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ÉTUDES

RELIGIEUSES , HISTORIQUES

ET LITTÉRAIRES

PAR DES PÈRES DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS

QUATORZIÈME ANNÉE— QUATRIÈME SÉRIE

TOME QUATRIÈME

PARIS
AU BUREAU DE LA REVUE
CHEZ JOSEPH ALBANEL, LIBRAIRE
45, RUE DE TOURNON, 45
et chez AUGUSTE DURAND, rue cujas,". (Ancienne rue des Grès-Sorbonne.

4869
LA

CONDAMNATION D'HONORIUS
ET

L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE

PRÉLIMINAIRES

I
« On formerait une bibliothèque des ouvrages composés
pour ou contre le sixième Concile œcuménique, et je ne crois
pas qu'aucune question ait donné lieu à des polémiques plus
vives que celle de l'innocence ou de la culpabilité d'Hono-
rius. » Ainsi s'exprime le nouvel éditeur du Liber Diurnus ',
et il dit parfaitement vrai, car le procès d'Honorius a agité
les esprits pendant les soixante dernières années du vne siècle
et les vingt premières du vme ; il a été repris au milieu du ixe ;
et, depuis la Réforme, il n'a jamais cessé d'occuper les catho
liques et leurs adversaires : protestants de toutes les déno
minations, jansénistes, gallicans, joséphistes et libres pen
seurs.
La raison d'un pareil acharnement sur une question si an
cienne et si usée n'est pas difficile à deviner. Au fond de cette
controverse, dit l'auteur déjà nommé, « est un des points les
plus importants de l'ancienne constitution de l'Eglise, et peut-
être celui qui divise le plus profondément les docteurs galli
cans et les ultramontains1; » car, je continue à citer, « failli-
bilité du Souverain Pontife et compétence du Concile œcumé
1 Liber Diurnus, ou recueil des formules usitées par la chancellerie ponti
ficale du Ve au XIe siècle, publié par Eugène de Rozière, inspecteur général
des archives, 4869, in-8°, ccvni-438 p. — Introduction, n* 79, p. cxxxn.
• Lib. diur., Introd., n* 85, p. CXLVII.
IVe série. — T. IV. 52
820 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
nique pour juger et réformer ses erreurs, telle est la double
conséquence qui découle de la condamnation d'Honorius '. »
« Il est donc naturel que les gallicans se soient attachés aux
décrets du sixième Concile, comme au point d'appui le plus
solide de leurs opinions, tandis que les ultramontains se sont
efforcés par tous les moyens d'en affaiblir l'autorité \ »
Nul catholique, bien entendu, n'admettra ces conséquences ;
nul n'acceptera ces reproches dans toute leur généralité. Mais
tous en conviendront sans peine : parmi les difficultés em
pruntées à l'histoire ecclésiastique pour battre en brèche les
prérogatives du Souverain Pontife, la plus sérieuse est celle
que font naître la faute et la condamnation d'Honorius ; aussi
n'a-t-elle jamais cessé de faire impression sur des hommes
auxquels ne manquaient ni la science, ni le génie, ni la sin
cérité, et, sous la plume d'écrivains habiles, est-elle devenue
plusieurs fois un véritable danger pour notre croyance. La
mauvaise direction de la défense a encore aggravé le péril : en
effet, sur cette question, les champions du Saint-Siège ont sou
vent engagé la lutte dans des positions aventurées ; leur victoire
en est parfois demeurée incertaine, ce qui laisse dans les es
prits les moins prévenus un préjugé défavorable à la vérité.
Dans un temps où la croyance catholique se prononce de
plus en plus ; à la veille d'un Concile d'où sortira sans doute
plus incontestée et plus éclatante l'autorité suprême du Sou
verain Pontife sur toute l'Église, la lutte ne pouvait manquer
de se raviver sur un point si important. Les attaques n'ont
pas fait défaut : M. l'abbé Dcellinger en Allemagne* , M. P. Le-
pageRenouf en Angleterre * , enfin M. E. de Rozièreen France,
sont descendus successivement dans l'arène. Le premier a été
victorieusement repoussé par la Civiltà cattolica*, et s'est
rétracté ; le P. Bottalla a réfuté le second0 d'une manière qui
lui a valu les suffrages de la presse anglaise ; Dieu ne per-

4 Lib. Diur., n° 8i, p. CXLYI.


' Ibid., n°8j, p. CXLVII.
* Die Papst-Fabeln des Wttelalters, Munich, 4863. Ce livre a élé traduit en
français sous ce titre : Études critiques sur quelques Papes du moyen âge, tra
duites par M. l'abbé PU. Reinhard. Nancy, 4865.
* The condamnation of pope Honorius. Londres, 4868.
» Civiltà, 5e série, vol. XI et XII.
* Pope Honorius before the tribunal of reasou und histary. Londres, 4'868.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. m
mettra pas que les catholiques français servent moins bien la
cause de l'Église en répondant au troisième. Du reste, ils peu
vent se féliciter d'avoir à combattre un homme qui, à la science
et à l'habileté, joint le mérite de la netteté et de la franchise
dans l'attaque. Avec de tels adversaires, il est facile de s'ex
pliquer, et même ordinairement de s'entendre.

Il

Un résumé chronologique de la question est ici nécessaire,


et ce sera en quelque sorte un fil conducteur pour cet article
et les suivants.
L'hérésie monothélite naquit de l'hérésie eutychienne ou
monophysite. Eutychès et ses premiers sectateurs soutenaient
que, dans la personne de Jésus-Christ, la nature humaine et
la nature divine s'étaient unies de manière à n'en plus former
qu'une seule. Leur dogme était incompréhensible : jamais ils
ne purent se décider à en donner une explication quelconque.
Et cependant cette doctrine conquit de nombreux adeptes
dans tout l'Orient. Elle devint dominante en Egypte, et les
trop puissants patriarches d'Alexandrie trouvèrent dans
l'esprit de secte un appui qui rendit leur autorité redoutable
aux empereurs eux-mêmes, en attendant l'heure où elle serait
funeste à l'Empire.
Vers le commencement du vu* siècle, un homme se flatta
d'avoir découvert un procédé infaillible pour réconcilier entre
elles toutes les sectes monophysites profondément divisées,
et même pour leur rallier les catholiques. Ce rapprochement,
bien entendu, avait pour condition essentielle le sacrifice d'une
partie de l'erreur et d'une partie de la vérité. Les sectaires con
fesseraient qu'après l'union, les deux natures sont demeurées
entières et sans confusion en Jésus-Christ. Les catholiques
devraient avouer que, dans l'Homme-Dieu, la volonté humaine
ne produit aucun acte, qu'elle est pour ainsi dire annulée en
présence de la volonté divine qui agit seule.
Théodore, évêque de Pharan, ou du mont Sinaï1, était

1 Lequien. Oriens christianus, L IU, col. 747-752 et 733 D. Cf. Index V.


822 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
l'auteur de ce système1 ; ses disciples ou ses amis ne tardè
rent pas à lui ménager les moyens de le répandre dans tout
l'Empire, et probablement ils agirent d'après un plan concerté.
Sergius, patriarche de Constantinople depuis le 18 avril 610,
le seconda si bien qu'il lui dispute l'honneur d'avoir fondé la
secte. Nourri dans l'hérésie, il écrivit le premier en sa faveur.
Sa lettre à Théodore de Pharan obligea celui-ci à se pro
noncer. Fort de son adhésion, Sergius s'adressa à Paul-le-
borgne, chef des Sévériens d'Arménie, et à l'Égyptien Georges
Arsa, pour les décider à l'union1. Les Arméniens ne se ren
dirent pas. Mais Athanase, patriarche d'Antioche pour les
hérétiques, gagna (616) les Égyptiens*. Le parti était doncfort
et uni dans trois patriarcats; mais c'était peu s'il n'avait
pour lui l'autorité de l'Empereur. Héraclius ne fut pas diffi
cile à surprendre : comme tant d'autres princes grecs, il
avait des prétentions théologiques ; Sergius l'engagea à tenter
s'il ne serait pas plus heureux que lui auprès de Paul-le-
borgne. La conférence eut lieu en 622 à Théodosiopolis. L'hé
résiarque se déclara convaincu par l'irrésistible logique de
son royal adversaire. Une seule difficulté lui restait : devait-il
confesser une ou deux opérations en Jésus-Christ? Le polé
miste couronné fut embarrassé*. Les hérétiques n'eurent
garde de résoudre sa difficulté ; ils lui dirent au contraire
que tous les Eutychiens s'aheurtaient à ce point non défini
par le Concile; qu'une réponse satisfaisante les ramènerait
tous au sein de l'Église. Quel bien il en résulterait pour l'État !
Héraclius fut dès lors gagné. Il écrivit au métropolitain de

* Prius quidem Thcodorus Pharanitanse ecclesiae quondam episcopus. Concil.


Lateran. 649, act. II, Hard., t. III, col. 711. C. — Theodori... in primis offe-
rantur nobis conscripta, quoniam... hune primum esse auctorem hujusmodi
novitatis,.. praesens Stephanus... Dorcnsis asseruit, quod et omnibus manifestum
est. Act. III, col. 763. D. E.
* Oriens christianus, t. I, col. 227. C. — Sergius... jacobitis parenlibus
ortus... Theoph. chronog. ad ann. chr. 621. Migne, Patrol. gr., t. CVIII, col.
680. A. — Sergii... qui agressus est de hujusmodi impio dogmate conscri-
bere... Concil. CP. III, act. XIII. Hard., t. III, col. 1332 E. — S. Maximi Dis-
putatiocum Pyrrho. Migne, Pat.gr., t. XCI, col. 331. C. 334. A. Ces faits
sont antérieurs à l'invasion de Chosroès II en Egypte. (61b ou 616.)
* J. S. kssem&m. Dissertatio deSyrismonophysitis. Romae, 1730, p. 145,146.
4 Cyri. Phas. Epi. ad Sergium CP. Concil. CP. III, act. XIII. Hard. t. III,
col. 1338. D et Sergii CP. Epi. ad Honorium, act. XII, col 13<1, D. E.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 823

Chypre Arcadius pour lui défendre d'enseigner qu'il y a en


Jésus-Christ deux opérations1; mais le métropolitain n'adhéra
pas à l'erreur \
L'empereur fut plus heureux auprès de Cyrus de Phase en
625 \ Il lui présenta sa lettre à Arcadius. Cyrus, étonné, ou
feignant de l'être, objecta l'autorité de saint Léon-le-Grand
et en référa au patriarche de Constantinople. Celui-ci répondit
dans le sens qu'on peut imaginer. Cyrus se laissa persuader.
Les Eutychiens dans l'allégresse se montrèrent tout disposés
à recevoir la nouvelle doctrine. Le triomphe de l'hérésie était
assuré, pourvu qu'on pût, sans violence, livrer les sièges
patriarcaux à ses partisans. En 629, Héraclius promit à Atha-
nase d'Antioche de mettre sous sa conduite tout le troupeau
catholique et monophysite, pourvu qu'il adoptât la formule
conciliatrice. Athanase ne se fit pas prier4. Peu de temps
après, Cyrus passait du siège de Phase à celui d'Alexandrie".
Des quatre églises patriarcales d'Orient, une seule, Jérusalem,
n'était pas au pouvoir de l'ennemi ; de là devait venir le salut.
Cyrus signala ses débuts en Egypte par une prétendue con
version de tous les hérétiques. Mais saint Sophrone, qui se
trouvait à ce moment à Alexandrie, s'efforça de l'arrêter,
soutenant qu'on sacrifiait l'Église à l'hérésie, au lieu de
ramener les hérétiques à l'Eglise6. Cyrus s'adressa de nou
veau à Sergius7, qui ne manqua pas de lui applaudir et d'ins
truire l'Empereur du succès. Jusque-là, l'erreur envahissait
l'Orient sans entraves et sans bruit.
1 Cyri Phas. Epi. cit.
' Sergii Cyp. Epi. ad Theodorum Papara. Concil. Lateran. 649, act. II.
Hard., t. III, col. 730. E. Cf. S. Maximi ad Petrura 111. Migae, Pat. gr.,
t. XCI, col. 143, B.
* Dans la 43e session (28 mars 681 ) du sixième Concile, il est dit (col. 4335,
C) que la lettre de Cyrus a été écrite cinquante-six ans auparavant durant l'in-
dictioto 4 4e (1" sept. 623. 4" sept. 626).
* J. S. Assemani, p. 43.
' Cette translation eut lieu en 631, car on lit dans la première session du
Concile de Latran (5 oci. 649) : Et Cyrus quidem ante hos decem etocloannos...
Alexandrise... Hard. t. III, col. 655. B.
* 4 mai 633. Oriens christ., t. III, col. 263. — S. Maximi ad Petrum Illus-
trem. Mig., Pa't. gr., t. XCI, col. 4 43, Theoph. chron. ad. an. chr. 624. Mig.,
Pat. gr., t. CVI1I, col. 679. — Concil. CP. III, act. XIII. Hard., t. III, col.
4339, D.
' Conc. CP. III, act. XIII, loc. cit.
8ï4 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
Honorius, qui occupait le siège de Rome depuis le 3 nov.
625, n'était nullement averti du danger. Les lettres de com
munion d'Athanase d'Antioche et de Cyrus d'Alexandrie
avaient dû le prédisposer en faveur des hétérodoxes.
Cependant le siège patriarcal de Jérusalem était vacant-,
saint Sophrone finit1 par y être placé, au grand déplaisir des
patriarches prévaricateurs. Le seul moyen de prévenir les
inconvénients d'une semblable nomination, était de prendre
les devants auprès du Pape. Sergius se hâta de lui écrire, lui
apprit la conversion des monophysites d'Egypte, l'interrogea
docilement sur la question qui agitait l'Orient, et lui annonça
la nomination de saint Sophrone qu'Honorius ne connaissait
pas encore a. Héraclius joignit probablement quelques lettres à
celle du Patriarche. Honorius vit donc tout l'Orient uni contre
un homme dont le silence à l'égard du Saint-Siège semblait
prouver qu'il ignorait ou méprisait les lois fondamentales de
l'Église. Il répondit'; Sergius cacha cette réponse. Les en
voyés de S. Sophrone arrivèrent peu après à Rome. Le Pape
persista dans ses idées et adressa de nouvelles lettres dans le
même sens que la première. S. Sophrone voyant que mal
augmentait chaque jour, ne tarda pas à renvoyer vers Hono
rius Etienne de Dora pour lui représenter le péril \ Mais la
mort empêcha le Pontife de régler cette affaire \
Sergius, instruit de cet événement, résolutd'en profiter pour
le triomphe de ses doctrines. Il publia sa profession de foi
en lui donnant la forme d'un édit impérial (Ecthèse6) et l'en
voya au pape élu Séverin pour la lui faire signer. Dieu n'at
tendait que cette dernière démarche pour lui demander

1 Oriens christ., t. III, col. 264, A. B.


• Conc. CP. III, act. XII. Hard., t. III, col. 1311-1318. Cette lettre de Sergins
est de 634. Car S. Martin écrivant à S. Amand après le Concile de Latran
(31 oct. 649) lui dit: Ante hos plus minus quindecim annos a Sergio.. hœre-
sis pullulavit. Hard., t. III, col. 957, A, et on lit Concil. CP. III, act. 1(7 nov.
680) : ante hos xlvi plus minus annos, col. 4058. E.
» Concil. CP. III, act. XII. Hard., t. III, col. 1319-1323.
4 Concil. CP. III, act. XIII, col. 1351.
• Honorius fut enseveli le 12 oct. 638.
' L'Ecthèse et sa confirmation par Sergius se trouvent dans la troisième ses
sion du Concile de Latran 649. Hard., t. III, coll. 791-799.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 825
compte de sa vie (mai 639 \) Cependant l'incendie qu'il avait
allumé ne s'éteignit pas avec lui.
Pyrrhus qui lui succéda ne valait pas mieux. Il approuva
l'ecthèse' et en fit presser la signature à Rome. Séverin fut
sacré, et dans son pontificat de deux mois trouva le temps de
condamner la pièce impériale5. Pour opposer un Pape à un
Pape, Pyrrhus donna la plus grande publicité à la lettre d'Ho-
norius. Ce fut en vain : la désapprobation du Saint-Siège et des
catholiques, ranimés par sa voix, avait ouvert les yeux à Iléra-
clius. Il désavoua l'ecthèse*. Dieu, nous l'espérons, lui par
donna sa criminelle intervention dans les affaires de l'Eglise.
Mais il ne lui laissa pas le temp6 de réparer le mal fait sous
son nom.
Jean IV, qui avait remplacé Séverin1, s'émut du bruit qui
s'élevait au sujet de la première lettre d'Honorius, et en adressa
à Constantin, fils d'Héraclius, une apologie confirmée par le
propre secrétaire d'Honorius, Jean Symponus6. Cette pièce
ne trouva sans doute plus l'Empereur en vie ; il était mort
après moins de quatre mois de règne, et son trépas replon
geait l'Eglise dans de nouveaux périls.
Constant aima mieux imiter son grand-père dans ses fautes
que de le suivre dans son repentir. De l'avis de Paul, digne

' VOriens christianus, sprkPlef. Petau, pIaeelamortdeSerginsen6S8.Mai6


ce patriarche survécut a Honorius (t <2 oct. 638) assez de lemps pour apprendre
sa mort, connaître le nom de son successeur, envoyer l'ecthèse a celui-ci et à
Cyrus d'Alexandrie. — Ce dernier point mente d'être considéré. Cyrus dut re
cevoir l'ecthèse dès sa publication et il la reçut avec la nouvelle de l'élection de
S. Séverin : par conséquent celte pièce parut après la mort d'Uonarius. Seur-
gius la lit présenter à son successeur en lui déclarant qu'il ne serait pas sacré
avant d'avoir signé. Concil. Lateran 649, act. III, fin. Hard., I. III, col. 803.
— Ex epist. S. Maximi ad Thalas. Anastas. Bibh'ot. collectan. Migne, Pat. lat.,
t. CXXIX, col. 583-586.
* Concil. later. 649, act. III, col. 799-802.
* Séverin sacré le 28 mai 640, enseveli le 2 août. Le long retard .qu'éprouva
son sacre vint soit des affaires religieuses, soit du pillage du palais de Lalran
par l'exarque Isaac. Héraclius accepta sa part de cet odieux butin. Lib. Diur.,
C. III, tit. VI. Mig., Pat. lat., t. CV, col. 66, B.
* S. Maxim, ad. Petrum IHusL Mig. Pat. gr., t. XCI, col. H2, C. 143, A.
Héraclius mourut le i I fév. GH.
■ Jean IV, consacré le 25 déc. 640, enseveli le 12 oct. 642.
■ Anast. Biblioth. colleclanea. Mig. Pat. lat» t. CXXIX, col. 561-566. —
S. Maximi, disput. cum Pyrrho. Mig. Pat. gr., t. ICI, col. 327-330»
826 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
successeur de Pyrrhus, il publia un nouveau -décret religieux
qu'il appela type1. Saint Martin I" condamna solennellement
cet acte dans un Concile de Latran', et paya de sa vie (655)
sa fermeté apostolique. Le 15 juillet 668, Constant acheva,
par une mort tragique, sa vie déshonorée par des lâchetés,
des perfidies, des brigandages, et par le supplice de plusieurs
martyrs s.
Constantin Pogonat, son fils, pour témoigner à Dieu sa re
connaissance des victoires qu'il avait obtenues, résolut de
rendre la paix à l'Eglise. De concert avec le pape saint Aga-
thon,il assembla le sixième concile oecuménique, troisième
de Constantinople \ où l'hérésie fut proscrite avec tous ses
chefs et tous ses fauteurs, y compris le pape Honorius. Les
actes du Concile, et en particulier cette condamnation, furent
ratifiés par le saint pape Léon II.

III

Quoique l'entreprise ne soit pas neuve, une révision sérieuse


et approfondie de cette cause célèbre entre toutes ne nous a
point paru superflue. Sont-ils nombreux, les catholiques ins
truits qui se' sont rendu compte du terrain sur lequel ils doi
vent se placer pour accorder l'infaillibilité et la suprématie
du Pape avec la faute et la condamnation d'Honorius?
Sur ce grand débat, les assertions les plus contradictoires
se croisent; les solutions les plus diverses sont proposées.
Écoutez en effet. L'un affirme que tous les actes du procès
sont faux ; de tous les partis, mille voix s'élèvent pour déclarer
ce système de défense insoutenable. Un autre ajoute : au
moins les lettres d'Honorius sont-elles interpolées , et sa con

1 Pyrrhus accusé d'empoisonnement, convaincu de conspiration, quitta son


siège, abjura son erreur après une dispute contre S. Maxime (645), retourna à
l'hérésie et remonta sur le siège de Constantinople après la mort de Paul (654).
Le type fut publié (648) du vivant du pape Théodore, qui déposa Paul pour
le punir de cet acte.
1 Le Concile de Latran eut cinq sessions du 5 au 34 octobre 649.
* En 663 Constant pilla la ville de Rome : c'est la dernière visite qu'un em
pereur de Constantinople ait fait à la vieille capitale.
* Ce Concile tint dix-huit sessions du 7 nov. 680 au < 6 sept. 681 . S. Agathon
fut enseveli le 10 janv. 681. S. Léon II ne fut sacré que le 17 août 682.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 8i7
damnation repose sur un faux supposé. Cette solution est in
suffisante, répondent les adversaires, et l'affirmation qui lui
sert de base est radicalement contraire à la vérité. Un troi
sième nie que le Pape Honorius ait parlé ex cathedra, c'est-à-
dire dans toutes les conditions qui assurent l'infaillibilité. Un
quatrième, plus subtil, vous distingue la cathedra docens et la
cathedra definiens1. Que sais-je enfin? Tout ce que l'on pou
vait dire a été dit et répété mille fois. Bien plus, on le répète
encore; je n'en veux pour preuve qu'un ouvrage récent où
cette controverse a été traitée avec de larges développements.
Quatre solutions y sont encore livrées à l'appréciation des lec
teurs*. Où est le terrain solide? A quelle réponse peut-on s'arrê
ter avec confiance? Il serait cependant bien nécessaire d'écarter
une fois pour toutes les solutions désormais insoutenables et
dont l'emploi ultérieur constituerait un véritable déshonneur
pour notre cause. Mais cet important résultat ne sera jamais
obtenu sans que l'opinion catholique se forme et s'impose,
et par conséquent sans que beaucoup de savants reviennent à
la méditation approfondie du fait en litige.
Cette méditation procurerait encore un autre avantage aux
esprits solides et chrétiens; elle les affermirait de plus en plus
dans les vrais principes de la controverse religieuse. En vérité,
pour des hommes qui croient fermement à la divinité de. leur
foi, n'est-il pas pénible, n'est-il pas humiliant de voir les plus
fermes athlètes de la religion ! s'effrayer en présence d'une
objection, supprimer les témoignages qui en augmentent la
gravité *, et , dans leur trouble , s'arrêter au pire de tous les
moyens de défense? Ne croirait-on pas apercevoir, une fois
encore, les apôtres épouvantés au milieu de la tempête, en
attendant que le Sauveur se lève, calme et serein, pour leur
dire : « Quid timidi estis modiese fidei (Math, vm, 16.)? *

1 Je ne me propose nullement d'énumérer ni ici ni ailleurs toutes les solutions


proposées.
* Tractalus de Papa ubi et de Concilio œcumenico, auctore D. Bouix, Part 2',
sect. V, cap. m, t. H, p. 290-366. Cependant l'auteur montre assez clairement
que deux des quatre solutions proposées le satisfont médiocrement.
* Baronius et Bellarmin, par exemple.
* L'impression du Liber Diurnus a été longlemps relardée parce qu'il ren
ferme un texte qui démontre la condamnation d'Honorius. Introduction, n° 71 ,
p. cxin-cxv, n" 85, p. CXLVIU.
828 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
Hélas ! nous le savons, les études historiques auront beau faire
de6 progrès parmi nous : en présence d'un fait embarrassant,
d'une pièee compromettante, il se trouvera toujours des âmes
ardentes et sincères qui, avant tout examen, s'empresseront
de nier le fait, de rejeter l'authenticité de la pièce ; quelques
indices nous porteraient même à croire que les méthodes anti
critiques regagnent du terrain; car, pour n'en citer qu'un
exemple, n'avons-nous pas vu, ces dernières années, un au
teur que 6on rang, son malheur et son érudition élèvent au-
dessus du vulgaire, obtenir un certain succès en contestant la
réalité d'une controverse tellement appuyée sur la tradition et
les documents, qu'il faut renoncer à toute certitude historique
si son existence n'est pas incontestable1? Mais, sans prétendre
à des résultats impossibles, ne peut-on pas espérer que tout
homme de quelque valeur, après avoir réfléchi aux inconvé
nients produits par la mauvaise défense d'Honorius, se gar
dera bien de suivre des errements si périlleux ?

IV

Que les gallicans me permettent de m' adresser aujourd'hui


à eux seuls, parce que c'est entre eux seuls et nous que doit
se poser la question de l'infaillibilité du Pape et de sa supré
matie.
Ils rejettent l'infaillibilité du souverain Pontife, et cependant
ils admettent l'infaillibilité de l'Église : ils la font résider dans
le Concile seul \ Singulière idée de confiner l'infaillibilité dans
un tribunal qui n'a pas tenu vingt fois ses grandes assises en
dix-neuf siècles.
La tradition, l'Écriture et le bon sens ne parlent guère en
sa faveur-, mais nous sommes sur le terrain de l'histoire, et je
veux y rester. Les gallicans croient-ils par hasard que l'infail
• La célèbre contesa fra S. Stefano et S. Cypriano, Rome, 1 862. — Boni*.
Revue des sciences ecclésiastiques, t. VII. — Id., De Papa, loc. cit., c. rv,
p. 366-445. Malgré l'invraisemblance de la thèse soutenue par Mgr Tizzani, je
ne me suis formé une opinion qu'après avoir attentivement pesé ses argumente.
* Je ne parle pas de l'opinion qui place l'infaillibilité dans l'église dispersée,
pour bien des raisons, mais surtout parce que l'Église dispersée ne s'est jamais
prononcée sur aucune vérité aussi nettement qu'elle l'a fait sur l'infaillibilité
du Pape.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 829
libilité des Conciles soulève, au point de vue historique, des
difficultés moindres quel'infaillibilitédes Papes?Profonde serait
leur erreur. Laissons de côté l'opposition du grand Concile
de Francfort (794) au second Concile de Nicée (787); les diver
gences moins considérables qu'on n'imagine entre le Concile
de Constance (1 Al 8) et le cinquième Concile de Latran (151 2-
1517). Le Concile de Francfort n'est pas œcuménique, et
l'œcuménicité des deux autres est en question. Prenons donc
deux Conciles universellement reconnus comme généraux : le
quatrième et le cinquième. Je dis, et sans craindre d'être dé
menti : il est moins malaisé de défendre l'infaillibilité d'Hono-
rius que de mettre d'accord entre eux les deux Conciles, et,
par conséquent, de démontrer qu'un des deux au moins n'est
pas dans l'erreur. Cette difficulté est si grave qu'elle divisa un
moment l'Occident d'avec l'Orient; et, si l'autorité du Pape
fut assez respectée pour empêcher la désunion d'aboutir à un
schisme général, elle ne put du moins prévenir la séparation
de la haute Italie et la longue rébellion connue sous le nom de
schisme de l'Istrie. Le développement de cette difficulté m'en
traînerait trop loin de mon sujet. Je ne puis toutefois omettre
d'en indiquer le nœud en rappelant les expressions les plus
inconciliables des deux assemblées.
Le quatrième canon du cinquième Concile anathématise
tout homme qui défend la lettre impie d'Ibas à Maris, qui ne
la rejette pas, elle et ceux qui prétendent la justifier, soit en
totalité, soit en partie1...
Ce canon fut décrété le 2 juin 553. Or, en 451 (27 oct.),
Ibas s'était présenté au quatrième Concile pour y faire recon
naître sa très-douteuse orthodoxie, et voici ce que le Concile
avait jugé de cette même lettre si hautement et si justement
condamnée dans le cinquième.» Paschasin et Lueentius, très-
révérends évêques , et Boniface , prêtre , tenant la place du
siège apostolique (caries légats apostoliques, dans les Conciles,
ont coutume de parler et d'opiner les premiers) , dirent, par
la bouche de Paschasin... : c Après avoir relu la lettre d'Ibas,
• Si quis défendit epistolam quam dicitur Ibas ad Marim Persam hseretienm
scripsisse.... Si quis igitur memoralam impiam epistolam défendit, sed non ana-
Ihematizat eam , et defensores ejus, et eos qui dicunt eam Tectam esse, vol
parlem ejus... talis anathema sit. Hardouin. Concil.,t. III, col. *99, 202.
830 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
« nous avons reconnu qu'il est orthodoxe1. » Maxime d'An-
tioche s'énonce plus positivement encore, et dit :« après avoir
entendu lire la copie de la lettre que les ennemis d'ibas pro
duisent contre lui : « Je reconnais que la teneur en est ca
tholique*. »
Tous les autres évêques approuvent ces idées et reçoivent
Ibas à son rang d'évêque catholique. Le Pape lui-même n'y
contredit point, car il confirme les décrets du Concile, sauf le
vingt-huitième canon. Se présente tel gallican qui le voudra,
tout catholique instruit se chargera de justifier Honorius aussi
bien ou mieux que son adversaire aura justifié le quatrième
Concile s.
Quant à l'autorité du Pape sur les Conciles, les difficultés
historiques bravées par les gallicans qui la nient sont encore
bien autrement nombreuses et considérables. De graves au
teurs soutiennent qu'ils ont contre eux une définition formelle,
et que leur opinion en ce point est positivement hérétique '.
Leur assertion est loin d'être téméraire, et bien faibles sont les
réponses qu'on leur oppose. Mais cette définition est relative
ment récente, ce qui lui ôte, non de sa valeur, mais de son
prestige, et, à tort ou à raison, l'autorité en est contestée.
Laissons-la donc, et remontons à des faits beaucoup plus an
ciens et sur lesquels tout le monde soit d'accord. Grâce à l'ab
sence de documeuts, le Concile de Nicée n'offre rien de décisif.
Mais pour le deuxième, pour le troisième, pour le quatrième

' Paschasinus et Lucentius reverendissimi episcopi, el Bonifacius presbyter,


tenentes locum sedis apostolicœ (quia missi apostolici semper in synodis prius
loqui el confirmare solili surit) per Paschasinum dixerunt:... Relecla... ejus
(Ibae) epistola agnovimus eum esse orthodoxum. lbid., t. II, col. 539.
* Maximus... Anliochenus dixit:... ex releclo quoque rescripto epistolse,
quie prolata est ab co qui adversarius ejus existit, orthodoxa ejus declarata est
dictatio. lbid.
* La solution de cette difficulté est assez simple : dans un Concile ; les canons
dogmatiques approuvés par le Pape sont seuls de foi. Les paroles de quelques
Pères isolés, si graves soient-ils, ne rendent pas'une proposition certaine. Le
cinquième Concile ne contredit aucune définition du quatrième.
* Léon X, dans la bulle Pastor œternus promulguée dans la M* session du
cinquième Concile de Latran, du consentement de toute la nation française,
suppose le point comme une vérité incontestable : « Cum eliam solum Romanum
Ponlificem, pro lempore existentem, lanquam auctoritalem super omnia con
cilia habentem. » Cf. Bouix. De Papa, part. III, c. il.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 831
des Conciles généraux, qu'un gallican veuille bien me dire
comment il explique dans son système la marche uniforme
des Papes et des grandes assemblées auxquelles les Papes s'a
dressent. Saint Damase, saint Célestin et saint Léon 1" semblent
s'être donné le mot; ils définissent, le premier dans son Con
cile particulier, les deux autres dans des lettres dogmatiques,
les points en litige, et ils envoient leur décision à leurs frères
dans l'épiscopat, non pour être discutée, mais pour être
signée1. Saint Agathon, Adrien I" et Adrien II n'en agissent pas
autrement àl'égard des sixième, septième ethuitième Conciles*.
Le cinquième Concile demanderait une discussion trop éten
due5. Du reste les six autres fournissent une matière bien
suffisante, pour peu que nos adversaires veuillent y réfléchir.
Saint Célestin, en particulier, s'exprime d'une façon qui
serait par trop singulière dans la bouche d'un subordonné
vis-à-vis d'un pouvoir supérieur. « Si l'on en vient à la discus
sion , dit-il à ses légats , vous jugerez des sentiments des
autres, mais vous ne subirez pas vous-même le combat k. »
Et ce qu'il faut remarquer, les Conciles acceptent dans la pra
tique le programme du Pontife. En présence de cette conduite
persévéramment suivie par les Papes, je me suis souvent
demandé non pas si les Papes se considéraient comme supé
rieurs aux Conciles, s'ils étaient acceptés comme tels : la ques
tion me semblait presque naïve; mais je me demandais et je me
demande encore le moyen de concilier cette attitude si sou
veraine des successeurs de Pierre avec cette vérité catholique
que les évèques sont juges de la foi dans les Conciles : Ego
definiens subscripsi \ Je me demande encore, et ici je le dé

' S. Damase. V. Hardouin, ad. ann. 379. Concil., t. I, col. 801-804. adde.
Mansi, Concil., t. III, col. 511, 512. — Cf. Damase, Epp. Jaffe, n" 60-61, el
Migne, Pat. lat., t. XIII, col. 365-370. S. Célestin, Concil. Ephes. part. I,
n° VIII, part. II, act. 11», Hard., 1. 1, col. 4299-4308, 1467-1472 etsuiv. S. L^éon
I, Concil. Chalc, act. II. Hard., t. II, col. 289-300. Cf. act. V, ibid., col.
447 etsuiv.
» S. Agathon, Concil., CP, act. IV. Hard., t. III, col. 4073-1126 el en parti
culier 1126. Adrien I". Concil. Nicœn, II, act. II. Hard., t. IV, col. 79-104, et
en particulier 91 et 102. Adrien II. Concil., act. 1. Hard., t. V, col. 773, 774.
* Sur le cinquième Concile voir Doucin, S. J. Histoire du nestorianisme,
en particulier p. 434.
' Concil. Ephes., part. I', cap. XXII. Hard., t. I, col, 1347, 1348.
5 Au temps de Gerson plusieurs catholiques soutenaient que les évêques
832 LA CONDAMNATION D'IIONORIUS
clare, sans soupçonner même la réponse que peuvent donner
les adversaires, comment des hommes savants ont été s'ima
giner que la puissance pontificale ait reçu de grands dévelop
pements depuis le vc siècle. Car l'attitude des Papes du xvi*
siècle en présence du Concile de Trente est bien autrement
modeste dans ses formes que celle de saint Gélestin et de saint
Léon le Grand envers leurs frères d'Éphèse et deChalcédoine.

Avant d'aborder la discussion, ou plutôt afin de l'aborder


sérieusement, je crois nécessaire de m'arrêter encore un
instant sur trois points qui dominent tous les débats : c Failli—
bilité du Pape et compétence du Concile pour juger et ré
former ses erreurs, telle est la double conséquence qui découle
de la condamnation d'Honorius ' . i Ces deux conclusions ne
peuvent être appréciées à leur juste valeur si l'on ne sait posi
tivement ce qu'il faut entendre par les expressions : infaillibi
lité du Pape, supériorité du Pape sur le Concile, hérésie. Celui
qui entrerait dans la discussion présente sans une notion pré
cise de ces trois articles, ressemblerait à un homme qui vou
drait engager un duel au milieu des ténèbres.
« En quoi consiste précisément le privilège de l'infailli
bilité?
« Ce privilège consiste en ce que le Pape, parlant ex ca
thedra, c'est-à-dire comme chef de l'Église, comme docteur
universel, ne peut pas enseigner l'erreur en matière de foi \ >
Voilà là définition donnée par un simple catéchisme, et il faut
bien que nos adversaires l'admettent , à moins d'afficher la
prétention exorbitante de nous imposer et leur propre défi
nition et le soin de la défendre. Il ne leur suffirait pas de prouver,
moins encore d'affirmer que « la distinction entre le Pape par

ii'étaient pas juges de la foi dans les Conciles. Cette erreur fut en partie cause
des erreurs en sens opposé. V. Pétri de Alliaco, Tractalus de Ecclesiœ... auc-
toriiate, Pars III, c. Il, 60. Gerson opéra. Ellies du Pin, Anvers, 4706, t. II,
col. 953. Je rejette du reste formellement la doctrine de l'auteur.
« Texte déjà cité.
* Catéchisme du Concile, par un docteur en droit canonique. Bourges, Pi-
gelet, 4869, p. 8. Approuvé par Mgr l'archevêque de Bourges.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 833
lant comme docteur privé et le Pape enseignant ex cathedra
est récente, aussi bien que la prétention à l'infaillibilité1. » Le
dogme de l'infaillibilité n'est pas encore défini, par conséquent
la formule qui l'exprime n'est pas non plus consacrée. Pour
cette vérité, comme pour toutes celles qui, dans la suite des
siècles, ont eu besoin d'être précisées par la voix des Papes ou
des Conciles, la croyance n'a jamais cbangé. Mais son expres
sion, d'abord un peu vague, s'est caractérisée graduellement
jusqu'à ce qu'enfin elle ait revêtu une forme dernière sous
laquelle elle puisse devenir l'objet d'un acte de foi pour tous
les fidèles.
D'ailleurs, si les mots sont nouveaux, ce que je n'examine
pas, l'idée est fort ancienne. Le fait mêmed'Honorius le prouve,
et cette démonstration ne peut manquer de faire impression
sur ceux , en particulier, qui apprécient la haute portée du
Liber diurnus. Pendant l'espace d'environ deux cents ans ,
tous les Papes qui ont occupé la chaire de saint Pierre, dans
la profession solennelle de foi qu'ils prononçaient en présence
du clergé et du peuple assemblés, anathématisaient nommé
ment leur prédécesseur Honorius : « Sanctum sextum Conci-
lium universale, centum septuaginta quinque venerabilium
preesulum.... auctores novi haeretice dogmatis.... una cum
Honorio qui pravis eorum assertionibus fomentum impen
dit.... nexu perpetui anathematis devinxerunt... Simili etiam
nos condemnatione percellimus anathematis *. »
Et cependant les mêmes Papes, dans les circonstances les
plus graves, les plus critiques, quand ils parlaient non-seule
ment à leurs amis, mais à leurs plus fougueux ennemis, ne
craignaient pas d'affirmer hautement l'indéfectibilité du siège
apostolique. Ils avaient donc par devers eux un moyen de con
cilier leurs anathèmes contre Honorius avec l'acte de foi dans
leur propre infaillibilité; et le moyen devait être connu et ac
cepté de ceux auxquels ils s'adressaient5. La croyance à la

« Liber diurnus, Introduction, n" 82, p. cxxxix.


' Liber diurnus, n° LXXX1V, p. «95-201. Migne, Pat.lat., t. CV, col. 50-53.
Je ne sais si je me trompe, mais je crois que M. de Rozière a ignoré celte réim
pression du travail de Garnier»
» Je crois inutile de rapporter les témoignages des Papes : sur ce point per
sonne ne contredira mon assertion. Quant aux Conciles, ils élaientsi peu en dés
834 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
chute fabuleuse du pape Libère ; la croyance plus étonnante
encore au conte odieux forgé par les donatistes contre le
Pape saint Marcellin, amèneraient à la même conclusion.
Mais négligeons pour un moment ces preuves si fortes em
pruntées à l'histoire; elles sont de surérogation ; car, soit que
nous descendions aux considérations vulgaires du sens com
mun ou que nous nous élevions aux principes supérieurs qui
dominent toute la discussion , partout nous lirons avec évidence
la nécessité de cette distinction que les gallicans voudraient
nous ravir.
Que le Pape, en effet, cause familièrement avec les prélats
de sa maison sur les articles de notre foi, personne ne dira que
chacune de ses paroles soit un dogme infaillible. Qu'il écrive
sur les mêmes matières comme ferait le premier venu, aucun
homme ne songera à faire un acte de foi sur chaque phrase
tombée de sa plume. S'est-il jamais rencontré un théologien
assez fanatique pour soutenir que dans les sermons de saint
Léon, de saint Grégoire, d'Innocent III, tout ce qui touche à 4a
foi constitue un article de foi? Chaque jour on s'adresse au
Pape sans prétendre faire appel à son infaillibilité. Et les pre
miers prélats du monde catholique, même quand ils l'interro
gent sur le dépôt des croyances commis à sa garde, ne préten
dent pas, à beaucoup près, que toutes ses réponses, si véné
rables soient-elles, acquièrent la certitude des vérités contenues
dans le symbole. Voilà ce que dit le sens commun.
Que disent les principes? Ce n'est pas pour lui-même que
Pierre a reçu ses sublimes prérogatives, mais pour l'Église et
dans l'ordre où l'Église est établie. S'il est infaillible, c'est donc
pour l'Église et dans l'ordre surnaturel. Voulez-vous savoir
quand et sur quelle matière il est infaillible, la réponse géné
rale est aisée : Pierre ou Pie IX peuvent recourir au privilège
de leur infaillibilité toutes les fois que le bien de l'Église le
demande, toutes les fois que surgit une question non-seule
ment de l'ordre surnaturel, mais encore de l'ordre naturel, si

accord avec les Souverains Ponlifes relativement à l'indéfectibilité de l'Église


romaine, que le sixième, après avoir condamné Honorius, reconnaît formelle
ment celte prérogative dans sa lettre à S. Agathon. Hard., Concil., t. III, col.
1437. C. Cf. Epi. Imper, ad Léon, ibid., col. 1461, E.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 83
la réponse à cette question est intimement liée aux vérités de
l'ordre supérieur.
Toutes les fois au contraire que le bien de l'Église n'es
pas en jeu, toutes les fois que la question n'intéresse ni
directement ni indirectement l'ordre surnaturel, l'infaillibilité
se renferme dans le sein de Dieu; ni Pie IX, ni Pierre ne peu
vent y prétendre.
Mais de tous les aspects de l'infaillibilité, nous n'avons pas
encore considéré le plus intéressant dans la pratique. « j'au
rais autant de peine que les ultramontains eux-mêmes à déter
miner les conditions auxquelles on peut reconnaître que le
Pape parle ex cathedra ' . » Les ultramontains ne sont pas ce
pendant aussi embarrassés que paraît le croire le savant auteur
dont je viens de reproduire les expressions. Car voici ce que
dit le catéchisme que je citais tout à l'heure : < A quels signes
peut-on reconnaître que le Pape parle ex cathedra?
« Le Pape Grégoire XVI, dans un écrit antérieur à son
exaltation, et dont il a approuvé plus tard, étant souverain
pontife, plusieurs éditions, indique les signes suivants :
« 1 ° Le point défini par le Pape doit appartenir à la foi ;
2° le Pape doit faire connaître sa décision à toute l'Église par
un acte direct ; 3° les termes dont il se sert doivent montrer
nettement qu'il entend prescrire l'acte de foi sur la vérité dé
finie : — ce qui a toujours lieu lorsqu'il qualifie d'hérétique
l'opinion contraire et formule l'anathème contre ceux qui la
soutiendraient'dans la suite.
« Quand ces conditions se rencontrent, il est certain que
l'acte doctrinal émané du Souverain Pontife est une définition
ex cathedra qui commande la foi 2. »
Bornons-nous à cette notion élémentaire; elle suffit ample
ment au but qu'on se propose dans cet article, où des déve
loppements plus étendus paraîtraient peut-être hors de propos .
On a beaucoup écrit, beaucoup disserté sur cette matière;
quoi que l'on fasse, on ne parviendra pas à fixer des règles
qui conviennent à tous les temps et s'appliquent à tous les cas

• Lib. Diurn. Introduction, n» 82, p. cxxxix, CXL.


• Catéchisme du Concile, approuvé par Mgr l'archevêque de Bourges, p. 8,9.
Cf. Greg. XVI, Trionfo delta santa Sede, cap. xxiv.
IVe série. — T. IV. 61
838 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
possibl&s , par la raison toute simple que les Pontifes qui se
sont succédé sur la chaire apostolique n'ont pas suivi duns
les actes de leur autorité un formulaire invariable. Ce qui im
porte, c'est donc de considérer la nature de ces actes plutôt
que leurs caractères extérieurs ; en sorte qu'on peut dire en
un sens très-vrai que la seule condition essentielle pour qu'un
pape exerce son infaillibilité, c'est qu'il le veuille, non pas
d'une volonté quelconque, mais d'une volonté sérieuse, effi
cace, manifestée en des circonstances et en des termes tels,
qu'il n'y ait lieu à aucune équivoque, à aucune ambiguïté.

VI

La supériorité du Pape sur le Concile nous arrêtera moins


longtemps. Écartons d'abord le cas où le Pape serait douteux;
car, d'après l'axiome « Papadubius, Papa nullus, » cette hy
pothèse ne peut faire aucune difficulté. Dans la pratique, le
point embarrassant , et très-embarrassant , serait de décider
si le Pape est douteux. Des auteurs, dont l'orthodoxie n'est pas
suspecte assignent quatre circonstances dans lesquelles ce
malheur pourrait se produire : 1° En temps de schisme; 2° si
une partie notable de la catholicité refusait d'accepter le Pape
élu; 3° s'il s'était rencontré un vice notoire dans l'éleclion ;
4° enfin si le Pape, en tant que personne privée, tombait ou
vertement dans l'hérésie1. Un écrivain, dont le nom est res
pecté dans le clergé fiançais, conteste et l'axiome et ses appli
cations*. Ses idées, sur plusieurs points, n'ont pas conquis
l'approbation universelle3; mais je n'ai nul besoin de les con
tredire. L'opinion contraire à la sienne reste au moins pro
bable, et par suite, ce serait pure intolérance que de con
damner un homme parce qu'il soutiendrait la supériorité du
Concile sur un Pape douteux.

• Ce passage est emprunté à la- théologie de Wurlzbourg, t. I, p. I,. disput.


11e, cap. m, art. III, n° 475. Ed. de Paris, 4 852, p. 310. Je rejette la seconde
circonstance
■ Bouix, De Papa, Pars III, sect. ivvt. 11, p. 635-686.
* P. Tondim, Darnabilc, Polybiblion, mars 186!), t. III, p, 435. — La Civiltà,
lôjanvi 4869, trouve que plusieurs pîssagessont d'un goût trop piquant. Je n
veux citer ni les durcies do Mgr Marcl, ni celles de Mgr d'Orléans.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. S37
Supposons donc un Pape certain, et avant de dire ce que
nous entendons par la supériorité du Pape sur le Concile,
voyons ce qu'il faudrait entendre par la supériorité du Concile
sur le Pape, et ce que nous en croyons. Dans l'hypothèse d'un
Pape certain, la doctrine gallicane paraît susceptible de deux
sens: le Concile œcumémique séparé du Pape est au-dessus
du Pape ;:le Concile réuni au Pape est au-dessus du Pape seul.
Le premier sens est un non sens , comme le fait remarquer
M. de Maistre1, puisqu'un Concile ne peut être œcuménique
sans avoir le Pape à sa tète. On échapperait à l'absurde en
supprimant lemot œcuménique et en posant la question comme
il suit : un Concile vraiment général est-il au-dessus duPape?
Ou plus clairement : supposé que d'un côté soit un Pape cer
tain, de l'autre une imposante majorité de cardinaux et d'évê-
ques réunis en Concile, le Pape sera-t-il au-dessus de ce Con
cile, ou ce Concile au-dessus du Pape8? Je répondrai à celte
question quand on m'aura prouvé que l'hypothèse sur laquelle
elle s'appuie, n'est pas directement contraire aux promesses
faites par Jésus-Christ à son Église : « Ecce ego vobiscum
sum usque ad consummationem sœculi ; porta? inferi non
preevalebunt adversus eam; » quand on m'aura prouvé que
la question n'est pas injurieuse à l'Église et à la Providence.
Arrêtons-nous donc au second sens : le Pape avec le Con
cile est-il au-dessus du Pape seul? Cette question renferme un
mot vague : au-dessus ; elle reste donc vague elle-même; mais
il est facile de la rendre très-nette sans en modifier le sens. Le
Pape avec le Concile peut-il revenir sur une décision que le
Pape a portée seul'1* La réponse est aussi simple que pratique.
Si la décision est de telle nature que le Pape puisse la modifier
de son autorité apostolique, il le peut également avec le Con
cile; si elle est de telle nature que le Pape ne puisse plus y
toucher, le Pape avec, le Concile ne le peut pas davantage.

• Du Pape, 1. I, c. m. Lyon, 1819, p. 20-21.


■ C'est du reste ainsi que la question élait posée par les premiers gallicans.
Major dit ca propres termes: « Concilium ecclesiam reprœsenlans est super
maximum ponlifîcem : et capio ecclesiam, pro ecclesia ab eo separata. «Mais il
avoue que cette opinion à Paris daie du Concile de Constance. « Alium modum
semper nostra universilas Parisianaa diebus concilii Constantiensis imhaUuest.
Gcrson, opéra, t. II, col. Mil, C. B.
838 LA CONDAMNATION D'HONORIL'S;
Prenons pour premier exemple la définition de l'Immaculée
Conception , prononcée par notre grand et vénéré Pontife.
Tous les catholiques savent que cette définition est un décret
prononcé ex cathedra. Pie IX ne peut la réformer seul ; il ne
le peut pas davantage avec le Concile de 1 869.
Quelques-unes des prescriptions relatives aux rits chinois
et malabars peuvent, si je ne me trompe, servir d'exemple
pour l'autre supposition; car il en est quelques-unes au moins
que le Pape peut modifier de sa pleine autorité. 11 le peut
également avec le Concile de \ 869.
Dans le second sens ainsi éclairci et précisé, la conclusion
est évidente et doit s'affirmer : le Concile n'est pas au-dessus
du Pape.
Mais reprenons la question inverse et demandons-nous :
« En définitive, que faut-il penser de la supériorité du Pape
sur le Concile?
« Il faut penser, sur cette question comme sur toutes les
autres, ce que pense l'Église romaine, mère et maîtresse de
toute les autres églises.
« Or l'Église romaine pense et a toujours pensé que le Pape
est supérieur au Concile; et cela pour trois raisons principales.
« La première, c'est que le Pape est le chef de l'Église, de
l'Église dispersée aussi bien que de l'Église rassemblée, c'est-
à-dire des Conciles. Or qui dit chef, dit supérieur. Il a recula
primauté sur l'Église universelle; or, s'il n'avait pas la supé
riorité sur le Concile général qui n'est autre que l'Église uni
verselle rassemblée, sa primauté ne serait qu'un vain nom.
« La seconde, c'est que, de l'aveu de tous les catholiques,
le Pape a le pouvoir de convoquer, présider, transférer, dis
soudre les Conciles généraux ; or il n'aurait pas ce pouvoir
s'il n'était pas supérieur au Concile.
« La troisième, c'est que les décrets des Conciles généraux,
pour avoir leur valeur canonique, doivent être confirmés par
le Pape : or, qui confirme est supérieur.
« Si à ces raisons on ajoute l'autorité du cinquième Concile
général de Latran, précédemment cité, on reconnaîtra facile
ment que la question ne peut être l'objet d'un doute pour
tous les vrais catholiques1. »
• Catéchisme du Concile, p. 19-20.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 339

VII

Relativement aux mots : « hérétique, hérésie, » je n'ai pas


l'intention de réunir encore une fois les textes si souvent em
ployés pour démontrer que ces expressions n'ont pas toujours
eu la signification restreinte qu'on leur assigne aujourd'hui.
Je me contenterai d'en citer un exemple curieux emprunté
au Concile d'Ingelheim, en 972. Othon I", à la demande de
saint Ulrich ou Ûldarich d'Augsbourg, avait concédé au neveu
du saint prélat le droit de gouverner le temporel de l'évêché
avec la promesse d'être nommé successeur de son oncle.
Quelques clercs, déçus dans leurs espérances, se montrèrent
fort insolents envers le futur évêque. Celui-ci, pour bien définir
sa position, n'imagine rien de mieux que de se servir publi
quement du bâton pastoral. De là, grande rumeur. La gravité
de l'affaire demandait un Concile. Les Pères ne furent pas
moins émus que les clercs d'Augsbourg, et déclarèrent que
le prétendant était tombé dans le crime d'hérésie '.
D'autres faits du même genre ne seraient pas difficiles à
rencontrer : mais, au lieu de prouver ce que personne ne con
teste , j'indiquerai brièvement les raisons pour lesquelles le
sens des mots en question a varié. Ce sera le meilleur moyen
de faire comprendre toute l'étendue des acceptions dont ils
furent susceptibles.
Les termes c hérétique, hérésie, » en vertu de leur étymo-
logie, signifient séparé, séparation. Dans le langage ecclésias
tique, ils s'appliquent à une séparation d'avec l'Église. Dès
l'origine, ou à peu près , on a restreint cette signification et
réservé la qualification d' hérétique à l'homme qui«se sépare de
l'Église dans un point qui concerne la foi.
Le sens du mot hérétique a donc varié pour deux raisons :
d'abord parce que le terme qui lui est corrélatif, foi, n'a pas tou

• Gerhardi. VilaS. Oudalrici Ep. n° 22-23, cum... antistites... Adelberonem


baculum episcopalem publiée portare cognovissent... dicebant, ut contra cano-
nicae rectitudinis regulam in heresim lapsus fuisset... — Nisi Adalbero se sacra-
mento excusaret, quod non sciret, heresim manere quod episcopalem potentiam
cum baculo arripuit. Pertz. Monumenta Germaniœ historica , Script., t. IV,
p. 408.
840 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
jours gardé dans son acception la même étendue. Ensuite
parce que l'on a exigé, pour appliquer la note d'hérésie, une
séparation d'avec l'Église, tantôt moins, tantôt plus profonde.
La première cause de variation a été développée, aprèstien
d'autres, par un célèbre docteur de Paris, contemporain de
Gerson et du Concile de Constance, Jean de Courtecuisse. Ilien
-a conclu qu'on doit partager les hérésies en cinq classes. Les
trois premières n'offrent rien de bien singulier. Dans la qua
trième sont renfermées le6 erreurs qui contredisent les chro
niques, les gestes et histoires apostoliques; la cinquième con
tient les propositions inconciliables avec l'Écriture.... et .avec
d'autres vérités qu'on ne peut nier sensément, quand même
la forme des propositions ne manifesterait pas cette incompa
tibilité *. Voilà certes une assez belle nomenclature des crimes
d'hérésie, et l'auteur aurait pu l'accroître encore, si aux héré
sies relatives à la croyance il avait joint les hérésies d'action
et les hérésies de tendance. Même dans ces limites, l'exemple
que j'apporte est déjà d'autant plus digne d'être remarqué que
la seconde cause de l'extension démesurée du crime d'hérésie
tendait à disparaître'. Pendant des siècles, en effet, on n'avait
eu qu'un mot pour qualifier toutes les divergences possibles
dans l'ordre de la foi. Celui qui ne s'accordait pas avec l'Église,
relativement à la croyance, ou qui favorisait les hétérodoxes,
était hérétique, comme on appelait apocryphe tout livre non
approuvé. La scholastique amena dans le langage une pré
cision qui entraîna la création de toute une terminologie. Peut-
être les effets civils qui suivaient l'accusation d'hérésie aidè
rent-ils à l'adoption rapide de ces termes adoucis. Eref, au
temps du Concile de Constance, et quand Jean de Courte

* Alii juxta quinque gênera verilalum ealholicarum ponunt quinque speeies


hœresum vel errorum... Tcrtia speeies erroris est corum qui, rcvelatis vel ins
pirais ecclesise post apostolos, quomodolibet obviarent. Quarla speeies erroris
est eorum qui clironicis, vel geslis, vel rùstoriisaposloliciscoDirarianlur. Quinta
speeies est corum qui scripiurœ divinae, vel docirinae apusiolicœ extra suas
scripturas liabiloe , vel inspiratis aut rcvelatis ecclesiae, cum ahis veris quœ
negari rationsbiliier non possunt, incompossibiles demonstrantur : lieet ex
forma propositionum lalibus verilalibus ncquaquam appareant incompossibiles.
Hujusmodi est ista: Fides Augusiini non est vera... Gerson. opéra, t. l,col. 836.
* Aussi l'auteur cité précédemment dit-il qu'on devrait réserver le mot
hérésie pour la première classe d'erreurs. « Uti errores proprie liaereses debent
nuncupari. » Ibid.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 8 il
cuisse distribuait si libéralement le titre d'hérétique, on se ser
vait d'expressions moins dures à l'oreille; ainsi les thèses du
docteur Jean Petit, en faveur du tyranriicide, furent qualifiées
erronées dans la foi, injurieuses à la loi naturelle, etc. , etc. '.
Dans le siècle dernier, ces appellations s'étaient tellement mul
tipliées qu'on fut obligé de composer un traité assez étendu
pour déterminer la portée de chacune \ Quel vague devait donc
régner dans les temps anciens lorsqu'un seul et même mot
désignait toutes les nuances possibles, depuis la proposition
simplement inopportune jusqu'à la proposition formellement
hérétique? Qu'un auteur vienne donc nous dire : <t Était-il
nécessaire que le mot même (hérétique) fût prononcé; eh
bien ! ce mot se lit en toutes lettres dans les anathèmes des
seizième et dix-huitième sessions; Honorius y est formelle
ment compté au nombre des hérétiques3. » Nous sommes en
droit de lui répondre qu'il a rempli une bien faible partie de
sa tâche, et qu'il lui faut encore déterminer le sens du mot
par les circonstances où il a été prononcé, au lieu de conclure
du mot employé à la nature du crime condamné.

Dans ces préliminaires je me suis efforcé de réunir sous les


yeux du lecteur toutes les données indispensables pour abor
der la discussion. Dans les articles suivants je le mettrai à
môme de porter en connaissance de cause un jugement per
sonnel.
H. Colombier.
(La suite prochainement.)

< Concil. Const., sess. XX. Hard., t. VIII, col. 546-04*


* Montaigne, Migne, Theol. cursus, 1. 1.
* Liber Diumus, Introduction, n" 83, p. cxxvii.
ETUDES
RELIGIEUSES, HISTORIQUES

ET LITTÉRAIRES

PAR DES PÈRES DE LA COMPAGNIE DE JESUS

QUINZIÈME ANNÉE— QUATRIÈME SÉRIE

TOME CINQUIÈME

PARIS
AU BUREAU DE LA REVUE
CHEZ JOSEPH ALBANEL. LIBRAIRE
45, RUE DE TOURNON, 15
et chez AUGUSTE DURAND, rue cujas,7. (Ancienne rue des Grès-Sorbonne.)

4870
LA

CONDAMNATION D'HONORIUS
ET

L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE
( Suite «.)

VIII
Pour se débarrasser des difficultés que font naître la faute
et la condamnation d'Honorius, il s'offre une voie très-simple :
attaquer l'authenticité des documents, afin d'arriver à nier les
faits.
Cette marche si naturelle, les défenseurs du Saint-Siège
l'ont suivie tout d'abord, et ils n'y ont jamais complètement
renoncé : leurs adversaires eux-mêmes n'ont pas le droit de
s'en étonner, car l'événement qui nous occupe est unique
dans l'histoire1, en désaccord avec toutes les idées reçues, et
par conséquent deux fois suspect.
Quelle que soit mon opinion intime sur la valeur de ce sys
tème tout de négation, je veux m'en faire aujourd'hui le cham
pion, et le pousser aussi loin que possible, ne négligeant aucun
des arguments qui peuvent être invoqués en sa faveur. Le
respect dû à tant de savants qui ont accepté cette explication
et l'ont défendue dans leurs écrits, exige tout au moins que
l'on examine sérieusement leurs raisons, et qu'on ne les con
damne pas sans les avoir entendus.
Le lecteur s'attend sans doute à trouver ici une longue énu

1 Voir la livraison de décembre K 869.


1 Mgr Maret joint parfois à la condamnation d'Honorius la chute de Libère
et l'erreur de Vigile. Sur le premier fait je le renvoie à l'ouvrage de Corgne :
Diitertation critique sur le pape Libère. Paris, 4733. Sur le second, kl' Histoire
du Nestorianisme, par le P. Doucin. Paris, 4698. Pour réfuter Sa Grandeur, on
voit qu'il n'y a pas besoin des dernières nouveautés.
30 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
mération de ces savants * ; la coutume l'exige, et cette cou
tume est tout à fait conforme à la raison, car une idée, une
manière de voir trouvent une véritable force dans le nombre
et surtout la valeur intellectuelle de ceux qui la défendent ; et
celui qui méprise l'argument d'autorité, même quand il s'agit
d'un fait, ne saurait plaire à des hommes sensés.
Malgré ces considérations, je me suis épargné la peine de
dresser cette liste, parce qu'en dernier ressort il faut toujours
en appeler aux documents qui seuls peuvent trancher les ques
tions. Et, dans notre cas particulier, l'argument d'autorité
perd une grande partie de son prestige, si l'on songe que
plusieurs pièces importantes sont demeurées inconnues aux
premiers et principaux défenseurs de l'opinion que je fais
valoir en ce moment. Us ont donc ouvert la route sans être
suffisamment éclairés eux-mêmes, et l'on peut craindre que
leur autorité n'ait entraîné bien des savants, trop peu attentifs
aux découvertes contemporains pour en apprécier la portée.
Laissons donc de côté les grands noms de Baronius et de
Bellarmin; les noms honorables de Marchesi, de Mgr Tizzani
et de tant d'autres, et venons aux pièces elles-mêmes.

IX

Au premier coup d'œil jeté sur le dossier du procès, une


circonstance importante frappe d'une manière désagréable
celui qui l'étudié. Durant l'espace de quarante ans, les parti
sans de l'hérésie ne produisent en leur faveur qu'une seule
lettre d'Honorius. Et quand vient l'heure du jugement, il s'en
découvre tout à coup une seconde inconnue jusqu'alors. La
surprise et les soupçons augmentent encore par la comparai
son de cette seconde lettre avec la première. On s'aperçoit en

1 Je me contenterai de citer parmi Cet savants : Baronius ad ann. 633, 080,


081, 682, 683. — Bellarmin. De Romano pontifice, 1. IV, c XI. — Marchesi.
Clypeus fortium, sive vindiciae Honorii Papœ I. Rom. 1680. (Je n'ai pas eu le
livre entre les mains.) — Tizzani. Les Conciles généraux. Rome, 1 868, t. 1,
p. 374 à 475. — Je me suis surtout servi d'une dissertation française intitulée :
Examen exact et détaillé du fait d'Honorius, 1738, sans indication de lieu, d'au
teur, ni d'imprimeur, p. 454, in-12. Cet ouvrage du P. Charles Merlin, jésuite,
est incomparablement supérieur à celui de Molkenbuhr. Migne, Pat. la t., t.
LXXX, col. 991-1080.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE; 31
effet que les sectaires ont eu la bonté de se servir de la pièce
qui leur était le moins favorable, et de laisser dans Pombre
celle qui pouvait causer le plus d'embarras à leurs ennemis;
Aussi n'y a-t-il pas lieu de s'étonner que M. de Maistre, con
sidérant les circonstances, ait osé dire : t Pendant les qua
rante-deux ans qui suivirent la mort de ce pontife (Honorius),
jamais les Monothélites ne parlèrent de la seconde de ces let
tres; c'est qu'elle n'était pas faite1. »
Quant à la première, plusieurs témoignages contemporains
d'Honorius, et par suite antérieurs au vi" concile, ne permet
tent aucunement de douter qu'elle n'ait été écrite par ce pape.
Mais nous est-elle parvenue sans altération, cette question
n'est pas aussi facile à résoudre. Les hérétiques ont certaine
ment cherché à la falsifier ; saint Maxime l'affirme en termes
positifs. Il cite même l'expression qu'ils ont introduite, et
cette expression se retrouve dans le texte tel que nous le pos
sédons. Ce texte n'est donc pas sincère*.
Une remarque de M. deRozièrenous permet d'aller plus loin,
et de soupçonner que les changements apportés à la lettre d'HO"
noriusnese sont pas bornés à une seule expression .Jean IV, se
cond successeur d'Honorius, voyant l'avantage que Pyrrhus et
les Monothélites tiraient de cet écrit, en publia une explication
ou apologie. —Or, * l'interprétation proposée par Jean IV ne con»
cerne qu'un passage isolé des lettres d'Honorius, et ne prouve
rien quant à l'orthodoxie du reste; quel est d'ailleurs le passage
auquel cette interprétation s'applique, c'est précisément celui
où, par suite d'une confusioh d'idées le Pape déplaçait la
question et la portait sur un terrain où tout le monde devait se
trouver d'accord. Dire que la volonté humaine de Jésus-Christ
n'avait jamais subi les entraînements du péché, ce n'était pas
assurément soutenir une proposition hérétique, c'était simple
ment avancer une puérilité qui n'avaitbesoin d'aucune justifi

' De Maistre, Du Pape, 1. 1, c. XV. Ed. de 1819, t. I, p. 131 .


■ « Le très-saint abbé Jean, secrétaire d'Honorius, affirmait que dans la
lettre il n'était nullement fait mention d'une seule et unique volonté, quoique
cela ait été imaginé par les traducteurs grecs. » Saint Maxime, Tomus dogma-
ticus ad Marinum. Mig., Pat. gr., t. XCI* col. 243, C. « Nous confessons encore
une seule volonté de Jésus-Christ Noire-Seigneur. » Mig. Pat. lat., t. LXXX, col.
*7î, A.
32 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
cation1. » De ce passage, n'ai-je pas le droit de conclure que
l'écrit d'Honorius ne soulevait qu'une seule difficulté? Si donc
aujourd'hui il en fait naître plusieurs, c'est qu'on les a intro
duites postérieurement au pape Jean. En supposant le con
traire, on fait jouer à ce pape un personnage hypocrite et
niais; hypocrite, puisqu'il affecte de répondre sérieusement,
et ne répond qu'à une puérilité ; niais, puisqu'il suppose qu'une
ruse si grossière échappera à la perspicacité de ses adver
saires. Que deviendrait dans ce cas cette affirmation de M. de
Rozières si conforme cependant à la vérité? « Quant aux sou
verains pontifes, leur conduite offre un mélange de prudence
et de loyauté qu'on ne saurait trop admirer, > et parmi ces
souverains pontifes, il nomme expressément Jean IV *.
Mais, objectera-t-on, dans le vi° Concile, la première lettre
d'Honorius fut collationnée par le légat lui-même, Jean, évêque
de Porto, et il en reconnut l'authenticité ; la pièce n'est donc
pas falsifiée. Très-bien. Mais dans quel manuscrit se trouvait
la lettre d'Honorius? Dans le propre manuscrit de l'hérétique
Macaire, tissu de passages tronqués et dénaturés, comme il
fut prouvé en plein Concile. Sur quel manuscrit se fit la col
lation d'un exemplaire si suspect? Sur une copie apportée de
Rome? Nullement; mais sur le prétendu original conservé
dans les archives patriarcales, c'est-à-dire sur une pièce de
meurée longtemps à la merci des hérétiques Sergius, Pyrrhus,
Pierre, Paul, dont l'intérêt était de la fausser, et qui, nous l'a
vons vu, ne se firent pas faute de l'essayer. Par conséquent, la
vérification faite par le légat prouve peu*.
Cette réponse s'adresse à ceux qui admettent l'authenticité
des actes du vT concile ; mais cette authenticité elle-même est-
elle au-dessus de tout soupçon? Nous ne le croyons pas, et
nous allons exposer la raison de notre doute. La génération
actuelle, qui a vu de si étranges exemples de falsifications et de
suppositions, acceptera peut-être cette discussion sans trop
de répugnance.

' Liber Diurnus, Introduction, n° 81 , p. cxxxvi.


• Lib. Diur., loc. cit., p. cxxxviu.
' Concil. Constantinop. III, act. XII. Hard., t. III, col. 4323 D et 4 326 D.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 33

Le point de départ de notre argumentation est une pièce


curieuse qui se trouve à la fin des actes du VT Concile. On
nous permettra donc d'en traduire d'assez longs fragments.
< Épilogue de celui qui a écrit ces actes de sa propre main.
On y trouvera aussi quelques détails sur les entreprises de
l'insensé tyran Bardane contre le saint et œcuménique VIe Con
cile.
« Moi, pécheur et le plus petit de tous, Agathon, indigne
diacre et archiviste de cette très-sainte et illustre église, pro
tonotaire et second chancelier du conseil patriarcal. Il y a
environ trente-deux ans que, jeune encore, déjà lecteur et
inutile notaire, je prétais mes services au saint et œcuménique
VIe Concile. Je rédigeais en bon ordre tout ce que s'y fit. Paul,
depuis saint archevêque et patriarche de cette ville, mais alors
laïque et secrétaire de l'Empereur, m'aidait dans ce travail
avec plusieurs autres; puis je transcrivis de ma propre main
tous les volumes des actes en lettres ecclésiastiques, d'une
écriture claire et nette. Cette copie, bien et dûment signée,
fut déposée, pour plus de sûreté, dan6 le palais impérial avec
le décret de foi promulgué par le Concile lui-même. J'ai éga
lement écrit de ma propre main les exemplaires de ce décret
destinés aux cinq églises patriarcales; ainsi l'ordonnait Cons
tantin de pieuse mémoire. Il voulait que la pureté et la sincé
rité de la foi orthodoxe fussent soustraites à toutes les embû
ches. Maintenant que par sa bénignité, sa bonté et sa miséri
corde Dieu a eu pitié de moi, humble et inutile, et m'a prolongé
la vie jusqu'à présent, j'ai résolu de faire encore de ma main
la présente copie * »
L'auteur indique ensuite les révolutions qui troublèrent le
règne de Justinien II, raconte l'élévation de Bardane, sur
nommé Philippique, et continue : le tyran « qui avait puisé
l'hérésie contraire au VIe Concile, non-seulement dans l'ensei
gnement de ses parents, mais encore dans un enseignement
étranger (il avait été, dès son bas âge, disciple de l'abbé
Etienne, disciple lui-même de Macaire), n'attendit pas son

' Hardouin, concit., t. III, col. 4833.


iv* série. — T. v. 3
34 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
entrée dans Constantinople pour employer son autorité et sa
puissance impériale en faveur de l'hérésie. 11 ordonna d'abat
tre l'image du vi" Concile, qui depuis longues années ornait
le vestibule impérial, entre la quatrième et la sixième acadé
mie, déclarant qu'il ne mettrait jamais le pied dans ce palais
(qui n'était pas le sien), tant que ses ordres ne seraient pas ac
complis. Il ordonna encore que les noms de Sergius, d'Hono-
rius et de ceux qui furent avec eux anathématisés par le saint
Concile, seraient remis dans les diptyques et qu'on rétablirait
leurs images, Bientôt après, ayant trouvé les actes du vi° Con
cile déposés dans le palais et écrits de ma main, il les fit jeter
dans la place publique ; mais il eut soin de les faire reprendre
en secret et de les brûler. Beaucoup de Pères orthodoxes fu
rent persécutés et jetés en exil, ceux surtout qui nevoulurent
pas souscrire à un exposé de la foi dirigé contre le \T Concile
œcuménique1. »
Agathon, poursuivant sa marche, raconte la chute de Bar-
dane, et la nomination de Philartème qui prend le nom d'A-
nastase.
« Avec l'Empereur, dit-il, tous les saints Pontifes et le
pieux clergé acclamèrent le saint et œcuménique Concile. » Il
ajoute que Jean de Constantinople écrivit des lettres d'excuses
et de communion au pape Constantin, puis il décrit la fête
solennelle qui vengea le vic Concile des insultes du tyran*.
Le dernier paragraphe débute par ces mots : « Pour con
firmer tout ce que j'ai écrit, pour donner plus de confiance et
de sécurité à ceux qui liront ces pages, j'ai résolu d'ajouter à
ces actes une copie de ladite lettre écrite par le très-saint
patriarche Jean au très-saint pape Bomain1. » Le reste nous
est inutile.
Ce monument nous apprend donc que des actes du VIe Con
cile il ne fut tiré qu'un seul exemplaire authentique *, le dé
cret de foi seul ayant été envoyé aux églises patriarcales. Mais

* hoc. cit., col. 1836.


* Ibid.
' lbid., col. 1837.
4 A l'appui de cette conclusion importante, je erai remarquer que Bardanc
crut abolir la mémoire du concile en brûlant un seul exemplaire. Voir un peu
plus loin.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 35
il omet une circonstance très-importante, et cette omission
rend suspecte la personne même du diacre Agathon. Nous sa
vons, en effet, par une lettre de Justinien II au pape Jean V,
que cet unique exemplaire fut, vers l'an 685, enlevé du palais
impérial el déposé chez quelques juges. Pourquoi cette sous
traction ? L'histoire ne nous le dit pas ; elle nous apprend, il
est vrai, que l'Empereur se fit restituer le volume, et le re
plaça en grande solennité dans le palais ; encore reste-t-il à
savoir dans quel état il fut rendu, Justinien affirme bien qu'il
fit relire les actes devant une nombreuse assemblée ; mais, si
son affirmation est vraie, c'est le cas de dire aveo le poëte :
Le Yrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable.
Comment croire, en effet, qu'on ait pris la peine de réoiter
devant les grands corps de l'État tout un volume qui remplit
deux cent douze colonnes in-folio de texte fin et serré ' ? Con
cluons donc, et, sans nous embarrasser d'une assertion trop
exagérée pour être prise à la lettre, disons : pour falsifier les
actes du vie Concile, il a suffi de falsifier un seul exemplaire,
de faire prévariquer un seul homme. Ajoutons, et nous pou
vons l'ajouter sans témérité : cet homme a trouvé une occa
sion où la falsification ne lui était pas impossible.
Ce n'est pas tout ; ce même homme a pris soin de nous con
server un document prouvant à l'évidence que l'occasion
d'opérer la fraude n'a pas été complètement négligée. Voici,
en effet, ce qu'on lit dans cette lettre du patriarche Jean,
copiée par le diacre Agathon à la suite de son épilogue :
« Le tyran, qui avait la conscience cautérisée,- comme parle
saint Paul, osa jeter au feu le volume des actes du vie Concile
qu'il trouva dans le palais, croyant abolir et anéantir par cette
action les paroles de la vérité. Mais le laissant se tromper par
la fausse opinion où il était qu'il n'y avait au monde que ce
seul exemplaire des actes du yi° Concile, nous avons conservé
par devers nous ces mêmes actes avec les souscriptions des
évêques et de l'Empereur. On avait encore pris une autre pré
caution pour conserver sûrement ces actes et pour empêcher

1 Hardonin, Conoil., t. 111, col. 4477 et suiv. Les actes du concile formen
un volume égal à l'un de ceux de Mgr Marel.
36 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
qu'ils ne périssent. Nous en gardions une seconde copie écrite
de la main de Paul qui fut patriarche de cette Église, et qui,
étant secrétaire de l'Empereur, avait été employé au service
du Concile1. »
On avait donc falsifié l'exemplaire remis à Justinien II, puis
qu'il se trouva plus tard dépouillé des signatures authentiques
du Concile qu'on avait accolées à une copie*. Jean suppose
que cette falsification a été faite dans les meilleures intentions,
et il se félicite du résultat qu'elle a obtenu. Ses principes ne
sont pas les nôtres; car nous pensons que rien ne peut justi
fier un pareil procédé, et qu'il mérite le blâme le plus sévère.
Mais, en dernière analyse, il n'attaque pas la substance des
actes. Si donc nous n'avions pas d'autres preuves, nous serions
obligés de conclure tout simplement que les actes ont pu être
altérés. Il faut aller plus loin, et voir s'ils l'ont été en réalité.

XI

Outre les actes mêmes du Concile, nous en avons un abrégé


composé par l'auteur à peu près contemporain s de la vie du
pape saint Agathon. Or, l'abrégé est en désaccord perpétuel
avec l'original; il diffère de lui sur l'époque des sessions, sur
leur nombre, sur l'ordre des matières, enfin sur plusieurs
points essentiels. Ce fait est assez important pour que je n'o
mette pas les développements qu'il exige malgré leur aridité *.

* Hardouin. Codfcil., t. III, col. 4843. Cette traduction est du P. Merlin.


* Le P. Merlin suppose que les signatures apposées à cette copie avaient été
prises à la définition de foi déposée dans le palais patriarcal. Mais il n'y avait
aucune raison de mutiler ce monument et grand péril à le faire. Nous verrons
plus loin comment on trouva moins d'inconvénients à prendre les signatures
des actes mêmes du concile. Outre celte falsification, ceux qui dérobèrent le
volume commirent une désobéissance formelle aux volontés de l'empereur,
puisqu'ils prirent deux copies du monument.
* Celte assertion ne sera sans doute pas contestée. Pour ceux qui en désire
raient la preuve, ils la trouveront dans les Origines de VÉglise romaine par les
membres de la communauté de Solesmes, p. 332 et suiv. Du reste si cette vie était
d'Anastase le bibliothécaire, l'objeclion en sérail beaucoup plus forte : car ce
savant possédait certainement les mêmes actes que nous et avait spécialement
étudié l'histoire du monolhélisme. (Mig., Pat. lat., t. CXX1X, coll. 557-690.)
» Anast. Bibliot. Mig. Pat. lat., t. CXXVIII, col. 805-842.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 37
L'abrégé indique au plus huit sessions ; les actes en comp
tent dix-huit.
Sept dates sont indiquées dans l'abrégé : première session,
22 novembre; troisième, 12 décembre; quatrième, 13 fé
vrier; cinquième, 14 février; sixième, 17 février; septième,
25 février ; huitième et dernière, 21 avril.
Voici, d'après les actes, les dates à peu près correspon
dantes : première session, 7 novembre1; cinquième, 7 dé
cembre ; sixième et septième, 12 et 1 3 février ; quinzième, 26
avril; enfin, dix-huitième et dernière, 16 septembre5.
Quant à l'ordre des faits, notons quelques exemples des
contradictions. L'abrégé veut que la lettre d'Agathon ait été
lue après les extraits des Pères et dans la cinquième session ;
que les instructions des légats aient été présentées dans la
sixième ; les actes, au contraire, placent la lecture de la lettre
et des instructions dès la quatrième session, la présentation
des textes des Pères dans la septième, et leur vérification dans
la dixième.
Le volume présenté par Macaire d'Antioche était contresi
gné par Théodore, patriarche déposé de Gonstantinople, si
nous en croyons l'abrégé ; par l'abbé Etienne seulement, d'a
près les actes.
Enfin, et c'est le point essentiel, l'abrégé ne dit pas un mot
de la condamnation d'Honorius; il ne prononce pas même son
nom, tandis que les actes s'étendent longuement sur cette
condamnation et y reviennent sans cesse.
Je pourrais continuer encore, mais je crois en avoir assez
dit pour avoir le droit de conclure que, de l'original ou de
l'abrégé, l'un au moins est falsifié.
' Cette date est en contradiction avec la vie de S. Agathon. On y lit en effet
que les légats ne parvinrent à Constantinople que le 4 0 novembre, et qu'ils
furent reçus par l'empereur en audience publique le dimanche 48. D'un autre
côté, une lettre datée du 40 septembre affirme que les légats venaient d'arriver.
(Hard., conc, t. III, col. 4049. D.) Il y a donc erreur d'un côté ou de l'autre.
Si l'on corrige la vie de saint Agathon comme le veut Pagi, et qu'on y écrive
40 septembre au lieu de 40 novembre, il faudra faire une seconde correction :
car le 48 septembre n'était pas un dimanche.
• Les dates des autres sessions sont, d'après les actes : 2*, 3* et 4": 40, 43,
45 novembre 680; 8«, 9% 40% 41«, 42e et 43°: 7, 8,48,20, 22, 28 mars; 44» :
5 avril; 16e: 9 août; 47' : 44 sept. Les trois premières dates ne peuvent cadrer
avec l'abrégé.
LA CONDAMNATION D'HONORIUS
L'habileté des Grecs dans l'art des faussaires et les circons
tances énumérées ci-dessus formeraient déjà un grave préjugé
en faveur de l'abrégé et contre les actes eux-mêmes. Pourra-
t-il encore rester un seul doute si l'examen direct des actes y
révélé des contradictions manifestes ?
1™ contradiction. —'-Selon les actes du vi* Concile, Hono-
rius est hérétique et ne l'est pas. Il est hérétique, car, disent
M. de Rozière et toute l'école à laquelle il se rattache, « Hono-
rius est formellement compté au nombre des hérétiques '. »
Il ne l'est pas, car, d'après le sentiment commun des théolo
giens, les pièces qui le firent condamner, ses lettres, telles
que les rapportent les actes du vi° Concile, sont vraiment ca
tholiques. Il ne l'est pas, car les Pères du vr Concile acceptent
la lettre de saint Agathon où l'indéfectibilité de la chaire de
Pierre est si hautement affirmée3.
2e contradiction. — Selon les actes du VIe Concile, Honorius
est fauteur d'hérésie et ne l'est pas. Le premier point n'a pas
besoin de démonstration, puisque nos adversaires vont plus
loin, et que, d'après les actes, HbnoriuS leur semble formel
lement hérétique*
Prouvons donc le second. ■— Nous nous servirons encore de
la lettre de saint Agathon dont aucun catholique, si gallican
soit^il, ne peut décliner l'autorité, puisque le Concile l'a si

1 Lib. Diurn., Introd., n° 83, p. cxliii.


• Bien entendu que je ne distingue pas l'indcïeclibilité" du Balht-Siêgé de l'in
faillibilité personnelle du Pape. Mgr Maret n'est pas de cet avis, et voici com
ment il définit l'indéfectibilité. « L'indéfectibilité pontificale n'est donc que la
succession immortelle et invincible des Papes. Il y aura toujours des Papes et
des Papes enseignant la vraie foi. » T. Il, p. 404 et 105. Sa Grandeur se pïque
de connaître les règles du syllogisme (t. II, p. 544) : mais n'a-t-elle pas oublié
celles de la définition : La définition doit être plus claire que la chose définie.
Du reite, si l'on va au fond de la distinction entre l'indéfectibilité et l'infaillibilité,
que troùvera-t-on, sinon l'affirmation suivante : Les Papes se trompent si rare
ment que moralement parlant on peut dire qu'ils ne Se trompent jamais. Elans
chaque cas particulier un hérétique condamné ne se demandera-t-il pas s'il n'est
point victime d'une des rares erreurs du Pape, et que devient l'utilité pratique du
•privilège pontifical? Mgr Maret ne peut se plaindre que j'altère sa pensée; car
voici ses expressions : « Nous savons comment Jésus-Christ pourvoit à l'immor
talité de la succession pontificale, quand il permet qu'un Pontife en particulier
n'accomplisse pas fidèlement ses devoirs relatifs au dépôt sacré de la foi. L'erreur
est promptemenl réparée, prùmpteihent corrigée ; et la succession pontificale
conserve toujours la vraie foi. » T. II, p. 104.
ET L'INFAILLIBILITÉ DtJ PAPE. 39
pleinement, si universellement approuvée '. t Le Seigneur et
le Sauveur de tous les hommes, de qui vient la foi et de qui
est cette promesse que la foi de Pierre ne manquera pas, a
averti ce mêtoe apôtre de confirmer ses frères dans la foi, et il
est connu de tout le monde que mes prédécesseurs, les pon
tifes apostoliques, l'ont toujours fait avec cohflancé; ; . . .
Depuis que les éVêqUes de Constantinoplë se sont efforcés
d'introduire la nouvelle hérésie dans l'Église de Jésus-Christ
qui est sans tache» mes prédécesseurs n'ont jamais négligé de
les exhorter et de joindre les prières aux avis, afin qu'en se
taisant au moins, ils se désistassent des erreurs d'un dogme
pervers et hérétique*; »
Les mots en se taisant- désignent Honoritis, et IlonoriUs
SetlL Ainsi donc, d'après Saint Agathon et le Vi* Concile, Ho
noritis a satisfait au précepte de Jésus-Christ : affermissez vos
frères dans la foi ; ainsi sa conduite est digne de louanges, et
il n'est pas fauteur d'hérésie s.
3é contradiction. -*- HonOriUS est jugé par le VIe Concile et
ne l'est pas. Personne hé Contestera la première partie; quant
à la seconde, elle surprendra sans douté plus d'un tecteuf; et,
Cependant, pèut-on dire qu'Un homme est jugé quand on ne
produit contre lui aucune accusation juridique ; quand on
n'examine point du tout sa caUse, eufln, quand on ne présente
en sa faveur aucune espèce de défense? C'est pourtant ce qui
a lieU pour HonoriuS. îous ceux que le Concile condamne
l'avaient été depuis longtemps, ou bien on institua contre eux
Un jugement régulier. Seul, HonoMUs, qui n'avait jamais subi
« Je me contente de citer les paroles que durent signer tous les coupables et
les suspects reçus en grâce par le concile dans sa dixième session. « Je donne
un consentement pur et simple, et j'adhère à tous les articles contenus dans la
lettre du très-saint homme. » Hard., t. III, col. 1252.
• Hardouin. Concil., t. III, col. 1081, C. E; 1084, A. La traduction est pres
que tout entière du P. Merlin, que je suis ici pas à pas.
' Le P. Merlin, pour montrer que lé pape Hondritis ne fut pas fauteur d'hé-
résie, expose en quelques pages la marché suivie par le Souverain Pontife. Il
soutient que sur la fin de son pontificat Honorius révoqua la défense qu'il avait
faite de parler d'une ou de deux opérations. Mais son argumentation, em
pruntée à Marchesi, repose sur plusieurs erreurs, edire autres sur une fausse date
de la ihoft de saint Sophrone. Il l'appuie sur un trait de l'histoire des Maro
nites rapporté par Pagi : le malheur est que ce trait soit relatif au pape Sergius
et non à Honoritis, comme le voulait un manuscrit fautif. Assemani, Dibl. orient.,
1. 1, p. 496, col. 2.
40 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
de flétrissure, est. condamné sans qu'on suive aucune forme.
N'ai-je pas droit de dire qu'Honorius est jugé et ne l'est pas?
Je ne parle pas du mutisme étrange des légats du Saint-Siège.
4e contradiction. — Honorius est condamné par le vr Con
cile et ne l'est pas. Pour faire toucher du doigt cette dernière
contradiction, il suffit de citer un passage des actes : < Nous
avons frappé d'un anathème mortel Théodore de Pharan, Ser-
gius, Honorius, Cyrus, Paul, Pyrrhus et Pierre, comme étant
tombés dans des erreurs contraires à la foi, suivant la sentence
que vous avez portée contre eux dans vos lettres \ » Or, il est
notoire que saint Agathon n'a pas condamné son prédécesseur
Honorius ; par conséquent, le Concile ne le condamne pas non
plus, et cependant il le condamne.
Après tous les faits rapportés dans ce paragraphe, en pré
sence de ces contradictions, que peut-on penser de l'authenti
cité des actes duvie Concile?
Nos raisonnements feront sans doute sourire nos adver
saires, car la conclusion qui en découle n'avance guère la
cause d'Honorius. La définition de foi envoyée aux cinq églises
patriarcales mentionne positivement sa condamnation. Cette
objection serait sans réplique, si nous étions obligés de con
sulter ces adversaires sur le point précis où commence la
définition. Elle conserverait encore un vrai prestige, si nous
étions obligés de déterminer ce point de notre propre auto
rité ; mais heureusement un Concile de Constantinople s'est
chargé de ce soin ; et, en lui empruntant la définition propre
du VIe Concile, c'est-à-dire en plaçant son commencement où
il le place, le fait allégué se trouve faux et toute difficulté
s'évanouit \
XII
Mais comment et pourquoi s'est accomplie une si audacieuse
falsification? Voilà deux questions auxquelles le lecteur attend
une réponse avant de se tenir pour convaincu. Toute légi

« Hard.", Concil., t. III, col. U37, D. E.


* Le conciliabule de 4350, donnant la définition du sixième concile, la com
mence par les mots suivants à partir desquels Honorius n'est pas nommé : « pres
sens et œcumenica synodus fideliter suscipiens et apertis manibus, .... » Hard.,
Conc, t. XI, col. 297, A. — Cf., 1. 111, col. 4397, E.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. il
time que soit cette prétention, je pourrais ne lui donner au
cune satisfaction sans que les preuves apportées jusqu'ici
perdissent leur valeur ; je vais cependant proposer brièvement
les conjectures qui me paraissent les plus vraisemblables.
Pourquoi la falsification? Le Concile, tout composé d'orien
taux, fut obligé d'accepter la condamnation de quatre pa
triarches de Constantinople et d'un patriarche d'Alexandrie.
Il fut contraint de prononcer lui-même la condamnation de
Macaire d'Antioche. Si Rome échappait à toute flétrissure,
elle remportait sur les orientaux un triomphe par trop écla
tant. Il fallait donc introduire parmi les noms des accusés
le nom d'un ses patriarches. On avait tenté de proscrire celui
de saint Vitalien, mais l'entreprise avait échoué. On s'arrêta
donc à la personne d'Honorius, mort depuis plus longtemps,
et dont la lettre avait causé un certain scandale. Cette hypo
thèse suppose, il est vrai, un incroyable emportement des
Grecs contre Rome; mais cet emportement n'éclate-t-il pas
suffisamment dans tous leurs actes, et en particulier dans la
tenue de ce Concile connu dans l'histoire sous le nom de Con
cile in trullo ou Quinisexte, triste assemblée qui sanctionna la
violation de la chasteté sacerdotale (can. 13), et s'efforça
d'égaler le siège de Constantinople à celui de Rome (can. 36),
malgré les protestations antérieures des Papes?
Comment se fit la falsification ? La réponse est naturelle
ment plus difficile à donner et plus hypothétique encore. Di
sons cependant ce qui paraît probable1. Quand Constantin IV
écrivit au pape Donus pour demander la convocation du
VIe Concile, le siège de Constantinople était occupé depuis
deux ans par Théodore. Ce patriarche se joignit à Macaire
d'Antioche pour demander que le nom du pape Vitalien fût
enlevé des diptyques ; il souscrivit avec lui un volume de
textes tronqués et falsifiés, destinés à défendre l'hérésie. La
même année 678, Théodore fut déposé sans qu'on sache
ni pourquoi ni comment. Son successeur Georges vint à mou-
ru* en 683, et Constantin permit à Théodore de reprendre son
siège.
' Ici je me sépare encore du P. Merlin. Il se trouvait en présence de diffi
cultés chronologiques qui devaient l'embarrasser singulièrement ; elles ont été
levées depuis.
42 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
Ce prince étant mort, Théodore réussit à se rendre maître
de l'unique exemplaire des actes du Concile où il ne pouvait
manquer d'être assez maltraité; les ayante sa disposition, il
les altéra suivant son bon plaisir, avec l'aide d'Àgathon et de
Paul, son successeur, président du Concile Quinisextc. Quand
il fallut rendre le volume à Justinien II, il eut soin de ne faire
lire en public que les passages non altérés1. Les deux copies
qui avaient été tirées en même temps que le faux original,
demeurèrent chez le patriarche pour accréditer au besoin le
mensonge. Nous aurons plus loin l'occasion d'indiquer com
ment l'erreur se propagea,

XIII

Quoiqu'il en soit des réponses données dans le paragraphe


précédent, les difficultés indiquées plus haut sont de nature
à embarrasser quelque peu les défenseurs de l'authenticité
des actes. Ils se raffermissent cependant et sont triomphants
quand ils énumèrent les pièces nombreuses qui confirment
le contenu des actes dans le point essentiel et discuté. Exami
nons donc si ces pièces elles-mêmes ne sont pas sujettes à
de sérieuses objections.
Et d'abord écartons du débat celles qui font partie des ac
tes et n'ont pas plus de valeur qu'eux. Nous restons en pré
sence de quatre lettres écrites par saint Léon II aux églises
d'Espagne. La bonne foi exige que nous y ajoutions une cin
quième lettre de Benoît II, ainsi que le xrv" et le xv8 Concile
de Tolède, car ces pièces sont liées avec les précédentes.
Voilà donc sept monuments contre nous ; on va voir que
leur ensemble est bien moins formidable qu'il le paraît au pre
mier coup d'oeil. Faisons rapidement l'histoire de ces pièces.
Les légats qui avaient présidé au VIe concile revinrent à Rome
au mois de juillet 682 ' ; le saint pape Léon II voulut informer

* Le patriarche et ses deux complices supprimèrent complètement le* vrais


actes dont ils ne retinrent que les signatures authentiques. Agathon, qui avait
écrit de sa main les vrais actes, fil la même chose pour les actes faux : l'identité
des écritures devait rendre la fraude plus difficile à reconnaître.
* Leonis Epi. ad Constantin. Hard. Concil., t. III, col. 4472, A.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 43
les églises d'Espagne des grands événements qui venaient de
s'accomplir; il leur écrivit donc quatre lettres qu'il confia à
Pierre, notaire régionnaire. Celui-ci n'était pas enGore parvenu
à sa destination que Léon II était mort (3 juillet 683), et que
Benoit II lui avait succédé. Benoît n'attendit pas sa consécra
tion pour adresser à Pierre de nouveaux ordres destinés à
presser l'exécution de ceux qu'avait laissés son prédécesseur.
Dans cette instruction, le Pape énumère les pièces que Pierre
doit remettre aux évoques, et le charge de rapporter la sous
cription des prélats espagnols à la définition de foi. Le roi
Erwige, instruit des volontés du Pape, 6e hâta de rassembler
les évoques de la province carthaginoise, et Julien, métropoli
tain de Tolède, non content de signer la formule envoyée par
Benoît II, jugea bon de dresser une exposition de sa foi.
Quelques expressions de ce symbole déplurent au Pape» et
pour les expliquer, il fallut réunir le XVe concile de Tolède
(Il mai 688). Telle est l'origine des sept pièces que nous
avons à discuter. Quelle eh est la portée?
Les deux Conciles dé Tolède nous apprennent seulement
que le dogme d'Apollinaire (le Monothélisme) fut condamné à
Constantinople, sans aucun détail ultérieur; La lettre de Be
noit Il atteste l'existence dé pièces où se lit actuellement le
nom d'Honorius. Des quatre lettres de saint Léon II, deux ne
mentionnent pas ce pontife ; la condamnation ne se trouve
exprimée que dans les deux autres adressées, l'une au foi
d'Espagne, l'autre à tous les évoques de ce pays. Ces deux
pièces sont donc les seules qui, par elles-mêmes, prouvent la
condamnation. Les deux autfes, comme la note de Benoit II,
ne la démontrent que d'une manière indirecte. Cependant ces
cinq pièces sont tellement liées que toute attaque sérieuse di
rigée contre l'une ébranlé nécessairement toutes les autres.
Or, l'une de ces lettrés renferme un anachronisme assez
grossier. Écrite en 683, elle est adressée à un évêque nommé
Quirice ; ce nom désigne évidemment le prédécesseur de saint
Julien III, Quirice, archevêque de Tolède. Mais le malheur
veut qu'il ait cessé de vivre dans les premiers jours de l'an
680 au plus tard, puisque le vingt-neuf janvier saint Julien
l'avait déjà remplacé. Pour résoudre ce difficile problème, il
faut dire que saint Léon II ignorait, au bout de trois ans et
4i LA CONDAMNATION D'HONORIUS
demi, la mort de l'archevêque de Tolède, primat d'Espagne,
et la nomination de son successeur1.
Une autre lettre * présente également une bévue chronologi
que : elle affirme que le Concile a été terminé durant la neu
vième indiction1; il suffit cependant d'ouvrir les actes pour
s'assurer que la dix-septième et la dix-huitième session, te
nues en septembre 681, appartiennent à la dixième indiction.
Cette bévue est assez grave, bien qu'elle ne porte que sur
seize jours. Mais ce n'est pas tout. Dans cette même lettre,
saint Léon déclare qu'il a nommé, pour assister au Concile,
des archevêques choisis dans les différents pays soumis à son
autorité, tandis qu'Agathon n'y avait envoyé que des prêtres
et des diacres. Cette assertion ne s'accorde guère avec les
actes du Concile où n'apparaît aucun archevêque légat du
Pape*. Elle est même en opposition formelle avec eux, car les

' Pagi veut trancher cette difficulté en soutenant que le Quirice auquel écrit
saint Léon H n'est pas l'archevêque de Tolède. Il ne nomme qu'un seul autre
prélat espagnol de ce nom, Quirice de Barcelone : celui-ci souscrivit au dixième
concile de Tolède en 656. Mais, d'après Florès (Espafia sagrada, t. XIX, p. 134,
col. 2), cet évêque mourut en 666. V. Hard., t. III, col. 1732.
* Lettre aux évoques d'Espagne, col. 1729 et sv.
* « Per nuper elapsam nonam indictionem explevit. » Baronius et le P. Mer
lin affirment que les trois autres lettres renferment la même erreur. J'exami
nerai plus tard si le texte que je viens de citer ne comporte pas une explication
différente. Qnant aux autres pièces, -je n'y trouve rien d'assez positif pour les
inculper de ce chef. Dans la lettre à Quirice on lit : «... venerabilis synodi quae
per nonam nuper elapsam indictionem... celebrata est... > La lettre à Simplice
porte i ... sexli concilii... per nonam indictionem celebrati... » Dans celle qui
est adressée au roi Erwige, je ne trouve rien qui précise l'époque du Concile.
Cependaut, comme le fait remarquer le P. Merlin, toutes les pièces envoyées
par saint Léon H sont de la dixième indiction.
* Voici le texte même : « Universale itaque sanctum sextum concilium cele-
bratum est: ad quod celebrandum ex praedecessoris nostri... Agalhonis... per-
sona presbyteri diaconique directi sunt. De diversis autem conciliis huic sancte
apostoliese sedi... subjacentibus... archiepiscopi sunt a nobis destinati. » Rap
prochons de ces paroles les noms des légats, en les empruntant à lai 8e ses
sion. « Théodore et Georges, vénérables prêtres, et Jean, très-révérend diacre,
tenant la place d'Agalhon, très-saint et très-bienheureux Pape du siège aposto
lique de l'antique Rome... — Jean, évêque de Porto, Etienne, évêque de Corin-
the, Basile, évêque deGortyne dans l'Ile de Crète, Abondance, "évêque de Paterno,
et Jean, évêque de Reggio, qui avec Jean, évêque de Porto, chéri de Dieu,
représentent le vénérable concile romain de 125 évoques... » Saint Agathon
avait donc envoyé trois légats qui tiennent toujours le premier rang malgré
l'infériorité de leur degré. Le concile de Rome en avait également député trois
et trois seulement : Abondance et deux Jean, simples évéques.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 45
évoques, avant de se séparer, adressent, suivant la coutume,
une lettre synodiqueau Pape. A quel pape? Au pape Agathon.
Ils le supposaient donc encore vivant. Et comment l'auraient-
ils fait s'ils avaient eu parmi eux les légats de son successeur1?
Enfin, une autre lettre encore nous apprend que Constan
tin IY, voulant obtenir la convocation du Concile, en écrivit
au pape Agathon, durant la neuvième indiction, tandis que le
prince s'adressa au pape Donus pendant la sixième*.
Je ne sais si ces fautes ne paraîtront pas suffisantes pour
justifier, contre toutes les pièces, les accusations respectives
de supposition et d'interpolation.
Quant aux autres monuments où est relatée la condamna
tion d'Honorius, je ne les discuterai pas. Une seule remarque
suffit pour les rendre tous suspects : tous sont postérieurs à la
falsification des actes authentiques conservés à Constantinople.
Dès que les actes falsifiés sont devenus publics, on les a suivis
avec trop de confiance. Les auteurs de la fourberie ne l'eurent
pas plutôt commise que, selon toute vraisemblance, ils cher
chèrent à l'accréditer en répandant au loin des copies clan
destines transcrites sur celle qui se conservait au palais pa
triarcal. Par suite de la confiance qu'inspirait le monument,
on y conforma toutes les pièces qui pouvaient s'en écarter.
L'Espagne, en relations commerciales avec Constantinople,
aura la première reçu l'erreur; lesAnglo-Saxons n'ont pu s'en
défendre, et revenant de tous les points de l'horizon, elle se
sera imposée à Rome elle-même. Les Papes d'ailleurs, enga
gés dans une lutte sérieuse contre les Empereurs au sujet
du Concile Quinùexte, ne donnèrent qu'une médiocre atten
tion à une affaire qui leur semblait de moindre importance.
Plus tard, il fut trop tard.

1 Le P Merlin, après Baronios, trouve dans celte même lettre une bien autre
erreur : d'après lui, S. Agathon ne serait mon qu'après la fin du concile en
682. Mai-, en cela il se trompe. Saint Agathon fut enseveli le 40 janvier 681.
Saint Léon II fut élu quelques jours après, bien que sa consécration n'ait eu
lieu que le 47 août 682. Celte rectification fournit un nouvel argument contre
l'authenticité des actes et en faveur de l'abrégé : en effet, si le concile n'a été
terminé qu'en septembre 681, comment les Pères ignoraient-ils la mort de saint
Agathon? Cette ignorance au contraire s'explique si le concile a été terminé en
avril ou plus tôt.
Lettre à Erwige, Hardouin, t. III, col. 1733 etsv.
48 LA CONDAMNATION D'HONORIUS ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE.
Cependant l'erreur ne triompha pas universellement. Saint
Théophane, qui s'étend longuement sur le monothélisme, ne
parle pas de la condamnation d'Honorius. Paul Diacre garde
le même silence dans son histoire des Lombards et dans l'his
toire mêlée. Palamas, hérétique du xrv" siècle, ne le nomme
pas. Je laisse de côté Anastase le Bibliothécaire, avec Hinc-
mar, le savant le plus remarquable de l'occident au rxe siècle 5
on répondrait que son doute était intéressé1.
Telles sont les preuves apportées contre l'authenticité des
pièces qui chargent la mémoire d'Honorius. Quelques-unes
gagneraient à être plus développées. Mais, en somme, j'espère
que les partisans, aujourd'hui peu nombreux, de cette solu
tion radicale, ne m'accuseront pas d'avoir omis un seul de
leurs arguments sérieux, ni d'en avoir diminué la force,
Pour les adversaires de ce système, ils trouveront sans
doute étrange que j'aie passé sous silence un si grand nombre
de leurs objections; mais elles se présenteront naturellement
dans les articles suivants. Qu'ils aient seulement un peu de
patience, et ils n'auront pas à m'accuser de partialité. En
attendant, j'ose les prier de réfléchir un peu sur l'ensemble
des faits que je viens d'exposer ; plusieurs y trouveront sans
doute plus d'une difficulté qu'ils avaient ignorée, et traiteront
désormais avec moins de dédain une solution que les noms
de ses adhérents auraient dû les engager à étudier avant de la
condamner sommairement.
H. Colombier.
[La suite prçchainement.)

' Saint Théophane, Chronogr. ann. incarn. 624. Ed. paris., p. 274-276. —
Paul diacre. De geatis Langobardorum , I, VI, c. IV. — Historia miscella,
1. XIX. Mig- Pat. lat., t, XCV,col, 1057. — Concile de CP. 1350. llard., t. XI,
col. 345, C, -- Anastase biblioth. Epi, ad Joan. diac. Mig., Pat. lat., t. CXXIX,
col. 559, D ; col. 560, A, B. Anastase ne connaissait évidemment pas les diverses
confirmations du sixième concile par saint Léon II. Baronius et le P. Merlin
disent que Zooaras ne nomme pas non plus Honorius parmi les condamnés.
Zonaras l'omet dans ses annales, 1. XIV, c. xxi. Mais il ne l'a pas oublié dans
son ouvrage de droit canon. V. Ralli, Suvra-j^a, Athènes, \ 852, t. H, p. 293. Ba
ronius n'a pas été plus heureux en arguant du silence de Photius, comme il est
facile de s'en assurer dans Migne, Patrol. gr., t. CIV, col. 448, A. et t. CUI, col.
57, B, et même à l'endroit qu'il cite. Mig., t. Cil, col. 648, B.
LA

CONDAMNATION D'HONORIDS
ET

L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE
( Suite '.) &

XIV
Dans un précédent article, j'ai résumé toutes les preuves
alléguées contre l'authenticité des pièces qui sont à la charge
d'Honorius ; j'ai tâché de présenter ces preuves, de les grouper
de manière à leur donner toute la force possible. Qui sait s'il
n'en est pas résulté pour certains esprits une conviction que
je suis pourtant loin de partager? Ce système de négation est
et restera toujours à mes yeux un système inutile, désespéré,
dangereux et faux1. Je ne veux, pour le moment, ni justifier
cette affirmation, ni entreprendre une réfutation en règle des
difficultés que j'ai entassées. En développant mes véritables
sentiments, je placerai les réponses chacune à son rang, car
il y a peu d'inconvénients à les disperser. Réunies, elles me
condamneraient à des redites fatigantes. Cependant, comme
plusieurs de ces réponses peuvent paraître sans doute insuf
fisantes, je me propose de suivre une marche qui ne puisse
être entravée par les difficultés restées debout.
Les lettres d'Honorius, leur authenticité, la doctrine qu'elles
renferment, tel est l'objet du travail actuel, et c'est, selon
moi, le point principal du débat.

' V. les livraisons de déc. 1869 et janv. 4870.


■ On s'étonnera peut-être qu'avec une pareille opinion sur ce système, j'aie
consacré un article entier à le défendre ; j'ai voulu montrer que, si j'en deman
dais l'abandon définitif, ce n'était pas faute de connaître les moyens de le
faire valoir.
IV» série. — T. V. *7
258 LA CONDAMNATION D'HONORIUS

XV

Honorius, consulté par Sergius, patriarche de Constanti-


nople, lui a écrit au moins une lettre. C'est un fait aussi
incontesté qu'incontestable.' Cette lettre a soulevé des orages
et les hérétiques ont cherché à s'en prévaloir. Il est impos
sible de le nier. Les catholiques, de leur côté, Jean IV, second
successeur d'Honorius, Jean Symponus, son secrétaire, et
saint Maxime, se sont efforcés de prouver le peu de valeur des
prétentions monothélites et de faire voir l'orthodoxie de l'écrit
inculpé. De ces faits tout à fait certains nous sommes en
droit de conclure : Si l'histoire nous présente, sous le nom
iTHonorius, un écrit dogmatique, cette pièce doit nécessairement
renfermer des expressions susceptibles d'un mauvais sens; et,
dans le cas où elle ne renfermerait rien que de clair, d'évidem
ment conforme à la saine croyance, elle serait, sans contesta
tion, falsifiée et indigne de tout examen.
Pour préciser mieux encore, rétablissons les traits généraux
de cette première lettre, au moyen de témoignages irrécusa
bles et antérieurs au VIe Concile. Par là nous prouverons non-
seulement dans l'ensemble, mais encore dans la plupart des
détails importants, l'authenticité du texte qui nous a été con
servé.
Jean IV, auquel M. de Rozière rend un si bel hommage,
nous a indiqué, dans son apologie, le point sur lequel les hé
rétiques s'appuyaient pour soutenir qu'Honorius avait partagé
leur sentiment. J'analyse ou traduis ce document. En voici le
titre :
« Apologie pour le pape Honorius," au sujet d'une seule
volonté du Christ, dont les calomniateurs veulent qu'il ait fait
mention. »
Les Occidentaux, dit Jean IV, sont troublés des tentatives
de Pyrrhus qui sème de nouveaux dogmes et tâche d'attirer à
lui l'autorité d'Honorius « contre la pensée de ce père si catho
lique. > De quoi s'agissait-il en effet? Sergius l'avait averti € que
plusieurs prétendaient trouver en Jésus-Christ, notre Rédemp
teur et Seigneur, deux volontés contraires. » Honorius lui
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 259
répondit que Jésus-Christ est Dieu parfait, homme parfait ;
qu'il n'a pu contracter, dans sa naissance humaine, la tache
du péché originel; qu'il avait donc, comme Adam sortant des
mains du Créateur, une seule volonté humaine, et non les deux
volontés contraires qui se combattent en nous. « C'est dans
ce sens que mon prédécesseur a répondu aux interrogations
de Sergius et affirmé que, dans le Sauveur, ne subsistent pas
deux volontés contraires Quelques-uns ont détourné
les expressions dans le sens de leurs propres idées, et l'ont
soupçonné de vouloir enseigner une seule volonté de l'huma
nité et de la Divinité. » Ce qui serait absurde, « car ceux qui
affirment dans le Christ une seule volonté, et, par suite, une
seule opération de la Divinité et de l'humanité, sont obligés de
reconnaître également une seule nature, avec Eutychès et le
parti de Sévère. » Jean IV termine en priant l'empereur de
supprimer l'Ecthèse ou exposition de foi que son père avait
publiée à l'instigation de Sergius1.
Résumons les indications fournies par la pièce précédente :
Honorius, dans sa lettre, affirmait donc qu'iZ y a en Jésus-
Christ une seule volonté, sans ajouter expressément : quant à
la nature humaine. Les circonstances et le contexte faisaient
comprendre sa pensée, mais le mot essentiel ne s'y trouvait
pas, sans quoi on n'aurait pu se méprendre sur s^croyance.
Parlait-il d'une ou de deux opérations en Jésus-Christ? L'apo
logie n'en dit rien ; elle démontre cependant qu'aux yeux des
Occidentaux du moins, ces expressions n'étaient pas encore
le point où se concentrait tout le débat ;que la difficulté rela
tive aux volontés était considérée comme la principale, et que
les mots une ou deux opérations semblaient d'une importance
secondaire. Supposer qu'il en fût'autrement serait, je l'ai dit
et je le répète, faire jouer à Jean IV un personnage hypocrite
et niais. On n'échapperait à' cet inconvénient qu'en accusant
d'interpolation la lettre d'Honorius 2.
Jean IV ne se contenta pas d'écrire lui-même à la cour de
Constantinople. Il chargea encore Jean, ditSymponus, secré

' Cette lettre, conservée par Anastase le bibliothécaire, se trouve dans les col
lections des conciles (Hard., t. 111. col. 610 etsuiv.), dans la Patrologie latine
de Migne, t. LXXX, col. 602 et suiv., et t. CXXIX, col. 501 et suiv.
* Éludes religieuses, décembre <869.
260 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
taire d'Honorius, d'expliquer la pensée qui avait présidé à la
rédaction de la lettre incriminée. Saint Maxime ne nous a con
servé que deux fragments de cette seconde apologie1. Le
premier ne fait que répéter ce que nous venons de voir, mais
l'autre nous apprend quelque chose de plus :
c Si quelqu'un, disait le secrétaire, nous demandait pour
quoi, en traitant de l'humanité du Christ, nous n'avons pas
parlé de sa Divinité, nous répliquerions premièrement que
nous avons répondu suivant l'esprit de la question; en
suite, qu'en cela conime en tout le reste, nous avons suivi la
coutume de l'Écriture; tantôt elle parle de la Divinité
tantôt de l'humanité, et de l'humanité seule s »
Ainsi donc, au témoignage de Jean Symponus, après avoir
affirmé l'existence d'une seule volonté en Jésus-Christ, sans
indiquer qu'il parlait de l'humanité seulement, Honorius avait
encore eu l'imprudence de ne donner aucun correctif à ses
paroles en faisant mention expresse de la volonté divine5.
Cependant, nulle part Honorius n'avait enseigné que Jésus-
Christ, considéré dans ses deux natures, ne possède qu'une
seule et unique volonté. Saint Maxime nous ledit positivement
dans un passage où il montre la conformité du langage de ce
Pape avec celui de saint Athanase et où il rapporte en sub
stance ou même textuellement près d'un tiers de la lettre.
C'était toutefois le point capital pour les hérétiques. Il n'est

• S. Maxim. Disputatio cum Pyrrho. (Migne, Pal. gr., col. 329, A.)
« lbid., B.
* Mgr Hefcle trouve l'explication de Jean IV et de Jean Symponus suavior
quant verior. S'il s'appuie sur les documents contemporains, il ne doit pas
arriver à celle conclusion. Le Correspondant du <0 janvier nous a donné la
traduction du travail de Mgr Hefele sur Honorius. Cette œuvre est le fruit de re
cherches longues et sérieuses. Mais j'ose croire que le savant prélat ne s'accorde
pas toujours avec lui-même. En effet, p. H2, il dit: « Honorius argumente à
tort comme il suit : « Là où il n'y a qu'une seule personne, il n'y a qu'un seul
agissant, et par conséquent il n'y a qu'une seule volonté. L'assurance avec
laquelle Honorius a déduit de ses prémisses le év eîxnjia lui fait aussi rejeter la
formule de la u-îa èvêfftîa. » Et p. 154 : « Le fond de l'opinion d'Honorius, la base
de son argumentation était orthodoxe. » — Les conclusions de la page 129 sur
les faits de l'année 622 paraissent peu probables, mais le savant prélat a raison
de substituer la date du 3 juin 633 à celle du 4 mars 633 pour la réunion des
hérétiques d'Alexandrie. Nous regardons aussi comme probable la date qu'il
assigne à l'expédition de Chosroès II en Egypte.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 261
donc pas étonnant qu'ils aient trouvé l'écrit d'Honorius tout
à fait insuffisant pour appuyer leur sentiment, et qu'ils se
soient efforcés de se le rendre plus favorable par une tra
duction infidèle. Ce saint martyr n'a pas négligé de nous en
instruire au même endroit1. Je ne rapporte pas le commen
taire assez long qu'on peut voir dans son Écrit dogmatique
au prêtre Marin; cela nous entraînerait à donner prématuré
ment des fragments notables de la lettre d'Honorius, sans
ajouter aux notions recueillies jusqu'ici sur les points essen
tiels. Cependant, avant de quitter Jean Symponus et saint
Maxime, il est bon de remarquer qu'ils comprenaient la diffi
culté comme le pape Jean IV, et la résolvaient absolument de
même. M. de Rozière dira-t-il encore : « C'était avancer une
puérilité qui n'avait besoin d'aucune justification; mais la
difficulté n'était pas là? » Passe encore pour Jean Symponus,
qui était à Rome et pouvait se méprendre sur la véritable idée
des Grecs. Mais, de bonne foi, M. l'inspecteur général des
archives nous en demande trop, s'il veut nous rendre sus
pecte la parfaite compétence de saint Maxime, que chaque
jour voyait aux prises avec les principaux champions de l'er
reur, qui, dans une dispute publique, confondit Pyrrhus, pa
triarche de Constantinople, et auquel on finit par imposer
silence en le mettant à mort.
Peu d'années après, le calme se fit autour de la lettre d'Ho
norius. Paul de Constantinople, dans sonépitre synodique au
pape saint Théodore, désigne bien Honorius, avec Sergius,
comme son maître dans la foi % mais il ne parle pas explicite
ment de son écrit.
Pour trouver une nouvelle allusion, il faut descendre jus
qu'à saint Agathon, et à l'importante pièce dogmatique qu'il
adressa au VIe Concile. Nous avons déjà produit ce texte ; mais
il est d'une si haute importance qu'on nous pardonnera d'y
revenir. Le voici : « Depuis que les évêques de Constantinople
se sont efforcés d'introduire la nouvelle hérésie dans l'Église
de Jésus-Christ qui est sans tache, mes prédécesseurs n'ont
jamais négligé de les exhorter et de joindre les prières aux
1 S. Maxim. Tomus dogmaticus ad Marinum presb., col. 237 et sv., en par
ticulier col. 244, C.
• Concil. Lateran. (an. 649) act. IV. Hard., t. III, col. 819, E.
202 • LA CONDAMNATION D'HONORIUS

avis, afin qu'en se taisant au moins, ils se désistassent des er


reurs d'un dogme pervers et hérétique. » Ces mots, en se taisant
au moins, nous font voir que le pape Honorius avait imposé
la loi du silence aux deux partis, et par conséquent nous
révèlent dans sa lettre une seconde idée essentielle sur laquelle
les témoignages précédents ne nous avaient rien appris1.
Ils nous prouvent même que cette lettre avait un troisième
objet. Sur quoi, en effet, le Pape imposait-il silence? Évidem
ment sur les expressions une et deux opérations. Il émettait
son avis sur la valeur de ces expressions, les papes n'ayant
pas coutume de donner une règle dogmatique sans la motiver.
Quant à cette troisième partie, nous n'aurions besoin d'au
cune preuve directe pour en affirmer l'existence, la manière
dont la controverse était engagée la rendant nécessaire.
Nous savons donc, avant d'ouvrir les actes du VIe Concile,
que la lettre d'Honorius renfermait trois parties principales.
4° Elle parlait d'une seule volonté enNotre-Seigneur, et c'était
le point essentiel ; %° elle s'expliquait sur les expressions :
une et deux opérations ; 3° à leur égard, elle imposait silence
aux deux partis.
Pour le premier objet de la lettre, nous avons des frag
ments considérables du texte même de l'écrit pontifical.
Appuyé sur ces données, nous pouvons affirmer avec con
fiance l'authenticité et l'intégrité du texte rapporté dans les
actes du VIe Concile.
Nous voudrions faire un travail semblable pour la seconde
lettre, mais les documents font défaut. Et, à vrai dire, la perte
n'est pas considérable, l'authenticité de la première lettre une
fois établie; car cette seconde pièce est visiblement de la
même main ; elle développe les mêmes idées, et si elle con
tient quelques phrases plus embarrassantes, elle présente en
revanche une si belle exposition de la foi que le VIe Concile
s'en est inspiré. Il serait donc aussi arbitraire qu'inutile de
la rejeter, une fois l'autre admise. Si elle est restée quarante
années dans l'oubli, c'est qu'elle ne parlait pas des volontés

* Celte loi du silence est encore indiquée dans les lettres de S. Maxime à
Pierre Illustre. Mais ce témoignage est si obscur que seul il serait de nulle
valeur.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 263
en Jésus-Christ, mais seulement des opérations. Le silence
dont elle a été entourée ne prouve rien contre elle.
En conséquence nous admettons l'authenticité et l'intégrité
des deux lettres qui nous sont parvenues sous le nom d'Ho-
norius. Les efforts des hérétiques pour les altérer sont une
preuve de plus en faveur de leur sincérité. Ces manœuvres
furent déjouées sur le champ et n'eurent d'autre effet que de
rendre les catholiques de Rome et de Constantinople plus
attentifs à sauvegarder un texte dont on prétendait se faire
une arme contre eux ' .
L'opinion commune veut que l'original de ces lettres ait
péri, et que nous en possédions seulement une traduction faite
sur la traduction grecque. Je ne partage pas cette manière de
voir. Le P. Hardouin nous a donné, des actes du sixième
Concile, une antique traduction, qui faisait partie de la riche
bibliothèque du collège Louis-le-Grand. Elle est beaucoup plus
exacte que la version vulgaire, empruntée cependant à un
manuscrit de Beauvais, contemporain du Pape Sergius (687-
701) *. N'est-il pas naturel de penser qu'un traducteur plus
soigneux, comme était celui-là, arrivé aux lettres pontificales,
aura inséré dans son travail le texte primitif, au lieu de se
donner la peine plus qu'inutile de retraduire ?
Au reste, peu importe. L'essentiel est de déterminer la
valeur doctrinale des lettres d'Honorius. Pour y parvenir,
commençons par étudier la doctrine de l'Église sur le point
controversé.

XVI

Le Verbe, fils du Père éternel, seconde personne de l'ado


rable Trinité, Dieu comme le Père et le Saint-Esprit, possède

1 En rapportant les difficultés soulevées contre l'authenticité de la première


lettre d'Honorius, j'ai dit que le texte actuel renferme l'altération signalée par
S. Maxime. Les adversaires d'Honorius, Bossuet en particulier, ont fait sans y
prendre garde tous leurs efforts pour donner du corps à l'objection. Us ont
isolé de leur contexte les mots : Nous confessons une seule volorté de J&us-
Chrisl, et ils ont cherché à y faire voir une profession positive de monolhé-
lisme. S'ils avaient raison, l'interpolation du texte actuel serait incontestable.
Mais le contexte donne tort à leur système préconçu.
■ Hardouin, t. III, col. 1480 B.
264 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
toute la nature divine; il veut par la volonté divine, et l'opéra
tion de cette volonté est son opération. La création du monde
fut son œuvre non moins que celle de son Père. Le roi-pro
phète parlait de lui au psaume cent quarante-huitième : « Il
a dit, et tout a été fait; il a ordonné, et tout a été créé. » Le
Verbe siégeait au conseil tout-puissant quand fut arrêtée cette
décision : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressem
blance '. »
L'homme, sorti des mains de Dieu, se trouva revêtu de
privilèges que ne réclamait nullement sa nature. Composé
d'un corps et d'une âme, il semblait qu'il ne pût échapper
aux suites de cette union, à la concupiscence. On pouvait
craindre que, chez notre premier père, la partie inférieure
ne recherchât son bien propre, sans attendre les ordres de
l'âme, et même contrairement à ces ordres ; que lui aussi,
comme le grand apôtre, eût à s'écrier : « Je vois dans mes
membres une autre loi qui résisteà la loi de mon esprit. Mal
heureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de
mort? » (Rom., vu, 23, 24) Mais Dieu, dans sa bonté, déro
gea en quelque sorte au plan qu'il avait lui-même tracé ; il
soumit le corps à l'âme, l'appétit à la raison ; pour agir et
même pour désirer, la partie animale attendait l'impulsion de
la partie supérieure. Les révoltes delà concupiscence n'exis
taient pas. Bien plus, l'homme fut destiné à la vision immé
diate, intuitive de Dieu, contemplé face à face dans la Trinité
de ses personnes. La grâce sanctifiante répandue dans son
âme lui donna un droit réel à la félicité de Dieu même. Mais
l'homme pécha. — Dès lors, sans retomber dans l'ordre
purement naturel, il perdit avec la grâce sanctifiante tous
ses titres à la contemplation, à la jouissance de Dieu. La
chair reprit sa malheureuse indépendance ; la concupiscence
fut rallumée ; aucun effort ne pouvait arracher l'humanité à sa
perte. Le Verbe, prenant en pitié la nature humaine, résolut
de la sauver ; en conséquence il se revêtit de cette même
nature. « Le Verbe se fit chair, et il habita parmi nous. »
(Joan., i, 14.) L'humanité unie au Verbe était complète, com
' Quand le Verbe agit par la nalure divine, son action ne lui est point propre,
mais elle lui est commune avec le Père et le Saint-Esprit. Je prie le lecteur de
sous-enlendre cette vérité partout où besoin sera.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. -265

posée d'un corps et d'une âme. Ce corps, tiré de la substance


d'une vierge-mère, était en tout semblable au nôtre, os de nos
os; chair de notre chair; à l'extérieur, rien ne distinguait Jésus-
Christ des autres enfants des hommes. Mais, formé par l'opéra
tion du Saint-Esprit, uni à la personne du Verbe, ce même corps
ne pouvait être un foyer de concupiscence. Jésus -Christ était
incapable de ressentir dans ses membres la loi de la chair ré
sistant à la loi de l'esprit. Son humanité n'avait point à souffrir
de ces deux volontés contraires qui affligent et humilient les
saints eux-mêmes. Ce n'est pas que la sensibilité fût bannie du
cœur de l'Homme-Dieu; elle y vivait au contraire plus pro
fonde que chez aucun autre fils d'Adam. — Mais pour se mou
voir, elle attendait le signal de l'intelligence et l'ordre de Dieu.
Quand la sagesse éternelle le jugeait bon, Jésus se troublait,
il frémissait en lui-même, il s'attendrissait sur Lazare et sur
Jérusalem; les angoisses de la mort l'oppressaient au point
de lui faire dire : « S'il est possible, que ce calice s'éloigne de
moi (Math., xxvi, 39,) » et d'exprimer de ses membres une
abondante sueur de sang. Mais en tout cela, rien d'involon
taire; aucun acte indélibéré; point de premier mouvement :
la raison réglait et commandait tout.
Quant à l'âme de Jésus, elle était comme la nôtre, douée
d'intelligence et de volonté, mais essentiellement impeccable.
Et comment aurait-il pu en être autrement? Dépêché mortel,
il n'en faut pas parler, car il renferme toujours une affection
plus ou moins explicite à la destruction, à l'anéantissement de
Dieu. En Jésus-Christ, l'être par essence, la bonté, la sagesse
éternelle, il aurait donc entraîné l'affection à son propre ané
antissement, au mal essentiel, à la suprême folie.
Les plus légères imperfections ne pouvaient pas davantage
pénétrer dans ce sanctuaire divin, car l'âme de Jésus contem
plait face à face l'essence infinie ; elle voyait que la Trinité
adorable est la source intarissable de tout être, de toute bonté,
de toute perfection, la raison de tout amour. Toutes les créa
tures lui apparaissaient à leur véritable place, c'est-à-dire, à
une distance sans bornes de Dieu ; elle comprenait que si les
créatures renferment un degré d'être, de bonté, de perfec
tion ; si elles méritent un degré correspondant d'amour, cet
être borné n'est qu'une participation de l'être infini ; cette
26G LA CONDAMNATION D'HONORIUS
bonté, cette perfection se retrouvent excellemment en Dieu ;
l'amour qu'exige la créature a sa dernière raison dans le Créa
teur. Si l'on cherche ce qui lui reste en dehors des libéralités
divines, la créature n'a que sa limitation, son néant, son péché,
rien donc qui mérite l'amour. Comment, en présence de cette
vision constante, lumineuse, l'âme de Jésus aurait-elle pu se
détourner un instant de Dieu, s'attacher à la créature contre
l'ordre de Dieu, ou même sans un regard direct sur lui ?
D'ailleurs, supposé que la vision intuitive eût été un instant
suspendue, la personne du Verbe ne pouvait permettre la
moindre imperfection dans une âme qui était sienne, qu'elle
gouvernait, qu'elle vivifiait, dont les actes étaient ses actes.
Toutes les actions de l'Homme-Dieu étaient donc des ac
tions saintes ; ce n'est pas assez, elles étaient réellement di
vines. Les unes ne dépassaient pas dans leur être physique
les forces de l'humanité : elles étaient cependant divines,
puisque le Verbe les commandait, ou du moins les permet
tait d'une manière positive; divines surtout parce qu'elles
émanaient d'une personne divine. Les autres, comme les
miracles, les prophéties, le pardon des péchés, étaient propre
ment divines; car si la nature humaine y avait sa part, c'est
la nature divine qui en produisait la partie la plus noble. La
puissance infinie éclatait en elles, et dans l'homme elles révé
laient le Dieu '. Ces actions à la fois humaines et divines ont
reçu un nom qui exprime leur double nature. L'École, après
l'auteur des Noms divins, les appelle théandriques (divino-
humaines).

XVII

A ces vérités si simples dans leur grandeur, que préten


daient substituer Sergius et ses adhérents, fils d'Eutychès,
descendants d'Apollinaire? Ils voulaient raviver les erreurs
de leurs devanciers, mais en les voilant sous des expressions
nouvelles qui pussent donner le change aux simples et dis
1 S. Sophrone a longuement insisté sur ces deux ordres d'opérations du Verbe
en tant qu'incarné. Quant au VIe concile, on pourrait dire avec vérité qu'il n'a
pas défini autre chose que cette division des opérations de Jésus-Christ.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 2G7
simuler la honte des condamnations prononcées contre
elles.
Apollinaire le Jeune, hérésiarque contemporain de Julien
l'Apostat et de Valens, avait nié en Jésus-Christ l'existence
de l'âme humaine en tant qu'intelligente. Selon lui, le Verbe
en tient lieu et doit en tenir lieu ; car, en accordant au Sau
veur une âme proprement dite, il croyait qu'on ne pouvait
plus admettre en lui ni l'unité de personne, ni l'impeccabilité,
ni la divinité de ses actes humains, ni enfin la valeur infinie et
rédemptrice de sa mort.
Eutychès, par une haine fanatique du Nestorianisme ,
donna dans l'excès opposé à cette hérésie : il soutint que
la nature divine et la nature humaine, après leur union, ne
forment plus qu'une seule nature composée, à peu près
comme le corps et l'âme ne font qu'une nature humaine1.
Cette erreur attaque directement l'immutabilité de Dieu.
Comment Eutychès échappait-il à cette conséquence? Cher
chait-il même à l'éviter? Nul ne peut le dire. Il refusa tou
jours d'expliquer sa doctrine. Peut-être même eût-il été fort
embarrassé pour le faire ; car, à la différence de presque
tous les hérésiarques, il avait l'esprit aussi borné qu'opi
niâtre. En vérité le succès d'une telle hérésie prêchée par
un tel docteur, serait un problème tout à fait insoluble, si
l'on ne savait qu'il arrive un certain moment où les esprits
les plus enclins à subtiliser se fatiguent de leurs propres
excès et finissent par s'attacher obstinément aux mots plutôt
que de recommencer les disputes. Le Concile de Chalcédoine,
assemblé pour combattre cette erreur, définit qu'en Jésus-
Christ les deux natures, après leur union, subsistent sans
changement, saris confusion, sans division, sans séparation.
Dès lors il fut impossible de compter parmi les catholiques
sans accepter cette formule. Sergius s'ingénia à rejeter la
chose tout en gardant les termes. Il confessa dans le Fils de
Dieu l'existence de deux natures, mais il s'efforça d'enlever à
la nature humaine toute sa spontanéité et de la réduire au
rôle d'un instrument passif. Comme Apollinaire, il amoindrit

1 Eulychès lui-môme soutenait que dans l'incarnation la nature humaine


avait été absorbée par la nature divine. Ses disciples modifièrent celle doctrine.
208 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
autant qu'il le put l'essence de lame humaine. Toutefois il ne
se borna pas à un plagiat pur et simple.
Apollinaire, dans ses attaques contre Tàme de Jésus-Christ,
lui avait surtout refusé l'intelligence ; Sergius, au contraire,
admettait cette faculté, dirigeant tous ses coups contre la vo
lonté. Tandis que pour le catholique, la volonté est en Jésus-
Christ une faculté essentiellement active qui se meut sous la
motion de Dieu et dont l'énergie se développe au souffle de
l'énergie divine, cette même volonté, pour Sergius, ou
n'existait pas, ou demeurait dans une complète inertie.
Les conséquences ne sont pas difficiles à déduire. Puisque
la volonté supérieure est nulle dans l'humanité de Jésus-
Christ, si l'on y veut à toute force trouver une volonté, ce ne
peut être que la concupiscence. Donc, confesser une volonté
dans l'humanité de Jésus-Christ revient à confesser deux vo
lontés contraires. L'annihilation de la volonté supérieure
oblige encore à regarder la nature humaine comme essentiel
lement Deimobile, non dans le sens très-vrai où nous le di
sons après saint Grégoire de Nysse, mais dans un autre tout
à fait impropre. Pour nous, l'humanité du Sauveur est Dei
mobile parce qu'elle ne se meut que selon le bon plaisir de Dieu.
Pour Sergius, elle l'est, comme incapable de se mouvoir
spontanément sans la motion divine, d'ajouter sa motion à
cette motion : l'humanité tout entière est, relativement à la
divinité, comme en nous le corps relativement à l'âme. D'où
il concluait avec raison qu'en Jésus-Christ toutes les opéra
tions sont d'un seul et même ordre, comme sont les opéra
tions de l'ouvrier, soit qu'il agisse par lui-même, soit qu'il
use de son instrument.
Aujourd'hui cet enchaînement nous est évident, et nous
n'avons nulle peine, soit à descendre du principe à ses con
clusions, soit à remonter des conclusions au principe.
Le moindre théologien peut, dans un écrit, démêler facile
ment le monothélisme le mieux déguisé. Mais il n'en était pas
de même au temps d'Honorius. L'hérésie ne faisait que de
naître, et il était d'autant plus difficile de la prendre sur le
fait qu'elle affectait de se servir d'expressions presque tou
jours susceptibles d'un sens catholique. Voyons donc ce qui
se passa dans l'âme du Pontife quand, pour la première
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 269
fois, il entendit parler des disputes qui, depuis quelque
temps, agitaient l'empire grec. Cette étude achèvera de faire
pleinement comprendre la portée des termes dont il s'est
servi.

XVIII

Sergius écrit au pape Honorius une lettre pleine de défé


rence pour le chef du sacerdoce * ; premier préjugé en faveur
du patriarche, parce que les hérétiques n'ont pas accoutumé
d'en appeler, dans leurs difficultés, au jugement de l'Église
mère et maîtresse. Il lui annonce l'heureuse conversion d'un
grand nombre d'hérétiques. Bonne nouvelle qui devait réjouir le
cœur du zélé successeur des apôtres. Il lui parle avec horreur
du dogme d'Eutychès et de la personne de ses adhérents. Il
confesse en Jésus-Christ l'union substantielle de deux natures
sans mélange ni confusion. Honorius en concluait, et pouvait-il
conclure autrement? queSergiuset ses amis reconnaissaient en
Jésus-Christ deux natures complètes et distinctes, subsistant
dans la seule personne du Verbe. Us admettaient donc dans le
Sauveur une volonté divine et une volonté humaine. Ce point
ne devait être l'objet d'aucune contestation, d'aucun examen.
Sergius allait plus loin, et se plaignait des tentatives de
quelques novateurs. Ces brouillons, disait-il, se scandalisaient,
non sans raison, des mots une opération en Jésus-Christ, mais
ils se donnaient le tort de vouloir forcer tous les chrétiens à
confesser deux opérations dans le Sauveur. « Toutefois, ajou
tait le rusé patriarche, cette expression ne se trouve dans
aucun des Pères qui font autorité; elle conduit à reconnaître
deux volontés opposées l'une à l'autre. Ainsi, quand Dieu le
Verbe voudra l'accomplissement delà rédemption, la volonté
humaine s'y opposera et résistera ; on introduira donc en
Jésus-Christ deux personnes voulant, conclusion impie et ce
pendant rigoureuse, puisqu'on ne peut admettre dans le même
sujet deux volontés contraires l'une à l'autre sur le même
point et dans le même moment ; d'ailleurs, la doctrine des
Pères, inspirés de Dieu, nous enseigne manifestement que la

' La lettre de Sergius fut lue dans la 1 1e session du VIe concile.


270 LA CONDAMNATION D'IIONORIUS
chair du Seigneur, animée par une intelligence, n'a jamais
lait aucun mouvement naturel sans le bon plaisir de Dieu le
Verbe, auquel elle était substantiellement unie, bien moins
encore, par un appétit contraire à ce bon plaisir. Elle se mou
vait quand le Verbe le voulait, comme il le voulait, autant qu'il
le voulait. Pour parler plus simplement, de même que notre
corps est régi, orné, gouverné par l'âme, ainsi en Notre-
Seigneur, toute l'humanité, mue toujours et en tout par la
divinité du Verbe, était Deimobile, comme parle saint Grégoire
de Nysse... »
Ces expressions nous révèlent l'hérésie; mais au temps
d'Honorius, il n'en était pas encore ainsi, puisque l'erreur
naissante n'avait point encore été signalée. Que devait-il
donc penser en présence de ces assertions, et surtout de
ces termes étranges de deux volontés contraires en Jésus-
Christ? 11 pouvait attribuer aux novateurs deux idées diffé
rentes : ou bien, selon eux, la.volonté raisonnable du Fils de
Dieu était susceptible de se révolter contre sa volonté divine et
de pécher; ou bien, en Jésus-Christ comme dans les autres
hommes, existait en vertu de la nature, et sans péché, cette
volonté de la chair luttant contre la volonté supérieure non
moins que contre la volonté céleste. L'absurdité monstrueuse
de la première hypothèse et les expressions même de Sergius
devaient incliner le Pape à s'arrêter à la seconde. 11 le fit; sa
lettre le proclame; l'apologie de Jean IV, celle de Jean Sym-
ponus, les écrits de saint Maxime et sa dispute avec Pyrrhus ',
tout le démontre. Que M. de Rozière, après l'auteur de la
Défense et un cardinal quelquefois mieux inspiré, trouve cela
puéril, déraisonnable, absurde, que m'importe*? J'en crois

* Migne. Pat. gr., t. XCI, col. 328, 329,


5 Je copie la note de M. de Rozière. — « Ilonorius dit en propres termes
dans sa première lettre à Sergius qu'il confesse une seule volonté en Jésus-
Christ : « unam volunlatem fatemur D. N. J. C, » ce qui est le fond môme de
l'hérésie des monothélites. El voici la merveilleuse raison qu'il apporte de sa
croyance, « quia profecto adivinilateassumpta est nostra natura, non culpa ; »
comme si les catholiques, en admettant deux volontés, prétendaient attribuer à
Jésus-Christ cotte mauvaise volonté qui rend tous les hommes coupables et qui
n'est telle en nous que par la dépravation de la nature I » Bossuet, Défense,
t. II, p. 47, note 2. — « 11 n'est pas possible de supposer dans Honorius une
idée aussi déraisonnable. C'est lui imputer une absurdité pour le justifier d'une
hérésie. » La Luzerne, Sur la déclaration, 354, 355.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 271
mes yeux, et j'en crois le témoignage des contemporains. Du
reste, qu'y a-t-il en tout cela de puéril, de déraisonnable,
d'absurde? Est-ce la conduite d'Honorius, qui, forcé d'impu
ter à des chrétiens une monstruosité ou une sottise, aime
mieux s'arrêter à la dernière hypothèse? Nullement. Sont-ce
les opinions erronées sur lesquelles on appelait la condamna
tion pontificale qui méritent d'être si durement qualifiées?
Oh ! pour le coup, j'y souscris, persuadé que toute opinion
anticatholique est toujours par quelque endroit contraire à la
raison et au bon sens.
Mais les expressions qui regardent une seule volonté en
Jésus- Christ ne sont pas les plus difficiles à expliquer, et je me
persuade que bien peu d'hommes instruits de leur religion
accuseraient aujourd'hui la foi d'Honorius, s'ils ne trouvaient
dans ses lettres d'autres passages, à leurs yeux plus embar
rassants. Ce qui choque surtout les modernes, ce sont les
affirmations du Pape relatives à une et deux opérations. Ses
contemporains, il est vrai, amis et ennemis, n'ont pas éprouvé
le même sentiment; Jean IV, Jean Symponus, saint Maxime,
Pyrrhus n'ont pas vu que c'était là l'endroit vulnérable de la
lettre incriminée. Ils se sont entendus pour s'occuper des
expressions qui concernent les volontés, sans s'arrêter à celles
qui regardent les opérations. Cet accord est bien un peu
étrange; mais enfin passons sur ces obscurités, et puisque
nous sommes du xix° siècle, acceptons la difficulté de nos
contemporains, et raisonnons avec eux.
Quelle est, d'après l'opinion commune des théologiens ca
tholiques, la vraie pensée d'Honorius relativement aux expres
sions une et deux opérations ? Le Pape, disent-ils, et ses écrits
en font foi, s'occupait du fond des choses beaucoup plus que
des mots. Quant à la substance du dogme, il est irréprochable.
Dans sa seconde lettre en particulier, il l'expose d'une ma
nière si claire que saint Agathon n'a pas dit mieux que lui, et
que le VIe Concile a sanctionné sa définition. Mais dans l'ex
pression de la croyance, il ne veut contraindre personne à
employer des termes qui puissent faire ombrage. Il reconnaît
pour ses frères dans la foi ceux qui s'accordent avec lui dans
les idées; il ne prétend rejeter de sa communion aucun chré
tien parce qu'il refuserait d'introduire | dans son] symbole
272 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
telle ou telle formule. Selon les mêmes théologiens, Honorius
devait d'autant plus pencher à suivre cette voie, que la for
mule destinée à exprimer le dogme n'était point encore consa
crée. Devait-on dire deux opérations pour affirmer la dualité
des natures? Fallait-il n'en admettre qu'une à cause de l'unité
de la personne? Voilà ce que le Pape se demandait. La solu
tion de cette question regardait, non l'essence du dogme,
mais la manière de l'exprimer ; ellelui semblait dépendre d'une
définition philosophique, et par conséquent n'intéresser que
secondairement la foi.
D'ailleurs, dans l'expression des vérités les plus fondamen
tales de la religion, n'avait-on pas vu d'éclatants exemples de
condescendance? Le grand saint Basile ne demandait pas aux
évêques soumis à son autorité de dire explicitement que le
Saint-Esprit est Dieu, mais il les admettait à sa communion dès
qu'ils le confessaient équivalemment '. L'inflexible saint Atha-
nase reconnaissait pour vrais fils de l'Église et ceux qui affir
maient dans la Trinité une seule hypostase (substance), et
ceux qui en affirmaient trois (personnes), pourvu que leurs
explications fissent tomber la contradiction des mots \
Ces sentiments des théologiens sur les mobiles de la con
duite d'Honorius sont parfaitement fondés en raison. Si l'on
veut s'en pénétrer, les lettres de ce Pontife n'offriront plus de
difficulté sérieuse, et sa doctrine apparaîtra, à tous les yeux
non malades, claire, saine et catholique5.

XIX
PREMIÈRE LETTRE D'HONORIUS.

t Nous avons reçu les lettres de Votre Fraternité. Elles nous


ont appris que des discussions et de nouvelles disputes de
mots ont été, il y a quelque temps, soulevées par un certain

1 V. Bollandistes, 14 juin, rctaS. Basil., c. mi, p. 8S7-860. Tillemont, Mé


moires, t. IX. S. Basile, article lxiii, p. 443-146.
• Lettre du concile célébré à Alexandrie en 362. Hard., 1. 1, col. 733, B. C. D.
* Je supprime, pour le moment, une explication plus nouvelle et plus com
plète de la pensée d'Honorius, ne voulant, dans sa défense, m'appuyer sur au
cune conjecture.
ET L'INFAILLIBILITE DU PAPE. 873
Sophronius, alors moine, et aujourd'hui, dit-on, évêque de
Jérusalem. Il s'oppose à notre frère Cyrus, évêque d'Alexan
drie, parce que celui-ci a prêché, aux hérétiques convertis, une
seule opération de Jésus-Christ Notre-Seigneur. Ce Sophronius
vint vous trouver et il vous exposa sa plainte. Vous l'avez ins
truit longuement, et il vous a prié de lui donner par écrit ce qu'il
avait entendu de votre bouche. Nous avons reçu et nous avons
lu la copie des lettres envoyées par vous à Sophronius, et nous
louons Votre Fraternité qui, par prudence et par discrétion,
a cherché à supprimer un mot nouveau dont les simples pou-
raient se scandaliser. »
Jusqu'ici, Honorius ne fait que résumer la lettre de Sergius.
Il applaudit à sa conduite qui aurait été louable s'il eût vrai
ment supprimé le mot une opération.
t Car nous devons marcher dans la voie qui nous a été
tracée. Sous la conduite de Dieu, nous avons atteint la limite
de la foi que les apôtres de la vérité ont marquée d'après les
divines Écritures. Nous confessons que Jésus-Christ Notre-
Seigneur, médiateur entre Dieu et les hommes, opère les œu
vres divines avec la participation de l'humanité qui a été unie
hypostatiquement au Dieu Verbe lui-même, et qu'il opère les
œuvres humaines par la chair qu'il a prise d'une manière inef
fable et propre à lui seul. La Divinité n'est pas séparée de
cette chair ; mais aussi elle lui est unie sans changement et
sans mélange. Celui qui a brillé dans sa chair par les miracles
et la perfection de la Divinité, est le même qui, dans les oppro
bres de sa passion, a manifesté la sensibilité de la chair. Il est
Dieu parfait et homme parfait ; un seul médiateur entre Dieu
et les hommes, dans l'une et l'autre nature, Verbe fait chair,
et il a habité parmi nous comme fils de l'homme, lui qui est
descendu du ciel. Le Dieu delà gloire lui-même, comme le dit
l'Écriture, a été crucifié, et cependant il demeure bien certain
que la Divinité ne peut subir les passions humaines. Ce n'est
pas du ciel, mais delà sainte Mère de Dieu qu'il a pris sa chair,
car la vérité même a dit dans l'Évangile : « Personne ne monte
dans le ciel, si ce n'est celui qui est descendu du ciel, le Fils
de l'homme qui est dans le ciel. » II voulait nous apprendre
par là qu'une chair passible a été unie à la Divinité d'une ma
nière ineffable et unique. Après l'union, il y a eu distinction
iv» série. — T. V. 48
274 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
et absence de confusion, mais non division. Nous ne pouvons
donc douter qu'il n'y ait eu une union admirable eptre les
deux natures demeurées diverses. C'est en suivant cette doc
trine que l'apôtre dit aux Corinthiens : « Nous prêchons la sa
gesse aux parfaits, non pas la sagesse de ce monde ni des prin
ces de ce monde dont l'empire s'évanouit; mais nous prêchons
la sagesse de Dieu renfermée dans le mystère de l'Incarnation.
Il l'avait prédestinée avant tous les siècles pour nous donner
part à sa gloire; nul des princes de ce monde n'a cprmu cette
sagesse, «car s'ils l'avaient connue, ils n'auraient jamais crucifié
Jésus-Christ, le Seigneur de la gloire. » Comme la Divinité ne
peut souffrir ni éprouver les passions humaines, on dit donc,
en ayant égard aux deux natures, que Dieu a souffert, et que
l'humanité est descendue du ciel avec la Divinité. »
Cette dernière expression, un peu inexacte, s'explique par
les habitudes de l'époque. Aujourd'hui Hononus dirait
l'homme, et non l'humanité. Du reste, dans tout ce para
graphe, il marche vraiment dans la voie tracée. Son exposi
tion du dogme est parfaite, et c'est là que Mgr Maret aurait
dû aller chercher « les passages où s'accuse d'une manière
nette sa doctrine. j>
« Voilà pourquoi nous confessons encore une seule volonté
de Jésus-Christ Notre-Seigneur ; car il est évident que la divi
nité a pris notre nature, mais non notre péché ; elle a subsisté
dans la nature telle qu'elle fut créée, non telle qu'elle devint
viciée après la transgression ; car le Christ Notre-Seigneur,
s'approchant de nous dans la ressemblance d'une chair de
péché, a effacé le péché, et nous avons tous reçu oje sa plé
nitude. Il a pris la forme de l'esclave, et a été trouvé sembla
ble à l'homme pour l'extérieur. Parce qu'il a été conçu sans
péché par l'opération du Saint-Esprit; il est aussi né sans
l'aiguillon du péché, lui qui, sorti d'une vierge sainte et sans
tache, mère de Dieu, n'a reçu aucune des souillures de la
nature qui avait péché. Le nom de chair s'emploie de deux
manières dans les divines Écritures ; nous le trouvons pris en
mauvaise part dans les textes suivants : mon esprit ne demeu
rera pas éternellement avec les hommes parce qu'ils sont chair.
Et dans l'Apôtre : la chair et le sang ne posséderont pas le
royaume de Dieu ; et ailleurs : par l'esprit, j'obéis à la loi
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 2*75
de Dieu ; par la cl}air, à la loi du péché ; car je vois dans
mes membres une autre loi qui résiste à la loi de mon
esprit, et qui me captive sous la loi du péché résidant dans
mes membres. Bien d'autres expressions semblables doivent
s'entendre dans un mauvais sens. Il faut au contraire prendre
dans )e bqn sens ce que dit Isaie : toute chair viendra à Jéru
salem et adorera en ma présence. Et Jqb, : dans ma chair, je
verrai Dieu. Et ailleurs : toute chair verra, le salut de Dieu. Il y
a encore d'autres textes semblables. Ainsi donc, comme nous
l'avons dit, Notre-Seigneur n'a pas prjs |a nature qui a péché,
qui résiste à la, loi de l'esprit, mais il est yenii pour chercher
et sauver ce quj ayajtpéri, la, nature humaine quj avait péché.
Le Sauveur n'a pas eu dans ses mpmbres une loi diverse, une
volonté différente et contraire, parce que sa naissance a sur
passé les lpjs de }a nature. Quoiqu'il soit écrit : je ne suis pas
venu faire ina volqnté, mate la volonté du père q^j m'a envoyé ;
et encore: J^Tpn cornue je le veux, mais comme vous je vou
lez, mon Père; et autres textes serqhtables; touJ.es pes expres
sions nindiquent pas cette volonté cpn|.rajre, rnais Je, mystère
de l'humanité prise par le Verbe. Tpj.jj. cela a é[é dit à cause
de nous. Jésus nous a, cjpnné l'exemple afin que nous mar
chions sur ses jraces. En niaître de la piété, i} a appris à ses
disciples que chacun ne doit pas suivre sa volonté propre,
mais préférer en tou£ Ifi volonté ç|e Dieu. »
Dans tqut Je morpeau, Honorius parle de la volonté humaine ;
cela e$t si évident qu'on ne peut assez adniirer comment le
doute a pu se produire à pet égard. 1) est bien vrai que la ques
tion entre les catholiques et les monothélites n'était pas Jà :
mais Ilonorius le croyait, parce quefes expressions de Sergius
l'avaient jnduif en erreur.
< Marchqns dope par la voie royale; évitops }ps rets des
chasseurs plapés à droite et à gauche ; ne heurtons pas no^e
pied à la borne. Laissons aux Iduméens, c'est-à-dire aux héré
tiques charnels, cequi est à eux; n'imprimons pas la tpapp de
nos pas sur leur terre, c'est-à-dire dans leur mauvaise doc
trine. Ainsi nous pourrons arriver aux confins de la patrie
à la suite de nos chefs.
« Que si quelques-uns, en bégayant pour ainsi dire, ont
cherché jde§ modes, nouveaux d,'exposition, s'érigeant ainsi
276 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
en docteurs pour parvenirà éclairer l'esprit de leurs auditeurs,
il ne faut pas cependant ranger parmi les dogmes de l'Église
ce qui n'a pas été soumis à l'examen des Synodes, ce qu'aucune
autorité canonique ne semble avoir défini ; qu'ainsi personne
n'ose prêcher une ou deux opérations en Jésus-Christ Notre-
Seigneur, car ni les Évangiles, ni les Apôtres, ni les décrets
des Conciles ne semblent avoir rien défini là-dessus. Peut-
être quelques uns, comme nous l'avons dit, ont-ils en bégayant
parlé sur ce sujet, s'abaissant pour former l'esprit et les idées
de ceux qui sont encore enfants. Mais il ne convient pas d'in
troduire dans les dogmes de l'Église les opinions particulières
que chacun se forme en abondant dans son propre sens. Que
Notre- Seigneur Jésus-Christ, fils et Verbe de Dieu, par qui
tout a été fait, soit un seul et même opérateur des œuvres
divines et des œuvres humaines, les divines Écritures le prou
vent parfaitement et clairement. Mais de décider si à cause
des œuvres de la divinité et de l'humanité, nous devons en
conclure qu'il faut reconnaître et proclamer une ou deux
opérations, voilà ce dont nous ne devons pas nous occuper.
Au reste, nous abandonnons cette discussion aux grammairiens
et aux maîtres es arts qui ont coutume de vendre à leurs
élèves les termes de leur invention, quand ils en viennent à
leurs déductions. »
Après avoir exposé le dogme, Honorius s'occupe de la
manière de l'exprimer, ou, pour parler plus juste, d'expri
mer quelques-unes de ses conséquences. Ce point est impor
tant sans doute ; car il est difficile que l'idée reste nette quand
l'expression n'est pas arrêtée. Cependant il ne vient qu'au
second rang. Souvent le dogme a été certain longtemps avant
qu'on ait cessé d'en débattre la formule définitive. Bien plus,
ne sait-on pas qu'une même formule a pu être sucessivement
proscrite et consacrée? Ainsi en est-il arrivé, d'après de gra
ves auteurs, pour le terme consubstantiel, que les Pères d'An-
tioche condamnèrent parce que Paul de Samosate" en abusait
pour nier la trinité des personnes en Dieu, et que le Concile
de Nicéc a sanctionné pour affirmer l'unité de nature entre
le Père éternel et son Verbe. Lors même qu'une expression
serait devenue, à une certaine époque, le signe distinctif des
vrais catholiques, il serait tout à fait téméraire et injuste de
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 277
suspecter la foi de ceux qui, avant cette époque, ont hésité
devant cette expression, et l'ont même rejçtée, quand on con
naît d'ailleurs l'orthodoxie de leur croyance. '
L'expression du dogme présuppose souvent .les données
de la science humaine. Si donc ces données sont incertaines,
si l'acception d'un mot capital varie d'une région à l'autre,
cette expression restera forcément indécise, à moins que
l'Église n'use de son pouvoir souverain pour déterminer le
sens désormais obligatoire du terme dont elle a besoin. Ces
vérités si simples entraînent une conséquence fort importante
pour la question qui nous occupe ; la voici. Honorius peut être
accuse d'erreur dans la foi, pour avoir hésité devant le mot
deux opérations, adopté seulement après sa mort.
« Les saintes lettres n'ont pas même daigné nous apprendre
si Jésus-Christ et son Saint-Esprit produisent une ou deux opé
rations. Mais nous savons que cet Esprit opère de manières fort
diverses. Car il estécrit : Celui qui n'a pas l'EspritdeJésus-Christ
n'est pas à Jésus-Christ ; et ailleurs : Personne ne peut dire, Sei
gneur Jésus, si ce n'est par l'Esprit Saint ; car il y a diversité
de grâces, mais il n'y a qu'un même Esprit. Il y a diversité de
ministères, mais il n'y a qu'un même Esprit; et il y a diversité
iopérations, mais il n'y a qu'un même Dieu qui opère tout en
tous. Si donc il y a diversité d'opérations et que cependant
un seul Dieu les opère dans tous les membres de son corps
mystique, à combien plus forte raison pourrait-on en dire
autant par rapport à Jésus-Christ, le chef de ce corps afin que
le corps et le chef forment un tout parfait; afin qu'ils concou
rent, selon l'Écriture, à produire un homme parfait, à la
mesure de l'âge et de la plénitude selon laquelle le Christ doit
être formé en nous. Car si dans les autres, c'est-à-dire dans
ses membres, l'Esprit de Jésus-Christ opère de bien des ma
nières, cet Esprit dans lequel nous vivons, nous nous mouvons
et nous sommes, à combien plus forte raison ne devons-nous
pas confesser que le médiateur de Dieu et des hommes opère
par lui-même avec plénitude et perfection, de manières fort
diverses et ineffables, à raison de l'union des deux natures. »
Honorius penchait donc vers l'expression de deux opéra- '
tions. Voici en effet son raisonnement. Quand le Saint-Esprit
agit dans l'âme des fidèles, il produit, d'après l'Écriture, plu-
278 LA CONDAMNATION D'IIONORIt'S
sieurs opérations distinctes, divisiones operationum Et cepen
dant il n'y a là qu'une personne, cellede l' Esprit-Saint; ou,
pour parler exactement, il n'y a qu'un Dieu agissant par une
seule nature, la nature humaine. À combien plus forte raison
pourrait-on admettre deux ordres d'opérations dans le Verbe
incarné qui agit par deux natures ?
« Pour nous, nos sentiments et nos paroles doivent se ré
gler d'après les oracles divins; nous devons rejeter les ex
pressions nouvelles, dès qu'elles engendrent du scandale dans
l'Église de Dieu. 11 ne faut pas que les faibles daris la foi, cho
qués de l'expression de deux iiatures, aillent croire que nous
donnons dans les folies de Nestbrius. Mais d'un autre côté,
riimaginonspas qii il faille confesser une seule opération en Jésus-
Christ, de peur que nous ne paraissions, aux oreilles des fidèles
étonnés, reconnaître l'absurde folie d'Eutychès. Prenons garde
aujourd'hui que les armes des enuemis sont brûlées, d'aller
faire sortir de leurs cendres des élincelles qui rallument ces
questions funestes. Dans la simp'icité et la vérité, confessons
que Jésus-Christ est un seul et même opérateur dans la nature
divine et dans la nature humaine. Plutôt que de laissera jeun
les simples et les humbles d'esprit parmi le peuple chrétien,
permettons aux vains scrutateurs des natures de s'enfler de
leur science et d'élever contre nous des cris impuissants. Per
sonne ne séduira, par les vains artifices de la philosophie, les
disciples des divins pêcheurs attachés à leur doctrine; Car les
arguties dangereuses et insaisissables d'une dialectique artifi
cieuse ont été anéanties par leurs filets. »
Voilà la seconde fois qu'Honorius parle avec dédain de la
science humaine; ce mépris ne lui a point porté bonheur. La
phrase soulignée montre encore où étaient les préférences du
Pontife dans la question des opérations.
« Que Votre Fraternité prêche donc avec nous ce que nous
prêchons avec elle; nous vous prions d'éviter les mots nou
veaux d'une ou de deux opérations; mais de prêcher, selon la
foi orthodoxe et l'unité catholique, que ie Seigneur Jésus-
Christ, Fils du Dieu vivant et vrai Dieu, opère dans les deux
natures ce qui est de la Divinité et de l'humanité. »
Mgr Maret, pour rendre le sens plus accessible aux lecteurs,
n'a donné de ce paragraphe que la première phrase.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 279

XX
SECONDE LETTRE D'HONORIUS.

À notre cher frère Sergius, Honorius.


« Ce qui nous a été écrit..;.: par nbtre cher frère le diacre
Sericus »
ici le texte présente une lacune.
« Nous avons aussi écrit à notre cher frère Cyrus, évêque
d'Alexandrie, de supprimer les expressions nouvelles d'une
ou de deux opérations, car il ne faut pas laisser le brouillard
des contentions nuageuses se répandre sur la claire prédica
tion que demandent les églises de Dieu; mais retrancher dans
cette prédication le mot nouvellement introduit d'une ou de
deux opérations. Que font en effet ceux qui s'expriment ainsi?
Ne semblent-ils pas vouloir Calquer les expressions d'une oU
deux opérations sur celles d une ou de deux natures ? Sur ce
dernier point, l'Écriture s'exprime clairement. Mais, de savoir
si dans le médiateur de Dieu et des hommes, Notre-Seigneur
Jésus-Christ, il y a une ou deux Opérations, et de chercher
comment il faut s'exprimer là-dessus» c'est tout à fait inu
tile1 »
Les adversaires de l'infaillibilité pontificale doivent peser
bien attentivement ces paroles ; car si les lettres d'Honorius
enseignent une erreur dans la foi, cette erreur est contenue
dans les phrases précédentes (à partir des mots que font en
effet ceux qui s'expriment ainsi), et dans une autre analogue ; en
voyant leur argument réduit à ses véritables termes, ils le
trouveront bien misérable. — Après une lacune, le texte re
prend :
« Voilà ce que nous avons cru devoir déclarer à Votre Fra
ternité, par la présente, pour l'instruction de ceux qui hési

* Dans cette dernière phrase, le texte que je suis, s'écarte du grec, qui porte
« que le médiateur de Dieu et des hommes, le Seigneur Jésus-Christ soit ou
ait été d'une ou deux opérations : le penser et l'exprimer est tout à fait insensé. »
Le sens est-il compréhensible? Du reste autant qu'on peut le saisir, il ne s'é
carte pas substantiellement de celui que j'ai donné.
280 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
tent. Au reste, quant au dogme, voici ce qu'il nous semble
qu'on doit tenir dans la prédication à cause de la simplicité
humaine et pour couper court à toutes les questions : comme
nous l'avons dit, qu'on ne se prononce pas sur une ou deux
opérations dans le médiateur de Dieu et des hommes. Que
l'on se contente de confesser qu'en Jésus-Christ, les deux na
tures unies en une unité physique, opèrentet agissent en société
l'une avec l'autre. La nature divine opère les œuvres divines,
la nature humaine opère les œuvres humaines, sans division,
sans confusion. Nous n'enseignons pas que la nature divine
ait été changée en la nature humaine, ni la nature humaine en
la nature divine. Mais nous confessons la différence totale des
natures. Une seule et même personne est humble, abjecte et
élevée, égale au Père et moindre que le Père. Celui qui est
avant les siècles a été fait et il est né dans le temps. Celui par
qui les siècles ont .été faits a été fait dans le siècle. Celui qui a
donné la loi a été fait sous la loi, afin de racheter ceux qui
vivaient sous la loi. Il a été crucifié, et par la croix il a triom
phé des puissances et des principautés, en détruisant l'arrêt
porté contre nous. »
Ou le Pape ne parle nulle part ex cathedra, ou c'est dans ce
paragraphe. L'exposition du dogme y est admirable; le seul
point répréhensible est la défense d'employer une des ma
nières dont on peut exprimer la vérité.
« Supprimant donc, comme nous l'avons dit, le scandale
d'une nouvelle invention, il ne faut pas que nous définissions,
que nous prêchions une ou deux opérations. Mais au lieu de
dire, avec quelques-uns, une opération, confessons que Notre-
Seigneur Jésus-Christ opère vraiment dans les deux natures.
Au lieu de dire deux opérations, qu'on supprime le mot deux
opérations, et qu'on s'attache, avec nous, à prêcher les deux
natures: la nature divine et celle de la chair, qui, réunies dans
l'unité de la personne du Fils unique du Père, opèrent leurs
propres opérations sans confusion, sans division, sans chan
gement.
« Nous avons voulu signifier tout cela à votre bienheu
reuse Fraternité, afin de prouver, par l'exposition de notre
confession, que nous sommes d'accord avec Votre Sainteté ;
que, dans un même esprit, nous convenons d'une même doc
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 281
trine. Nous nous proposons en outre d'écrire à nos autres
frères, Cyrus et Sophronius, de ne plus s'attacher désormais
à des motst nouveaux, je veux dire aux expressions d'une ou
deux opérations; mais, sans se servir de ces termes, de prêcher
avec nous un seul Jésus-Christ opérant les œuvres divines et
lesœuvres humaines dans l'une et l'autre nature. Déjà, avec les
députés que notre susdit frère et coévêque Sophronius nous a
envoyés, nous avons agi pour qu'il cessât ses prédications
sur les deux opérations, et ils nous ont promis formellement
qu'il le ferait, pourvu que Cyrus, notre frère et coévêque, vou
lût s'abstenir d'affirmer une seule opération. »
Cet acquiescement des députés de Sophronius a paru à quel
ques catholiques prouver la sagesse du silence imposé par
Honorius; mais la conclusion n'est pas renfermée dans les
prémisses.

XXI

Voilà donc les fameuses lettres d'Honorius. En résumé, que


faut-il en penser au point de vue doctrinal?
Premièrement. — Toutes les fois que le Pape expose le
dogme, il le fait admirablement bien. Dans un seul endroit, il
omet un mot que le plus vulgaire bon sens peut suppléer sans
peine.
Secondement. — Parmi les différentes manières dont le
dogme peut être exprimé, il y en a une sur laquelle il hésite,
à cause des inconvénients qu'elle peut, dit-on, entraîner. Dans
son hésitation, il défend d'employer le mot deux opérations,
tout en penchant vers cette expression, et en proscrivant celle
que lui opposent les hérétiques. Cette défense peut être
blâmée comme une faute, mais non condamnée comme une
erreur dans la foi, puisque l'exposé de la foi est parfaitement
orthodoxe.
Troisièmement. —Enfin, dans un endroit, deux peut-être,
Honorius semble aller plus loin, et penser qu'on né pourra
jamais décider à laquelle des deux expressions rivales les
catholiques doivent s'arrêter. Encore cette difficulté dispa-
raitrait-elle devant une explication probable.
282 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
Mais là, il ne définit point; il ne veut pas définir. En tout
cas, voir dans ces quelques lignes, éclairées par tout le reste,
une erreur dans la foi, une définition contraire à la foi, serait
une énormité. Il est donc certain que le Pape n'a rien défini
de contraire à la foi ; que ses lettres n'ébranlent pas la doc
trine de l'infaillibilité.
Et maintenant, Honorius a-t-il parlé ex cathedra? Cette
question est à peu près inutile dans l'état de la cause. Cepen
dant, je tiens pour la négative, parce que le Pape n'a pas suivi
la marche que les Pontifes de cette époque avdient coutume
d'adopter quand ils faisaient appel à leur infaillibilité. Il ne
s'est pas entouré des évoques de l'Italie; sa réponse n'a pas
été concertée au sein de son concile particulier.
Je tiens pour la négative, parce que, dans la question
posée au Pape, celui-ci n'avait pas besoin de recourir à sa
prérogative. Sergius lui affirmait que la foi n'était pas en
cause; qu'il s'agissait seulement d'une des manières d'ex
poser le dogme. Il demandait donc une décision en quelque
sorte disciplinaire, l'ordre de supprimer des termes dange
reux. En présentant sa demande, il pouvait faire abstraction
de l'infaillibilité pontificale. Honorius n'avait pas besoin d'y
recourir en lui répondant.
Je tiens pour la négative, parce que les contemporains n'ont
aucunement considéré la lettre d'Honorius comme une défi
nition dogmatique. Ils continuèrent à demander cette dé
finition, soit à Honorius, soit à ses successeurs. Ainsi firent
saint Sophrone de Jérusalem l, le concile de Chypre et les
trois conciles d'Afrique'.
Je tiens pour la négative, surtout parce que les lettres
d'Honorius n'ont pas reçu la publicité qu'exige une décision
de 1 foi.r
Mais en exprimant mon opinion, je laisse à chacun pleine
et entière liberté de penser ce qu'il voudra sur ce point; et si
un adversaire veut que, dans sa lettre, le pape Honorius ait
parlé ex cathedra, je le lui concéderai sans discussion. L'es

' Concil. later. an. 649, artic. II, Hârd., t. III, col. 743.
» Ibid Le concile de Chypre souscrit à la définition déjà portée par S. Théo
dore et cependant il demande quelque chose de plus.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 283
sentiel est qu'il n'ait rien défini contre la foi, et celte vérité
est, je crois, hors de cause1.

XXII

Supposons que toutes les preuves précédentes disparais


sent; que nous ayons perdu les textes mêmes sur lesquels
roule la controverse. L'orthodoxie des lettres d'Honorius
n'en serait pas moins évidente; je vais le prouver par une
considération tellement simple qu'elle aurait dû frapper tous
les yeux et trancher depuis longtemps le débat.
La première lettre d'Honorius est de l'an 634 ; la seconde
ne doit pas être de beaucoup postérieure et fut probablement
écrite à la réception des lettres de communion envoyées,
selon la coutume, par le patriarche saint Sophrbne. Pendant
quatre ans que lu vie d'Honorius se prolonge encore, Sergius
ne fait aucun acte public en faveur de ses erreurs. Mais à
peine le Pontife est-il mort que le patriarche lance son eo-
thèse, tenue en réserve depuis cinq ans, et il se garde bien
de se prévaloir des ordres pontificaux. Il n'en parle même
pas, quand il veut imposer à Séverin, nouvellement élu,
la signature de son manifeste. Pyrrhus, son successeur,
plus habile, ce semble, à tramer des Conspirations qu'à saisir
la portée d'un texte, est Je premier qui donne cours à l'une
des deux pièces, la moins compromettante à nos yeux. En
core a-t-il soin d'exagérer, par fine traduction infidèle, le
sens du seul passage qui lui semble autoriser le monothé-
lisrae. Jean IV, d'un souffle, dissipe cette difficulté, et les
hérétiques reprennent la tactique du silence. Paul de Cons-
tantinople prononce le nom d'Honorius, et puis ce nom ne
réparait plus qu'au bout de trente ans, au sixième concile.
De tous ces faits ne ressort-il pas avec évidence que les
lettres d'Honorius ne favorisaient pas sérieusement les héré
tiques? Autrement Sergius ne se serait-il pas empressé de

1 Là Civiltà et le P. Schneemann, S. J., ont l'ait ressortir les rapports entre


les lettres d'Honorius et les écrits dès Pères. La Revue Romaine a montré leur
profonde différence avec les écrits hérétiques; Pour plus de brièveté, je laisse
en ce moment ce côté de la question.
284 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
leur donner toute la publicité imaginable? Ne les aurait-il pas
portées à l'Empereur, en lui demandant simplement de con
firmer, par un décret impérial, les sages prescriptions du
très-saint patriarche de l'ancienne Rome ? N'aurait-il pas écrit
à saint Sophrone : Quant à moi, je m'en tiens à la doctrine du
pape romain, et je me contente d'exiger l'obéissance à ses
ordres ? Aux députés de Séverin n'aurait-il pas dit : De quoi
vous plaignez-vous ? Je demande à votre élu de signer ce qu'a
signé son prédécesseur, de bienheureuse mémoire ?
Rien de tout cela. L'habile Sergius sentait bien qu'il avait
en ses mains une arme faible et d'un emploi dangereux. A
côté d'un mot dont il pouvait se prévaloir, il lisait des para
graphes entiers qui mettaient à néant sa doctrine ; il n'osait
se servir d'extraits qui, choisis habilement, auraient pu ser
vir sa cause, parce qu'il se serait vu promptement dans
l'obligation de publier les textes entiers et qu'il aurait pro
voqué, de la part d'Honorius, une explication écrasante. Le
parti du silence lui parut le plus sage et il l'embrassa jusqu'à
ce que la mort d'Honorius et la vacance du Saint-Siège l'eus
sent engagé à s'en départir, mais seulement à demi.
Qu'on veuille bien réfléchir sur tout ^ela, et j'espère qu'on
ne pourra plus douter de la vérité de cette conclusion.
Si les lettres d'Honorius présentent quelques expressions
dont on peut abuser en les séparant du contexte, si elles ren
ferment une malencontreuse décision pratique, elles sont ce
pendant pleinement catholiques, et y voir une erreur en ma
tière de foi serait l'effet d'un préjugé sans excuse.

Le P. Gratry, qui nous fait l'honneur de nous prendre à


partie, en réservant à nos humbles travaux quelques-uns
des reproches qu'il adresse principalement à Mgr de Malines
et à Mgr de Westminster, pensera sans doute que le présent
article ne prouve rien et qu'il est parfaitement en dehors de
la question.
Force nous a été de nous reconnaître dans le passage sui
vant de sa Première lettre à Mgr Dechamps (p. 6) : < En
effet, dit l'un des défenseurs de cette thèse, je lis bien dans le
"VI* concile ces mets : « Anathème à l'hérétique Honorius, »
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 285
anathema Honorio hseretico. Mais la question est de savoir ce
que veut dire ce mot hseretico. « Il faut encore déterminer
« le sens du mot par les circonstances où il a été prononcé,
< au JJeu de conclure du mot employé à la nature même du
< crime condamné '. »
c Ainsi (poursuit le P. Gratry), d'après cet argumentâ
tes, lorsque j'entends lire un arrêt portant condamnation
pourvoi ou bien pour homicide, je ne dois pas conclure du
mot employé à la nature du crime condamné. » Celui que
l'on condamne, en propres termes, pour homicide, n'est
peut-être condamné que pour vol.
« Ainsi, de ce que le VIe concile, comme on l'avoue, dé
clare Honorius hérétique, je n'ai pas le droit d'en conclure
qu'Honorius fut condamné comme hérétique. « Au lieu de con
clure du mot employé à la nature du crime, » je dois d'abord
sonder le mot et voir s'il ne pourrait pas signifier autre
chose qu'hérétique, ce qui me permettrait de dire, tout en
respectant le VI" concile et même en m'appuyant sur lui,
qu'Honorius ne fut point hérétique. »
À cela je réponds : je ne prétends nullement qu'Honorius
n'ait pas été condamné pour hérésie; mais, entre toutes les
significations que ce mot comportait avant le xv" siècle, je
cherche celle qu'il faut appliquer au fait d'Honorius et je
soutiens que ce n'est pas l'acception actuelle.
f Malheureusement pour cette absurde argumentation,
ajoute le P. Gratry, elle se trouve, dans le cas particulier,
absolument impraticable, car le Concile énumérant tous les
hérétiques qu'il condamne au sujet du monothélisme, et les
condamnant tous uniformément et à la suite par le même
mot: Anatliema Sergio hseretico, anathema llonorio hseretico,
anathema Pyrrho hseretico, il est impossible de soutenir que
le mot hérétique dans ce texte suivi a deux sens différents,
l'un pour Sergius et pour Pyrrhus, et l'autre pour Honorius
qui se trouve entre eux deux. C'est une pitoyable défaite que
j'ai peut-être tort de qualifier si doucement. »
Et cependant mon raisonnement, si doucement qualifié, ne
porterait pas à faux s'il était prouvé, par les mêmes textes

' Éluda religieuses, déc. 4869, p» 841.


286 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
dont se sert le P. Gratry, que les VIe, VIic et VIII0 conciles ont
enveloppé dans la même condaninatioptous ceux qui s'étaient
rendus coupables, à des degrés bien divers, soit du crime
formel d'hérésie, soit d'une complicité plus ou moins grave
en usant de ménagements avec les hérétiques.
C'est au P. Gratry que j'emprunte le passage suivant du
YJIP concile : « Nqus, recevons 'e VIe concile œcuménique,
qui proclame deuxvolqptés, deuxqpératiqns ep Jésus-Christ;
et? coiqipelui, nous apathéiqatisons 'Théodore, ej, Sergius, et
Pyrrhus, ej, Paul ej; Pierre, patriarphes <mpies de Cpqstantino-
ple, et avec eux Ilonorius de Rppie, Cyrus d'Alexandrie, et
Macajre d'Apfjqche, sectateurs des doctrines impies de ces
hérésiarques Apollipaire et Eutychès. ?
Le P. Gratry, qni rapporte cette condamnation, est-il prêt
à sjgper qu'Honorius a été, ep toute rigueur dp terme, secta-
tepr d'Eutycbès? Assurément nop ; les faits lui donneraient
un Jrqp éejatant dénienti, et il sait, comme nous, qu'Honorius
a confessé deux pâtures distinctes en Jésus-Christ. Par con
séquent, lui aussi est obligé de distinguer. Qu'il nous laisse
(Jonc la jiberté de distinguer un peu plus que lui, et surfout
d/exaipiner, dans une si grande cause, toutes les pièces, du
procès, non pppr annuler la sentence portée contre Jfpnorjus,
majs pppr Ja comprep^re et pour la réduire, s'il y a heu. à sa
juste valeur.
H. PflLOMBpSR.
{La suite ■prochainement.)
LA

CONDAMNATION D'HONORIUS
ET

L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE
QUATRIEME ARTICLE '

HONORIUS ET LE SIXIÈME CONCILE.

XXIII
Les lettres d'Honorius sont orthodoxes : cette conclusion
est admise aujourd'hui par presque tous les hommes capa
bles de se former un jugement personnel sur ces matières, et
je crois en avoir établi solidement la justesse dans les pages
précédentes. Et cependant le sixième Concile a condamné l'au
teur de ces lettres. Cette condamnation, il la répète plusieurs
fois; il la formule dans les termes les plus durs. N'y a-t-il pas
là une contradiction évidente, palpable? Les actes de l'auguste
assemblée ne sont-ils point falsifiés? Beaucoup d'auteurs l'ont
dit; Mgr Tizzani, M. Edouard Dumont viennent encore d'a
dopter cet avis. D'autres semblent le penser, sans le dire. Que
faut-il enfin croire? Voilà la première question qui se présente
à nous.
Pour y répondre, je prouverai par des témoignages étran
gers au Concile la certitude de la condamnation, et je confir
merai ce fait de façon à le rendre inattaquable. Je chercherai
ensuite si cette condamnation était en toute manière imprévue
avant le Concile : c'est un point dont on ne semble pas s'être
assez préoccupé. Puis, après avoir étudié les Actes en vue de
la question présente, je tenterai de résoudre les quelques dif
ficultés sérieuses indiquées dans le second article. Enfin je
dirai le jugement qu'il faut porter sur cette condamnation.
Je m'occuperai aujourd'hui seulement des formes de la pro
cédure, me réservant de la discuter plus tard en elle-même.

* Voir les mois de Décembre 4869, Janvier et Février 4870.


374 LA CONDAMNATION D'HONORIUS

XXIV
Parmi toutes les preuves de la condamnation d'Honorius
étrangères au sixième Concile, je n'en développerai que trois.
Pour les autres, je me bornerai à les indiquer, afin de ne pas
allonger ce travail sans mesure comme sans profit.
J'emprunte la première preuve au XIVe Concile de Tolède,
dont l'authenticité est à l'abri de tout soupçon ' . Ce Concile fut
assemblé le 14 novembre 684 pour l'acceptation solennelle du
décret de foi porté par le sixième Concile oecuménique, et ce
décret mentionne expressément la condamnation d'Honorius.
Cette condamnation fut donc promulguée en Espagne et par
conséquent dans le monde entier*, presque immédiatement
après la fin de l'assemblée qui l'avait prononcée. Pour échap
per à cette conclusion, il faudrait prouver que la profession de
foi envoyée aux églises d'Espagne, ne renfermait pas le pas
sage où se lit actuellement le nom d'Honorius; ou bien encore
que, dans ce passage, le nom du Pape a été ajouté après coup.
Mais on n'établira jamais ni l'un ni l'autre de ces deux points.
Quant au premier, il suffit pour ainsi dire d'ouvrir les yeux
pour se convaincre de la vérité. Le commencement de la pro
fession de foi est marqué en termes exprès. « Le saint, grand
et universel Concile... a décrété ce qui suit... etc.1. » On ob
jecte, il est vrai, que, dans le conciliabule de 1 350, on lut seu
lement une partie de la profession de foi et que dans cette
partie ne se trouve pas le nom d'Honorius. Le fait est incon
testable; mais il ne préjuge rien contre l'évidence; la raison
de cette conduite est d'ailleurs facile à deviner. Les hérétiques
qui composaient cette assemblée, pressés par leurs adver
saires de faire lire cette profession de foi, s'y refusèrent long
temps ; forcés enfin de céder, ils ordonnèrent de prendre dans
la pièce, dont on réclamait la lecture, précisément ce que le

* Les actes de ce concile font défaut dans trois des meilleurs manuscrits de
la collection canonique dite Hispana. La raison en esl que ce concile est posté
rieur à saint Isidore deSétille, au leur de là collection, et que les additions faites
â sort œuvre varient d'un manuscrit à l'autre.
» Ce décret fut transmis par le pape saint Léon II à tous les pays de l'occi
dent. Les pièces relatives à l'Espagne nous sont seules parvenues.
• Session XYIII». Hardouin, t. III, col. 4396, A.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPB. 375
sixième Concile avait ajouté aux définitions de foi précédentes.
On commença donc par cette phrase : « Ce que le présent
saint et universel Concile recevant fidèlement., s » Aurait-on
jamais imaginé de soumettre à la signature de tdtis les évêques
dû monde une pièce débutant d'une si étrange façon1? Nos
adversaires ne peuvent donc soutenir raisonnablement que
dans la profession de foi envoyée en Espagne ne se trouvait
pas le passage qui renferme les noms des hérétiques condam
nés par le Concile. Ils ne seraient pas plus heureux en se re
jetant sur une interpolation postérieure; car un fait de ce
genre, surtout quand il est d'une si haute gravité; né se sup
pose pas, il se prouve. En admettant que les Grecs aient api
porté dans les différents pays des actes falsifiés, il est évident
que les évêques de chaque région, avant de consentir à falsi
fier, eux aussi, leurs exemplaires sans aucun motif, ou plutôt
contre tous les motifs* auraient demandé raison des différences
qu'on leur signalait et consulté ceux qui pouvaient les éclai
rer; De ces hésitations, de ces cohsùltations on ne trouve au
cune trace. Le XIVe Concile de Tolède prouve donc d'une
manière irréfragable la condamnation d'Honorius.
Ce XIV* Concile, on se le rappelle, est intimement lié avec
le XVe, et plus encore avec quatre lettres de saint Léott II et
avec une cinquième de Benoit Ier. Ces cinq lettres mentionnent
toutes l'envoi de la définition du Concile et corroborent par
là ce que je viens de dire \ Deux d'entré elles vont plus foin
et rappellent expressément la condamnation d'Honorius. Pour
la rtiér, il faut dohe rejeter ait mdins ces deux lettres du les
déclarer, elles aussi, interpolées. Et pour établir l'interpola
tion ou leur supposition complète» on n'a que des preuves sans
valeur. Je répondrai plus tard à la plus spécieuse. Quant aux
autres, je crois leur faire assez d'honneur en lès réfutant dans
une simple note s.

* On ùe lut pas même tonte la profession de foi à partir des mots indiqués.
Car après avoir cité une seule phrase, on en omit plusieurs autres coitime fin*
diquehl les mots : et jiôil aliqua. Cet argument est donc plus qûé nul.
• Elles mentionnent également l'envoi du discours flhal et dé l'êdit impérial,
et ces deux pièces mentionnent la condamnation d'Honorius.
M» A ce qu'on prétend, une dé ces lettres au moins déclare que le ëbhcilë fut
terminé dtirahl là 9e indictidh. S. Léon 11 y dit simplement que l'empereur, dési
rant de remédier aux maux de l'Eglise par la tenue d'un concile, est venu à bout
376 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
M. de Rozière a beaucoup insisté sur la seconde preuve,
et c'était son droit, puisqu'il rééditait le Liber Diurnus auquel
nous l'empruntons. Ce livre, recueil des formules de la chan
cellerie pontificale au vin* siècle, nous apprend que tous les
Papes, au moment de leur intronisation, prononçaient anathème
à leur prédécesseur Honorius, condamné au VIe Concile. J'ai
déjà cité le texte du Liber Diurnus, et j'aurai occasion d'y reve
nir une troisième fois. Comme de juste, on a encore soutenu
que l'introduction de ce nom dans la solennelle profession de
foi des Pontifes nouveaux était une interpolation. Comment
aurait-elle été accomplie, c'est ce dont on se préoccupe à peine.
Et cependant la difficulté du problème avait de quoi stimuler
les esprits aventureux. Car on ne peut admettre que la pro
fession de foi ait été altérée à l'insu des Papes et sans qu'ils y
prissent garde. Mais on ne peut davantage concéder qu'ils se
soient prêtés à une modification si grave et dont ils connais
saient la fausseté. Sous la pression des empereurs de Cons-
tantinople, qu'ils aient laissé falsifier les actes du Yl° Concile
sans trop réclamer, aucun homme de sens ne l'accordera.
Mais qu'ils aient eux-mêmes altéré leur profession de foi la
plus solennelle, impossible d'y songer. Ceux qui avancent de
pareilles énormités ne font pas réflexion que, pour sauver un

de son dessein dans la dernière indiction 9* : « pernuper elapsam nonam indic-


tionem explevit. » 2° Une des lettres est adressée à Quirice, mort depuis trois ans
et demi. —Réponse.— Les quatre lettres de S. Léon mirent un an et demi à parve
nir en Espagne, ce qui prouve l'extrême difficulté des communications. De plus,
en jetant un coup d'œil sur l'histoire d'Espagne entre 680 et 683, on voit que la
terre et la mer étaient fermées aux Espagnols : la mer par les pirates Sarrazins
(V. Herreras, Histoire d'Espagne, traduite par d'Hermilly, t. II, p. 388, ad. an. 682.
Cf. ibii., p. 379, ad. an. 677); du côté de la terre, le roi Wamba avait eu à com
primer une révolte des Asturies, de la Navarre et de la Narbonnaise. Le duc de
Gascogne favorisait ouvertement les révoltés. Le reste de la France était agité
par la dernière lutte entre la Neustrie et l'Austrasie (Testry, 687). En 680 la
substitution peu légitime du roi Erwige au roi Wamba et le mécontentement
d'Egiza, neveu de celui-ci, ramenèrent pour l'Espagne les difficultés intérieures
et extérieures auxquelles elle venait d'échapper. 3° S. Léon II dit que la lettre
de l'empereur Constantin fut envoyée au pape S. Agathon durant l'indiction 9':
il aurait dû mettre Donus et la 6e indiction. — La lettre adressée au pape Donus
fut remise après sa mort à son successeur S. Agathon. La faute touchant l'indic
tion est réelle. 4° S. Léon II déclare qu'il a envoyé au concile plusieurs arche
vêques en qualité de légats. Nous verrons plus tard si cette assertion fait une
difficulté.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 377
Pape, ils en écrasent un ou plusieurs autres. Du reste, quelle
était l'autorité des empereurs de Constantinople sur Rome à
cette époque? Celle que les Papes leur donnaient. A partir de
l'invasion des Lombards, si Rome demeura 1 80 ans sous la
domination des empereurs grecs, ce fut aux luttes persévé
rantes des Papes que ce résultat doit être attribué. Les Papes
ont combattu pendant près de deux siècles pour rester sujets ;
et ils se rendaient parfaitement compte de leur position. Car
S. Grégoire II écrivait à Léon l'Iconoclaste : « Quant à vos
insolences, à vos insultes et aux menaces que vous nous faites,
nous n'avons pas même besoin d'entrer en lutte avec vous.
Le Pontife romain se retirera à 24 stades de la ville, dans la
campagne de Rome. Venez alors, et battez-vous contre les
vents1. » Par conséquent l'hypothèse d'une interpolation du
Liber Diurnus, contemporaine des événements, est une hypo
thèse que, par euphémisme, j'appellerai seulement témé
raire.
En désespoir de cause, se rejettera-t-on sur une interpola
tion tardive faite à une époque où le Liber Diurnus était tombé
en désuétude? L'adage philosophique, — rien ne se fait sans
raison suffisante, — serait de mise en cette circonstance. Mais
on peut procéder plus directement et démontrer que le fait
est positivement faux. La preuve n'a jamais été développée,
et elle ne laisse pas que d'offrir un côté piquant. •
Le 25 décembre 795 était mort le Pape Adrien Ier, et son
corps fut porté à l'abbaye de Nonantule, près de Modène : c'é
tait du moins la tradition de l'abbaye. Assez longtemps après,
un moine voulut écrire la vie du Pontife qui dormait dans son
monastère. Il pensa que son travail aurait peu de mérite s'il
n'offrait une certaine étendue : les biographes du ixe siècle
obéissaient aux mêmes tendances que ceux du xixe. Mais le
nôtre imagina un procédé qu'on n'inventerait plus aujourd'hui.
Pour grossir son livre, il copia aux endroits convenables les
formules du Liber Diurnus. La profession de foi des Pontifes
élus trouva sa place comme les autres, et ainsi l'ingénieuse
idée du bon moine nous a valu un moyen de confrontation
assez inattendu. Nous pouvons donc affirmer que, dès le

• Ep. 42. — Vid. Migne, Patrol. lat., t. LXXXIX, col. 619, C.


378 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
IXe siècle1, cette pièce était telle que nous la lisons aujourd'hui;
La troisième preuve est encore plus forte que les deux pré
cédentes, et elle est aussi neuve que péremploire. C'est l'affir
mation d'un témoin oculaire, d'une probité au-dessus de tout
soupçon, ert un mot, de saint Germain de Constantinople,
l'un des promoteurs du VF Concile. Ce grand et saint patriar
che nous a laissé dans un ouvrage, édile pour la première fois
par le cardinal Mai, l'attestation formelle de la condamnation
d'Honorius. « On formula donc, ce sont ses expressions, une
définition dans laquelle on sanctionna les cinq Conciles pré
cédents, on décréta un symbole de foi. a et l'on anathématisa
Sergius, Honorius et leurs sectateurs *. »
Après de telles preuves, il est peut-être inutile d'apporter
le témoignage de Bède (671-735) et celui du Liber pontificalis,
qui* dans la vie de saint Léon II, mentionne positivement la
condamnation d'Honorius5. Ceux qui déclarent interpolés oïl
supposés les témoignages précédents, n'ont garde de s'arrêter
en si beau chemin, et ils se prononcent encore pour l'inter
polation des deux textes que nous venons de mentionner;
Quant aux témoignages grecs, on s'en débarrasse par une
autre voie. Le Concile in Trullo (692) nomme Honorius parmi
ceux qui furent anathématisés; mais, dit-on, cette assemblée
se composait de prélats coupables, indifférents ou timides. Le
VIIe et le VHI° Concile œcuménique ont été trompés par des
actes altérés, et ainsi de suite.
Je n'irai pas plus loin : aussi bien serait-ce perdre le temps.
En résumé, ltt condamnation d'Honorius est attestée par tous
les documents Contemporains du VIe Concile et par tous les-
docutnents postérieurs, pendant Un espace de 200 ans. Il faut
descendre jusqu'à Anflstase le bibliothécaire pour trouver, je
ne dis pas une négation, mais uri essai d'explication^ Su bout
duquel on aperçoit le désir de nier. On doit donc renoncer à
toute certitude historique ou admettre la condamnation d'Ho
norius.
* Mabillon. lier italicum, t. I, p. Il, pp. 38-44. L'époque ou celte vie a été
écrite peut se conjecturer soit par l'âge des manuscrits, soit par le récit qui la
termine p. il.
» Migne, Pat. gr., t. XCVIII, col. 76, A. Cf. col. 31, n° 23.
* Bède, De temporum ratione, c, LXVI. Migne, Pat. lat,, t, XC, col. 568, A. —
Lib. Pontif. Mig., t. CXXYI1I, Col. 847, nMil
Et F,*WFAïLLiBILlTÉ DU PAPE* 379
Si qUelcjde chose pouvait affermir encore cette conclusion,
ce serait la pauvreté des arguments négatifs mis en avant par
les adversaires. Ils arguent du silence de saint Théophane, qui
ne nomme pas un des personnages condamnés au VIe Concile
et qiii semble avoir ignoré jusqu'à l'existence du Pape Hono-
rius1. Celte réponse vaut également pour les deux textes de
Paul Diacre* que l'on allègue. Quand à Palamas, il nomme
seulement les patriarches de Coristantinople par animosité
contre les êvêqués de la ville royale5; je n'ai pds besoin d'a
jouter qu'en général les arguments négatifs sont de nulle va
leur quand ils sont combattus par des arguments positifs;

XXV

J'oserais même aller plus loiri, et soutenir tjUe, éi tous les


témoignages étrangers au VIe Concile disparaissaient à la fois,
on ne pourrait encore dduter de la condamnation1 d'Hoilorius.
Et d'abord1, parce cjUe la falsification substantielle dès actes
d'un Concile est une chose matériellenient impossible. Com
ment de graves auteurs ecclésiastiques ont-ils pu passer par
dessus cette impossibilité? on ne le comprend pas. 11 semble
rait, en effet, qu'Une tentative si risquée lut permise seule
ment à des novices ignorant profondément comment les cho
ses se passaient dans lès anciens Conciles. Un mot mettra
cette vérité dans Une complète évidence. Chaque patriarche,
au moins, avait dans le Concile des notaires qui écrivaient
sur-le-champ tout ce qui s'jr disait et s'y faisait; après chaque
séance dû rédigeait, sur ces notes, lfe procès-verbal, qui était
adopté dans Une réuhiort suivante. Supposé que du procès-
verbal bn tirât Un seul et ùniqUè exemplaire, encore ést-il
qu'en retournant chez eux, les notaires emportaient leurs
• S. Théophane nomme ceux qui furent condamnés au concile de Latran. Ed.
Paris, p. 275. Mais arrivé au 6* concile il mentionne seulement la définition de
foi. lbid.
• Uistoria, Langobard., VI; lib. Mig. Pat. lat., t. XCV. col. 626, A. « Èanc
auicm liœresim excilarutilGregorius patriarcha Couslanlinopolitanus, Macarius,
Pyrrhus, Paulus et Pctrus. i — Hùtorià miicella, 1. XIX, lbid., coï. 4957, G.
L'auteur he nomme que Sergius et Pyrrhus.
' llard. Concil., t. XI, col. 3iS, C; — Palamas avait d'abord été cèrJdàmné
par le patriarche do Constanlinople.
380 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
manuscrits, d'après lesquels il était toujours possible de con
trôler la vérité des actes présentés. Immédiatement après la
tenue du Concile se trouvaient donc déposées en lieu sûr des
pièces qui rendaient toute falsification impraticable.
On insiste, il est vrai, et l'on cite des Conciles dont les
actes ont été altérés. Dans le sixième, en particulier, on cons
tata que le patriarche hérétique d'Antiocbe avait interpolé les
actes du cinquième : c'est l'exemple le plus authentique. Que
prouve-t-il? L'impossibilité de faire une semblable tentative
sans aboutir à une honteuse déconvenue. Macaire avait accolé
aux actes du Concile, par manière de préface, une pièce apo
cryphe depuis longtemps en circulation, et ajouté à la sep
tième session deux petites pièces à la place, sans doute, d'un
morceau de même étendue, que nous y voyons encore. Pour
réussir, le patriarche disposait de moyens considérables, et
cependant quel fut le résultat? Sa fourberie fut tellement
mise à nu qu'on put en nommer en plein Concile tous les
complices et jusqu'au relieur qui avait substitué le feuillet al
téré au feuillet primitif.
A cette considération générale s'en ajoutent d'autres, par
ticulières au VI* Concile. Pour soutenir que les actes en ont été
falsifiés, on est d'abord obligé de déclarer que le diacre Aga-
thon fut un misérable, puisqu'on le reconnaît comme le com
plice, sinon comme l'auteur, d'une falsification sacrilège; et,
d'un autre côté, il faut avoir une confiance si grande dans ses
affirmations que sur elles seules on base la certitude d'un
fait aussi grave et aussi incroyable1. Son témoignage et la
lettre de Justinien II au pape Jean semblent établir, il est vrai,
que l'on avait tiré des actes du Concile un seul exemplaire
authentique. Mais cela n'empêche nullement qu'on n'en ait
transcrit plusieurs autres sous forme ordinaire, ou du moins,
dès l'origine, laissé faire une version latine; plusieurs témoi
gnages démontrent qu'il en fut ainsi.

1 Combéfis, dans son Historia hœreds monothelitarum, â publié une pièce de


vers adressée par André de Crèle au diacre Agaihon. Ce morceau prouve et le
peu de fondement des accusations portées contre la foi d'André, et l'estime que
ce grand archevêque faisait de notre diacre. Le sujet même de la pièce est loin
d'être indifférent à la matière présente : André y remercie Agathon de lui avoir
laissé prendre copie des actes du Ca concile-
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 381
L'auteur, à peu près contemporain, de la Vie de saint
Léon II cite la traduction qu'on avait laite avec beaucoup de
soin : < Sicut eadem synodus studiosissime in latinum trans
lata déclarât'. » Ce témoignage est confirmé parla lettre de
saint Léon II aux évêques d'Espagne, car il y annonce qu'on
travaille encore à cette traduction et qu'il ne peut la leur en
voyer, parce qu'elle n'est pas terminée 2. L'auteur, également
contemporain, de la Vie de Jean V, déclare que ce souverain
pontife, auparavant diacre-légat de saint Agathon au VIe Con
cile, revint à Rome avec les actes de l'assemblée. « Secum de-
tulit ipsam sanctamsextam synodum3. > Enfin, comme nous
avons vu, la version vulgaire est empruntée au manuscrit de
Beauvais, écrit du temps du pape Sergius (687-701), ou tout
au moins transcrit sur un exemplaire de cette époque.
Les actes du VI' Concile n'ont donc pu être falsifiés ; leur
authenticité et leur intégrité sont hors de cause*.

XXVI
Il faut bien l'avouer : cette conclusion n'aurait jamais été
attaquée, si le sixième Concile avait gardé surv Honorius le
même silence que celui de Latran. Beaucoup d'auteurs se sont
imaginé qu'il en devait être ainsi, et ne comprennent pas que
l'abstention du synode de Rome n'ait pas entraîné l'absten
tion du Concile œcuménique. Un simple coup d'oeil, jeté sur
les faits accomplis entre la mort d'IIonorius et l'an 680, prouve
que ces auteurs n'ont pas bien saisi le véritable état des es
prits et des choses.
Pyrrhus-, comme je l'ai déjà rappelé, livre au public la lettre
d'Honorius.Les mots : « Nous confessons une volonté de Jésus-
Christ, » — a nous vous prions d'éviter les termes nouveaux
d'une et deux opérations,'etc., » avaient trop de rapports ma
tériels avec les formules hérétiques pour qu'il ne fût pas

1 Migne, Pat. lat., t. CXXV1II, col. 847, n» 448,1. XI, XII.


• Hard-, 1. 111, col. «734, A.
• Migne, Pat. lat., t. CXXVI1I, col. 875, n° 154, 1. X.
• Je ne m'arrêterai pas à réfuter l'histoire de la falsification des actes des con
ciles ni même à démêler ce qu'elle peut contenir devrai, le premier travail
serait inutile, le second sans importance. Plus loin je répondrai aux objections
contre l'authenticité des actes.
382 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
facile d'en abuser auprès des simples , et de leur persuader
que la nouvelle doctrine avait compté parmi ses auteurs un
patriarche de l'ancienne Rome. Nous ne ferons pas tort aux
monothélites en supposant qu'ils employèrent tous les moyens
pour augmenter le préjugé populaire. Ils y réussirent : car
saint Maxime et son disciple saint Anastase furent réellement
troublés par ces lettres. Jean IV et Jean Symponus, il est vrai,
lancèrent leurs apologies. Comme il arrive toujours en sem
blables circonstances, ces justifications firent du bienà quel
ques âmes de bonne volonté; mais parvinrent-elles à la con
naissance du peuple, il n'est pas même besoin de le demander.
L'autorité du prince hérétique qui régnait à Copstantinople,
le concours que lui prêtèrent successivement plusieurs patriar
ches hérétiques démontrent qu'on empêcha par tous les moyens
la diffusion de ces pièces. Ceux qui tuaient les orthodoxes
n'étaient sans doute pas d'une délicatesse exagérée sur le
choix des procédés. '
Du reste le peuple, qui s'arrête aux mots, aurait été peu
frappé de ces réponses, qu'on ne pouvait apprécier sans entrer
dans le fond des choses. En Orient donc, Honorius continua à
être regardé comme un des chefs du monothélisme.
En Occident même on n'était pas très-satisfait de sa con
duite ; les paroles du clergé de Rome à saint Anastase le prou
vent assez1, et on peut confirmer cette assertion par un fait
grave, bien que le fait ait été produit plus d'une fois comme
un argument en sens contraire. Dans le Concile de Latran,
célébré en 649, le nom d'Honorius fut invoqué en faveur de
la nouvelle secte par Paul de Constantinople. Le Concile ne
s'émut nullement de cet incident, et pas un mot ne fut pro
noncé pour ou contre le pontife outragé par ce malencontreux
éloge. Aurais-je tort d'affirmer que les Pères auraient suivi une
tout autre marche s'ils avaient pu démontrer victorieusement
la prudence des actes d'Honorius?
Cependant, sur ce pontife, les Occidentaux comprirent tou
jours mieux la vérité que leurs frères d'Orient. Avec le temps
même on en vint à penser que la ligne de conduite tracée par

» S. Anastase trouva le clergé de Rome « affligé au sujet de la lettre d'Hono


rius et s'excusant. » S. Max. ad Marinum. Mig. Pat. gr., t. XCI, col. 346, G.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 383
lui n'avait pas manqué de sagesse. Cette assertion ne s'appuie
sur aucun témoignage direct. Mais si telle n'avait pas été la
pensée de l'Occident, saint Agathon n'aurait jamais sopgé à
louer Honorius d'avoir imposé silenGe aux patriarches héréti
ques. Il ne serait donc pas téméraire d'affirmer que si le Con
cile se fût tenu en Occident, la condamnation d'Honorius n'au
rait pas même été proposée ; ou, si les Grecs avaient osé la
mettre en avant, elle aurait été repoussée à l'immense majo
rité des suffrages. Par malheur pour le Pape, l'assemblée se
tint en Orient : là on ne considérait nullement les choses du
même œil. Les noms de tous les papes qui avaient succédé à
Honorius étaient omis dans les diptyques, comme ceux d'au
tant d'hérétiques et d'excommuniés. La reconnaissance imper
riale y avait fait mettre celui de saint Vitalien; mais le vrai
chefdes sectaires, Macaire d'Antioche, insistait fortement pour
qu'il en fût enlevé lui aussi. « Il ne pouvait consentir, disait-
il, qu'on fit mémoire des patriarches successeurs d'Honorius
sur le siège de la sainte Église romaine, jusqu'à ce qu'on eût
examiné les expressions au sujet desquelles les églises d'Orient
et d'Occident sont divisées , et qu'on se fût mis d'accord sur
cet article1... » L'empereur, par un sentiment de gratitude et
d'équité, se roidit alors contre ces exigences ; mais cet inci
dent montre combien était profonde la différence que mettaient
entre Honorius et les autres papes les chefs de l'hérésie; leurs
adeptes , moins instruits de la vérité , devaient partager les
mêmes sentiments ou les exagérer encore.
En 680, le monde chrétien était donc divisé au sujet d'Ho
norius. Son orthodoxie était reconnue par le Pape et par tout
l'Occident. En Orient, les hérétiques avaient fini par le faire
passer pour un de leurs chefs véritables. Ce fut au milieu de
cet antagonisme de sentiments que s'ouvrit le sixième Concile.
Tout faisait pressentir une discussion, peut-être une lutte ter
rible, sur un sujet si grave et si brûlant.
XXVII
Il n'en fut rien cependant. A en juger par les actes, aucune
assemblée ne fut plus pacifique. La condamnation même d'Ho-
1 Letlre de Constantin IV à S. Agathon. Hard. Concil., t. III, col. 4048, C, D.
384 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
norius vint à son heure , sans empressement, sans réclama
tion, d'une manière en apparence si simple et si naturelle, qu'à
une première lecture on sent à peine le besoin de réfléchir et de
se demander s'il n'y a pas quelque difficulté cachée sous cette
surface si tranquille. Avec la méditation , il est vrai, les idées
se modifient. Mais avant de voir jusqu'où l'étude peut mener,
il est nécessaire d'extraire fidèlement des actes ce qui regarde
Honorius. Je traduirai à peu près intégralement ce qui le con
cerne; car ici encore je veux que le lecteur puisse par lui-
même établir un jugement.
Dès la première session le nom d'Honorius fut prononcé.
Les prélats s'étaient plaints des nouveautés introduites par Ser-
gius, Pyrrhus, Paul, Pierre de Constantinople et Cyrus d'A-
lexandrie.Macaire d'Antioche ne manqua pas de leur répondre :
« Nous n'avons introduit aucune nouveauté de paroles. Mais
nous avons suivi les enseignements des saints Conciles géné
raux, des saints Pères qui font autorité, despatriarches de cette
royale cité, Sergius, Paul, Pyrrhus et Pierre, aussi bien que
ceux d'Honorius, qui fut pape de l'ancienne Rome l. » Aucune
réclamation des légats sur cette observation ne nous a été
conservée.
Le même incident se reproduisit dans la huitième session.
Quand Macaire fut interrogé sur sa foi, il déclara de nouveau
qu'il tenait la foi d'Honorius < inspiré de Dieu', » et on lut
sa profession solennelle, où il anathématisait Maxime « et son
dogme impie, la division en Jésus-Christ, dogme qu'ont re
poussé nos pères, Honorius, Sergius, Cyrus5... » Jusqu'ici le
procès d'Honorius n'est point encore engagé. Rien dans les
actes ne fait pressentir qu'on veuille procéder à son jugement ;
du reste, snns déroger à la marche ordinaire des Conciles, on
ne pouvait agir d'une autre manière.
Dans ces saintes assemblées , on commence par établir le
dogme ; puis les Pères s'examinent eux-mêmes à la lumière
des vérités qu'ils viennent d'étudier: enfin, quand l'orthodoxie
des juges est constatée, on passe au jugement des autres et à

1 Hard., t. III, col. 1060, B.


» Ibid., col. 4468, D.
• Ibid., col. 4173, D.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 385
diverses affaires : ainsi fut-il fait au troisième Concile de Cons-
tantinople.
Dans les trois premières sessions (7-10-13 nov. 681), on
lut les actes du troisième, du quatrième et du cinquième Con
cile œcuménique. La lettre du Concile de Rome et celle de saint
Agathon furent présentées dans la quatrième session (1 5 no
vembre). La lecture des textes allégués en faveur de l'hérésie
par Macaire d'Antioche occupa la cinquième et la sixième
(7 décembre 680-12 février 681). Pendant la septième (1 3 fé
vrier) les prélats produisirent à leur tour des citations en
faveur de la doctrine catholique. La huitième (7 mars) fut
consacrée à entendre les adhésions des Pères à la lettre de
saint Agathon. Georges de Constantinople, convaincu, se ran
gea au parti de l'orthodoxie. Macaire d'Antioche , s'obstinant
contre l'évidence, fut condamné et dépouillé du pallium, insigne
de sa haute position. La neuvième et la dixième session (8 et
18 mars) furent encore consacrées à l'étude des autorités
apportées de part et d'autre. Un disciple de Macaire, l'abbé
Etienne, fut associé à la punition de son maître.
Arrivé à ce point, il semblait que la tâche du Concile fût
à peu près terminée. En effet, que lui restait- il encore à
faire? Convaincre les hérétiques vivants par leurs propres
écrits, confirmer la condamnation prononcée contre les morts,
dresser une profession de foi opposée aux erreurs anathéma-
tisées : après quoi les Pères pouvaient retourner à leurs
églises.
Mais un incident qui s'éleva à la fin de la dixième session fit
entrer le Concile dans une nouvelle phase. Les députés de
l'Église de Jérusalem demandèrent qu'on fit lecture de la
lettre synodale écrite par saint Sophrone à Sergius, mais par
lui rejetée, et qu'on rétablit la mémoire de leur saint patriar
che. Leur demande fut exaucée dans la onzième session (20
mars), et ainsi fut repris le procès des morts. Puis on pro
duisit les écrits de Macaire et d'Etienne, et on les trouva aussi
éloignés de la doctrine catholique que conformes aux idées des
hérétiques antérieurs. La réunion allait se terminer, quand
une parole de l'Empereur vint engager le Concile plus avant
que jamais dans la voie ouverte par les députés de Jérusalem,
et donner occasion au jugement d'Honorius. Constantin dé-
iv« sfrie. — T. v. 25
3Ç6 14 f#NDAMNATIO;y D^QNORIUS
clara^ qup d>Ruis tfft aH I1 PflRseFvajt quplques papiprs <fon,t il
n'avait jamais pris connaissance. Le Concile les fit lire $ans la
douzième session (22 mars), k laquelfe J'Emperpur ne put as
sister. Qn trouva que ces papiers contenaient entre autres
choses, deux lettres de Sprgius, l'une à Cyrus, alors, pvêqqe pie
Pp,asp, l'autre à Hoporiqs, pf. la r^ppnse de celui-pj. Dès, que.
cette lecture fut terminée, les Pèrps prescrivirent au bibliptpé-
caire de l'église patriarcale d'apporter tpuf; pe qu'il pourrait
trouver d'éprits composés par Sergius pt Honprius, afin ç|e le,»
cqjlationnep avep les cahiers présentés par Macaire. On obéit.
Quand on put copstaté l'authenticité des trpjs pièces lues
dans la séance, « les très-glorieux juges dirent : Votre Con
cile saint et universel a pris connaissance des pièces qui vien
nent d'être lues et cpljationnéps. Qu'il fasse maipténant ce
qui lui semblera bon relativement à Sergius, autrefois patriar
che de cette royale cité, à Honprius, jadis pape de Rome, p£
à Sophrone, jadis patriarche de Jérusalem1, ? Le Concile pro
mit d'examiner cette affaire plqs attentivement dans la séance
suivante. Il décida que Macaire pe pourrait être rétabli sur le
siéee d'Àntioche. Après quoi la session fut close, mais les juges
n'avaient pas manqué de rappeler aux Pères jeur promesse
au sujet de Sergius, Honorius et Sophrone.
L'affaire d'Honorius fut reprise dans la treizième session
(28 mars). Dès l'ouverture de la séance, le protonotaire de
l'Église de Constantinople fit l'essquvenir les Pères de l'enga
gement qu'ils avaient pris à la fin de la session précédente. On
relut les actes de la douzième session , et aussitôt les évèques
formulèrent leur avis : « Avant revu les lettres dogmati-
ques de Sergius... ainsi que la réponse faite par Honorius ^u
môme Sergius, et Jes trouvant tout à fait éloignées pies dogmes
apostoliques, des définitions des saints Conciles et de tpus les
Pères qui font autorité , conformes au contraire à la fausse
doctrine des hérétiques : nous les rejetons absolument et nous
lesexécpons pomme nuisibles aux âmes. Puisque nous exécrons
leurs dogmes impies, nous jugeons qu'on doit ô\er leurs noms

• Hardouin, Concil., t. III, col. 132o, E. La lecture de la lettre d'ITonorius


fut précédée de ces simples mots : « également on lut dans le môme cahier là
copie de lalettre d'Honorius pape romain au même Sergius : en voici la teneur. »
Puis vient le texte dont j'ai donné la traduction.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE- 387
des égl jses de Dieq î. . . » Le Coppi|p épumère tops les, person
nages condamnés par saint Agathon : ? Aypc eux nous reje
tons également de la sainte pt cjjvjpp Église cathpliqup, ef, nous
soumettons à l'anathème Hopprius , autrefois pape de |'ap-
cieppe Rome, parce que nous ayons trouvé dans sps écrits à
Sergius qu'il suit en tout sa perjspe et qu'ji a confirmé ces
dogmes impjps*. » Icj le scholiaste grec n'a pu s'pmp^cfipr pjp
remarquer combien ce jugpment diffèrp dp pejni c|û fnp,rtyr
saint Maxime 5.
Le Concile voulait, sans aucun pxamep? ponfirmer fo sen
tence prononcée par saint Agathon contrp les autres pqppables :
mais les jugps les contraignirent à examippr leurs écrits.
On lut donc déférentes pièces et différents extraits épqanés
de Cyrus, de Théodore de Pharan, des patriarches Pyrrqu§,
Paul et Pierre, qu'on trouva coupables. Lpiirs sucpesseurs
fureq^ déclarés innocents. Les actes ne nous onr r'en conservé
de Jeurs écrits, qu'il aurait été cependant si instructif de cpm-
parer avec ceux du pape. On produisit dp la seconde lettre
d'IJoporius les fragments que nous avons rapportés*. On lut
encore quelques autres pièces, puis « le Copcile dit : Aprps
avoir pris connaissance de ces lettres... et de ces papiers...
nous avons trouvé qu'ils aboutissent tous à ime seule et mêmp
impiété. Nous voulons donc que ces œuvres profanes et nui
sibles à l'àme soient immédiatement brûlées, afin que leur
destruction devienne complète. » Et on les prpla5.
Parmi ces pièces se trouvaient les deux lettres d'IIpnorius.
Elles subirent le même sort que les autres. Les légats n'é|pvèr
rent aucune réclamation. Pendant ces deux séances si impor

• Hard., Concil., t. III, col. 1332, D, E.


« Ibid., col. 1333, A.
* Ibid., note.
* Le concile avait ordonné au bibliothécaire Georges d'apporter les écrits de
Sergius, Pyrrhus, Paul et Pierre afin de les détruire. Georges remplit sa com
mission et annonce qu'il a trouvé aussi « une seconde lettre d'Honorius. » Le
concile commande de lire les autres pièces afin de les détruire si elles sont con
traires à la foi. Puis il ajoute: « Quant a la lettre latine d'Honorius..... que
Georges vient, nous dit-il, de trouver et qu'il a entre les m?.ins qu'il la
donne pour qu'on la lise afin d'en avoir connaissance. On présenta la lettre
d'Honorius avec sa traduction. Elle portait pour inscription... » Suit le texte
que j'ai donné.— Hard. Concil., t. III, col. 1352, B, D.
• Hard., Concil., t. III, col. 1353, E.
388 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
tantes, l'un d'eux collationna la première lettre d'Honorius
avec l'original latin : à cela se borna tout leur rôle.
Dans la quatorzième session (5 avril) , on s'occupa de la
falsification des actes du Ve Concile, constatée déjà pour ceux
du IIIe. Un vieux fanatique, Polychrone, fut condamné dans la
quinzième (26 avril), après qu'il eut tenté inutilement, pen
dant plusieurs heures, d'opérer la résurrection d'un mort
pour prouver la vérité du monothélisme.
Le nom d'Honorius reparait à la seizième session (9 août).
Le Concile condamna d'abord un prêtre d'Apamée.PuisGeorges
de Constantinople voulut faire rayer du nombre des condam
nés ses quatre prédécesseurs. Mais on s'y refusa et l'on pro
nonça les acclamations et anathèmes , parmi lesquels on lit :
« A Honorius, hérétique, anathème1. >
La dix-septième session (1 1 septembre) fut consacrée à
convenir de la définition dogmatique. Restait à la promulguer
et à clore par là le Concile. Cette cérémonie se fit dans la dix-
huitième et dernière session (16 septembre 681). Les Pères,
après avoir adhéré aux décisions des cinq Conciles précédents,
ajoutent que leurs définitions étaient sans doute suffisantes.
« Mais, poursuivent-ils, parce que le démon, inventeur de la
malice... ayant trouvé des organes propres à ses desseins...
Théodore... Sergius... Honorius, qui fut Pape de l'ancienne
Rome. .. a suscité par eux dans l'Église de Dieu, le scandale de
l'erreur d'une volonté et d'une opération en deux natures...
du Christ*... Le Christ-Dieu a enflammé le zèle de l'Empereur
et lui a inspiré de rassembler le Concile actuel. > Ils font en
suite profession de recevoir la lettre de saint Agathon, de con
damner ceux qu'il condamne ; puis ils définissent qu'il y a en
Jésus-Christ deux volontés et deux opérations.
Dans ces acclamations, les Pères ne manquèrent pas de re
nouveler les anathèmes contre le Pape : « A Sergius et à
Honorius, anathème... à tous les hérétiques, anathème3. » Us
ne l'épargnent pas davantage dans le discours solennel qu'ils
adressent à l'Empereur : « Quant aux nouveautés funestes de
paroles et à leurs auteurs, nous les rejetons hors de l'Église
' Hard., Concil., t. III, col. 4385, D.
* lbid., col. 1397, C, D, E.
* Hard., Concil., t. III, col. 1413, D.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 389
et nous soumettons à un juste anathème Théodore, Sergius...
et avec eux Honorius, évêque de Rome, qui les a suivis dans
leurs erreurs1. » La lettre adressée au pape saint Agathon
contient à peu près les mêmes choses : « Nous avons percé du
glaive de l'anathème, d'après la sentence que vous avez portée
auparavant contre eux dans vos lettres : Théodore, Sergius,
Honorius, Cyrus*. » L'Empereur ne fut guère moins acerbe
dans son édit. Parmi les prêtres sacrilèges qui ont introduit la
contagion, il compte : « Honorius, pape de l'ancienne Rome,
confirmateur de l'hérésie, peu d'accord avec lui-même*, » et
plus loin il anathématise « Honorius, le fauteur, le coopéra-
teur et le confirmateur de l'hérésie s; » mais il évite de le nom
mer, soit dans sa lettre à saint Léon II (1 3 décembre 681 ), soit
dans celle qu'il écrit au Concile de Rome (23 décembre 681).
Je laisse pour le moment les paroles de saint Léon II en
confirmation de la sentence du Concile : j'aurai plus tard à y
revenir. Mais, sauf ce passage, le lecteur a sous les yeux tout
le procès d'Honorius. Je n'ai voulu interrompre par aucune
réflexion cette reproduction matérielle des textes et des faits,
plus assuré par là même de les présenter tels qu'ils sont et
sous leur véritable jour. Mais je ne puis m'en tenir là; et,
après m'être effacé totalement dans ce travail préliminaire,
il faut bien que je dise à quelles pensées conduit une pre
mière méditation des paroles et des événements que je viens
de rappeler.

XXVIII

En rapportant les objections contre l'authenticité des actes


du VIe Concile, j'avais énuméré quatre contradictions majeures
qu'on a cru découvrir dans ces pages, en apparence exemptes
de tout reproche.
Première contradiction. — Selon les actes du VI8 Concile,
tels que nous les avons, Honorius est hérétique proprement
dit et ne l'est pas.

1 Hard., Concil., t. III, col.H24,C


* lbid., col. 1437.
» lbid., col. 1448.
* lbid., col. 4457, A.
M LA CbftDAMfiÀTtÛ'ft U'HONORIUS
. Seconde contradiction. — Il est au ihoins fauteur d'hérésie
et il ne n'est pas.
Troisièrtie cbntradictioh. — Il est jugé par le VIe Concile et
il né l'est pas.
Quatrième contradiction. — Il est condamné par le Concile
et ne l'est pas.
Si le lecteur veut preftdre la pëihe de comparer les dévelop
pements donnés dans le second article à ces quatre proposi
tions, et lés textes que je viens de lui mettre sous les yeUx, il
ne sera probablement pas éldighé d'admettre que de ces quatre
contradictions trois paraissent bien réelles.
Prenons ert effet la première. De graves auteurs cherchent à
montrer ûhe différence profonde entre la sentence rendue
cohtre le Pape et la sentence rëridue contre ses co-accusés.
Mais eh Vérité aucune différence vraiment fondamentale ne se
laisse apercevoir, et je rie puis in' empêcher de periser que les
Pères du VI" Concile traitent Honorius en hérétique formel ou
à peu près ; et cependant ses lettrés sont orthodoxes ; leur
orthodoxie est reconnue par les papes Jèari IV fet saint Aga-
thon aussi bien que par le martyr saint Maxime.
Je négligé là dedxième contradiction, parce que lé second
merilbre n'en est pas suffisàttimeiit démontré et que je le re
garde même comme entaché de fausseté.
Mais la troisième est biert positive et mérite qiie nous y insis
tions un moment. Rappelons plusieurs propositions certEllries :
1° Les écrits d'Honorius sont susceptibles d'une explication
simple, naturelle, sérieuse, qui met leur orthodoxie hors de
cause ' ; %" durant l'espace de quarante ans, cette orthodoxie
n'a été combattue qu'en faisant abstraction de l'hypothèse
dans laquelle le Pape s'était placé, et elle a été vengée sans
aucune peine; 3° non-seulement le Pape saint Agathon ne
condamnait pas son prédécesseur, mais, à prendre sa lettre
dans le sens obvie, il en approuvait pleinement la conduite.
Et ceperidant Honorius est condamné sans qu'on discUte le
sens de ses lettres, sans qu'on se préoccupe des témoignages
imposants rendus en sa faveur, sans qu'une seule voix, pas

1 Je ne parle pas de l'explication que j'ai promise, p. 272, noie 3, mais de


l'explication commune.
ET WîtfÀILLiblLlTÈ Db 4>APfe. 39 1
firiefne celle aés lëgàté dit sàitit-siége, s'ëlève pour sa défense.
Peiit-bH dire tjù'il ait été jugé?
Objectera-t-bH (jtl'bri a téhii envers lui là" mênië conduite
qu'envers les autres coupables, Sergius, Pyrrus, Paul, etc. ?.. .
La réponse est évidente : les conditions étaient toutes diffé
rentes. Tous ces autres personnages, accusés dès leur vivant,
condamnés successivement par plusieurs Papes; détestés par
tous les catholiques, n'avaient nullement besoin d'être jugés.
Le Concile le sentait si bien que les officiers de l'Empereur fu
rent obligés d'user de contrainte pour amener les Pères à faire
cette procédure inutile. D'ailleurs, chez les vrais chefs du mo-
nothélisme , le crime d'hérésie était aussi notoire qu'il reste
problématique dans HonoriUs. Par conséquent, cette objec
tion est sans force; ou plutôt elle se retourne avec forcé contre
ceux qui la mettent en avant. Si donc, en présence de cette
difficulté, vraiment sérieuse, nous ne concluons pas à la falsi
fication des actes du VI° Concile, nous sommes au moins dans
la nécessité de convenir que le jugement rendu cohtre Hond-
rius a été incomplet, précipité et très-peù conformé aux règles
de la justice.
Quant à la quatrième contradiction, elle est flagrante. Dans
sa lettre adressée au pape saint Agathon ï le Concile avance
sciemment une proposition contraire à là vérité. Il affirme
qu'il condamne ceux qu'a préalablement condamnés saint
Agathon, et il comprend parmi eux Honorius, que le Saint
Pape n'avait bertalnëmërit rii nbmiiié ni sOUs-èritéhdu. Il l'a
vance sciemment : cela est évident, et l'on ne peut même se
rejeter sur une inadvertance; carj dans la treizième session,
lès Pères avaient eu bîeri soin de brehdrè à leur charge lit cdh-
damnation d'Honorius et de le distinguer de ceux qu'avait flé
tris son successeur.
Donc en résumé, que la cbhdaninàtiori d'HoribriÙs sdit juste
od non dans le fond, il reste certain que la procédure dirigée
contre lui a été conduite en dehors de toutes les règles, que
sa ëotidamnatlbil fut exprimée plusieurs fdis dàrtë deâ termes
d'une dureté qui va jusqu'à l'injustice, et que, dans leur lettre
au pape saint Agathon, ies Pères usent d'un artifice bien peu
digne de prélats chrétiens1: Telles sorit les conclusions qu'un
' Nous verrons plus loin une explication qui tend à diminuer de beaucoup
392 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
premier coup d'oeil arrêté sur les actes oblige à tirer. Mais
que sera-ce si nous pénétrons plus avant et que nous réta
blissions la véritable histoire de cette condamnation ?

XXIX

Pour y parvenir, il est nécessaire d'entrer dans une courte


discussion chronologique sur l'époque de la mort de saint
Agathon et sur celle du sacre de saint Léon II. La certitude
de ces deux points est indispensable à tout ce qui doit suivre.
Saint Agathon mourut le 10 janvier1; mais quelle année?
Nous soutenons que ce fut le 10 janvier 681 *, entre la cin
quième et la sixième session du Concile, et non le 10 jan
vier 682, après la clôture du Concile, comme le veulent Ba-
ronius et bien d'autres après lui. Les preuves sont évidentes.
Dès le 13 décembre 681, l'empereur Constantin adresse une

l'odieux que jette sur le concile un fait aussi étrange. — Faute de trouver une
place naturelle, je vais donner ici la solution de l'objection qui résulte, pour
l'authenticité des actes, de la comparaison faite entre eux et leur abrégé dans le
Liber Pontificalis. 4° Cette objection prouve trop. Le faussaire aurait été tout à
fait inepte s'il avait changé des choses indifférentes comme la date des ses
sions... 2.° La raison de la première bévue (22 novembre pour 7 novembre) saute
aux yeux. Le texte latin porte : anno vigesimo secundo die septima. 3° En par
courant la version latine du collège Louis-le-Grand, on entrevoit la cause de
presque toutes les autres erreurs. Les séances du concile se trouvaient réparties
en différents cahiers, quelquefois deux ensemble; et les cahiers avaient été
assemblés dans le plus grand désordre. Quelques-uns n'étaient pas numérotés.
Les dates auront été prises en tête de chaque cahier, et avec une certaine négli
gence. Le nombre des sessions se trouve ainsi réduit, leur ordre bouleversé,
quelques-unes laissées sans date. 4° Je donnerai plus loin une conjecture pour
expliquer comment dans l'abrégé manquent les dernières sessions. 5° II n'y a
pas lieu de s'étonner si l'on trouve de pareilles erreurs dans le Liber Pontifi
calis, ouvrage si précieux d'ailleurs et si plein de détails rigoureusement
exacts : ce livre a reçu des additions à différentes époques, et quelques-unes ont
été faites par des hommes fort peu instruits.
* « îv idus Januarii. » Lib. Pontif., Migne, Pat. lat., t. CXXV1II, col. 84 1 , n°
446, 1. X. —Au sujet de cette date, voir les Bollandistes, 40 janvier, p. 623,
n0' 4-3. — Ann. Eccles. Grceco-Slav., t. XI, octob., p. 75. Tous les monu
ments qui indiquent la date de la mort, s'accordent à la fixer au 4 0 janvier. La
lettre apocryphe à l'archevêque de Vienne a trompé plusieurs savants. Pape-
brock, sans aucune preuve et en niant l'authenticité des lettres de saint Léon II,
fixe cette mort au 4" décembre.
* Dans tout ce paragraphe je suis d'accord avec H. Jaffé, l'auteur du Regesla
summorum pontificum.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 393
lettre à saint Léon II, successeur de saint Agathon1. Et, de
son côté, saint Léon II nous apprend qu'il a envoyé des ar
chevêques légats au Concile terminé le 16 septembre 681*.
Par conséquent, saint Agathon est mort en 681 , plusieurs mois
avant le 1 6 septembre.
Mais, nous dira-t-on, en fixant la mort de saint Agathon au
1 0 janvier 681 , nous devons admettre que la nouvelle de cette
mort arriva à Constantinople bien avant la fin du Concile, et
comment se fait-il que les Pères parlent toujours de saint Aga
thon comme d'un homme vivant , et qu'avant de se séparer
le 16 septembre, ils lui adressent la lettre d'usage pour obte
nir la confirmation du Concile? La réponse me paraît aisée.
Comme saint Léon II, son successeur élu, n'était pas encore
consacré, et que l'élection n'avait probablement pas encore la
sanction impériale, les Pères, pour trancher les difficultés,
continuèrent à mettre le nom de saint Agathon en tête de leurs
actes, sachant bien qu'à la mort d'un Pape la papauté ne meurt
pas et que le successeur a tout pouvoir pour répondre aux
demandes adressées au saint-siége.
Cette solution paraîtra peut-être singulière, mais elle est,
si je ne me trompe, la seule qui permette de recevoir comme
authentiques toutes les pièces à la fois. Du reste, l'étonnement
qu'elle peut causer diminuera par l'examen d'une difficulté
opposée aux lettres de saint Léon II et dont j'ai ajourné la so
lution jusqu'ici. Dans une de ces lettres, on se le rappelle, dans
celle qui est adressée aux évêques d'Espagne, le saint Pape
affirme qu'il a envoyé des archevêques en qualité de légats au
Concile. Or, dit-on, que l'on parcoure les listes des membres
du Concile mises en tête de chaque séance, et partout on y
verra les mêmes légats, soit du Pape, soit du Concile de Rome,
sans aucun changement5. Mohlkenbuhr* avait déjà fait remar
quer que l'ordre de ces listes est modifié à partir de la seizième
session, que les archevêques de Thessalonique, de Corinthe,

' Hard.,t. III, col. 4460, A.


1 Ibid., col. 4730, C, « archiepiscopi surit a nobis destinait. »
■ A la seizième session l'archevêque de Gortyne en Crète est qualifié légat du
concile de Rome. Mais il ne l'est plus dans la 47* ni dans la 48'.
* Dissertatio critica, n' 79. Migne, Pat. lat., t. LXXX, col. 4046.
19 i LA CONbASiNATiM D'HOtfORIUS
de Crète, le député des églises de Chypre et celui de l'église
de Ravenne, occupent uh rang plus élevé. Il aurait pu ajouter,
poUr compléter son observation, que les églises de Thessalo-
niqUe, de Corinthe, de Ravenne et peut-être de Crète, faisaient
partie du patriarcat d'Occident, que l'évêque dèThessalohique
avait eu pendant longtemps la qualité de vicaire du saint-siége
pour l'Illyrie, que l'église de Chypre relevait du Pape Seul, ne
faisattt partie d'aucun patriarcat oriental. Ces remarques font
déjà pressentir la réponse. Mais les signatures apposées, Soit
à la définition de foi, sbit au discoure final adressé à l'Empe
reur, là fournissent aussi directe que pérënlptoire: L'arche-
vêqUe de Thessalonio|ilé y prend la qualité de vicaire et légat du
siège apostolique de Rome ; celui de Corinthe, qui apparaît
ici pour la première fois, s'intitule légat du siège apostolique
de Rome; enfin, celui de Gortyne en Crète Sigttë : Basile...
légat du saint Cdhcile du siège apostolique de l'ancienne
Rome1. Voilà donc trois archevêques légats qui ne tiennent
pas létir pouvoir de sairtt Âgâthbn, trois archevêques dont la
présence et le titre justifient surabondamment l'assertion' du
pape saint Léon II et changent l'objection tirée de ses paroles
en Urie véritable démonstration de l'authenticité de ses lettres.
Dans la liste mise en tête des sessions, oh leur donne Un rang
d'hoHneur, sans mentionner leur nouvelle qualité; qil'èàt-ce
que cela prouve? L'embarras des prélats grecs $ qui n'osent
ni rejeter ni accepter franchement les actes de saint Léon II
non encore sacré. De htême que les HstèS initiales, lès signa
tures nous laisseraient probablement dans l'incertitude, si lès
patriarches orientaux avaient été maîtres de dicter lés titres
de chacun Cohime ils étaient maîtres de diriger^ jusqu'à un
certain point, la rédaction dii prOcès-verbal.
POUr l'époque du sacre de saint Léon H, elle rt'èst pas moins
certaine. M; Jaffé la fixé, avec beaucoup de raison, ail 1 7 août
682. Les preuves de cette assertion sont : 1° la durée assi
gnée par le Liber pontificalis à l'interrègne, entre saint Aga-
thon et saint Léon II (1 an, 7 mois, 5 jours)1; 2° la lettre de
saint Léon II à l'empereur Constantin; Le Pape j déclare que

« Hard., Concil., t. lll, col. H0<, D, — Uoi, A, - ii2r>, S, C.


• Lib. Ponlif., Mig., Pat. lat., t. CXitllt, bol. ÔH, n» UC, 1. ïl
et l'Infaillibilité bu pape. 39b
les légats Sont revenus à Rome en juillet 682; et l'on sait que
l'un d'eux, Jean de Porto, le consacra1.
Cette date, il est vrai, soulève une difficulté, niais peu Sé
rieuse. Dahg sa lettre du 13 décembre 681 , l'empereur Cons-
taritin appelle saint Léon Pape de l'ancienne Rorriè : il semble
rait donc que ce pontife fût déjà sacré à Cette époque. Il n'en
est rien cependant ; et l'argument allégué perd toute sa force,
si l'on considère que la lettre impériale devait être remise au
nouveau Pape, au retour des légats et après sa consécration.
BâroUius a rejeté le sacré de saint Léon II à l'an 683 ; mais
parce qu'il plaçait la mort de saint Agallibn au 1 0 jarivièr 682,
c'est-à-dire dti art trop tard. Ori serait tertté d'appuyer l'opi
nion dii grand cardinal siir Uti rapprochement entré la durée
du pontificat de saint Léon II et les événénifents arrivés etl Es
pagne au sujet de l'acceptation du sixième CÎoncile. D'après
\e LiberPont?ficalis,sa\nl Léon, ayant régné 1 0 Iriois et 1 7 jours;
a été inhumé lé 3 juillet 683*, et sa lettre h'est parvenue en
Espagne qu'à la fih de l'année 684. Mais ce long intervalle
prouve tout simplement l'extrême difficulté des cOrtirtiUnifca-
tions entre Rome et l'Espagne. À l'époque qui nbus occupe,
les pontificats se succèdent avfec tant de rapidité et les dates
en sont tellement précises qu'on ne peut en modifier aucune
sans amener dans la série une confusion inextricable. Au pre
mier abord la lettre de Justinien II, adressée àti Pape Jean V
le 7 février 687, ferait croire à Une erreur d'un an dans tbutes
les dates précédentes; cdr Jean V était mort le 2 août 680.
Mais Un simple cbtip d'oeil jbté sur le Liber Pontificalis prouve
que le titre dé \à lettré est fautif, et qu'elle fut envoyée au
pdpe Conon, sacré le 21 octobre 686 \
De tout ceci jecoriclusque saint Agathort est mort le 10 jan
vier 68 1 , entre la cirtquièrhé et la sixième session, et que saint
Léon n'a été Sacré qiiç le 17 août 682, après un intervalle de
uri an, sept mois et cinq jours. Pendant toute la durée de la

1 t Per nuper elapsam decimam indictionera mense Julio... suscepimus. »


iiârcl., t. lit, col. 1471, A. Cf. Cbmbefis, HUt. Mohoth., coi. 258, E. Le latin
daib la lettre des nones de mai ; c'est-une faute ëvidelitfi. — tib. Pentif., col.
850, n° 150, 1. IX.
• Col. 847,11° 147, 1. I, II, col. 850, n* 450,1. VI, VU.
• Col. 88.5, h" 156, 1. XXllt-XXYI.
396 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
domination des Grecs sur Rome, un pareil interrègne ne se
retrouve qu'après le pontificat d'Honorius, et l'on n'ignore pas
que ce temps fut employé d'une part à piller le palais de La-
tran au profit de l'exarque et de l'empereur ; de l'autre à faire
d'inutiles efforts auprès du Pape élu, saint Séverin, pour lui
arracher la signature de l'ecthèse.

XXX
Voyons les conséquences des remarques précédentes ; elles
sont aussi nouvelles qu'importantes.
La condamnation id'Honorius fut donc prononcée durant
une vacance du Saint-Siège. Bien plus, le jugement n'a été
commencé qu'au moment où cette vacance parvint à la con
naissance du Concile. En effet, dans la saison d'hiver, un
voyage de Rome à Constantinople demandait environ deux
mois. C'est donc dans les dix jours qui séparèrent la neuvième
session de la dixième (8 et 1 8 mars) que les Pères apprirent la
mort de saint Agathon. Il semble qu'à l'instant même un plan
ait été combiné. La plus grande partie des acteurs, sans aucun
doute, jouèrent leur rôle avec la plus entière droiture ; mais
ils n'en aidèrent pas moins, sans le savoir, à la réussite du
complot.
Dans la dixième session les députés de Jérusalem demandè
rent la lecture de la lettre de saint Sophrone. Cette lettre, je
l'ai dit, avait été rejetée comme hérétique par Sergius, et le
nom de saint Sophrone rayé des diptyques. Rien donc en appa
rence de plus juste et de plus naturel que cette demande. Et
cependant rien de plus inutile dans la réalité ; car la condam
nation du monothélisme était la glorification de saint So
phrone ; et son nom, toujours vénéré à Rome aussi bien qu'à
Jérusalem, pouvait être rétabli dans les diptyques de l'Église
de Constantinople sans aucun jugement, comme cela avait eu
lieu pour le pape saint Vitalien et les autres Papes. Les clercs
de Jérusalem agirent sans doute avec pleine bonne foi; mais,
ceux qui les conseillèrent voyaient dans leurs démarches le
grand avantage de provoquer un jugement du Concile sur les
morts.
Dans la même session l'Empereur proposa de faire lire cer-
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 397
tains écrits que lui avait remis un an auparavant le patriarche
d'Antioche, et dont il n'avait"pas pris connaissance.
Serions-nous téméraire en supposant que si l'Empereur
ignorait le contenu de ces écrits, cette ignorance n'était point
partagée par tous les membres du Concile, en particulier par
Georges de Constantinople, l'ami, le second de Macaire d'An
tioche jusqu'à la huitième session? Ne serait -il pas très-
permis d'aller plus loin et de penser que Georges conseilla à
l'Empereur cette présentation peu motivée? En effet, Macaire
d'Antioche était suffisamment convaincu du crime d'hérésie,
et, pour se justifier, il n'en avait [aucunement appelé à ces
écrits. Quoi qu'il en soit, devant un désir de l'Empereur, on
ne se permit point de commentaires, et dans la douzième ses
sion on lut la première lettre d'Honorius. Les habiles de l'as
semblée ne manquèrent sûrement pas de voir où l'on tendait ;
mais la masse du Concile ne s'en doutait pas encore. Les Pères
voulurent qu'on apportât du palais patriarcal les pièces né
cessaires pour la collation des actes que l'on venait d'en
tendre. Leurs ordres allaient même plus loin. Cependant il
était à redouter que l'occasion d'entamer le jugement du Pape
n'échappât, grâce au peu de bon vouloir ou au manque d'in
telligence des évoques. Les très-glorieux juges se chargèrent
donc de faire entrer le Concile dans la bonne voie et lui intimè
rent l'ordre de commencer le procès. Les Grecs courbèrent la
tête. Quant aux légats, que pouvaient-ils faire? Dépourvus
des instructions nécessaires pour une circonstance aussi
grave qu'imprévue, privés d'appui par la mort du Pape, me
nacés de voir s'évanouir les espérances de réconciliation entre
l'Orient et l'Occident, craignant peut-être une intrusion vio
lente sur le siège de Rome, ils prirent le seul parti qui se pré
sentait à eux : laisser faire sans rien dire. Leur silence, qui a
tant étonné, est donc la chose du monde la plus naturelle.
Ainsi, dans la treizième session, le Concile put, sans récla
mation, se prononcer de la manière la plus dure contre un
Pape qu'il était si facile de justifier. Les actes cependant té
moignent de la violence qui fut encore employée contre l'as
semblée par les juges.
Quant aux légats, ce n'était pas tout pour eux que de se
taire. Us devaient demander au pontife élu de nouvelles ins
398 I.A CONDAMNATION q'HONORIUS
truptions. Ils dépêchèrent donc des courriers à Rqme, et, ep
attendant Jcur retour, le Concile fut presque susppndu. Ceci
est- loin d'être une pqre conjecture- Adrien, II afferme positi
vement que les Orientaux pbtiprent de Rome |a permission^ de
condanmpr Honoras, et telle est soq assurance qu'il dpvail
avoir les preuves en main.
Qn a souvent répété que saint Agathqn avait donné cette
permission à ses légats dans des instructions secrètes. Mais
pourquoi l'aurajt-il fait, pujsqup rien n'annqpçe qu'en Qpci-
dent on s'attendît au procès d'Honorius, et pqisqi^e l'Empe-
rpur n'ep dit mot]dans sale^re? D'ailleurs, sans nornpiçr sqp
prédécesseur, saint Agathqn par]e dp )ui pn termes si avanta
geux, qu'il sp serait montré peu d'accord avpc juj-niêmp ep
donnant dps pouvoirs même secrets pour sa condamnation. La
difficulté se njodifiait considérablement avec un nouveau pape
qui pouvait et devait avoir d'autres sentiments, et que l'on con
sultait sur un fait accompli.
L'Empereur avait sans doute joint ses, officiers^ aux clprps
députés parles représentants du Pape. Qui peutdirelesmoyens
employés pour obtenir dp saint Léon II un consentement, pré
senté sans doute pomme nécessaire à l'extinctjpn de l'hérésie?
De plus» le silence des légats, facile à comprendre s'ils ne
s'attendaient pas au procès d'IIonorius, devient ù peu près
inexplicable dans le cas où ils auraient eu des ordres, secrets
ou npn, sur ce point. Gps ordres, en effet, ne pouvaient être dp
garder le silence.
L'envoi d'une ambassade au Pape élu a encore l'avantage
d'expliquer à merveille la suspension du Concilp, trop peu
remarquée. Ce n'est pas, en effet, une sérieqse continuation
du Concile que les deux séances du 5 et dp 26 avril , suivie?
d'une interruption totale de plus de trois mois. Dans l'une,
on revint sans motifs sur une affaire déjà éclairciedans la troi
sième session; dans l'autre, on s'occupa d'un vieillard en dé
mence qu'on aurait dû enfermer et non juger. Enfin, cettp
hypothèse explique pourquoi, dans sa treizième session, lp
Concile distingue nettement Honorius de peux que le Pape
saint Agathon avait condamnes et le confond avec eux dans
sa lettre finale. Ainsi disparait presque tout l'odieux qu'une
allégation fausse laisserait peser sur l'honneur du Conpile.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 399
Peu importait, en effet, que la sentence contre Honorius partît
de saint Agathon ou de saint Léon II '.
Quant à la seizième session, tenue le 9 août, quatre mois
après le départ des courriers, il est à la fois inutile et impos
sible de décider si elle eut lieu avant ou après leur retour. Ge
fut alors que le véritable auteur de l'intrigue se démasqua.
Georges de Cpnstantinople qffrif publiquement aux légats
un compromis qu'il leur avait sans doute proposé depuis
longtemps en particulier. Il demanda que l'on épargnât le nom
de ses quatre prédécesseurs, Sergius, Pyrrhus, Paul et Pierre.
Si l'on avait consenti, bien évidemment il aurait fallu épar
gner aussi Honorius, beaucoup moins coupable que les au
tres. Cette tentative échoua. La conséquence était inévitable,
à moins que le Pape se refusât positivement à ratifier la con
damnation. Il ne le fit pas ; la sentence fut donc renouvelée.
Dans un cinquième et dernier article, j'examinerai si cette
condamnation fut juste quant au fond, et j'en discuterai les
conséquences pour l'infaillibilité et la suprématie du Pape.
Aujourd'hui je me contenterai d'affirmer : même en mettant
de côté toute conjecture pour s'en tenir aux faits sans au
cune interprétation, il reste certain que la condamnation
d'Honorius fut l'œuvre d'un parti, qu'elle fut imposée au
Concile par la puissance séculière, qu'on abusa pour la pro
noncer de la vacance du saint-siége ; il n'est donc pas éton
nant que cet acte soit dans sa forme entaché de plusieurs
graves défauts : absence de tout examen, de toutes dis
cussions, de toute défense de l'accusé.
Ainsi donc, avant d'employer la condamnation d'Honorius
comme une arme contre le saint-siége, il ne serait pas inutile
de justifier le Goncile de l'avoir prononcée.
H. Colombier.
(La fin prochainement.)

' Je proposerai ici une conjecture pour expliquer comment l'abrégé des
actes dans le Liber Pontificalis s'arrête avant la lin du concile. Les députés
des légats rapportèrent sans doute les actes des treize sessions tenues avant
leur départ. Ceux des onze premières furent rendus publics; de là les exem
plaires incomplets.
LA

CONDAMNATION D'HONORIUS
ET

ILIJBILITË DU
CINQUIEME JOT DERXIBR ARTKXE '.

• i .. )
f

"<,/&ftfcLlï,a(10<NS.
.'■.)■!
XXXI
Le 1 0 janvier 681 , saint Agathon était mort. Suivant la cou
tume, on ne tarda pas à lui désigner un successeur dans la
personne de saint Léon II. Celui-ci, savant dans la langue
grecque aussi bien que dans la langue latine, devait être plus
au fait des opinions de l'Orient. Quand donc les messagers
envoyés par les légats du Saint Siège lui apportèrent la funeste
nouvelle de la condamnation d'Honorius, il fut moins surpris
que ne l'eût été saint Agathon, et il pensa que la sagesse l'obli
geait à ratifier cette sentence. Des instructions qu'il adressa
à Constantinqple sur cette affaire si grave, rien n'est resté, ou,
s'il est resté quelque chose, ces pages gisent ignorées.
Les légats, munis des pleins pouvoirs du Saint Siège, lais
sèrent donc achever l'œuvre commencée : la condamnation
d'Honorius fut confirmée. Ses lettres, nous l'avons vu, étaient
orthodoxes; la procédure dirigée contre lui fut conduite en
dehors de toutes les règles; et cependant, nous devons le re
connaître, la sentence prononcée contre lui fut juste. Toutes
ces assertions n'ont rien de contradictoire ; et pour la der
nière, la seule que nous n'ayons pas encore développée, elle
n'est malheureusement pas difficile à justifier.
Nous savons que les écrits d'Honorius, orthodoxes en eux

1 V. les livraisons de Décembre 4869, Janvier, Février et Mars 1870.


634 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
mêmes, auraient été fort inoffensifs entre des mains bien in
tentionnées. Mais cela ne suffit pas aux paroles d'un pape :
elles doivent porter avec elles leur explication et fixer dans la
vérité toutes lés Intelligences qui ne s'aveuglent point volon
tairement. De ce côté, nous devons convenir que les lettres
incriminées sont répréhensibles.
Dans quelques endroits, en effet, elles n'offrent pas cette
précision qui sied aux règles de la foi. Elles ne définissent pas
toujours l'état de la question et manquent parfois de distinc
tions vraiment utiles. ïl en résulte que quelques-unes de leurs
expressions ont besoin d'un commentaire au-dessus de la
portée des simples. Il a donc été possible d'en abuser, et c'est
ce qu'ont fait des hérétiques sans droiture1:''
La défense d'employer les mots une et deux opérations, le
refus de se prononcer définitivement sur leur valeur n'auraient
peut-être pas nui à la bonne cause, si les deux partis en pré
sence avaient été orthodoxes et de bonne foi. Dans plus d'un
cas, les papes ont satisfait à leur devoir en commandant le
silence sur des disputes capables de jeter le trouble parmi les
fidèles. Mais, dans l'état des choses, les actes d'Honorius fu
rent inopportuns, gênants pour les catholiques, et sans force
contre les hérétiques qui n'y eurent aucun égard. De ce chef^
la première lettre d'Honorius mérite d'être taxée de précipi
tation. Quant à la seconde, écrite après les avertissements des
envoyés de saint Sophrone, probablement après la lecture de
son admirable épitre synodale, elle constitue uog faute réelle.
Ce n'est pas que pour exprimer le dogme, les mots une et
deux opérations soient indispensables : Honorius le prouve par
son exemple. Mais en portant sa défense, en refusant de se
prononcer quand il l'aurait dû, 11 n'en fut pas moins coupable,
coupable de n'avoir pas pris le temps nécessaire pour recon
naître le véritable état des esprits, coupable d'avoir agi sans
maturité dans une question qui intéressait le dogme chrétien,
coupable enfin d'avoir, par un acte malencontreux, donné au
loup ravisseur l'occasion de ravager le troupeau que le divin
pasteur lui avait confié.
On lui a reproché de s'être trompé dans sa doctrine, dans
son enseignement, et d'avoir, par cette faute, démontré qu'un
souverain pontife, parlant comme docteur universel, peut er
ET L'INFAILLIBILITÉ Dl' PAPE. m
rer dans la foi. Ce reproche me semble une contre-vérité com
plète; car, à mon sens, le blâme légitime encouru par Hono-
rius est précisément de n'avoir pas poussé sa définition assez
loin, de n'avoir pas enseigné comme docteur universel, quand
le bien de l'Église l'exigeait; enfin, de n'avoir pas eu recours
à l'infaillibilité dont il était dépositaire alors que son devoir le
lui commandait.
On le voit, nous affirmons sans ménagements la faute d'Ho
norius; mais en même temps nous cherchons à la montrer
sous son véritable jour. Et , si l'on veut bien rapprocher ce
que nous écrivons ici, des conclusions qui terminent notre
Élude sur ses trop fameuses lettres, on reconnaîtra avec nous
que la faute du Pontife ne donne aucune atteinte au privilège
de l'infaillibilité du Saint Siège ; qu'en un mot, Honorius a été
justement condamné, sans que sa condamnation prouve qu'un
pape, parlant comme docteur universel, puisse errer dans
la foi.
M. de Rozière est plus sévère que nous dans ses apprécia
tions dernières; mais, en diminuant l'âpreté de ses paroles et
en les ramenant à la modération qu'exige la vérité, on y re
trouverait à peu près nos affirmation». Seulement, le vrai
point de vue de la question finit par lui échapper presque
complètement. Il parle de l'honneur du Saint Siège, de la gran
deur de la faute d'Honorius, de ses pernicieux effets. Encore
un pas dans cette voie, et il dirait avec Mgr Maret : « La pu
reté morale ^}u chef suprême de l'Église intéresse presque
autant le bien spirituel des fidèles que l'exactitude et l'ortho
doxie de sa doctrine... Les scandales d'un mauvais pape se
ront presque aussi funestes à l'Église qu'une erreur dans son
enseignement1. » ■ •
Mais en vérité ce n'est pas de tout cela qu'il s'agit : nous
avouons que la faute d'Honorius a terni l'honneur du Saint
Siège; nous convenons de la grandeur de cette faute et des fâ
cheux effets qu'elle a produits, comme nous sommes prêt à
reconnaître les lamentables conséquences qu'entraînerait le
moindre scandale donné par un souverain pontife. Cependant
nous maintenons la seule proposition que nous ayons reçue

* T. H, p. 237.
636 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
de la tradition catholique : un pape, parlant comme docteur
universel, ne peut enseigner l'erreur, et en particulier Hono-
rius, qu'il ait ou non parlé ex cathedra, n'a pas professé d'er
reur dans la foi. Quant à juger si Dieu aurait dû, au privilège
de l'infaillibilité, joindre celui de la sainteté essentielle ou
l'immunité d'une faute aussi nuisible qu'une erreur1, nous
avouons que nous n'osons le tenter. La sainte Église catho
lique, apostolique et romaine nous enseigne que Dieu a donné
au successeur de Pierre l'infaillibilité dans la foi; elle ne nous
enseigne nullement que les papes soient impeccables, ni même
qu'ils soient exempts de fautes très-nuisibles à l'Église. Nous
acceptons cet enseignement , nous le défendons , sans nous
permettre de rechercher si la sagesse divine a été courte dans
ses conseils. ■.■:•;• 1 ■ • •■

xxxii . ■ .

Mais les termes mêmes de la condamnation d'Honorius ne


démentent-ils pas ce que nous venons d'affirmer? Car enfin
il a été condamné par un concile œcuménique; la sentence a
été ratifiée par un pape : tout ultramontain doit courber la
tête. .-1 ■ :
Pesons donc les termes de la condamnation et voyons s'ils
nous convainquent d'erreur. Mais d'abord écartons tous les
textes qui ne peuvent servir de base à une argumentation dé
cisive. Nous, catholiques, dans le concile le plus œcuméni
que, nous admettons comme de foi les seuls points définis par
le concile et revêtus de la confirmation du Pape. Nous res
pectons sans doute les expressions des Pères , nous avons
égard à leurs opinions personnelles, mais nous ne les accep-
'.-.■■ .1.

1 Mgr Maret affirme qu'il existe « un système de la sainteté essentielle du


Pape. » J'ignorais profondément l'existence de ce système, qui me parait con
traire aux notions du catéchisme et très-favorable aux idées de Wicleff. Hais
enfin, sur la parole de Mgr de Sura, je ferai un acte de foi à l'existence du sys
tème, mais non au système lui-même. Je ne serai pas d'aussi bonne composition
pour son autre assertion, et je n'admettrai jamais qu'aucune faute d'un Pape
puisse produire d'aussi pernicieux effets qu'une erreur formelle dans la foi en
seignée ex cathedra; parce qu'une seule erreur de ce genre, quand même elle
serait en matière peu importante en apparence, renverse le fondement de la foi,
détruit le dogme et par conséquent Ole toute sanction à la morale.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 537
tons pas comme règle de notre croyance. Dans le sixième con
cile en particulier, nous l'avouons sans détour, les sentiments
privés des évêques nous touchent peu, parce que la plupart
d'entre eux, nourris dans l'hérésie, devaient, presque immé
diatement après y avoir échappé, donner le scandale du con
cile Quinisexte et préparer la génération qui apostasia sous
Philippique et brisa les images sous Léon l'Iconoclaste. Nous
n'examinerons donc pas les passages qui ne font point auto
rité. Nous ne sonderons pas les cœurs et les reins pour savoir
si, à leurs autres erreurs, plusieurs des prélats grecs ne joi
gnaient point celle d'admettre la faillibilité du pape. Mais ,
allant droit au fait, nous prendrons la définition de foi avec
les actes pontificaux qui la confirment et qui l'expliquent : ce
sont les seules pièces qui s'imposent à la croyance des chré
tiens.
Dans la définition de foi, j'ai déjà relevé les plus saillantes
des expressions qui concernent Honorius. En ce moment, je
vais traduire le passage entier aussi fidèlement qu'il me sera
possible : « L'inventeur de la malice a, dès l'origine des cho
ses, trouvé un coopérateur dans le serpent, et, par lui, il fit
pénétrer le venin de la mort dans la nature humaine ; de même,
en nos jours, il a encore rencontré des instruments propres à
ses fins perverses ; nous voulons dire Théodore, qui fut évêque
dePharan, Sergius, Pyrrhus, Paul, Pierre, qui furent évêques
de cette royale cité ; en outre, Honorius, qui fut pape de l'an
cienne Rome, et Cyrus qui tint le siège d'Alexandrie; aussi
Macaire, dernièrement évêque d'Antioche, et son disciple
Etienne. Par eux, le démon a suscité au milieu de l'Église le
scandale de l'erreur d'une volonté et d'une opération dans les
deux natures d'Un de la Trinité, le Christ notre vrai Dieu ; il
a disséminé parmi le peuple orthodoxe, sous des sons nou
veaux, l'hérésie de la secte insensée et méchante des impies
Apollinaire, Sévère et Thémistius, cette hérésie qui s'est ef
forcée d'anéantir, par ses inventions captieuses, la perfection
de l'humanité de notre seul et même Seigneur Jésus-Christ
Dieu ; car, par un odieux blasphème, elle privait de volonté
et rendait inerte la chair du Sauveur qui cependant est infor
mée par une âme1. »
* Hard., t. III, col. 4397. C. D.
538 LA CONDAMNATION D'HONORIL'S

Je n'ai pas besoin d'avertir qu'on se tromperait en appli


quant rigoureusement à Honorius toutes les expressions que
renferme ce passage : plusieurs ne lui conviennent certaine
ment pas. Car nulle part il n'a affirmé que Jésus-Christ ait
été doué d'une seule volonté dans les deux natures; moins
encore a-t-il enseigné Une seule opération de ces deux na
tures. Il faut dono écarter ces affirmations, les seules qui
soient précises. Mais après cela que restera-t-il ? qu'Hono-
rius, trompé par les artifices du démon et cédant à ses sug
gestions, a commis une faute nuisible à la foi. Rien donc qui
prouve une erreur formelle sur le dogme dans un enseigne
ment solennel.
Cherchons ailleurs ces idées nettes qui ont toujours fait
peut» aux Grecs, et prenons les paroles des Souverains Pontifes,
les seules qui avec la définition de foi possèdent une auto
rité irréfragable. Saint Léon II a confirmé les actes du VIe con
cile, et voici en quels termes il rectifie la sentence portée contre
son prédécesseur : « Nous anathématisons également les in
venteurs de la nouvelle erreur, savoir : Théodore, évèque de
Pharan , Cyrus d'Alexandrie , Sergius , Pyrrhus , Paul et
Pierre les proditeurs plutôtque les évêques de Constantinople,
et Honorius qui n'a pas illustré cette église apostolique par
la doctrine de la tradition apostolique, mais qui par une tra
hison profane a laissé maculer sa fol immaculée1 »
Dans ses lettres aux évêques d'Espagne il est plus net encore;
« Ceux qui avaient été rebelles à la pureté de la tradition
apostolique ont été atteints d'une éternelle condamnation :
Théodore de Pharan... avec Honorius qui n'a pas éteint à sa
naissance la flamme du dogme hérétique comme il convenait à
son autorité apostolique, mais qui en la négligeant l'a favori
sée". > La môme idée se retrouve dans la lettre au roi Erwige:
« Tous les auteurs de l'assertion hérétique condamnés par le
consentement du vénérable concile ont été jetés hors du sein
de l'Eglise catholique : Théodore... et avec eux Honorius de
Rome qui a laissé maculer la règle immaculée de la tradition
apostolique, reçue de ses prédécesseurs". i>
' Hard., t. III, col. 1476. A. B.
• Col. 1730. E.
» Col. 1735. A.
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE, 339
Produisons encore un témoignage d'une autorité telle qu'il
ne peut y en avoir de plus grande dans l'Église : la profession
solennelle de foi que signaient les Souverains Pontifes nouvel
lement consacrés. Mgr Maret n'a pas négligé ce document.
<r Les successeurs de saint Léon II, dit-il dans son texte,
avant leur intronisation , signaient une profession de foi
où ils condamnaient expressément et nominativement Ho
norius avec tous les autreB hérétiques \ p En note II cite
les paroles mêmes du Liber Diurnus que l'amour seul
de la brièveté l'a sans dëtrte empêché de traduire. Il nous
permettra dé ne pas suivre sbn exemple : car nous tenons
avant tout ù mettre les pièces elles-mêmes à la portée de tous
les lecteurs. Voici donc ces expressions importantes ! « Quant
aux auteurs du nouveau dogme hérétique, Sergius... et avec
eux Honorius qui a prêté àes foroes à leurs assertions mau
vaises... nous les frappons de la condamnation de l'ana-
thème2. » '
Or, je le demande a tout lecteur de bonne foi, quelle dif»
férence aperçoit>il entre ces affirmations des papes et les con
clusions auxquelles nous avait conduit l'étude des faits et
des monuments? La pensée des Souverains Pontifes ne peut-
elle pas se résumer dans la phrase que nous écrivions plus
haut : « Nous avouons que la faute d'Honorius a terni l'hon
neur du Saint-Siège; nous convenons de la grandeur de cette
faute et des fâcheux effets qu'elle a produits... Mais Honorius,
qu'il ait parlé ou non ex cathedra, n'a pas enseigné d'erreur
dans la foi? > ♦■••-.
Cependant nous n'avons pa6 encore parcouru tous les
textes essentiels, et nous ne pouvons terminer ee paragraphe
sans rappeler les anathèmes portés dans le YI\ le VII' et le
VIIIe concile contre Honorius'. Le sixième seul l'appelle héré
tique ; dans le huitième Adrien II convient qu'il a été accusé
d'hérésie. Mais après les explications données dans le premier
* T. I, p. 292.
• Lib. Diurn. Roz., p. 198-201. « Una cum Itûnorio, qui pravis eorum as-
senionibus fomentum impendit. »
1 Dans le septième Concile on dit simplement que le sixième a rejeté Hono
rius, « abjiciens Honorium. » (Hard., t. IV, col. i53. E.) Le huitième porte:
nous anathémalisons Honorius de Rome. Pour le texte d'Adrien II, on le trou
vera plus loin.
540 LA CONDAMNATION D'HONORIUS
article, ces mots hérétique, hérésie ne font aucune difficulté ;
ils ont un sens tellement indéterminé que par eux-mêmes ils
restent sans aucune portée. Puis donc que ces termes ont
besoin d'explication, à qui la demanderons-nous si non à
ceux qui ont le droit de nous la donner, aux Pontifes infail
libles? Par conséquent cette qualification d'hérétique appli
quée à Honorius, nous l'admettons, mais seulement dans un
sens impropre, dans le sens où saint Léon et ses successeurs
l'ont expliquée. Si au contraire on voulait la prendre dans
l'acception stricte et rigoureuse qu'on lui donne aujourd'hui,
rien ne nous obligerait à la] recevoir ; et, ainsi entendue,
nous la rejetterions au nom de l'histoire et de la justice, non
moins qu'à celui de la foi.

XXXIII

En étudiant attentivement la condamnation d'Honorius, on


voit donc qu'elle ne détruit nullement le privilège de l'infailli
bilité par nous revendiqué pour les Souverains Pontifes. Mais
cette condamnation ne porte-t-elle pas atteinte à la supré
matie des évêques de Rome ? Voilà ce qu'il nous reste à exa
miner.
Dans toute cette affaire les adversaires du Saint Siège ou
blient une circonstance qui est cependant capitale. En sembla
ble occurrence le fameux saint Colomban n'avait pas eu le
même défaut de mémoire; c'est pourquoi il écrivait avec tant
de confiance au pape saint Grégoire en le priant de casser une
ordonnance de son prédécesseur saint Léon : Melior est canis
vivus leone mortuo. Mieux vaut un chien vivant qu'unlion mort1.
Honorius était mort: par conséquent sa juridiction avait
cessé ; sa personne était redevenue une personne privée ; le
pouvoir avait repassé aux mains de l'Église qui, à l'exception
des décisions solennelles en matière de foi, avait le droit d'in
valider tous ses actes, de juger ses erreurs personnelles et
de condamner, s'il y avait lieu, ses écrits et même sa per
sonne.
De cette simple remarque, qu'on veuille bien rapprocher ce

' Epi. 1" Migne, Pat. lat., t. LXXX, col. 264. C.


ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 544
que je disais dans mon premier article: le concile œcuméni
que, c'est-à-dire la représentation du corps épiscopal unie au
Souverain Pontife, a le droit de poser tous les actes que le
pape pourrait poser lui seul, et il n'a pas le droit d'en poser
d'autres, — et l'on verra que la condamnation d'Honorius
ne porte aucune atteinte à nos doctrines sur la suprématie
pontificale. Car ce fait les laisse complètement intactes si l'on
ne démontre que le pape n'avait point le droit de faire par
lui-même tout ce que le VIe concile en union avec lui a fait
contre Honorius. Or qui le démontrera jamais ? qui même en
a tenté ou en tentera la démonstration ?
Je pourrais m'en tenir à cette remarque générale : mais il
me semble très-utile de descendre un peu plus dans le détail.
Plusieurs de nos adversaires devront m'en savoir gré : car ils
ont besoin d'apprendre le point précis sur lequel peuvent
porter leurs attaques.
Les lettres d'Honorius renfermaient trois points : 1° l'expo
sition du dogme parfaitement conforme à la doctrine catho
lique : sur ce chef il n'y avait pas d'erreur que le concile,
séparé du pape ou présidé par lui, pût juger ou réformer.
2° La défense d'employer les mots une et deux opérations en
Jésus-Christ. Quand le concile se réunit, cette défense était
révoquée depuis plus de quarante ans par saint Séverin. Les
évêques, avec ou sans le pape, n'avaient donc à porter aucune
décision, mais bien à confirmer une décision déjà ancienne.
3° Enfin deux ou trois phrases où Honorius semble dire qu'on
ne pourra jamais décider à laquelle des deux expressions ri
vales les catholiques devront s'arrêter. Cette erreur, grave
ou non, avait été condamnée de fait le jour même où saint
Séverin s'était prononcé pour le mot deux opérations. Par
conséquent là encore le concile arrivait quarante ans trop
tard pour avoir l'initiative de la condamnation : il ne pouvait
que la ratifier.
Si donc à l'égard d'Honorius le concile n'avait rien fait de
plus que de rapporter sa défense et de condamner en fait l'er
reur que ce pontife nourrissait peut-être dans son esprit,
nous n'aurions même pas à nous en occuper dans la question
de la suprématie pontificale. Mgr Maret pourrait sans doute
attaquer cette conclusion et nous redire : le concile a jugé ce
bit LA CONDAMNATION D'HONORIUS
que le pape avait jugé : donc il n'acceptait pas sa décision
comme définitive. Nous en serions quitte pour lui répéter la
réponse qu'on lui a faite tant de fois : les évoques dans les
conciles sont juges de la foi, et quand le pape trouve bon
de laisser traiter de nouveau une question résolue par lui,
ils doivent l'examiner et la juger, mais avec l'obligation de
juger comme le pape, avec la certitude d'aboutir au même
terme que lui, le Saint-Esprit ne pouvant être contraire à lui-
même. , <
Mais les évoques réunis à Constantinople ont fait plus : non-
seulement ils ont confirmé la révocation de la défense portée
par Honorius,et la condamnation de l'erreur privée qu'on peut
lui attribuer avec vraisemblance; ils ont proscrit les lettres
d'Honorius, prononcé l'anathème contre sa personne; et, dans
ces deux points, l'initiative est partie d'eux et non du chef de
l'Église; voilà le vrai noeud de la difficulté, si difficulté il y a.
Mes adversaires me permettront de fortifier encore cette ob
jection par une remarque qui ne manque pas d'importance.
Honorius, bien que privé de juridiction par la mort, était con
damné pour des faits accomplis au temps où il possédait la
juridiction ; ainsi sa condamnation semble atteindre la juridic
tion elle-même. On ne me reprochera pas, je l'espère, de cher
cher des faux-fuyant6.
Je ne répondrai pas qu'il est pitoyable de voir une assem
blée d'évêque6, presque tous à peine revenus de l'hérésie, à
la veille de mettre l'Église au risque d'un 6chisme, s'acharner
sur un Pontife, dont toute la faute était d'avoir cru à la bonne
foi d'un de leurs patriarches. Je ne chercherai pas 6i les papes,
laissés à leur liberté, auraient jamais songé à faire brûler pu
bliquement les lettres d'Honorius et à prononcer l'anathème
contre sa personne. La solution n'est pas là ; tout se réduit à
savoir si le pape pouvait seul, et de sa pleine autorité, flétrir
les écrits de son prédécesseur et condamner sa personne. S'il
le pouvait, tout est dit; s'il ne le pouvait pas, comment
Adrien II osait-il affirmer en s'adressant au huitième concile
œcuménique tout composé de Grecs, que la permission seule
du pape avait légitimé l'entreprise de leurs prédécesseurs1?

* Voici les propres paroles d'Adrien II : « Quoique les Orientaux aient pro-
ET L'INFAILLIBILITE DU PAPE. B43
Quant à l'initiative prise par les Pères de Constantinople,
c'est une question secondaire. D'après les paroles d'Adrien II,
que je viens de rappeler, elle ne peut être excusée de témérité;
et cela montre combien j'avais raison de dire : pour la con
damnation d'Honorius, le concile a besoin d'être justifié de
l'avoir prononcée. Mais enfin cette initiative n'intéresse pas la
suprématie du Pape ; car, dans plus d'une circonstance, les
assemblées d'évêques ont pris l'initiative d'affaires qui dépen
daient finalement de l'autorité suprême. Quelquefois les Sou
verains Pontifes leur accordaient positivement ce droit; quel
quefois ils donnaient une approbation tacite. Dans le VIe Con
cile, les évêques voulurent forcer la main au Pape et profiter
de sa position critique, ce qui montre aussi peu de générosité
que d'obéissance, 6ans infirmer d'une manière sérieuse la su
prématie du Saint Siège i.
En résumé, la condamnation d'Honorius, qui n'atteint pas
nos croyances sur l'infaillibité, les laisse intactes relativement
à la royauté spirituelle des successeurs de saint Pierre.

nonce l'anathème contre Honorius après sa mort, il faut se rappeler qu'il étair.
accusé d'hérésie ; et que l'hérésie seule donne aux inférieurs le droit de résister
a l'impulsion (ifiotibm) de leurs supérieurs et de repousser avec une sainte Ht
berté leurs sentiments pervers, D'ailleurs en cette occasion ni les patriarches,
ni aucun des évêques n'aurait eu le droit de prononcer contre lui une sen
tence, si le consentement du pontife de ce premier siège n'avait précédé. »
(Dard., t. Y, col. 866. B.) Ce mot hérésie est pris ici dans un sens fort large,
«ans quoi le sentiment du Pape serait inexact : il est permis 4 un jpférieur de
résister à son supérieur toutes les fois que celui-ci lui ordonne un péché.
Mgr Maret cite ainsi ce passage (tom. I, page 317) : « Adrien II reconnaît ce
pendant qu'Honorius avait été justement condamné, parce qu'il avait été
accusé d'hérésie ; la seule cause, ajoutait-il, pour laquelle il est permis aux
inférieurs de résister à leurs supérieurs, et de rejeter leurs sentiments dé
pravés. » Le reste était sans doute indifférent à la thèse de l'éminent prélat.
' Pas un catholique ne s'était jusqu'ici prononcé aussi durement que je le
fais à l'égard du Concile séparé du Pape. Mais aucun n'avait signalé quelques-
unes des circonstances très-graves que j'ai fait remarquer. Et si quelqu'un était
tenté de nier mes conclusions, je le prierai de bien eonsidérer s'il peut le faire
sans nier en même temps l'authenticité de pièces sérieuses.
54i LA CONDAMNATION D'HONORIUS

XXXIV

Cependant je prévois encore une objection ou plutôt une


question : que serait-il arrivé si le VIe Concile se fût tenu du
temps d'Honorius ? A dire vrai, Dieu seul peut répondre d'une
manière positive; cependant il nous est bien permis de nous
livrer à quelques conjectures, même dans le but de satisfaire
la curiosité. Évidemment la compétence du Concile n'aurait
plus été la même. Séparé du Pape, il n'aurait plus eu le pou
voir de casser sa défense ; son erreur privée n'intéressant la
foi que de très-loin , il n'aurait pu la rectifier avec autorité,
bien moins aurait-il eu le droit déjuger sa personne.
Mais encore dans ce cas qu'aurait pu et dû faire le Concile?
Ce que fit saint Sophrone : se jeter aux pieds du Pape, lui re
présenter les inconvénients de la défense qu'il avait portée,
lui faire voir les artifices et les mensonges par lesquels on
avait surpris sa religion ; lui demander en conséquence de
modifier des actes malheureux, de prononcer une sentence
définitive, d'user enfin de son infaillibilité. Et alors le Pape,
touché de repentir, aurait satisfait à leur demande ; peut-être
même aurait-il, comme plusieurs pontifes l'ont fait, soumis
sa personne au jugement de ses frères, en suspendant les
droits de sa juridiction. Ou bien, s'il se fût obstiné, les Pères
se seraient relevés, et, comme Bellarmin en face de Clé
ment VIII, ils lui auraient rappelé qu'au-dessus des papes est
un Dieu maître de la vie et de la mort; puis ils se seraient
renfermés dans une prière silencieuse, ne pouvant aller plus
loin.

XXXV

J'en ai fini avec Honorius. Cependant je n'aurais pas em


brassé tout mon sujet, si je ne disais un mot d'une question
incidente qui se rattache nécessairement à la question princi
pale, et qui, elle aussi, touche à l'infaillibilité du Pape.
Saint Agathon semble approuver pleinement la conduite de
son prédécesseur : « Depuis, dit-il , que les évêques de Cons-
tantinople se sont efforcés d'introduire la nouvelle hérésie
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. 545
dans l'Église ihimaculée de Jésus-Christ, mes prédécesseurs
n'ont jamais cessé de les exhorter et de joindre les prières
aux avis, afin qu'en se taisant au moins ils se désistassent des
erreurs d'un dogme pervers et hérétique'. > Et, quelques
lignes plus haut, saint Agathon avait rappelé les promesses
faites à Pierre et affirmé que les papes ont toujours rempli
le devoir d'affermir leurs frères dans la foj. Combien ces ap
préciations sont différentes de celles du Concile, même en les
tempérant par les explications de saint Léon II, je n'ai pas be
soin de le faire ressortir. Et il semble difficile de ne pas voir
ici ce que l'on appelle dans l'école un fait dogmatique, c'est-à-
dire un fait assez lié avec la foi pour que l'Église infaillible ne
puisse se tromper dans le jugement qu'elle en porte.
J'ai déjà dit, ou à peu près, ce qui est nécessaire pour ré
soudre cette difficulté, mais si rapidement qu'il est bon d'y
revenir. .
Saint Agathon considère l'acte d'Honorius en lui-même et
dans les conséquences qu'il aurait naturellement amenées, si
les deux partis avaient été de bonne foi. Dans ce cas, en effet,
le dogme n'eût pas souffert, puisqu'on pouvait l'exprimer
pleinement sans employer les mots prescrits par le Pape, et la
charité y aurait beaucoup gagné.
Le Concile au contraire, et après lui saint Léon II, a vu sur
tout les fâcheux effets produits, moins par les lettres du Pape
qu'à l'occasion de ces lettres. Pour les prélats grecs, on peut
dire avec vérité qu'ils ont justement condamné dans Hono-
rius l'œuvre de leurs devanciers, beaucoup plus que l'œuvre
du Pape lui-même.
La différence des points de vue donne donc la raison de
la différence des deux appréciations. Ainsi se trouvent-elles
justifiées toutes les deux dans une certaine mesure; et il en
reste plus certain que la vérité entière se trouve seulement
dans la réunion de deux sentiments, en apparence très-oppo
sés, en réalité très-conciliables.

• Hard., t. III, col. 1081. E. 1084. A.

IV* série. — t. V. 3o
546 LA CONDAMNATION D'HONORIUS

VI
Arrivé au terme de ce long travail, nous croyons qu'il ne
sera pas inutile d'en réunir les conclusions :
\* Toutes les pièces du procès d'Honorius sont authenti
ques ; les preuves alléguées contre elles sont nulles ou faibles ;
quelques-unes même se changent en arguments positifs pour
confondre ceux qui attaquent ces documents. Par conséquent
nous devons admettre ces pièces et venger notre foi sans
employer un système de défense inutile, dangereux et faux ;
%° Les lettres d'Honorius offrent des difficultés ; si elles
n'en présentaient aucune, elles seraient certainement fal
sifiées ;
3° Elles ne sont pas l'enseignement du Pape parlant comme
docteur universel : toutefois ce point n'est nullement essentiel
à la défense de la vérité catholique ;
4* Parfaitement exactes dans l'exposition de la foi, ces let
tres renferment un ordre malheureux et quelques mots d'où
l'on peut inférer avec vraisemblance une erreur sans impor
tance et toute personnelle dans l'esprit du Pape ;
5° La première est le fruit d'une précipitation condam
nable ; la seconde est encore plus répréhensible ;
6* Elles auraient fait fort peu de mal si elles n'avaient pas
été exploitées par la mauvaise foi d'hérétiques, aidés de la
toute-puissance impériale ;
7" Au moment du Concile, l'Occident ne songeait pas à la
condamnation d'Honorius. En Orient, on regardait bien le
Pape comme un des maîtres de l'erreur ; il est cependant pro
bable que sa condamnation n'était guère nécessaire, qu'une
bonne partie du Concile ne la désirait pas , qu'il eût été très-
facile de l'arrêter et de rétablir dans l'esprit des peuples la
vérité obscurcie par des mensonges persévérants ;
8° La procédure contre Honorius se fit pendant une vacance
du Saint Siège; elle fut entamée alors seulement qu'on connut
cette vacance. On doit bien probablement en rejeter la princi
pale responsabilité sur le patriarche de Constantinople, mé
content de voir condamner quatre de ses prédécesseurs. Le
pouvoir civil y eut trop de part. On conduisit les débats en
dehors de toutes les règles : sans examen suffisant , sans cou
ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE. B47
nexion, sans défense de l'accusé. Cette procédure est donc une
tache sur l'honneur du Concile, et la condamnation anticipée
qui la suivit fut une témérité;
9° Le Pape saint Léon II, instruit de cette condamnation
précipitée, donna positivement la permission de la confirmer
à la fin du Concile. Dans les termes où il la ratifia, cette con
damnation, sans être nécessaire, fut juste ;
1 0° Elle ne porte nulle atteinte à l'infaillibilité des Souve
rains Pontifes ; car Honorius ne fut pas hérétique dans le sens
actuel du mot : il n'enseigna doctrinalement aucune erreur
dans la foi. Il favorisa matériellement l'hérésie par quelques
paroles et surtout par unedéfense inopportune. Encore doit-on
remarquer que pour tirer avantage de ses paroles, il fallut les
isoler de leur contexte et les interpréter contre la pensée évi
dente du Pape, etque sa défense fut surtout malheureuse parce
que les hérétiques, sans l'observer, s'en prévalurent contre les
orthodoxes ;
H°La procédure faite contre Honorius mort depuis qua
rante ans, sa condamnation personnelle prononcée avec l'as
sentiment formel du Pape régnant, n'intéressent en rien la
suprématie que les vrais catholiques revendiquent pour le
vicaire vivant de Jésus-Christ.
Si quelque lecteur au courant de la matière présente veut se
dispenser de lire toutes les pages précédentes, et savoir tout
d'abord ce qu'il trouvera de neuf dans ce travail qui vient après
tant d'autres, je signalerai à son attention les points suivants :
\° La rectification de plusieurs dates, et une plus grande cer
titude donnée à quelques autres d'une importance majeure;
2° Une solution plus complète de quelques objections oppo
sées à l'authenticité des pièces '' ;
3" L'essai d'une histoire plus précise de la condamnation
proprement dite. Cette tentative m'a conduit à des consé
* En cela j'espère avoir rendu un vrai service aux amis de la vérité. Car
Dom Guéranger, le savant abbé de Solesmcs, disait dans la Revue du Monde
Catholique (10 fév. 1870, p. 344) : « Je dirai ingénument que je ne me sens pas
en force pour répondre aux arguments que M. le Professeur Dumont a rassem
blés dans deux savants articles qu'il a publiés en 1853 dans les Annales de
philosophie chrétienne. » Sur cette recommandation de l'illustre bénédictin, je
me suis fait un devoir de lire ces deux articles et je crois que, sauf deux points,
j'ai répondu à tout.
548 LA CONDAMNATION D'HONORIUS ET L'INFAILLIBILITÉ DU PAPE.
quences graves et nouvelles, dont plusieurs sont indépen
dantes de toute conjecture.
Avant de laisser la plume, nous oserons poser une der
nière question, et demander à Dieu lui-même compte de ses
desseins dans toute la suite de ces événements. La Provi
dence avait tant de moyens de sauver la mémoire d'un pon
tife dont la faute semble si excusable et dont les vertus fu
rent réelles. Pourquoi donc la justice éternelle a-t-elle permis
qu'il fût condamné?
Dieu a confié aux successeurs de Pierre le dépôt de la foi ;
pour le sauvegarder, il les a rendus participants d'une des pré
rogatives de son Être infini, l'infaillibilité. Un pontife n'a pas
montré toute la vigilance qu'exigeait son devoir, il a laissé
dormir en sa main l'arme qui lui était confiée. Dieu l'a donc
abandonné au glaive de l'anathème : par là, nous pouvons
juger combien il est jaloux de la foi de son Église; et tous les
Papes savent que la Providence punira avec la dernière sévérité
dans un évêque de Rome une faute qui n'empêcherait pas le
pasteur d'une autre Église de monter sur les autels.
H. Colombier.
916 MÉLANGES.
Deux comités principaux fonctionnent à Paris: ils correspondent
avec les comités de province. La charité chrétienne cherche ou fournit
des fonds, hélas! encore bien disproportionnés avec le plan que
l'œuvre s'est tracé. Le dépôt général des livres est confié aux soins
d'un agent de l'Œuvre. Les demandes sont faites d'après le catalogue
imprimé; les livres sont expédiés aussitôt à leurs destinataires avec
une réduction très-considérable*. Deux espèces de livres figurent sur
le catalogue : les uns ont été publiés par l'Œuvre ; les autres appar
tiennent au fonds d'une librairie avec laquelle on a signé des conven
tions. Quant aux premiers, l'Œuvre peut d'elle-même les céder à bon
compte ; les seconds sont expédiés fort au-dessous de leur prix ordi
naire, au-dessous même de la valeur qu'il est permis d'exprimer sur le
catalogue de l'Œuvre, cette Œuvre se chargeant d'obtenir des librai
res, moyennant compensation, une remise bien supérieure aux plus
fortes remises commerciales. Et c'est précisément par cette large re
mise, achetée aux frais de la charité, que l'Œuvre atteint son but de
procurer de bons livres à bon marché.
On se lassera d'admirer plus vite que l'Église ne se lassera de pro
duire des œuvres comme celle-ci, comme la Propagation de la foi,
la Sainte-Enfance et mille œuVres semblables qui, nées de nos jours,
paraissent, au premier coup d'œil, devoir se nuire les unes aux autres,
mais qui réellement s'entr'aident. Ce sont des sœurs, toutes filles de
la divine charité.
A. Jean.

III

A PROPOS DE LA QUATRIÈME LETTRE DU P. GRATRY.

En voyant le long silence qui suivit la troisième lettre du P. Gratry,


tous ceux qui songent à ses intérêts les plus chers et les plus sacrés,
sentirent revivre en eux une espérance longtemps évanouie. Ils pensè
rent que la voix de tant d'évêques1, venant l'un après l'autre condam-

1 Le dépôt est à Paris, rue de Mézières, 6.— Le bibliothécaire de l'œuvre est


M. Téqui. — Les catalogues se distribuent gratuitement.
* Les évoques qui, à ma connaissance, ont condamné les lettres du P. Gra
try, sont ceux des sièges suivants: Strasbourg, <9 février; Saint-Dié, ]20 fé
vrier ; Bourges, 21 février; Liège, 23 février; Arras, 24 février; Le Mans,
24 février; Rhodez, id; Saint-Claude, 23 février; Toulouse, 28 février; Ver
sailles, 6 mars; Montauban, 7 mars; Saint-Denis de la Réunion, 7 mars;
Fréjus et Bellay, 8 mars; Cambrai, 9 mars ; Gibraltar, 40 mars ; Luçon (l'an
MÉLANGES, 957
ner ses erreurs, avaitjenfin été écoutée. Le P. Gratry se chargea de les
désabuser. Quelques lignespubliéesdansla Gazette de France du. 12 mars
1870, annoncèrent qu'il se proposait de continuer sa campagne contre
l'infaillibilité promise à Pierre par Jésus Christ lui-même. — Ces lignes
produisirent dans les cœurs catholiques, un profond sentiment de tris
tesse; mais en même temps, elles provoquèrent une attente curieuse
chez tous ceux qui avaient suivi, en connaissance de cause, la polé
mique soulevée par les petites lettres. En effet, le R. P. Gratry semblait
y faire distinctement la promesse de répondre à toutes les attaques
dirigées contre lui. L'impossibilité manifeste de réaliser un pareil
engagement excitait une sorte de désir impatient de voir la nouvelle
brochure qu'il annonçait.
Enfin la quatrième lettre paraît. Quel désappointement ! Le P. Gra
try essaye, sur huit points seulement, de répondre; et puis il entonne
un chant de victoire, comme s'il avait tenu ses promesses et pulvé
risé toutes les objections. La lecture terminée, on se demande com
ment l'auteur a pu conserver une si profonde illusion... Naturelle
ment la pensée se reporte vers cette phrase de la seconde lettre :
« Quant aux cris aigus et farouches que les sectaires poussent en ces
occasions, j'ai l'habitude de n'en prendre aucune connaissance. »
Malgré une certaine invraisemblance, pu en est donc réduit à croire
qu'il n'a pris aucune connaissance de tant d'objections sérieuses aux
quelles on cherche vainement une allusion dans sa quatrième lettre.
Ce travail a pour but de lui rappeler les difficultés qu'on lui a oppo
sées, et auxquelles il ferait bien de répondre avant de se décerner la
palme. En relevant les erreurs du P. Gratry, je suivrai tout simple
ment l'ordre de ses pages. Mes citations se rapportent à la première
édition de la première et de la quatrième lettre; à la secoude édition
de la seconde et de la troisième.

PREMIÈRE LETTRE.

1*. Pages 6 à 8. — Le P. Gratry se moque de ceux qui, se fondant


sur les sens divers des mots hérétique, hérésie, cherchent à déterminer
l'acception dans laquelle il faut les prendre quand il est question d'Ho-
norius. On aurait pu lui l'aire remarquer qu'il est souverainement illo-

cien évêque de), 12 mars; Amadia, 14 mars; Ratisbonne, 16 mars; Diano,


19 mars. L'archevêque d'Amadia (de nouveau) avec sept autres prélats chai -
déens, 19 mars ; le supérieur général de l'ordre de Saint-Hormisdas des Chal-
déens, patriarche de Jérusalem, 20 mars ; Lausanne et Genève, 26 mars ; Po-
lenza (Deux-Siciles), 20 mars; Paderborn, 29 mars; Tenos [sic) et Mycone,
25 mars ; Syra (délégué apostolique de Grèce), 9 avril ; Langres, 1 1 avril ; Na-
ples et Deux-Siciles, 42 évoques, 19 mars; Cuenca, L'rgcl, 13 avril; Wurlz-
bourg, Eichslsedl, 28 avril.
958 MÉLANGES.
gique d'attaquer la conclusion d'un argument en forme sans en con
tester ni la majeure ni la mineure. Ses adversaires lui ont épargné
cette observation un peu duie. Ils ont du moins rappelé à l'illustre
écrivain que, de gré ou de force, il doit admettre des distinctions tout à
fait analogues dans les délinitions du VI* et du VIIIe Concile; leur re
marque est restée inutile. Peut-êtr,e l'auteur n'admet-il pas les distinc
tions dont nous parlons ; car, dans la quatrième lettre, page 77, il a le
courage d'écrire en lettres capitales : «TOUS CEUX-LA qui furent héré
tiques, ET ENSEIGNÈRENT L'UNITÉ DE VOLONTÉ ET L'UNITÉ D'OPÉRATION
EN Jésus-christ,» pour donner à entendre que saint Lëon II accuse
Honorius d'avoir enseigné l'unité d'opération en Jésus-Christ. Cepen
dant, comme l'usage des yeux suffit pour décider si l'on doit admettre
les distinctions en question, nous n'accuserons pas le P. Gratry de les
rejeter, à moins qu'il ne se confesse positivement coupable de cette
erreur.
2°. Page 26. — « Honorius.. s'est efforcé, par une trahison sacrilège,
de renverser la foi immaculée. » Le P. Gratry convient lui-même qu'à
la place du mot : s'est efforcé, il aurait mieux fait d'écrire : a permis.
M. Maunoury a montré que la seule traduction légitime est : t Hono
rius a laissé maculer, par la trahison profane (de Sergius, etc.), la
foi immaculée. » Rectification inaperçue, bien qu'elle porte sur un
texte capital.
3°. Page 32. — L'auteur parle d'un bréviaire romain de 1 320 ; le R. P.
abbé de Solesmes a eu raison de faire observer que, dans le sens actuel
du mot, il n'y a pas de bréviaire romain antérieur à 1S68. Le savant
Bénédictin fera bonne justice de la réponse qui lui a été opposée (qua
trième lettre, pages 12 et suivantes).
4». Page 46. — Pour prouver que les lettres d'Honorius sont des défi
nitions ex cathedra, l'auteur fait observer que le Concile les appelle
des lettres dogmatiques. Mais, lui a-t-on dit, lettres dogmatiques n'est
pas opposé à lettres privées ; observation perdue comme tant
d'autres.
5°. Page 48. — « Les lettres apostoliques ne déclaraient jamais ex
plicitement l'intention de s'adresser à l'Église universelle.... » Asser
tion notoirement inexacte et qui altend encore un désaveu.
6" Page 54. — « Le scribe correcteur du Bréviaire, enlève, pour
abréger, le petit incident d'un pape condamné pour hérésie par un
Concile œcuménique. » On a invité le P. Gratry à se montrer plus
franc dans son attaque, et à la reporter jusqu'au pape saint Pie V lui-
même, puisque le scribe, correcteur du Bréviaire romain, n'est pas du
tout inconnu, et qu'il travaillait par les ordres et sous les yeux du
saint pontife. Dans la quatrième lettre, page 13, je retrouve cepen
dant tout de nouveau le scribe inconnu. Un peu plus loin, page 56, est
une explication qui n'explique rien.
7". Page 87. — « C'est donc vers le commencement du XVIIe siècle
que l'on a intercalé, dans l'antique liturgie, des fraudes comme les
MÉLANGES. 959
Fausses Décrétâtes... » L'intercalation remonte plus haut et à une
époque où la fraude des Fausses Décrétales était à peine soupçonnée
d'un petit nombre, sans être encore démontrée à aucun catholique.
8°. Page 74. — « On mutile... l'antique bréviaire romain qui, du vu*
au xvi* siècle. » On s'est moqué de ce bréviaire du tu' siècle, et l'on
a eu raison, malgré la réclamation delà quatrième lettre. (Pages 17 et
suivantes.) .
Page 75. — « Ouvrez le bréviaire romain à l'office de saint Agathon.»
Le R. P. Abbé de Solesmes a dit en toute vérité que l'office de saint
Agathon ne se trouve pas au bréviaire romain. — Seulement, pour
échapper à toute chicane, il avait prisle soin d'ajouter que cet office
fait partie d'un propre particulier. Le P. Gratry s'est ménagé un
triomphe facile, mais de mauvais aloi en supprimant cette restriction.
9". Page 77. — Le P. Gratry qualifie la légende de saint Agathon de
récit mensonger et intolérable.
La seule phrase inexacte de cette légende est la suivante : « Le VIe
Concile condamna précisément les mêmes erreurs et les mêmes per
sonnes qu'Agathon avait condamnées. » Or elle est en substance la re
production de cette autre phrase du VIe Concile: «Nous avons frappé de
î'anathème ceux que désignait votre sentence exprimée dans vos
lettres... » Si donc la légende affirme un fait faux, c'est que le VIe
Concile se contredit lui-même en cet endroit de la manière la plus pal
pable. De cette remarque, rien dans la quatrième lettre.
De compte fait, voilà donc neuf erreurs dont le R. P. Gratry ne
s'est pas préoccupé; encore n'ai-je pas dit un mot de l'erreur fonda
mentale, parce que je me propose d'y revenir plus tard.

DEUXIÈME LETTRE.

10°. Page 8.— «Je ne parlerai ni de... ni même de Fénelon qui, sur
l'infaillibilité personnelle.réfute Bellarmin avec la plus vigoureuse dé
cision. » — Fénelon réfute Bellarmin sur l'infaillibilité du pape en tant
que personne privée, mais non sur le point aujourd'hui en litige.
1 1*. Pages 8 et suivantes : « Melchior Cano cite... vingt textes; com
bien sont authentiques? Deux : les dix-huit autres sont tirés des
fausses Décrétales. » Le compte fait par le P. Gratry est très-inexact;
et, ce qui est plus important, l'opinion de Melchior Cano ne prend au
cunement son point d'appui principal dans les vingt textes. M. de Mar-
gerie l'a démontré victorieusement dans son second opuscule, où il
supprime (le mot est du P. Gratry) la lettre qui nous occupe.
12°. Pages 18 et suivantes. — Le P. Gratry fait la même faute à l'é
gard de saint Liguori.
1 3°. Au m "me endroit, même injustice à l'égard de Bellarmin ; même
absence de rétractation.
14°. Ce que le P. Gratry dit sur saint Thomas d'Aquin se détruit de
960 MÉLANGES.
soi, car l'opinion du saint au sujet de l'infaillibilité pontificale était
formée avant l'apparition du Thésaurus imposteur, et elle subsista
quand il eut constaté la fausseté de ce recueil.
15°. Page 34.— « Vous n'avez en votre faveur aucune autorité grec
que ou latine dans les cinq ou six premiers siècles, et aucune autorité
grecque en aucun temps. » Plusieurs savants, entre autres notre col
laborateur le P. Matignon, nous apprennent ce qu'il faut penser de
cette assertion.
16°. Page 38. — « C'est en l'Église romaine que les fidèles qui sont
en tous lieux maintiennent toujours la tradition qui leur vient des
Apôtres. » Cette traduction de saint Irénée, contraire à celle de Bos-
suet et des évèques de France, n'est pas conforme au texte. Prise dans
le sens du P. Gratry, elle est absurde, car pourquoi les fidèles main
tiennent-ils le dépôt de la tradition plutôt à Rome qu'à Constantino-
ple, à Jérusalem ou ailleurs ?
17°. Pages 41 et suivantes: — Saint Augustin devient gallican. — Le
révérend père abbé de Solesmes et d'autres ont apporté des textes qui
sont peu en rapport avec cette idée ; rien ne prouve que le P. Gratry
y ait renoncé.
18°. Pages 51 et suivantes. — En réponse à ces pages, on a, sans
succès, cherché à faire voir au P. Gratry qu'Origène est partisan de
l'infaillibilité du Pape.
1 9°. Page 57. « Déjà, dans cette cause, deux conciles ont envoyé leurs
actes au siège apostolique et les écrits en sont revenus ; la cause est
jugée. » Cette phrase de saint Augustin, même dans la traduction ac
tuelle, prouve notre doctrine. Quand donc le P. Gratry essaiera -t-il
de répondre aux arguments par lesquels on le lui a démontré ?
20°. Pages 60 et 61 . — Le P. Gratry cite un texte tronqué de Féne-
lon ; il l'applique aux ultramontains, tandis que Fénelon y combat
leurs adversaires. Celui qui se permettrait un acte semblable dans une
affaire civile, serait condamné pour faux. Sans doute, le P. Gratry a
été trompé, mais l'honneur ne l'oblige-t-il pas à dégager sa responsa
bilité?
21°. Page 62. — « Dans ces lettres, je n'accuse de mensonge ou de
fraude que deux hommes. » Et cependant, le P. Gratry parle toujours
d'une école. Deux hommes forment-ils donc toute une école ? Deux
hommes, l'un du IXe, l'autre du XIIIe siècle, forment-ils l'école d'er
reurs et de mensonges si nombreuse et si agissante au XIXe ?
22°. Pages 67 à 69. — Injustice envers M. l'abbé Guyot :— Cet auteur
n'a nullement cherché à dissimuler la condamnation d'Honorius. A
quand la réparation ?
Dans cette seconde lettre, voilà donc encore treize erreurs qui at
tendent un désaveu quelconque. Mais ici, comment le demander au
U. P. Gratry ? Car enfin, s'il corrigeait ce qui concerne Cano, Bellar-
min, saint Liguori , saint Thomas d'Aquin et saiut Irénée, que reste
rait-il de son œuvre?
MÉLANGES. S6«

TROISIÈME LETTRE.

Pour le moment , je laisse de côté toutes les affirmations que ren


ferme cette lettre sur l'affaire d'Honorius. J'ai promis d'y revenir en
terminant.
23°. Pages 22 et suivantes. — Le P. Gratry prétend trouver sa doc
trine dans saint Thomas d'Aquin, et il emprunte au grand docteur un
texte où il est question de la puissance d'ordre dans les évêques, tandis
qu'entre lui et ses adversaires, il s'agit de la puissance de juridiction.
24°. Page 36. — D'après l'auteur, si l'on soutient que le pouvoir de
lier et de délier fut donné d'abord à Pierre seul.... on commet une er
reur de fait. Pour le prouver, il cite des textes de l'Écriture. Mais ces
textes le mettent dans l'alternative ou de confesser que lui-même se
trompe, ou d'avancer que Notre-Seigneur a été infidèle à ses promesses.
25°. Page 39. — Accusation contre le P. Faber fondée sur un texte
tronqué et mal compris.
26°. Page 44. — Résumé de la doctrine de Mgr Dechamps, contra
dictoire à cette doctrine.
27. Page 51 . — Jusqu'à présent, je n'ai guère fait que résumer les
objections des autres; ici, je demande la permission de signaler une
erreur qui semble avoir passé inaperçue malgré son énormité.
« Nous renouvelons toutes les sentences d'excommunication qui ont
jamais été portées contre les hérétiques , de quelque condition qu'ils
soient, fussent-ils évêques, patriarches ou PAPES. » Cette excommuni
cation lancée contre des papes hérétiques est d'un effet surprenant.
Malheureusement elle est fondée sur une distraction, l'auteur s'est ar
rêté à une virgule ; s'il avait lu deux lignes de plus, il aurait compris
qu'il faut écrire légats du pape.
28°. Page 55. — Le P. Gratry confond le caractère ineffaçable im
primé par le sacrement de l'ordre avec les droits terrestres que l'ordi
nation confère à celui qui est devenu prêtre pour l'éternité. Cette er
reur, contraire aux premières notions du catéchisme, a sa source dans
un contre sens.
29°. Page 59. — « Un pouvoir (le pouvoir pontifical) qui a de tels
antécédents, et qui pourrait à la rigueur en renouveler quelque chose
aujourd'hui ou dans l'avenir, ce pouvoir ne demande à être ni aug
menté ni exalté. » — Cette phrase termine une vraie catilinaire contre
une bulle que l'auteur regarde bien visiblement comme un acte ex
cathedra, et il crie à la calomnie quand on l'accuse d'attaquer la cour
de Rome 1
30°. Page 62. — Le P. Gratry applique à la cour de Rome un texte
de saint Bernard qui est dirigé contre les ennemis implacables de cette
cour. C'est à peu près comme si l'on appliquait à Pie IX un acte épis-
copal dirigé contre Garibaldi.
iv» série, — tv. 61
MÉLANGES.

QUATRIÈME LETTRE.

Ceux qui auront suivi rémunération précédente, bien plus encore


ceux qui, par la comparaison des petites lettres et des réfutations qui
leur ont été opposées, auront compris toute la portée de cette «numé
ration, en croiront-ils leurs yeux quand ils liront, p. 7 : « Mes adver
saires. .... se sont tellement enivrés par leurs propres paroles qu'ils
croient avoir répondu quelque chose à mes lettres Je fais depuis
un mois tous mes efforts pour connaître leurs objections, alin de cor
riger toutes les erreurs qui m'auraient été signalées. »
Après ces incroyables paroles, l'auteur prend ù partie dom Gué*
ranger; mais où aboutissent toutes ses colères? à constater que le
savant Bénédictin s'est trompé sur un point tout à fait insignifiant. Mais
elles aboutissent encore, et bien mieux, à donner une triste idée des
procédés du R. P. Gratry et de son école, car ses défenses sont fondées
sur des équivoques (§ n, III ), sur des suppressions (§ IV et p. 68),
sur des erreurs (p. 17), sur des arguments sans portée (§ VI). Du reste
la réponse de dom Guéranger aura probablement paru quand ces
lignes verront le jour, et je n'ai que faire de combattre pour un tel
champion.
Le R. P. Gratry termine sa lettre par une troisième édition de l'af
faire d'Honorius. C'est le cas de s'écrier, avec Racine : « En combien
de manières nousavez-vous conté l'histoire du papeHonorius ? » Mais,
cette fois, le R. P. est plus triomphant que jamais. Il a pour lui le
travail définitif de Mgr Héfélé. J'ai montré , dans la Revue du mondé
catholique (28 mai), que ce travail, sous une forme très-sévère, ne sau-
raut être légitimement appelé définitif. Cependant, par respect pour le
caractère de l'auteur , j'avais supprimé plusieurs observations qui
n'étaient pas indispensables; je les supprime encore aujourd'hui afin
d'être plus bref. Le R. P. Gratry trouve que tous les catholiques sont en
désaccord dans la question du pape Ilonorius; il me permettra cepen
dant de lui faire observer qu'ils conviennent tous de deux points, et
que ces deux points suffisent surabondamment pour ôter toute impor
tance à cette question :
1 ' Le pape Honorïus n'a rien défini excathedra ; 2» si l'on s'en tient à
l'explication commune, les lettres d'Honorius renferment; 1* une admi
rable exposition de la foi ; 2* une défense malheureuse qui intéresse,
non le dogme, mais une des manières dont le dogme peut être exposé;
3° quelques phrases d'où l'on peut inférer avec vraisemblance une er»
reur personnelle dans l'esprit du Pape.
Du reste, six mois d'étude n'ont pas encore mis le P. Gratry bien au
courant des faits ; il ignore que le pape saint Agathon n'est pas mort le
10 janvier 682, mais bien le 10 janvier 681 ; il me permettra donc dé
MELANGES. 963
le lui apprendre, et il me permettra eu même temps de lui soumettre
quatre conclusions que je crois inattaquables.
1» En ayant égard aux deux faces de la question posée à Honorais, il
est impossible de prouver qu'une seule des phrases de ce pontife soit
erronée; j'ai indiqué, dans la Revue du monde catholique, ce point qui,
jusqu'ici, n'a pas été mis en lumière.
t" Le VIe Concile, n'ayant considéré qu'une des faces de la question,
a probablement erré dans son jugement sur la portée doctrinale de ces
lettres; cette opinion a été souvent mise en avant depuis le P. Gisbert,
sans que l'on eût précisé sur quoi portait l'erreur du Concile.
S* Cette seconde conclusion n'atteint pas la doctrine catholique sur
les conciles, car à l'époque des sessions 1 2" et 1 3% le Pape était mort,
le Concile était donc sans chef, et il se savait sans chef; l'assemblée
était donc incompétente pour un semblable jugement; elle aurait dû
connaître son incompétence, ou du moins s'en douter. Enfin tous les
vices de procédure furent accumulés dans le jugement que le Concile
porta contre Honorius dans ces deux sessions.
4° Il est donc évident que la confirmation de la condamnation d'Ho-
norius par saint Léon II a une importance plus grande encore que les
autres confirmations des actes conciliaires. Réduite à la mesure où
saint Léon II l'a ramenée, la condamnation d'Honorius est encore très-
sévère et paraîtrait visiblement injuste, si l'on n'avait égard aux mau
vais effets produits par les lettres d'Honorius à son insu , contre son
dessein, et grâce aux manœuvres perfides des hérétiques.
Du reste l'histoire n'a pas encore dit son dernier mot sur la manière
dont on impose cette confirmation à un pape non encore sacré, dans
un moment de suprême danger pour l'Église.
H. Colombier.

BIBLIOGRAPHIE

Lettres d'un théologien a un homme do monde [sur la question de


L'INFAILLIBILITÉ DU SOUVERAIN PONTIFE , par le R. P. GAUTB.ELBT, S. J.
Lyon et Paris, Girard, in-<8, 78 p. — Prix : 1 fr.
Ces Lettres forment le complément naturel de celles que le R. P. Gau-
trelet écrivit à une dame du monde. (Voir notre numéro d'avril, p. 639.)
Cette fois c'est devant un homme qu'il vient poser les conclusions de
sa première argumentation. Mais, Mtons-nous de le dire : nous avons
recommandé aux hommes les lettres écrites à une dame, nous enga
gerons par contre les femmes à lire aussi bien ces nouvelles lettres,
quoiqu'elles ne leur soient pas adressées.
REVUE

DU

MONDE

CATHOLIQUE rXY'î
, •,• •

RECUEIL POLITIQUE

SCIENTIFIQUE, HISTORIQUE ET LITTÉRAIRE

PARAISSANT LR 10 ET LE 25 DE CHAQUE MOIS

DIXIÈME ANNÉE

TOME VINGT-NEUVIÈME
(TOME IXe DE LA NOUVELLE SÉRIE)

PARIS
Librairie Victor PALMÉ, Éditeur
23, RUE DE GRENELLE SAINT-GERMAIN , 25

1870
LE PAPE HONORIUS

ET MGR HÉFÉLÉ

Monseigneur,

Vous trouverez sans doute étrange qu'un simple religieux, à ses


débuts dans la carrière scientifique, ose adresser une réponse publi
que à un évêque et combattre de front les opinions si fortement affir
mées par un vétéran de la science. Mais quand l'intérêt de l'Église et
des âmes se fait entendre, un chrétien ne doit se laisser imposer le
silence, ni par un respect mal entendu pour la dignité de ses adver
saires, ni par le sentiment de sa propre faiblesse. Du reste, monsei
gneur, dans la cause que je défends, si j'ai contre moi quelques évê-
ques, j'en ai pour moi des centaines; et si vous avez en votre faveur
une vaste érudition, je suis sûr de marcher avec la vérité.
Vous prétendez établir par le fait d'Honorius (1) :
i* Que le Pape, même quand il parle ex cathedra , peut enseigner
l'hérésie;
2* Qu'un Concile aie droit dejuger et de condamner comme héré
tiques les définitions proprement dites d'un pape.
Pour démontrer la première thèse : 1* vous deviez prouver que le
pape Honorius, dans ses lettres au patriarche Sergius, a parlé ex cathé
dra, et c'est ce que vous ne faites pas; 2» vous deviez prouver du
moins que le pape Honorius a enseigné l'hérésie, et c'est ce que vous
ne faites pas. Si je démontre les deux propositions, votre première
thèse croule et par suite aussi votre seconde, qui suppose essentielle
ment la première. Je pourrais donc négliger entièrement cette seconde
thèse. Cependant, pour ne pas laisser mon œuvre incomplète, je rap
pellerai en peu de mots ce que j'ai dit ailleurs sur les circonstances
et la portée de la condamnation d'Honorius (2).
Vous deviez prouver que le pape Honorius, dans ses lettres à Ser
gius, a parlé ex cathédra, et c'est ce que vous ne faites pas.
(1) Vnir la IraJuclion du Cama Honorii papa dans la Caxttte de Fronce, 27 avril,
(tl) Étudia religieuses, décembre 1869, Janvier, révrier, mar» cl avril 1870.
tft Mal 1SVO. — Nouvelle SiSrie. Tome IX. — N° 6l. 32
486 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE
Je sais bien que Votre Grandeur affirme deux choses : 1° que le
pape Honorius a prononcé une sentence comme article de foi j
2° Qu'il l'a prescrite à tout à l'univers. Mais, monseigneur, qu'il me
soit permis de vous le dire, votre première assertion est mal prouvée,
et votre seconde, pas du tout.
Première assertion. — Je copie dans votre seconde section les tex
tes que vous apportez en preuve de la première assertion.
Premier texte. — « Honorius a dit positivement : Nous confessons
une seule vo!onté de Notre-Seigneur Jésus- Christ. »
Second texte. — « Nous n' avons pas vu dans les saintes Lettres
Jésus-Christ agissant par une opération ou par deux, mais nous le
connaissons comme opérant diversement. »
Troisième texte. — « Que Votre Fraternité dise ceci avec nous...
Nous vous exhortons à éviter l'introduction de ce nouveau langage
d'une ou deux opérations ! »
Quatrième texte. — « Quant au dogme ecclésiastique, ce que nous
devons tenir ou prêcher : nous ne devons définir ni une ni deux
opérations. »
Or, monseigneur, je n'aperçois là aucune définition.
Premier texte. — Scrgius écrivait au Pape que tout le monde
était d'accord sur la doctrine, mais qu'il craignait des discordes au
sujet de l'expression de cette doctrine. Une parlait qu'incidemment
d'une et deux volontés, et.il insistait très-fortement sur les mots une
et deux opérations. Par conséquent, quel que soit le sens de cette
phrase : « Nous confessons une s-ule volonté de Jésus-Christ, »
elle ne peut constituer une définition. — Cette définition n'était aucu
nement sollicitée, et les papes n'ont pas coutume de définir sans
raison.
Second texte. — Quant au second texte, je m'étonne que Votre
Grandeur le cite : car il est à côté de la question, et il lui sera facile de
s'en convaincre en relisant le passage entier, tel qu'il se voit, par exem
ple, dans son Histoire des Conciles (t. IV p. 29).
« Nous n'avons pas appris dans la Bible que le Christ et son Esprit
adorable aient eu une ou deux énergies ; mais nous avons appris qu'il
(le Saint-Esprit) avait agi de diverses manières..» Dans cette phrase
et les suivantes, il n'est pas question directement des opérations de
Jésus-Christ, mais bien des opérations du Saint-Esprit dans l'âme des
fidèles. Par conséquent, pour la même raison que ci-dessus, cette
phrase ne renferme et ne peut renfermer aucune définition.
LE PAPE HONORIUS ET MONSEIGNEUR HÉFÊLÊ 487

Troisième et quatrième textes. — Ces textes ne contiennent rien qui


ressemble à une définition ; mais l'ordre bon ou mauvais d'éviter, en
exposant le dogme, l'emploi des mots une ou deux opérations.
Donc, monseigneur, cette première assertion : « Honorius a pro
noncé une sentence comme article de foi, » est mal prouvée.
Deuxième assertion. — Quant à la seconde : « Il a prescrit cette
sentence à tout l'univers, » elle n'est pas prouvée du tout. Vous affir
mez, il est vrai, avec beaucoup de force. « 11 n'est pas douteux
qu'Honorius n'ait parfaitement entendu et voulu que l'Église univer
selle crût ce qu'il avait proposé dans son enseignement, et non pas
seulement la seule Église de Constantinople. » Mais, affirmer n'est
pas prouver; et quand on cherche la base de nos affirmations, voici
ce qu'on trouve : Honorius s'adresse aux Églises de Constantinople,
de Jérusalem et d'Alexandrie, qui ne constituent pas l'Église univer
selle ; et il leur prescrit, non pas de croire tel ou tel dogme, mais,
dans l'enseignement du dogme, d'éviter l'emploi d'expressions sans
lesquelles on peut très-bien l'exposer, comme il le prouve parle
fait.
Par conséquent, monseigneur, M. de Margerie, que vous traitez si
durement, a deux fois raison contre vous ; vous avez deux fois tort, et
votre proposition fondamentale, celle que vous auriez dû prouver à
l'évidence, afin de bâtir un édifice solide, reste sans démonstration et
par suite sans force (1).
Je passe au second point. Mais, avant de le faire, je ne puis m' em
pêcher de vous témoigner l'étonnement profond que me cause le simple
rapprochement de deux faits, à mes yeux bien difficiles à concilier. —
Vous, monseigneur, et toute votre école, vous soutenez qu'il serait
peu utile de définir l'infaillibilité du Pape, parce qu'on ne saura ja
mais quand il parle ex cathedra. Et dès qu'il est question d'Honorius,
vous voyez très-clairement que le Pape a parlé ex cathedra, quoique
presque tous les docteurs catholiques voient très- clairement le con
traire. La volonté aurait-elle donc quelque part dans les obscurités
que votre intelligence rencontre d'un côté et les clartés qu'elle aper
çoit de l'autre ?
II
Vous devriez prouver du moins que le pape Honorius a enseigné
l'hérésie, et c'est ce que vous ne faites pas.
(1) Rien entendu je n'ai pas eu l'intention de donner ici tons les arguments propres 4 dé
montrer qu'Honorius n'a pas parlé ex catlteàra. Ce point a été bien traité dans l'Univert du
17 février 1870.
4S8 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE
Vous avancez, il est vrai : « que le pape Honorius a rejeté le terme
proprement orthodoxe, technique, de deux énergies, et qu'il a déclaré
comme vrai le terme proprement hérétique, une seule volonté, et
qu'il a prescrit à l'Église de Constantinople de croire comme un dogme
de foi cette double erreur. »
Mais, monseigneur, veuillez considérer qu'en affirmant si carrément
les deux propositions, vous vous déclarez par là même plus clair
voyant que le patriarche Sergius : car cet homme, qui avait tant d'in
térêt à lire ses erreurs dans les lettres du Pape, ne les y a pas vues ;
il semble même qu'il y ait vu le contraire, puisqu'il a gardé le silence
pendant le reste de la vie d'Honorius, et ne s'est hasardé à publier
son Ecthèse qu'après la mort de ce pontife. Cette seule observation
suffit pour démontrer que vos deux affirmations sont fausses. 11 ne sera
cependant pas inutile de les examiner chacune d'un peu plus près.
1° Voyons d'abord l'approbation donnée par Honorius aux termes :
o une seule volonté dans Jésus-Christ ».
Vous savez, monseigneur, que trois auteurs contemporains ont déjà
résolu cette difficulté et vengé l'orthodoxie du pontife accusé. Je n'ai
pas besoin de vous apprendre que les trois auteurs sont: 1° le propre
secrétaire d'Honorius, celui qui pouvait le mieux connaître sa pensée
intime; 2° le pape Jean IV, le juge qui avait mission pour expliquer
les expressions obscures de son prédécesseur; 3° enfin saint Maxime,
le plus savant des catholiques dans les matières controversées. .
Ce fait mérite un instant de réflexion. Car enfin, monseigneur, si la
discussion roulait Sur une loi de Constantin le Grand, et que, pour
fixer le sens de cette loi, nous eussions trois explications concordantes
émanées, l'une du ministre de Constantin , l'autre de son fils Cons
tance , et la troisième du plus habile jurisconsulte du quatrième siècle;
de quel œil considérerions-nous le savant qui, au dix-neuvième siècle,
viendrait soutenir une opinion contradictoire à la leur? Je vous laisse
à juger, monseigneur, si ce n'est pas là ce que vous faites. Encore,
pour être complet, suis-je dans la nécessité d'ajouter que Pyrrhus,
l'homme le plus intéressé à ne pas accepter le sens proposé par Jean
Syinphonus, Jean IV et saint Maxime, n'avait trouvé aucun moyen de
le rejeter. Et vous, monseigneur, vous écartez & sens comme inad
missible. Vous avez donc, pour forcer votre conviction, des preuves
bien accablantes.
Assurément, vous le croyez, car vous dites : « Honorius poursuit...
11 n'y a donc dans le Christ qu'une seule volonté, et il affirme que c'est
LE PAPE HONORIUS ET MONSEIGNEUR HÉFÉLÉ 4S9
la volonté divine : cela ressort plus clair que le jour de ce que nous
allons rapporter. »
Eh bien ! monseigneur, je suis au regret de vous le dire, les textes
que vous rapportez prouvent exactement le contraire de ce que vous
prétendez leur faire prouver ; veuillez suivre la pensée d'Honorius, et
j'espère que vous en resterez convaincu.
Sei gius écrit au pape Honorius : « L'expression deux opérations
conduit à reconnaître en Jésus-Christ deux volontés contraires. »
Honorius veut écarter cette idée absurde de deux volontés contraires
en l'Homme-Dieu. Pour cela, que fait-il? D'abord il affirme l'unité
de volonté dans l'humanité de Jésus-Christ : i Nous confessons une
seule volonté de Jésus-Christ Notre-Seigneur : car il est évident que
la Divinité a pris notre nature, mais non notre péché ; elle a subsisté
dans la nature telle qu'elle fut créée, non telle qu'elle devint viciée
après la transgression... » Et le Pape poursuit cette idée dans un long
paragraphe qui se termine par cette phrase aussi claire que possible :
a Le Sauveur n'a pas eu dans ses membres une loi diverse, une vo
lonté différente et contraire, parce que sa naissance a surpassé les lois
de la nature. »
Mais, pouvait-on lui objecter : Vous admettez, dans la personne
de Jésus-Christ, une volonté humaine et une volonté divine; n'avez-
vous pas encore à craindre que la volonté humaine se mette en con
tradiction avec la volonté divine, et qu'il y ait ainsi, en Jésus-Christ,
deux volontés contraires? Honorius prévoil cette objection, et, avant
de la résoudre, il la fortifie par les textes de l'Écriture qui semblent
lui donner quelque valeur. Il continue donc : « Quoiqu'il soit écrit :
Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais la volonté du Père qui m'a
envoyé ; et encore : Non comme je le veux, mais comme vous le vou
lez , mon Père ; » et autres textes semblables. Voici maintenant sa
réponse : « Toutes les expressions n'indiquent pas cette volonté con
traire, mais le mystère de l'humanité prise par le Verbe. » En d'autres
termes, les expressions n'indiquent pas en Jésus-Christ l'opposition
de la volonté humaine et de la volonté divine, mais démontrent que
l'humanité complète^avec sa volonté propre, a été prise par le Verbe.
Le Pape tire ensuite les conclusions morales des vérités qu'il vient
d'exposer : « Tout cela a été dit à cause de nous; Jésus-Christ nous a
donné l'exemple afin que nous marchions sur ses traces. En maître
de la piété, il a appris à ses disciples que chacun ne doit pas suivre
sa volonté propre, mais préférer en tout la volonté de Dieu. » Ce qui
490 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE

revient à dire : de même que Jésus- Christ a soumis sa volonté hu


maine à celle de son Père, de même nous devons soumettre notre vo
lonté à celle de Dieu. Ces conclusions d'Honorius seraient dépourvues
de sens, s'il n'avait pas admis en Jésus-Christ de volonté humaine.
Donc , monseigneur, Honorius , en confessant une seule volonté en
Jésus-Christ, n'a pas enseigné l'hérésie.
2° Voyons si vous serez plus heureux dans ce que vous dites au
sujet des mots une et deux opérations.
Je ferai d'abord observer à Votre Grandeur que l'acte d'accusation
formulé par elle renferme un anachronisme. « Honorius , dites-vous,
a rejeté le terme orthodoxe technique de deux énergies. » En 634,
le mot deux opérations n'était pas encore le mot caractéristique de
l'orthodoxie; il le devint au plus tôt six ou sept ans après, et, par
conséquent, vous vous exprimez d'une manière bien peu exacte en
reprochant au Pape de n'avoir pas adopté le terme orthodoxe tech
nique.
Mais cette faute est sans importance auprès de celle que vous com
mettez sur le fonds des choses. Ici , monseigneur, je demande la per
mission de vous poser trois questions. Êtes-vous bien sûr que, parmi
toutes les affirmations d'Honorius au sujet des mots une et deux opé
rations, il y en ait une seule, je dis une seule, qui soit fausse ? êtes-
vous bien sûr que le sixième concile ait condamné le sentiment d'Ho
norius sur ce point, qu'il s'en soit même occupé ? êtes-vous bien sûr
que l'opinion exprimée par le Pape ne soit pas encore aujourd'hui,
comme de son temps, une opinion librement disputée entre les théo
logiens ?
En lisant ces questions, vous croirez peut-être que je me moque, et
que je manque au respect dû à votre science et à votre dignité. Il n'en
est rien cependant; mes questions sont très-sérieuses, et si Votre Gran
deur veut me prêter quelques minutes d'attention , elle comprendra
que la réponse doit être tout opposée à cequ'elle avait cru jusqu'ici.
La discussion sur les mots une et deux opérations présentait deux
aspects, ou , pour mieux dire, elle ne pouvait se terminer sans que
l'on résolût deux problèmes très-divers et que voici (1) : 1' En consi
dérant les différentes actions de Notre-Seigneur, doit-on dire qu'il y
ait en lui un ou deux ordres d'actes? 2° Dans une seule action de
Jésus-Christ, si elle exige le concours actif des deux natures, doit-on
(1) La distinction de ces deux problèmes forme la base de l'explication nouvelle et plus-
complète des lettres d'Honorius que j'avais annoncé dans les Études, février 1870, p. 272,
et mars, p. 390. — Je lui donnerai plus tard les développements qu'elle demande.
LE PAPE HONOMUS ET MONSEJGNEUK HÉFÉLÉ Ù91

dire que cette action totale est le fruit d'une ou de deux opérations? Je
vais rendre les deux problèmes plus accessibles en les posant sur des
exemples particuliers. 1° Quand l'Enfant Jésus s'abreuvait au sein
maternel, et quand l'Homme-Dieu ressuscitait Lazare, y avait-il là
deux ordres d'opérations distincts? Voilà le premier problème. 2° Dans
la résurrection seule de Lazare, doit-ou compter une ou deux opéra
tions? Voilà le second. Peut-être, monseigneur, serez-vous tenté de
rejeter la réalité de ce second problème; et cependant, si vous dai
gnez y réfléchir, vous verrez clairement qu'on peut le poser, et même
qu'on doit le poser tout aussi bien que le premier.
Car enfin, dans la résurrection de Lazare, il y a un seul opérateur
et un seul but final : par conséquent, il semble qu'il y ait une seule
opération, et c'est là mon avis.
iMais, d'un autre côté, dans cette même résurrection, on voit là
deux natures agir, et chacune produit un terme immédiat, distinct du
terme de l'autre. La nature humaine agit, et le terme de son acte est
la parole : « Lazare, viens dehors. » La nature divine agit, et le terme
de son acte est la résurrection même de Lazare. N'y a-t-il pas là deux
opérations? Il me semble, monseigneur, qu'il est permis de se le de
mander, et je sais de bons théologiens qui se sont trouvés fort em
pêchés quand ils ont entrevu le nouvel horizon.
Mais revenons au septième siècle et au monothélisme. J'ai à peine
besoin de vous faire, remarquer, monseigneur, que saint Sophrone et
le sixième Concile ne se sont occupés que du premier problème.
Honorius, au contraire, et le seul peut-être dans son siècle, a en
visagé les deux. Dans le passage où il considère la discussion sous
son premier aspect, il conclut sans aucune hésitation : « Si dans les
autres, c'est-à-dire dans ses membres, l'esprit de Jésus-Christ opère
de bien des manières, à combien plus forte raison ne devons-nous
pas confesser que le Médiateur de Dieu et des homme opère par lui-
même avec plénitude et perfection, de manières fort diverses et inef
fables, à raison de l'union des deux natures ! »
Mais, quand il aborde la seconde face du sujet, et il s'y tient
presque toujours dans l'une et dans l'autre de ses lettres, il cesse de
se prononcer, ou plutôt il déclare qu'il n'y a pas lieu de le faire :
a Que personne, dit-il, n'ose prêcher une ou deux opérations en
Jésus-Christ Notre-Seigneur : car ni les Évangiles, ni les apôtres, ni
les décrets des Conciles ne semblent avoir rien défini là-dessus. Nous
abandonnons cette discussion aux grammairiens. » Il va même plus
loin, et pense que jamais la question ne sera décidée.
Û92 BEVUE DU MONDE CATHOLIQUE

« De savoir si, dans le Médiateur de Dieu et des hommes, Notre-


Seigneur Jésus-Christ, il n'y a pas une ou deux opérations, et de
chercher comment il faut s'exprimer là-dessus, c'est tout à fait inu
tile... Il ne faut pas que nous définissions, que nous prêchions une ou
deux opérations. » Que vous en semble, monseigneur? En réponse à
cette question : Dans un seul acte de Jésus-Christ, s'il exige le con
cours actif des deux natures, doit-on dire qu'il y ait une ou deux
opérations? les expressions précédentes du Pape vous semblent-elles
encore aussi fausses? son opinion vous paraît-elle encore frappée par
le sixième Concile? N'est-on pas encore aujourd'hui pleinement libre
de l'embrasser?
Quant à moi, monseigneur, plus j'y réfléchis et plus je reste con
vaincu que les lettres d'Honorius sont rigoureusement orthodoxes
dans tous leurs détails. Dans un endroit, on y regrette l'absence d'un
mot que le plus vulgaire bon sens permet de suppléer; dans beau
coup d'autres, elles n'ont pas la clarté qui sied aux écrits pontificaux :
Honorius ne s'était pas mis au courant du véritable état de la con
troverse en Orient et il ne prend pas la peine de préciser les hypo
thèses sur lesquelles il raisonne. C'est le vrai tort qu'on peut lui re
procher.

III

Mais comment les lettres et leur auteur ont-ils été si sévèrement


condamnés par le sixième Concile? C'est, monseigneur, ce que je vais
me permettre de vous exposer.
Une faute de chronologie vous a empêché de vous rendre bien
compte de toute cette affaire. Vous fixez, en effet, la mort de saint
Agathon au 10 janvier 682, et c'est le 10 janvier 681 qu'il a été ense
veli, comme je me propose de vous le démontrer plus loin. Pour le
moment, je vous prie d'accepter mon affirmation et d'en suivre les
conséquences.
Le pape saint Agathon mourut le 10 janvier 681, entre la cinquième
et la sixième session (7 décembre 630; 12 février 681). La nouvelle
de sa mort ne put arriver à Constantinople qu'environ deux mois plus
tard, entre la neuvième et la dixième session (8 et 18 mars). Jusque
là, rien n'indique que l'on eût songé à faire le procès au pape Hono
rius. L'empereur n'avait rien dit d'un point aussi important dans la
lettre qu'il adressait au pape Donus, pour lui demander la convoca
LE PAPE HONOIUDS ET MONSEIGNEUR HÊFÊLÊ 493
tion du Concile. Saint Agathon ne pensait à rien moins : car il affir
mait qu'Honorius avait rempli son devoir et confirmé ses frères dans
la foi en imposant la loi du silence aux patriarches orientaux. Aucun
des Pères du Concile n'avait demandé la mise en accusation du pon
tife. Deux fois seulement son nom avait été prononcé incidemment de
vant l'assemblée, sans qu'elle parût y attacher aucune importance.
Le procès d'Honorius eut donc lieu pendant une vacance du Saint-
Siège; il n'était pas encore commencé quand cette vacance parvint a
la connaissance du Concile; il le fut aussitôt la grande nouvelle reçue.
Dans la onzième session (20 mars), l'empereur demanda qu'on lût
un recueil remis entre ses mains un an auparavant, par Macaire d'An-
tioche, sans qu'il en eût encore pris connaissance. Cette lecture pa
raissait sans but, parce que Macaire, condamné dans la huitième ses
sion (7 mars), ne l'avait nullement réclamée. Cependant elle se fit
dans la douzième session (22 mars). Le recueil contenait la première
lettre d'Honorius. Aussitôt que le Concile en eût ouï la teneur, « les
« très-glorieux juges et le saint synode dirent : On doit nous présenter
« les registres et les écrits dogmatiques envoyés par Sergius à Ho-
« norius, Cyrus, Sophrone et autres; on doit nous présenter égale-
« ment tout ce qu'Honorius a écrit à Sergius sur la présente question
« théologique, et qu'on trouvera dans la bibliothèque patriarchale,
« afin qu'on puisse confronter les pièces mêmes avec les cahiers prê
te sentés à notre très-pieux empereur par Macaire et relus tout à
« l'heure. Que Georges donc, aimable diacre et bibliothécaire de
« cette sainte Église, coure aux archives et en rapporte les regis-
« tres et écrits désignés »...
Georges revint et présenta, entre autres pièces, l'original latin de la
première lettre d'Honorius à Sergius avec sa traduction : « Jean, évê-
« que de Porto, l'un des membres du Concile de l'ancienne Rome, en
u fit la collation, et il se trouva conforme. Les glorieux juges dirent :
» Votre Concile saint et universel a pris connaissance des pièces qui
u viennent d'être lues et collationnées. Qu'il fasse maintenant ce qui
o lui semblera bon relativement à Sergius, autrefois patriarche de
« cette royale cité, à Honorius, jadis pape de Rome, et à Sophrone,
« jadis patriarche de Jérusalem. i< Le Concile promit d'examiner cette
affaire plus attentivement dans la séance suivante. Avant la fin de la
session, les juges répétèrent encore: « Que dans la session, votre
« saint synode accomplisse ses promesses au sujet de Sergius, d'Hor
■ norius et de Sophrone ,» et ils insinuèrent qu'à cette condition seu
494 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE

lement, ils accompliraient les volontés du Concile relativement à Ma-


caire, patriarche déposé d'Antioche.
L'affaire d'Honorius fut reprise dans la treizième session (28 mars).
Dès l'ouvertvre de la séance, le protonotaire de l'Église de Constanti-
nople fit ressouvenir les Pères de l'engagement qu'ils avaient pris à la
fin de la session précédente. « Votre saint et universel Concile se sou
« vient que sur l'interpellation des juges dans la session précédente,
« vous avez promis de donner dans celle-ci votre avis sur les défunts
« patriarches Sergius, Honorius et Sophrone. » On relut les actes, et
« les glorieux juges dirent que votre saint et universel Concile accom-
« plisse les promesses qu'il a faites précédemment. » Aussitôt les
évêques formulèrent leur avis :...
« Ayant revu les lettres dogmatiques de Sergius... ainsi que la ré-
« pon se faite par Honorius au même Sergius et les trouvant tout à
u fait éloignées des dogmes apostoliques, des définitions des saints
« Conciles et de tous les Pères qui font autorité, conformes au con-
« traire à la fausse doctrine des hérétiques : nous les rejetons ab-
« somment et nous les exécrons comme nuisibles aux âmes. Puisque
« nous exécrons leurs dogmes impies, nous jugeons qu'on doit ôter
« leurs noms des Églises de Dieu. » Le Concile énumèie tous les per
sonnages conda/nnôs par saint Agathon.
« Avec eux, nous rejetons également de la sainte et divine Église
« catholique, et nous soumettons à l'anathème Honorius, autrefois
« pape de l'ancienne Rome, parce que nous avons trouvé, dans ses
« écrits à Sergius, qu'il suit en tout sa pensée et qu'il a confirmé ces
« dogmes impies. » Ici, le scholiasie grec n'a pu s'empêcher de re
marquer combien ce jugement diffère de celui du martyr saint Maxime.
Le Concile voulait, sans aucun examen, confirmer la sentence pro
noncée par saint Agathon contre les autres coupables; mais les juges
le contraignirent à examiner leurs écrits. Après la lecture de quel
ques pièces, on produisit les fragments de la seconde lettre d'Ho
norius; on lut encore d'autres extraits, puis le Concile dit : « Après
« avoir pris connaissance de ces lettres... et de ces papiers., nous
« avons trouvé qu'ils aboutissent tous à une seule et même impiété.
« Nous voulons donc que ces œuvres profanes et nuisibles à l'âme
« soient immédiatement brûlées, afin que leur destruction devienne
a complète. » Et on les brûla.
Parmi ces pièces se trouvaient les deux lettres d'Honorius. Elles
subirent le même sort que les autres. Les légats n'élevèrent aucune
réclamation.
LE PAPE HONORIUS ET MONSEIGNEUR HÉFÉLÉ A95

Voilà, monseigneur, le procès d'Honorius. Malgré la brièveté d'une


lettre, je n'ai eu besoin d'y rien retrancher : tant on fit peu de façons
pour condamner un pape !
Je ne me permettrai aucune réflexion amère ; je ne développerai
aucune des conjectures si naturelles qui, malgré qu'on en aie, vien
nent éclairer les faits d'un jour bien sombre. Il me suffira d'énumé-
rer les conclusions certaines :
1° La condamnation d'Honorius fut prononcée pendant la vacance
du Saint-Siège.
2° Son procès ne commença que quand la nouvelle de la mort de
saint Agathon fut parvenue à Constantinople, c'est-à-dire quand la
compétence du tribunal fut devenue plus que douteuse.
3° Les légats, ne pouvant s'y opposer, parce qu'ils étaient pris au
dépourvu, sans instruction, sans chef, dans l'appréhension de maux
extrêmes, prirent le parti de laisser faire sans rien dire. Jusqu'ici leur
silence était resté tout à fait inexpliqué, et, j'ose le dire, sans la fausse
position que leur faisait la mort de saint Agathon, il serait tout à fait
inexplicable.
4° Dans le procès, l'intervention des juges laïcs fut excessive.
5" La sentence fut prononcée sur la .simple lecture de pièces in
suffisantes, sans examen, sans discussion, sans défense d'un accusé
qu'il était si facile de défendre.
6° Elle fut conçue dans des termes d'une dureté qui va jusqu'à
l'injustice.
Par conséquent, monseigneur,en présence de cette procédure injus
tifiable dans toutes ses circonstances, je ne comprends pas comment
vous pouvez vous prévaloir du jugement et de la sentence, comme si
leurlégimité était indiscutable; et quand vous dites : « C'est donc un
fait qu'il a été jugé d'une décision dogmatique portée par un pape » ,
il est malheureusement évident que vous vous trompez en fait et eu-
droit : en fait, puisque les lettres d'Honorius ne sont pas une déci
sion ex cathedra; en droit, puisqu'un jugement d'une autorité si pro
blématique, d'une équité si douteuse, ne peut être invoqué comme un
précédent légitime.

IV

Mais il n'est pas encore temps de nous arrêter. Le Concile, après


avoir si prestement condamné un pape, tint encore deux séances peu
REVUE DU MONDE CATnOLIQUE

importantes le 5 et le 26 avril, puis il resta suspendu pendant plus


de trois mois (jusqu'au 9 août). Que se passa-t-il durant tout ce
temps? Aucun historien ne nous l'apprend; mais, en rapprochant les
différents monuments, il paraît certain que des courriers furent expé
diés à Rome, afin de prendre les ordres de saint Léon II, désigné
pour succéder à saint Agathon. Léon II confia sans doute sa réponse
à ce sous-diacre Constantin qu'il nomme entre ses légats dans la
lettre par laquelle il confirma le Concile. Les Grecs n'ont pas jugé à
propos de nous conserver cette pièce émanée d'un homme qu'ils ne
considéraient peut-être pas encore comme pasteur suprême, parce
qu'il n'avait pas reçu de leur empereur l'autorisation de se faire sa
crer. Quoi qu'il en soit, cette lettre contenait la ratification de la con
damnation d'Honorius (1). La sentence fut donc réitérée dans la
seizième session (9 août); et, ce qui est plus important, dans la défi
nition de foi portée le 16 septembre, jour de la dix-huitième et der
nière session. Plus tard, saint Léon II approuva solennellement cet
acte rigoureux contre son prédécesseur, et par conséquent il fait au
torité pour tous les catholiques sans aucune exception.
Mais dans quels termes sommes-nous obligés de recevoir la cou-
damnation d'Honorius? C'est le dernier point qui me reste à consi
dérer. 0
La définition du Concile, les lettres de saint Léon II et la fameuse
formule du Liber diurmis sont les seules pièces que nous devons dis
cuter, car ce sont les seules qui s'imposent à notre croyance.
Dans la définition de la foi, monseigneur, vous attachez une impor
tance particulière au mot hérésie qu'elle renferme. « Par eux (c'est-à-
dire par Théodore, Sergius, Honorius, Macaire, etc.,) le démon... a
disséminé l'hérésie. » Mais permettez-moi de vous faire observer que le
texte pris dans son entier articule contre les condamnés en géné
ral, une accusation au moins que personne ne peut appliquer à Ho
norius, car il est incontestable que ce pape n'a pas» enseigné l'erreur
d'une opération dans le Christ. » Par conséquent, dans la définition,
on est obligé de discerner les points qui lui conviennent d'avec ceux
qui ne lui conviennent pas. De quel droit lui appliquerait-on ce qui
est dit de l'hérésie, puisque les faits prouvent qu'il n'a nullement en
seigné l'hérésie?

(i) Je n'ai pas i justifier ici la conduite de saint Léon 11. Du reste, à la fin du second pa
ragraphe, j'ai indiqué les reproches que l'on peut adresser aux lettres d'Honorius cl par
suite les raisons intrinsèques qui permettaient de le condamner.
LE PAPE HONORIUS ET MONSEIGNEUR HÉFÉLÉ i97
Vous me répondrez sans doute que; dans d'autres endroits des actes,
le mot hérétique lui estnommément appliqué. Mais, monseigneur, vous
savez que les autres passages ne sont pas des règles de la foi, et
qu'ainsi rien ne m'oblige à les recevoir. Je les rejette donc, à moins
que, pour les sauver, vous ne consentiez à prendre le mot hérétique
dans un sens adouci et compatible avec la vérité de l'histoire.
Cette solution, je le sais, vous inspire un profond dédain. Mais ici,
monseigneur, je revendique toute ma liberté pour vous dire qu'en
présence d'une opinion soutenue par le savant Grégoire XVI après
bien d'autres, appuyée sur des textes concordants d'écrivains ecclé
siastiques et profanes, d'auteurs inspirés, de législateurs, de conciles,
d'historiens, ces superbes dédains conviennent peut-être à un novice
en érudition comme le Père Gratry, mais non à un évêque vieilli dans
les travaux sérieux. Du reste je suis complètement désintéressé dans
la question, puisque j'ai besoin de cette opinion, non pour défendre
Honorius, mais pour défendre le Concile (1).
Quant aux expressions de saint Léon II et du Liber diurnus, que
nous apprennent-elles en résumé? « Qu'Honorius n'a pas illustré l'É-
« glise apostolique par la doctrine de la tradition apostolique; qu'il
c en a laissé maculer la foi immaculée par la trahison profane (de Ser-
« gius,etc.),(2)...; qu'il n'a pas éteint la flamme du dogme hérétique
« comme il convenait à son autorité apostolique, mais qu'il l'a favorisée
« en la négligeant, etc. ,etc » Toutes. assertions fort vraies, mais
qui tirent leur vérité moins des lettres du Pape que de l'abus fait de
ces lettres par des hérétiques sans bonne foi.
Voilà donc, monseigneur, le résumé historique de la condamnation
d'Honorius. Je ne vois pas en vérité ce qu'on en peut tirer contre l'in
faillibilité du Pape parlant ex cathédra. A peine y trouverait-on un
argument probable contre l'infaillibilité du Pape enseignant comme
docteur privé. Pour la suprématie du Pape, elle n'est pas en cause
dans toute cette affaire, puisque quarante ans avant le procès, la mort
avait dépouillé Honorius de sa dignité et de sa juridiction.

Je reviens maintenant à la date de la mort de saint Agathon. Vous


la fixez au 10 janvier 682, et je soutiens que cette date est compléte-
(1) Voj« Univcr; G février 1870. M. de Margcrie, je le sais, se propose de reprendre
ce point.
(2) Cette explication est de M. Maunour]t Voyez Univers, 20 février 1870.
498 REVUE DU MONDE CATHOLIQUE
ment inadmissible. Ce point est capital : souffrez donc que je lui donne
les développements nécessaires.
1° A la suite des actes du VIe Concile, nous trouvons deux lettres
écrites à la même époque par l'empereur Constantin, l'une au Pape,
l'autre au Concile de Rome. Or le Pape est saint Léon II, et la date
concordante des deux lettres est le mois de décembre 681. Nous
lisons en effet dans le grec et dans le latin, en tête de la pre
mière :« Cette lette a été expédiée le 13 décembre, indiction X »;
et à la fin de la seconde, dans le latin seulement : « Donnée le 10 des
calendes de janvier, la vingt-neuvième année de Constantin, la trei
zième après son consulat, indiction X. » Donc saint Agathon n'est pas
mort le 10 janvier 682, puisque dès le mois de décembre 6S1 on sa
vait à Constantinople que Léon II lui avait succédé.
2° Saint Léon II écrit, dans sa lettre aux évêques d'Espagne, les pa
roles que je transcris sans rien changer : « Le saint et universel VIe
<t Concile a donc été célébré ; le seigneur Agathon pape, notre prédé-
« cesseur d'apostolique mémoire, s'y est fait représenter par des
« prêtres et des diacres ; pour nous, nous y avons destiné des arche-
« vêques choisis dans les diverses provinces (d'Orient?) soumisçs à ce
« Saint-Siège... Ils ont présidé et siégé avec le pieux prince et tous
« les prélats qui s'étaient rassemblés par son ordre... » Donc saint
Léon II avait succédé à saint Agathon longtemps avant le 16 sep
tembre 681 ; donc saint Agathon n'est pas mort le 10 janvier 682.
Cet argument a paru si invincible à tous les partisans de votre opi
nion, que, pour y échapper, ils en ont été réduits à nier l'authenticité de
cette lettre. Pour vous, monseigneur, dans votre Histoire des Conciles,
vous avez tenté une autre voie, et vous avez expliqué les mots : archi-
episcopi sunt à nobis deslinati par cette formule : Le Saint-Siège a dé
signé des archevêques. Mais vous avez oublié de considérer la phrase
précédente, inconciliable avec cette explication.
3° L'époque du pontificat de saint Léon II est fixée de la manière
la plus certaine. Il a régné, du 17 août 682 au 3 juillet 683. Vous ne
le contestez pas, et il est impossible de le faire en présence du pas
sage du Liber pondficalis : « De son temps, le 16 avril, indiction XIe,
eut lieu une éclipse de lune après la cène du Seigneur... » Or on sait
qu'entre le sacre de saint Léon II et la mort de son prédécesseur, s'é
taient écoulés un an, sept mois et quelques jours. Pour faire mourir
saint Agathon en 682, il faut donc retrancher de cet intervalle toute
une année contre la foi'du Liber pontificalis, et de presque toutes les
LE PAPE HONOMCS ET MONSEIGNEUR HÊFÊLÉ £99
listes pontificales rassemblées à la fin du livre des Bénédictions de So-
lesmes sur les Origines de f Eglise romaine.
h° D'après M. Jaffé, avec lequel je suis d'accord sur toutes les
dates, Sergius fut élu en octobre 687 ou plus tôt, et sacré le 15 dé
cembre 687. Or nous lisons dans sa Vie que, sept ans avant son ponti
ficat, il avait été fait prêtre du titre de Sainte-Suzanne par saint
Léon II. Quand même par sept ans on entendrait six ans et un jour, ce
texte contredirait encore votre opinion sur l'époque de la mort de saint
Agathon.
A toutes ces preuves que pouvez-vous opposer? Une seule chose.
Le Concile a toujours retenu le nom de saint Agathon en tête de ses
séances; et le 16 septembre 681, il lui adressait sa lettre de clôture.
Ce fait est grave sans doute, moins cependant qu'il ne semble au pre
mier abord : car je ne crois pas qu'il soit en contradiction avec la
mort de saint Agathon durant la tenue du Concile.
En effet, à la nouvelle de cette mort, les Pères durent se trouver
dans un étrange embarras ; le cas était nouveau; la solution n'en
était pas prévue comme aujourd'hui. De substituer le nom de saint
Léon II à celui de saint Agathon, ils n'y pouvaient penser, parce que
l'usage ne permettait pas de regarder comme définitive l'élection d'un
pape que quand elle avait reçu la confirmation impériale. Sous saint
Léon II, cette confirmation se fit at endre fort longtemps; soit parce
qu'on voulait profiter de la vacance du Saint-Siège, pour introduire
le nom d'un pape parmi les noms des condamnés, soit à raison de
difficultés pécunaires entre la cour de Rome et celle de Constantinople.
Le nom de saint Agathon fut donc conservé en tête des actes, quoique
1rs légats de son successeur fussent présents à Constantinople et au
Concile.
Du reste, si la mort de saint Agathon pendant le Concile soulève
une difficulté, elle donne la solution de plusieurs : seule elle explique
les contradictions sans cela inexplicables que renferment les actes;
les contradictions, vous le savez, monseigneur, sont telles qu'elles
choquent les yeux les moins clairvoyants, telles qu'elles ont désespéré
les meilleurs critiques, et qu'elles en ont engagé beaucoup à rejeter
l'authenticité des actes. En particulier, cette mort donne la raison du
silence des légats, et elle fait comprendre comment, dans une lettre
qui, sur l'adresse, porte le nom de saint Agathon, les Pères du Con
cile ont pu affirmer sans impudence qu'ils condamnaient ceux que
saint Agathon avait condamnés, tout en y ajoutant, contre son inten
tion, le nom d'Honorius.
500 REVUE PU MONDE CATHOLIQUE

Mon but, monseigneur, n'a pas été de porter atteinte à la haute


considération dont vous jouissez, mais de défendre la vérité ; je ne re
lèverai donc pas dans votre travail plusieurs autres fautes graves;
encore moins irai-je rechercher si votre célèbre Histoire des Conciles
ne renferme pas plusieurs erreurs sérieuses qui la déparent. Cepen
dant je ne terminerai pas sans avoir répondu à une note au moins sin
gulière que vous avez ajoutée à la phrase suivante, qui avait en effet
bien besoin de correctif : « La doctrine universelle de l' Église a été que
le Pape pouvait être déposé pour cause d'hérésie et uniquement pour
cela. Cette doctrine a passé dans le corps du droit-canon . » Voici
maintenant votre note : « On dit, il est vrai, qu'il s'agit seulement ici
de l'hérésie du Pape en tant qu'homme privé; mais, s'il peut arriver
en général que le Pape tombe dans l'hérésie, pourquoi ne- pourrait-il
pas aussi arriver qu'il proclamât ex cathedra l'hérésie qu'il a embras
sée de cœur? » Pourquoi, monseigneur? Parce que l'assistance de
Dieu est promise au Pape en tant que Pape, et non pas en tant qu'homme
privé; au moins cela n'est pas certain ; parce que Jésus-Christ a prié
pour Pierre afin que sa foi ne défaille point ; parce qu'il lui a donné
l'ordre de confirmer ses frères dans la foi, et qu'il lui a promis que
les portes de l'Enfer ne prévaudraient jamais contre lui.
Eu terminant, monseigneur, je prie Dieu de bénir ce travail; et la
principale bénédiction que je lui demande est de bien faire comprendre
à Votre Grandeur l'esprit qui l'a dicté. Je l'ai entrepris pour défendre
ce que je crois du fond de mon âme un article de foi, et je le termine
avec la conviction toujours plus ferme que le sentier de la vraie science
ne s'écarte jamais du chemin royal de la foi.
Permettez- moi de me dire avec le plus profond respect,
de Votre Grandeur,
Le très-humble et très-obéissant serviteur,
H. M. COLOMBIER. S.J.
V

ETUDES

RELIGIEUSES, HISTORIQUES

ET LITTÉRAIRES

PAR DES PÈRES DE LA COMPAGNIE DE JESUS

QUINZIÈME ANNÉE— QUATRIÈME SÉRIE

TOHS SIXIÈME

PARIS

AU BUREAU DE LA REVUE
CHEZ JOSEPH ALBANEL, LIBRAIRE
15, RUE DE TOURNON, 45
it chez AUGUSTE DURAND, rub cuus,7. (Ancienne rue des Grès-Sorbonne.)

4870
BIBLIOGRAPHIE.
De Honorii I Romani pontificis causa in concilioVI. (Sur le procès d'Ho-
norius 1 pontife romain au VI8 concile. Dissertation de Joseph Pennachi,
suppléant du professeur d'histoire ecclésiaî tique à l'université romaine).
Rome, 1870, in-8", 288 p.
RÉPONSE A Mgr HéFÉlÉ, pour faire suite aux Lettres au R. P. Gratry, par
A. DE Margerib. Douniol; prix: 0 fr. 75 c. — QUATRIÈME LETTRE ou
R. P. Gratry, par le même.
La cause d'Honorius. Documents originaux avec traduction, notes et conclu-
clusion. Paris, Palmé, 1870, in-4°, 126 p. — Prix : 4 fr.
L'université romaine aurait manqué à sa mission si, dans ce mo
ment de lutte suprême, elle n'eut pas été représentée sur le champ de
bataille. M. le professeur Pennachi l'a compris et il a pris lui aussi la
défense du saint pontife dont les actes et la condamnation forment
l'argument le plus exploité contre l'infaillibilité pontificale. La Civiltà
Cattolica a loué ce travail comme il méritait de l'être et nous nous
associons de grand coeur aux éloges qu'elle lui a décernés.
Le savant professeur a usé de cette liberté que l'Église laisse à ses
enfants: aussi, dans sa dissertation, s'éloigne- t-il en plusieurs points
des opinions communes. Nous ne lui en faisons pas un reproche qui
d'ailleurs retomberait sur nous. Car avec M. Pennachi nous avons
bien de la peine à croire que les Pères du Concile de Constantinople
aient voulu séparer la cause d'Honorius de celle des autres con
damnés; avec lui nous inclinons à penser que les évêques ont erré
dans un fait dogmatique quand ils ont condamné les lettres du Pape.
Avec lui et plus que lui nous pensons que les Pères de Constantinople
au moment de la condamnation ne constituaient pas un concile œcu
ménique : car il n'y a pas de semblable concile sans Pape, et saint
Agathon était mort à cette époque : les Pères le savaient. Mais nous
nous séparons de lui quand il affirme que les lettres d'Honorius sont
des lettres ex cathedra et nous ne pouvons, même sur ses indications,
découvrir dans le texte de saint Maxime la preuve que ces lettres
aient été écrites en concile. Cependant, pour préciser notre désac
cord, peu important dans ce cas particulier, il faudrait entier profon
dément dans la distinction du Pape parlant ex cathedra, du Pape par
lant simplement comme chef de la hiérarchie ecclésiastique, et enfin
du Pape parlant comme personne privée : trois membres indispen
sables pour que la distinction soit complète. Cela nous entraînerait
trop loin. «
En somme la dissertation de M. Pennachi restera comme une des
œuvres sérieuses publiées sur la matière. Mais nous croyons que, en
France surtout, le travail de M. l'abbé Weil et de M. Arthur Loth
sera plus utile. Ces deux auteurs ont pensé que le meilleur moyen
d'apaiser enfin le tumulte qui se produit autour de cette question
d'Honorius, était de mettre chacun à même de connaître toutes les
pièces du procès. Ils ont donné avec une traduction française les mo
BIBLIOGRAPHIE. 149
numents ou les extraits qui sont nécessaires pour suivre ce grand
procès d'un bout à l'autre: depuis la lettre de Sergius à Honorius,
jusqu'au résumé historique des débats par saint Germain, saint Théo-
phane et Bède le Yénérable.
Désormais donc ceux qui dans notre pays n'auront pas d'opinion
personnelle sur ces faits, ne pourront s'en prendre qu'à eux-mêmes.
Chacun n'a qu'à prendre et à lire.
Nous nous permettrons, cependant deux ou trois observations sur des
points secondaires. Etienne de Dore vint trois fois à Rome. Une pre
mière fois sans doute pour apporter au Pape les lettres de communion
de saint Sophrone, et c'est à la suite de cette première ambassade
qu'Honorius écrivit sa seconde lettre. Une seconde fois, il y apparut au
moment de la mort du Pape, après l'adjuration solennelle faite par
le patriarche de Jérusalem au tombeau du Sauveur. Dans son troi
sième voyage il assista au concile de Latran. Du reste la conclusion
essentielle de la note 6, p. 45, n'est nullement affaiblie par cette re
marque.
Dans la note Q, p. 90 et 91, les savants auteurs laissent planer un
doute sur l'authenticité des actes du VIe concile. Ce doute ne me
parait pas légitime. L'abrégé des actes du VI* concile tel qu'il se lit
dans la vie de saint Agathon est surtout incomplet. Il a, ce nous
semble, été rédigé avant la conclusion du Concile ou du moins sur
la partie des actes apportée à Rome avant cette conclusion. La vie de
saint Léon II, en mentionnant la condamnation d'Honorius, achève le
récit de la vie de saint Agathon sans le contredire.
Enfin je terminerai par une question personnelle. M. Loth m'at
tribue, p. 126, une découverte que je ne revendique pas. M. Jaffé
avant moi et peut-être Bossuet avant lui avaient vu la véritable date
de la mort de saint Agathon. Mais je crois avoir le premier indiqué
l'important parti que l'on peut tirer de ce fait. Je crois aussi avoir ou
vert une route nouvelle pour l'explication complète des lettres d'Ho
norius ; et cette route avec sa nouveauté a son importance ; car actuel
lement on objecte bien plus au Pape Honorius ce qu'il a dit sur les
mots une et deux opérations que sa phrase : t Nous confessons une
volonté eu Jésus-Christ. »
Nous engageons tous ceux qui veulent par eux-mêmes étudier la
question d'Honorius à lire le livre de MM. Weil et Loth. Aucune dis
sertation ne peut 1er remplac«r ni produire des résultats aussi solides.
Sur les opuscules de M. de Margerie, nous ne dirons qu'un mot.
Après nous être associé pour une faible part à ses combats, nous ac
ceptons ses espérances et nous respectons assez nos adversaires pour
demeurer convaincu que le jour où la définition aura été prononcée,
nous nous retrouverons frères dans la foi, frères unis comme s'il n'y
avait jamais eu de lutte.
H. Colombier.
BIBLIOGRAPHIE.

POST-Scriptum sur Honomus, par L. Pétbtot, supérieur de l'Oratoire, in-48,


48 p. Paris, Albanel et Adrien Le Clère. — Prii : 0 fr. 75 c.
Il y a toujours place dans une discussion, si ardue et si compliquée
qu'elle soit , pour un certain bon sens supérieur qui sait se faire
écouter, parce qu'il est manifestement impartial, et qui finit, sans
violence et sans bruit, par avoir le dernier mot.
Vous voyez cela, par exemple, dans une cour d'assises, lorsque,
après des débats qui ont épuisé tous les moyens de l'accusation et de
la défense, un président, doué d'une mémoire sûre et d'un esprit net,
avec toute l'autorité qui s'attache à ses hautes fonctions et que relève
encore l'intégrité connue de son caractère, prend enfin la parole à
son tour et résume,, en fort peu de mots, toute la cause. Vous pensiez
que tout était dit ; point du tout, c'est alors seulement que se forment
les convictions du grand nombre des auditeurs, sans même en
excepter les jurés dont ce simple exposé fixera les hésitations et pré
parera le verdict.
Le Post-Scriptum du R. P. Pététot réserve à ceux qui le liront quel
que chose de l'agréable surprise que chacun éprouve en pareil cas.
Il résume, en l'éclairant, une discussion dont les détails sont acces
sibles à peu d'esprits. Puisse-t-il en être aussi le dernier mot 1
Ch. Daniel.

L'esprit et la lettre dans la moralb religieuse , par M. l'abbé E. Mi-


CHAUDi, docteur en théologie, chanoine honoraire, vicaire de la Madeleine.
— La Foi. — Paris, Didier, 1870. — In-18, pp. xx-412. — Prix : 3 fr.

Après avoir, dans un précédent ouvrage, tracé les règles générales


de la morale religieuse, M. l'abbé Michaud entreprend d'étudier en dé
tail les vertus chrétiennes. L'ordre logique et l'importance du sujet
l'engageaient tout d'abord à nous parler de la foi : la foi pratiquée se
lon l'esprit et selon la lettre, tel est donc l'objet de ce nouveau livre.
Les quatre premiers chapitres (p. 1-110) forment une sorte d'intro
duction où l'auteur traite de l'amour du vrai, du bien, du beau et de
l'infini ; c'est comme un exposé de morale naturelle, œuvre de philo
sophe et d'éruditroù des idées souvent élevées se perdent malheureuse
ment au milieu d'une surabondance de citations superflues et dispa
rates. On aime peu rencontrer côte à côte saint Mathieu et madame
C Sand (p. 62), saint Augustin et J.-J. Rousseau, Richard de Saint-
Victor et M. Jules Simon. N'y a-t-ilpas, en effet, quelque chose de cho
quant dans ce mélange hétérogène? Un exemple : « La vie est une
aspiration à monter, c'est un éternel effort vers l'état le meilleur, le
plus épuré et le plus divin (G. Sand1). (Test ce que nous a enseigné
Jésus-Christ lorsqu'il a dit : Soyez parfaits comme votre Père céleste est
parfait... » Comme on est désagréablement surpris de passer ainsi, sans
transition aucune, de l'auteur de Mademoiselle la Quintinie à l'Évan
BIBLIOGRAPHIE. 1 31
gilet Ce n'est là q.u'un manque de goût; mais le reste de l'ouvrage
(1 11-410) m'oblige à des réserves plus sérieuses.
Donner eu peu de mots des notions exactes et précises sur la na
ture et la grâce, la raison et la foi..., est une entreprise difficile et pé
rilleuse ; je n'oserais dire que l'auteur ait partout complètement réussi.
Tantôt il semble, à la suite de Pascal, trop humilier la raison et la con
damner à une sorte de scepticisme, en lui refusant la possibilité de
f donner à aucune question aucune réponse péremptoire et défini
tive' ; » tantôt il laisse peser sur « les docteurs de l'Église » le reproche
de « nier la liberté » et « d'imposer la foi en opprimanl l'esprit, » sans
citer aucun texte à l'appui de cette odieuse accusation qu'il ne réfute
pas assez (p. 266). Ailleurs on tombe, non sans surprise, sur cette
phrase malencontreuse : « Les théologiens avouent que des erreurs
scientiuques peuvent s'être glissées dans la rédaction de la Bible
(p. 277), » et l'on s'étonne bien davantage d'entendre attribuer cette
opinion au docteur Eeusch, qui dit tout le contraire. En effet, le sa
vant professeur parle, dans l'endroit cité1, non pas des enseignements
de nos saints livres, mais des pensées purement personnelles de Moïse et
ries autres écrivains sacrés, ce qui est bien différent. Après avoir dit
que « Moïse ne fut point élevé, pour ce qui regarde la science profane,
au-dessus du niveau intellectuel de son époque, »M. Reusch ajoute: «Au
reste, il nous est asseï indifférent que les opinions personnelles de
Moïse, en matière de physique, soient exactes ou non; il nous importe
seulement de savoir quelles opinions ont été exprimées dans la fîenèse,
qui n'est pas l'œuvre de Moïse seul, mais de l'homme inspiré par
Dieu?.. .«Que dire alors? (p. 28-29) Ce qu'il faut dire, le docteur alle
mand le développe dans toute la suite de son bel ouvrage et le résume
nettement dans eette proposition : « La Bible n'enseigne rien sur le
monde primitif qui puisse être démontre" inexact par la science natu
relle; il est impossible qu'il y ait contradiction entre ce que la Bible
nous enseigne et ce que la nature présente au naturaliste comme ré
sultat certain; » et.il en donne cette grande et simple raison : « parce
que la Bible et la nature viennent du même auteur et que c'est tou
jours le même maître qui,, dans l'une et dans l'autre, parle à l'esprit
de l'homme, quoiquedans une langue différente (p. 174). »
Noterai-je, en passant, ce qu'a de singulier l'hypothèse suivante :
«Lorsque 1 Église ne parle pas en simple gardienne des dogmes, lors
qu'elle ne répète pas purement et simplement, comme un écho, la pa
role révélée par Dieu, lorsqu'elle exprime des enseignements réellement

' « îfe pas pouvoir nous démontrer que les idées qui forment notre lumière
naturelle contiennent certainement des réalités et non des chimères, que nous
ne sommes pas dans cette vie comme dans un mauvais rêve, qite tout n'est pas
pour nous apparences trompeuses, et perpétuelle hallucination 1... » (Page15i.
Cf. Page 148.)
* La Bible 'et la.naturet p. 27 seq., traduction de M. Hertel.
453 BIBLIOGRAPHIE.
autres que ceux que renferme la révélation divine... alors on peut n'y
pas conformer son esprit et rester néanmoins catholique (p. 282). »
Comme s'il était jamais possible à l'Église d' « exprimer des enseigne
ments réellement autres que ceux que renferme la révélation divine I »
M. l'abbé Michaud, dans le chapitre intitulé : « la Foi libre et les
oppresseurs de la pensée, » cite des paroles de Fénelon qui « étonnent,
dit-il, par leur liberté presque audacieuse (p. 284). » L'étonneinent
aurait été moins grand, si le texte eût été mieux compris. Fénelon,
dans sa Quatrième instruction pastorale, argumente ad hominem contre
les jansénistes, partisans du silence respectueux, qui pensaient pouvoir
signer le formulaire tout en persistant à regarder l'Église comme
« faillible sur les textes » et les faits dogmatiques. Yoici comment il
résume lui-même toute son argumentation : « Si l'autorité de l'Église
n'est qu'un signe faillible, et si elle n'est pas le vrai infailliblement vrai,
comme parle saint Thomas, l'Église, en exigeant le serment de ces
théologiens, extorque notoirement, depuis quarante ans, des parjures
innombrables. Or, c'est blasphémer contre l'épouse du Fils de Dieu,
que de parler ainsi. Donc, il faut supposer que son autorité sur les
textes n'est point un signe faillible, mais le vrai infailliblement vrai l. »
Or que fait notre auteur ? 11 coupe en deux la majeure du syllo
gisme, retranchant presque partout la phrase conditionnelle : « Si
l'Église est faillible sur les textes... » Par exemple, dans le texte
suivant, il supprime* tout ce que nous enfermons entre parenthèses :
« (Otezà toute l'Église l'infaillibilité sur les textes, tout ce que saint
Augustin dit pour excuser saint Cyprien, doit être dit mot pour mot
du parti.) Loin de signer, loin de croire, loin de jurer, chacun
peut avoir raison contre l'Église, raisonner plus sagement qu'elle,
être plus éclairé en ce point, la reprendre et la contredire sans enflure,
ni présomption, ni arrogance, avec humilité, paix et charité chré
tienne... » Fénelon, mieux compris, n'a donc plus le mérite d'une
liberté presque audacieuse.
J'en pourrais dire autant d'un texte de saint Bernard (p. 288), où il
ne s'agit ni de foi, ni de croyance, mais de commandement, de per
mission et d'obéissance; et d'un autre de saint Thomas, qui dit bien
que l'Église doit, quand elle se trompe, réparer son erreur, mais qui
ne parle ici que des erreurs de fait et des actes purement personnels,
tels que possessions, crimes, mariages, ainsi que Fénelon le remarque
lui-même à l'endroit cité par notre auteur
Est-ce trop insister sur les détails? Nous ne le pensons pas. La gra
vité de la question, le talent et la réputation de l'auteur nous impo
saient le devoir d'un examen sérieux, dont nous lui soumettons le
résultat avec d'autant plus de franchise que nous doutons moins de
son amour pour la vérité. Ch. Clair.

« T. XII, éd. Lebel, p. 227. — • L'esprit et la lettre, p. 287. - • Fénelon,


Quatrième instruct., p. 474-476.— Thom. in IV sent. dist. XLI, art. V.
RELIGIEUSES

PHILOSOPHIQUES, HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES

PAR

DES PÈRES DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS

DIX-SEPTIÈME ANNÉE — CINQUIÈME SÉRIE

TOME TROISIÈME

BUREAUX
LYON PARIS
LECOFFRE FILS & C"=,LIBRAIRES JOSEPH ALBANEI., LIBRAIRE
2, RUE BELLECOUR 7, mm HONORÉ-CHEVALIER

1873
274 MÉLANGES
eau à la. hauteur des plus célèbres conciles du passé! Et après nous
avoir retracé à grands traits toutes les parties de cette constitution,
désormais acquise à la tradition catholique et dont sa rare sagacité
avait saisi toutes les intentions, toutes les nuances : « — Je ne sais point
l’avenir, nous dit-il; mais dès à. présent le Concile peut se clore; il est
un grand Concile. » ‘
Le Concile ne s’est pas clos sur cette première Constitution, ajoute
Mgr Pie; et la session Solennelle du 18 juillet suivant, sans parler de
tout ce que nous réserve l'avenir, a fait du Concile du Vatican l'un des
grands événements de l‘histoire ‘. G. DESJARDINS.

ENCORE UN MOT
SUR

LA QUESTION D’HONORIUS

Dans le seizième volume de l’Hz‘stoz‘re générale de l’1i'glise.


M. l'abbé Barras attaque une opinion que j'ai soutenue dans les
Études à l'époque du dernier concile”. En ne répondant pas, je pas
serais pour abandonner un sentiment que je continue cependant}
regarder comme le seul vrai. Il s’agit encore de la condamnation
d'Honorius : que le lecteur me le pardonne. Je serai aussi bref que
possible, et d'ailleurs la question n’a perdu ni tout son intérêt, ni
toute son importance.
J’ai le bonheur de me rencontrer avec M. Barras sur le point
principal. Quand le sixième concile condamna Honorius, il était
acéphale. Mais comment était-il acéphale? Ici commence notre
dissentiment. Je soutiens qu’il 'ètait par la mort connue du pape
saint Agathon. M. Barras prétend, au contraire, que saint Agathon

1 Nous sommes heureux de saisir cette occasion pour faire connaître à ceux de nos
lecteurs qui pourraient l'ignorer, la publication du sixième volume des œuvres de Mgr
de Poitiers. Ce volume, (ligne en toutdes précédents.renferme les lettres pastorales,
discours et homélies de l'illustre prelat jusqu'à son retour du Concile, Il se trouve,
comme les précédents, chez Oudin, libraire à Poitiers, et à Paris, chez V. Palme.
' Études religieuses, décembre, 1869. Janvier, février, mars et avril 1870.
' MÉLANGES 273
vivait toujours, mais que les évêques grecs chassèrent ses représen
tants après la onzième session. '
Avant de discuter les preuves alléguées de part et d’autre, je
me vois avec peine obligé de signaler la liberté que l’auteur se donne
dans la traduction de certains textes. Ainsi, page 358, nous lisons
une prétendue version d’un passage de Matthieu Cariophylle, arn
chevêque d’Icone : « Et maintenant de deux choses l’une : les Orien—
taux eurent ou n’eurent pas pour complices dans la condamnation
d’Honorius les légats d’Agathon. 82‘ les légats étaient absents, il
est clair que la séance fut acéphale. Si les légats y assislèrwzt
et donnèrent leur consentement, il est clair qu’ils dépassèrent
illicitement leur mandat..... ) Or, que lit—on dans le texte? a Ainsi
donc, quand les Orientaux condamnaient Honorius, ils avaient le
consentement des légats du pape ou ils ne l'avaient pas. S’ils ne
l'avaient pas, ce que nous prétendons est certain; s’ils l’avaient,
c’est contre le droit qu’ils l'avaient... 1 > Pas un mot, dans ce
texte, qui puisSe faire soupçonner l'absence des Iégats, et c’était
cependant le point essentiel.
De plus, M. l’abbé Barras a—t-il toujours calculé suffisamment
la portée de ses attaques? Ainsi combien de fois ne reproche-t-il
pas au sixième concile d’avoir été présidé par des laïques! Mais
comment ne s’est-il pas souvenu des formes usitées déjà dans le
concile de Chalcédoine, dont il a écrit l'histoire? Sauf la mention
du trône vide de l'empereur, les actes du sixième concile sont en
tout pareils à ceux du quatrième. A Chalcédoine, les officiers pré—
posés par l'empereur Marcien à. la police du concile, se tenaient
devant la grille du chœur avec le sénat, les Pères siégeant à gauche
et à droite, et ces grands personnages intervinrent continuellement
dans les délibérations, excepté durant la troisième session où fut
jugé Dioscore. Si donc le sixième concile est méprisable pour avoir
laissé une sorte de présidence à. des magistrats laïques, que dirons-
nous du quatrième qui procéda absolument de la même façon? Mais
il est temps d’en venir au point en litige. J’ai avancé, — et mon

1 Aut ergo quando (irientales damnabant Honorium, consentientes ha‘)ebflnt etiam


legatos papale, :iut non habebant. Si non habebant, certum est quod dicimùs; si vero
habebant, illicite habebant... du Je ne cite pas le texte grec parce qu’il est évidem
ment défectueux en cet endroit : il y manque deux mots. Le sens, du reste, n’en peut
être douteux. (Migne, Pat. gr., t. CXLlX, col. 766.)
276 MÉLANGES
opinion n’a pas varié, —- qu'à partir de la dixième session, le con—
cile fut acéphale par la mort connue de saint Agathon. En d’autres
termes, je maintiens que saint Agathon est mort le 10 janvier 681
et non le 10janvier 682.
A l‘appui de mon sentiment j’ai apporté, non pas deux, mais
quatre raisons distinctes, comme on peut le voir dans la Revue du
Monde catholique (25 mai 1870). En rappelant ces preuves, je
discuterai les réponses qu’y oppose M. l'abbé Barras.
1° Le 13 décembre 681, l'empereur Constantin adressait une let—
tre à saint Léon Il, successeur de saint Agathou. Donc saint Aga
thon, qui est mort le 10 janvier, n’a pu mourir qu’en 681 et non
en 682. M. l’abbé Barras repousse cette conclusion, parce que, dit-il,
on ne trouve la mention du 13 décembre 681 que dans une note
rédigée à Rome par un inconnu. Mais alors, pourquoi cette indica
tion se trouve-t—elle dans le texte grec aussi bien que dans le texte
latin ? Pourquoi une date presque identique se rencontre-t-elle dans
une seconde lettre adressée par l’empereur au concile de Home?
Là, il est vrai, l’indication n'existe qu’en latin, mais cette indi—
cation porte en elle—même une marque évidente d'authenticité. On
y lit, en effet : < Donné le 10 des calendes de janvier : la 29’ année
de Constantin, la 13° après.son consulat, indiction Xe. » Et une
main postérieure n’aurait pas manqué d’écrire la 12° après son
consulal, comme le demande la manière ordinaire et raisonnable
de compter; tandis qu'au vu“ siècle on ajoutait toujours, et mal
à propos, une unité au postconsulat. Pour renverser cette preuve
suffira—t-il de faire observer que la réponse du pape saint Léon Il
renferme dans le latin, et dans le latin seulement, une date évidem
ment fausse, de tout point fausse ‘; je ne le crois pas. On ne réussira
pas mieux en disant : si la lettre fut délivrée au mois de décembre,
pourquoi les légats ne la rapportèrent-ils à Rome qu'au mois de
juillet? Ne sent-on point qu’il fallut de longues négociations pour
amener le pape saint Léon Il à. sanctionner, même avec de grands
adoucissements, la condamnation de son prédécesseur?
2° Saint Léon Il a. envoyé des archevêques lègats au concile ter
miné le 16 septembre 681. Donc, saint Agathon est mort en 681.

* Cette date fausse se lit à la fin du texte latin : a: Data nonis maii, indictione de
cima. 1: M. Barras voudrait corriger seulement l'indiction et conserver la mention du
111015.
MÉLANGES 277
M. Barras est d'avis quej’interprète mal les mots : archiepis—
capz' sunt a nobz‘s destinali. Et, par nobis, dit—il, saint Léon en—
tend saint Agathon, en vertu de la solidarité qui lui fait accepter
les actes antérieurs du Saint-Siège; et il apporte des exemples où
le mot nobz‘s a été pris ainsi dans un sens détourné par d'autres
souverains pontifes. — Mais la {question n’est pas de savoir si le
mot peut être employé de cette façon et s’il l’a été quelquefois ou
même souvent. Tout se réduit à. reconnaître si, dans le cas particu—
lier, l’expression nobis doit être prise à. la rigueur. Or, sur ce point
précis aucun doute n’est possible. Voici, en effet, le texte : « Le
saint et universel VI° concile a donc été célébré; le seigneur pape
Agathon notre prédécesseur, d’apostolique mémoire, s’y est fait
représenter par des prêtres et des diacres ; pour Nous, Nous y avons
destiné des archevêques pris dans diverses provinces l... » De
bonne foi à qui persuadera-t-on que le mot nous, ainsi placé, veuille
dire saint Agathon?
3° Saint Léon II a été sacré le 17 août 682. Je suis, sur ce point,
d’accord avec M. Barras. Mais, entre la mort du pape saint _Agathon
et le sacre de son successeur, il s’écoula un an, sept mois, cinq
jours. Donc, saint Agathon mourut en janvier 681. Pour échapper
à cette conclusion, mon savant contradicte‘ur est obligé de corriger
(p. 271) le texte du Liber pontificalis et d’y supprimer les mots
unv4°an.
Sergius fut 'élu en octobre 687 au plus tôt. et sacré le 15 dé

cembre 687. Or, nous lisons dans sa vie que, sept ans avant son
pontificat, il avait été fait prêtre du titre de Sainte—Suzanne par
saint Léon 11. Quand même par sept ans on entendrait six ans et
un jour, ce texte obligerait encore à mettre la mort de saint Aga
thon en 681.
A ces preuves que peut-on opposer? Une seule chose. Le concile
a toujours retenu le nom de saint Agathon en tête de ses séances;
et, le 16 septembre 681, il lui adressait sa lettre de clôture.
M. Barras fait même remarquer que dans la seizième session il lui
souhaite de longues années. Ces faits semblent graves sans doute;

4 Universale itaque sanctum sextum Concilium celebralum est: ad quod celehran


dum ex... Agathonis papæ persona presbyter diaconique direcli sunt. De divertis au
lem conciliis huic sanctæ apostolicœ sedi... subjacentibus, nrchiepiscopi sunt a nobil
destinati. n(Hürd.. t. 111, col. 1730. C.)
278 MÉLANGES
mais en réalité ils ne le sont pas et ne me paraissent nullement en
contradiction avec la mort du pape saint Agathon durant la tenue
du concile.
En effet, à la nouvelle de cette mort,les Pères durent se trouver
dans un étrange embarras; le cas était nouveau; la solution n’en
était pas prévue comme aujourd'hui. De substituer le nom de
saint Léon Il à celui de saint Agathon, ils n’y pouvaient penser,
parce que l'usage ne permettait de regarder comme définitive l'élec
tion d’un pape que quand elle avait reçu la confirmation impériale.
Le nom de saint Agathon fut donc conservé en tête des actes, bien
que sa mort fût connue et que les légats de son successeur fussent
présents à Constantinople et au concile.
Ces quelques remarques si simples me permettent de passer sous
silence plusieurs arguments de M. Barras, qu’elles détruisent entiè—
rement. Encore moins répondrai-je au reproche de contradiction
qu’il m'adresse, parce que ce reproche suppose une notion fausse
sur le moment\ où le pape acquiert la juridiction pontificale.
M. Barras se convaincra qu'un pape du VII‘ siècle agissait comme
pape avant d’être sacré, s’il veut consulter les actes de Benoît 11,
successeur immédiat de saint Léon II ‘.
Prenons maintenant la contre -partie et discutons l’opinion de
M. Barras. Selon lui, les légats du Saint-Siège furent violemment
exclus du concile à partir de la douzième session. Cette opinion a
contre elle, non-seulement les préambules de toutes les sessions qui
n’omettentjamais de mentionner la présence des légats, mais encore
le texte même de la douzième session; car on y lit que Jean, évêque
de Porto, confronta la copie de la lettre d'Honorius avec l‘original
authentique, et qu'il en constata l'identité 2. Mais elle a en sa faveur
l'autorité d’un texte au moins trois fois édité d'Eutychius, et qui
3stdonné cependant comme inédit. Et d'abord remarquons qu’Eu—
tychius, distingué surtout par ses connaissances en médecine, vécut
à. Alexandrie, sous le joug des Musulmans, loin des richesses litté—
raires de la Grèce, au 11° siécle seulement. (933-950), c'est-â-dire

4 Voir Jafl‘é, Regesta sum. pomif., n" 163 et surtout a“ 1637.


2 M. Barras répondra-Ml que Jean était légat du concile de Rome et non du
pape? Je lui demanderai pourquoi les Grecs n'expulsèrent point les uns aussi bien
que les autres; pourquoi on ne fit pas dans la suite le procès aux léguts du concile,
restèrent après l'exclusion des légats du pape.
MÉLANGES 279
250 ans après les événements. Et de quelle estime est—il entouré? Le
résumé de l'opinion de Dom Ceillier à son sujet est clair : < Sa
chronologie n'est pas exacte; ses annales sont remplies de fables
et d’anachronismes ‘. >Ouvrons l'E’ncyclape’die, traduite par l’abbé
G0schler : a: Les annales d’Eutychius, y lisons-nous, (renferment)
des renseignements qu’on chercherait vainement ailleurs et qui
portent tellement le caractère de la légende et de la fable qu’on ne
peut croire l’auteur que sous réserve lorsqu'il prétend les avqir
tirés..... d’écrits anciens 9. > Je cite ces deux jugements ad.abun
dantz’am, car nous n’avons besoin, pour asseoir le nôtre, d’aucune
appréciation extrinsèque. Le précieux texte d’Eutychius renferme
un détail notoirement faux : on ohassa les trois diacres qui avaient
été députés par le patriarche de Rome. Le pape avait député deux
prêtres et un diacre. Ce détail est peu important, dira—t-om—Mais
tout le passage d’où il est tiré est rempli de tant d’erreurs, de tant
de faussetés, qu’on se demande comment un écrivain judicieux peut
y trouver le fondement de ses convictions. Pour n’en citer que quel—
ques—unes : Eutychins place le sixième concile vers la quatrième
année du califat de Moawiahl,.c'est-à-dire vers 664; il transforme
l'empereur Constant, père de Constantin Pogonat,flen un lieutenant
de ce prince pour l’Occident. Pour lui, les papesdecqtte époque se
succèdent dans l'ordre suivant : Théodore, Martin, Dujanius, Aga
bius. Le fantastique Dujanius y tient lieu, à. lui tout seul. de saint
Eugéne I, _de saint Vitalien, d’Adéodat et de Bonus. Mais il y a,pis :
d'après Eutychius, le sixième concile, en condamnant Honorius, n’a
fait que suivre les traces du pape Théodore. Fm efl'et, ce merveilleux
annaliste a pris soin de nous conserver une lettre où ce pape écrit à
Constantin : « Vous avezreçu la puissance à'la place :des saints
apôtres..... non pas,comx;xe=Sergius,Honorius..... qui ont contredit
la vérité, qui sont dignes de l'anathème et de la privation deleurs
dignités dans l’Église... > Telle est la seule autorité qu'on nom
apporte pour renverser les actes officiels d'un concileh Çar les texH t
de saint Germain, de saint Théophane et des autres, prouvent t0u.
simplement les prétentions des patriarches de Constantinople et
nullement l'expulsion violente des légats. ‘ '

1 Tables, t. K, p. 376.
2 Tables, t. Vlll, p. 176.
280 MÉLANGES
Cependant soyons de bonne composition: admettons que cette
preuve, à elle seule, contrebalance tous les témoignages positifs et
négatifs qu’on peut lui opposer. Je dis que, même dans cette hypo
thèse, il n'y a aucune hésitation possible entre mon explication des
actes du sixième concile et celle que veut lui substituer M. Barras.
En effet, comme il en convient lui—même, pendant les neuf premiè
res sessions, le concile procède avec une régularité parfaite.
Il semble qu'avec le dikième tout doive se terminer et rien jusque
là ne fait pressentir la condamnation d’Honorius. Tout à coup la
scène change Comme par enchantement, la cause d'Honorius est in
troduite, expédiée en un tour de main, et les lègats n'y forment
aucune opposition. Le concile se traîne ensuite quelques mois, se
termine brusquement et l'approbation s'en fait attendre une année
entière.
Tout s’explique le plus simplement du monde si le pape saint
Agathon est mort le 10 janvier 681 et si la nouvelle de sa mort est
parvenue à Constantinople après la neuvième session. Car alors on
comprend et l’audace subite des ennemis du Saint—Siège, et l'embar
ras des légats, et la suspension du concile pendant qu‘on attend des
instructions de Rome, et le long retard qu’éprouve l’approbation
des actes par suite des allées et venues entre les deux capitales,
dans le but d'arracher à un pape élu, mais non sacré, un consente—
ment qu-i devait lui être très—pénible.
Dans l'hypothèse de M. Barras, au contraire. s’accumulent des
questions sans réponses. Pourquoi le revirement subit du concile?
Que font, que disent les légats du pape, brutalement expulsés? Que
deviennent ceux du concile de Home? Que fait saint Agathon qui
survit neuf mois à. la condamnation d’Honorius? S’il a protesté,
pourquoi son successeur a—t-il laissé supprimer ses protestations ?
Comment a—t-il accepté des actes évidemment falsifiés? etc.,etc... A
tout cela on ne répond sûrement pas, même en déplaçant de deux ou
trois ans le grand désastre infligé par les Bulgares aux armées
grecques 1.
Je crois en avoir dit assez pour dissiper les quelques nuages ras—
semblés par mon savant contradicteur, seulement il me permettra

4 Encore pourrais-je faire observer que la version latine publiée par Hardouin rend
bien douteuse celte découverte de M. Barras. -
_ MÉLANGES 281
d‘ajouter que ses autres difficultés contre les actes du concile ne sont
pas plus difficiles à résoudre. Ainsi l'apparition subite de l'héréti
que Apergius de Perga dans la seizième session ne repose que sur
une leçon incertaine, comme on peut s'en convaincre par la discor
dance qui existe entre le texte grec et la vieille traduction latine
publiée par le P. Hardouin. Quant au nombre des sessions, on devait
naturellement le compter d’une façon assez arbitraire à une époque
où l’on n'avait pas de noms distincts pour désigner les séances de
nature fort diverses qui se succèdent durant un concile. Ajoutons
l’irrégularité réelle des dernières sessions et surtout la précaution,
perfide peut—être, que prirent les Grecs de ne faire qu'une seule
copie authentique des actes. Aussi le Liber pontificalis, qui ne parle
pas des sessions acéphales, en indique au plus huit; la version longe
accuralz‘o'r, imprimée par le P. Hardouin, en compte seize, le texte
grec dix-sept et une autre version latine dix-huit.
Après ces explications on ne trouvera sans doute pas étrange que
je persiste dans mon opinion et que je rejette celle de M. l‘abbé Barras.
Je crois donc avoir le droit de maintenir les conclusions suivan
tes auxquelles m’ont conduit mes recherches sur Honorius:
1° Les lettres du pape Honorius sont, au point de vue de l’ortho—
doxie, irrépréhensibles jusque dans leurs moindres détails ;
2° La condamnation d’Honorius, telle que la prononcèrent les
Grecs de Constantinople, fut injuste dans la forme et dans le fond,
et nulle parce qu’elle fut portée par des hommes qui n’ignoraient
pas la vacance du Saint—Siège. ',
H. COLOMBIER.

L’UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN

Nous venons de parcourir avec une sérieuse attention et un vif


intérêt l’Annuaz‘re de l' Université catholique de Louvain pour
18‘73“. Ce petit volume ne perd rien de sa valeur en passant la

* 37' année. ira-18 de 435 pages, Louvain. Vanlinthout.

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