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Publié le 24 juillet 2014(Mise à jour le 12/12)

Par André Gounelle

Série “Paul Tillich” (6) : Foi et


religion
La foi et la religion doivent être distinguées mais elles se trouvent sur des
registres très voisins. La religion est nécessaire car nous avons besoin de
médiations, et la foi est indispensable pour contester les faux dieux, y compris
ceux de la religion.

À la différence de ses contemporains Karl Barth et Dietrich Bonhoeffer, Paul


Tillich n’oppose pas la foi et la religion. Les deux mots sont le plus souvent
synonymes sous sa plume ; ils désignent sinon la même réalité, du moins deux
aspects complémentaires de la même réalité.

La foi comme préoccupation


Qu’est-ce que la foi ? À cette question Paul Tillich répond : elle est « courage
d’être » (c’est le titre d’un de ses meilleurs ouvrages) et « préoccupation ultime »
(ultimate concern). Que veulent dire ces deux expressions qu’il emploie souvent
et qui sont au cœur de sa théologie ?

La foi est courage. Nous sommes souvent déprimés par ce que nous sommes, par
ce que nous vivons et par le monde qui nous entoure. Nous nous débattons dans
des situations sans issue ; nous ne voyons pas comment les choses pourraient
s’améliorer ; nous avons le sentiment de courir vers des catastrophes ; nous
doutons de tout, de nous, du monde, de Dieu. Ne pas baisser les bras, faire face,
affronter ce qui nous assaille physiquement, psychologiquement, moralement et
spirituellement, voilà ce qu’est la foi. Au milieu des menaces et des malheurs, elle
garde confiance, elle parie sur l’être et résiste à la désespérance et au nihilisme.
Elle est une confiance active. L’apôtre Paul déclare qu’aucun événement ni
qu’aucune réalité de ce monde « ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu
manifesté en Christ Jésus » (Rm 8,38-39). Ce verset, que Paul Tillich affectionne,
exprime ce courage d’être qui nous habite, nous anime, et qui prend sa source en
Dieu.

Faute de mieux, on a traduit concern par préoccupation, ce qui n’est pas sans
inconvénient. Préoccupation suggère l’inquiétude, alors que Paul Tillich veut
surtout dire que la foi nous concerne ou nous engage existentiellement. Elle n’est
pas un ensemble d’opinions (même si elle comporte des croyances) ou de
sentiments (même si elle suscite des émotions) ni de décisions (même si elle
amène à agir). Elle est la présence en nous de quelque chose ou de quelqu’un qui
s’impose à nous (comme le fait un amour) et qui devient ce qu’il y a de plus
important. Paul Tillich emploie le mot « ultime » pour distinguer la foi de nos
multiples préoccupations, attachements et engagements. S’ils sont légitimes, s’ils
peuvent être à certains moments intenses, ils sont cependant secondaires parce
qu’ils ne mettent pas en jeu le sens dernier de notre être. Dans la foi, au
contraire, nous sommes aux prises avec ce qui nous est essentiel.

La religion comme symbole


Pour Paul Tillich, la foi s’exprime dans des symboles. Elle n’a pas d’autre langage
; elle vit, se manifeste, se communique, se concrétise au moyen de paroles, de
gestes, de doctrines qui ont un caractère symbolique. Elle conduit à mettre en
place un ensemble de structures symboliques qui forment une religion.

Que faut-il entendre par symbolique ? Quand, dans un de ses cours, Paul Tillich a
parlé de la crucifixion de Jésus comme d’un symbole, certains de ses auditeurs ont
été très choqués. « Ce n’est pour vous qu’un symbole ? », lui ont-ils dit. À quoi
Paul Tillich a répliqué : être un symbole n’est pas un moins, mais un plus, ce n’est
pas manquer de réalité, c’est avoir davantage de sens. La Croix de Gogotha n’est
pas une exécution semblable à beaucoup d’autres. En la qualifiant de symbole, on
ne nie pas qu’elle soit un événement historique, on affirme qu’à travers elle se
joue quelque chose d’ultime ; elle a, pour nous, une signification et une portée
existentielles que n’a pas, par exemple, l’assassinat de César.

Le symbole est symbole de quelque chose, pas de lui-même ; il se distingue de ce


qu’il symbolise. Que la religion relève du symbolique signifie qu’elle nous met en
contact avec Dieu sans être elle-même divine. Elle nous est nécessaire, car notre
aliénation ou notre péché fait que nous en sommes séparés. Selon l’Apocalypse,
dans la Jérusalem céleste, il n’y a pas de temple parce que Dieu y est présent et
perçu partout. Des lieux, des temps, des rites consacrés à Dieu n’ont aucun sens
là où rien ne perturbe notre lien avec lui. Ce n’est pas le cas de notre monde ; il
nous faut une religion parce que nous ne vivons pas dans le Royaume et ne
sommes pas ce que nous devrions être.

Si elle nous est, en tout cas pour le moment, nécessaire, la religion est aussi
dangereuse, parce que, au lieu de renvoyer à Dieu, le symbolique risque toujours
d’en prendre la place et de devenir, du coup, diabolique (séparateur). La religion
est un ange qui se transforme en démon quand elle se pose en absolu et oublie
qu’elle est un moyen ou un instrument et non le but. Elle doit sans cesse se
défendre contre l’idolâtrie qui fait d’elle non plus un trait d’union, mais une barre
de séparation. Elle est ambiguë, on doit à la fois la respecter, l’entretenir et la
critiquer, s’en méfier.

Les religions séculières


Aux XIXe et XXe siècles apparaissent en Europe de grandes idéologies :
l’humanisme libéral, le nazisme, le communisme stalinien. Elles situent le sens
dernier de l’existence dans un élément du monde : un idéal éthique, une nation, la
société sans classes ou des dirigeants politiques. Elles demandent à leurs adeptes
une vénération sans réserve et un engagement total. Tillich les appelle « quasi-
religions ». Il les distingue des « pseudo-religions », fabriquées artificiellement,
sans force ni vie véritables, tel le culte de l’Être suprême lors de la Révolution
française.
Ces idéologies sont religieuses, même si elles s’en défendent. Elles n’éliminent
pas le sacré, elles le placent dans le profane ou le séculier. Ce qu’elles divinisent
a souvent (pas toujours) une réelle valeur, mais est limité, secondaire et relatif.
Quand on le considère comme ultime, on fait surgir des idolâtries démoniaques et
destructrices.
On constate également que bien des choses dans notre monde prennent une
dimension religieuse (par exemple, l’art, l’argent, le pouvoir, le sexe, le sport, les
vacances) quand des gens y cherchent la satisfaction de leur quête existentielle.
Parce que l’homme est foncièrement religieux, l’idolâtrie l’attire toujours. La foi
biblique ne cesse de lutter contre elle et de combattre les faux dieux qui tentent,
non sans succès, de nous séduire.
A. G.

À lire
Paul Tillich,
une foi réfléchie
André Gounelle
Olivétan
124 p., 14,50 €.

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