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Analyses Société et Action Publique

Introduction :
Historiquement, le point de départ des politiques publiques est lié aux premières formes de
pouvoir politique institutionnalisés dans l’Antiquité.
Elles se sont traduites par des impôts, des amorces d’administration, la création de capacités
guerrières, l’organisation des approvisionnements, la construction de villes, le contrôle des
populations. La stabilisation de formes de gouvernement se traduit par des actions volontaristes
afin de diriger et réguler les sociétés.
En Europe, les formes modernes d’action publique et de gouvernement voient le jour dans les
communes du Moyen Âge (creuset de la modernité européenne) étudiées par Max Weber
(1995). Le développement de statistiques, d’une bureaucratie, de politiques commerciales,
d’armement ou de l’extension urbaine se concrétise progressivement dans les villes médiévales,
avant que ces modes d’action ne soient progressivement mobilisés par les États en formation et
institutionnalisés.
Pour participer à la compréhension des changements de toutes les sociétés contemporaines et
de leur régulation, l’analyse de l’action publique doit s’inscrire dans les grands paradigmes des
sciences sociales et dans la temporalité des transformations de l’État.
 Les politiques publiques, un domaine des sciences sociales
Les concepts et méthodes d’analyse de l’action publique ne relèvent pas d’une épistémologie
particulière, ils reprennent les grands paradigmes des sciences sociales. La sociologie, la
sociologie politique, l’économie, l’histoire, le droit contribuent à l’analyse de l’action publique.
La sociologie de l’action publique mobilise aussi la sociologie du droit pour appréhender la
production et la diffusion des normes ou les réseaux de juristes transnationaux. Les travaux de
sociohistoire permettent de reconstituer les catégorisations sociales et leurs usages, la mise en
forme des problèmes publics et des représentations du monde social. Plus récemment la
sociologie des sciences et des techniques a été mobilisée pour analyser les instruments de
pouvoir (statistiques, indices, cartes), de gestion (instruments budgétaires, systèmes
d’information), les innovations et les controverses. D’autres travaux de sciences sociales sont
souvent utilisés comme ceux de la sociologie des organisations, des mouvements sociaux et de
l’action collective.
La sociologie de l’action publique recourt ainsi à un ensemble de disciplines pour comprendre
l’articulation des régulations sociales et politiques, les conflits et les activités politiques de leur

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règlement. Les questions de légitimité des acteurs et en premier lieu de l’État, des
gouvernements et des gouvernants sont aujourd’hui très prégnantes.
 Définition des Politiques Publiques
Depuis, les approches se sont diversifiées. Initialement, les définitions partent des actions des
gouvernants : une politique publique est un programme d’action gouvernemental (déf. 1 et 2 ci-
dessous). Ou selon la formule de T. Dye (1976) tout ce que les gouvernements choisissent de
faire ou de ne pas faire. L’accent est mis sur l’ensemble des décisions prises par les acteurs
politiques pour choisir leurs objectifs et les moyens de les atteindre (Jenkins, 1978). D’autres
auteurs réinsèrent ces activités gouvernementales dans un ensemble cognitif plus large (déf. 3
et 4). R. Rose : « un programme d’action gouvernementale est une combinaison spécifique de
lois, d’affectations de crédits, d’administrations et de personnels dirigés vers la réalisation d’un
ensemble d’objectifs plus ou moins clairement définis » (Rose, Davies, 1994, p. 54). 2. J.-C
Thoenig : « le concept de politique publique désigne les interventions d’une autorité investie de
la puissance publique et de la légitimité gouvernementale sur un domaine spécifique de la
société ou du territoire. Ces interventions peuvent prendre trois formes principales : les
politiques publiques véhiculent des contenus, se traduisent par des prestations et génèrent des
effets. Elles mobilisent des activités et des processus de travail. Elles se déploient à travers des
relations avec d’autres acteurs sociaux collectifs ou individuels » (2004, p. 326). 3. E. Page :
Une politique publique est la combinaison de quatre éléments : 1) des principes – une
représentation générale sur la manière de gérer les affaires publiques ; 2) des objectifs – des
priorités spécifiques définies par rapport à un enjeu particulier ; 3) des mesures concrètes – des
décisions, des instruments et 4) des actions pratiques, des comportements des fonctionnaires
chargés de mettre en œuvre les mesures prises (E. Page, 2006, p. 213). 4. P. Muller : « Les
politiques publiques sont la plupart du temps une forme d’institutionnalisation de la division du
travail gouvernemental… toute politique publique correspond d’abord à une opération de
découpage du réel à travers laquelle va être découpée et formatée la substance des problèmes à
traiter ou la nature des populations concernées » (in Dictionnaire des politiques publiques,
2004, p. 405). D’autres définitions mettent plus l’accent sur des dimensions spécifiques :
l’hétérogénéité des séquences d’action, leur combinaison aléatoire et leur rationalisation
(March, 1991) ; un espace de négociation des intérêts sociaux (Commailles, Jobert, 1999), le
produit d’activités de mise en œuvre (Lipsky, 1980), les interactions entre acteurs et institutions
(Considine, 2005), une régulation des échecs du marché (Lindblom, 1968), des discours de
conviction (Dryzek, 2006), etc. De J. Dewey (1915) nous retiendrons l’idée selon laquelle une
politique publique n’est en général qu’une hypothèse de travail. Il ne s’agit pas d’un programme

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strict et rationnel mais d’une expérimentation à observer lors de la mise en œuvre. Les politiques
publiques sont des puzzles à résoudre compte tenu de la fragilité des moyens, de l’incertitude
des fins et de l’importance des jeux d’acteurs dans la mise en œuvre.
En pratique, les travaux classiques de politique publique sont caractérisés par les éléments
suivants :
– une observation précise des programmes et des bureaucraties en action,
– une approche sectorielle,
– une analyse des acteurs et des systèmes d’action,
– une approche en termes de séquence chacune étant un espace d’action spécifique ayant son
système d’acteurs, ses dynamiques, ses paradoxes, une analyse des cadres cognitifs et
normatifs, des cadres intellectuels, des énoncés,
– une tension entre des travaux empiriques décrivant la dynamique des interactions, et la
conceptualisation de modèles donnant la cohérence de l’action.
 Les origines de l’analyse des politiques publiques
L’analyse des politiques est née aux États-Unis dans les années d’avant-guerre. L’un des
ouvrages fondateurs est celui d’Harold Lasswell en 1936 intitulé significativement Politics.
Who Gets what, when, and how ? [8]. Il est prolongé dans un ouvrage de 1951 dirigé avec
Daniel Lerner qui proposait une analyse des Policy Sciences [9]. Outre les travaux de Lasswell,
on peut citer d’autres travaux fondateurs comme ceux d’Aaron Wildavsky sur le processus
budgétaire [10]. Mais pour comprendre la genèse de l’analyse des politiques et la constitution
de son univers intellectuel aujourd’hui, il faut revenir un instant sur trois grands courants de
pensée qui ont cherché, chacun à sa façon, à rendre compte des changements évoqués ci-dessus
et constituent de ce fait le socle intellectuel de l’analyse des politiques publiques. Il s’agit les
réflexions sur la bureaucratie, la théorie des organisations et les études de management public.
 La bureaucratie : archaïsme
L’interrogation sur la bureaucratie trouve sa source dans les transformations que la révolution
industrielle fait subir aux sociétés occidentales, puis dans les chocs de la révolution d’Octobre,
de la montée du stalinisme et des fascismes, qui semblent à chaque fois annoncer la victoire des
bureaucraties totalitaires sur les démocraties libérales. Elle débouche sur une question
récurrente : les sociétés industrielles peuvent-elles se passer de l’État ? Et cet État ne va-t-il pas
les étouffer ?
Pourtant, le concept de bureaucratie n’a pas toujours eu cette connotation péjorative que l’on a
pris l’habitude de lui affecter. Ainsi, lorsque Hegel évoque le développement de l’État
bureaucratique, il y voit l’accomplissement de la « raison dans l’Histoire » : seul l’État,

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dépositaire d’une sorte de « prévoyance universelle » qui transcende les intérêts particuliers, est
capable de s’élever au niveau de l’intérêt général [11]. L’État, dans sa forme bureaucratique,
est une figure de la modernité occidentale qui l’oppose aux sociétés « archaïques ». C’est
précisément cette conception positive de la bureaucratie que Marx va critiquer. Alors que, pour
Hegel, c’est l’État qui donne son sens à la société civile, pour Marx, c’est la société – à travers
la lutte des classes – qui donne son sens à l’État. Ce dernier n’est pas un vecteur de
rationalisation du monde, et la bureaucratie, loin d’être l’accomplissement de la raison, n’est
qu’une perversion de la société par l’État et l’instrument utilisé par la classe dominante pour
servir ses propres intérêts.
Même si elle paraît aujourd’hui bien datée, cette critique de Hegel par Marx a le mérite de poser
un problème qui reste d’une brûlante actualité : dans quelle mesure le développement de l’État
– et donc des politiques publiques – est-il le produit inévitable de la modernisation des sociétés
industrielles ? En bref : les sociétés industrielles peuvent-elles se passer de l’État ? Non, répond
Max Weber. Ce sociologue allemand du début du XXe siècle, spécialiste incontesté de la
bureaucratie, a exercé une influence immense en Europe et aux États-Unis, car son œuvre est
une sorte de passerelle entre les réflexions européennes sur la bureaucratisation du monde et les
travaux d’origine américaine sur le fonctionnement des organisations.
Pour Max Weber, la bureaucratie est d’abord une forme sociale fondée sur l’organisation
rationnelle des moyens en fonction des fins [12]. Derrière cette définition d’apparence banale
se cache une révolution conceptuelle qui explique l’efficacité des sociétés industrielles par
rapport aux sociétés traditionnelles.
En effet, le propre de la bureaucratie est d’agencer les différentes tâches indépendamment des
agents chargés de les exécuter. De même que, dans l’usine, l’ouvrier est « coupé » de ses
moyens de production dont il n’est pas propriétaire et dont l’ordonnancement général lui
échappe, le fonctionnaire n’est plus propriétaire de sa charge (comme dans l’Ancien Régime)
qui est intégrée dans un univers régi par les seules lois de la division du travail.
Pourquoi une administration fondée sur de tels principes est-elle plus efficace ? Parce qu’elle
accroît dans des proportions considérables la calculabilité des résultats, puisque le système est
défini indépendamment des qualités et des défauts des exécutants. Ainsi, il devient possible de
pronostiquer qu’une décision prise au sommet sera appliquée par la base « sans haine ni passion
» et sans qu’il soit nécessaire de renégocier à chaque fois l’ensemble du système de décision.
Ce n’est pas un hasard si Max Weber est contemporain de Taylor : dans les deux cas, il y a
l’idée selon laquelle la performance industrielle ou administrative passe par une volonté
d’éliminer l’incertitude liée au comportement humain. C’est le caractère impersonnel,

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déshumanisé et routinisé de la bureaucratie qui explique son efficacité sociale aussi bien au
profit du gouvernant que de l’entrepreneur.
Mais ces caractères ont aussi leurs revers. Le formalisme réglementaire et l’impersonnalité de
la bureaucratie portent en germe une négation de son efficacité. À partir de la conception
wébérienne de la bureaucratie comme vecteur de rationalisation du monde, on rejoint, mais par
d’autres chemins, les inquiétudes des philosophes de la modernité. C’est à ces questions que
veut répondre la théorie des organisations.
 La théorie des organisations : introduire la dimension stratégique
Avec cette discipline, on entre dans un univers intellectuel très proche de celui qui va fonder
l’étude des politiques publiques. La théorie des organisations est née aux États-Unis dans les
années 1920 à la suite d’une insatisfaction croissante face aux effets de l’organisation
taylorienne [13]. On assiste alors à un véritable foisonnement de recherches, d’abord centrées
sur l’étude des petits groupes au travail puis élargissant leur champ d’investigation à des
organisations de plus en plus grandes et de plus en plus diverses. De cette multitude de
recherches, on peut retenir quelques concepts fondamentaux [14] :
A) Le concept d’acteur.
Les agents d’une organisation ne sont pas des individus passifs. Au contraire, leur place dans
l’organisation ne peut être définie qu’à travers leur action.
B) Le concept de stratégie.
Cette action n’est pas fondée sur des critères simples fondés sur un intérêt clairement
identifiable, mais sur une utilisation plus ou moins habile des règles formelles et informelles de
l’organisation. Cette mobilisation des ressources dont peut disposer un acteur s’organise donc
autour d’une stratégie orientée vers la réalisation des buts qu’il s’est fixés.
C) Le concept de pouvoir. – L’utilisation de ces ressources (expertise, informations, maîtrise
de l’interface entre l’organisation et son environnement…) par les acteurs détermine des
situations d’échange entre les acteurs fondées sur des relations de pouvoir.
D) Le concept de système organisé. – Une organisation est plus que la somme des actions de
ses membres. Elle constitue un système d’action concret dont les règles de fonctionnement
s’imposent aux différents acteurs indépendamment de leurs propres préférences. La sociologie
des organisations, par rapport aux théories de la bureaucratie, met donc l’accent sur la
complexité des règles (souvent informelles) qui régissent les administrations, mais aussi sur
l’autonomie des acteurs des politiques publiques. On rejoint alors une troisième source
intellectuelle de l’analyse des politiques : le management public.
 Le management public : appliquer au public les méthodes du privé ?

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Selon Annie Bartoli, « le management public correspond à l’ensemble des processus de
finalisation, d’organisation, d’animation et de contrôle des organisations publiques, visant à
développer leurs performances générales et à piloter leur évolution dans le respect de leur
vocation » [15]. On voit bien, dans cette définition, que la démarche managériale est orientée
en fonction du critère de performance, et c’est ce qui la distingue de l’analyse des politiques
publiques. « Le management, écrit Jacques Chevallier, constituera un compromis entre
l’exigence nouvelle d’efficacité et l’attachement au particularisme de la gestion publique […]
Comme les entreprises privées, l’administration doit gérer au mieux les moyens qui lui sont
affectés ; mais l’efficacité s’apprécie d’abord par rapport au degré de réalisation des objectifs
fixés par les élus et non en fonction de la seule “rentabilité” financière. Le management public
visera à améliorer la “performance publique” en permettant à l’administration d’atteindre les
objectifs qui lui sont assignés à coût minimal. » [16]. C’est aussi pour cette raison que le
management public pose la question de la spécificité des organisations publiques par rapport
au secteur privé. C’est ce qu’exprime Romain Laufer lorsqu’il resitue la naissance du
management public dans une histoire de la coupure public/privé.
Elle se traduit par « débat de plus en plus intense sur l’avantage qu’il y a à faire passer certains
systèmes administratifs d’un côté ou de l’autre de cette limite introuvable » [17].
Il ne faut donc pas, comme le souligne fortement Patrick Gibert, assimiler management des
entreprises et gestion publique, parce que ces deux univers reposent sur des logiques différentes
: « Les rapports essentiels d’une entreprise privée avec son environnement se caractérisent par
l’échange, le contrat, l’accord des volontés » alors que « les administrations publiques […]
prélèvent unilatéralement des ressources, en distribuent et offrent des prestations sans
contrepartie […] elles interdisent, en sens inverse elles obligent à faire […] et plus généralement
réglementent les comportements » [18]. Ceci signifie que, même si les concepts de l’analyse
des politiques publiques peuvent emprunter à ceux qui permettent d’étudier les organisations
privées, la boîte à outils de cette discipline reste spécifique.
Section I : la boite à Outil de l’analyse des Politiques Publiques.
Fondamentalement la boite à outil concerne la formulation d’une politique publique, selon
Pierre Muller l’indentification n’est pas aussi simple que l’on laisse supposer l’apparente
« consistance » de l’objet. Dans les mêmes idées Yves Mény et Jean-Claude Thoenig expliquent
: «qu’une politique publique se présente sous la forme d’un programme d’action
gouvernementale dans un secteur de la société ou un espace géographique.» cette phrase est
relative à l’identification d’une politique publique.
 La formulation des politiques publiques

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En analyse des politiques publiques, la procédure de prise de décision est indissociable de sa
substance : le fond et la forme sont deux faces d’une même réalité. De manière empirique,
une politique publique est élaborée selon un parcours assez complexe qui appelle la
combinaison de plusieurs éléments et le concours de divers acteurs. Les grilles d’analyse
proposées sont multiples. Mais, une analyse comparée des systèmes modernes révèle
l’existence d’un modèle processus de décision inspiré du mécanisme managérial développé
aux Etats-Unis. Simple et révélateur d’efficacité, ce modèle processus de décision en analyse
des politiques publiques comporte essentiellement trois séquences qu’il convient d’étudier
tour à tour.

Dans une première phase, l’autorité publique procède à l’identification des problèmes publics
qu’il formule en priorités (A);

Une deuxième phase consiste en la formulation de solutions déclinées dans un programme


d’action pour prendre en charge ces problèmes publiques (B);

Une troisième étape permet aux décideurs publics d’étudier la faisabilité à terme et l’impact
des solutions proposées sur les situations à gérer en anticipant sur les résultats attendus : c’est
la phase d’études d’impact et de faisabilité des décisions à prendre (C).

A. L’identification des problèmes publics

Pour élaborer une politique publique, une question essentielle doit au préalable être posée par
le décideur public. Elle consiste à se demander pour quelle raison, à la suite de quelles
conditions, une autorité publique est-elle conduite à agir ou à ne pas agir ? Il s’agit donc pour
les décideurs publics d’identifier des problèmes sociaux et de les transformer en problèmes
publics. La question parait simple en apparence mais la réponse l’est beaucoup moins. En effet,
pour analyser et identifier un problème public, le décideur doit pouvoir se départir de réflexes
et de préjugés qui l’empêchent d’aborder correctement les faits.

Pour formuler un problème public, les décideurs doivent identifier les besoins sociaux des
populations afin de connaitre le contenu de la demande sociale. En effet, les besoins peuvent
être ressentis et non exprimés ou exprimés de manière directe ou indirecte. Le concept de
« besoins » contenus dans une demande sociale s’analyse en rapport avec les préoccupations et
les attentes des populations. Dans ce cas, la formulation des problèmes publics doit tenir compte
des priorités de chaque groupe social et de l’impact de leur solution sur l’évolution de la
situation socio-économique de l’ensemble de la population. Un problème public doit donc

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toucher de manière, sensible on non, une masse importante de la population. Il doit comporter
des enjeux socio-économiques d’une grande importance pour être traduit en agenda
gouvernemental.

Dès lors, l’on peut considérer que la détermination des problèmes publics a pour fonction de
permettre à l’autorité publique d’élaborer un programme d’action publique constitué de
solutions diverses pour prendre en charge la demande sociale.

B. La détermination d’un programme d’action publique

Toute politique publique constitue une réponse, une réplique à une situation problématique. Une
action publique est en effet une réplique que l’autorité apporte à un problème de société. Elle
implique donc nécessairement l’existence d’un « problème », c’est-à-dire d’une insatisfaction,
d’un manque, qui appelle une intervention publique pour y remédier. Toute politique est dès
lors potentiellement porteuse de changements dans la mesure où elle cherche à corriger les
dysfonctionnements sociaux et à atteindre un meilleur équilibre social. C’est par l’élaboration
d’un cadre de perception et d’analyse des problèmes, par la construction de « matrices
cognitives et normatives », que les décideurs publics construisent leur politique commune.

 La mise sur agenda des problèmes publics :

La mise sur agenda des problèmes et l’engagement du travail de planification conduisent à une
confrontation plus systématique des points de vue. L’élaboration d’un agenda d’action ne se
fait pas en effet en vase close : elle ne met pas seulement aux prises les acteurs politiques,
formellement responsables des choix politiques, ou les acteurs administratifs, étroitement
associés aux choix techniques, mais encore des acteurs sociaux défendant des intérêts
contradictoires. L’agenda public apparaît ainsi comme la résultante d’un processus complexe,
sinueux et long auquel sont invités à prendre part de multiples acteurs.

Cette mise en débat de l’action publique doit permettre d’arriver au meilleur équilibre possible
entre des impératifs contradictoires, entre des intérêts divergents. Des porte-parole
représentatifs des différents groupes sociaux sont ainsi systématiquement associés à
l’élaboration des programmes d’action, soit dans le cadre de procédures de consultation
formelles, soit par le biais de mécanismes plus souples de concertation. Cette ouverture aux
représentants des forces sociales « vise à localiser les sources potentielles de conflit, à baliser
les terrains d’affrontement, à situer les zones de compromis envisageables ; et elle autorise la

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recherche active d’accords, la négociation de compromis ». C’est au sortir de cette
confrontation que les décideurs publics peuvent avoir une vision d’ensemble des actions à
mener et les traduire en agenda gouvernemental qui constituera la solution aux problèmes
publics identifiés. L’agenda, comme programme d’action publique devra dès lors être analysé
au « laboratoire » pour évaluer la faisabilité des actions envisagées et mesurer leurs impacts
potentiels sur la situation socio-économique nationale, grâce notamment à la réalisation
d’études d’impact.

C. Les études d’impact et de faisabilité

En formulant une politique publique, pouvoirs publics doivent prendre des décisions pour
répondre aux besoins de la population. Les décideurs publics doivent, avant d’opérer un choix
d’action définitif, mesurer la portée de leur action. Il s’agit de se projeter dans un futur proche
et dans le long terme et d’anticiper sur les résultats attendus par rapport aux objectifs visés. En
la matière, l’analyse des politiques publiques a tendance à développer des techniques d’étude
d’impact pour pré-évaluer les conséquences, en termes de changements induits, d’une politique
publique sur la situation socio-économique du pays. Pour ce faire, les études d’impact doivent
tenir compte de trois préoccupations majeures. La première, nécessitant une analyse de la
situation sociale des populations, consiste à rechercher le lien global qui existe entre les besoins
exprimés par celles-ci et la politique générale décidée par les pouvoirs publics.

Une seconde préoccupation est d’analyser les effets directs et indirects, temporaires et
permanents de la mise en œuvre d’un programme d’action publique sur l'environnement socio-
économique national, en particulier sur les conditions de vie des différents membres de la
société. Cette analyse précise notamment, l'origine, la nature et la gravité des problèmes
exprimés en besoins. Elle détermine en outre et parmi les solutions envisageables, les raisons
pour lesquelles le projet d’action présenté a été retenu (notamment du point de vue des
préoccupations des décideurs publics).

Enfin, l’étude d’impact doit s’intéresser au programme d’action envisagé par le décideur public
pour vérifier s’il est de nature à stopper, limiter et si possible éradiquer définitivement les
problèmes que soulève la demande sociale en procédant à l’estimation des dépenses
correspondantes (budgétisation).

La réalisation des études d’impact permet ainsi aux décideurs publics de s’assurer de l’efficacité
et de l’efficience des politiques publiques avant de procéder à leur mise en œuvre.

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Section II : La mise en œuvre des politiques publiques

Schématiquement, une politique publique formulée en programme d’action publique implique


la prise en compte de trois questions pour être mise en œuvre :

La collectivité publique doit établir un diagnostic approfondi de la conjoncture économique en


cours. Elle doit en particulier prendre en compte certains indices importants tels que le taux de
croissance du PIB, le taux de chômage, le taux d'inflation.

Une fois ce diagnostic établi, il doit ensuite définir les priorités qui doivent être prises en charge
par son programme. En effet, une politique publique, qu’elle soit économique ou sociale, ne
peut être axée en priorité que sur certains objectifs principaux parmi lesquels, les plus courants
demeurent la lutte contre le chômage et la pauvreté, la tentative de relance de la croissance, ou
encore la lutte contre l'inflation. Les autres objectifs étant du coup nécessairement relégués au
second plan.

La collectivité publique doit enfin décider des outils qui vont lui permettre de mettre en œuvre
son action pour atteindre les objectifs qu'il s'est fixés. C’est à ce niveau que se pose le problème
de l’approche à suivre pour exécuter un programme d’action publique. D’où la nécessité de
revenir sur les modalités d’exécution des politiques gouvernementales en politiques publiques
(Paragraphe I).

Par ailleurs, l’exécution ne se résume pas un simple plan d’action à suivre. Elle s’accompagne
aujourd’hui de mesures diverses d’accompagnement qui permettent de quantifier leur impact
sur la situation socio-économique nationale en la corrigeant dans l’exécution : c’est le rôle des
mesures de suivi et d’évaluation des politiques publiques (Paragraphe II).

Paragraphe I : Les modalités d’exécution des PP

Pour exécuter les politiques publiques, les collectivités publiques disposent deux approches
différentes (A) dont l’utilisation nécessite une forte coordination des actions (B).

A. Approche globale et approche sectorielle dans l’exécution des PP

Il est tout à fait naturel qu’une politique publique, quelle que soit son importance, ne peut être
envisagée de manière isolée par rapport à la politique globale définie et conduite par les
autorités investies dans les hautes sphères de la fonction exécutive de l’Etat (chef de l’Etat et

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son gouvernement). Toute politique publique est sensée s’intégrer dans un ensemble plus vaste
de programme d’action défini selon une finalité, une orientation et des priorités déterminés. La
prise en compte de cette dimension pose en analyse des politiques publiques le problème de la
démarche à adopter par les pouvoirs publics pour mettre en œuvre leur agenda politique.

Malgré la diversité des formules, l’analyse comparée montre que la dynamique d’exécution des
politiques publiques est basée sur deux principes : celui, d’une part, de l’unité de l’action
publique qui suppose a priori une approche globale dans l’exécution des politiques publiques,
et d’autre part, le principe de spécialisation dans l’organisation et le fonctionnement du pouvoir
exécutif, impliquant une démarche sectorielle dans leur mise en œuvre.

L’approche globale suppose la définition d’un ordre de priorités et l’établissement d’une


hiérarchie d’objectifs à moyen et long termes. Celle-ci s’opère, selon les gouvernements, par
l’établissement d’un programme gouvernemental ou de plans et/ou documents stratégiques
fixant pour une période donnée les objectifs à atteindre ainsi que les moyens de réalisation
correspondants. Ce système de planification générale permet ainsi de mettre en œuvre un
programme cohérent de développement qui serve de point de repère, d’instrument de référence
auquel s’oriente l’action des pouvoirs publics.

Toutefois, cette approche globale n’implique pas pour autant que tout le programme établi soit
exécuté en un seul coup et en une seule période. Elle suppose, pour plus d’efficacité et dans un
souci de méthode, que les pouvoirs publics agissent avec tact en recherchant, secteur par
secteur, priorité en priorité, les moyens et stratégies spécifiques à mettre en œuvre pour
répondre aux problèmes touchant chaque secteur de la vie publique. Cette démarche
méthodique implique donc une approche sectorielle dans la mise en œuvre des politiques
publiques. Ainsi, selon la configuration et l’organisation du gouvernement, le plan d’action
global est en lui-même subdivisé en autant de programmes sectoriels qu’il y’a de ministères en
charge de ces secteurs. Il peut également être mis en place des administrations de mission pour
prendre en charge l’exécution de programmes spécifiques portant sur des secteurs techniques
et stratégiques (Ex : politique de gestion du delta du fleuve Niger confiée à l’Agence du Bassin
Niger).

Cette dialectique approche globale-approche sectorielle dans l’exécution des politiques


publiques répond donc à une double finalité : en même temps qu’elle vise à assurer la cohérence
de l’ensemble des actions publiques, elle permet de répondre de manière efficace et dans un
délai raisonnable aux problèmes socio-économiques qu’entendent prendre en charge les

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politiques publiques. Pour atteindre cette double finalité, l’exécution des politiques publiques
doit s’opérer dans une logique d’action commune dont seule une activité de coordination peut
assurer.

B. La coordination des actions de mise en œuvre

La coordination est un des principes fondateurs du travail gouvernemental. Sa consécration


relève d’une volonté d’assurer la cohérence et la rationalité de l’action publique. Pour être
cohérente, les politiques publiques doivent être articulées et intégrées dans une stratégie
d’ensemble et être exécutées de manière coordonnée. Refusant le coup par coup et la
juxtaposition de décisions ayant des logiques contradictoires, la rationalisation des politiques
publiques passe nécessairement par une mise en cohérence supposant leur coordination.

Il existe plusieurs procédés de coordination que l’on peut regrouper en deux grandes catégories.

La première regroupe des mécanismes de « coordination horizontale » qui peut s’opérer de trois
manières différentes. On peut tout d’abord considérer que l’organisation régulière de cadres de
conversations et de « négociations » entre différents responsables de l’exécution de politiques
publiques peut servir de moyen de coordination de leurs actions. Il en est ainsi de la tendance à
la multiplication et à l’institutionnalisation des réunions interministérielles ou de conseils
présidentiels de coordination. Ce travail de coordination peut en outre être confié à un organe
spécifique. Avant, c’était de l’apanage du chef de l’Etat ou de son Premier Ministre de jouer le
rôle de coordonnateurs de l’action gouvernementale, mais, il arrive de plus en plus que celle-ci
soit assurée par un ministère spécifique ou un organe autonome créé spécifiquement à cet effet.
Cependant, si cette formule a souvent été utilisée dans beaucoup de pays, elle a toujours été un
échec pour la simple raison qu’il est difficile pour le ministre coordinateur d’avoir une autorité
ou un moyen d’action sur ses collègues qui considèrent qu’une telle fonction porte atteinte au
principe d’égalité entre les membres du gouvernement.

Un dernier procédé de type horizontal consiste enfin à utiliser toutes les ressources des
télécommunications qui sont aujourd’hui jugées très efficaces pour la coordination (téléphones,
internet, etc.). Le travail gouvernemental utilise évidemment tous les moyens modernes de
télécommunications pour coordonner ses activités.

La seconde catégorie regroupe quant à elle des mécanismes de coordination « par annexion ».
Il s’agit d’une coordination plus ou moins verticale qui traduit une certaine remise en cause de
la spécialisation ministérielle. Il est en effet de constat que la spécialisation ministérielle, si elle

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peut être statique et organique, n’est jamais fonctionnelle. Pour arriver à mieux coordonner
leurs activités, on va donc substituer des mécanismes horizontaux à des structures verticales,
tant au niveau des ministères qu’à celui des administrations déconcentrées en utilisant trois
techniques principalement. La première est celle de la Délégation Générale ou du
Commissariat. La deuxième technique est celle de la Mission. Cette méthode répond à la même
idée que la précédente mais avec un caractère temporaire officiel. En fin, la troisième technique
recourt à l’Etablissement Public qui a l’avantage, par rapport aux deux précédentes, de
bénéficier de l’autonomie budgétaire et patrimoniale. Deux exemples historiques peuvent être
donnés : le Commissariat à l’énergie atomique et le Centre national d’études spatiales institués
par la France respectivement en 1945 et en 1961.

L’utilisation de ces différentes techniques de coordination n’est pas sans intérêt. Elles
permettent d’assurer le suivi régulier des politiques publiques dont la formalisation conduit à la
mise en place de mécanismes efficaces d’évaluation.

 Suivi et évaluation des politiques publiques

L’évaluation des politiques publiques en tant que nouvel outil d’aide à la décision publique est
apparue aux États-Unis dans les années 1960 avant de se développer au reste du monde,
notamment en Europe où elle est devenue une exigence règlementaire systématique dans le
cadre des financements alloués aux États membres à partir des années 1990. Visant la
rationalisation de l’action publique, l’évaluation permet de déterminer dans quelle mesure une
politique publique a atteint les objectifs qui lui sont assignés, et produit les effets escomptés
auprès des publics ciblés.

En analyse des politiques publiques, on note que l’intégration des techniques managériales dans
la gestion publique incite les Etats à développer des méthodes d’évaluation de politiques
publiques répondant aux critères de bonne gouvernance et de démocratie. Ainsi, à côté des
méthodes d’auto-évaluation (A) se développent de plus en plus des procédés d’évaluation des
politiques publiques conduits par des organes extérieurs et autonomes par rapport à l’Etat (B).

A. Le mécanisme de l’auto-évaluation

Lorsqu’elles mettent en œuvre des politiques publiques, les collectivités publiques s’assurent
que les actions menées ont été de nature à répondre aux attentes des leurs populations. Une
politique publique est par essence et avant tout l’expression d’une volonté politique affirmée

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par les gouvernants et qu’ils ont jugée adéquate pour répondre aux attentes des populations dont
ils ont en charge la gestion des intérêts communs.

Evaluer une politique publique, c’est revient donc, de la part des décideurs publics, à mesurer
les conséquences qu'elle engendre et vérifier si les moyens juridiques, administratifs et
financiers qu’ils ont mis en œuvre ont produit les effets attendus ». Ce travail dit d’auto-
évaluation est une sorte de bilan d’action que les personnes publiques sont appelées à faire pour
s’assurer de l’efficacité et de la rentabilité des politiques qu’elles élaborent et mettent en œuvre.
Pour ce faire, les administrations publiques peuvent procéder à une évaluation qui porte soit sur
les moyens utilisés, soit les résultats immédiats de l’action publique sur l’environnement socio-
économique ou bien encore sur l’efficience, c’est-à-dire la mise en rapport des effets de la
politique suivie avec les efforts consentis pour les obtenir. L’évaluation consiste donc à porter
un jugement de valeur sur une politique publique. Elle devient ainsi un enjeu de première
importance dans la mesure où elle est susceptible d’infléchir le sens et le contenu des politiques
futures.

Par ailleurs, le problème de l’évaluation peut se poser en des termes différents selon qu’elle
concerne les seules opérations de mise en œuvre des politiques publiques (efficacité de la
gestion administrative) ou le contenu des décisions politiques et administratives elles-mêmes
(efficacité des programmes élaborés et suivies). Le premier type d’évaluation renvoie à
l’analyse des moyens humains (personnels utilisés), matériels (biens et services des
administrations mis à la disposition chargées de l’exécution) et financiers (budget et autres
financements) utilisés pour mettre en œuvre une politique publique. Il est souvent accompli par
le recours aux systèmes d’audite effectués par des services techniques de l’Etat. Le second type
d’évaluation consiste par contre à une autocritique des orientations politiques du
gouvernement, et donc à porter un jugement sur les choix politiques des décideurs publics. Ce
type d’auto-évaluation est souvent mené à l’occasion des sessions parlementaires où les organes
politiques de l’Etat sont sensés apprécier les choix politiques du gouvernement.

Visant à remettre en cause certaines politiques de façon permanente, l’auto-évaluation devient


alors un vecteur du renouveau de l’action publique. Une telle évaluation, pour rester objective,
doit être menée avec des outils techniques sophistiqués et être basée sur une démarche
scientifique. Les outils techniques les plus utilisés pour y arriver sont entre autres l’économétrie,
la statistique, l’étude de cas, l’expérimentation, l’enquête et le sondage…

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Cependant, le souci de renforcer les principes de démocratie et de bonne gouvernance a
aujourd’hui conduit les collectivités publiques à intégrer les mécanismes d’évaluation externe
qui sont des sortes de contrôle de l’action publique mené par des organes extérieurs à l’Etat.

B. L’évaluation par un organe extérieur

En matière d’évaluation des politiques publiques, il existe plusieurs mécanismes faisant


intervenir divers acteurs extérieurs à l’Etat et à ses structures, dont le champ d’action appelle à
s’intéresser et à porter un regard critique sur les politiques menées par la collectivité publique
au profit de la population.

Au premier chef de ces acteurs, figurent les citoyens qui émettent des jugements sur les actions
menées par les pouvoirs publiques pour subvenir à leurs préoccupations quotidiennes. Par les
opinions qu’ils émettent, les citoyens évaluent à leur manière les politiques publiques et les
positions qu’ils défendent peuvent, pour la plus part, influer sur l’attitude des décideurs
politiques. Cette évaluation plus ou moins informelle est aujourd’hui suppléée par des modes
plus formalisés d’évaluation citoyenne faisant intervenir la presse et les organisations de la
société civile (ONG, Associations, Mouvements citoyens, etc.). Ces organismes de la société
civile suivent de près l’action des pouvoirs publics et produisent des rapports dans lesquels ils
formulent une évaluation objective et scientifique des politiques publiques. C’est le cas au au
Mali, au Sénégal ou dans d’autres pays d’Afrique des rapports annuels du Forum Civil sont
organisés sur les différents modes de gouvernance démocratique, financière de l’Etat et la
gestion des marchés publics etc..

Par ailleurs, l’évaluation externe peut être menée par des institutions internationales et
sous régionales de coopération et d’intégration ou encore d’organismes partenaires aux Etats.
Au plan international, ce sont surtout les institutions appartenant au système des Nations-
Unies telles que le FMI, la Banque Mondiale, l’OMC, l’UNESCO et l’OMS qui
accomplissent chaque année un travail d’évaluation objective des politiques publiques menées
par les Etats dans les différents secteurs qui leurs intéresses.

Au niveau sous régional et africain notamment, l’importance de l’UEMOA et de ces instances


dans le contrôle et l’évaluation de la gouvernance financière des Etats membres ainsi que des
politiques communes n’est plus à démontrer. C’est le cas de l’institution du mécanisme de
surveillance multilatérale en matière de finances publiques et des commissions de contrôle des
marchés publics.

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L’ensemble de ces mécanismes d’évaluation, qu’ils soient remplis par des citoyen ou par des
institutions spécialisées, sont au cœur du débat politique actuel. Leur travail d’évaluation agit
comme un véritable révélateur du processus d’action publique et des enjeux de pouvoir. En
matière de politiques publiques, ce sont en effet des regards extérieurs aux collectivités
publiques qui ont mis en valeur l’importance que pouvait revêtir l’évaluation de l’action
publique comme moyen d’aide à la décision.

En tant qu’instrument particulier d’étude et de compréhension de l’action publique, les


politiques publiques permettent à la fois d’opérer une rétrospection-introspection sur la
politique générale de l’Etat et de se projeter dans un futur proche pour prévenir et anticiper sur
les effets à court, moyen et long termes des projets et programmes gouvernementaux. C’est en
cela qu’il s’avère indispensable, qu’en dernière analyse, une tentative de mise en pratique des
connaissances soit faite à travers une mise à l’épreuve du projet de territorialisation des
politiques publiques au Mali.

Réseau, Forums et Communautés des politiques publiques

L’une des fonctions les plus importantes des réseaux de politiques publiques est donc d’être le
lieu où se construisent les diagnostics et les solutions qui vont déboucher sur la décision
politique : les réseaux sont des lieux de production du sens des politiques publiques.
C’est ici que les recherches de Bruno Jobert constituent un apport important dans la
compréhension de la dialectique entre le jeu des acteurs et la transformation des matrices
cognitives. Dans ses travaux sur l’émergence de ce qu’il appelle le « tournant néolibéral », il
s’interroge en effet directement sur les modalités à partir desquelles « s’impose », au cours des
années 1980, une nouvelle vision de l’action publique. Il montre, en particulier, que le processus
d’imposition/acceptation du changement de référentiel passe par le fonctionnement différencié
de plusieurs instances, qu’il nomme « forums ». Il distingue d’abord le forum scientifique des
économistes, au sein duquel va être mise à mal, dès les années 1970, la domination du
paradigme keynésien, ouvrant ainsi la voie à une « prise de conscience » des défaillances de
l’action publique. Le forum de la communication politique constitue une autre scène spécifique
de « construction de la réalité sociale » sur laquelle vont se modifier les termes de la rhétorique
politique dans un contexte de sortie de la guerre froide, d’émergence de nouveaux intérêts et de
nouvelles revendications. Le « consensus modernisateur » en phase avec le paradigme
keynésien s’efface devant une nouvelle rhétorique exaltant les « gagnants » de la nouvelle
compétition économique et stigmatisant les blocages sociaux. Le forum des communautés de
politiques publiques, enfin, renvoie à la « conduite des débats et des controverses dans les divers
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réseaux de politiques publiques ». C’est le lieu où se fabriquent les « recettes » à partir
desquelles vont être mis en place les programmes concrets d’action publique. La variété et la
spécificité des acteurs qui interviennent dans ces forums expliquent la forte différenciation de
l’inscription du nouveau référentiel global selon les domaines, les secteurs ou selon les pays.
Le point le plus intéressant dans cette conceptualisation est en effet la constatation selon
laquelle chacun de ces forums fonctionne selon des règles propres, selon une temporalité
particulière et met en scène des acteurs différents. Chaque acteur va donc « travailler » la
nouvelle matrice cognitive et normative dans une perspective spécifique en fonction
d’impératifs différents : le fonctionnement du forum des économistes est ainsi marqué par la
recherche de l’excellence académique dans le paradigme dominant (mais aussi par le jeu de
l’innovation intellectuelle et de la rupture) ; les acteurs du forum de la communication politique
sont animés par la volonté de participer à la construction de coalitions politiques partisanes
susceptibles d’accéder au pouvoir ; quant aux communautés de politiques publiques, les recettes
de leur « cuisine » sont marquées par la transaction entre les dimensions du global et du
sectoriel, entre l’administratif et le professionnel (y compris dans sa dimension identitaire), le
technique et le politique.
Cette distinction entre différents forums met donc bien en lumière l’importance et la complexité
du rôle des acteurs dans la définition de l’agenda politique. Dans son étude sur la réforme de la
politique agricole commune, Ève Fouilleux prolonge cette approche en montrant comment le
changement du référentiel de la PAC s’opère à travers une série d’ajustements progressifs entre
des forums qui participent à la construction du nouveau cadre d’interprétation du monde selon
des modalités de fonctionnement très différentes. Travaillant, à la différence de l’exemple
développé par Bruno Jobert, sur le cas d’une politique sectorielle, elle met en évidence
l’importance des forums professionnels comme lieux de fabrication des idées nouvelles. Quant
à Laurie Boussaguet, elle a montré que les parents d’enfants victimes de pédophiles ont
constitué un forum des profanes (par opposition aux spécialistes) qui a participé à la définition
de la politique sans y avoir été invité.

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Bibliographie
Daniel Kubler, Jacques de Mailland : Analyser les Politiques Publiques. Edition PUG 2009.
Patrick Wafeu Toko : L’analyse des politiques publiques en Afrique. 2009
Jean Leca et Pierre Muller : “Y a-t-il un approche française des politiques publiques ?
Retour sur les conditions de l'introduction de l'analyse des politiques publiques en France.”
(2008).
Fred Eboko ; Vers une matrice de l’action publique en Afrique ? Approche trans-sectorielle
de l’action publique en Afrique contemporaine. 2015
Pierre Lascoumes, Patrick Le Galès : Sociologie de l’Action Publique 2eme édition. 2012.
Pierre Muller : les Politiques Publiques : que sais-je ?
Patrick Hassenteufel : sociologie politique : l’action publique. 2eme Edition Arman Colin

Mohamed Lamine Diakité

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