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L’ORPAILLAGE INFORMEL DANS LE VILLAGE DE SRAN BELAKRO EN CÔTE

D’IVOIRE : ANALYSE DES STRATEGIES D’ÉRADICATION A TRAVERS LE


PRISME DES ENJEUX SOCIO-ECONOMIQUES LOCAUX
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INFORMAL GOLD PANNING IN THE VILLAGE OF SRAN BELAKRO IN CÔTE D’IVOIRE:
ANALYSIS OF ERADICATION STRATEGIES THROUGH THE PRISM OF LOCAL SOCIO-
ECONOMIC ISSUES

Valoua FOFANA
Université Alassane Ouattara de Bouaké
valoua.fofana@live.fr

REVUE INTERNATIONALE DONNI (RID)


Volume 3, Numéro 1, Juin 2023
Pages 37-48
ISSN : 1987-1406 /eISSN : 1987-1457

Article disponible en ligne à l’adresse : https://revuedonni.wordpress.com

Pour citer cet article:


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FOFANA Valoua, 2023, « L’orpaillage informel dans le village de Sran Belakro en Côte
d’Ivoire : analyse des strategies d’éradication à travers le prisme des enjeux socio-economiques
locaux », Revue Internationale Dônni, Vol.3, N°1, juin, p.37-48.
Revue Internationale Dônni, Vol 3 - n°1, juin 2023

Résumé
Les stratégies gouvernementales visant à éradiquer l’orpaillage informel sur le territoire ivoirien n’ont
pas produit les résultats escomptés à ce jour et le phénomène enregistre une certaine dynamique
expansionniste. Invitées par le gouvernement à s’engager dans la lutte contre ce phénomène, les
populations ne se sentent véritablement pas concernées au regard des enjeux socioéconomiques locaux.
Dans ce contexte où le gouvernement et les populations des localités qui abritent les sites aurifères ne
parlent pas le même langage, nous entreprenons cette étude avec pour objectif général, contribuer à la
réflexion et à la compréhension des enjeux locaux qui minent la lutte contre la prolifération des sites
d’orpaillage à partir de l’étude de cas du village de Sran belakro dans le centre de la Côte d’Ivoire. Pour
ce faire, une démarche qualitative a prévalu. Les données empiriques ont été collectées auprès d’un
échantillon de 58 participant.e.s sélectionné.e.s à l’aide de la technique d’échantillonnage par réseau ou
boule de neige. L’ensemble des informations obtenues est d’abord traité et analysé au travers de
l’analyse de contenu puis interprété à l’aide de la théorie du choix rationnel. Les résultats de cette étude
montrent que les stratégies dont les mesures répressives n’ont pu venir à bout du phénomène dans
notre zone d’étude. Les retombées financières et sociales de l’exploitation informelle de l’or sont plus
importantes pour les populations que les dégâts socio-environnementaux. Les transformations socio-
économiques qualitatives observées dans cette localité amène à recommander que les gouvernants
revisitent leurs stratégies de lutte face à ce phénomène qui n’épargne plus aucune région.
Mots clés : Stratégies, éradication, orpaillage informel, enjeux socio-économiques, populations locales

Abstract
Government strategies aimed at eradicating informal gold panning on Ivorian territory have not produced the
expected results to date and the phenomenon is registering a certain expansionist dynamic. Invited by the
government to engage in this fight against this phenomenon, the populations do not really feel concerned with
regard to local socio-economic issues. In this context where the government and the populations of the localities
which shelter the auriferous sites do not speak the same language, we undertake this study with for general
objective, to contribute to the reflection and the understanding of the local stakes which undermine the fight against
the proliferation gold panning sites from the case study of the village of Sran Belakro in central Côte d'Ivoire. To
do this, a qualitative approach prevailed. Empirical data was collected from a sample of 58 participants selected
using the network or snowball sampling technique. All the information obtained is first processed and analyzed
through content analysis and then interpreted using rational choice theory. The results of this study show that the
strategies including repressive measures could not overcome the phenomenon in our study area. The financial and
social benefits of informal gold mining are more important for populations than the socio-environmental damage.
The qualitative socio-economic transformations observed in this locality leads to recommend that the rulers revisit
their strategies to fight against this phenomenon which no longer spares any region.
Keywords: Strategies, eradication, informal gold panning, socio-economic issues, local populations

Introduction
« Eradiquer l’orpaillage clandestin est un impératif absolu pour l’Etat de Côte d’Ivoire », avait
déclaré en Septembre 2018, le Ministre des Mines et de la Géologie d’alors, Monsieur Jean-
Claude Kouassi, invitant les populations à s’engager dans cette lutte en refusant de céder leurs
terres fertiles aux orpailleurs qui les détruisent1. Cette détermination du gouvernement à lutter
contre l’orpaillage clandestin s’inscrit dans la dynamique du programme triennal de
rationalisation de l’orpaillage adopté en Octobre 2013 dont l’objectif est d’assainir, d’organiser
et d’encadrer l’activité d’orpaillage afin d’en faire à court terme une activité formelle légale, et
respectueuse des règles du métier et de l’environnement physique et social. Défini en quatre
volets à savoir, la sensibilisation, la fermeture des sites clandestins, la formalisation du secteur
et la formation des orpailleurs sur les bonnes pratiques de l’artisanat minier, il a effectivement
démarré en 2014 par la sensibilisation de tous les acteurs, notamment les communautés, les

1https://www.gouv.ci/_actualite-article.php?recordID=9246

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chefferies traditionnelles, les entreprises et tout individu intéressé par cette activité et
l’installation des comités locaux.
L’année suivante, cette ferme volonté de l’Etat d’assainir le secteur minier s’est traduite sur le
terrain par le déguerpissement de 150 sites clandestins et la délivrance des autorisations
d’exploitations minières artisanales aux petites unités artisanales2. En Juillet 2016, alors que,
dans sa troisième et dernière phase, l’opération Rationalisation de l’Orpaillage se terminait par
l’interpellation de 66 orpailleurs, la destruction de nombreux équipements et la fermeture de
429 sites illicites, avec la mise en place de stratégies pour faire barrage à la recolonisation des
sites déguerpis, en fin 2016, le ministère des mines dénombrait 185 sites d’orpaillages
clandestins, dont 142 anciens sites recolonisés et 47 nouveaux (Frat.Mat info, en ligne). Alors
que le gouvernement s’attèle à lancer les prochaines phases visant principalement à éviter la
recolonisation des sites déguerpis par des mesures plus rigoureuses notamment,
l’interpellation des clandestins et des chefs coutumiers impliqués, ce chiffre est passé à plus
de 650 sites clandestins en 2017(Frat.Mat info, Idem).
La régulation de ce secteur ne semble donc pas facile au regard d’un tel chiffre. Comme une
gangrène, le phénomène de l’orpaillage clandestin continue de prendre de l’ampleur. Il s’est
bien incrusté dans le paysage économique des zones rurales en dépit de nombreux problèmes
qu’il soulève dont celui des droits de l’homme, de la dégradation de l’environnement et des
ressources naturelles (Soko, 2019, pp. 61-79). Cela transparait dans les chiffres du
démantèlement des sites clandestins fournis par le gouvernement en 2019. « En effet, une
récente évaluation de l'orpaillage clandestin a permis de dénombrer dans le pays au moins 241
sites clandestins, pour une population d'orpailleurs évaluée à 23 400 individus » (Kouao, 2019).
Deux ans plus tard, les résultats escomptés sont encore mitigés quand le gouvernement
annonçait le démantèlement de 35 sites et l’interpellation de 233 personnes au mois d’août
2021 dans le cadre de la lutte contre l’orpaillage illégal (Communiqué du gouvernement, 2021).
Ce n’est que sur la période allant du 14 juillet 2021 au 27 mai 2022, traduisant une présence
continue dans les zones d’exploitation illégales d’or que la gendarmerie ivoirienne est
parvenue à détruire plus de 800 sites d’orpaillage clandestin et interpellé 630 personnes dans
223 localités des 31 régions de la Côte d’Ivoire (Lassaad, 2022, en ligne). Si cette opération
semble être un succès, elle reste toujours insuffisante. Le phénomène de l’orpaillage clandestin
continue de gagner du terrain en Côte d’Ivoire avec la flambée des cours de l’or ces dernières
années et la complicité de certains acteurs de la lutte notamment les populations locales pour
lesquelles cette économie supplante à maints endroits l’économie agricole jugée moins
lucrative. Cette activité est, en effet, devenue la principale source de revenus en milieu rural
et constitue un véritable moyen d’améliorer les conditions de vie des populations qui y vivent.
Dans le village de Sran belakro, le constat est sans ambiguïté. L’exploitation artisanale de l’or
est une activité lucrative au regard de l’engouement qu’elle suscite. Les enjeux
socioéconomiques sont si importants que les implications environnementales, sanitaires et les
conflits inter et intra-communautaires sont minimisés. Ainsi, la problématique des effets de la
prolifération de l’extraction traditionnelle de l’or sur les populations concernées s’apprécie
beaucoup plus en termes de gains que de pertes (Traoré, 2022, pp. 251-268). Le gouvernement
et sa stratégie d’éradication de l’orpaillage informel se trouve confrontés à un dualisme
matérialisé par la dimension positive du phénomène que sont la lutte contre le chômage et la
pauvreté et l’amorce du développement local endogène de ce village et la dimension négative
représentée par les bouleversements sociaux et environnementaux tels la déperdition scolaire,
la sexualité précoce, les problèmes de santé, les conflits, la dégradation du paysage, etc.

2http://afrique.le360.ma/cote-divoire/societe/2017/02/26/9998-cote-divoire-la-lutte-sans-fin-contre-lorpaillage-clandestin-

9998 consulté le 20 Mars 2023

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La difficulté à arbitrer entre ces deux dimensions n’est pas de nature à faciliter la tâche dans
cette lutte. C’est dans ce contexte où les mécanismes de régulation et d’encadrement mis en
place par le gouvernement ne fonctionnent pas correctement, que cette étude trouve sa
justification. La question fondamentale qu’elle se propose de cerner ici est la suivante :
Comment les enjeux socioéconomiques rendent-ils inefficaces les stratégies d’éradication des
activités illégales d’orpaillage dans la localité de Sran belakro? L’objectif poursuivi est donc de
contribuer à la réflexion et à la compréhension des enjeux locaux qui minent la lutte contre la
prolifération des sites d’orpaillage en partant de l’exemple de la zone de Sran belakro. La
poursuite de cet objectif principal obéit à une approche triptyque : i) faire un état des lieux de
l’impact de l’exploitation artisanale de l’or dans cette localité ; ii) cerner les conditions de vie
de la population avant et pendant l’orpaillage ; iii) Comprendre les mécanismes de lutte et
leurs limites en lien avec les réalités socioéconomiques locales. Pour y arriver, cette étude part
de l’hypothèse que l’éradication du phénomène de l’orpaillage illégal passe nécessairement
par la création de conditions pouvant favoriser la réduction de la pauvreté en milieu rural.
Pour vérifier cette hypothèse, nous procédons par présenter la méthodologie d’abord, ensuite
les résultats et enfin la discussion.
1. Méthodologie
La collecte des données empiriques de cette étude a eu lieu à Sran Belakro situé à environ 45
km au Sud-Est de la ville de Sakassou chef-lieu du département du même nom au centre de la
Côte d’Ivoire. Si ce département abrite plusieurs sites d’extraction artisanale de l’or, celui de
Sran Belakro semble le plus rentable et le plus étendu avec au minimum cinq sites d’orpaillage.
Situés à environ 25 kilomètres du village, ces sites dénommés Adjamé, Bolongo, Kôrôbôrô,
Garyba Daga et Koupéla s’étendent sur plus de 3km. Sur ces sites d’orpaillage des entretiens
ont été menés avec les acteurs qui étaient présents lors des passages de l’équipe d’enquête
constituée de 2 doctorants faisant office de chefs d’équipe et de 6 enquêteurs de niveau
Masters. Des entretiens ont eu lieu également dans le village avec les populations autochtones
baoulé, allochtones Malinkés et étrangères venues de la sous-région. En dehors de ces
catégories de personnes, l’étude s’est également intéressée aux autorités administratives et
coutumières.
Pour la sélection des participants, la technique d’échantillonnage par réseau ou boule de neige
a été invoquée. Le choix de cette technique dans le cadre de notre étude se justifie par la nature
assez sensible du phénomène à investiguer. L’activité étant exercée dans l’illégalité, la
méfiance est de mise au sein des acteurs. Dès lors, les individus ne peuvent accorder un
entretien que par l’intermédiaire d’autres individus en qui ils ont une certaine confiance, la
nature répressive de l’activité oblige. Alors les participants sont sélectionnés en fonction de
leurs liens avec un « noyau » d’individus qui partage les mêmes centres d’intérêts et les mêmes
valeurs sur la base des relations d’amitiés, d’affaires, etc. Sur ce principe de base, 35 orpailleurs
et 20 personnes au sein de la population riveraine ont pu répondre à nos questions. Pour ce
qui concerne les personnes ressources, nous avons eu des entretiens avec 01 agent de la sous-
préfecture, 01 agent des mines et 01 autorité coutumière.
L’étude reposant sur l’approche qualitative, le recueil des données s’est fait à l’aide d’un guide
d’entretien. L’ensemble des informations obtenues est analysé au travers de la théorie du choix
rationnel largement diffusée et discutée dans les travaux de Harsanyi J. (1969, p.89), Hogarth
et Reder (1987, p.154), Meadwell (2002, pp. 117–124), Becker (1976, p. 75), Boudon (2004, p.54).
Elle est une théorie de l’action dont l’explication repose exclusivement sur les motivations
individuelles. Elle attribue aux agents un comportement rationnel, qui en raison d’un certain
nombre de préférences, adoptent un comportement en visant le plus grand profit, ou le
moindre mal (Doire St-Louis, 2009, p.20). L’analyse rationnelle débute généralement avec la
prémisse voulant que l’agent choisisse invariablement ce qu’il préfère. Toutefois, ceci n’est

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qu’une partie de l’équation. L’autre élément important du processus décisionnel est la


présence de contraintes : elle rend le choix nécessaire pour l’agent qui l’adapte par rapport aux
caractéristiques de l’environnement dans lequel il se trouve. En partant du principe que les
acteurs de l’orpaillage agissent de façon rationnelle, cette théorie nous aide à expliquer le
comportement économique et social de ceux-ci dans ce secteur controversé.
2. Résultats
2.1. Ruée vers l’or dans la localité de Sran Belakro
Les premières traces de l'exploitation artisanale de l'or à Sran belakro remonteraient en 2009
dans le contexte de crises politico-militaire qui a marqué l’histoire récente de la Côte d’Ivoire
de 2002 à 2011. Depuis lors, cette activité s’est développement au point de devenir la principale
source de revenus des populations locales. A la faveur des informations concernant la quantité
d’or extrait par les mineurs artisanaux et la réalisation de chiffres d’affaires élevés, on
enregistre un boom démographique avec une population croissante de 2500 orpailleurs sur le
territoire de Sran belakro.
L’économie informelle de l’orpaillage, de par la rentabilité et la rapidité des gains, est ainsi à
la base de vagues migratoires mais également à la base de l’abandon ou de la cessation des
principales activités que sont l’agriculture et la pêche. Les propos recueillis auprès des
principaux acteurs sont révélateurs de ces bouleversements engendrés par l’orpaillage. L’un
de nos enquêtés s’exprimait en ces termes :
En venant ici, nous avons abandonné nos métiers en ville pour certains et pour d’autres ils jonglent
avec leurs métiers et l’orpaillage. Ici au village, les activités comme l’agriculture ou la pêche ont été
laissées totalement ; les villageois préfèrent s’adonner entièrement à cette activité. Nous sommes tous
ici à cause de sa rentabilité par rapport à nos activités. Tu peux devenir millionnaire du jour au
lendemain si la chance te sourit, contrairement à l’agriculture qui non seulement produit par saison
mais dont les prix sont devenus très bas et la pêche qui ne fait plus vivre.

Les retombées financières de l’extraction de l’or constituent ainsi un véritable catalyseur du


phénomène de la « ruée vers l’or ». Autrement dit, la misère économique causée par les
fluctuations des prix des matières premières pour certains et les activités génératrices de bas
revenus conduit les acteurs à migrer en masse vers l’exploitation minière artisanale, leurs
nouvelles sources de revenus.
Sur les sites d’orpaillage, on rencontre des personnes d’horizons divers. Les plus nombreux
sont les ressortissants des pays voisins. Ils interviennent à tous les niveaux de la chaine de
production au point où toute cette économie repose sur leur maestria. Ils en ont eu l’initiative
à Sran bélakro pendant la crise politico-militaire, ils sont prospecteurs, négociants, exploitants,
vendeurs et acheteurs. Les populations autochtones et celles venues des autres régions de la
Côte d’Ivoire les ont rejointes certes, mais avec une expertise limitée dans le secteur, elles
dépendent majoritairement de la main-d’œuvre étrangère (Burkinabés, Maliens, Nigériens…).
Ces milliers d’anciens et de nouveaux exploitants artisanaux attirés par la ruée vers l’or ont
profondément transformé Sran bélakro. En dépit des questions environnementales et des
conflits, la localité connait une certaine croissance démographique couplée à l’atténuation du
problème du chômage et l’évitement de l’exode rural de sa population. Des infrastructures et
de nouveaux modes de transports y ont vu le jour, des activités commerciales se sont
développées. Les propos ci-après, nous en disent long sur les transformations sociales,
économiques et structurelles de Sran belakro :
Grace à l’orpaillage, nous avons un collège dans le village. L’école a été créé en 2018 par un
ressortissant du village. Il n’est pas orpailleur et vie à Abidjan où il travaille ; Mais l’idée lui est venue
parce que la population grandit de plus en plus avec l’arrivée massive de nouveaux orpailleurs
(enquêté 25).

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Outre les infrastructures à l’image de l’école, le village enregistre de nouvelles formes de


transactions foncières marchandes. La cession du droit d’usage d’une parcelle contre le
versement d’une rente ne se fait plus pour la réalisation d’une plantation. Elle se fait désormais
pour l’extraction de l’or. Comparé à l’agriculture devenue improductive, l’orpaillage constitue
ainsi une ressource financière informelle importante pour les populations de Sran belakro.
Plusieurs explications nous ont été données à cet effet, dont celle d’une autorité coutumière
intervenant dans la gestion de la terre :
Vous savez bien que les plantations ne produisent plus comme avant à cause de la sècheresse car il
ne pleut plus comme par le passé. Donc cette activité de l’extraction artisanale de l’or pour nous, est
une opportunité pour sortir de la précarité ; les plantations ne produisant plus, nous mettons nos
terres en location pour être exploitées par les orpailleurs. Cela nous permet de subvenir aux besoins
de nos familles car ça rapport beaucoup d’argent, des millions des fois pour un terrain de deux à
trois hectares. En dehors de cela il y a des exploitants ambulants. Quant à eux, ils nous paient par
semaine.

Ces pratiques de location des terres reposent beaucoup plus sur des décisions familiales. Ici,
les membres de familles sont les seuls bénéficiaires des retombées de la location de leurs
propriétés foncières. Dans une approche plus communautaire et une logique d’autogestion du
village par la recherche de ressources financières propres, les autorités villageoises ont
instauré une fiscalité locale afin de se doter d’un fonds villageois. Sur ce principe, des taxes
villageoises sont perçues auprès des orpailleurs. Les montants des taxes collectées varient et
augmentent proportionnellement au nombre de puits, aux types de matériels utilisés mais
également à la quantité d’or trouvée. Ainsi, chaque orpailleur est taxé à hauteur de 2000 FCFA
à 15000 FCFA par jour, voire plus. Certaines taxes sont prélevées par semaine en nature ou en
espèce et représentent un permis d’exploitation sur ces terres, renouvelable chaque semaine.
Dans ce contexte, les liens entre l’orpaillage et les villageois sont si étroits qu’il parait
quasiment impossible d’envisager le développement de la localité en dehors de cette activité
jugée salvatrice à leurs yeux. Mais avec l’Etat, ces liens sont très complexes au regard des
dégâts environnementaux, sanitaires et sociaux. C’est pourquoi plusieurs actions sont
envisagées en vue de l’encadrer, voire l’éradiquer.
2.2. Stratégies étatiques de luttes contre l’orpaillage
A l’instar des autres localités succombées au boom de l’orpaillage clandestin, Sran belakro a
enregistré plusieurs actions répressives tant de la Gendarmerie Nationale que du Groupement
Spécial de Lutte contre l’Orpaillage Clandestin (GSLOI). La lutte contre ce fléau dans la
localité, a consisté en des mesures visant à contrôler et/ou à organiser le secteur par des
structures spécialisées de l’Etat et/ou des organisations non gouvernementales travaillant en
collaboration avec celui-ci. Un responsable de l’administration locale nous confiait à cet effet
que « le nouveau code minier adopté en 2014 exige la création d’une structure légale à toute
personne voulant faire de l’exploitation artisanale ou semi-industrielle. Dans ce code, il est
également prévu de s’organiser en coopérative pour avoir des permis d’exploitation ». Ces
dispositions démontrent que l’Etat n’est pas opposé à l’exploitation artisanale de l’or. Le
lancement du programme national de rationalisation de l’orpaillage en vue d’aider les acteurs
à se conformer aux lois en est une autre preuve. D’ailleurs, il est allé encore plus loin en
procédant à la création de chantiers-écoles pour former des artisans-miniers et leur faciliter
l’accès à des sites d’exploitations identifiés et déclassés.
Mais les récurrentes violations de ces dispositions par les orpailleurs clandestins amènent
l’État à user de moyens contraignants et répréhensifs surtout quand ces activités incontrôlées
exercent de fortes pressions sur l’environnement et les ressources foncières sans oublier les
inconvénients pour l’agriculture. Les mesures contraignantes enregistrées dans la zone
d’étude sont principalement des actions de déguerpissement avec saisie des équipements, des

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arrestations et condamnations à des peines d’emprisonnement ferme, ainsi qu’à de lourdes


amendes. Les personnes rencontrées lors de nos investigations n’ont pas manqué de le relever.
Un des orpailleurs visités sur les sites s’exprimait ainsi en substance :
Dans les pays voisins la pratique de l’orpaillage est une tradition et les populations qui en vivent
l’exercent régulièrement en toute quiétude. Ici en Côte d’Ivoire nous sommes traités comme des
criminels et combattus par l’Etat pour qui nous travaillons dans la clandestinité. Alors que nous
pratiquons l’orpaillage artisanal. Les gendarmes descendent sur nos sites à tout moment. Ils nous
persécutent, brûlent nos cabanes ou saisissent nos motos, nos matériels de travail.

Malgré ces actions, le phénomène persiste et s’intensifie. Les mesures et les moyens employés
par l’État sont durement éprouvés sur le terrain au point où l’on est tenté de penser à un échec.
Les sites déguerpis sont recolonisés ou de nouveaux sites sont créés après le départ de la
mission de démantèlement. Nous avons cherché à en comprendre les déterminants.
2.3. Les limites des stratégies d’éradication de l’orpaillage informel
La clandestinité de l’orpaillage et la méconnaissance des mécanismes de gouvernance en
vigueur sur les sites d’exploitation rendent les actions étatiques impuissantes face à ce secteur.
Lorsqu’un site est démantelé et est fermé, un autre se crée ou le même site est recolonisé
quelques mois plus tard. Cela amène à penser que l’orpaillage clandestin a toujours une
longueur d’avance sur l’État. Les démantèlements surviennent généralement longtemps après
l’ouverture et l’exploitation des sites. A Sran belakro, les 05 principaux sites d’orpaillage ont
été ouverts dans cette même dynamique, les uns après les autres. Le site de Bolongo avait
d’ailleurs été déguerpi et remblayé, mais les orpailleurs l’ont rouvert moins d’un an après.
L’une des limites de l’intervention étatique est la mobilité des populations impliquées dans
l’exploitation illégale de l’or. En effet, les mineurs informels sont toujours en train de se
déplacer à la recherche de nouveaux sites et de nouveaux filons qui leur rapportent gros en
quantité d’or. Avec la logique standardisée de suivi de l’orpaillage illégal, il devient quasiment
difficile aux autorités d’endiguer l’expansion du phénomène. Comme nous l’a fait savoir un
des responsables de la Direction régionale de mines, la gendarmerie procède généralement
aux déguerpissements sur instruction du Préfet après que celui-ci ait été avisé par les services
de la direction des mines et géologies des cas d’occupations illicites de sites d’orpaillage.
Par ailleurs la stratégie visant à former les mineurs n’a pas atteint les résultats escomptés pour
la simple raison que, non seulement l’objectif de former 1000 artisans-mineurs par an au
travers de dix chantiers-écoles animés par la Société du développement minier de Côte
d’Ivoire (Sodemi) est largement insuffisant pour absorber ce nombre d’orpailleurs estimé à
plus de 500.000 à un délai raisonnable mais les acteurs eux-mêmes ne s’imaginent pas
pratiquer autres activités en dehors de l’orpaillage. Car pour eux, il n’y a pas d’activité plus
valorisante de par le rendement en peu de temps que l’exploitation minière. L’un des
propriétaires de sites rencontrés lors de nos enquêtes n’a pas caché qu’« ils sont Attirés par les
gains financiers que leur procure cette activité ». Ces propos sont d’autant vrais que, selon les
orpailleurs, l’or est un produit pour lequel on trouve toujours des acheteurs. Aussitôt il se
trouve, il est vendu. Devant une telle facilité d’évacuation du produit comparativement à
d’autres produits qui restent souvent invendus, il va de soi que le choix est vite fait entre
l’exploitation aurifère et d’autres types d’activités que propose le gouvernement en guise de
reconversion pour les orpailleurs. Cette rentabilité rapide et élevée de l’or est au cœur des
enjeux qui rendent improductives les stratégies de lutte contre l’orpaillage illicite.
2.4. Impacts des enjeux socioéconomiques sur la lutte contre l’orpaillage clandestin
Comme nous l’avons vu en amont, les alternatives préconisées par le gouvernement ivoirien
afin de maîtriser, contrôler ou endiguer le phénomène d’orpaillage informel n’ont pu ou n’ont
pas encore produit des résultats convaincants. Le grain de sable qui grippe ce processus de
lutte a plusieurs dénominations dont les enjeux économiques et sociaux locaux. Au risque de

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les présenter comme les principaux déterminants des échecs des opérations coup de poing
successives et de tous les moyens d’accompagnement, les enjeux sociaux et économiques sont
déterminants dans ces échecs successifs. Sur le plan économique, les revenus tirés de
l’orpaillage sont une aubaine pour les populations de la localité de Sran bélakro si bien qu’il
devient très difficile de mettre fin à cette activité. Elle a un important impact à la fois sur
l’emploi quoique précaire au regard des conditions de travail et sur les revenus des acteurs.
Outre les activités directes, se développent des activités induites ou annexes. En ce qui
concerne l’emploi, les ressortissants du village se comptent de plus en plus parmi les creuseurs
des puits, les laveurs des minerais, les gestionnaires des chantiers et les gestionnaires des
comptoirs d’achat d’or, en somme, les corps de métiers initialement réservés aux immigrants
maliens, burkinabés et guinéens.
Par ailleurs, malgré le caractère aléatoire des revenus générés par la vente de l’or, la survie des
populations en dépend inextricablement comparativement aux activités traditionnelles que
sont l’agriculture et la pêche. C’est à juste titre que le chef du village de Sran belakro affirmait:
cette activité de l’exploitation artisanale de l’or, est l’activité la plus pratique dans le village. Sur les
3000 personnes qui s’y adonnent, on peut estimer à 65%, les natifs du village, en majorité les jeunes,
qui exercent cette activité. C’est l’activité qui occupe vraiment notre jeunesse, leur permettant de
prendre soins de leurs parents. Ce qui est une bonne chose.

Le nombre croissant des personnes intervenant dans l’exploitation artisanale de l’or depuis
l’ouverture des premiers chantiers du village fait de l’activité, la première activité socio-
économique selon les personnes interrogées. Outre les revenus directs, de nouvelles sources
de revenus ont été découvertes grâce à l’orpaillage illicite. Notre enquête a pu relever aussi
bien sur les sites d’exploitation que dans le village, les activités de restaurations, les bars, les
boutiques, la vente d’habits, les jeux vidéo, les points de réparations et de ventes de matériels
d’orpaillage, etc. C’est ce qu’atteste une commerçante : « Grâce à l’exploitation artisanale de
l’or, je suis devenue commerçante dans la restauration. On trouve à peu près tout ici, tout ce
qui est en ville se trouve ici et sa marche très bien. Pour ce qui me concerne, du matin à 14h, je
réalise mon chiffre d’affaires ».
Au cœur de cette dynamique économique, figurent les transactions financières autour du
foncier. La population locale et les agriculteurs qui ne voient plus d’intérêt dans l’exploitation
agricole à cause de la sécheresse et la mévente de leurs produits agricoles manifestent la fin de
leurs désespoirs par l’arrivée de ces investisseurs d’un nouveau type. Ces transactions
foncières sont généralement à l’origine des conflits dans les localités qui connaissent
l’orpaillage. Pour ce qui concerne Sran Belakro, notre équipe d’enquêteurs a plutôt enregistré
des conflits entre acheteurs d’or. Non seulement les terres cédées aux orpailleurs par les
populations autochtones sont le fait d’un commun accord mais elles y sont particulièrement
très impliquées et sont d’ailleurs propriétaires de la plupart des exploitations minières.
L’observation in situ du mode de fonctionnement des sites a révélé une organisation bien
ficelée favorisant une coexistence paisible. Pour maintenir ce climat de paix, en plus des limites
bien déterminées des parcelles exploitées, la répartition de la manne financière entre les
différents acteurs obéit à des règles bien établies et suivies scrupuleusement.
Sur les sites qui ont fait l’objet de nos enquêtes, la répartition des gains se fait de deux
manières. Certains acteurs peuvent choisir de se partager la quantité d’or obtenue en semaine.
D’autres procèdent par contre par une répartition en numéraire. Sur le prix du gramme d’or
qui varie entre 20000FCFA et 25000FCFA, le propriétaire du domaine exploité peut recevoir
5000 FCFA. Outre le propriétaire terrien, le Chef du village et sa notabilité reçoivent également
2500 FCFA sur le gramme d’or vendu. Ces retombées financières, quoi que modeste,
permettent non seulement de réaliser des investissements au village à titre individuel et
collectif, mais également de poser des actions sociales en termes de reprofilage des pistes,

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l’équipement des écoles et des centres de santé ruraux. Ces revenus servent en outre, à
l’amélioration des conditions de vie des ménages, à la scolarisation des enfants, à l’acquisition
de biens immobiliers et matériels etc. Nous avons pu constater à juste titre la modernisation
de l’habitat avec de plus en plus de maisons en dur ou semi-dur avec les toits en tôles. Nous
avons également constaté la modernisation des moyens de déplacement personnels et l’arrivée
de nouveaux services de transports en commun particulièrement les motos taxis et les taxis
brousse qui s’enfoncent de plus en plus dans les zones reculées.
Ces quelques avantages qui font de l’ombre à des problèmes plus profonds d’ordre
environnemental, sanitaire et nutritionnel justifient la violation des décisions
gouvernementales dans la lutte contre le phénomène. L’intérêt des populations locales pour
cette activité ne favorise pas leur implication. Elles ne se sentent pas concernées par les
programmes communautaires initiés par le gouvernement parce que l’orpaillage leur permet
de poser des actions de développement local que l’Etat n’a pas été capable de réaliser. Selon
un leader communautaire,
le travail de l’or sauve les populations de ce village d’une mort certaine. Elles ne se sentent pas
concernées par les luttes engagées par l’Etat contre l’orpaillage parce que le développement n’est
arrivé dans leur localité que grâce à cette activité qui non seulement trouve du travail aux jeunes
mais fait sortir les familles de la pauvreté.

Alors, face à ces raisons socioéconomiques, les mesures d’interdiction et de répressions de


l’orpaillage sont vouées à l’échec car pour ces populations, l’or est l’enjeu de développement
de Sran Belakro en dépit des différentes problématiques environnementale, agricole et socio-
sanitaire.
3. Discussion
Ces dernières années, Sran belakro connaît un boom démographique à la faveur de l’orpaillage
clandestin. Devenue la principale source de richesse à cause de la rapidité des gains et de la
rentabilité de cette activité informelle d’exploitation de l’or, le village fait l’objet d’incessantes
vagues de migrants internationaux mais également nationaux. La naissance de cette nouvelle
forme de mise au travail et d’enrichissement a profondément bouleversé les normes sociales
et les valeurs locales entrainant l’abandon ou la cessation des principales activités que sont
l’agriculture et la pêche en plus d’instaurer de nouveaux rapports sociaux et économiques au
sein de la population. A l’instar de Sran belakro, toutes les localités soumises au boom de
l’orpaillage sont exposées à des transformations sociétales. Grätz (2004, pp. 135-150) l’a
également souligné dans son étude. En comparant trois situations nationales, au Bénin, au
Burkina Faso et au Mali, son étude révèle que les camps miniers sont marqués par la rencontre
entre des caractéristiques culturelles, techniques et sociales nouvelles, « inventées» sur place,
et d’autres, plus anciennes, amenées par les migrants depuis leurs régions d’origine.
À la faveur de cette dynamique migratoire que connait notre zone d’étude et des
caractéristiques culturelles et sociales spécifiques à l’orpaillage, de nouvelles formes de
transactions foncières marchandes sont valorisées par les populations autochtones. Autrefois
dédiée à l’agriculture, la cession du droit d’usage d’une parcelle contre le versement d’une
rente ne se fait désormais que dans le cadre de l’extraction de l’or. L’agriculture devenue
improductive, l’orpaillage constitue le moyen le plus sûr d’enrichissement bien qu’il engendre
de grosses pertes financières chez certains. Notre étude rejoint ainsi celle de Konan (2002, p. 4)
sur l’émergence d’une nouvelle forme de gouvernance et de gestion foncières dans les localités
aurifères. Selon son étude, la cession de la terre pour la pratique de cette activité est soumise à
de nouvelles règles. L’accès à la terre à proprement parler, suit plusieurs modes. À Kalamon
par exemple, les sites miniers sont octroyés aux opérateurs par les chefs de terre qui bénéficient
en retour de dividendes (un pourcentage sur la production). Cependant, comme nous l’avons
souligné dans notre étude, ces transactions foncières n’obéissent à aucune loi organique. Celle

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de Keita (2017, p. 14) l’a souligné également en suggérant qu’au Mali, particulièrement à
Namatou et Balandougou, l’ouverture des sites d’orpaillage n’obéit pas aux règles fixées par
la législation minière, mais plutôt à des règles coutumières qui existent depuis fort longtemps.
Dans ce contexte, nous sommes parvenu à démontrer que les liens entre l’orpaillage et les
villageois sont si étroits qu’il parait quasiment impossible d’envisager le développement de la
localité en dehors de cette activité, car jugée salvatrice à leurs yeux. Toutefois, au regard des
dégâts environnementaux, sanitaires et sociaux, l’Etat œuvre par tous les moyens pour la
contrôler, l’encadrer et l’éliminer. Généralement couronnées par des mesures contraignantes,
ces moyens se traduisent principalement dans notre zone d’étude par des actions de
déguerpissement avec saisie des équipements, des arrestations et condamnations à des peines
d’emprisonnement ferme, ainsi qu’à de lourdes amendes. Les résultats de Ouédraogo (2019,
p. 11) s’alignent sur les nôtres quand ils font ressortir les liens entre les dégâts comme la
perturbation de l’environnement socio-économique des milieux et l’activité d’orpaillage. En
s’appuyant sur les cas de Diosso, Siguinoguin et Zincko au Burkina Faso, ses résultats mettent
à nu l’usage de stupéfiants par les orpailleurs pour rendre la main-d’œuvre plus efficace, la
fragilisation de l’équilibre des milieux ruraux, la transgression des coutumes lors de
l’acquisition des terres, souvent classées, souvent sacrées, la déscolarisation des enfants, le vol
et les conflits liés aux ressources telles que la terre, l’eau et les ressources minières. Pour ce qui
concerne les moyens étatiques de lutte et de contrôle du secteur que nous avons émis, nous
constatons que notre approche diffère de celle de Sawadogo et Dapola (2022, p. 18) qui ont
plutôt mis l’accent sur la formalisation. Mais ils nous rejoignent quant aux échecs constatés sur
le terrain. Pour eux, les actions de luttes consistant à la formalisation rencontrent des difficultés
parce qu’elle se présente comme une forme d’exclusion pure et simple de certains acteurs clés.
Quelques-unes des limites des actions étatiques de luttes ont été évoquées par notre étude
évidemment. Nous avons souligné entre autres, la clandestinité de l’orpaillage et la
méconnaissance des mécanismes de gouvernance en vigueur sur les sites d’exploitation, la
mobilité des populations impliquées dans l’exploitation illégale de l’or et la complicité des
populations locales qui profitent des retombées de l’activité. Sur ce dernier point, nous
rejoignons l’étude de Traoré (2002, p. 148) qui met au-devant l’opposition entre l’égalité
d’accès aux ressources dans le secteur artisanal et le caractère prédateur du secteur industriel
dont la politique de compensation a été imposée par les revendications des travailleurs et les
contestations communautaires.
Pour cerner les causes de ces échecs, nous nous sommes appuyé sur les enjeux qui gouvernent
ce secteur. A ce propos, les enjeux économiques et sociaux locaux nous ont paru déterminants.
Au cœur des avantages économiques, figurent les transactions financières autour du
foncier. La population locale et les agriculteurs qui ne voient plus d’intérêt dans l’exploitation
agricole à cause de la sécheresse et la mévente de leurs produits agricoles, bravent la loi
organique sur le foncier en cédant leurs terres aux orpailleurs. Ces effets bénéfiques qui
rendent improductives les actions répressives de l’Etat sont également partagés par les travaux
de Diallo et Vinolas (2018, p 2) qui citent comme éléments justifiants ces échecs, l’augmentation
du pouvoir d’achat des habitants des villages et des orpailleurs, y compris les femmes, l’essor
du commerce qui en dérive, l’emploi informel de milliers de personnes, les revenus générés
par l’activité dans des zones pauvres et délaissées par les projets de développement, un réseau
commercial bien organisé, etc. En effet, l’observation in situ que nous avons faite du mode de
fonctionnement des sites enquêtés a révélé une organisation bien ficelée favorisant une
coexistence paisible.
Pour maintenir ce climat de paix, en plus des limites bien déterminées des parcelles exploitées,
la répartition de la manne financière entre les différents acteurs obéit à des règles bien établies
et suivies scrupuleusement. L’intérêt des populations locales pour cette activité ne favorise

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donc pas leur implication dans la lutte. Nos résultats corroborent ici ceux de Sangaré (2016,
p.3) qui, à partir d’une étude de cas à Gbomblora, révèle que les populations locales qui
s’adonnent à l’orpaillage, opèrent manifestement un choix stratégique dans le système
d’activités des ménages ruraux pour assurer les autres besoins non moins indispensables.
Dans ce contexte, les luttes contre ce phénomène sont confrontées à l’idée selon laquelle
l’orpaillage est un instrument de résilience qui permet aux ménages d’accéder à d’autres
besoins d’ordre alimentaire, sanitaire et éducationnel. Dès lors, la prise en compte de ces
facteurs aurait été favorable à ces stratégies de luttes. C’est pourquoi l’étude menée par le
Bureau de la Friedrich-Ebert-Stiftung (FES) Côte d’Ivoire (2018, p 7) soutient que l’avancée de
l’orpaillage clandestin, malgré les différents efforts étatiques montre que certains aspects
importants n’ont pas été pris en compte dans cette lutte, notamment la population locale. Pour
cette étude, l’expansion de l’orpaillage clandestin se résume en ces 3 points : (i) le sentiment
de légitimité du propriétaire terrien d’offrir sa terre à qui il veut moyennant un coût ; (ii) la
participation de la population locale à l’activité aux côtés des orpailleurs étrangers et ; (iii) la
facilité de la commercialisation du minerai et sa rentabilité. A la faveur de ces avantages, les
populations locales ne se sentent pas impliquées dans les décisions prises par l’Etat
relativement à leur localité. Ce qui créé parfois l’échec des programmes communautaires
initiés par le gouvernement, tel que le programme de rationalisation de l’orpaillage en Côte
d’Ivoire. Outre ces facteurs, l’étude met à nu la corruption de certains officiels. Il s’agit de
certains administrateurs d’Etat qui sont plus proches des populations locales et des sites
miniers. Ces administrateurs attribuent de « fausses autorisations » à certains exploitants
moyennant un coût. Le système est ainsi entaché par ses propres maillons conclut l’étude.
Contrairement à nous, l’étude menée par Karpe (2022, p4) en Guyane propose, pour éradiquer
ce phénomène dans ce pays, qu’il faut se représenter son environnement géopolitique pour «
comprendre les difficultés à éradiquer le fléau de l’orpaillage illégal. Bordée par le Suriname
et le Brésil – qui n’ont ni le même niveau de développement que la France ni une législation
équivalente – la Guyane souffre d’un contrôle insuffisant de ses frontières, en particulier
fluviales surtout que les fleuves sont des bassins de vie et la notion de frontière n’est pas
nécessairement perçue comme telle par les habitants. Il y a une véritable porosité des frontières
fluviales et maritimes qui facilite également la mise en place de chaînes logistiques dans les
pays voisins.
Conclusion
L’objectif poursuivi dans le cadre de cette communication est de contribuer à la réflexion et à
la compréhension des enjeux locaux qui minent la lutte contre la prolifération de l’orpaillage
informel en partant de l’exemple de la zone de Sran belakro. Pour ce faire, des données
empiriques ont été collectées et analysées au travers de la démarche qualitative. Les résultats
obtenus ont par la suite fait l’objet d’interprétation à l’aide de la théorie du choix rationnel. Au
terme de ce processus, il ressort que quoique bien ficelées, les stratégies de luttes rencontrent
des difficultés énormes sur le terrain. Des difficultés liées aux enjeux de l’orpaillage dans la
localité.
A l’instar de la plupart des localités impactées par le phénomène, à Sran belakro, la rentabilité
et la rapidité des revenus issus de l’exploitation artisanale informelle de l’or par rapport aux
activités traditionnelles (artisanat, agriculture, pêche…) considérées comme des génératrices
de bas revenus, sont déterminants dans l’explication des échecs des stratégies de lutte. Au
regard de la pauvreté endémique, les populations qui rêvent d’un changement qualitatif de
leurs conditions de vie, n’ont de solutions meilleures que de s’adonner à cette activité en dépit
de ses impacts négatifs sur l’environnement, la santé, l’alimentation, la cohésion sociale ;

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l’orpaillage a apporté un développement au village en termes d’infrastructures scolaires,


sanitaires, en termes de reprofilage des pistes, de transports, d’habitats modernes au point
d’opposer une résistance aux actions étatiques d’interdiction de l’activité.
De fait, face à ces enjeux socio-économiques locaux, il importe à l’Etat de changer d’approche
dans sa lutte contre le phénomène. Il ne suffit plus d’impliquer les populations à la mise en
œuvre de stratégies de luttes pour s’attendre à des résultats positifs mais d’œuvrer à apporter
un développement local véritable à ces populations en valorisant entre autres, l’agriculture
par un financement adéquat et l’augmentation des prix des produits agricoles. Les retombées
en termes d’amélioration des conditions de vie socioéconomique contribueraient
probablement à freiner l’expansion de l’orpaillage dans les localités concernées et à Sran
belakro particulièrement.
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