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SCIENCE POLITIQUE

Concepts fondamentaux

Professeur : Amine THABET


Mastère de Recherche en Science Politique
INTRODUCTION

La science politique est une discipline récente. Elle a connu son véritable
essor au 20ème siècle.

La science politique ou la démarche politiste se constitue autour de 3


repères :

- Séparation rigoureuse du regard clinique et du jugement de valeur


moral ou partisan ;
- Utilisation de méthodes et de techniques d’investigation, communes
d’ailleurs à l’ensemble des sciences sociales, permettant
l’établissement de faits et leur mise en perspective ;
- Ambition de systématisation, c’est-à-dire proposition de cadres
généraux d’analyse, et construction de modèles ;

Vocabulaire :

Pour nommer la discipline de la science politique, il existe différentes


terminologies.

Une expression un peu solennelle « politologie » forgée à partir de deux mots


grecs (Polites =citoyen, et logos = discours). Employée pour désigner l’ensemble
des grandes méditations sur le fait politique. Cette expérience mélange le sens de
philosophie politique avec celui de science politique moderne.

Les spécialistes de science politique peuvent être nommés :

- Politologues : lié à la politologie


- Politiste : lié à la science politique moderne

Aux origines de la science politique moderne, il est possible d’évoquer


Thucydide, Aristote, Machiavel, mais aussi Montesquieu, Tocqueville, Marx,
Gramsci, …

La science politique moderne est apparue en Europe au début du 20ème


siècle. On peut en citer les premiers véritables auteurs :

- Vilfredo Pareto (Traité de sociologie générale)1


1
Economiste et sociologue italien (1848-1923) : il a développé la théorie de la circulation des élites : les classes
sociales se distinguent entre masse et élite, l’élite est elle-même séparée entre élite gouvernementale et non

1
- Max Weber dont l’œuvre aborde les modes de légitimation du
pouvoir, la bureaucratie, les relations entre variables culturelles et
évolutions sociétales (L’éthique protestante et l’esprit du
capitalisme), enfin les problèmes épistémologiques (Le savant et le
Politique).
- Roberto Michels (Les partis politiques)
- André Siegfried (Tableau politique de la France de l’Ouest)

Ces auteurs européens ont fourni chacun dans un secteur précis un


véritable ouvrage de référence. La rigueur conceptuelle, associée
systématiquement à la recherche empirique exigeante ainsi qu’à la
préoccupation de déboucher sur des modèles explicatifs.

Aux Etats-Unis, la science politique se développe dans le cadre du


Béhaviourisme :

- Arthur Bentley
- Charles Merriam
- Harold Lasswell

En marge de la science politique mais en lien étroit avec celle-ci, on peut


citer l’œuvre de Durkheim qui est un sociologue. L’œuvre de Durkheim
interpelle la science politique et pose la question de ses limites et confins en
tant que discipline propre.

A la fin du 19ème siècle avait dominé l’idée selon laquelle la science politique
est au carrefour de plusieurs disciplines connexes : l’économie,
l’anthropologie, la psychologie, la sociologie, le droit public, etc. Cette idée
reflète une méfiance (chez certains hommes politiques), une
condescendance (chez certains universitaires), voire un certain
corporatisme (chez certains sociologues et spécialistes du droit public).

Il est admis aujourd’hui que l’objet de la science politique regroupe 4


grandes rubriques :

- Théorie politique : à la différence de la philosophie politique, celle-ci


n’est pas normative. Elle récuse le jugement de valeurs mais s’attache
à formuler des hypothèses sur les faits et leurs systèmes d’explication

gouvernementale. La masse monte, confronte l’élite en place, celle-ci la combat ou l’intègre. La défaite de
l’élite en place conduit à son remplacement par une nouvelle élite.

2
se démarquant ainsi de l’empirisme pur et simple. S’y adjoint
l’histoire des idées politiques.
- Institutions politiques : étude monographique du gouvernement
central et des gouvernements locaux ; celle aussi de l’administration
publique ; enfin, l’observation et l’analyse des diverses fonctions que
ces institutions assument. L’approche du politiste se distingue de
celle du juriste en ce qu’elle s’intéresse moins à la lettre des textes
(quand ils existent) qu’aux pratiques concrètes et aux jeux de forces
sociales qui les reproduisent ;
- Partis, groupes et opinion publique : groupes de pression, élections,
information et propagande ;
- Relations internationales : organisations internationales, politique
étrangère des Etats, coopération, conflits ; problèmes de défense et
sécurité, géopolitique. Généralement, on y inclut aussi l’étude des
zones politiques.

Aujourd’hui, ces catégories ont été davantage affinées, on parle de :

- Théorie politique ;
- Sociologie politique ;
- Science administrative ;
- Relations internationales ;

Le politique

C’est le champ social de contradictions d’intérêts (réels ou imaginaires,


matériels ou symboliques), mais aussi de convergences et d’agrégations
partielles, régulé par un Pouvoir. Ce Pouvoir dispose su monopole de la
contrainte légitime.

- Quand un pouvoir devient-il politique ? Dès lors qu’il dispose


effectivement de ce monopole de coercition, qui garantit la capacité
de dire, de faire appliquer le Droit dans l’ensemble de la société ;
- Quand un problème, une décision, un choix deviennent-ils politiques ?
(au sens défini supra). Dès lors que le conflit est régulé par le Pouvoir
politique au lieu d’être traité à un autre niveau. Rien n’est
intrinsèquement politique, tout peut le devenir. Ainsi la question de
l’avortement devient-elle politique à partir du moment où les conflits
(matériels ou symboliques) qu’elle renferme sont portés devant l’Etat

3
déclenchant en même temps qu’un débat le mécanisme d’un
processus décisionnel. Même chose pour une grève, pour l’emploi,
l’orientation scolaire, etc.

La politique

C’est la scène où s’affrontent les individus et les groupes en compétition


pour conquérir le pouvoir de l’Etat (et ses démembrements) ou pour
l’influencer directement : partis politiques, lobbies, mouvements sociaux,
syndicats etc. La Politique représente une scène de débat permanent, plus
ou moins réactivé par les échéances électorales, qui se nourrit de
problèmes issus de la société globale mais codés en fonction de ses
exigences propres.

Ex : le problème de l’emploi. A la base, c’est un problème économique et il


pourrait le rester. C’est-à-dire n’être l’objet que d’études et d’expertise
économique technique. Mais il peut être imposé au cœur de la vie politique.
Il est porté en avant de la scène politique par les partis politiques par
exemple. A ce moment-là, un codage s’opère. Les aspects techniques de
l’emploi sont alors gommés à la faveur d’autres aspects puissamment
valorisés : incapacité, irresponsabilité des décideurs, des gouvernants,
incapacité de l’opposition à produire, à proposer une alternative, etc.

On pourrait proposer la définition suivante de l’objet de la science


politique : les modes de production des injonctions socialement légitimes,
ou fondées sur la coercition légitime. Il s’agit des choix politiques
permettant la solution des conflits intra-sociétaux ou inter-sociétaux. La
structure organisationnelle type de cet objet de la science politique est
aujourd’hui l’Etat moderne.

- L’objet de la science politique est donc distinct de l’objet de la science


économique : mode de production des biens matériels et des services
- L’objet de la science politique est aussi distinct de l’objet de la
sociologie : mode de production des objets culturels et des
élaborations symboliques

Il faut observer que bien que distincts, les modes de production politique,
économiques et sociologique interagissent ensemble de manière réciproque
et généralisée.

4
Ex : échange de monnaie : les modes production économiques fournissent à
l’Etat les ressources dont il a besoin (impôts, biens matériels, …) mais en
échange ce dernier leur accorde des allocations (subventions,
commandes …) + échange de pouvoir : l’Etat s’impose aux agents
économiques tandis que ceux-ci disposent de divers moyens pour
l’influencer.

Ex : échange de pouvoir et de rôle : les modes production politiques


échangent le pouvoir avec les modes de productions sociaux : l’Etat
s’impose aux institutions sociales, il exerce son emprise, plus ou moins
variable sur elles (écoles, presse, société civile…). En retour, ces institutions
disposent de moyens divers pour influencer l’Etat. Echange de rôle : les
institutions sociales façonnent le comportement du citoyen et l’Etat renvoie
par le haut des modèles d’achèvement social (figures de dirigeants, …).

5
CHAPITRE I. LE POUVOIR, APPROCHES ET CONCEPTIONS

Dans une première perspective, le pouvoir est en gros synonyme de


gouvernants.

Dans une seconde acception, toute différente de la première, le pouvoir est


une sorte d’essence, de substance ou mieux, de capital au sens économique
du terme. Ainsi, l’expression « avoir du pouvoir » sous-entend l’existence
d’un détenteur ou d’un possesseur. Dans ce sillage, Bertrand de Jouvenel
définit le pouvoir comme le « commandement existant par soi et pour soi »2.

Dans une troisième perspective, le mot pouvoir renvoie à une relation entre
deux ou plusieurs personnes. C’est un pouvoir sur quelqu’un. Il n’exerce
réellement que si il est exercé, ou du moins lorsque s’établit une relation
effective. Pour Max Weber : « Le pouvoir est toute chance de faire triompher,
au sein d’une relation sociale, sa propre volonté, même contre des résistances ;
peu importe sur quoi repose cette chance »3. Ainsi entendu, le pouvoir sur
quelqu’un se distingue du pouvoir de faire quelque chose. En effet, le
pouvoir de faire quelque chose ne s’insère pas nécessairement dans une
relation lorsqu’il est simple aptitude physique ou intellectuelle à réaliser
quelque chose.

Les trois acceptions exposées correspondent à trois approches de la science


politique en rapport avec le pouvoir :

- L’approche institutionnaliste
- L’approche substantialiste ou structuraliste
- L’approche interactionniste ou relationnelle

En ce qu’elle permet d’approfondir la richesse du concept de pouvoir, nous


retiendrons ici la troisième approche, celle interactionniste.

2
JOUVENEL (B. De), Du pouvoir, Paris, Hachette, p. 171.
3
WEBER (M.), Economie et société, Paris, Plon, 1971, t. 1, p. 56.

6
Section 1. Les caractéristiques de la relation du pouvoir

Nous envisagerons successivement l’exercice du pouvoir comme :

- La cause d’un comportement ;


- Une restriction à la liberté d’autrui ;
- L’expression d’un échange inégal ;
- Pouvoir d’injonction et d’influence.

Paragraphe 1. L’exercice du pouvoir envisagé comme la cause d’un


comportement :

A exerce un pouvoir sur B dans la mesure où il obtient de B une action Y que


A n’aurait pas pu obtenir autrement.

Ex : un ministre donne une instruction à son collaborateur

Ex : un leader parlementaire obtient de l’assemblée l’adoption d’un texte


conforme à ses vœux

Les tenants de cette représentation du pouvoir sont appelés les


« comportementalises ». Pour eux, ce sont les décisions visibles et les
attitudes repérables qui se rapportent à l’exercice du pouvoir. Le politiste
américain Robert Dahl a privilégié cette approche4.

Cette approche provoque en réalité 3 types de difficultés cognitives : le


problème de l’imputation ou de l’imputabilité, le problème de la non-
décision et celui du conflit d’intérêts et d’aspirations.

A. L’imputation

L’approche occulte la faculté d’anticipation de certains « détenteurs du


pouvoir » ainsi que leur nécessaire adaptation aux conjonctures du terrain.
En réalité, la décision n’est pas causée par eux et ne leur est pas
entièrement imputable, mais elle est engendrée par une configuration de
facteurs et d’acteurs qui s’influencent réciproquement.

L’imputation du pouvoir à quelqu’un est un processus de communication


qui, souvent, déforme ou simplifie exagérément la réalité. Souvent, l’auteur
de la décision n’est pas l’auteur réel ou que le processus décisionnel est
attribué de manière totalement personnalisée à un seul individu.
4
DAHL (R.), Qui gouverne ?, Paris, Armand Colin, 1973, chapitres 9,10 et 11.

7
En pratique, il est souvent aisé de constater que chez les décideurs
politiques, nombre d’entre eux soignent et préservent cette imputabilité
notamment pour les décisions jugées « bonnes » ou en leur faveur. Ils s’en
nourrissent et en récoltent les bénéfices. Inversement, ils imputent ou
tentent d’imputer à des tiers la responsabilité de décisions, qu’ils ont eux-
mêmes prises, mais qui leur sont défavorables ou impopulaires.

B. La non-décision

Exercer un pouvoir peut produire non seulement des décisions ou des


comportements visibles mais aussi des non-décisions et surtout, si le
pouvoir est intense, provoquer l’absence de toute contestation visible. Par
exemple, dans un parti dominé de façon écrasante par son leader, il est
impensable que surgisse contre lui une candidature rivale, ou contre ses
positions une position rivale.

Selon Bachrach et Baratz : « Le pouvoir s’exerce lorsque A consacre ses forces


à créer ou renforcer les valeurs sociales et politiques ainsi que les pratiques
institutionnelles qui restreignent le domaine du processus politique aux seuls
questions qui sont relativement peu nuisibles à A… »5.

C. Le conflit d’intérêts et d’aspirations

Pour l’école utilitariste anglaise du 18ème et 19ème siècle (Hume, Bentham,


John Stuart Mill), l’individu est guidé dans ses comportement par la
recherche d’un compromis entre coûts/avantages. C’est la théorie du calcul
rationnel.

Dans un registre scientifique différend, Freud observait également que nous


opérons de constants compromis entre principe de plaisir et principe de
réalité, c’est-à-dire entre le désir de satisfaire immédiatement des pulsions
et le souci d’éviter souffrance et frustrations.

5
In BELL (R.), EDWARDS (R.) et WAGNER (R.) (Eds), Political Power, New York, Free Press, 1969, p. 64.

8
Ces différentes difficultés se rejoignent sur un point : l’analyse
du pouvoir comme un comportement suppose une divergence
d’intérêts entre A et B. Or, A et B peuvent avoir des intérêts
totalement convergents. Dans ce cas, il n’y a pas de place pour
l’exercice du pouvoir de A sur B. Simplement, si les intérêts de
A et de B sont convergents, ce Statu Quo peut préserver la
« réputation » du pouvoir de A sur B. Aussi, B, même si ses
intérêts convergent avec ceux de A peut être tenté de se
démarquer en adoptant une position contraire à ses intérêts.

La divergence d’intérêts comme mesure de l’exercice du pouvoir


comme capacité de A à obtenir de B une action qu’il n’allait pas
entreprendre sans l’exercice de ce pouvoir demeure insuffisante si
l’on s’en tient à d’autres approches comportementales du pouvoir.
Selon Stepehen Lukes, l’exercice le plus efficace du pouvoir tend à
modifier la perception que B aura de ses propres intérêts de façon
à ce qu’il en vienne à les identifier avec ceux de A.

Ex : les salariés peuvent accepter et se faire leurs les logiques du


profit de la classe dominante.

Il est intéressant de relever que cette démonstration se retrouve


aussi en Relations Internationales. Joseph Nye et Robert Keohane,
fondateurs de l'institutionnalisme néolibéral en relations
internationales ont développé la notion de Soft Power par
opposition à celle de Hard Power. Le Hard Power est un pouvoir
de contrainte et de coercition, en revanche, le Hard Power est un
pouvoir normatif qui se base sur la projection des valeurs et qui
conduit l’autre à être progressivement séduit et à s’identifier à ces
mêmes valeurs.

Paragraphe 2. L’exercice du pouvoir envisagé comme restriction à la


liberté d’autrui

Cette approche appréhende le pouvoir exercé sur autrui comme une


limitation de sa liberté. Voire comme une suppression de celle-ci.

9
A. La liberté attestée par l’autonomie de la volonté

La liberté individuelle, dans la sphère politique, est associée à l’idée selon


laquelle des activités, des modes d’expression, de simples attitudes
constitueraient un domaine soustrait au contrôle de la puissance politique.
Le Droit ne pourrait que garantir ces libertés et non pas les réduire ou les
limiter. Il s’agit d’une conception sous-tendue par la philosophie des droits
de l’homme et de l’Etat de droit.

Selon John Stuart Mill « la seule fin pour laquelle le pouvoir peut être
légitimement utilisé par une communauté civilisée contre l’un de ses membres
en dépit de sa volonté est de l’empêcher de nuire à autrui ».

Cette vision rejoint aussi celle du Contrat social développée par J-J.
Rousseau. Elle se reflète aussi dans les limitations du pouvoir du Roi en
Grande Bretagne (Magna Carta, Habeas Corpus) et dans la philosophie
ayant présidé à la Révolution française.

Sur le plan économique, cette approche est aussi privilégiée par les
libéraux. Le marché de la libre concurrence, protégé contre l’intervention
de l’Etat, est présenté comme le degré zéro de la contrainte (A. Smith, F.
Hayek, …) « le laisser faire, laisser aller ».

En réalité, l’absence du contrôle de l’Etat sur les libertés individuelles, aussi


bien sur le plan politique qu’économique, ne signifie pas absolue autonomie
de la volonté. Il va sans dire que la volonté n’est que relativement
autonome. Elle est soumise à plusieurs contraintes, y compris celles ou
s’exerce sur elle un pouvoir.

B. La liberté attestée par le consentement ?

La question du consentement est essentiellement traitée par les juristes.

La théorie juridique consacre deux types d’actes : le contrat et l’acte


unilatéral. Le premier suppose un accord formel entre les parties. Le droit
considère que le contrat est fondamentalement compatible avec la liberté
individuelle. Il en est même l’expression. Au contraire, l’acte unilatéral est
juridiquement valide sans le consentement des assujettis. C’est pourquoi la
théorie juridique considère ces actes comme des actes de puissance
publique par excellence. Ils mettent en œuvre le pouvoir de l’Etat. La

10
théorie juridique accorde donc la plus grande importance au caractère
démontrable du consentement. Elle n’accorde pas d’importance au contexte
social et psychologique, au rôle de l’influence, de la pression dans
l’acquisition du consentement.

Dans les RI, les traités sont souvent l’expression des rapports de force
existants. Dans des situations d’oppression extrême, le fait de renoncer à la
résistance pour sauver sa vie, pour protéger les siens ou épargner des
destructions, est une forme d’acquiescement à l’état de fait.

11
Pour Thomas Hobbes, la crainte et la liberté sont compatibles. « Ce n’est pas le
succès des armes qui donne le droit d’exercer la domination sur le vaincu mais
la convention passée par celui-ci. Et il n’est pas obligé parce que subjugué,
c’est-à-dire battu, capturé ou mis en fuite mais par le seul fait qu’il se rend et
fait sa soumission au vainqueur » (Léviathan, 1651, Paris, Sirey, 1990, p.212.

La défaite (capitulation, soumission), peut donc être une forme de


consentement, voire de liberté.

C’est en cela que Hobbes, suivie par Hannah Arendt plus tard, oppose
pouvoir, qui repose toujours sur une forme de consentement, à la violence,
qui n’en a besoin. La contrainte ou la violence ne laisse aucune alternative.
Elle est irrésistible.

Le consentement libre, au sens juridique, n’existe donc pas.

« La liberté consiste …. en ce que nous agissons en telle sorte que nous


ne sentons point qu’aucune force extérieure nous y contraigne ».

Descartes, Méditations métaphysiques, Rééd. Vrin, 1978, p.57.

La liberté (Descartes) se situe donc dans le sentiment subjectif d’être en


accord avec les contraintes sociales externes. Sentiment subjectif et non
absence objective de conditionnements.

Paragraphe 3. L’exercice du pouvoir envisagé comme l’expression


d’un échange inégal

A. Les théories de l’échange

Les relations se situent en termes d’échanges réciproques : une


marchandise et un prix (acheteur – vendeur), un travail et un salaire
(employeur – employé) et une gratitude en contrepartie d’un service
bénévolement rendu.

Le mérite de ces théories est bien de mettre en évidence les points


suivants :

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- La relation du pouvoir s’inscrit dans une alternative et non dans une
relation unidirectionnelle fermée. Ou bien (prix avantageux) et alors
(contrepartie) ; …le pouvoir n’est pas un attribut (qualité) mais il
s’inscrit dans une asymétrie des ressources disponibles ;
- L’intensité effective du pouvoir se mesure à l’importance de
l’avantage obtenu
- Le pouvoir ne se situe pas seulement dans des transactions
ponctuelles ou microsociales ; il est plus largement, la capacité d’un
acteur à structurer durablement des processus d’échanges
déséquilibré en sa faveur.

B. Pouvoir comme échange, pouvoir comme échange de coups


Le pouvoir est ici appréhendé dans un schéma d’interaction
stratégique. L’échange n’est pas déséquilibré ou inégal. Il est
séquencé, par coups stratégiques, sur la durée, en cours de partie.
Exemple : jeu d’échecs
Exemple : match de boxe

Paragraphe 4. Pouvoir d’injonction et pouvoir d’influence

A. Le critère de distinction

Le pouvoir exercé par le chef hiérarchique sur ses subordonnés n’est pas le
même que l’influence qu’exerce un journaliste influent sur ses lecteurs ;
l’ordre donné par un officier à ses hommes n’est pas assimilable aux
suggestions faites par le conseiller à son ministre. Et pourtant, dans tous ces
cas, il y a la capacité d’obtenir d’autrui quelque chose qu’il n’aurait pas fait
autrement (action ou inaction)

L’injonction et l’influence sont les deux modalités majeures du pouvoir qu’il


faudrait distinguer.

Injonction : l’assujetti a le choix entre deux attitudes : s’incliner en adoptant


le comportement prescrit ou bien refuser et encourir le risque d’une
punition.

Influence : l’assujetti a le choix entre deux attitudes : adopter le


comportement suggéré et dans ce cas il bénéficie d’un avantage
(récompense matérielle ou symbolique telle que la faveur du personnage
influent) ou une gratification psychosociale (moindre anxiété, meilleure
13
estime de soi). Ou bien il n’adopte pas le comportement suggéré et dans
cette hypothèse, il se prive tout au plus d’une récompense, c’est-à-dire ne
subit pas directement aucune détérioration de sa situation actuelle.

La sanction du pouvoir d’injonction n’est plausible que s’il existe une


menace crédible d’emploi de la coercition pour la faire exécuter. De même,
le paiement d’une amende est-il facilité par la crainte d’une saisie arrêt sur
le salaire.

Au contraire, la sanction du pouvoir d’influence est l’octroi ou le refus d’une


récompense. Sa mise en œuvre n’exige nullement l’emploi de la force. Si les
lecteurs n’ont pas suivi les conseils politiques du grand éditorialiste, ils
n’ont à craindre aucune mesure de contrainte.

B. Injonction de fait, règle de droit

Injonction de fait : un individu s’arroge le fait sur autrui un pouvoir qui n’est
justifié par aucune codification. Il y a simplement exploitation de facto d’un
rapport de force inégal. L’homme politique soumis par un tiers à un discret
chantage financier, le collaborateur d’un ministre contraint par lui de
couvrir une opération illicite, illustrent ce type de situation.

Injonction morale : elle mobilise à son profit une éthique : valeurs


universelles ou simplement « loi du groupe » consacrée par une tradition
perçue comme légitime. Elle repose sur l’éventuelle mise en œuvre d’une
coercition psychologique. L’assujetti qui refuse de se soumettre à la
prescription subit une tension subjectivement insupportable.

Injonction juridique : injonction la plus fortement institutionnalisée.

C. Modalités du pouvoir d’influence

La relation d’influence exclut la contrainte. Fondamentalement, l’influence


repose donc sur la séduction. Deux modalités doivent être distinguées :

1. La persuasion

C’est une démarche ouverte et intentionnelle, de A pour conduire B à


l’action (ou l’inaction) Y qu’il n’aurait pas adoptée sans lui. Persuader peut
prendre la forme d’un travail sur les représentations que l’influencé se
fait de ses intérêts. Une information supplémentaire lui est donnée,

14
pertinente ou erronée, honnête ou mensongère. Au terme de ce processus
qui mobilise des arguments rationnels ou/et affectifs, B voit ses intérêts et
ses aspirations différemment, il agit en conséquence.

Persuader peut aussi prendre une autre forme, cumulative avec la


précédente. A fait une promesse, il laisse entrevoir un avantage matériel ou
encore une gratification symbolique qui conduisent B à réviser l’idée qu’il
se faisait de son intérêt. L’activité de persuasion repose donc toujours sur
l’octroi d’une information supplémentaire.

La manipulation est une variante de la persuasion qui est caractérisée par


sa clandestinité. A influence B à son insu, il l’oriente sans qu’il le sache vers
le comportement souhaité. Manipuler l’opinion publique prendra par
exemple la forme d’une campagne de rumeurs dont la source n’est pas
identifiée.

2. L’autorité légitime

Cette capacité d’influence se fonde sur des qualités personnelles ou sociales


du sujet et le plus souvent, sur son statut dans la société. On dit avoir de
l’autorité. Une influence de ce type s’exerce du seul fait que puisse être
perçu le souhait de qui « détient » cette précieuse prérogative, que le
souhait soit formulé explicitement ou apparait simplement plausible,
voire purement imaginaire.

3 situations doivent être distinguées :

- L’autorité fondée sur le charisme. Max Weber la définit comme


« assise sur la grâce personnelle et extraordinaire d’un individu ;
elle se caractérise par le dévouement tout personnel des sujets à la
cause d’un homme et par leur confiance en sa seule personnelles
autant qu’en se singularise par des qualités prodigieuses, par
l’héroïsme ou d’autres particularités exemplaires qui font le
Chef ». Il ressort de cette définition que cette forme d’influence ne
réside pas seulement dans les qualités exceptionnelles d’un
homme mais dans la relation qui unit cet individu à tous ceux qui
partagent le désir intense de s’identifier à un « grand homme »
que les qualités de celui-ci soient réelles ou imaginaires, frappantes
pour tous les membres de la Société ou seulement pour quelques-
uns ;
15
- L’autorité fondée sur la compétence. La maîtrise ou le contrôle de
savoirs, réputés efficaces ou valorisants dans une situation
donnée, (celui d’un médecin face à ses malades ou du diplômé d’une
grande école sur le marché de l’emploi) définit la compétence. Celui
qui se soumet à l’autorité de la compétence espère un retour en
informations utiles lui permettant un gain d’avantages. Il est
utile de distinguer deux types de compétences : celle de l’expert
spécialisé, détenteur de savoirs pointus, relativement rares et
recherchés. Dans la structure du pouvoir c’est l’autorité du financier,
du stratège militaire, du diplomate. Celle du responsable hiérarchique
qui repose sur le contrôle des réseaux d’informations sociales, qui lui
permet de disposer de plus d’informations utiles et, par ailleurs, de
pratiquer éventuellement une rétention calculée de ce qu’il sait
(ministre, préfet, chef d’entreprise,…).
- Autorité fondée sur les valeurs. Dans toute société, il existe des
valeurs partagées auxquelles se trouvent identifiées de manière
privilégiée certaines catégories de personnes ou certains
individus. Ce statut prééminent leur confère un pouvoir d’influence
spécifique. Là où dominent les valeurs religieuses, le fait d’être
reconnu, statutairement ou pas, comme intermédiaire entre la
divinité et les êtres humains, confère à ces personnes-là leur autorité
légitime. Là où donnent les valeurs guerrières ou militaires l’autorité
sera conférée aux chefs militaires. Là où dominent les valeurs et
normes de l’Etat de droit institutionnalisé, la légalité de la procédure
du suffrage universel confère à l’élu une présomption plus ou moins
solide de légitimité. La légitimité de l’autorité peut aussi être fondée
sur la croyance, sur des propositions « in démontrées et
indémontrables ». Ces propositions peuvent être liées à la
religion ou à la tradition.

16
Sous-chapitre IV. Notion de pouvoir et notion de puissance (RI)

La notion de puissance se trouve au cœur de la théorie réaliste des


relations internationales6. La puissance est une capacité, la capacité d’agir
sur d’autres pour atteindre les objectifs que l’on s’est fixé. Plus
spécifiquement, pour un État ou une organisation internationale, la
puissance est cette capacité d’imposer ses vues à l’autre et à modeler son
action7.
Par opposition à la puissance coercitive ou Hard power8, Joseph
Nye définit la puissance douce ou le Soft power comme la capacité d’un
acteur à convaincre les autres du bien-fondé de sa position sans recourir à
la menace ou à la contrainte. Il s’agit, selon l’auteur, d’un pouvoir
d’attraction ou d’influence d’ordre culturel et économique. Ce pouvoir
s’exerce par la projection et la diffusion de la culture, des idées, des normes,
de l’idéologie, des institutions, d’un mode de vie... Ce serait une capacité à
séduire l’autre et à l’attirer, en le menant souvent à l’acceptation et à
l’imitation9.
Selon Nye, il n’existerait pas de dissociation exclusive entre le Hard
power et le Soft power. Les éléments des deux types de puissance peuvent
interférer et se renforcer mutuellement. La qualification de Hard ou de Soft
power porterait plutôt sur la prédominance de la coercition ou de la
douceur dans l’exercice d’une puissance10. Nye exclut aussi du Soft power
toutes les stratégies ou tactiques politiques reposant sur l’usage de la
« carotte » et du « bâton », sur le jeu des incitations et des pénalisations, qui
rentreraient, selon l’auteur, dans le champ de la puissance coercitive. La
conditionnalité politique serait ainsi un instrument relevant du Hard power
puisqu’elle suppose l’usage de « carotte » (octroi d’avantages, aides) et du

6
SMOUTS (M.-C.), BATTISTELLA (D.) et VENNESSON (P.), Dictionnaire des relations internationales,
Paris, Dalloz, 2003, 506 p., p. 411. Sur le concept de puissance et sa place dans les théories réalistes des relations
internationales voir ROCHE (J.-J.), Relations internationales, Paris, LGDJ, 1999, 372 p., page 109 et ss.
7
La puissance signifie la capacité de l’État à faire ce qu’il veut faire, comme et quand il entend le faire, et sa
capacité de faire faire à autrui, d’amener donc un autre État à faire ce qu’il n’aurait pas fait en l’absence de cette
relation. Négativement, elle signifie la capacité d’un État de ne pas faire ce qu’il ne veut pas faire, et d’empêcher
un autre de faire ce qu’il souhaiterait faire. SMOUTS (M.-C.), BATTISTELLA (D.) et VENNESSON (P.), op.
cit., p. 411.
8
La puissance coercitive ou Hard Power signifie la puissance de commandement, de contrainte. Il s’agit de la
conception stato-centrée de la puissance réduite à sa simple expression militaire. Voir CAMPBELL (K. M.) and
O’HANLON (M. E.), Hard Power : The New Politics of National Security, Basic Books, Cambridge, 2007, 336
p.
9
NYE (J.), Soft Power : The Means to Success in World Politics, New York Public Affairs, 2004, 191 p.
10
NYE (J.), op. cit., p. 25.

17
« bâton » (retrait d’avantages, d’aides en cas de non-respect du triptyque
« Droits de l’homme-démocratie-État de droit »).

18
CHAPITRE II. DOMINATION

Section 1. Pouvoir et domination

La notion de pouvoir est associée à celle de domination. Max Weber, qui en


est l’un des principaux théoriciens, distingue la puissance de la domination.
La puissance est pour lui synonyme de pouvoir, elle signifie: « toute chance
de faire triompher au sein d’une relation sociale sa propre volonté, même
contre des résistances, peu importe sur quoi repose cette chance.»

Ceci signifie que le pouvoir peut reposer uniquement sur la contrainte.

La domination suppose, en revanche, que les relations de pouvoir


s’inscrivent dans un cadre légitime, c’est à dire qu’elle soit acceptée
par ceux qui la subissent.

Les relations de pouvoir légitimées et stabilisées relèvent de la domination.

Weber la définit ainsi: « Nous entendons par domination, la « chance », pour


des ordres spécifiques […] de trouver obéissance de la part d’un groupe
déterminé d’individus. Il ne s’agit cependant pas de n’importe quelle chance
d’exercer « puissance » et « influence » sur d’autres individus. En ce sens, la
domination (l’autorité) peut reposer sur les motifs les plus divers de docilité:
de la morne habitude aux pures considérations rationnelles en finalité. Tout
véritable rapport de domination comporte un minimum de volonté
d’obéir par conséquent, un intérêt intérieur ou extérieur, à obéir. »
(Économie et société, p. 285)

La domination doit comporter un minimum de volonté d’obéir, être


reconnu et accepté pour se maintenir. Reposant uniquement sur la force (la
contrainte), le pouvoir est précaire et menacé.

La question qui se pose dès lors est de savoir d’où vient cette volonté
d’obéir?

Comment se fait-il qu’on accepte de se soumettre au bon vouloir d’un petit


nombre d’individus ?

Deux régulations : des régulations externes et des régulations internes.

Régulations externes : ensemble de règles obligatoires, subjectivement


perçues par les assujettis comme s’imposant du dehors de leur volonté.

19
L’identification de ces régulations externes n’est pas difficile : exemple : la
règle juridique comportant une sanction, norme socio-culturelle ancienne
comportant une sanction sociale … l’obéissance à la régulation externe est
psychologiquement couteuse pour l’assujetti, « quelque chose » s’interpose
visiblement entre le sujet et l’objet de son désir.

Régulations internes : elles résultent d’un processus actif, opéré par


l’assujetti, qui consiste à intérioriser, à s’approprier, à faire siennes, les
régulations externes auxquelles il est confronté. Cette intériorisation peut
prendre la forme de l’esquive, de la fuite. Le coût sera ici faible pour
l’individu. Il échappe à la sanction et à la punition (fraude fiscale par
exemple, …). Elle peut aussi exiger une rébellion ouverte très couteuse
(coercition et sanction).

Dans le cas où ni l’esquive/fuite ni la rébellion ne sont possibles, l’individu


doit procéder à un véritable travail d’appropriation de la régulation
externe. Il légitime et justifie son obéissance à une règle externe par la
morale, l’éthique, la tradition soit rationnellement en faisant un calcul
coûts/avantages.

Pour Weber, il est nécessaire que les individus croient en la légitimité de la


domination à laquelle ils obéissent.

Ceci amène Weber à établir une typologie des légitimités revendiquées,


celles-ci conditionnant aussi bien les formes de l’obéissance que les
caractéristiques et les modalités d’exercice de la domination.

Section 2. Typologie de la domination

Max Weber distingue les modes de domination par les types de légitimité
sur lesquels ils reposent. Il a ainsi construit 3 idéaux-types de domination:

-La domination traditionnelle ;

-La domination charismatique ;

-La domination rationnelle-légale ;

Paragraphe 1. La domination traditionnelle

Elle repose sur la coutume et la tradition. Elle fonde son autorité sur
l'obéissance à des coutumes « sanctionnées par leur validité immémoriale ».

20
Elle puise sa légitimité dans les coutumes et repose sur l'habitude que les
acteurs ont de respecter ces coutumes. Celui qui exerce le pouvoir est
légitime car il puise sa légitimité dans les coutumes, car il y a adéquation
entre sa nomination et les coutumes reconnues par le droit.

Tout cela dépend de la force de la croyance en la tradition. Au fil des


ans, les institutions deviennent naturelles, suscitent des réflexes
d'obéissance. Il n'existe pas de texte codifiant cette domination, celle-ci est
intériorisée dans les individus. Elle finit par être naturelle et nécessaire car
elle se perpétue.

Exemples : domination de la société féodale, monarchie de l'Ancien Régime,


les sociétés dans lesquelles existait une forte personnalisation du pouvoir.
La coutume est donc une contrainte pour le gouvernement, le
dominant doit agir conformément aux valeurs établies.

Paragraphe 2. La domination rationnelle-légale

Les gouvernés consentent à un ordre légal, le rendant légitime. Dans ce


type de domination, l'appareil administratif est perfectionné, hiérarchisé,
les compétences sont déterminées. L'exercice du pouvoir est fondé sur la
compétence juridique des agents, est organisé à l'avance par des textes
répartissant ces compétences selon un principe hiérarchique.

Weber prend comme exemple l'État bureaucratique moderne. Cette


domination caractérise le fonctionnement des sociétés contemporaines. Le
pouvoir est organisé par des règles écrites définissant les droits et
devoirs des gouvernants et gouvernés. Les gouvernants agissent
conformément aux normes car toute transgression menacerait la légitimité
à exercer le pouvoir, tandis que les gouvernés ne sont tenus d'obéir que
dans la limite de la réglementation du pouvoir.

Les gouvernants peuvent gouverner car ils ont été choisis par des
procédures conformes à la Constitution. Il y a une forme de
dépersonnalisation dans l'exercice de la domination. On obéit à des
règles et des fonctions plus qu'à des individus, conduisant à une juridisation
des rapports de pouvoir car la légitimité de l'État repose sur le fait qu'il se
soumet lui aussi à des règles de droit qu'il produit et qui sont jugées comme
universelles. De plus cet État de droit accepte de se soumettre au contrôle
de juridiction constitutionnel.
21
Paragraphe 3. La domination charismatique

La légitimité provient des qualités exceptionnelles du dirigeant, liée à


un individu et surtout au fait que les gouvernés croient /
reconnaissent ses qualités. On obéit à un individu parce qu’il est doté de
qualités hors du commun. La domination politique est donc fondée sur la
croyance, dans le caractère exemplaire d'un chef. L'adhésion populaire est
d'ordre personnel, affectif.

La domination charismatique repose sur « la soumission au caractère sacré,


à la vertu héroïque ou à la valeur exemplaire d'une personne ou encore
émanant d'un ordre révélé de celle-ci. Les qualités exceptionnelles du leader,
son charisme, justifient sa position de gouvernant aux yeux des gouvernés ».

Cela dépend du contexte, d'un caractère historique rendant la population


réceptive à ce type de domination. Le chef impose un contact direct avec le
peuple et peut parfois court-circuiter les institutions.

Cette forme de légitimité est fragile car elle doit être confirmée
régulièrement pour être gardée. Il y a un risque de « routinisation du
charisme ». Cette domination est souvent précaire et limitée dans le temps,
elle disparaît en même temps que le leader qui l'incarne. Cette domination
peut se combiner avec la domination traditionnelle (monarque vénéré) ou
avec la rationnelle légale (chef de gouvernement démocratique ayant une
popularité exceptionnelle, comme de Gaulle).

En général, un régime politique s'apparente à l'un des trois types décrits,


mais en pratique ils se combinent dans des contextes historiques variables.
L'Empire napoléonien combine de manière inégale ces trois formes de
légitimité. La forme dominante est le type charismatique : cette légitimité se
retrouve dans l'attachement à la personne de l'empereur, dans
l'établissement d'une légende autour de ses épopées militaires. On trouve
aussi des éléments de légitimité légale rationnelle – c'est à cette époque que
l'on a créé une administration rationnelle et centralisée, qu'on a codifié le
droit coutumier (Code civil) ; mais aussi des éléments de légitimité
traditionnelle : on a tenté de reconstituer une société de cour, on a créé une
noblesse impériale, on a voulu constituer une dynastie.

22
Le Gaullisme (début de la Ve République) s'est toujours revendiqué d'un
double principe : la légalité, le pouvoir procède du suffrage (proche de la
légitimité rationnelle légale). Pour De Gaulle, le pouvoir procède de la
confiance, il se réclamait du lien de confiance qu'il entretenait avec les
citoyens, il est l'homme de l'appel du 18 juin (proche d'une légitimité de
type charismatique – les référendums permettant de tester les liens qui le
lient aux Français ; d'ailleurs le référendum de 1969 l'amènera à
démissionner). Il y a par ailleurs de plus en plus une dimension
charismatique dans les régimes politiques contemporains.

23
CHAPITRE III. LE SYSTEME POLITIQUE

Quelle est la différence entre régime politique et système politique ?

Le régime politique est caractérisé par l’aménagement constitutionnel du


pouvoir et des rapports entre institutions

Le système politique comporte l’aspect aménagement constitutionnel et


inclut l’environnement, c’est-à-dire les autres composantes de la
communauté politique, les formes économiques et les traits culturels

= le régime est une sous partie du système politique

Section 1. La démocratie/le système démocratique

Paragraphe 1. Notion

Le système démocratique est un système complexe. Cette complexité


explique l’existence de différentes acceptions (significations) de la
démocratie.

1. Une acception substantielle (maximaliste): la démocratie y est considérée


comme un système dans lequel l’ensemble des droits politiques,
économiques et sociaux sont respectés.

2. Une définition minimaliste se concentre sur les formes et la dimension


politique et ramène la démocratie au respect des procédures d’accès et
d’exercice du pouvoir. Joseph Schumpeter: « la méthode démocratique est le
système institutionnel aboutissant à des décisions politiques dans lequel les
individus acquièrent le pouvoir de statuer sur ces décisions à l’issue d’une
lutte concurrentielle portant sur les votes du peuple. »

La définition procédurale (minimaliste) est plus facile à étudier, mais elle


est très limitée. La simple tenue d’élections ne garantit pas l’existence d’une
démocratie. La mise en place d’institutions démocratiques ne conduit pas
systématiquement au développement économique ou politique.

Comme tous les systèmes politiques, le système démocratique englobe une


diversité de régimes :

24
Régime Régime Régime mixte
parlementaire présidentiel
Chef d’Etat - Monarque Elu au suffrage Elu au suffrage
- Président universel direct, universel. Peut
d’une ne dispose pas de dissoudre le
République pouvoir de Parlement.
(honorifique, dissolution du
protocolaire), Parlement
élu par le
Parlement
Chef du Issu de la majorité Nommé par le Responsable
gouvernemen parlementaire Président/Peut devant le
t ne pas exister Parlement, le
(USA) Parlement peut
le soutenir ou lui
retirer sa
confiance
Parlement - Accorde sa - Ne peut - Peut
confiance au retirer la retirer la
chef du confiance confiance
gouvernement au au
, au gouvernem gouvernem
gouvernement ent ent
- Elit le - Peut être - Peut être
Président dissous par dissous par
- Ne peut élire le le
un monarque Président Président
(Monarchie
constitutionne
lle)

La démocratie est à la fois un système politique (déclinée en plusieurs


régimes) et un idéal normatif.

La définition juridique de la démocratie par les constitutionnalistes, la


désigne comme « le régime politique où, ni un individu, ni un groupe, ne
s’approprie le pouvoir, ses titulaires sont désignés par le peuple, par voie
d’élections périodiques et sont contrôlés par lui » (ARDANT (P.), Institutions
politiques et droit constitutionnel, L.G.D.J., 18ème éd., 2006, p.145.).

25
De ce fait, « situant la source du pouvoir dans le peuple, la démocratie
s’efforce de faire prévaloir la volonté des plus nombreux. Elle repose sur le
suffrage universel et implique à la fois le pluralisme des formations politiques
et la liberté des citoyens et des groupes » (PACTET (P.), Institutions
politiques, droit constitutionnel, A. Colin, 26ème éd., 2007, p.85.)

Paragraphe 2. Typologie des démocraties

La démocratie prend deux formes : directe ou indirecte.

- La démocratie directe correspond à l’idéal démocratique originellement


forgé en Grèce au Vème siècle avant Jésus-Christ. Dans la démocratie « le
peuple se gouverne directement lui-même par la participation de tous les
citoyens ».

- La démocratie indirecte correspond à la démocratie élective


représentative qui est aujourd’hui la forme classique de la démocratie.

La démocratie délibérative et la démocratie participative sont nées de


tentatives de corriger ou de remédier aux faiblesses de la démocratie
représentative (perte de confiance dans les institutions et les hommes
politiques).

A. Démocratie athénienne/antique

La révolution athénienne eut lieu en 507 avant J-C, après un régime


aristocratique, puis tyrannique. C’était l’avènement de la démocratie
Demokratia (demos signifie les citoyens et Kratos le pouvoir politique).

Le citoyen dans la cité-Etat grecque d’Athènes désigne les résidents adultes


masculins et natifs de la Cité. Étaient donc exclus de la citoyenneté les
esclaves, les femmes et les étrangers.

La citoyenneté, en octroyant un droit de vote égal et une voix égale dans


l’assemblée des citoyens, n’étaient pas définie sur la base de la richesse ou
la noblesse, mais sur les critères suivants:

-Naître de parents athéniens

-Être accepté par un vote de ses voisins

-Ne pas avoir été déclaré coupable de crime envers la Cité.

26
Il s’agissait d’une démocratie directe. Les citoyens se dirigeaient d’eux
même au lieu d’élire des représentants. C’est à travers l’Assemblée des
citoyens qu’étaient discutées et votées les décisions relatives à la gestion
des affaires publiques de la Cité (fiscalité, diplomatie, opérations militaires,
l’aide sociale, etc.). L’assemblée se réunissait 40 fois par an et l’ordre du
jour était fixé par les 500 membres du Conseil choisis pour un an par un
tirage au sort.

La démocratie athénienne repose sur un certain nombre de principes


fondamentaux que sont:

- l’égalité devant la loi (isonomie),

- égalité de parole des citoyens (iségorie),

- la participation aux affaires publiques (isogonie),

L'autochtonie : le pouvoir appartenant à l'ensemble des citoyens, ne


peuvent diriger le destin de la cité que ceux qui en sont issus, les
autochtones. Droit du sol + droit du sang

L'isogonie : Ll'isogonie signifie simplement que tous les autochtones ont les
mêmes droits à la citoyenneté, quelles que soient ces inégalités. Elle ne
garantit pas même une égalité complète dans l'exercice des droits
politiques, certaines charges étant, en principe, réservées et attribuées en
fonction de l'appartenance à des classes censitaires.

D'après Aristote, la répartition s'établissait comme suit :

Les pentacosiomédimnes (producteurs agricoles) : plus de 500 mesures

Les possesseurs de chevaux : plus de 300 mesures

Les possesseurs de bœufs : plus de 200 mesures

Les thètes (sans biens, salariés) : moins de 200 mesures

- l’alternance des magistratures et la reddition de compte en fin d’exercice


d’une charge, c’est-à-dire la responsabilité.

Il n’y avait pas de classe politique « professionnelle » au sens moderne du


terme, ni de bureaucratie permanente.

27
«La concentration de l’autorité dans l’Assemblée, la fragmentation et le
caractère rotatif des postes administratifs, le choix par tirage au sort,
l’absence de bureaucratie rétribuée, les jurys populaires, tout cela contribuait
à empêcher la création d’un appareil de parti et, par voie de conséquence,
d’une élite politique institutionnalisée. » (M.I. Finley, Démocratie antique et
démocratie moderne, Paris, Fayot, 1976, p. 75-76).

Les décisions se prenaient suite à une négociation permanente entre les


citoyens ordinaires et une élite. L’élite ne se perpétuait pas d’elle-même; La
procédure de l’ostracisme, qui consistait à soumettre à un exil de dix ans
l’ostracisé désigné, avait été introduite pour consolider la démocratie et la
préserver d’un retour à la tyrannie lié à l’influence excessive qu’aurait pu
exercer une personnalité sur la cité.

Ostracisme : mesure d'éloignement politique, un simple vote de défiance à


l'égard d'un citoyen influent soupçonné d'aspirer au pouvoir personnel : ce
n'était pas une peine judiciaire, cette sanction n'étant pas une
condamnation pénale : elle ne s'accompagnait pas de peine pécuniaire, et
les droits civiques étaient conservés.

La parole est un enjeu de pouvoir dans la démocratie athénienne. La


démocratisation de la parole, en mettant l’élite et les couches populaires sur
un pied d’égalité, fait entrer sur la scène politique non seulement les grands
orateurs mais les hommes ordinaires qui expriment la « voix du peuple ».
La question est de savoir comment se faisait le partage de la parole – donc
du pouvoir – entre l’élite et le peuple?

La négociation entre l’élite et le peuple était menée au sein de l’assemblée,


des tribunaux du peuple et dans plusieurs forums publics.

Le débat public a une fonction de régulation des opinions : l’échange


d’arguments ne vise pas nécessairement la transparence au sens de faire
toute la lumière sur une affaire, mais bien plutôt le consensus par
l’adhésion et le consentement mutuels, à l’exclusion de la violence physique.
Le consensus ne signifie pas la disparition des oppositions ou de la
controverse.

C’est un débat démocratique reposant sur le principe d’iségorie qui se


définit comme « le droit de tous à prendre la parole devant l’assemblée ».
L’orateur devait montrer qu’il était bien informé, et patriote, c’est-à-dire
28
qu’il en savait bien plus que la plupart des citoyens et qu’il était en même
temps un défenseur du pouvoir du peuple. Mais il est indispensable de
savoir argumenter pour persuader et convaincre. De ce fait, dans le débat
démocratique, la parole de l’homme du peuple n’a pas la force de
persuasion de la parole de l’orateur maitrisant l’art de la rhétorique. Il s’en
suit une inégalité de fait entre l’élite et le peuple.

La démocratie athénienne a connu l’instabilité politique, la précarité dans le


fonctionnement de ses institutions, la versatilité du demos en proie aux
passions et aux séductions des orateurs, la tyrannie de la majorité ou le
penchant à l’anarchie, ainsi que l’incompétence des magistrats non-
professionnels et le versement de l’obole pour encourager la présence et la
participation des citoyens à l’assemblée.

B. La démocratie représentative

Les nations démocratiques aujourd’hui ont toutes adopté le modèle de la


démocratie représentative où, à la différence de la démocratie directe
athénienne, les citoyens transfèrent à d’autres individus la charge de diriger
pour eux les affaires publiques.

1. Genèse

C’est du courant libéral développé en Angleterre et en France aux XVII et


XVIII siècles, naitront les démocraties que nous connaissons aujourd’hui.

Le libéralisme est une philosophie politique issue des Lumières, qui opte
pour la liberté des individus et leur égalité, en réponse à l’absolutisme de la
société française.

Les principaux théoriciens en sont Rousseau (Du contrat social -1762),


Montesquieu (De l’esprit des lois-1758) et l’abbé Sieyès (député du tiers
état)11.

• Rousseau théorise une démocratie directe, quoique différente de la


démocratie athénienne en ce qu’elle fractionnée : un peuple législateur et
un gouvernement exécuteur. L’initiative de l’élaboration des lois revient à

11
Emmanuel-Joseph Sieyès ou l'abbé Sieyès, né le 3 mai 1748 à Fréjus et mort le 20 juin 1836 à Paris, est un
homme d'Église, homme politique et essayiste français, surtout connu pour ses écrits et son action pendant la
Révolution française. Les députés représentaient chacun les membres de leur ordre, c'est-à-dire ceux de la
noblesse les nobles, ceux du clergé les ecclésiastiques, et les députés du tiers état les roturiers (les non-nobles).

29
une guide et c’est au peuple de les voter; un gouvernement est par ailleurs
indispensable pour assurer l’exécution des décisions. Le système imaginé
par Rousseau est donc bien la démocratie directe ou, tout au moins, lorsque
le nombre et la dispersion empêchent les citoyens de s’assembler pour
délibérer, un système de « commissaires » investis d’un mandat impératif,
les hommes y sont libres et parfaitement égaux, ce qui est à l’origine du
principe démocratique.

La conception de Montesquieu et de l’abbé sont bien différentes de celle de


Rousseau.

• Dans l’Esprit des Lois, Montesquieu explique que, « comme dans un Etat
libre, tout homme qui est censé avoir une âme libre doit être gouverné par lui-
même, il faudrait que le peuple en corps eût la puissance législative. Mais cela
est impossible dans les grands Etats, il faut que le peuple fasse par ses
représentants tout ce qu’il ne peut faire par lui-même ». Dès lors, le seul
pouvoir du peuple consiste à choisir ses représentants.

• L’abbé Sieyès quant à lui, il distinguait dans son Discours du 7 septembre


1789, gouvernement démocratique (qu'il rejette) et gouvernement
représentatif. Les citoyens doivent renoncer à participer à l'élaboration des
lois et nommer des représentants éclairés à leur place. « Les citoyens qui se
nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes
la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des
volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État
démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une
démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut
agir que par ses représentants. »

La vision de Montesquieu et de l’Abbé Sieyès est élitiste et


aristocratique, voire anti-démocratique. C’est pourtant leur approche
qui va être retenue et qui va conduire dans un premier temps, au
gouvernement représentatif.

Elle a été consacrée à l’article 3 de la déclaration des Droits de l’Homme et


du Citoyen du 26 août 1789 et dans le Titre III de la Constitution du 3
septembre 1791. Ainsi, malgré l’avènement du gouvernement représentatif,
celui-ci n’en est pas pour autant démocratique, il ne le deviendra que

30
progressivement avec la reconnaissance du droit de vote et d’éligibilité
étendu à l’universalité des citoyens.

2. Approche sociologique

Daniel Gaxie définit la démocratie représentative comme « une compétition


pour la conquête de positions de pouvoirs dans l’Etat. » il met ainsi au jour la
logique de spécialisation et de professionnalisation de la vie politique qui
s’oppose à la ploutocratie12.

(Daniel Gaxie, La démocratie représentative, 1993, p. 11.)

Les caractéristiques de cette compétition sont les suivantes:

Elle est:

- pacifique ;

- Inégalement spécialisée ;

- autonome et hétéronome13 ;

- Et c’est une compétition pour la conquête d’un marché.

a. Compétition pacifique

Une propriété importante des démocraties est que les rivalités pour la
conquête du pouvoir prennent une forme pacifique.

Cette modalité de conquête du pouvoir remplace la violence physique qui


était le moyen ordinaire de la lutte politique.

L’Etat s’est en effet progressivement imposé comme l’institution détenant le


monopole de la contrainte physique légitime L’Etat dispose seul d’un droit,
reconnu comme justifié, d’utiliser la force physique contre des personnes
par l’intermédiaire des tribunaux, de la police, de l’armée, des prisons et de
diverses autres administrations.

12
Etymologiquement, la ploutocratie est un système politique ou social dans lequel le pouvoir est exercé par
les plus riches. Par extension, c'est un système dans lequel le pouvoir de la finance est prédominant.
13
L'hétéronomie est le fait qu'un être vive selon des règles qui lui sont imposées, selon une "loi" subie.
L'hétéronomie est l'inverse de l'autonomie, où un être vit et interagit avec le reste du monde selon sa nature
propre.

31
Les élections désignent souvent les gouvernants, de ce fait les membres des
groupes (armée, milieux financiers, syndicats, associations, partis,
mouvements sociaux) se contentent d’orienter les décisions de l’Etat par
des moyens pacifiques.

Les actions violentes sont considérées comme des désordres et des


débordements d’éléments incontrôlés.

L’activité politique revêt ainsi un caractère symbolique plus marqué: les


acteurs cherchent à l’emporter non plus par la force physique ou militaire
mais par l’imposition de la légitimité de leur point de vue. La lutte
politique prend la forme d’une lutte sur le sens des choses.

La compétition, caractérisée par l’existence de manœuvres légitimes,


c’est-à-dire de manières d’agir définies, retenues et ordinairement
admises par le plus grand nombre. La compétition est un mélange de
conflits et de compromis, de tensions et de paix. La politique exprime les
contradictions sociales en même temps.

La pacification de la compétition politique montre que l’institution d’un


système politique démocratique dépend de transformations sociales
générales complexes encore imparfaitement connues : l’exportation
ou l’imitation de certaines caractéristiques politiques ou juridiques
formelles ne peut garantir à elle seule la démocratisation d’une
société.

b. Compétition inégalement spécialisée

Les démocraties représentatives sont un élément de sociétés complexes,


notamment caractérisées par la division du travail de domination et la
différenciation des catégories dirigeantes.

Les fonctions électives des hommes politiques modernes est une activité
spécialisée (un métier) au sens donné par Max Weber qui définit le
professionnel de la politique comme celui qui vit « de et pour la politique
».

Par ailleurs, l’activité des hommes politiques s’est sécularisée et séparée


de la religion. Elle est devenue distincte aussi des activités

32
économiques, même si elle nécessite des moyens économiques et si elle
peut avoir des conséquences dans ce domaine.

L’activité politique s’est elle aussi complexifiée historiquement avec


l’apparition de diverses formes de division du travail politique
spécialisé.

La première distinction concerne les différences entre l’homme politique et


le fonctionnaire. Celui-ci (le fonctionnaire) est recruté par voie de
concours, puis nommé dans une fonction stable. Il s’engage ainsi dans une
longue carrière. Etranger à l’univers politique, il ne participe pas à la
compétition pour les positions de pouvoir. Il a en principe un pouvoir
d’exécution : il ne prend pas les décisions mais applique les directives des
autorités politiques.

Au contraire, l’homme politique est élu ou cherche à se faire élire. Il


participe directement à la compétition politique. Sa situation est précaire
car elle dépend du rapport de forces électorales.

Le politique dispose d’une légitimité dans l’orientation des programmes


d’action engagés au nom de l’Etat en vertu de son succès dans les élections
et son accès à des positions officielles au sein de l’Etat.

33
Dans les démocraties représentatives, les administrations sont
subordonnées aux autorités politiques, même si les agents
administratifs disposent de ressources importantes qui leur
permettent d’imposer leurs points de vue et d’orienter les politiques
publiques. Ils ont, en vertu d’une expertise technique légitime et une
certaine autonomie, un pouvoir d’initiative et d’élaboration des décisions,
qui sont par la suite appropriées par les hommes politiques.

Le modèle bureaucratique :

Le modèle bureaucratique mis en place par Max Weber est le modèle de référence,
de progrès et d’innovation au XXème siècle. Le modèle organisationnel moderne
découle du type d’autorité rationnelle-légale ou bureaucratique, ce modèle est
induit par l’essor du capitalisme et il est la forme la plus efficace pour la direction
des grandes organisations.

Pour Weber, 6 principes

- Division du travail : Le poste, les tâches et les responsabilités de chacun doivent


être clairement définies et distincts.

- Structure hiérarchique : Les relations entre un dirigeant et ses subalternes sont


codifiées et l’autorité est précisément définie.

- Sélection du personnel : La sélection du personnel se base sur la formation et les


connaissances techniques qui auront été vérifiées au préalable.

- Règles et règlements normalisés: L’uniformité du travail et la normalisation des


actes accomplis sont mis en pratique par le biais de règles, de codes, de
méthodes, de procédures précises.

- Caractère impersonnel des relations : Les relations entre les différents membres
de l’organisation doivent être impersonnelles. L’application des règles et des
règlements évite tout conflit de personnalités.

- Avancement : Les employés reçoivent un salaire à un taux fixe et peuvent obtenir


de l’avancement selon leur compétence et ancienneté.

Le fonctionnaire est davantage soucieux des considérations techniques,


l’homme politique est en revanche disposé à se préoccuper des aspects
politiques. Quand il doit prendre une décision, il tient compte des aspects
intrinsèques du problème à résoudre, mais cherche aussi à anticiper les
réactions probables de ses adversaires, de la presse, des membres de son
propre parti, des groupes concernés et de ses électeurs.

34
La compétition démocratique se déroule donc dans des espaces de
compétition différenciés (distincts des autres champs sociaux) que l’on
peut appeler champs politiques.

On distingue :

- champ politique central: c’est un espace de compétition structuré par la


conquête de positions de pouvoir politique centrales des Etats
(positions gouvernementales, mandats parlementaires, appartenance aux
cabinets ministériels, direction des partis, etc.). Ce champ politique central
est donc un espace assez nettement différencié, spécialisé et
professionnalisé.

- champs politiques périphériques : Ce sont aussi des espaces de


compétition politique au sens où l’un de leurs enjeux est la conquête de
positions de pouvoir politique dans diverses institutions périphériques.
(Etats fédérés, communes, département, régions).

Quand ils sont un tant soit peu différenciés, les champs politiques sont
dotés d’une certaine autonomie et soumis à des lois propres. Leur
fonctionnement est structuré par la distribution du capital politique
spécifique. Des clivages structurels propres à ces champs opposent les
hommes politiques selon qu’ils occupent une position haute ou basse dans
l’espace politique, qu’ils occupent une position centrale ou périphérique, les
titulaires de divers types de mandats représentatifs (Gaxie, 1997) et selon
la position de tenant, de prétendant, d’outsider ou d’entrant.

- Les tenants occupent ou sont solidaires des occupants des positions de


pouvoir dans un champ, un sous-champ ou une organisation politique.

- Les prétendants sont les individus et les groupes rivaux des tenants. Ils
ont occupé des positions de pouvoir dans le passé et/ou ils disposent de
ressources suffisantes pour envisager d’y accéder dans un futur rapproché.

- Les entrants et les outsiders s’opposent d’abord aux tenants mais aussi à
l’ensemble des forces et agents établis. Leur capital de reconnaissance
externe (par les électeurs, les sondés, les manifestants, les milieux
d’affaires) et interne (par les pairs et les corps d’Etat) est plus faible.

35
c. Compétition autonome et hétéronome :

1. Une compétition hétéronome (c’est dire qui tire sa loi de l’extérieur) :

Dans les démocraties représentatives, la compétition est tournée vers


l’extérieur. Quand elle est différenciée, des hommes politiques spécialisés
s’affrontent pour capter les soutiens ou la neutralité des citoyens et de
divers groupes et institutions.

Les rapports de forces dans un champ politique dépendent du nombre de


ceux qui sont censés se reconnaître dans l’un des compétiteurs ou
groupes de compétiteurs. C’est le candidat qui a obtenu le plus de
suffrages qui est élu. Le succès électoral et la position d’un homme politique
dépend de la puissance et du nombre de ceux dont il est présumé
exprimer les points de vue / défendre les intérêts.

C’est pourquoi les hommes politiques accordent autant d’importance aux


opinions et réactions des électeurs.

Les réactions des citoyens ordinaires, telles que perçues et interprétées par
les diverses catégories de spécialistes (notamment les sondeurs,
journalistes), peuvent donc produire des effets importants dans le jeu
politique. En ce sens, la compétition démocratique reçoit ses
déterminations de l’extérieur. Elle est hétéronome.

2. Une compétition autonome:

La division du travail dans l’ordre politique implique l’apparition de


spécialistes de la politique (hommes politiques, journalistes, fonctionnaires,
sondeurs etc.). Il en résulte l’exclusion de « non spécialistes » de cette
sphère différenciée, ou ceux qu’on appelle également les profanes, qui
sont généralement peu informés des questions politiques.

La représentation repose ainsi sur la délégation. Une partie des


profanes — surtout ceux que la division du travail politique conduit à
écarter — prouve des sentiments d’incompréhension et d’incompétence.

La tendance à la monopolisation des activités politiques par les spécialistes


s’accompagne de formes diverses de dépossession des profanes. Le vote
par lequel les citoyens participent, exprime des préférences. Ils délèguent le

36
pouvoir à des représentants qui vont agir dans le sens de ces préférences
mais celles-ci sont sans cesse interprétées par les politiques.

De même, des spécialistes (par exemple des journalistes, des hommes


politiques, des syndicalistes ou des intellectuels) interprètent les
significations des messages que les citoyens expriment à travers les
sondages, les manifestations, les référendums ou les élections.

Par ailleurs, en plus de l’élection par les citoyens, l’entrée dans le champ
politique est déterminée par la reconnaissance par les pairs et les «
puissants ». La reconnaissance interne, les mécanismes internes de
sélection du personnel politique conduisent à la limitation d’entrée à
de nouveaux acteurs politiques, perçus comme insuffisamment dotés
du capital politique nécessaire à la compétition politique ou encore
menaçants.

d. Une compétition pour un marché

« Afin de mobiliser les profanes, les groupes et les institutions et gagner leur
confiance ou leur neutralité, les acteurs politiques sont amenés à proposer
des discours, des conceptions du monde, des promesses ou des
programmes d’action, des services, des interventions, etc., que l’on peut
analyser comme des biens intentionnellement ou de facto proposés à des
consommateurs éventuellement intéressés. Ces biens sont produits et
diffusés, dans le cadre de la concurrence qui oppose les hommes et les groupes
en lutte pour la conquête des positions de pouvoir politique. En ce sens, la
production est collective. Les biens sont proposés relationnellement, par
opposition et par différence avec les adversaires. »

Les prises de position politiques, les décisions ou promesses de décision


publiques sont des manifestations des stratégies (pas nécessairement
calculées) de démarcation par lesquelles chaque concurrent tente de
s’imposer en s’opposant les biens produits ou délibérément offerts par des
hommes engagés dans une compétition politique sont appropriés par des
profanes ou des groupes intéressés, qui accordent en retour diverses
formes d’appuis nécessaires pour l’emporter dans cette compétition. Les
entrepreneurs politiques en compétition cherchent à mobiliser des soutiens
individuels ou collectifs en proposant des biens spécifiques et non
spécifiques, intrinsèques et symboliques, privatifs et collectifs.

37
A chaque type de champ politique correspond un type particulier de
marché politique :

Le marché politique central se distingue par la part plus élevée des biens
politiques spécifiques dans l’ensemble des biens proposés et présente
ainsi un degré de différenciation plus élevé.

Certains marchés périphériques sont plus ou moins intégrés au marché


central mais se caractérisent par une structure d’offre relativement
différente du fait de la possibilité de proposer des biens appropriables
privativement.

Les biens proposés par les entrepreneurs politiques sont collectifs au


sens économique du terme dans la mesure où leur appropriation par
un individu ne fait pas obstacle à leur appropriation par d’autres. Les
visions politiques ou morales du monde, les gestes significatifs, les
politiques publiques, les équipements, les subventions sont des biens
publics destinés à être consommés collectivement.

Ils peuvent être privatifs lorsque l’action politique s’exerce depuis une
position de pouvoir dans l’Etat. Il s’agit des biens dont l’appropriation par
un individu est exclusive de toute autre (emploi, logement, décoration
etc.)

Gaxie considère que « Le marché central et les marchés périphériques qui lui
sont rattachés sont caractérisés par une structure d’offre et de consommation
». Les biens proposés par les politiques sont convertis en crédit : le
vote, le soutien, l’adhésion au parti, les contributions financières, le
fait de se sentir en accord avec un homme politique.

L’élément important face à cette offre politique ce sont les


caractéristiques de la « clientèle » ou des consommateurs à savoir les
électeurs. Il s’agit principalement des importantes différenciations
entre citoyens en matière de compétence politique et donc de maîtrise
et de compréhension des enjeux politiques. L’investissement en
politique varie grandement, en fonction du genre, du niveau d’éducation, de
la position sociale, du degré de politisation etc.). Par exemple, la probabilité
que le vote soit l’expression d’une préférence pour une vision proprement
politique augmente avec le niveau d’instruction. Au contraire, quand ce

38
dernier s’abaisse, les électeurs se prononcent plus souvent à partir d’un
jugement éthique non spécifique sur la personne des candidats.

Conclusion

La représentation politique est ainsi considérée comme un instrument de


dépossession de la souveraineté du peuple, par les professionnels du
politique.

La vie politique apparaît ainsi faiblement démocratique puisque cette


professionnalisation de la vie politique, en augmentant la compétence
nécessaire pour en comprendre le jeu et ses enjeux, fonctionne en pratique
comme un « sens caché » – selon l'expression de Daniel Gaxie – qui tend à
en détourner la majorité des citoyens.

39
C. Démocratie délibérative ou discursive

L'idée principale de la démocratie délibérative est qu'une décision politique


est réellement légitime lorsqu’elle procède de la délibération publique de
citoyens égaux. Par rapport à la démocratie participative, elle met l’accent
sur l’exigence de débats argumentés entre les citoyens.

L’échange discursif entre les citoyens doit permettre de faire partager des
conceptions du bien commun différentes et de faire ainsi entrer en jeu le
pluralisme inhérent aux sociétés contemporaines. Aussi, l’échange
d’arguments raisonnés et capables de convaincre les autres est censé
apporter un gain de rationalité à la prise de décision finale. En effet, les
préférences des citoyens peuvent à travers la discussion s’affirmer ou se
modifier selon les arguments avancés. Les préférences deviennent
réfléchies, à la fois dans le sens où elles sont exprimées devant d’autres
citoyens qui par la possibilité d’y répondre par oui ou par non les renvoient
à leurs premiers émetteurs, et encore, par cet effort collectif de réflexion
qui assure la réflexion personnelle du citoyen lui-même.

Auteur principal : Jürgen Habermas

Principaux ouvrages relatifs à la démocratie délibérative :

Théorie de l'agir communicationnel, 2 t. (1981)

Morale et communication : conscience morale et activité communicationnelle,


(1983)

Habermas énonçait un principe destiné à devenir fameux, le Principe de


Discussion (dit « Principe D ») : « Selon l’éthique de la discussion, une norme
ne peut prétendre à la validité que si toutes les personnes qui peuvent être
concernées sont d’accord (ou pourraient l’être) en tant que participants à une
discussion pratique sur la validité de cette norme » (Habermas, 1996, p. 87).

Il s’agit d’un ordre politique, d’une association démocratique où les citoyens


partagent un engagement à résoudre les problèmes de choix collectif par le
raisonnement public, et considèrent leurs institutions de base comme
légitimes dans la mesure où elles fournissent le cadre d’une délibération
publique et libre. (J. COHEN, « Délibération et légitimité démocratique »
(1989) in C. GIRARD et A. LE GOFF éd., La démocratie délibérative, p. 216.)

40
Si le principe n’est en soi nullement un principe politique, on pouvait
néanmoins pressentir d’emblée que ce principe de discussion devait
pouvoir s’appliquer à des normes juridiques, à des lois, à des règlements
divers, etc., autrement dit être le fondement d’une politique de la
discussion, plus précisément même d’une politique démocratique de la
discussion ou du discours argumenté ou encore d’une « démocratie
discursive », puisqu’il y est question de la participation à la discussion de
tous ceux qui sont concernés.

41
DÉBATS PUBLICS et POUVOIRS PUBLICS

Par Amine Thabet

Paru dans

M’RAD (H.) (dir.), Gouvernance et institutions publiques, Toulouse,


Presses universitaires de Toulouse, pp. 2008, pp. 215-240.

Extraits :

Débat, débat public, définition :

« (…) En ce qui concerne le débat public, le droit positif ne réserve pas


à ce concept une définition propre. En linguistique juridique, le débat est
entendu comme un dialogue contradictoire qui se définit par deux traits
majeurs : D’une part, les interlocuteurs sont des adversaires, ce qui suppose
une opposition, un échange dynamique dans lequel chaque monologue
cherche à tirer profit de tout et de l’autre ce qui est de nature à renforcer sa
position et à affaiblir celle adverse. D’autre part, les interlocuteurs sont des
plaideurs. Défendant chacun une cause, les adversaires se mesurent l’un à
l’autre afin de l’emporter dans l’esprit de celui qui les écoute. Ce débat
postule donc un arbitre et une référence.

Le débat qui intéresse notre étude est un débat « public ». Il est


qualifié de tel parce qu’il a lieu dans une enceinte particulière, l’espace
public. Le concept d’espace public mériterait donc d’être clarifié. L’espace
public est une notion confuse parce que l’idée est exprimée sur le registre
de la métaphore. Il n’y a pas « réellement » d’espace public sauf à le
confondre avec la figure antique du forum ou la figure urbaine de la place
publique. Plus que le Droit, la sociologie peut mieux nous éclairer sur ce
point. En effet, selon le sociologue Jürgen Habermas, l’espace public est un
réseau permettant de communiquer des contenus, des prises de positions
et des opinions. Les flux de communication y sont filtrés et synthétisés de
façon à se condenser en opinions publiques regroupées en fonction d’un
thème spécifique.

L’espace public est par conséquent le périmètre du débat public. Ce


n’est cependant qu’un critère de sa définition. D’autres critères doivent être
pris en compte : Il s’agit des protagonistes du débat, de son objet et, enfin,

42
du processus au bout duquel un thème spécifique se transforme en débat
public.

Toujours selon Habermas, les protagonistes du débat public sont


aussi ceux de l’espace public. Ils sont, d’une part, les titulaires d’une
influence politique déjà acquise (politiciens, partis politiques, groupes de
pression affirmés, …) et d’autre part, des spécialistes, des experts, ayant
acquis une influence dans des espaces publics spécialisés (artistes, savants,
sportifs, …). Ces deux catégories de protagonistes doivent acquérir le
soutien et l’assentiment de la société civile et de ses composantes
(associations, organisations, mouvements, …). Ils doivent la persuader, par
des contributions à la fois intelligibles et d’intérêt général, sur les thèmes
qu’elle considère comme les plus significatifs. Pour ce qui est de la société
civile, elle n’est pas uniquement réceptive. Son rôle est de condenser et de
répercuter la résonance que des problèmes sociaux trouvent dans la sphère
de la vie privée. C’est donc des thèmes colportés par la société civile qui se
transforment progressivement en débats publics.

Dans les États dits démocratiques, caractérisés par des sociétés civiles
puissantes et actives, les débats publics naissent, s’animent et se
développent autour de thèmes actuels et controversés. La question qui se
pose est de savoir comment un thème soulevé par la société civile se
transforme-t-il en débat public ?

L’initiative du thème part d’une ou de plusieurs composantes de la


société civile. Elle part donc d’un agent extérieur aux pouvoirs publics. Avec
l’appui d’un espace public et surtout d’une opinion publique mobilisés, cet
agent initiateur du thème obtient de force que ce dernier soit formellement
discuté, décidé par les pouvoirs publics. Le traitement du thème soulevé,
surtout par les médias fait qu’il atteint et accède à l’agenda des pouvoirs
publics. Précisément, à ce moment-là, le thème en question devient un
débat public et pèse sur l’autorité et sur la décision des pouvoirs publics.

Par conséquent, et à partir des développements précédents, on peut


tenter de définir le débat public comme la discussion formelle par les
pouvoirs publics, dans l’espace public, d’un thème jugé significatif et
mobilisateur, soulevé par une ou par plusieurs composantes de la société
civile. (…) »

43
Voir à cet égard :

Loïc Blondiaux, « Prendre au sérieux l'idéal délibératif », Revue suisse de


science politique, 2004.

Alban Bouvier, « Démocratie délibérative, démocratie débattante,


démocratie participative » [archive], Revue européenne des sciences
sociales (Cahiers Vilfredo-Pareto), numéro 136, 2007.

D. La démocratie participative

44
Section 2. Le système autoritaire

Paragraphe 1. Définition

Jusqu’au tournant des années 1990, l’autoritarisme, catégorie forgée


durant la guerre froide, désignait des écarts de régimes à la norme
démocratique occidentale.

L’autoritarisme serait selon Michel Camau une sous-espèce de système,


un système « ni-ni » (ni totalitaire, ni démocratique).

Il constituerait ainsi « une sorte de tiers-monde politique et réunissait sous


un dénominateur commun – « le pluralisme limité » – un large éventail de
régimes non démocratiques mais néanmoins distincts du totalitarisme. »

Cette complexité entraine diverses approximations conceptuelles. Il est


en effet nécessaire de considérer le système autoritaire comme un
système ayant ses spécificités.

L’autoritarisme n’est pas forcément un système démocratique


dévoyé ou pouvant constituer une phase transitoire vers la
démocratie. C’est une organisation possédant ses propres
caractéristiques et qui cherche à se consolider (à perdurer en tant
que tel).

L’autoritarisme qualifie un système caractérisé par:

1- une hypertrophie de l'autorité ;

2- le droit de vote peut exister, mais le système électif est souvent


faussé ;

3- le non-respect des droits de l'Homme ;

4- des restrictions sur les libertés d'opinion ;

5- pas de contrôle sur les pouvoirs exercés sans séparation ;

6- parlementarisme rejeté, les pouvoirs sont aux mains d'une seule


organisation dirigeante.

Exemples: France napoléonienne, le régime syrien de Bachar Assad,


l’Egypte de Moubarak, La Tunisie Sous Ben Ali, etc.

45
Paragraphe 2. Critères d’identification du système autoritaire

D’après Guy Hermet, les régimes autoritaires présentent trois


caractéristiques essentielles :

• Les rapports entre gouvernants et gouvernés reposent sur la force et


non sur la persuasion

• La compétition pour le pouvoir est marquée et échappe à la


volonté formelle des gouvernés

• Les gouvernants usent de la force pour réduire l'expression et le


développement d'une opposition politique

Il existe une diversité de régimes autoritaires :

Certains suppriment les élections, d'autres maintiennent un pluralisme


(mais de façade car les élections sont truquées / les partis en
compétition sont choisis par le pouvoir).

Quand il y a un multipartisme et des élections prévues, celles-ci ne


permettent pas aux gouvernés de départager réellement divers
prétendants au leadership gouvernemental. Les élections sont
étroitement contrôlées, parfois en ayant recours à la fraude électorale :
les élections ne sont qu'une apparence démocratique, elles ne servent
qu'à légitimer le régime aux yeux extérieurs, à s'assurer une certaine
apathie des masses et afficher une apparence d'unanimité.

Certains régimes acceptent même une expression politique, mais celle-ci


est limitée aux secteurs qui correspondent aux orientations des
dirigeants ; l'opposition est parfois tolérée et parfois phagocytée
(pluralisme limité).

C'est là une des différences entre régime autoritaire et totalitaire,


car ce dernier suppose le monopole d’un parti unique. Les médias
sont censurés, totalement ou en partie, les droits de l'Homme ne sont pas
respectés, les forces armées et la police politique jouent un rôle
important car les systèmes autoritaires ont souvent recours à la
coercition pour empêcher la contestation de son régime et des

46
dirigeants. S'il se trouve face à une opposition structurée, les systèmes
autoritaires peuvent recourir à la violence.

(Voir ici Gene Sharp)

Paragraphe 3. Typologie des autoritarismes

Les systèmes autoritaires présentent des formes variées, allant de


l'autoritarisme patrimonial à la dictature libérale du bonapartisme.
Tous, en tout cas, refusent l'action civile des citoyens et portent atteinte
à la liberté d'opinion / d'expression des opinions.

Hermet distingue trois types de systèmes autoritaires :

• L'autoritarisme patrimonial

• Le bonapartisme

• Les autoritarismes populistes

Philippe Braud y ajoute un quatrième: La bureaucratie autoritaire

A. L'autoritarisme patrimonial

Les gouvernants perçoivent les biens collectifs comme leurs biens


propres, refusent d'institutionnaliser leur pouvoir, préfèrent les
relations affectives et de clientèle avec les gouvernés.

Le souverain distribue les postes, les biens matériels, etc., dont il dispose
librement. Un seul homme et sa famille accumulent d'énormes richesses.
Des clans familiaux se succèdent au pouvoir, gérant l'État comme leur
propriété. Exemples : Haïti, le Nicaragua...En Afrique, Mobutu et Bongo …

B. Le Bonapartisme

On qualifie ce type de régime de présidentialiste de nos jours. Le


pouvoir exécutif y est fort, le soutien populaire est obtenu dans les urnes
et est important, la toute-puissance du dirigeant repose sur le consensus
populaire. On parle également de césarisme démocratique, de
démocratie plébiscitaire...

Weber qualifie le bonapartisme de dictature libérale : pour lui, ce régime


est transitoire entre oligarchie et démocratie ouverte, favorisant

47
l'apprentissage des règles démocratiques tout en maintenant une
politique conservatrice.

C. Les autoritarismes populistes

Ce sont des régimes recherchant et alimentant la ferveur populaire pour


asseoir l'autorité d'un chef charismatique.

Le populisme s'appuie sur une rhétorique simpliste de dénonciation des


élites, il exalte le sens vrai du peuple contre le cynisme / la dépravation
des élites. Ils ont bâti leur succès en mobilisant certains segments des
classes moyennes.

Exemples : le Venezuela d'Hugo Chavez, l’Argentine de Perón.

On utilise à présent le terme populiste pour caractériser des


mouvements politiques, un style de discours...

D. La bureaucratie autoritaire

Reprenant l’apport wébérien sur la bureaucratie rationnelle-légale,


GUILLERMO O’DONNELL propose la « bureaucratie autoritaire » en
tant qu’autoritarisme moderne et rationnel.

Une première variante concerne les Etats conservateurs et


corporatistes dans lequel le pouvoir bureaucratique étatique
délègue certains de ses attributs à des corps intermédiaires de la
vie économique, culturelle et professionnelle (Portugal de Salazar ;
Mexique de Cardenas ; régimes militaires latino-américains).

Une seconde variante de la bureaucratie autoritaire concerne les


régimes progressistes et socialistes. L’Etat et le parti unique
monopolisent alors la vie politique, sociale, économique et
culturelle et deviennent de simples machines bureaucratique au
service de la pérennisation des cadres (URSS de Brejnev), l’ambition
révolutionnaire étant abandonnée.

On note une faiblesse des mobilisations et de l'idéologie politique, car les


régimes autoritaires encouragent une certaine dépolitisation en
réservant les activités politiques aux experts. Ces régimes n'ont pas
pour but de transformer les structures sociales et le travail

48
d'imprégnation idéologique de la population est moins intense que dans
les régimes totalitaires. Ils trouvent leurs racines dans le nationalisme,
l'anti-impérialisme, le respect des traditions, le développement
économique... Certains se réclament conservateurs, d'autres prônent le
changement...

Il y a une tendance à l'abus d'autorité, quelle que soit la forme des


systèmes autoritaires : le gouvernement fonctionne plus à la force qu'au
compromis, à l'injonction qu'à la persuasion, à la règle de fait que de
droit.

Les systèmes autoritaires sont des dictatures un peu particulières car


les dictatures par principe nient le principe et l'idée de démocratie, or les
régimes autoritaires affichent une ambition démocratique.

De plus, les dictatures sont bien souvent le fait d'un seul homme, tandis
que les systèmes considérés comme autoritaires reposent surtout
sur une direction collégiale (lignée, ethnie, classe, caste...).

Les systèmes autoritaires présentent aussi trois différences


fondamentales avec les systèmes totalitaires :

• Pas de projet idéologique s'imposant à l'ensemble de la société civile

• Répression moins imprévisible / généralisée que sous un régime


totalitaire

• Selon Hannah Arendt : « l'autoritarisme implique une limitation de la


liberté, mais jamais l'abolition de celle-ci ». Les régimes autoritaires
visent à limiter, voire à empêcher toute opposition, mais généralement
acceptent une force douce de contestation, à la différence des régimes
totalitaires.

49
Section 3. Le totalitarisme

Selon Hannah Arendt, seuls l'URSS de Staline et l'Allemagne de Hitler


peuvent être considérés comme totalitaires.

L'idéologie et la police sont les 2 piliers du système totalitaire selon


Arendt : « la terreur est la substance réelle des régimes totalitaires ».

Le contenu des idéologies stalinienne et hitlérienne peut être


contradictoire, l'important est leurs ressemblances dans l'exercice de la
terreur, essence même du totalitarisme : « Au-dessus de l'État et derrière
les façades du pouvoir apparent, dans le dédale des multiples services,
sous-jacent à tous les déplacements d'autorité et dans le chaos de
l'inefficacité, se trouve le noyau du pouvoir dans le pays : les services
hyper-efficaces et hyper-compétents de la police secrète. »

Voir Hannah Arendt, Le système totalitaire, Paris, Editions du Seuil,


1972.

Les cinq principales caractéristiques des systèmes totalitaires sont les


suivants :

1. Le phénomène totalitaire intervient dans un régime qui accorde à un


parti le monopole de l'activité politique.

2. Le parti monopolistique est animé ou armé d'une idéologie à laquelle


il confère une autorité absolue et qui, par suite, devient la vérité
officielle de l'État.

3. Pour répandre cette vérité officielle, l'État se réserve à son tour un


double monopole, le monopole des moyens de force et celui des
moyens de persuasion. L'ensemble des moyens de communication,
radio, télévision, presse, est dirigé, commandé par l'État et ceux qui le
représentent.

4. La plupart des activités économiques et professionnelles sont


soumises à l'État et deviennent, d'une certaine façon, partie de
l'État lui-même. Comme l'État est inséparable de son idéologie, la
plupart des activités économiques et professionnelles sont colorées par
la vérité officielle.

50
5. Tout étant désormais activité d'État et toute activité étant soumise à
l'idéologie, une faute commise dans une activité économique ou
professionnelle est simultanément une faute idéologique. D'où, au point
d'arrivée, une politisation, une transfiguration idéologique de toutes les
fautes possibles des individus et, en conclusion, une terreur à la fois
policière et idéologique. (...) Le phénomène est parfait lorsque tous ces
éléments sont réunis et pleinement accomplis."

R. ARON, Démocratie et Totalitarisme, Paris, Folio Essais, Gallimard,


1965.

51
52
Chapitre IV. Les partis politiques
C’est si vrai que le phénomène est ancien. Déjà Aristote évoquait les partis,
les Romains connaissaient le parti plébéien et le parti patricien, plus tard on
opposa les Armagnacs et les Bourguignons, les Guelfes et les Gibelins et lors
de la Révolution Française, les Jacobins et les Girondins, la Montagne et le
Marais s’opposaient. Toutefois, si le terme de parti a pu être utilisé dans ces
cas, il ne correspond pas vraiment à ce que sont les partis qui apparurent au
cours du XIXe siècle en Angleterre d’abord, en France et sur le continent
européen ensuite.

Il faudra attendre un siècle encore pour que la science politique s’intéresse


à ce phénomène à travers les travaux de Moisei Ostrogorski, Roberto
Michels et Max Weber.

Ainsi, Ostrogorski en se fondant sur l’exemple américain, annonce le


triomphe des machines partisanes sur les élus devenus les
«phonographe(s) du caucus», quant à Michels s’appuyant sur l’exemple du
parti social-démocrate allemand (SPD), il dénonce le règne de l’oligarchie
des permanents et des dirigeants préoccupés uniquement de préserver
leurs privilèges, enfin Weber, distingue les « proto-partis » datant d’avant le
suffrage universel, dominés par des notables, et les partis modernes, les «
enfants de la démocratie », qui doivent organiser ces masses nouvelles.

Appréhendés de différentes manières et sous des angles variés, il est


difficile de définir les partis politiques. Cependant nombreux sont ceux qui
se réfèrent aux travaux de Joseph Lapalombara et de Myron Weiner, deux
professeurs de science politique américains, et notamment à leur ouvrage «
Political Parties and Political Development » (1966)

Selon eux, pour qu’un groupe puisse être considéré comme un parti
politique, il doit former une organisation durable dont l’espérance de vie
soit supérieure à celle de ses dirigeants. Le parti politique n’est pas une
faction reposant sur l’adhésion à une personne, mais un mouvement fondé
sur des enjeux particuliers.

C’est aussi une organisation complète qui est dotée d’une structure
couvrant l’ensemble du territoire. Le parti ne s’identifie donc ni au groupe

53
parlementaire, ni à un groupement local particulier, même s’il peut en être
issu.

Cette organisation a pour objectif la conquête et l’exercice du pouvoir. Le


parti politique se distingue ainsi d’un club politique, d’un think tank, ou
d’un groupement d’intérêt qui vise à influencer les décideurs et autres
acteurs économiques ou politiques. Le parti est en compétition avec les
autres partis pour remporter des victoires électorales.

A cette fin le parti recherche le soutien populaire. Un parti politique est


donc une organisation de rassemblement et de mobilisation d’individus
dans le but de mener une action collective menée par d’autres afin que ces
derniers accèdent au pouvoir.

Ainsi, selon Lapalombara et Weiner les partis politiques présentent


nécessairement quatre caractéristiques : les deux premières, la durabilité et
le lien local-national soulignent le fait que l’on a affaire à de véritables
organisations, les deux dernières, la vocation à exercer le pouvoir et la
recherche du soutien populaire insistent sur le fait que ces organisations
doivent être appréhendés dans leur environnement sur lequel elles
agissent.

Section 1. Le parti politique : une organisation

L'étude scientifique des partis politiques doit beaucoup aux écrits de


Maurice Duverger (Les partis politiques, 1951) qui met en avant une
classification devenue traditionnelle. Critiquée ici et là, notamment par
Georges Lavau, Aaron Wildavsky, cette classification peut sembler
aujourd’hui dépassée.

Paragraphe 1. La classification traditionnelle

En analysant le parti comme une organisation, Maurice Duverger a établi


une distinction entre deux types de partis : les partis de cadres et les partis
de masse.

A l'origine, les partis ont été créés par des groupes de parlementaires qui se
sont structurés autour d'idées communes afin d'augmenter leurs chances
d'être élus. Ce sont les partis de cadres.

54
D'autres types de partis seront par la suite créés par des organisations
ouvrières afin d'assurer la représentation politique des classes populaires,
ce sont les partis de masse.

A. Les partis de cadres

Leurs membres et leurs structures permettent de les caractériser.

1. Les membres des partis de cadres

Sur le plan qualitatif, les membres de ces partis sont essentiellement des
notables ou des parlementaires.

Ces partis sont nés de comités locaux de soutien créés lors d’élections. Dans
un deuxième temps certains comités se sont fédérés pour apporter à leurs
élus, leurs concours au niveau national, et favoriser ainsi la création de
groupes parlementaires autour desquels ces partis se sont constitués à
travers une administration centrale qui devient l’état-major du parti.

Les partis de cadres ne font que réunir des notables influents : avocats,
médecins maires etc… qui savent mener une campagne et surtout peuvent
en supporter le coût. Il ne cherche en aucun cas l’adhésion de masse. Pour
Maurice Duverger ils correspondent au premier temps du suffrage
universel. En effet, il rappelle que sous les régimes électoraux censitaires14
l’électorat étant rare et « éduqué », il n’y avait pas à s’ouvrir aux masses et à
développer leur culture politique. Le premier parti a donc été un parti de
cadres.

Sur le plan quantitatif on peut dire que les membres de ces partis ne sont
pas nombreux puisqu’ils sont tournés principalement vers l’élection et
cherchent à recruter parmi les notables, permettant de financer et
d’influencer la vie politique.

Pourtant, bien que le but premier de ces partis ne soit pas l'adhésion du
plus grand nombre de sympathisants, ils ont dû s'adapter à l'ouverture du
droit de vote et à la massification de la classe moyenne.

Ex : Afek Tounes

14
Le suffrage censitaire est un mode de suffrage dans lequel le droit de vote est réservé aux citoyens qui
acquittent un impôt direct au-delà d’un seuil appelé cens électoral. Le cens d’éligibilité, qui permet à un citoyen
d’être élu, peut être fixé à un seuil différent plus élevé.

55
Assis localement sur des réseaux de notables, ces partis ignorent toute
structure hiérarchisée.

2. Les structures des partis de cadres

Ces partis sont généralement peu organisés et peu centralisés. Leurs


structures sont souples, ils ne connaissent pas de discipline contraignante
et les organes de base sont relativement autonomes.

Les partis de cadres ne connaissent pas l’organisation rigide de type


pyramidal, la bureaucratie interne est réduite, seuls quelques permanents
permettent un fonctionnement minimum et épisodique des quelques
organes internes existants. Dans ces partis, l’organisation s’articule
essentiellement autour du groupe parlementaire.

Organisé de manière souple, ces partis ne connaissent pas la discipline


contraignante puisque leurs membres doivent leur élection à eux-mêmes et
non au parti.

C’est le parti qui profite des notables et non le contraire. C’est pourquoi la
discipline de vote y est quasiment absente.

Dans ces conditions il n’est pas étonnant que les comités de base soient
relativement indépendants et par rapport aux organes nationaux et par
rapport aux autres comités de base. Les leaders de ces partis bénéficiant
d’assises locales autonomes peuvent en conséquence développer des points
de vue quelque peu différents ce qui peut conduire à des divergences
idéologiques plus ou moins importantes. C’est ainsi qu’au sein du parti
radical sous la Quatrième République, cohabitaient deux leaders aux
positions parfois assez éloignées : Edgar Faure plutôt à droite et Pierre
Mendes France, plutôt à gauche.

B. Les partis de masses

Contrairement aux partis de cadres, les partis de masse ont une origine qui
n’est pas liée aux élections. Leur apparition est due à l’intervention de
syndicats ou de sociétés de pensée ou d’association. Ces partis recrutent des
adhérents issus des classes populaires qui financent le parti via leurs
cotisations. Ce sont des partis fortement organisés et hiérarchisés.

1. Les membres des partis de masse

56
Sur un plan quantitatif, ils sont nombreux ou plus exactement, ils ont
vocation à être nombreux. En effet, on peut trouver de petits partis de
masse. Ainsi, le Parti socialiste unifié (PSU) n’a jamais brillé par ses effectifs,
pourtant il s’agissait d’un parti de masse.

L’erreur que l’on fait souvent est de croire que ces partis rassemblent des
masses d’adhérents alors que ce sont des partis qui ont vocation à encadrer
les masses populaires et à s’appuyer sur elles. Leur création n’étant pas liée
aux élections, mais à la volonté d’organisations de base ils ne sont pas de ce
fait élitistes comme peuvent l’être dans leur recrutement les partis de
cadres. Ces partis de masse permettent d’encadrer politiquement les
catégories sociales jusqu’alors exclues du droit de vote. Ils ont pour objet la
recherche de l’adhésion formelle du plus grand nombre.

Illustrent cette catégorie les partis communistes ou encore les partis


socialistes européens à leurs débuts. Ce type de parti n'a pu voir le jour que
lorsque le suffrage est devenu universel. La possibilité de voter pour les
classes populaires a bouleversé le paysage politique. Les partis s'y sont
adaptés : les adhérents issus des classes populaires n'apportant pas
suffisamment de moyens financiers au parti, le nombre d'adhérents
devaient augmenter.

Ces partis favorisent donc les adhésions et la diffusion des valeurs et idées
populaires. Les difficultés rencontrées par les populations sont relayées par
les partis, qui les utilisent pour fonder l'esprit du parti qui s’articule sur une
forte idéologie.

Aujourd'hui, les partis de masse ne rassemblent plus seulement les classes


populaires et moyennes ; l'importance quantitative de ces classes sociales a
conduit de nombreuses élites à se tourner vers ces partis.

Sur un plan plus qualitatif, les membres des partis de masse se répartissent
en trois grandes catégories.

A la base on trouve les militants. Ils sont bénévoles (contrairement aux


permanents), actifs (contrairement au simple adhérent), anonyme
(contrairement au leader).

Ils ont pour rôle principal de faire connaitre le parti et ses idées, par le biais
d’une intense propagande doctrinale. Mais le rôle est surtout d’encadrer la

57
population dans la vie de tous les jours. Ce faisant ils permettent la mise en
place d’un dense maillage du territoire. Leur action peut même aller jusqu’à
proposer des offres de services divers (loisirs, marchandises à bas prix,
assurances, protection juridique...).

Ils participent à travers leurs cotisations relativement élevées au


financement du parti. Sur ce plan ils interviennent également à travers des
souscriptions qu’ils contribuent à organiser.

Les permanents sont beaucoup plus importants dans ces partis que dans les
partis de cadres. Ils forment une bureaucratie partisane. Ce sont des
militants à la base le plus souvent mais qui vont nouer avec le parti un lien
de subordination à travers le salariat.

Dépendants fortement du parti dans leur vie de tous les jours, ils
constituent pour le parti une armée de soldats qui peuvent être mis en
marche à la demande.

Cette bureaucratie interne a été dénoncée par Roberto Michels. Il souligne


ses tendances oligarchiques qui entraineraient progressivement
l’éloignement des représentants de la classe représentée par le parti.

Enfin les leaders, ont le plus souvent, commencé leur carrière à la base
comme militant puis comme permanent. Ils appartiennent à différentes
catégories qui peuvent interférer entre elles. Que l’on songe aux rôles des
élus, parlementaires ou non, aux différents secrétaires nationaux ou
fédéraux et enfin au secrétaire général.

2. Les structures

Elles sont relativement fortes et rigides, mais surtout elles permettent une
importante discipline. La force de ces structures se traduit de manière
originale par l’existence de structures internes au parti relayées par des
structures externes.

Au plan interne on trouve en général, au niveau national, un congrès, réuni


périodiquement, composé des représentants des militants. Il est le lieu d’un
débat entre les différentes sensibilités ou tendances et a pour mission
première de désigner les instances nationales du parti. Elles se composent
le plus souvent d’un bureau ou un conseil national, secondé par un

58
secrétariat général avec au sommet un président ou un premier secrétaire
national.

Au niveau local, on trouve des sections ou cellules, qui sont regroupées par
fédérations départementales dont les instances sont élues par les
adhérents. C’est à ce niveau que s’organise le travail de terrain qui permet
au parti d’être en prise directe avec l’électorat.

Dans son ouvrage « Les communistes français » (1968) Annie Kriegel


compare le Parti communiste qu’elle connait de l’intérieur à l’enfer de
Dante et ses différents cercles parmi lesquels elle met en lumière l’existence
de « couronnes extérieures ». Ce sont des organisations ou des associations
déjà existantes ou créés par le parti, mais noyautées par lui et qui servent
de relais à son action ou qui lui permettent de toucher des publics qui ne
seraient pas prêt à adhérer au parti mais qui vont former des « compagnons
de route » conscients ou non.

C’était le cas notamment du Mouvement de la Paix dans les années 50 qui


constituait une des couronnes extérieures du Parti communiste, comme de
la CGT pendant de nombreuses années qui fonctionna comme une courroie
de transmission dans le milieu ouvrier. C’est toujours le cas du Secours
populaire.

Le Parti socialiste a également eu recours à ce procédé avec la Ligue des


droits de l’Homme et plus récemment avec «Touche pas à mon pote ».

Ce poids des structures favorise le développement d’une discipline


relativement forte. L’exemple extrême étant constitué par le fameux
centralisme démocratique propre au Parti communistes de la période
stalinienne.

Ce principe se résume en deux propositions : démocratie de la discussion,


unité de l’action. En d’autres termes on peut formuler des opinions
différentes avant la décision, mais lorsque celle-ci est prise tout le monde
doit suivre comme un seul homme. Cela veut dire qu’aucun courant
qu’aucune sensibilité interne ne peut être organisé. Toute divergence
d’opinion est proscrite dès lors que leur auteur ne reconnait pas « ses torts
».

59
C’est ainsi que le Parti communiste exclura Charles Tillon, et André Marty
en 1952, Auguste Lecoeur en 54, André Juquin en 1987.

Comme l’écrivait Roberto Michels, « Qui dit organisation, dit tendance à


l’oligarchie ». Malgré les apparences, les dirigeants sont les seuls à prendre
les décisions et à les imposer à leurs troupes. Ces partis sont généralement
des partis de nature rigide : le nombre d’adhérents est trop important pour
laisser les individus voter totalement librement. Des consignes de vote sont
formulées à chaque élection.

Pour Maurice Duverger ces deux types de parti (parti de cadres et parti de
masse) n’épuisent pas la réalité. D’abord au sein même des partis de masse
il faut distinguer, les partis de masse spécialisés : ce sont les partis
socialistes et les partis de masse totalitaires : ils sont porteurs d’une
idéologie globalisante.

D’autres partis, tels que les partis démocrates-chrétiens lui paraissent


constituer un type intermédiaire ; d’autres encore échappent totalement à
sa grille, à l’instar du parti travailliste, des partis agraires ou des partis de
clientèles. C’est pourquoi, le dépassement de cette classification
traditionnelle s’est finalement imposé.

Paragraphe 2. Le dépassement de la classification traditionnelle

Cette classification a connu un double dépassement puisque dans un


premier temps elle a fait l’objet d’une simple adaptation, mais par la suite
un véritable approfondissement a été réalisé.

A. Adaptation de la typologie traditionnelle

Georges Burdeau proposera une classification assez proche de celle de


Maurice Duverger, mais l’angle sous lequel il appréhende la réalité
partisane est quelque peu différent, ce n’est pas tant les structures ou la
composition des partis qui lui servent de point de départ, mais plutôt les
idées qu’ils mettent en avant. Il débouche alors sur la distinction de deux
grands types de partis : les partis d’opinion et les partis idéologiques.

Les partis d’opinion acceptent la société sans envisager une refonte totale.
Ils sont, pour employer un autre langage, réformistes et non
révolutionnaires. Aussi regroupent-ils des personnes appartenant à des

60
catégories sociales différentes. Ce sont ce que l’on appelle des partis
interclassistes. Enfin, sur le plan structurel, ces partis ne connaissent qu’une
faible organisation. Les personnalités y jouent un rôle non négligeable. Au
fond, on n’est pas loin de ce que Duverger appelle les partis de cadres.

Les partis idéologiques sont selon Burdeau des partis qui sont attachés à
une ligne doctrinale précise et forte, ils s’adressent à une classe et non à des
individus. Leurs structures sont relativement rigides ce qui favorise
l’autoritarisme interne. On reconnait là à peu de choses près les partis de
masse.

Simplement adaptée, la classification de Maurice Duverger n’est pas


fondamentalement remise en cause. D’autres auteurs iront plus loin et
l’approfondiront.

B. L’approfondissement de la typologie traditionnelle

Depuis la dichotomie de Duverger entre parti de cadres et parti de masse, la


typologie des partis politiques n’a cessé de s’enrichir. On peut citer par
auteur :

- Samuel Eldersveld propose en 1964 la notion de « parti stratarchique ».


Inspiré par les partis américains, ce modèle renvoie à des partis
entièrement voués à l’efficacité électorale où chaque strate de l’organisation
dispose en conséquence d’une grande autonomie dans l’élaboration de son
programme, dans son financement et dans le choix de ses candidats.

- Michel Offerlé distingue le parti « d’intérimaires » caractérisé par une


structure souple et épisodique où la campagne est confiée à des experts, le
parti « de patronage » qui repose sur un contrôle des postes administratifs
et électifs et le parti « de militants » caractérisé par une structure lourde,
une organisation militante et activité régulière.

- Daniel-Louis Seiler met en avant le « parti horizontal » qui rassemble


hommes de droite, du centre et de gauche autour d’un projet politique qui
transcende les notions de droite et de gauche

- William Wright distingue deux types de partis : le parti démocratique


(Party democracy model) qui met l’accent sur la démocratie interne et sur
la fonction idéologique qui l’emporte sur la fonction électorale ou

61
gouvernementale. A l’opposé, le parti efficace-rationnel (Rational efficient
model) néglige la participation des adhérents et subordonne son
organisation au groupe parlementaire, peu centralisé, peu idéologique il
recherche l’efficacité électorale.

Richard Katz et Peter Mair dégagent le concept de « cartel party » dans


lequel les partis sont conçu comme « des structures de sélection et de
professionnalisation des élites politiques, qui se partagent plus qu’ils
n’entrent en compétition sur le marché électoral » ce qui engendrerait, une
« cristallisation » de la compétition électorale.

Mais l’approfondissement le plus important a été réalisé par Otto


Kirchheimer aux Etats-Unis et Jean Charlot en France.

- Le parti « attrape-tout » de Kirchheimer

Otto Kirchheimer dans « The transformation of the Western party systems »


(1966), constate l’évolution des partis politiques dans un contexte
économique et social qui s’est amélioré et où l’émergence de nouvelles
sources de financement ainsi que le développement sans précédent des
moyens de communication ont transformé radicalement le paysage
politique. Les partis de cadres se sont adaptés à la nouvelle donne et les
partis de masses sont devenus plus pragmatiques à mesure que leur base
sociale n’est plus constituée majoritairement par les ouvriers.

Dans ces conditions, Kirchheimer estime qu’un nouveau type de parti


apparait : le parti attrape-tout (catch-all party) qui réunit la centralisation
des premiers et le bagage idéologique sommaire ainsi que l’activité
essentiellement électorale des seconds. L’objectif essentiel du parti attrape-
tout est de rassembler le plus d’électeurs possible dans des secteurs
multiples de la population par la promotion d’idées consensuelles. A cette
fin, ils défendent des thèmes généraux et mettent en avant des programmes
qui agrègent le plus possible les revendications les plus importantes du
moment.

- Le parti d’électeurs de Jean Charlot

Inspiré par Kirchheimer, Jean Charlot, constatant le bouleversement du


paysage politique provoqué par le retour du général de Gaulle au pouvoir,
s’est penché sur les partis politiques se réclamant de lui. Ainsi, le

62
Rassemblement du peuple français (RPF) créé en 1947 avait tout du parti
de masse, par la suite les Républicains sociaux (RS) présentaient les traits
d’un parti de cadres et c’est avec la création en 1958 de l’Union pour la
nouvelle République (UNR) que l’on vit apparaître un parti de nature
différente que Jean Charlot intitula : parti d’électeur. Selon l’auteur, ce parti
« récuse le dogmatisme idéologique et se contente d’un fonds commun de
valeurs, assez large pour réunir autour de lui un maximum de supporters ».
On le voit, on n’est pas loin du parti attrape-tout de Kirchheimer et ce
caractère se renforcera avec le temps et les différentes mutations que
connaîtra le parti gaulliste : l’Union des démocrates de la République (UDR)
en 1971, le Rassemblement pour la République (RPR) en 1976, l’UMP en
2002 et plus récemment Les Républicains en 2015.

A partir de l’étude du phénomène partisan gaulliste, Jean Charlot va mettre


au point sa typologie axée sur le personnage central autour duquel est
construit le parti :

- les partis de notables qui réunissent des cadres de la vie politique dont la
préoccupation essentielle est de se faire élire ou réélire.

- les partis de militants qui encadrent et s’appuient sur les masses en se


fondant sur une idéologie forte ;

- les partis d’électeurs qui sont préoccupés par la conquête d’une majorité
d’électeurs et pour cela sont peu marqués idéologiquement et mettent en
avant des idées largement admises par les électeurs.

Finalement, Richard Katz et Peter Mair ont établi une classification


chronologique sur les trois derniers siècles, des principaux types de partis :
parti de cadre (XIXe), parti de masse (1880-1960), parti attrape-tout (à
partir de 1945). Bien sûr il ajoute à partir de 1970 le « cartel party » dont ils
ont dégagé le concept.

La plupart des études consacrées aux partis politiques voient en eux


essentiellement des organisations, mais celles-ci se développent dans un
environnement qui est loin d’être négligeable.

63
Section 2. Les partis politiques et leur environnement

Considérés en tant que système et non plus seulement comme une


organisation, les partis politiques entretiennent avec leur environnement
des relations qui sont loin d’être négligeables.

Cet environnement peut être considéré dans son ensemble et se pose alors
le problème des fonctions des partis politiques.

Mais cet environnement peut ensuite être considéré de manière plus


circonscrite et il s’agit en conséquence d’envisager les rapports qui existent
entre les partis eux-mêmes, c’est-à-dire ce qu’il est convenu d’appeler un
système de partis.

Frank J. Sorauf a étudié les relations entre partis et les contraintes externes
qu'ils subissent. Il les considère comme des ensembles en relations
permanentes, tous étant liés les uns aux autres. En d’autres termes, il s’agit
de ce que Duverger appelle un « système de partis ». Les contraintes
extérieures ont pour effet de limiter les structures de l’organisation pour
répondre aux problèmes posés par l’environnement.

Ainsi, sous le poids des traditions, des valeurs, ou encore de la culture


politique, l'organisation évolue pour mieux exercer ses fonctions.

Paragraphe 1. Les fonctions des partis

Les partis politiques exercent une fonction électorale. Il est vrai que
l’extension du suffrage universel a considérablement concouru au
développement des partis politiques.

Mais la fonction des partis politiques dépasse le simple cadre électoral et


embrasse la société tout entière : il s’agit alors de la fonction de formation.

A. La fonction électorale

Cette fonction s’apprécie en tenant compte des deux pôles de l’élection : les
électeurs d’une part, les élus d’autre part.

1. L’influence sur les électeurs

64
L’élection étant un choix, les partis politiques cherchent à faciliter ce choix
et à cette fin ils opèrent une structuration de l’opinion qui n’est pas toujours
sans limites.

- C’est à travers l’élaboration de programmes et de projets relatifs aux


politiques publiques qu’ils tentent de structurer l’opinion publique
pour faciliter le choix des électeurs en vue de gagner les élections.
- Dans le même ordre d’idée, ils animent le débat politique quotidien,
qui conditionne aussi le choix des électeurs. Ils analysent en
permanence la situation du pays, ils l’évaluent en fonction de leurs
valeurs de référence, et précisent les solutions qu’ils proposent tout
en critiquant ou en défendant selon le cas les projets et réalisations
du gouvernement.

Mais la réussite en ce domaine n’est pas toujours garantie car il peut exister
un double décalage entre l’opinion publique et les partis politiques.

- Un premier décalage peut exister entre les idées défendues par le


parti et ses électeurs car les partis politiques ne sont pas toujours
capables de donner satisfaction à leurs électeurs sur tous les plans.
C’est toute la question de la dialectique des relations partis-électeurs
que l’on peut résumer ainsi :

Soit le parti impose ses idées aux électeurs, alors il conduit véritablement
son électorat. C’est Mitterrand qui annonce la suppression de la peine de
mort.

Soit le parti va au-devant de son électorat, c’est en quelque sorte la stratégie


des partis attrape-tout. C’est Nicolas Sarkozy qui finalement devant son
auditoire annonce qu’il reviendra sur la loi Taubira après l’avoir nié.

Soit le parti essaie d’opérer un compromis. C’est la loi El Khomri qui est
revue dans un premier temps pour en écarter certaines dispositions, mais
qui est maintenue pour le reste.

- Un deuxième décalage peut intervenir entre les partis et l’opinion,


lorsque les partis arrivent au pouvoir et qu’ils appliquent leur
programme. Malheureusement trop souvent les programmes
annoncés ne sont pas appliqués. Ce qui contribue au
désenchantement des électeurs qui ont tendance à croire que « les

65
promesses électorales n’engagent que ce qui les écoutent ». Les
exemples sont nombreux. Que l’on pense à Guy Mollet en 1956. Elu
comme leader du Front républicain qui préconisait une politique de
paix en Algérie, il change radicalement de politique au lendemain de
son investiture à la suite de son accueil mouvementé à Alger. Ce fut
également le cas plus récemment en 1995. Quelques mois après avoir
été élu sur un programme visant à réduire la fracture sociale, Jacques
Chirac change radicalement de politique. Dernier exemple en date
celui de François Hollande qui promet le changement en s’attaquant à
son ennemi : la finance, mais qui va quelque mois plus tard opérer un
tournant social-libéral.

2. L’influence sur les élus

Elle s’exerce à deux niveaux, celui de la sélection des candidats aux


élections, et celui de l’encadrement des parlementaires.

- Sélectionner les candidats est aujourd’hui, la fonction première des


partis qui tendent à devenir des machines électorales voire des
écuries présidentielles.

Les moyens utilisés en ce domaine ont beaucoup évolué.


Traditionnellement, la sélection des candidats se faisait à travers des
procédures relativement oligarchiques et centralisées : c’est au niveau
national et par les dirigeants les plus importants qu’étaient constituées les
listes de candidats. Avec le temps, l’intervention de responsables locaux
s’est développée mais sans pour autant disposer d’un véritable pouvoir de
décision.

Plus récemment des procédures plus démocratiques sont apparues : les


primaires. La technique importée des Etats-Unis tend aujourd’hui à se
généraliser pour choisir les candidats aux élections présidentielles.

La généralisation de cette technique souligne la faiblesse des partis qui sont


de plus en plus incapables de sélectionner eux-mêmes les candidats, mais
ce constat ne s’applique qu’aux élections présidentielles. Car si cette
technique tend à se généraliser pour les présidentielles, elle est peu utilisée
pour les législatives.

66
A ce niveau, l’efficacité des partis dans la sélection des candidats est de plus
en plus grande. Ce sont eux qui sélectionnent les candidats en délivrant les
investitures.

En réalité, les partis sont en ce domaine des machines électorales qui


apportent à leurs candidats des moyens importants sans lesquels il est
difficile de se faire élire, qu’il s’agisse de moyens financiers, ou de
personnel. Mais surtout c’est la capacité de mobilisation de la population
dont les candidats ont besoin qui ne peut provenir que des partis.

- Si les partis politiques sélectionnent leurs candidats, ils cherchent


aussi, une fois qu’ils sont élus à les encadrer, à les guider dans leurs
choix et dans leur attitude. A cette fin, les groupes politiques mis en
place dans toutes les assemblées jouent un rôle important. La place et
l’importance des groupes parlementaires au sein du parti est capitale,
mais variable. Parfois ils sont relativement autonomes, parfois ils sont
très strictement inféodés aux instances de direction du parti. De plus,
au sein même des groupes parlementaires, il peut exister une
discipline de vote plus ou moins forte.

Ceci nous amène à distinguer les partis souples où la discipline est


inexistante ou presque, des partis rigides où elle est quasiment pesante.

B. La fonction de formation

Les partis politiques contribuent à la formation de la société par


l’information de celle-ci mais aussi par l’intégration sociale des individus et
des groupes sociaux.

2. L’information de la société

Il ne s’agit pas de considérer les partis politiques comme des organes


d’information, mais plutôt comme des éléments de l’information.

Certes dans les régimes de parti unique celui-ci a le monopole de


l’information, mais dans les systèmes compétitifs, les partis contribuent
dans une mesure variable à l’information des citoyens.

Encore faut-il distinguer les partis qui sont au gouvernement de ceux qui
sont dans l’opposition. Les premiers informent sur l’action du
gouvernement et apportent les explications qui paraissent nécessaires à la

67
compréhension de celle-ci. Ils sont parfois concurrencés, voire court-
circuités par les organes d’information du gouvernement et par les
membres du gouvernement eux-mêmes qui veulent marquer une certaine
distance par rapport à leur parti.

Quant aux partis d’opposition, ils ont en principe plus de recul, ce qui
devrait les inciter à plus de réflexion en profondeur et par conséquent à une
information d’un type différent de celle des partis qui gouvernent. Mais
c’est rarement le cas. Souvent l’information délivrée consiste dans une
critique systématique des mesures gouvernementales.

Cette fonction d’information est mise en œuvre par des moyens directs et
indirects.

Les premiers sont les organes de presse des partis. Longtemps les
principaux partis disposaient d’un journal qui exprimait directement les
positions et les analyses du parti.

Cette presse militante est victime des difficultés économiques que connait
toute la presse quotidienne, mais qui est plus accentuée encore pour cette
presse qui ne peut disposer que d’un lectorat réduit.

Le relais a été pris par les sites Internet que tous les partis ont créés et par
les réseaux sociaux (Facebook, Twitter etc ...) auxquels ils participent.

Les partis politiques utilisent aussi des moyens indirects pour informer la
société : ils participent par l’intermédiaire de leurs leaders et cadres aux
émissions politiques et interviews des radios et télévisions mais aussi par
des tribunes dans la presse quotidienne ou hebdomadaire.

3. L’intégration sociale

Les partis politiques permettent d’intégrer les individus et les groupes


sociaux au sein de la société. Ils sont en quelque sorte un corps
intermédiaire qui favorise l’homogénéisation de la société.

Les partis réalisent une intégration physique des individus puisqu’ils


permettent à des personnes isolées de se regrouper et d’agir en commun.
C’est notamment le cas des partis de masse qui sont souvent des « partis-
société » c’est à dire des partis où les adhérents vivent entre eux des
passions communes partagent des expériences culturelles voire sportives

68
bref sont constamment mobilisés et vivent en quelque sorte dans une
contre-société. Cette intégration passe souvent par une formation interne
des militants et surtout des cadres.

Historiquement, dans les démocraties européennes, dans les partis de


droite les fonctions d’encadrement, de mobilisation et de socialisation ont
toujours été moins développées qu’à gauche.

Aujourd’hui, de manière assez générale l’externalisation est de plus en plus


fréquente, aux clubs et aux think tanks, la production théorique ; aux
prestataires extérieurs, la maîtrise des tâches techniques (organisation des
meetings, production et analyse de sondages, collage d’affiches...). De plus,
nombre d’organismes de formation des élus plus ou moins proches des
partis prennent le relais de la formation.

Dans le même temps, les partis réalisent une intégration des groupes
sociaux et de leurs revendications, réalisant ainsi une véritable socialisation
politique. L’un des rôles des partis selon les fonctionnalistes consiste en
effet à agréger les intérêts divergents des groupes sociaux contrairement
aux groupes de pression et syndicats qui défendent eux des intérêts
particuliers propres à leurs adhérents. C’est pourquoi les partis politiques
sont le plus souvent des partis interclassistes contrairement aux partis
communistes qui se revendiquaient, partis de classe. Mais leur évolution les
a conduits à se présenter comme les représentants d’un front de classe puis
des « travailleurs ».

Section 3. Les systèmes de parti

Les partis politiques développent entre eux des relations (opposition,


coopération) qui forment ainsi un ensemble souvent stable que l’on appelle
un système de partis.

Un système de partis c’est donc un modèle de relations entre les partis d’un
Etat donné à un moment donné.

En réalité il existe différents systèmes de partis qui se caractérisent par


leurs formes et qui se sont développés en raison de certains facteurs.

Paragraphe 1. Formes

69
L’on exclut les systèmes de parti unique qui sont tout à fait particuliers, on
peut distinguer classiquement le bipartisme et le multipartisme.

A. Le bipartisme

Il se caractérise par l’existence de deux partis. Mais parfois, le bipartisme


peut prendre des formes différentes.

1. Bipartisme rigide / bipartisme souple

Cette distinction se fonde sur le degré de discipline existant à l’intérieur des


deux partis.

- Quand la discipline de vote est forte, on peut parler de bipartisme


rigide. L’exemple anglais illustre tout à fait la situation. On dit en effet
en Grande Bretagne que chaque parti, Conservateur comme
Travailliste vote comme un seul homme. Cela signifie que dans
chaque groupe parlementaire, la décision est collégiale. Une fois
l’attitude déterminée, elle est mise en œuvre par chaque membre du
groupe. Bien sûr cette discipline est susceptible d’assouplissement en
fonction des circonstances, des problèmes envisagés et de la
personnalité des députés. Mais de manière générale, elle est assez
forte. Elle s’explique par l’encadrement des députés de base.

Une telle situation conduit à la stabilité gouvernementale dans un régime


parlementaire.

- Quand la discipline est faible ou inexistante il faut parler de


bipartisme souple qui fonctionne aux Etats-Unis où les Démocrates
comme les Républicains sont des partis essentiellement décentralisés.
Les structures les plus efficaces se situent au niveau des Etats et non
pas au niveau fédéral. Dans ces conditions il ne peut pas y avoir de
discipline qui serait imposée par le haut. L’indiscipline se traduit dans
les comportements des congressmen. En réalité, chaque sénateur,
chaque représentant détermine sa position en fonction de ses propres
intérêts, ceux de son Etat, ceux de ses électeurs, ceux des lobbies qui
l'ont convaincu.

70
Un tel système permet au régime présidentiel de fonctionner dans d’assez
bonnes conditions puisqu’en raison de la souplesse des partis le Président
peut tenter de trouver des majorités de circonstance.

2. Bipartisme parfait / bipartisme imparfait

Le critère ici est le nombre de partis, aussi paradoxal que cela puisse
paraître. En effet dans la réalité il n’y a jamais vraiment deux partis
seulement.

Dans le bipartisme parfait les deux grands partis totalisent à eux deux de 90
à 80 % des voix, de ce fait, l’un ou l’autre des grands partis obtient à lui tout
seul la majorité absolue au Parlement. C’est ce que l’on peut vérifier au
Royaume -Uni.

Dans le bipartisme imparfait deux grands partis rassemblent autour de


70% des suffrages et un petit parti arrive à disposer de 20% des voix. Dans
ces conditions, aucun des grands partis ne peut disposer de la majorité sans
une alliance avec le petit.

Ce système a longtemps fonctionné en Allemagne quand selon l’expression


de Jean Blondel fonctionnait un système à deux partis et demi. La majorité
ne pouvait être obtenue qu’avec l’appui des libéraux (FDP) qui s’alliaient
soit avec la CDU/CSU soit avec le SPD. Ce fut le cas également au Royaume-
Uni pendant la dernière législature (2010-2015) où les Conservateurs n’ont
pu gouverner qu’en concluant une alliance avec les Libéraux-Démocrates.

3. Bipolarisation

La bipolarisation est un système dans lequel plusieurs partis s’allient pour


former deux alliances relativement stables. C’est ce que l’on peut constater
en France sous la Cinquième République.

En 1958, l’UNR (Union pour la Nouvelle République) s’allie aux


Républicains indépendants de Valéry Giscard d’Estaing. Lors des élections
de 1962, ces deux formations disposeront de la majorité absolue à
l’Assemble nationale. Qui plus est en 1968, le parti gaulliste (UDR) sera
majoritaire à lui tout seul. Cette majorité se renforcera en se stabilisant. A
cette majorité « gaullienne » succèdera une majorité de gauche à partir de
1981 qui se stabilisera pendant cinq ans. Et à partir de 1986, on assistera à

71
une succession d’alternances d’une coalition de gauche à une coalition de
droite.

B. Le multipartisme

Là encore, plusieurs types de multipartisme peuvent être distingués.

1. Multipartisme intégral / multipartisme tempéré

Dans le premier cas, un grand nombre de partis politiques coexistent sans


que des accords entre eux aient été conclus. Aucune coalition stable n’est
donc possible.

Dans le second cas, au contraire le multipartisme est tempéré par


l’existence de coalitions plus stables qui viennent discipliner le système. Ce
modèle peut déboucher sur la bipolarisation évoquée précédemment.

2. Multipartisme avec parti dominant

Maurice Duverger et Jean Charlot ont mis en lumière l’existence de cette


forme particulière de multipartisme. Dans ce cas, l’un des partis surclasse
nettement les autres.

Cette domination se traduit par une majorité importante et surtout


continue au parlement et par une maitrise des institutions, le danger d'un
système de parti dominant est celui de l'immobilisme, voire d'une certaine
dérive des institutions. Ce phénomène est parfaitement illustré par le Parti
social-démocrate suédois des travailleurs (SAP) qui a exercé le pouvoir
presque sans discontinuité entre 1928 et 1996. En Norvège, le Parti du
travail au lendemain de la Seconde Guerre mondiale a dirigé le pays
pendant 17 ans.

La Palombara a même parlé de multipartisme ultra-dominant pour


désigner des cas où la domination d’un parti est encore plus importante.
Ainsi, au Mexique, le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) va rester au
pouvoir de 1929 jusqu'en 2000. En Inde le Parti du Congrès exercera le
pouvoir de 1947 jusqu'au milieu des années 1980. Ces partis deviennent
des machines électorales qui n’échappent ni au clientélisme ni à la
corruption.

3. Multipartisme modéré / multipartisme polarisé

72
Dans « Parties and party system » (1976) Giovanni Sartori a présenté une
analyse des systèmes de partis à partir de deux variables : la fragmentation
partisane et la polarisation idéologique.

4. La fragmentation partisane permet de distinguer les catégories de


systèmes : bipartisme ou multipartisme.
5. La polarisation désigne la distance idéologique qui sépare les partis
les plus éloignés. Elle peut être mesurée par l’intermédiaire du rejet
que certains partis suscitent (par exemple, le FN). Elle permet de
distinguer les types à l’intérieur des catégories de partis politiques. La
mesure de la distance qui sépare les pôles lui permet de caractériser
plus finement la catégorie du multipartisme.

Sartori identifie quatre types principaux de systèmes partisans (modèle


simplifié) :

- Le bipartisme (two-partism) qui se caractérise par une faible


fragmentation partisane, une faible polarisation idéologique et une
compétition politique centripète

- Le multipartisme « modéré » (moderate multipartism) où la fragmentation


partisane est moyenne, la distance idéologique entre les partis est réduite,
aucun parti ne remet en cause la société (polarisation idéologique
moyenne), la compétition politique est centripète, ce qui signifie qu’il existe
une propension à conduire des alliances. Ce modèle correspond à la
Cinquième République entre 1974 et 2002.

- Le multipartisme « polarisé » (polarized multipartism). Dans ce cas, on


constate une forte fragmentation partisane une forte polarisation
idéologique, avec des partis antisystème ce qui conduit à une compétition
politique centrifuge. C’est un tel système qu’a connu la Quatrième
République.

C. Facteurs explicatifs des systèmes de partis

Afin d’expliquer l’existence de tel ou tel système de partis, on a mis en avant


parfois des raisons techniques comme les modes de scrutin. Mais on s’est
rendu compte que ces explications n’étaient que relatives et c’est pourquoi,
on a mis en lumière des facteurs plus généraux.

73
1. Les facteurs techniques : les modes de scrutin

Maurice Duverger a mis en évidence trois lois sociologiques qui expliquent


selon lui l’influence des différents modes de scrutin sur la formation des
systèmes électoraux.

Première loi: le scrutin majoritaire à un tour tend à favoriser un système


bipartisan composé de partis indépendants à structure « rigide » (c’est-à-
dire reposant sur une forte discipline)

Deuxième loi: le scrutin majoritaire à deux tours tend à engendrer un


système multipartisan composé de partis dépendants (favorise également
l’apparition de partis dominants dans chacun des deux grandes coalitions
en présence)

Troisième loi: le scrutin proportionnel tend à favoriser un système


multipartisan formé de partis à structure « rigide » et indépendants les uns
des autres (favorise un système de partis fragmenté et fortement polarisé)

Ce rôle des modes de scrutin a cependant été contesté par Douglas Rae, un
politologue américain. Dans « The Political Consequences of Electoral Laws
» (1967), ce dernier explique que le dualisme partisan peut exister dans un
scrutin autre que majoritaire à un tour. Il fait une étude minutieuse des
élections législatives sur une période de vingt ans (1945-1964) dans vingt
démocraties occidentales

L’innovation majeure de Rae est de s’intéresser à la taille des


circonscriptions : plus elles seraient petites, plus elles favoriseraient les
grands partis. Ce serait bien les différences de superficie qui seraient à
l’origine de l’écart entre le nombre de sièges obtenus et le nombre de voix
recueillies.

2. Les facteurs généraux : les clivages socio-politiques

Maurice Duverger lui-même sait que les modes de scrutin à eux seul ne
peuvent pas tout expliquer. Aussi l’une des explications avancées réside
dans la superposition des dualismes qui conduirait à la multiplication des
partis et donc au multipartisme. En France par exemple, l’opposition
dirigistes / libéraux ne coïncide pas à celle entre cléricaux / laïcs, comme
elle ne coïncide pas non plus à celle entre occidentaux / orientaux, du temps

74
de la Guerre Froide. En réalité Duverger insiste sur le fait que ce n’est pas
l’existence de plusieurs clivages qui conduit à la superposition des
dualismes mais l’absence d’un clivage dominant.

Dans « Party Systems and Voter Alignments » (1967), le politologue


norvégien Stein Rokkan et l’américain Seymour Martin Lipset distinguent
quatre clivages fondamentaux plus ou moins aigus selon les pays
occidentaux.

Pour cela ils identifient deux périodes particulièrement marquantes pour


l'histoire des sociétés occidentales qu'ils nomment « révolution » : la
révolution nationale (XVIe-XIXe siècle) qui, dans le contexte des guerres de
religions, consacre l'Etat-nation et affirme le rôle d'un Etat fort et
centralisateur ; la révolution industrielle (XIXe siècle) qui bouleverse la vie
économique et sociale avec le passage d'une économie d'autosuffisance à
une économie de marché.

De chaque révolution découle ensuite deux clivages. La révolution nationale


donne ainsi naissance à une première contradiction sur un axe territorial-
culturel, entre les partisans d'un Etat fort centralisé et ceux d'une
autonomie des régions protégeant la spécificité de leur langue et culture
locale (clivage centre/périphérie). De là naîtront des partis plutôt « Jacobins
» et d’autres plutôt « Girondins » voire autonomistes.

La deuxième contradiction oppose sur un axe fonctionnel, les promoteurs


de l'Eglise aux partisans de l'Etat laïc (clivage Eglise/Etat). Cette opposition
Eglise/Etat est à l'origine de grandes familles de partis : laïque d'une part
comme les Radicaux, religieuse de l'autre comme les partis démocrates-
chrétiens.

La révolution industrielle conduit, elle à l'émergence d'un antagonisme


entre défenseurs des intérêts agricoles et ruraux et ceux des intérêts
industriels (clivage rural/urbain). De là naîtront des partis agrariens dans
les pays scandinaves par exemple.

En France même, le Parti paysan fut fondé en 1945 par Paul Antier pour
représenter les milieux agricoles en politique et assurer la relève du Parti
agraire et paysan français d'avant-guerre. Il fut absorbé par le Centre
national des indépendants (CNI) le 15 février 1951.

75
Sur un axe fonctionnel la révolution industrielle a également fait apparaître
une confrontation entre propriétaires des moyens de production et
prolétaires obligés de vendre leur force de travail (clivage
possédants/travailleurs). Sur cet axe les partis socialistes et sociaux-
démocrates apparaîtront et s’opposeront aux partis « bourgeois ».

Rokkan compléta ultérieurement son modèle avec une troisième révolution


« internationale » faisant apparaitre un nouveau clivage entre communistes
et socialistes.

76
Chapitre V. Les groupes d’intérêt

• Section 1. Définition des groupes d’intérêt


• Section 2. Les conceptions différentes des courants de pensée
politique quant au rôle des groupes d’intérêt dans le champ
politique
• Section 3. La typologie des groupes d’intérêt
• Section 4. La représentativité des groupes d’intérêt
• Section 5. Les modes d’actions des groupes d’intérêt

Section 1. Définition des groupes d’intérêt

La notion de groupe d’intérêt désigne :

« Tout groupe structuré qui, au sein d’un système politique donné, défend
collectivement un intérêt spécifique, notamment auprès du pouvoir politique
sur lequel le groupe peut chercher à exercer une influence. ». Jean-Yves
DORMAGEN

« Toute organisation constituée qui cherche à influencer le pouvoir dans un


sens favorable aux préoccupations sociales qu’elle prend en charge. » Philippe
BRAUD

Cette définition extensive a le mérite de distinguer les groupes d’intérêt,


d’autres groupes ou organisations :

➢ Le premier critère de distinction concerne la nature du groupe : en


tant qu’organisation constituée, les groupes d’intérêt se distinguent
des foules (exemple : les manifestants)
➢ Le second critère est relatif à la place faite aux intérêts : c’est ce qui
les distingue en effet des groupes latents (classes sociales ou les
groupes ethniques) appelés par Almond & Powell les non-
associational groups. Il s’agit des groupes dépourvus de structures
formelles, qui reflètent des intérêts ethniques, sociaux, culturels
religieux inexprimés mais qui sont capables de s’unir quand des
circonstances favorables le permettent.

77
➢ Le troisième critère concerne la démarche : ceci permet de les
différencier :
▪ D’autres structures politiques, notamment les partis. Ces derniers ont
pour objectif la conquête du pouvoir politique, tandis que les groupes
d’intérêt se contentent d’influencer le pouvoir. La ligne de séparation
entre groupes d’intérêt et partis politiques réside dans le fait de
présenter –ou non- des candidats aux élections.
▪ De l’administration : les services publics constituent l’appareil d’Etat.

Certains préfèrent l’appellation groupe de pression plutôt que celle de


groupe d’intérêt étant donné que les intérêts ne sont pas identifiables tant
qu’ils ne sont pas explicitement défendus.

D’autres considèrent que la notion de groupe d’intérêt définit une réalité


plus large que celle de groupe de pression. Un groupe d’intérêt (syndicat ou
organisations patronale, entreprise, mouvement social…) est une “entité qui
cherche à représenter et à promouvoir les intérêts d’un secteur spécifique de
la société. (…) Cette représentation du groupe s’exerce vis-à-vis de l’ensemble
de la société et non seulement d’une administration ou d’un ministère et elle
ne se traduit pas nécessairement par une démarche visant à faire pression. »
(Emiliano Grossman).

Il est également nécessaire de préciser le lien entre groupe d’intérêt et une


autre notion qui s’en rapproche : le Lobbying.

Le mot anglais lobby signifie littéralement vestibule ou couloir. Les


premières utilisations de ce terme dans un sens politique datent des années
1830, en Angleterre et aux Etats-Unis. Le terme lobby désignait les couloirs
de la Chambre des communes britannique, où les membres de groupes de
pression pouvaient venir discuter avec les membres du parlement. Aux
Etats-Unis, le lobby désignait des pièces de la Maison Blanche accessibles
aux groupes d’intérêt. Le terme lobby est traduit souvent en France par
“groupe de pression”.

On peut tenir les deux termes pour équivalents :

« Le lobbying est une activité qui consiste à procéder à des interventions


destinées à influencer directement ou indirectement les processus

78
d'élaboration, d'application ou d'interprétation de mesures législatives,
normes, règlements et plus généralement, de toute intervention ou décision
des pouvoirs publics » (Frank J. Farnel, Le lobbying : stratégies et techniques
d'intervention, Éditions d'Organisation, 1994).

Si le lobbying renvoie historiquement à la pratique d’influence des


parlementaires, par extension, peut être qualifiée de lobbying toute activité
d’influence des décideurs publics par un groupe d’intérêt. Le lobbying vise
surtout à agir sur le pouvoir législatif et réglementaire des Etats. C’est une
activité politique qui n’est pas réservée aux acteurs économiques, mais
concerne aussi bien les entreprises que les groupes d’intérêt publics, en
passant par les ONG et les think-tanks

Section 2. Des conceptions différentes des rôles des groupes d’intérêt

Pour Jean Jacques Rousseau, la pression des groupes d’intérêt constitue une
menace pour la démocratie. Ayant des fondements similaires avec l’Etat, les
corps intermédiaires peuvent entrer en concurrence avec lui.

En outre, le lobbying étant, selon Rousseau, l'expression d'intérêts


particuliers, menaçant l'intérêt général : “Il importe donc pour avoir bien
l’énoncé de la volonté générale qu’il n’y ait pas de société partielle dans l’Etat
et que chaque citoyen n’opine que d’après lui.” (Du contrat social, Jean-
Jacques Rousseau)

C’est cette conception qui a prévalu en France, c’est ce qui explique le


développement tardif en France des groupes d’intérêt.

Alexis de Tocqueville considérait en revanche que le nombre très élevé


d’associations aux Etats-Unis constitue un rempart contre la tyrannie de la
majorité.

James Madison (un des premiers présidents des Etats-Unis) a développé


une conception de la démocratie reposant sur les groupes sociaux, dont la
compétition perpétuelle évite les excès d’un groupe dominant qui serait
contraire à l’intérêt général. L’Etat enregistre les rapports de force entre
groupes d’intérêt pour produire ses décisions. Il fournit un cadre juridique
et réglementaire à la vie économique et sociale.

79
On retrouve dans cette tradition pluraliste, les doutes développés par
Rousseau quant à la capacité des groupes à penser le bien public et l’intérêt
général. Mais par pragmatisme, on considère qu’il est impossible d’éliminer
les groupes de la vie politique, et qu’il revient au gouvernement de
réglementer leur rôle.

Le modèle proposé par Madison favorise la négociation et le compromis, et


des politiques publiques qui en reflètent les équilibres. La quasi-
institutionnalisation des Lobbies permet de d’identifier les différentes «
factions » intervenant lors d'un débat.

“Le lobbying, qui confère à des groupes organisés et reconnus (lobbies) une
place importante dans la préparation des lois aux Etats-Unis, suppose que
tous les dirigeants (politiques et non politiques) s’accordent à reconnaître
le monopole des élus dans la prise de décision (…). Les lobbies américains
peuvent dès lors revendiquer pour eux-mêmes une fonction d’influence
auprès des décideurs, être représentés auprès du Congrès par des agents
permanents, engager des experts et faire procéder à des études, user de
tous les moyens de pression dans leurs rapports avec les élus ; c’est que
leur est reconnu un rôle fondamental dans l’expression des intérêts
organisés, activité perçue comme une condition de la démocratie (…). Les
lobbies participent effectivement à la définition des enjeux (ce qui doit être
discuté, ce qui doit être fait) et des situations (tel problème est “crucial”, tel
autre peut être négligé), à la construction de la “bonne perception” des
problèmes, voire à l’élaboration des textes dont les élus feront un usage
législatif ; tout autant que les partis politiques, ils établissent ce qui est
réalisable ou ce qui ne l’est pas, ce qui est susceptible d’un traitement
politique et ce qui doit être tenu à l’écart des décisions autoritaires, ce qui
sera présenté comme d’”intérêt public” ou — à l’inverse — comme d’ordre
privé”.”

Source : Cédric Polère, Lobbying : l’influence des groupes d’intérêt s’accroît, et


favorise une transformation de notre modèle démocratique, millénaire 3, juin
2007.

Section 3. Typologie des groupes d’intérêts

80
La typologie proposée par Philippe Braud distingue deux types de groupes
en retenant comme critère le type d’intérêt qu’ils défendent. L’intérêt est
défini ici de façon large et ne se limite pas aux intérêts économiques.

Il distingue ainsi deux types de groupes d’intérêt :

➢ À vocation large
➢ À vocation spécialisée

G.I. à vocation large :

Représente une catégorie déjà existante, définie en fonction de critères très


divers : économiques et sociaux (lobbies des industriels), professionnels
(patronats, salariés, chômeurs, fonctionnaires).

La démarche de ces groupes est attentive à l’ensemble des attentes, y


compris celles qui ne sont pas formulées, ou qui sont contradictoires.

De ce fait, elles sont amenées à filtrer les attentes de la base ce qui implique
de passer de la diversité à une certaine homogénéité (agrégations des
diverses revendications sous des formules larges satisfaisant le maximum
de représentés) et d’éviter les questions qui divisent.

G.I. à vocation spécialisée :

Groupements collectifs fondés sur une commune allégeance (religieuse,


ethnique, linguistique) ou sur une expérience historique commune (les
anciens combattants), une semblable formation intellectuelle.

Ne dépendent pas d’une base sociale préconstituée. Ils affirment leur


identité en se faisant les porte-parole d’une grande cause. Ils défendent une
cause, une valeur, une croyance pouvant être soutenue par différentes
catégories de la population.

Ont des objectifs précis et acceptés par tous les adhérents.

Le groupe d’intérêt se construit une plate-forme, qui ne pas faire l’objet


d’une contestation de la part des membres. Les divergences peuvent porter
uniquement sur la tactique adoptée par le groupe.

Le langage est de ce fait précis, déterminé n’ayant pas à gérer des


contradictions majeures d’intérêt devant faire l’objet de compromis.

81
Section 4. La représentativité des groupes d’intérêt

Les groupes d’intérêt se proposent de représenter les intérêts d’un groupe


(une ethnie, une minorité, une catégorie professionnelle, etc.), c’est
pourquoi ils parlent au nom d’un groupe dans son ensemble : les étudiants,
les chômeurs, les salariés, etc.

Le problème qui se pose est celui de savoir comment se mesure la


représentativité d’un groupe d’intérêt. En effet, contrairement aux partis,
dont la représentativité est attestée par le nombre de voix obtenues ou le
nombre de sièges dans le parlement, la représentativité des groupes
d’intérêt change en fonction les catégories d’intérêts en question ou les
groupes ciblés.

Philippe Braud propose 3 critères, ou indicateurs de mesure de la


représentativité des groupes d’intérêt :

➢ La notoriété. Il s’agit « du processus en vertu duquel le nom d’une


organisation est associé à la défense d’intérêts catégoriels ». Ex :
L’UGTT avec la défense des salariés. Cet indicateur est selon Braud
fragile et approximatif.
➢ La capacité de mobilisation : le nombre d’adhérents, de cotisants,
capacité à faire respecter des consignes de boycott ou de grève.
➢ La reconnaissance extérieure par les pouvoirs publics ou les médias.

Section 5. Modalités d’action des groupes d’intérêt

Les groupes d’intérêt ciblent les pouvoirs publics compétents pour le


problème pris en charge par le groupe et cherchent à les influencer.

Selon Braud, les ressources politiques dont disposent les groupes


conditionnent les formes de leurs interventions qui sont très variées.

Braud identifie 3 modalités d’intervention :

➢ Les pressions indirectes


➢ Les pressions externes directes
➢ La participation institutionnalisée aux processus décisionnels

82
Les pressions indirectes : il s’agit des actions par lesquelles un groupe
d’intérêt cherche à mobiliser des soutiens de l’opinion publique en sa
faveur et auprès d’autres organisations susceptibles de s’allier avec lui.

Dans les démocraties pluralistes, marquée des logiques électorales, la


sollicitation de l’opinion publique joue un rôle important. Les moyens
auxquels recourent les groupes d’intérêt pour attirer l’attention et rallier à
leur cause le plus grand nombre sont divers : les campagnes de
communication, le débat public, et des actions spectaculaires sans pour
autant qu’elles soient violentes. Dans les démocraties occidentales, les
actions violentes sont perçues de manière négative et peuvent de ce fait
être contreproductive pour le groupe d’intérêt qui y recourt.

Les pressions externes directes : il s’agit des actions qui ne s’insèrent pas
dans un processus institutionnel. Actions de démarchage (lobbying) auprès
des élus, des services administratifs et des instances gouvernementales.
Pour ce faire, le groupe d’intérêt présente un argumentaire politique ou
technique pour plaider les intérêts catégoriels qu’ils représentent. Ceci
nécessite un travail en amont assuré par des experts.

Le lobbying est différemment accepté selon les pays et la culture politique


(longtemps rejeté en France car considéré comme une forme de perversion
de la démocratie, cette pratique est tolérée aux Etats-Unis).

Cette pratique permet de mieux traiter et les préoccupations particulières à


un groupe social ou les dimensions techniques de dossiers complexes. Mais,
le problème avec cette pratique, c’est qu’elle empêche le législateur de
discerner l’intérêt public, dans la mesure où les groupes d’intérêt sont
inégalement présents et influents auprès de lui.

La participation institutionnalisée aux processus de décision : Avant


d’élaborer et d’adopter une politique publique, les pouvoirs recourent
souvent à des concertations avec des groupes d’intérêt. Cette concertation
permet aux pouvoirs publics d’avoir une connaissance plus approfondie du
problème (avantage technique). Elle permet aussi aux décideurs d’identifier
la force des exigences et des résistances ce qui augmente les possibilités de
mise en œuvre de la politique (avantage politique).

Il existe trois formes de participation institutionnalisée :

83
➢ La représentation des groupes d’intérêts (commission parlementaire,
travaux de groupe mixtes, etc.)
➢ L’administration consultative : il s’agit de comités composés de
personnalités qualifiés et de représentants de groupes d’intérêts que
le chef du gouvernement ou un ministre consulte au sujet d’un
problème donné.
➢ L’attribution de sièges dans des assemblées délibérantes : elles ont
une vocation consultative uniquement.

84
Chapitre VI. LES PROFESSIONNELS DE LA POLITIQUE

• Section 1. La professionnalisation de la politique


• Section 2. Les sphères d’exercice du pouvoir
• Section 3. Les filières politiques
• Section 4. Spécificités du métier politique
• Section 5. Caractéristiques des professionnels de la politiques :
dispositions et gratifications

Dans toute société, il existe des individus qui disposent du pouvoir d'édicter
des règles contraignantes et du pouvoir de les faire respecter (en parfois
utilisant la force), c’est la caractéristique distinctive entre gouvernants et
gouvernés. Le terme « gouvernants » renvoie à l'ensemble des agents
participant à la lutte pour la conquête et l'exercice du pouvoir.

La science politique va étudier sociologiquement la classe politique.

Section 1. La professionnalisation de la politique

Une longue évolution historique marquée notamment par l’extension du


suffrage universel et la construction d’un marché politique démocratique a
donné lieu à une nouvelle catégorie de personnel politique qui n’est pas
recruté auprès des notables mais plutôt des classes moyennes et qui vivent
de la politique et pour la politique. Vivre de la politique signifie que les
hommes politiques sont rémunérés pour l’activité politique qu’ils exercent,
n’ayant pas les ressources leur permettant de s’adonner à cette activité sans
contrepartie. C’est de là que sont apparus les plans d’indemnité
(rémunération des fonctions électives) pour les postes politiques ainsi que
les postes de permanents de partis.

Les hommes politiques professionnels tendent à monopoliser les activités


politiques. L’existence d’agents politiquement actifs suppose et favorise la
passivité de ceux qui s’adonnent à d’autres activités. Ceci implique une
séparation entre professionnels et profanes, donc l’exclusion de ceux qui ne
sont pas initiés à ce métier.

La politique a donc été touchée par la division du travail qui caractérise les
sociétés modernes.

85
Les activités politiques sont devenues distinctes des autres activités
sociales. La politique est devenue l’apanage d’une « profession »
particulière. Cette profession est particulière notamment en ce sens qu’elle
n’est pas pleinement reconnue comme une profession. Il y a d’une part, une
dénégation de la part des hommes politiques et d’autre part, un refus des
citoyens de considérer la politique comme une profession. Il s’agit là d’une
vision idéalisée de la politique comme une activité désintéressée œuvrant
pour l’intérêt général.

La politique est devenue une « activité différenciée, spécialisée, permanente


et rémunérée ».

Section 2. Les sphères de l’exercice du pouvoir

Il est fondamental de distinguer au sein de l’élite politique entre classe


dirigeante, à savoir celle composée d’individus ayant une influence au
niveau du milieu décisionnel central et ceux qui participent de manière
moindre ou indirecte dans le processus décisionnel. Pour ce faire, Philippe
Braud délimite les sphères dans lesquelles les professionnels de la politique
exercent le pouvoir, ce qui permet de mieux saisir d’une part, de quelle
manière la position occupée dans chaque sphère détermine leur capacité
d’influence, et d’autre part comment interagissent les dirigeants politiques
avec des partenaires appartenant à l’appareil d’Etat ou qui lui sont
extérieurs.

Braud distingue trois sphères :

• La sphère politique
• La sphère administrative
• La sphère des partenaires extérieurs

Paragraphe 1. La sphère politique

Il existe des différences notables entre professionnels de la politique au


niveau de l’exercice d’une influence dans le milieu décisionnel central. Leur
influence est en effet inégale en fonction de la position qu’ils occupent dans
cette sphère. On distingue ainsi :

• Les agents qui sont extérieurs au milieu décisionnel central. Ce sont


les opposants, d’une part et les représentants qui exercent des

86
mandats modestes, ce qui ne leur permet pas d’avoir une notoriété et
une autorité suffisantes pour exercer une réelle influence (maire de
petites villes, députés n’ayant pas responsabilités majeures par
exemple en tant que rapporteur, président d’une commission
parlementaire), d’autre part.
• Ce sont ceux qui exercent une influence dans le milieu décisionnel
central qu’on peut appeler proprement les dirigeants politiques. Il
s’agit des agents qui détiennent des fonctions à la tête de l’Etat
(ministres, chef de l’Etat)

Paragraphe 2. La sphère administrative

Il s’agit des services publics de l’Etat qui constituent des outils


indispensables à l’exercice du pouvoir politique. Leur responsabilité
consiste dans la préparation, l’élaboration et la conception d’une politique
et également dans la mise en œuvre des décisions politiques.

Seuls les hauts fonctionnaires au sein de ces administrations publiques


peuvent participer au pouvoir décisionnel

Paragraphe 3. La sphère des partenaires extérieurs

Il s’agit ici des groupes d’intérêts qui peuvent -selon les cas- intervenir dans
le processus décisionnel.

Selon Braud, on peut identifier deux pôles :

• Le premier concerne le monde de l’entreprise économique. La


concertation des pouvoirs publics avec des agents impliqués dans des
secteurs détermines (industrie, commerce, agriculture, etc.) est
souvent nécessaire
• Le second pôle renvoie aux agents spécialisés dans le travail sur les
croyances et les représentations : il s’agit ici des faiseurs d’opinions et
des leaders d’opinion, à savoir les individus ou les groupes qui sont
en mesure d’influencer ou de façonner l’opinion.

Section 3. Les filières politiques

On distingue trois types de filières politiques :

87
• La filière locale (« cursus ascendant » : l'acteur réalise un parcours
traditionnel du niveau local vers le niveau national)
• La filière partisane (« cursus militant »)
• La filière descendante (« cursus inversé »)

Paragraphe 1. La filière locale

Le cursus ascendant : Cela commence par une implantation locale


caractérisée par l'obtention d'un ou plusieurs mandats locaux d'importance
croissante (conseiller municipal, général, maire, puis député, etc.),
propulsant au fur et à mesure l'acteur au niveau national. Lorsqu’on a
réussi au niveau local, lorsqu’on s’est fait un nom au Parlement, on peut
obtenir un poste à l'exécutif (ministre, Premier Ministre, Président de la
République).

Paragraphe 2. La filière partisane

Le cursus militant : On parle de cette filière lorsque l'ascension du niveau


local au national se fait au sein d'une organisation politique, lorsque l’acteur
assume les responsabilités politiques de son parti jusqu'au plus haut
niveau. À partir de là, le parti désigne l'acteur comme candidat à un poste
gouvernemental, etc.

Paragraphe 3. La filière descendante / le cursus inversé :

Disposant de ressources sociales élevées, l'acteur entre directement au


centre du pouvoir comme collaborateur ou conseiller auprès d'un dirigeant.
Puis dans un second temps, il va tenter de s'implanter localement et de
s'investir dans un parti politique. Ces acteurs sont en général issus d'une
formation supérieure, intègrent à leur sortie un cabinet ministériel puis se
font parachuter vers les marchés politiques locaux dans des
circonscriptions locales. Ils entrent en conflit avec la filière ascendante. Une
fois l'implantation faite, ils ont accès aux plus hautes responsabilités
nationales.

L'importance de ces filières varie en fonction du temps et au sein de


l'espace politique. Ainsi à gauche, la filière partisane domine tandis qu'à
droite c'est plutôt la filière descendante. La Vème République en France est
l'exemple de cette montée en puissance du cursus inversé. Depuis 1958,
une partie de l'élite s'est imposée à l'intérieur de l'administration et à

88
l'extérieur dans le monde politique et des affaires (« élite politico-
administrative »). On retrouve à peu près ce modèle en Allemagne mais pas
en Grande-Bretagne ni en Italie, deux pays où le mode de formation et les
carrières administratives sont beaucoup plus séparés. La France se
distingue dans son système éducatif avec des écoles qui peuvent former de
hauts fonctionnaires dont certains intègrent l'élite politique. Cette dernière
est caractérisée par un double critère, le cumul de deux diplômes (ENA et
Sciences Po, HEC et ENA, etc..). On parle de République des fonctionnaires ;
on assiste finalement à un double mouvement : un mouvement de
fonctionnarisation de la politique (n'a pas à démissionner grâce à son
statut) et de politisation de la haute fonction politique (où les élites
politiques puisent de nouveaux collaborateurs).

La France ne connaît pas (contrairement aux États-Unis) le système des


dépouilles (spoil system), mais un système de personnel administratif
fortement politisé, résultant notamment de l'influence exercée par le
pouvoir politique sur le déroulement des carrières des fonctionnaires.

Dans le système des dépouilles (« spoil system ») le parti remportant les


élections choisit « ses » fonctionnaires : plusieurs milliers d’emplois
changent alors de titulaires. Néanmoins, depuis 1883, les États-Unis ont
développé le « merit system », afin de parvenir à une professionnalisation
de ses fonctionnaires.

Section 4. Les spécificités du métier politique

Faire de la politique, c'est aussi exercer un métier spécifique reposant sur


des savoir-faire, sur une habilité technique résultant de l'expérience
acquise sur le terrain et pas forcément d'une formation sanctionnée par un
diplôme.

Le terme de « métier politique » suggère que l'exercice de l'activité


politique repose sur l'apprentissage de connaissances pratiques, mais
facultatives, pas obligatoires. Les connaissances et savoir-faire utiles en
politique se transmettent par certains types de formations universitaires
mais aussi de manière informelle : dans un régime démocratique, le
représentant doit être capable d'assurer son autorité sur une
circonscription au sein de son parti politique, de fidéliser des soutiens et
d’en acquérir de nouveaux, d’être crédité de compétences qui varient selon

89
le poste occupé, doté de qualités oratoires / d'un sens d'improvisation /
d'adaptation / capable de maîtrise de soi et des médias.

L'action politique vise à mobiliser des soutiens indispensables, mais aussi à


obtenir la satisfaction au bénéfice de la collectivité tout entière. Il s'agit de
satisfaire un certain nombre d'intérêts particuliers mais aussi et plus
encore l'intérêt général. Le travail politique comporte deux aspects : un
travail de décision et un travail de communication. La participation à des
processus de décision : toute décision politique mobilise une multiplicité
d'acteurs plus ou moins apparents. L'analyse de la répartition des
compétences entre les pouvoirs publics ne suffit pas à elle seule pour
rendre compte de la fabrication d'une décision politique. Il faut ajouter les
stratégies des acteurs concernés.

Toute décision politique implique la mise sur agenda d'un problème puis la
décision des acteurs politiques. Cette expression « d'agenda politique »
recouvre l'ensemble des problèmes perçus comme appelant une
intervention des pouvoirs publics. À ce stade, les politiques jouent un rôle
déterminant de manière spontanée, par souci d'anticiper des difficultés ou
d’assurer des perspectives à long terme, ou agissent sous contrainte pour
réagir à un événement où les politiques souhaitent agir par effet d'annonce
ou encore sous la contrainte des adversaires. Quand un gouvernant décide
d'inscrire un problème à l'agenda, il lui appartient d'évaluer les coûts et les
bénéfices de toute action entreprise, supposant la prise en compte de la
difficulté de la mise en œuvre, de la probabilité du succès final. Des résultats
de ce bilan coûts / avantages dépendent les choix des techniques de prise
de décision. Toute prise de décision suppose un certain savoir-faire des
acteurs politiques, qui doivent percevoir les attentes des citoyens et les
évaluer, pouvoir identifier dans un dossier technique les éléments
susceptibles de provoquer des résistances / polémiques.

La politique est aussi un faire-savoir : savoir communiquer pour assurer la


présentation de la décision de manière à la faire accepter par les gouvernés.
C'est une condition de survie dans le monde politique : tenu de justifier,
d'expliquer... Ce travail de communication est de nature à faciliter la mise
en œuvre de la décision prise. Cette communication remplit un double
objectif : travailler sur les représentations des acteurs et mobiliser des
soutiens. Les logiques d'expression varient selon le contexte politique : les

90
opposants tiennent un langage de promesse, mettent l'accent sur les projets
; les dirigeants mettent l'accent sur les bilans et cherchent à établir des liens
entre les phénomènes positifs et l'action qu'ils ont menée. Journalistes et
acteurs politiques entretiennent des liens complexes de dépendance : les
premiers ont besoin des seconds pour obtenir des informations et les
seconds ont besoin des premiers pour justifier leurs actions, pour véhiculer
des images, etc.

Finalement, on peut regrouper les tâches politiques autour de quatre axes :

• Plaider : le député ira démarcher les administrations pour régler telle


ou telle difficulté dans sa circonscription ; le ministre essaiera
d'obtenir du gouvernement des arbitrages favorables et le soutien des
partenaires sociaux. Cela suppose un art de la parole ciblée, car les
qualités d'éloquence ne sont pas les mêmes lors d’un meeting et
devant un comité restreint ; ainsi qu'un art de la controverse.
• Participer à des processus décisionnels, coordonner les différents
acteurs qui interviennent au moment de l'étude d'un projet de
décision, au moment de la rédaction de la décision.
• Décider. L'acteur politique endosse les décisions, doit assumer les
mesures prises quelle que soit la part de son influence dans ce
processus d'élaboration. Il doit développer certains talents de
pédagogue pour traduire en termes présentables à toutes les données
d'un problème.
• Contrôler. Cela suppose un accès aux sources d'informations facilité
par les contacts individuels, par les réseaux relationnels tissés avec
les journalistes / hauts fonctionnaires ; l'opposition est tributaire à
cet accès. Les dirigeants doivent développer une vigilance critique
pour prévenir tout scandale susceptible d'être exploité contre eux,
pour anticiper les réactions hostiles. Ils cherchent à diffuser des
informations favorables, tandis que l'opposition tente de trouver les
informations embarrassantes.

Section 4. Caractéristiques des professionnels de la politique :


dispositions et gratifications :

Pour entrer en politique, il est nécessaire d’avoir des compétences


particulières légitimant l’accès au monde politique, mais aussi une certaine

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appétence pour la politique, ce qui signifie avoir du goût, un penchant pour
la politique.

Les études sociologiques sur les professionnels de la politique attestent de


l’existence de caractéristiques sociales particulières, un processus de
socialisation créant des dispositions (une appétence et une compétence
pour la politique) et des expériences sociales qui contribuent dans le
renforcement ou au contraire la mise en veille des dispositions.

Selon Daniel Gaxie, « L’observation empirique établit que la probabilité


d’exercer un pouvoir politique (quel qu’il soit) s’accroit avec la position dans
la hiérarchie sociale et que la position sociale d’origine (mesurée par exemple
à la dernière profession avant l’entrée en politique) des hommes politiques est
d’autant plus élevée qu’ils occupent des positions plus hautes dans la
hiérarchie politique. »

(Gaxie Daniel, Les logiques du recrutement politique, Revue française de


science politique, 30ᵉ année, n°1, 1980. p. 5.)

Ceci signifie que :

• D’une part, la compétition politique intéresse avant tout les agents


situés au sommet de la hiérarchie sociale (classes supérieures) ;
• D’autre part, plus la position politique occupée est prestigieuse et se
trouve au sommet de la hiérarchie du pouvoir, plus les
caractéristiques sociales du personnel politique deviennent plus
aristocratiques.

Le portrait idéal-typique du député dans les démocraties occidentales est le


suivant : « un homme d’âge mûr, appartenant aux classes moyennes et
supérieures, disposant d’un bon niveau d’éducation et devenant sans cesse
davantage un professionnel de la politique. »

Cette description implique 4 caractéristiques :

• La domination masculine dans ce métier (les femmes sont


généralement sous représentées, malgré les mesures de
discrimination positive adoptées dans certains pays : les quotas par
exemple) ;

92
• L’âge : les jeunes (18-25 ans) ainsi que ceux ayant plus de 60 ans sont
généralement sous représentés dans les assemblées parlementaires ;
• Le niveau d’éducation des députés qui est généralement supérieur à
celui des citoyens ordinaires (universités prestigieuses) ;
• Le milieu social d’origine (classes moyennes et supérieures)

La question est de savoir pour quelles raisons, les factions supérieures sont-
elles davantage représentées que les classes moyennes et populaires.

Tout d’abord, il y a le facteur héritage : En effet, l’intérêt porté pour la


politique est souvent lié au milieu familial, c’est-à-dire à l’existence d’un
intérêt pour la politique au sein de la parentèle. Cet intérêt ne se manifeste
pas de la même manière dans tous les milieux sociaux. En effet, parmi les
couches sociales modestes, à faible niveau de diplômes il y a souvent un
sentiment d’infériorité culturelle qui fait obstacle à la compréhension des
enjeux et questions politiques et donc à l’intérêt pour la politique.

Ensuite, certaines activités professionnelles permettent l’acquisition de


compétences analogues à celles qu’exige le métier politique. Par exemple :
les hauts fonctionnaires disposant d’une formation juridique ou
administrative, ou les journalistes et les avocats qui jouissent de
compétences oratoires indispensables dans ce métier.

Finalement, ce métier nécessite des ressources importantes : un savoir-faire


et un savoir être politique, un capital symbolique, social, qui sont davantage
présents dans les classes sociales les plus favorisées économiquement et
socialement

Cela dit, il est nécessaire de souligner que la logique propre du recrutement


interne des partis politique implique un recrutement social différentiel des
dirigeants. Ainsi, chaque parti a des caractéristiques propres qui font que
l’origine sociale de ses dirigeants soient différentes. On trouvera des partis
qui recrutent essentiellement auprès des couches sociales élevées, d’autres
auprès des classes moyennes (universitaires, professeurs,), et encore des
partis qui recrutent auprès des couches populaires (ouvriers).

Dans les travaux sur l’engagement politique, il existe deux approches


différentes. L’une expliquant le militantisme politique comme étant le
produit d’affinités idéologiques avec un parti. Ainsi, le militantisme,

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impliquant des coûts élevés, est considéré comme un don de soi en vue de
la réalisation d’une cause à laquelle on croit.

La seconde approche considère que l’attachement à une cause n’est pas un


facteur unique ou déterminant de l’engagement. L’entrée en politique est
souvent liée à la recherche de rétributions (gratifications) symboliques et
matérielles qui ne sont pas recherchées en tant que telles mais qui agissent
comme un carburant (moteur) de l’activité militante (Daniel Gaxie).

En partant de la définition des partis politiques comme entreprise de


conquête du pouvoir, Daniel Gaxie considère que l'occupation des postes de
direction de l'appareil d'Etat est le premier bénéfice non collectif (avantage
individuel) que les dirigeants retirent de leur activité politique.

Les partis de cadres, tendent généralement à recruter au moment des


élections, des agents extérieurs au parti en échange d'une rémunération
financière. Il est alors fait appel à une catégorie particulière de «
mercenaires » politiques, qui ne sont pas nécessairement animés par des
mobiles idéologiques.

Une deuxième méthode consiste à s'assurer les services d'un personnel


permanent en échange d'un emploi à la discrétion du parti : exemple : le
parti de patronage qui réserve à ses membres les nombreux postes de
l'appareil administratif soumis à l'élection, utilisés dès lors comme
rémunération indirecte de l'activité proprement politique des adhérents.

Les rétributions peuvent être :

• La reconnaissance sociale
• La notoriété
• L’élargissement du capital social (réseau de relations)
• L’acquisition de savoirs et de savoir-faire
• La solidarité groupale
• L’excitation de l’action collective, etc.

Ces rapports différenciés aux gratifications sont intimement liés à l’origine


sociale des individus, ainsi une personne issue des classes sociales
défavorisées économiquement et culturellement accordera plus
d’importance à l’acquisition d’un capital culturel. Tandis qu’une personne

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issue des couches favorisées économiquement et socialement attendra des
rétributions liées à la confirmation du prestige social.

Bibliographie indicative

• Daniel Gaxie, « Les enjeux citoyens de la professionnalisation


politique », Mouvements 2001/5, (no18), p. 21-27.
• Gaxie Daniel. Les logiques du recrutement politique, Revue française
de science politique, 30ᵉ année, n°1, 1980. pp. 5-45.

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