du travailleur est essentiel pour mettre en perspective ces
organisations du travail. Une approche qui permet le questionnement des réelles motivations
et conséquences de cette volonté d’organiser le travail selon les normes d’un « nouvel esprit
du capitalisme ».

2.2 La relation des français au travail qui interroge son organisation

Cette recomposition de l’organisation du travail pose la question de la place du travail dans


la vie des français. En effet, ayant pour caractéristique principale l’effacement progressif de
la frontière entre la vie professionnelle et la vie privée, ce nouvel esprit du capitalisme influence
également le rapport des français au travail. Dans la cité par projet, l’engagement demandé
au travailleur se veut de plus en plus fort et engage désormais sa subjectivité. Le tiers-lieu se
situant à mi-chemin entre la sphère professionnelle et la sphère domestique il a par conséquent
un rôle à jouer auprès des travailleurs qui l’utilisent.

Dans le cadre d’une étude menée à échelle européenne sur le rapport au travail, la
sociologue D. Méda31 (Méda, 2011) a fait ressortir une singularité forte dans la relation au travail
des français qu’elle nommera le « paradoxe français ». La construction de ce paradoxe se
base sur deux constats forts. Premièrement, le fait que 70% des français assurent que le travail
occupe une place très importante dans leur vie (l’un des plus hauts taux d’Europe) et dans un

31 Méda, D. (2011). Travail la révolution nécessaire. Nouvelles éditions de l’Aube.

31
second temps que les dimensions instrumentales du travail sont désormais moins importantes
que les dimensions expressives. Ceci signifie que les français placeraient la réalisation de soi,
par le biais des relations sociales, et l’expression de soi, de sa personnalité et de sa subjectivité
au premier plan par rapport à la sécurité de l’emploi. Ce sont donc les dimensions intrinsèques
du travail qui sont recherchées au-delà des simples dimensions extrinsèques comme cela a pu
être le cas lors de la période industrielle. Le paradoxe français prend donc la forme d’un côté
d’un attachement fort au travail et de l’autre une volonté de voir le travail occuper moins de
place dans leur vie.
Thomas Philippon (D. Méda, 2011) avance une première explication à ce paradoxe tout en
précisant qu’il ne s’agit pas d’une crise du travail mais plutôt de l’expression d’un malaise au
travail. Selon lui, il s’agirait d’un mécontentement des français par rapport aux relations
sociales dégradées au sein des entreprises. Ceci engendrerait un retrait de la part du travailleur
dans le but de réduire la place occupée par le travail dans leur vie. Ce paradoxe serait alors
la résultante d’une désillusion et d’une frustration des français face à la dégradation de leurs
conditions de travail ou d’emploi. Cette hypothèse mettrait en évidence l’expression d’un
dysfonctionnement de la sphère professionnelle caractéristique à la France couplé à la
volonté d’une meilleure conciliation vie familiale et vie professionnelle.

Dans une optique de reconstruction de ce lien social dégradé en entreprise le tiers-lieu peut
se présenter comme une alternative efficace qui répondrait aux besoins des travailleurs.
Comme le met en lumière O.Cléach 32 (Cléach et al., 2015), les tiers-lieux évoluent en dehors
des circuits classiques de l’action sociale ou du mécénat d’entreprise. Les caractéristiques
mises en avant par les partisans des tiers-lieux sont la construction de lien sociaux et la
priorisation de l’échange et de la relation humaine par rapport aux activités qui prennent
place dans le lieu. L’auteur met en avant le fait que le tiers-lieu est autonome dans sa
régulation et que des « micro-cultures »33 sont co-élaborées par les fondateurs, les usagers et
les animateurs. Cette caractéristique implique le travailleur à part entière dans la construction
des mécanismes de régulation de l’action collective. Ce sont alors le membres du groupe qui
créer leur propre culture, à la différence de ce que qu’il peut exister en entreprise où la culture
est imposée verticalement. Une modalité de construction qui répond en partie à la
dégradation du lien social sur leur lieu de travail. Ces « micro-cultures » permettent alors une
meilleure compréhension du fonctionnement de l’organisation et facilite la collaboration des
différents acteurs. O. Cléach identifie l’appréhension de trois dimensions spécifiques grâce à

32 Cléach, O., Deruelle, V., & Metzger, J.-L. (2015). Les “tiers lieux”, des microcultures
innovantes ? Recherches sociologiques et anthropologiques, 46(46‑2), 67‑85.
https://doi.org/10.4000/rsa.1526

33 Au sens de Michel Liu (1999)

32
la modalité de développement de ces « micro-cultures ». Premièrement, il y a la « dimension
symbolique » qui permet une meilleure appropriation des codes sociaux et le partage du sens
commun. Deuxièmement, l’auteur met en avant la dimension sociale qui facilite le vivre
ensemble, l’ajustement des comportements ainsi que la définition des droits et des devoirs. En
troisième et dernier lieu, c’est la dimension technologique qui est mise en lumière. Celle-ci aide
à l’appropriation par les individus des savoir-faire et dispositif nécessaire à la bonne réalisation
des activités de chacun des membres. L’émergence de ces « micro-cultures » est bien souvent
informelle et prend le pas sur l’organisation formelle qu’incombe normalement le statut
juridique de l’association par exemple. La mise en place de ces « micro-cultures » est dans bien
des cas de la responsabilité des animateurs et fondateurs des tiers-lieux, qui ont pour rôle de
structurer sa formation et sa pérennisation.

Une configuration organisationnelle qui tend à répondre en partie aux enjeux identifiés par
D.Méda incarnées par le « paradoxe français » du rapport au travail. Les tiers-lieux sont en effet
des structures où la relation sociale est au cœur de leur fonctionnement. Comme l’atteste la
structuration en « micro-culture », les tiers-lieux attachent une importance particulière à la
construction de relations sociales communes dans le but d’assurer des conditions de travail
adaptées à chaque travailleur membre. Une caractéristique qui est favorable à l’essor des
travailleurs au sein des tiers-lieux et justifie son attractivité vis-à-vis de nombreux salariés. Le tiers-
lieu pourrait être considéré comme un moyen parmi tant d’autres de résoudre l’équation
formulée par ce « paradoxe français » en contribuant à une meilleure qualité des relations
sociales au travail tout en assurant l’intérêt intrinsèque du travail.

À la suite de ce constat il est intéressant de comprendre dans quelle mesure le statut salarial,
qui est aujourd’hui la norme dans la société française, a vu ses principales caractéristiques que
sont la contractualisation et la sécurisation du travailleur se dégrader pour laisser derrière lui le
statut protecteur et stabilisateur qu’il a longtemps occupé.

2.3 Le déclin progressif du statut protecteur du salariat en France

La société salariale décrite par Robert Castel en 199534 représente belle et bien la structuration
du monde du travail dans lequel nous vivons aujourd’hui. Néanmoins, comme il l’a lui-même
souligné, c’est le statut du salarié qui s’est intrinsèquement transformé. Cette nouvelle forme
prise par la société salariale, nous allons le voir, a de lourdes conséquences sur les conditions
de travail et la définition des relations entre les entreprises et leurs salariés. Par conséquent, il

34 Dubet, F. (1996). Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique
du salariat. Sociologie du travail, 38(2), 240‑244.

33
sera intéressant, dans un premier temps, de décrire et comprendre ces nouvelles normes qui
régissent les relations salariales. Nous verrons par la suite en quoi ces transformations, ou à
minima les discours portés par les entreprises, sont le fruit d’une adaptation volontaire ou forcée
du salariat aux conditions socio-économique du nouveau capitalisme. Par la suite, nous
étudierons en quoi cette vision contemporaine du salariat questionne la place du travail chez
les français. Il sera alors possible d’apporter un éclairage sur l’émergence d’une forme de
précariat au sein même de l’emploi et comment de plus en plus de travailleurs se désaffilient
socialement (R. Castel, 1995).

Le déclin du capitalisme industriel laissant place à un capitalisme mondial n’a pas remis en
question la place dominante du salariat dans la société. Pour autant, son statut qui a lui
radicalement changé entrainant avec lui différentes répercussions sur l’ensemble du monde
du travail. Le nouveau capitalisme étant né de sa propre critique il est évident que ce dernier
veut s’affranchir à tout prix de l’organisation du travail tayloriste et développer un modèle
nouveau adapté aux conditions contemporaines de monde du travail. Un discours que s’est
rapidement approprié dans les années 70 la littérature managériale dans le but de faire la
promotion d’une rhétorique centrée autour de l’humain. Un virage marquant le passage d’une
déshumanisation assimilée au taylorisme vers une humanisation et une valorisation de
l’engagement dans l’entreprise des salariés. Par ailleurs, il est observé par Danielle Linhart 35
(Linhart, 2015) une sur humanisation des salariés associée au management contemporain. En
effet, se développe un « fond commun managérial » qui cherche à impliquer toujours plus la
subjectivité du salarié. Une sorte de « fabrique du consentement » (D. Linhart, 2015) qui
permettrait de répondre à un besoin de toujours plus de flexibilité qui caractérise le monde du
travail moderne. Une configuration qui participe dans un certain sens à la déstabilisation du
statut salarial car elle implique désormais fortement la subjectivité de la personne et valorise
moins les compétences du professionnel. Ce sont par conséquent les ressources les plus intimes
qui sont mobilisées et une approche individualisante qui est privilégiée au détriment des savoirs
professionnels et des référentiels de compétences. On remarque alors une promotion de
l’autonomie et l’autodiscipline du salarié justifiée par un contexte où le travail se veut de plus
en plus flexible et mobile. Néanmoins, cette rhétorique du management a des effets néfastes
pour le travailleur. Tout d’abord, cette approche met à mal la reconnaissance de
professionnalité des travailleurs qui sont dépossédés de leur savoir collectif ce qui produit des
formes d’isolement. En effet, au lieu de s’adresser aux registres professionnels qui permet
initialement de délimiter la frontière entre l’engagement au travail des individus et leur propre
personne, les nouvelles formes de management puisent toujours plus dans la subjectivité du

35 Linhart, D. (2015). La comédie humaine du travail. ERES.


https://doi.org/10.3917/eres.linha.2014.01

34
salarié dans l’idée de la mettre au profit de la valorisation du capital de l’entreprise. On assiste
donc à une déconstruction d’une identité sociale fondée sur la culture du métier et les
connaissances validées. Dans ce cadre les managers ne se fient plus aux compétences et à
l’expérience qui faisaient initialement la force du travailleur. Cette mise à mal de la
professionnalité des salariés et le management « par l’humain » entraine la mobilisation de
« entièreté de la personne » (D. Linhart). Désormais c’est l’humain qui est salarié et non plus le
professionnel comme ce pu être le cas par le passé. Une posture qui justifie l’intensification des
efforts demandés par les entreprises dans un apparent « libre consentement ». Malgré la
rupture clairement énoncée dans les discours qui accompagne cette nouvelle forme de
travail par rapport aux doctrines élaborées par Taylor et Ford, Danielle Linhart nuance ces
propos et démontre que la différence entre ces modèles n’est pas si évidente. Elle nous
rappelle que ce qui a fait la légitimité du Taylorisme était l’importance du pouvoir de séduction
par la promesse de retombés matérielles positives, le bien-être social pour tous et l’approche
scientifique, rationnelle et neutre. Des idéologies qui restent malgré tout très présentes dans les
méthodes managériales « modernes ».

Cette nouvelle vision managériale qui régit le salariat, Sophie Bernard la matérialise derrière la
dénomination de « nouvel esprit du salariat »36 (S. Bernard, 2020) (Bernard, 2020). Une
transformation qui se concentre non pas sur les marges du salariat mais qui affecte bien la
majorité des travailleurs et le cœur du salariat. Une dénomination qui fait écho aux constats
dressés par Danielle Linhart sur les nouvelles formes de mise au travail de la main d’œuvre37, à
ceci près qu’elle l’inscrit dans la continuité du nouvel esprit du capitalisme et son paradoxe de
l’engagement du travailleur. En effet selon elle, il est question par l’adoption de ces nouvelles
pratiques de répondre au paradoxe de l’injonction capitaliste38 et de trouver de nouvelles
motivations d’adhésion des salariés. Elle place ainsi le salariat comme le foyer central de
diffusion de valeurs individualistes et méritocratiques qui irriguent l’ensemble de la société. Pour
faire face à la concurrence exacerbée et l’internationalisation du nouveau capitalisme les
entreprises mettent au cœur de leur discours l’importance de l’engagement au travail des
salariés. Elles prônent une autonomie au service de l’organisation et de la performance de
l’entreprise. L’indépendance et les valeurs auxquelles ce statut est associé s’immiscent ainsi au
sein des entreprises au travers des injonctions à la responsabilisation et à l’autonomie adressée
aux salariés et travail indépendant. Il semble néanmoins nécessaire de s’interroger si cette
configuration est une opportunité pour les travailleurs de s’émanciper de lien de subordination

36 Bernard, S. (2020). Le nouvel esprit du salariat. Rémunérations, autonomie, inégalités. In


Http://journals.openedition.org/lectures. PUF. http://journals.openedition.org/lectures/42791

37 Favorisant l’avènement d’un travailleur autonome et responsable


38 Celui de l’adhésion pacifique du travailleur et de la fuite du capital par l’accumulation.

35
qu’il entretient avec l’employeur et ainsi gagner en liberté ou alors s’il s’agit d’une stratégie
managériale pour le faire croire et obtenir un engagement total du travailleur.

Comme nous avons pu le constater, les nouvelles méthodes de management fragilisent le


statut de salarié le rendant plus vulnérable de par une injonction croissante d’engagement à
son égard. En parallèle de ce phénomène, le nouveau capitalisme déstabilise structurellement
le salariat par ce qu’appelle R. Castel « la mise en mobilité du travail ». Même si 9 personnes
sur 10 sont des salariés en France et pour une grande majorité d’entre eux bénéficient d’un
CDI, une masse croissante d’individus sort de l’emploi stable du fait d’une mobilité de plus en
plus forte du monde du travail qui est liée aux conditions économiques 39 auxquelles font face
les entreprises. Les travailleurs sont désormais considérés comme « mobiles » et se retrouvent
obligés de passer d’un emploi à l’autre. Des dynamiques économiques imposées par le
nouveau régime du capitalisme qui sont soumises à la concurrence et favorisent le
développement du chômage et de la précarité. Dans ces conditions, la contractualisation qui
va de pair avec le salariat évolue dans le même temps. Les CDI reste la norme et la forme la
plus désirée du travail néanmoins la conjoncture du marché de l’emploi voit s’adosser de
multiples déclinaisons de ce dernier qui participent grandement au développement d’un
précariat de masse. Il est ici question des statuts d’intérimaires, les temps partiels, les CDD etc.
qui sont la résultant de cette nouvelle configuration du marché du travail. Cette instabilité de
l’emploi entraine bon nombre de travailleur dans un processus de désaffiliation 40 (R. Castel,
1995) qui caractérise la fragilisation du lien social qui va mener à la pauvreté. Des conditions
qui menacent la cohésion sociale41 voyant des individus et des groupes se détacher de cet
ensemble de relations d’interdépendance avec les autres membres de la société. Par
exemple, un chômeur, un travailleur précaire sont des catégories d’individus que l’on a qualifié
à une époque d’exclusion mais qui sont extrêmement variées et qui ont en commun d’être à

39 Internationalisation, financiarisation, concurrence exacerbée etc .

40 Un processus qui distingue trois zones pour rendre compte de l’état des liens sociaux : 1) la
zone d’intégration, les individus ont un emploi sable et des relations sociales stables et solides ;
2) la zone de vulnérabilité, fragilisation de notre place dans le monde du travail, va s’en suivre
d’une dégradation des relations sociales (impact sur la sociabilité) ; 3) la zone de désaffiliation,
en dehors du monde du travail. L’individu connait une situation de chômage et est très isolé
socialement.

41Selon R. Castel, la capacité de faire société au sens propre du mot. Tous les individus, les
membres d’une société sont reliés entre eux par des relations d’interdépendances ou de
solidarité et donc forment un tout relativement cohérent (ce qui permet à une société de
faire corps).

36
distance, d’être sur les bords, voire en dehors de ce tissu de relation qui forment l’unité ou la
cohésion d’une société.

2.4 L’essor du statut d’autoentrepreneur et du travail indépendant comme


réponse à la précarisation croissante des travailleurs

Face à la déstabilisation croissante du salariat, poussé entre autres par les politiques publiques,
nait l’idée que créer son propre emploi semble être une solution pour lutter contre le chômage
et la précarité. Un courant de pensée qui avait largement été mis de côté avec le
développement de la société salariale contribuant fortement au déclin du travail
indépendant (agriculture, artisanat, commerce) allant de la fin du XIXème siècle jusqu’à la fin
du XXème siècle. C’est donc à partir des années 70 avec l’avènement du néo-libéralisme,
l’effritement du salariat (R. Castel, 1995) et le désengagement de l’état vis-à-vis de l’emploi
que s’est accélérée la promotion d’un retour à l’emploi indépendant. Un discours en
opposition par rapport à ce qu’il s’est fait tout au long du XXème avec le développement de
la protection sociale adossée au statut de salarié. Un processus fortement encouragé
successivement par la politique menée par Raymond Barre faisant la promotion de la petite
entreprise individuelle et la présidence de Nicolas Sarkozy qui incite à la création de son propre
emploi en mettant en place le premier dispositif allant dans ce sens : l’ACCRE42. Plus
globalement, les autorités publiques trouvent un consensus sur le fait que cette voix s’inscrit
comme une alternative en réaction à la croissance d’une économie de marché.
Concrètement, cela se traduit par des politiques d’emploi néolibérales qui vont inciter à la
reprise d’activité sous la forme d’une mobilisation contre des indemnités chômage
considérées comme trop généreuses. C’est dans cette optique que nous assistons à la
dégressivité des allocations chômage et le développement de stratégie de l’État social pour
promouvoir l’initiative individuelle. Des dispositifs43 qui brouillent les frontières de classe où le
chômeur devient chef d’entreprise, l’ouvrier devient travailleur manuel (travail de sémantique)
et s’accompagne par une forte promotion de la classe moyenne. Une politique d’emploi qui
fait consensus, la droite y voit un moyen de faire la promotion de l’entreprise et la gauche un
moyen de lutte contre le chômage et devient une politique du traitement social de base. Il est
tout de même intéressant de nuancer ces propos en rappelant qu’il existe une opposition à
cette tendance que sont les administrations sociales qui défendent la protection sociale et qui
voient d’un mauvais œil la montée de l’auto-entrepreneuriat qui est synonyme pour eux d’une

42 N’existe plus et a été remplacé par l’ACRE : Aide aux Créateurs et Repreneurs d’Entreprise

43 Au sens de M. Foucault : « ensemble hétérogène constitué de discours, d'institutions,


d'aménagements architecturaux, de règles et de lois, etc. En d'autres termes, le dispositif est
constitué de dit (les discours) et de non-dit (les formes architecturales, par exemple) ».

37
officialisation du travail au noir. Sarah Abdelnour44 (Abdelnour, 2017) voit en l’avènement de
l’auto-entrepreneuriat une sorte de prototype de la dynamique d’ubérisation 45 dans la
continuité de l’essor du capitalisme des plateformes 46 et inexorablement l’externalisation des
travailleurs dans l’économie digitale. Un phénomène qui pourrait être caractérisé comme une
extension d’une modalité très spécifique du « salarié effrité ». Dans les faits, on constate que les
effets de ces différents dispositifs ont porté leurs fruits, ils étaient 500 000 en 2010 et on en
dénombre 1 million en 2012. Une statistique significative qui reflète l’engouement pour ce
nouveau statut du travailleur. Néanmoins, comme Sarah Abdelnour le montre très justement il
est nécessaire d’aller plus en profondeur afin de comprendre les différentes appropriations ce
nouveau statut et ces conséquences sur les conditions de travail des individus.

Premier constat, la population est extrêmement diversifiée et il est possible de distinguer une
bipolarisation entre d’un côté une minorité d’autoentrepreneurs pour qui l’autoentreprise est
un complément de revenu et de l’autre une majorité pour qui c’est une situation précaire.
Selon l’étude de Sarah Abdelnour, pour 55% c’est l’activité principale, pour 45% une activité
complémentaire, 62% des autoentrepreneurs n’ont pas d’autres activités professionnelles. Une
bipolarisation entre un travail indépendant exclusif et qui concerne massivement les travailleurs
les moins qualifiés et les moins protégés, très souvent des jeunes et des femmes, et une autre
population pour qui c’est une situation de cumul des revenus, souvent des salariés stables du
privé et du public pour qui l’autoentreprise est aussi une stratégie de valorisation.

Deuxième constat, pour les employeurs privés, ce statut est une opportunité pour contourner
les obligations administratives légales et économiques et pratiquer une forme de salariat
déguisé. Son utilisation peut bien souvent s’apparenter à la mise à l’épreuve temporaire de
futures CDI par exemple. Pour les employeurs publics, c’est une possibilité d’embaucher en
contexte de rigueur budgétaire, on va plus facilement externaliser le travail social et les

44 Abdelnour, S. (2017). Moi, petite entreprise. Presses Universitaires de France.


https://doi.org/10.3917/puf.abdel.2017.01

45 Selon le Larousse (2017) : « Remise en cause du modèle économique d’une entreprise ou


d’un secteur d’activité par l’arrivée d’un nouvel acteur proposant les mêmes services à des
prix moindres, effectués par des indépendants plutôt que des salariés, le plus souvent via des
plates-formes de réservation sur Internet ».

46Le capitalisme de plateforme contractualise, externalise et contrôle à distance les services.


Nouveau modèle, il remet en cause la division capital/travail. La firme est remplacée par le
pouvoir des algorithmes et du marketing, avec des opportunités nouvelles mais une possible
remise en cause du salariat.

38
activités culturelles. C’est une alternative au travail social des associations qui lève les
contraintes qui pèsent sur le recrutement dans la fonction publique.

Sarah Abdelnour, fait également un troisième constat par rapport à l’usage de l’auto-
entrepreneuriat par les salariés. À l’évidence sortir du salariat, néanmoins Sarah Abdelnour
l’évoque comme un travail à côté associable au passe-temps ou au gagne-pain pour se faire
plaisir. Cela accompagne l’éclatement du travail salarié et la reconnaissance du sous-emploi
(le chômage). L’autoentreprise se combine avec emploi stable ou précaire, temps plein ou
temps partiel, chômage ou inactivité etc. Son usage est dans la grande majorité des cas
couplé avec autre chose, il est considéré pour bons nombres comme un revenu
complémentaire. Dans ce cadre et pour synthétiser ce qu’est réellement le statut
d’autoentrepreneur la sociologue met le doigt sur quatre usages bien distincts :

Usage fait par les salariés et retraités qualifiés.


Une utilisation qui reste dans le cadre du
précariat et qui est dans l’ordre de la
Compléter un salaire principal déstabilisation des stables (R. Castel).
Comble un manque économique qui n’est
pas couvert par le statut de salarié de
l’individu.
Un tiers des autoentrepreneurs sont soit au
chômage soit en menace de l’être bientôt.
Un constat qui place ce statut comme un
moyen d’aménager le chômage à la
Gérer une situation de chômage
marge. Permet un maintien du statut social,
agit également comme une assurance ou
une solution de recours face aux risques du
chômage.
Surtout vrai pour les jeunes en quête
d’insertion professionnelle qui nécessite un
soutien financier familial. Plusieurs formes : 1)
le compagnonnage de futures
indépendants, 2) la période d’essai de futur
Trouver un emploi
salarié, 3) Un point d’appui par rapport à des
situations précaires qui suppose un
adossement au système salarial et le recours
à une aide familiale.

39
Accéder à l’indépendance, cela suppose
Tenter de quitter le salariat un surtravail consenti. Toujours besoin d’un
soutien salarial pour payer les factures.

Une observation qui mène à penser que malgré les dispositifs mis en place pour faire du statut
d’indépendant une solution d’adaptation au capitalisme mondial, il n’est aujourd’hui pas un
moyen à part entière de sortir du précariat. Se combinant dans la quasi-totalité des cas avec
un statut de salarié, il confirme qu’aujourd’hui la création de son propre emploi en France n’est
pas entièrement adaptée aux conditions socio-économiques. Par la même occasion il
confirme que le salariat ne remplit plus non plus son rôle de stabilisateur et qu’il nécessite de
plus en plus un complément pour répondre pleinement aux besoins du travailleur.

Un constat que l’on retrouve chez Benoit qui est autoentrepreneur au sein du tiers-lieu La Gob.
Il nous explique que se lancer dans une autoentreprise est une aventure risquée et qu’il ne se
projette que sur du court terme pour le moment. Il nous fait aussi savoir qu’il a dû à plusieurs
reprises compléter ses revenus avec des CDD et même prendre un mi-temps pendant un
certain temps. Une situation précaire qui dure depuis maintenant 6 ans :

« Du coup je dirais qu’avec ce statut là je pense que j’ai une visibilité sur 1 an, je peux
être là un an après je ne sais pas. Ça va dépendre de comment je vais réussir à faire
connaitre mon activité. Dans le meilleur des cas si j’arrive à faire connaitre mon activité
et que j’ai mon activité qui est pérenne, du coup la depuis 2014 c’est le cas même si
ça a été entrecoupé d’un CDD quand-même. J’avais quand même un peu besoin de
… (hésitation) à un moment donné, j’avais mon activité mais j’ai quand même
complété mon activité avec un mi-temps dans une association. Mais si mon activité est
pérenne je n’ai pas de raison de quitter le lieu. » Benoit, La Gob.

2.5 Entre salariat et travail indépendant, quel rôle pour le travail dans cette
nouvelle configuration ?

L’une des questions qui reste en suspens autour de ce nouvel environnement socio-
économique est très concrètement de savoir quelle direction prend le travail et comment il est
perçu par les travailleurs. À cela, il est intéressant de questionner l’évolution de cette société
salariale et de voir si elle permet réellement au travailleur de se réaliser et de tendre vers un
travail libéré comme son discours nous le laisse penser.

40
L’abolition du salariat peut-elle être une voie vers un travail libéré ? Comme l’a montré R.
Castel, il semble bien au contraire que le salariat apparait comme ce qu’il y a de plus désirable
sous le régime du nouveau capitalisme. Pour autant le salariat se caractérise par définition par
un lien de subornation du travailleur vers son employeur qui le pousse vers une logique
capitaliste de productivité et de rentabilité. Un constat qui met en exergue la contradiction
entre l’idéal d’un travail œuvre individuelle et collective47 (D. Méda, 2011). Selon la sociologue
Dominique Méda, deux choix s’offrent aux travailleurs, soit accepter le travail subordonné en
étant protégé par la contractualisation salariale. Le travailleur trouve alors dans la
consommation une sorte de compensation au fait que le travail reste fondamentalement
aliéné en régime capitaliste. Par ailleurs, dans un tout autre paradigme encore à construire il
serait question d’accorder le réel en conformité avec les attentes et les croyances de chacun
des travailleurs. L’enjeu ici serait de mettre en place les conditions de la libération du travail.
Ceci permettrait de mieux articuler les sphères familiales et de travail, un enjeu clairement
identifié précédemment. Pour ce faire, Dominique Méda met en avant le concept de « travail
soutenable » qui est mis en avant dans certains pays développés. Il oppose deux organisations
du travail bien distincts. D’un côté les organisations apprenantes avec un modèle décentralisé
où les salariés ont beaucoup d’autonomie et de contraintes temporelles et de l’autre
l’organisation en « lean management » plus proche du taylorisme où les salariés sont
confrontés à des situations d’autonomie contrôlée. Fondamentalement, Dominique Méda
identifie ici la question l’enchantement ou du désenchantement. Faut-il continuer d’avoir des
attentes énormes sur travail en considérant qu’il est un vecteur de réalisation de soi ? Il est
nécessaire dans ce cas de « rendre le réel conforme à l’idéal » (Méda, 2011). Une approche
qui passe nécessairement par une révolution profonde du travail pour Dominique Méda. D’un
autre point de vue, il faudrait abandonner l’idée que le travail est en mesure de satisfaire les
désirs de richesses matérielle, d’expression, de communication, de création etc. Ce qui se
traduirait par le désenchantement du travail qui consisterait à deux tâches principales, en
premier temps améliorer les conditions de travail pour tendre vers un travail décent généralisé.
Dans un second temps, donner une place forte aux différentes activités humaines, aux divers
rôles auxiliaires, au travail des individus afin qu’elles puissent pleinement être exercées. Une
articulation entre le travail et les autres activités individuelles et collective adaptée à l’équilibre
recherché par les individus.

2.6 De nouvelles conditions socio-économiques qui se traduisent au sein du


tiers-lieu

Les réponses apportées par les tiers-lieux à cette nouvelle organisation du travail sont
nombreuses. Comme nous avons pu le démontrer en introduction le tiers-lieu est une notion

47 Méda, D. (2011). Travail la révolution nécessaire. Nouvelles éditions de l’Aube.

41
très adaptable qui prends des formes très diverses et peut ainsi répondre aux besoins très
diversifiés d’un monde du travail qui se veut de plus en plus flexible. De manière générale,
plusieurs caractéristiques propres à l’ensemble des tiers-lieux font de lui un élément pouvant
répondre aux enjeux mis en exergue par le nouvel esprit de capitalisme. Si nous devions
énumérer très simplement ces caractéristiques communes cela pourrait être dans un premier
temps sa construction communautaire, ensuite sa capacité à être un espace de
collaboration, et pour finir son ancrage local fort. Nous allons voir qu’au travers de ces trois
aspects se cachent des enjeux qui sont au cœur de l’organisation du travail contemporain.

L’intégration des travailleurs au sein des tiers-lieux ne se fait pas de manière anodine. La
constitution d’une communauté est le fruit d’un travail et de la mobilisation d’acteurs
spécifiques comme les animateurs de tiers-lieu. Cette intégration à une communauté pour un
travailleur a de nombreuses vertus. Elle permet une configuration qui pallie des méthodes de
management qui, comme nous l’avons vu, se veulent de plus en plus individualisante et qui
tend à effacer les référentiels métiers. Dans nombre de cas les tiers-lieux regroupent des
communautés spécialisées qui peuvent alors échanger et renforcer la place des savoirs
professionnels. L’engagement de la subjectivité vis-à-vis du travail est alors moins ressentie
grâce à une revalorisation des qualifications professionnelles.

C’est ce que fait transparaître Ingrid de #AngersFrenchTech quand elle nous dit que travailler
avec d’autres acteurs de son secteur est quelque chose de valorisant pour elle parce qu’on
reconnait ses compétences à leurs justes valeurs :

« […] Pour moi c’est important d’être dans un écosystème qui finalement va nous
imprégner du secteur dans lequel on travail et d’où l’intérêt d’avoir un tiers-lieu quand
on est une entreprise de la tech qui est spécifique tech, je pense que c’est beaucoup
plus moteur qu’un tiers-lieu qui serait multi compétences. Là on est multi compétence
de la tech en fait on a presque toute la chaine de valeur de la tech. C’est plutôt
stimulant parce que chacun suit son truc, va dans ses salons, reviens et il partage. Je
pense que c’est l’ambiance la plus stimulante. Ici chacun comprend le métier de
l’autre et reconnait notre expertise c’est quelque chose d’important je pense » Ingrid

Par ailleurs, la revendication collaborative des tiers-lieux renvoie fortement aux modalités de
travail décrites dans la cité par projets où une concomitance évidente de rhétorique est
observable. Les tiers-lieux sont décrits comme des lieux d’innovation, d’échange, où l’on
construit ensemble se positionnant ainsi en rupture du modèle pyramidal et tayloriste. Les
travailleurs apparaissent unis face à une concurrence croissante qui demande toujours plus
d’investissement des travailleurs. Un alignement de pensée qui se retrouve également dans
l’idée de travailler en réseau et par projet. Ici, nous sortons d’un cadre, celui de la cité

42
marchande, qui était auparavant dictée par la concurrence 48 et la rivalité (L. Boltanski) pour
entrer dans une ère de la prolifération des liens, des connexions et de la « co-construction ».
Une dialectique qui s’impose comme un argument phare de la communication autour des
tiers-lieux que cela soit de la part des pouvoirs publics (essentiellement les collectivités
territoriale) ou les entreprises. Les tiers-lieux eux-mêmes ont compris l’enjeu d’attractivité qui
réside dans l’adoption de pratiques propices, adaptées au contexte socio-économique et
recherchées par les acteurs du monde du travail. Par sa capacité à accueillir des travailleurs
variés (Indépendants, start-up, TPE/PME, salariés) ainsi qu’à développer des conditions de
travail adaptées au contexte, le tiers-lieu s’inscrit pleinement dans la tendance qui cherche à
pousser le travailleur à sortir de l’assistanat et créer son activité par ses propres moyens.
L’animateur d’#AngersFrenchTech nous le fait bien comprendre quand il évoque sa mission
au sein du tiers-lieu :

« L’objectif pour moi c’est d’avoir un fichier de contacts qui le plus dense possible et de
le mettre à disposition de la coopérative l’objectif c’est clairement d’avoir d’ici un an
ou deux un fichier de contact qui n’a pas d’équivalent sur Angers et qui soit une plus-
value. C’est un des moyens pour moi de créer de la potentialité pour les membres. »
Mathieu, animateur #AngersFrenchTech

Parallèlement, cette configuration du travail en tiers-lieu est de plus en plus prisée par les
entreprises qui sont à la recherche de toujours plus d’innovation tout en d’accommodant aux
contraintes de le concurrence exacerbée que lui impose le capitalisme mondialisé. Le tiers-
lieu se présente comme une opportunité pour stimuler ses salariés et externaliser le travail
d’animation et de mobilisation des travailleurs là où les tiers-lieux en ont fait une spécialité.

Au-delà des salariés, que les travailleurs soient indépendants, dirigeants d’une PME/TPE ou
encore fondateurs d’une start-up l’approche collaborative des tiers-lieux est ce qui apparait
de plus attractif à leurs yeux. C’est en prenant conscience de leurs potentialités que de plus
en plus de tiers-lieux se forgent une expertise sur le développement de dynamiques
collaboratives et d’échange. Le but pour eux est de faciliter les coopérations et développer
des conditions propices pour que des travailleurs évoluant initialement dans des lieux éclatés
puissent mutualiser leurs moyens et compétences. Patrick Genoud et Alexis Moeckli 49 (Genoud

48 Mise en concurrence des travailleurs entre eux. La concurrence dans le capitalisme


mondialisé est d’avantage orienté vers la transformation structurelle du travail. Le travailleur
est de plus en plus impuissant face au phénomène de délocalisation et la transformation des
secteurs d’activité rendant inemployable certains individus. Au-delà de l’organisation du
travail c’est le travail intrinsèquement qui change.
49 Genoud, P., & Moeckli, A. (2010). Espaces d’émergence de créativité. REVUE ECONOMIQUE

43
& Moeckli, 2010) ayant étudiés les tiers-lieux comme des « espaces d’émergences de
créativité », identifient dans ce contexte deux classes d’individus particulièrement ancrés dans
cette recherche d’innovation par l’intelligence collective proposé par les tiers-lieux. Dans un
premier temps, la « classe créative » qui est composée d’entrepreneurs, de chercheurs, de
designers, de journalistes, d’artisans, d’artistes etc. qui sont de purs créatifs. Dans un second
temps, un groupe formé de professionnels à forte valeur ajoutée que sont les ingénieurs, les
avocats, les développeurs web, les financiers etc. C’est donc ce brassage de compétences
et de point de vue qui, quand elles sont mobilisées efficacement, peuvent s’avérer être
complémentaires. Une configuration qui place idéalement le tiers-lieu pour être un espace
fertile à la naissance de pratiques de travail innovantes. Dans la majorité des cas c’est la classe
créative qui est la plus attirée par le tiers-lieu comme espace d’innovation (P. Genoud,
A.Moeckli, 2010). Un constat qui est affirmé par Sarah qui travail au sein du tiers-lieu Le 122 :

« Il y a du passage ici comme des collectivités, des artistes et tout… et qu’on recroise
on crée des liens, c’est des rencontres vraiment variées qui nous sont très utiles et nous
stimulent au quotidien. C’est quand même un plus de pouvoir les voir ici. Le magazine
Sceno juste à côté permet aussi beaucoup d’échanges qu’on n’avait pas avant. On
va les voir direct quand on a besoin d’une sollicitation. C’est super motivant et inspirant
d’être dans un environnement comme celui-ci » Sarah, Le 122

Pour les tiers-lieux l’enjeu est alors de trouver un subtil équilibre pour que travailleurs aient
conscience qu’ils s’engagent sur des objectifs communs alors qu’ils sont issus de structures
différentes avec des problématiques qui leurs sont propres. L’idée est de construire des
relations de confiance afin que chacun puisse accélérer le développement de ses activités.

Le tiers-lieu est perçu par les pouvoir publics comme un outil de redynamisation des territoires
par la création d’emploi. Dans un contexte où le travailleur est de plus en plus mobile et où le
précariat menace de plus en plus la cohésion sociale, le tiers-lieu est identifié comme un
vecteur de reconstruction de lien social. Son ancrage territorial fort permet au travailleur de
développer une sociabilisation et de renouer avec l’emploi. Le caractère ouvert des tiers-lieux
est un moyen de lutter contre la désaffiliation des individus rendant la frontière vers le monde
du travail plus poreuse. Cela répond en partie à un besoin identifié du travailleur mobile qui
voit sa situation se déstabiliser bien plus fréquemment depuis que le salariat a perdu son statut
protecteur. Le tiers-lieu, par son caractère ouvert rend l’accès possible à une communauté et
par extension des relations sociales, participe à pallier le manque de stabilité d’un monde du

ET SOCIALE, 9.

44
travail de plus en plus flexible. Une communauté qui permet plus facilement de rebondir et
sortir de la zone de vulnérabilité (R. Castel) qui s’avère être de plus en plus fréquente dans le
cadre des conditions socio-économiques contemporaines. Ces structures consolident le tissu
social territorial et renforce la cohésion sociale en luttant contre l’atomisation des individus. Le
tiers-lieu s’inscrit pleinement dans la tendance amorcée par les pouvoir public en termes
d’emploi décrite précédemment qui incite les individus à créer leur propre activité. Dans le
cadre de ma recherche, parmi les travailleurs interrogés et évoluant au sein d’un tiers-lieu c’est
8 individus sur 10 qui ont créé eux-mêmes leur emploi.

Le succès du tiers-lieu, tant d’un point de vue politique que managérial, prend donc en grande
partie ses sources dans les réponses qu’il peut apporter aux nouvelles configurations qu’impose
le nouveau capitalisme au travail. Les conditions socio-économiques semblent décrire d’un
côté, un salariat qui décline peu à peu, perd son statut sécurisant et protecteur. De l’autre,
une forte tendance à l’innovation, la créativité et la flexibilité qui se présentent comme
l’unique solution au retour de la croissance économique. Le rôle moteur que peut jouer le tiers-
lieu dans cette nouvelle économie peut être remis en question. En effet, certains y voient ici
une dégradation du rapport salarial au profit d’un travail organisé sous le prisme du projet et
d’une décontratualisation progressive des travailleurs. Comme nous avons pu le constater, le
nouvel esprit du capitalisme atomise de plus en plus les organisations pour finalement n’en
faire paraitre que de simples expressions : le travailleur est autonome, flexible, indépendant et
« agile », qui, pour autant est précaire, solitaire et souvent pauvre. C’est malheureusement
aussi dans ce contexte que tiers-lieu a su se placer comme une matrice idéale qui peut à la
fois concilier les problématiques des entreprises, des travailleurs ainsi que les acteurs publics en
charge de dynamiser les économies territoriales. Le tiers-lieu est aussi une sorte de réceptacle
des victimes de cette déstabilisation de l’organisation du travail. Il agit comme un palliatif de
la « disparition des sociabilités professionnelles classiques »50 (C. Liefooghe, 2018). Il faut aussi
prendre en compte qu’une partie des usagers des tiers-lieux présententent des valeurs
contraires à celle du capitalisme que cela soit dans le rapport au travail ou bien même à la
financiarisation.

Néanmoins, au-delà des conditions socio-économiques, deux fortes tendances intimement


liées ont rendu possible l’appropriation des tiers-lieux par les travailleurs. Il s’agit de la transition
numérique et digitale ainsi que l’essor de l’économie collaborative. Nous allons alors nous

50 Liefooghe, C (2018). Les tiers-lieux à l’ère du numérique : Diffusion spatiale d’une utopie socio-
économique | Cairn.info. (s. d.). Consulté 3 novembre 2019, à l’adresse https://www-
cairn-info.srvext.uco.fr/revue-geographie-economie-societe-2018-1-page-33.htm

45
attacher à comprendre en quoi le tiers-lieu s’ancre pleinement dans cette transition sociétale
qui n’épargne pas le monde du travail que cela soit dans ses pratiques ou son organisation.

Des pratiques de travail importées et retraduites qui


participent à la redéfinition du tiers-lieu

Par bien des aspects la « révolution digitale » ainsi que l’essor de l’économie collaborative font
écho aux configurations du nouveau capitalisme. Ce sont également deux éléments qui ont
grandement participé à la transformation des usages au sein des tiers-lieux. En effet, ces
derniers ont matérialisé les intérêts réciproques que peuvent avoir aujourd’hui les tiers-lieux et
le monde du travail. Nous verrons alors dans cette partie comment la digitalisation du travail a
permis au travailleur d’évoluer au sein d’espaces tels que les tiers-lieux. Dans un second nous
nous intéresserons à la montée en puissance de l’économie collaborative qui régit aujourd’hui
une bonne partie de pratique de travail au sein des tiers-lieux.

2.7 Une digitalisation du travail qui a rendu possible le développement


du travailleur au sein du tiers-lieu

L’implantation des technologies informatiques dans la sphère professionnelle n’est certes pas
récente mais ce sont les appropriations et les usages qui ont beaucoup évolué. Tout d’abord
il est important de distinguer la transformation digitale de la transformation numérique. Le
processus de numérisation au sein des entreprises est ancien, en effet, il a commencé dès
l’apparition des premiers ordinateurs et des technologies de l’information qui ont permis la
dématérialisation de nombreux processus. Un phénomène qui va connaitre son apogée dans
les années 90 avec l’apparition de progiciels de gestion intégrés (tableaux de bord numériques
par exemple). À ce moment, la technologie de l’information est utilisée selon une approche
dite « déterministe »51 (J. Woodward, 1987). Cette dernière utilise la technologie dans le but de
faire évoluer un processus de travail, elle aura nécessairement le résultat voulu lors de sa
conception : à chaque technologie un mode d’organisation du travail. Cette numérisation se
poursuit tout au long des années 2000 avec une articulation de plus en plus forte autour du
web. Une intégration des technologies informatiques avec pour but principal l’amélioration de
la communication interne et externe des entreprises (site web, intranet, extranet). C’est la

51Dudézert, A. (2018). La transformation digitale des entreprises. https://www.cairn.info/la-


transformation-digitale-des-entreprises--9782348036019.htm

46
naissance de l’approche « sociotechnique ». Ici, la technologie pose des contraintes sans pour
autant déterminer une organisation du travail. À chaque technologie il existe une variété
d’organisations du travail possibles. L’usage de la technologie donne lieu à une « flexibilité
interprétative », il y a autant d’utilisations possibles qu’il n’y a de personne. L’usage qu’un
individu va faire d’une technologie dans le cadre de son travail sera le résultat d’une
construction sociale. Désormais, il est question d’une appropriation de la technologie par
l’utilisateur. Elle sera modelée suite à un processus qui se basera sur une dynamique de
« divergences et convergences » qui se stabilisera une fois la « clôture » des divergences52
(Dudézert, 2018). C’est le fruit d’une négociation entre différents groupes sociaux, ceci dans le
but de rendre possible le travail au sein d’un groupe donné. Une interprétation d’usage encore
limitée aux possibilités matérielles offertes intrinsèquement par la technologie. Une approche
qui laisse encore une marge assez restreinte pour vraiment transformer ses pratiques de travail.
La transition digitale des pratiques de travail pour les travailleurs a donc réellement vu le jour
dans les années 2008-2010. Ceci grâce à une troisième et dernière approche qu’est
l’approche « sociomatérielle » de la technologie. La technologie est alors centrée sur
l’utilisateur final, l’appropriation des outils est le résultat d’un assemblage sociomatériel qui est
enchevêtré aux pratiques de travail des individus (Orlikowski, 2007). La technologie est alors
exploitée et conçue au regard du parcours de l’utilisateur ainsi que le contexte social dans
lequel la technologie est déployée. Une transformation digitale des organisations qui influence
grandement les pratiques de travail, en effet ces dernières participent au développement de
la créativité, l’échange, la mobilité et un échange plus fluide au sein des équipes de travail.
Cette dernière phase et nouvelle façon de penser l’intégration des technologies digitales dans
les environnements de travail facilite la prise en main de ces outils. Ils peuvent désormais
répondre à des usages très variés et libérer l’autonomie d’action.

Cette digitalisation, nous allons le voir, accentue d’autant plus les nouvelles organisations du
travail régies par le nouveau capitalisme et que nous avons présenté précédemment. En effet,
les conditions de cette digitalisation ont amené une dématérialisation et une décorporisation
de l’acte productif (A. Dedezert, 2018). De nos jours, un grand nombre de métiers voient leurs
actes productifs graviter autour de l’ordinateur et du téléphone mobile. Un phénomène qui
est observable à différents niveaux allant d’une digitalisation partielle des pratiques de travail
à leur digitalisation totale. Une évolution qui tient en grande partie à la servicisation de
l’économie française et à l’accroissement de la présence des technologies digitales dans les
foyers des individus. Des besoins transformés qui nécessitent une adaptation de la part du
monde du travail s’il veut à la fois réussir à répondre aux nouvelles exigences du travailleur mais
également à celle du consommateur. Nous assistons alors à une dématérialisation des tâches

52 Ibid

47
où les emplois voient leurs interactions homme-machine numérisées. Les interventions
physiques se font de plus en plus rares et les supports nécessaires à la réalisation des taches du
travailleur sont d’années en années miniaturisées. L’acte productif est alors décorporisé et
n’est plus réifié ; une perception et un rapport au travail nouveau qui se répercutent sur le
travailleur par différents aspects.

La pratique de travail qui était initialement basée sur une cohabitation entre l’Homme et la
machine et que l’on théorise par la relation entre le travail et le capital n’existe plus dans bien
des secteurs d’activité. La standardisation des outils numériques tant professionnels que
personnels rend flou les frontières entre les différents environnements. Le travail n’est plus défini
par des objets et des outils qui à une époque le structuraient fortement. Les « machines »
existent toujours mais elles sont aujourd’hui moins visibles, moins spécifiques à une profession et
surtout présentes dans la vie quotidienne des individus. En entrant dans une ère où le travail
est plus abstrait et dématérialisé le travailleur perd la conscience de ses limites corporelles qu’il
considère levées par ces nouvelles pratiques de travail. Une adaptation qui n’est pas acquise
pour bon nombre de travailleurs qui vont plus facilement être en surcharge de travail menant
à une hausse des « burn out » par exemple.

Parallèlement, cette transformation du travail se positionne comme la cause et la


conséquence de l’essor récent du travail à distance. Une première tentative de formalisation
du statut de télétravailleur a été amorcé en 2005 avec un accord interprofessionnel (rapport
Mettling, 2015). Une initiative qui n’a que peu porté ses fruits à l’époque étant donné la culture
forte autour de la forme présentielle et physique du travail. Dans l’imagerie collective il est
assimilé à la productivité, au contrôle et au lien social au travers du travail d’équipe. C’est en
concordance avec la transformation digitale décrite précédemment que l’État s’est investi à
légiférer autour du télétravail. Une première fois en 2012 faisant ainsi la promotion de ces
pratiques, puis une seconde fois dans le cadre de la réforme du code du travail de 2017 avec
une volonté d’attribuer un statut juridique au télétravail qui soit à la fois plus précis et élargit.

Ce nouveau cadre pour le travail conduit à une reconfiguration du « territoire de travail » (F-X
de Vaujany, 2016). En effet, le travailleur peut désormais adopter des pratiques de travail qui
diffèrent grandement de ce qui a pu se faire par le passé. Désormais il est possible de travailler
à domicile, d’être simplement nomade ou alors dans notre cas d’investir des lieux
intermédiaires comme les tiers-lieux. L’espace de travail n’est plus tant le bureau mais bien
« l’artefact » numérique représenté par l’ordinateur ou le téléphone mobile etc (A. Dudézert,
2018). Ce phénomène de transformation digitale a donc fortement favorisé le développement
de nouveaux lieux adaptés à ces nouvelles pratiques. Les influences sur les tiers-lieux sont
multiples et se traduisent entre autres par l’orientation vers des espace plus modulables, moins
cloisonnés afin de facilité la sociabilisaiton des travailleurs. Le risque lié à l’utilisation intensive

48
des nouvelles technologies pourrait être l’isolement du travailleur et le repli sur soi. Pour lutter
contre un tel phénomène, les tiers-lieux se présentent comme des espaces de travail
collaboratif et d’innovation où la création de lien social est forte. Il s’oppose à une conception
du travail individuelle qui se limiterait à simplement l’exécution d’une tâche donnée.

Il est important de préciser ici que cette configuration du travail ne correspond pas à tous les
métiers et que l’adoption de ces nouvelles pratiques de travail ouvre également la porte à des
risques certains. C’est dans ce cadre justement que le tiers-lieu semble être nécessaire et
s’impose comme des organisations en mesure d’atténuer ces tensions. Comme mentionner
précédemment, l’isolement est le premier danger pour le travail qui s’éloigne petit à petit de
ses différents cercles sociaux et peut rapidement dégrader la cohésion sociale si l’on ne s’en
méfie pas. Par ailleurs, si le travailleur est un salarié par exemple, le sentiment d’appartenance
et la culture d’entreprise sont menacés par cette configuration qui atomise l’organisation du
travail. Le management doit également être capable d’adapter le contrôle qu’il exerce sur le
travailleur en passant du contrôle par la présence à celui au résultat. Le cas de Franck,
travailleur interrogé dans le cadre de mon travail d’enquête, relève également ce point. Il
nous fait part de du risque réel d’avoir une organisation du travail éclatée à la différence d’une
centralisation des travailleurs en un même lieu :

« Pour information, la facilité et on le voit sur certaines phases de gestion de projet


quand on est sur des moments très très intense, on se rend compte qu’être tous sur un
même lieu ça simplifie grandement les choses. Ça simplifie les choses pour avoir une
culture commune, pour faire en sorte que l’information circule vite et qu’il y ait une
vraie cohésion qui permet de faire avancer les projets très très très rapidement,
beaucoup plus rapidement. Donc être sur un seul lieu rend à priori plus performant plus
pertinent. Un tiers-lieu, finalement c’est simplement une conséquence, pour moi, au
niveau RH, de fait qu’on a du mal à attirer en un seul et même lieu des gens qui habitent
à différents endroits en France, régionalement et sur la planète. » Franck,
#AngersFrenchTech

« Cette organisation ne créer pas une culture d’entreprise mais DES cultures
d’entreprises. Et on l’a déjà vu, avant on avait une dizaine d’usine sur tout le
département. Dans chaque usine il y avait une culture bien spécifique. Et en plus c’est
gênant parce que ça créer, si on y prend pas garde, très rapidement ça créer des
oppositions ou alors même des frictions, « ouais mais nous on est mieux qu’eux et on
donne plus d’informations, partage plus parce que on a trouvé une nouvelle solution
qui nous rend plus performant, on va pas le donner aux autre parce que ça va nous
donner un avantage en cas de compétition et de se faire valoir » donc c’est
dommage, donc oui quand on créer de tiers-lieux comme ça, des lieux de travail

49
disséminés géographiquement il est très important d’avoir une culture d’entreprise
forte, d’avoir des rituels qui permettent de mettre tout le monde à un même endroit
régulièrement et faire en sorte que les gens se connaissent. » Franck,
#AngersFrenchTech

Au-delà du statut de salarié ; les indépendants, les auto-entrepreneurs, les dirigeant de TPE,
PME, start-up etc. se retrouvent dans une situation où la frontière matérielle entre la sphère
privée et professionnelle se fait de plus en plus floue. Il est alors nécessaire pour le travailleur de
s’auto-réguler et se fixer des limites quant à où et quand commence son travail. Vient alors la
question du temps de travail qui s’élastifie tant il est aisé de réaliser son travail à tout heure du
jour ou de la nuit et dans quasiment n’importe quel lieu. Ces pratiques interrogent la place du
travail qui s’immisce de plus en plus dans les sphères personnelles. La question que nous avions
soulevée sur l’enchantement où le désenchantement du travail peut être reposée ici. La
scission entre le travail et les loisirs étant de plus en plus fine que l’on pourrait dire que ces
transformations dénotent une tendance croissante à l’enchantement du travail. En effet, cet
ancrage de plus en plus profond dans les différentes strates de la vie de l’individu laisse à
penser que cela permet à bien des égards la réalisation de soi. Néanmoins, cette porosité
comporte des risques pour le travailleur qui n’a plus de cadre et peine à contrôler ses propres
limites. Un rôle que joue le tiers-lieu en instaurant des règles et développent des normes sociales
issues de sa communauté. Une pression sociale qui contraint le travailleur dans ses pratiques
et son organisation vis-à-vis du travail. Ainsi, le tiers-lieu répond à une partie des risques auxquels
s’expose le travailleur par le prisme de la transformation digitale. En effet, le tiers-lieu s’impose
comme un acteur central pour sortir de l’isolement un travailleur de plus en plus flexible et
précaire (Boboc et al., 2014). Aurélie Dudézert nous explique que : « l’essor des tiers-lieux met
en évidence un paradoxe de l’économie de la connaissance et de la créativité qu’est le
besoin de co-présence dans un lieu dédié et physique à l’ère de la mobilité numérique
matérialisée par des outils digitaux (Gramaccia, 2015 ; Scaillerez et Tremblay, 2016) »53. C’est
ce contexte précis qui, parallèlement à l’adoption de nouvelles pratiques liées à une
décorposiation du travail, ont favorisé ces nouveaux espaces d’accueil pour le travailleur.
C’est ainsi que l’investissement des tiers-lieux par le travail s’est démocratisé bien qu’il est
important de rappeler que ces tendances sont encore récentes et que l’appropriation
actuelle est un processus inachevé qui tend à fortement évoluer dans les années à venir. Si
une chose est certaine, au vu de la littérature fleurissante à ce sujet, c’est que le numérique
est un élément structurant qui a terme à toutes les raisons de constituer l’une des spécificités
des tiers-lieux tant il est également vecteur de travail collaboratif.

53Dudézert, A. (2018). La transformation digitale des entreprises. https://www.cairn.info/la-


transformation-digitale-des-entreprises--9782348036019.htm

50
2.8 Le tiers-lieu nouveau havre d’innovation et de travail collaboratif

Une « révolution digitale » qui transforme également le consommateur en créateur de son


cadre de vie. L’expression qui se généralise est celle de « consom-acteur » qui fait écho à
l’essor de l’économie collaborative54. Un élément de plus qui participe à l’effritement du
salariat et à la porosité entre les sphères professionnelles et domestiques. En effet, cette forme
d’économie préfère l’usage à la possession et permet aux individus de proposer des produits
et services sans pour autant en faire une activité à plein temps ou encore être assimilé à du
travail. Deux directions à ce courant sont identifiables. Premièrement, l’économie sociale et
solidaire55 qui favorise les activités de pair à pair et qui a pour objectif de créer de la valeur en
commun. Elle participe elle aussi à une nouvelle organisation du travail et d’échanges. Les
tiers-lieux se sont beaucoup inspirés de cette économie qui se base sur la configuration des
individus en réseaux et communautés. De plus, les valeurs autour desquelles elle s’articule sont
basées sur la coopération, l’égalité des statuts ce que cherche à créer la plupart des tiers-
lieux. La deuxième direction que prend l’économie collaborative est celle de l’économie de
plateformes une nouvelle forme de marché triangulaire qui permet la mise en relation via des
outils digitaux des consommateurs et des indépendants. La plateforme (les exemples les plus
emblématiques sont Uber, Airbnb, Le bon coin etc.) prend alors le rôle de tiers régulateur. Une
tendance importante à prendre en compte tant elle va à contre-courant du capitalisme et
de la financiarisation, elle se base essentiellement sur la confiance et l’existence d’une
communauté plutôt que la mise en concurrence56. Ce nouvel élan de consumérisme
responsable et basé sur l’usage plus que la propriété se retrouve grandement dans la
philosophie proposée par les tiers-lieux qui repose sur sa communauté pour une gestion en
commun des espaces et une coopération forte des membres de sa communauté. Des aspects
qui en font des lieux propices à la création, au partage et au retour du « faire » comme le
souligne Michel Lallement57. En effet, bon nombre de ses espaces développent des activités

54 Le ministère de l’économie et des finances définit l’économie collaborative de la manière suivante :


« […] également appelée économie de partage, ou de pair à pair, elle s’avère être aujourd’hui un mode
novateur de consommation en matière d’échanges sur plateformes d’offres commerciales de biens et
de services entre particuliers. C’est grâce au développement des nouvelles technologies d’information
et de communication que ce modèle économique pris de plus en plus de dimension ces dernière 10
dernières années. »

55Au regard de la Loi Hamon du 31 juillet 2014, l’Économie sociale et solidaire se définit comme suit : «
Ensemble de structures qui cherchent à concilier utilité sociale, solidarité, performance économique et
gouvernance démocratique, avec pour ambition de créer des emplois et de développer une plus
grande cohésion sociale. »
56Propos à nuancer dans le sens où de nombreux exemples tendent à démontrer que, d’une
certaine façon, un capitalisme des plateformes s’est développé favorisant le précariat et
l’érosion de la protection du travailleur.

57 Michel Lallement (2015), L’Âge du faire. Hacking, travail, anarchie, Paris, Seuil.

51
communautaires qui viennent combler le manque créer par cette dématérialisation et dé
corporisation du travail. La communauté est mise à contribution au service du tiers-lieu ce qui
renforce le lien social qui, comme nous l’avons vu, s’est fortement détériorée avec l’essor des
pratiques managériales assimilées au nouveau capitalisme. Par exemple, nous observons que
la communauté est dans bien des cas mobilisés sur l’entretien de leur cadre de travail c’est-à-
dire l’aménagement du tiers-lieu en tant que tel. Une démarche participative qui répond selon
Michel Lallemand à « une envie de bidouiller et de bricoler des objets divers mais surtout
d’innover et de faire du travail une pratique productive qui trouve en elle-même sa propre
finalité ». Un moyen de lutte contre l’isolement et le repli sur soi des travailleurs. Le tiers-lieu La
Gob qui est l’un de mes terrains d’enquête mobilise énormément ses membres dans la
construction de leur environnement de travail. Une réponse à un besoin des membre comme
l’atteste leurs témoignages :

« […] j’ai envie de m’y impliquer plus. Et notamment dans les réflexions, il y a aussi dans
l’idée de maitriser et de faire soi-même je trouve ça super. Après sur le principe oui mais
j’ai pas toutes les compétences techniques. Mais si je suis accompagné et qu’on me
dit bah faut que tu fasses ça dans le cadre du chantier et ouais j’adorerais. J’pense
qu’aujourd’hui j’ai participé à un tiers des événements proposés. Et dans l’idée de
s’impliquer un peu plus et du coup je pense être un peu plus en devenant
administrateur de l’asso pour faire partager mes réflexions et être acteur à part entière
de la gestion du lieu. » Benoit

« S’il y a un chantier que je sais qui va me plaire et que je vais apprendre des trucs, par
exemple faire l’isolation des trucs comme ça que je sais pas faire, je vais bloquer la
date en avance parce que je sais qu’il y aura ça et que ça va me plaire. » Martin

« Là j’étais embêté ce matin parce que je suis en préparation d’AG et j’ai pas pu aider
à filer un coup de main pour faire l’activité de ce matin qui était créer le compost. Ça
m’a bien embêté mais je n’avais pas le choix.» Karen

La configuration en tiers-lieu répond aux besoins mis en exergue d’une organisation du travail
qui voit le travailleur désabusé à la recherche de plus de confiance. Il peut alors plus
facilement s’exprimer dans ce type de lieu qu’au sein d’une entreprise au management sur
humanisé, qui engage sa subjectivité et où les liens sociaux sont compromis. En effet nous
l’avons vu, le tiers-lieu est plus qu’un espace de travail partagé, c’est un lieu
« d’expérimentation collective d’une développement durable contributif et d’innovation

52
sociale à l’échelle territoriale »58 (C. Liefooghe, 2018). La dialectique des tiers-lieux nourrit par
bien des aspects une utopie qui se voudrait alternative au système socio-économique existant.
Dans les faits, comme nous l’avons observé précédemment cette configuration se confond
également à bien des égards à l’organisation du travail du nouveau capitalisme. Malgré tout
c’est ce double discours qui fait la force des tiers-lieux et le place comme une matrice idéale
pour l’ensemble des acteurs économiques. En effet, nous constatons qu’elle se situe au
croisement des intérêts à la fois du travailleur, de l’entreprise et des pouvoirs publics. Selon
Raphaël Suire59, les tiers-lieux joueraient un rôle de « middleground » qui a pour vocation de
connecter les acteurs de « l’upperground » (les entreprises, institutions publiques.) et ceux de
« l’underground » (les collectifs informel et alternatifs) (Suire, 2013). C’est cette configuration
précise qui place le tiers-lieu au cœur de l’économie collaborative et créative permettant
d’offrir des conditions de sérendipité et d’expérimentation de nouvelles méthodes de travail
plus créatives et collaboratives. On constate par ailleurs, par effet de mimétisme, que les
pratiques de travail développées au sein des tiers-lieux inspirent les grandes entreprises qui, de
plus en plus, aménagent des espaces de ce type au sein même de leur organisation pour
créer des conditions de créativité. Par exemple, c’est le groupe ERAM qui s’est doté d’un tiers-
lieu de 300 m2 pour permettre, d’après le directeur marketing et digital du groupe, de réunir
les conditions idéales « d’expérimentation ouvert ».

Toutes ces conditions placent le tiers-lieu comme un espace d’innovation et de collaboration


grâce à la forte mobilisation de sa communauté. De la sorte, le travailleur peut à la fois pallier
les externalités négatives liées aux dynamiques d’un nouveau capitalisme de plus en plus
engageant pour le travailleur tout en fragilisant son statut.

Conclusion :
Cette première analyse met en lumière les conditions ayant permis un rapprochement
progressif des travailleurs et des tiers-lieux. Il est désormais possible de comprendre quelles sont
les tendances et le contexte permettant au travailleur de s’approprier le tiers-lieu.

58 Liefooghe, C (2018). Les tiers-lieux à l’ère du numérique : Diffusion spatiale d’une utopie socio-
économique | Cairn.info. (s. d.). Consulté 3 novembre 2019, à l’adresse https://www-
cairn-info.srvext.uco.fr/revue-geographie-economie-societe-2018-1-page-33.htm

59 Suire, R. (2013). Innovation, espaces de co-working et tiers-lieux : Entre conformisme et


créativité. In Economics Working Paper Archive (University of Rennes 1 & University of Caen)
Center for Research in Economics and Management (CREM), University of Rennes 1, University
of Caen and CNRS. https://ideas.repec.org/p/tut/cremwp/201308.html

53
Nous constatons que le mouvement a été modelé en grande partie au travers de deux
phénomènes. Tout d’abord, sa professionnalisation ayant grandement participé à sa
formalisation et à l’émergence de nouveaux acteurs moteurs. Que cela soit par
l’investissement des entreprises ou des pouvoirs publics, ces nouvelles parties prenantes ont
chacune fortement influencé l’organisation, le positionnement et plus largement le modèle
économique des tiers-lieux. Une dynamique qui consolide le développement de nouvelles
activités économiques, mais aussi de nouvelles configurations d’animation des tiers-lieux. C’est
donc grâce à ce changement de paradigme que les travailleurs ont pu progressivement
s’installer au sein des tiers-lieux.

Parallèlement, c’est la transformation des conditions socio-économiques, entrainant avec elle


une nouvelle organisation du travail, qui va fortement influencer le mouvement des tiers-lieux
ainsi que les travailleurs qui les investissent. Globalement, la substitution d’un capitalisme
industriel pour un nouveau capitalisme mondialisé a remis en question l’organisation du travail
taylorienne qui, pourtant, a régné sur une bonne partie du XXème siècle. La nouvelle ère dans
laquelle nous sommes depuis maintenant presque 30 ans est rythmée par une organisation du
travail déstabilisée où le travailleur est de plus en plus précaire et mobile. Nous assistons donc
à une perte du statut protecteur du salariat pour s’orienter vers une économie de l’emploi qui
incite le travailleur à créer sa propre activité et être de plus en plus flexible. Même si nous vivons
toujours dans la société salariale décrite par Robert Castel, le travailleur est désormais nomade
et passe d’un emploi à l’autre. Une nécessité pour répondre à un marché du travail régit par
la « cité par projet » (Chiapello & Boltanski, 1999), demandant au travailleur toujours plus
d’investissement au détriment d’une stabilité perdue liée à une concurrence mondiale
exacerbée. Nous pouvons ajouter également l’évolution des propriétés techniques du travail
qui se dématérialisent de plus en plus, laissant ainsi place à un travailleur nomade pouvant
investir de nouveaux lieux pour exercer ses activités.

C’est donc dans ce contexte qu’évolue le tiers-lieu et il semble être en mesure de répondre à
un certain nombre d’enjeux que présente cette nouvelle organisation du travail. Il se positionne
ainsi comme une solution pour de nombreux acteurs grâce à des atouts indéniables lui
permettant de proposer un environnement de travail propice aux nouvelles caractéristiques
d’un travailleur de plus en plus mobile et précaire. En effet, du fait de ses différentes spécificités,
le tiers-lieu est en mesure de revaloriser des compétences professionnelles trop souvent mises
de côté par des nouvelles formes de management « sur-humanisantes » (D. Linhat, 2015). Il
s’impose également comme un outil de reconstruction d’une cohésion sociale en perte de
vitesse (R. Castel, 2013) et apporte une stabilité pour le travailleur qui ne peut la trouver au sein
d’entreprises de plus en plus sujettes aux aléas socio-économiques.

54
Chapitre 2 : Analyse des terrains d’enquête étudiés

Après avoir détaillé les diverses conditions ayant permis l’appropriation des tiers-lieux par les
travailleurs il est désormais intéressant de dépeindre concrètement ce qu’il en ait sur le terrain.
Ce sera alors également l’opportunité de confronter plus largement les différentes hypothèses
que nous avons précédemment évoquées aux différents tiers-lieux que j’ai pu visiter. Pour ce
faire, nous allons dans un premier temps analyser un par un les tiers-lieux enquêtés et leurs
caractéristiques. Ceci nous permettra de comprendre au mieux les environnements dans
lesquels évoluent les travailleurs interrogés. Dans un second temps nous nous attacherons à
identifier les convergences et divergences qu’il existe entre ces différents tiers-lieux, une partie
qui mettra alors en valeur les dynamiques communes qui régissent mon terrain d’enquête.

Les tiers-lieux n’étant plus considérés comme une simple niche s’adressant aux grandes
métropoles et à l’usager stéréotype de "l’homme urbain trentenaire, start-upeur et déjà très
connecté", il est intéressant de comprendre ce que propose réellement la grande majorité des
tiers-lieux qui constituent le phénomène en France. Pour ce faire, j’ai fait le choix d’orienter
mon étude vers des structures environnantes à la métropole d’Angers se rapprochant plus de
ce qui existe dans les différents territoires de France. Un parti-pris qui va permettre d’augmenter
la représentativité des structures étudiées. En effet, procéder à des analyses et observations
de tiers-lieux de grande métropole aurait comporté un biais tant ils sont exposés et spécifiques
par rapport à leur poids au sein du mouvement60. L’échantillon ici n’a pas la prétention d’être
représentatif de l’ensemble du phénomène tant il est hétérogène. Néanmoins, il tend à
présenter des entités qui, nous le verrons, sont foncièrement différentes et peuvent capter une
partie des tendances correspondantes aux spécialisations de chacun des lieux. Deux critères
ont été décisifs dans le choix de mes terrains d’enquête. Dans un premier temps, la situation
géographique avec un terrain d’enquête en centre-ville, un situé dans un QPV et enfin un
dernier dans une zone que l’on pourrait qualifier de rurale. Dans un second temps, il était
important de prendre des spécialisations différentes pour obtenir des profils variés de
travailleurs. Les tiers-lieux choisis ont donc chacun leur spécialité : le numérique, la culture et
un dernier plus généraliste mais avec une tendance à l’artisanat.

Le tiers-lieu « #AngersFrenchTech »
Le tiers-lieu Angers French Tech est très récent, en effet, il a ouvert ses portes en mars 2019 mais
est une initiative de la coopérative éponyme qui, elle, existe depuis 2015. Il compte aujourd’hui

60 On en dénombre uniquement 67 sur les 1800 existants

55
40 travailleurs qui sont pour la plupart des entrepreneurs spécialisés dans les nouvelles
technologies. Pour comprendre la dynamique du lieu il est crucial de prendre hautement en
considération les enjeux de la coopérative. En effet, cette dernière fait elle-même partie d’un
réseau qui agit comme un label national. Le mouvement « French Tech » est une administration
qui relève du gouvernement français. Ce label officiel est attribué par les autorités françaises
à des métropoles du territoires au regard du niveau de développement de leur écosystème
de start-ups innovantes ainsi que, de manière générale, leur attractivité économique. Un
dispositif de l’État visant à soutenir la visibilité des acteurs du secteur de la technologie auprès
des acteurs internationaux. Les principales parties prenantes à ce programme sont le ministère
de l’Europe et des affaires étrangères 61 et la Banque Publique d’Investissement (BPI)62. Une
initiative d’État donc qui est une véritable stratégie économique dans laquelle il investit
massivement pour rester concurrentiel sur le plan international. Il est même possible d’assimiler
ce mouvement à un vaste plan de communication et de soutien du secteur des nouvelles
technologies. Un label qui compte 16 métropoles dont la ville d’Angers, considérée comme
un écosystème thématique spécialisé dans l’industrie. Une mobilisation forte de la part du
territoire Angevin pour obtenir ce label se considérant légitime au vu de son histoire pour être
un territoire compétitif internationalement sur la thématique. L’animateur me le confirme en
me déclarant :

« À ce moment [En 2015 lors de la création du label] le territoire angevin s’est interrogé,
s’est réuni et certains ont décidé d’y aller, d’aller chercher le label eux-aussi parce que
Angers, la ville d’Angers, entre guillemets, avait, et a toujours je pense, cet ancien tissu
qui était un peu mort à la fin des années 2000 des Thomson etc. qui avaient laissé une
brèche mais laissé malgré tout un savoir-faire. Il y a un trou béant, il y a des gens qui
sont partis dans plein d’autres domaines et qui ont des compétences, une appétence.
Le territoire a une histoire tout à fait liée et logique avec l’électronique. Derrière on a
des gros leaders malgré tout qui ont su s’en sortir sur le territoire, des grosses locomotives,
un tissu qui se régénérait à ce moment-là, des start-up qui avaient envie de se lancer
mais avait pas forcément de structures pour les accueillir et autres, donc la coopérative
se monte, avec des particuliers aussi, qui avaient cette appétence là pour aller
décrocher le label #AngersFrenchTech. On fait partie des plus petites villes, à l’époque,
à obtenir le label. »

61Injection de 15 millions d’euros en 2015 lors du lancement du label, visant à renforcer


l’attractivité de la « French Tech à l’international »

62Déblocage d’un fonds dédié de 200 millions d’euros sous forme de subventions pour
soutenir l’écosystème.

56
C’est dans ce contexte que la métropole d’Angers s’est vue attribuer des fonds dédiés à
l’animation d’un écosystème économique autour des nouvelles technologies. Une mission qui
s’est incarnée par la création d’une coopérative et plus tard d’un tiers-lieu. Nous comprenons
alors que le lien avec les pouvoirs public est très fort au sein de ce tiers-lieu comme me le fait
savoir l’animateur du lieu lors d’un entretien :

« On est en délégation de service publique sur une partie de nos activités donc
l’animation de l’écosystème c’est une compétence que Angers Loire Métropole nous
a relégué sous la forme d’un contrat qui est en fait un mandat de gestion d’intérêt
général, contrat SIEG. C’est l’équivalent d’une délégation de service public grosso
modo mais à côté duquel on a des activités chez nous en tant que start-up, on est une
coopérative donc on a aussi des activités annexes comme le tiers-lieu qui n’est pas une
activité bénévole pour le coup. » Mathieu, animateur du lieu

« Le lien avec le politique on peut en faire un puisque qu’on travaille de manière très
étroite avec la CCI, Aldev avec le bureau/cabinet du maire parce que c’est lui qui fixe
le cap sur le territoire donc on lui doit des comptes, on leurs doit des comptes à tous.
[…] » Mathieu, animateur du lieu

Ces propos illustrent les relations existantes entre les acteurs publics et le tiers-lieu. Loin d’être
indépendant le lieu reste en grande partie sous la tutelle de la métropole qui guide une partie
de ses orientations. À la différence de ce qui peut être observer dans d’autres lieux, cette
initiative est directement adressée par l’État qui flèche ses investissements dans le but précis
de dynamiser un secteur économique. Ce n’est donc pas une initiative citoyenne mais
vraiment le résultat d’une stratégie d’action publique. Le tiers-lieu est en quelque sorte une
matérialisation de cette dynamique et un outil qui sert les objectifs fixés par la métropole. Des
relations qui donnent lieu à des jeux politiques comme m’en fait part une nouvelle fois
l’animateur du lieu :

« Le politique on le croise au quotidien puisqu’on a la chance d’accueillir, tu l’as


rapidement aperçu, un député qui a fait le choix d’installer sa permanence
parlementaire chez nous. Donc ça c’est une des spécificités du tiers-lieu et c’est
extrêmement agréable parce que ça rajoute énormément. Certes, on est très heureux,
ça reste dans le off, personnellement je suis très heureux, qu’il n’est pas été candidat
aux municipales parce que ça nous aurait mis dans une situation impossible étant sous
mandat avec un autre candidat et hébergeant un autre candidat ça aurait juste été
une position intenable. » Mathieu, animateur du tiers-lieu.

57
« Alors, nous on a choisi de rester un tiers-lieu à vocation tech évidemment au début
on a pas pu se permettre de faire les fines bouches, on avait des soutiens, on a une
compagnie événementielle qui est là qui gère les accroches cœurs qui a légitimité à
être là euh…. Parce qu’elle a pignon sur rue dans la ville, Jacques Himber, qui gère les
accroches cœurs. Là aussi il y a un jeu politique c’est quelqu’un qui est en accointance
évidente avec le maire en place qui est aussi souvent là. Donc au début on accueille
ces personnes-là et puis petit à petit on essaye de recruter et de composer une équipe
de locataires avec des projets tech qu’on soupçonne ou qu’on voit en tout cas d’ores
et déjà mature. On ne va pas chercher de l’étudiant pour accompagner dans la
création de son entreprise ou pour les accompagner dans les balbutiements d’une
entreprise » » Mathieu, animateur du tiers-lieu.

L’ancrage local du tiers-lieu est donc très fort du fait de son lien étroit avec la métropole et
ainsi la vitrine qu’il représente pour l’ensemble du territoire. Néanmoins, nous observons que la
tendance est plus au rayonnement international que local. Le tiers-lieu se veut élitiste et
recherche des talents qui permettront de créer de la valeur économique pour le territoire et
plus globalement pour la France. Une dynamique qui se ressent mécaniquement dans
l’organisation de la communauté qui se compose de profils sélectionnés qui sont donc poussés
à se développer et à être dans un esprit de conquête de nouveaux marchés. On se retrouve
ici complétement dans l’esprit du nouveau capitalisme et où, nous le verrons, les méthodes de
travail se confondent avec ce que nous avons dépeint précédemment. Une dynamique qui
se ressent fortement dans le discours porté par le représentant du lieu :

« Les entreprises il y en a certaines qui vont venir ici qui ne vont rien y gagner, j’en vois
peu mais il y en a une ou deux, elles viennent parce qu’il leur fallait des locaux.
Néanmoins je pense que celles et ceux qui nous ont rejoint, aujourd’hui ils adhèrent
aussi à la philosophie du lieu c’est-à-dire qu’ils viennent chercher de l’échange, du lien
encore une fois, ils viennent tisser du lien. On ne va pas forcément les faire bondir par
de la méthodologie par... voilà... mais on va leur permettre de rencontrer toujours plus
de personnes qualifiées, de les porter, quand ils seront mûrs, à l’international sur des
grandes expéditions et là leur faire connaitre des nouveaux marchés, des nouveaux
fournisseurs/ partenaires etc. […] L’idée ce n’est pas de garder des gens de façon
sclérosée ici, c’est que ces liens tissés les uns entre les autres leur permettent de changer
d’échelle. Le fait de se faire travailler mutuellement, permettent à certain d’exploser et
de quitter le lieu. Nous on a vocation à ce que les gens s’en aillent. » » Mathieu,
animateur du tiers-lieu

« Ce n’est pas l’objectif premier de tout le monde, l’objectif premier c’est de


développer sa boite et de s’y épanouir j’pense. Mais c’est le moins de le dire le but

58
c’est de faire du biff, c’est de demain être cette start-up qui explose et qui se fait
racheter à coup de millions. C’est dans un coin de tête de tout le monde, c’est la
success story dont tout le monde rêve. » » Mathieu, animateur du tiers-lieu

Un tiers-lieu qui, au-delà du lien évident qu’il a avec la Métropole angevine travaille également
en étroite collaboration avec le secteur privé comme les grands groupes. Il est possible de
l’observer dans le cadre du développement du projet de Smart City à Angers 63 qui accroit
l’attractivité du territoire pour les entreprises du secteur numérique. Le tiers-lieu se place
comme une porte d’entrée pour ces entreprises collaborent avec elle pour développer les
activités économiques de sa communauté. On le remarque très clairement quand le référent
du lieu y fait référence lors de notre entretien :

« Je ne sais pas si tu as entendu parler du dialogue compétitif territoire intelligent qui a


lieu sur le territoire…En gros tu as Engie, EDF, Vinci, et Bouygues qui se battent pour
décrocher un contrat « d’exclusivité » du développement de la smart city d’Angers.
Euh oui, donc ce dialogue compétitif il voit s’opposer 4 groupes/consortium à coup de
millions voir plus, évidemment nous on est rentré en contact avec chacun d’entre eux.
Chacun d’entre à une vision de ce qu’ils veulent faire de ce label #AngersFrenchTech
qui sera une bannière derrière laquelle ils ne viendront peut-être pas se ranger mais
qu’ils vont essayer de porter. Donc oui on a des contacts avec ces grands groupes, on
les multiplie aussi à l’international parce que l’idée pour nous c’est de pouvoir au
moment où une start-up, qu’elle soit résidente ou pas d’ailleurs. Ça ca sort un peu du
tiers-lieu, on est en fait autour de l’écosystème mais quand on sent que quelqu’un est
mûr et que la personne veut travailler avec nous et veut bien payer pour qu’on l’envoie
au CES ou autre… Corine son taffe à elle c’est de présenter les bonnes personnes pour
potentiellement déclencher des opportunités d’affaires et d’engranger de l’argent. On
a vocation à faire exploser celles et ceux qui sont là mais aujourd’hui ça reste très
confidentiel parce que c’est le début d’une aventure » » Mathieu, animateur du tiers-
lieu

Ce que nous pouvons donc retenir du contexte dans lequel le tiers-lieu #AngersFrenchTech
c’est qu’il est essentiellement la matérialisation d’une tendance globale d’un territoire qui
cherche à se dynamiser et créer de l’activité économique. Lors de mon entretien avec
l’« office manager » du lieu, il fait référence à plusieurs reprise de l’expression « lieu Totem ». Ce
qu’il faut comprendre ici c’est que ce tiers-lieu est l’incarnation physique d’un écosystème qui
veut se structurer sur la région et qui a besoin d’être identifié facilement auprès des différents

63 http://www.angersloiremetropole.fr/medias/62761-l-avenir-est-au-territoire-
intelligent/index.html

59
acteurs. Cet espace est une convergence d’acteurs qui vont mutuellement se porter pour
presque développer un pôle de compétitivité de référence que la thématique du numérique.
Un lieu ayant pour rôle de fédérer plus largement que les professionnels qui sont physiquement
en son sein en s’adressant à un écosystème territorial sur une thématique bien précise. Nous
sommes plus sur la configuration d’un cluster où se rencontrent tous les acteurs ayant une plus-
value en termes de compétitivité et d’attractivité pour le territoire. C’est donc un espace très
politique qui peut être instrumentalisé par les différentes parties prenantes pour répondre à des
jeux de pouvoir spécifiques. Le caractère ouvert souvent revendiqué par le tiers-lieu prend ici
une forme singulière. L’ouverture existe mais seulement vis-à-vis d’acteurs qui vont apporter
une réelle plus-value et permettre d’atteindre l’objectif fixé par la Métropole d’Angers : Le
rayonnement national et international sur la thématique des nouvelles technologies.

Le tiers-lieu « La Gob »
Issu d’une initiative citoyenne datant de 2017, le tiers-lieu La Gob se revendique comme des
ateliers hybrides, lieu d’échanges et de production. Situé à Bressuire, commune de 12 000
habitants des Deux-Sèvres, c’est en grande partie la fibre environnementale de deux associés
d’une entreprise d’écoconstruction qui ont permis l’éclosion de ce lieu. Le projet a investi une
ancienne briqueterie à l’abandon en très mauvaise état mais qui présentait un fort potentiel
d’aménagement. C’est donc avec l’objectif de transformer un patrimoine industriel en un lieu
dynamique d’échanges et mêlerait vie professionnelle et vie associative que La Gob est née.
Ce tiers-lieu se caractérise par sa forte volonté de rester indépendant et de ne dépendre
d’aucun financement public. Ce tiers-lieu a donc développé un modèle économique solide
qui tend vers un modèle d’autogestion. Pour ce faire, les deux associés font l’acquisition du
lieu au travers d’une Société Civile Immobilière (SCI) et à moindre prix au vu de l’état du
bâtiment. Ils proposent ensuite des espaces de location pour couvrir les mensualités de leur
emprunt et créer une association qui sera en charge de la gestion et animation du lieu. Un
projet qui est traversé par la volonté de développer un système collaboratif où chacun
apportera sa participation à la rénovation du lieu. Une implication très forte de sa
communauté est observée par le biais entre autres de chantiers participatifs qui permettront
petit à petit d’avoir un lieu complétement réhabilité. Une organisation qui a pour vocation de
rendre économiquement viable la rénovation du lieu tout en le faisant à moindre coût. D’autre
part, il se caractérise par la mobilisation de sa communauté, la fédération autour de valeurs
fortes que sont celles de réemploi et de l’économie circulaire. En effet, La Gob se présente par
son positionnement comme une organisation militante des valeurs de l’ESS, on le retrouve
d’ailleurs par exemple sur leurs outils de communication :

60
« Animer un espace d’activités et de convivialité, où les hommes et les femmes partagent
des idées et des valeurs comme la durabilité, la répartition des richesses, la solidarité et
l’écologie. » Extrait du site de la Gob64

Ils affirment d’autant plus un positionnent écologique au cœur du projet :

« Réhabiliter ce bâtiment, proche du centre-ville, c’est éviter qu’il devienne une friche.
C’est montrer que l’artificialisation des terres agricoles au profit de l’urbanisation n’est
pas inéluctable et qu’il existe des lieux à reconquérir en ville. » Extrait du site de la Gob

Ce tiers-lieu se compose de travailleurs très variés allant de l’artisanat grâce à la partie atelier
du lieu jusqu’à des associations qui elles occupent une partie dédiée aux bureaux partagés. Il
est tout de même possible d’identifier trois types d’acteurs de ce tiers-lieu : Des associations,
des structures culturelles et des artisans. Selon l’un de ses créateurs :

« Le principe du tiers-lieu est d’avoir une mixité qui apporte de nouveaux horizons,
différentes façons de penser et c’est ça qui est intéressant dans le tiers-lieu. C’est faire
concorder des réseaux pour que de nouvelles idées naissent. ».

La gestion du lieu étant articulée autour d’une association ouverte au grand public, la
communauté professionnelle n’est qu’une seule composante du lieu. Pour le reste, beaucoup
d’usagers sont des adhérents bénévoles qui participent grandement à l’animation du lieu. Au-
delà d’offrir un cadre de travail propice à la collaboration, le lieu a pour vocation de
dynamiser culturellement et socialement le territoire. En effet, il est fréquent que le lieu
accueille des concerts et expositions. Il y a également un bar associatif qui est ouvert une fois
par semaine et qui est animé par la communauté. Un environnement hybride pour le travailleur
qui, quand il fait le choix de s’y installer, accepte également d’être au cœur d’un lieu de vie
qui brouille la frontière entre la sphère personnelle et professionnelle. Nous sommes ici
entièrement dans un système d’économie collaborative visant à impliquer le travailleur dans
la construction de son cadre de vie. C’est d’ailleurs ce qu’affirme son créateur :

« Les événements qu’on va faire à l’intérieur du lieu pour pouvoir dynamiser ce lieu, ce
qu’on recherche c’est d’avoir quelque chose d’hybride qui est entre le professionnel,
le culturel, le loisir tout ça mélangé sur un même lieu. »

Une organisation particulière qui mise sur la complémentarité des besoins des différents
travailleurs. Ici, nous sommes pleinement dans ce que Michel Lallement appelle les « Makers »,

64 http://www.lagob.fr/

61
paradoxalement au fait que de nombreux métiers se sont digitalisés, il subsiste un besoin latent
de « faire » les choses chez le travailleur65 (Lallement, 2015). Dans ce contexte, La Gob répond
à ce besoin en permettant aux travailleurs de prendre part à l’animation et la construction de
son environnement de travail. La complémentarité est idéale dans le cadre de ce tiers-lieu car
les artisans permettent un transfert de savoir au reste de la communauté pour qu’ils puissent
s’investir au mieux dans des taches que l’on pourrait assimiler à de la « bidouille »66 (M.
Lallement, 2015). Cette mobilisation collaborative de la communauté se traduit concrètement
dans les offres de services proposés par le tiers-lieu sous la forme d’ateliers. On constate qu’au-
delà de la mise à disposition de bureaux aménagés et d’une salle de réunion le travailleur est
invité à s’impliquer autrement vis-à-vis de son environnement de travail. En effet, une fois par
mois l’association propose :

« Un chantier participatif encadré par les artisans présents sur le lieu ».

Des événement qui font effet de rituel pour les travailleurs et le tiers-lieu insiste sur leur
importance :

« L’accompagnement de ces événements dans le domaine de l’écoconstruction est


un savoir-faire structurant du lieu. »

Ils peuvent être également mobilisés sur des visites du lieu pour faire connaitre le site et le projet.
Afin de renforcer cette approche collaborative le lieu accueille les « rencontres du libre » sur 1
semaine tous les ans. Il s’agit d’un « événement autogéré, où les participant viennent partager
le faire soi-même, les techniques libres, les logiciels libres, le copyleft 67... ». Des événements qui
dessinent donc ces micro-cultures décrites par O. Cléach et qui créer une cohésion sociale
singulière au lieu.

Le tiers-lieu « Le 122 »
Ce tiers-lieu culturel a nombre de singularités qui font de lui un espace de travail bien particulier
avec des dynamiques qui lui sont propres. De nouveau, cet espace prend sa source dans un

65Michel Lallement (2015), L’Âge du faire. Hacking, travail, anarchie, Paris, Seuil.
66Ibid
67 Définition issue de Wikipédia : « Parfois traduit comme gauche d'auteur, est l'autorisation

donnée par l'auteur d'un travail soumis au droit d'auteur (œuvre d'art, texte, programme
informatique ou autre) d'utiliser, d'étudier, de modifier et de diffuser son œuvre, dans la mesure
où cette même autorisation reste préservée. »

62
projet qui lui, est bien plus ancien (2009) et porté par une association dénommée Paï Paï. Ce
tiers-lieu a donc été pensé dans la continuité des activités cette association que sont :

« La promotion, le soutien et la diffusion de la scène artistique du Maine et Loire ainsi


que la création et la mise en place de propositions pédagogiques originales ». Extrait
du site internet de l’association68

Il est intéressant de constater que la création de cet espace est le résultat de deux facteurs
majeurs. Premièrement, le développement de l’activité de l’association qui cherchait un
moyen de transformer son espace de travail ne permettant plus de répondre à la demande à
laquelle l’association faisait face. Le tiers-lieu s’est alors imposé naturellement pour répondre
aux besoins d’un développement d’un projet spécifique. Le travail porté par l’association a
alors été de trouver une solution innovante ainsi qu’au service du territoire autour de ses activité
principales que sont la diffusion, la pédagogie et la création d’outils pour les artistes. Les
fondateurs qui ont pensé ce lieu n’ont revendiqué leur appartenant au mouvement des tiers-
lieux que tardivement parce qu’ils ne le considéraient pas comme tel initialement. C’est ce
que nous fait savoir l’un des fondateurs :

« Nous au départ on ne l’appelait pas comme ça, on ne savait pas comment l’appeler
d’ailleurs. Mais à force d’en parler avec les gens on s’est rendu compte que ça se
rapprochait d’un tiers-lieu. Le tiers-lieu pour moi c’est un endroit qui mélange lieu de
vie, lieu de travail et lieu d’habitation. Nous il est plus axé autour du culturel, c’est pas
un lieu d’habitation mais voilà c’est comme ça qu’on le définit. C’est un endroit où on
mélange travail et lieu de vie et nous on y rajoute petite cantine, petit café pour être
plus chaleureux. »

Néanmoins, un second facteur vient se greffer au premier, celui de de l’intervention des


collectivités territoriale. En effet, derrière ce tiers-lieu culturel se cache un enjeu de
redynamisation et d’accès à la culture pour les quartiers défavorisés de la métropole
Angevine. La localisation du lieu à Mon Plaisir (un QPV) n’est pas anodine, un emplacement
non pas choisi par les membres de l’association Paï Paï mais bien par la ville d’Angers. Le local
qui constitue le tiers-lieu est en fait mis à disposition par la mairie d’Angers pour une durée de
7 ans. C’est grâce à cet investissement que le tiers-lieu a pu voir le jour et que l’association a
pu concrétiser son développement. Étant en délégation de service public, cet espace est
ancré dans une stratégie plus globale qu’est celle d’une extension du centre-ville d’Angers et
ainsi désenclaver des QPV. Un enjeu politique donc derrière la création de ce tiers-lieu qui
converge avec les différents besoins des acteurs que cela soit les collectivités territoriales ou

68 https://www.assopaipai.org/

63
bien les acteurs associatifs. Un modèle économique mixte entre ressources publiques et privées
qui a permis la création de 10 postes salariés évoluant actuellement au sein du tiers-lieu. Une
aubaine pour l’ensemble de parties nous rappelle l’un des fondateurs du lieu :

« La Ville nous a présenté ce lieu, l’ancienne Biocoop, une occasion rêvée pour nous
parce qu’on est limitrophe avec les quartiers Monplaisir, Ney et Saint-Serge et il n’y avait
pas de vie de quartier. On veut développer la mixité. La Ville nous met à disposition les
locaux pour 7 ans. En contrepartie, on fait les travaux et on en fait un lieu de partages
et d’échanges artistiques. On prône la diffusion locale et notamment la pratique
amateure et émergente. Les groupes qui souhaiteraient s’y produire doivent contacter
la diffusion. Notre force est que la quasi-totalité de la programmation est gratuite. »

Le 122 affiche cette ambition de fédérer et de recréer du lien social entre les différents quartiers
de la ville par le biais de la culture. Nous retrouvons sur ses supports de communication :

« Le 122 propose un trait d’union entre 3 quartiers et par conséquent de nombreuses


opportunités pour le territoire. » ». Extrait du
site internet de l’association

Quatre objectifs sont alors mis en avant par le tiers-


lieu : 1) L’ouverture sur le quartier prioritaire
Monplaisir ; 2) Dynamiser le tissu associatif et
culturel ; 3) Toucher un public plus large ; 4)
Revivifier un quartier résidentiel. Le tiers-lieu en tant
que tel est un composé de différentes activités qui
font office d’offre de service. Elles permettent
d’assurer le bon fonctionnement de l’espace et son
attractivité vis-à-vis des usagers.

Dans un premier temps, il y a une zone pédagogique avec 3 salles pédagogiques et des
espaces de création. Ici ce sont des animateurs pédagogiques qui travaillent en tant
qu’autoentrepreneurs sur demande du tiers-lieu. Une zone de vidéo pour réaliser de la
production et du montage, un service facturé et assuré par un service civique de l’association
Paï Paï (interrogé dans le cadre de ma recherche). Une zone de diffusion qui est une scène
d’une capacité de 300 personnes où le tiers-lieu anime une programmation avec des artistes
qui se produisent régulièrement (musique, danse, théâtre, spectacle, exposition). Ensuite nous
retrouvons une zone de bureaux privés et que regroupe un ensemble d’espaces de travail. On
y retrouve les salariés de l’association mais aussi deux locataires du lieu que sont Le Scéno et

64
Twinvertigo (interrogé dans le cadre de ma recherche). Deux entreprises culturelles qui ont
donc fait le choix d’investir le tiers-lieu.

Figure 2 Plan du tiers-lieu le 122

Convergences et divergences des tiers-lieux étudiés


Inscription dans des dynamiques territoriales singulières

Par bien des aspects nous pouvons scinder en deux groupes distincts les terrains d’enquête
présentés. Tout d’abord, #AngersFrenchTech se détache par deux éléments phares qui font
sa spécificité. D’un côtés sa dynamique économique profondément ancrée dans une logique
capitaliste. Ensuite son lien avec le territoire qui paradoxalement est central dans la
construction du lieu mais qui cherche à voir ses membres s’en affranchir. Ces deux
caractéristiques sont très liées et ont toutes deux pour vocation de placer le tiers-lieu comme
un accélérateur économique pour ses membres. Le lieu porte un discours qui promeut
l’émancipation des membres vis-à-vis du tiers-lieu. La dynamique recherchée ici est à
l’exportation vers de nouveaux marchés et non pas à l’avènement du local. La promotion des
travailleurs locaux s’inscrit dans un ensemble plus grand qui lui est national et résulte d’une
politique publique gouvernementale. Le tiers-lieu cherche à prouver qu’il existe de la valeur et
des talents sur le territoire. Il est question de faire rayonner le territoire en projetant une image
dynamique, en mouvement et inscrite dans une internalisation de l’économie. Le travailleur
est pleinement inséré dans une logique capitaliste où tout est mis en œuvre pour rendre le
territoire attractif aux yeux des capitaux étranger. Pour ce faire, le travailleur est propulsé à la
conquête de nouveaux marchés dans une logique de croissance de son activité. En atteste
l’hébergement de travailleurs Israéliens au sein de la structure et la prise en charge d’une

65
partie des frais69 par le tiers-lieu pour envoyer ses membres au CES70 de Las Vegas. Le travail
est alors perçu comme flexible et mobile, le tiers-lieu ne cherche pas à retenir le travailleur sur
le territoire mais plutôt les encourage à s’orienter vers un développement à une échelle
mondiale. L’activité économique générée par le tiers-lieu apporte tout de même une forte
plus-value pour le territoire qui profite d’une notoriété nouvelle acquise entre autres grâce aux
activités du tiers-lieu. Un nouveau statut revendiqué, comme l’atteste le projet de Smart City
porté par la métropole d’Angers où #AngersFrenchTech est l’un des acteurs principaux.

À l’inverse, Le 122 et La Gob sont eux dans une logique tout autre qui vise à développer des
travailleurs localement au service de leur territoire. Nous verrons par la suite qu’ils le font par
des moyens et pour des motivations qui leur sont propres néanmoins nous constatons une
convergence sur le résultat recherché : dynamiser le territoire par la mobilisation citoyenne et
la promotion d’un marché local. Dans ce cadre, l’ouverture sur le territoire est totale et la
vocation du lieu est à l’engagement volontaire des membres et usagers. De son côté, le 122
travaille à la stimulation des artistes émergents locaux ainsi que la connexion entre un QPV
enclavé et le centre-ville de la Métropole. La Gob quant à elle, cherche à restaurer d’une part
un patrimoine local pour éviter la création d’une friche industrielle et d’autre part à regrouper
un ensemble d’activités économiques qui ferait la promotion de valeurs environnementales
fortes (écoconstruction, confédération paysanne, éducateurs à l’environnement etc.). C’est
deux organisations se place donc comme animateurs de leur territoire avec démarche locale
forte.

Deux visions de l’ancrage local s’opposent donc ici, d’un côté la volonté d’inscrire son territoire
dans l’internationalisation croissante de l’économie et de l’autre une dynamisation du territoire
par la promotion d’un économie locale forte.

Lien avec les acteurs publics

Nous avons pu observer que les pouvoirs publics prennent une place de plus en plus
importante dans l’impulsion et la structuration des tiers-lieux. Dans le cadre de nos terrains
d’enquête il est possible de distinguer deux trajectoires bien distinctes en termes d’interaction

69 Rentre dans le cadre du programme « territoire intelligent » de la métropole :


https://www.angersfrenchtech.com/wp-content/uploads/2019/10/Offre-CES-Vegas-
delegation-SmartCity.pdf
70 « Customer Electronic Show » qui est l’un des plus grands événements mondiaux ouvert au
grand public sur la thématique de l’innovation technologique en électronique.

66
avec le secteur public. Nous retrouvons #AngersFrenchTech et le 122 formant un premier
groupe et à côté le modèle développé par La Gob.

Dans le premier groupe, c’est une intervention des collectivités qui a permis aux projets de voir
le jour. En effet, la métropole est impliquée dans la création de ces deux entités et c’est même
elle qui en est à l’origine. Tout d’abord, le décrochage du label French Tech a été porté par
la ville d’Angers et c’est des besoins d’animation de ce réseau que le tiers-lieu est né. Dans le
cas du 122 c’est bien la mairie d’Angers qui est allée chercher l’association Paï Paï pour qu’elle
s’installe au sein de ce qu’aurait dû devenir une friche. Ajouté à cela, la mairie leur a mis à
disposition le lieu gratuitement, ce qui est une aide plus que conséquente pour amorcer un
tiers-lieu sachant que l’immobilier est l’une de des plus grosses charges des tiers-lieux. Ces
initiatives répondent donc à des enjeux et stratégies politiques pensées par les collectivités
territoriales. Cet intérêt croissant oriente de plus en plus le mouvement des tiers-lieux vers des
configurations pensées par les acteurs publics. Aux yeux de ces nouvelles parties prenantes,
les tiers-lieux sont des outils mis au service de l’atteinte d’un objectif plus large. Par exemple,
#AngersFrenchTech entre dans une stratégie globale de rayonnement du territoire sur la
thématique du numérique par le biais du projet de Smart city lancé par la Métropole. Par
ailleurs, le 122 lui s’inscrit dans une volonté d’aménagement du territoire par la dépolarisation
d’une partie du centre-ville visant à redynamiser l’est de la métropole. Une opportunité pour
la collectivité à la fois de déléguer et initier une offre de services nouvelle au travers de ce lieu.

À l’inverse, le tiers-lieu La Gob se positionne volontairement comme une structure autonome


et indépendante des pouvoirs publics. Elle a développé un modèle économique qui lui permet
d’être en auto-gestion. Une initiative pleinement citoyenne qui répond à une volonté
collective réhabiliter sous la forme d’un tiers-lieu un patrimoine local laissé à l’abandon. C’est
justement où les collectivités laissent un vide que le tiers-lieu citoyen prend forme. Il s’impose
comme un mouvement contestataire des orientations publiques qui, selon eux, délaissent une
partie du territoire. Il s’agit de penser l’animation territoriale par un engagement citoyen qui
répondrait plus justement aux besoins du territoire et de ses habitants. Cette initiative traduit
une nouvelle forme d’engagement qui n’est plus menée par le biais de l’appareil politique
mais qui est revendiquée par son mode de vie. Une forme qui repose fortement sur une
économie collaborative pour assurer le bon fonctionnement du lieu. Nous le verrons, un
engagement qui, par la mobilisation forte des membres du tiers-lieu, a aussi des conséquences
sur le quotidien du travailleur.

Constitution d’une communauté de travail

Une question se pose pour l’ensemble de ces terrains d’enquête au sujet de la forme
d’affiliation qu’il existe entre le travailleur et le tiers-lieu. Quel est l’implication du travailleur dans

67
la gestion de la vie du tiers-lieu ? Comment se manifeste-elle ? L’ensemble de ces lieux
revendique une communauté mais quel est le lien qui unis les membres d’un tiers-lieu ? En effet,
pour bon nombre le contrat légal qui relie le tiers-lieu au travailleur est un contrat de location
qui donne l’accès à un espace en l’échange d’une contrepartie financière. Pour autant, nous
l’avons vu, ces projets reposent tous sur des entités juridiques coopératives ou associatives. Bien
souvent c’est elle qui gère le lieu et qui régit la vie en son sein. Nous observons, dans la majorité
des cas, que les travailleurs sont également membres de ces structures en plus d’être locataire
du tiers-lieu. Une forme d’engagement qui implique les membres et renforce la notion de
communauté autour du tiers-lieu. La question est de savoir si cela implique du travailleur une
contrepartie ainsi qu’une injonction à participer à gestion de son cadre de travail. Le travailleur
n’est plus un simple usager ou client mais une partie prenante intégrée au fonctionnement
même de son lieu de travail. Nous nous intéressons alors à la notion de « communauté de
travail »71 (Denis, 2018) afin de savoir si être travailleur au sein d’un tiers-lieu signifie
systématiquement faire partie d’une communauté de travail propre au lieu. Ici, nous
extrapolons une notion qui s’applique initialement au salarié mise à disposition d’une entreprise
et qui se caractérise par sa mobile et flexible72 (Denis, 2018)73. Dans ce cadre initial, l’enjeu est
de reconnaitre légalement des droits pour des salariés qui sont bien souvent relayés à des
« salariés de seconde zone »74 (Denis, 2018) de par leur statut atypique. C’est alors grâce au
cadre légal de la communauté de travail, intégrant ces salariés détachés, à qui il est reconnu
leur participation au fonctionnement de l’organisation, que des nouveaux droits lui sont ouverts
(Celui de la représentation essentiellement). La reconnaissance de cette communauté de
travail pose question dans le cadre des tiers-lieux. En effet, dans chacun des terrains d’enquête
l’usager travailleur est mobilisé au service du tiers-lieu et semble essentiel à son bon
fonctionnement. Au sein de #AngersFrenchTech c’est la mise à disponibilité du réseau
professionnel du travailleur qui est sollicitée, elle permet au tiers-lieu d’augmenter sa visibilité,
sa crédibilité et d’attirer de nouveaux financements. Il est aussi demandé de représenter le
tiers-lieu sur des évènements en tenant des stands faisant la promotion du lieu. Un travail qui se
fait bénévolement et qui peut être assimilé à du travail gratuit75 (Simonet, 2019). On retrouve
également cette démarche dans les deux autres tiers-lieux, au 122 c’est de l’assistance sur les

71 Denis, J.-M. (2018). Asseoir la représentation sur la communauté de travail. À la recherche


de la communauté perdue dans la branche de la propreté. Sociologie du travail, 60(1).
https://doi.org/10.4000/sdt.1748

72 Ibid

73 S’assimile au prêt de main d’œuvre


74 Ibid
75 Simonet, M. (2019). Travail gratuit : La nouvelle exploitation ? Textuel, 2018, 152 p. La nouvelle

revue du travail, 14, Article 14. http://journals.openedition.org/nrt/5416

68
évènements culturels (concerts, expos etc.) qui vont avoir lieu le week-end et à La Gob ce
sera la présence sur les chantiers participatifs pour rénover le cadre de travail. Nous sommes
ici dans une interprétation de la communauté de travail spécifique au milieu l’Économie
Sociale et Solidaire qui mobilise beaucoup le travail bénévole. Un statut où le travail n’a pas la
même valeur qu’en entreprise « capitaliste » et où le cadre légal fait défaut. L’adhésion à cette
communauté de travail est-elle vraiment volontaire ? Il est possible d’en douter tant la norme
sociale veut que les travailleurs se positionnent comme acteur de leur environnement de
travail. Dans bien des cas la frontière est poreuse entre la participation de l’individu et celle de
la structure qu’il représente au sein du tiers-lieu. Un enjeu pour le travailleur est de maitriser la
porosité entre son implication personnelle dans la gestion du tiers-lieu et celle de la structure
locataire qu’il représente. Le travail au service du tiers-lieu se fait bien souvent au détriment
d’horaires de travail fixes. Une participation qui questionne l’engagement du travailleur qui
encore une fois voit sa subjectivité fortement engagée.

Conclusion
Malgré leurs différences apparentes, nous pouvons constater que ces trois terrains d’enquête
ont des similarités dans leur construction ainsi que la gestion qu’ils font des travailleurs accueillis.
Dans un premier temps, nous remarquons que la dimension politique est belle et bien présente
dans ces espaces. D’un côté certains sont pleinement ancrés dans des stratégies de politiques
publiques ; de l’autre, lorsqu’il s’agit d’initiatives citoyennes, ils s’inscrivent bien souvent en
réaction à un manquement des acteurs publiques et cherchent donc à s’en substituer pour
combler un vide. Nous pouvons ressentir un ancrage local fort dans tous les cas présentés
même si les formes prises en sont différentes. Chacun défend une vision de son territoire et la
fait transparaître au travers de ses membres.

Par ailleurs, cette analyse nous montre que les membres de ces tiers-lieux sont tous plus que de
simples locataires au vu de leur implication dans la vie du lieu. Nous sommes face à des
organisations mobilisant leur communauté pour se développer et qui en sont dépendantes.
Une caractéristique qui a des répercussions sur les conditions de travail au sein de ces
organisations que nous allons explorer plus en détail dans le chapitre suivant.

Chapitre 3 : Caractéristiques des travailleurs investis


au sein de tiers-lieux

69
Après avoir étudié les singularités de chacune des structures, nous allons maintenant nous
intéresser aux membres qui composent ces communautés, plus particulièrement aux
travailleurs. Ce chapitre se base sur l’analyse de neuf entretiens semi-directifs de travailleurs
qui évoluent au sein des trois terrains d’enquête présentés précédemment. Cette partie nous
permettra de mieux comprendre les différentes convergences existantes autour des pratiques
de chacun d’entre eux. Dans un premier temps, nous nous attacherons à mettre en lumière le
profil des travailleurs investis au sein des tiers-lieu. Ensuite, nous étudierons les conditions
d’entrée dans un tiers-lieu pour un travailleur. Puis, nous verrons comment prend forme le travail
à l’intérieur du tiers-lieu et quelles pratiques sont impliquées. Enfin, nous traiterons le
désengagement d’un travailleur vis-à-vis d’un tiers-lieu.

Pour commencer, au vu de la première analyse des terrains d’enquête il semble pertinent de


considérer les trois tiers-lieux en deux sous-groupes. En effet, nous verrons que les
caractéristiques des travailleurs divergent considérablement entre le tiers-lieu
#AngersFrenchTech et les 2 autres. Ainsi, pour faire transparaitre au mieux ces différentes
caractéristiques nous traiterons à part d’un côté, les travailleurs d’#AngersFrenchTech ,et de
l’autre ceux du 122 et de la Gob.

Profils sociologiques des travailleurs interrogés

Tableau 1 Caractéristiques des travailleurs interrogés

Ancienneté sur Statut juridique de Formation Expérience


Nom Âge Activité
le territoire l’emploi académique professionnelle

#AngersFrenchTech
BEP – 2 ans
Beaucoup de petits
Bac Pro électro
boulots : chantiers,
Rouannais « Tech lead » soit technique - 2 ans
Salarié en CDI technicien de
Allan 26 depuis 4 ans chef de projet et École de l’armée
dans une start-up maintenance etc.
sur Angers développeur de terre
Data analyst en POE76 – 1
Formations pôle
an
emploi
Développement Profil ingénieur-
Breton depuis Directeur de Travail de commercial
chaussures de manager. Double
Franck 55 27 ans sur filière, salarié du pendant 10 ans
sécurité formations dessin
Angers groupe Eram essentiellement
connectées industriel et IAE

76Préparation Opérationnelle à l’Emploi, formation avec obligation d’embauche par


l’entreprise proposé par le Pôle Emploi

70
management et
business industriel
Diplômée en droit Assistantes RH pour des
Fondatrice de sa privé puis école grands groupes,
Savoyarde, sur
start-up de cyber Salariée de sa de commerce RH Juriste dans l’armée,
Ingrid 40 Angers depuis
sécurité dans la structure + officier de RH dans la santé
10 ans
santé Angerom réserve pour DRH d’établissement dans
l’armée de terre une clinique
Licence de droit,
1 an d’alternance dans
Co-fondatrice de maitrise du droit
Micro-formation une ETI77 dans le domaine
sa start up des affaires
Mathil Originaire pour les de l’Energie - Clermont-
29 Yoomonkez Réorientation
de d’Angers professionnels par Ferrand
3 mois de CDD au master de RH en
le digital 1 an d’alternance chez
départ puis CDI alternance à
Atos - Angers
Angers
La Gob
Lycée agricole,
formation dans les
domaines de Travail dans plusieurs
Originaire des Éducateur à
Benoit 36 Autoentrepreneur l’environnement associations et centres
Deux-Sèvres l’environnement
et de l'agronomie sociaux
– Faculté de
Clermont-Ferrand
Bordeaux,
Recherche pendant
Touraine, Animatrice à la
Doctorat en 2016 presque 20 ans en
Karen 43 Lozère, arrivée confédération Salariée
en sociologie anthropologie questions
en 2016 sur le paysanne
d’alimentation (bio)
territoire
Faculté éco
gestion – Angers
Service civique à Niort au
BTS animation des
Salarié depuis Moulin du Rock, petits
Animateur territoires ruraux -
Originaire des 2018 pour un boulots comme de
Martin 25 permanent au Vendée, licence
Deux-Sèvres mandat de 4 ans l’intérim pendant les
MRJC78 pro agent de
maximum « trous d’air » / emplois
développement
édudiants
culturel en milieu
rural - Tarn
Le 122

77 Entreprise de Taille Intermédiaire


78 Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne

71
Originaire Chargé du pôle 1 année de droit - Assistant réalisateur - 2
Flavien 21 Service civique
d’Angers vidéo du tiers-lieu Angers mois.
Maintenance Parcours
informatique, autodidacte pas Emploi aidé en tant
Originaire
Martin 22 formation Autoentrepreneur de baccalauréat qu’animateur multimédia
d’Angers
Informatique et uniquement le en centre social
média BAFA
Fondatrice de
Start-up 1ère expérience.
l’entreprise
Musicienne, Remplacements de
Originaire Twinvertigo Salariée de sa
Sarah 24 licence de langue professeurs d’anglais
d’Angers spécialisée dans propre entreprise
à l’UCO d’Angers pendant 1 an en parallèle
le booking
de son activité
d’artistes

Comme nous le montre le tableau ci-dessus les profils interrogés sont très variés et il est
impossible d’en dégager un profil type. Des parcours à l’image d’un mouvement des tiers-lieux
très hétérogène et qui peinent à être représentatifs de l’ensemble des travailleurs du
phénomène observé. Néanmoins, il est tout de même possible de mettre en avant certaines
caractéristiques de notre échantillon qui pourrait dessiner une tendance qui mériterait d’être
vérifiée.

Le premier constat que nous pouvons dresser est l’origine des travailleurs constituant les tiers-
lieux. En effet, la grande majorité des individus présentés sont issus du territoire où est implanté
le tiers-lieu. Pour la plupart il s’agit d’Angers mais également du nord des Deux-Sèvres pour La
Gob. Nous avons donc des travailleurs qui ont un attachement profond à leur territoire avec
un historique de longue date. Nous pourrions expliquer cela par une envie de s’engager sur
celui-ci plus prononcée de la part de cette catégorie d’individu. Une chose est sûre, et nous
le verrons par la suite, les tiers-lieux enquêtés communiquent tous sur leur ancrage local, nous
pouvons donc imaginer qu’il y a un lien entre ces deux caractéristiques.

La moyenne d’âge des individus interrogés est de 29 ans ce qui est relativement jeune. En plus
de cela nous avons 4 individus de 25 ans ou moins, cela peut nous indiquer que l’intérêt pour
le travail en tiers-lieu est plus attractif chez les jeunes et que le phénomène s’adresse plus
spécifiquement à une génération en particulier.

Nous pouvons également observer que ces travailleurs sont mobiles, que cela soit au cours de
leur parcours professionnel et académique. Les individus les plus jeunes se sont pour la majorité
réorientés ou ont complété leur formation dans d’autres régions de France avant de revenir
sur leur territoire d’origine. Les personnes les plus expérimentées ont connu un parcours

72
professionnel jalonné de nombreuses expériences. Nous retrouvons ici le profil du travailleur
mobile qui enchaine les expériences et cherche à se stabiliser.

Justement, une autre singularité de ces individus est la création de leur propre emploi. Même
si bon nombre sont salariés, ils le sont de leur propre structure. Sur les 10 personnes interrogées
5 ont créé elles même leur activité, que cela soit par le biais de la création d’une entreprise
ou du statut d’autoentrepreneur. Un constat qui nous montre que les PME et grandes
entreprises ne sont pas encore complétement insérées dans le secteur des tiers-lieux et qu’il
s’adresse majoritairement à des structures émergentes.

Pour finir, nous pourrions affirmer que les travailleurs ont pour la plupart fait des études
supérieures (8 travailleurs sur 10 de l’échantillon) et que les profils moins diplômés sont moins
fréquents.

Conditions d’intégration d’un tiers-lieu pour un


travailleur

Nous allons nous intéresser ici aux différentes conditions qui font qu’un travailleur ou bien même
une entreprise fait le choix de s’installer dans un tiers-lieu. Pour ce faire nous allons d’abord
nous pencher sur le cas d’#AngersFrenchTech et par la suite nous nous concentrerons sur Le
122 et La Gob.

#AngersFrenchTech

Il est tout d’abord notable que les travailleurs représentés dans ce tiers-lieu ne sont que très
rarement des travailleurs indépendants. La grande majorité des profils rencontrés sont des Start
up émergentes avec tout de même un modèle financier relativement stabilisé. En effet, un
critère pour intégrer le tiers-lieu est d’être un économiquement viable. Le tiers-lieu n’a pas pour
vocation de faire de l’accompagnement et c’est pour cela que les candidats sont choisis
avec soin pour faire partie de la communauté. Une sorte d’élitisme qui fait l’attractivité du lieu
pour les travailleurs qui sont dans une logique de croissance de leur activité. De plus, la
spécialisation du tiers-lieu autour des nouvelles technologies est la principale raison pour le
rejoindre, il est bien plus qu’un lieu physique, il est un écosystème. C’est donc la notion de
réseau qui prime pour l’ensemble des travailleurs à la recherche de connexions aux acteurs
influents du secteur. L’insertion dans un milieu difficile d’accès est recherchée, le tiers-lieu se
place comme une porte d’entrée, un intermédiaire entre ces petites structures et les autres

73
parties prenantes du marché. #AngersFrenchTech est un lieu où l’animation est centrale, les
événements et surtout les mises en relation sont nombreuses et c’est un enjeu fort pour des
jeunes structures qui sont à la recherche d’une certaine notoriété. Un positionnement que l’on
retrouve pour presque l’ensemble des personnes interrogées :

« Le but c’est aussi de se servir de l’image que peut avoir #AngersFrenchTech qui peut
aussi communiquer sur ce qu’on fait nous. A mon avis l’intérêt d’être dans un endroit
comme celui-là c’est de se servir de l’image de marque du lieu. » Allan

« Ouais mais on cherchait quand même ce type d’environnement qui allait booster
notre activité. Là où on était avant mine de rien on se sentait seul, un notaire, il ne nous
aidait pas beaucoup on n’était pas dans le partage d’expérience et la boite de com’
elle était installée etc. Et pour le coup l’univers start up on a beau dire c’est quand
même particulier, on est vraiment dans le test and learn ici. […] En quelques discussions
on se rend compte que ça c’est possible que ça ce n’est pas possible en fait c’est des
discussions qui parfois sont justes amicales voilà mais qui en fait vont ouvrir notre esprit
et notre façon d’envisager la suite quoi. Donc c’est génial parce qu’on ne se sent pas
seul et qu’on se sent compris et épaulé. ». Mathilde

« Pareil le CES de Las Vegas on a des retours, Corine et Yannick peuvent nous donner
des infos parce qu’ils savent ce qu’on fait, l’autre jour je sais plus où est partie Corine
mais elle m’a ramenée une revue sur la sécurisation des entreprises en me disant qu’il
y allait peut-être y avoir des trucs qui allaient m’intéresser. On nous cible, c’est-à-dire
que là on va me dire qu’il y a les assises des systèmes embarqués à Bercy j’ai une
invitation je te la passe, parce que la coopérative Angers French Tech bénéficie d’être
FrenchTech et de récupérer beaucoup d’infos.» Ingrid

Dans le cadre de l’entreprise Parade nous pouvons remarquer une singularité dans les raisons
qui l’ont poussée à intégrer le lieu. Étant une entreprise de taille intermédiaire elle possède un
siège social qui est excentré du centre-ville d’Angers. Une configuration qui pose problème à
l’entreprise pour attirer des ressources humaines qualifiées :

« Deux nécessités, la nécessité d’être dans un réseau pour connaitre rapidement un


univers que l’on ne connaissait pas qui est l’univers de l’objet connecté de l’informatique
et l’électronique. Deuxième objectif, être suffisamment accessible pour pouvoir recruter
demain des talents sur des métiers qui sont en tension. » Franck

Le tiers-lieu se positionne donc ici comme moyen de répondre aux nouvelles exigences des
salariés hautement qualifiés. Cela est d’autant plus vrai dans un secteur comme celui des

74
nouvelles technologies où l’offre de travailleurs est plus faible que la demande des entreprises.
C’est donc un argument mobilisé par les entreprises comme une amélioration des conditions
de travail par le biais d’une réduction des temps de transport et une possibilité d’habiter dans
un centre urbain.

Paradoxalement, la vie en collectivité n’est pas l’argument qui a le plus convaincu les
travailleurs mais justement d’avoir un accès à des espaces clos. Le bureau partagé n’est pas
ce qui est le plus recherché, ici considéré comme plutôt néfaste pour la productivité du
travailleur :

« A WeForge (espace de co-working) il n’y a pas vraiment de bureau c’est plus des
open spaces donc s’installer ici s’est un peu imposé, c’était un tiers-lieu French Tech
alors en plus ça apportait un peu le côté on est dans un endroit où il y a des events et
tout alors let’s go. En plus, il y a un bureau fermé et c’est quand même plus simple pour
travailler. » Allan

« […] je sais qu’ici j’ai pas considéré ça comme un espace de co-working, c’est pour
ça que c’est toujours difficile d’expliquer à mes proches ou à ma famille
l’environnement dans lequel je travaille. […] On partage un environnement mais on a
tous des bureaux. Là, la particularité c’est qu’on avait vraiment la possibilité d’avoir des
bureaux à nous qui nous permettent, ne serait-ce que d’avoir une existence en tant
qu’entreprise et aussi un peu d’intimité pour des réunions de travail où on a besoin
d’être isoler quoi » Mathilde

« J’avais une problématique puisque j’étais domicilié à WeForge pour l’entreprise mais
du fait des sujets qu’on traite je devais avoir un bureau fermé l’open space est
impossible dans mon activité comme on est sûr de la sécurisation on est sûr de la santé
donc il y a des choses à préserver. Par conséquent il y a avait pas ce genre de chose
chez WeForge, enfin, ça se bouscule pour les bureaux fermés… » Ingrid

Nous nous rendons également compte de la difficulté pour un travailleur entrepreneur de


travailler chez soi. Un facteur qui entraine une forte élasticité du temps de travail et une
intrusion dans la vie privée du travailleur :

« Au départ on a commencé dans mon salon pendant 2 ans, ce n’était pas évident et
quand quelqu’un est en train de développer une plateforme numérique… bah il
développe et parfois il se rend pas compte de l’heure qu’il est et il faut lui dire de temps
en temps « tu sais j’aimerais ben récupérer mon salon » ». Ingrid

75
Un autre point saillant des conditions d’intégration du tiers-lieu est la rupture avec la solitude.
Nous pouvons identifier deux formes en particulier dans le cadre du tiers-lieu
#AngersFrenchTech, celle de l’entrepreneur qui travaille chez soi et qui se sent vulnérable :

« […] La déprime de l’entrepreneur, l’isolement de l’entrepreneur, ici non, on est moins


seul sur les coups. Il y a un esprit de famille, ils se doutaient pas que la mayonnaise
prendrait aussi bien et je pense qu’on est tous surpris de l’effet que ça produit et de
l’ambiance, de ce qui s’y passe. Même l’annonce du déménagement là ça nous fait
quelque chose… c’est nous qui avons peint nos bureaux, on est arrivé c’était tout
abricot quoi, c’était moche. » Ingrid

« En fait je n’y arrive plus, même ma tête elle ne veut plus bosser chez moi c’est pas
possible. C’est de la merde je mouline et ça avance pas. Ici, on est plus dans l’isolement
déjà ça aussi c’est du lien social. De dire bonjour à des gens c’est cool, c’est
appréciable de voir du monde, de sortir de chez soi, de devoir faire attention à sa
présentation, toutes ces choses c’est important. » Ingrid

Dans un autre registre, il y a la solitude du cadre de direction qui cherche à recréer du lien
social entre pairs et se détacher de la relation de subordination qui biaise ses relations de
travail au quotidien :

« Le pouvoir isole, plus on monte en haut de la pyramide moins on a de collègues ou


de pairs au sein de sa propre entreprise donc quand on est tout en haut tout en haut
on a plus grand monde avec qui on peut avoir des vraies discussions de fond. Parce
que le discours de toutes les autres personnes qui seront de fait des collaborateurs ils
auront tous un discours biaisé donc tu n’auras plus la réalité des choses. Le fait d’être
dans un tiers-lieu justement tu rencontres des pairs sans enjeu. C’est comme si c’était
un club de dirigeants et ça c’est vachement bien. Au sein du tiers-lieu on a des
moments d’échanges comme ça sur, de façon très informelle, « tiens je suis en plein
dans cette problématique, j’ai ça je dois faire ça ou ça, qu’est-ce que tu en penses ? ».
Gratuitement bénévolement et avec plaisir on dit « tiens ça m’est déjà arrivé ou ça
m’est jamais arrivé, tiens moi j’ai fait comme ça j’me suis planté pourtant je pensais que
c’était une bonne idée bah oui… bah non ». Et ça c’est riche, c’est vachement
intéressant. » Franck

Le 122 et La Gob

Nous retrouvons dans le cadre de La Gob principalement un enjeu autour de la zone


géographique d’implantation du lieu. Une singularité qui est spécifique au fait que ce tiers-

76
lieu est situé dans une région très rurale où des déplacements professionnels longs sont
souvent nécessaires. L’activité des travailleurs ne se résume pas à leur bureau, ils sont très
mobiles et ont besoin d’avoir un lieu qui est géographiquement stratégique pour eux. Par
exemple c’est le cas de Benoit et Karen :

« Le fait que c’était sur Bressuire et moi avec toutes mes activités… alors pas toutes sur
Bressuire en éducation de l’environnement mais autour de 30 à 40 mins de Bressuire et
que c’était quand même central. » Benoit, La Gob.

« C’est la situation géographique les [La confédération paysanne] intéressait étant


donné que le bureau, que je suis sensé rencontrer au moins une fois par mois, est sur le
nord de Sèvre. » Karen, La Gob.

La ville de Bressuire s’est rapidement imposée comme une zone qui concentre beaucoup
de services utiles au développement d’une activité économique ce qui fait sens pour les
travailleurs qui ne se voyaient pas travailler dans des zones enclavées et trop rurales. De
plus, c’est principalement ici que l’on retrouve les publics ciblés par les activités des
travailleurs :

« L’idée pour nous c’est que comme on est proche des lycées et de collèges ça faisait
complétement sens de s’installer ici. On se rapprocher aussi des bénévoles en plus ça
nous fait une salle pour accueillir les jeunes en réunions. Le salarié il n’est pas tout seul il
peut faire des connexions plus rapidement » Martin, La Gob e.

Vient s’ajouter à cela le fait que La Gob bénéficie aussi d’une visibilité souvent plus forte que
les structures qu’elle héberge et cela crée donc un effet d’aubaine pour les travailleurs qui
peuvent par conséquent en profiter :

« Je me suis aussi dit que c’était un lieu bien identifié parce que Bressuire c’est quand
même l’une des villes majeures du département. Pour nous trouver et nous identifier
c’est peut-être aussi simple. Il y avait aussi par le rayonnement que ça pouvait avoir
avec l’extérieur. Le fait que ce soit à Bressuire c’était quand même un vrai plus étant
donné que j’habite moi-même ici. […] Et puis participer dans sa ville à un truc comme
ça m’a fait écho tout de suite » Benoit, La Gob.

La notoriété du tiers-lieu va donc permettre à ses travailleurs membres de gagner en crédibilité


et parfois même d’orienter leur image et communication :

77
« Au début on est venu ici pour avoir une meilleure visibilité et la Gob c’était le lieu
parfait notamment pour entrer dans des régions et parce qu’on s’appelle MRJC avec
un gros C (Chrétienne) qui fait peur à plein de gens alors qu’on peut être
complétement athée. Donc au début on appuyait beaucoup sur la Gob pour assoir
notre crédibilité sur le territoire et ça on s’en est servi comme garant de notre asso,
comme quoi on est pas ce que vous pensez. Maintenant qu’on est bien identifié sur le
territoire on remet le MRJC avant la Gob mais ça a vraiment été utile pour toucher de
nouveaux jeunes au début. » Martin, La Gob.

Pour les travailleurs de La Gob et du 122 la démarche d’intégrer un tiers-lieu répond également
à un besoin d’augmentation de leur productivité. En effet, étant pour la plupart des
organisations unipersonnelles, le travail à domicile était bien souvent la norme avant d’entrer
dans un tiers-lieu. Une organisation du travail qui a vite trouvé ses limites :

« Si ça avait été pour travailler de chez moi ça aurait été non, j’aime bien l’idée qu’il y
a un cadre. Du coup le cadre ici il est chouette et même ils auraient été dans l’autre
bâtiment où ils étaient avant j’aurais dit non aussi je pense. Parce qu’il était vraiment
tout paumé, on captait même pas. Par contre ça aurait pu être un autre lieu dans une
autre ville, dans un autre lieu qui aurait pu me botter. Là le lieu a été important dans
mon choix. » Martin, La Gob.

« Les conditions de travail faisaient que du coup, quand on est chez soi c’est aussi plus
facile de se déconnecter, se déconcentrer. Tu vois le « ah bah tient il y a ça à faire
dans la maison je vais prendre 5 mins et en fait on y passe 1h ou 2h » du coup on se
retrouve à se dire « ah mince, j’avais pas prévu de faire ça si longtemps. […] Ouais je
sentais vraiment que le fait de travailler chez moi avait atteint ses limites. » Benoit, La
Gob.

« Après avoir travaillé 2 ans chez moi je me suis rendu compte que je perdais pas mal
en productivité. Je voulais trouver un espace pas trop éloigné de mon domaine
d’activité. Même si PaïPaï ne fait pas que de la diffusion culturelle, ils maitrisent ce
domaine, c’est un environnement lié, ils ont des références communes » Sarah, Le 122.

Au-delà des contraintes de productivité qu’entraine le fait de travailler chez soi, nous
retrouvons l’idée de sortir d’une certaine solitude. Les structures présentes dans ces tiers-lieux
sont bien souvent constituées d’un seul salarié ce qui implique mécaniquement un isolement
du travailleur :

78
« Alors, ils m’ont mis ici parce que les animateurs conf sont très souvent solitaires dans
un bureau ou ne voient personne de la journée, voire de la semaine, voire du mois. Et
donc pour éviter que je me sente trop seule ils tenaient à ce que je sois dans des
bureaux partagés. » Karen, La Gob.

« Et du coup je suis arrivé ici, je travaille sous le statut d’autoentreprise mais je travaillais
dans ma maison tout seul et régulièrement j’étais confronté à ça, je me sens un peu
isolé quand même. » Benoit, La Gob.

En découle également chez certains un besoin d’échanger et d’avoir des interlocuteurs qui
comprennent leurs enjeux du quotidien. Pour Benoit, c’est un besoin de se connecter avec
d’autres autoentrepreneurs en profession libérale qui l’a aussi poussé à se tourner vers un tiers-
lieu :

« […] Le fait d’avoir besoin de partager ces réflexions qu’on peut avoir… quand on est
tout seul dans son coin c’est moins évident et je dirais que moi vu le statut que j’ai en
autoentreprise je suis considéré comme une profession libérale et on n’a personne en
face de nous je dirais. Les artisans en autoentreprise ils ont la chambre d’artisanat, tout
ce qui est métiers de bouche ou d’autres métiers en autoentreprise ils ont soit la
chambre de commerce et d’industries notamment pour tout ce qui est commerce
ambulant, ou food truck ou même petit local de restauration rapide il sont des
interlocuteurs. Moi en profession libérale j’ai personne et du coup sur les conseils, le fait
de retrouver d’autres personnes ça aide beaucoup. » Benoit, La Gob.

Nous pouvons également dénoter une volonté, certes de partager en se retrouvant dans un
lieu collectif, mais aussi d’avoir un lieu dédié et propice à la concentration. Une distinction forte
par rapport aux espaces de co-working qui ont pour particularité d’être des espaces
complétement ouverts :

« Je cherchais activement un local où installer Twinvertigo, j’avais repéré quelques


espaces de co-working mais finalement j’ai changé d’avis car même si on s’entend
bien avec les gens, dans l’idée je ne voulais pas être dans la même pièce que des gens
qui ne font pas mon travail. C’est une source de déconcentration, en plus on est
amené à être souvent au téléphone, à discuter de budget, ce sont des informations
qui doivent rester un minimum confidentiel. D’où l’importance de la pièce dédiée, il
fallait pouvoir être deux. » Sarah, Le 122.

79
Pour finir, ce sont aussi les valeurs véhiculées par le lieu qui ont motivé les travailleurs à s’orienter
vers de tels tiers-lieux. Quitte à parfois même faire du travail au sein d’un tiers-lieu un
engagement politique :

« Et moi je trouve ça chouette le projet me bottait aussi quoi. Et du coup aussi en tant
que personne je suis sympathisant de la Gob, du tiers-lieu et des valeurs qu’il porte. »
Martin, La Gob.

« Après les motivations c’est que les projets de l’agriculture paysanne, de la


confédération paysanne, se retrouve sur beaucoup de points en accord avec les gens
d’ici. Donc les valeurs qui sont environnement, associatif, entraide, solidarité. » Karen,
La Gob.

« Je préfère me dire que je vis de la manière dont je considère que c’est la meilleure
chose à faire, après j’assume un peu ce qui se passe en France… je vote mais je préfère
me dire que je travaille dans un tiers-lieu et que je suis payé le minimum. C’est
l’engagement politique que je vois ici, plutôt que de me dire que je vais voter pour
quelqu’un qui va faire la chose à ma place et qui va pas la faire comme je la conçois.
C’est ça aussi que je trouve intéressant dans le tiers-lieu, on avait eu pas mal de
discussion le dessus. Je trouve que c’est des lieux qui sont hyper politiques dans leur
manière d’être parce que c’est des lieux qui créent des mini communautés qui se
regroupent parce que tout le monde à un peu la même vision de ce qu’elles veulent.
Les gens viennent ou pas parce qu’elles se sentent représentées dans le lieu et d’autres
non. » Flavien, Le 122.

Principaux points de convergences entre les terrains d’enquête

Les travailleurs, qu’ils soient salariés ou non évoluent pour la grande majorité dans des
configurations de travail où ils sont souvent seuls. Nous remarquons donc que le principal point
commun pour ces travailleurs est la volonté de sortir de l’isolement et d’améliorer leurs
conditions de travail par la même occasion. Nombre des personnes interrogées cherchent à
s’éloigner du travail à domicile qui atteint ses limites, que cela soit d’un point de vue social ou
productif. L’exigence de trouver un cadre de travail stable est largement commune et semble
essentielle pour le travailleur. La distinction avec les espaces de co-working est souvent faite
parce que dans un tiers-lieu il est possible d’avoir son propre espace de travail et clos. Une
plus-value qui permet au travailleur d’avoir des conditions de travail décentes où l’on scinde
la vie du tiers-lieu et celle de son activité professionnelle. Cela accompagne donc une volonté
globale qui tend à développer sa productivité et son efficacité.

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Nous retrouvons dans le 122 et #AngerFrenchTech la dimension de réseau qui est très
recherchée par les travailleurs. En effet, le tiers-lieu se positionne comme une plateforme qui
permet au travailleur de rencontrer et d’échanger avec des acteurs de son secteur d’activité.
Ces tiers-lieux spécialisés offrent, par le biais de leur animation, une visibilité au travailleur lui
permettant d’accélérer son développement. Pour le 122 c’est la connexion avec le réseau
culturel d’Angers et pour #AngersFrenchTech c’est l’animation d’un écosystème sur les
nouvelles technologies qui parlent aux travailleurs au moment de s’installer dans ces espaces.

Ces différents tiers-lieux sont tous fondés sur des valeurs fortes, et bien souvent les travailleurs y
sont sensibles au moment de les intégrer. Que cela soit l’auto-gestion / décroissance pour La
Gob, le rayonnement d’une scène culturelle forte à Angers pour Le 122 ou encore la
modernisation de l’image du territoire grâce aux nouvelles technologies pour
#AngersFrenchTech ; tous s’inscrivent dans une mission élargie à laquelle les travailleurs
souhaitent prendre part. Le tiers-lieu permet de redonner du sens au travail et de le
contextualiser par rapport à son territoire.

Pratiques induites par l’évolution au sein d’un tiers-lieu


pour un travailleur

Les trois tiers-lieux enquêtés ont tous pour singularité d’être jeunes. Mise à part La Gob qui a 3
ans d’existence, les lieux visités n’existent que depuis un an. Un paramètre à prendre en
compte étant donné le peu de recul que peuvent avoir les travailleurs interrogés dans le cadre
de mes entretiens. Nombre d’entre eux avaient emménagé il y 6 mois ce qui peut biaiser leur
perception du lieu.

#AngersFrenchTech

Influence sur les pratiques de travail

Nous pouvons constater que la tendance proposée par le tiers-lieu #AngersFrenchTech


s’imbrique parfaitement dans la dynamique de travail en réseau décrite précédemment dans
le nouvel esprit du capitalisme. En effet, le tiers-lieu est porté par des figures emblématiques
que sont ses fondateurs et qui mettent le carnet d’adresse à disposition des travailleurs. De
plus, l’ensemble des animations est fait dans le but d’élargir le réseau d’influence de la
communauté pour tisser perpétuellement de nouveaux liens. Chacun des membres est incité

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à penser différemment en s’ouvrant sur l’extérieur afin de toujours explorer de nouvelles pistes
de développement économique :

« Ils sont vigilants à l’accueil et à ce que tout se passe bien, si on a des difficultés ils vont
utiliser leur réseau pour nous faciliter la vie. Il y a un côté où il y a un peu maman Fox et
papa Fox (référence aux deux fondateurs du tiers-lieu) quoi, c’est-à-dire qu’on est leur
boite, on est un peu leur piou piou. » Ingrid

« À bah le point de départ c’est la coopérative et le tiers-lieu ouais. Moi j’ai vu la


différence entre le moment où j’ai intégré le tiers-lieu et maintenant. J’avais déjà créé
des contacts personnellement, j’avais déjà créé des réseaux mais il y a une dynamique
que j’ai depuis, bah déjà pour être identifiée, ouais je pense que j’ai perdu beaucoup
d’énergie et de temps ces dernières années parce que j’ai fait plus de rencontres en
un an ici qu’en 3 ans chez moi. » Ingrid

« On rencontre…. Professionnellement on a accès à plein de ressources, auxquelles on


n’a pas accès dans une grosse boite. Par exemple j’ai jamais fait autant de meeting
de trucs comme ça depuis que je suis ici. Alors qu’au final qu’est-ce-qui, à Bordeaux,
m’empêchait de le faire ? Et en fait ce qui m’empêchait de le faire c’est que j’étais
dans une grosse boite, j’avais pas la publicité de tous ces événements et même si je
l’avais, jamais je me serais dit tiens je vais y aller, c’est vraiment le lieu qui fait que. »
Allan

« Pour bien exploiter tout l’intérêt d’un tiers-lieu, il ne faut être que dans des espaces
fermés comme on peut être ici [Entretien dans le bureau de Parade]. Il faut sortir du
cadre, il faut sortir des bureaux il faut participer à tous les événements qui sont
extérieurs, les meet-up les présentations de produits, les découvertes de l’autre etc.
passer du temps à manger avec les autres être dans l’échange et c’est grâce à ça
qu’on s’enrichie, qu’on peut trouver des nouveaux collaborateurs, de nouveaux
partenaires, des nouveaux clients, de nouveaux fournisseurs ou des opportunités ou des
sources d’inspiration. » Franck

Un travail de fond de la part de la coopérative qui serait impossible dans le tiers-lieu. Plus
encore, il est essentiel à l’animation et fait graviter tout un réseau autour d’un lieu qui rend
possible cette organisation du travail. Le tiers-lieu n’est finalement que la matérialisation de
cette philosophie du travail en réseau qui voit son apogée ici avec l’exemple de Franck :

« Ça me demande plus de temps qu’avant mais même mon métier a complétement


été transformé, avant je continuais à faire du commerce en venant en support des

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directeurs commerciaux faire du porte à porte etc. maintenant c’est plus du tout la
même façon de faire du commerce. Maintenant c’est l’entreprise qui organise la
venue du monsieur qui a fait les chaussures connectées et qui va parler devant 150
personnes et tous les cadres sont là en train d’écouter. Le truc est complétement
changé, c’est le patron de l’entreprise qui me demande de venir pour expliquer à quel
point ça va changer la sécurité dans l’entreprise. C’est plus du tout la même chose.
[…] Tout ça pour dire que ce réseau, Corine et Yannick (Créateur de la coopérative et
du tiers-lieu) ont un carnet d’adresse juste énorme, c’est son réseau plus un réseau plus
un réseau qui créé et fait qu’on est connecté… Worldwide quoi. Et c’est super bien ça
va vachement vite… Et donc tout seul on n’est pas grand-chose mais avec les autres
ça va vite. Donc tiers-lieu oui ! Que positif pour moi, retour sur investissement bien mieux
qu’espéré. » Franck

La communauté du tiers-lieu est pensée et développée pour que les travailleurs puissent
coopérer les uns avec les autres. Chaque membre apporte sa plus-value mais tout en restant
dans une logique de « faire du business ». Les travailleurs sont incités à échanger afin que des
collaborations puissent naitre au sein du tiers-lieu :

« On se rend compte que les gens qui sont là peuvent tous nous apporter quelque
chose. Encore cet après-midi je parlais avec Diplonova [Autre membre du tiers-lieu]
pour peut-être, que nous, on utilise leur plateforme et qu’on devienne l’un de leurs
clients. Franck de Parade, ils nous ont commandés une formation en digital sur la
relation client, demain si on doit connecter notre LMS on va probablement faire appel
à Ifidic [Autre membre du tiers-lieu] et prendre une presta pour qu’ils nous aident à
connecter les bases de données. Pour autant nos activités n’ont pas forcément à voir
mais on se sert des autres. C’est une espèce de grande famille qui n’a pas forcément
au premier abord de point d’intérêt commun et qui au final en trouvet. Que ce soit par
l’expérience passée, en tant que fondateur de l’entreprise, par exemple Pony [Autre
membre du tiers-lieu], la dernière fois on a parlé une demi-heure/trois quarts d’heure, à
priori il n’y a pas d’intérêt commun entre Pony et la formation digitale mais il nous a
apportés beaucoup en nous faisant un retour d’expérience en tant que fondateur qui
mène sa barque dans une entreprise qui fonctionne très bien, là on est plus dans le
partage d’expérience. » Mathilde

Le fait que le lieu soit spécialisé renforce cet esprit de cohésion communautaire autour d’un
secteur d’activité en particulier, ici celui des nouvelles technologies :

« Après l’avantage ici c’est que comme on est tous à peu près dans la même branche
on a tous à peu près la même veille ou de la veille complémentaire. Donc dès qu’il y

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en a un qui a un truc en disant bah ça ce n’est pas mon expertise, ça me titille, ça vient
me taquiner, on glisse un mot à celui qui est concerné et on va se caler un moment au
café ou à l’heure du déjeuner. » Ingrid

À titre personnel, c’est également l’opportunité pour les travailleurs de sécuriser leur avenir
professionnel grâce aux nombreux contacts tissés au sein du tiers-lieu. Nous l’avons vu, dans
un contexte où le travail est de plus en plus instable, former un réseau est un moyen de se
renforcer face à la mobilité de plus en plus forte du travailleur :

« Oui c’est un peu comme tout réseau pro, en fait c’est un peu comme si t’étais avec
ton réseau LinkedIn en permanence, je me dis que c’est que des opportunités. Demain,
si Yoomonkez ne fonctionne pas et qu’on met la clé sous la porte, ici j’aurais rencontré
des gens qui m’ouvriront d’autres portes pour après quoi. Parce que par mon savoir
être, la manière dont j’ai présenté mon entreprise et par l’aventure que j’ai vécue ici
avec eux, ils vont se dire « Mathilde c’est une fille sérieuse et compétente que je peux
recommander ». Mathilde

Formes de participation à la vie du tiers-lieu

La base coopérative du tiers-lieu renforce l’appartenance des travailleurs à la communauté


et les incite tacitement à participer au développement du lieu. Nous pouvons constater que
les « coups de main » en faveur du lieu sont assimilés à du bénévolat, néanmoins s’instaure de
manière informelle un système de contre-don informel qui récompense les membres les plus
impliqués dans la gestion du lieu :

« Le fait d’être une coopérative et pas une entreprise de service. Même si c’est du
service, le fait de pouvoir avoir des parts ça change un peu la donne. […] Sur l’état
d’esprit je pense que déjà, au départ, il y en a qui ne comprennent pas ce que c’est,
d’autres qui deviennent directement coopérateurs en venant ici. Au départ ils payaient
leur loyer voilà mais au final on se rend compte que tout le monde se prend au jeu de
la coopération et on participe à la tenue des stands etc. Par exemple là, aux nuits de
l’orientation j’y serai avec Allan vendredi parce qu’en fait on n’a pas calculé que ce
serait vendredi de 19h à 22h (rire). Comme si on travaillait pas déjà assez (rire), mais
derrière on joue le jeu parce que si un jour on est en galère sur un truc bah Matthieu il
va nous aider. Je sais que Matthieu comme il est à l’aise avec tout ce qui est relations
publiques, avant que je publie quelque chose il me relit. » Ingrid

« Non mais ça va être par exemple : « il y a le directeur de Qwant qui vient, tu veux
venir avec nous ? », « on organise un déjeuner on invite des entreprises locales, je t’ai

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mis dans la liste des entreprises qu’ils rencontrent ». Au cooool merci !! Voilà quand tout
le monde ne peut pas venir ils savent faire des choix en gardant du sens… Qwant
protection de la vie privée ça fait du sens. » Ingrid

Il est intéressant de remarquer que les intérêts du tiers-lieu et des travailleurs se croisent
régulièrement. En effet, la mobilisation des travailleurs par le tiers-lieu pour promouvoir le lieu et
la coopérative répond à des intérêts convergents des deux acteurs. D’un côté cela participe
à la dynamique de travail en réseau qui est recherchée par bon nombre de travailleurs et de
l’autre le tiers-lieu accroit sa notoriété et par extension son développement. Dans le cas de
#AngersFrenchTech la frontière est très floue entre le tiers-lieu et la coopérative tant les deux
sont connectés. L’un aurait du mal à exister sans l’autre et cela se ressent dans le discours des
travailleurs qui parlent plus d’écosystème que de tiers-lieu en tant que tel :

« Oui, c’est un écosystème donc oui on est partie prenante. Donc, 1) on y a mis de
l’argent mais moi on me sollicite régulièrement pour un certain nombre de choses. J’ai
des confs à faire « Bonjour je m’appelle Franck, voilà ce que j’ai fait » en gros c’est ça.
On a fait des partenariats avec l’université de Nantes, la semaine prochaine il y a la
« digital change » ? « Digital Week » ? Enfin peu importe. Je dois participer à une table
ronde. C’est des gens de l’université qui vont m’interviewer devant 200 personnes.
« Vous société Parade, vous avez fait un l’IAE polytech et l’IAE de design, pouvez nous
expliquer pourquoi et bla bla bla ». Et c’est sans arrêt ce genre de choses. La semaine
dernière j’ai signé un contrat avec la région pays de la Loire parce qu’on est en train
de travailler sur un nouveau développement qu’on va avoir à faire demain autour de
l’usine 4.0 et du collaborateur connecté. Donc dès que la région a besoin de parler de
ces sujets-là elle me sort du chapeau. Donc évidemment oui moi je me considère
comme un collaborateur et je travaille pour Parade qui est mon principal employeur
MAIS dans un écosystème plus large et je le fais pour le rayonnement de la société
Parade. Et donc cette force que m’a apporté le réseau FrenchTech » Franck

Le tiers-lieu vend et utilise le « story telling » de ses « success stories » pour assoir sa notoriété et
ainsi apparaitre comme un acteur incontournable aux yeux des travailleurs du secteur. Une
attractivité qui permet à toutes les parties prenantes de trouver leur compte.

La participation aux différents événements du lieu est pour la majorité conditionnée par un
intérêt économique. Pour être attractive l’animation se doit de répondre à des enjeux de
développement de l’activité des travailleurs :

« Je trouve ça important d’y aller donc quand je peux, quand j’ai le temps je le fais,
justement je le fais aussi parce que je sais qu’il y a des gens qui n’appartiennent pas à

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la FrenchTech qui viennent donc c’est aussi l’occasion pour moi de faire du réseau, du
business, comme je fais pas mal d’after work ou de before work pour rencontrer des
gens parce que je suis persuadé que le succès d’une entreprise il dépend aussi d’abord
par son développement au niveau local. Être connu sur son territoire c’est important. »
Mathilde

Néanmoins, nous pouvons constater une disparité dans les enjeux des différents acteurs à
participer à la vie du lieu. Les sollicitations ne sont pas les mêmes et certains acteurs vivent le
lieu de manière complément différente comme Allan qui voit ses pratiques de travail
inchangées. Pour lui, la participation est surtout motivée par la création de lien social avec les
autres travailleurs :

« Moi je me sens un peu chez ma mamie moi en fait ici. Je rencontre des gens que
j’aime bien, on parle de tout de rien, ça arrive parfois qu’on commence à travailler à
10h alors que je suis arrivé à 9h voir à 8h30 et on a passé notre temps à discuter sans
voir le temps qui passait. Ça, ça m’est jamais arrivé dans une grosse boite c’est le seul
truc que je vois qui ait pu changer, moi mon travail c’est pas compliqué faut que je sois
assis donc ça a pas trop changé, le travail de dev ça a pas changé. Les seuls trucs qui
ont changé c’est l’aspect social du lieu, c’est plus chaleureux, et puis comme il y a
d’autres dev dans d’autres boites on a d’autres expériences. Dans les grosses boites
même si les projets étaient différents tu ne parles pas aux gens des autres projets tu
restes avec les gens de ton équipe mais le problème c’est qu’ils font la même chose
que toi donc t’auras jamais rien de nouveau. Personne ne viendra jamais te voir en te
disant tiens j’ai utilisé ça pour faire ça ou j’ai un problème qu’est-ce-que tu me
conseilles je sais que vous le faites. » Allan

Relations sociales développées avec les autres membres du tiers-lieu

Le fait d’avoir construit une communauté autour d’un secteur d’activité a naturellement créé
des normes sociales comprises par tous. Chacun connait les particularités des métiers des
autres, ce qui permet une cohabitation plus fluide selon Ingrid :

« Ce qui est bien aussi ici c’est que dans le monde de la tech dès lors qu’on touche à
développer, faire des lignes de codes etc. On a besoin de concentration et on peut
pas être dérangé par ce qu’il se passe autours. Des fois c’est vrai que ça surprend et
au moins ici c’est compris, c’est-à-dire que voir quelqu’un qui ait plongé sur son écran
avec son casque on sait qu’il est dans son truc ça sert à rien d’attendre et de toquer,
on repasse. » Ingrid

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Un environnement développant des liens sociaux particuliers qui restent flous pour la plupart
des membres. Nous sommes à la frontière entre le collègue, l’ami, la connaissance. Une
configuration qui rend encore un peu plus poreux la distinction entre la sphère professionnelle
et domestique :

« Ça peut arriver qu’on se voit en dehors, Matthieu par exemple j’ai développé une
bonne entente avec lui qui fait que demain si je fais une soirée je pourrais l’inviter mais…
Et puis avec les Domingo [Soirée de musique électronique] avec certain qui aiment
bien l’électro on y va ensemble. Il n’y a pas de limite après c’est les gens tu les
rencontres tu sens qu’il y a une accroche qui peut être amicale t’y vas, t’y vas pas
voilà. C’est flou, en fait… je crois qu’il y a plus les barrières de : t’es collègue, t’es pas
collègue, t’es ami ne t’es pas ami la ligne n’est pas si nette. » Mathilde

Malgré tout, centaines personnes font figure à part pour les travailleurs. Il s’agit de l’animateur
et des fondateurs qui sont des personnages emblématiques du lieu :

« Il y a certaines personnes ça me ferait très plaisir qu’on soit amis parce que je les aime
bien. C’est compliqué, tu vois mes collègues c’est mes collègues, Corine (Co-créateur
du tiers-lieu) c’est un peu la maman du lieu elle a des contacts de ouf, elle a des
expériences énormes et Yannick pareil (Co-créateur du tiers-lieu). Matthieu (Animateur
du tiers-lieu) c’est celui qui fait que le lieu est comme il est. Il n’y a pas de nuance entre
pote, ami, copain tout ça. La nuance se fait dans la tête de chacun. En fait c’est une
bonne bande de potes mais on sait que c’est professionnel donc quand faut travailler
on travaille, quand on a besoin de conseils ou d’aide on nous aide mais ça ne nous
empêche pas d’aller boire des vins chauds au marché de Noël et de raconter de la
merde parce qu’on a trop bu. Mais oui on pourrait dire que c’est des colocs. » Allan

Des liens sociaux qui ont du mal à être clairement définis mais restent tout de même
conditionnés par le fait que nous sommes dans un environnement de travail. Mathilde le
rappelle en mettant en avant que les places sont chères et que nous sommes principalement
dans un espace de travail dans le tiers-lieu :

« J’ai aussi le respect de savoir que les places ici elle se payent, je sais que c’est un lieu
et pas non plus un moulin où on va on vient. On travaille ici, je sais que moi je rigole, je
parle fort mais je sais que je vais pas être dérangeante. C’est un espace de travail on
est là pour travailler et même parfois on met de la musique pour travailler je sais que
parfois ils ferment leur porte. Mais ils me le disent, on communique bien on se respecte
les uns les autres, c’est pas la cour d’école. C’est quand même un endroit où on
travaille ! » Mathilde

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Le 122 et La Gob

Influence sur les pratiques de travail

Pour les nouveaux arrivants, comme nous avons pu le constater, la recherche de symbiose
avec le tiers-lieu est une priorité. L’enjeu est de pouvoir gagner en visibilité et crédibilité grâce
à l’intégration d’un tel lieu. Néanmoins, il faut faire attention à ne pas tomber dans une
assimilation complète du travailleur au tiers-lieu. Un phénomène dont a pâti Martin du MRJC
qui a intégré le tiers-lieu dès son ouverture. La dissociation n’est pas toujours évidente pour les
travailleurs qui sont parfois trop portés par les tiers-lieux, pouvant ainsi minimiser leurs actions au
détriment de celle de La Gob dans ce cas précis :

« Il y avait beaucoup de choses à assimiler, les gens ne faisaient pas forcément la


différence entre le MRJC et la Gob ils assimilaient les deux. Forcément comme je
travaillais ici ils pensaient que je travaillais pour La Gob e. Moi je ne maitrisais pas tout
tout non plus donc au début il y a eu un travail s’assimilation fort mais ça se fait
naturellement mais avec le temps. » Martin, La Gob.

Être membre d’un tiers-lieu a des répercussions sur le rythme de travail que peuvent avoir les
salariés et travailleurs indépendants. Étant sur une typologie d’acteurs qui travaillent seuls,
l’appartenance à un groupe leur permet de se réguler les uns les autres. Une variable
fortement ressentie par ces travailleurs qui ont longtemps travaillé chez eux :

« […] moi j’aime bien le cadre, même si on est pas collègue, qu’il y ait quelqu’un
d’autre ça met un cadre. C’est sur que si j’avais un bureau et que j’étais seul je ferais
peut-être des journée 8h-20h pendant 3 jours et après je prendrais 3 jours de repos. Ce
serait surement malsain. En plus là le midi tu peux manger tous ensemble et tu peux
avoir des discussions autres que du boulot. Ça te met un cadre quand tu vois quelqu’un
aller manger ça te sort de ton truc et c’est bien. C’est vrai que même inconsciemment
ça te met un cadre sur tes horaires aussi. » Martin, La Gob.

Inversement, le lieu étant ouvert 24h/24h cela offre également la possibilité pour les travailleurs
de travailler quand ils le souhaitent et notamment le week-end. L’exemple de Karen nous
montre que malgré des horaires de travail fixées par son employeur, elle se permet de revenir
les week-end pour travailler n’ayant aucune contrainte pour l’en empêcher :

« T’es déjà venue le week-end ?


- Oui, c’est une vraie opportunité.

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- Et ça a un impact sur la gestion de ton équilibre vie perso-Pro ?
- Ah mais ce ne sera pas parce que je serai obligé ce sera parce que j’ai envie d’y
aller. Le travail pour moi est une échappatoire par rapport au domestique. Pour moi
c’est vraiment autre chose parce que j’ai vraiment des horaires imposés par la conf,
d’ailleurs je conseille à tout le monde de venir travailler pour la conf avec une
convention collective qui protège énormément ses salariés. Donc moi je ne suis pas
sensée travailler le week-end, je ne suis pas sensé décrocher le téléphone le week-
end ou regarder mes mails le week-end. Mais si j’ai envie de venir lire un truc de la
conf ici tranquille je peux le faire. » Karen, La Gob.

Les échanges sont très informels au sein de ces deux tiers-lieux, la notion de réseau est moins
forte. Les membres s’apportent surtout un soutien moral ou s’échange des contacts mais sans
vraiment plus de collaboration :

« […] partage de bonne pratique non, mais calmer le stress de Karen ou la crise de
colère oui. C’est plutôt du soutien plus que du partage de bonnes pratiques. On a des
échanges de contacts des infos de réseaux environnementaux, des confs, des
événement qui peuvent intéresser les uns les autres voilà. Mais sinon c’est un soutien
moral, discuter des politiques environnementales etc. » Karen, La Gob.

Pour aller dans ce sens, Flavien du 122, lui, met en avant le fait qu’au tiers-lieu il a l’impression
de travailler avec ses amis plus que des collègues. On comprend au travers de ses propos qu’il
est dans une logique d’enchantement du travail et que le tiers-lieu cristallise cette vision du
travail :

« Bah je pense que c’est important d’avoir un lieu pour travailler autre que ta maison
parce que sinon quand tu mélanges ton travail et ta vie perso c’est pas forcément
idéal en gros… mais ici, tu vois quand je vais au bar en bas c’est plus perso. En fait
quand je viens ici pour travailler je le vois pas comme un travail avec le côté bureau je
le vois comme un travail mais avec plein de copains c’est ça qui est chouette » Flavien,
Le 122.

Au-delà de cela, ces tiers-lieux apportent tout de même aux travailleurs de nouvelles
perspectives d’ouverture et d’opportunités pour développer leurs activités. La notion de
réseau est plus présente dans le 122 qui joue un rôle centralisateur auprès du secteur culturel
Angevin :

« C’est au tiers-lieu que je rencontre tous les acteurs culturels. Et c’est grâce à ça que
je peux aller voir dans d’autres lieux et connaitre tous les gens. Le milieu culturel à

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Angers est quand même assez familial et c’est une porte d’entrée dans cette famille.
C’est l’association et le lieu qui m’a permis de rencontrer les gens beaucoup plus
rapidement, de développer des projets plus rapidement et d’avoir des discussions
autour de projets futurs qui vont se faire de manière plus sérieusement. Tout ça crée
une effervescence qui rend possible plein de nouvelles collaborations. Le lieu à cet
atout d’être multifonction, si des gens veulent faire un concert, une soirée ils peuvent
venir ici, ils veulent juste manger le midi ou le soir ils peuvent venir ici. » Flavien, Le 122.

Pour la Gob c’est le lieu en tant que tel qui est une source potentielle d’activité pour les
structures par exemple Benoit prévoit déjà de faire des activités dans le bar associatif du tiers-
lieu avec le groupe de jeunes qu’il accompagne :

« Alors tout est pas fait et pas fini mais tu vois là il va y avoir une cantine et comme moi
je m’intéresse pas mal à la botanique et à la cuisine de plantes sauvages, je me suis dit
que c’était peut-être un lieu que je peux utiliser. Je me suis tout de suite projeté sur des
activités futures. » Benoit, La Gob.

En plus de cela, des structures comme la MRJC incitent leurs bénévoles à participer à des
activités du tiers-lieu. Une animation qui rejoint le cœur d’activité de leur association et permet
aux jeunes de ce réseau de profiter également de l’effervescence du tiers-lieu :

« Ouais j’envoie toutes les infos et ils s’emparent ou non des différents événements. Moi
parfois j’y participe et parfois c’est pas moi. Ça arrive qu’ils y participent alors que moi
je n’y suis pas et inversement. Ceux qui participent on les voit souvent dans le lieu, soit
ils viennent me voir soit on fait des réunions donc ils connaissent les gens aussi. Si on
vient dans ce lieu, on pourrait se dire qu’on est juste locataire mais généralement
quand on vient dans ce lieu c’est que la démarche elle nous plait et qu’on veut
participer à toutes ces activités, de rencontrer de nouvelles personnes, en amitié
souvent ça matche. Je pense que des deux côtés c’est gagnant-gagnant. Nous on se
retrouve vraiment dans les valeurs du truc. » Martin, La Gob.

Formes de participation à la vie du tiers-lieu

À la différence d’autres tiers-lieux La Gob et Le 122 mobilisent fortement leurs membres dans
la construction de leur cadre de travail. Il est possible d’observer que les membres sont incités
à se mobiliser pour le lieu en leur offrant des avantages en retour. Par exemple dans le cas du
122, un engagement volontaire se traduit par une réduction du prix de location :

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« Tout le monde est à l’écoute et peut être sollicité. On est censé faire des heures de
bénévolats prévues au bar pour les soutenir. Les heures de bénévolat sont une
contrepartie arrangée pour avoir un loyer moins élevé. On est plus bas que le tarif
dédié, qui va évoluer en parallèle de notre structure, on aide au bar en échange. »
Sarah, Le 122.

Pour la Gob, il existe même différentes offres pour les locataires en fonction de l’implication
qu’ils vont avoir dans la rénovation de leur espace de travail :

« Moi quand je suis arrivé dans mon bureau tout était fait, c’est pas comme Vanessa
(Autre membre du tiers-lieu). Selon le projet des gens, de ce qu’ils ont envie de faire et
de leur activité soit on peut louer des bureaux qui sont finis et on pose juste ses affaires
et c’est bon on travaille et c’est ce qu’il s’est passé pour moi. Donc il arrive que selon
les parcours l’investissement ne soit pas le même. Pour la bibliothèque et les artisans
c’est eux qui se construisent leur espace de travail. Par contre les loyers sont différents,
moi je paye plus cher le lieu est fini, j’ai un bureau qui est fonctionnel donc la location
est pas la même en fonction des envies et des usages de chacun » Benoit, La Gob.

Nous pouvons également observer que le lieu évolue régulièrement en fonction des besoins
de chacun. Les aménagements se font souvent sur une base participative et si un membre
décèle un potentiel quelque part pour y installer une partie de son activité libre à lui de
transformer le lieu. Tout cela est régulé et voté en CA mais sont à la charge du membre qui
verra par la suite son loyer réduit. Des aménagements qui ont pour objectif de servir à la fois
les intérêts du tiers-lieu et ceux de chacun de ses membres :

« Nous on a un bureau en haut qu’on partage et aussi pour tout ce qui notre matériel,
tentes, cuisine tout ça on a un petit local en bas. Et l’idée c’est que nous on a fait le
toit de Déambule (Structure membre du tiers-lieu), qui est au deuxième étage au-
dessus de la Ludothèque. On a participé pour faire le premier étage et il y a des
étagères donc on va tout transvaser notre local là-haut notre bazar en haut et comme
ça, ça libérera un espace pour d’autres personnes. Comme déjà on est bien rempli on
est à 18 structures en tout alors faire de la place c’est important. » Martin, La Gob.

Dans le cas du 122, qui est un lieu avec pour vocation d’accueillir beaucoup d’événements
culturels, les membres n’hésitent pas à rendre des services pour l’animation du lieu. C’est donc
en grande partie du bénévolat mais qui peut être assimilé à du travail étant donné qu’il
mobilise des compétences proches du cœur d’activité des membres :

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« J’aime bien aider à préparer la scène et la lumière pour un concert, je retrouve ce
que j’aime faire peu importe ce qui va se passer dans le lieu il y a toujours quelque
chose dans le lieu qui va se passer par rapport à ce que j’aime faire. Ça peut être
n’importe quoi, une installation particulière, ça va me faire marrer de mon dire qu’on
va l’installer comme-ci comme ça. Donc à la limite ce qui se passe dans le lieu ça ne
me pose pas de problème du tout et puis je vais filmer des choses comme ça alors c’est
cool. C’est juste que quand moi j’ai des projets vidéo et qui sont en même temps que
les projets du lieu bah je vais faire mes projets vidéo et je ne serai pas sur le lieu. » Flavien,
Le 122.

Les membres sont donc des parties prenantes de l’offre que peut proposer le tiers-lieu. Cet
exemple montre l’appartenance à une communauté de travail tant chacun est nécessaire
au fonctionnement du tiers-lieu. Nous retrouvons également cette logique à La Gob avec la
constitution d’une équipe « convivialité » constituée de locataires du lieu. C’est à eux
qu’incombe la charge d’animer le bar associatif du tiers-lieu :

« Je fais pas partie du CA je fais partie de la commission convivialité, ça consistait au


début à réaliser une fois par mois des petits ateliers pour mettre une bonne ambiance
dans le lieux, ça pouvait être tout et n’importe quoi. L’objectif c’est d’amener la bonne
humeur et inviter d’autres personnes dans le tiers-lieu. Maintenant ça s’est plutôt
transformé en la gestion du bar associatif qui s’est créé. Tous les 6 du mois, on anime la
cantine et ça permet aussi à d’autres gens de pouvoir s’intégrer, c’est un moment pour
se retrouver entre sympathisant et personnes qui ont envie de découvrir le lieu. C’est
un moment cool souvent il a de la bouffe il y a des bières. Martin, La Gob.

Une implication qui interroge sur l’obligation ou pas de participer à la vie du lieu. En effet, les
travailleurs se trouvent dans un lieu animé par ses membres, créant ainsi une norme sociale qui
va inciter à la participation de tous :

Question : « Et est-ce-que tu trouves que tu t’impliques beaucoup ? pas assez ? Est-ce-


que tu vas à tous les événements ? Est-ce-que tu te sens obligé de participer à tous les
événements parce que t’es à la Gob ? »

« Ouais c’est une bonne question, je me la suis déjà posée. C’était le genre de chose
au début je savais pas trop comment me positionner. Parce que j’étais locataire, mais
être locataire est-ce-que ça impliquait aussi d’être partout sur tous les événement, dans
le CA etc. Moi je me suis vraiment questionné sur si oui ou non j’intégrais le CA en tant
que personne ou en tant que structure. En discutant avec d’autres c’était « non pas
forcément en fait tu peux juste être locataire ». Mais j’ai eu cette réflexion là et je ne

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savais pas trop comment me positionner. Au début tu te dis qu’il faut quand même
que tu te bloques le samedi où il y a le chantier participatif pour faire vivre le lieu même
si j’avais autre chose de prévu et ça fait chier de le louper. Du coup je me suis posé
beaucoup de questions et au final maintenant je pense que du coup non t’es pas
obligé il faut vraiment faire que ce que t’as envie de faire, faut pas faire les choses à
contre cœur surtout dans ce genre de trucs sinon ça fonctionne pas. […] Le CA ça me
faisait un engagement plus lourd et je n’avais pas l’énergie pour. » Martin, La Gob.

Nous nous rendons compte par ces propos que la subjectivité du travailleur est fortement
mobilisée dans la participation ou non à la vie du tiers-lieu. La question de l’implication
personnelle dans le CA du tiers-lieu se pose et va fortement empiéter sur la sphère personnelle
du travailleur. Benoit qui a du mal à trouver un équilibre entre son activité professionnelle et la
participation au tiers-lieu nous explique que la volonté est là mais le risque de surmenage est
bien présent :

« Les petits chantiers qu’on a fait ce matin j’ai envie de le faire plus ça c’est sûr mais j’ai
pas encore trouvé l’équilibre entre le temps que je peux dégager pour la gestion du
lieu, les coups de main pour le lieu et mon activité professionnelle à moi. Il y a encore
des choses qui sont en rodage dans mon activité pro donc ça, ça reste un peu
compliqué mais c’est sûr que j’ai envie de m’y impliquer plus. Et notamment dans les
réflexions, il y a aussi dans l’idée de maitriser et de faire soi-même je trouve ça super.»
Benoit, La Gob.

Une situation qui met parfois le travailleur face à un sentiment de culpabilité quand il ne peut
pas être aussi présent qu’il le souhaiterait. Nous sommes ici dans une auto-domination du
travailleur motivée par l’atmosphère collaborative et participative du lieu :

« Effectivement parfois je me dis que je bénéficie de tout un tas de chose et que je ne


donne pas assez en retour. Il y a une part où je me dis que je rejoins complétement les
valeurs mais il y a des fois où c’est vrai que je profite du lieu sans trop redonner en
échange. Pour moi il faut trouver le juste milieu entre l’engagement et le fait que je
paie un loyer et que je suis libre et indépendant également. » Benoit, La Gob.

Ces lieux où l’effervescence est forte et où les activités sont très fréquentes incitent les
travailleurs à devenir des usagers des services proposés par le tiers-lieu. Dans le cas de La Gob
et Le 122, ce sont des activités ouvertes au grand public comme les concerts et le bar associatif
par exemple. Martin qui a travaillé pour le 122 mais aussi dans d’autres tiers-lieux nous fait
comprendre que ces lieux peuvent devenir bien plus que des lieux de travail mais aussi de réels
lieux de vie :

93
« Je dirais au fablab j’avais mes horaires de travail mais en dehors de ça j’y allais très
souvent le samedi après-midi juste pour bricoler, parce qu’il y avait la scie circulaire
que je n’avais pas à la maison ou alors il y avait la petite imprimante 3D qui était de
meilleure qualité que la mienne. Ou alors il y avait juste un atelier couture et moi l’atelier
il ne m’intéressait pas forcément par contre voire comment c’était fait, découvrir
comment c’était fait ça m’intéressait, donc j’y passais juste et j’y restais l’aprem, la
soirée. J’y allais vraiment sur mon temps perso et dans un but de découvrir et
d’apprendre de nouvelles choses. » Martin, Le 122

Relations sociales développées avec les autres membres du tiers-lieu

La Gob étant située dans une petite ville, le réseau de personnes qui se retrouvaient autour
des valeurs prônées par le lieu se connaissaient ou s’étaient déjà croisées pour la plupart. Le
tiers-lieu s’inscrit dans un réseau plus large d’acteurs qui soutiennent cette action, nous le
retrouvons d’ailleurs par le grand nombre d’adhérents à l’association et qui n’évoluent pas
dans le lieu. Le tiers-lieu a donc une notoriété locale qui s’adresse à un public bien spécifique,
ce sont souvent ces personnes qui sont présentes lors des événements et qui sont intéressées
pour rejoindre le lieu. Ce sont les valeurs qui fédèrent autour du lieu plus d’un secteur
d’activité :

« Après c’est que dans le réseau alter de Bressuire, après ce n’est pas un gros réseau
sur Bressuire, mais c’est connu et reconnu. » Martin, La Gob.

« Mais les gens qui sont ici je les croisais pour partie dans des manifestations ou des
événements liés au social ou à l’environnement. On se recroisait mais on ne se
connaissait certains que de vue seulement. » Benoit, La Gob.

« Le choix a été pris par les gens du bureau parce qu’ils connaissaient…. Enfin ils se
connaissent tous. Par le biais de Vanessa il se connaissent ils ont des liens d’amitié, il y a
beaucoup de réseautage ici. » Karen, La Gob.

Des valeurs et un engagement parfois politique des membres que l’on retrouve dans les
moments informels du lieu, les discussions et qui participent au développement d’une identité
spécifique pour le lieu.

« L’échange qu’il soit professionnel ou extra professionnel, comme Vanessa le disait, on


peut très bien parler d’environnement, de social, de préoccupation de ses enfants et

94
ça c’est super. Je vois là, pour la réforme des retraites, je suis allé manifester et j’ai trouvé
d’autres gens ici avec qui j’ai des sujets de convergence. » Benoit, La Gob.

Au 122 c’est l’ouverture sur l’extérieur qui fait la singularité des relations sociales du lieu. Cela
permet aux travailleurs de rencontrer de nouvelles personnes venant d’horizons très différentes.
Une opportunité pour eux d’avoir de réelles coupures qui rythment les temps de travail :

« J’ai été positivement surprise par cette émulsion entre les salariés et membres de
l’asso, tout le monde est ouvert aux personnes extérieures, ce n’était pas une attente
mais c’est agréable de pouvoir travailler dans son local et pouvoir sortir le midi pour
manger avec du monde. L’ambiance est vraiment sympa. Pouvoir s’évader le midi
avec le restaurant, cela permet de réellement quitter l’espace de travail pour un lieu
qui change vraiment de domaine d’activité, permet une vraie pause. C’est un endroit
avec tout le temps de la vie, c’est stimulant. C’est vraiment un point positif d’avoir une
pièce dédiée tout en sachant que le reste du lieu lui n’est pas dédié. » Sarah, le 122.

Des caractéristiques qui permettent aux travailleurs, malgré la proximité avec leur lieu de travail
de se sentir à l’aise dans le tiers-lieu :

« Ça m’arrive de finir ma journée et de rester trainer 3h au bar, après c’est juste le matin
parfois je me dis : « qu’est-ce que j’ai ce matin ? Bah j’ai rien. Est-ce-que je viens à 9h
et je me mets à travailler sur des trucs que j’ai à faire ou est-ce que je viens pas ? »
Souvent je me pose au bar et puis je discute et je me mets à travailler à midi. En même
temps je travaille tout seul dans le pôle vidéo à proprement parlé dans mon bureau. »
Flavien, Le 122

Principaux points de convergences entre les terrains d’enquête

De manière générale, nous constatons que la frontière entre la sphère professionnelle et privée
s’amoindrit quand un travailleur évolue dans un tiers-lieu. Les synergies et collaborations entre
les membres existent et permettent de nouvelles opportunités pour les travailleurs. Pour autant,
il est difficile pour les travailleurs de définir la relation qu’ils ont avec les autres membres du lieu.
D’après leurs dires ce ne sont pas des collègues néanmoins, ils ne se risquerons pas non plus à
dire qu’ils sont amis parce qu’ils sont sur leur lieu de travail. Nous nous rapprochons plus du
colocataire mais avec des relations qui sont élargies allant de la collaboration professionnelle
à la tenue ensemble d’un bar associatif. Il semble que l’écosystème créé dans ces tiers-lieux
tende à enchanter le travail (D. Méda, 2015) en le couplant avec une participation à la
construction de son cadre. L’individu ne va pas travailler uniquement pour développer sa

95
propre activité mais aussi pour développer celle des autres parties prenantes de son
environnement de travail. Le travailleur n’appartient plus simplement à sa structure mais aussi
à un environnement élargi, le tiers-lieu auquel sa participation est nécessaire au bon
fonctionnement. La frontière est de plus en plus poreuse entre l’engagement personnel et
professionnel, il est difficile d’être simple locataire d’un tiers-lieu et de ne pas apporter sa pierre
à l’édifice quand autour de soi l’ensemble des membres s’impliquent. Une fois de plus, c’est la
subjectivité du travailleur qui va influencer son degré de participation tout en prenant en
compte le fait qu’il existe une norme sociale qui pèse sur ses décisions. La régulation de
l’organisation du travail par les membres du tiers-lieu existe mais elle peut donc aller dans deux
sens. D’un côté, elle peut fixer un cadre sain et ainsi permettre au travailleur d’adopter un
rythme plus adapté que celui qu’il pouvait avoir chez lui seul. De l’autre, être dans un tiers-lieu
implique de s’engager à minima pour ce dernier et ainsi potentiellement se placer en
surcharge de travail. Le tout, sous-couvert d’un engagement bénévole et volontaire qui place
le travailleur dans une situation d’auto-domination étant donné que c’est lui-même qui va tout
mettre en œuvre pour s’impliquer auprès du tiers-lieu.

Processus de désengagement d’un tiers-lieu pour un


travailleur

Dans le cadre de mes entretiens je n’ai eu récit que d’un travailleur s’étant désengagé d’un
tiers-lieu. Ceci s’explique surement par la jeunesse des structures rencontrées et par
conséquent le fait que l’organisation du travail en leur sein n’ait été complétement éprouvée.
Le cas de Martin (Le 122) est particulier dans le sens où il s’est désengagé d’un tiers-lieu qui ne
fait pas partie de mes terrains d’enquête, il m’a fait part d’une expérience passée. Il s’agit d’un
burn out qu’il a fait quand il était animateur dans un centre social où se trouvait un tiers-lieu.
Le cadre utilisé pour analyser le processus de désengagement de Martin est celui proposé par
Olivier Filleule79 (Fillieule, 2009).

Dans un premier temps, il est utile de s’intéresser à l’épuisement des rétributions (O. Filleule,
2009) chez Martin. Il faut savoir que ce dernier a connu une période très intense au sein du
tiers-lieu où il avait engagé toute sa personne dans de nombreux projets :

79 Fillieule, O. (2009). Désengagement. In Dictionnaire des mouvements sociaux (p. 180‑188).


Presses de Sciences Po. https://www-cairn-info.srvext.uco.fr/dictionnaire-des-mouvements-
sociaux--9782724611267-page-180.htm

96
« Je dirais qu’il y avait un projet, 2 projets puis 10 projets qui se montaient tous les mois.
Moi je suis tellement dans la passion que j’y consacrais beaucoup de mon temps et de
mon énergie aussi. Pour moi c’était 75% de ma vie si tu veux. Le centre social c’était
vraiment ça si tu veux, je vivais grâce à ça entre guillemets aussi. On prenait plaisir
parce que tout ce que j’ai fait et que je fais ça reste de la passion » Martin

Une sur-motivation qui peut être attribuée à la découverte d’un environnement de travail en
perpétuelle effervescence qui stimule continuellement les travailleurs. La mission sociale du lieu
est aussi ce qui facilite la mise au travail des individus dans ces conditions. En effet, le fait de
travailler pour des missions d’intérêt général implique un engagement plus fort et un sentiment
de culpabilité à refuser des projets :

« Forcément au début tu n’aimes pas dire non il y a pleins de projets et c’est cool mais
c’est un risque. Surtout en tant qu’animateur parce que ça te demande vraiment
beaucoup de temps et ça a fini par prendre les ¾ de ma vie perso. Je ne m’en rendais
pas compte au départ mais avec le recul je me dis que j’aurais pu en faire un peu
moins et moins me fatiguer mais bon c’est mon cursus qui est comme ça. » Martin

« Forcément on est dans un centre social, dans un cadre hyper social, d’aide à la
personne, d’accompagnement et on a envie de partager, de faire avec et on a envie
d’aider et c’est un problème. Dans les centres sociaux, les maisons de quartier, les
foyers de jeunes, on en donne souvent un peu trop parce qu’on se dit « ce n’est pas
grave c’est pour un projet qui est sympa » donc je suis prêt à y passer plus de temps
comme le projet me plait. » Martin

Nous le comprenons ici, la rétribution de son engagement était le sens donné à son travail.
L’idée de faire le bien autour de soi le poussait à donner toujours plus de son temps sans
compter ses heures. Néanmoins, à la fin de ses 3 ans d’emploi aidé le centre social lui a
proposé un poste qui ne correspondait pas à ses attentes et son expérience ce qui a fortement
dégrader son engagement :

« Du coup j’ai décroché un CDI, j’avais le secteur entier à gérer en tant que
responsable animation multimédia. Sachant que 3 ans avant je venais de quitter les
cours donc c’est déjà énorme comme parcours ça m’a énormément grandi.
Commencer à travailler à 17 ans et avoir son appartement c’est quelque chose. Pour
un mi-temps ça demandait énormément de temps et du haut de mes 21 ans à cette
époque-là je n’avais pas la casquette et l’expérience pour gérer ce secteur là en
entier. Je me suis vite fatigué, j’ai trop donné et j’ai fait un burn-out au bout de 9-10

97
mois. Ça m’a valu quand même 4 grosses semaines d’arrêt et puis une envie de plus
entendre parler du centre social. » Martin

Un vrai coup d’arrêt pour lui qui décide d’arrêter son travail au sein du tiers-lieu. Néanmoins, à
ce momentum venait aussi j’ajouter une remise en question personnelle. En effet, le fait de
prendre un emploi a responsabilité et d’entrer réellement dans la vie active a accéléré ses
réflexions sur sa vie professionnelle. Nous nous rendons compte qu’il y avait un réel désir de
stabilité que ne pouvait lui apporter le travail au sein d’un tiers-lieu. Cette effervescence
perpétuelle qui faisait, à ses yeux, la force de son activité a fini par user Martin. Malgré son burn
out il ne remet pas la faute sur le centre social et considère que c’est lui qui a décidé de
prendre une autre direction. Nous remarquons plusieurs éléments qui justifient cette volonté de
se stabiliser, la mise en couple de Martin, l’envie d’acheter une maison et pour finir le souhait
d’appliquer les compétences acquises pendant ses 3 ans au siège social dans un autre cadre.
Il arrivait en quelque sorte à la fin de son apprentissage dans le tiers-lieu et cherchait alors à
s’en émanciper :

« Je remets pas du tout le centre social dans lequel j’étais en cause, c’était une super
expérience mais c’était trop pour moi à cette époque-là. Il y avait aussi un côté de
remise en question chez moi. Je voulais changer d’appartement et j’ai eu envie
d’acheter une maison. Il y a eu tout un cursus de réflexion, j’ai eu ma copine quelques
semaines après que j’ai monté ma boite donc j’étais déjà posé. Faut y penser aussi
parce que j’ai été célibataire tout le temps que j’étais en centre social, ça ne m’a pas
dérangé mais du coup je me donnais à plein temps sur mon travail. Avoir une relation
ça m’a permis d’avoir un autre regard et j’arrivais à un moment où j’avais envie de me
poser. Toute cette réflexion de deux mois qui a été faite assez profonde finalement, ça
m’a permis de me dire qu’il fallait que je me recentre sur ce que je fais, je ne fais pas
des trucs dans tous les sens. » Martin.

Nous assistons également à une la « disparition des idéaux » (O. Filleule, 2009) pour Martin qui,
face à sa nouvelle responsabilité au centre social, commençait à douter de l’atteinte des
objectifs qu’il se fixait. Un état d’esprit qui a accéléré son désengagement et l’a incité à se
projeter vers d’autres perspectives d’avenir :

« C’est une grosse remise en question sur soi-même, sur qu’est-ce que je veux faire, j’ai
essayé d’avoir une vision sur les 5 ans à venir. Est-ce-que je veux toujours être là à
essayer de tirer la corde pour remettre le secteur en place ? Donc j’ai décidé d’arrêter
ce contrat et je me suis laissé 2 mois de repos. J’avais déjà en tête de monter ma boite
parce que pendant ces 4 ans là j’ai aussi monté d’autres projets à côté. » Martin

98
Passer sous un statut d’autoentrepreneur, et donc créer son entreprise, a permis à Martin de
regrouper tous ses projets au sein d’une seule et même entité. Il peut donc concentrer son
énergie autour d’une activité unique, un point qui faisait défaut dans son travail au sein du
tiers-lieu le mobilisant toujours sur de multiples projets à la fois :

« Mais depuis mon burn out j’ai quand même appris qu’il fallait que j’arrête de tirer dans
tous les sens et de me recentrer sur un seul projet. Limite qu’il y ait un seul gros projet
mais qu’il n’y en ait qu’un. Il fallait que je puisse centrer mon énergie. C’est là que m’est
venu l’idée de créer ma propre autoentreprise » Martin

Conclusion
Cette analyse, réalisée auprès de travailleurs, nous montre que, malgré les différents enjeux qui
les traversent, ils ont certains points de convergence dans leurs motivations et leurs
appréhensions des pratiques de travail au sein des tiers-lieux enquêtés. Ces travailleurs
d’apparences très différents restent néanmoins tous imprégnés de certaines caractéristiques
communes qui les ont orientés vers une organisation du travail articulée autour d’un tiers-lieu.
Pour la majorité, nous retrouvons une volonté de sortir de la solitude, d’avoir accès à une forme
de travail en réseau ou encore de regagner une productivité compromise par l’exercice du
travail à domicile. Des individus qui recherchent à créer des liens et échanges constructifs,
libérés des contraintes qui seraient imposées par une organisation du travail en entreprise
considérée comme trop rigide, hiérarchisée, bridant ainsi l’épanouissement et la créativité.

Cette organisation du travail atypique est jalonnée par une injonction à participer à la vie du
lieu. Que cela soit par la participation à la construction de son cadre de vie ou encore à la
promotion du lieu au travers de son activité professionnelle. L’ensemble des travailleurs
interrogés voient la frontière entre leur sphère professionnelle et personnelle devenir de plus en
plus poreuse au point de ne plus vraiment savoir définir la nature de leurs relations sociales
avec les autres membres du tiers-lieu.

Une analyse qui nous montre que certes les disparités existent et sont nombreuses entre les
différents tiers-lieux, mais qu’il n’est pas impossible de déceler des comportements communs
à tous ces acteurs, qui finalement, ont tous la nécessité de s’adapter à des conditions sociales
économiques instables.

Conclusion générale

99
La dénomination de tiers-lieu, de plus en plus en mobilisée ces dernières années, reste encore
mal maitrisée et laisse place à nombre d’interprétations. Si ce mouvement a longtemps été
ignoré par les instances politiques ainsi que les différents acteurs économiques ce n’est
aujourd’hui plus le cas. Ayant pendant des années été un mouvement informel et assez peu
structuré, il est naturellement passé outre les regards des acteurs qui auraient pu le faire passer
à l’échelle et le faire connaître aux yeux du grand public. La notion a parcouru beaucoup de
chemin, est passée dans les mains d’acteurs très variés, et a subi nombre d’altérations avant
d’arriver à sa forme actuelle. Pour autant, encore aujourd’hui, il est difficile de statuer sur ce
qu’est réellement un tiers-lieu tant la notion est mouvante et fait face à des appropriations
toutes plus différentes les unes que les autres. Néanmoins, malgré la difficulté de saisir
complétement le phénomène il est possible d’identifier une caractéristique spécifique à son
évolution : la progressive intégration des travailleurs au sein des tiers-lieux.

Un constat qui peut apparaître étonnant tant le phénomène à, par le passé, été traité hors de
la sociologie du travail. Le travailleur n’avait alors que peu sa place dans la conception
originelle du tiers-lieu cela m’a interpellé tant il est présent aujourd’hui dans toutes ses
différentes formes. C’est par conséquent naturellement que je me suis orienté vers 9 travailleurs
évoluant respectivement dans 3 tiers-lieux différents. Ceci, afin d’éclaircir l’organisation du
travail qu’ils ont adoptée et surtout le contexte qui a poussé ces individus à venir évoluer au
cœur de ces structures qui, rappelons-le, initialement n’étaient pas pensées pour accueillir des
travailleurs.

Cette recherche s’est donc intéressée à comprendre les différents facteurs qui ont rendu
possible cette configuration si singulière du tiers-lieu. Pour ce faire, je me suis attaché, dans le
cadre de ma revue de littérature, à démontrer le lien entre les nouvelles formes d’organisation
du travail et la configuration en tiers-lieu. Cette transformation d’usage des tiers-lieux peut-elle
être considérée comme le reflet d’une organisation contemporaine du travail ?

Ce cheminement de pensée nous a conduit à considérer les différentes conditions socio-


économiques qui régissent aujourd’hui les organisations du travail en France. Le passage d’un
capitalisme industriel à un capitalisme mondialisé révélant un « nouvel esprit du capitalisme »
a plongé les travailleurs dans une nouvelle ère où le salariat a perdu son statut protecteur qu’il
a pourtant endossé tout au long du XXème siècle. Nous parlons alors désormais d’un monde
du travail est organisé autour de la « cité par projet » et où le travail en « réseau » est le maître
mot. Ces conditions particulières imposent alors leurs nouvelles caractéristiques en exigeant du
travailleur qu’il soit à la fois plus mobile et plus flexible. Face à une telle métamorphose,
nombreux sont les travailleurs qui se retrouvent dans des situations de précarité à enchaîner les
différents emplois pour subvenir à leurs besoins. S’ajoute à également un management en
entreprise mobilisant de plus en plus la subjectivité des travailleurs, rendant ainsi friable la

100
frontière entre la sphère professionnelle et personnelle. Une approche qui valorise plus l’individu
en « sur-humanisant » sa gestion au détriment de ses compétences professionnelles. À bien des
égards, cette organisation du travail s’avère être individualisante et menace de plus en plus
la cohésion sociale dans laquelle nous vivons. Afin de pallier cette dégradation, les tiers-lieux
se positionnent comme une matrice idéale pour répondre à ces nouveaux enjeux que formule
ce « nouvel esprit du capitalisme ». En effet, il permet de lutter contre la dégradation du lien
social en entreprise grâce à un cadre de travail qui se veut plus collaboratif et horizontal pour
les travailleurs.

Il répond également à un besoin pour les indépendants et entreprises unipersonnelles qui


cherchent à sortir d’un isolement, devenu, au fil du temps une norme pesante dans leur
quotidien. S’ajoute à cela que le tiers-lieu s’inscrit parfaitement dans la tendance dessinée par
les pouvoirs publics qui incite les travailleurs à créer leur propre emploi. Dans un contexte où le
travail en réseau se normalise, il est de plus en plus nécessaire pour les travailleurs d’être
connectés et c’est ce que propose le tiers-lieu dons la grande majorité des cas. Un lieu de
rencontres, de partages où le travailleur peut trouver un environnement propice à la créativité
et l’innovation. De surcroit, le tiers-lieu s’ancre parfaitement dans la tendance d’une économie
qui se veut collaborative et où le travailleur devient acteur de la création de son cadre de vie.
Nous l’avons vu, par les nombreuses illustrations qu’offrent les tiers-lieux étudiés, que les
travailleurs sont pleinement mobilisés dans la vie de ces lieux. Des espaces qui participent donc
à la redéfinition de la place du travail dans la vie des français. En effet, le tiers-lieu initialement
pensé comme étant dans un interstice entre la sphère professionnelle et domestique tend de
plus en plus vers une superposition des deux sphères. Une configuration qui pourrait alors
correspondre à une voie en quête d’« enchanter » le travail (D. Méda, 2015).

En cherchant à être transversale, et à traiter le phénomène des tiers-lieux dans sa globalité,


cette étude trouve vite ses limites tant il est difficile d’appréhender un mouvement si
hétérogène. Il serait pertinent de segmenter plus précisément son approche pour mieux être
en mesure de dégager des tendances par tiers-lieu spécifique. Par exemple, cette étude ne
couvre pas la question des FabLab et des formes de travail qui le composent. Ainsi, il pourrait
être judicieux de repartir d’une classification existante et de se focaliser sur un type de tiers-lieu
spécifiquement ce qui nous donnerait un aperçu tout autre des formes que peut prendre le
travail au sein des tiers-lieux.

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Résumé et mots clés

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Initialement pensée loin des travailleurs, la notion de tiers-lieu manifeste pourtant un intérêt
croissant de la part de l’ensemble des acteurs économiques. En effet, qu’il s’agisse des
pouvoirs publics, des entreprises ou des travailleurs indépendants, les tiers-lieux se présentent
désormais comme une matrice idéale pour redessiner leur organisation du travail et ainsi
répondre aux injonctions imposées par un nouveau capitalisme mondialisé.
Cette étude tend à démontrer que, le tiers-lieu, longtemps défini comme une simple interface
entre la sphère professionnelle et domestique, va bien au-delà de ces uniques considérations
et s’ancre pleinement dans les transformations socio-économiques de ces trente dernières
années. L’auteur s’attache donc, tout au long de ce mémoire, à comprendre dans quelles
mesures les tiers-lieux peuvent offrir une réponse à un travailleur qui évolue dans un
environnement où le salariat a perdu son statut protecteur laissant place à une hausse
généralisée du précariat.
C’est donc en allant à la rencontre de ces individus qui font les tiers-lieux, que ce travail de
recherche dépeint les multiples conditions d’intégration du travailleur ainsi que les pratiques
induites par son évolution au sein d’une telle structure.

Mots clés : Tiers-lieu, organisation du travail, nouvel esprit du capitalisme, salariat, travailleur

Abstract

Initially thought out far from the workers, the notion of a third place is nevertheless showing a
growing interest on the part of all economic players. Indeed, whether it is the public authorities,
companies or self-employed workers, third places now present themselves as an ideal matrix
for redesigning their work organization and thus respond to the injunctions imposed by a new
globalized capitalism.
This study tends to demonstrate that the third place, long defined as a simple interface
between the professional and domestic spheres, goes well beyond these unique
considerations and is fully anchored in the socio-economic transformations of the last thirty
years. The author seeks, throughout this paper, to understand the extent to which third places
can offer an answer to a worker who evolves in an environment where wage-earners have lost
their protective status, giving way to a general increase in precariousness.
It is therefore by going to meet these individuals who make up the third places that this research
work depicts the multiple conditions of integration of the worker as well as the practices
induced by his evolution within such a structure.

Keywords: Third place, work organisation, new spirit of capitalism, wage labour, worker

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