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L'eucharistie gnostique

Par Tau Lazarus

L'eucharistie, « l'action de grâce », est un rite central dans le christianisme. Aussi appelé messe, ou
sainte cène, il est pratiqué depuis les origines. On le retrouve chez les catholiques, les orthodoxes et
les protestants. Il consiste en l'absorption du corps et du sang de Jésus-Christ, et ce d'une manière
réelle (par dite « transsubstantiation ») ou symbolique (par « consubstantiation ») à travers
l’offrande du pain et du vin. Le rite met en application les instructions de Jésus, lors de son dernier
repas avec les apôtres :

« Alors, ayant reçu une coupe et rendu grâce, il dit : « Prenez ceci et partagez entre vous. Car je
vous le déclare : désormais, jamais plus je ne boirai du fruit de la vigne jusqu’à ce que le royaume
de Dieu soit venu ». Puis, ayant pris du pain et rendu grâce, il le rompit et le leur donna, en
disant : « Ceci est mon corps, donné pour vous. Faites cela en mémoire de moi. ». Et pour la
coupe, après le repas, il fit de même, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang
répandu pour vous. » (Luc 22, 17-20)
« Faîte cela en mémoire de moi » dit Jésus. Mais qu'est-ce que « cela » ? Jésus prend du pain et
affirme que c'est son corps, il prends une coupe de vin et affirme que c'est son sang. Est-ce la de la
magie ? Un symbole ?
L'eucharistie est vécue et comprise par les catholiques et les orthodoxes, comme la remémoration
du sacrifice pascal, voir sa réactualisation rituelle. C'est la pâque juive, dans laquelle l'agneau
immolé est Jésus-Christ lui-même, offert « pour la gloire de Dieu et le salut du monde » d'après la
liturgie catholique.
Il est mentionné dans les récits des hérésiarques, que les gnostiques pratiquaient également
l'eucharistie, et ce d'une manière rituelle, ou bien purement intérieure. Un groupe nommé les ophites
consacrait les espèces divines à l'aide d'un serpent, tandis que la secte des barbélo-gnostiques,
pratiquait, si l'on en croit les pères de l'église, des rites eucharistiques à l'aide de semences
sexuelles. Mais en règle générale, la messe pouvait ressembler à celle que l'on connaît, offrandes de
pain, de vin, d'eau, d'encens et de parfums, mais aussi d'herbes aromatiques que certains chercheurs
croient enthéogènes, le tout dépendant des pratiques communautaires. Quant aux prières, elles
étaient spécifiques au système gnostique.
La messe est donc un rite partagé par tous les chrétiens, qu'ils soient gnostiques ou non, c'est sa
signification et sa nature réelle, qui diffère selon les écoles. Enfin, la manière d'en faire une
cérémonie dépends aussi de ces écoles.
Certains gnostiques, les cathares et les musulmans remettent en question le sacrifice pascal lui-
même en affirmant que Jésus n'est pas mort sur la croix. Ce qui contredit la croyance en la
crucifixion, dogme fondamental de l'église : « nous, nous prêchons Christ crucifié; scandale pour
les Juifs et folie pour les païens » (1 Corinthiens 1, 23). Et même, en la résurrection, car sans
crucifixion, c'est à dire la mort de Jésus, comment pourrait-il y avoir résurrection, comment Jésus
pourrait-il ressusciter d'entre les morts s'il n'est pas au préalable, véritablement mort ? Enfin, sans
résurrection, pas de foi, nous annonce Paul : « Et si Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est
donc vaine, et votre foi aussi est vaine. » (1 Corinthiens 15, 13-14).

Paul parle d'une communion des fidèles qui meurent avec le Christ et ressuscitent avec lui, ce qui
constitue le sens profond de l'eucharistie dans la doctrine catholique : « Car, si nous sommes
devenus un même être avec lui par une mort semblable à la sienne, nous le serons aussi par une
semblable résurrection. » (Romains 6, 5).

Les « basilidiens », disciples de Basilide, l'un des premiers « gnostiques » chrétien, remettent en
cause l'interprétation littérale de l'église au sujet de la mort de Jésus-Christ « c’est un esclavage de
dire que nous mourrons avec le Christ Pensée incorruptible et immaculée » (Deuxième traité du
Grand Seth 49) voir même « un esclavage de confesser le crucifié » (Irénée de Lyon, Contre les
hérésie).
Or, comment peut-il y avoir actualisation d'un sacrifice, donc une messe, si ce dernier n'a pas eu
lieu ? Pour le comprendre, il faut revenir aux origines du christianisme, et entendre que la notion de
rédemption et de crucifixion avait un sens différent de celui adopté plus tard par l'église conciliaire.

Pour Basilide, Jésus est l'homme cosmique qui revêt un corps d'emprunt, une illusion destinée à
renforcer la foi de ceux qui croient en lui. Son « vrai » corps est céleste. Ce corps céleste, détaché
de toute mondanité, a vécu lui lors de la passion, un combat céleste contre les puissances
d'esclavages nommées « archontes ». De même que Jésus fut pourchassé et jugé par les pharisiens,
les archontes tentèrent de s'emparer de l'homme céleste. Mais il fut plus fort qu'eux. Il changea de
corps d'emprunt, un autre fut crucifié, et lui, se tenant au delà de l'erreur, subjugua les puissances
d'esclavage et libéra les âmes de leur influence.

« Ils m’ont vu, ils m’ont infligé un châtiment. C’était un autre, leur père. Celui qui buvait le fiel et
le vinaigre, ce n’était pas Moi. Ils me flagellaient avec le roseau. C’était un autre, celui qui portait
la croix sur son épaule, c’était Simon. C’était un autre qui recevait la couronne d’épines.
Quant à Moi, je me réjouissais dans la hauteur, au-dessus de tout le domaine qui appartient aux
archontes et au-dessus de la semence de leur erreur, de leur vaine gloire, et je me moquais de leur
ignorance. Et j’ai réduit toutes leurs puissances en esclavage. En effet, lorsque je descendis, nul ne
me vit car je me transformais, échangeant une apparence pour une autre et, grâce à cela, lorsque
j’étais à leurs portes, je prenais leur apparence. En effet, je les traversai facilement et je voyais les
lieux, et je n’éprouvai ni peur ni honte, car j’étais immaculé. Et je leur parlais, me mêlant à eux par
l’intermédiaire des miens, et foulant aux pieds leur dureté ainsi que leur jalousie et éteignant leur
flamme. Tout cela, je le faisais par ma volonté, afin d’accomplir ce que je voulais dans la volonté
du Père d’en haut. » (Deuxième traité du Grand Seth 49)

L'évangile de Philippe mentionne et explique même, ce changement d'apparence du Christ : « Jésus


les a tous pris grâce à un subterfuge, car il n’est pas apparu tel qu’il était, mais c’est tel qu’on
serait capable de le voir qu’il s’est montré. C’est à tous qu’il est apparu. Il est apparu aux grands
sous l’aspect d’un grand, il est apparu aux petits sous l’aspect d’un petit ; il est apparu aux anges
sous l’aspect d’un ange et aux hommes sous l’aspect d’un homme. C’est pourquoi son Verbe est
resté caché à tous. Certains l’ont vu en croyant se voir eux-mêmes. » (Philippe 26)

Bien qu'en apparence il y ait un corps de chair, en vérité, il n'en est rien. Bien qu'en apparence, il y
ait combat, souffrance, en vérité, il en va tout autrement : l'homme cosmique est déjà « dans les
hauteurs », au delà de la prison du monde. Il agit de ce lieu subtil de l'esprit sur les âmes et les
arrache à l'erreur et à l'illusion. C'est un « autre » qui meurt. Un autre corps : celui de Simon
affirment certains. Ou bien le serpent, que l'on représente cloué à une croix dans les représentations
alchimiques, inspirées du gnosticisme.

La crucifixion a bien eu lieu, mais la croix dont il s'agit n'est pas non plus du monde, elle est
l'instrument par lequel le Christ sauve l'âme. La croix constitue la limite de l'univers créé, la
frontière entre le monde matériel et les éons, les mondes spirituels : l'âme, qui vient de Dieu, est
littéralement « clouée » dans la matière. En s'étendant sur la croix, le Christ atteint l'âme divine,
appelée Sophia, et la relève des mondes inférieurs aux mondes supérieurs, des ténèbres à la lumière,
de la matière à l'esprit pur, du néant à la plénitude.

La notion de crucifixion est inversée chez les gnostiques : « Jésus le Vivant dît à ses apôtres :
bienheureux celui qui a crucifié le monde et que le monde n'a pas crucifié. » (Premier Livre de
Ieoû, 1). Il y a donc la notion de rédemption dans le fait de transcender le monde. Jésus lui-même se
présente aux apôtres comme le vainqueur du monde : « Je vous ai dit tout cela pour que vous
trouviez en moi la paix. Dans le monde, vous trouverez la détresse, mais ayez confiance : moi, je
suis vainqueur du monde.  » (Jean 16, 33)
Le véritable corps du Christ est donc cette divinité en l'homme, qui transcende le monde. Cette
présence à la fois propre à chacun et universelle. C'est lui le Saint Dieu, Saint Fort et Saint
Immortel, qui a vaincu la « mort », c'est à dire la vie ignorante de Dieu.

Le corps, offert lors de la Messe, est l'homme universel, l'image du Père. C'est lui qui « opère » (que
nous pouvons lire « au père ») sur les âmes, lors de l'épisode de la crucifixion relaté dans le
Deuxième traité du Grand Seth : ce « corps » de Jésus-Christ, lumineux, ouvre les portes de la
prison qu'est l'univers matériel et psychique vers le Père, et obtient la victoire sur les archontes. Par
cela, il libère l'âme. Et par sa propre élévation, il la fait également ascensionner vers Dieu en
témoigne les récits sur la Pistis Sophia de Valentin. Si les musulmans ne mentionnent pas la
crucifixion, en revanche, ils attestent de cette élévation de Jésus vers Allah : « "Nous avons
vraiment tué le Christ, Jésus, fils de Marie, le Messager d'Allah"... Or, ils ne l'ont ni tué ni crucifié;
mais ce n'était qu'un faux semblant! Et ceux qui ont discuté sur son sujet sont vraiment dans
l'incertitude: ils n'en ont aucune connaissance certaine, ils ne font que suivre des conjectures et ils
ne l'ont certainement pas tué. Mais Allah l'a élevé vers Lui. Et Allah est Puissant et Sage. »(Coran,
Sourate 4, 157-158)

Le corps rédempteur de Jésus est sa forme au ciel. Que Jésus soit monté au ciel, avant, après, ou
pendant la crucifixion, ou que le ciel soit sa véritable demeure, et que son apparence terrestre ne soit
qu'illusion, cela ne change pas grand chose en réalité. Tous mettent l'accent sur un autre corps de
Jésus, que l'on nomme corps glorieux, ou corps céleste. Ce corps glorieux est pour les catholiques
celui de la résurrection, et de l'ascension.

Les catholiques eux-même s'accordent à dire qu'ils ne « mangent » pas lors de la messe un corps
grossier et mort de Jésus, mais un corps ressuscité et glorifié. Quel est donc « cet autre corps » ?
Est-ce le pain matériel que Jésus montre en disant « prenez, ceci est mon corps » ce qui justifie
l'adoration eucharistique ? Ou bien est ce que le corps, qui est pain, est de lumière ? Dans ce cas,
qu'est ce que manger de la lumière ?

Le corps comme « pain de vie », n'apparaît pas après la mort de Jésus, il est déjà là : « Moi, je suis
le pain de vie. Vos pères ont mangé la manne au désert, et sont morts ; c’est ici le pain qui descend
du ciel, afin que quelqu’un en mange et ne meure pas. Moi, je suis le pain vivant qui est descendu
du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement ; or le pain aussi que moi je
donnerai, c’est ma chair, laquelle moi je donnerai pour la vie du monde » (Jean 6, 48-51). Jésus
distingue le pain vivant, qui confère la vie éternelle, de sa chair, qu'il donnera pour la vie du monde.
Hors la vie du monde est la vie selon le corps physique, tandis que le pain de vie, c'est la vie du
corps mystique, qui est éternel : «  Jésus leur dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, Moïse ne vous
a pas donné le pain du ciel, mais mon Père vous donne le vrai pain du ciel; car le pain de Dieu,
c'est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. Ils lui dirent : Seigneur, donne-nous
toujours ce pain. Jésus leur dit : Je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n'aura jamais faim, et
celui qui croit en moi n'aura jamais soif. » (Jean 6, 32-35)

L'évangile de Philippe nous renseigne sur la nature des espèces eucharistiques, et donc sur la nature
du Corps, la chair mystique du Christ : « Voilà pourquoi il a dit : Celui qui ne mangera pas ma
chair et ne boira pas mon sang n’a pas la vie en lui. Comment cela? Sa chair est le Verbe et son
sang est l’Esprit Saint. Celui qui les a reçus a nourriture, boisson et vêtement. » (Philippe 23)

Le corps du Christ est universel, il est l'esprit en chacun, qui est unique en tous, Dieu en l'homme,
Dieu fait homme. C'est le logos, le verbe. En le mangeant, on le devient. Manger le corps du Christ,
c'est réaliser la part divine de l'homme. Pour parler le langage de la tradition philosophique grecque,
c'est réaliser le nous, la présence divine, par la reconnaissance du logos, l'être divin, et ce, par la
participation du pneuma, qui constitue la seconde espèce eucharistique comme nous le verrons.
Absorber le corps, c'est transcender le corps physique, et réaliser que nous sommes en réalité ce
corps de lumière. Pour cela, le sacrifice du corps des passions, du vieil homme dont parle Paul, est
nécessaire, car il nous voile la réalité. De même il est nécessaire de subjuguer les archontes, les
puissances aveugles qui enferment notre identité dans une prison illusoire, afin que notre âme se
libère et reconnaisse sa véritable nature divine.

Il y a donc une conciliation entre les vues gnostiques et celles prêchées par l'église. Le vieil homme
de Paul est l'être aveugle du royaume de l'erreur dont parle les gnostiques, soumis aux puissances de
l'illusion et au règne des passions. Le nouvel homme lui, est l'homme qui se connaît en sa nature
divine, et qui a transcendé l'illusion du monde. C'est lui qui jouit véritablement du royaume de Dieu.
En lui, n'est plus que le Christ. C'est le demiurge, le faux-dieu, l'homme de l'erreur qui meurt sur la
croix. L'homme divin, lui, vit éternellement. Cela est rappelé dans la messe catholique lorsque le
prêtre transfert le mal, destiné à mourir, sur les offrandes sacrificielles, devenues « divine victime ».
Le mal est incorporé par Jésus avant son sacrifice par la volonté de Dieu, de façon à assurer une
victoire définitive sur celui-ci comme en atteste Paul : « En effet, Jésus, lui qui n’a pas connu le
péché, Dieu l’a fait devenir péché pour nous afin qu’en lui nous devenions justice de Dieu.» (2,
Corinthiens 5, 21). Hors, le mal, incarné en « l'adversaire », le sheitan, est celui qui « divise », qui
sépare ce qui est unique. Une victoire sur le mal implique donc de retrouver l'unité perdue en Dieu.

La rédemption effectuée par l'absorption du corps du Christ, est « pneumatique », elle concerne
l'esprit. Est mort celui qui refuse de manger de ce pain, car il est attaché à l'illusion du monde et à
son identité avec un corps limité, séparé de Dieu. Est vivant celui qui mange de ce pain de vie, qui
confère la connaissance de l'origine divine de l'être humain, la connaissance de l'unité : « Aussitôt
que fut proclamée la rédemption, l’homme parfait reçut la connaissance de façon à se tourner
immédiatement vers son unité, vers le lieu d’où il est issu et à retourner dans la joie au lieu d’où il
est issu, au lieu d’où il émana. » (Traité Tripartite 123). Est vraiment vivant celui qui est unit avec
le Père en vérité, d'où le nom de Jésus : le Vivant.

Dans la communion, nous sommes un avec le Christ qui est un avec le Père, si sacrifice il y a sur le
plan mystique, c'est le sacrifice du multiple dans l'unité, ce qui sauve l'âme de la souffrance de
l'illusion. Les gnostiques lient leur ministère à ce salut par la gnose, qui nous arrache à l’erreur et
nous reconduit à notre origine céleste : « Par conséquent, c’est pour ces raisons que ceux que Jésus
a jugés dignes d’assurer aux autres la proclamation ont reçu les premiers la grâce et le don de le
proclamer. En eux est déposée en effet la semence de la promesse de Jésus le Christ, dont notre
ministère annonce la manifestation et l’union. Cette promesse comportait leur instruction et leur
retour à ce qu’ils sont depuis le début, dont ils possèdent une goutte de sorte qu’ils puissent y
retourner; c’est ce que l’on appelle la rédemption. Et c’est la libération de la captivité et
l’acquisition de la liberté - la captivité de ceux qui étaient esclaves de l’ignorance qui règne en ses
domaines. La liberté par contre est la connaissance de la vérité qui existait avant que ne fût
l’ignorance; elle règne éternellement, sans commencement et sans fin, elle est un bienfait, la
réalisation du salut; elle est libération de la nature esclave dont ont souffert ceux qui ont été
produits par une pensée inférieure et vaniteuse, qui incline au mal et qui les fait succomber à
l’amour du pouvoir. » (Traité Tripartite 117-118).

Pour cela, le Christ, par la croix, vient chercher l'âme, Sophia, de l'ombre de la conscience, et la
« sauve ». Il l'élève jusqu'à la vérité de sa nature et l'unité parfaite, sa céleste origine. La purification
et l'élévation de Pistis-Sophia, décrite par Valentin à travers de magnifiques chants inspirés des
psaumes, est l'épiphanie eucharistique selon les gnostiques. La rédemption est donc une élévation
jusqu’à notre lieu d’origine, au-delà de toute contingence et de toute manifestation : « Mais la
rédemption est aussi une remontée et ... les degrés du Plérôme et tous ceux qui ont reçu des noms et
qui les comprennent suivant la capacité de chacun des éons, et une entrée en ce lieu silencieux où il
n’est nul besoin de voix, ni de compréhension, ni de pensée ni d’illumination mais où il n’y a que
des réalités lumineuses par elles-mêmes. » (Traité Tripartite 124). Cette épiphanie de l'âme parle
également de la deuxième espèce eucharistique que nous verrons par la suite.

Cela semble bousculer la compréhension catholique que l'on se fait de la rédemption par un
sacrifice sanglant charnel. Cela met également à mal la christologie au sujet des deux natures du
Christ, humaine et divine. Jésus n'est présenté par les basilidiens que « d'apparence » humaine, et
révélé dans sa nature d'homme céleste. Ce qui contredit les enseignements de l'église. Mais
rappelons que les enseignements de Basilide sont antérieurs au Concile de Chalcédoine de 451. A la
vision d'un Jésus uniquement divin, une hypostase divine ou un ange, d'apparence humaine
seulement, s'opposait à l'extrême, celle d'un Jésus humain, tel un prophète. Le nestorianisme et
l'arianisme avaient déjà apporté auparavant leur lot de controverses. L'église statua sur la double
nature du Christ et les partisans de la doctrine monophysite firent schisme.

Mais Basilide vivait au moins 300 ans avant ce concile de Chalcédoine, et 200 ans avant le premier
concile de Nicée. Il était dit-on un disciple du fameux Simon le Mage, lui-même contemporain des
apôtres! La doctrine chrétienne était donc loin d'être fixée. Certains gnostiques penchaient
visiblement pour l'option extrême du « docétisme », déjà condamné au premier Concile de
Constantinople en 381, qui consiste à nier totalement la nature physique de Jésus-Christ. Le
monophysisme, plus modéré, encore vivant en Orient, atteste que la nature humaine de Jésus est
absorbée dans sa nature divine. Les gnostiques proposent eux la vision particulière du Christ
comme homme universel, ayant un rôle eschatologique sur le plan « pneumatique », mais ne nient
pas pour autant forcément sa vie terrestre.

Dans l'interprétation gnostique, l'emphase est mise sur la libération de l'âme, l'expérience de la
transcendance. Ainsi, le Christ, vainqueur de la mort et du monde, est compris comme l'être qui se
libère de l'illusion de l'existence en se reconnaissant lui même dans sa nature divine, « une avec le
Père ». C'est cela, manger le Pain de Vie pour un gnostique.

Nous avons donc tenté de comprendre ce qu'est dans l'eucharistie, le pain, et donc le corps du
Christ. Venons-en à la deuxième espèce de la communion : le vin, et donc le sang du Christ.

Mythologies et littératures abondent au sujet du sang de Jésus-Christ, de la quête du Graal aux


interprétations modernes. Afin d'avoir une idée de sa nature, nous pouvons essayer de repérer les
éléments communs de ces « mythes ». Au sang de Jésus-Christ est souvent associé une figure
féminine : la noble dame des chevaliers de la table ronde, l'épouse supposée de Jésus : Marie-
Madeleine, ou bien encore selon la doctrine orthodoxe : l’église comme figure féminine et épouse
du Christ. Première piste.

Mais revenons aux sources. Il est écrit dans l'évangile de Mathieu : « Il prit ensuite une coupe; et,
après avoir rendu grâces, il la leur donna, en disant: Buvez-en tous; car ceci est mon sang, le sang
de l'alliance, qui est répandu pour plusieurs, pour la rémission des péchés. » (Math 26, 27-28)

Jésus lève une coupe de vin et la donne à ses disciples, affirmant qu'il s'agit là de son sang. Par ce
sang de l'alliance, ou de la « nouvelle » alliance, il annonce son sacrifice proche, qui permet la
rémission des péchés. Par ce sacrifice, il reforme l'alliance entre l'homme et Dieu qui fut brisée par
la désobéissance d'Adam. Il reforme également l'alliance qu'Abraham contracta, et qui fut brisée par
les mauvaises œuvres du peuple hébreux. Il vécut dans sa chair le sacrifice d'expiation qui fut
recommandée par Dieu à Abraham, l'offrande d'holocauste.
« Boire son sang », c'est selon la doctrine catholique, accepter la réconciliation avec Dieu, et
accueillir le don de soi total de Jésus, pour la rémission de nos fautes. Et cela doit se manifester
dans le corps, par la communion eucharistique, dans le vin du calice, transsubstantié en sang par
l'Esprit-Saint à travers le prêtre célébrant. Cette communion de la deuxième espèce est en règle
générale, réservée au seul personnel officiant, pour des raisons « pratiques » nous dit l'église
catholique romaine.

Mais comment explique-t-on dés lors le rapport entre le vin et le sang, les chrétiens seraient-ils des
vampires ? Pour quelle raison comparer le sacrifice et l'ivresse ?

Étrangement, c'est au cours d'une fête, plus précisément lors d'un mariage, que Jésus évoque pour la
première fois le rapport entre le vin, son sacrifice prochain, et la rédemption :

« Le vin ayant manqué, la mère de Jésus lui dit : ils n'ont plus de vin. Jésus lui dit « Femme, qu'y
a-t-il entre moi et toi ? Mon heure n'est pas encore venue. Sa mère dit aux serviteurs  : Faites ce
qu'il vous dira. Or, il y avait là six vases de pierre, destinés aux purifications des Juifs, et contenant
chacun deux ou trois mesures. Jésus leur dit : Remplissez d'eau ces vases. Et ils les remplirent
jusqu'au bord. Puisez maintenant, leur dit-il et apportez-en à l'ordonnateur du repas. Et ils lui en
apportèrent. Quand l'ordonnateur du repas eut goûté l'eau changée en vin, - ne sachant d'où venait
ce vin, tandis que les serviteurs, qui avaient puisé l'eau le savaient ben, - il appela l'époux, et lui
dit : Tout homme sert d'abord le bon vin, puis le moins bon après qu'on s'est enivré ; toi, tu as
gardé le bon vin jusqu'à présent. » (Jean 2, 3-10)

Si l'on affirme que la cène même en saigne, pour figurer l'eucharistie, ici, la scène même enseigne.
Tout commence par la remarque de Marie : « ils n'ont plus de vin ». Si le vin qui est le sang du
Christ, donne la vie, c'est comme dire « ils n'ont plus de vie ». Est en effet mort celui qui ne vit plus
selon l'alliance de Dieu. A travers cette question du vin, Jésus comprend autre chose, et une
remarque apparemment anodine de sa mère, devient une vérité bien plus grande. Il réagit alors :
« Femme, qu'y a-t-il entre moi et toi  ? Mon heure n'est pas encore venue. ». L'interprétation
courante prends cette adresse pour une réprimande, voir une méprise du lien filial, hors le terme
« femme » semblait être utilisé en hébreux à l'époque pour désigner toute femme, quelque soit le
rapport personnel avec (mère, sœur, fille, etc). Désignait-il donc la personne de Marie, ou bien autre
chose, en rapport avec le vin ? Quant à « son heure » pourquoi serait-elle celle de sa mort charnelle?
Si, à travers le dit « vin », on comprenait « divin », le sens de la seconde espèce serait autre, et
n'aurait plus nécessairement le caractère mortifère qu'on lui connaît.
Les faits parlent : Jésus n'a pas attendu son sacrifice pour offrir le « vin » à la multitude dans la joie
d'un mariage. Il choisit des outres, servant aux purifications rituelles. Ce vin sauve. Mais par quelle
opération ? La parole de Jésus s'entend à travers celle de l'ordonnateur : il parle d'un bon vin que
l'on a attendu pour servir. Jésus est l'ordonnateur et l'époux tel qu'il se présente lui-même, invitant
ses disciples à boire : « Ils lui dirent : Les disciples de Jean, comme ceux des pharisiens, jeûnent
fréquemment et font des prières, tandis que les tiens mangent et boivent. Il leur répondit : Pouvez-
vous faire jeûner les amis de l'époux pendant que l'époux est avec eux ? Les jours viendront où
l'époux leur sera enlevé, alors ils jeûneront en ces jours-là. » (Luc 5, 33-35)

Dans l'évangile selon Matthieu, Jésus enseigne ses disciples à travers la symbolique du vin et de
l'outre : « On ne met pas non plus du vin nouveau dans de vieilles outres; autrement, les outres se
rompent, le vin se répand, et les outres sont perdues; mais on met le vin nouveau dans des outres
neuves, et le vin et les outres se conservent. » (Matthieu 9, 17). Cette parole rappelle celles de Job :
« Mon intérieur est comme un vin qui n'a pas d'issue, comme des outres neuves qui vont éclater.  »
(Job 32, 19).

Les docteurs de l’église interprète le vin vieux comme celui du sacrifice sanglant, l'holocauste
animal, et le vin nouveau comme le sacrifice de Jésus qui marque le départ de la « nouvelle
alliance ». L 'eucharistie chrétienne, le sacrifice de la « nouvelle » alliance, serait « non sanglante ».
Elle compte comme action de grâce, et son étymologie même le rappelle, mais elle proclame
pourtant paradoxalement, la mort violente d'un homme. Par le sacrifice de sa personne, Jésus aurait
rendu caduque le sacrifice animal. Mais que ce soit celui d'un animal ou celui d'un être humain, le
sang coule toujours. Bien avant l'avènement de Jésus, l'adresse de Dieu au roi David montre que
l'holocauste animal n'avait déjà que peu de valeurs aux yeux du Seigneur: « Je ne prendrai pas de
taureau de ta maison, ni de boucs de tes parcs; car tout animal de la foret est à moi, les bêtes sur
mille montagnes. Je connais tous les oiseaux des montagnes, et ce qui se meut par les champs et à
moi. Si j'avais faim, je ne te le dirais pas; car le monde est à moi, et tout ce qu'il contient.
Mangerais-je la chair des gros taureaux, et boirais-je le sang des boucs? Sacrifie à Dieu la
louange, et acquitte tes vœux envers le Très-Haut, et invoque-moi au jour de la détresse: je te
délivrerai, et tu me glorifieras. » (Psaume 50). Et comment expliquer, à travers cette interprétation,
ce qui est reporté comme parole de Jésus à la suite de son discours sur le vin nouveau : « Et
personne, après avoir bu du vin vieux, ne veut du nouveau, car il dit : le vieux est bon. » (Luc 5,
39)?

Nous avons donc un vin nouveau et un vin vieux. Un vin de qualité moyenne et un vin d'excellente
qualité, gardé « pour la fin ». Il est également mentionné un temps pour boire et un temps où l'on ne
boit pas. Jésus parle de Jean Baptiste comme d'un abstinent et de lui-même en disant qu'il « est
venu, mangeant et buvant » : «  Car Jean Baptiste est venu, ne mangeant pas de pain et ne buvant
pas de vin, et vous dites: Il a un démon. Le Fils de l’homme est venu, mangeant et buvant, et vous
dites: C’est un mangeur et un buveur, un ami des publicains et des gens de mauvaise vie. Mais la
sagesse a été justifiée par tous ses enfants. » (Luc 7, 33-35). Mais manger et boire n'a pas le même
sens que celui des esprits mondains dans la bouche de Jésus, manger et boire signifie se nourrir
d'autre chose que de nourriture terrestre : « Jésus répondit: Il est écrit: L'homme ne vivra pas de
pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » (Math 4, 4). Jésus se nourrit
de substances divines, et nourrit ses disciples de paroles divines. Il annonce qu'il ne boira pas lors
de sa passion : « Je vous le dis, je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu’au jour où
j’en boirai du nouveau avec vous dans le royaume de mon Père. » (Math 26, 29). La nature céleste
du breuvage est ici évidente. Jésus est la vigne et son Père, le vigneron. De lui, est tiré le fruit, et du
fruit, est fait le vin. Le vin est une substance qui engendre une vie spirituelle, une vie au delà des
apparences de la matière. Le champ de sarment est le corps, qui dépasse les limites du corps
physique, et comprends également le champ psychique et énergétique. La vigne est cette présence
dont on tire du fruit qui confère la vie éternelle. Le vin dont Jésus parle, et qui a été « mis » en
scène lors des noces de Cana, qui est également symbolisé lors du dernier repas, n'est pas de ce
monde. Il coule dans le royaume. Ce royaume, Jésus y était de son vivant, parce qu'il « mangeait »
et « buvait ». Il le voyait, d'après l'évangile de Thomas, comme déjà là : « Ses disciples lui dirent :
Quel jour le Royaume viendra-t-il ? - Il ne viendra pas quand on l'attendra. On ne dira pas : Voici
il est ici ! ou Voyez, il est là ! - mais le Royaume du Père est répandu sur la terre et les hommes ne
le voient point. » (Thomas 117). La raison pour laquelle le baptiste demeurait abstinent c'est parce
qu'il l'annonçait. Quant à Jésus, qui ne s'en nourrit pas lors de sa passion : « Ils lui donnèrent à
boire du vin mêlé de myrrhe, mais il ne le prit pas. » (Marc, 15 : 23), c'est parce que non seulement
ce vin a tourné au vinaigre, mais surtout parce que c'est le corps physique qui meurt, et sa réalité
mondaine : ce corps qui ne jouit pas du royaume et qui est aveugle au royaume. Si boire fait voir,
celui qui s'en abstient ne voit pas. Le vin est donc l'accès à la vie dans le royaume. Qui ne boit pas
de ce vin n'a accès qu'à la vie terrestre.

Jésus qui transforme l'eau en vin, c'est le monde, l'eau, qui devient esprit, le vin. Ne parle-t-on pas
de breuvages alcoolisés comme de « spiritueux » ? Par ce «miracle » ou ce « signe », le royaume
apparaît ainsi : comme une « noce ». Enfin, l'esprit (le vin), devenu sang, devient monde (l'eau) :
« l’un des soldats, de sa lance lui perça le côté et aussitôt il sortit du sang et de l’eau » (Jean 19,
34). Jésus change donc l'eau en vin, le vin en sang, et le sang en eau. On repère là un cycle de
transformation. Le monde devient royaume par le vin, il est sauvé par le sang, et il est purifié en
redevenant « eau claire ». Le monde redevient le monde, il est purifié, et mêlé à l'esprit : c'est le
mélange de l'eau et du vin effectué par le prêtre lors de la Messe.

L'ivresse que confère ce vin spirituel consiste en ce que celui ou celle qui en boit, perçoit dans le
monde non plus le monde, mais son propre esprit à travers le monde. En buvant, il voit. Il est
insufflé par l'Esprit-Saint qui lui montre les mystères de l'univers et la geste de la divinité derrière
l'apparence du monde. Ce « vin » l'embarque dans un voyage initiatique où il va se rencontrer lui-
même, il se met à voyager dans sa propre conscience, jusqu'à rencontrer le « pain », c'est à dire la
divinité intérieure, qui est Jésus, « Je suis ».

Le vin devient sang lorsqu'il s'affronte lui-même, lorsque le St-Esprit se met à dissoudre le vieil
homme et ses œuvres. C'est le combat céleste qui s'engage et son issue favorable permettra une
régénération totale de son univers intérieur, ainsi qu'un dévoilement de la réalité divine, c'est la
naissance de l'homme nouveau. Il y a sacrifice lorsque sa quête le conduit à la mise à mort du
« menteur » qui le « manipule », l'illusionne, lui fait prendre des vessies pour des lanternes. Ce
menteur est le sheitan de la tradition judéo-chrétienne, ou le demiurge « Ialdabaoth » des
gnostiques, appelé « prince de ce monde » par Jésus. Ce menteur prétends « être le seul dieu ».
Voyant l'ensemble du monde comme lui-même, il ne voit pas qu'il est son image, et que celle-ci est
un reflet trompeur et « corrompu » de la réalité. Sa mise à mort, ou son éviction du trône de notre
esprit, non seulement sauve du monde mais également sauve le monde. Le demiurge, comme la bête
de l'apocalypse, est précipité dans l'abîme : « Cet archonte, qui est androgyne, se bâtit un autre
domaine, d'une grandeur sans limite et il résolut de susciter de lui des enfants. Il créa pour lui-
même sept enfants, androgynes comme leur auteur, et il dit à ses enfants : Je suis le Dieu du Tout.
Mais Zoé, la fille de Pistis-Sophia, lui dit en criant : Tu fais erreur, Saclas. Elle lui souffla au
visage et son souffle devint pour elle un ange de feu, et ce ange lia Ialdabaoth et le précipita dans
le Tartare au fond de l'abîme. » (L'hypostase des archontes 30)

L'esprit duel étant mort, il devient unitaire et se libère. Et l'image déformée du monde meurt
également. Satan est vaincue, et sa parèdre, la prostituée, l'est également. Babylone la prostituée, la
ville d'iniquité, est détruite. Et du pur esprit, libéré du monde, une « nouvelle » image naît, un
monde nouveau apparaît, renouvelé : la Jérusalem nouvelle. Les pères de l’église appelle la vierge
Marie « nouvelle Eve ». C'est ainsi que dit Jésus dans l'apocalypse : « voici que je fais toute chose
nouvelle » (Apocalypse 21, 5). La dualité n'est pas spécialement condamnable, de même que
l'existence animale, ou la vie selon le corps de chair, c'est la dualité comme opposition qui doit
cesser. La dualité dans l'union est célébrée comme ce nouveau « monde » possible, car sauvé du
péché. Et cette dualité dans l'union, ce sont les noces : celle entre l'âme personnelle et Dieu, l'époux
et l'épouse, le Christ et l’église. De cette union naît une nouvelle Jérusalem, qui est le royaume de
Dieu lui même : le lieu où tout est un, ou tous sont uns.

Qu'est ce donc que le vin vieux et le vin nouveau ? Le vin nouveau est la boisson qui renouvelle la
vie. Alors perdue dans l'illusion, sous l'emprise des archontes, le vin nouveau arrache l'âme de
l'erreur et renouvelle sa vie en Dieu. Mais le vin vieux, c'est la vie telle qu'elle est à l'origine, la vie
dans le paradis originel. Si le vin nouveau correspond à l'aboutissement de « l'histoire », en
l'occurrence de l'histoire biblique de l'alliance entre Dieu et son peuple, le vin vieux se situe
« avant » l'histoire, c'est à dire avant même son commencement. Quand il s'agit de l'histoire de
l'homme, ce temps est celui du paradis originel, temps de l'union entre l'homme et Dieu, entre l'âme
personnelle, et l'esprit universel.

Les évangiles parlent bien de différentes sortes de vin qui sont en fait différentes formes de l'âme,
différentes manière dont elle se manifeste. Les gnostiques associent le sang du Christ à l'Esprit-
Saint. En effet, rappelons ici l'évangile de Philippe : «Sa chair est le Verbe et son sang est l’Esprit
Saint. Celui qui les a reçus a nourriture, boisson et vêtement. » (Philippe 23). Y-a-t-il donc plusieurs
formes d'Esprit-Saint ? Le vin qui se change en sang est l'aspect rédempteur du Saint Esprit. L'esprit
saint est lui, le vin lui-même, fruit de la vigne. Son ivresse est le symbole de l'ivresse mystique
qu’expérimentent les gnostiques dans leur voyage intérieur vers Dieu. Cette ivresse, est la
transmission de l'énergie divine, de réceptacle en réceptacle, elle figure le banquet céleste.

Le vin nouveau est associé à la crucifixion et au royaume retrouvée, à l'âme renouvelée dans
l'alliance, à la résurrection, et le vin vieux aux noces de Cana qui rappellent notre état originel, dans
le Royaume. On observe aux noces la présence de Marie, mère de Jésus, et mère de Dieu, c'est à
dire symboliquement, l'état de l'être avant le logos. Tandis que lors de la crucifixion, c'est Marie-
Madeleine qui se tient aux pieds de la croix. Marie représente l'état de virginité de l'âme au paradis,
tandis que Marie-Madeleine est elle, l'Eve déchue, et rachetée dans ce processus de rédemption, si
tant est qu'on l'identifie à la femme possédée des évangiles. Enfin, c'est Marie-Madeleine qui la
première, est témoin de la résurrection de Jésus-Christ. Elle est donc intimement associée au
processus de mort et de résurrection.

Ce qui irrigue l'âme prends plusieurs formes : tantôt il y a la chute, c'est le vin condamné dans la
bible et par les musulmans, il égare. Tantôt il élève, et rachète les fautes, c'est le vin transformé en
sang. N'est saint que celui qui élève selon ce qui a été conservé par l'église catholique : c'est le
Saint-Esprit, le Paraclet, que Jésus promet de laisser à son départ, et qui fut reçu par les apôtres, en
présence de Marie, lors de la Pentecôte. L'Esprit-Saint est un feu spirituel : l'alcool est sa forme
liquide, c'est une « eau de feu ».

L'ivresse impie est figurée dans l'apocalypse par la prostituée de Babylone qui tient une coupe
enivrante, emplie « d'abominations », elle est ivre du sang des martyrs : « Cette femme était vêtue
de pourpre et d’écarlate, toute parée d’or, de pierres précieuses et de perles ; elle avait dans la
main une coupe d’or remplie d’abominations, avec les impuretés de sa prostitution.Il y avait sur
son front un nom écrit, un mystère : Babylone la Grande, la mère des prostitutions et des
abominations de la terre. Et j’ai vu la femme ivre du sang des saints et du sang des témoins de
Jésus. En la voyant, je fus saisi d’un grand étonnement. » (Apocalypse 17, 4-6). La prostituée
s'enivre de paroles impures : c'est l'âme du monde corrompue. Dans l'apocalypse, la Bête ainsi que
la prostituée, qui apparaît sous la forme d'une ville corrompue, Babylone, sont condamnés par Dieu,
précipités dans l'abîme et détruits. On retrouve cependant, dans des formes « extrêmes » de
gnosticisme, un culte antinomique qui intègre dans ses pratiques, l'exploration de ces aspects
sombres de l'âme. Comme idée sous-jacente, on y retrouve une inversion des symboles bibliques :
le serpent de la genèse tentateur devient l'initiateur et le libérateur, Caïn, meurtrier d'Abel, le héro à
suivre ; et l'idée que la chute est une élévation.

Attribuer un caractère féminin au St-Esprit peut sembler surprenant, car d'après les écritures, Marie
fut fécondée par lui, hors, comment le féminin pourrait-il féconder le féminin? Cette vue était
répandue au temps des gnostiques. La trinité n'était pas Père, Fils et St-Esprit, mais Père, Mère et
Fils, comme la logique l'entends, d'ici là le rapport entre St-Esprit et le féminin paraît naturel.
Cependant, l'idée pose problème et remet en cause la fécondation de Marie par l'Esprit-Saint :
« Certains disent que Marie a conçu de l’Esprit Saint. Ils se trompent. Ils ne savent pas ce qu'ils
disent. Quand une femme a-t-elle jamais conçu d'une femme ? » (Philippe 17). Valentin réponds à
ce paradoxe en affirmant que les vierges célestes sont mâles, ce qui en font des figures androgynes.
A l'évangile de Thomas d'expliquer : « Jésus leur dit : Lorsque vous ferez des deux un, et que vous
ferez l'intérieur comme l'extérieur et l'extérieur comme l'intérieur, et le haut comme le bas ! Et si
vous faites le mâle et la femelle en un seul, afin que le mâle ne soit plus mâle et que la femelle ne
soit plus femelle, et lorsqu'à la place d'un il vous referez des yeux, et une main à la place d'une
main, et un pied à la place d'un pied, et une image à la place d'une image, alors vous y entrerez ! »
(Thomas 27). L'union du masculin et du féminin renvoie à l'union du pain et du vin, effectué
rituellement par le prêtre lorsqu'il mélange dans les rites traditionnels, les deux substances dans le
calice.

Pour résumer, le vin représente l'âme, l'aspect dynamique de la conscience, tandis que le pain
représente lui le corps spirituel, son aspect statique, immuable. Le pain est l'aspect masculin et le
vin l'aspect féminin de la divinité. Le pain change : de la manne du désert, il devient le pain de vie,
il change de nature mais représente l'aspect statique du corps, le contenant. On parle de corps
physique ou de corps glorieux, selon la manière dont on le perçoit et le degré dans lequel on le
comprends. De même, le vin nouveau ou le vin vieux, le vin béni ou le vin maudit, renvoie lui à un
même vin, vécu de manière différente, qui prends des saveurs et engendre des expériences
différentes. Il représente l'âme en perpétuel changement, l'aspect dynamique de la conscience. Si le
corps du christ désigne le corps de l'homme céleste, son sang irrigué dans ses veines, est comme des
fleuves de vie.

Dans l'eucharistie, on mange le corps du Christ, c'est à dire qu'on s'identifie au corps de gloire. On
boit le sang du Christ, c'est à dire qu'on reçoit l'aspect rédempteur de l'Esprit-Saint, qui renouvelle
tout le système et relève l'âme qui a chuté. On ne mange pas de corps mort, on ne boit pas de vin
d'orgueil ou de folle ivresse. L'ivresse dont on s'abreuve est celle de l'être racheté, de l'être qui
retrouve son paradis perdu : l'ivresse du bien, du bon, du vrai.
L'eucharistie gnostique est « miraculeuse » non pas en ce qu'un pain se transforme en chair
physique, ou le vin en hémoglobine, mais en ce que le célébrant et le fidèle, consomment « en esprit
et en vérité », selon le culte annoncé par Jésus , le corps et le sang du Christ, à travers le pain et le
vin : « Mais l'heure vient, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit
et en vérité ; car ce sont là les adorateurs que le Père demande. Dieu est Esprit, et il faut que ceux
qui l'adorent l'adorent en esprit et en vérité. »(Jean 4, 23-24).

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