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Publié le 26 juin 2014(Mise à jour le 12/12)

Par André Gounelle

Série “Paul Tillich” (2) : La


démarche théologique
Tillich est d’abord un théologien, mais qu’est-ce que la démarche théologique ?
Elle associe la démarche de foi et l’exigence de la pensée, elle répond au
commandement de Dieu qui nous invite à l’aimer aussi avec toute notre
intelligence.

Le mot théologie combine les mots grecs theos qui veut dire Dieu et logos qui
signifie parole. Faire de la théologie, c’est parler de Dieu, entreprise qu’on peut
juger hors de notre portée. Pourtant, si la foi n’arrive pas à s’exprimer, elle se
volatilisera ; ce qui n’entre pas dans le langage perd sa réalité pour nous. Paul
Tillich ne se demande pas : « Faut-il ou non parler de Dieu ? », mais : « Comment
en parler ? »

Il y a plusieurs manières de parler de Dieu. On peut spéculer sur un être


surnaturel ou un principe métaphysique qui expliquerait le monde. On fait alors
de la philosophie. On peut étudier les diverses représentations des divinités qu’on
trouve à travers les âges dans l’humanité. On fait alors de l’histoire des religions.
Même si elle ne doit pas ignorer ces démarches qui ont beaucoup à lui apporter,
la théologie en diffère fondamentalement. Ce qui la caractérise, c’est qu’elle part
de la foi ; elle est la foi qui cherche à se penser elle-même.

Théologie et foi
Paul Tillich juge impossible de dissocier la théologie d’une attitude croyante. Il ne
s’ensuit nullement que le théologien devrait accepter sans broncher toutes les
doctrines traditionnelles ni qu’il serait exempt de doutes, d’angoisses, de révoltes.
La foi est autre chose qu’un ensemble de croyances ; parfois elle se débat avec
Dieu ; souvent elle conteste doctrines et pratiques ecclésiales. Qu’elle soit sereine
ou tourmentée, paisible ou conflictuelle, elle est une rencontre personnelle
vivante avec Dieu. La théologie parle de notre relation existentielle avec Dieu et
pour en parler il faut que cette relation existe.

Dieu a l’initiative de cette relation, il se manifeste à nous. La démarche


théologique commence par l’écoute de ce qu’il dit (à travers la Bible) et par
l’accueil de ce qu’il donne (en Jésus le Christ). Dieu se révèle ; voilà le point de
départ de la théologie.

Contrairement à ce qu’on pense souvent, la révélation n’est pas un enseignement.


Elle ne communique pas un savoir, elle est une rencontre où Dieu se rend
sensible à des êtres humains et les saisit ; elle ressemble à un amour qui nous
prend, ne rend pas plus savant, mais crée une relation forte.

Leur relation avec Dieu, les croyants l’expriment dans des énoncés qu’ils
appellent « dogmes » ou « doctrines ». Ces énoncés ne sont pas le contenu ou
l’objet de la révélation, mais des essais pour en rendre compte dans un contexte
donné et dans le langage d’une époque. Ils traduisent, plus ou moins bien, dans
des conditions particulières et changeantes, ce que nous vivons dans notre
rencontre avec Dieu. « Il n’y a pas, écrit Paul Tillich, de doctrines révélées ; il y a
des situations et des événements révélateurs qu’on peut décrire en termes
doctrinaux. » Les doctrines sont à la fois essentielles et relatives ; essentielles,
parce qu’elles parlent de ce qui fonde le monde et l’existence humaine ; relatives,
parce que, dans leur formulation et leur conceptualisation, elles dépendent des
cultures humaines qui varient selon les temps et les lieux.
Comprendre et relier
Pour bien exprimer (ou pour exprimer le mieux possible) la foi, il faut la
comprendre. Comprendre associe les mots latins cum (qui veut dire « avec ») et
prehendere (qui signifie « prendre »). Comprendre, c’est « prendre avec »,
autrement dit, situer quelque chose dans un réseau de relations.

De même, Paul Tillich parle souvent de système (son œuvre majeure s’intitule
Théologie systématique). « Système » vient du grec sustema qui désigne plusieurs
objets noués ensemble, ainsi des branches d’arbre dans un fagot ou encore, pour
prendre un exemple plus moderne, le clavier, la souris, l’écran et l’imprimante
d’un ordinateur quand ils sont connectés.

Qu’est-ce que la théologie doit mettre ensemble ou relier ? Pour Paul Tillich, elle
a pour mission principale de faire apparaître les correspondances ou
« corrélations » entre la révélation divine et l’existence humaine. Elle s’efforce de
montrer que le message biblique apporte la réponse, ou des réponses, aux
interrogations de l’être humain. On a parfois reproché aux Églises de répondre à
des questions que personne ne se pose. C’est parce qu’elles répètent trop souvent
les réponses données aux questions d’hier et ne prennent pas en compte celles
d’aujourd’hui. Au XVIe siècle, la Réforme remplit bien sa tâche théologique en
annonçant le salut gratuit à des gens torturés par la peur de l’enfer. Au lendemain
de la Seconde Guerre mondiale, ce qui travaille les gens, c’est le sentiment de
l’absurde. La gratuité du salut reste vraie, mais n’est plus la réponse appropriée
que demande la situation. La théologie comprend et relie quand elle se penche
sur les problèmes et préoccupations de l’heure et qu’elle cherche comment la
révélation y fait face.

De toute notre pensée…


La théologie n’est pas réservée à des spécialistes, pasteurs et universitaire. Elle
est l’affaire de tous les chrétiens que « le grand commandement » appelle à aimer
Dieu non seulement de « tout leur cœur et de toute leur âme », mais aussi de «
toute leur pensée ».
Il ne s’agit pas d’une activité de tout repos. À la fois, elle secoue et stabilise, elle
ébranle et elle affermit. En elle, la conviction et la critique s’affrontent. Comment
recevoir, accueillir, accepter, témoigner et, en même temps, mettre en question,
interroger, examiner, contester ? Le croyant qui réfléchit se trouve pris dans un
combat pour que sa spiritualité, sa piété, sa consécration n’éliminent pas en lui la
lucidité et l’honnêteté intellectuelles, et pour que, à l’inverse, l’analyse et la
critique n’étouffent pas sa confiance en Dieu ni ne détruisent sa fidélité au Christ.
Deux écueils le menacent constamment : celui d’une foi irréfléchie et celui d’une
réflexion incroyante. Il va se heurter d’un côté à la suspicion des gens pieux que
sa pensée inquiète et, de l’autre côté, à la méfiance des intellectuels que sa foi
dérange. Cette situation est, écrit Paul Tillich, « la grandeur et le fardeau » du
théologien.
Combiner l’engagement de la foi avec la distanciation indispensable à toute
véritable pensée est possible parce que Dieu est à la source aussi bien de la foi
que de la pensée.
A. G.

À lire
Paul Tillich, une foi réfléchie
André Gounelle
Olivétan
124 p., 14,50 €.

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