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Karl Rahner : une lecture inspirante pour une recherche théologique aujourd’hui.

Enjeux et
perspectives

Introduction

Dans notre société moderne et sécularisée, où progressivement nous sommes passés d’un
monde théocentré à un monde marqué par l’émergence de l’individu comme centre du monde ;
la liberté individuelle et la recherche d’autonomie ont été mises en exergue ainsi que le recul
critique face aux autorités quelles qu’elles soient, institution religieuse y comprise. Nous vivons
dans un monde qui ne reconnaît plus de référence religieuse commune, où Dieu semble absent,
où la croyance semble relever d’un choix purement individuel. Ainsi, la quête de sens, restant
néanmoins vive car chacun veut donner sens à sa vie, est généralement laissée à l’appréciation
de chacun qui puise dans les diverses manières qui lui sont proposées de quoi définir sa propre
croyance, valorisant l’expérience et les bienfaits que celle-ci lui apporte, voulant s’éloigner
d’une « croyance » qui oblige ou qui moralise, souhaitant développer sa propre spiritualité1
sans contraintes extérieures.

C’est au cœur de cette société dans laquelle nous sommes appelés à vivre et à témoigner,
dans ce monde en questionnement, que nous souhaitons prendre la parole, en termes de
recherche et de positionnement théologique, à partir d’un auteur, bien connu et très productif,
Karl Rahner, qui nous a marqué, de par son enseignement, ses réflexions et ses raisonnements
et qui nous inspire quant à la manière de « faire » théologie aujourd’hui ou en tout cas dans
notre propre réflexion théologique, qui demeure, ce que Karl Rahner a lui-même souligné, de
rendre compte du mystère insondable de Dieu aux hommes d’aujourd’hui, maniant la réflexivité
intellectuelle à une vie croyante, se posant avec ses contemporains les questions du monde qui
l’entoure, posant la question de Dieu sans la délier de celle de l’homme dans leur inexorable
énigme, posant l’a-priori d’un homme capable d’ouverture à la Transcendance et l’effectivité
de la Révélation déjà advenue.

Je ne suis pas un « homme de science ». Dans le travail scientifique que je fais, je


voudrais être homme, chrétien, et autant qu’il dépend de moi, prêtre de l’Eglise. […] En
tout cas, la science théologique comme telle m’a toujours laissé indifférent. Je voudrais
pouvoir espérer […] que cette obscurité et cette clarté indicibles que nous appelons Dieu,
et dans laquelle on doit se laisser tomber dans la foi, l’espérance et la charité, est ce vers

1
Il suffit de voir le fleurissement des livres de développement spirituel, de bien-être, d’aide à l’épanouissement
personnel,…
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quoi tend ma pensée […] et ce dont j’essaie de parler, même si ces paroles […]
m’apparaissent insensées comme cette « paille » dont Saint Thomas d’Aquin a parlé à la
fin de sa vie.2

Au-delà de la prime difficulté de la lecture des écrits de Karl Rahner, de par son érudition
et la complexité de son langage, nous avons été touché par ce théologien, homme de son temps
et du temps de l’Eglise, qui finalement nous marque dans notre propre expérience de « faire »
de la théologie, dans sa complexité quant au lien à maintenir entre l’ouverture à l’histoire, à
l’Histoire et une ouverture personnelle à la Parole de Dieu. Celle-ci se retrouvant dans nos écrits
bibliques, qui ne peuvent et ne doivent être lus sans lien avec un vécu personnel et spirituel (vie
de foi) et aux questions du temps et du monde qui l’entourent, ainsi qu’elle n’a de cesse de
répondre et de reprendre à frais nouveaux la question de l’homme et de l’Eglise et de leur
vocation à la conversion et à répondre à l’appel de Dieu.

Nous pouvons déjà entrevoir, par ses nombreux écrits, cette vision d’une Eglise au sein
du monde, qui ne fait pas fi du passé et de la Tradition dans laquelle elle s’inscrit mais qui
s’occupe des hommes d’aujourd’hui à qui elle a encore quelque chose à dire, se renouvellant
sans cesse en vue d’un futur accomplissement eschatologique ; tournant son regard sur la
double nature de l’Eglise3 de l’intérieur, permettant un regard critique, signe d’engagement et
d’humilité qui ne verse pas dans l’angélisme absurde ni ne se satisfait d’une « synthèse
atemporelle, inacapable de résister à l’usure du temps ou de parler du vrai Dieu à qui que ce
soit […] 4 ». Cette vision ecclésiale et théologique permise par un ancrage intérieur et se
questionnant du comment transmettre la foi, ose dès lors une parole pour et dans le monde dans
l’objectif de servir Dieu et de rendre compte d’une compréhension de son mystère pour tous,
présupposant que chacun peut entendre et percevoir une vérité théologique, si notre conviction
demeure que « Dieu peut et veut conduire au salut les autres hommes, moyennant sa
grâce cachée en Jésus-Christ, […] sur des chemins que Dieu seul connaît.5 »

2
K. RAHNER, Bekenntnisse, ed. Georg Sporschill, Wien-München, 1984, p. 58, cité par C. LOCHER, “Karl Rahner.
Théologie et expérience spirituelle”, dans Choisir, juin 2004, p.10.
3
Nous renvoyons, entre autre, à Lumen gentium.
4 B. BOURGINE, Karl Rahner, Existence presbytérale. Contribution à la théologie du ministère dans l’Église (coll.
OEuvres, 20), sous la direction de Christoph Theobald; Karl Rahner, Traité fondamental de la foi. Études sur le
concept du christianisme (coll. Oeuvres, 26), sous la direction de Évelyne Maurice et Olivier Riaudel, 2011, dans
Revue théologique de Louvain, t. 4, 2012, p. 574.
5
K. RAHNER, cité par C. LOCHER, “Karl Rahner. Théologie et expérience spirituelle”, dans Choisir, juin 2004,
p.12.
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Nous posons donc la question, avec Karl Rahner, de la transmission de la foi et par ce
questionnement et une réflexion sur et dans la Tradition, de son ancrage historique, de ses
différentes interprétations et finalement de son accès pour tout homme, puisque tout travail
théologique doit s’engager dans cette vocation première qui « est toujours la question de Dieu
et de sa venue auprès de l’homme.6 »

C’est ce lien anthropologique, philosophique et théologique donné par et dans le Christ,


Celui qui apporte absolument le salut, dont toute vérité procède et sur laquelle elle prend son
appui et son essor qui est la source de notre réflexion théologique, ce Dieu qui s’auto-
communique et cet homme qui a la capacité d’entendre tout en étant toujours limité par sa
propre finitude et ouvert par son expérience transcendantale toujours possible et permet alors
de reprendre la question de Dieu, jamais délier de la question de l’homme, de sa vie hic et hunc
afin de proposer une certaine vérité théologique, ou tout du moins une parole vraie sur l’homme
et sur Dieu, sur le chemin de l’un à l’autre et de l’alliance possible entre eux en toute liberté,
acquise par l’auto-compréhension de Jésus-Christ qui donne son propre témoignage demandant
à être reçu. Dans toute réception, il y a déjà œuvre d’interprétation puisque l’expérience de foi
demeure une expérience engageant l’homme dans sa totalité.

La nature de la vérité théologique, repose sur une notion d’interprétation,


d’herméneutique, qui fonde ses propos à partir du témoignage reçu et de la vie ecclésiale. Elle
ne garantit pas, même si l’Absolu est donné en vérité, de la vérité de l’interprétation. Elle n’aura
cesse de revenir à l’histoire, de revenir à la Parole donnée, tout en étant « ajustée » au temps
dans lequel elle est donnée, car si la vérité absolue a été rendue au monde par un témoignage,
qui reste à être interprété afin de devenir encore une parole de dévoilement ou de révélation qui
se donne toujours et qui est à entendre dans l’aujourd’hui de nos vies et de notre temps.
L’Ecriture est donc bien normative, car elle nous donne le témoignage des apôtres, elle demeure
à être interprétée dans le temps présent, la formulation dogmatique devant toujours être située
dans le temps et l’espace où elle est donnée.

Il faudra attacher beaucoup d’importance à [la forme sous lesquels les vérités de foi
sont énoncées] et travailler patiemment à son élaboration ; et on devra recourir à une façon
de présenter qui correspond mieux à un enseignement de caractère surtout pastoral. 7

6
H. VORGRIMLER, “La théologie du sacrement de pénitence chez Karl Rahner. Evaluation en perspective
historique”, dans la Maison Dieu, t. 214, 1998/2, p. 7-33.
7
JEAN XXIII, lors de l’ouverture solennelle du Concile, dans Documentation catholique, 1962, n° 1387, col. 1383.
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La Parole de Dieu, qui semble parfois bien absente des écrits de Karl Rahner est pourtant
dans notre analyse de son travail, le fondement de toute vie chrétienne, dont il regrette
d’ailleurs, nous semble-t-il, une lecture exégétique en recul d’une vie spirituelle tout comme il
dénonce un dogmatisme perdant son lien à la Parole incarnée, ce Verbe fait chair qui dans un
moment de l’histoire est venu révélé et accomplir le mystère même de Dieu.

Dans cette unité de la théologie, nous constatons à quel point il serait bon de (re)découvrir
le lien théologico-anthropologique qui nous ouvre les portes d’une vision théologique de
l’homme et nous fait découvrir « comment, sans chercher à dire quelque chose de l’ « en-soi »
de Dieu, mais à partir d’une trace de son « pour nous », Dieu se fait connaître aussi « en-soi ».8 »
Nous pourrons, dès lors, en tant que chrétien et théologien, revendiquer une parole au sein du
monde comme fruit de notre propre expérience et non comme parole uniquement dogmatique
et instituante, nous permettant d’emprunter un chemin d’humilité, ouvrant la perspective d’un
dialogue possible avec les autres car reconnaître que notre discours théologique est nourri de
notre expérience spirituelle et de notre foi, nous oblige à reconnaître l’autre vivant une
expérience également, différente de la nôtre, certes, mais équivalente car tout homme, chacun
pour sa part, construit dès aujourd’hui un chemin d’humanisation, par lui-même et avec les
autres.

L’homme est un être à la fois matériel et spirituel, doté de sens, mais aussi orienté
vers Dieu. L’homme est donc une unité structurée… ou en voie de structuration. Et cela se
manifeste de façon la plus évidente en ce qui lui est fondamental : sa liberté. […] Il est et
reste un être noble, toujours capable d’être interpellé.9

Si nous prenons au sérieux l’expérience « transcendantale10 » possible pour tout homme,


capax Dei, en tant qu’expérience susceptible d’une réelle connaissance de Dieu qui se donne à
connaître, nous souhaitons proposer deux réflexions éclairantes à partir du Traité fondamental
de la foi, sur la mort du Christ comme causalité de salut et une réflexion sur la liberté de
l’homme, qui nous semblent être particulièrement porteuses de sens pour l’aujourd’hui et par
lesquelles nous espérons rendre compte que c’est en Jésus-Christ, dans cette union hypostatique
pleine de mystères, que tout se joue. C’est, il nous semble, de cet a-priori que la christologie de
Karl Rahner se comprend comme une anthropologie absolument accomplie et une théologie

8
S. ROBERT, “Vocation actuelle de la théologie spirituelle”, dans Recherche de sciences religieuses, t. 97, 2009,
p. 73.
9
L. VAN HECKE, Le désir dans l’expérience religieuse. L’homme réunifié, Paris, Cerf, 1990, p. 114.
10
Pour reprendre les mots de K. RAHNER, Traité fondamental de la foi,
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absolument définitive ; cet événement salvifique en soi ne peut l’être dans nos vies qu’en
soulignant par ailleurs la capacité de l’homme à reconnaître l’expérience de salut qu’il peut
vivre, qui lui est donnée par Dieu qui, toujours, cherche et souhaite à entrer en relation avec
l’homme tel qu’il en est dans une liberté mutuelle significative.

Nous concluerons ensuite, de manière plus personnelle, par un regard porté sur le croyant,
capable de Dieu aujourd’hui dans son lien ecclésial et sociétaire.

L’interprétation de la mort de Jésus est cause de salut.

Considérer la mort comme œuvre de salut est au cœur de cette double prise au sérieux,
d’un Dieu libre et d’une homme libre et ces deux libertés se jouent au cœur du Christ, Celui qui
apporte absolument le salut, et ce n’est qu’à la lumière de ces deux affirmations que nous
pouvons interpréter la mort comme œuvre de salut c’est-à-dire un acte libre de Dieu, une
réponse libre de l’homme, qui permet une liberté libérée pour tout homme.

Nous mettons tout d’abord en avant la causalité sacrificielle de la mort de Jésus en vue
de la réconciliation de l’homme avec Dieu, convaincante pour comprendre la volonté salvifique
de Dieu, sa volonté de pardon ; celle-ci serait-elle indépendante de la mort elle-même ? Cette
causalité sacrificielle, défendable par ailleurs, n’est pas du point de vue de Rahner suffisante
pour ses contemporains, elle présuppose une certaine vision du sacrifice, qui, à l’époque du
Christ était liée avec l’idée de réconciliation avec Dieu et on pouvait donc en présupposer la
validité. Néanmoins, elle reste insuffisante pour penser l’articulation entre la mort du Christ et
notre liberté libérée par la grâce et demande dès lors plus de précision. Elle ne peut être
indépendante de la vision du Jésus prépascal en sa propre expérience d’être Celui qui apporte
absolument le salut et de l’interprétation qu’il aurait lui-même eu de sa mort comme sacrifice
expiatoire. Le salut est avant tout une initiative de Dieu lui-même, et il ne peut advenir que dans
l’accomplissement de la liberté propre à chacun. Cette causalité peut alors être comprise comme
un acte libre d’obéissance de Jésus, que Dieu, par sa propre initiative libre rend possible et c’est
en Jésus-Christ que ces deux libertés se rencontrent de manière à ce qu’elle soit pour l’homme
manifestation de ces libertés et donner ainsi à l’homme la possibilité de se tourner vers Dieu.

Le deuxième point vient développer cette autocompréhension que Jésus à de lui-même et


de l’autocompréhension de l’homme en général, qui nous amène à présupposer que l’histoire
est une et qu’ainsi le destin de l’un a une signification pour l’autre. Si Dieu prend l’existence
de l’homme au sérieux, son incarnation se fait dans la totalité de la vie humaine, y compris dans
sa finitude, c’est-à-dire que vie et mort sont liées et manifestent ensemble de la volonté
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salvifique de Dieu. Ce lien vie-mort possède une réalité quasi sacramentelle où le signifié (la
volonté salvatrice de Dieu), pose lui-même le signe (la mort de Jésus) et par lui se réalise lui-
même. « Nous sommes sauvés parce que cet homme, qui est des nôtres, est sauvé par Dieu, et
que par là, Dieu a rendu sa volonté salvifique historiquement réelle et irrévocablement présente
dans le monde. »

Ceci étant dit, l’acceptation de Dieu, dans son incarnation, de la vie humaine prise au
sérieux dans toutes ces dimensions nous amène à penser que dans l’Homme Dieu est accompli
et rendu possible de manière irrévocable l’Amour de Dieu et du prochain, et que cet amour doit
se concrétiser en amour de l’individu concret dans l’existence. Celle-ci ne pouvant être pensée
sans y inclure la mort, et une acceptation libre de l’homme et ici de l’Homme Dieu qui consent
au plus profond de lui-même à une réalité, fondement de son existence qui implique déjà le
consentement de la mort, et qu’au-delà du consentement se trouve déjà l’Alliance entre Dieu et
l’homme.

C’est dans l’histoire du salut entière que nous devons relire la mort de Jésus comme cause
de salut puisque cet événement de salut est absolu, il doit absolument articuler que Dieu mette
en œuvre cette histoire comme la sienne propre et qu’elle soit réalisée en liberté, et conservée
définitivement. L’unité vie-mort souligne cet aspect de Dieu qui prend chair dans l’histoire et
qui au-delà de sa propre histoire libère tout un chacun car l’histoire de l’homme est devenue sa
propre réalité.

Si on peut dire que le Logos qui prend chair est mort uniquement dans sa réalité humaine,
est-ce qu’elle touche Dieu ? car si celui-ci n’a pas de « destin » et ne connaît pas la mort ; en
Jésus-Christ, par l’Incarnation, il possède un destin et par la même, c’est dans notre propre mort
que Dieu vient à nous de façon radicale car Il s’est livré lui-même dans l’amour et comme
l’amour, dans la double acceptation de Dieu en l’homme et de l’homme en Dieu. Puisqu’en
Jésus cohabite l’autotranscendance et l’autocommunication de Dieu , la mort de Jésus fait
entièrement partie de l’autodiction de Dieu et nous ouvre l’accès à l’Eternité de Dieu.

Si Dieu souhaite un homme qui, dans sa concrétude, est l’ultime Parole de Dieu aux
hommes, que cette Parole est irrévocable est saisie dans l’histoire et pas seulement en espérance
transcendantale, si cette Parole ne peut être l’ultime que si elle s’impose victorieusement, et
donc qu’elle est avant tout accueillie en cet homme, dans son histoire une et totale, qui ne vient
à sa dimension définitive que dans la mort et n’est accomplie que lorsque la réponse de l’homme
est accueillie et parvenue à Dieu (lors de la résurrection) ; alors cette Parole de Dieu est

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librement accomplie dans la vie de Jésus et s’accomplit par la mort librement accueillie,
accomplie en libre obéissance et remettant sa vie à Dieu ; et est dès lors authentifiée comme tel
historiquement dans la résurrection.

La liberté, acte irréversible

La liberté, comme acte irréversible, symbolise l’articulation entre l’irréversibilité de


l’auto-communication de Dieu et l’irréversibilité de la réponse humaine tenant compte des
conditions de possibilités permettant une prise de choix catégoriaux dans la concrétude de
l’existence non suffisants mais déjà signes de son accomplissement puisque elle engage la
reconnaissance pour chaque homme d’être donné à lui-même.

La liberté est avant tout un don de Dieu et ne peut se comprendre sans cette articulation
entre le Mystère absolu de Dieu et le mystère de l’homme, celui qui est remis face à lui-même
afin de se connaître dans une possibilité transcendantale de reconnaître la présence de Dieu,
afin de se poser la question de sa propre existence et du sens de cette liberté, question totale de
lui-même face à soi en lien avec la question totale de Dieu.

L’irréversibilité de la liberté est avant tout celle de Dieu, créateur, sans condition ni
nécessité, qui permet de comprendre l’homme, en sa condition de créature, dans sa totale
énigme capable dans une expérience transcendantale de comprendre comment Dieu vient à lui
afin de rétablir l’homme dans ce qu’il est au plus profond de son être, c’est-à-dire celui qui est
ajusté en dépendance foncière et radicale à cet Etre qui fonde la transcendance et qui fonde
l’homme dans sa capacité à user de sa liberté, entrant dans un mouvement dynamique
d’ouverture à l’infini, tout en étant un être de relations dans la concrétude et la finitude de son
historicité.

Le potentiel de la liberté est ainsi donné comme une capacité de s’interroger sur soi-
même, de s’auto-déterminer en autonomie et responsabilité, engageant son être tout entier
déterminé dans sa contingence et ouvert à son éternité, permettant de s’engager dans la question
de toute son existence, qui n’est jamais indépendante de l’inscription dans l’histoire universelle
et de la co-condition humaine et de son impact sur l’existence ici et maintenant.

La liberté, certes - même si elle s’affirme dans la temporalité de l’histoire -, comporte


un acte unique, non réitérable, l’autoréalisation du sujet un lui-même, qui, toujours et
partout, doit passer par une médiation objective, mondaine et historique, des actes

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singuliers, mais c’est l’unité qu’elle signifie et l’unité qu’elle accomplit : le sujet un dans
la totalité non réitérable de son histoire.11

Tout acte de liberté, dans la concrétude de l’existence, est réitérable, conditionné par
l’existence même de celui qui le pose comme être exposé à la nécessité, il n’en demeure qu’il
se situe au cœur d’un mouvement d’accomplissement de l’homme en vue de sa propre destinée
et porteur d’une liberté dont l’inconditionnalité est donnée par l’expérience transcendantale de
celle-ci et du don absolument libre de Dieu, qui permet à l’homme, en toute liberté, de s’engager
dans son auto-compréhension permise par l’auto-communication divine demeurant entièrement
libre.

C’est seulement parce que cet horizon de transcendantalité absolue, c’est-à-dire


« Dieu », est le ce-à-partir-de-quoi et le ce-vers-quoi de notre mouvement spirituel que
nous sommes des sujets et donc libres.12

La contradiction absolue de la liberté, comme don irréductible qui va au bout de sa


logique d’irréductibilité, est que, finalement, cette même liberté permet le refus de se recevoir
soi-même comme donné ; en refusant cette liberté comme don transcendantal, l’homme jouit
toujours de sa liberté, dont il dispose comme sujet concerné, comme tel et comme tout, porté
vers Dieu qui en est l’origine, en vue de son destin comme accomplissement de son existence,
immédiatement et radicalement portée par l’auto-communication de Dieu.13

Le libre agir divin est alors légitimé par un sujet libre et responsable et accompli en Jésus-
Christ. L’irréductibilité de la liberté se laisse voir dans un événement de l’histoire, en Jésus-
Christ, dans lequel l’auto-communication transcendantale de Dieu comme offre de liberté,
trouve la réponse libre de l’homme libre, qui se reçoit et se donne en retour, « le salut chrétien,
c’est Dieu se donnant librement par amour pour être reçu librement et par amour.14 »

Conclusion

En terme de conclusion, Karl Rahner nous apprend la rigueur à acquérir dans notre travail
théologique, également de ne jamais oublier que nous n’avons pas à combler le vide de la
question de Dieu en oubliant son mystère qui se donne à connaître ni la capacité de l’homme,

11
K. RAHNER, Traité fondamentale de la foi, Paris, Cerf, 2011, p. 114-115.
12
K. RAHNER, ibid., p. 118.
13
Librement inspiré de K. RAHNER, ibid., p. 120-121.
14
B. BOURGINNE, dans B. BOURGINNE, J. FAMERÉE, P. SCOLAS, Dieu au risque de la religion, Academia, Louvain-
la-Neuve, 2014, p. 169.
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capax Dei, capable de trouver en lui, en mêlant son expérience de cœur et ses connaissances,
ce Dieu qui se révèle librement et qui nous engage à toujours le chercher.

« La foi demeure une proposition de sens15 » pour le « quiconque16 » selon le vocable


utilisé par Christoph Théobald, à qui l’Eglise doit pouvoir offrir « les moyens de symboliser les
moments essentiels de leur existence17 » non comme un self-service ou un service public qui
répond aux demandes sans questionnements et sans valeurs ; comme le suggère le Pape
François, il est question de réveiller « le désir de l’idéal chrétien, l’impatience de répondre
pleinement à l’amour de Dieu et la soif de développer le meilleur de ce que Dieu a semé dans
sa propre vie.18 »

Si nous présupposons que nous avons une relation personnelle et possible avec Dieu et
tenant compte de l’homme dans son intégralité, il nous est admissible que d’autres aient
également une relation avec Dieu, que cette expérience « transcendantale », pour reprendre les
termes de Karl Rahner, est possible pour tout homme qui, par sa nature humaine, est ouvert à
la transcendance, et qu’elle permet une réelle connaissance de Dieu. Cette expérience de vérité
peut dès lors être portée au langage, engageant celui qui tente d’y mettre des mots, à dire
« vrai », c’est-à-dire à partager sincèrement cette rencontre personnelle, originelle de Dieu, qui
touche au cœur et qui demeure, nous semble-t-il, un don que Dieu nous fait. Son expression ne
sera jamais le « tout » de Dieu qui ne saurait être enfermé dans nos catégories humaines, auquel
cas nous ne reconnaîtrions plus à Dieu lui-même de se donner librement de manière restant
toujours mystérieuse à nos yeux, engageant le croyant dans une attitude de « vigilance, [celle]
du serviteur tendu vers le retour du maître,19» permettant de ne jamais s’auto-enfermer dans
nos propres compréhensions d’une Vérité donnée.

Si, en Jésus-Christ, la Vérité est donnée une fois pour toutes afin que tout homme
découvre la vérité et qu’elle soit, pour lui, semence de liberté, elle demeure en advenir de son
accomplissement, dans les paroles et les actes que tout homme est capable d’accomplir, si nous
reconnaissons en lui, l’homme, capax Dei, qui souhaite, dans un élan de sincérité, partager ce

15
A. BORRAS, Paroisses et familles. Pour une pastorale de la réciprocité, Paris, Médiaspaul, 2019, p. 87.
16
Ch. THÉOBALD, Urgences pastorales. Comprendre, partager, réformer, Montrouge, Bayard, 2017.
17
Ch. THÉOBALD, Urgences pastorales. Comprendre, partager, réformer, op. cit., p. 367.
18
FRANÇOIS, Evangelii gaudium, n° 171 b.
19
S. WEIL, Attente de Dieu, Paris, Editions Fayard, 1966, Édition numérique réalisée le 3 mai 2007 à Chicoutimi,
Ville de Saguenay, province de Québec, Canada, 4ème de couverture.
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qu’il a expérimenté au plus profond de sa conscience et dont nous ne pouvons juger de prime
abord que ce n’est pas une expérience de Dieu.

L’Eglise propose dès lors à tout homme une « vision » de l’existence chrétienne, ou tout
du moins une « voie », un « style », selon la formule de Christoph Théobald,20 dans un regard
qui tente d’être actuel et qui prend appui sur la Tradition dont elle hérite. Elle tente de garder
certains repères, de proposer un « modèle 21», qui se doit d’être dynamique et vivant, entre le
souci du présent et la mémoire du passé, entre le respect de la liberté de chacun et la proposition
pour tous. Si la liberté humaine qui, dans son acceptation chrétienne, est « promesse contenue
dans la grâce de Dieu […] comme avènement d’un sens qui […] accomplit22 » cette liberté, elle
est fondée « dans la grâce qui appelle à la communion surnaturelle avec Dieu23 », fruit du salut,
en tant que libération et de l’individu et de la communauté, 24 jamais l’un sans l’autre. Elle
engage dès lors cette communauté, tenant compte des individualités, à chercher à mettre des
mots sur cette question de Dieu et proposer une homologia, une formulation de foi collective
enrichie des expériences personnelles de rencontre avec Dieu.

Dieu s’est fait homme et par son incarnation il a révélé à l’homme sa capacité de vivre
une expérience avec Lui ; celui qui cherche Dieu, qui désire le connaître et pénétrer son mystère
pour l’aimer, de part sa nature de créature 25 , a en lui les possibilités d’une rencontre
transcendantale qui le dépasse et va au-delà de sa finitude et de sa concrétude26. Ce présupposé
de Dieu en l’homme nous permet de comprendre que c’est dans l’expérience personnelle et
humaine que cette rencontre se passe ; et cette relation possible est déjà sacrement d’un Mystère
donné hors d’une conceptualisation, un au-delà de cette expérience, qui nécessite de faire le
vide en soi pour y laisser la place à l’Autre, se tournant vers la Source révélant et questionnant
l’être humain dans son rapport à lui-même et aux autres.

20
Ch. THÉOBALD, Le christianisme comme style, Paris, Cerf, 2007.
21
C’est à dire : « ce qui est donné pour servir de référence, de type » définition du Petit Larousse.
22
W. THÖNISSEN, “article liberté, partie théologie systématique”, dans J-Y. LACOSTE, Dictionnaire critique de
théologie, Paris, PUF, 2007, p. 784.
23
W. THÖNISSEN, article « liberté, partie théologie systématique », op. cit., p. 785.
24
“sans perdre de vue le salut des âmes qui doit toujours être dans l’Eglise la loi suprême” c.1752, CIC, 1983.
Nous soulignons “des âmes” et non de l’âme, le salut n’est jamais pour l’individu seul mais il est articulé au salut
de tous. Voir à ce sujet, L. VILLEMIN, “Théologie d’une canonicité privilégiant le salut des âmes”, dans L’année
canonique, t. 54, 2012, p. 225-235.
25
Dans le sens où l’homme est créé par Dieu, il n’est pas le fruit d’une auto-suffisance.
26
Nous distinguons « finitude » par lequel nous entendons la condition de l’homme dont la vie a une fin inéluctable
la mort qui fait partie de sa vie et « concrétude » par lequel nous entendons que l’homme vit dans l’histoire, dans
un temps et un espace donné.
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Il n’y a pas d’autre désir et d’autre élan pour le théologien que celui de rendre compte et
de faire progresser chacun et tous dans la connaissance du Mystère de Dieu.

[…] nous, théologiens, nous n’arracherons aucun avenir pour la théologie en


essayant de deviner avec angoisse si elle en a un. C’est en faisant de la théologie que nous
bâtirons cet avenir -contre toute probabilité s’il le faut- en en faisant par amour pour les
hommes, pour qui elle est censée être une lumière, et parce que nous voulons servir Dieu,
qui nous a envoyés sur ce chemin où se fait la théologie afin que peut-être nous le
trouvions.27

27
K. RAHNER, Cité par J-C. PETIT, “Quel avenir pour la théologie?”, dans Théologiques, t. 14 (1-2), p. 33.
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