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La liberté solipsiste : au-delà de la querelle entre des anciens et des modernes

Bonjour à tous. Je voudrais bien remercier les organisateurs du colloque pour


m’avoir invitée à participer. Je m’excuse si mon français oral n’est pas facile à comprendre.
Il ne s’agit pas évidemment de ma langue maternelle et je manque d’entraînement.
Après cette captatitio benevolentiae, je commence. Dans le contexte actuel, lié à la
pandémie de la Covid 19, on sent que nos certitudes ont presque disparues. Les rituels de la
vie quotidienne ont changé, nos corps ne nous semblent pas tout à fait nôtres, et les mots
avec lesquels on exprime des idées et des émotions ont même modifié leurs sens. Les
concepts politiques ont souffert l’effet de cette situation. Et, parmi eux, il y a un qui
m’attire particulièrement et que dernièrement on peut trouver dans la bouche de tous, même
aussi des hommes politiques qu’avant ne la nommaient pas jamais : la liberté.
Sabrina Moran a bien nous parlé des « usages » de la liberté dans le champ
intellectuel argentin pendant les derniers mois. Le point de vue de mon exposé c’est plus
« abstrait ». En tout cas, je me demande si la liberté dans le monde contemporain est
condamnée à être sur la défensive ou elle peut devenir la colonne centrale d’un projet
d’émancipation collective. Et pour répondre cette question je présente mon argument en
trois moments. D’abord, je vais parler des types de libertés plus reconnues dans la tradition
de la pensée politique : la liberté des anciens ou positive, la liberté des modernes ou
négative. Je vais aussi mentionner la troisième voie des républicains ou plutôt le point de
vue des néo- républicains : la liberté comme synonyme de la non domination. Ensuite, à
partir un brève comparaison des abordages de la liberté chez Hannah Arendt et Judith
Shklar, je vais identifier les limites des typologies énoncées précédemment. Et finalement,
je vais introduire une conception de la liberté que j’ai appelé « solipsiste ». Il s’agit d’un
sens de la liberté prédominant parmi citoyens argentins embêtés par mesures
gouvernementales pour éviter la propagation du coronavirus. Cette liberté, attachée à
l’isolement, ignore les rapports intersubjectifs, grâce auxquels l’action politique a lieu. Le
défit c’es est de concilier dans le concept de liberté politique des notions de mouvement,
autonomie, individu et communauté.

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Il semble que la dichotomie entre deux libertés, une propre de peuples anciens,
associée au cités ou républiques petites en extension, à un économie agraire et d’esclavage,
et à la participation directe dans le gouvernement, et une autre caractéristique des sociétés
modernes, dont le commerce, l’individu et la vie privé sont plus importantes que la
communauté, est auto évidente. Cependant, au moment où Benjamin Constant parle de ce
sujet, en 1819, cette distinction est, selon lui une nouveauté :
Je me propose de vous soumettre quelques distinctions, encore assez neuves,
entre deux genres de liberté, dont les différences sont restées jusqu’à ce jour
inaperçues, ou du moins trop peu remarquées. L’une est la liberté dont l’exercice
était si cher aux peuples anciens ; l’autre, celle dont la jouissance est
particulièrement précieuse aux nations modernes. Cette recherche sera
intéressante, si je ne me trompe, sous un double rapport.

Plus d’un siècle après, Isaiah Berlin reprend cette dichotomie et la renomme. Je cite
Berlin : « Quel est le champ à l'intérieur duquel un sujet -individuel ou collectif - doit ou
devrait pouvoir faire ou être ce qu'il est capable de faire ou d'être, sans l'ingérence
d’autrui ? » Voilà pourquoi, même si le panthéon libéral du philosophe anglais d’origine
russe est composé par auteurs comme John Stuart Mill ou Alexis de Tocqueville, il
considère, comme Quentin Skinner, que le créateur de la liberté compris comme non
interférence c’est Thomas Hobbes. Par rapport à la liberté positive, Berlin met l’accent sur
un aspect intéressant qu’affecte autant les individus que les collectivités : l’autonomie de
l’action.
Benjamin Constant a été un auteur très lu par les politiques et penseurs de la
politique en Argentine au XIX siècle. Mercedes Betria connait bien Juan Bautista Alberdi
qui était admirateur de la notion du pouvoir neutre du lausannois. Dans son conférence de
1879 L’omnipotence de l’État est la négation de la liberté individuelle (un titre très attirant
pour les libertaires contemporains) il nomme régulièrement La cité Antique de Fustel de
Coulanges, ouvrage inspiré par la distinction constanniene entre la liberté des antiques et
celle des modernes. Alberdi n’a pas perçu un aspect sur lequel autant Constant que Berlin
insiste : les deux concepts de liberté sont politiques, même si on tient à lier la liberté
négative seulement au droits civiles. Et cet aspect est bien négligé par la plupart des

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lecteurs de Benjamin Constant et Isaiah Berlin sauf l’exception d’Hannah Arendt que je
mentionnerai à continuation.
Les philosophes et historiens intellectuels néo-republicains comme Philip Pettit,
Quentin Skinner ou Jean Fabien Spitz critiquent les insuffisances du libéralisme comme
tradition politique en mettant l’accent sur les notions de liberté. Pour Pettit il existe un
troisième concept de liberté que l’antinomie négative-positive cache : la liberté républicaine
qui s’oppose à la domination. Cette type de liberté fait valoir de l’autonomie sans exiger la
participation politique directe des citoyens dans des affaires publiques. Skinner, de sa part,
n’est pas aussi obsède que Pettit par la différence entre interférence arbitraire (domination)
et non arbitraire (acceptable pour le républicanisme). Son but c’est la conciliation de la
liberté personnelle et celle de la communauté qui n’implique pas seulement l’autonomie de
la collectivité par rapport aux autres autres unités politiques mais aussi l’existence d’un
régime politique non oppressive et avec un citoyenneté active. C’est le rapport entre
securitas et libertas que Machiavel et Spinoza ont bien souligné.
Dans son livre De la Révolution Hannah Arendt affirme « la liberté politique dans
son sens le plus large signifie participer dans le gouvernement ou ne signifie pas rien »
(chap.6). Voici la raison pour laquelle on considère Arendt la championne de la liberté
positive, de racines anciennes. Cependant, elle ne néglige pas la liberté personnelle,
inhérent au mouvement mais aussi aux limites au pouvoir politique qui prétend envahir
toutes les sphères de la vie. Presque à la fin de Les origines du Totalitarisme Arendt,
prenant inspiration de Montesquieu Arendt constate que « la grandeur, mais aussi la
perplexité des lois dans les sociétés libres, est qu'elles disent seulement ce que l'on ne doit
pas faire, mais jamais ce que l'on doit faire » De plus, dans les dernières pages De la
Révolution on dit que la liberté de la politique, c’est à dire la décision de s’auto exclure ou
non de la participation dans la vie politique est, parmi des libertés négatives, la plus
importante et que les anciens, grecs et romains, ne la connaissaient pas. Donc, les libertés
négatives sont chères et nécessaires dans un gouvernement modéré. Ces libertés sont encore
plus politiques qu’elles semblaient au début du livre que Hannah Arendt a écrit pour rendre
hommage a la seule révolution qui a été capable de fonder la liberté et de construire des
institutions durables sans dépasser le cadre du droit.

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Même si Arendt revendique la république qui les pères fondateurs des États Unis
ont établi avec les actions et paroles en 1776, elle ne définit pas la liberté de la même façon
que Pettit. Elle insiste sur l’autonomie aussi individuel que communautaire. Pour Arendt la
liberté est synonyme de pouvoir, et le pouvoir est l’action qui éclate quand les êtres
humains partagent une espace publique où ils peuvent montrer leur singularité. Si
l’abordage arendtienne de la liberté est plus proche de la position de Skinner, c’est parce
tous les deux admirent Machiavel, même s’ils soulignent des aspects différents de la pensée
du florentin. Cependant, le concept de liberté qu’Arendt nous a légué ne peut pas se réduire
ni à la dichotomie négative et positive ni à la troisième voie néo-republicaine qui rejette des
éléments du libéralisme qu’Arendt valorise.
Grâce au « Libéralisme de la peur », un des ses textes les plus célèbres , ce qui se
sont occupé de la pensée de Judith Shklar tient à la qualifier comme une défenseuse de la
liberté négative Pourtant, dans la page 29 de cet essai, Shklar renie de la théorie morale sur
laquelle le concept de liberté négative de Berlin repose. En 1957, Judith Shklar a écrit,
Après l’utopie. Le déclin de la pensée politique. Dans ce texte, on peut percevoir
l’influence du contexte, le commencement de la guerre froide que on peut aussi constater
dans la conférence où Berlin actualise la dichotomie de Benjamin Constant entre la liberté
des anciens et celle de modernes. Or, dans son premier livre Shklar ne dédie pas une
réflexion spécifique à la liberté. Il faut attendre aux années soixante, soixante dix et quatre
vingt quand elle compose un trilogie, destiné à commenter les écrits de Jean Jacques
Rousseau, la Phénoménologie de l’esprit de Friedrich Hegel et la pensée politiques de
Montesquieu. Du livre appelé Montesquieu on a extrait la citation suivante : « Selon
Montesquieu (la liberté) ce n’est pas l’Independence de faire ce qu’on veut mais la
condition qui permet que les gens sentent que leur personne et leur propriété sont sûres.
Liberté (freedom) c’est le résultat d’un tas de accords institutionnels qui protègent le peuple
des inclinations oppressives de ce qui gouvernent et, en dernière instance, de l’agression
mutuelle »
Même si Shklar considère à la liberté comme une limite à l’abus du pouvoir, elle ne
la réduit pas au rejet d’ interférence, l’arbitraire ou non. Le problème c’est l’injustice. Voilà
pourquoi Judith Shklar pose son regard sur les victimes avec un engagement que les
défenseurs de la liberté négative et ceux de la voie néo-républicaine manquent. La liberté

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est associée aux régimes politiques modérés, c’est à dire non despotiques et à l’autonomie
de la pensée. Cette autonomie n’existe pas sans des pouvoir publiques que respectent les
droits civiles et politiques et garantissent les gens puissent se gagner la vie dignement.
Donc, on ne peut pas réduire les conceptions de la liberté de Hannah Arendt et
Judith Shklar au types négative, positive ou républicain. Pour toutes les deux, la liberté
c’est pouvoir, car la loi et la justice apparaissent quand non agit ensemble. La liberté est
attachée au mouvement mécanique des corps, mais aussi à l’action dans un sens
phénoménologique.
Pendant la pandémie de la COVID-19, quelques citoyens des pays qu’on pourrait
qualifier comme des démocraties libérales ou des États de droits oligarchiques- selon la
terminologie de Jacques Rancière- ont critiqué les gouvernants qui ne cessent d’interférer
dans les aspects les plus privés de leur vie quotidienne. Ce sentiment a provoqué un
refus des politiques de soins, qui peut sembler un peu égoïste par rapport au bien commun.
Pourtant, il est vrai aussi que quand « ce qui détient le pouvoir de l’État viole ou néglige les
lois qu’il a lui-même édictées », comme l'affirme Spinoza dans chapitre quatre du Traité
Politique, l’indignation du peuple est bien justifiée. C’est vrai que comme a bien constaté
mon chère amie Julie Saada que dans des démocratiques c’est le peuple le vrai souverain.
Or, dans des démocraties présidentielles, les chef d’état ont rôle qui n’est pas négligeable,
particulièrement quand ils ont appelé au pouvoirs extraordinaires pour gérer une crise.
C’est le cas de l’Argentine, par exemple. Et quand un président respecte les normes dictés
pour éviter la propagation du coronavirus, l’impact sur la crédibilité de sa figure est forte.
Ce qui considèrent que les États n’ont pas seulement le droit mais aussi l’obligation de
protéger la communauté et les vies de ces membres avant des autres droits, allègent que la
liberté personnelle est impossible sans un ordre politique autonome qui la contient. Il s’agit
d’un argument républicain semblable à celui de Skinner.
On se trouve dans une scène qui réactualise la querelle entre la liberté positive ou
républicaine des anciens et celle négative des modernes ? Nous sommes face au un nouvel
type d’être humain, dont son corps est écarté des autres, même quand il participe des
activités qu’exigent le partage d’un monde en commun comme la politique ou le débat
intellectuel. Cet Ens pandemicum, si vous me permettez le néologisme latin, est obligé
d’agir à travers d’un écran et de montrer aux autres pas son daimon mais les coins les plus

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cachés des lieux où il habite. Donc, la différentiation entre la vie publique et la vie privée,
si cher aux traditions libéral et républicain, tient à disparaître. Dans ce contexte, la liberté
solipsiste émerge. Elle n’est pas, bien sûre, une liberté politique dans l’approche antique,
positive ou arendtienne du terme. La liberté solipsiste n’est pas non plus une liberté de type
négative. La conception hobbesienne de la non interférence suppose une théorie du
mouvement qui exige la coprésence des corps différents dans un même espace. Par contre,
la liberté solipsiste n’accepte pas aucune restriction aux prétentions des individus. A
différence du libéralisme de la peur de Shklar, la liberté solipsiste ne s’occupe pas de la
souffrance d’autrui.
D’après Hannah Arendt « la liberté n’arrive pas à ceux qui ne peuvent pas satisfaire
leurs nécessités mais non plus à ceux qui veulent vivre d’après leurs désirs » La liberté
« solipsiste » est une conception pas seulement contradictoire avec la liberté positive,
négative ou républicaine mais aussi avec l’idée même de la liberté. Or, pour conclure d’un
façon moins pessimiste, je vais nous rappeler une phrase de Patrice Vermeren:
l’émancipation n’est pas le résultat des luttes politiques pour l’obtenir-mais ce qui éclate
tandis qu’on lutte. Le sens de la liberté dans les temps de COVID dépend de nous. Et si on
cesse de la revendiquer comme un synonyme pouvoir, d’action, d’autonomie,
d’émancipation, ce qui n’aiment pas que dominer aux autres, ce qui ne désirent pas que
contrôler les vies des autres mais que personne n’interfère avec eux, imposeront un concept
de liberté qui ne sera pas compatible avec politique elle même.

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