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Paul MAGNETTE Régimes politiques des pays occidentaux

Régimes politiques des pays occidentaux

Paul Magnette

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Paul MAGNETTE Régimes politiques des pays occidentaux

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DÉMOCRATIE, AUTORITARISME ET
TOTALITARISME

La notion de « régime politique » définit la manière dont le pouvoir est organisé


et exercé à l’intérieur d’une entité politique donnée. Elle décrit en quelque sorte
la « technologie du pouvoir ».

L’approche est donc plus large que celle du droit public (limité aux règles
formelles), mais plus étroite que l’analyse des systèmes politiques qui incorpore
aussi l’étude des forces politiques, des dynamiques sociales et politiques...

1. L’APPROCHE TYPOLOGIQUE CLASSIQUE DES RÉGIMES


POLITIQUES

L’analyse des régimes politiques est naturellement comparative. Cela depuis


les origines.

1.1. La typologie classique d’Aristote

A partir de l’analyse de 158 constitutions, Aristote (384-322 AC) décèle deux


critères majeurs de distinction : le nombre de gouvernants (un, plusieurs, tous)

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et la manière dont le pouvoir est exercé (dans l’intérêt général, dans l’intérêt
des gouvernants).
Il classe, sur cette base, les régimes en six catégories. Trois « pures »
(monarchie, aristocratie, république) et trois « déviées » (tyrannie, oligarchie,
démocratie).

La typologie des régimes selon Aristote

Nombre de
gouvernants /
Un Plusieurs Tous
Orientation du
gouvernement

Intérêt général Monarchie Aristocratie République

Intérêt particulier Tyrannie Oligarchie Démocratie

Cette approche ne vise pas seulement à décrire les régimes. Elle souligne
aussi leurs conditions d’existence (caractère plus ou moins éduqué et égalitaire
du peuple). Et elle comporte une forte connotation normative (préférence pour
le régime républicain, type du « gouvernement mixte »).

Cette typologie est restée dominante, pratiquement sans discontinuer, jusqu’au


XIXe siècle.

1.2. La dynamique des régimes selon Polybe

Polybe (202-120 AC) insiste sur le caractère dynamique de cette typologie. Les
régimes politiques sont considérés comme mortels, et se succédant selon un
ordre stable. De l’anarchie des origines émerge d’abord une monarchie. Celle-ci
se corrompt inéluctablement en tyrannie. Laquelle à son tour est renversée par

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une aristocratie. Qui dégénère en oligarchie, avant d’être renversée par une
démocratie. Qui finira dans l’anarchie, ramenant au début du cycle des régimes.
Polybe vise à démontrer que le régime mixte (la république romaine dans ce
cas) est le meilleur des régimes parce qu’il organise la dynamique permanente
des forces et assure ainsi sa pérennité. On retrouve cette idée chez Cicéron
(106-43 AC) et elle reparaît sous la renaissance, en particulier chez Machiavel
(1469-1527).

Cette représentation pessimiste de l’histoire domine jusqu’à l’avènement des


Lumières, et perdure ensuite dans la pensée réactionnaire (Joseph de Maistre
au XVIIIe, Oswald Spengler au XXe…).

2. PERSISTANCE DE LA TYPOLOGIE CLASSIQUE

On retrouve encore, en substance, cette typologie au temps des Lumières.


Montesquieu, comme Rousseau, dégage trois catégories et en montre le
principe (vertu dans la république, honneur dans la monarchie et crainte dans le
despotisme).

A nouveau, cela comporte une réflexion sur les conditions des régimes et une
préférence pour le régime mixte.

Montesquieu prétend donner à cette typologie un fondement scientifique à


travers sa théorie des climats et tempéraments. Elle est à la base, selon lui, des
« mœurs » qui expliquent les régimes. Le concept de « mœurs » comme
aujourd’hui celui de « culture politique » ou « culture civique » est un condensé
des variables d’explication des régimes.

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L’accent est mis, dans cette typologie, sur la manière dont le pouvoir est exercé
(monarchie modérée vs. despotisme), plutôt que sur le nombre de gouvernants.
De là procède la théorie libérale des régimes constitutionnels.

3. L’ÉMERGENCE D’UNE NOUVELLE TYPOLOGIE AU XXE


SIÈCLE

Tout en gardant une forme trilogique, la typologie est adaptée au XXe siècle.

3.1. « Triomphe » de la démocratie libérale et naissance du


concept de totalitarisme (1917, 1918, 1922)

L’époque de l’immédiat après-1918 est marqué par un grand enthousiasme


pour la démocratie libérale.

Jusqu’alors, la démocratie libérale est un phénomène limité, en Europe, au


Nord-Ouest (et ailleurs dans le monde aux colonies européennes de
peuplement, issues du Commonwealth) et qui s’installe difficilement dans le
Sud européen.

Après 1918, disparaissent les quatre grands Empires des monarchies


européennes : Russie (révolutions libérale puis soviétique) ; Ottoman ;
Allemand ; Austro-Hongrois.

Sur les ruines de ces Empires naissent des régimes « modernes » : république
soviétique, république turque, république parlementaire allemande, et répu-

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bliques ou monarchies constitutionnelles à façade parlementaire issues de la


décomposition de l’Autriche-Hongrie (Autriche, Hongrie, Tchécoslovaquie, …).

La libération des nationalités et la création d’une société des nations créent


l’impression d’une grande vague démocratique et libérale.
Elle sera de courte durée : tout au long des années vingt et trente, ces « nou-
velles démocraties » succombent toutes (à l’exception de la Tchécoslovaquie) à
des coups d’Etat militaire ou un autoritarisme monarchique (cf les cartes infra).
La naissance du fascisme engendre la notion de « totalitarisme ». L’ambition en
est formulée par Mussolini : contre la logique libérale d’un Etat qui laisse
subsister une société civile, et contre la logique marxiste d’une société sans
Etat, il défend la notion d’Etat total, absorbant la société.

Politique à l’origine, cette notion s’impose dans le langage de sciences


politiques avant et après la deuxième guerre mondiale.

3.2. Extension de la catégorie « totalitarisme » et polémiques

Les théoriciens du totalitarisme (Arendt, Aron, Friedrich…) mettent en évidence


les points communs entre nazisme et communisme stalinien, au-delà de ce qui
les distingue (idéologie anti-humaniste/humaniste) :

1/ une idéologie infaillible et globalisante ;

2/ un parti unique qui la porte et réprime toute opposition ;

3/ le monopole par ce parti-Etat de la force et des moyens de


persuasion de masse ;

4/ le monopole public de toutes les activités économiques et sociales ;

5/ le règne de la « terreur », toute activité sociale non conforme à


l’idéologie officielle étant réprimée.

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De là naît une nouvelle dichotomie : totalitarisme vs. démocratie, qui n’est pas
dénuée d’intentions polémiques.

Cette dichotomie est contestée par les théoriciens marxistes du système


soviétique et certains autres qui soutiennent leur interprétation : les régimes
soviétiques sont, disent-ils, des démocraties d’un nouveau type, dites
populaires.

Assimilation contestée à son tour par les théoriciens libéraux (Aron, Sartori…)
qui soulignent que la démocratie ne se définit pas tant par le principe de
souveraineté populaire que par les mécanismes (élections libres et
concurrentielles, responsabilité des gouvernants et de l’administration) qui
permettent de vérifier que le pouvoir s’appuie sur elle.

Tout en relevant les éléments communs entre les totalitarismes contemporains,


Aron souligne trois différences entre le nazisme et les régimes communistes :

1/ les révolutions s’appuient sur des classes sociales différentes ;

2/ l’attitude des anciennes élites à l’égard de ces révolutions est


différente ;

3/ Les idéologies ont un contenu diamétralement opposé : humanisme


marxiste vs. anti-humanisme nazi.

3.3. Démocratie, totalitarisme et autoritarisme

A partir des années soixante, se fait sentir le besoin d’une catégorie


intermédiaire pour y ranger des régimes, tels ceux de l’Europe du Sud
(Espagne franquiste, Portugal salazariste) et d’Amérique latine qui ne sont
ni démocratiques, ni totalitaires.

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D’où la formation d’une trilogie dont l’autoritarisme est le troisième pôle.


Ce qui le distingue du totalitarisme, c’est :

1/ l’absence d’idéologie infaillible ;

2/ l’obligation pour le parti unique et son chef de s’appuyer sur les


pouvoirs traditionnels (armée, bureaucratie, Eglises, monde des
affaires…) et donc le caractère plus oligarchique du pouvoir ;

3/ le caractère moins systématique de la persécution et de


l’extermination des opposants au régime ;

4/ le fait que nombre de poches du social et de la vie économique


échappent à l’emprise du pouvoir.

Il s’agit donc essentiellement d’une catégorie résiduaire, définie en termes


négatifs. On verra plus loin comment elle s’intègre dans les théories de la
genèse de la démocratie (leçon 3).

Dans une large mesure, cette typologie assimile démocratie libérale et


monde occidental (le totalitarisme apparaissant comme un régime
« oriental » et l’autoritarisme comme un phénomène méridional).

Elle a donc toujours, plus ou moins explicitement, une connotation


normative voire ethnique.

Parfois, la typologie des régimes les place dans une logique évolutive, ou
développementaliste, la démocratie libérale apparaissant comme le stade
suprême du développement politique (Lipset, Almond).

Pour éviter ces biais ethnique et développementaliste, on s’appuiera sur


une approche génétique du politique. Il s’agit de comprendre à la fois
pourquoi les régimes occidentaux ont connu une histoire largement
convergente et comment s’expliquent les variantes nationales.

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Les régimes actuels ne sont pas vus comme un aboutissement, mais


comme le condensé d’expériences historiques. Il s’agit de repérer les
nœuds historiques qui ont cristallisé les formes politiques dont les
régimes contemporains sont les héritiers.

POUR APPROFONDIR

Arendt (Hannah), Le système totalitaire, Paris, Le Seuil, 1972.

Aron (Raymond), Démocratie et totalitarisme, Paris, Gallimard, 1965.


(Deux classiques, le premier plus philosophique, le second plus sociologique, tous deux
marqués par le climat intellectuel de l’après-guerre).

Beneton (Philippe), Les régimes politiques, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1994.
(Une réflexion stimulante et très synthétique sur la portée des typologies de régimes).

Berstein (Serge), Démocraties, régimes autoritaires et totalitarismes au XXe


siècle, Paris, Hachette, 1992.
(Une approche historique très synthétique de la période contemporaine).

Friedrich, (Carl J.) (dir.), Totalitarianism, Cambridge, Harvard University Press,


1954.
(Une approche typologique dont l’influence a été considérable).

Grawitz (Madeleine) et Leca (Jean), Traité de science politique, Vol. 2, Les


régimes politiques contemporains, Paris, PUF, 1985.
(Un ensemble d’introductions très précieuses, sur les concepts de démocratie, totalitarisme,
autoritarisme et les différentes dimensions de la démocratie libérale. Ne rend toutefois pas
compte des changements récents liés à l’effondrement du Mur de Berlin, à l’intégration
régionale et à la globalisation).

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Lauvaux (Philippe), Les grandes démocraties contemporaines, Paris, PUF, 3e


éd., 2004.
(Un ensemble de monographies sur les principales démocraties contemporaines, précédées
d’une riche introduction sur les théories et les typologies des démocraties).

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2
GENÈSES DE L’ETAT

Dans une large mesure, les régimes contemporains restent déterminés par
certaines dimensions de leur genèse.

On peut distinguer les régimes occidentaux contemporains selon de nombreux


critères :

- monarchie ou république ;
- régime parlementaire ou présidentiel ;
- parlement mono- ou bicaméral ;
- pouvoir judiciaire fort ou subordonné ;
- …

On verra que ces dimensions affectent le fonctionnement des régimes.

Deux variables apparaissent toutefois aujourd’hui dominantes : la répartition


territoriale du pouvoir (Etat unitaire, fédéral ou décentralisé) et le caractère plus
ou moins cohésif de la majorité gouvernante (majoritaire ou concordance).

Ces deux dimensions sont les conséquences lointaines des trajectoires de


développement de l’Etat.

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1. LES THÉORIES DE LA GENÈSE DE L’ETAT

Chaque auteur tend à privilégier, pour expliquer la genèse de l’Etat, l’une ou


l’autre variable.

De manière schématique on peut (en suivant C. Tilly 1990), considérer que


deux types de choix analytiques dominent la littérature sur cette question.
Certains auteurs mettent en évidence des variables internes, et d’autres
externes. Certains insistent sur les facteurs politiques, d’autres sur les facteurs
sociaux et économiques.

1.1. Les approches politiques externes

Historiquement les plus anciennes (voir Machiavel) , elles consistent à voir dans
la guerre le principal facteur de genèse de l’Etat. Tilly résume la dynamique en
quatre étapes :

a) la menace de guerre contraint une entité territoriale à lever des


armées ; ce qui suppose à son tour de collecter des ressources ; ce
qui implique la mise en place d’une administration fiscale et
coercitive ;

b) en temps de paix, les éléments de l’Etat ainsi mis en place se


maintiennent ;

c) le centre de l’Etat éprouve la nécessité, pour légitimer ces


contraintes, d’intégrer les masses ;

d) l’Etat reposant sur le soutien des masses étend son empire.

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On le voit, dans une explication de cet ordre (qui décrit assez bien la genèse de
l’Etat français, par exemple), la guerre est un facteur initial, engendrant une
dynamique propre. C’est sur celle-ci qu’insiste la deuxième approche.

1.2. Les approches politiques internes

Celles privilégiées par la sociologie politique (depuis Weber) se concentrent sur


la dynamique de formation de l’Etat à partir de l’impulsion initiale.

Elles mettent en évidence le double mouvement inhérent au développement du


pouvoir d’Etat, par opposition à la logique féodale (Poggi) :

a) la dépersonnalisation du pouvoir : originellement patrimonial, le


pouvoir se présente de plus en plus comme abstrait (« Le roi est
mort, vive le roi ») ;

b) La formalisation du pouvoir : cela implique un certain nombre de


techniques du pouvoir moderne : remplacement des ordres et
hiérarchies personnelles par la loi ; spécialisation continue de la
fonction publique…

1.3. Les approches économiques internes

Ces approches considèrent la genèse et le développement du capitalisme


moderne comme le principal facteur expliquant l’émergence de l’Etat.

Le capitalisme naissant appelle la constitution d’un pouvoir de contrainte pour


protéger la propriété privée, les investissements, la monnaie fiduciaire…

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1.4. Les approches économiques externes

Dans le même ordre d’idée, ces analyses insistent sur la géographie mondiale
du capitalisme pour expliquer les rythmes et dynamiques différentes de la
genèse de l’Etat (Wallerstein).

L’Etat se développerait d’abord dans les « centres » du système capitaliste


mondial à partir du XVe siècle, émergeant plus difficilement dans la « semi-
périphérie » et pas du tout dans la « périphérie » exploitée par le capitalisme
impérialiste (voir les cours de C. Vandermotten et B. Marques-Pereira).

2. UNE APPROCHE SYNTHÉTIQUE : LA CARTE CONCEPTUELLE


DE STEIN ROKKAN

Ces approches mettent toutes en évidence certains facteurs de la genèse de


l’Etat mais s’avèrent toutes incapables de l’expliquer à elles seules.

Elles soulèvent en outre certaines difficultés théoriques : pourquoi les Pays-Bas


n’ont-ils jamais été un « Etat fort » alors qu’ils ont été au centre du capitalisme
mondial et menacés par de nombreuses puissances impériales ; pourquoi la
Suède fut-elle un Etat fort et précoce, alors qu’elle était relativement
périphérique en termes économiques et peu menacée sur un plan géo-
stratégique ?

Pour l’expliquer, il convient d’ajouter un troisième ensemble de variables, ce


que fait Stein Rokkan : les dimensions culturelles.

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Deux facteurs lui apparaissent déterminants pour expliquer les différentes


formes de genèse de l’Etat en Europe occidentale :

a) Le poids de la division religieuse d’abord (la réforme) ;

b) La formation, ensuite, au centre de l’Europe, d’une ceinture urbaine.


Joignant les deux pôles du continent (la méditerranée et la Baltique),
celle-ci fut à la fois, depuis les XIIIe-XIVe siècles, un foyer de
développement économique et commercial (routes, marchés et
ports), culturel (universités, imprimeries…) et religieux (abbayes et
monastères).

L’hypothèse de Rokkan se déploie sur deux axes. Dans la dimension Nord-Sud,


il affirme que l’éloignement par rapport au centre de la hiérarchie catholique a
facilité la formation de l’Etat national. C’est dans la partie Nord-Nord/Ouest de
l’Europe, convertie au culte protestant, que se construisent les premiers Etats
au XVIe-XVIIe siècles (Scandinavie, Angleterre…)

Sur le plan Est-Ouest, il distingue trois strates :

a) une zone centrale où l’Etat n’a pu s’affirmer face à de puissants


réseaux urbains ; il ne se construit dès lors qu’au XIXe, à partir de
noyaux plus anciens (la Prusse, le Piémont) et reste peu concentré
(Allemagne, Italie, Belgique) ; l’Etat apparaît dans cette zone un peu
plus tôt là où l’éloignement par rapport à Rome est plus net (Pays-
Bas partiellement protestants) ;

b) des zones voisines de cet axe où le pouvoir central a pu s’affirmer


contre les villes (en grande partie parce que la structure foncière
facilitait l’alliance entre rois et aristocraties contre les bourgeoisies
naissantes) ; France, Espagne, Portugal.

c) des zones périphériques, à l’Ouest et à l’Est, où l’Etat ne se forme


que de manière temporaire, se heurtant aux impérialismes (russe

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pour la Finlande et les pays baltes ; Ottoman pour les Balkans…),


ces régions étant plus tard assimilées aux grands pôles étatiques
(Bretagne en France ; Irlande, Ecosse, Pays de Galles au Royaume-
Uni ; Territoires baltiques longtemps sujets de l’impérialisme
russe…).

Cette approche a le mérite de retenir un nombre de variables qui permet


d’éviter les schémas trop réducteurs, sans pour autant sombrer dans une trop
grande sophistication, qui verserait dans le descriptivisme. On verra en
particulier que le poids des variables culturelles est essentiel pour comprendre :

a) le caractère plus ou moins centralisé des Etats contemporains ;

b) le caractère plus ou moins bipolaire des démocraties actuelles ;

c) les rapports entre Etat et marché ;

d) le rapport de ces Etats aux organisations transnationales (Union


européenne en particulier).

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Insérer ici la carte de Rokkan

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3. CONTRAINTE ET CAPITAL : LA SYNTHÈSE DE CHARLES


TILLY

Suivant l’approche de Rokkan, Tilly s’efforce de la simplifier, et de la généraliser


pour étendre le spectre de l’analyse au-delà de l’Europe occidentale.

Il rappelle d’abord que la guerre est le premier facteur de construction de l’Etat.


A partir de cette origine commune, les trajectoires différentes s’expliquent par la
manière dont chaque Etat acquiert les ressources nécessaires à la conduite de
la guerre.

Tilly distingue à cet égard trois types :

1. le modèle du capital, dont la cité de Venise constitue (jusqu’au XVIIe


siècle) le modèle : une bourgeoisie commerçante établit elle-même,
sur base de ses capitaux, des armées mercenaires pour assurer sa
protection ; il en résulte que cette bourgeoisie se gouverne elle-
même et qu’elle développe peu la bureaucratie d’Etat ;

2. le modèle de la contrainte, dont la Russie tsariste constitue


l’archétype : le tsar s’appuie sur l’aristocratie (à la fois militaire et
propriétaire des terres et des paysans) pour extraire les ressources
nécessaires à sa protection ;

3. le modèle de la « contrainte capitalisée », dont les Etats du N-O


européen constituent le modèle : le pouvoir central s’y appuie à la
fois sur une aristocratie militaire et sur les capitaux de la bourgeoisie
pour établir sa défense ; pour s’émanciper de ces deux classes, le
pouvoir central établit plus tard un système de conscription ;

Tilly montre ensuite que, si au XV e siècle ces trois formes coexistent, le


troisième modèle va progressivement démontrer sa supériorité pratique. Les

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cités-Etats vont perdre leur monopole commercial avec la colonisation, et leurs


ressources s’amenuisant elles seront contraintes soit de s’unir (Pays-Bas) soit
de passer sous la protection d’un Etat voisin plus puissant.
Quant aux Empires, la contrainte y devient de plus en plus coûteuse : les
tensions entre l’aristocratie et l’Empereur, et les rébellions paysannes, vont
conduire à sa désintégration.

La fusion des cités d’un côté, et la désintégration des Empires de l’autre,


conduiront à la généralisation de la forme étatique en Europe. Les Etats
modernes vont tous combiner le recours à l’impôt et à la conscription pour
assurer leur défense, puis se démocratiser pour répondre aux pressions des
peuples soumis à l’impôt et au service militaire.

La colonisation du monde non occidental, puis la formation d’un « système


d’Etats », doté d’institutions internationales, conduiront à la diffusion de la forme
étatique sur l’ensemble de la planète.

L’explication dynamique de Tilly (insistant sur les relations de concurrence et


d’imitation entre entités politiques) le conduit à considérer que l’Etat n’est pas
forcément une forme politique immuable.

POUR APPROFONDIR

On se reportera d’abord aux classiques :

Rokkan (Stein), « Dimensions of State formation and Nation-Building : A


Possible Paradigm for Research on Variations within Europe », in Tilly
(Charles) (dir.), The Formation of National States in Western Europe,
Princeton, Princeton University Press, 1975, pp. 562-600.

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Rokkan (Stein), « Un modèle géo-économique et géo-politique de


quelques sources de variations en Europe de l’Ouest », Revue
internationale de politique comparée, 1995, vol. 2, n°1, pp. 147-170.
(Une version plus synthétique mais parfois un peu rapide).

Tilly (Charles), Contrainte et capital dans la formation de l’Europe, Paris,


Aubier, 1992.

On trouvera des aperçus critiques des principales théories de la genèse de


l’Etat dans :

Badie (Betrand) et Hermet (Guy), Politique comparée, Paris, PUF, 1990.

Déloye (Yves), La sociologie historique du politique, Paris, La découverte,


1997.

Kriesi (Hanspeter), Les démocraties occidentales, Une approche


comparée, Paris, Economica, 1994.

Poggi (Gianfranco), The State, Its Nature Development and Prospects,


Cambridge, Polity Press, 1990.

Pour une mise en perspective historique :

Constant (Jean-Marie), Naissance des Etats modernes, Paris, Belin, 2000.


(Une histoire comparée de la genèse des Etats européens, riche en détails et traçant
trois grands modèles, dans la ligne de Rokkan).

Pomian (Krzystof), L’Europe et ses nations, Paris, Gallimard, 1990.


(Une superbe introduction synthétique de la genèse des Etats et nations européennes
dans la longue durée).

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3
LA RÉPARTITION TERRITORIALE DU POUVOIR

Il s’agit là d’un aspect essentiel de la définition des régimes : il détermine la


répartition verticale, ou spatiale, du pouvoir (alors que la question de la
« séparation des pouvoirs » définit leur répartition horizontale, ou fonctionnelle).

Il a un impact considérable tant sur le déroulement de la vie politique que sur la


formation des politiques publiques.

De manière synthétique, on peut dire que l’histoire occidentale à cet égard se


déploie en quatre phases.

1. LA DOMINATION DU MODÈLE UNITAIRE AU XIXE SIÈCLE

L’histoire de la genèse de l’Etat est celle de la subordination graduelle des


autorités préexistantes : comtés, principautés, seigneuries, organes
ecclésiastiques, corporations, villes… (cf. supra, leçon 2).

Les trajectoires nationales ont été différentes, mais le même principe de


centralisation est observable, à des degrés variables, partout. Il en résulte une
tendance générale des Etats européens à l’organisation pyramidale.

L’Etat français constitue à cet égard l’archétype : la centralisation administrative


commencée sous l’Ancien régime (remplacement des charges vénales par des

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intendants dépendants d’administrations royales) est poursuivie par la


révolution française : suppression de tous les privilèges et corps intermédiaires,
découpage du territoire en unités rationnelles (départements), désignation de
représentants du centre dans les périphéries (préfets).

Il en résulte une organisation pyramidale du pouvoir, où les autorités locales


demeurent les seules sites d’autonomie.

Ce schéma se généralise en Europe au début du XIXe siècle sous l’influence


de la révolution française et la domination napoléonienne.

Les pays du Nord-Ouest, et en particulier le Royaume-Uni restent partiellement


à l’écart de ce phénomène de convergence : les autorités locales
(administrations et juridictions) y restent fortes, le droit reste plus coutumier que
codifié (common law) et les organes centraux (chambres) sont largement
l’émanation des pouvoirs locaux.

2. L’APPARITION D’UN CONTRE MODÈLE AUX ETATS-UNIS : LE


FÉDÉRALISME

La révolution américaine s’accomplit en deux temps. En 1776 les treize


colonies proclament leur indépendance par rapport à la métropole
britannique et s’organisent en une vague confédération.

En 1787, une nouvelle constitution sera adoptée suite à la convention de


Philadelphie, qui organise des « Etats Unis ».

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Le souci des fondateurs de la nouvelle république fédérale est de


renforcer le poids extérieur des treize Etats, tout en préservant autant que
possible l’autonomie des Etats. Le pouvoir central reste donc longtemps
très faible : il est cantonné aux pouvoirs extérieurs (affaires étrangères et
défense) et au commerce. Les Etats-Unis sont d’abord une « république
commerciale » où l’essentiel du pouvoir ordinaire reste dans les mains
des Etats.

Ce modèle est présenté par ses concepteurs comme une « grande


invention de la science politique » et intrigue en Europe. Tocqueville y
voit, à côté de la démocratie, la principale originalité du modèle américain.

En Europe ce modèle est largement perçu comme conservateur : ce sont


les forces aristocratiques traditionnelles, soucieuses de protéger ou
récupérer leur pouvoir, qui s’enthousiasment le plus pour le fédéralisme
et la décentralisation, alors que les « progressistes » défendent la
république unitaire et ses principes égalitaires (droits de l’homme, égalité
devant la loi…) contre les privilèges des élites locales.

Le modèle fédéral repose sur trois grands principes : la séparation,


l’autonomie et la participation.

2.1. La séparation des sphères territoriales de pouvoir

La constitution définit strictement les pouvoirs de la fédération, le reste


demeurant dans les mains des Etats. Il s’agit en principe de deux
domaines strictement séparés.

Chaque niveau de pouvoir dispose de sa propre administration pour


mettre en œuvre sa politique (dualisme administratif).

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La mise en place d’une Cour constitutionnelle chargée de régler les


conflits de compétence entre Etats et entre Etats et fédération exprime
aussi ce principe de séparation (cf. leçon 11).

2.2. L’autonomie constitutionnelle

Chaque Etat est libre, dans certaines limites (forme républicaine et


pouvoir populaire, aux Etats-Unis) de se choisir sa constitution.

Dans la pratique les différences sont minimes : tous les Etats se sont
donné une forme « présidentielle » reposant sur un gouverneur et un
Congrès fortement séparés et élus directement.

Les différences concernent principalement l’usage de la démocratie


directe (cf. infra) et ont porté, historiquement, sur les droits civiques.

Le modèle américain connaîtra en effet quatre grands moments de


« centralisation » :

- dans les années 1860, au terme de la guerre de sécession,


l’adoption du XIVe amendement à la constitution impose le
respect des droits fondamentaux par les Etats et réalise ainsi
une première forme de « nationalisation de la citoyenneté » qui
limite l’autonomie constitutionnelle des Etats (la Cour suprême
mettra près d’un siècle à déployer ce principe) ;

- les deux guerres mondiales (et les évènements du 11 septembre


2001 ?) renforcent considérablement le rôle du Président fédéral
dans la politique étrangère ;

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- la crise économique des années trente permet au Président


Roosevelt, à travers son New Deal, de mettre en place les
premiers grands programmes fédéraux dans les domaines
socio-économiques ;

- dans les années 1960, le mouvement pour les droits civiques


limite les discriminations à l’égard des Noirs (essentiellement
par l’action de la Cour suprême) et continue de « nationaliser la
citoyenneté ».

2.3. Le principe de participation

Les institutions centrales sont conçues comme étant largement


l’émanation des Etats, qui les contrôlent.

Le bicamérisme fédéral établit, à côté de la chambre des représentants


élue directement sur une base proportionnelle, un Sénat comportant deux
membres par Etat. Les Sénateurs sont de puissantes figures de la vie
politique américaine, jouant largement le rôle de contrôle de Washington
par les Etats.

Le Président est, à l’origine, l’émanation de « grands électeurs » élus eux-


mêmes dans les Etats. Dans les faits, l’élection présidentielle est devenue
pratiquement directe, même si le poids des Etats produit parfois des
distorsions.

Politiquement, le fédéralisme reste un élément essentiel du modèle


américain. Les conflits portant sur la répartition territoriale du pouvoir
sont fréquents.

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Ce conflit recoupe la grande division entre Républicains et Démocrates,


mais a varié avec le temps : les Démocrates, initialement défenseurs des
Etats populaires contre l’élite washingtonienne, sont devenus plutôt, à
partir des années trente, partisans du pouvoir central progressiste contre
les conservatismes des Etats.

3. LA DIFFUSION DU FÉDÉRALISME ET LA DECENTRALISATION


EN EUROPE

Le premier pays européen à opter pour l’organisation fédérale est la


Suisse. Au terme d’une guerre civile ente cantons catholiques et
protestants, la constitution de 1848 jette les bases d’une confédération
d’Etats.

Celle-ci s’inspire très directement du modèle américain dans son


organisation constitutionnelle. On y retrouve les trois grands principes :

- la séparation : la confédération ne s’occupant au départ que des


relations extérieures et du commerce ; mise en place d’un
Tribunal fédéral par la suite ;

- l’autonomie : chaque canton a sa propre constitution et les


règles concernant le mode de scrutin, le droit de vote, le
référendum… varient considérablement ; l’autonomie est
toutefois limitée, en termes de droits civiques notamment ;

- la participation : à travers le bicamérisme. Toutefois, un Conseil


fédéral, très subordonné aux chambres y tient lieu d’exécutif en
l’absence de Président fédéral permanent ;

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Après la Suisse, ce seront l’Autriche et l’Allemagne, au lendemain de la


première puis à nouveau au lendemain de la seconde guerre mondiale,
qui opteront pour le fédéralisme.

(N.B : les pays soviétiques se revendiquaient aussi, pour certains d’entre


eux, du fédéralisme. Mais le centralisme du parti unique y a rendu le
fédéralisme essentiellement formel).

Ces deux pays sont issus de la désagrégation d’Empires. On ne peut


toutefois parler de « fédéralisme de dissociation » parce que les Etats
nouveaux se constituent sur les ruines des Empires, en réunissant des
entités séparées, qui n’ont jamais été précédemment parties d’un
véritable Etat unitaire (sauf peut-être l’Autriche, mais dans le cadre de
l’Empire austro-hongrois).

Ces deux pays reproduisent également les trois règles classiques du


fédéralisme, en y apportant quelques modifications :

- en Allemagne (RFA), la chambre haute (Bundesrat) n’est pas


élue directement, mais composée de représentants des Länder.
Ce sont donc des membres des exécutifs fédérés qui
composent cet organe, dont la mission principale est de
contrôler le pouvoir central. Cela entraîne parfois une certaine
immobilité du système, quand l’opposition au gouvernement
fédéral utilise le Bundesrat pour bloquer sa politique. De subtils
mécanismes de concertation existent, et se développent
parallèlement des formes complexes de négociation entre
niveaux de pouvoirs.

- dans les deux pays, le Président n’est pas élu directement mais
nommé par les chambres. Son pouvoir est essentiellement

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arbitral, le véritable siège de l’exécutif étant le gouvernement du


chancelier.

- l’administration est essentiellement développée au niveau des


Länder, et c’est elle qui applique aussi une large part des
politiques fédérales (fédéralisme exécutif, vs. dualisme
américain).

La Belgique constitue le dernier cas de formation d’un Etat fédéral en


Europe. Sa particularité est de constituer un vrai cas de « fédéralisme
dissociatif » (ou par désagrégation), l’Etat belge ayant été unitaire, sur le
modèle napoléonien, pendant près de cent cinquante ans. Dans une
perspective comparée, les principales originalités du modèle belge sont :

- le fait qu’il s’agisse d’un « fédéralisme à deux » qui rend plus


difficile la solidarité entre entités fédérées et attise les conflits ;
et qui implique la mise en place de garanties de protection de la
Communauté minoritaire (parité gouvernementale, majorités
parlementaires spéciales, sonnette d’alarme…) ;

- la nature duale du fédéralisme, qui établit à la fois des régions


et des Communautés, se superposant largement ;

- la faiblesse des mécanismes de participation : le Sénat n’est


pas une véritable chambre haute (seuls 21 de ses 71 membres
sont issus des Communautés) ce qui témoigne de la prégnance
du modèle unitaire et suscite des débats continuels sur sa
réforme ;

- la faiblesse des moyens juridiques de régulation des conflits, la


Cour d’arbitrage n’étant pas toujours très respectée dans les
milieux politiques ;

- la disparition des partis politiques fédéraux : n’existent plus que


des partis communautaires, présents à la fois dans les

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Communautés et sur la scène fédérale ; la symétrie entre les


deux Communautés tend à s’estomper.

Mises ensemble, ces particularités expliquent l’intensité des querelles


dites communautaires en Belgique : le fédéralisme à deux attise les
conflits ; l’absence de partis politiques unitaires ne permet pas la
recherche de compromis discrets ; l’absence d’une réelle chambre des
entités fédérées ne permet pas d’y enfermer les conflits communautaires ;
les mécanismes de régulation juridique ne compensent pas ces
faiblesses.

Dans ces conditions, la perspective du passage de l’Etat fédéral à la


confédération ou à la scission reste continuellement à l’agenda politique.

Ailleurs, on assiste plutôt à la décentralisation du pouvoir, sans aller


jusqu'à a fédéralisation.

Prévue dès la constitution de 1947 par la nouvelle constitution italienne, la


décentralisation vers les régions a tardé à se mettre en place. Elle devait
concerner d’abord les régions les moins intégrées à la nation italienne
(Sardaigne, Trentin Haut Adige, Frioul, Val d’Aoste).

Le modèle a néanmoins continué de se développer : la nouvelle


constitution espagnole post-franquiste reprend ce principe, sous une
forme asymétrique (le degré d’autonomie conféré aux régions varie en
fonction de leur « particularisme » historique : pays Basque, Catalogne,
Galice, Andalousie, Navarre).

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La France met en place dans les années quatre-vingt une vaste politique
de décentralisation homogène. (NB : différence entre décentralisation et
déconcentration).

Le Royaume-Uni, après avoir connu une phase de recul des autonomies


locales sous la période thatchérienne, s’est engagé sur la voie de la
« dévolution » de pouvoirs aux anciennes nations (Ecosse, Pays de
Galles, Irlande du Nord).

Même de vieux Etats centralisés comme le Portugal et la Grèce


commencent, sous l’effet notamment des politiques d’aide aux régions de
l’Union européenne, à organiser des formes de décentralisation
administrative.

Au-delà des différences liées aux contextes nationaux, une même tendance
générale se dégage :

- le transfert de compétences plus ou moins larges à des entités


subnationales, en général dans le champ des politiques de l’Etat
social mises en place après-guerre (développement économique,
enseignement, santé, environnement…) ;

- la mise en place dans ces entités d’autorités directement élues


(parlements ou conseils régionaux et exécutifs responsables devant
eux) ;

- une autonomie fiscale limitée, ces entités dépendant largement du


budget central ;

- une autonomie constitutionnelle généralement plus faible que dans


les Etats fédéraux ;

- l’absence de mécanismes de participation de ces entités aux


autorités centrales (à l’exception des ministres aux affaires

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écossaises, galloises… au Royaume-Uni, et de la forme indirecte de


participation que constitue, en Espagne et en Italie, la participation
fréquente de partis régionalistes aux coalitions nationales).

Cette évolution est donc à la fois parallèle au fédéralisme (transfert de


compétences, autorités issues de la base) et différente (autonomie
constitutionnelle et fiscale faible ou nulle ; absence de mécanismes de
participation).

Cela répond toutefois à un même mouvement général : la montée en puissance


des identités culturelles subnationales depuis les années 1970 et la conversion
de la gauche, longtemps centraliste, aux idées fédérales ou de décentralisation.

4. VICES ET VERTUS DU FÉDÉRALISME ET DE LA

DÉCENTRALISATION

La question des avantages et inconvénients de ces nouvelles formes de


répartition territoriale du pouvoir fait l’objet de discussions nourries, tant dans le
monde politique que dans la littérature scientifique. Les arguments principaux
sont :

a) le fédéralisme protège les minorités contre l’oppression du centre :


ce qui n’est vrai que pour les minorités « nationales » (pas sociales,
religieuses, sexuelles…) et quand elles sont géographiquement
concentrées (cf. le contre-exemple des minorités francophones en
Belgique flamande) ; de surcroît, les règles de protection des
minorités permettent parfois à celles-ci de bloquer une vaste majorité
(20% en Suisse) ; surtout, plus les politiques sont diversifiées, moins
« l’égalité entre citoyens » est garantie ;

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b) le fédéralisme rend le pouvoir plus proche du citoyen et est donc plus


démocratique : il permet en effet une diffusion de la participation
politique, mais au double coût d’un grand conservatisme local
(phénomène notabiliaire) et d’une complexification continue du jeu
politique qui décourage la participation ;

c) le fédéralisme est plus efficace parce que mieux adapté aux


contextes locaux : cela aussi à un coût, la tendance générale au
« saupoudrage » et les gaspillages de ressources qui en découlent,
ainsi que les nombreux blocages institutionnels liés aux conflits entre
entités fédérées ;

d) le fédéralisme et la décentralisation favorisent l’innovation politique


par l’expérimentation ; mais peuvent rendre difficiles par ailleurs la
recherche de solutions globales et les économies d’échelle
Fondamentalement, deux philosophies politiques s’opposent autour de cet
enjeu. Celle qui considère que le pouvoir doit être concentré pour être clair et
pouvoir mettre en œuvre le programme de la majorité. Contre celle qui estime
qu’il est plus important de prendre en compte les différences locales et de leur
permettre de s’opposer aux réformes centrales.

POUR APPROFONDIR

On trouvera une remarquable synthèse des normes juridiques du fédéralisme et


de la décentralisation en Europe dans :

Grewe (Constance) et Ruiz-Fabri (Hélène), Droits constitutionnels


européens, Paris, PUF, 1995.

Une approche plus politique :

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Deyon (Pierre), Régionalismes et régions dans l’Europe des Quinze,


Bruxelles, Bruylant, 1997.

Les cas américain, suisse, allemand, espagnol et italien sont aussi traités sous
cet angle dans :

Lauvaux (Philippe), Les grandes démocraties contemporaines, Paris,


PUF, 2e éd., 1998.

Le cas suisse, de manière plus approfondie, dans :

Kriesi (Hanspeter), Le système politique suisse, Paris, Economica, 1998.

Le cas belge par :

Delpérée (Francis), « Le fédéralisme de confrontation », in Delwit


(Pascal), De Waele (Jean-Michel) et Magnette (Paul) (dir.), Gouverner la
Belgique, Paris, PUF, 1999.

L’évolution britannique récente par :

Le Galès (Patrick), « Dévolution à tous les étages », Pouvoirs, Le


Royaume-Uni de Tony Blair, 2000, n°93.

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GENÈSES DE LA DÉMOCRATIE

La genèse de la démocratie est liée à celle de l’Etat. Ce n’est que dans le cadre
de systèmes étatiques stabilisés que la démocratie se structure.

Mais une fois établie, elle entraîne à son tour un changement important de la
nature de l’Etat (développement des interventions publiques et de la
bureaucratie, formation du sentiment national…). Les deux phénomènes sont
donc intimement liés, et ne sont présentés séparément ici que par souci de
clarté analytique.

Bien que renvoyant à une idée très ancienne, la démocratie ne s’est imposée
historiquement que très récemment.

La démocratie fut longtemps conçue comme une « anomalie » dans le cours de


l’histoire de l’humanité. Pour les hommes du XVIIIe siècle encore (Montesquieu,
Rousseau), elle relève plus du mythe que de la réalité politique. Pour trois
raisons principales :

a) la taille des Etats modernes rend inconcevable une démocratie de


type athénien ;

b) les inégalités entre les hommes créent trop de tensions pour rendre
possible un système politiquement égalitaire (risque d’une tyrannie
de la majorité pauvre) ;

c) le grand nombre est considéré comme n’ayant pas les capacités


intellectuelles nécessaires à l‘autonomie.

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Pour Rousseau et Montesquieu, la démocratie n’est concevable que dans des


petites contrées frustes (la Corse de l’époque) ou à forte culture patricienne et
libérale (Genève).

Ces préjugés marquent les institutions de l’époque. Les révolutions française et


américaine ne sont pas faites au nom de la « démocratie » mais de la
république, conçue comme système représentatif. La représentation est censée
opérer une sélection parmi les citoyens de manière que les meilleurs
gouvernent. Il s’agit donc d’une forme d’aristocratie élective plus que de
démocratie, dans les termes de l’époque (Manin).

Cela se traduit concrètement par le foisonnement des techniques visant à


dompter le suffrage : les institutions du suffrage censitaire et capacitaire ; les
inégalités entre circonscriptions rurales et urbaines ; les mécanismes électoraux
à deux ou trois tours ; les systèmes institutionnels marginalisant l’organe élu
(Empire allemand…) ; les diverses formes de corruption du suffrage
(clientélisme, patrimonialisme, campanilisme…).

Ce qui va rendre pensable la démocratie c’est essentiellement le


bouleversement des hiérarchies sociales et la sécularisation, phénomènes liés
à la révolution industrielle ;

1. POURQUOI LA DÉMOCRATIE ?

Le premier auteur à s’interroger directement sur les causes de l’avènement de


la démocratie moderne est Alexis de Tocqueville. Pour lui, la démocratie a un
double sens : c’est à la fois un système politique et un état social (caractérisé
par l’égalité des conditions).

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Observant la société américaine de 1830, il discerne deux facteurs qui


expliquent que la démocratie soit adaptée à ce pays neuf :

a) le sentiment religieux : société formée d’exilés européens persécutés


pour leurs convictions religieuses, de confessions protestantes
minoritaires, les Etats-Unis sont caractérisés par un fort sentiment de
« communauté », une religiosité diffuse, et un esprit égalitaire et
contestataire inhérent à la théologie protestante ;

b) la structure sociale souple : une telle société ne connaît pas les


hiérarchies immuables de l’Europe catholique ; y domine l’esprit
d’entreprise et le mythe du pionnier et du « self-made-man »,
produisant une forte mobilité sociale (cf. la thèse de Weber sur
l’affinité entre capitalisme et protestantisme).

Ces deux facteurs, intimement liés, rendent inacceptable un système social et


politique hiérarchisé et autoritaire. Ils prédisposent à la démocratie.

Tocqueville considère que ce système est typique de cette société


exceptionnelle (exotique pour l’époque) ; mais il pense par ailleurs qu’il est
l’avenir du monde occidental, où les mêmes évolutions sont en germe.

Les théories actuelles de la genèse de la démocratie restent très largement


dans la ligne des analyses tocquevilliennes. Elles approfondissent ses deux
intuitions.

Les analyses contemporaines voient toutes dans l’avènement de la démocratie


une conséquence (plus ou moins directe) des transformations sociales. Jusque
dans les années cinquante, les analyses tendaient à considérer que
l’avènement de la démocratie était un processus graduel et relativement
linéaire.

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Chaque approche privilégie un aspect de ces transformations.

a) Dans l’approche marxiste classique, c’est l’avènement de la


bourgeoisie qui explique les révolutions du XVIIIe siècle (dirigées
contre l’aristocratie d’ancien régime) ; les révolutions du XIXe en
revanche (1848 et le « printemps des peuples ») seraient l’œuvre de
la classe ouvrière, du prolétariat émergent, et seraient rapidement
« confisquées » par la bourgeoisie, favorisant des pouvoirs forts en
vue de la modernisation économique (Bonaparte en France,
Bismarck en Allemagne…) ;

b) L’approche libérale pluraliste (S. M. Lipset) établit une corrélation


entre le développement socio-économique et l’avènement de la
démocratie, sans expliquer les ressorts de cette relation ; de manière
plus ou moins explicite, c’est la formation d’une vaste classe
moyenne qui apparaît comme le facteur déterminant de la
stabilisation démocratique (plus difficile dans un régime de fortes
inégalités sociales).

3. LES TROIS TEMPORALITÉS DE LA CONSTRUCTION DÉMOCRATIQUE

Pour éviter la simplification outrancière de ces approches linéaires, les auteurs


contemporains soulignent les différentes temporalités qui façonnent ce régime.
La démocratie trouve certaines de ces origines dans des phénomènes
pluriséculaires ; elle est aussi marquée par les cycles de formation de l’Etat et
du capitalisme entre le XVIe et le XXe siècle ; enfin les évènements propres à
la phase de transition vers la démocratie jouent un rôle considérable.

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a) Le poids de la « longue durée »

Les phénomènes pluriséculaires liés aux transformations religieuses expliquent


en partie la genèse de la démocratie et la forme qu’elle prend dans chaque
trajectoire nationale.

La religion catholique a contribué à établir la laïcisation de l’Etat par sa doctrine


des « deux pouvoirs ».

Le protestantisme a diffusé une culture égalitaire et consensuelle, qui a pu être


le terreau d’une démocratisation précoce dans les pays anglo-saxons et
scandinaves.

Cette coupure entre pays catholiques et protestants, renforcée par la distinction


entre pays de droits romains et de common law, explique en partie les
différences de style entre des démocraties plus consensuelles ou plus
conflictuelles.

De nombreux auteurs insistent aussi sur la concordance entre le phénomène


de sécularisation et la démocratisation. L’estompement des hiérarchies
traditionnelles, l’affirmation de l’individu, le déclin du sentiment de « déférence »
sont des conditions indispensables à l’avènement d’un régime qui repose sur
les principes d’égalité et de vigilance civiques

b) Les cycles de formation de l’Etat et du capitalisme

La forme que prend une démocratie dépend aussi de la manière dont se sont
construits l’Etat et l’économie capitaliste.

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D’abord, on peut relever que les pays qui doivent affronter simultanément les
problèmes de la construction de l’Etat, de la nation, l’industrialisation et la
démocratisation connaissent en général une évolution politique plus
mouvementée parce que les tensions s’additionnent (Allemagne, Italie), tandis
que ceux où la pression démocratique advient après que l’Etat et la nation se
sont formés et alors que l’industrialisation est déjà avancée suivent un cours
plus graduel (Royaume-Uni).

Par ailleurs, les caractéristiques propres à chaque strate de la construction de


l’Etat et du capitalisme marquent la démocratie de son empreinte.

1. Le mode de formation de l’Etat :

Dans les Etats de petite taille et de population concentrée, peu exposés aux
pressions extérieures, le pouvoir central a pu mettre en place des moyens de
coercition légers. L’Etat est resté modeste, ce qui a évité la formation de
bureaucraties et d’armées qui, ailleurs, ont pu ralentir l’évolution démocratique
(voir les cas de la Suisse, des Etats-Unis des origines ou du RU).

Les grands Etats à la population dispersée et soumis à de fortes menaces


extérieures ont, au contraire, développé une vaste bureaucratie et une armée
puissante, qui ont pu constituer ensuite des obstacles à la démocratisation
(Prusse). Tout en s’inscrivant à l’origine dans ce schéma, le cas français en
diffère à partir de la révolution de 1789 : la mise en place d’une armée de
citoyens a contribué à rendre nécessaire l’octroi du suffrage universel.

2. Les voies de l’industrialisation

Le moment auquel un Etat s’industrialise contribue aussi, selon Gerschenkron,


à expliquer la genèse de la démocratie.

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Les pays qui connaissent une industrialisation précoce, reposant sur le textile et
une économie ouverte (RU, Belgique), ont suivi une voie de démocratisation
graduelle. L’industrialisation requerrait peu de capitaux, que la bourgeoisie
naissante et l’aristocratie modernisatrice ont pu fournir. Ces deux classes
montantes se sont imposées en raison de leur puissance comme un contre-
pouvoir face au monarque. La parlementarisation précoce a ensuite facilité
l’accès progressif des classes populaires au suffrage.

Les pays qui s’industrialisent plus tard, à l’âge sidérurgique, sont dans une
situation différente. Ce type d’industrialisation requiert de forts capitaux et une
économie fermée. La bourgeoisie industrielle s’appuie alors sur l’Etat et sa
bureaucratie pour financer les infrastructures, garantir les investissements et
assurer l’ordre. Un pouvoir autoritaire convient mieux à ce type
d’industrialisation. Par ailleurs, la prolétarisation de masse oblige à s’appuyer
en partie sur le peuple, soit par le suffrage (voie bonapartiste française), soit par
des politiques sociales (voie bismarckienne allemande). De là procède une
démocratisation plus tardive, et marquée par une tentation autoritaire et
plébiscitaire.

Enfin, les pays d’industrialisation récente forment une troisième trajectoire.


L’interdépendance économique et le poids des multinationales dans
l’investissement favorisent une ouverture progressive des régimes autoritaires.
Le consumérisme et la volonté des investisseurs d’établir un climat de
croissance et de paix sociale favorisent par ailleurs une certaine stabilité
politique et rendent moins nécessaire l’établissement de régimes autoritaires.
Ainsi a-t-on expliqué notamment les « démocratisations par le haut » en Europe
méridionale.

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3. LES ÉVÈNEMENTS PROPRES À LA PHASE DE TRANSITION

La démocratie est généralement établie brutalement suite à l’effondrement d’un


Empire, à une guerre ou une révolution. Les régimes nouveaux sont fragiles
parce qu’ils ne peuvent pas s’appuyer sur le soutien des élites traditionnelles et
qu’ils n’ont pas encore construit le soutien populaire.
De plus, ils sont soumis à des pressions extérieures :

1) les invasions peuvent expliquer la chute d’une démocratie (la


conquête et la tutelle extérieure pour la Tchécoslovaquie en 1938,
puis en 1948) ;

2) les pressions externes peuvent aussi être déterminantes : la menace


de guerre favorise le développement de mouvements nationalistes et
le renforcement de l’armée, affaiblissant la démocratie civile ;

3) la crise économique des années trente, ses conséquences sociales


favorisant l’émergence de mouvements révolutionnaires, a souvent
été perçue comme la principale cause de l’effondrement des
démocraties à cette époque.

Mais reste à comprendre pourquoi certains pays (nordiques, UK, France,


Benelux) ont connu les mêmes phénomènes et ont pu y résister.

L’ancienneté du régime joue évidemment un rôle : une démocratie établie, où


les élites et le peuple sont habitués à son fonctionnement et attachés à leur
liberté est plus soutenue qu’un régime jeune qui n’a pas eu le temps de faire
ses preuves. Pour les nouvelles démocraties la phase qui suit immédiatement
leur installation est déterminante : le peuple « attentiste » verse alors soit dans
le soutien soit dans la révolte.

Ce qui apparaît aussi essentiel est l’attitude des élites politiques face à la crise
(Przeworski, Schmitter). Trois situations se rencontrent :

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1) une profonde division des élites politiques quant à la nature


souhaitable du régime qui peut soit verser dans la domination d’une
partie (cas italien des années 1920) soit se stabiliser autour d’un
quasi-consensus et d’un système de partis stable (cas français des
années 1950-60) ;

2) une opposition entre des élites politiques soutenant le nouveau


régime et des élites administratives, militaires, judiciaires,
intellectuelles… qui ne le soutiennent pas ; ce qui affaiblit durement
le nouveau régime et peut faciliter une alliance entre élites d’ancien
régime et mouvement révolutionnaire contestant le système de partis
traditionnel (cas de la république de Weimar) ;

3) un consensus relatif des élites politiques appuyées par des élites


non-politiques loyales (d’où l’importance de la position de l’armée, de
la fonction publique…).

L’histoire montre que ce troisième cas de figure se dégage mieux dans les pays
qui ont connu préalablement une expérience démocratique : cela permet la
référence à une tradition antérieure, la réorganisation de la société civile…

Dans de nombreux cas, et mis à part les pays qui s’inscrivent dans la voie de la
formation graduelle de la démocratie (UK, Scandinavie, Benelux, cf. supra), la
démocratie ne s’est durablement installée qu’au « deuxième essai » (France de
1875 après les parenthèses de la restauration et du bonapartisme ; Allemagne
et Italie post-1945 après la période fasciste suivant une brève expérience
parlementaire ; Espagne et Portugal de 1975 après la phase franquiste et
salazariste succédant elle-même à une brève expérience parlementaire ;
Grèce, Tchécoslovaquie, pays baltes idem).

Des pays qui n’ont pas eu de réelle « passé antérieur » démocratique se


stabilisent néanmoins aujourd’hui (Europe centrale et orientale). Sans doute le

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poids de la contrainte externe, dans un monde plus globalisé et marqué par le


phénomène d’intégration régionale, est-il ici important (conditionnalité
démocratique des aides occidentales, relations entre éléments de la société
civile, perspectives d’adhésion à l’UE…). Bien qu’il soit très difficile de le
mesurer empiriquement.

POUR APPROFONDIR

On lira ou relira toujours avec profit le grand classique de

Tocqueville (Alexis de), La démocratie en Amérique, Paris, Garnier-


Flammarion, 1985, 2 volumes.

Sur l’idée de démocratie et représentation des Anciens à nos jours, on verra


utilement :

Manin (Bernard), Principes du gouvernement représentatif, Paris,


Calmann-Lévy, 1995 (rééd. En poche, Garnier-Flammarion).

Les théories contemporaines de la démocratisation sont remarquablement


présentées dans une synthèse critique par

Hermet (Guy), Sociologie de la construction démocratique, Paris,


Economica, 1986.

Les classiques dans ces approches sont (outre les écrits politiques de Marx,
disponibles en format de poche dans les folios de Gallimard) :

Moore (Barrington), Les origines sociales de la dictature et de la


démocratie, Paris, Maspero, 1969.

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Lipset (Seymour Martin), Political Man, Garden City, Anchor Books, 1960
(traduction française chez Armand Colin).

Almond (Gabriel) et Verba (Sidney), The Civic Culture, Political Attitudes


and Democracy in Five Nations, Princeton, Princeton University Press,
1963.

Les approches contemporaines de la transition et stabilisation démocratiques


sont présentées de manière synthétique et critique par

De Waele (Jean-Michel), «Les théories de la transition à l’épreuve de la


démocratisation en Europe centrale et orientale » in Delwit (Pascal) et De
Waele (Jean-Michel), La démocratisation en Europe centrale, Paris,
L’Harmattan, 1998, pp. 29-58.

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5
LA SÉPARATION DES POUVOIRS ET LA
TYPOLOGIE CLASSIQUE DES DÉMOCRATIES
LIBÉRALES

Depuis les origines des démocraties libérales, la question de la séparation


des pouvoirs est l’une des plus discutées. Associée au nom de
Montesquieu, elle a pris des acceptions très variables, et a donné
naissance à la typologie classique des démocraties libérales qui distingue
les régimes : parlementaire, présidentiel et directorial.

On dénombre généralement trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire)


qui recouvrent en fait deux types de distinction de nature différente : entre
les pouvoirs politiques et les autorités judiciaires d’une part (cf. infra,
chapitre 11), entre exécutif et législatif au sein du politique d’autre part (ce
chapitre).

C’est cette deuxième dimension que l’on aborde ici. En pratique les
« pouvoirs-fonctions » ne sont jamais totalement distincts et ce sont les
« pouvoirs-organes » qui sont tenus séparés.

Les trois grands modèles sont nés à la même période, entre les années
1780 et 1792. Trois expériences singulières de cette courte décennie se

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sont cristallisées et ont largement balisé les très longs tâtonnements


ultérieurs. Sans entrer dans les détails de ces très longues histoires
constitutionnelles, on peut en retracer les grandes inflexions, qui figent
les principaux modèles.

Type 1 – Parlementarisme primitif (et présidentiel)

Roi Parlement

Cabinet

Type 2 – Orléanisme (et semi-présidentiel)

ROI Cabinet Parlement

Type 3 – Parlementarisme moniste

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Chef de
Gouvernement
l’Etat
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Parlement

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1. LE RÉGIME PARLEMENTAIRE

L’archétype parlementaire est le modèle britannique, dit de Westminster,


dont l’influence sera déterminante.

Au-delà des nombreuses crises et variations constitutionnelles, l’histoire


du parlementarisme britannique s’articule autour de trois phases-clefs :

a) le Parlement est d’abord, à partir du XIIIe siècle, un organe


consulté par le Roi, à sa meilleure convenance.
Il réunit les « représentants » des grands corps
(ecclésiastiques, chevaliers et seigneurs) et incarne la diversité
des territoires face au pouvoir central du monarque ;

b) le XVIIe siècle marque une inflexion majeure. Les tensions entre


le Roi et les Chambres sont fréquentes tout au long du siècle.
Après la « Glorieuse révolution » de 1688, le Parlement a
imposé ses conditions au monarque qu’il a choisi : élection
fréquente, liberté d’expression de ses membres, vote de l’impôt
et des guerres.
Il devient un organe permanent, limitant la puissance royale. Sa
base sociale s’étend à la bourgeoisie montante.
C’est cette situation de dualité (le Roi face au Parlement, aucun
n’étant en mesure de se subordonner l’autre) que Montesquieu
a théorisée et que les américains prendront pour modèle.
On peut le qualifier de type 1, qui deviendra le modèle
présidentiel.

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c) à partir des années 1780, une troisième figure émerge dans le


jeu politique : le Cabinet.
N’étant à l’origine que « les hommes du roi », dépendant
entièrement de lui, les membres du cabinet vont
progressivement s’appuyer sur le Parlement pour gagner en
indépendance par rapport au monarque.
Maîtrisant une majorité stabilisée au sein du Parlement, qui vote
ses lois, le cabinet devient politiquement responsable de ses
actes. D’un côté il couvre la couronne (contreseing), d’un autre
côté il assume la responsabilité politique (et plus seulement
pénale) des actes politiques : il devient ainsi le cœur du
pouvoir, tout en étant contraint de négocier avec le monarque et
le parlement (type 2).

Dans certaines histoires nationales, le gouvernement réactive


l’ancien droit monarchique de dissolution des chambres pour
contrer la puissance des parlementaires. S’établit ainsi un
équilibre des relations de contrôle.

Dans les faits, avec le développement du suffrage et des partis politiques,


la même majorité idéologique domine l’exécutif et le Parlement. Les
moyens de contrôle réciproques ne sont plus utilisés que rarement. La
véritable séparation est politique : elle oppose majorité et opposition.

Il s’agit là du type 3, matrice du parlementarisme contemporain: la


politique est conduite et conçue par un gouvernement issu de, et
responsable devant le Parlement.
Cette logique se consolide au fur et à mesure de l’extension du suffrage
(et donc de la légitimité des élus).

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(N.B : L’histoire constitutionnelle belge suit très précisément ces deux


dernières phases à partir de 1830, et le régime devient clairement
parlementaire autour de la première guerre mondiale).

2. LE RÉGIME PRÉSIDENTIEL

La constitution « inventée » par les pères fondateurs de la république


nord-américaine est une variante du modèle britannique primitif (type 1).

Ses auteurs écartent la figure monarchique, en raison de leurs relations


houleuses avec la couronne britannique, et la remplacent par un
Président élu par un collège de grands électeurs (qui dans les faits
devient, avec le temps, une élection directe, même si le mécanisme des
grands électeurs peut introduire des distorsions).

Ce système fut conçu aux origines pour éviter une trop grande emprise de
l’exécutif : pour les pères fondateurs de la république américaine, le
Congrès était le pouvoir premier, le président n’ayant qu’une puissance
limitée. Même si l’équilibre s’est modifié au cours de l’histoire, le système
présidentiel reste marqué par une forte division.

Pour éviter une trop forte concentration du pouvoir, les fondateurs de la


république américaine ont recouru à quatre techniques :

a) Ils ont d’abord choisi de faire dépendre les différentes


institutions de rythmes électoraux qui ne coïncident pas : les
membres de la chambre des représentants sont élus pour deux
ans ; ceux du Sénat pour 6 ans ; le Président pour 4 ans.

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Cela conduit à des situations fréquentes de « cohabitation ».


L’alternance est très régulière à la présidence (à deux
exceptions près, tous les 8 ans depuis 1944). Mais les situations
où le président ne dispose d’une majorité ni au Sénat, ni à la
Chambre sont également fréquentes.

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La genèse des régimes démocratiques contemporains


Régime semi-
présidentiel
Monarchie
UK – 1680
parlementair
e

US - 1787 Régime
présidentiel

Régime
UK – 1780 de cabinet

Régime
parlementair
e

Régime
France – 1795 d’assemblé
e

Régime
Suisse directorial

Allemagne – 1919
France 1958

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b) La délimitation des pouvoirs respectifs du Président et du


Congrès est en principe stricte : le Congrès dispose
constitutionnellement de la plénitude du pouvoir législatif ; le
Président exerce le pouvoir exécutif et les relations extérieures
(direction des armées, nomination des ambassadeurs, treaty-
making…).

c) Aucune des deux branches n’a les moyens de contraindre


l’autre : le Président ne peut pas dissoudre le Congrès ; lequel,
hors l’hypothèse de l’impeachment, ne peut destituer le
Président. Les « hommes du Président » ne dépendent que de
lui et ne peuvent être sanctionnés par le Congrès ; il n’y a pas
de gouvernement au sens européen du terme.

La procédure d’Impeachment, qui permet aux parlementaires de


destituer le Président est restée de nature pénale (cf. le
Watergate sous Nixon et le « Monicagate » sous Clinton). Elle
n’est pas devenue, contrairement à ce qui s’est passé dans
l’histoire du parlementarisme, un instrument d’affirmation du
soutien parlementaire à l’exécutif.

d) Les deux branches disposent de moyens de pression


réciproques : le Sénat doit approuver les nominations et traités ;
le Président dispose d’un veto législatif (cf. infra). Cela conduit
en pratique à un contrôle réciproque et des négociations de
compromis continus.

Dans cette situation, la confrontation institutionnelle est


permanente. Présidence et Congrès se bloquent mutuellement.
Un Président ne parvient, hors périodes exceptionnelles de
crise, à faire passer qu’entre 45 et 75% de son programme. Cela
s’explique aussi par la faible cohésion partisane.

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La rapidité des rythmes électoraux, la confrontation


institutionnelle continue, la complexité des enjeux
institutionnels engendrent aussi (avec d’autres causes plus
techniques), une forte apathie civique (taux de participation
moyen de 60% pour les présidentielles et 40% pour les
législatives).

Ce modèle de forte étanchéité entre les deux branches est l’archétype


présidentiel. Il est caractérisé par une concurrence permanente entre les
pouvoirs sans subordination durable et une logique de compromis.

3. EXISTE-T-IL UN SYSTÈME MIXTE ?

Un certain nombre d’auteurs considèrent que la France de la Ve


république a (après l’expérience de Weimar dans l’entre-deux-guerres)
inventé un modèle mixte : dit semi-présidentiel (Duverger).

L’histoire constitutionnelle française est très complexe, faite de


retournements nombreux et de discussions constitutionnelles
passionnées. Elle est une oscillation continue entre trois modèles :

a) l’assemblée toute puissante (régime directorial, ou


d’assemblée) ;

b) la domination d’un exécutif très personnel (césarisme, ou


bonapartisme) ;

c) un équilibre entre les deux, proche de la matrice de


Westminster.

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Le régime semi-présidentiel serait une tentative de sortir de ce cycle de


régimes en établissant un équilibre durable entre deux pôles,
parlementaire et présidentiel.

Sans entrer dans les détails, on peut relever six moments importants, en
terme de cristallisation des modèles :

1) la constitution de 1791 : consacre le modèle britannique


primitif, d’une opposition sans domination entre le roi et
l’Assemblée. Le roi ne peut dissoudre l’assemblée, ni être
destitué par elle ; le cabinet n’a pas d’existence autonome ;

2) après l’instauration de la république (1792), on assiste à la


création du modèle directorial. L’assemblée qui dispose du
monopole du pouvoir de faire les lois confie à un directoire de
cinq personnes, responsables devant elle et qui ne peut la
dissoudre, l’exécution de ses politiques ; cet exécutif est très
faible et entièrement dépendant des parlementaires.

Cette variante sera imposée à la Suisse par la France


napoléonienne, et y subsiste, dans les grandes lignes, jusqu’à
nos jours. Il s’agit du modèle directorial.

3) après la restauration de 1814, et dans l’ensemble jusque


1848, la France connaît une évolution à l’anglaise (type 2) : entre
le roi et le parlement émerge un cabinet dont la responsabilité et
le pouvoir sont de plus en plus forts.

4) Le rétablissement de la république en 1848 brise cette


évolution. Le coup d’Etat de 1851 fait glisser la constitution vers
le bonapartisme (exécutif fort face à un Parlement affaibli).

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5) Les lois constitutionnelles de 1875 consolident les


chambres (dont le Président est issu) et l’on voit renaître un
gouvernement responsable, sur un modèle proche du
parlementarisme. Dans l’ensemble, la IVe république constituée
après la seconde guerre mondiale poursuit dans cette voie.

6) Entre 1958 et 1962, l’avènement de la Ve république établit


un régime mixte : d’un côté, un Président doté de pouvoirs réels
(nomme et révoque le gouvernement, dissout l’Assemblée,
utilise le référendum, jouit d’un « domaine réservé » en politique
étrangère) et jouissant d’une légitimité forte à partir du moment
où il est élu au suffrage direct (1962) ; d’un autre côté une
Assemblée élue au scrutin majoritaire, qui tend à se bipolariser,
et dont le gouvernement dépend pour le vote de ses lois.

La nature de ce régime hybride dépend des circonstances


électorales.
Sous de Gaulle (puis dans une moindre mesure sous Pompidou,
Giscard et Mitterrand, hors périodes de cohabitations), c’est le
type 1 qui domine : le gouvernement peine à acquérir une
dimension propre et le Parlement est dominé. L’utilisation du
référendum par le Président lui permet, le cas échéant, de
contrer les réticences de la classe politique.
Dans les périodes de cohabitation (86-88 et 93-95 sous
Mitterrand, 97-2002 sous Chirac), le gouvernement appuyé par
une majorité parlementaire s’affirme face au Président. Le
régime devient plutôt parlementaire.
Les facteurs déterminants sont donc : le prestige personnel du
Président face à la classe politique et le fait qu’il dispose d’une
majorité parlementaire.
Le passage au quinquennat est censé revitaliser le modèle
originel en limitant les périodes de cohabitation.

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4. LE MODÈLE DIRECTORIAL

La Suisse constitue depuis 1848 une catégorie à elle seule. Inspirée du


modèle français issu de 1792, elle est caractérisée par une forte
séparation formelle de l’exécutif et du législatif.
Le « gouvernement » (Conseil fédéral) est issu de l’assemblée. Ses sept
membres sont nommés individuellement et responsables collégialement.
Ils représentent la quasi-totalité des grandes forces politiques, sans
alternance depuis plus de quarante ans.

La Présidence de la Confédération est assumée, pour un an et à tour de


rôle, par chacun des membres de l’exécutif.

L’exécutif ne peut pas dissoudre les chambres, et son mode de


fonctionnement le rend peu autonome par rapport au législatif.

Cette situation singulière ne s’explique (cf. infra) que par l’importance du


référendum dans le régime suisse.

5. L’ACTUALITÉ DE LA SÉPARATION DES POUVOIRS EN


EUROPE

Si pendant près de deux siècles les mérites respectifs de ces différents


agencements ont été intensément discutés, on observe aujourd’hui une
convergence assez nette autour du modèle de Westminster. Le modèle
américain ne s’est implanté nulle part en Europe, et le modèle suisse ne
fait pas d’émules.

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La discussion se limite aux pouvoirs et au mode d’élection du chef de


l’Etat quand il s’agit d’une république (c’est-à-dire à un choix entre le
modèle parlementaire pur et la variante française).

a) les démocraties précoces du Nord-Ouest (UK, Benelux et


Scandinavie) ont, dès le XIXe siècle, suivi la voie anglaise ;

b) après 1918, le modèle hybride (parlementaire mais avec un


président élu par les citoyens) a connu un certain succès, mais
éphémère ;

c) après 1945, RFA, Autriche et Italie optent pour une


variante du modèle parlementaire : le chef de l’Etat est un
Président mais il est issu des chambres, et a un simple rôle
d’arbitre.

d) les démocraties rétablies à partir des années 1970 :


hésitent entre la variante parlementaire (Espagne, Grèce dans
les 70’, Hongrie, Tchéquie, Estonie, Lettonie après 1989) et la
variante française où un président issu d’élections directes
dispose de pouvoirs qui dépassent ceux d’un simple arbitre
(Portugal dans les 70’, la quasi-totalité des pays d’Europe
centrale et orientale après 1989).

Dans la pratique, rares sont les modèles semi-présidentiels ou le


président joue un rôle réel. L’évolution du Portugal et de la Finlande, et
plus récemment de la Pologne et d’autres PECOS, montre plutôt une
convergence autour du modèle parlementaire, le Président exerçant
rarement de manière durable un pouvoir considérable.

L’ interrogation subsiste quant à « l’exception française » : est-elle


durable ou le Président est-il destiné à s’effacer ?

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6. VICES ET VERTUS DES GRANDS MODÈLES

Plutôt rares, les discussions sur les avantages et inconvénients des deux
modèles dominants (présidentiel aux Etats-Unis et dans une partie de l’ère sud-
américaine, parlementaire en Europe) se résument à trois types d’arguments :

a) le régime présidentiel est présenté par ses défenseurs comme


plus simple car il clarifie le choix électoral ; mais critiqué pour cette
même raison par les partisans de régimes parlementaires plus
proportionnels ;

b) le régime présidentiel est réputé organiser une forme plus forte


de responsabilité politique, en raison de l’unité (au moins formelle)
du pouvoir ; mais critiqué, par les défenseurs du régime
parlementaire, dans la mesure où la seule sanction est électorale
(pas de censure parlementaire) ;

c) le régime présidentiel fut longtemps considéré comme plus


efficace, en raison de la concentration du pouvoir qui permet d’éviter
les longueurs du jeu parlementaire ; mais les défenseurs du régime
parlementaire soulignent qu’un premier ministre fort est tout aussi
efficace, tout en préservant un contrôle parlementaire.

Ces discussions perdent de leur acuité a fur et à mesure que les deux modèles
se rapprochent : quand les élections législatives se « présidentialisent »
(personnification, bipolarisation), le régime parlementaire devient aussi clair,
simple et efficace que la variante présidentielle, tout en restant soumis à des
formes plus fortes de responsabilité politique.

On verra que ces discussions ne prennent tout leur sens qu’en fonction du type
de majorité qui se dégage dans les deux cas, et de la manière dont cela affecte
le jeu des pouvoirs.

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POUR APPROFONDIR

On trouvera une discussion très claire et très complète des typologies de


régimes et des glissements historiques entre les pôles dans :

Lauvaux (Philippe), Les grandes démocraties contemporaines, op. cit.

Du même auteur, une réflexion stimulante sur l’état actuel du modèle


présidentiel :

Lauvaux (Philippe), Destins du présidentialisme, Paris, PUF, 2002.

Pour l’actualité du modèle parlementaire, voir :

Costa (Olivier), Kerrouche (Eric) et Magnette (Paul) eds., Vers un


renouveau du parlementarisme en Europe ?, Bruxelles, Editions de
l’Université de Bruxelles, 2004.

Une approche plus synthétique et plus engagée est celle de

Sartori (Giovanni), Comparative constitutional Engineering, Londres,


Macmillan, 1994.

Pour les dimensions juridiques on consultera aussi :

Grewe (Constance) et Ruiz-Fabri (Hélène), Droits constitutionnels


européens, op. cit.

Finer (S. E.), Bogdanor (Vernon) et Rudden (Bernard), Comparing


constitutions, Oxford, OUP, 1995.

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On complètera utilement par

Quermonne (Jean-Louis), Les régimes politiques occidentaux, Paris,


Seuil, 4e éd., 2000.
(Une introduction comparée aux principales dimensions de la démocratie occidentale,
comportant de riches réflexions sur la dynamique des régimes).

Ainsi, pour les dimensions historiques, que par

Constant (Jean-Marie), La construction de l’Etat moderne, op. cit.

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6
LES DIVISIONS INTERNES AUX POUVOIRS
EXÉCUTIF ET LÉGISLATIF : DUALISME EXÉCUTIF
ET BICAMÉRISME

Outre la séparation entre les pouvoirs, l’histoire a légué des divisions à


l’intérieur de chaque sphère.

Il s’agit principalement du bicamérisme dans la sphère législative, que l’on


retrouve dans les trois formes de régime démocratique, et du dualisme exécutif
que l’on ne retrouve que dans la variante parlementaire.

Tout en étant constitutionnellement nettes, ces divisions tendent à perdre de


leur importance dans la réalité de la vie politique.

1. LE DUALISME EXÉCUTIF

Rappel : Dans les systèmes américain (présidentiel) et suisse (directorial),


l’exécutif est unitaire :

a) Le Président américain ne partage pas le pouvoir avec un


gouvernement, ses « conseillers » étant directement sous son
contrôle et n’ayant pas de pouvoir ni de responsabilité propres. Le
« cabinet » américain n’a pas non plus d’existence collégiale.

b) Dans le système suisse, le gouvernement (Conseil fédéral) est le seul


exécutif : la présidence est exercée à tour de rôle, pour un an, par
l’un de ses sept membres. Elle n’a pas d’existence autonome.

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Dans la variante parlementaire en revanche, c’est-à-dire dans le modèle


européen dominant, l’exécutif est divisé en deux branches
constitutionnellement distinctes.

Il s’agit là d’un héritage de l’histoire du parlementarisme : le gouvernement


s’est progressivement affirmé comme le pouvoir dominant, mais il n’a jamais
totalement absorbé le chef de l’Etat.

On trouve aujourd’hui trois types de chefs de l’Etat dans les régimes


parlementaires :

1.1. Les monarques

Issus de l’histoire médiévale et de la formation de l’Etat, ils ont subsisté dans


la zone Nord-Ouest de l’Europe (pays nordiques, Benelux et Royaume-Uni).

Les seuls pays de cette zone à avoir adopté la forme républicaine sont ceux
qui ont connu une indépendance tardive (Finlande, Irlande, Islande).

A l’inverse, le seul pays à connaître une monarchie hors de cette zone est
l’Espagne. Le Roi y a joué un rôle dans le passage à la démocratie et la
stabilisation politique, incarnant le compromis entre ancien régime (catholique,
chef de l’armée, proche des catégories sociales supérieures…) et démocratie
constitutionnelle.

D’une manière générale, les monarques se sont maintenus quand ils ont
progressivement renoncé à exercer réellement leurs pouvoirs constitutionnels
(nomination des ministres, présidence du Conseil, sanction des lois,
dissolution…). Dans l’hypothèse inverse ils sont entrés en confrontation avec
la classe politique élue, qui a toujours fini par s’imposer. Le degré de
« similitude » entre le monarque et son peuple semble aussi expliquer sa
popularité (cf. le contre-exemple britannique).

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Ils remplissent aujourd’hui trois types de fonctions :

i) authentificatrice : formellement, ce sont eux qui nomment et


révoquent les gouvernements, sanctionnent et promulguent les lois,
dissolvent les chambres ; dans les faits, tous ces actes sont
couverts par le contreseing ministériel (la crise belge de 1990 illustre
bien le caractère purement formel de ces pouvoirs ) ;

ii) symbolique : les familles royales sont réputées représenter l’unité et


les mœurs nationales, incarner la nation ;

iii) médiatrice : dans certains contextes d’instabilité politique, les


pouvoirs formels du Roi peuvent l’amener à jouer un rôle de
médiateur face à une classe politique divisée ;

Le cas suédois représente l’évolution extrême : la monarchie y subsiste mais


privée de tout pouvoir constitutionnel. Dans ce cas elle est purement
ornementale et l’exécutif devient monocéphale.

Cette situation ne s’est pas étendue à ce jour, et les pouvoirs monarchiques ne


sont pas aujourd’hui réellement remis en cause (à l’exception, peut-être, de la
situation britannique, travaillée par les tensions nationales et une nette
différence sociologique entre la famille royale et la nation).

1.2. Les présidents-arbitres

La forme républicaine s’est parfois imposée par la voie révolutionnaire


(France) mais cela fut rare : elle fut généralement adoptée dans les pays
d’indépendance tardive et dans les nations de démocratisation récente, où la
monarchie avait été liée au régime autoritaire (Allemagne et Autriche dès après
1918, puis à nouveau après 1945, Italie après la chute du fascisme, Grèce,
Portugal au moment de la transition démocratique des années 1970, Europe
centrale et orientale après 1989. N.B : Curieuse « exception » bulgare).

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Certains présidents sont élus au suffrage indirect, par le Parlement (Grèce),


auquel s’ajoutent parfois des représentants régionaux (RFA, Italie). Les autres
sont élus au suffrage direct (Finlande, Autriche, Irlande, France, Portugal, la
plupart des PECOs à l’exception de la Tchéquie, Hongrie, Estonie et Lituanie).

Le mode d’élection n’est pourtant pas déterminant : la plupart de ces


présidents n’ont qu’une fonction de représentation et d’authentification,
parfois une fonction d’arbitrage institutionnel dans les situations de crise
(Italie) qui les apparentent aux monarques.

1.3. Les présidents-gouvernants

Dans certains cas, les Présidents se voient reconnaître des pouvoirs propres
par la Constitution, dans le domaine de la politique étrangère et en matière
d’arbitrage institutionnel (nomination, dissolution…). Ces présidents sont élus
au suffrage direct (France, Portugal, Finlande).

Dans les faits, seul le président français exerce réellement ses prérogatives, et
sa puissance dépend très directement de l’existence d’une majorité
parlementaire qui le soutient. Il convient donc de parler dans ces cas de
« régime parlementaire à correctif présidentiel » (Colliard).

2. LE BICAMÉRISME

La division du législatif en deux chambres est un autre héritage de l’histoire.


La monarchie a progressivement accepté à ses côtés des représentants de la
haute noblesse et du clergé d’une part, et des représentants de la petite
noblesse et de la grande bourgeoisie d’autre part. Ce furent les matrices,
respectivement, des chambres haute et basse. La spécialisation s’est amorcée
dès le XIVe siècle en Angleterre et fut imitée ailleurs.

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Le bicamérisme perd de son sens au fur et à mesure de la démocratisation :


soit la chambre haute (Sénat) est issue du suffrage universel, et l’on ne voit
pas bien la raison d’être d’une double chambre ; soit elle n’est pas issue du
suffrage universel et elle entre en contradiction avec la logique démocratique.

Trois configurations se rencontrent aujourd’hui :

2.1. Le bicamérisme fédéral

Les Américains ont donné un sens nouveau au Sénat en en faisant la chambre


de représentation des entités fédérées. Cet exemple a été suivi par la Suisse,
puis par la RFA et l’Autriche (cf. supra).

2.2. Le monocaméralisme

Dans un certain nombre d’Etats unitaires, la chambre haute a été supprimée.


Dans les pays nordiques d’indépendance récente (Norvège, Finlande, Islande),
le monocamérisme fut adopté d’emblée.
L’exemple fut suivi par les pays nordiques plus anciens dans les années 1950
et 1960 (Danemark et Suède), puis par les petits pays du Sud au moment de
leur passage à la démocratie (Portugal et Grèce).
Le cas luxembourgeois s’explique simplement par sa taille.

Ces pays sont tous de petite taille et de forte unité nationale. La nécessité
d’une seconde chambre ne s’y fait donc pas sentir (même si une forme de
dédoublement fonctionnel existe en Norvège).

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2.3. Le bicaméralisme à la recherche d’un sens nouveau

Dans les autres pays, le bicamérisme a été maintenu sans que sa signification
soit clairement affirmée. L’existence et le rôle du Sénat y fait dès lors l’objet de
discussions continues.

Trois motivations sont avancées :

a) la représentation de la diversité territoriale, dans une logique proche


du bicamérisme fédéral : en France, le Sénat est censé représenter
les pouvoirs locaux, en vertu de son mode d’ élection ; en Espagne
et en Belgique, un certain nombre de sièges sont réservés aux
représentants des entités autonomes ou fédérées.

b) La représentation fonctionnelle : très en vogue dans les années 1920-


30, l’idée de transformer les chambres hautes sur un modèle
corporatiste a souffert de son association au fascisme. Elle ne
subsiste qu’en Irlande où elle fut établie en 1937, et ne put être
rétablie en France en 1969.
La représentation fonctionnelle est assurée par d’autres organes,
tels les Comités économiques et sociaux.

c) Le recours à des grandes personnalités : certaines chambres hautes


sont entièrement (UK) ou partiellement (Belgique) composées de
membres non élus. Ils sont censés apporter leur connaissance et
contribuer à améliorer la qualité de la législation ou du contrôle de
l’action gouvernementale.
(En Belgique, la cooptation sert aussi, en fait, de repêchage pour les
malheureux non élus).

(N.B : Jusqu’à 1999, la House of Lords comprenait plus de 1200


membres, dont près de la moitié étaient des pairs héréditaires. Cette
catégorie a été presque complètement supprimée, et demeurent les
« pairs nommés à vie », officiellement par la couronne, en fait par les
partis. La chambre reste à dominante conservatrice et est contestée,
en raison de son caractère non élu. Elle se spécialise dans le

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contrôle pointu de l’action gouvernementale et de certaines


législations).

Dans tous les cas, à l’exception notable de l’Italie, les chambres hautes
jouissent de pouvoirs moindres, tant en termes de législation que de contrôle
politique.

La tendance générale du dernier demi-siècle a été à l’affaiblissement de ces


deux formes de division interne des pouvoirs : le poids continu du suffrage a
affaibli les organes non élus et concentré la puissance dans le gouvernement,
responsable devant la chambre basse.

POUR APPROFONDIR

Sur les règles formelles, on se reportera à nouveau pour une vision d’ensemble à

Grewe (Constance) et Ruiz-Fabri (Hélène), Droits constitutionnels européens,


op. cit.

Sur la monarchie, on pourra voir les numéros spéciaux des revues

Pouvoirs, 1996, n°78.

Revue internationale de politique comparée, 1996, vol. 2/2.

Et aussi

Lauvaux (Philippe), « Monarchie, royauté et démocratie couronnée », Le Débat,


1993, n°73, pp. 103-120.

Sur le bicamérisme

Baldwin, N. et Shell, D. (eds.), Second Chambers, Londres, Franck Cass, 2001.

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Mastias (Jean) et Grangé (Jean), Les secondes chambres du Parlement en


Europe occidentale, Paris, Economica, 1987.

A compléter pour le cas britannique et ses réformes récentes par l’article de Philip
Norton dans le numéro de la revue Pouvoirs consacré à la Grande-Bretagne (1999).

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