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totalitarisme
a) Un concept qui demeure pertinent, qu’il faut vider de son contenu polémique
(Pas nouveau, déjà présent dans l’historiographie d’EDG, mais jamais mis en relation)
b) TRAJECTOIRE :
Le « ventennio fascista1 »
Giovanni Amendola (libéral), Totalitarisme, 1923.
Le Terme est repris et conceptualisé par Hannah Arendt, 1952. Attention à l’anachronisme
donc.
L’historiographie la plus dynamique sur le « ventennio » fasciste (Emilio Gentile) montre que
le régime de Mussolini a été la première manifestation originale et revendiquée du
totalitarisme (sans improvisation ni tâtonnements), avec une idéologie qui fut la
rationalisation la plus complète de l’Etat (Emilio Gentile), un parti unique qui réussit à
encadrer dans ses organisations près de 27 M d’Italiens, un programme cohérent de
révolution anthropologique qui se développa en régime d’Etat, « la voie italienne du
totalitarisme » a constitué un modèle européen.
Ici, tout démontre que la terreur de masse n’est qu’une modalité du totalitarisme, pas son
« essence » comme le voulait Hannah Arendt.
L’expérience soviétique
Pour l’histoire soviétique, M. Gauchet s’inscrit dans une historiographie « révisionniste » de
première génération (Moshe Lewin) qui impose l’idée d’une « révolution par le haut »
stalinienne qui rompt sous le poids des circonstances avec les autres possibilités de la
période léniniste. Même si le point de vue est contredit lorsque l’organisation léniniste est
présentée comme l’invention génératrice de la logique totalitaire.
Le cas du nazisme
(Le cas qui peut ébranler un modèle fondé sur la comparaison, du fait de ses singularités
fortes)
Question : le point d’aboutissement unique qu’est la Shoah suffit-il à mettre l’expérience
nazie à part ? (cf. polémique autour du parallélisme effectué par Stéphane Courtois).
Gauchet insiste sur plusieurs éléments :
-la fermeté et la précocité d’une identité idéologique plus fortement investie que les autres
par les mythes (bien décrit par Johann Chapoutot dans le nazisme et l’antiquité, PUF, 2012)
-la nature singulière de sa volonté d’expansion fondée sur un peuple-race dominateur
-son insertion dans l’espace démocratique (son rapport de contiguïté, de voisinage avec la
démocratie : plébiscites, pas de suppression formelle de la constitution de Weimar). S’inspire
des travaux de Claude Lefort ou de Jacob Talmon (1952, traduit en 1965). Gauchet reprend
1
De la prise de pouvoir de Mussolini en 1922 à la fin de la dictature fasciste en 1943.
l’exploration de la « démocratie totalitaire » (que Talmon appliquait dans sa version de
gauche) au nazisme.
Et Gauchet indique que l’une des grandes dynamiques du nazisme est de « submerger la
légalité par l’unanimité » (avec le Furher comme « incarnateur structurel »)
Dans un discours du 23 avril 1937, Hitler affirme que le Furherstaat constitue la « plus belle
des démocraties » précisément parce qu’il considère que le peuple allemand s’incarne en sa
personne (confirmé par l’unanimisme des plébiscites organisés par le régime dès le 12
novembre 1933, lorsque qu’il juge que la « révolution » est achevée)
Cf. En 1926, Carl Schmitt, en pleine dénonciation du système de Weimar considère que le
fascisme et le bolchévisme sont certes anti-libéraux, comme toute dictature, mais pas
nécessairement anti-démocratiques : il considère ces systèmes capables de créer « une
démocratie immédiate au sens non seulement technique mais vitale » (former la volonté du
peuple et créer une homogénéité)
Cf. A cette époque en France (marquée par la crise du régime représentatif), les régimes
totalitaires sont parfois qualifiés de « démocratie absolue » (Louis le Fur) ou de
« démocraties massives » (George-Guy Grand), de « démocratie de substance et de fond »
(François Perroux)
Pris lors de l’exposition Entartete Kunst organisée en 1937 à Munich par les nazis, ce cliché
du mur sud de la salle n° 3 semble appartenir à un ensemble de plusieurs photographies
retrouvé dans les archives des musées d’État de Berlin en 1990. En l’état actuel des
recherches, leur auteur n’est pas connu. C’est cependant à l’aune de cette découverte, bien
que la manifestation ait été un évènement majeur de la politique culturelle nationale-
socialiste, que l’identification des œuvres présentées lors de cette exposition a été rendue
possible.
Dès l’accession au pouvoir en 1933 d’Adolf Hitler, de virulentes attaques sont sans cesse
formulées contre les recherches picturales initiées dans les années 1910 par les artistes
expressionnistes allemands, qu’ils appartiennent au courant Die Brücke, der Blaue Reiter ou
au mouvement dada. Souhaitant s’éloigner des représentations traditionnelles de l’art, ils
proposent des langages esthétiques nouveaux et variés dont certains semblent amplement
s’inspirer des arts primitifs africains comme du cubisme. Une condamnation qui concerne
tous les mouvements artistiques apparus à partir de 1910, regroupant des courants aussi
divers que l'expressionnisme, le cubisme, le futurisme, le dadaïsme... Ces œuvres s'éloignent
de l'art figuratif traditionnel et vont parfois jusqu'à l'abstraction. Elles laissent place à la
subjectivité de l'artiste et rompent avec les règles de la perspective héritées de la
Renaissance. La date de 1910 est d'ailleurs symbolique : cette année-là, Kandinsky expose la
première toile abstraite, le terme « expressionniste » fait son apparition dans la critique et
Berlin devient la scène artistique de l'avant-garde moderne.
Par opposition à l’art « héroïque » officiel, des œuvres néo-classiques produites par des
artistes de race « pure » (et qui en tant que tels, transmettent naturellement leur pureté
génétique à leurs créations picturales), l’art « dégénéré » tel que le présente Goebbels est le
fruit d’artistes d’extraction inférieure (c’est-à-dire de Juifs, qui sont d’ailleurs mélangés avec
les bolcheviks dans la propagande du régime), qui produisent donc des tableaux déformés,
corrompus, loin de l’idéal musculeux et hygiéniste d’un Arno Breker.
Afin d’appuyer sa théorie du déclin de la race et de la culture, le IIIème Reich se saisit du
domaine artistique en enlevant 20 000 œuvres de musées allemands, puis en en
sélectionnant quelques 730 qui auront survécu aux destructions diverses, et en chargeant
Goebbels de les mettre en scène.
Le ministre à l’Éducation du peuple et à la Propagande organise donc, en juillet 1937 à
Munich, une exposition où l’on exhibe les œuvres « dégénérées » à la curiosité du public
avec moultes exergues fleuries : Max Beckmann , par exemple, est d’une « insondable
saleté ». Picasso et Chagall, car les peintres étrangers n’échappent pas à l’eugénisme
artistique du Reich, sont également cloués au pilori.
l’exposition Entartete Kunst, est visitée par environ trois millions de visiteurs (finit par
inquiéter les pouvoirs publics) au cours d’une itinérance de quatre années en Allemagne et
en Autriche.
Cette photographie, par sa composition, est assez peu lisible, bien qu’elle soit extrêmement
graphique. Elle représente une vue de l’exposition Entartete Kunst organisée à partir du 19
juillet 1937 à Munich ; la mise en scène, pourtant savamment orchestrée, inspire
immédiatement l’incompréhension puis, très vite, la désapprobation du visiteur.
L’accrochage à l’anglaise des œuvres, loin de les mettre en valeur, les étouffe en supprimant
leur lisibilité. Pour chacune d’entre elles sont indiqués son prix d’achat en Reichsmarks, son
année d’acquisition et l’institution muséale allemande qui s’en est portée acquéreur. Il s’agit
là encore de susciter l’aversion du public, en mentionnant l’énormité des sommes des
acquisitions, dans le contexte économique difficile des années 1920.
INTERPRÉTATION
L’Art et la Race
Les nazis mettent en scène, lors de cette présentation publique, leur combat pour éliminer la
« souillure de l’étranger » afin de mettre en lumière la pureté de l’âme allemande. Le visiteur
a d’ailleurs la possibilité de visiter l’exposition de l’art officiel à la Maison de l’Art allemand,
pendant de l’exposition Entartete Kunst, dont la muséographie aérée, classique et rythmée
montre des corps athlétiques de guerriers disposés en regard des beautés classiques du
Phidias d’Hitler : le sculpteur Arno Breker. Par cette manifestation de Munich, le visiteur
semble avoir la liberté de confronter par son expérience visuelle les deux conceptions
artistiques en lice : l’art moderne et l’art officiel allemand. Or, force est de constater que, ne
disposant pas des clefs de lecture qui sont les nôtres, le public est loin d’imaginer la
puissance de l’emprise de la propagande mise en place par Joseph Goebbels dans le
domaine des arts plastiques, souhaitée originellement par le Führer.
Les tableaux exposés sont placés à côté de productions de malades mentaux, pour inviter les
visiteurs à reconnaître les similitudes : le peuple allemand doit prendre conscience qu’il est
aux prises avec des comploteurs pervers, terroristes, qui souhaitent l’entraîner dans sa
déchéance. Si l’exposition ne se maintient que jusqu’en novembre, victime de son succès
(plus de deux millions de visiteurs, ce qui inquiéta quelque peu les organisateurs), elle
s’inscrit dans le prolongement d’une incessante campagne de persécution contre l’avant-
garde artistique, et plus généralement d’un gigantesque effort de propagande porté tout au
long de l’existence du régime (33-45) par Goebbels.
Emmanuelle POLACK, « L'exposition d'art dégénéré en 1937 », Histoire par l'image [en ligne],
consulté le 04/11/2022. URL : histoire-image.org/etudes/exposition-art-degenere-1937