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L’esprit de la liturgie

de Josef Ratzinger

Première Partie : L’essence de la liturgie

I. La place de la liturgie dans la vie humaine

Le culte se comprend par la Révélation. Les Saintes Ecritures nous l’enseignent spécialement dans
l’Exode. Ainsi, le culte est l’acte d’adoration rendu à Dieu. Il est le fondement de la loi sociale et de
l’éthique (sur ce plan, l’athéisme est une amputation inhumaine), d’où seul découle la paix véritable (tels le
don de la Terre promise). En tant qu’il est voué au Tout Autre, il nécessite une institution surnaturelle
(l’adoration du jeune taureau en est la perversion exemplaire : un culte fait de main d’homme et anthropocentré).

II. Liturgie, Cosmos, Histoire

La Création est le premier lieu de l’Alliance (cf les sept paroles de l’institution du culte en Ex). Elle permet
une relation entre Dieu et l’homme. Son sommet est le sabbat : la rencontre amoureuse de l’un et de
l’autre, par laquelle toute peine est soustraite ainsi que toute inégalité humaine. La liturgie entraîne
ainsi toute la Création dans l’Alliance.
Le sacrifice païen est l’anihilation d’un bien légitime offert pour marquer sa dépendance à Dieu. Il
s’ancre dans un cycle de déchéance, où la Création aurait été une chute nous éloignant de Dieu. Le
retour à Dieu serait alors possible par un renoncement à nous-mêmes nous faisant accéder au divin (la
connaissance élitiste dans la gnose notamment, l’ascèse ou la méditation orientale).
La vision cosmogonique et historique du christianisme est autre (bien qu’elle assume la sagesse passée). La
Création est un don d’Amour qui appelle l’homme à partager la vie de Dieu. Cette Création a été
blessée par le péché de l’homme, mais non brisée. La rédemption nous ouvre de nouveau le Paradis.
Ainsi, le sacrifice n’est rien d’autre que l’union volontaire de l’épouse à son Epoux venu la racheter.

III. De l’AT au NT, la forme fondamentale de la liturgie chrétienne

Le culte a pour objet la paix avec Dieu. L’homme étant pécheur, il passe par le sacrifice. De fait, celui-
ci ne peut être que dérisoire. Le culte mosaïque se distingue de tous les autres cultes en cela qu’il
s’adresse au Dieu vivant et qu’il est une promesse d’un culte véritable.
Cette annonce se trouve dans le sacrifice d’Abraham : l’Agneau doit être donné par Dieu. Elle se
trouve encore dans le rachat des premiers-nés : seul le Premier-né peut s’offrir pour le monde. Les
prophètes ont toujours clamé l’insuffisance des sacrifices rituels, au profit de l’intention du coeur.
L’institution du culte lui-même paraît transitoire : elle se fait suivant le modèle du Sinaï, dans une
demeure mobile, annonçant l’arrivée d’un prophète (Dt 18, 15). L’Exil et la persécution hellénistique
disposèrent encore à faire résider le culte dans l’offrande de la Parole et de l’esprit brisé.
Le Christ achève et dépasse ces figures du culte. Il est le propre Temple, qui introduit au culte en
esprit et en vérité, par le sacrifice de son Corps. Il assume le culte synagogal puisqu’il est le Verbe fait
chair. Il récapitule encore l’attente d’un culte païen selon le Logos puisqu’il est la Parole incarnée,
rendue présente à notre humanité, à laquelle nous pouvons nous associer.
Le culte chrétien assume donc le Temple et la synagogue ; se caractérise par son universalité ; il est
destiné à Dieu (il n’est pas anthropocentrique) ; il n’est qu’une anticipation de la liturgie céleste.

Deuxième partie : le temps et l’espace dans la liturgie


I. Espace et temps

La liturgie commémore un évènement passé : le sacrifice du Christ. Cet évènement est entré dans
l’éternité de Dieu et rentre dans notre présent par l’acte liturgique. La liturgie appelle donc à ce qu’il
se réalise pleinement par le second avènement.
Le temps de l’Eglise est intermédiaire entre la figure (l’AT) et la réalité (la Parousie) ; c’est celui de
l’image. Nous ne voyons pas encore Dieu face-à-face voilà pourquoi notre union à Lui se fait à travers
des signes et des symboles.
Le culte n’est donc pas une mise en scène superflue, un retour au sacrifice païen. Elle est une entrée
dans la liturgie céleste par laquelle nous est donné de revenir à Dieu.

II. Le lieu sacré

L’église n’est pas un lieu fonctionnel de réunion humaine : c’est le lieu de la « convocatio ». Dans
l’Ancienne comme dans la Nouvelle Alliance, le rassemblement du peuple de Dieu a pour but unique
la célébration de Dieu.
L’église se fonde sur la synagogue. Tout d’abord, celle-ci est orientée vers le Temple, qui est sa raison
d’être. Celle-ci est centrée sur deux pôles : la chaire de Moïse et le coffre de la Torah. La chaire de
Moïse est la représentation du Sinaï, d’où part la Parole de Dieu. Elle fait face à une représentation de
l’Arche présent à Jslm, lieu de la présence du Seigneur. Les prières synagogales elles-mêmes sont une
reprise du culte sacrificiel du Temple.
L’église comprend trois nouveautés.
Tout d’abord, l’orientation. Celle-ci manifeste les caractères christologique de la Nouvelle Alliance (le
Christ est le nouveau Temple), eschatologique (l’Ascension à l’est de Jslm) et cosmique (toute la
Création gémit dans les douleurs de l’enfantement). Ensuite, l’autel. Celui-ci est le symbole du Christ
lui-même, lieu du sacrifice et porte ouverte sur le Ciel. Comme l’Arche d’Alliance, celui-ci était voilé.
Enfin, les Evangiles. Ceux-ci complètent les Ecritures. Elles sont prêchées par l’évêque dans sa chaire,
autour de laquelle l’assemblée se rassemble avant le sacrifice.
Aussi, hommes et femmes participent au culte, ce qui est une nouveauté.

III. L’autel et l’orientation de la prière

L’orientation est une constante liturgique depuis les temps apostoliques. Dieu est présent en tout lieu,
certes, mais il s’est donné à nous d’une certaine manière. En ce sens, l’orientation est le symbole des
composantes hébraïque, théocentrique, christocentrique, eschatologique et cosmique du culte.
L’autel lui aussi doit être orienté, sous peine de rompre avec un des aspects essentiels de la liturgie.

IV. La réserve eucharistique

Les Pères appelaient le saint sacrement « corpus mysticum » (portant en lui un mystère) et l’Eglise
« corps verum ». Le Moyen-Âge vit ces deux termes s’échanger. Le caractère communautaire de
l’Eglise, comme Corps du Christ, fut atténué au profit d’une piété plus individualiste.
Toutefois, cet approfondissement vit aussi une accentuation sur la réalité de la présence sacramentelle,
qui produisit de grands fruits de sainteté. En ce sens, le tabernacle, comme lieu de la Présence, doit
conserver une place d’honneur dans les églises - à l’image du tabernacle de l’Arche d’Alliance dans les
synagogues. La communion ne porte ses fruits que dans l’adoration.

V. Le temps sacré
En tant que la liturgie récapitule toute la Création, elle assume tout le symbolisme des temps.
Le dimanche est imbriqué dans trois symboles. Le troisième jour : théophanie, résurrection. Le premier jour :
lumière, Création, nouvelle Alliance. Le huitième jour : victoire finale, éternité.
La Pâques est fêté le dimanche suivant la première lune de printemps (lune : symbole de la femme, de
la mort, de l’éphémère). Il a lieu « le premier mois », c’est-à-dire sous le signe du Bélier, premier signe
du zodiaque traversé par le soleil (symbole du sacrifice d’Abraham et de l’Agneau). Elle est une fête
pastorale à l’origine (désert : symbole de la chute), devenue le mémorial de la libération d’Egypte
(libération de la mort et du péché, fondation d’un peuple libre).
Ce symbolisme cosmique (valable pour l’émisphère nord) s’adapte aussi à l’émisphère sud. Premièrement, car la
religion chrétienne se fonde sur l’histoire (l’évènement de l’Incarnation) et non premièrement sur le rythme du
cosmos. Deuxièmement, car la Pâque est aussi associé à l’automne (Jn et Hb rattachent le sacrifice christique au
Yom Kippour ; la venue du Christ correspond à « l’automne du monde », promesse de renouveau selon les Pères).
Selon la date de Pâques, des dimanches après l’Epiphanie étaient renvoyés avant l’Avent. Ce mécanisme garde
toute sa pertinence car l’automne et le printemps sont des temps d’attente avant le renouveau.
Noël récapitule toute la Création en célébrant la lumière renaissante de l’équinoxe d’hiver. Les jours
s’allongent à partir de cette date (parrallèlement à la nativité de st Jean Baptiste le 24 juin).
25 mars : sacrifice d’Abm, Création du monde, mort du Christ. Les fêtes mariales sont souvent
lunaires ; car une humble lumière nous est nécessaire pour accéder à la pleine clarté du soleil.

Troisième partie : Art et liturgie

I. Image et liturgie

Le culte juif n’admettait pas d’image, par crainte de l’idolâtrie. Toutefois, les synagogues antiques
étaient richement ornées de scènes bibliques, tandis que le propitiatoire représentait des chérubins.
L’icône de la Résurrection reprend ce symbolisme en représentant le Christ debout sur un tombeau brisé entouré de
chérubins. L’Eglise verra se développer beaucoup d’images tirées des Ecritures. Bien que passés, ces
évènements ont une valeur éternelle : ils annoncent l’œuvre rédemptrice du Christ, accomplie dans
l’espérance eschatologique.
Deux images du Christ non faite de main d’homme apparurent au VIe siècle : le mandylion d’Edesse
(linceul de Turin) et le camulianum (vêtement de femme). Elles offrirent un tel accès au mystère
qu’ont les prit pour des sacrements. Cette erreur, associé au souci politique de ne pas provoquer
l’islam, engendra l’iconoclasme. Celui-ci comprend une part de vérité en cela que Dieu est le Tout
Autre. Toutefois, il pêche par cela qu’il rend imperméable ce monde à la rencontre avec Dieu, voulu
par l’Alliance, achevé dans l’Incarnation. Retenons toutefois que cette rencontre est avant tout
intérieure, non sensible, et doit naître d’un regard de foi (c’est ainsi que les disciples ne reconnaissent
pas de prime abord le Ressuscité).
La théologie de l’icône appartient-elle au patrimoine latin ?
Jusqu’à la fin de l’art roman, l’Eglise latine a une même conception de l’art pictural. L’image est une
porte ouverte sur le Ciel et la liturgie céleste. A partir du XIIIe siècle, son sujet est davantage
historique (le Christ crucifié, les mystères de l’humanité du Christ, voire la vie des saints)
qu’eschatologique (le Christ glorifié). Dès lors, l’icône n’est plus tant une participation à la gloire
divine qu’une narration déroulée dans le temps. La cause principale est certainement l’avènement du
réalisme aristotélicien ; qui redonne toute sa place aux causes antérieures (matérielle et efficiente), au
détriment de la forme exemplaire et de l’union au souverain Bien. Ce changement n’est toutefois pas
une rupture : l’image conserve sa vertu transformante, en tant qu’elle nourrit la méditation. Elle
n’amoindrit pas le mystère divin, mais révèle sa présence au coeur de la souffrance. Ainsi, cet
approfondissement est fécond car toute vie humaine est marquée par le mal. La Renaissance fut une
réaction contre le dolorisme. Elle exalta la beauté physique pour elle-même, repliant l’homme sur lui-
même. Cet art prône une béatitude dès ici-bas, qui ne passe pas par la croix. En contrepoint, le
baroque exalte la joie chrétienne et la gloire du Ciel. Depuis, le matérialisme a annihilé l’art chrétien,
voire toute forme artistique en elle-même (en anihilant toute contemplation d’un réel intelligible).
Principes à retenir :
1. L’image est nécessaire au culte (en vertu de l’Incarnation).
2. L’art sacré s’inspire de l’histoire sainte (AT, Christ, Saints).
3. L’image du Christ (crucifié, ressuscité et glorifié) est le centre de l’icônographie de l’Alliance.
4. L’image est au service de l’union à Dieu.

II. Chant et liturgie

Les termes « chants » ou « chanter » apparaissent 309 fois dans l’AT et 36 dans le NT.
L’archétype du chant est la louange de la puissance salvifique de Dieu après la Mer Rouge. Ce chant
assume toute la souffrance humaine, comme on le voit dans les psaumes de David, mais se termine
dans la confiance. L’Eglise fera sienne le chant de la synagogue. Il est maintenant trinitaire : adressé
au Père, par le Christ (nouveau David), dans l’Esprit ; dans son texte comme dans son interprétation
musicale (dans la sobre ivresse de l’Esprit, l’Esprit et le Logos vont de pair). Aussi, il est pleinement
nuptial, puisqu’il anticipe en image les noces de l’Agneau.
Chanter signifie dans la Bible des Septantes « pincer avec des cordes », c’est-à-dire accompagner un
texte par une mélodie. Il est un don pneumatique fait par l’Esprit à l’Eglise, apte à l’acculturation,
mais qui doit rester soumis à la hiérarchie.
Le premier combat de l’Eglise naissance fut de contenir les hérésies gnostiques qui cherchaient à
déformer la foi : le concile de Laodicée bannit ainsi les compositions personnelles, les écrits non
canoniques et réserva le chant au chœur des psalmistes. Cet interdit apparemment malheureux
permit la polyphonie orientale et le chant grégorien latin. Le grand écueil moderne fut
l’autonomisation esthétique de la musique, avec la Renaissance. Le concile de Trente rappela ainsi la
prééminence de la voix humaine et réduisit le rôle des instruments. Il produisit la musique baroque,
aussi éclatante que tournée vers Dieu. La subjectivité profane et la passion poussèrent de nouveau à la
réaction de Pie X, qui rappela que l’art liturgique obéit à des critères spécifiques en raison de sa fin.
La musique contemporaine voit la destruction de toute culture par la banalité de la musique
commerciale et l’extase grossière de la musique rock et ses dérivés.
La musique se rapporte au Logos de trois façons :
1. D’abord, comme étant fondé sur la Bible, les interventions de Dieu dans l’Histoire et
particulièrement l’avènement de Jésus-Christ (crucifié, ressuscité et monté au Ciel).
2. Ensuite, comme étant fondé sur la rationalité. L’Esprit qui inspire le chant vient du Verbe qui crée
et porte la vie. Ainsi, elle intègre l’homme tout entier pour l’élever vers Dieu, sans céder la
prééminence aux passions sensuelles. Elle n’est pas de Dionysos, mais d’Apollon !
3. Enfin, comme étant le principe et la fin de la Création toute entière (cf le Trisagion d’Isaïe). Le
cosmos participe en effet de l’ordre et de la beauté du Verbe Créateur : ainsi, une musique est
d’autant plus belle qu’elle participe des lois du cosmos.
L’harmonie du cosmos se retrouve dans l’ordre mathématique de l’univers. Dans la foi chrétienne, cet
ordre n’est pas mécanique, mais l’expression d’une intelligence créatrice et de causes supérieures (les
anges mouvant les astres notamment). La modernité vit la destruction de l’art musical chrétien par la
fin de la contemplation (et donc du primat de la parole), au profit de la subjectivité et de la volonté.
Pour que la musique vive, il faut donc retrouver le Verbe !

Quatrième Partie : La forme de la liturgie


I. Le rite

« Usage qui a donné ses preuves dans l’administration des sacrifices » (Pomponius Festus, IIe siècle).
Orthodoxie signifie sémantiquement : glorifier Dieu dans une forme digne de sa majesté (doxa signifie opinion,
mais aussi splendeur et éclat).
Le culte chrétien revient à offrir sa vie en sacrifice de louange. Ainis, le rite, bien qu’il consiste
principalement dans l’action liturgique proprement dite, englobe toute l’existence humaine.
Le concile de Nicée détermine trois primaties, chacune liée à l’apôtre Pierre : Rome, Alexandrie et
Antioche (plus tard supplantée par Byzance).
Antioche : rites syriens occidentaux (syro-malankar de saint Jacques, maronite) et orientaux (chaldéen
de saint Thomas, et Addai et Mari). Alexandrie : rites de saint Marc (copte et éthiopien), rite
arménien (de Barthélémy et Thaddée). Byzance recueillit le rite antiochien de saint Jean Chrysostome,
des traditions d’Asie Mineure et de Jslm. Rome : rite romain (dont le rite africain), gallican (auquel
s’apparente le rite celtique) et mozarabe. A la fin du premier millénaire, le rite romain absorba la
pompe gallicane. Ses derniers éléments disparurent avec l’uniformisation liturgique commencée au
XIXe siècle.
Principes à retenir :
- Un rite est fondé sur la tradition apostolique. S’il peut s’adapter à une culture et à un temps donnés, il
repose premièrement sur cette transmission incarnée de la Parole de Dieu.
- Un rite est un organisme vivant dont les lois internes déterminent les modalités de son
développement. Ainsi, il ne peut s’enfermer dans une culture particulière sans devenir stérile et
autoréférentiel. Il peut au contraire être enrichi. Remarquons : la créativité est une réaction compréhensible
face à la tyrannie de l’efficacité technologique. Mais elle n’échappe au nihilisme qu’en se faisant servante non
d’une subjectivité arbitraire, mais de la réception d’un donné contemplé. La liturige peut ainsi évoluer, mais
toujours de manière organique et homogène.
- Le développement de la liturgie est protégé par la hiérarchie. L’autorité de Rome toutefois n’est pas un
pouvoir créateur absolu, mais un service garantissant la fidélité de sa transmission.

II. Le corps dans la liturgie

1. Participation active
A la lumière de la Parole de Dieu, l’action par excellence est la prière eucharistique. Cette oratio
(discours public solennel, et non prex) est la louange offerte à Dieu dans le Verbe. Elle est l’action par
excellence : l’action divine de Dieu nous transformant en Lui. La participation active consiste à laisser
Dieu nous associer à la vie trinitaire.
Ainsi, si les actions extérieures de liturgie de la Parole peuvent être réparties de manière appropriée ;
la liturgie eucharistique doit laisser le primat à l’action de Dieu (notamment dès l’offertoire).
Notre corps a toute sa place dans la liturgie. Cela en vertu de l’Incarnation (notre Rédemption s’opère
par des signes corporels, elle doit être réalisée dans notre corps au quotidien et sera achevée par la
résurrection). Cette victoire du Royaume en nous exige une discipline, qui manifeste extérieurement
l’intériorité de notre coopération au salut.

2. Le signe de la croix
Signe de la victoire de l’amour, de l’espérance, de la vie chrétienne, de l’adhésion à notre baptême, de
la Trinité. Les tombes juives du Ier siècle étaient marquées elles aussi du Tau sacré (Ez 9,4) : signe
d’espérance et d’adhésion au Dieu d’Israël. Les plans de l’écliptique et de l’orbite terrestre forment
eux aussi une croix, selon Platon (Timée 34a-36c) : repris par saint Paul (Ep 3, 18), Justin (1. Apol 55)
et Irénée (de doct. christ. II, 41, 62).
3. Agenouillement et inclination
Pour Plutarque, l’agenouillement était superstitieux, et barbare pour Aristote. Il n’est toutefois pas
une pratique secondaire : prosykein apparaît 59 fois dans le NT (dont 24 fois en Ap).
On distingue la prostration, la chute aux pieds du Christ et l’agenouillement.
La prostration se retrouve en Jos 5 et en Lc 22, 41 : la victoire advient par l’obéissance de l’homme à
la volonté de Dieu. Elle est accomplie lors du Vendredi Saint et de l’ordination.
La chute aux pieds du Seigneur (gonypetein) se retrouve en Mc 1, 42 : un lépreux s’approche du
Christ. C’est une supplication ardente.
L’agenouillement consiste à abandonner sa force devant un puissant. Ainsi Salomon lors de la
consécration du Temple, Esdras au retour d’Exil, Gethsémani, les Actes des Apôtres, le martyre d’Etienne. Il se
fonde sur l’hymne au Philippiens (II, 6) : « que tout genou fléchisse », réalisation de la prophétie d’Isaïe (45, 23).
Jacques le Majeur avait attaché des peaux de chameau à ses genoux ; les Pères du désert voyait le démon sans
genoux. L’expression grecque (thei’s gonata) est une innovation chrétienne : tant pis si elle ne plaît pas
à la culture du temps !

4. Station debout et assise


Le Christ est debout à la droite du Père. Prier debout est la position de la prière dans l’AT (telle Anne
devant Elie) et le NT (Mt 6, 5 ; Mc 11, 25 ; Lc 18, 11), ainsi que dans l’Eglise au temps pascal. Le 20e
canon de Nicée interdit l’agenouillement au temps pascal. Elle est l’anticipation de la gloire de la
Résurrection.
La position assise accompagne les lectures pour favoriser le recueillement ; la question reste ouverte
pour l’offertoire. La posture méditative en lotus signifie une relation avec un divin apersonnel : elle
est donc à bannir. La danse peut avoir sa place dans la para-liturgie : expression culturelle de la joie
divine. La dévotion populaire, en effet, est à chérir (à sa juste place, et avec mesure). Elle est l’adoption
de la foi dans le cœur des peuples, le plus sûr obstacle au rationalisme et au sectarisme.

5. Gestes
Les bras levés vers le ciel : supplication immémoriale, non-violence, espérance du ciel, oblation du
Christ à son Père, amour de Dieu et du prochain.
Les mains jointes : hommage féodal, confiance et fidélité à son maître.
L’inclination : humilité (Ph 2, 8 : « il s’est abaissé »). Cf Supplices du Canon !
Battre sa coulpe : reconnaissance de sa faute (Confiteor) et de nos offenses (Agnus).

6. Parole et silence
La parole est présente dans le Canon, les lectures et l’homélie. Elle est un dialogue avec l’assemblée,
comme le souligne les acclamations (ce qu’a bien manifesté le Mouvement liturgique) et le chant. Le
chant ne doit pas nécessairement être commun, afin de laisser une place d’honneur au chœur et aux instruments.
La liturgie doit en effet nourrir la culture profane par un art de qualité.
Le silence est une parfaite réponse à l’action de Dieu ; elle en est l’accueil intérieur et recueilli. La
place de choix pour le silence celle qui suit la réception de l’eucharistie (moins après le sermon).
L’offertoire s’y prête lui aussi, comme association de nos vies au sacrifice du Christ. L’élévation
requiert le silence : elle est un développement homogène de la foi de l’Eglise. Les prières personnelles
du prêtre exigent de même le silence : ce dernier n’est pas l’animateur d’une réunion, mais un
pécheur qui doit se disposer à laisser le Christ prendre place en Lui. Avant l’Agnus Dei aussi, et
surtout pendant le Canon (usage qui remonte à Jérusalem). Le silence est alors un cri puissant lancé
vers Dieu et une communion de prière emplie d’Esprit Saint.

7. Les habits liturgiques


Revêtir les vêtements sacerdotaux, c’est revêtir le Christ (Ga 3, 27). Signe d’un renouvellement
intérieur, de la restauration de notre nature blessée, du baptême, des noces de l’Agneau, du premier
vêtement de la grâce originelle (Fils Prodigue).
Le corps n’est pas une prison, mais les prémices de notre résurrection. Contre le pessimisme grec, le
corps sauve notre âme par la réception du Corps du Christ.

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