Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
NOTES DE THEODICEE
Bibliographie sélective
La bibliographie sur la « question de Dieu » est très abondante parce que d’une
part le thème de « Dieu » est le mystère le plus grand que la pensée humaine n’a
cessé d’explorer sans bien sûr avoir la prétention d’en faire le tour complet. D’autre
part, la recherche sur Dieu est l’objet de plusieurs disciplines. Ce qui veut dire qu’on
ne peut en épuiser la substance ni à partir d’une discipline ni à partir de l’ensemble de
ces disciplines. Le point de vue qui nous intéresse ici est celui de la philosophie.
Introduction
1
Cité par B. Mondin, Ivi., 5.
2
C’est en 1710 que Leibniz publie ses Essais de théodicée sur la bonté de Dieu, la
liberté de l’homme et l’origine du mal. Déjà en 1696, Leibniz emploie le néologisme
« théodicée » (thèos : Dieu – dikaos : justice) pour signifier « doctrine de la justice de
Dieu » (sens prudent) ou encore « justification ou procès en justification, de Dieu »
(sens audacieux). C’est surtout le sens prudent qui émerge chez Leibniz. Cf. Gottfried
Wilhelm LEIBNIZ, Essais de théodicée. Paris, Flammarion, 1969, 10. 11.
3
Philippe Cappelle-André Comte-Sponville, Dieu existe-t-il encore ?, Paris, Cerf,
2006, p. 25.
4
Ibid.
86
justification » ou encore cette « résistance mystérieuse en nous qui nous fait placer
certaines attitudes au rang de l’absolu et qui nous rend disponibles pour le
témoignage »5.
2. Aspect méthodologique
Une réflexion philosophique sur Dieu doit éviter de s’aligner sur le modèle
positiviste tel que proposé par la science moderne. La voie la plua appropriée et la
plus sûre, selon Biolo Salvino, est celle d’une métaphysique authentique telle qu’on
peut le déceler chez saint Thomas d’Aquin. Une telle métaphysique devra être
repensée à la lumière des apports positifs de la phénoménologie elle-même ouverte à
la métaphysique de l’être, de la personne et de Dieu perçu comme Être Absolu et
Conscience Personnelle Première6. La métaphysique aristotélico-thomiste professe un
réalisme critique c’est-à-dire l’exigence réaliste (saine) ou positive de l’expérience
extérieure et intérieure. Le réalisme critique entend dépasser la mentalité positiviste
présente dans la recherche scientifique et qui considère comme vrai ce qui est
vérifiable, mesurable. Dieu est en deçà et au-delà du vérifiable. Le réalisme doit aussi
dépasser l’idéalisme et le réalisme naïf.
Une réflexion philosophique sur Dieu devra aussi éviter tout rationalisme déductif
puisqu’il ne respecte pas le sens religieux et transcendant du Mystère. La méthode la
plus appropriée est inductive. Elle part de l’expérience personnelle et intérieure de
l’homme- dans-le-monde qui pense et aime. C’est dans cette conscience pensante et
aimante que se font jour et s’explicitent les principes ultimes de l’exercice intellectuel
et de l’affirmation démonstrative de l’existence de Dieu. Une telle méthode convient
le mieux à la structure ontologique et dynamique de l’homme. Comme esprit incarné
et fini, l’homme n’a pas une expérience immédiate et intuitive de l’Etre subsistant et
Suprême Conscience de soi qu’est Dieu. Par sa réflexion et par son amour, l’homme
participe de manière médiate à l’expérience de l’infini de Dieu.
Et que dire du fidéisme ? Il faut éviter toute forme de fidéisme. Le fait de vouloir
se fier à Dieu au travers de ses représentants peut masquer un manque de confiance
dans l’intelligence de l’homme et par ricochet une méfiance inavouée en Dieu. Il
s’agit d’une méfiance puisqu’on trahit la confiance que Dieu lui-même fait à
l’homme en se révélant dans le chiffre de ses créatures dont la lumière de
l’intelligence est un élément capital ou en se proposant dans la Révélation des
prophètes et du Christ. On ne peut accepter l’Evangile sans le comprendre. Tout
discours sur Dieu présuppose donc une métaphysique de l’être.
5
Ivi, 25.26.
6
S. Biolo, Ivi., 1.
86
Pour Thomas d’Aquin, les principes premiers de l’être, référés à l’être particulier
qu’est l’homme, reçoivent leur pleine application dans la découverte de l’Être Absolu
et Personnel, transcendant et présent de manières diverses dans le créé. Les
arguments sur l’existence de Dieu constituent le point focal de la réflexion
métaphysique sur Dieu. Aux travers de ces arguments, l’esprit humain acquiert une
connaissance analogique de la nature divine. Les sciences naturelles, humaines et
historiques sont un point de départ dans la réflexion philosophique sur Dieu. Les
données extérieures, sensibles et intérieures de conscience de soi ouverte à l’Autre
sont comme la matière à partir de laquelle l’intelligence aboutit à l’affirmation de la
Réalité Première, transcendante et Personnelle. Mais elles doivent être assumées par
l’esprit métaphysique et religieux. L’ouverture au mystère de Dieu exige l’unité
organique et systématique de la pensée métaphysique et théologique et la conversion
aux valeurs spirituelles, c’est-à-dire à la Valeur Absolue et Personnelle qu’est Dieu,
Auteur et Donateur de tout bien7.
7
Ivi, 4.
8
E. GILSON, Le philosophe et la théologie, Paris, J. Vrin, 2005, 68. Voir aussi E.
GILSON, Le thomisme. Introduction à la philosophie de saint Thomas d’Aquin, 6è
édit. revue, Paris, J. Vrin, 1997, 40 sv ; B. Mondin, Ivi, 5 sv.
9
Jean-Paul II, Fides et ratio, n. 64.
10
Ibid.
86
Les voies philosophiques qui tendent vers la connaissance de Dieu comme origine
de la réalité se veulent rigoureuses. Le philosophe emprunte souvent le chemin de
l’intelligence spontanée et ordinaire ou encore celui du musicien, du poète, du
littéraire, du peintre ou sculpteur. Le poète habite la proximité du philosophe et aide
ce dernier à rester à l’écoute du grand silence, à percevoir les signaux lointains
provenant du lieu où l’on aurait dit dépourvu de rien. Pour beaucoup d’hommes, Dieu
est une réalité escomptée. La conscience de son existence et de ses relations avec
l’homme est une donnée naturelle. Pourtant Dieu n’appartient pas au domaine des
évidences de l’homme c’est-à-dire connaissable par soi, sans recourir à une
médiation. Ontologiquement, Dieu est Principe sans principe, sans antécédent,
autosuffisant, absolu. Il ne dépend de rien et n’est médiatisé par rien. Par contre
l’homme et le monde qui l’entoure dépendent de lui. Si la vérité de Dieu et son
intelligibilité ne renvoient à aucune autre instance ou entité, la pleine intelligibilité du
fini par contre se fait à partir de Dieu.
De même que notre capacité visive est proportionnée à l’objet à voir, de même
notre connaissance est en rapport avec l’intelligible. La finitude de l’intelligence
humaine exclut la proportionnalité avec l’Infini car Dieu est au-delà du domaine de
ce que l’homme peut connaître immédiatement. Dans ce sens, Dieu n’est pas une
évidence immédiate pour l’homme et n’est nullement connaissable à travers une
intuition immédiate de son être. Si tel était le cas il rentrerait dans les limites des
capacités intellectives de l’homme et serait un Dieu trop peu divin. Pour Thomas
d’Aquin, l’évidence c’est-à-dire le connaissable par soi (per se notum) se dit de deux
manières : en soi et pour l’homme (secundum se et quoad nos) lorsque l’être humain
le saisit immédiatement en vertu de sa proportionnalité aux capacités cognitives de
l’homme ; en soi et pas pour nous (secundum se et non quoad nos) quand la réalité
dépasse nos capacités cognitives bien qu’elle soit évidente au sens strict.
Explicitons cela par des exemples de Saint Thomas d’Aquin lui-même (Somme
théolog. I, q. 2, a.1) : la proposition « l’homme est un animal » est évidente en soi et
86
pour nous car le prédicat « animal » est inclus dans la notion du sujet. L’animalité fait
partie de la notion même de « homme ». Par contre, la proposition « Dieu existe » est
évidente en soi car le prédicat s’identifie au sujet, Dieu étant son être même, mais pas
pour nous car l’essence de Dieu nous est inconnue sinon à travers une démonstration
qui part des choses connues (et même moins évidentes ou des effets). Le paradoxe de
l’intelligence humaine est que d’une part la source et l’origine de l’être, Dieu qui est
le vrai et l’intelligible par excellence, dépasse les capacités humaines, alors que
d’autre part le fini qui provient de Dieu est évidente à son intelligence. Pour exprimer
ce paradoxe, Aristote recourt à la métaphore des oiseaux nocturnes qui vont vite dans
l’obscurité mais sont aveuglés par la lumière du soleil qui dépasse leur capacité
visive. L’intelligence humaine recourt à la médiation de ce qui en soi est moins
intelligible pour accéder à ce qui est plus intelligible en soi.
Si beaucoup de personnes ont la sensation que l’existence de Dieu est évidente c’est
parce qu’il y a une connaturalité entre la conscience humaine et Dieu. C’est cet élan
naturel qui rapproche le divin de l’humain plus que beaucoup d’autres réalités
tangibles. Parmi les éléments justificatifs de cette connaturalité il y a le fait que
l’homme est fondamentalement religieux et vit dans un contexte culturel où la
religion joue une fonction primaire11. Elle permet la prise de conscience par l’être fini
de sa dépendance vis-à-vis de l’être infini. Cette prise de conscience est immédiate :
il s’agit d’une immédiateté existentielle et non cognitive puisque l’expérience
religieuse a besoin de la médiation de la tradition avant d’être assumée de façon
explicite et adulte par les individus.
11
D’après André-Comte Sponville, un individu ou une société peut bien se passer de
religion entendue comme « croyance en Dieu personnel et créateur » : Mais si on
entend la religion au sens « large ou ethnologique », alors la question est ouverte car
aucune société n’est totalement dépourvue de religion. A. COMTE-SPONVILLE, Ivi,
24-31.
86
Le christianisme semble plutôt avoir ses précurseurs chez les philosophes qui ont
opposé dès le début une résistance aux mythes et aux cultes ésotériques pour parler
de Dieu. Pour eux, les concepts respectent la transcendance de Dieu mieux que les
mythes dont la justification en dernière instance se trouve dans leur utilité politique 12.
Pour saint Grégoire de Nazianze (Discours théologiques), la connaissance de Dieu
d’une part engage toute la personne l’invitant à cheminer vers le mystère, et d’autre
part lui révèle les limites de son intelligence. Saint Grégoire n’a cessé de faire des
éloges à la philosophie comme amour de la sagesse et expression de l’identité des
hommes créés comme êtres rationnels en quête du Logos par la médiation du logos.
12
L. ROMERA, Ivi, 108 note 5.
86
Dans ces différents itinéraires (nature, homme), on peut discerner une « matrice
métaphysique » qui permet de décrire l’accès à Dieu de façon rigoureuse et véridique.
Le recours à la métaphysique – et donc à la question de Dieu – ne se justifie pas
seulement par rapport à la religion. Il surgit de la question métaphysique elle-même
comme exigence pour l’homme de poser la demande radicale. La question
métaphysique répond à une exigence de l’esprit humain de cohérence privé de
préjugés. La question métaphysique n’est pas le fruit d’un contexte dépassé ni d’une
attitude artificielle. Elle révèle au contraire la maturité d’une intelligence qui veut
aller au-delà des « présupposés ». S’agissant de la question métaphysique de Dieu,
cherchons à savoir comment elle naît, en quoi elle consiste et comment la
métaphysique accède à la connaissance de Dieu.
On peut en dire autant de la raison pratique : elle ne s’épuise pas dans la technè ou
l’ars. La raison pratique comporte aussi une dimension sectorielle et s’appuie sur des
principes. Une technique donnée devient illégitime si elle s’applique indûment à un
secteur auquel elle n’est pas adaptée. Finalement, la raison technique est
instrumentale car elle vise les stratégies les plus aptes à atteindre les meilleurs
résultats sans nécessairement s’interroger sur les fins ultimes ou la totalité du réel.
Aussi Aristote introduit-il le concept de « phronesis » (prudentia) : la prudence ou la
sagesse est cette autre modalité de la raison pratique qui permet d’éviter la
déshumanisation de l’homme et de la société puisqu’elle considère l’action dans la
totalité de sa relation avec la personne et la société.
86
Mais Aristote ajoute une autre modalité d’exercice de la raison : la sophia par
laquelle l’episteme (intelligence théorique) va au-delà de la sectorialité pour se placer
dans l’horizon ultime de l’existence humaine et du réel en général. Pour que l’homme
acquiert cette sagesse, il faut qu’il agisse de façon cohérente et responsable, à l’abri
des humeurs changeantes, des passions et sentiments mais mû par la vertu de
prudence. C’est à la philosophie première ou la métaphysique que revient la tâche
d’aider l’homme à acquérir cette sophia. Grâce à la métaphysique, l’existence
humaine peut s’orienter de manière unitaire et cohérente vers ce qui constitue son
accomplissement plénier. L’absence d’une telle instance unitaire porte l’existence
humaine aux lacérations et à la fragmentation.
Le sage doit être pourvu non pas d’une connaissance sectorielle mais de la
connaissance de toutes choses c’est-à-dire non pas la science de chaque chose mais la
connaissance globale (de l’ensemble). Le sage s’oppose au spécialiste, à l’érudit qui
excelle dans un domaine particulier de la réalité. Une telle universalité ne provient
pas de la plus grande abstraction du réel (logico-formel) ou d’une généralisation qui
serait privée de contenu, ni d’une simple juxtaposition des sciences particulières ou
encore d’une systématisation encyclopédique de leurs résultats. L’universalité est une
réponse à une demande de radicalité qui n’est pas du ressort de l’episteme théorique
et pratique. Par l’universalité et la portée de l’objet de sa connaissance, le sage
s’interroge sur les dimensions résolutoires (décisives) du réel, sur le caractère réel du
réel ou l’être en tant qu’être.
Les hommes se sont émerveillés aussi bien devant des réalités les plus simples que
face aux phénomènes les plus complexes tels que la génération de l’univers. Ils se
sont donc mis à philosopher pour se libérer de l’ignorance dans le seul but de
connaître : dans son expérience toujours croissante de connaissance du réel, l’homme
13
L. ROMERA, Ivi, 121.
86
se rend compte (perçoit, prend conscience) que les réalités sont marquées par une
indigence et qu’aucune d’elle n’épuise l’être. Dans chaque étant, il y a une
articulation d’être et de non être, de bien et de mal, etc. due à la temporalité et à la
limitation intrinsèque. D’autre part, le fini est capable de réfleter l’infini, de façon
limitée bien sûr, uniquement à travers la différence.
La question est ancienne et toujours nouvelle. Elle est aussi complexe et nous
n’avons pas la prétention de l’épuiser ici. Qu’il nous suffise d’en évoquer ici
quelques aspects saillants. Nous venons de souligner l’unité inséparable de la foi et
de la raison dans la vie du croyant. Cette complémentarité est une donnée constante
dans l’histoire de la théologie et de la philosophie chrétiennes. Il n’est pas question
pour le croyant de « rationnaliser » le Mystère chrétien, mais de chercher à le
comprendre et à en donner les motivations raisonnables14.
14
Par rapport à la théologie comme « science religieuse » dont l’objet est la destinée
ultime de l’homme (salut), le point de vue de la raison peut revêtir les trois formes
suivantes : « simple explication du donné révélé, argument de convenance et
déduction de conclusions nouvelles ».Cf. M-J. CONGAR, ‘‘Théologie’’ in
Dictionnaire de théologie catholique, t. XV/1, col. 454. Le théologien recourt
fréquemment à la fonction rationnelle pour expliquer le donnée révélé. Une telle
explication peut être intrinsèque c’est-à-dire visant « à donner des réalités révélées
une notion plus précise, parfois meme une définition répondant aux exigences d’une
logique rigoureuse » (Ex. que veut dire « Christ assis à la droite du Père ? ») ou
extrinsèque consistant à élaborer une explication à partir des analogies tirées du
monde et suscptibles de favoriser une intelligence fidèle du dogme. S’agissant de
l’argument de convenance, constituant « la part la plus importante » et « domaine la
plus appropriée de la théologie », il consiste « à exploiter l’accord qu’un fait chrétien
surnaturel connu par révélation, possède avec la marche générale, les lois et les
structures de notre monde à nous ». Cet accord ne doit pas être interprété comme une
preuve directe du fait surnaturel car entre le fait connu naturellement et le donné
révélé subsiste un écart. L’accord souligne par contre une probabilité c’est-à-dire des
motifs de penser que le fait est vrai. Quant au raisonnement théologique déductif, il
est l’explication par laquelle « l’esprit dégage le contenu plus ou moins enveloppé
(explicite ou implicite) de l’enseignement chrétien » (Ivi, 455. 6). Voir aussi Stanislas
Breton, Foi et raison logique, 29-31.
86
(même dans le sens le plus large de foi religieuse humaine propre aux religions non
chrétiennes) reste le principe d’intelligence (Is. 7, 9) en tant qu’acte impliquant toute
la personne et la disposant intérieurement à comprendre, de manière imparfaite sans
aucun doute, mais à comprendre tout de même, quelque chose du Mystère ineffable
de Dieu. Dans cette perspective, la théologie naturelle est cet « intellectus quaerens
fidem » puisqu’il ne peut y avoir de véritable et authentique recherche sans une
connaissance personnelle du croyant. C’est cette connaissance qui facilite et permet
de défendre intérieurement la foi. « Quiconque dit : je crois, écrit Biolo, implique à la
fois, je comprends et je pense, soit de manière spontanée et vécue, comme dans le cas
du peuple chrétien, soit de façon technique et scientifique propre au théologien et au
philosophe »15.
Ce que l’on appelle les « préambules de la foi » (praeambola fidei) exprime une
formule concise du problème théologique des conditions qui doivent etre remplies
pour que la décision de croire en Dieu n’apparaisse pas arbitraire à l’homme, mais
qu’il puisse justifier devant le tribunal de la raison son libre acte de foi. Les
praeambola fidei désignent une série de vérités métpahysiques (existence de Dieu,
unité de Dieu, création ex nihilo, immortalité de l’âme, la capacité de l’homme de
connaître la vérité et sa liberté, la validité des principes fondamentaux de l’être et de
la loi morale, etc.). Il s’agit là d’une intelligence initiale et intérieure qui vise plus à
comprendre la parole humaine16. La Parole de Dieu quant à elle exige davantage cette
attitude de foi qui génère son intelligibilité. « Comprends pour croire, crois pour
comprendre », disait saint Augustin.
Notre réflexion sur Dieu, aussi philosophique qu’elle puisse être, ne doit pas nous
faire oublier notre insertion dans ce corps mystique, historique et social qu’est
l’Eglise. Nous sommes en effet portés par une histoire, un mouvement de vie et de foi
qu’il importe de connaître au maximum.
Nous n’entrons pas dans le débat sur la philosophie chrétienne dont Gilson et tant
d’autres ont été de grands défenseurs17. Un mot cependant sur la réaction que le projet
15
Biolo, Ivi, 17.
16
C’est ici qu’on recourra notamment à la linguistique et à la philosophie du langage
pour saisir le sens des mots.
17
Sur la problématique de la « philosophie chrétienne », la littérature est abondante.
Étienne Gilson consacre le premier chapitre de son L’Esprit de la philosophie
médiévale à cette question et offre des Notes bibliographiques à la fin de l’ouvrage.
Le même historien de la philosophie médiévale y a consacré d’autres études telles
que Christianisme et philosophie, Paris, J. Vrin, 1936 et Elements of Christian
Philosophy, New York, Doubleday, 1960.
86
Il y a cependant une différence chez les médiévaux chrétiens tels que Bonaventure
et Thomas d’Aquin. Bien que fidèles aux principes philosophiques de leurs maîtres
grecs, ils en tirent des conséquences insoupconnées par les maîtres et même
contraires à leurs systèmes. C’est le cas notamment de la distinction d’essence et
d’existence établie par le chrétien Thomas d’Aquin et qui est inconcévable pour le
péripatéticien Aristote. Pour ce dernier en effet, la notion de puissance est associée à
celle de matière tandis que celle d’acte pur à l’immatériel (au divin). « Un être
immatériel, pour Thomas d’Aquin, n’est pas encore un acte pur, puisqu’il est en
puissance à l’égard de sa propre existence »21. D’où la nécessité d’élargir la notion de
puissance et de la distinguer de la matérialité puisque c’est l’existence elle-même - et
pas seulement un de ses modes d’être (la matérialité) - qui est en puissance. Duns
Scot en fera autant pour la notion d’acte. Pour penser la création et attribuer « une
réalité positive à tous les éléments des êtres composés », Duns Scot attribue une
actualité propre à la matière distincte de celle de la forme. « Si elle est créée, estime-
t-il, la matière doit être de l’être, et si elle est de l’être, elle est acte, ou en acte »22.
18
Ivi, L’Esprit de la philosophie médiévale, 385.
19
Cf. Ivi, 386 note 1.
20
Ivi, 388.
21
Ibid.
22
Ibid.
86
Thomas d’Aquin et Duns Scot en arrivent ainsi à « fonder une métaphysique sur un
contresens et, avec la métaphysique, la physique, la psychologie et la morale ». Le
philosophe a le droit de discuter de la rationalité de leurs conclusions. Pour Gilson,
on jugerait mal l’Aquinate et Scot si on ne s’efforçait pas de comprendre d’abord leur
sol d’enracinement, leur lieu historique d’inspiration et ensuite leur distance critique.
« Vouloir faire une critique des systèmes qui soit historique et philosophique, à la fois
et sous le même rapport, écrit Gilson, c’est réaliser une contradiction dans les termes.
Toute philosophie procède d’une autre et s’en distingue ; la critique historique peut
bien montrer comment elle en procède et en quel sens elle s’en distingue, mais elle
détruirait à la fois elle-même et son objet en lui refusant le droit de s’en
distinguer »23. Si l’on veut condamner la philosophie chrétienne comme telle, il
faudrait prouver que les philosophes médiévaux chrétiens n’ont pas posé et
approfondi les mêmes problèmes que leurs maîtres grecs (problèmes de l’être et de
ses principes, du nécessaire, du contingent, du possible, etc).
Or, de ce point de vue, il paraît évident aux yeux de Gilson que la philosophie
chrétienne est une « philosophie véritable, dont l’action dépasse les limites du moyen
âge et continuera de s’exercer tant qu’il y aura des hommes pour croire à l’existence
de la métaphysique »24. À travers ses représentants, on se rend compte que cette
philosophie fait preuve d’un esprit critique qui refuse tout asservissement à l’autorité
de Platon ou d’Aristote mais qui accepte toutefois de « se soumettre à l’évidence des
faits et ne jamais chercher à avoir raison contre la raison »25.
Mais en est-il bien ainsi, se demande Gilson ? Du point de vue religieux, il est
compréhensible que les philosophes chrétiens soient conscients du danger « de
ramener l’homme sur le plan du naturalisme antique par un oubli fatal de l’Évangile
et de saint Paul, c’est-à-dire de la grâce ». Si l’on veut vraiment sauvegarder les
exigences de la foi chrétienne, on n’évacuera en aucun cas la Croix du Christ. Mais
alors, faut-il conclure que les intérêts du Christianisme interdisent toute philosophie
23
Ivi, p. 390.
24
Ibid.
25
Ivi, p. 391.
26
Ivi, p. 392.
86
Une philosophie chrétienne est possible tant qu’il y aura des chrétiens qui – mûs par
leur foi et soutenus pas la grâce – s’adonneront à la réflexion sur la nature humaine
pour en connaître la vérité. Cette réflexion humaine que la philosophie grecque a
entreprise sera poursuivie et rapprochée de son point de perfection, car c’est bien le
propre de la grâce que d’illuminer la raison et d’élever la nature. Nature et grâce sont
donc distinctes mais elles ne sont pas séparables.
La connaissance intellectuelle dont parle le concile c’est celle qui s’exprime par les
facultés supérieures à travers les concepts et les jugements populaires et scientifiques
sans nécessairement recourir à une technique philosophique spéciale. Ce qui est
important à souligner c’est cette possibilité de connaissance certaine (quaestio juris
et non quaestio facti), la capacité morale active (non physique) c’est-à-dire qu’il n’est
pas question de l’exercice personnel ni de l’instruction nécessaire au développement
normal de la raison, la non nécessité absolue de la révélation et de la grace mais aussi
la non indépendance de l’intelligence humaine. La connaissance est médiatisée non
pas par la révélation mais par la création (moyen objectif) et par la lumière naturelle
de la raison (moyen subjectif). Des réalités créées, l’esprit humain procède
spontanément à Dieu comme à leur Cause et Auteur. Si l’on parle de connaissance
médiate, on n’exclut pas d’autres connaissances telles que l’expérience religieuse
fondamentale. Enfin, le concile défend l’équilibre entre la foi et la raison condamnant
ainsi les traditionnalistes, les fidéistes et les rationalistes.
Cette doctrine de Vat. I est un patrimoine qui a été repris, confirmé et développé au
sein de l’Eglise. Alors que Vat. I, de manière délibérée, parle de « connaissabilité »
de Dieu, Léon XIII, quelques années plus tard, parlera de « démontrabilité » de
l’existence de Dieu (Encyclique Aeterni Patris, 4 août 1879), proposant de nouveau
l’ancienne doctrine de saint Thomas d’Aquin. A ses yeux, en effet, il est nécessaire
de démontrer la première et fondamentale vérité de la vie religieuse si l’on veut éviter
tout fidéisme agnostique, tout irrationnalisme et tout sentimentalisme religieux. Le 8
septembre 1907, Pie X propose de nouveau l’harmonie entre foi et raison et
condamne dans Pascendi le subjectivisme religieux du modernisme sous la forme de
l’immanentisme ou agnosticisme renaissant. Parler de démonstration signifie
possibilité d’une connaissance certaine et réflexive du fondement objectif de la
27
Pour toutes ces questions et pour d’autres encore telles que l’ontologisme, on
pourrait se reporter notamment à Edgar HOCEDEZ, Histoire de la théologie au XIXè
siècle. T. 2. Epanouissement de la théologie 1831-1871, Paris, DDB, 1952.
86
Dans tous ces différents documents est constamment affirmé le noyau fondamental
de la doctrine qui s’appuie sur la Bible : la raison humaine a la capacité (physique)
active de connaitre avec certitude, et donc de démontrer, l’existence de Dieu, Etre
Absolu et Personnel, à partir de la création et de la lumière de la raison. On évite ainsi
l’agnosticisme et le rationalisme et on établit l’équilibre entre foi et raison.
Nous n’allons pas nous attarder sur la question. Mais il est bon de souligner dès le
départ que la Bible est « Parole de Dieu exprimée et signifiée par des paroles
humaines ». Comme Parole divine, elle est « inspirée » par Dieu mais pensée et écrite
par des hommes et pour les hommes. Elle est compréhensible par les hommes de tout
temps et de tout lieu.
4.-Du point de vue historique, les paiens ont refusé la connaissance de Dieu en
fermant leurs coeurs, en ne rendant pas à Dieu le culte qui lui est dû. Ce refus
d’obéissance leur fait perdre tout sens de discernement des valeurs. Une telle
ignorance de Dieu porte au durcissement du coeur, à la superficialité et à l’incapacité
de distinguer Dieu du monde ainsi qu’à l’indifférence et au mensonge total. Pourtant,
même dans cette idolatrie, une certaine connaissance de Dieu est encore possible. La
corruption n’est pas totale.puisque l’âme conserve encore un résidu d’élan vers Dieu.
Il faut plutôt dire que c’est Dieu lui-même qui maintient un lien avec l’esprit humain
(Gal. 4, 8 ; Eph 2, 12 ; 1 Th 4, 5 ; 1 Co 15, 34...). Historiquement parlant, Adam et
ses descendants n’ont pas perdu le sens moral et la conformité à la loi naturelle. Ils
savent que la dépravation est condamnable. Seule donc la connaissance de Dieu
rétablit l’homme dans sa vraie dignité.
Fondamentale chez saint Paul est le texte déjà évoqué de Rm 1, 18-32. Nous n’en
ferons pas la lecture détaillée. Qu’il nous suffise de dégager quelques points
essentiels en rapport avec le problème de la connaissance naturelle de Dieu.
- les païens ne sont pas excusables car ils ont la capacité de connaître Dieu mais ils ne
l’ont pas fait,
- cette connaissance ne provient pas de la révélation positive et par la foi, mais par la
lumière de l’intelligence,
- l’homme peut donc arriver à Dieu à travers la création en suivant un procédé
rationnel de réflexion qui remonte, par confrontations et analogies, du moins au plus,
du créé au Créateur.
- il n’est pas question d’une révélation au sens strict c’est-à-dire impliquant la foi
surnaturelle comme assentiment fondé sur l’autorité de Dieu qui se révèle, ou la
médiation personnelle de quelque prophète ou encore cette manifestation primitive à
86
Une synthèse philosophique de ce qui vient d’être dit indique que foi et raison, tout
en demeurant distinctes, sont indissociables. Toutes deux tendent vers Dieu. Une telle
tension est soutenue par l’amour du Bien suprême. On ne peut donc élaborer une
bonne théologie sans le concours d’une philosophie authentique et cohérente. Certes,
la foi est acte surnaturelle, mais en tant qu’acte humain, elle ne peut renoncer à sa
« logique interne » malgré les attaques continuelles de l’agnosticisme toujours
renaissant.
péché originel et personnel, l’homme est « capax Dei » car il conserve l’image
de Dieu dans sa conscience spirituelle et est ouvert à la vérité et à l’amour28.
L’homme est une être qui se confronte avec son environnement non pas
seulement pour surmonter les difficultés du milieu et survivre mais aussi et surtout
pour réfléchir sur ces difficultés en tant que telles c’est-à-dire les thématiser. Ce
faisant, il fait émerger à lui-même de nouveaux problèmes révélant ainsi sa capacité
de transcender les limites existentielles et d’ « émerger » de son environnement. Dans
sa vie, l’homme ne cesse de s’interroger sur le sens de son agir et la fin ultime de sa
vie. Devant la précarité et la fragilité de sa vie, l’homme veut savoir si tout demeure
transitoire ou s’il y a au contraire une instance qui donne sens à toute la vie et quel
rapport on peut établir avec elle.
A. Le dynamisme anthropologique
B. Ouverture et finitude
B.1.Ouverture
28
Lire avec intérêt Henri BOUILLARD, Connaissance de Dieu. Foi chrétienne et
théologie naturelle, Paris, Aubier Montaigne, 1967, 11 sv.
86
Il n’ y a d’ouverture que pour un être conscient de soi et de l’autre en tant que tel et
doté d’un « pouvoir-devoir » de s’assumer dans une relation avec son environnement
et avec les autres. Il n’est donc question ici d’ouverture que pour « un être pourvu
d’intériorité et d’intimité comme permanence à soi et appartenance à soi, auto-
conscience et capacité d’auto-configuration »29. L’ouverture s’oppose à la fermeture à
soi et sous-entend cette transcendance ou cet élan intentionnellement conscient vers
l’autre. Le fondement de cette ouverture dans ses diverses faces reste l’ouverture
originaire à l’être. Reconnaître que la réalité comme telle ne s’épuise pas dans nos
stimulants ou autres objets de notre expérience humaine, c’est là « une condition
indispensable pour toute action novatrice »30.
29
Luis ROMERA, Ivi, 14.
30
Ibid.
31
Ivi, 16.
86
sensiblement, il est sollicité dans toute sa personne comme telle à donner une réponse
intelligente et libre, à « pénétrer dans l’ordre des choses que l’oeuvre d’art représente
et où l’oeuvre d’art est vraiment oeuvre d’art »32. Il en est de même de l’ouverture qui
a lieu dans la narration, l’allégorie et le symbolisme. Dans 2 Sam 12, 1-14, le roi
David accède à un niveau de connaissance éthique de l’acte commis grâce à une
herméneutique correcte du prophète. Dans le cas de la souffrance, la vie qui sembler
aller de soi, est remise en question par la maladie ou l’échec et le patient est invité à
s’interroger sur l’existence et ses dimensions essentielles et à s’ouvrir à un au-delà de
l’immédiat existentiel. Assumer la souffrance, la contraster ou la subir, telles sont les
diverses réponses intelligentes et libres qu’il est possible de donner. Dans le cas d’une
rencontre dialogique, on est en face d’un « tu » avec ses multiples visages et
implications : amour, exemplarité, martyre, etc.
Du point de vue moral, l’homme peut s’aliéner dans son noyau intime s’il agit mal.
Il se transforme en cause du mal et s’auto-aliène devenant ainsi autre que soi (aliud).
L’ouverture à Dieu comme à une présence personnelle est l’horizon dernier
d’intelligibilité de la finitude humaine.
D. L’expérience religieuse
La religion joue une importance capitale dans la vie des individus et des peuples.
Elle donne un sens complet à l’existence, soutient la personne dans les épreuves
surtout lorsque la science et la technique deviennent inefficaces et que les risques de
désespoir, d’angoisse et même de mort s’intensifient. La religion est « le point
central » (Hegel), le lieu d’inspiration de grandes oeuvres artistiques, littéraires et
autres productions du génie des peuples. Phénomène humain par excellence, la
religion est présente chez tous les peuples (Aristote, Clément d’Alexandrie, Bergson,
G. Van der Leeuw), c’est par elle que l’homme se distingue de l’animal (Cicéron,
Feuerbach) et elle est « la clef de l’histoire » qui nous permet de « comprendre les
structures intimes d’une société »33. Impossible de comprendre les conquetes
culturelles d’une société si l’on ne saisit pas les croyances religieuses qui la portent.
Ch. DAWSON, Religion and culture, Londres, 1948, 49-50, cité par Mondin, Ivi.,
33
30.
86
« La religion est le seuil de toutes les grandes littératures mondiales. La philosophie
est un produit et une rampe qui fait continuellement retour à son géniteur »34.
Les phénoménologues tels que Otto, Van der Leeuw, Scheler considèrent la
religion en elle-même comme une activité intentionnelle dont l’objet propre est le
34
Ibid.
35
Cité par Mondin, Ivi, 34.
36
Les formes élémentaires de la vie religieuses, 65. Voir aussi Ivi, 34.
86
sacré. Bien que composée des dimensions humaine et divine, la religion accorde
priorité absolue au divin en ce sens que l’attitude humaine « apparaît seulement
comme une réaction à un objectif extra-humain et surhumain, (et) que c’est cet
objectif même, ce tabou qui constitue la particularité du Numen, ce qui est inquiétant,
craint, indicible, sacré, le mysterium tremendum »37. I. Mancini voit le proprium de la
religion dans « l’expérience d’etre touché par le Totalement autre » et c’est « cette
altérité qui permet à la religion de se configurer dans l’optique sotériologique face à
l’humain »38.
37
Ivi, 35.
38
Ivi, 37.
39
V. MULAGO, ‘‘Eléments fondamentaux de la religion africaine’’ in Religions
africaines et christianisme. Colloque International de Kinshasa (9-14 janvier 1978),
CERA, FTCK, 1979, 43.
40
L.-V. THOMAS, ‘‘La religion négro-africaine dans son essence et ses
manifestations’’ in Religions africaines et christianisme, 71. 76.
86
Double est la finalité de la religion : d’une part rendre gloire à Dieu à travers le
culte et l’adoration, et d’autre part contribuer au salut de l’homme c’est-à-dire
dépassement de sa propre contingence radicale, sa faillibilité et sa nullité. Les
moyens auxquels le religieux recourt sont intérieurs (vertu de l’humilité, soumission,
obéissance, confiance, espérance, dédition, amour, adoration) et extérieurs (symboles,
rites, mythes, lois, institutions).
41
Ivi, 39-40.
42
Ivi, 40.
86
lois ». Ce faisant, on perd l’Infini parce que réduit dans les schèmes finis de
l’explication et le rapport rigide de la métaphysique avec l’Infini reste inadéquat
puisque non immédiat. La religion par contre a un rapport immédiat, direct avec
l’Infini. L’organe de la religion est le sentiment non pas la spéculation. Seul mode
authentique, selon Schleiermacher, d’être en relation avec l’Infini, le sentiment
religieux sait le laisser subsister dans son Infinité.
Plus précis que Schleiermacher qui réduit la religion au sentiment à cause d’une
excessive accentuation de l’aspect subjectif de la religion, M. Scheler distingue la
métaphysique de la religion aussi bien sous l’angle subjectif qu’objectif.
Subjectivement, il y a religion lorsque « l’objet de l’acte religieux et son intention
s’accomplissent dans la révélation (au sens large) de cet élément personnel », alors
que dans la métaphysique « la personnalité du divin représente une limite qu’on ne
peut atteindre par la connaissance mais que la religion considère comme l’Alpha et
l’Oméga »43. Objectivement, la métaphysique peut découvrir un Ens en soi sans
toutefois en déceler la sainteté et la personnalité, attributs que l’acte religieux perçoit
dans la révélation divine. La métaphysique « peut tenter de montrer le lien logique et
nécessaire par voie déductive ou démonstrative », ce qui n’est pas le cas pour la
conscience religieuse. Pour elle, il ne s’agit pas de parvenir à l’idée du Dieu saint par
voie déductive ou démonstrative car « l’être qui possède une valeur suprême la
possède uniquement pour soi et en soi. Un tel être doit aussi posséder l’existence – de
même que l’étant absolu soit nécessairement aussi en soi valeur absolue – cela est un
axiome ontique synthétique pour la conscience religieuse »44.
Quant au rapport religion et révélation, il faut dire que la religion suppose toujours
une révélation comme auto-manifestation de Dieu à l’homme. Une telle hiérophanie
peut-être directe ou indirecte, personnelle (religion révélée ou surnaturelle ou
révélation) ou impersonnelle ; elle peut advenir à travers la nature (religion naturelle)
ou l’histoire, des paroles claires ou ambiguës, etc. En elle-même, la religion naturelle
43
Ivi, 44.
44
Ivi, 45.
45
Cf. Ivi, 46.
86
C’est pour éviter ces excès que Dieu se révèle (révélation naturelle et surtout
historique). Une attention particulière est accordée aux Écritures Saintes de
l’Hébraïsme et du Christianisme auxquelles on donne généralement le nom de
Révélation. Le rapport entre la religion et la révélation dépend du point de vue où on
l’aborde. Philosophiquement, on est tenté d’accorder une préférence à la religion
naturelle car la philosophie privilégie la raison et l’évidence comme critère de vérité
tandis que la révélation met en évidence la foi et l’autorité comme critère de vérité.
Théologiquement par contre c’est la révélation surnaturelle qui est privilégiée.
Si maintenant l’on considère les rapports entre la religion (surtout les religions non
chrétiennes) et la révélation (chrétienne) on observe trois types d’attitudes parmi les
théologiens : rapport de conflit, d’identité et d’harmonie. Le théologien protestant
Karl Barth représente le rapport de conflit car selon lui, « Christ condamne les
religions en tant qu’expression la plus raffinée de l’orgueil humain ». Dans sa
Dogmatique ecclésiale, il fait une nette distinction entre la foi chrétienne fondée sur
ce que Dieu a révélé sur lui-même en Jésus-Christ et la religion comme recherche
inutile de la vérité et du sens dernier de la vie. Puisque Dieu est le Tout Autre, sa
recherche par les hommes est vouée à l’échec si Dieu lui-même ne venait à leur
rencontre. La foi est vraie parce que fondée sur la Parole de Dieu et ne contient aucun
élément humain ni susceptible de confirmation ou de contestation de la part de la
raison humaine puisqu’elle est reconnue comme don de Dieu. Parce que pécheur et
aveugle, l’homme transforme la foi en pratiques de piété dites chrétiennes, ce qui est
abominable devant Dieu. Parmi les disciples de Barth, on peut citer Gogarten,
Bonhoeffer, Vahanian, Van Buren et Mancini.
La première attitude est inacceptable car non seulement elle vanifie la révélation
naturelle mais aussi toute révélation surnaturelle. En effet si l’homme est
radicalement pécheur et ne peut être soigné, on ne peut parler d’un destinataire ni
86
a)Le mythe
Quelle est la valeur noétique du mythe ? Est-ce une fable et donc l’opposé de la
vérité ou au contraire véhicule-t-il la vérité ? Le courant rationaliste et positiviste n’y
a vu que des fables, expressions d’une culture naïve, superstitieuse et infantile
dépourvue de l’instrument logique de la science et en proie à des explications
arbitraires. C’est le mérite des spécialistes des religions et des philosophes tels que
Heidegger d’avoir procédé à une réévaluation du mythe. Aujourd’hui, le mythe est
perçu comme une forme de savoir propre à des cultures particulières (ex. orientales)
qui recourent plutôt à l’intuition et à la fantaisie qu’à la raison pour exprimer la
réalité. Elles emploient davantage les images que les concepts. Le mythe est une
sorte de métaphysique qui recherchent les causes dernières pour élaborer la mappe
complète de l’univers et de l’histoire.
46
Mondin, Ivi, 52.
86
b)Le rite
c)Les lois
Les lois dont il est question ici ne sont pas ces normes qui règlent
l’accomplissement exact des rites. Il s’agit plutôt de ces normes qui « règlent la
conduite morale de l’homme et déterminent ses devoirs envers Dieu et envers le
prochain ». Il y a une importante dimension éthique dans la religion du fait que celle-
47
Ivi, 54.
86
ci assure un solide et valide fondement aux valeurs absolues qui représentent l’axe
principal de l’éthique. D’une manière plus large encore, la religion établit elle-même
ce qui est bon et agréable à la divinité. Cette composante éthique de la religion
s’explique aussi par le fait que la religion est naturellement assez engageante et
envahissante. Elle pénètre et transforme tout l’homme. L’homme religieux est
entièrement sous l’action transformante de Dieu. Pour certains philosophes tels que
Spinoza, Kant et Nietzsche, l’épaisseur éthique est le noyau principal de la religion et
s’identifie même avec son essence.
On ne peut accepter telle identification car c’est confondre un trait essentiel avec le
tout et parce que c’est inverser l’ordre existant entre la morale et la religion. La
religion est avant tout manifestation de Dieu. Celle-ci exige une réponse humaine qui
s’exprime dans la liturgie et dans la morale. La morale donc se fonde sur la religion et
non vice versa. Par ailleurs, l’homme acquiert la conscience de ses devoirs envers
Dieu et le prochain dans la mesure où il se laisse guider et illuminer par Dieu.
Fondement de la religion
Chaque activité humaine est définie par son objet (la vue par la couleur, l’ouïe par
le son, etc). Aussi bien les activités sensitives, intellectives que volitives ne se créent
leur propre objet mais les recherchent et tentent d’en prendre possession. En est-il
ainsi pour la religion ? Est-ce l’homme qui invente l’objet de son adoration, de sa
prière ou de son invocation, ou au contraire est-il stimulé et provoqué par un tel
objet ? Si la religion était une utopie, une illusion ou l’invocation des phantasmes de
l’homme, ce dernier aurait payé et payerait encore un lourd tribut. Mais puisqu’il est
« génétiquement » religieux, qu’en est le fondement ?
que cette réalité comprenne une dimension religieuse et que cette réalité se présente
avec son caractère numineux, divin. Il faut donc que Dieu existe sans quoi il n’y a pas
de religion. Peut-on parler de botanique ou de zoologie sans plantes ou sans
animaux ? L’homme religieux ne doute un seul instant de l’existence de Dieu car il
en fait constamment l’expérience dans sa prière, ses invocations, son adoration, etc.
Pour lui, l’idée de « preuve » de l’existence de Dieu est absurde, insensé. Il n’y a pas
d’autre fondement à la religion que Dieu lui-même car la religion procède de Dieu et
la conscience religieuse en a la conscience intuitive.
Mondin présente Kant et Schleiermacher comme les rares philosophes qui ont
recouru à la métaphysique pour assurer un fondement solide à la religion. La
tendance dominante consiste à opposer religion et métaphysique et à rattacher la
religion à la mystique. C’est le cas notamment de William James, Henri Bergson et
H. Duéry. Pour W. James (anti-intellectualiste, anti-rationaliste, anti-positiviste, anti-
matérialiste, anti-métaphysicien, fondateur du pragmatisme avec Peirce), « le critère
de vérité n’est pas ce qui est valide spéculativement, mais ce qui se révèle fécond
dans la vie et dans la pratique »48. Dans son ouvrage Les diverses formes de
l’expérience religieuse (trad. it. 1948), il considère comme non valides les
métaphysiques traditionnelles visant à démontrer rationnellement la vérité des
révélations de l’expérience religieuse. Pour le religieux, Dieu existe effectivement et
entre lui et les hommes s’établissent des rapports réels du donner et recevoir. Les
processus rationnels et abstraits ne produisent ni ne reproduisent pas les faits
religieux mais les classifient, les définissent et les interprètent. Il y a un plus, un
donné immédiat auquel le sentiment seul peut répondre. W. James attribue à la
philosophie une fonction secondaire. La foi en Dieu et à un ordre providentiel de
l’univers a une utilité pratique : donner un sens à l’action humaine. L’avènement de
la religion pratique et vivante n’est possible que lorsqu’on s’interdit toute élaboration
sur les qualités divines ou la Personne de Dieu. La foi concède les principes et les
motifs de l’action, soutient la raison elle-meme. La foi, le sentiment, la prière, etc
sont le fondement de la religion.
48
Ivi, 61.
86
car la religion est le milieu le plus proche de « l’élan vital » qu’il coïncide en partie
avec lui. La religion assume de fait continuellement deux formes distinctes : religion
statique et dynamique. La forme statique est un ensemble de fables, mythes par
lesquels l’homme entend répondre aux grandes questions qui l’angoissent (mal, mort)
tandis que la forme dynamique est élan d’amour, de communion mystique avec
l’effort créateur exprimé dans la vie49.
1°) Préliminaire
49
Ivi, 64.
50
Ivi, 66.
51
Ibid.
86
Au témoignage de la conscience, il faut ajouter celui des choses qui ne pensent pas
mais qui parlent lorsqu’on les interroge parce que signe de l’Autre. Mais il y a surtout
la présence des Personnes qui ne sont pas Dieu mais créatures.
Le processus est dit a posteriori c’est-à-dire allant des effets aux causes et de
celles-ci à la Cause en soi et pour soi, autosuffisant parce que Cause propre de l’être.
C’est un procédé inductif qui part du particulier au général, des faits au principe. La
solidité des arguments provient de la solidité de l’être. On part du monde à la
personne, de celle-ci à Dieu. On parle de « voie intérieure » voulant signifier par là
toute considération implicite qui va des choses à Dieu mais surtout cet exercice qui
part d’une explicite signalation de cet être spirituel qui est le signe le plus noble de la
52
Savino Biolo, Ivi, 51.
86
Le témoignage des créatures en faveur de la vérité de Dieu doit être pris tel qu’il est
c’est-à-dire dans leur spécificité et individualité, l’ampleur de leur capacité d’opérer
et de se donner. Cette considération de la structure métaphysique et opérative de
l’être montre la dépendance des êtres les uns des autres, leur insuffisance essentielle
et leur participation à un Autre. Il convient cependant de souligner que la montée des
choses et des personnes vers Dieu est le fruit de leur énergie interne (bonum
diffusivum est) et non de leur insuffisance. Car bien que limitées et opèrent selon leur
degré d’ouverture à un Autre, elles se suffisent parce qu’elles sont (plus ou moins
vraies).
Souligner la faiblesse, les limites des créatures pour ensuite découvrir et exalter
l’autosuffisance et la dignité du Premier Existant qui se manifeste dans les créatures,
peut être considéré comme signe de lâche mesquinerie. Il est préférable reconnaître la
valeur positive et active (l’acte) présente dans les créatures. Or c’est justement cette
positivité des créatures qui fait surgir le problème de l’influente présence de celui qui
nécessairement « est ». Il y a « à l’intérieur de l’intelligence humaine, écit Biolo, la
surprise du mystère de l’être tout d’abord fini qui le renvoie nécessairement à la
recherche passionnée de l’Être autosuffisant et dernier, ultime explication de
l’existence des êtres finis continuellement introduits dans l’être »54. Ainsi donc,
« l’énergie interne au sujet conscient dans l’acte (d’etre) intelligent et rationnel, est
précisément le principe de causalité efficiente, immédiate application du principe de
raison suffisante, dans son acception la plus universelle »55. Ce qui peut être traduit
comme suit : « Tout ce qui est partiellement, dépend de l’Être qui est totalement » ou
encore : « Tout ce qui n’est pas son propre acte d’être, provient de l’Acte d’Être lui-
même ». Formulé de manière plus technique, on dirait : « Toute réalité composée
53
Cf. Ivi, 54.
54
Ivi, 57.
55
Ibid.
86
d’un sujet (puissance passive) et d’un principe actif (être, forme, activité) qui le
perfectionne, a une cause distincte et diverse de lui-même. Car le sujet en puissance
comme tel est passif, reçoit cette perfection actuelle à laquelle il se réfère et s’oppose
et qui le détermine à être ce qu’il est »56.
Microcosme de l’univers, le sujet humain conscient est, dans son etre, montre qu’il
est la trace et l’image de Dieu. Homo viator, il est aussi la voie qui porte à Dieu. D’un
point de vue métaphysique et religieuse, l’homme cherche Dieu, attiré par lui et en le
trouvant, il découvre que c’est Dieu en premier qui recherche l’homme. Aussi, le
chemin vers Dieu est toujours et uniquement « intérieur », implicitement tout au
moins, dans l’exercice de la raison. On est plus rassuré cependant lorsque la
découverte de Dieu comme Suprême Réalité Personnelle est entreprise par le sujet
spirituel et immortel, fait à l’image personnelle de l’Absolue Conscience qui attire
avec nostalgie en tant que Fin primaire et objectif le plus noble qui seul étanche les
aspirations de l’homme.
5.2. Les différents « développements »
56
Ivi, 57-58.
86
impliqué dans toute connaissance et tout amour parce que Principe et condition
absolue.
Le chemin vers Dieu se fait en communauté car l’homme ne vit pas seul. Il partage
ses expériences avec les autres. De même, les philosophes et les théologiens
échangent mutuellement leurs points de vue sur l’Ineffable qui les provoque et vers
lequel ils sont en marche. Ils en font autant avec les scientifiques et non scientifiques.
3.1. Ignorance
La religion (sa propre religion surtout) est exclue tout simplement parce que non
connue. Le phénomène est diffus dans toutes les religions. Tenez : beaucoup de
catholiques croient que la Trinité est composée du Père, de Jésus-Christ et de la
Vierge Marie. D’autres ne savent pas expliquer la filiation de Jésus-Christ ou la
maternité de Marie. Phénomène grave parce que très répandu et parce qu’il « prive la
personne des ressources importantes pour sa croissance spirituelle et morale »,
l’ignorance est cependant curable notamment par une nouvelle évangélisation et
catéchèse en profondeur. L’ignorance entraîne la diffusion des sectes et les
conversions rapides à d’autres églises.
C’est l’attitude de celui qui ne se décide pour aucune forme particulière de religion
ou qui attribue la même valeur à toutes les religions. L’indifférence est négative dans
le premier cas, positive dans le second. L’indifférence peut aussi être pratique pour
celui qui ne pratique aucune religion ou théorique. L’indifférence théorique peut être
relative ou absolue selon qu’on se limite à mettre en doute la valeur d’une religion
particulière ou qu’on considère fausses, inutiles et mauvaises toutes les religions
(l’existence de Dieu mise à part, sans quoi on tomberait dans l’athéisme).
57
Mondin, Ivi, 69-70.
86
3.3. Agnosticisme
58
Ivi, 71.
59
L. ROMERA, Ivi, 57.
60
Ivi, 58.
61
Ibid.
86
3.4. Sécularisation
avec l’intention d’exalter le profane dans son autonomie et dans son essence. Le
terme « sécularisation » a pris deux significations principales dans l’histoire : sens
juridique de passage de propriété telle que monastère, église, terre, etc de la
domination ou de l’usage de l’Église à la domination ou usage de l’État dans un but
profane. Sens philosophique et théologique (cf. P. Gogarten, Destin et espérance de
l’époque moderne, Stuttgart, 1953) signifiant « la maturité de l’homme qui devient
capable de prendre la responsabilité de sa vie et de son monde »64. Gogarten distingue
la « sécularisation » du « sécularisme » : alors que dans la sécularisation, l’homme
reste dans le profane sans nier Dieu mais restant ouvert à lui comme à son fondement,
dans le sécularisme il trouve « inutile et absurde toute question qui dépasse le visible
et le saisissable » car il prend pour critère de vérité, programme de vie et doctrine de
salut ou idéologie la sécularisation elle-même.
À la suite des débats autour de la sécularisation surtout dans les années 60, la
sécularisation a fini par signifier un processus d’émancipation du monde et de
l’histoire de son lien avec le religieux ou le sacré. On observe ainsi une
contrapposition entre le profane et le sacré avec un élargissement du profane et une
restriction du sacré ou vice versa. Cette mobilité de la limite entre le sacré et le
profane est l’oeuvre de l’homme, arbitre du sacré et de son ejection du monde.
L’homme en effet est « le lieu central, inébranlable de la lutte entre le mouvement du
monde qui s’éloigne de Dieu et celui qui s’en approche »65. L’élément négatif de la
sécularisation est « l’exclusion dans l’interprétation et l’usage des choses et de
l’histoire de toute puissance supérieure ou surnaturelle ou divine ; on procède comme
si Dieu n’existait pas (etsi Deus non daretur »66. L’élément positif par contre est
« l’exaltation de l’autonomie et de la maturité de l’homme capable, par les ressources
de la science et de la technique, de dominer le monde et de se contruire son
histoire »67.
64
Mondin, Ivi, 74.
65
Ivi, 75.
66
Ivi, 75-76.
67
Ivi, 76.
86
Une telle renaissance religieuse montre que la religion répond à une exigence
profonde du coeur humain. Les foules nombreuses qui accourent sur les places
publiques pour écouter le pape font comprendre combien sont grandes et profondes la
faim et la soif spirituelles de l’homme contemporain. Si la sécularisation est loin de
signifier la fin de la religion, les « questions ultimes » ne peuvent pas non plus être
considérées comme l’ultime refuge d’une apologétique religieuse (Bonhoeffer) : les
« problèmes ultimes » le sont parce qu’ils ne sont pas une invention de la science et
de la technique, les grandes armes de la sécularisation. En tuant Dieu, la
86
3.5. Athéisme
3.5.1. La notion
3.5.2. Formes
Il existe diverses formes d’athéisme. Trois sont les plus importantes : spéculative,
pratique et militante69. L’athéisme spéculatif (théorique ou philosophique) est une
vision du monde ou un système philosophique qui exclut explicitement ou
implicitement la réalité de Dieu. Parmi les systèmes explicites, nous citons l’athéisme
de Nietzsche, Feuerbach, Marx, Freud, Sartre, Russell, Bloch. Des systèmes
implicites par contre, on peut retenir les systèmes du matérialisme et de
l’historicisme, du positivisme et de l’évolutionisme, du vitalisme et de
l’existentialisme. Dans l’athéisme spéculatif ou théorique, on peut encore distinguer
un athéisme théorique négatif qui se limite à nier la réalité de Dieu et un athéisme
théorique positif qui entend récupérer les attributs divins que l’homme avait concédés
à Dieu dans l’acte de croire.
Ivi, 83.
68
L’athéisme pratique est décrit comme l’attitude de ceux qui affirment qu’ils
croient mais qui, en réalité, sont indifférents vis-à-vis de la religion, vivent en
matérialistes et n’ont aucune attention pour la Transcendance. Quant à l’athéisme
militant, comme celui vécu en Russie ou encore l’athéisme marxiste, il est actif,
agressif. Il mène une bataille intellectuelle contre Dieu et construit une véritable anti-
religion et anti-théologie.
Les causes principales de l’athéisme varient selon les auteurs. Pour Cornelio Fabro
c’est l’immanentisme et la négation métaphysique, pour Del Noce c’est le
rationalisme, pour Gogarten, c’est la sécularisation, pour Morra c’est la
modernisation, pour Hans Küng c’est la science, pour Siegmund G. c’est le bien-être
matériel tandis que pour Rahner c’est le progrès technologique. Mondin pour sa part
situe la cause principale dans le tounant anthropologique inauguré au 16è s. avec
l’humanisme et la Renaissance. En mettant l’homme au centre, il fallait s’attendre
que ce dernier revendiquât tôt ou tard les attributs divins. Pour Ludwig Feuerbach,
père de l’athéisme moderne, c’est l’homme qui créa Dieu et non pas Dieu qui créa
l’homme.
Dans cette perspective de Mondin, c’est avec la Révolution française (1789) que
l’athéisme fit son entrée publique et officielle dans la culture moderne. L’érection de
la statue de la déesse Raison et la proclamation de la Volonté générale comme
suprême autorité de la nation sont des actes par lesquels la société moderne entendait
se débarrasser de Dieu. La nouvelle religion de la Raison a désormais comme
catéchisme Le Contrat social de J.J. Rousseau. Les attributs du nouveau dieu (la
« volonté sociale ») sont « absolue », « sacrée », « inviolable » et ses sujets ne lui
doivent pas seulement une « reconnaissance légale » mais aussi « une pleine
profession de foi » avec comme conséquence que le nouveau dieu exerce un droit de
contrôle sur les consciences individuelles et même un droit de vie et de mort sur les
citoyens rebelles de l’Etat.
Certes, le nouveau dieu de la Révolution française n’est pas « le Dieu vivant et
personnel » de la foi chrétienne, mais un « pur principe », une « idée » semblable à la
« nature universelle » ou à la « raison ». D’une part la société porte sur Dieu de
86
De ce point de vue, la foi (en Dieu) exerce une fonction athée et iconoclaste vis-à-
vis de tant d’idoles que l’histoire et les cultures humaines ont établies. Comme Justin,
philosophe converti à la foi chrétienne, le chrétien s’en prend aux différentes figures
de Dieu présentes dans l’histoire humaine (Dieux de l’Empire romain, Dieu
conquérant et vengeur, Dieu des Lumières, Dieu du progrès, etc). Une telle purge ne
conduit-elle pas à la négation de l’existence de Dieu ? Certains n’ont pas hésité à le
professer. D’autres au contraire ont affirmé son existence s’appuyant sur trois types
d’argumentation : la preuve ou la voie, le témoignage et l’expérience.
70
Mondin, Ivi, 87.
71
P. Capelle-A. Comte-Sponville, Dieu existe-t-il encore ?, Paris, Cerf, 2006, 20.
72
Ivi, 20-21
73
Ivi, 21.
86
Pour saint Thomas d’Aquin, les deux arguments qui portent à la négation de Dieu
sont : le mal dans le monde qui contredit l’idée de Dieu infiniment bon et la loi
scientifique de la simplicité qui prescrit de préférer les théories qui postulent le plus
petit nombre de principes. Ainsi pour expliquer ce qui survient dans le monde, il
74
Cf. Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, Essais de théodicée. Paris, Flammarion, 1969, 10.
11.
75
Philippe Capelle-André Comte-Sponville, Ivi, 25.
76
Ibid.
77
Ivi, 25. 26.
86
suffit d’en appeler aux lois de la nature et à la liberté de l’homme. Le recours à Dieu
devient superflu. Cet argument scientifique est considéré par tous les spécialistes de
la question comme une des causes principales de la négation de Dieu. La science, en
effet, avec sa méthode rigoureuse, l’objectivité de son savoir, l’efficacité de ses
résultats et son impact sur les différents domaines de la vie sociale, a libéré l’esprit
humain des anciens modes abstraits de raisonnement et du monde irréel, imaginaire,
chimérique, etc qui empêchaient l’homme de prendre conscience de son pouvoir
vraiment créateur.
Quant à l’argument moral qui s’appuie sur l’incompatibilité entre l’idée de Dieu
très bon, parfait, tout puissant et le mal dans le monde, il est aussi invoqué pour
justifier l’athéisme. La souffrance et la mort des enfants constituent aux yeux
d’Albert Camus l’acte suprême d’accusation contre Dieu car lorsque tant d’innocents
comme les enfants succombent impitoyablement sous le coup de la peste, l’unique
attitude véritablement humaine à adopter, selon Camus, est de lutter contre la mort
plutôt que de regarder au Ciel (cf. A. Camus, La peste, trad. it., 1961, 128). Chez
Nietzsche78 comme chez Sartre79, Dieu est l’être qu’il faut abattre pour que l’homme
soit libre.
78
Ainsi parlait Zarathoustra. Un livre pour tous et pour personne. Trad., préface et
commentaires de G. A. Goldschmidt, Paris, Librairie Générale Française, 1983, 20.
79
L’existentialisme est un humanisme, Paris, Gallimard, 1996, 29.
86
« Dieu existe-t-il encore ? ». Posée en ces termes, la question paraît aux yeux de
certains (les chrétiens en particuliers) comme « provocatrice », voire « théoriquement
inacceptable » et « éthiquement scandaleuse » dans la mesure où, avec le lexème
« encore », Dieu serait une réalité strictement temporelle et non éternelle80. Ce qui
serait contraire à son essence. Pour d’autres, la question serait légitime et pourrait se
formuler comme suit : « Avons-nous encore besoin de croire que Dieu existe ?
Avons-nous encore la possibilité intellectuelle de défendre avec crédibilité son
existence ? »81. Pour un athée non dogmatique comme André Comte-Sponville, la
question posée, aussi actuelle qu’elle pourrait être, ne nous apprend rien de nouveau
sur Dieu. En effet, si Dieu existe, il doit nécessairement être éternel, immortel sinon il
n’existerait pas.
80
Philippe Capelle-André Comte-Sponville, Dieu existe-t-il encore ?, Paris, Cerf,
2006, 11.
81
Ivi, 11-12.
82
Ivi, 14.
83
Ibid.
86
Par « preuve » (de l’existence de Dieu) il faut entendre des voies d’accès de
l’intelligence à Dieu. Ces voies sont dites rationnelles et raisonnables car la raison
recourt à des procédures qui peuvent amener l’esprit à donner son assentiment. Il ne
s’agit pas des opérations mathématiques ou scientifiques mais plutôt des voies
d’accès (méthodes) qui conviennent à l’objet concerné (Dieu) au point de le
construire. Si l’idée de « preuve » de l’existence de Dieu suscite désapprobation c’est
parce qu’elle fait penser à Dieu comme à n’importe quel objet de ce monde auquel on
appliquerait une certaine méthode. On crée alors de la confusion.
84
Leonardo MESSINESE, Il problema di Dio nella filosofia moderna, Roma, PUL,
sd, 47.
85
Ivi, 48.
86
Ivi, 23. Il importe de signaler que les célèbres « cinq voies » de Thomas d’Aquin
« sont insérées dans des oeuvres systématiques de théologie dont le but est d’aider à
l’approfondissement des contenus de la Révélation » (Tommaso d’Aquino. Invito alla
lettura di Alessandro Ghisalberti, coll. “Radici cristiane », Cinisello Balsamo, Ed.
San Paolo, 1999, 11). Les démonstrations ne sont pas des argumentations à même de
« substituer par l’évidence rationnelle le caractère mystérieux de la révélation et la
gratuité de l’acte de foi ». Ainsi les arguments à propos de l’existence de Dieu et ses
attributs personnels et tout ce qui se rapporte à l’immortalité de l’homme, sont des
« préambules aux articles de foi » c’est-à-dire des vérités préliminaires auxquelles la
raison humaine peut parvenir toute seule. Certes, tous n’y arrivent pas à cause de la
fatigue intellectuelle, mais puisque ces vérités sont nécessaires à la vie de l’homme,
Dieu a inclu les préambules de la foi dans les vérités révélées. Si la raison seule était
requise pour la connaissance de Dieu, un tel Dieu serait totalement connu dans son
essence. Or Thomas d’Aquin distingue une définition nominale de Dieu relative à la
signification du nom de Dieu et la définition quiddidative relative à l’essence divine
en soi et transcendant toute détermination conceptuelle possible.
86
objet car inadéquat est l’instrument de connaissance humain. On peut certes penser
que les mathématiques, avec son impact dans la spéculation moderne, aurait
fortement influencé la philosophie au point de « modeler et d’ajuster la théorie
philosophique sur la méthode de la connaissance scientifique »87. Une telle
perspective exigerait une remise en question car la connaissance philosophique ne
peut se réduire à une activité « dé-monstrative » c’est-à-dire ayant trait
immédiatement et uniquement avec les réalités finies avec la prétention dans la suite
d’arriver à l’authentique Absolu par un tel processus démonstratif.
« La critique kantienne, écrit Messinese, est une critique des ‘dé-mostrations’
modernes de l’existence de Dieu et non pas une critique ayant une valeur
transcendantale ou absolue de l’entrée de Dieu en philosophie. Aussi sa reprise par
Hegel ne peut être considérée comme un pas en arrière par rapport à Kant. D’une
certaine manière, Hegel prend en compte la critique kantienne à une certaine manière
d’opérer l’inférence métempirique. C’est, en dernière analyse, le sens d’un passage
de la ‘dé-monstration’ à ‘l’élévation’ de l’esprit humain à Dieu »88.
A. PLATON (428(7)-348(7))
87
Ivi, 49.
88
Ivi, 50.
89
Mondin, Ivi, 101.
86
Si beaucoup de Pères de l’Eglise ont plus préféré Platon au Stagirite c’est parce que
sa « théologie est plus variée, efficace et fascinante ». Par ailleurs, « l’esprit religieux
et éthique de sa doctrine le rend préférable et en syntonie avec les enseignements
évangéliques »91.
Aristote reprend de Platon les deux preuves du mouvement (ou devenir) et des
degrés de perfection en leur conférant une forme logique plus rigoureuse par le
recours au syllogisme. Ainsi, l’existence de Dieu prend une forme apodictique. Dans
sa Physique (VIII, 4) et dans sa Métaphysique (XII, 7), Aristote démontre que Dieu
est le Moteur immobile sur le principe que « tout ce qui se meut est mû par un
autre ».
90
Ivi, 101-102.
91
J. M. Dorta-Duque, cité par Mondin, Ivi, 103 note 16.
86
Outre les preuves classiques de l’ordre et des degrés de perfection que Platon a
élaborées, le saint évêque d’Hippone a établi une nouvelle voie, la célèbre Voie de la
vérité : s’il existe des vérités éternelles, immuables, elles ne peuvent provenir d’un
esprit contingent et changeant comme celui de l’homme, mais plutôt d’une origine
transcendante, d’une Vérité éternelle et subsistante qu’est Dieu lui-même.
92
Proslogion, c. 2.
86
Dans son Ethique (I, prop. XI), Spinoza donne de l’existence de Dieu conçue
comme substance une démonstration a priori qui part du concept même de
substance : « Dieu, autrement dit une substance constituée par une infinité d’attributs,
dont chacun exprime une essence éternelle et infinie, existe nécessairement »
Démonstration : « Si vous le niez, concevez, s’il est possible, que Dieu n’existe pas.
Donc (selon l’axiome 7) son essence n’enveloppe pas l’existence. Or (selon l’axiome
7) cela est absurde : donc Dieu existe nécessairement ».
et que Spinoza le concevait comme substance, Leibniz quant à lui le conçoit comme
« possibilité ». Il s’agit d’une possibilité très singulière, la seule qui implique
nécessairement l’existence. En effet, dit Leibniz, « seul Dieu (ou l’Être nécessaire) a
ce privilège qu’il faut qu’il existe s’il est possible. Et comme rien ne peut empêcher
la possibilité de ce qui n’enferme aucunes bornes, aucune négation, et par conséquent
aucune contradiction, cela seul suffit pour connaître l’Existence de Dieu a priori »93.
93
Monadologie, § 45.
94
Critique de la raison pratique, première partie, Livre II, c. 2, 5.
86
Dans son Encyclopédie des sciences philosophiques (§ 50), Hegel considère les
preuves comme une « description et une analyse du processus de l’esprit qui est
pensant et qui pense le sensible ». C’est « l’élévation de la pensée au-delà du
sensible, son aller au-delà du fini vers l’infini, le saut qu’il accomplit en brisant la
série des réalités sensibles vers le supra-sensible – tout cela c’est le penser lui-même,
c’est uniquement penser (...) ».
Tout en ne déconsidérant pas les preuves a posteriori, A. Rosmini est lui aussi
convaincu que l’argument le plus solide pour atteindre Dieu est celui qui part de l’a
priori de l’être idéal à cause des caractéristiques suivantes : universalité, nécessité,
éternité. De telles propriétés ne sont pas du ressort des entités réelles - y compris
l’esprit humain – qui sont particulières, contingentes et temporelles. « Seul un être
pourvu des propriétés de totalité, de nécessité et de perfection est capable d’expliquer
l’a priori qui éclaire l’esprit humain car il s’agit précisément d’une Étant nécessaire
qu’est l’Être par essence face aux Étants finis qui possèdent l’être : il faut poser Dieu
comme créateur transcendant la totalité du monde »95.
On retrouve chez l’auteur de L’Action (1893) une révision suivant les requêtes de
la méthode de l’immanence et de l’existence des preuves de (l’existence de) Dieu en
montrant que Dieu est une exigence de l’être même de l’homme aussi bien dans sa
structure ontologique que dans ses opérations spirituelles (connaissance et volonté).
Tout dans l’homme, en effet, indique une tension vers sa pleine et complète
95
Mondin, Ivi, 111.
86
réalisation que seul il ne peut accomplir ni dans l’horizon de l’être ni dans l’ordre de
la vérité et du bien. Ce désir de réalisation complète et véritable d’une part et
l’expérience de faillite d’autre part exigent le recours à la Transcendance, à Dieu, être
suprême, vérité infinie et bien parfait.
« La pensée de Dieu en nous, écrit Blondel, dépend doublement de notre action.
D’une part, c’est parce qu’en agissant nous trouvons une infinie disproportion
en nous-mêmes, que nous sommes contraints à chercher l’équation de notre
propre action à l’infini. D’autre part, c’est parce qu’en affirmant l’absolue per-
fection nous ne réussissons jamais à égaler notre propre affirmation, que nous
sommes contraints à en chercher le complément et le commentaire dans l’action.
Le problème que pose l’action, l’action seule peut le résoudre »96.
Les différentes figures que nous venons d’évoquer sommairement ne sont qu’un
échantillon d’un ensemble plus vaste. Sans doute elles nous offrent des éléments
importants qui conduisent à Dieu, mais la problématique reste ouverte. Kant a tenté
de réduire les preuves à trois types : ontologique (s’appuie sur l’idée de Dieu et
déduit son existence de son essence), cosmologique (s’appuie sur le principe de
causalité et sur le phénomène du devenir) et téléologique (se base sur l’ordre des
choses et sur le principe de finalité). Cette classification est discutable : pourquoi
trois car on peut ramener le type téléologique à une variante du cosmologique. Par
ailleurs, parler de « ontologique » n’est-ce pas plutôt parler de « l’être d’une chose »
96
L’Action (1893), coll. « Quadrige », 1ère éd., Paris, PUF, 1993, 351.
97
Mondin, Ivi, 113,
86
que de son « essence » ? N’est-ce pas mieux de parler d’ « a priori » plutôt que d’
« ontologique » ?
Si l’on part du fait que les métaphysiques se sont construites soit d’en haut (c.à.d. à
partir de l’idée d’absolu, du Principe premier d’où provient tout le reste. L’existence
de Dieu dans ce cas est établie a priori et en premier lieu), soit d’en bas (c.à.d. à
partir des réalités sensibles, matérielles, l’histoire, le devenir pour rechercher ensuite
les raisons dernières dans l’Absolu. L’existence de Dieu est démontrée a posteriori et
en dernier lieu), la distinction a priori (propter quid) et a posteriori (quia) connue par
Thomas d’Aquin exige un élargissement pour inclure les diverses varientes que
l’histoire a connues. Mondin propose ainsi la classification : preuves a priori
(ontologiques) et preuves a posteriori comprenant les cosmologiques et les
anthropologiques.
C’est dans deux de ses oeuvres (Monologion et Proslogion. Sous titre Allocution
sur l’existence de Dieu (1077 ou 1078). Dans le premier, Anselme recourt aux
arguments traditionnels fondés sur la contingence et le degré de perfection des êtres
finis pour démontrer l’existence de Dieu. Dans la suite, une intuition (selon laquelle
l’existence de Dieu est déjà incluse dans l’idée même de Dieu) lui permit de dissiper
tous les doutes que l’athée fait émerger de l’argument a posteriori. Pour s. Anselme,
Dieu par définition est « quelque chose de tel qu’on ne peut rien concevoir de plus
grand (credimus te esse aliquid quo nihil majus cogitari possit) (...). Il n’y a donc
aucun doute que quelque chose de tel qu’on ne peut rien concevoir de plus grand
existe et dans l’intelligence et dans la réalité »98.
Saint Anselme a ouvert une voie que beaucoup d’autres ont empruntée avec le
même procédé (de l’idée on affirme l’existence) mais en modifiant le constituant
métaphysique. Ainsi au lieu de l’essence divine, Bonaventure substitue l’étant, Duns
Scot l’infini, Descartes la perfection, Spinoza la substance, Leibniz la possibilité,
Wolff l’ens realissimum et Rosmini l’être. Que dire de ce prototype de preuve
ontologique : de sa valeur, de son caractère philosophique, etc ?
98
Proslogion, chap. 2.
86
Anselme ne s’adresse pas à l’incroyant mais aux théologiens chrétiens, mieux « aux
théologiens bénédictins de son temps qui ne contestent pas l’existence de Dieu mais
seulement la preuve du Proslogion »103. C’est pour lui l’occasion de rendre compte de
sa foi sans pour autant glisser et tomber dans le piège de l’incroyance ou de
l’irrationnel. Il pense toutefois que c’est la même ratio que recherche le croyant et
l’incroyant et que pour ce dernier le discours d’Anselme peut devenir une
« prédication chrétienne » et même une « grâce, une Parole de Dieu ». Barth renie
ainsi toute valeur « philosophique et apologétique » (sens moderne) à la preuve
anselmienne. Il lui reconnaît seulement une valeur « théologique »104 puisque
l’existence de Dieu est, pour Anselme, « une certitude de foi » inébranlable qu’il ne
veut nullement prouver. Ce qu’il entend faire, c’est « comprende et montrer comment
(l’affirmation de l’existence de Dieu) est vraie »105.
Ce que l’argument anselmien a d’original c’est « le fait que l’existence de Dieu
n’est pas reconnue à travers un itinéraire de pensée qui passe par le monde, mais
provient d’une simple connaissance de l’essence divine »106. L’argument s’appuie sur
deux principes : - « ce qui existe dans la réalité est plus grand et plus parfait que ce
qui existe seulement dans la pensée » et – « affirmer qu’il n’existe pas dans la sphère
du réel ce dont on ne peut penser rien de plus grand implique une contradiction car
99
H. BOUILLARD, Connaissance de Dieu. Foi chrétienne et théologie naturelle,
Paris, Aubier-Montaigne, 1967, 96.
100
Ivi, 97.
101
Ivi, 98.
102
Ibid.
103
Ivi, 99.
104
Ivi, 100. 101.
105
Ibid.
106
Mondin, Ivi, 118.
86
cela signifie admettre et en même temps ne pas admettre qu’on puisse en penser un
plus grand, c.à.d. existant dans la réalité »107.
Gaunilon juge illégitime le passage du concept Dieu comme être le plus grand ou
encore du concept d’une île très parfait à l’existence réelle de Dieu ou de l’île.
Anselme est d’avis que d’une île fantastique pensée comme parfaite, n’est pas ce dont
on ne peut penser rien de plus grand, et que par conséquent on ne peut passer de son
concept à son existence. Ce qui est différent de Dieu. Gaunilon met en doute la
possibilité pour l’esprit humain d’avoir vraiment une idée positive de « ce dont on ne
peut penser rien de plus grand » (id quo majus cogitari nequit) avant toute
démonstration d’existence. Pour Gaunilon en effet, l’idée d’une chose s’obtient soit à
partir de l’expérience, soit de la chose elle-même ou encore de quelque chose de
semblable. Or, rien de tel pour Dieu, car on ne connaît pas directement sa réalité ni
l’extraire à partir de quelque chose qui lui ressemble.
Kant pour sa part affirme que « le concept d’un être suprême est une idée très utile
à maints égards ; mais, précisément parce qu’il est simplement une idée, il est tout à
fait incapable d’étendre à lui seul notre connaissance par rapport à ce qui existe. Il ne
peut meme pas nous instruire davantage relativement à la possibilité. »110. Pour Kant,
on ne peut passer d’un concept d’une réalité suprême ou nécessaire à l’existence de
cette réalité car nous n’avons aucune expérience d’aucun concept ou d’une essence
qui embrasse aussi l’existence. Tandis que le concept « ne me fait penser l’objet que
comme conforme aux conditions universelles d’une connaissance empirique possible
en général », l’existence quant à elle « me le fait penser comme compris dans le
contexte de l’expérience tout entière » de telle sorte que le concept ne change guère
107
Ibid.
108
Somme de théologie, I, q. 2, a. 1, ad 2.
109
Somme contre les Gentils, I, 11.
110
Critique de la raison pure. Dialectique transcendantale, §§ 629-30.
86
même lorsqu’il est en lien avec le contenu de toute expérience. Pour penser
l’existence, il faut sortir du concept car l’existence n’est pas une détermination
(prédicat) c.à.d. « un concept de quelque chose qui puisse s’ajouter au concept d’une
chose »111.
L’existence n’est pas un concept qui complète et enrichit un autre concept. Elle est
une « simplement la position d’une chose ou de certaines déterminations en soi », elle
est ce rapport qui, d’un côté, n’augmente pas le concept de la chose même et, de
l’autre, « enrichit la pensée en plus d’une perception possible ». Cette perception est
celle de l’existence ; elle est possible en référence à l’expérience. C’est pour cette
raison que le jugement d’existence est synthétique car d’une part il n’augmente pas le
concept de la chose et d’autre part pour conférer à un objet une existence il faut sortir
du concept de cet objet. La seule expérience humaine possible est sensible ; elle
permet la connaissance des « objets des sens » et non pas des « objets de pensée
pure ». Kant exclut aussi « toute argumentation (même a posteriori) de l’existence de
Dieu car pour lui l’existence est exclusivement un fait empirique c.à.d le simple fait
pour un objet de se trouver dans l’expérience sensible, et le jugement d’existence est
uniquement celui qui concerne les objets du monde matériel ; par conséquent c’est
une prétention d’affirmer un au-delà de ce monde »112.
111
Ivi, § 626.
112
Mondin, Ivi, 121.
86
telle idée conduit à l’existence réelle de Dieu 113. Quant à Rosmini, sa preuve est
fondée sur la forme idéale de l’être intuitionnée par notre intelligence114.
La difficulté des preuves a priori naît de la prétendue intuition de telle idée placée à
la base de l’argumentation (idée d’infini, d’étant, de substance, de vérité, etc). On
doit se demander : notre intelligence dispose-t-elle effectivement d’une intuition de
pareilles idées par lesquelles nous arrivons à disposer aussi d’une intuition de
l’essence divine et donc de son existence, puisqu’en Dieu essence et existence
coïncident ? C’est ici que réside tout le débat entre S. Anselme et S. Thomas ou
encore entre les a prioristes et les a posterioristes. Les premiers sont persuadés que
notre connaissance s’appuie sur une idée transcendantale qui contient toutes les autres
et embrasse toute la réalité et pensent qu’à travers cette idée l’homme a une idée de
Dieu. Les seconds estiment qu’à l’exception des premiers principes, toute notre
connaissance est de genre abstractif. Il en est ainsi des idées d’infini, de nécessité,
etc...qui sont abstraites ne représentant la réalité que de façon imparfaite.
Saint Thomas d’Aquin et ses disciples pensant qu’on parvient à Dieu par le
raisonnement inductif c.à.d. à partir de l’expérience de ce monde (phénomènes
sensibles) et non pas par le raisonnement déductif. Apparemment, dit Mondin, les
preuves a priori semblent plus solides que celles a posteriori. Du point de vue
logique, elles le sont car le raisonnement déductif est apodictique et ses conclusions
sont nécessaires, alors que les conclusions de l’argument inductif ne sont que
probables. Toutefois, les preuves a priori se fondent sur une théorie de la
connaissance qui revendique pour notre intelligence des pouvoirs intuitifs que de fait
elle ne possède pas. Par conséquent, même si au niveau logique les preuves a
posteriori résultent plus faibles, en fin de compte elles sont plus fiables et sûres115.
Les voies de saint Thomas sont sans nul doute les plus connues et ont toujours été
prises en considération. Jusqu’à ce jour elles conservent leur valeur théorique. En
dehors de la Somme de théologie, on les trouve notamment dans le Commentaire aux
Sentences (I, d. 3, qq 1 ss), dans la Somme contre les Gentils (I, cc. 12 ss), dans le De
veritate (qq. 2 et 10), dans le De ente et essentia (c. 4), dans le Compendium
theologiae (cc. 3 ss), dans le Commentaire à l’Evangile de S. Jean (Prol.). Les 5
voies de la Somme de théologie étaient communes au monde universitaire du temps
de l’Aquinate car on les retrouve dans la Somme de S. Albert le Grand et chez
Maimonide. Il existe, en dehors des 5 voies d’autres nouvelles voies thomasiennes
basées sur sa métaphysique de l’être comme actus essendi.
113
N. MALEBRANCHE, Recherches III, partie II, c. 10.
114
A. ROSMINI, Système philosophique, nn. 178-179.
115
Mondin, Ivi, 125.
86
Si l’on considère les 5 voies par rapport aux sciences naturelles comme la physique,
il n’y a en principe aucun rapport de dépendance car ce qui se produit dans les
sciences naturelles ne peut jamais confirmer ou infirmer de façon significative et
décisive le discours des 5 voies parce qu’il s’agit d’un discours différent. Alors que
l’approche du réel est frontale, directe, objective, physique, mathématique,
descriptive dans les sciences naturelles, elle est indirecte, rétrospective, métaphysique
dans les 5 voies. Par ailleurs, dans l’herméneutique du contingent, le naturaliste
recourt à des principes particuliers en présupposant la validité des principes
universels tandis que l’Aquinate ne recourt qu’aux seuls premiers principes qu’il
applique jusqu’au bout. Enfin, la méthodologie est diverse : le naturaliste use la
méthode mathématique du pur calcul alors que Thomas d’Aquin recourt à la
résolution des effets dans leurs causes, du contingent dans l’absolu116.
116
Mondin, Ivi, 128.
117
Ivi, 129. Cf. aussi ROMERA L., Ivi, 164.
86
Les sens nous montrent que certaines choses sont en mouvement. Or, selon un
principe physique et métaphysique d’Aristote, « tout ce qui se meut est mû par un
autre ». Se crée ainsi une chaîne des choses mues et des moteurs. Une telle chaîne ne
peut être infinie car le monde d’Aristote est fini. Il faut donc penser à un premier
moteur non mû, principe du mouvement. Ce premier moteur c’est Dieu.
Cette voie est la plus obvie (manifestior) car plus accessible à tous et pas
seulement aux spécialistes des sciences naturelles. Pour justifier cela, Thomas
d’Aquin fait appel à des procédés typiquement métaphysiques et non à des calculs
mathématiques. C’est sans doute pour cela que les hommes de science l’ont
généralement repoussée voulant l’évaluer à l’aune des critères des sciences
expérimentales. On ne peut s’appuyer sur des critères scientifiques ni pour repousser
ni pour ajourner cette voie car on a à faire à des niveaux différents de la réalité
(physique et métaphysique). Ceux qui la repoussent au motif qu’elle est liée à une
vision aristotélicienne du monde dépassée et abandonnée n’ont pas raison car ce lien
n’est pas établi. L’affirmation de Dieu que fait saint Thomas à partir des choses ne se
situe pas au niveau physique (scientifique) mais métaphysique.
118
S. BIOLO, Ivi, 76.
86
Pour l’Aquinate, les causes secondes en définitive sont toujours des causes
intermédiaires et médiatrices de l’actualité communiquée. De par sa nature même, la
cause seconde (instrumentale) est contingente et cette contingence n’est pas éliminée
par une série infinie dans l’ordre de causes. Au contraire cette série infinie la rend
plus problématique. Il faut postuler une cause première, pleine d’actualité et
susceptible de traverser toutes les cause secondes.
Face à cette voie, la physique moderne n’a rien à dire : d’une part parce que le
scientifique ne s’occupe nullement de la contingence radicale d’un phénomène ou de
la causalité qui lui est connexe. La science étudie et quantifie les relations causales.
D’autre part, la notion scientifique de la causalité diffère tout à fait de celle de la
philosophie classique119. Pour la science, il s’agit d’une relation constante et d’une
séquence irréversible entre les phénomènes alors que pour la philosophie (Aristote,
Augustin, Thomas d’Aquin) il est question d’une communication, d’une participation
de sa propre réalité de la cause à l’effet. Ces deux conceptions de la causalité ne
s’excluent pas. Elles opèrent sur deux plans distincts : la causalité scientifique sur le
plan des phénomènes et la causalité métaphysique sur le plan de l’être.
Les réalités qui nous entourent sont contingentes c’est-à-dire peuvent ou ne pas
être. Elles ne sont donc pas nécessaires et n’ont pas en elles-mêmes leur raison d’être.
Elles sont passées du néant à l’être grâce à une cause auto-suffisante, nécessaire et
toujours existante par soi car autrement il faudrait remonter à l’infini la chaîne de
causes. Dieu est cette cause nécessaire.
Cette voie est liée directement à la distinction thomiste entre essence et existence :
les êtres contingents sont en fait ceux en lesquels l’existence se distingue de
l’essence. Pour cette raison, ils renvoient à un être en qui essence et existence
coïncident, cause de l’existence de tous les êtres contingents.
Dans l’antiquité et le moyen âge, on distingue deux ordres d’êtres finis : êtres
doués de nature incorruptible (purs esprits) et êtres doués de nature corruptible (corps
matériels). À la lumière de cette distinction, Thomas d’Aquin affirme que non
seulement les réalités manifestement contingentes dans leur nature parce que
constituées de nature corruptible, mais aussi les réalités en soi nécessaires de par leur
nature parce qu’il s’agit des substances incorruptibles, s’ils détiennent l’être d’autres
(non de leur propre essence), ne soient à même de rendre compte de la contingence
ontologique de la réalité finie. Il faut donc remonter à un être nécessaire, incausé,
cause de la réalité et de la nécessité de tous les étants.
D’après la physique moderne, tout est corruptible et tout l’univers obéit à la loi de
l’entropie sans minimement porter atteinte à la valeur essentielle de la 3è voie. En
effet même en éliminant l’hypothèse des natures nécessaires et incorruptibles,
l’argument fonctionne bien car les natures corruptibles demeurent toujours là où la
contingence est manifestement évidente. C’est cette contingence questionnée jusque
dans son fond qui oriente la raison à reconnaître une origine première, nécessaire, non
contingente et absolue : Dieu.
Thomas d’Aquin omet le passage concernant l’exclusion d’une série infinie. Cette
omission s’explique par le fait qu’il existe déjà au second passage la référence
explicite au maximum et il est clair que lorsqu’il s’agit des maxima on ne peut donner
aucune série. Une meilleure compréhension de cette voie demande que l’on tienne
compte de deux choses : d’abord le niveau auquel si situe la réflexion thomasienne.
Le niveau semble idéal et abstrait à première vue. On ne verrait que des rapports
logiques où le concept de degré exige nécessairement une référence à celui de
86
maximum. Ex : dans la gamme du rouge et du vert, on peut parler d’un rouge ou vert
idéal c.à.d maximum du rouge ou vert et les autres couleurs sont plus ou moins
rouges ou vertes. On est ici sur le plan logique. Thomas d’Aquin lui se situe sur le
plan ontologique car son point de départ ce sont des degrés effectifs, réels de
perfection, des degrés d’être, de bonté et de vérité.
Ensuite Thomas d’Aquin considère les perfections qui sont des phénomènes de
contingence et sont simples et absolus. Leur existence ne requiert ni matière, ni
espace, ni temps. Il ne s’agit donc pas des perfections mixtes (vue, ouïe, mouvement,
sensation, etc) dont l’existence est liée à la matière, au temps, à l’espace, au temps,
etc. De telles perfections sont contingentes et composées. Pour rendre compte de leur
contingence, il ne faut pas remonter jusqu’à l’absolu, à un maximum subsistant car la
raison de leur contingence est leur nature même qui est liée à la matière. Seules les
contingences transcendantales (l’être, le vrai, l’un, le bien, etc) exigent une fondation
dans l’absolu. Elles se retrouvent dans la matière bien qu’elles n’en aient pas besoin
pour exister. C’est la contingence de perfections qui en elles-mêmes se révèlent non
contingentes que montre et atteste leur origine par celui qui étant le maximum dans
l’ordre de tous les transcendantaux « est cause de l’être, de la bonté et de n’importe
quelle perfection », c.à.d. Dieu.
La physique moderne ne peut pas aider à améliorer la formuler cette voie car
aucune des sciences naturelles ne s’occupe des perfections absolues, des
transcendantaux comme tels. De telles propriétés sont l’objet propre de la
métaphysique.
Absence de l’ordre dans la nature rendrait insensée toute recherche médicale, toute
créativité de l’ingénierie ou encore l’apprentissage et l’usage des technologies. Il
appartient aux sciences de déterminer les modalités par lesquelles les événements et
les processus de la nature se structurent et évoluent ainsi que leurs connexions
mutuelles. C’est aux sciences d’entreprendre l’analyse des structures naturelles et
l’investigation visant à comprendre si ces structures ont une origine plus ou moins
déterminée ou si elles ont une dynamique qui intègrent la dimension de chaos ou
d’indétermination. Les sciences doivent aussi s’occuper de la diversité des structures
et de leur valeur d’épiphénomènes ou dimensions constitutives.
Quelle valeur faut-il accorder à cette voie ? C’est la voie la plus fréquentée pour
accéder à Dieu, avant et après saint Thomas d’Aquin. Kant la considère comme la
plus ancienne, la plus claire et la plus adaptée au commun des mortels121. On reproche
souvent à cette voie d’être une projection dans le monde de la nature d’un principe
inhérent au monde humain (anthropomorphisme). Pour Mondin, une telle objection
confond « l’agir en vue d’une fin » et « avoir conscience de la fin elle-même »122. Un
train roulant en direction de Matadi s’oriente vers une fin, mais il n’en a aucune
conscience. Celle-ci et le choix qui lui est inhérent sont confiés au machiniste. La
physique et les sciences naturelles peuvent contribuer à l’ajournement positif de cette
voie ; un tel apport ne sera pas substantielle, il concernera plutôt la documentation
relative au phénomène de départ, à savoir le finalisme (téléologie) dans les êtres
infra-rationnels. La nouvelle connaissance qu’apportent les sciences au niveau du
macro et du microcosme n’ajoute rien à l’évidence ontologique (la contingence
radicale) qui nous porte hors du cosmos et nous fait monter jusqu’à Dieu. À travers
le calcul précis, le contrôle et l’exploitation de la nature, la science poursuit toujours
le même objectif : le comment et le cui prodest et non le cur et le pourquoi.
Conclusion
À côté des 5 voies ci-dessus, saint Thomas d’Aquin a développé une voie plus
originale élaborée non pas à partir de la métaphysique aristotélicienne repensée à la
lumière de la foi chrétienne mais à partir d’une nouvelle métaphysique basée sur le
120
L. ROMERA, Ivi, 176.
121
Critique de la raison pure. Dialectique transcendantale, III, 415.
122
Mondin, Ivi, 140.
86
concept intensif d’être c.à.d. l’être comme actualitas omnium actuum et comme
forma formarum123. De cette nouvelle métaphysique, il ressort que entre l’être et
l’étant, il y a une différence ontologique. Seul l’être (Dieu) est perfection par
excellence, esse ipsum subsistens. En lui, il n’y a rien à ajouter puisqu’il est plénitude
d’être car son essence est justement d’être. C’est à lui seul que convient le nom d’être
puisqu’il contient l’universalité des attributs que l’on retrouve réalisés en degré
inférieur dans les étants. Les étants par contre reçoivent leur être de Dieu. Ils sont
composés d’être et d’essence, ils participent à l’être de Dieu, leur être est non
essentiel et l’être de l’étant est plus fort selon qu’ils sont proches ou lointains de
Dieu.
Saint Augustin a proposé une voie d’accès à Dieu à partir du connaître. Son
attention cependant portait sur l’objet du connaître, à savoir la vérité éternelle. Pour
Augustin, cette vérité est en nous mais dépasse notre intelligence et renvoie à une
cause supérieure qui est Dieu. Thomas d’Aquin pour sa part focalise son attention sur
l’activité du connaître ou la faculté cognitive. Celle-ci doit avoir un objet vers lequel
elle est tendue. Un tel objet est à la fois infini et existant sinon vaine serait cette
activité de connaître124. On a donc chez Thomas d’Aquin trois types de voies d’accès
à Dieu : cosmologique, ontologique et anthropologique.
Les voies anthropologiques sont celles qui conduisent l’homme à Dieu. Elles
partent de l’homme et non du cosmos ou de l’idée de Dieu. Elles portent l’homme
hors de lui-même, au-delà de lui-même, au-dessus de lui-même. Si l’on considère le
dynamisme de l’homme, on y décèle une tension vers l’infini que Dieu seul peut
combler. Mais si l’on considère son objet, on envisage la vérité dont l’origine ne se
trouve pas en l’homme. La vérité est fruit don dont l’auteur est Dieu. En dehors de
l’activité intellective, on trouve d’autres voies humaines telles que la volonté, l’agir
moral, la conscience, la religion, l’art, le langage et l’amour.
123
De potentia, q. 7, a. 2, ad 9 ; De veritate, q. 10, a. 12 ; De divinis Nominibus, V,
lect. 1, n. 633 ; In Evangelium Joannis, prol., n. 5; De ente et essentia, 4, n. 27.
124
Somme contre les Gentils, I, 43, n. 365.
86
7.1. La religion
Cette voie est aussi appelée « voie morale ». Son point de départ est ce sens de
dépendance que la conscience perçoit par rapport aux devoirs moraux primaires. On
definit généralement la conscience comme cette faculté qui informe l’homme sur le
bien (à faire) et sur le mal (à éviter). Source directe et critère immédiat du caractère
éthique d’une action, la conscience n’est cependant pas juge d’elle-même. Pour elle,
en effet, les normes morales se présentent comme des devoirs, des impératifs, des
commandements, des obligations dont elle ne se débarrasse pas facilement. Le devoir
qui accompagne la loi morale est pour l’homme un clair indice de sujétion non
seulement envers la société (ce qui serait une dépendance extérieure) mais aussi
envers l’Être plus intime qu’est Dieu.
Il faut donc reconnaître que à travers le devoir c’est Dieu qui parle et s’adresse à
nous. Le devoir est cette voix de Dieu qui s’adresse à nous. Pour Emmanuel Kant, le
devoir renferme une instance religieuse. On sait que pour le philosophe de
Königsberg on ne parvient pas à Dieu par la raison spéculative mais seulement par la
raison pratique dont la tâche est de rechercher les fondements de la morale et du
devoir. Kant estime qu’il est impossible de conférer à la loi morale et au devoir un
fondement solide sans remonter à Dieu125.
125
Critique de la raison pratique, 151.
86
L’homme est l’être qui parle. Le langage permet à l’homme de communiquer ses
idées, ses désirs et son vouloir avec les autres. Grâce au langage, tout ce que l’homme
conçoit intérieurement prend une forme extérieure : les mélodies intérieures
deviennent musique, les nombres et les calculs se transforment en mathématique, les
intuitions lyriques deviennent poésie, les images de la fantaisie se changent en
symboles tandis que les désirs se transforment en prières ou commandements126.
126
Mondin, Ivi, 160.
86
les paroles comme supports matériels sont créées par l’homme, on ne peut en dire
autant de leurs significations. Car l’homme ne devient inventeur des significations
que s’il est auteur de ce monde. Et qu’en est-il des significations qui appartiennent au
monde de la science, de la morale, de l’art, de la religion et de la poésie ? Ex : que
signifient les paroles « monde », « lumière », « temps », « vie », « éternité », etc.
De telles significations n’ont pas l’homme seul comme auteur. Celui-ci en effet se
sent sollicité à découvrir et à reconnaître. Il y a un langage des choses et un langage
de l’esprit qui exige la présence d’un parlant, d’un locuteur qui soit au-delà de nous et
surgisse avant nous. Un tel locuteur (qui parle le langage des choses et de l’esprit) ne
peut qu’être l’auteur des choses et de l’esprit, Dieu. Dans la mesure où l’homme est
auteur, alors il parle le langage des choses, sans pour autant devenir le locuteur divin,
le Logos éternel, l’auteur de l’univers entier, matériel et spirituel. Nous pouvons donc
dire que le langage dans ses racines profondes c.à.d comme « structure de sens », est
une trace qui porte jusqu’à Dieu.
Un discours rationnel sur la nature de Dieu est plus difficile qu’argumenter sur
l’existence de Dieu. À partir de la contingence radicale des êtres, on peut déceler les
traces irréfutables de Dieu. Celles-ci ne doivent cependant pas être considérées
comme des propriétés ou des attributs de Dieu, encore moins des définitions
adéquates de sa personne. Le monde ne peut nullement nous donner des concepts
précis, clairs et distincts de son Auteur car ses infinies perfections se manifestent à
l’esprit humain toujours per speculum et in aenigmate, morcelées et brisées en
plusieurs doses que l’intelligence finie ne peut les appréhender. De cet immense et
très lumineux soleil qu’est Dieu, l’homme ne dispose pas de binocles adaptés pour le
regarder dans sa totalité : Dieu tourne autour d’une orbite tellement éloignée que
l’homme n’a pas les instruments adéquats pour connaître ce qu’il est en lui-même.
127
S. THOMAS d’AQUIN, La Somme contre les Gentils, I, 14.
86
Dans son De Trinitate, saint Augustin a tenté une première grande classification des
attributs divins que la ratio naturalis (raison philosophique) peut découvrir dans la
nature divine. On y décèle 12 attributs classifiés en 3 groupes de quatre : 1) éternité,
immortalité, incorruptibilité, immuabilité. 2) vie, sagesse, puissance et beauté. 3)
justice, bonté, félicité et esprit. Il y a un chef de file dans chaque : 1 (éternité), 2
(sagesse), 3 (félicité). Cette division est plus conceptuelle que réelle. Elle ne
compromet cependant pas l’absolue unité et simplicité de Dieu dans la mesure où
chaque attribut s’identifie avec l’essence divine. Par ailleurs, chacun des attributs
coïncide réellement avec tout autre attribut128. On peut dire que les 4 premiers
attributs soulignent la transcendence de Dieu, sa sacralité, sa distance ou son absolue
différence qualitative vis-à-vis de ses créatures tandis que les autres attributs
l’identifient comme principe premier, source originaire et expression supreme de tout
ce qu’il y a de bon, de positif, de valide et de parfait dans les créatures.
À l’instar d’Augustin, Mondin pense qu’il est possible de repérer certains attributs
fondamentaux d’où proviennent tous les autres. Mais en lieu et place du trinôme être,
vérité et félicité qui convient à la théologie trinitaire, Mondin préfère le triptyque être,
esprit, personne, qui offre une liste d’attributs plus complète.
Il s’agit des attributs qui caractérisent Dieu comme être. On les appelle aussi
attributs ontologiques. Le premier est bien sûr l’être. Dieu n’est pas seulement l’être,
il est l’esse ipsum subsistens. L’Esse ipsum est l’attribut qui appartient à Dieu de
façon exclusive, son nom propre. L’être en soi (ipséité) est le premier attribut
ontologique de Dieu. Quant aux autres attributs entitatifs, on peut citer l’unité,
l’absoluité, l’actualité, l’infinité, la simplicité, l’immensité, l’omniprésence,
l’éternité, l’immuabilité.
8.1.1. Unité
128
De Trinitate, 15, 5, 8.
86
8.1.2. Absoluité
« Absolu » vient de « solutus » (délié, délivré, libéré). Dieu est libre de tout lien et
de tout conditionnement. Alors que les autres réalités comportent des relations, des
dépendances tout au moins ontologiques, Dieu seul est indépendant, inconditionné,
libre du temps, de l’espace, de ses créatures et même de son essence. Aussi est-il
cause de soi (causa sui) ne pouvant avoir d’autre cause de son être que son être
même. Il est tout à faut autonome et ne peut être manipulé par l’homme ou par les
sacrifices et prières qui lui sont adressés.
8.1.3. Actualité
L’absoluité est renforcée par l’actualité. Dieu est Acte pur pour les idéalistes. Ce
qui est très juste si l’on se débarrase des préjugés idéalistes. Il est suprême actualité,
acte très pur car son essence c’est l’être. C’est bien l’être qui porte les choses à l’acte,
les rend actuelles et les enrichit des perfections. En tant qu’être par excellence, Dieu
est nécessairement acte pur, mieux acte très pur. En Dieu, il n’y a aucune trace
d’obscurité : il est lumière pure, source de toute lumière. Il illumine toutes choses et
les fait participer à sa propre lumière. Constamment actif, il soutient par son
dynamisme (externe et surtout interne) tout l’univers qu’il ne cesse de maintenir dans
l’être à travers ses propres qualités que sont la connaissance, la liberté, la sagesse,
l’amour, la vie, la beauté, etc.
8.1.4. Infinité
Comme substantif, « infinité » désigne le nom de Dieu par lequel on ne veut pas
simplement dire que Dieu ne connaît pas de limites (comme dans le cas de la série
des nombres cardinaux) ou qu’il est indéfini, mais on entend signifier, sous
l’apparence négative, la richesse inépuisable de perfections et non pas une
potentialité illimitée telle qu’on peut l’avoir dans la matière. Dieu dispose de la
qualité d’infinité car il est l’essence même de l’être et renferme en lui l’infini océan
de l’être. À l’instar des attributs de l’esseité et de l’absoluité, l’infinité est une
acquisition du christianisme : les Grecs n’attribuaient pas à Dieu le titre d’infini qui
avait pour eux une connotation négative désignant « ce qui est obscur, imparfait ou
simplement potentiel ». Si pour Aristote, Dieu est le « Moteur immobile » et pas
l’infini, pour Clément d’Alexandrie, il est sans hésitation « l’infini » car « l’Un
(Dieu) est indivisible et, partant, infini, parce que sans dimensions et sans limites. Par
conséquent il est aussi sans forme et sans nom »129.
129
Cité par Mondin, Ivi, 170.
86
théologien franciscain, par une vigoureuse argumentation, montre que des tous
attributs conférés à Dieu, celui qui qualifie le mieux l’être de Dieu par rapports aux
êtres créés, c’est celui de l’ente infinito in atto. Cet infini de Dieu est pris dans son
sens positif de plénitude sans limites, de totalité inépuisable puisque c’est de lui que
tout procède. Cette infinité divine n’a rien à avoir avec l’indéfini qui n’a pas encore
de visage précis, pas de forme ou de figure déterminée puisqu’il peut prendre
n’importe quel forme ou figure. Dieu n’est pas non plus l’infini potentiel au sens
platonicien (de chaos) ou aristotélicien (de matière) qui peut devenir n’importe quelle
chose, mais plutôt au sens actuel de totalité déjà accomplie car Dieu est déjà tout :
« toute forme, tout acte, toute perfection, toute plénitude telle qu’en dehors de lui il
n’y a rien ».
Ce n’est pas parce que l’esprit humain ne parvient pas à avoir une idée exacte de
l’infini divin que cela crée une carence dans l’être de Dieu. Cette incapacité de la
raison humaine souligne plutôt l’infinité de Dieu dont les perfections sont
insaisissables par l’homme car elles sont au niveau le plus élevé qui soit.
8.1.5. Simplicité
Si Dieu seul mérite d’etre appelé « être » parce que par essence il est pur acte
d’être (existence) alors que les autres êtres - même ceux qui nous paraissent simples -
sont composés d’essence et d’acte d’être (ou d’une variété de compositions :
substance-accident, forme-matière, qualité-quantité, acte-puissance, etc), on peut dire
Dieu seul est simplicité absolue dans la mesure où il exclut toute composition. En Lui
il y a coïncidence parfaite et totale de n’importe quelle perfection. Pas de faille ni
d’effilochage en Dieu. En tant qu’acte très pure et très parfait, Il est très simple.
8.1.6. Immensité
Dieu est immense car non mesurable. Le terme latin in-mensus signifie dépourvu de
mesure, infini. Dieu est sans mesure car il est lui-même le principe de toute mesure.
86
Tout se mesure à partir de lui : bonté, justice, vérité, sagesse, beauté, valeur, etc. Dieu
échappe à tout effort de mesure parce qu’il ne peut être circonscrit en un lieu ou en un
espace. Sa grandeur n’a point de limites. Par le terme « un », on veut indiquer le
maximum de concentration de l’essence de l’être divin tandis que par le terme
« immense » on veut exprimer sa dilatation maximale. L’ « Un » serait l’Alpha alors
que l’ « Immense » serait l’Oméga.
8.1. 7. Toute-Puissance
Dieu est présent partout : dans les sommets comme dans les abîmes, dans les lieux
habités comme dans ceux bruyants, affolés ou désertiques, dans les plis de la pensée
comme dans les états d’âme, au ciel comme sur terre, etc. C’est aussi bien avec son
regard pénétrant et clairvoyant qu’avec son être et sa personne que Dieu se rend
présent. À cause de sa limitation, l’homme est partiellement - et même passivement -
présent à son monde. La présence active et regénératrice de Dieu est due au fait qu’Il
est l’auteur principal de la danse de l’être et de la vie du monde130.
8. 1. 8. Éternité
La présence de Dieu ne s’étend pas seulement aux lieux et aux personnes ; elle
touche aussi tous les temps (passé, présent et futur, seconde, minute, heure). Tandis
que notre etre se déroule dans un arc de temps et d’espace très bref, l’être de Dieu au
contraire embrasse et dépasse le temps. Il est éternel. Il vit dans un présent perpétuel.
En tant qu’actualité parfaite, Dieu est plénitude de toutes les perfections alors que les
hommes se réalisent progressivement. Dans sa lente et progressive réalisation,
l’homme se rend compte que quelque chose lui échappe de son pouvoir, de son
savoir, de son plaisir et surtout du temps au fur et à mesure que sa vie passe. Dieu n’a
pas besoin de se développer, de croître, de devenir - et donc de temps - puisqu’il
possède déjà le maximum d’expériences, de vertus, de plaisirs, d’être que l’homme
désire acquérir dans sa vie.
8.1.9. Immuabilité
Dieu est immuable car il est établi dans la plénitude de l’être et de la perfection. Le
changement implique augmentation ou diminution. Il s’applique à l’être qui n’a pas
encore atteint une certaine perfection ou qui est incapable de défendre ses acquis. Il
se vérifie chez les êtres disposant seulement d’une partie de l’être et désireux avec
angoisse d’en avoir plus. Ce qui n’est pas le cas pour Dieu. Sa joie c’est irradier la
splendeur de son être aux étants afin de les amener à leur réalisation plénière.
Immuabilité ne veut pas dire inertie, inaction comme le disent certains penseurs qui
refusent d’attribuer à Dieu l’immuabilité. L’immuabilité n’exclut pas l’action. En la
130
Somme théol. I, q. 8, a. 1.
86
situant avant tout au niveau de l’être, elle exclut tout changement d’être (qualitatif,
quantitatif, spatial, temporel, substantiel, accidentel) en Dieu : ce dernier est
pleinement réalisé et c’est lui qui agit sans cesse tout en demeurant fidèle à lui-même.
Saint Augustin est sans doute le plus grand chantre de l’immuabilité divine. Les
créatures, dit-il, manifestent beaucoup de perfections (beauté, bonté, puissance, etc)
mais aucune d’elles ne possède la qualité de l’immuabilité. Elles sont entourées de
l’abîme du néant, très fragiles, provisoires, fugaces, etc. Seul Dieu est au-delà de
cette immense océan de précarité étant souverainement immuable, éternel131.
8. 2. Attributs spirituels
Pour ceux qui ne disposeraient pas d’un concept intensif d’être, celui d’ « esprit »
définirait mieux que celui d’être la nature de Dieu. De ce concept proviennent tant
d’autres attributs admirables tels que vie, liberté, pensée, vérité, bonté, amour. Le
terme « esprit », du latin « spiritus » a son correspond grec « pneuma » qui signifie
anciennement « vent, air, respiration, souffle animateur ». C’est dans la suite que
pneuma est venu à signifier « âme » ou encore « toute substance spirituelle ». C’est
ce sens qu’il prend à propos de Dieu. Si le terme « immatériel » appliqué à Dieu revêt
une signification négative, celui d’ « esprit » par contre a un sens positif qui signifie
ouverture, disponibilité, dédition, communicabilité et communication, activité et
actuation sans limite et barrière.
131
De Trinitate, 4, 1, 1 ; 5, 1, 3.
132
Journal I, n. 1602.
86
attributs, nous pouvons citer la vie, l’activité, la liberté, la pensée, la bonté, l’amour,
la beauté.
8.2.1. Vie
Cette vie divine est en outre féconde puisqu’elle produit le monde dans la diversité
de ses richesses. Cette fécondité est aussi mystérieusement interne, trinitaire : elle est
la vie du Père, du Fils et de l’Esprit Saint.
8.2.2. Activité.
Dieu est toujours en acte. La vie est une de ces modalités d’actualisation de l’être
de Dieu. Du point de vue de la pensée humaine, la vie (le vivre) est la première
modalité après l’être. Après quoi vient tout le reste. Si l’on considère l’activité
comme étant la fécondité d’un être, on peut dire que plus un être est doté en être, plus
grande est sa fécondité ou son activité. Puisque Dieu est pur être, il libère sans cesse
l’action. L’être est le coeur même de tout agir. En Dieu être et agir s’identifient car
c’est de son être même qu’explose et provient son activité. Pour les idéalistes, c’est
l’agir qui crée l’être ; pour Thomas d’Aquin par contre c’est l’être qui fait
continuellement fleurir l’agir. Dieu est établi dans le règne de l’agir puisque son être
est plénitude d’actualité. Il est action et jamais inertie. Cette activité divine n’est pas
contemplation d’un spectateur devant son propre être subsistant parce qu’en tant
esprit, Dieu se donne et se communique dans un seul acte comprenant cependant une
richesse infinie.
8.2.3. Liberté
emprisonné ; il est autonome, maître de soi et fait ce qu’il veut. L’esprit est
spontanéité dans son agir. Dieu est suprême liberté car, en tant qu’esprit absolu, il est
libre de tout conditionnement. Tout ce qui est ou bien s’identifie à son être ou bien
provient de lui. Étant éternel, il n’est déterminé ni par le passé ni par le futur.
Son antériorité à tout ce qui existe fait qu’il ne peut subir aucune contrainte de quoi
que ce soit, et sa totale maîtrise de soi s’explique par le fait que son esprit coïncide
parfaitement avec son être. L’ampleur de son ouverture est comblée par la très grande
intensité (vitalité) de son être. Dieu n’accomplit pas des choix – comme nous – pour
déterminer son mode d’être puisqu’il est déjà pleinement et parfaitement lui-même.
Sa liberté s’effectue comme exercice de choix et domination vis-à-vis des choses, car
c’est par pure libre initiative de Dieu que tout ce qui existe acquiert l’être. C’est donc
une liberté qui choisit et qui donne : elle choisit parmi les infinies imitabilités de son
être et confert réalités à certaines d’entre elles.
La liberté est effusion d’etre. Ce n’est pas la liberté qui génère l’être (d’après les
idéalistes et les existentialistes) car la liberté ne précède ni l’être ni l’esprit mais les
accompagne. En Dieu, la liberté tout comme la vie répand l’être de deux manières :
par des processions divines (Père, Fils et Esprit Saint) à l’intérieur et à travers la
création à l’extérieur. Philosophes et théologiens sont tous d’accord pour reconnaître
que Dieu est libre (l’unique qui soit libre pour Spinoza). Cette liberté divine ne
s’oppose guère à la liberté humaine. Elle en est au contraire la garantie.
8.2.4. Pensée
Dieu connaît tout. Il est présent partout non seulement par son être mais aussi par sa
pensée. Il est avant tout présent à lui-même par une parfaite auto-conscience, de sorte
qu’il n’a pas besoin de sortir de lui-même et y faire retour pour se connaître (Hegel).
En tant qu’esprit très pur, Dieu se comprend, se communique et se connaît lui-même
et, dans cette auto-compréhension, il connaît en même temps toute réalité. Chaque
chose ou chaque personne est une pensée particularisée de Dieu qui l’a voulue
unique. Aussi chacun de nous porte à son accomplissement un projet d’humanité
initialement pensé et esquissé par Dieu.
133
Cf. S. Thomas d’Aquin, Somme de théologie, I, q. 15, a. 2.
86
8.2.5. Bonté
La bonté et la malice sont les traits qui se dévoilent sur le visage d’une personne
marqué par le poids de l’âge. Aussi, à la maturité, on découvre de la bonté, de la
douceur, de la suavité et de l’amabilité sur le visage de celui qui aura opéré le bien et
de la malice ou de la méchanceté pour celui qui aura mal agi. En Dieu, il n’y a
l’ombre d’aucune malice puisqu’il est la bonté suprême. Au sens actif, est bon celui
qui aime, tandis qu’au sens passif est bon ce qui est aimable. Pour Aristote, le bien
c’est ce que tout le monde aime. Dieu est suprêmement bon aussi bien au sens actif
que passif. Il aime soi-même, sa personne, son être, sa beauté, sa grandeur, sa
puissance, sa liberté. Sa bonté est essentiellement effusion d’amour vers lui-même de
sorte que bonté et être sont identiques en Dieu.
Dieu n’a besoin d’aucune créature car son amour pour lui-meme lui donne une
parfaite et totale satisfaction. Mais sa bonté se répand sur ses créatures qu’il tire du
néant en les posant dans l’être, devenant ainsi source d’une bonté fragmentaire dans
les créatures. Car plus une créature a plus d’être, majeure est sa bonté. Du point de
vue ontologique, l’ange est plus bon que l’homme, ce dernier plus que l’animal qui
lui-même est plus bon que la plante, etc. Comme le dit la Genèse, tout ce qui sort des
mains de Dieu est bon134.
8.2.6. Amour
Bonté et amour sont étroitement liés car l’amour naît de la bonté et génère la bonté.
Aimer c’est vouloir du bien. On parle de l’amour de bienveillance (ou agapè) quand
on aime de façon désintéressée et l’on veut uniquement le bien de l’autre. L’amour de
concupiscence (ou eros) par contre est intéressé puisqu’on cherche le bien de l’autre
pour en tirer profit. L’amour de soi est la première et naturelle direction que prend
l’amour. Cet amour de soi devient égoïste lorsqu’il n’intègre pas les autres.
L’évangéliste Jean définit Dieu comme Amour car non seulement il s’aime lui-
même mais aussi son être (suprêmement bon) est parfaitement aimable et source de
grande joie et d’inépuisable complaisance. Par ailleurs dans son amour de soi Dieu
aime aussi les êtres de manière gratuite, généreuse au point de leur conférer
l’existence. Alors que l’amour humain ne crée pas l’être aimé mais le présuppose, le
défend, l’aide à s’améliorer et à s’accroître, l’amour de Dieu quant à lui crée puisqu’il
est la cause effective de la manifestation des êtres. C’est un amour de bienveillance,
de donation gratuite.
Il faut dire qu’en Dieu les êtres sont pensés et aimés (éternellement) avant qu’ils
n’existent. Dans un seul acte d’amour (universel), Dieu a établi une relation
d’affection très efficace que nous pouvons par exemple observer entre une mère et
134
Cf. aussi S. Thomas d’Aquin, Somme de théol. I, q. 20, a. 2.
86
son enfant avant même qu’il ne vienne au monde. Dieu aime intensément chacune de
ses créatures, mais en meme temps le bien qu’il porte pour chacune d’elles est
proportionné à leurs possibilités respectives : aux créatures rationnelles faites à son
image et ressemblance, Dieu veut qu’elles parviennent à la vision béatifique, alors
qu’aux créatures irrationnelles il assigne une place dans l’ordre établi.
Le christianisme nous en dit plus : la grandeur de l’amour de Dieu est telle qu’elle
prend la forme d’une personne, celle de la troisième personne de la Trinité, l’Esprit
Saint. Le lien existant entre le Père et son Fils n’est pas simplement affectif mais
subsistant. L’amour n’est plus une simple qualité, une vertu mais bien une personne.
L’amour cesse d’être un simple attribut divin pour devenir une personne divine. Le
christianisme enseigne aussi que par amour, le Fils est entré dans l’histoire humaine
au point de devenir un homme et même un serviteur souffrant, crucifié et
ressuscité135.
8.2.7. Beauté
Le visage de Dieu n’est pas seulement bon, aimable mais aussi admirable,
charmant et beau. Cette beauté dépasse toute beauté car elle est extrêmement
radieuse, riche et complexe. La beauté est cette grâce spéciale qui fait qu’une
personne, une chose ou une action suscite admiration, fascination et procure du
plaisir. Tandis que la vérité interpelle la connaissance, que la bonté sollicite la
volonté, la beauté elle excite l’admiration. La beauté nous laisse en extase. Elle se
laisse regardée, fixée, contemplée en silence. Elle saisit tout notre être au point de
désirer que la personne (chose ou action) contemplée ne disparaisse guère. Il y a dans
la beauté une perfection extraordinaire, surnaturelle, sublime qui surpasse la sphère
matérielle. C’est ce sublime que philosophes, théologiens et poètes ont chanté.
Dans Le Banquet, Platon situe la beauté au premier plan du monde idéal ou divin
car seule la beauté a, de toutes les substances parfaites, « le privilège d’être la plus
évidente et la plus aimable »136. À la beauté, Platon attribue des caractères qui
appartiennent à Dieu seul : en effet, la beauté est « la raison première et la fin ultime
de tous les exercices » que l’âme doit accomplir pour parvenir au monde des Idées.
Augustin137 et Thomas d’Aquin138 sont eux aussi de grands chantres de la beauté
divine.
135
Jn 4, 9-10.
136
Le Banquet, 211 a-b.
137
Commentaire de l’Evangile de S. Jean, tract. 9, 9.
138
Des Noms divins, IV, lect. 59, n. 346 et 340.
86
Dieu est une personne. Il est la première personne. La personne est le nom
généralement attribué à l’être intelligent et très libre. Comme Dieu est intelligence et
liberté suprêmes, il ne peut qu’être personne, mieux la première personne. L’être
personnel est un esprit c.à.d. ouverture, communication, dédition, liberté, pensé, etc.
S’agissant de la personne, il faut ajouter à ces qualités celle de « subsistance » c.à.d
« possession de son acte d’être » qui implique la jouissance d’une parfaite autonomie
d’être139. La personne donc est l’être qui subsiste dans l’ordre spirituel. C’est le cas de
l’homme quand bien même il n’est pas esprit pur. Par son âme, en effet, l’homme se
distingue des autres êtres naturels. Jamais nous ne disons d’un animal ou d’une plante
qu’ils sont des personnes privés qu’ils sont - essentiellement - de l’esprit.
La définition classique de l’esprit qu’on attribue à Boèce dit que la personne est
« une substance individuelle de nature rationnelle » (rationalis naturae individua
substantia). Celle de Thomas d’Aquin est aussi valide et même précieuse bien que
condensée. Dans la Somme contre les Gentils, l’Aquinate définit la personne comme
l’etre qui « subsiste dans une nature rationnelle ou intellectuelle » (persona est
subsistens in natura rationali vel intellectuali). C’est toujours un individu qui
subsiste. Le terme « substance » le dit encore clairement puisqu’il évoque
l’appartenance au monde réel, celui des existants. Subsister est le mode par
excellence d’exister.
8.3.1 Sainteté
Parmi les sens que revêt ce terme, on peut relever la pureté, l’inviolabilité,
l’appartenance au sacré et l’incompatibilité avec le péché. Chez Thomas d’Aquin, la
sainteté signifie deux choses : « pureté » (munditia) qui correspond au grec aghios
(άγιος) c.à.d privé de terre et « fermeté » (firmitas) c.à.d garanti, sanctionné par la loi
et donc rendu inviolable.
C’est de manière analogique que nous disons de Dieu qu’il est Saint ou trois fois
Saint. Dieu est essentiellement privé de tout péché, de toute imperfection volitive ou
intellectuelle (Bossuet). Par antonomase, Dieu est saint. Comme pour la vérité, la
bonté, la beauté et l’amour, tout ce que Dieu est, pense et fait est saint : aussi bien son
nom, sa volonté, sa personne, sa sagesse que son être, tout cela est saint. Voilà
pourquoi Dieu mérite adoration, louange, gloire et confiance (abandon) totale.
139
Mondin, Ivi, 191.
86
Toute personne est digne de grande estime et du plus grand respect. Son être doit
être traité comme une fin et non comme un moyen (Kant). Dignité renvoie à valeur
c.à.d à « ce par quoi un être est digne d’être, une action est digne d’être accomplie »
(Romano Guardini). C’est le christianisme qui a introduit, proclamé et défendu le
concept ainsi que la valeur absolue de le personne. Lutter contre l’avortement et
l’euthanasie c’est défendre la dignité de la personne. C’est en Dieu, en sa dignité
absolue que s’enracinent la valeur absolue (non instrumentale) et la dignité infinie
(non partielle) de la personne.
Dieu est absolument digne car sa valeur est absolument suprême sur tous les plans
(ontologique, axiologique, gnoséologique, éthique, etc) alors que l’homme ne peut le
revendiquer totalement dans l’ordre ontologique par ex. à cause de son caractère
changeant. Dieu est l’Alpha et l’Oméga. Aussi est-il le fondement sûr et solide de
toutes les valeurs absolues. Par ailleurs, les propriétés transcendantales de l’être (être,
un, vrai, beau, bon) sont des propriétés essentielles de Dieu.
8.3.3. Puissance
De ce qui précède, il résulte que Dieu est le maximum dans l’être, dans l’esprit et
dans la valeur ; il est le maximum aussi dans le pouvoir. Puisqu’en lui il y a identité
parfaite de vie et d’être, de vérité et d’être, de beauté et d’être, d’esprit et d’être, il y
a aussi identité parfaite de pouvoir et de bonté, de pouvoir et d’esprit, de pouvoir et
de valeur : la puissance divine est absolue et se reflète dans tous les attributs divins.
La puissance de Dieu n’est pas aveugle ni violente ou brutale mais un pouvoir éclairé
par la sagesse, la vérité, la bonté, la sainteté, la beauté et l’amour. Sans limite, la
puissance divine est toute puissante alors que celle des hommes, même les plus
86
doués, est limité et conditionné par la matière, la culture, la société. L’acte créateur
est le témoignage, le document le plus grand et le plus impressionnant de la puissance
divine car il montre la toute puissance de Dieu capable de franchir l’abîme du néant
(création à partir du néant) et de poser les choses à la lumière de l’être.
8.3.4. Justice
La justice est cette vertu fondamentale qui règle les rapports interpersonnels
donnant à chacun ce qui lui revient 140. La justice présuppose des droits et des devoirs
et s’exerce dans le respect de ces droits et devoirs. Dans cette perspective, il est
difficile de parler de justice par rapport à Dieu. Nous disons pourtant que « Dieu est
juste », que « la justice de Dieu est magnanime », ou encore que « Dieu est juste
envers tous ». Car nous sommes convaincus qu’une telle justice existe et qu’elle a
pour finalité de suppléer aux défauts de la justice humaine. Dieu n’est pas seulement
bon et miséricordieux, il est aussi juste.
Comme vertu cardinale, la justice est une perfection qui appartient de droit à Dieu.
Mais à l’instar de ce qui survient à toute vertu et perfection, il convient de distinguer
dans la justice la res significata (chose signifiée) et le modus significandi (mode de
signification) : la justice en tant que perfection simple ou nature de Dieu par laquelle
il donne à chaque créature ce qui lui convient n’est rien d’autre que l’être même de
Dieu, mais les modalités par lesquelles la justice est rendue par les hommes ne
conviennent guère à Dieu141. Pour le christianisme, Dieu n’est pas seulement juste,
mais il est aussi Celui qui justifie l’homme en lui pardonnant ses péchés et en le
faisant participer à sa vie divine.
8.3.5. Bonheur
Dieu est suprêmement heureux. Il expérimente la joie de son existence car en lui
l’auto-réalisation est pleine, parfaite et totale. Dieu contemple son être infini, éternel,
très beau, très vrai, excellent, très sage, très juste, très saint et Il l’aime et s’y
complaît. Le bonheur de Dieu est le principe, la source et la mesure de tout bonheur.
140
S. Thomas d’Aquin, Somme de théologie, II-II, q. 68, a.1.
141
S. Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils, I, 93.
86
La félicité, la béatitude tout comme la joie ne sont pas des sentiments fermés,
silencieux mais expansifs, diffusifs, communicatifs, sociaux. La joie du bonheur se
traduit en amour, en donation. Qui vit dans la joie est généreux. Ainsi Dieu donne-t-il
sa joie sans mesure à ses créatures. L’expression « tout est bon » est une parole de
joie par laquelle Dieu appelle du néant le ciel et la terre et communique sa joie aux
animaux, aux plantes, à l’homme et à la femme.
En concluant ce chapitre relatif aux attributs divins, nous avons cherché à définir la
nature de Dieu, à comprendre son « esprit » et sa personne sans toutefois être parvenu
à voir Dieu tel qu’Il est en lui-même. Nous avons perçu quelque chose de Dieu mais
nos concepts, notre langage est-il adéquat à l’être divin ? Dans quelle mesure notre
intelligence et notre langage imparfait peuvent-ils s’appliquer à lui ?
Pour cet hébreu d’Alexandrie, Dieu existe et nous ouvons le connaitre à travers ses
attributs. Il est absolument transcendant : une transcendance totale et à tous les
niveaux (ontologique, gnoséologique, sémantique, etc). Ontologiquement, Dieu est
au-delà du monde matériel et sensible et du monde immatériel des idées. Il est
86
« meilleur que le bien, plus ancien que la monade et plus simple que l’un ».
Gnoséologiquement, Dieu ne peut être compris par aucun esprit humain ou angélique.
Du point de vue sémantique, il n’y a aucun langage humain qui puisse exprimer
adéquatement sa nature. Dieu est ineffable, inconcevable et incompréhensible. Dieu
n’est ni ceci ni cela ;Il est « Totalement Autre » et tous les noms que nous utilisons
pour parler de Lui ont valeur négative ou métaphorique.
9.2. Plotin
Pour avoir étudié à Alexandrie, Plotin ne pouvait guère ignorer les écrits et la
doctrine de Philon qu’il fait sienne et applique à l’Un dont il exalte la totale et
absolue transcendance, devenant ainsi l’un des plus grands défenseurs de
l’incognoscibilité et ineffabilité de la Première Hypostase, l’Un qui n’a pas d’essence
et donc exclut toute définition142. L’Un est au-delà de la substance, de l’être, du
connaître, de la quantité et de la qualité. De l’Un, nous ne pouvons avoir que des
concepts négatifs et user des expressions négatives.
9.4. Pseudo-Denys
142
Ennéades VI, 8, 11.
143
Epitre 130, à Probe ; PL 33, 505. Voir aussi De Trinitate, 8, 2, 3.
86
d’approche de Dieu. Les trois voies sont : positive, négative et éminente. Il ne s’agit
pas des voies séparées ou parallèles, mais de trois étapes d’une même voie. La voie
positive assigne à Dieu un attribut déterminé (p. ex. Dieu est sage) tandis que la voie
négative ou via remotionis nie ou retranche ce même attribut tantôt donné à Dieu (p.
ex. Dieu n’est pas sage) au motif que Dieu n’est pas sage à la manière de l’homme.
On conclut finalement par la voie éminente par laquelle on met en relief le caractère
superlatif et transcendant des perfections divines (p. ex : Dieu est très sage,
infiniment sage)144.
9.6. Kant
Pareille connaissance, dit Kant, n’a aucune prétention de dire l’essence intime de
Dieu, mais se borne à donner des indications sur le rapport que le monde empirique
peut avoir avec un Être dont le concept, pour nous, est au-delà de toute possibilité de
connaissance145. D’une semblable considération, on peut dire qu’il existe chez le
philosophe de Königsberg une théologie rationnelle qui recourt au procédé
analogique.
144
Pseudo-Denys, De divinis Nominibus, VII, 1.
145
Prolégomènes, n. 57.
86
Contre le philosophe polonais E. Przywara qui affirme dans son Analogia entis que
l’analogie est le principe-clé du catholicisme, Barth soutient qu’il n’existe aucune
vraie connaissance de Dieu en dehors de la Révélation. Il n’y a donc pas d’analogie
d’en bas (analogia entis) mais uniquement d’en haut ou analogia fidei car seule la
Parole de Dieu peut fournir à l’homme des concepts analogues de Dieu c.à.d
susceptibles d’être prédiqués en propre, même si c’est de façon proportionnelle, de
Dieu.
Pour Barth, l’analogia fidei est un don par lequel Dieu communique à l’homme
des concepts, des paroles permettant de le connaître, de le nommer, mais toujours
dans les limites fixées par l’infinie différence qualitative (ontologique) qui sépare
Dieu, le Tout Autre, de ses créatures. Aussi Dieu demeure-t-il toujours
essentiellement ineffable.
Contrairement à Kant qui estime que nous ne connaissons rien de ce qu’est Dieu en
Lui-même mais ce qu’il est pour nous, Thomas d’Aquin soutient que nous ne
connaissons pas seulement l’existence de Dieu mais aussi certaines de ses propriétés.
Nous ne connaissons pas uniquement les attributs opératifs de Dieu mais aussi
entitatifs tels que sa bonté, sa puissance, sa vérité, sa sagesse. Il n’existe pas
seulement une analogia relationis (Kant) mais aussi une analogia proportionis et une
analogia attributionis.
Quelles sont les limites de notre connaissance de Dieu ? Disons d’abord que notre
connaissance de Dieu n’est pas du genre intuitif ni abstractif. Nous ne connaissons
pas Dieu de façon immédiate et directe, ni par vision146. Quand bien même sa
présence nous envahit, nous n’avons de Lui aucun concept clair et distinct ni une
image bien définie. Dieu n’est pas non plus le résultat d’une abstraction c.à.d une idée
universelle (concept) que nous nous formons après une observation de certains cas
particuliers. Dieu n’est pas une idée mais un individu. De ce dernier on n’a pas des
concepts mais des images obtenues après avoir vu, senti, touché une chose. Ceci n’est
pas possible à propos de Dieu.
C’est à partir de notre expérience contingente du monde que nous nous élevons
jusqu’à Dieu. Arrivés au seuil de Dieu, nous sommes éblouis par sa réalité divine qui
est infiniment plus grande et dont nous ne pouvons avoir une image parfaite. Nous
cherchons à connaitre Dieu à partir des concepts ouverts et non circonscrits comme
ceux de notre monde sensible. Ce ne sont pas des images mais des « chiffres » et des
« symboles » qui nous orientent vers Dieu sans pourtant le représenter adéquatement.
Les concepts nous font connaître quelque chose de l’essence divine mais leur
signification, leur contenu restent absorbés par l’abîme du mystère divin qui reste
inviolé malgré cette connaissance. On peut dire en fin de compte que la connaissance
humaine de Dieu n’est pas une « saisie », une « compréhension » mais
essentiellement une « tension » vers l’Insaisissable et l’incompréhensible.
146
Somme de théologie, I, q. 12, a. 2.
86
confirmer que si ces concepts visent à représenter l’expérience mais pas pour les
concepts qui, tout en s’appuyant sur l’expérience, sont effectivement éloignés d’elle
car ils se situent à un niveau très élevé, celui de Dieu. De tels concepts ne parviennent
jamais à signifier positivement la modalité spécifique par laquelle ils se réalisent en
Dieu.
La voie de l’éminence a comme tâche d’ajuster les concepts et les termes qui
peuvent se référer proprement à Dieu. Grâce au principe de l’exemplarité selon lequel
tout agent cause et produit quelque chose qui lui ressemble (omne agens agit simile
sibi), il résulte qu’il y a des concepts et des termes qui conviennent proprement soit à
Dieu, soit aux créatures, même si c’est de manière analogique. La voie de l’éminence
entend « indiquer le statut très singulier dont jouissent les perfections et les qualités
qu’on assigne ou reconnait à Dieu ». Cette voie comprend trois moments : d’abord
distinguer entre perfection ou chose prédiquée (res praedicata) et son mode d’être et
d’être prédiqué (modus praedicandi) ; ensuite on supprime les limites et
imperfections du mode d’être des créatures et enfin, tout en gardant inchangée la
perfection prédiquée, on imagine des expressions logiques et linguistiques aptes à
mettre en évidence la modalité de la perfection qui est propre à Dieu, même si elle
dépasse les possibilités de perception de notre intelligence et les possibilités
d’expression de notre langage.
Il n’est pas vrai de dire que la voie de l’éminence ne serait qu’une répétition de la
voie négative ou une rechute dans la voie positive. En réalité, elle fait un pas en avant
dans le tourbillon de perfections dont perçoit l’incommensurable fascination et
grandeur, à savoir : « l’affirmation de la partielle idonéité de nos concepts et de nos
paroles à exprimer la perfection divine et en même temps la négation de l’horizon
humain et fini dans lequel ils sont nécessairement situés ».
La nécessité de l’analogie
Dieu des créatures147. L’équivocité quant à elle est plus dangereuse et inadmissible
que l’univocité car elle rend inintelligible et absurde tout discours sur Dieu et porte à
l’agnosticisme et l’athéisme. En affirmant que le langage religieux n’a rien à voir
avec le langage non religieux et que donc on ne peut rien connaître de Dieu à partir
des créatures, on tomberait dans le sophisme appelé « équivocation ».
Aussi bien les philosophes que saint Paul démontrent beaucoup de choses sur Dieu
coupant ainsi court à la thèse du positivisme logique qui nie toute signification
théorique au langage religieux au motif que les critères de vérification du langage
ordinaire et scientifique sont inapplicables au langage religieux. Il reste donc
l’analogie. La méthode de l’analogie est conçue de différentes manières, mais celles
plus en vogue sont deux : celle de l’analogie impropre ou métaphorique (analogia
operationis) et celle de l’analogie propre (analogia entis ou analogia secundum prius
et posterius).
Pour Thomas d’Aquin donc, il y a des noms qui s’appliquent à Dieu et aux
créatures et désignent la même perfection aussi bien à Dieu qu’aux créatures, avec
toutefois des modalités différentes à cause de la différence qualitative entre Dieu et
les créatures. L’analogie est une voie médiane entre l’anthropomorphisme naïf et
l’apophatisme radical. Elle exprime une similitude minimale à l’intérieur d’une
dissimilitude maximale. L’analogie ne détruit pas le langage religieux comme le font
l’athéisme, la sécularisation etc. mais en fixe clairement les limites. L’analogie
reconnaît humblement l’impuissance du langage humain face à Dieu et affirme que la
dissimilitude est plus grande que la similitude. Elle se garde de détruire le langage
humain ou de le vanifier car il est l’instrument que Dieu nous confie pour le glorifier.
Quelle analogie ?
147
Somme théologique, I, q. 13, a. 4.
86
le sens de l’analogie. Deux grandes disputes sont à noter : d’une part entre les
catholiques et les protestants autour de l’analogia entis et d’autre part entre les
spécialistes de S. Thomas sur la reconnaissance de l’analogie d’attribution
intrinsèque et la valeur de l’analogie de proportionnalité.
En tant que première Personne, Dieu possède les opérations qui font de Lui un être
noble et grande : le connaître et le vouloir. La vie intellectuelle de Dieu est pleine
d’amour, de joie infinie et de parfaite béatitude. Cette plénitude de Dieu ad intra
l’empêche de s’évader de lui-même. Pour Thomas d’Aquin, Dieu est l’Esse ipsum
subsistens, un être infiniment en acte, un connaitre, un amour un vouloir infiniment
en acte. Mais sa bonté est tellement grande qu’elle pousse Dieu à diffuser son être, sa
vie, sa sagesse, son bonheur. Cette bonté « diffuse » se complaît dans le bien (à faire
le bien) c’est-à-dire à faire participer les êtres, à partir des plus spirituels aux plus
matériels, à sa vie. C’est non seulement en les créant (création) mais aussi en les
conservant dans l’être (providence).
Parler de création, c’est penser à l’action par lequel Dieu communique l’être aux
étants en les faisant émerger de rien (creatio est productio rei ex nihilo sui et
subiecti). C’est l’opération par laquelle Dieu dissipe les ténèbres du rien et irradie la
lumière de l’être. En actuant le passage radical du non être à l’être, la création est
l’effet d’une puissance infinie. Acte de sagesse, la création est œuvre d’un être (Dieu)
qui la pense, la projette. Elle est aussi un acte d’amour et de volonté car c’est par pur
amour que Dieu fait participer les êtres à sa vie et communique cette vie à qui il veut.
La création est un acte exclusif de Dieu qui seul dispose du pouvoir de faire passer du
néant à l’être sans l’aide de personne qui, par ailleurs, n’existe pas avant la création.
La création n’est pas une émanation ni une évolution. L’émanation est une
diffusion de l’être à partir d’une source alors que la création est une appel à l’être de
ce qui n’était pas. L’évolution suppose une origine c’est-à-dire des premiers étants
(une matière précédente) à partir de laquelle tout le reste se développe tandis que la
création exige l’absence de n’importe quelle matière. La création n’est pas une action
nécessaire mais libre de Dieu. Par ailleurs la création est une relation réelle de la part
des créatures car à défaut de cette relation, les choses précipitent dans le néant. En
créant, Dieu agit pour une finalité, celle du bien de la création.
créatures dans l’orbite de l’être, et par sa providence, Il les accompagne et les assiste
pour qu’elles puissent réaliser ce plan grandiose que l’esprit de Dieu dessine pour
l’univers cosmique, spirituel et matériel.
La providence divine et la création sont avant tout une vérité de foi que les
hommes ont apprise de Dieu lui-même à travers l’histoire du salut, mais qui a aussi
acquis une épaisseur rationnelle robuste et solide grâce à une spéculation aiguë des
Pères de l’Eglise et des Scolastiques.
CONCLUSION GENERALE