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Bouaké
Raphaël Kouadio Oura, Géographe, Maître de recherche, Centre de Recherche pour le
Développement (CRD), Université Alassane Ouattara
Résumé
L’urbanisation est un phénomène qui se fait aujourd’hui à un rythme si rapide que les
villes ivoiriennes sont devenues de grandes prédatrices des ressources naturelles et foncières.
De la réduction de ces ressources sont nées des tensions dans la plupart des campagnes
périurbaines. Cette étude analyse dans le cas de Bouaké, les impacts de l’étalement urbain sur
l’activité agricole ainsi que les tensions qui en découlent dans les campagnes confrontées à
l’avancée urbaine. Les résultats révèlent que la croissance spatiale incontrôlée met à rude
épreuve l’activité agricole dans ces localités. La forte demande de logements urbains a fait
naître une multiplicité d’acteurs dans le contrôle des ressources foncières. Dans la confusion,
on assiste à une marchandisation croissante de la terre et à une compétition accrue entre les
acteurs. Le respect de la réglementation est alors contrarié par les différents enjeux. Ainsi, la
gouvernance foncière se fait de façon anarchique et informelle, privant ainsi plus de 97% des
ruraux interrogés à disposer de terre agricole. Les tensions foncières sont alors récurrentes et
mettent à mal la cohésion sociale au sein de ces populations, soumises désormais à la baisse
de leurs revenus et à l’insécurité alimentaire. On investit de plus en plus dans des activités
extra-agricoles comme stratégie de lutte contre la déprise agricole. Mais les revenus sont si
faibles que la reconversion professionnelle ne répond pas durablement à cette déprise de sorte
à mettre fin aux tensions.
Mots-clés : Côte d’Ivoire ; urbanisation ; étalement urbain ; enjeu foncier ; cohésion
sociale
Abstract
Urbanization has reached such a rapid pace that Ivorian cities have become major
predators of natural and land resources. The reduction of these resources has resulted in
tensions in most peri-urban countryside. This study analyzes, in the case of Bouake, the
impacts of the urban spreading on agricultural activity and the resulting tensions in rural areas
facing urban progress. The results have revealed that uncontrolled spatial growth has put
agricultural activity in these localities to the test. The high demand for urban housing has
given rise to a multiplicity of actors in the control of land resources. In the confusion, there is
increasing merchandising of the land and increased competition between the actors.
Compliance with the regulations is then thwarted by the various issues. Thus, land
governance is anarchic and informal, depriving more than 97% of rural respondents to dispose
of agricultural land. The land tensions are recurrent and undermine the social cohesion among
these populations who are now subject to declining income and food insecurity. People are
more and more investing in off-farm activities as a strategy to fight against agricultural
abandonment. However, the incomes are so low that professional retraining does not
sustainably meet their needs so as to put an end to tensions.
Keywords: Côte d’Ivoire; urbanization; urban spreading; land issue; social cohesion
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Introduction
L’économie agricole est l’une des caractéristiques majeures de la Côte d’Ivoire
indépendante. En dépit de son importance dans l’économie du pays, l’agriculture est identifiée
comme la cause principale de la crise militaro-politique de la décennie 2002-2011. En effet,
en l’absence d’une règle foncière consensuelle, l’activité agricole a provoqué la disparition
des ressources naturelles et la naissance de conflits fonciers dans les campagnes, transposés à
la suite à la ville (Oura, 2015). Pour toutes ces raisons, la question foncière a été placée au
cœur du processus de la réconciliation nationale au lendemain de la crise post-électorale de
2011. Alors que toutes les parties prenantes s’attelaient donc à résoudre les conflits fonciers
dans les campagnes, une autre forme de tensions suscitées cette fois par l’urbanisation
galopante, s’est révélée dans les périphéries urbaines du pays et prennent des proportions
assez inquiétantes. En effet, si les ressources détruites par l’activité agricole sont parfois
renouvelables, il n’en est pas le cas lorsque leur destruction se fait dans le cadre de
l’urbanisation (Oura, 2012). Pourtant, ce phénomène se fait aujourd’hui à un rythme si rapide
en Côte d’Ivoire que les villes sont devenues de grandes prédatrices des ressources naturelles
situées dans leur périphérie.
Cette étude analyse, dans le cas de Bouaké, les impacts de l’étalement urbain sur
l’activité agricole dans les campagnes confrontées à l’avancée de la ville. La ville de Bouaké
connait en fait une évolution marquée par un croît démographique significatif et une
croissance spatiale rapide (Kouakou, 2017). Son aire d’extension n’était que de 85 ha en 1940
pour une démographie de 10 000 habitants (Atta, 1978, Urbaplan, 2014). Cette population est
passée aujourd’hui à 536 189 habitants, soit 4,8% de la population urbaine du pays (INS,
2014 ; Tra Bi et al., 2015). La demande de logement est alors croissante au point que la ville
s’est étendue maintenant à 29 250 ha. Le contrôle de cette urbanisation est de plus en plus
difficile pour les gouvernants. Ce phénomène est d’autant plus incontrôlable que les
spéculations foncières et la crainte des villages périphériques de perdre leur terre face à
l’extension urbaine entrainent des opérations tous azimuts de morcellements fonciers. Cette
situation a fini par installer une concurrence accrue entre les habitats périurbains et
l’agriculture, l’activité principale des ruraux. Aussi, assiste-t-on à la naissance d’une
multiplicité d’acteurs dans le mode d’accès et de contrôle des ressources foncières. Dans la
confusion, on assiste à une compétition accrue entre les acteurs et à une marchandisation
croissante de la terre.
Dans ce système où les procédures foncières coutumières et/ou légales restent
méconnues de la plupart des parties prenantes et où le respect de la réglementation est
contrarié par les différents enjeux, la gouvernance foncière reste anarchique et informelle,
privant ainsi une majorité des populations rurales à disposer de la terre agricole. Les tensions
foncières sont alors récurrentes et mettent à mal la cohésion sociale entre ces derniers et les
autorités administratives et au sein des populations elles-mêmes. On assiste à une organisation
progressive des populations rurales afin de réduire les tensions internes et faire de cette
avancée urbaine une opportunité. Mais cette avancée urbaine semble inéluctable et ses effets
se feront de plus en plus sentir à mesure que la ville phagocytera leur terroir. Les efforts
locaux ne parviennent donc pas à atténuer les tensions et la cohésion sociale s’en trouve
affectée. Comment l’urbanisation de Bouaké participe-t-elle à la fragilisation de la cohésion
sociale dans les villages du périurbain ? En d’autres termes :
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1- Quel lien existe-il entre l’urbanisation et la réduction des espaces agricoles dans
les campagnes périphériques de Bouaké ?
2- Comment la question foncière fragilise-t-elle la cohésion sociale dans ces
villages ?
3- Quelles sont les stratégies de résilience face aux conséquences de la réduction des
espaces agricoles ?
Matériels et méthodes
1- Matériels
1.1- Présentation de la zone d’étude
La ville de Bouaké s’étend sur une superficie de 29 250 ha et abrite une population de
536 189 habitants soit 4,75 % de la population urbaine de la Côte d’Ivoire (INS, 2014). Le
choix de Bouaké pour cette étude s’explique par la pression foncière qu’elle exerce sur les
espaces ruraux environnants du fait de sa croissance démographique et de son expansion
spatiale.
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1.2- Outils et méthodes de collecte de données
Les résultats émanent d’une recherche par questionnaire administré à 90 chefs de
ménage dans les villages périurbains de Konankankro, Kotiakoffikro et d’Adjé-yaokro. Le
questionnaire a été complété d’un guide d’entretiens auprès d’autorités coutumières et
administratives de la chaîne foncière de la ville de Bouaké. Il s’agit des directeurs du
ministère de la construction et de l’urbanisme, du cadastre, des impôts et du responsable du
service technique de la mairie. Les données d’entretiens collectées ont été retranscrites et
traitées manuellement. Les logiciels Sphinx, Excel, Word ont été nécessaires pour le
traitement des données quantitatives. Enfin la réalisation cartographique a été faite à l’aide du
logiciel QGIS 3.2.
Résultats et discussion
1- Urbanisation et réduction des espaces agricoles dans les campagnes périphériques
L’urbanisation est un phénomène qui caractérise aujourd’hui la plupart des villes du monde. Ce
phénomène mondial s’accompagne de plus en plus d’un étalement urbain qui s’accélère rapidement dans nombre
de pays en développement (UN-Habitat, 2010). L’étalement est caractérisé par « un gaspillage énorme » du
foncier (Bennasr, 2003).
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Carte 2 : Dynamique urbaine de Bouaké
La ville ne croît pas par densification, mais par multiplication de lotissements, surtout
à la périphérie. L’expansion démesurée des périphéries urbaines est en fait une réponse aux
carences foncières à l'intérieur du périmètre urbain (Bennasr, 2003). Ainsi, l’aire urbaine de
Bouaké est passée à 29 250 ha en 2014 pour une population de 536 189 habitants (INS, 2014).
Ce développement spatial par étalement urbain a entraîné la naissance de quartiers
périphériques très éloignés du centre et affichant de faibles densités (Urbaplan, 2014). Il s’agit
entre autres, des quartiers d’Amabo, Angamblé, Fêtêkro Extension et Assoumankro et des
quartiers spontanés de Banco et de Soussoroubougou. En somme, l’urbanisation rapide de
Bouaké a suscité une forte demande de lotissements et l’émergence d’une pluralité d’acteurs
aux intérêts divergents dans la gestion du foncier à Bouaké. La réglementation foncière n’est
plus respectée du fait de l’interférence des différents enjeux autour de l’accès et du contrôle
de la terre. La gouvernance foncière se fait désormais dans l’anarchie et l’informalité de sorte
que les terres villageoises disparaissent face à l’avancée de la ville (Kouamé, 2017). Selon
UN-Habitat (2010), « l’étalement des zones périphériques pauvres intervient essentiellement parce que les
autorités accordent peu d’attention aux bidonvilles, à la question foncière ». Ainsi la perturbation de
l’équilibre foncier instaure chez les ruraux la crainte de l’urbanisation de Bouaké.
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1.2- La peur de l’avancée urbaine et les lotissements d’anticipation par les villageois
Nous avons fait les lotissements lorsque nous avons senti que nous allons
perdre notre espace au profit des habitats. Vous voyez, les terres qu’occupent l’usine
Gonfréville, la Petroci, l’EFA, la base aérienne et l’aéroport sont nos terres. Nous
avons perdu tous ces espaces à cause de la ville. Donc, pour ne pas perdre
gratuitement nos terres au profit de l’État, nous les lotissons nous-mêmes.
À l’exception d’Adjéyaokro, tous les villages de la périphérie de la ville ont fait l’objet
d’opérations de lotissements, qu’elles soient initiées par les autorités administratives ou
coutumières. Les premiers lotissements qui datent des années 1960 ont été effectués sous
l’impulsion de la mairie, conformément aux exigences de l’urbanisation. Kotiakoffikro par
exemple a connu ses premières opérations de lotissements respectivement en 1970 et 2000,
Mais les lotissements les plus récents sont l’œuvre des populations rurales elles-mêmes. Le
dernier lotissement, de 2009, a été fait sous l’initiative des habitants. Le village de
Konankankro a également connu deux lotissements (1969 et 2001), Mais ces dernières
années, chaque famille détentrice de terre, en accord avec le chef du village, le chef de terre et
le chef-canton, procède elle-même au lotissement de sa parcelle. Le chef du village de
Konankankro dévoile le processus en ces termes :
Pour initier une opération de lotissement, la famille détentrice de la terre fait appel
à son propre géomètre. En accord avec le chef de terre et le chef-canton, elle fait
lotir la parcelle. Après le lotissement, les lots sont partagés entre les différents
membres de la famille. Après le partage, chaque membre est libre de vendre sa
parcelle, comme il le veut.
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l’agriculture et du développement rural, le Directeur de la conservation foncière, le Directeur
des services techniques de la mairie, le procureur et le commissaire), les opérateurs privés
(démarcheur, notaire, géomètre, promoteur immobilier, topographe, aménageurs), les
populations locales (les acquéreurs, les propriétaires terriens) et les autorités coutumières. Le
manque de contrôle de ces acteurs aussi bien par les autorités administratives que coutumières
a instauré une grande insécurité foncière aux conséquences assez lourdes pour les villages.
Du fait de la valeur vénale du foncier et des lotissements induits par la forte demande
de logements, on assiste continuellement à la construction de nouveaux habitats urbains et à la
perte de terres agricoles. En fait, en favorisant l’extension des surfaces bâties, l’étalement urbain
entraîne des pertes importantes de riches terres agricoles (UN-Habitat, 2010). Ce phénomène n’épargne
aucun village enquêté et aucune famille de la périphérie urbaine de Bouaké. En effet, plus de
93% des chefs de ménage disent avoir déjà perdu une partie ou l’entièreté de leur patrimoine
foncier du fait de l’extension urbaine. Avec ces pertes, les habitants sont maintenant privés de
la pratique de l’agriculture, leur activité principale. À cet effet, le chef du village de
Konankankro affirme :
« Toutes nos terres ont été loties et vendues, nous ne disposons plus de
terres pour faire l’agriculture. On est donc obligé d’aller demander de la terre
dans les villages voisins (Allokokro) pour faire l’agriculture.
Cet avis est partagé par un enquêté de Kotiakoffikro, lorsqu’il affirme : « notre village
a entrepris plusieurs projets de lotissements et ce sont ces lotissements qui sont aujourd’hui à
l’origine de la disparition de nos terres ». Selon les enquêtés, la perte des espaces agricoles
engendre l’épuisement des sols des rares parcelles encore disponibles, la baisse de la
production agricole et des revenus paysans. On assiste en outre à une baisse du niveau de
disponibilité des vivres sur les marchés de sorte que les habitants sont obligés de payer de la
nourriture au même titre que les citadins.
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Tableau 1 : Chefs de ménage ayant été confrontés à des cas de tension
Le tableau illustre l’existence de litiges fonciers dans les villages. Plus de 73% des enquêtés
ont été confrontés une fois au moins à un litige autour de leur terre. Les causes des conflits
dans le périurbain sont de plusieurs ordres.
Il ressort des propos des enquêtés qu’il arrive très souvent que les propriétaires de
terres vendent une même parcelle à plusieurs personnes à la fois. Il est aussi relevé la question
de la remise en cause des contrats fonciers et le fait que les différents acteurs soient en
concurrence pour le contrôle d’une même portion. Il arrive même qu’on assiste à une remise
en cause des contrats fonciers établis par les ancêtres ou alors, à la vente de la terre par une
tierce personne à l’insu du propriétaire terrien. Un jeune du village de Kotiakoffikro
témoigne :
« Chez nous ici, la lutte de la terre est notre quotidien, on n’a plus de terre pour faire une
activité. Il y a un groupe de jeunes qui se fait passer pour des propriétaires des terres et vend
la terre à 2 ou 3 personnes ».
A ces situations, s’ajoute les cas de mésententes entre deux villages voisins autour des
limites. Les tensions peuvent même opposer les populations rurales à la municipalité :
« Le maire veut prendre une parcelle ici qui ne lui appartient pas. Comme nous
avons revendiqué cette partie de terre, alors il nous a convoqués et a même
menacé le chef aux arrêts durant quelques heures dans la cellule de la justice »,
propos d’enquêté.
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Toutes ces situations installent chez les villageois un sentiment d’insécurité dans le contrôle
du reste de leur terre. C’est ce qui ressort des propos d’un jeune de Konankankro : « Ils ont
vendu tout. Si tu ne vends pas ta terre, ils vont la vendre à ta place ». De par ce sentiment, les
populations rurales s’engagent très vite dans des procédures de vente de leur terre. Mais, dans
la précipitation, les chefs de famille sont confrontés au mécontentement des autres membres
de la famille, qui réclament leur part de la vente. Il y a enfin les insatisfaits de la part de la
vente de leur patrimoine commun. Ainsi, plus de 51% des tensions autour de la terre
surgissent entre les membres d’une même famille, et viennent après dans une proportion de
27,5% les cas de tension entre village et entre autochtones et des citadins. Les oppositions
entre villages interviennent dans une proportion moindre, avec un taux de 13,5%. Quelle que
soit la proportion dans laquelle elles sont vécues, toutes ces tensions conduisent à une
dégradation des rapports entre les différents acteurs.
Les autorités coutumières sont très souvent sollicitées pour le règlement des conflits. Mais,
lorsque l’un des protagonistes n’est pas satisfait du verdict ou qu’il considère que les autorités
coutumières ne peuvent pas lui permettre de trouver une solution durable à sa préoccupation,
il préfère formuler sa plainte auprès des autorités de l’Etat. Dans ce cas, la sous-préfecture ou
la justice reçoivent généralement les plaintes, et de plus en plus la police et la gendarmerie.
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Dans le village d’Adjé-Yaokro par exemple où le village est confronté à de nombreux conflits
fonciers, un contentieux autour d’un lotissement a fait appel à l’intervention de la justice,
comme le fait entendre un notable du village :
Du fait de ce problème foncier, le village n’est pas loti. En effet, après la mort du chef Kouassi
Kouadio, arrière-petit-fils de Nana Adjé Yao en 2013, Nana Kouakou Koffi, chef du village de
Diahonou et originaire de Trainou se réclame être le propriétaire terrien d’Adjé-Yaokro. Pour
cela, il a fait lotir une parcelle de 50 ha appartenant au village. Le nouveau chef Kouakou
Clément, la mutuelle de la gestion foncière d’Adjé yaokro et les jeunes du village ont enlevé les
bornes. Et Kouakou a transmis l’affaire en justice.
Les deux camps se sont installés dans une position où « chacun voulait profiter lui seul des 50
ha ». Cette situation a fait dégrader les rapports entre les habitants de Diahonou et ceux
d’Adjé-Yaokro. Et même à l’intérieur du village, le chef Kouakou Clément ne fait pas encore
l’unanimité, tout comme il ne peut l’être dans le village de Diahonou. Un habitant d’Adjé-
Yaokro raconte :
…Il a démis Kouakou Clément de ces fonctions et a positionné Kouadio Roger comme chef
intérimaire. Cela a créé davantage des mésententes entre nous parce que nous ne le reconnaissons
pas le nouveau chef. C’est Clément qui est le chef à la mort de chef Kouassi Kouadio. C’est lui que
nous avons désigné comme notre chef. Un chef qui n’est pas avec moi n’est pas chef.
Dans le village d’Adjé-yaokro mais aussi à Kotiakoffikro où les tensions sont fortes, les
populations disent vivre dans un climat de méfiance avec leurs protagonistes. Le chef de
Konankankro a expliqué que les tensions foncières n’ébranlent pas la cohésion sociale dans
son village car ces problèmes trouvent toujours solution soit en famille ou chez le chef-
canton. Quel que soit le mode de règlement, les populations ont de plus en plus du mal à
supporter l’avancée de la ville et à faire face à la réduction des terres. Elles développent
néanmoins des stratégies pour en minimiser les effets.
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3. Résilience aux conséquences de la perte d’espaces agricoles
Les stratégies des populations rurales pour faire face aux contraintes que leur impose
l’avancée de la ville se situent à deux niveaux : l’organisation collective et les dispositions
individuelles des habitants.
3.1- Les dispositions au niveau organisationnel
Logiquement, il revient aux gouvernants de mettre en place les dispositions
nécessaires à tendre de plus en plus vers des villes durables (Bennasr, 2003). L’auteur estime
que « les constructions doivent être "suffisamment" proches les unes des autres pour
qu'ensemble, elles forment un tout perceptible dans le paysage ». En absence de telles
dispositions, un comité de gestion est mis en place dans chaque village, pour une meilleure
gouvernance foncière. Le comité est chargé de faire valoir le droit du village sur ses terres. En
effet, les villageois disent avoir cédé des terres à l’Etat sans qu’ils aient bénéficié de la purge.
Pour gagner ce combat, ils comptent le faire de façon collective, c’est-à-dire avec l’interaction
de tous les comités. Dans leur fonctionnement, les mutuelles discutent régulièrement de
l’avenir de leurs villages et des dispositions à prendre pour maintenir certains de leurs acquis
notamment le foncier et leur identité. Mais ces luttes collectives semblent ne pas suffire
devant les effets de l’étalement urbain.
L’avancée urbaine engendre au quotidien une réduction des terres arables dans la
périphérie urbaine. La rentabilité des rares terres s’impose donc aux exploitants agricoles qui
font de plus en plus appel aux techniques modernes de production agricole. Selon les paysans,
le recours aux intrants constitue le principal moyen d’améliorer la productivité dans les
campagnes. Par ailleurs, la pratique agricole se fait de plus en plus dans les bas-fonds, du fait
du manque de terre sur les plateaux. De l’agriculture d’ignames pour la plupart, on assiste de
plus en plus à une agriculture de produits de bas-fond notamment les légumes et le riz de bas-
fond. Mais la stratégie la plus répandue est la reconversion socioprofessionnelle à laquelle
s’adonnent la plupart des jeunes déscolarisés. La reconversion se fait notamment de l’activité
agricole vers les petits métiers : la maçonnerie, la menuiserie, la couture, l’électricité, la
coiffure, l’activité de chauffeur de taxi-moto, le contrat dans les usines, chauffeur de taxi-
moto, etc.
Conclusion
L'étalement urbain représente aujourd'hui l'un des défis majeurs à la gouvernance de la
ville de Bouaké. Le croît démographique rapide et l’étalement de l’espace urbain sont en effet
caractéristiques de la ville. L’urbanisation suscite une forte demande de logements dont
l’essentiel se fait à la périphérie urbaine de sorte que plusieurs villages ont déjà intégré le
tissu. Ce phénomène engendre une perte des espaces ruraux destinés généralement à l’activité
agricole. Mais, avec ces pertes, les rares terres sont devenues de véritables enjeux au point
qu’une diversité d’acteurs revendiquent leurs intérêts dans la gouvernance foncière. Dans
cette confusion, la vente des terres se multiplie et fait accentuer la déprise foncière. L’activité
agricole n’est pratiquement plus possible dans la plupart de ces villages. Ils doivent ainsi faire
face à l’insécurité alimentaire et à de récurrents conflits fonciers. Les enjeux fonciers sont
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tellement grands que les différents acteurs peinent encore à trouver des réponses durables à
ces conflits. L’une des stratégies locales, la reconversion socioprofessionnelle, ne permet pour
le moment pas aux populations de subvenir aux besoins de leurs familles. La cohésion sociale
s’en trouve en fin de compte affectée. Les gouvernants tout comme les populations doivent
donc regarder de près la question de l’urbanisation, ce phénomène irréversible, qui continuera
de faire disparaître les terres rurales à mesure que la ville s’étendra par la construction de
bâtis. Pour une meilleure prévention de l’insécurité alimentaire et les conflits liés à cette
expansion spatiale.
Références bibliographiques
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