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Publié le 3 juillet 2014(Mise à jour le 12/12)

Par André Gounelle

Série “Paul Tillich” (3) : Parler de


Dieu
L’être de Dieu ne peut se dire car Dieu échappe à toutes nos définitions. À partir
de l’expérience de foi, Tillich utilise différentes images pour parler de Dieu : la
tension entre la distance et la proximité, la terre qui soutient et nourrit, la
puissance qui porte la vie.

Paul Tillich n’entend pas décrire l’être de Dieu, mais dire ce qu’il représente et
signifie pour celui qui croit en lui. Il ne fait pas de la spéculation métaphysique, il
analyse ce que vit la foi. Il donne trois indications. D’abord, Dieu est à la fois
autre et intime ; ensuite, il est le sol de notre être ; enfin, il est la puissance qui
anime notre vie.

L’autre et l’intime
Dieu est en même temps proche et lointain, semblable et différent. Ne pas
maintenir ces deux aspects entraîne de graves déséquilibres.

Si on souligne trop son altérité, on fait de Dieu un étranger qui oblige notre
personnalité et notre volonté à abdiquer pour se soumettre totalement à lui.
L’hétéronomie (dépendance d’une loi extérieure comme celle dictée à Moïse sur
le Sinaï) caractérise la foi. Dieu ressemble à un tyran qui asservit, d’où des refus
et des révoltes.

Si on insiste trop sur son intimité, on réduit Dieu à la « voix de la conscience ».


On le rencontre en « entrant en soi-même », tel le fils prodigue de la parabole. La
foi est autonomie, soumission à la seule loi « écrite dans les cœurs » (Rm 2,15).
Dieu s’identifie avec notre moi profond ou avec la vérité enfouie en nous, ce qui le
rend inutile.

Paul Tillich rejette aussi bien le supranaturalisme pour qui Dieu est un être en
face et au-dessus de nous que le naturalisme qui ne distingue pas son être du
nôtre. Dieu, écrit-il, est l’« être-même » (expression inspirée par la parole de Dieu
à Moïse : « Je suis celui qui suis »). Il est l’être qui est présent en tout ce qui est,
sans jamais se confondre avec ce qui est. Quand il nous interpelle du dehors, nous
découvrons que nous le portons en nous. Ce paradoxe, difficile à comprendre et
exprimer, structure la vie de la foi.

Le sol de notre être par Paul Tillich


« Sol » combine deux images le terroir (ou terreau) et le fondement.

La première renvoie à la végétation. Les plantes naissent dans la terre et en tirent


de quoi s’alimenter ; elle leur permet d’exister et de se développer. Nous avons
nos racines en Dieu et on peut le comparer à un humus qui enfante et nourrit. Le
champ ne se confond pas avec la flore qu’il porte et sustente (il y a altérité), mais
les racines se mêlent étroitement à sa terre (il y a intimité).

La seconde évoque des édifices. Toute construction s’appuie sur des fondations ;
selon qu’elle est bâtie sur le roc ou le sable, la maison résiste ou non aux
tempêtes. Dieu établit et maintient, pose et porte toute existence. Il est fondateur
et fondement de tout ce qui est, ce que dit la doctrine de la création.

Cette image du sol nourricier et fondateur, à première vue paisible et rassurante,


a aussi un côté inquiétant et déstabilisateur. Elle nous fait prendre conscience de
notre fragilité. Être créé veut dire avoir besoin d’autre chose que soi pour exister.
Si les fondations ne nous soutiennent plus, nous nous écroulerons ; si le terroir
vient à nous manquer, nous dépérirons. Le sol qui rend possible l’existence peut
aussi tuer. Pensons à un volcan en éruption qui à la fois produit et détruit la vie,
féconde et ravage un pays. Dieu est certes réconfortant ; mais nous oublions trop
aujourd’hui ce dont l’Ancien Testament a fortement conscience : qu’il est
également redoutable. Paul Tillich l’exprime en associant souvent ground
(fondement) et abyss (abîme ou gouffre).

Puissance de vie
En nous et autour de nous, la vie et la mort ne cessent de s’affronter. Des forces
destructrices s’en prennent à notre être, le détériorent et tentent de le détruire.
La vie résiste, se défend, surmonte plus ou moins bien les attaques dont elle est
victime. Elle n’est pas un état statique, mais une dynamique. Dieu est la puissance
qui anime cette dynamique.

Ne confondons pas puissance et pouvoir. Le pouvoir s’exerce sur les choses et les
gens, la puissance dans les choses et les gens. On a souvent attribué à Dieu un
pouvoir absolu, ce qui conduit à des impasses spirituelles et à des absurdités
intellectuelles. La Bible dit, et l’expérience le confirme, que des forces
démoniaques opposées à Dieu œuvrent en nous et dans le monde. Affirmer que
Dieu est puissance, ne signifie pas qu’il dispose à son gré des choses et des gens,
ce qui le rendrait responsable des détresses et des malheurs, mais qu’il agit en
nous pour nous rendre capable de faire face à ce qui nous agresse.

Dans l’Évangile, les forces du mal n’auront pas le dernier mot. La puissance de
Dieu, puissance de vie, l’emportera dans le monde (avec le Règne qui vient) et
pour chacun de nous (avec la résurrection). Dieu n’est pas seulement le sol qui
porte, il est aussi la dynamique qui suscite de l’énergie et donne du courage. Sa
puissance nourrit une espérance qui combat le désespoir et la résignation.

Dieu personnel ?
« Être-même », « Fondement de l’être », « Puissance de l’être », ces formules de
facture philosophique ont donné à beaucoup l’impression que Tillich décrivait une
divinité impersonnelle très éloignée du Dieu biblique avec qui le croyant a une
relation de type « je-tu », selon les termes du philosophe juif Buber que Tillich
avait en haute estime.
Que Dieu ait des dimensions personnelles et qu’un échange entre personnes soit
un des aspects essentiels de la vie croyante, Tillich ne le nie nullement. Mais il
pense qu’on ne voit pas ce que Dieu représente et signifie vraiment pour nous si
on s’en tient là. Dieu, y compris dans sa relation avec nous, est aussi autre chose
et davantage qu’une personne. La Bible le suggère à plusieurs reprises. Ainsi
quand le psalmiste qualifie Dieu de rocher, lorsque Jean écrit qu’il est lumière,
amour et esprit ou que Paul déclare qu’en lui nous avons la vie, le mouvement et
l’être.
Pour Tillich, Dieu est pas infra mais suprapersonnel. S’il y a bien en lui du «
personnel », il n’est pas seulement une personne (le dogme trinitaire le dit à sa
manière).
En 1903, le pasteur Charles Wagner écrivait à Ferdinand Buisson : « L’expression
“Dieu vivant” est plus biblique que l’expression : “Dieu personnel”. Cette
formule… est totalement inconnue à la Bible … Dieu ne saurait être une personne,
mais est infiniment plus qu’une personne. »
A. G.

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