Vous êtes sur la page 1sur 393

République du Sénégal

Ministère de l’Education

Université Cheikh Anta Diop


Faculté des Lettres et Sciences Humaines
Département de Géographie

POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT,
MIGRATION INTERNATIONALE ET EQUILIBRE
VILLES-CAMPAGNE DANS LE VIEUX BASSIN
ARACHIDIER (REGION DE LOUGA)

THESE DE DOCTORAT 3e CYCLE

Présentée et soutenue par sous la direction du Professeur


Bara MBOUP Cheikh BA

2005 – 2006
NOTE AUX LECTEURS

Ce document a été numérisé et mis en


ligne par la Bibliothèque Centrale de
l’Université Cheikh Anta DIOP de DAKAR

Site Web: www.bu.ucad.sn


Mail: bu@ucad.edu.sn
Tél: +221 33 824 69 81
BP 2006, Dakar Fann - Sénégal
Sommaire
INTRODUCTION GENERALE 1
I. PROBLEMATIQUE 4
II METHODOLOGIE 28

PREMIERE PARTIE
LA FORMATION DU BASSIN ARACHIDIER ET LA RESTRUCTURATION
DU SYSTEME D’ETABLISSEMENTS HUMAINS 36

I. la formation du bassin arachidier et la restructuration du systeme


d’etablissements humains 37
I. 1. La formation du vieux bassin arachidier 39
I.1. 1 Les facteurs physiques 39
I.1. 2 Le facteur humain 59
I.1. 3 Habitat et terroirs dans la société wolof : structures et évolution 65
I.2. La restructuration de l’habitat avec l’économie arachidière 88
I.2.1 La restructuration de l’habitat en campagne : tendance à la dispersion
I.2.2 L’extension du Bassin arachidier 94
I.2.3 Restructuration de l’habitat : l’émergence des villes 109

DEUXIEME PARTIE
POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT ET EQUILIBRE
VILLES-CAMPAGNE DANS LE VIEUX BASSIN ARACHIDIER 140
II. Les politiques de développement et l’équilibre villes-campagne
dans le vieux bassin arachidier. 140
II.1. Les politiques volontaristes et l’équilibre villes- campagne 140
II.1.2. Equipements et structures de développement au service de
l’équilibre villes-campagne 148
II.1.2.2. Structures administratives et consolidation des fonctions
urbaines et rurales 160
II.1.2.3. Evolution de la production et équilibre villes-campagne 170
II.2 .Politiques réalistes et équilibre villes- campagne 197

II.2.1. Contenu et objectifs des politiques réalistes et leurs conséquences


sur l’équilibre villes-campagne 197
II.2.2. Politiques réalistes et recomposition territoriale 199
II.2.3.Recomposition territoriale et concurrence commerciale au sein du
bassin arachidier 214

TROISIEME PARTIE : L’IMPACT DE LA MIGRATION


INTERNATIONALE SUR L’EQUILIBRE VILLES-CAMPAGNE 234

III. L’impact de la migration internationale sur l’équilibre villes-


campagne 235
III.1 Migration internationale : mouvements précurseurs et
développement 235
III.1.1 Les migrations 236
III.1-2 Les migrations internationales 237
III-2 Migration internationale : recomposition sociale et restructuration
territoriale 241
III.2-1 Migration internationale et recomposition sociale 242
III.2.2 Migration internationale et reconstruction des territoires 261
III.2.3 Migration internationale : transformations de l'habitat
rural et mutation des relations villes-campagne 311
III.3 Migration internationale, coopération décentralise et compétitivité
territoriale 328
III.3.1 Les limites de la coopération décentralise 328
III.3.2 L’évolution de la coopération décentralisée 330
III.3.3 Migration internationale, dynamique spatiale et compétitivité
territoriale. 336
Conclusion 344
Bibliographie 351
Table des matières 360
Annexes
Résumé

Le développement de la Région de Louga s’est réalisé sur fond d’équilibre


villes-campagne pendant la période faste de la culture arachidière. Mais
depuis la crise arachidière ce développement a connu un coup de frein suivi
d’une vague de délocalisation des activités secondaires et tertiaires, et
l’émigration de la population active.
Malgré les efforts de l’Etat de rétablir la dynamique régionale avec l’érection
de Louga en capitale régionale, la déliquescence de la Région est
accentuée par la concurrence économique de Touba et par les Nouvelles
Politiques de l’Etat qui ont aggravé la désarticulation de l’espace et
l’émergence de kystes urbains. Les politiques de décentralisation et de
partenariat au profit des collectivités locales pourraient rester vaines sans
l’apport de ressources conséquentes. Celles-ci, issues des transferts des
migrants internationaux, enclenchent une nouvelle dynamique permettant
aux villes et à la campagne de renouer avec leurs fonctions et leur équilibre
et créent les conditions de redéploiement des acteurs locaux redonnant ainsi
à la région sa compétitivité. L’équilibre villes-campagne se rétablit au sein du
Vieux Bassin dont le développement réamorce celui de toute la Région de
Louga.

Mots-clés
Equilibre villes-campagne, Economie de traite, ressources de transfert,
Politiques de développement, migrations internationales, compétitivité
territoriale, réseaux, kystes urbains, recomposition sociale, restructuration
spatiale
INTRODUCTION GENERALE

Cette étude sur «Politiques de développement, migration


internationale et équilibre villes-campagne dans le Vieux Bassin
Arachidier » répond à une double préoccupation.
D’une part, elle nous permet d’approfondir et d’étendre à une échelle
régionale des travaux déjà effectués à une échelle locale. Ces derniers ont
été réalisés dans le cadre de mémoires de Maîtrise, de DEA, et du CAES. Ils
ont respectivement pour titres « Du Sénégal en Italie : Analyse d’une filière
de migration internationale à partir de Kébémer de 1985 à 1995 » présenté
en 1997, « Migration internationale et développement local à Kébémer » fait
en 1999, enfin « Les mutations de l’espace urbain, de la crise de l’économie
de traite à l’explosion des migrations vers l’étranger, dans le Vieux Bassin
Arachidier : le cas de Kébémer » en 2002.
D’autre part, elle nous donne l’occasion de combler une lacune :
l’absence d’étude exploratoire qui interroge l’évolution de l’organisation
spatiale d’une région agricole, le Vieux Bassin arachidier, et son rôle dans la
dynamique de développement d’une région administrative, celle de Louga.
Elle nous permet de déceler le processus de développement et les stratégies
spatiales des acteurs dans les différents modes de production qui ont jalonné
son histoire.
L’intérêt d’une telle étude est de rechercher la relation entre
développement et système d’établissements humains dans le Vieux Bassin
arachidier. Ce système s’est en effet construit dans la mouvance d’une
dynamique introduite par l’économie arachidière au summum de sa force de
pénétration dans le marché international. Il intégrait une armature urbaine à
un réseau de villages pour la plupart hérité de l’ancien mode de production
précolonial. Cette économie arachidière à laquelle l’Etat avait apporté
beaucoup de soutien, puisqu’il misait sur elle pour développer le pays, avait
fait de la zone un territoire attractif et compétitif avec un solde migratoire
largement positif (qui profitait aux villes et à la campagne).
Le développement dépendait de la réalisation de l’équilibre villes-campagne
assurant une dynamique économique basée sur les relations d’échange
entre les villes et les campagnes par la production de leurs terroirs.
Mais plus tard la crise agricole survient, tout en laissant tel quel le système
d’établissements humains, remettant en cause cet équilibre. Or au niveau
national l’Etat cherchait depuis l’indépendance à corriger les différents
déséquilibres hérités de la mise en valeur coloniale du pays à l’échelle
nationale. Ce déséquilibre se constatait, à l’échelle nationale, à trois
niveaux : d’abord, entre l’ouest et l’est ou encore le littoral et l’intérieur ;
ensuite, entre Dakar et le reste du pays, et enfin entre villes et campagne.
De tous ces déséquilibres, c’est sur ce troisième niveau qu’il nous paraît le
plus important d’agir car déterminant les autres. Le Vieux Bassin arachidier
en raison certes de sa situation littorale ne connaît véritablement ce
déséquilibre villes-campagne qu’avec la crise arachidière.
Enfin cette étude nous permet également de vérifier l’importance
stratégique de l’équilibre entre villes et campagne dans la formation de sous
espace dont le développement peut entraîner la renaissance et la
redynamisation des régions en crise. Ce sous espace fonctionnerait comme
l’équivalent des pôles ou des villes régionales dont la dynamique servirait de
levier de développement pour tout le territoire régional.
Cette recherche nous paraît très importante d’autant plus que le Vieux Bassin
arachidier a déjà joué ce rôle de noyau central, dans la phase de la
prospérité arachidière, et que la qu’elle subit depuis les années 1980 a eu
des effets d’entraînement négatifs sur la dynamique de développement de
toute la Région de Louga.

Ce développement est tributaire de la division spatiale du travail entre villes


et campagne ; cela supposerait une pleine participation de tous les acteurs
ruraux et urbains à la production d’une richesse commune. Celle-ci a favorisé
échange et complémentarité, une continuité dans la filière entre une
campagne spécialisée dans la production arachidière et des villes servant de
marchés et de lieu de services.
Villes et campagne se développent en équilibre grâce à l’attractivité sur les
régions voisines du premier Bassin arachidier du Sénégal, du fait des
ressources qu’elles pouvaient octroyer.

En effet, la culture arachidière en tant que culture de rente, générait


d’importantes ressources financières grâce à un contexte économique
mondial favorable, et donnait au Vieux Bassin une forte croissance
économique. C’est pourquoi elle a été une zone d’immigration pendant toute
la phase de prospérité de la culture arachidière. Cette immigration dans le
Vieux Bassin, tout en alimentant par ses flux le solde migratoire régional qui
devient positif, se répartissait entre villes et campagne et contribuait à leur
l’expansion. Ces migrants étaient aussi bien constitués de commerçants, de
personnel subalterne que de paysans producteurs et de main-d’œuvre
agricole parfois organisée en daara ou en de simples saisonniers appelés
navétanes. Ils venaient s’investir aussi bien en ville qu’en campagne,
participant ainsi au développement équilibré de toutes les composantes
spatiales de cette région. Mais cette dynamique de développement semble
être compromise par une crise agricole dont les causes sont aussi bien
environnementales que politiques, globales que locales.

Cette crise a eu pour conséquence une rareté des ressources et une tendance
à la perte de la vocation agricole qui avait fait la prospérité du Vieux Bassin
arachidier et celle de la région de Louga grâce à une division spatiale du travail
doublé d’un équilibre villes-campagne. Il en résulte aussi la perte de plusieurs
acquis sur le plan de l’attractivité des investissements et de l’organisation de
l’espace provoquant une forte émigration des actifs et des activités vers
d’autres régions, d’autres pays, d’autres continents.
L’Etat confronté au problème du déficit de la filière arachidière modifie sa
politique économique et agricole. De même, la crise arachidière en provoquant
la rareté des ressources et la rupture des relations villes-campagne incite les
acteurs sociaux à migrer vers d’autres lieux. Cette stratégie qui jusque là ne
servait que d’obtenir des revenus d’appoint commence à s’amplifier et élargir
sa base sociale, son horizon spatial et des revenus incitatifs. Aussi de
migration de faible amplitude l’émigration dans le Vieux Bassin arachidier se
prolonge t-elle en migration internationale et concerne aussi bien les villes
que les campagnes.

La crise en compromettant la vocation agricole du Vieux Bassin arachidier


menacerait-elle alors l’articulation de l’espace et la division spatiale du travail
et, partant, l’équilibre villes-campagne ?
Cette évolution de l’agriculture ne va t-elle pas faire perdre à la région son
attractivité et sa compétitivité et inverser les flux migratoires en faveur des
régions voisines ou lointaines?
Les réformes politiques introduites par l’Etat, à la suite de la crise, offrent-
elles des alternatives susceptibles de renouer les relations villes-campagne et
rétablir l’équilibre perdu ?
La migration internationale va-t-elle permettre de rétablir de l’équilibre villes-
campagne et la dynamique de développement du Vieux Bassin arachidier ou
les compromettre?
Le Vieux Bassin retrouvera t-il ou non son attractivité et compétitivité régionale
dans un contexte de développement caractérisé par de graves disparités
régionales qui lui sont défavorables ? En somme, les politiques publiques et
la migration internationale vont-elles permettre la reprise économique et rétablir
l’équilibre villes-campagne dans le Vieux Bassin arachidier et en conséquence
donner à la région sa compétitivité et son attractivité?
Mais la question de l’équilibre villes-campagne se pose de manière
particulière dans le Vieux Bassin arachidier en raison des forces locales qui y
sont en jeu. Les développements que soulève notre problématique tentent
d’identifier et de localiser les forces et acteurs dont les rapports concourent à
la détermination de cet équilibre villes-campagne dans le Vieux Bassin
arachidier.

I. PROBLEMATIQUE

La réalisation et la sauvegarde de l’équilibre villes-campagne semblent être


au cœur des politiques de développement du Sénégal dès l’accession du
pays à la souveraineté internationale. En effet à l’analyse des initiatives et
des volontés politiques déclarées, tout porte à faire croire que l’Etat place
l’équilibre villes-campagne dans la stratégie du développement territorial en
particulier dans les régions agricoles du Bassin arachidier.

Ces volontés exprimées dans les Plans quadriennaux de développement


économique et social du Sénégal envisageaient différentes mesures de
structuration de l’espace et des établissements humains, avec :
- En premier lieu, l’organisation progressive des campagnes qui permettra
d’accélérer leur développement intégré en structurant l’espace rural et les
populations autour des villages centres sièges des équipements collectifs
publics. Ces villages centres devraient polariser des communautés rurales
dont la dimension sera comprise entre 20 et 50 villages regroupant des
terroirs communs dont les droits d’usage seront fixés par la loi 64-46 du 17
juin 1964 sur le Domaine National, la nouvelle législation foncière officielle.
- En second lieu, la réalisation d’un zonage rural (par étapes) dans le cadre
d’unités d’aménagement qui sera intégré et polarisé par des centres urbains
d’importance régionale ou locale, hiérarchisée et fonctionnelle ;
- Et enfin, comme pour sécuriser ce système, il fallait atténuer les disparités
inter régionales en dotant les régions de ressources conséquentes sur le plan
de l’emploi, des revenus, des équipements et infrastructures de base.

A cet effet, le IIIe Plan envisage de « préparer et faciliter le


développement industriel des grands centres urbains dans le cadre d’une
armature urbaine fonctionnelle et hiérarchisée en favorisant la croissance
économique des métropoles régionales…qui jouent un rôle de contrepoids
équilibrant face au développement hypertrophique de Dakar, tout en
atténuant les disparités inter régionales… » (Sénégal : 1969-73 : 3-4)

Mais cette volonté d’organisation et de développement des établissements


humains ainsi que la réalisation de l’équilibre villes-campagne semble
dépendre pour sa réalisation d’autres facteurs voire de forces locales qui
diffèrent d’une région à une autre. En sa qualité de région agricole intégrée
dans l’économie de marché, le Vieux Bassin arachidier trouverait sa
dynamique territoriale et la plénitude de son développement économique et
social dans l’équilibre villes-campagne. Toutefois, le Vieux Bassin arachidier
a ses spécificités historiques, sociales, culturelles et religieuses qui relèvent
d’un mode de production ancien. Celles-ci caractérisent la structure de sa
campagne et des relations avec les villes.
Cet héritage historique, constitué de forces sociales et économiques et un
mode d’organisation de l’espace, résiste t-il à la dynamique de l’équilibre
villes-campagne, introduit par l’économie de marché, ou contribue t-il à la
réaliser ?
Apparemment pour trouver quelques éléments de réponse, il nous faut
examiner la double problématique de la spécificité des villes et des
campagnes dans la zone d’étude d’une part et celle de l’impact des forces
internes et externes qui déterminent le destin de la région.

Villes et campagne : deux productions spatiales de groupes


sociaux différents

La ville et la campagne ne sont pas des établissements humains fortuits


et neutres.
Ce sont deux structures spatiales produites et développées par des
catégories sociales variées qui vivent d’activités économiques différentes
mais complémentaires. Elles sont aussi les résultats de projets sociaux
fondés sur des idéologies et entretenus par des institutions ou des groupes
sociaux. L’histoire retient que les villes sont nées d’abord du commerce (
Dolfus : 1970) et de ce point de vue elles s’opposent à une économie
exclusivement de subsistance.
Les villes du Vieux Bassin arachidier sont nées à l’époque coloniale avec
l’économie de traite. Elles vivent de la valeur ajoutée de la production
arachidière de la campagne. Mais elles sont aussi l’expression d’une
domination et d’un projet de déstructuration de l’espace traditionnel ou
espace « ceddo » et sa substitution par un espace colonial.
Une telle perspective confirme le point de vue de l’éditeur de La ville et
l’homme selon lequel la ville est l’un des moyens utilisés par un groupe
social pour maintenir sa structure. Pour l’auteur, l’homme a découvert la
Physique et l’a utilisée pour accroître sa puissance technique et sa
domination sur certains individus, de la même manière, il a créé la ville et
s’en sert comme un instrument de domination de certains groupes humains
sur d’autres (le plus souvent par l’intermédiaire du profit).

La ville est ainsi considérée comme une production humaine1 et un outil


efficace qui n’a jusqu’ici servi à des groupes humains dominants, qu’à
maintenir leur domination. Cela explique enfin que la signification, l’utilisation,
la structure même de la cité ne peuvent changer que si la structure socio-
économique qui lui donne naissance change d’abord (Henri.Laborit : 214 :
1971).
Or, les villes de notre zone d’étude, comme dans l’ensemble du Sénégal,
sont créées pour les besoins de la domination coloniale et de l’économie de
traite. Elles véhiculaient un projet culturel, idéologique et économique de
l’entreprise coloniale. C’est à cause de cette volonté de domination culturelle
et économique que la ville a été parfois rejetée dans sa forme et son contenu
puisqu’elle présente des similitudes avec les établissements ceddo.
En effet, certains chefs religieux musulmans (les marabouts) voyaient
dans les villages « ceddo », un milieu de jouissance, de libertinage et de
dépravation, un environnement défavorable à la spiritualité religieuse C’est
pour combattre ces conditions défavorables à leur mission que les chefs
religieux tentent de recréer la ville en la transformant de l’intérieur (projet
Tidiane) ou alors en créer une autre tout à fait différente (projet Mouride : cas
de Touba). C’est pour les mêmes raisons qu’ils ont créé aussi leurs propres
villages comme un modèle opposé à la campagne issue du mode de
production ceddo.
La campagne ceddo est tout aussi restructurée par les deux projets
colonial et maraboutique fédérés par la culture arachidière. Cette relation si
étroite entre acteurs et ville peut être recherchée du côté de la campagne.
Cette idéologie religieuse anti-ceddo résiste encore et inspire même des
chefs de villages.
Pour Haidara, petit chef religieux « mouride » et chef de village de Ndia, en
lutte pour la sauvegarde de son village soumis à une forte menace de la ville

1
Henri Laborit « l’homme et la ville » Flammarion 1971, 218 pages
envahissante : « La campagne reste le lieu idéal de toute œuvre ou
entreprise d’éducation et de protection contre la perversion. Les enfants,
élevés en ville, s’habituent rarement aux tâches salissantes à cause d’une
forme de féminisation des hommes et d’émiettement du travail ».
Cette idéologie s’accorde bien avec ce précepte de la dahira tidiane des
moustarchidines « daara nagass jur jambaar, daara nagass jur boroom
xam-xam», signifiant textuellement que « ce sont les écoles coraniques aux
conditions austères qui forment les héros et les savants ».
Ces principes religieux sont encore très courants dans le Vieux Bassin
dont la structure sociale est très caractérisée par la présence d’une forte
colonie de marabouts dirigeant des daara.
C’est encore la culture arachidière qui va servir de médiateur entre
villes et campagne rebelle dans le cadre d’une division territoriale du travail.
Le village maraboutique est alors devenu un espace d’éducation et de
formation religieuse à travers l’institution du daara et un espace de production
agricole dans lequel les disciples adultes et jeunes travaillent pour le compte
du maître en échange de leur éducation.

A l’indépendance, règne l’Etat Providence avec la poursuite de


l’économie arachidière comme base du développement et le renforcement
des relations villes-campagne. Les villes obtiennent le soutien de l’Etat, et
vont servir de moyen d’organisation de l’espace. La campagne est aussi
réorganisée et hiérarchisée avec des privilèges aux établissements des
grands producteurs.
La ville a été, à travers les politiques d’aménagement, un outil de
gestion de l’espace et des territoires. Mais avec la crise arachidière qui a
réduit les ressources attendues, l’Etat voit les moyens de ses politiques
annihilés. Alors, quelles en seront les conséquences sur les ressources pour
les villes et les centres ruraux pressentis comme centres politiques et
administratifs, lieux de marché et de circulation monétaire ?
Ce contexte ouvre des perspectives de réduction de la sphère
d’intervention de l’Etat et des opportunités d’émergence de forces
compensatrices aux actions de la puissance publique.
Aussi, constate t-on l’arrivée sur le terrain d’acteurs sociaux et
institutionnels se substituant dans une large mesure à l’administration, et
soutenant l’investissement.
Mais à l’image de celles qui les ont précédées, ces nouvelles forces
réussiront-elles à conjuguer leurs efforts pour combler le vide laissé par l’Etat
Providence et conduire le développement territorial ?

L’opposition entre ville et campagne n’exclut pas leur complémentarité. La


ville comme marché est d’abord le lieu de jonction de toute la campagne
environnante (en raison de ses fonctions de services et d’échange des
productions agricoles avec des produits manufacturés).

Elle sert aussi de milieu de recyclage économique des disciples formés par
le chef religieux à travers le secteur informel. C’est ensuite un milieu de
développement des organisations confrériques, ses dahira et
d’accumulation des adiya ou aumône au profit du chef religieux. C’est enfin
un lieu de pouvoir, un milieu où logent les représentants du pouvoir politique
et des administrations de l’Etat auprès desquels se négocient les problèmes
qui donnent aux marabouts et aux notables ruraux leurs statuts de médiateur
et de faiseur de destin qui fondent leur prestige social.
Mais, malgré les empiètements du chef religieux (mourides notamment) sur
la ville, sa préférence reste la vie en campagne avec son daara et son
domaine agricole. Ce choix est une sorte de réplication du modèle de Touba
qui touche aussi de grandes agglomérations. La campagne est alors un
espace produit et protégé par une catégorie sociale puissante dont elle
reflète le projet social et détermine sa reproduction.
L’existence de ces forces apparemment opposées garantit la pérennité de
la dualité villes-campagne comme pôles alternatifs potentiels de la
dynamique spatiale. Mais que faire pour rendre effective cette dynamique
d’échange qui devrait être à la base de l’équilibre villes-campagne ?

Mais l’équilibre villes-campagne peut-il se maintenir sans la capacité de


résister aux forces qui le menacent.Ces forces externes logées dans les
régions voisines ou dans le reste du Bassin arachidier confirment que
l’espace est aussi un champ de forces.

L’espace est un champ de forces.

Des géographes comme Paul Claval admettent l’existence dans l’espace de


forces horizontales et verticales ; une réalité que le Professeur Cheikh Bâ
exprime de manière laconique dans la formule : « l’espace est un champ de
forces ». Il peut être identifié à plusieurs échelles : aux niveaux départemental
(avec les relations villes-campagne), régional, et même à l’échelle plus globale
de la nation, de la sous région, de la région voire du monde.
Ces forces s’expriment dans les migrations par le jeu des forces répulsives et
les forces attractives dont l’issue détermine les flux migratoires, en faveur ou
au détriment de territoires, et en conséquence leurs poids économique et
démographique et ceux de leur système d’établissements humains.
Alors la volonté de stabiliser une population sur un territoire, voire d’en attirer
d’autres, nécessite une implication dans ce jeu de forces par une injection de
ressources afin de maintenir l’équilibre au moins : équipements, revenus,
infrastructures diverses à la base de conditions de vie acceptable. La question
de l’équilibre villes-campagne s’inscrit dans la même logique. L’équilibre est
une question de relation et de rapport de forces.
Plusieurs théories tentent de donner corps à ces forces : on peut citer les
théories de Steward et de Reilly, celles dites des lieux centraux et des places
centrales.
La première (celle de Steward) c’est la théorie du potentiel de gravitation
ou potentiel démographique. Elle met l’accent sur la structure de l’espace
avec les forces que recèlent en eux les établissements humains en fonction de
la masse de population. Cette théorie stipule que chaque point est soumis à
l’attraction de toutes les masses de population reparties sur l’ensemble du
territoire à l’intérieur duquel il est situé (R. Courtin et P. Maillet, p 72).
Par contre la théorie de l’économiste américain Reilly2 apporte une touche
fonctionnelle à cette base structurale en attribuant aux établissements humains
une force d’attraction commerciale en rapport avec leur taille ; c’est la théorie
dite de « la loi de gravitation du commerce de détail »

. A ces deux théories viennent s’ajouter celles « des lieux centraux », et des
« places centrales » qui viennent enrichir les précédentes en se spécialisant
aux relations villes-campagne. La théorie des lieux centraux vise à expliquer
l’organisation spatiale des villes et de leur hinterland en fonction de leur
localisation relative, de leur taille et du nombre de villes ou de lieux, chacune
ou chacun étant fournisseur de biens et services pour les zones environnantes.
Le modèle veut expliquer « … la régularité frappante de la disposition des
villes et leur organisation en réseaux hiérarchisés en analysant non pas
l’histoire des villes, mais en s’interrogeant sur les rapports de commerce et de
services entre villes et campagnes, et sur les mécanismes assurant la
régularité » Cosinchi et Racine in : Bailly et al, 1984, p. 88)

Ces considérations théoriques et les réalités sociales et spatiales montrent que


les régions sont soumises à des forces contraires qui jouent sur leur structure
et sur leur devenir. A l’intérieur d’un territoire donné, ces différentes forces,
réunies peuvent garantir sa stabilité et sa compétitivité et parfois aux dépens
de territoires voisins. Mais ces forces ont besoin d’être alimentées par des
activités et des ressources qui impliquent la participation des villes et des
campagnes.
Il s’agit maintenant de savoir si les politiques de l’Etat (dont certaines ont
contribué à la remise en cause de la vocation agricole du Vieux Bassin
arachidier) et les stratégies sociales suscitées par la migration internationale
vont-elles aider au rétablissement de l’équilibre villes-campagne et à la
compétitivité régionale.

REVUE CRITIQUE DE LA LITTERATURE

2
J. Reilly, Methods for the study of retail relationship, citee par R. Courtin et P. Maillet in Economie
geographique, Precis Dalloz p 125
Il y a une abondante littérature relative au Bassin Arachidier, aux relations
villes-campagne, aux politiques de développement au Sénégal et à l’impact de
la migration internationale dans les pays d’origine. Mais il n’existe pas à notre
connaissance d’études portant sur l’impact (combiné ou non) des politiques de
développement et des migrations internationales sur l’équilibre villes-
campagne en particulier dans le Vieux Bassin arachidier.
Néanmoins, les ouvrages ci-dessous indiqués offrent un apport précieux dans
la connaissance de notre zone d’investigation et dans l’éclairage des questions
soulevées par notre sujet d’étude

- PELISSIER Paul (1966) souligne les caractéristiques physiques et humaines


du milieu wolof en particulier le nord du Bassin Arachidier. La mobilité des
wolofs est une conséquence directe de leur perception de l’espace, leur faible
expérience en matière d’aménagement agricole et l’appât du gain. Cette
mobilité peut être à l’origine de fréquents déménagements de villages
entraînant un desserrement dans le système d’établissements humains ou
l’inverse. Cet ouvrage est plutôt un précieux instrument de connaissance en
géographie rurale ; et de ce point de vue n’aborde pas la question des villes
encore moins des rapports villes-campagne. Mais l’analyse faite par l’auteur
sur la campagne wolof et sur l’explication de cette mobilité nous paraisse
insuffisante. Et nous tentons ici d’approfondir la question en étudiant la
structure de la campagne notamment dans le Vieux Bassin et les raisons de sa
pérennité malgré les changements de régime.
- LOMBARD, J (1963) étudie l’habitat dans sa diversité au Sénégal, il décrit les
activités de productions et les systèmes de cultures des campagnes
sénégalaises d’une part et d’autre part les fonctions urbaines qui expliquent
leurs tailles. Il étudie la structure économique avec les différents secteurs. Il
donne également des schémas du terroir traditionnel wolof que nous avons
tenté d’améliorer en fonction de notre enquête dans notre zone d’étude. Mais
cet ouvrage comme le montre son ancienneté n’aborde pas les questions
d’équilibre et de celles des migrations internationales somme toute assez
récentes.
- SARR, Moustapha (1973) analyse le processus de structuration de la Région
de Louga ( le Veux Bassin arachidier) avec le développement de la culture
arachidière et sa déstructuration consécutive à la crise de celle-ci. L’étude est
centrée sur les relations villes-campagne entre Louga et sa périphérie et
brosse une esquisse de leur équilibre. Mais elle reste silencieuse sur la
question des migrations internationales en raison du fait que celle-ci est
relativement récente.

- FALL, M. dans « Marchés locaux et groupes marchands dans la longue


durée : des marchés du Cayor aux marchés du Fleuve Sénégal XVIIIe s. –
début XXe siècle » retrace l’évolution du commerce au Cayor et en particulier
au Ndiambour (zone de Louga et sa périphérie). Apres avoir délimité deux
zones dans le Cayor (la zone de Louga et celle de Kébémer), l’auteur privilégie
l’étude de la première. Il insiste sur l’évolution historique du commerce, le rôle
prépondérant des marabouts dans le développement des transactions avec les
maures, et dans la naissance et l’émergence d’agglomérations comme Louga,
Niomré, Coki et Mpal. Cet article bien qu’intéressant pour notre étude
notamment du point de vue de l’intégration et l’absorption d’éléments d’un
mode de production ancien dans un nouveau, se situe dans une perspective
historique et non pas spatiale.

- Gachon, L. étudie les relations villes-campagnes en Europe et compare les


cas de la France et de l’Allemagne. Il montre comment l’équilibre villes-
campagne peut constituer un facteur de développement par une meilleure
répartition des activités et des hommes dans l’espace entre villes et campagne.
Il démontre également, avec des données quantitatives, comment leur
déséquilibre peut-être une faiblesse.
Les cas de la France et de l’Allemagne expliquent dans une certaine mesure
le rôle crucial et la place de l’équilibre villes-campagne dans la formation de
ces puissances économiques. Ce travail bien que modeste du point de vue de
son volume montre le caractère stratégique des relations villes-campagne dans
le processus de développement économique et social. On peut en tirer la
conclusion que ce niveau de déséquilibre est la source de tous les autres à
l’échelle nationale. Cependant, cette étude est faite dans un contexte spatial et
social différent qui pourrait exclure toute réplicabilité systématique. Elle est
limitée par le fait qu’il n’aborde pas les mêmes réalités que nous. En effet, en
Afrique et au Sénégal le contexte de développement est plutôt marqué sur le
plan local par l’absence de bourgeoisie nationale et la forte présence
d’investisseurs étrangers qui n’ont aucune obligation de solidarité avec l’Etat
dans ses efforts de planification nationale et locale qu’il se propose dans ses
différents plans quadriennaux de développement économique et social.
- Les différents plans quadriennaux de développement économique et social
du Sénégal abordent, tous, les questions du développement avec les
perspectives et les bilans des précédentes études et actions de l’Etat. Ces
documents officiels constituent de véritables répertoires des différentes
politiques publiques. Mais même si les préoccupations de résomption des
disparités régionales y sont manifestes, celui de l’équilibre entre villes-
campagne y reste le parent pauvre ; ils sont ainsi limités par le caractère
global et central de leurs préoccupations et n’analysent pas les réalités
économiques à l’échelle villes-campagne ni les stratégies des populations en
réponses aux politiques préconisées par l’Etat.

- Un rapport provisoire en deux tomes du Ministère de l’Economie et des


Finances et du Plan (1996) étudie les rapports entre migration et urbanisation.
Il indique comment les investissements productifs, générateurs d’emplois et de
revenus, rendent attractives les villes qui les abritent. Ils atténuent alors les
facteurs répulsifs et demeurent par conséquent des facteurs de rétention qui
atténuent l’émigration.

Le rapport élucide les différentes politiques urbaines au Sénégal et


apprécie l’évolution et la défectuosité actuelle du cadre urbain et les correctifs
envisagés à cet effet.

- MBODJ, M. dans un article intitulé « la crise trentenaire de l’économie


arachidière » note, dans une perspective purement historique, l’importance de
l’arachide comme facteur d’émancipation économique et sociale des badolos
(paysans), pour avoir remplacé la traite esclavagiste, l’auteur aborde ensuite
les différentes politiques économiques et leurs conséquences sociales et sur
les infrastructures. En dehors de ces considérations somme toutes pertinentes,
l’étude reste muette sur les rapports entre les établissements humains avec la
crise.

- SENEGAL, MEFP-DPS-Service régional de Louga : situation économique de


la région, octobre 1999
Ce document fournit une importante compilation de données statistiques
démographiques et économiques. A ce propos, on peut noter que la population
est à dominante wolof et de confrérie mouride : deux caractéristiques qui se
conjuguent bien avec la migration et la culture arachidière.

NDIAYE, O M (1990) Les dynamiques migratoires dans la société wolof,


l’exemple du Ndiambour 1900 – 1950.
Dans cette étude, l’auteur insiste sur l’évolution socio-économique du
Ndiambour et révèle que l’actuelle terre d’émigration a d’abord été une terre
d’immigration jusqu’en 1912. Ce changement est consécutif à des
modifications d’ordre climatique, édaphique et politique assez
compromettantes pour la culture de l’arachide.

JEAN Copans, Les marabouts de l’arachide


L’auteur étudie la dynamique spatiale des mourides en relation avec
l’extension du Bassin Arachidier et sous la direction de marabouts défricheurs.
Cette étude nous éclaire sur l’importance du rapport entre le mouridisme, le
monde rural et l’arachide. L’intérêt de cette étude porte sur le fait que la
migration mouride vers le nouveau Bassin a affecté l’équilibre villes-campagne
de notre zone d’étude
- F. K. Mbaye (1999) étudie les impacts géographiques économiques et
sociaux de la migration internationale dans deux villages dont l’un appartient à
notre zone d’étude. Elle distingue par ailleurs l’émigré rural de l’urbain et
souligne le déséquilibre de leurs investissements dans l’espace.

- Khouma, M (1995) abonde dans le même sens que F. K, Mbaye qui


d’ailleurs le cite : « la ville se présente de plus en plus comme le lieu privilégié
de retour des migrants, même si le lieu de départ est le monde rural ». L’étude
note également que les investissements immobiliers en ville précèdent dans
les préoccupations des émigrés, ceux envisagés dans le village de départ. La
limite de cette étude comme de la précédente est qu’elle ne détermine pas la
discrimination des investissements exécutés par les émigrés dans l’espace
rural et l’espace urbain, ainsi que leurs fonctions respectives dans chacun de
ces secteurs de l’espace.

- SOW Omar (1995) analyse l’impact de la migration internationale dans


quatre villages situés dans la périphérie de la ville Louga. L’impact se traduit
par l’amélioration du niveau de vie, la modernisation de l’habitat et de
l’équipement et les nouvelles initiatives de développement local. Cette étude
éclaire à bien des égards la dynamique rurale induite par la migration
internationale dans la région. La limite de ce travail réside dans l’étroitesse de
l’échelle strictement rurale.

- Camara A (2002) dans Dimensions régionales de la pauvreté au Sénégal


établit clairement que la pauvreté touche beaucoup plus les régions rurales
(agricoles) que les régions urbaines. Cela prouverait d’une part les relations
déterminantes entre développement et système d’établissements humains et
d’autre part le caractère stratégique des villes dans le processus de
développement. Mais la ruralité dans le Vieux Bassin arachidier n’a pas la
même signification qu’ailleurs car elle est construction volontaire dans l’espace
par la culture et l’idéologie religieuse de la confrérie mouride qui apparemment
est la plus représentative dans la zone.
La ruralité est inscrite dans la logique de conquête territoriale des mourides
(Guèye, C.2002 ?) ainsi même les établissements mourides ayant des
caractères urbains affirmés revendiquent leur ruralité et refusent d’être classés
en ville. Cette étude de Camara comprise dans la période (1988-1992) montre
par ailleurs que la Région de Louga créditée d’un IDH de 0,277 serait parmi les
plus pauvres avec Diourbel : 0,262 Tambacounda : 0,222 ; Kolda : 0, 213 et les
rurales et accuserait le taux de migration nette le plus élevé soit (- 1, 85) On
peut alors penser que les économies qui offrent plus de dynamique de
développement au système d’établissements humains sont aussi les plus
performantes.
Mais cette étude, au regard de la période étudiée, ne devrait pas tenir compte
de l’évolution récente de la Région de Louga qui aurait selon d’autres
publications remonté la pente et amélioré son score pour s’approcher du
peloton de tête des Régions « riches ».

MBOUP, Bara (1999) aborde l’étude du développement local en rapport avec


les investissements des migrants internationaux. Par leur importance, ces
investissements ont revitalisé certaines fonctions de la ville de Kébémer et l’ont
ainsi renoué avec son arrière-pays rural. Mais ce travail est limité par son
caractère urbain et strictement local.

GUEYE, Cheikh (1999) décrit le processus de développement de la ville sainte


de Touba et l’attraction qu’elle a exercée sur les régions voisines en particulier
sur notre zone d’étude, le Vieux Bassin Arachidier (Région de Louga). En effet,
l’étude indique 11% et 6% de la population de la métropole mouride de Touba
seraient originaires respectivement du département de Kébémer et de celui de
Louga.
L’ampleur d’une telle ponction sur notre zone d’étude pose le problème de la
fragilité des liens des populations avec leur territoire d’origine et celui de
l’avenir des zones à forte densité mouride si la polarisation urbaine de Touba
devrait maintenir son rayonnement actuel.

DIA Mademba Ramata (2001) dans le quotidien Le Matin rend compte du


développement spatial de Touba dans un article intitulé : « Des villages migrent
vers Touba ». En dehors de l’attrait économique de la ville, les migrations vers
Touba sont des réponses à l’appel de Khalife Général qui met gratuitement à la
disposition des migrants des parcelles à usage d’habitation.

Cette littérature dans sa richesse rassemble donc des éléments contribuant à


la résolution de notre problème d’étude, mais ces derniers restent encore
parcellaires et peu localisés. Cependant dans la perspective de cette étude, il
paraît indispensable d’étudier les concepts clés du problème

CADRE THEORIQUE ET CONCEPTUEL


Si nous pouvons constater que l’équilibre villes-campagne est la clé de voûte
de la dynamique économique et de la compétitivité territoriale, il est
cependant important de souligner qu’il ne s’agit pas d’un simple mécanisme.
La structure et le fonctionnement des établissements humains, des villes et
des campagnes ont leurs effets sur l’espace et la compétitivité des terroirs et
leur stabilité. C’est pour cette raison qu’il est nécessaire de revisiter ces
concepts de villes et campagne pour découvrir leur signification locale et leur
évolution.
Quels contenus donner aux concepts de ville et de campagne et de celui
d’équilibre?

L’association même de la ville et la campagne dans un même concept, celui


de villes-campagne est révélatrice en partie d’une campagne contemporaine
et ombilicalement liée à la ville par leur fonction et aussi par leur structure.
La campagne est un espace structuré et diversifié : du point de vue de sa
structure, la campagne comprend l’habitat et les terroirs ou zones de
production.
Cette structure est reconnue par Kayser ( in Gastellu et Marchal : 1994)
selon qui la ruralité permet de distinguer trois catégories majeures
d’espaces : les espaces périurbains, qui comportent diverses couronnes de
comportements très différenciés, les espaces marginalisés ou en voie de
marginalisation et de désertification rapides, et les espaces ruraux productifs.
D’autres identifient la campagne au paysage qu’offre le terroir. Pour eux, La
campagne au sens propre du terme est la partie du terroir comprenant les
champs ouverts, les autres parties étant composées d’une part des bocages
ou champs enclos et de l’autre des champs entourés de haies plantées ou
enserrés entre des levées.

L’habitat est à côté du terroir la deuxième composante de la campagne. Cet


habitat peut être défini comme les lieux habités, mais aussi comme le mode
de répartition des lieux habités à l’intérieur d’une région donnée (Pierre
Georges). Cependant souligne t-il la notion de lieu est inséparable de celle de
son contenu humain. Cela nous inspire la nécessite d’étudier la dimension
humaine comme une caractéristique importante de la campagne. Cette
dimension humaine se reflète dans les deux composantes de la campagne
par le mode de vie et la perception de l’espace de ses habitants.
Cette dimension humaine est perceptible dans la définition du terroir
considéré comme « l’ensemble des terres travaillées par une collectivité
sociale unie par des liens familiaux, culturels par des traditions plus ou moins
vivantes de défense commune et de solidarité de l’exploitation » (Pierre
Georges, cité par Dolfus 1970 : 77)
Le mode de vie rural est caractérisé par l’importante du rapport avec la
nature : d’abord, on admet que « le sens du rural est un ensemble dans
lequel la nature prime sur le bâti et où l’exploitation de la terre reste
perceptible » (Moulis : 1994 : 49 De l’identité agricole à la ruralité). Ensuite,
du point de vue sa structure, la campagne est, le plus souvent, marquée au
moins par trois critères : le caractère sédentaire de sa société, le recours à
des techniques de production comme la domestication des animaux et enfin
l’existence d’un droit régissant la propriété du sol. Enfin, on note le degré
d’autonomie et la faiblesse relative de la prégnance de l’Etat lorsque l’on
considère la campagne comme un lieu particulier où sont organisés et gérés
par les populations elles-mêmes des processus de développement rural.
Dans la campagne sénégalaise l’habitat est aussi structuré en villages de
tailles différentes : il y a les villages menus et les gros villages ; l’importance
des premiers indique un habitat dispersé tandis que celle du second est la
marque d’un habitat groupé.

La campagne en raison de ses composantes naturelles et humaines ne peut


être un objet inerte, sans vie et statique, elle évolue dans le temps et dans
l’espace, il y a nécessité de s’adapter à cette dynamique.
Les dimensions économiques (entre économie de subsistance et celle de
marché) peuvent déterminer la dynamique rurale de même la même manière
que la situation géographique. La campagne dans la zone sahélienne est
nécessairement soumise au cycle de sécheresse et cela peut déterminer le
rapport avec la nature. Le cas échéant, qu’arrive t-il ?
Le mode de vie rural enferme t-il la campagne dans l’activité agricole ? Ou
alors, la campagne peut-elle vivre d’autres activités que l’agriculture ?
En d’autres termes, la vocation agricole de la campagne peut-elle changer ?
La vie de la campagne peut-elle dépendre d’exploitation d’autres espaces,
comme la ville ?
De toute manière, le contexte joue sa partition dans la définition des activités
de la campagne et dans la stratégie des hommes qui l’occupent. Avec les
multiples crises qui se sont traduites par une baisse des revenus ruraux et
par la transformation de la place de l’agriculture qui n’offre plus de ressources
suffisantes pour vivre, la campagne ne s’enferme plus dans l’activité agricole,
et on ne parle « Plus que de système de production, il faudrait parler de
système d’activités pour décrire la diversité des moyens mis en œuvre dans
la recherche de la subsistance » (Lescure J-P: 1994 : 104 in Gastellu, J.M
et Marchal J.Y). Cette dernière perception nous paraît plus convenable : elle
montre que la campagne c’est aussi des acteurs qui savent s’adapter à la
conjoncture et nous pouvons alors reprendre cette pensée de Lescure J.P
avec une légère mais très importante modification.
Nous dirions plutôt : Plus que de système de production, il faudrait parler de
système d’activités pour décrire la diversité des moyens mis en œuvre dans
la recherche de ressources d’abord pour survivre, ensuite pour entreprendre
après. Ce système conviendrait bien au contexte de la migration
internationale lorsque les habitants de la campagne (et des citadins) tentent
de diversifier leur stratégie d’intégration économique et utilisent l‘espace
urbain comme le cadre de leurs nouvelles activités.

La campagne ne se réduit donc pas aux villages, à l’habitat, mais elle s’étend
aussi aux terroirs qui justifient son existence et des acteurs qui s’adaptent à
la conjoncture et développent des stratégies alternatives. Elle ne s’enferme
pas dans une économie de subsistance, elle vit aussi de ses échanges avec
la ville soit par la vente de sa production dans le marché urbain, soit par le
travail de ses hommes.
Le monde rural se distingue du monde urbain dans ses relations spécifiques
à l’espace et au temps. Espace et temps sont intimement liés dans le vécu
des habitants des espaces ruraux : le temps et les grands cycles naturels,
mais aussi l’espaceIl y a là un avantage comparatif car le fait que la nature
soit le gisement sur lequel on prélève les matériaux de construction et que la
nourriture provient partiellement ou totalement de sa proximité font que le
coût de la vie doit y être moins onéreux. Ce coût peut tout aussi bien être
tempéré par la solidarité sociale.

La ville est un établissement humain caractérisé par son marché, mais c’est
aussi historiquement un corps greffé pour maintenir un ordre, un rapport de
forces dont elle porte les symboles à travers la forteresse, la caserne, la
prison.
La ville est à l’image de la campagne un espace structuré : il y a des petites
et grandes villes ; des villes régionales, des métropoles d’équilibre, des villes
capitales et des villes secondaires.Ceci rapproche bien de la pensée de
Pierre Georges : « les trois fonctions de la ville : la fonction de résidence des
maîtres de la terre, celle de centre politique et administratif…, celle enfin de
marché et de lieu de circulation monétaire. Commerçants et artisans
s’installent à l’ombre du pouvoir qui détient l’argent liquide. » (Pierre
Georges : 1978: 222).

L’étude du concept d’équilibre villes-campagne

L’intitulé de l’étude : «Politiques de développement, migration


internationale et équilibre villes-campagne dans le Vieux Bassin
Arachidier » nous fait obligation avant tout, de définir le concept d’équilibre
villes-campagne et de déterminer la période à laquelle on peut le situer.
Le Robert nous donne la définition suivante : l’équilibre c’est l’«Egalité de
force entre deux ou plusieurs choses qui s’opposent. Par extension, état de
repos de ce qui est soumis à de telles forces ».

Pour Parsons (cité par GUY Rocher 1972), le concept d’équilibre est « un
point de référence fondamental pour l’analyse des processus par lesquels un
système ou bien s’ajuste aux exigences qu’impose un changement dans un
environnement sans subir lui-même d’importants changements de structure,
ou bien ne réussit pas à s’ajuster et s’engage alors dans d’autres processus,
tels que des changements de structure ou sa propre dissolution en tant
qu’entité systémique (analogue à la mort dans le cas de l’organisme) ou la
consolidation d’une déficience qui entraînera le développement de structures
secondaires de caractère pathologique » ( Guy Rocher : 222-223 : 1972)
Guy Rocher ajoute que « L’équilibre correspond à ce qu’on appelle en
statistique une hypothèse nulle, destinée à mieux percevoir et mesurer le
changement. On suppose, par hypothèse, que la structure ou les éléments
structuraux sont constants ou stables à un moment donné du temps.

Cette stabilité structurale constitue théoriquement un point d’équilibre entre


le système social et son environnement, aussi bien qu’à l’intérieur du système
social » (Guy Rocher : 222 ; 1972)

L’équilibre pour nous, traduit un rapport de forces et une interrelation


dynamique dans la division sociale et spatiale du travail. Par celle-ci, le
travail ou la production de la campagne suffit à l’émergence de villes et le
développement de leurs fonctions (ici le marché et l’offre de facteurs de
production et de services) pour la satisfaction de la demande du monde rural.
Un dicton wolof, ne dit-il pas que « ni ci naajwi noo fi baayyi ni ci kergi » ;
littéralement, n’eussent été les paysans qui produisent sous l’ardeur du chaud
soleil, il n’existerait pas de bureaucratie urbaine travaillant à l’ombre.
Autrement dit, il y a une convention ou une division du travail dans l’espace
entre la ville milieu de l’ombre ou des bureaux et la campagne milieu sous le
soleil ou des champs. Ceci se rapproche bien de la pensée de Pierre
Georges : « les trois fonctions de la ville : la fonction de résidence des
maîtres de la terre, celle de centre politique et administratif…, celle enfin de
marché et de lieu de circulation monétaire. Commerçants et artisans
s’installent à l’ombre du pouvoir qui détient l’argent liquide. » (Pierre
Georges : 222, 1978).
Donc l’équilibre villes-campagne se réalise lorsque les activités urbaines sont
le prolongement des activités de la campagne. En d’autres termes, les
fonctions urbaines et les fonctions rurales s’inscrivent dans le cadre de la
division spatiale du travail. L’équilibre (villes-campagne) peut être dynamique
ou statique puisqu’il résulte d’un rapport de forces entre les deux espaces.
Les villes étant de calibre différente ainsi que leur arrière-pays rural et leur
capacité productive.
La portée de cet équilibre villes-campagne n’est pas également la même
selon le type de région.
L’équilibre est le moteur du développement dans les régions agricoles.
Certains théoriciens de la Banque Mondiale sont convaincus du principe que
« le développement rural est la clé de la croissance économique », et
s’inquiètent de la formidable croissance urbaine contemporaine qui pourrait
compromettre les efforts de développement, notamment en Afrique où la
population urbaine aura quadruplé pendant les vingt-cinq dernières années
du siècle.
D’autres doctrinaires, par contre, mettaient l’accent sur le rôle privilégié des
villes dans le développement, grâce aux économies d’échelle que permet la
concentration d’investissements productifs et à la dynamique entraînée par
les effets d’agglomération.
L’équilibre villes-campagne s’alimente de la division du travail entre villes et
campagne et du caractère d’agglomération des villes. En vertu de ce
caractère, les villes servent à la campagne de lieu d’intégration économique
et de prolongement de ses activités.
De ce point de vue les petites et moyennes villes tout comme les bourgs
ruraux jouent un rôle primordial : « Les petites villes sont le lien entre le
développement urbain et le développement rural » en tant que lieu de
commercialisation des produits agricoles et des biens manufacturés.
Les villes régionales quant à elle organisent toute une région autour d’elle.

Ces considérations montrent que les établissements humains sont les


supports du développement.
La conférence de Vancouver reconnaît que la situation des établissements
humains détermine dans une large mesure la qualité de la vie, dont
l’amélioration est une condition préalable essentielle de la satisfaction des
besoins fondamentaux comme l’emploi, le logement, les services de santé,
l’éducation et les loisirs. Donc, il faut que les établissements humains soient
considérés comme un instrument de développement et adopter, en la
matière, des politiques et des stratégies réfléchies et efficaces adaptées avec
réalisme aux conditions locales (Osmont: 44)
Ici comme son nom l’indique le Bassin arachidier est une région
essentiellement agricole, mais que sa vocation agricole a été menacée du fait
de contexte environnemental, économique et politique défavorable.
Alors quelles alternatives économiques pour cette région ? La question que
nous nous posons est de savoir si les politiques de développement et la
migration internationale parviendront à rétablir l’équilibre villes-campagne et
le développement régional.

CADRE OPERATOIRE

Les objectifs de recherche

L’objectif général

L’objectif général est d’appréhender la combinaison des facteurs qui


détermine l’équilibre villes-campagne et la dynamique des territoires dans le
Vieux Bassin arachidier, ainsi que l’incidence de ceux-ci sur le développement et
la compétitivité de la Région de Louga.

Les objectifs spécifiques


Ils se situent à trois niveaux : il s’agit de
- montrer la dimension spatiale du développement régional et le rôle
stratégique de l’équilibre villes-campagne dans le processus de
développement économique tout en élargissant le débat du développement
régional, trop strictement limité à la problématique de la décentralisation ;
- mesurer les impacts des différentes politiques publiques et de la migration
internationale dans la réalisation de cet équilibre villes-campagne et leur
contribution commune à créer des opportunités de réussite de leur mission
aux différents acteurs politiques (Etat, Collectivités locales) et civils (ONG)
dans le Vieux Bassin arachidier ;
- éclairer le rôle des sous espaces régionaux qui contribuent au
développement des régions et dont la structure en ville et campagnes peut
profiter de l’opportunité offerte par les anciens réseaux sociaux établis depuis
l’ère précoloniale pour réaliser leur équilibre et le rétablissement des
fonctions urbaines et celles des espaces ruraux.

Les hypothèses de recherche

Hypothèse générale

Politiques de développement et migration internationale en pesant sur les


ressources et leur répartition spatiale déterminent la restructuration du
système d’établissements humains, l’équilibre villes-campagne et le
développement territorial dans le Vieux Bassin arachidier.

Hypothèse spécifique 1

L’expansion de la culture arachidière et de l’économie de traite a créé le


Vieux Bassin arachidier avec un nouveau système d’établissements humains
dont le développement repose sur l’équilibre villes-campagne.

Hypothèse spécifique 2

Les politiques de développement déterminent de manière significative


l’équilibre villes-campagne et la dynamique régionale du Vieux Bassin
arachidier.

Hypothèse spécifique 3

La migration internationale a contribué significativement à la restructuration


du système d’établissements humains avec le rétablissement de l’équilibre
villes-campagne, à la reconstruction des territoires et à la compétitivité de
l’économie du Vieux Bassin arachidier
Hypothèses Variables Indicateurs
Hypothèse spécifique1 L’expansion de la culture substitution de l’espace colonial
L’expansion de la arachidière et de à l’espace traditionnel et du mode
culture arachidière et de l’économie de traite a crée de production capitaliste au mode
l’économie de traite a une nouvelle région de production de subsistance.
créé le Vieux Bassin *naissance d’une région agricole
arachidier avec un (le VBA) ;
nouveau système *l’implication d’acteurs nouveaux
d’établissements dans l’agriculture (Etat en terme
humains dont le de politique ; producteurs,
développement repose maisons de commerce) ;
sur l’équilibre villes- immigration
campagne *l’intégration dans l’économie de
marché
* l’expansion des superficies
emblavées;
Transformation de l’habitat
et du système
d’établissements humains *Emergence des villes et
extension de la campagne avec
la création de plusieurs villages
recomposition et hiérarchisation
de la campagne et développement
concomitant des fonctions des
villes et de la campagne
échange et dynamique d’équilibre
villes-campagne ; expansion des
terroirs, conflit foncier ;
Hypothèse spécifique 2
Les politiques de les politiques volontaristes Politique de maintien de
développement en l’économie arachidière et de
déterminant de manière l’équilibre villes-campagne et le
significative l’équilibre développement régional ;
villes-campagne Programme Agricole résultats
influencent la dynamique mitigés ; crise agricole
régionale. les politiques réalistes Suspension discriminatoire du
Programme Agricole et restriction
de l’espace du VBA ;
Désarticulation de l’espace ;
naissance de kystes urbains ;
perte de fonctions des centres,
exode rural et migration urbaine
solde migratoire négatif ; Politique
de décentralisation ; intervention
d’ONG
Hypothèse spécifique 3 L’impact de la migration ressources de transfert et leur
L’impact de la migration internationale répartition spatiale ; restructuration
internationale a sociale ; investissements sociaux
contribué de manière et productifs ; développement
significative à la local à différentes échelles :
restructuration du équipement des villages et reprise
système de la production dans les terroirs ;
d’établissements Transformation du Renaissance des bourgs ruraux ;
humains avec le système d’établissements relocalisation de villages dans
rétablissement de humains et le l’espace régional;
l’équilibre villes- Rétablissement de Redynamisation des fonctions
campagne, à la l’équilibre villes campagne. des agglomérations et des
reconstruction des terroirs ; développement des villes
territoires et à la en relation avec l’essor des
compétitivité de campagnes par des
l’économie régionale du investissements ; redynamisation
Vieux Bassin arachidier des réseaux sociaux ; reprise
démographique.

.
II METHODOLOGIE

Les outils théoriques

Notre recherche est une étude de géographie humaine générale. Nous


partons du postulat que la ville et la campagne sont un couple de structures
géographiques issues de la division sociale du travail superposée à la
division fonctionnelle de l’espace. Cette perspective théorique nous paraît
d’autant plus pertinente que notre zone d’étude s’affirme comme un sous
espace ou ensemble spatial structuré en villes et campagne et dont l’unité et
le développement tiennent à la dynamique des relations entre les deux
structures. Mais celles-ci abritent des acteurs qui en sont les principaux
animateurs et déterminants et dont les rapports plongent leurs racines dans
la profondeur de l’histoire. Malgré tout, ils se maintiennent et se perpétuent
tout en s’adaptant aux divers modes de production qui jalonnent l’histoire de
cette contrée.
Aussi sommes-nous convaincu que « L’intelligence des dynamiques urbaines
et rurales passait par le repérage et la compréhension des pratiques
d’acteurs déployées tant dans les villes que dans les campagnes ».
Notre démarche est inductivo-hypothético-déductive : elle part, comme le
définissent certains spécialistes, plutôt « d’une phase d’observation d’où
émergera une série d’hypothèses alternatives susceptibles d’ajustements
progressifs » (De KETELE JM 1998 : 94) que de résultats de recherche, qui
du reste, s’avèrent très maigres en ce qui concerne notre zone d’étude.
Ensuite, nous aborderons l’étude dans une perspective dynamique par la
description et l’explication des processus et avec une approche systémique.
Soulignons également le double caractère quantitatif et qualitatif de l’étude, et
la prépondérance du qualitatif sur le quantitatif.

Administration de l’enquête de terrain


Délimitation du terrain de la zone d’étude

Le Vieux Bassin Arachidier couvre pour l’essentiel les départements de


Kébémer et Louga à l’exception de deux sous-ensembles : d’une part la
frange littorale plus tournée vers les cultures maraîchères et d’autre part les
Arrondissements de Keur Momar Sarr, et de Sakal du fait de leur vocation a
dominante pastorale. En fait, nous nous referons au Bassin arachidier tel que
défini par Sar Moustapha (1973) à savoir les Arrondissements de Mbédienne,
Coki, (Département de Louga), Ndande, Sagatta et Darou Mousty
(Département de Kébémer).
Sur le plan chronologique, la réponse à notre questionnement pourrait se
satisfaire des données observables et récentes relatives à la migration
internationale. Mais, il parait nécessaire d’avoir la connaissance de l’équilibre
villes-campagne avant la migration internationale, c’est-à-dire pendant la
phase de l’économie arachidière. L’étude va donc concerner trois périodes
de références : la phase de développement de l’économie arachidière, la
phase de crise agricole et la phase de l’économie induite par les retombées
de la migration internationale.

Enquête sur le terrain et échantillonnage

Notre enquête s’est déroulée aussi bien en ville qu’en campagne. Mais
puisque la zone d’étude ne compte que deux villes, représentant deux
catégories différentes : une ville capitale régionale et une ville secondaire,
nous avons pris en compte tout l’ensemble urbain ; c’est plutôt en campagne
que nous avons choisi de faire un échantillonnage en raison du nombre
important de villages environ deux mille cinq cent (2500).

Echantillonnage en campagne

La campagne n’étant pas seulement un habitat, mais aussi des terroirs, il


nous a paru nécessaire de faire plutôt un zonage à la place d’un effectif de
villages.
A partir de l’analyse comparée des quatre répertoires de villages de 1966,
1974, 1988 et 2000, et la lecture de plusieurs études et publications
d’institutions universitaires et techniques (IFAN, DPS, ENEA UCAD, IAGU,
CODESRIA) nous avons pu déceler la dynamique démographique de la
campagne dans le Vieux Bassin Arachidier, et les disparités interrégionale et
intra régionale qui en ont résulté. On a pu établir deux zones, par ailleurs,
soumises à une certaine dynamique de changements de densité.
Tout au début on avait une première zone dynamique économiquement et
démographiquement et plus attractive, avec des densités plus élevées. Elle
abritait les agglomérations les plus significatives et les plus représentatives
de la campagne.
Une autre opposée à la précédente, était répulsive et caractérisée par des
villages stationnaires ou en régression. Cette classification nous a permis de
faire un choix des villages, comme des personnes à enquêter, selon la
démarche propre à la constitution d’un échantillon en boule de neige. Cet
échantillonnage se justifie par le fait que notre effectif de villages et de
personnes grossissait en fonction de la diversité des cas, des situations et
des spécificités des problèmes à traiter.
L’analyse comparée de photographies aériennes couvrant les périodes de
référence devrait nous aider à voir les essaimages de villages, leurs
situations successives et les nouvelles zones de concentration si elles
existent.

Cependant, nous devons souligner que nous étions parfois obligé de modifier
notre schéma, pour nous adapter aux changements puisque sur le terrain les
zonages demeurent, certes, pertinents mais, la distribution des
établissements humains avait subi une mutation. La consultation de la
littérature et les enquêtes préliminaires nous ont aidé à sélectionner et à
cibler les lieux les plus pertinents pour le recueil de données et parachever
notre échantillon. Nous avons ainsi fait notre enquête dans les zones les
moins étudiées. Et celles-ci correspondaient plus au Département de
Kébémer que de celui de Louga.
Il faut souligner avec bonheur que celui-là correspond pour l’essentiel au
Vieux Bassin.

Les outils d’enquête


La démarche adoptée est surtout qualitative. La méthode d’interview a été
privilégiée puisqu’elle nous a paru plus appropriée ; et nous avons fait le
choix de l’entretien semi directif puisqu’elle permet à la fois une recherche
exploratoire et une maîtrise du questionnement.
Néanmoins nous avons établi un questionnaire pour avoir sur certaines
rubriques des données précises.

Le thème des entretiens tourne autour des changements intervenus dans la


structure et la fonction des espaces et des territoires à différentes échelles :
D’abord à l’échelle villageoise, puis des centres ruraux et des villes.
Les questions embrassent l’historique des établissements humains,
l’utilisation des terroirs et les problèmes de pression foncière.
Ensuite on s’intéresse à la dynamique de la campagne avec les
changements intervenus dans les collectivités locales en rapport avec la crise
agricole et puis avec les ressources de transferts, la nature de celles-ci et leur
utilisation en ville et en campagne.
Ces changements se mesurent à travers : la démographie avec comme
indicateurs la densité et la mobilité des villages en relation avec et
l’importance des activités rurales (taux de mise en valeur agricole des terroirs
villageois et le système de culture), la place du terroir agricole dans le
contexte économique de la migration internationale.
De même, il est question de mesurer l’évolution, en rapport avec la migration
internationale, des infrastructures et des équipements collectifs, de l’habitat et
avec les réseaux : routes ; eau, électricité, des changements de site et de
situation.
Enfin s’interroger aussi sur l’évolution des instituions : les types
d’organisations de femmes, de jeunes, de migrants , à caractère économique,
religieux, communautaire, etc

Définition de la population interrogée

Nous avons interrogé des chefs de villages dont ceux de Kouré Mbelgor, de
Teug Ndogui, de Sagatta de Gueti Ndongo, de Ndia, de Thiolom Fall, de
Ndiawagne Fall et de Gade Mbrama (dont nous avons rencontré le président
de l’Association des parents d’élèves). parfois c’est des personnes
ressources que nous nous adressons : c’est le cas par exemple de ces vieux
hommes qui nous ont parlé de l’historique des villages de Palméo Fall et
Thièye-Thièye et de l’imam de Ndeugour Ndiaye qui nous a parlé des
problèmes fonciers de leurs villages. Nous avons également interviewé les
présidents des Communautés Rurales de Guéoul, de Sagatta, de Mbadiane,
de Darou Kratiel.
Nous avons visité des structures administratives et rencontré les
fonctionnaires en service et obtenu de ces derniers des entretiens: chefs de
CERP et Receveurs de bureau de Poste (OPCE) de Ndande, Sagatta, de
Darou Mousty et le Receveur du bureau de Poste de Kébémer dont les
structures enregistrent un impact très positif de la migration internationale.
Nous avons également rencontré des enseignants et en particulier des
directeurs d’écoles de Sagatta (M. A Samb), de celui Thiolom Fall et ex-
directeur de Ndoyenne (M. Niokhor Fall). Ces derniers nous ont présenté les
dynamiques spatiales actuelles dans la zone et les villages en perdition et
souvent u cahier de l’école du village et retrace l’historique du village et sert
d’archives et de tableau de bord de l’évolution du village et des différentes
personnes qui l’ont dirigé. Ils nous ont informé sur les conflits fonciers entre
chefs religieux et certaines communautés villageoises et nous ont permis de
rencontrer des personnes soi-disant victimes des agissements fonciers des
marabouts par exemple à Sagatta et Darou Mousty : zones où ces conflits
sont les plus nombreux.
Les communicateurs traditionnels ne sont pas en reste : ils ont été très
féconds en informations surtout celles concernant le processus de
ruralisation, et les origines des villages.
Nous avons rencontré et discuté avec certains parents d’émigrés et des
marabouts, des commerçants et artisans.

A terme, il s’agissait de mesurer l’impact des politiques de développement et


des investissements des émigrés ruraux dans le renforcement des fonctions
rurales, soit par le rétablissement de facteurs attractifs, soit par l’atténuation
des facteurs répulsifs.

Enquête urbaine

L’enquête urbaine avait pour objectif de mesurer l’impact de la migration


internationale sur les fonctions de la ville : commerce, artisanat, industrie,
service et administration. Pour chaque secteur d’activité, nous avons tenté de
faire une étude diachronique et synchronique.
L’observation directe permet d’avoir un premier contact avec les
changements en cours, mais pour mesurer les transferts et les
transformations les plus discrètes, il a fallu interroger les fonctionnaires
comme le Receveur du bureau de Poste, l’inspecteur départemental de
l’élevage et des chefs des services départemental de l’agriculture de
Kébémer et régional de Louga, des employés des deux municipalités et ceux
des partenaires au développement : ONG et Programme, le PADMIR (par
exemple).

Pour les fonctions commerciales : l’étude synchronique s’articule autour de


l’étude et l’observation de la structure du commerce : la taille (gros, demi-
gros, détail), la représentativité de chaque niveau à partir de source
administrative (assiette fiscale) et la spécialité (produit de première
nécessité ; quincaillerie, autres)
Nous nous sommes également intéressé aux réseaux de distribution interne
des marchandises et au rayonnement spatial du commerce de gros par la
localisation de la clientèle.
Les réseaux de distribution spatiale du commerce concernent les noyaux
centraux et les quartiers résidentiels d’une part, les origines des
commerçants (ville ou campagne) et l’analyse de la clientèle d’autre part.
Cette analyse ainsi que l’étude du cursus de quelques commerçants : age et
sexe et origine des fonds de commerce devraient permettre d’identifier les
réseaux de clientèle.

L’analyse diachronique permettra de connaître l’évolution du commerce


depuis la phase de prospérité arachidière jusqu'à celle de la migration
internationale. Elle permet l’identification des nouveaux propriétaires des
anciens établissements commerciaux et la place de la nouvelle génération
d’acteurs commerciaux et leur niveau d’intégration du système commercial et
des réseaux de clientèle.

Pour l’artisanat (traditionnel ou moderne), nous avons procédé de la manière


suivante :
Nous avons dressé une typologie de l’artisanat (traditionnel : forge ;
moderne : boulangerie ; confection), l’identification des artisans avec leur age
et l’origine familiale et locale ainsi que les réseaux de distribution de leurs
produits ou services. Puis nous avons tenté de faire une estimation du
volume de la production, l’inventaire des articles fabriqués, l’historique de
l’entreprise artisanale, l’évolution de l’équipement (ancien ou moderne), sa
provenance et son mode d’acquisition. Le statut de l’entreprise (formel ou
informel ou évolution de l’un vers l’autre). Enfin, on s’est intéressé sur
la provenance de l’argent de la clientèle et sa localisation de celle-ci.

Industrie

On s’est intéressé d’abord à la nature de l’activité ; à l’identité du promoteur


et à la date de la mise en place de l’unité industrielle. Ensuite, nous avons
cherché le nombre d’entreprises, le nombre d’ouvriers employés et leur
volume de production ainsi que celui des succursales et leur localisation.
Nous avons soumis à la triangulation les données sensibles (nombre
d’ouvriers pour les entreprises artisanales, les conflits fonciers, etc.)
Enfin, nous avons essayé de dénombrer les points de vente et leur
distribution spatiale en ville et en campagne pour évaluer leur contribution
dans ‘équilibre villes-campagne.

Traitement de l’information

Le traitement de l’information a nécessité un certain nombre d’informations


comme le dépouillement des fiches d’enquête pour ensuite procéder à
l’analyse de contenu des entretiens.
Nous avons ensuite fait le traitement statistique des données quantitatives
avec Excel et la cartographie automatique de l’information qualitative et / ou
quantitative avec Map Info et Arc view .

Les difficultés

Le Vieux Bassin arachidier englobe les départements de Louga et de


Kébémer. On peut noter un certain déséquilibre dans les études de ces
différents territoires : il existe plusieurs études concernant Louga et très peu
sur Kébémer et son arrière-pays. Nous tentons de rétablir l’équilibre en
privilégiant l’enquête sur le Département de Kébémer. Mais c’est aussi dans
la ville de Louga qu’on a rencontré les plus grandes difficultés d’accès aux
informations. Malgré des rendez-vous, je n’ai pu prendre contact avec
certaines personnes ressources que je souhaitais vivement interroger. Peut-
être que la période choisie n’était pas la meilleure, puisque la ville de Louga
connaissait alors deux événements sensibles liés à la migration
internationale. Il s’agissait d’une enquête de la Police internationale (Interpol)
sur des circuits de transfert d’argent sale à l’issue de laquelle a eu lieu
l’arrestation de deux grands commerçants. Puis le scandale des parcelles
des émigrés dans lequel les autorités municipales étaient incriminées. Malgré
les efforts de quelques amis influents de la ville, je n’ai pu avoir des
informations approfondies sur certaines questions des transferts comme j’en
ai obtenu à Kébémer. A cela s’ajoutent les contraintes de temps liées à nos
obligations professionnelles. Mais de toute manière il m’est apparu que
l’enquête effectuée pouvait me permettre de décrire les dynamiques en cours
et les spécificités des villes de Kébémer et Louga et leurs rapports avec les
campagnes environnantes.
Au terme de notre recherche, les résultats obtenus sont exposés dans le
document final suivant la structure suivante.

La structure de la thèse

Ce travail de recherche comprend trois parties.

La première partie traite de la formation du Bassin Arachidier et l’état actuel


des lieux avec la restructuration de l’habitat qui en a résulté du fait sans doute
des changements économiques et des acteurs au Pouvoir. Mais, cette
restructuration garde avec elle un héritage historique qui maintient et détermine
en partie les rapports des hommes entre eux et avec les lieux et prolonge la vie
des réseaux sociaux et influence les relations villes-campagne. La structure de
l’espace reflète les luttes et les contradictions de « classes ». L’objet de ces
contradictions est essentiellement la ressource foncière, car c’est elle que le
Pouvoir « ceddo » distribuait à sa clientèle politique après l’avoir confisquée
aux ennemis. C’est cette distribution qui structure encore la campagne, malgré
une nouvelle législation foncière.

La deuxième partie concerne l’étude de la dynamique de l’espace, des


relations villes-campagne et de leur équilibre sous l’influence des pratiques des
acteurs politiques et sociaux. Ces pratiques changent en fonction de l’évolution
des contextes locaux et globaux qui conditionnent et définissent le cadre
institutionnel et les prérogatives des acteurs, leur pouvoir et leur fonction.
Elle concerne aussi l’impact de ces pratiques sur le développement territorial
avec la rupture des relations villes-campagne et la désarticulation de l’espace
régional.

La troisième partie traite de la dynamique inverse apportée aux


dysfonctionnements des territoires par les retombées de la migration
internationale en termes de rétablissement des relations villes-campagne et de
l’équilibre entre ces deux sous-espaces naguère rompus par la crise agricole et
par les différentes politiques de l’Etat. Cet équilibre se fera en améliorant
l’environnement régional par une réintégration des parties que la concurrence
des régions voisines avait entraînée dans leur mouvance.
PREMIERE PARTIE
LA FORMATION DU BASSIN ARACHIDIER
ET LA RESTRUCTURATION DU SYSTEME
D’ETABLISSEMENTS HUMAINS
I. LA FORMATION DU BASSIN ARACHIDIER ET LA
RESTRUCTURATION DU SYSTEME
D’ETABLISSEMENTS HUMAINS
L’économie de subsistance a correspondu sur le plan spatial au règne sans
partage de la campagne. Mais elle est contemporaine d’un contexte politique
et social qui a marqué l’espace à sa manière : le règne de l’Etat monarchique
et de la société ceddo. C’est sur leurs souches que va se greffer l’économie
monétaire sous-tendue par la production arachidière. Cette économie
d’échange ou économie de traite va créer une région agricole dénommée ici
le Vieux Bassin arachidier. Elle va redéfinir le rôle des espaces et transformer
le système d’établissements humains en l’adaptant à son fonctionnement, en
suscitant la naissance des villes et la restructuration des campagnes. La ville
et la campagne restent les deux pôles alternatifs sans lesquels l’économie
d’échange ne pourrait fonctionner et se développer. Le développement de
l’économie se mesure à l’aune des flux d’échange entre ces deux pôles de
ville et de campagne. Quand les échanges sont dynamiques les espaces sont
productifs et porteurs de croissance et il y a un équilibre villes-campagne.
Sans les échanges, l’équilibre est rompu, lorsqu’ils s’étiolent les marchés se
réduisent, l’économie perd sa dynamique et suscite la migration de ses
acteurs et de la population active.

Cependant ces transformations se font sur un substrat spatial et social qui ne


manque de l’influencer : c’est l’espace et l’habitat ceddo ainsi que la société
traditionnelle qui offrent partiellement les supports de cette économie
d’échange
Chaque changement économique entraîne en principe un nouveau paysage
social et spatial. Cela signifie t-il que chaque économie a un impact social et
spatial qui correspond à une réorganisation de la société et de l’espace ?
L’économie de subsistance et l’économie d’échange ont différemment
imprimé leurs marques dans la société et dans l’espace. La formation du
Vieux Bassin arachidier (carte 1) correspond à des changements dans
l’espace et l’habitat, dans leurs structures et dans leurs fonctions.
Carte 1

Source : Bara Mboup 2005


I. 1 LA FORMATION DU VIEUX BASSIN ARACHIDIER

A l’origine, le Vieux Bassin arachidier était l’espace de culture arachidière


englobant d’une part, la partie méridionale du Département de Louga à
savoir les Arrondissements actuels de Mbédienne et de Coki, et d’autre part
la totalité du Département de Kébémer.
Ces limites s’expliquent par les exigences pluviométriques de l’arachide que
la partie Nord trouvait du mal à satisfaire. Ces deux sous espaces abritaient
les anciennes provinces du Ndiambour et du Guet. La précision nous paraît
pertinente compte tenu de l’importance de l’héritage, de la continuité de
pratiques socioculturelles et de la structure sociale qui accompagneront le
passage d’une économie de subsistance à une économie de marché. Ainsi,
malgré cette évolution, l’essentiel des caractéristiques de la campagne
(habitat et terroirs) date de la période monarchique. C’est pourquoi, il nous
paraît utile de revenir sur cet héritage qui marque encore les rapports de
production dans l’économie d’échange introduite par l’Etat colonial ; un type
d’économie qui trouvera son prolongement dans l’Etat indépendant.
D’héritage en héritage, il apparaît nécessaire de faire l’étude des lieux pour
identifier les variables restées permanentes et déterminantes et les
épiphénomènes, ce qui est de l’ordre de la continuité et traverse toutes les
périodes, autant dans l’espace (terroirs et habitat : établissements humains)
que dans le système de production et le rôle des différents acteurs (Etat,
population).
Le Vieux bassin est aussi l’œuvre du temps et il reste le résultat d’un
processus qui a commencé par sa naissance à l’ouest, puis son extension
vers l’est grâce à des forces sociales nouvelles venues de régions voisines
en quête d’insertion dans le nouvel ordre économique (carte n°2).
La naissance du bassin arachidier relève de la volonté politique de la France
de reconvertir l’économie de subsistance de la colonie en économie de
marché.
Dès le début de la colonisation française, une première tentative de
reconversion avait été faite avec la gomme dont la cueillette était organisée
dans le nord du Sénégal. Elle avait attiré les maisons bordelaises et
marseillaises toutes installées à Saint-Louis alors capitale de la colonie du
Sénégal. Mais cette spéculation va bientôt connaître une crise sur le marché
qui se répercutait sur la rentabilité des opérations des maisons commerciales
métropolitaines.
A l’inverse, l’arachide, jusque-là culture de subsistance, trouvait de nouvelles
perspectives commerciales. Le prix d’achat de son huile venait de connaître
une hausse spectaculaire dans le marché européen à la suite de la forte
demande et de la préférence dont elle a bénéficié aux dépens de ses
concurrents. Les pouvoirs coloniaux profitèrent alors de cette opportunité
pour encourager la production de l’arachide et spécialiser la colonie du
Sénégal dans cette spéculation. Ils réussirent par la même occasion à offrir
aux maisons commerciales affectées par la crise de la gomme de nouvelles
opportunités de reconversion économique.
Cette reconversion d’une économie de subsistance à une économie
monétaire va être à l’origine de profondes mutations sur l’organisation de
l’espace et de la société. Mais elle inaugure une nouvelle ère dans les
relations entre le milieu traditionnel étudié et le monde moderne par son
insertion dans la division internationale du travail.
Bien que cette division internationale du travail qui se dessine ainsi soit
l’occasion pour l’arachide d’amorcer sa renaissance, ce n’est pas elle-même
qui est à la base des mutations. La spéculation est déjà connue depuis le
XVIéme siècle au Sénégal et les populations l’ont adoptée dans leur système
de culture. L’arachide est ensuite adaptée aux conditions naturelles en
particulier le climat soudano-sahélien de la zone nord du Sénégal (puisque
poussant normalement dans des zones tropicales comprises entre des
isohyètes de 400 mm et plus). Mais le plus important était le système
économique qui ne manquera pas d’agir sur la société et l’espace.
L’introduction de cette spéculation va surtout commencer par cette région
Nord, non pas qu’elle présentât de meilleures conditions naturelles mais
qu’elle jouissait d’un environnement économique, social et d’une situation
géographique particulière que nous pouvons étudier maintenant en
commençant par l’état des lieux.

I.1.1 LES FACTEURS PHYSIQUES :

Le Vieux Bassin arachidier est un espace physiquement différencié auquel la


pluviométrie ne cesse d’apporter des nuances, mais dont l’unité se forge avec
son économie.
La zone d’étude se présente en une zone d’interférence entre le bassin
sénégalo-mauritanien et la zone soudano-sahélienne. Tous les deux se
combinent pour donner à la zone ses caractéristiques morphologiques et
climatiques qui déterminent dans une large mesure le comportement des
hommes.
Le milieu physique est caractérisé par sa diversité morphologique, édaphique
et hydrologique suivant une certaine combinaison. La diversité
morphologique se présente sous la forme d’un relief qui se modifie d’ouest en
est en corrélation avec la nature du sol et la profondeur des nappes d’eau.

I.1.1.1 La diversité physique des terroirs

La position du vieux bassin arachidier dans la partie centre ouest du bassin


sénégalo-mauritanien et son voisinage avec l’océan atlantique sont les
facteurs déterminants de la nature du site et du milieu physique. En effet :
Au plan de la morphologie, « La région de Louga est formée de sols de
savane très sableux (…) disposés en modelé dunaire datant du quaternaire,
orientés NE-SW, et épousant la direction des alizés. Selon certains auteurs, il
s’agit de l’immense erg ancien recouvrant le SW de la Mauritanie et
s’étendant sur pus de 600 km de latitude, du nord du Trarza au Saloum. »
( Sar ; op cit. : 22)
Carte 2

Source : Bara Mboup 2005


La zone offre ainsi l’allure d’un matelas de sable épais à l’ouest et mince à
l’est. La partie épaisse représente les Niayes et la partie mince, le diéri. Cette
structure est liée à l’efficacité des alizés maritimes qui en se réduisant avec la
distance perd en capacité de transport du matériel sableux. Aussi la couche
de sable d’une grande épaisseur dans le littoral à l’ouest se réduit
progressivement vers l’est laissant apparaître le socle par endroits. Il en
résulte un paysage dunaire et de dépressions dont l’envergure est
directement fonction de la distance de l’océan atlantique. Dépressions et
dunes sont plus importantes à l’ouest avec la proximité de l’océan.
Cette envergure se mesure à la taille et à la mobilité des dunes. Aussi
adossées au littoral, s’étendent les Niayes qui sont un système des dunes et
de cuvettes. Le système dunaire forme une structure architecturale
combinant des dunes et des dépressions dont les fonctions économiques et
sociales confèrent à la zone une spécialisation et un nom : les Niayes.

Coupe des systèmes dunaires des Niayes

Source : Atlas National du Sénégal – Planche 10.

Dans le diéri, à l’ouest, l’épaisseur du matelas sableux est plus importante.


Elle fournit un matériel sableux suffisant aux vents. Leur puissance et leur
efficacité liées à la proximité de la mer peuvent se mesurer à l’envergure du
paysage des dunes qu’ils ont aménagé.
Les dunes dont l’envergure diminue au fur et à mesure que l’on s’éloigne du
littoral se présente différemment d’ouest en est.
A l’ouest, les premières dunes sont caractérisées par leur mobilité et leur
couleur (dunes vives ou dunes blanche ou jaune) ; à l’ouest elles s’identifient
par leur fixité et leur couleur rouge. C’est donc sous l’effet combiné de la
vigueur de l’alizé maritime soufflant du nord-ouest vers l’est, de l’épaisseur du
matériel sableux plus disponible sur le littoral, et de la distance que
dépendent les caractéristiques du paysage dunaire et même la nature des
sols.
Les sols sont classés en différentes catégories : les sols sablonneux sont les
sols dior, ils s’apparentent à ceux du matelas de sable ou du système dunaire
et se localisent plus particulièrement dans la zone littorale ou à sa proximité.
En revanche, les sols argileux situés au bout du matelas à la limite de
l’amplitude de l’action de transport de sable des alizés maritimes s’étendent
les sols deck situés plus à l’est. Entre ces deux types de sol, il y a les sols
deck-dior caractéristiques de la zone de Darou Mousty et qui représentent
une forme de transition due à l’amincissement du matelas de sable lié à la
distance du littoral.
Cette répartition est/ouest des sables ne doit pas cacher la coexistence des
types de sables liée à la morphologie d’ensemble marquée par la présence
du paysage dunaire (malgré sa diversité caractéristique.)

Cette différenciation physique de l’espace engendre celle de leur valeur


agronomique et de leur spécialisation économique. Les sols dior lorsque leur
épaisseur et leur topographie le permettent sont très propices à l’arachide.
Les dunes de grande envergure et les zones très sablonneuses sont peu
propices à l’arachide : la topographie et la texture sont des contraintes qui
limitent leur exploitation en arachide. Les sols trop sablonneux sont plus
perméables et plus exigeantes en eau : les pluies pour qu’elles présentent
une certaine efficacité doivent avoir une hauteur assez importante du fait de
la faible capacité de rétention des sols. Ils sont également caractérisés par la
faiblesse de leurs réserves en matières organiques ou en éléments minéraux.
A l’opposé, les terrains plats plus favorables à l’exploitation arachidière
abritent des champs qui s’étendent à perte de vue.
Dans les dépressions sont logés des sols deck et deck-dior favorables au mil.
Plus compacts et moins perméables, ils possèdent des capacités de
rétention de l’eau, au point d’abriter des mares ; ce qui leur garantit une
richesse en matières organiques du fait de l’exubérance relative de la
végétation. Ces caractéristiques de différenciation de l’espace renvoient aussi
à sa spécialisation : la zone ouest est essentiellement agricole alors que la
zone est reste plutôt agropastorale, voire strictement pastorale.

Cette disposition des sols, sur le plan morphologique, correspond à peu près
à celle des nappes d’eau souterraines.
En effet, comme nous venons de le montrer l’appartenance du site à la partie
centre ouest du bassin Sénégalo-Mauritanien l’expose à l’influence
océanique et détermine aussi ses caractéristiques.

Le site du vieux bassin est caractérisé d’une part par un remplissage


sédimentaire s’épaississant en direction du domaine océanique et d’autre
part par un enfoncement graduel du substratum dans la même direction.
Cette structure facilite l’infiltration des eaux de pluies en profondeur du fait de
la perméabilité des sables et de la constitution de nappes d’eau d’accès facile
et de bonne qualité.

Ainsi, en fonction de l’ordonnancement des sols, notre zone d’étude


renferme trois types d’aquifères de caractéristiques différentes du point de la
localisation, de l’épaisseur et de la qualité de l’eau. Ces caractéristiques sont
plus ou moins déterminantes dans l’occupation du sol. Comme les sols, les
aquifères sont disposés d’ouest en est :
- D’abord, à l’ouest d’une ligne Louga – Kébémer vers le littoral où le
matelas de sable est plus épais, il y a l’aquifère des sables dunaires du
Quaternaire. L’eau y est plus accessible du fait que la nappe est affleurante
ou de faible profondeur. D’excellente qualité cette eau est apte à l’irrigation
en raison de sa faible minéralisation (de Noel, 1978 cité par Faye.) et
explique l’activité des Niayes.
~.._ ...l~_·'...q__l ...
~ _~2pkm

COUPE N°'

F1g.1 7: Coupe hyd~o g601o g1que W-S (2) trave rsant le8 aable s
quate rnair es et l.s calca ires lut't1 ena
(~ern el et Gage onnet , 1992, mod1 f1é)

lP1!S1I fORMATIONS EOCENES


UoII:!ll DEMANTElE! S t-41
j
MARNO-C "LCAIRE EOCENE MOYUl
_ CA~CA~~MUI1I1ULlns roeul l r=1 HARHU A RARES
l:...;;I III/EAUX CALe AIRU
EOCENE INfIRIEUR
~ C'''lCAIRES A NUMMULITES MOYEN
M CALCAIRES' M.l.RNEUX
W CALC,lI~ES GRESEUX
- Ensuite, à l’est du méridien de Kébémer et Louga jusque vers Sagatta et
Coki, s’étend l’aquifère des calcaires du Lutécien Moyen. A un moindre
degré l’aquifère des calcaires du Lutécien garde la même qualité que celle de
l’aquifère des sables dunaires : cela s’expliquerait par la continuité
hydraulique entre les deux aquifères du fait de l’écoulement d’ouest en est à
partir du dôme piézométrique vers les calcaires lutéciens. Cette continuité du
système hydraulique est attestée par les mesures faites par Yves NOEL qui
les estime sous forme d’un apport d’eau de 30 000 m3 par jour des sables
vers les calcaires (soit 0,30 m3/s).( Faye : 1995)3

- Enfin, l’aquifère du Maestrichtien englobant la zone de Darou Mousty et


au-delà est caractérisé par un accès plus difficile et une qualité moindre. En
effet, par rapport à la potabilité et la salinité, une grande partie de l’aquifère
profond est constituée d’eau douce : les 2/3 orientaux de la nappe ont une
concentration en sels dissous inférieure à 1g/l. Par contre dans le 1/3
occidental, de sérieuses menaces de salinisation existent avec une
pénétration d’eau à plus de 2g/l depuis le delta du fleuve Sénégal jusque
dans le secteur Mbacké-Diourbel. Cette salinité d’une partie de la nappe
Maestrichtienne est d’origine ancienne (eaux cônées des couches profondes)
et récente provenant de la mer et des deltas souvent contaminés par
inversion de l’écoulement vers les zones déprimées par la surexploitation.
(Mbengue : 23 ; 1998)

En résumé, le site offre à la zone un système de sols et de potentiel hydrique


qui lui confère une occupation de l’espace relativement facile et une
différenciation qui détermine sa spécialisation économique. Aussi, du fait de
leur topographie et de leur nature, les sols présentent-ils des valeurs
agronomiques et des potentialités différentes.

3
Dans l’aquifère des calcaires du Lutécien qui s’étend d’ouest en est de la route Thiès - Saint-Louis
jusqu’au méridien 16° 05 passant par Sagatta et du Sud au Nord de Baba Garage jusqu’aux environ de
Mpal.(voir carte 3). La potabilité est de première ou de deuxième qualité…..L’aptitude à l’irrigation est
bonne .
Plus qu’ailleurs, les zones topographiquement horizontales présentent les
meilleures conditions de développement de l’arachide ; leur situation vers
l’est leur permet de cumuler d’autres atouts comme la pluviométrie et les
caractères pédologiques et explique les limites occidentales du bassin. L’est
réunit alors les conditions les plus favorables au développement de l’arachide
que l’ouest en particulier la zone des Niayes.
L’espace du bassin est circonscrit dans des limites qui l’éloignent des zones
topographiquement accidentées situées à l’ouest dans la proximité des zones
dunaires constituées par les Niayes. Cela déplace le bassin arachidier vers
l’est. D’autre part, les exigences hydriques de la plante dont le minima est à
l’isohyète 400 mm décalent le bassin arachidier vers le sud et l’est et le
rendent mouvant au gré des épisodes plus ou moins pluvieux qui
caractérisent le milieu soudano-sahélien.

1.1.1. 2 : l’apport du milieu soudano-sahélien

La zone soudano-sahélienne est caractérisée par l’alternance d’épisodes


pluvieux et d’épisodes secs.
L’appartenance à la zone soudano-sahélienne donne à la région les
caractéristiques sahéliennes : une pluviométrie caractérisée par l’alternance
d’épisodes de sécheresse et d’épisodes pluvieuses comme le montre l’étude
de l’ECOSSEN (carte ci-dessous page 50).
Ces caractéristiques de la pluviométrie constituent la contrainte majeure de la
production agricole dans la région. Elles sont tributaires de la situation en
latitude de la région entre 14°70 et 16° 50. La région se trouve de ce fait dans
une situation marginale de la zone de production arachidière aux confins nord
de l’isohyète 400mm limite minimale indispensable au développement de la
plante. Cette situation marginale expose la zone à la précarité de la
pluviométrie en raison de la constante mobilité des isohyètes vers le sud et
l’est.
rig, 1 a. Situatio n de'la 'Zone d'étude au Sahel occidental.

~AURITANIE

" A L

Domoine l

Cl
Q 50lliiO _ loudonl en
",-::: ::;:--' G U 1 NEE-
"1_ -";CCK.
1 • 1 5 5 A U
GUI N E

Fig, 1 b. Récurrence de la sécheresse,

Oibits moyens onnu~l s du StOnigo l à 8ck~l,


d'Op'.l F"o,"e el Goc l'al (1'03-1 580: moyenne gl;sson
u ,ut 70nl)

--
Pl,;<t,cd on (Fc.u.e el Goc) .iC.('I••
p,iv'llon porur.o polctio n grcp"iqu e (Lak.)

li.h.... .. • •• !>." ...

i'\..a-E
"
." 1 i 1

'"
."
I!IJ
/ \/" \ 1
2010 ?

lua 1110 ,,~o 1960


1 1
1910 1000 2020

Carte n° 3 Le cycle climatique du Vieux Bassin arachidier ; source : IFAN


L’instabilité de la situation pluviométrique peut s’observer à travers le tableau
et les cartes ci-dessus établis :
Tableau n° 1 : Le Nord- Sénégal : caractéristiques pluviométriques de 1921 à
1995
Périodes Caractéristiques pluviométriques
1921 – 1926
Période moyennement pluvieuse
1927 – 1929 Très pluvieuse
1930 – 1940
Période moyennement pluvieuse
1941 – 1942 Sèche
1942 – 1949
Période moyennement pluvieuse
1950 – 1958 Très pluvieuse
1959 – 1969
Période moyennement pluvieuse
1970 – 1973 Sèche
1974 – 1981 Peu pluvieuse
1982 – 1986 Sèche
1987 – 1989
Période moyennement pluvieuse
1990 – 1992 Sèche
1993 – 1995 Sèche

Source des données : Sagna (38-39 : 1998)

Ce tableau montre, à première vue , l’inconstance de la pluviométrie : des


épisodes pluvieuses alternant avec des épisodes sèches.
La dégradation de la pluviométrie semble être la règle. La période 1921-1969
paraît pluvieuse, alors que la période suivante de1969-1995 est plus sèche.
Une lecture de la migration des isohyètes confirme cette dynamique.
Elle montre la même tendance à la sécheresse à Louga avec une normale de
475,8 mm entre 1931 et 1960 suivie d’une période plus sèche avec une
moyenne de 349,9 entre 1963 et 1975. L’année 1975 accuse d’ailleurs une
pluviométrie plus faible. C’est le début d’une phase sèche qui caractérise
toute la période
Cependant la lecture de la carte de 1975 montre que la répartition des pluies
est inégale et plus favorable dans les parties est et sud couvrant le
département de Kébémer.
Carte n° 4 Evolution de la pluviométrie dans le Vieux Bassin arachidier de
1931 à 1975
Les études faites par Sagna confirment cette discrimination spatiale des
précipitations. Cette migration des isohyètes s’accompagne d’une baisse de
pluviométrie de l’ordre de – 40% à – 80 de l’Est à l’Ouest. L’évolution de
cette situation pluviométrique a fait l’objet d’une cartographie (Cartes n° 5:
Ecarts pluviométriques en pourcentage p 54. Par ailleurs le département de
Kébémer qui couvre les 2/3 du vieux bassin et dont les terres sont à 90%
cultivables offre dans la lecture du tableau n°1 une situation pluviométrique
des plus précaires pour les années 1981-1994.

Pour le département de Kébémer qui comprend pour l’essentiel la partie la


plus pluvieuse du Vieux bassin, la situation pluviométrique se caractérise
globalement par des fluctuations qui se traduisent par une évolution en dents
de scie et d’une opposition est-ouest favorable à l’est.
f,VOLUTION m; 1.0'\ PI,UVIOMtTRlE (1921·1995)

Fig. 4. Écarts pluviométTiQues en pourcentage.

1: 1983 par rapport 119SO

2: 1983 par rapport 1 1921·1995

3: 1950 par rapport à 1921-1995


o

80 100 100

Source : IFAN op cit.


Tableau n° 2 : l’évolution de la situation pluviométrique des stations du
département de Kébémer de 1981à 1994
Source : service agriculture – Kébémer

Année Station de Kébémer Station de Sagatta Station de Darou Station de Ndande Moyenne
Mousty annuelle

Hauteur Nombre Hauteur Nombre Hauteur Nombre Hauteur Nombre


en mm de jours en mm de jours en mm de jours en mm de jours
1981 332,0 26 197,6 21 355,9 21 190,0 17 268,77
1982 292,1 26 246,7 26 319,3 24 392,5 21 312,65
1983 136,7 10 142,5 13 262,0 16 176,3 9 179,37
1984 161,0 15 184,4 18 330,0 29 133,7 19 202,7
1985 332,3 17 380,3 21 375,4 26 323,6 28 352,9
1986 213,8 22 247,1 25 303,2 23 259,1 20 255,8
1987 339,4 23 406,6 27 412,3 27 541,5 23 424,95
1988 432,8 29 487 26 451 32 386,2 28 439,25
1989 375,7 29 548,8 35 676,4 32 504,5 24 526,35
1990 278,2 20 202,8 22 274,1 21 281,3 23 259,1
1991 284,6 22 346,2 24 376,2 26 252,7 26 314,92
1992 143,9 19 244,7 19 309,4 20 112,2 17 302,55
1993 276,0 20 329,4 19 329,8 19 358,4 19 423,3
1994 226,6 23 464,7 28 317,6 24 289,3 29 324,55
M.An 337,9 26 369,0 24 430,2 28 252,5 23
61-89

800 40
700 35
600 30

Nbre jours
500 25
mm

400 20
300 15
200 10
100 5
0 0
1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994
Années

Kébémer Pluv Sagatta Pluv Darou Mousty Pluv Ndande Pluv


Kébémer Nj Sagatta Nj Darou Mousty Nj Ndande Nj

Le tableau montre d’une part que plus on va vers l’est, plus le nombre
d’années de pluviométrie supérieure à 400mm augmente : les stations de
Ndande et de Kébémer qui se trouvent à la même longitude ne totalisent
respectivement que trois années (1987 et 1989) et une seule (1988) de
pluviométrie au-dessus du seuil des 400mm.
En revanche les stations situées à l’est bénéficient de plus d’années
pluvieuses : il s’agit de Sagatta et Darou Mousty ; ce dernier est dans
l’ensemble mieux arrosé. .
Ce clivage pluviométrique est-ouest est confirmé par la normale décrite en
bas du tableau et donnant les moyennes : Sagatta : (369 mm) et Darou
Mousty (430,2 mm) d’une part situés à l’est et d’autre part Ndande (252,5
mm) et Kébémer (337,9 mm) situés à l’ouest. Mais, en plus de ce clivage
est/ouest déduit de la normale, il est plus pertinent d’analyser la pluviométrie
régionale en épisodes (pour ne pas parler de cycle) sec ou pluvieux, comme
nous l’avons ci-dessus en citant l’étude de l’ECOSSEN. Les épisodes
alternantes consolident la population dans leur expérience de l’incertitude de
la saison des pluies.

L’incertitude des pluies n’est pas la seule contrainte de la production


arachidière, mais aussi leur répartition dans le temps et l’espace. Car, en plus
de la hauteur des pluies, la répartition dans le temps est déterminante à deux
points de vue.
En premier lieu, la répartition des pluies dans le temps est déterminante : les
pluies sont très davantage attendues aux périodes où les besoins en eau de
la plante sont les plus importantes. Ces périodes correspondent aux phases
de germination, de floraison et de nouaison de la plante. Cette efficacité est
plus exigeante pour les sols dior que pour les sols deck ou deck-dior. Par
conséquent les pluies de l’ouest devraient être plus importantes que celles de
l’est pour compenser les insuffisances liées à la nature du sol. Et c’est
pourtant le contraire.
En second lieu, la répartition nocturne et diurne des précipitations peut
réduire les avantages de la latitude et affecter le développement des plantes
par défaut d’insolation suffisante. Bien qu’un temps nuageux, le jour, ne soit
pas forcément annonciateur de pluies, il n’en a pas moins un impact sur le
développement de la plante du fait de la réduction de la durée de
l’ensoleillement.
La durée de l’insolation est souvent en corrélation avec la répartition
nocturne/diurne de la pluviométrie. Les pluies diurnes diminuent la
durée de l’ensoleillement.
La récurrence de telles pluies dans la saison peut être préjudiciable au
développement de l’arachide et du mil. Ainsi, le déséquilibre entre pluies
nocturnes et pluies diurnes peut déterminer une discrimination dans la
production entre deux saisons , même si les hauteurs de pluies sont bonnes :
c’est le cas observé ces deux années 2000 et 2001 dans la station de
Ndande.
Des relevés de la pluviométrie des années 2000 et 2001 permettent
d’observer cette situation.
Tableau n°3 Relevé des pluies du jour et de nuit de l’année 2000 et l’année
2001

2000 2001
Mois jour nuit jour nuit
Juillet 11,5 31,6 63,5 34,4
Août 23,9 101,2 64,7 136,8
Septembre 5,6 136,3 29,2 174,9
Octobre 39,9 100,6 29,3 15,8
Cumul 80,9 369 186,7 361,9
Source : CERP Ndande 2002
2000

160
140
120
100
jour
mm

80
nuit
60
40
20
0
Juillet Août Septembre Octobre
Mois

2001

200

150
jour
mm

100
nuit
50

0
Juillet Août Septembre Octobre
Mois

Source des données : Centre d’Expansion Rurale Polyvalent de Ndande.

Globalement la pluviométrie est bonne, mais la répartition diurne / nocturne


ici déséquilibrée peut annuler l’effet bénéfique de la hauteur des pluies sur les
cultures.
En effet, l’année 2000 avec une hauteur de pluies de 479,9 mm a donné de
meilleures récoltes que celle de 2001 plus pluvieuse avec 558,6 mm. Cette
dernière année a été jugée catastrophique du point de vue de la production
agricole4. Les pluies diurnes sont moins bénéfiques à la plante puisqu’elles
empêchent un bon ensoleillement et diminuent sa durée.

4
il nous paraît nécessaire de relativiser l’effet des pluies de jour ; un autre facteur est nettement décisif dans la
production, c’est l’importance des surfaces emblavées qui a nettement diminué en raison de la mauvaise
organisation de la commercialisation en 2000. Celle-ci a connu une forte perturbation du fait des bons impayés.
Au contraire, les pluies de nuit ont un effet inverse et sont plus favorables à la
végétation et particulièrement au mil.
A terme, une bonne pluviométrie n’est pas forcément synonyme de bonnes
récoltes. Du fait de cette situation confuse qu’offre la perspective des saisons
de pluies en terme de corrélation entre hauteur de pluies et résultats sur la
production, les populations ne cèdent jamais à l’optimisme euphorique, ni au
pessimisme fataliste. Il y a plutôt une conviction partagée : les hivernages
sont imprévisibles et incertains : ils se suivent et ne se ressemblent jamais.
Les populations distinguent aussi un hivernage de sols deck et un hivernage
de sols dior reconnaissables à l’importance de la pluviométrie.
Les types de pluies et la nature des sols peuvent constituer des facteurs
discriminants de la production. En effet, lorsqu’elles interviennent au début de
l’hivernage, les averses peuvent être compromettantes pour le
développement des plantes de mil poussant dans les sols dior et
bienfaisantes dans les sols deck-dior. D’autre part, le mil est plus vulnérable
que l’arachide dans les sols appauvris du fait qu’à l’inverse de cette dernière,
il est incapable de s’approvisionner directement de l’atmosphère pour ses
besoins en azote. La plante de mil dépend uniquement de l’azote du sol et
exige pour un bon rendement des sols riches ou enrichis à la fumure
organique ou minérale. Mais le mil et l’arachide sont les deux plantes
essentielles du système de culture wolof : elles se relayent aussi sous la
forme de rotation biennale.
Ainsi donc, l’incertitude pluviométrique indique la précarité dans la production
agricole et affecte même celle des essences arboricoles de cueillette qui joue
un rôle d’appoint dans les revenus ruraux.

Les données physiques avec la nature du sol et la topographie contribuent à


la délimitation et à la spécialisation des terroirs par l’homme : le bassin
arachidier qui plafonne au nord avec l’isohyète 400mm ; les terroirs
pastoraux ; les terroirs des Niayes dont l’exploitation commence avec
l’émergence des villes.
Mais malgré ces contraintes, les populations ne se découragent jamais et
maintiennent leur activité agricole. Le facteur humain apparaît donc comme
déterminant dans la naissance et le développement du bassin arachidier.
Il présente en compensation des facteurs physiques un atout important à
étudier.

I.1. 2 Le facteur humain

Le facteur humain est à la base des facteurs politiques et historiques qui


déterminent l’organisation de l’espace, sa territorialisation et sa dynamique.
Le facteur humain est le produit de l’histoire et de la géographie.
La situation de la région à des latitudes qui l’exposent à une certaine
marginalité et à la précarité de la pluviométrie n’a pas empêché les autorités
coloniales d’y développer le premier bassin arachidier. Ce ne sont certes pas
des atouts liés au site qui ont déterminé ce choix. Ce sont plutôt des
avantages comparatifs liés à des facteurs humains endogènes et exogènes
réunis par l’histoire et la géographie.

1.2.1 Les avantages de situation

La situation récente de la région a été la proximité avec Saint-Louis, la


première capitale de la colonie du Sénégal. Située seulement à 70 km au
Nord de Louga, elle abrite aussi les sièges des maisons commerciales
bordelaises et marseillaises. D’une part, cette proximité facilite la mobilisation
du commerce car la région qui n’est pas une « terra incognita » permet, en
plus, de recycler l’embryon d’infrastructures commerciales et l’expérience
marchande tirés de la traite de la gomme arabique.
D’autre part, Cette situation de proximité permet la sécurisation et l’extension
des zones de cultures et des activités de commerce en premier lieu, puis en
second lieu la pacification de la zone et la construction du chemin de fer
Dakar- Saint-Louis : facteurs déterminants pour le développement et
l’exportation de la production arachidière.
Mais, seuls, ces facteurs locaux paraissent inefficaces sans l’apport d’un
autre héritage relevant de la situation ancienne.
En effet sans l’apport des caravaniers mauritaniens, des maillons
indispensables allaient manquer à la chaîne de production et de
commercialisation de l’arachide : car ce sont ces derniers qui devaient pallier
l’insuffisance des voies de communication moderne pour relier les zones de
production et les points de collecte en particulier avec les escales situées sur
l’axe ferroviaire. La présence de ces caravaniers dans la région remonte à
l’ère précoloniale et s’explique par les relations qu’entretenait la théocratie
religieuse de la province cayorienne du Ndiambour avec leurs
coreligionnaires musulmans du Trarza mauritanien. Ces liens séculaires
auraient scellé des relations d’échange dont la trace au sol est une piste
passant par la langue de Barbarie.

En plus de la levée de la contrainte des transports de la graine, les maures


vont participer au développement du commerce local dans les escales et les
campagnes de la zone. En outre, on leur doit la présence de cette main-
d’œuvre nombreuse formée de maures noirs, les « harratines »,5 spécialisée
dans la manutention avec le chargement et le déchargement des sacs
d’arachide apportés par les animaux de bât et les camions.
Les maures noirs ont ainsi apporté une touche ethnique à la filière
arachidière. En se spécialisant dans la manutention, un maillon indispensable
qui permet une bonne rentabilité du chemin de fer, ils complètent ainsi cette
répartition des tâches dans la filière arachidière. Ce qui reflète les contours
d’une division plus ample du travail qui caractérise le mode de production de
la société wolof.
Avec l’émergence de l’arachide comme culture de rente et l’avènement
consécutif du bassin arachidier, le facteur humain se diversifie et la division
du travail spécialise aussi bien les hommes que l’espace.

Le développement spatial de la culture arachidière passe par la construction


d’un espace colonial taillé progressivement dans un espace traditionnel. Cet
espace colonial est par la suite réorganisé et équipé pour sa mise en valeur.

5
Ces maures noirs ou haratines sont différents des chameliers de couleur blanche convertis plus tard dans le commerce de détail ;
ces haratines ont leur quartier à Kébémer dénommé Gade ga .
Il s’ensuit une sorte de sélection parmi les acteurs locaux ceux qui sont
potentiellement aptes à jouer le rôle de leader et d’encadrement de la société
pour la production arachidière et sa commercialisation. L’étude de
l’organisation de la société nous permet de les identifier.

I. 1. 2 .2 Le mode de production « ceddo » dans la société wolof

L’ethnie wolof constitue la majorité de la population du Vieux Bassin


arachidier et son mode de production y est dominant.
Le mode de production, se définit comme « un ensemble constitué par les
forces productives et les rapports de production qui à chaque étape de
l’évolution sociale, traduit un état de la société » (Dictionnaire économique et
social, 1975). Son étude dans la société wolof donne lieu d’une part à
l’identification des forces productives que l’on peut déceler dans les
structures de la société, et d’autre part à la connaissance des rapports
sociaux. Les études sur la société wolof font souvent mention de sa double
structure en ordre et en castes.
La société wolof est structurée en castes. Le concept de caste est l’objet de
plusieurs études et controverses, mais nous en retiendrons l’approche qui
nous parait la plus plausible. La caste se confond selon Panoff et Périn (cités
par Diouf, M) à chacune des catégories sociales (composant la société)
séparées par le sang, l’hérédité, l’endogamie et la spécialisation
professionnelle.
Dans la société wolof, ces castes sont celles des géers, et des n éen o. Les
géers constituent la classe paysanne produisant la nourriture, la subsistance
base de reproduction physique de la société. Les n éen o constituent la
caste des « Sab-lekk » ou ceux qui vivent de leur parole et les « jeff-lekk »
vivant de leur travail (manuel) en l’occurrence les artisans. Le fait que les
géers ne sont pas compris dans cette dernière caste atteste d’une certaine
réalité. En effet les géers sont de loin la caste la plus importante du point de
vue numérique puisque étant la base productive d’une société agricole dans
un contexte marqué par l’archaïsme des moyens techniques de
production. La supériorité numérique résulte aussi du fait du dynamisme et
l’ouverture de la caste des géers.
Cette situation s’explique d’abord par l’intégration dans cette caste de la
minorité garmi formée de l’aristocratie guerrière éligible au pouvoir. Mais elle
intégre cette dernière catégorie avec toute sa soldatesque pour la plupart
formée d’esclaves ou jammi-buur. Cette évolution résulterait sur le plan
spatial du partage d’une même concession entre les deux catégories (à
l’opposé des griots qui séparent leur concession et celle de leurs esclaves).
Ensuite les nombreuses migrations venues d’autres comme celles du Diolof
et du Saloum. Cette supériorité numérique des géers dans une société
caractérisée par l’endogamie condamne les autres catégories sociales dans
une marginalisation de fait
La caste des griots assure la reproduction de la société par la mémorisation
de l’histoire de la société et le rappel des lignages pour maintenir les
institutions, les rapports entre les différentes castes et de la division sociale
du travail. La caste des jeff-lekk ou artisans est maîtresse dans l’art du travail
du fer et du cuir. Ce sont les forgerons et les cordonniers respectivement
spécialisés dans la fabrication des armes et des instruments aratoires
destinés à la production et la cordonnerie pour la production des effets en
cuir.
Ces castes de la société wolof ont été remodelées par l’histoire avec
l’introduction de l’islam et les opportunités de réinsertion économique offertes
par l’ère moderne. Cependant malgré ces évolutions la société wolof
demeure une société inégalitaire mais solidaire puisque cette spécialisation
dans l’économie de subsistance entraîne des échanges internes de services
La société wolof est aussi une société agricole. La mystique du travail est une
viatique exprimée par des mythes comme celui de Demba War, ce prototype
du brave cultivateur, défricheur et producteur inlassable qui sert de référence
au paysan.
L’exploitation agricole est perçue comme un espace de bravoure et de
compétition où l’on chante les louanges d’un producteur inlassable au son
des tam-tams et au rythme particulier du « taaxurane » un folklore des
travaux champêtres. C’est aussi un espace de solidarité où s’exprime la vie
communautaire sous forme d’entraide en prestation individuelle ou collective.
D’ailleurs ce n’est pas exclusivement dans le travail que se manifeste cette
synergie et cette solidarité.
Celles-ci se matérialisent aussi devant les épreuves dès la plus tendre
jeunesse au sein des classes d’âge dans le cadre de rites initiatiques6
regroupant toutes les castes.

L’aptitude des castes par leur savoir faire dans le secteur de la production a
été soulignée par certains auteurs : « la connaissance des techniques
agricoles et artisanales permettent la pratique d’une agriculture de
productivité assez élevée pour satisfaire aux besoins alimentaires
nécessaires à l’entretien et à la reproduction de ses membres ainsi que la
répétition du cycle agricole …. » (Meillassoux, Cl ; cité par Barry, B. :63 ;
1988)7
La structure en castes de la société est donc un facteur favorable au
développement de la production agricole. Elle facile l’articulation de la division
internationale à la division locale du travail.
Cette séparation en castes a donc une explication économique mais elle a
aussi une explication politique ou historique. Sur le plan politique et
historique, la structuration de la société en castes serait le résultat d’une
évolution qualitative de la communauté. Elle serait consécutive au passage
de la société wolof à une forme d’organisation supérieure : l’Etat.
L’émergence de l’Etat dans la société wolof expliquerait non seulement la
division du travail mais aussi la structure en ordre.

Les rapports de production quant à eux, s’exercent au sein de la structure en


ordre de la société wolof
6
En dehors de ces considérations professionnelles qui montrent la complémentarité des castes, il est à noter que le
niveau d’interdépendance entre castes dépasse ce cadre de la division du travail pour aller à niveau
encore plus élevé des aptitudes intellectuelles. Chaque famille Garmi (éligible au pouvoir) a sa famille
de griots dans laquelle elle choisit la première nourrice qui doit allaiter leurs enfants avant leur propre
mère. Par cette opération la famille garmi espère doter leur progéniture de l’intelligence et la capacité
de mémorisation, des aptitudes intellectuelles indispensables à la gestion du pouvoir. Ainsi, on parle de
« Géwelu judde » ou griot de naissance et de l’autre côté de guer de naissance. Les classes d’âge toutes
les castes confondues y sont représentées subissent ensemble les épreuves initiatiques comme la
circoncision6 ou case de l’homme ; ce qui constitue un premier compagnonnage avant celui de la
colonisation de l’espace à travers la fondation de nouveaux villages. Ces fondations villageoises tentent
ainsi de reproduire comme un clonage cette société villageoise d’origine en y réunissant la classe d’âge
du nouveau fondateur en l’occurrence, le fils du chef.
Les autres ethnies sont également bien intégrées dans le pouvoir comme le montrent les titres de Ardo
de Naaarou buur (le maure du Souverain) et dans la division du travail (c’est le cas des boisseliers
réservés au laobé d’éthnie peul ). etc..

7
Boubacar Barry : La Sénégambie du XVé au XIXé siécle : traite négrière, islam, conquête coloniale,
432p. , Editions Harmattan. Paris 1988
La structure en ordre correspond à l’organisation politique de la société. En
effet, elle renvoie d’une part aux statuts des individus en divisant la société
entre hommes libres et captifs et d’autre part aux institutions politiques dont
les tenants contrôlent le pouvoir et les moyens de production. Ainsi, les
différentes castes guéers et n een o se composent des hommes libres ou
« gor » ; les captifs ou « jaam » constituent une classe servile à la disposition
des « gor ».
Mais au sommet de la société politique figurent les familles « garmi »
(aristocrates) ou familles guerrières dont les membres sont les seuls éligibles
au sommet de l’Etat. Les « gor » ainsi constitués peuvent disposer de
captifs ou « jaam » qui se mettent à leur service dans les activités de
production ou dans l’exercice de l’autorité politique.
Ces « jaam » ou esclaves servent ainsi tantôt de forces productives pour les
membres de la société civile tantôt de soldats pour les garmi. Les captifs des
familles garmi sont dénommés « jammi buur » ; ils comprennent les esclaves
de case séparés entre esclaves de la lignée paternelle (jammi néek baay) et
ceux de la lignée maternelle (jammi néek ndey). Ces derniers, en vertu du
caractère matrilinéaire du statut de l’individu sont plus déterminants à tout
point de vue : par leur effectif, leur équipement et leur motivation ils peuvent
être déterminants dans l’accès au pouvoir politique et à son contrôle. C’est
par la guerre que souvent l’on parvient et l’on se maintient au pouvoir. Car, si
dans la société civile agricole constituée par les géers, la terre constitue la
base du pouvoir économique et d’un statut social respectable, chez les
garmi, c’est le pouvoir qui donne accès au pouvoir économique et à la
plénitude du statut de garmi. Ce pouvoir s’acquiert souvent et se maintient
par le nombre de captifs et d’alliés rompus à la guerre.
Dans cette logique de guerre pour le pouvoir, les familles garmi cherchent
donc des alliances. Ainsi, en plus de cette armée d’esclaves, elles ont à leur
service une importante clientèle politique constituée surtout des artisans, des
griots, des chefs religieux ou marabouts et d’autres membres de famille garmi
ou de guerriers d’origine étrangère (Diolof, par exemple).
Parmi ces derniers, figurent les guerriers maures appelés « Naaru Kadioor »
ou Maures du Cayor dont l’arrivée dans la zone remonterait à la formation du
Guet par Guédo Guet un prince venu du Diolof et qui aurait établi sa capitale
à Sagatta Guet (Ba, 1998.)
Dans ces guerres fratricides ou dans les conquêtes de territoires étrangers,
le souverain trouve l’équipement de son armée chez les artisans forgeron et
cordonniers. Sa propagande et ses missions sont confiées aux maîtres de la
parole, les griots galvanisateurs des troupes. A côté d’eux se trouve l’ordre
des marabouts Sérigne Fak-Taal (enseignant la religion musulmane) et
Sérigne-lamb ou féticheurs spécialisés dans la production de talisman8 pour
la protection et le prestige personnel du Prince.
Cette alliance avec les familles garmi était toujours payée aux différents alliés
en cadeau de natures diverses allant de don en esclaves à des domaines
fonciers. Les relations entre le pouvoir monarchique et les différentes
catégories sociales avaient déterminé la configuration de l’habitat et celle
des terroirs.

I.1.1.3 Habitat et terroirs dans la société wolof : structures et


évolution

L’habitat de la société wolof est le reflet de son mode de production.

I.1.1.3.1 l’habitat ceddo: forme et structures

Avant, l’introduction de l’arachide comme culture de rente, l’habitat se


caractérisait par le règne sans partage de la campagne organisée en villages
groupés et structurés.

8
les spécialistes de ces talismans connaissent une répartition spatiale que Amadou Cissé Dia évoque
dans son livre : « Le chemin de l’honneur ». il s’agit de « Dakkou Ndame (de Ndame), Khappou Kébé
(de Kébémer) ; Sidé Tobi (du village de Tobi) » On y ajoute Koungou Ndiaré . ces talismans
permettaient selon la légende l’invulnérabilité dans les champs de bataille et donc une invincibilité
certaine.
I.1.3.1.1. Caractéristiques de l’habitat ceddo : une campagne
groupée
L’ancien royaume du Cayor qui abrite notre zone d’étude était à l’ère
précoloniale une zone d’immigration : il a joué un rôle d’exutoire pour les
populations des différentes contrées.
Il a servi de zone de repli aux populations du Diolof et notamment pour les
familles princières en disgrâce ou en situation de conquête du pouvoir.
En effet, la toponymie des contrées montre que le processus de peuplement
du Guet et du Ndiambour était ponctué par l’installation de différentes
colonies étrangères venues d’horizons divers. La toponymie des contrées
comme celle du Guet et du pays Andal d’une part, les patronymes Ndiaye et
Mbengue venus tous du Diolof, des Ka venus du Sine et des Kébé venus de
Bakel, ainsi que les motifs de leur migration attestent du rôle de zone
d’accueil des lieux. Mais malgré ces afflux de population, l’habitat n’a pu
dépasser le stade de campagne. L’absence de villes s’explique selon certains
auteurs par différents facteurs : la situation géographique et ou l’absence
d’activités commerciales. Pour le premier point de vue, on peut se référer à
Pasquier qui affirme que : « la civilisation rurale du Sénégal, à l’écart des
grands courants commerciaux sahariens était incapable de donner naissance
à un organisme urbain… »9 (Cité par Lombard : 135 ; 1963)
La seconde explication est donnée par Dolfus : « Historiquement, les villes
n’ont pu naître et se développer que lorsque les campagnes sont parvenues
à dégager un surplus productif permettant de les ravitailler et que la division
du travail a donné naissance à des activités qui n’étant plus liées directement
à la production agricole, avaient avantage à se grouper à l’intérieur d’une
agglomération. » (Dolfus : p 95)
Il résulte de ces deux points de vue, l’incapacité de la civilisation rurale locale
d’évoluer vers la formation de villes. Cette incapacité a pour fondement
l’absence d’une économie d’échange, faute de surplus dégagé et
commercialisé.

9
la localité de Niomré telle qu’elle a été décrite dans la littérature pouvait être considérée comme une
exception : « le plus beau village et le plus considérable des villages du Ndiambour », avec une
population de 5000 âmes et un commerce florissant. (voir à ce propos Ndiaye O..N. p 15)
Pourtant l’existence de la division du travail avec la spécialisation des castes
de la société wolof pourrait être une base de la production et de dégagement
des surplus pour les échanges.
Mais c’est apparemment dans la gestion monarchique ceddo que réside
l’obstacle au dégagement des surplus et le maintien de l’économie dans un
stade inférieur de subsistance.
Malgré l’existence de la division du travail, les surplus agricoles sont absents
pour deux raisons : en premier lieu, l’économie de subsistance qui
caractérisait la région peut être un élément explicatif de l’habitat
exclusivement rural du fait qu’il excluait toute préoccupation productiviste et
par conséquent la production de surplus.
En second lieu, et plus déterminante est la précarité liée à l’insécurité des
biens des paysans ou badolos dont les récoltes étaient ou pouvaient, à tout
moment, être l’objet de saisie ou de confiscation par le souverain. Cette
insécurité n’encourageait pas la production de surplus. En effet, l’Etat
monarchique prélevait ses moyens de subsistance sur le dos des paysans
non pas sous forme d’impôts proportionnellement à leur richesse, mais sous
la forme de « lël » ou expropriation. Le « lël » consistait à s’emparer par la
force d’une partie ou de la totalité des biens des paysans : récolte ou bétail.
Cette pratique ceddo est attestée par la toponymie de certains villages dont
celui de Mbelgor

Le village de Mbelgor est créé depuis de l’ère monarchique. Situé à 5 km à


l’Est de Kébémer il est un modèle typique de village traditionnel. En effet
selon la tradition orale, Mbelgor est composé de « Bel » signifiant le troupeau
du Damel, et « goorna » voulant dire « est accroupi ». En somme le site de
Mbelgor servait de parc pour le troupeau du Damel souverain du Cayor. En
fait, ce n’est pas que le Damel fût un grand éleveur, mais c’est à la suite de
pillage des paysans ou pasteurs par les soins de ses ceddo qu’il avait
amassé ce butin.
Une telle pratique appelée « lël » en wolof était courante : l’autorité politique
monarchique procédait ainsi afin d’assurer sa survie et celle de sa cour
constituée de courtisans et de captifs servant de soldatesque pour la sécurité
personnelle du Damel et de son pouvoir.
L’occupation de l’espace obéissait à la logique du pouvoir ceddo : la pratique
des « lel » et le clientélisme politique déterminaient l’habitat.
L’insécurité consécutive à cette pratique du lël a par ailleurs déterminé les
caractéristiques de l’habitat traditionnel ou ceddo.
Le clientélisme politique nécessaire au maintien du pouvoir a déterminé la
formation de catégories sociales privilégiées devenues des pôles humains
dans l’occupation de l’espace.
L’étude de la toponymie (et de la typologie) pourrait permettre de mieux
apprécier les pratiques politiques de la monarchie dans le domaine de
l’habitat et du foncier et partant le partage inégal des terroirs.
Le caractère groupé de l’habitat résulte de l’insécurité consécutive à la
gestion du pouvoir monarchique. La violence étatique instituée en règle de
gestion s’expliquait pour des raisons de survie. Mais, il en résultait de la part
des paysans (badolos) une stratégie d’alliance avec de fortes personnalités
elles-mêmes amies du pouvoir.
En effet, en réaction au pillage des ceddos, les badolos tentaient de
répliquer par une stratégie de défense passive en recherchant la protection
de notables ceddo ou maraboutique. Cette stratégie consiste, pour le badolo,
à une répartition de sa progéniture entre les marabouts et les ceddo pour
s’attirer leurs bonnes grâces : une partie des enfants, est envoyée comme
courtisans (dag) chez les ceddos , une autre comme disciples (talibés) chez
le marabout . Avec ce pacte d’alliance et ce lourd tribut payé le badolo est
sécurisé, il se contente alors du reste de la famille pour organiser ses
activités productives.

Cette pratique stratégique des badolos fait des chefs religieux et des
guerriers ceddo un facteur de polarisation humaine, et explique le
groupement de l’habitat.
Pélissier décrit ainsi cet habitat qui a gardé cette structure groupée depuis
l’ère monarchique. Il écrit : « …chaque village formait alors une
agglomération groupée au milieu d’une clairière cernée par des réserves
forestières. Outre le rôle que jouaient les « chefs », aristocrates, sérignes ou
guerriers, comme agents de polarisation spontanée ou forcée, des motifs de
sécurité incitaient partout les paysans à se rassembler en villages aussi
peuplés que possible. De plus, l’économie de subsistance facilitait
l’agglomération de l’habitat, la surface cultivée par individu étant très
sensiblement inférieure à celle dont ont aujourd’hui besoin des producteurs
d’arachide qui continuent à satisfaire, dans la mesure du possible, leurs
besoins en produits vivriers. »
Cet habitat était caractérisé, d’une part, par la disposition des maisons selon
le mode de production : la structure en castes et la structure en ordres, et,
d’autre part, par la structure politique en villages vassaux et villages
indépendants ou adverses.

I.1.3.1.2 La structure de l’habitat CEDDO

L’habitat ceddo est caractérisée par sa double structure : une structure en


fonction de la division du travail et une structure politique (carte n°6).

I.1.3.1.2.1. Une structure qui reflète le mode de production

La structure de l’habitat ceddo peut s’analyser à deux niveaux : à l’échelle


villageoise et à l’échelle du « pays ».
A l’échelle villageoise, le mode d’occupation de l’espace révèle une double
structure : la disposition des concessions se fait selon un ordre de préséance
et de légitimité.
Le village ceddo a une double structure : une structure sociale bigarrée et
une structure éclatée et ordonnée.
A l’échelle de ce village, sont représentées toutes les castes qui en
constituent le noyau dur (ou de référence). Dans les agglomérations
villageoises, les concessions sont disposées selon un ordre de préséance
suivant une direction ouest-est.
A l’Ouest, se trouve, la concession de la famille garmi qui dirige la
communauté : la famille garmi pour certains établissements ruraux qui ont été
démultipliés pour des raisons d’indépendance ou de responsabilisation du fils
du chef ou géer se trouve à l’ouest ; elle englobe en son sein ses propres
esclaves dans un enclos (ou wanak) et peut constituer ainsi une grande
concession ; devant elle, à l’est, se trouve la concession de la famille du
griot.

Les esclaves de la famille griotte ont par contre une concession à part
(ngallo) située encore plus à l’est de celle de leur maître.
Autour de ce noyau peut se greffer d’autres concessions attirées par la
polarisation humaine du chef de l’agglomération ou par des liens de parenté
avec les habitants. Ces différentes castes d’hommes libres qui constituent le
noyau dur de l’établissement se partagent aussi le terroir ou finage reconnu à
l’établissement.
La configuration de l’établissement montre alors un groupement des
exploitations et une dispersion des maisons : chaque exploitation ayant en
son sein les maisons des exploitants.
Carte n°6 : Schéma de village wolof ceddo selon une adaptation d’une
carte de Rousseau (cité par J. Lombard : 1963, 42) par Bara Mboup
après enquête dans la zone d'étude)
Il est plausible de penser qu’avec une distribution aussi lâche des maisons,
de grands villages puissent occuper de grands espaces difficiles à gérer
politiquement et socialement
(Cette tradition maintenue jusqu’à l’indépendance a dû pousser l’Etat à
demander un alignement et un regroupement des villages pour une bonne
distribution des équipements et une bonne gestion de l’espace).
Avec un tel mode d’occupation de l’espace comment imaginer la taille de la
capitale du Cayor : Mboul10, gros village qui selon la tradition orale comptait
trente trois carrés ?
La volonté de créer un réseau de villages d’allégeance est d’autant plus
nécessaire que l’espace est disponible et de faible densité (qui peut expliquer
aussi cette forme lâche d’occupation de l’espace) et occupé sans cesse par
des étrangers. La formule, qui consiste à léguer des terres à ses
descendants ou ses clients politiques au-delà de leurs besoins réels, peut-
être interprétée comme un moyen de l’ordre monarchique de promouvoir ses
partisans en vue d’un contrôle de l’espace. A ces partisans, il fut donné des
droits fonciers qui leur confèrent une préséance politique et économique et en
tant que maîtres de terres leur permettant de jouer le rôle de relais dans le
réseau d’allégeance.
Ce réseau d’allégeance pouvait englober les étrangers qui en principe ne
détenaient pas de droit foncier.

Ainsi donc, la multiplication des villages et l’occupation de l’espace obéissent


à un mode de reproduction de l’espace ceddo. Elles s’expliquent de prime
abord par des raisons démographiques en raison de l’équilibre nécessaire

10
Le village de Mboul alors capitale du Cayor serait composé de 33 keurs ou concessions. Mais
puisque chaque concessions pouvait comprendre plusieurs ménages en raison de la structure familiale
de type élargi qui caractérisait l’époque . A ce propos, Abdoulaye Bara Diop témoigne : « Dans nos
enquêtes , en milieu rural, nous avons recensé 20 familles sur 908 qui avaient plus de 40 membres :
nous en avons même rencontré une qui faisait 125 personnes vivant toutes dans un seul carré »
(DIOP.A.B. : 222 ; 1970) –Parenté et famille wolof en milieu rural ; Bulletin de l’IFAN. T.XXXII , sér.
B, n°1, 1970 ; pp217-229
entre la taille optimale des établissements humains et le rythme de
renouvellement des générations. Ensuite le contrôle du territoire par un
réseau de villages vassaux se présente comme un moyen pour le pouvoir
monarchique de contenir sans préjudice l’immigration et la menace
extérieure.
Il en résulte une redistribution des terres à la naissance de nouveaux villages
et la division du territoire en finages ou en terroirs inégaux. Cette
redistribution de terres ne concerne pas tous les villages. Il y en a qui n’en
disposent pas et dépendent de ceux qui en sont lotis, pour leurs activités
agricoles.
La sélection duplication des villages du Cayor est sans doute à l’origine de
cette tradition des migrations des cadets pour d’autres horizons faute de
terres disponibles sur place pour tous les membres de la famille.
Ces villages se multiplient du fait de la reproduction spatiale du pouvoir ceddo
ou d’une volonté de contrôle territoriale de l’espace par un réseau de villages
vassaux. C’est en réalité des villages structurés, une société en miniature
comprenant toutes les représentants des castes de la société. Ils constituent
ainsi des unités de production autonomes.
La campagne issue de l’ordre monarchique a une double structure : une
structure en castes et une structure politique.
La typologie des villages dépendant du pouvoir monarchique révèle un
certain nombre de villages de contenus sociologiques ou professionnels
différents :
- les villages ceddo : villages fondés par les garmis : c’est le type par
excellence de village traditionnel, avec souvent le nom de Fall : Ndaye Fall,
Thiolom Fall, Palméo Fall, etc.
- Les villages de forgerons : les villages de Kabdou, Khalmbane, Teug
Ndogui, Teug Niang. Ce sont des villages disséminés à travers le royaume
pour sans doute des raisons de marché (Pélissier) mais aussi pour des
raisons stratégiques car leur localisation et leur distribution dans l’espace
seraient déterminées par la volonté du Souverain de les protéger contre
l’ennemi. Cela justifiait également leur récompense en vastes domaines pour
services rendus au pouvoir puisque ce sont eux les forgerons qui
produisaient l’arsenal de guerre du Damel. Ils jouaient aussi le rôle de
« ngamane » ou chirurgien pour la circoncision.
- Les villages de marabouts : ils étaient nombreux. La plupart étaient surtout
concentrés dans la province du Ndiambour : Coki, Niomré, Bakhia Dia, Ndia,
Ndiaré, etc.
- Les villages des Naaru Kadioor ou maures assimilés ou wolofisés ont pour
nom Amar, Diakhoumpa, Sady, Sougou, Diagne, etc. Ces villages portent le
nom de Gade : Gade Affé ; Gade Kébé, Gade Niandoul.
Ils ont aussi des toponymes divers dont certains portent le nom de famille du
fondateur comme Ndiakhoumpa (domicile des Diakhoumpa), ou Kilimane ou
Wadane Sougou. Une partie de cette communauté maure se réclame
descendants des « Ançars » : compagnons de lutte du Prophète Mohamet ;
en conséquence, leurs dignitaires réclament un statut de chefs religieux.
- Les villages de griots : ils sont moins nombreux. Les griots sont souvent
dans les villages des ceddo ou des marabouts du fait de leur rôle de
communicateur, de médiateur dans la communauté mais aussi de gardien de
la tradition. On peut citer l’exemple de Pékhe Tall situé entre Guéoul et
Kébémer.
- Les villages de paysans : ils sont les plus nombreux ; d’après leur
patronyme et leur propre généalogie , ils comprennent des migrants venant
d’autres territoires. Certains d’entre eux appartiennent à des aristocraties
déchues du Diolof : c’est le cas de Ndangour Ndiaye et de Andal Ndiaye.

I.1.3.1.2.2.La dimension politique de la structure de la campagne

En plus de ces aspects de groupement et de structuration selon la division


sociale du travail, l’habitat présentait un caractère politique que révèle la
typologie des villages.
Le caractère politique de l’habitat est marqué par sa structure en villages
vassaux du pouvoir et en villages adverses. Les premiers abritent des
populations acquises au Pouvoir « ceddo », ce sont des villages nés de la
reproduction de la clientèle politique pour apparemment des fins de contrôle
du territoire. Les villages adverses sont créés par des étrangers ou par des
militants des partis opposés au régime.
Les villages partisans du régime ont de vastes terroirs et ont sous leur
contrôle un finage qui abrite d’autres villages ou hameaux hôtes ou étrangers.
Ces villages vassaux sont très souvent les villages ceddo, les villages de griot
ou de forgeons et ou de marabouts.

En plus de leurs vastes terroirs, les établissements ceddo disposent du droit


exclusif d’expansion qui consiste à installer sur d’autres terres les nouvelles
générations lorsque s’annonce la menace de rupture de l’équilibre entre le
terroir et le surplus démographique du village.
Cette expansion spatiale permet au régime ceddo un contrôle strict du
territoire par le biais d’un réseau de villages vassaux : c’est le cas de
plusieurs villages ayant le patronyme de Fall : Ndaye Fall, Ndiaby Fall,
Palméo Fall, Thiolom Fall, Ndatt Fall, etc…
Ces villages vassaux sont souvent ceux créés par les ressortissants des
villages anciens sous la direction du fils du chef. Ils sont, par leur structure, la
duplication des villages anciens avec la présence de tous les castes : gers
artisans et griots et leurs esclaves.
Le réseau de villages partisans du Damel comprenait aussi des
établissements de clients politiques et même des contrées entières. Par
exemple, selon la tradition orale, Guédo Guet aurait attribué à son lieutenant
Youkhimou Babou , toute une contrée baptisée Toundou Mérina. Située dans
la zone de Sagatta Guet, Toundou Mérina ou pays Mérina aurait hérité son
nom de Médine ville d’Arabie Saudite dont se réclament originaires les
Naaarou Kaddior. La plupart des villages Maures se trouvent dans cette zone
du Cayor.
A l’opposé, se trouvent les villages des adversaires politiques du Damel ou
de simples paysans qui souffraient de l’inégale répartition des terres des
terres.
Le mauvais traitement infligé à l’opposition du Damel avec la distribution des
terres et les représailles des ceddos aux dépens des familles ennemies ou
dans l’opposition s’inscrivaient dans la logique politique du Souverain.
Des exactions qui ont dû susciter la création de villages de refuge ou de
villages d’opposants dont certains se défendent par des tabous. Nous
proposons d’en citer quelques-uns à travers la typologie des établissements
humains dans le système monarchique.
Ces villages des opposants ou villages tabous sont nombreux ; on peut citer
les exemples de Thièye-thièye et de Gala Mbeingue ; Mbeinguène et Ndiaré
Ndiaye, Pallène ded et Gatty Rate (dans l’actuelle C.R. de Kab Gaye) ;
Gouye Méw, Dale Kâ, Pame, Chérif Kâ dans la C.R. de Ndande.
Ce sont aussi les cas des villages de Macka Diop ; dans la C.R de Thieppe
(où le totem du village, un serpent, est toujours présent à l’accueil
d’étrangers) ; Ngaye Diawar (Guéoul) ; Thieddy Niang (Bandègne).
Ce sont des villages (d’origine étrangère) qui sont opposés aux exactions
des ceddo et ont maintenu leur refus de payer l’impôt (même aux autorités
coloniales) et l’interdiction de l’accès de leur territoire à toute autorité politique
ceddo ou ses émissaires : les griots. Les contrevenants à leurs interdictions
de séjours encourent des sanctions mystiques pouvant aboutir à la
déchéance politique et même sociale.
Ainsi les villages partisans ont un patrimoine foncier très important sous
forme de finage à usage de terroir ; un terroir villageois dépassant largement
les besoins des habitants. Ce qui leur permet de mettre en location ou en
métayage la partie excédentaire. Beaucoup de villages de ceddo, de Naaru
Kadioor, de marabouts et d’artisans ou de griots ont des finages partiellement
transformés en terroirs villageois et qu’ils mettent à la disposition de paysans
géers qui sont obligés d’ajouter au ndalou, « l’assaka » redevance en nature
exigée par l’islam et prélevée sur la récolte et destinée en principe aux
nécessiteux. Ces droits offerts par les ceddo ont souvent été l’objet de
contestation et de conflit.

Ces dons fonciers peuvent aussi se faire au détriment des partis adverses
privés de terres au profit des partisans.
Quelquefois, ce sont des déguerpissements qui font perdre les droits fonciers
d’un village ou d’une communauté au profit d’autres. C’est le cas de
Mbodienne qui aurait disparu pour laisser naître le village de Ndiakhoumpa I
sur décret du Damel.
C’est la même procédure qui aurait confisqué les terres de la communauté
des Syllas pour abriter le village de Ndiakhoumpa II. Ces villages sans finage
dépendent des villages partisans pour leurs activités agricoles en contrepartie
d’une redevance ou « ndalou ».
Ce fut le cas entre Mbenguène village de marabout et Khalmbane village de
forgeron. ce dernier ayant bénéficié des largesses du Damel au détriment des
marabouts de Mbenguène ont menacé de leur puissance mystique le chef de
village de Khalmbane (version des ressortissants de Mbenguène)
Alors que les villages des opposants (qui se transforment en villages tabous)
ne disposent que de peu de terres de culture, les villages vassaux en sont
excédentaires.

Cette typologie à visage politique cache donc la structure foncière. Cette


double structure de l’habitat se répercute dans la taille des terroirs villageois
et la répartition des terres à l’intérieur de ceux –ci.

I.1.3.2. Structures des terroirs et structures foncières

Les terroirs de structures inégales donnent une campagne découpée en


forme de puzzle.
A l’image de la société dont la structure en castes et en ordres, et en
partisans et adversaires du régime ceddo, l’espace était découpé en terroirs
d’inégale étendue.
Les domaines fonciers11 ou « léw » distribués par le souverain n’étaient
jamais d’égales dimensions. Elles pouvaient dépendre de l’instrument de
mesure ou de l’importance de l’acte. Tout comme les droits pouvaient être de
différente nature.
La dimension du don en patrimoine foncier dépend souvent de l’importance
de l’acte à récompenser ou de l’instrument utilisé pour le délimiter. Ces dons
correspondent à différents droits.
- le droit de feu
Pour délimiter le Guet qui est toute une province attribuée à Guédo Guet, le
Bourba Diolof aurait allumé un feu et dit s’adressant à son petit fils Guédo :

11
Dans une économie agricole de subsistance, donc où les échanges ne sont pas monétaires, les
prestations sont payées en nature. La chose la plus précieuse est sans doute la terre.
« Le mode de production africain ou paysan, est caractérisé par une économie d’autoconsommation
villageoise à niveau très bas niveau de forces productives,…où la terre ...est le moyen de production
dominant, sinon exclusif11» ? Coquery-Vidrovitch.
« le territoire que je t’attribue s’étendra jusqu’à la limite du feu allumé ». Le
territoire ainsi délimité par le feu couvrira toute la zone allant de Sagatta à
Tivaouane sur un diamètre de 60 km.(Ba, 1998). Cela correspond sans doute
au droit de feu.

- le droit de galop
Le droit de galop est octroyé (au sein de ce droit de feu) par le souverain qui
utilise un cheval pour délimiter des étendues de terre à octroyer.
Les habitants de Mbelgor seraient les descendants des hôtes du roi du Cayor
vers le 16é siècle.

Recevant sur les lieux une colonie de peuplement venue du Fouta, le Damel
après avoir immolé un bœuf12 en l’honneur de ses hôtes leur fit aussi des
dons de terre délimités par un parcours à cheval. Les hôtes s’installèrent en
communautés autonomes séparées par leur terroir et solidaires à travers la
division sociale du travail que leur conférait leur caste respective. Les
descendants de ces hôtes du roi occupent des villages voisins : il s’agit de
Ndakhar Birima, village de ceddo ; Ndakhar Khab, village maraboutique ;
Ndakhar Mboubène village de griots et de Kouré Mbelgor, village de
cordonniers.
- le droit de hache
Les droits de hache sont souvent plus réduits. Ce sont des droits secondaires
offerts par les L
lamanes à des personnes dont le seul objectif est de dégager un espace à
usage de production.

D’autres droits ont été délimités à pieds en utilisant des repères creusés sur
le sol avec un instrument comme l’hiler ; un tel procédé a permis de donner à

12
Selon notre interlocuteur le bœuf fut tué pour aussi découvrir la structure du groupe. Celle-ci a été
découverte en interprétant le quartier de viande que chacun s’est approprié : le premier prend la tête
c’est le neeno, le second le bassin ,c’est le guide religieux, le troisième, le chef de la communauté (le
garmi) prend la poitrine (xalammi ).
un village son terroir et son nom : il s’agit de Tobi Diop situé à l’ouest de
Mbelgore.
Arrivé plus tard dans la zone, le fondateur dudit lieu n’a pu bénéficier que
d’une faible étendue de terre délimitée par des « toba »
Mais en dehors du feu, les terroirs les plus significatifs du point de vue de leur
étendue, sont délimités avec un instrument de percussion (un tambour, par
exemple).
Ce sont les cas des terroirs octroyés aux villages de Pekh Tall et de Teug
Ndogui.
L’exemple du village de Teug Ndogui paraît intéressant à étudier :
Le village de Teug Ndogui est un village de forgerons ; la fondation date de la
période précoloniale.
Pour avoir fourni à une Linguère (Reine) du Cayor tout l’armement lui ayant
permis d’arracher la victoire face à un ennemi du Baol, le fondateur du village
a reçu en récompense une contrée dont les limites ont été fixées par l’écho
d’un tambour : « les limites de ton domaine foncier seront celles où les sons
du tambour cesseront d’être perçus » aurait dit la Princesse Linguère au
maître forgeron. Installé sur les lieux avec sa famille, le chef de village va à
l’instar des ceddo vivre de lël ou de pillage des passants d’où son patronyme
de « Teug » ou forgeron et Ndogui : de « Dogalé » ou coupeur de route.
Pékhe Tall, village de griots possède un vaste terroir acquis dans les
conditions identiques à celles de Teug Ndogui. Son terroir (ou finage)
pourrait être plus étendu et englober le village de Ndangour Ndiaye au nord
de Guéoul sur la route de Louga n’eût été la vigilance d’un ressortissant de
ce village qui s’empressa de précéder toute l’assistance dans la localité de
Ndangour pour avertir les habitants de la décision du Damel d’avoir octroyé
aux habitants de Pekh Tall toutes les terres situées dans le périmètre où l’on
pouvait entendre le résonnement du tambour frappé depuis Pékhe. Cet
éclaireur aurait conseillé aux habitants de nier d’avoir entendu les sons du
tambour pour préserver leur droit sur leur terroir agricole.
Les terroirs sont pour la plupart identifiés et marqués par des plants de
« silanes » (euphorbe) leur servant de limites et qui laissent un paysage de
champs clôturés.
On peut tirer de ces exemples deux conclusions ou enseignements :
D’abord, les terroirs sont de calibre différent. Cette différence peut s’expliquer
à l’instrument utilisé pour sa délimitation : manuel (toba : petite crevasse
réalisée avec l’hiler ou le daba) ; moyen de locomotion (cheval) moyen
sonique (tambour).
Ensuite, la structure foncière d’un terroir se fait très souvent au détriment des
paysans et au profit des privilégiés constitués de la clientèle politique de la
monarchie ceddo : les chefs religieux; les garmi et les griots et les forgerons.
Enfin, à l’opposé , les paysans ou badolo , ceux à qui les terres sont mis en
location, sont victimes de représailles de la part de la monarchie et obligés de
payer des redevances aux ayant-droits légaux de la terre.
Cependant, le découpage des terroirs par la monarchie semble avoir plus
concerné les zones de Kébémer et de Sagatta.
Par contre dans les zones de Ndande et de Coki, l’affectation des terres et la
délimitation des terroirs sont restées une prérogative des lamanes13 ou de
leurs descendants.
Certains notables ruraux descendants de ces lamanes conservent encore
cette institution : c’est par exemple le cas dans la zone de Ndande où l’on
l’institution demeure à titre nominal même si la fonction a disparu. de la
même manière l’institution a survécu dans certains villages d’anciens
lamanes : comme le lamane Ndande, il y a encore Lamane Mbaka, Lamane
Parène, Lamane Palméo qui se trouvent dans la zone de Ndande ; les
lamanes affectent les terres aux exploitants en échange de ndalou, travail ou
assaka14.
Toutefois les découpages issus de ses distributions et l’existence de villages
sans terroirs font que les terroirs de certains villages abritent d’autres villages
dépourvus de tout droit foncier.
A la base de l’arrêt de cette fonction il y a la loi sur le domaine national
intervenu en 1964. Les lamanes en ont profité pour conserver les domaines
fonciers sur lesquels ils exerçaient une certaine prérogative et certains
13
A Ndande le titre de Lamane Ndande est toujours décerné ; l’actuel Lamane réside alternativement à
Dakar et à Ndande.
14
Cette situation persiste, et depuis l’introduction de la nouvelle législation foncière, les terres ne sont prêtées que
pour deux ans, afin de contourner la loi, en évitant de laisser sa terre une troisième année à l’exploitant qui
pourrait alors saisir la reconnaissance de droit d’usage que lui réserve le domaine national. L’application d’une
telle disposition a provoqué des bagarres rangées entre villages voisins.
paysans ont tenté à leur tour de confisquer les terres qui leur avaient été
prêtées par d’autres ; mais certaines tentatives de ce genre ont échoué après
une défense au prix du sang entre villages soucieux de conserver leur
solidarité et de défendre l’intégrité de leur terroir et les « usurpateurs ».
Des affrontements ont eu lieu entre les villages de Ndiakher (village ceddo
riche de l’étendue de son terroir) et des villages voisins situés aux alentours
de Ndande.
Ce découpage de l’espace en terroirs de différentes tailles est caractéristique
de notre zone d’étude. Ce mode d’occupation de l’espace sera encore rendu
plus complexe avec la monétarisation de l’économie et la lutte pour l’espace
de culture souvent arbitrée par les nouveaux pouvoirs installés par l’autorité
coloniale.
Ainsi de par leurs fonctions traditionnelles, certains notables ruraux ont hérité
de vastes domaines fonciers qui se confondent presque avec le terroir de
certains villageois.

Le passage de la culture arachidière de culture de subsistance à une culture


spéculative ne va pour autant se fonder sur la modification du système de
production de manière significative. En effet, le système colonial va épouser
le mode de production local en maintenant le système foncier et en
encourageant la production par le biais des notables ruraux détenteurs des
terres et des chefs religieux qui contrôlent une importante main-d’œuvre
docile et volontaire. Le pouvoir colonial trouvait dans cette structure sociale et
spatiale les éléments déterminants de sa stratégie de développement de
l’arachide. D’abord, il pouvait trouver les personnes ressources pouvant par
leur statut social servir d’encadrement pour la paysannerie, et en raison de la
répartition inégale de la terre en leur faveur cultiver de grandes superficies et
trouver parmi les sans terre un stock suffisant de main d’œuvre. Ensuite, la
structure en castes dotait la société de facteurs techniques lui permettant de
produire aisément.
Enfin, la structure de l’espace villageois avec le système de culture (tolkeur)
permettait une réalisation de la sécurité alimentaire facteur de stabilité
démographique de la campagne par la rétention des producteurs dans leurs
terroirs.
En plus du caractère groupé de l’habitat, le mode de production ceddo a
aussi suscité une structure foncière inégale qui a découpé la campagne en
puzzle de terroirs lié à la structure politique.
Toutes ces structures et caractéristiques de l’habitat viennent renforcer les
facteurs de mobilité déjà constitués par les contraintes physiques et montrent
la dynamique de l’habitat sous le régime ceddo.
La structure foncière actuelle et la formation des terroirs ou finages remontent
aussi dans une large mesure à l’ère monarchique.

Les villages partisans de l’autorité monarchique étaient bien servis en terre


alors que ses adversaires en étaient privés.
Sous l’ère de la nouvelle économie qui s’annonce avec l’économie
arachidière, quelle évolution de l’habitat et des structures foncières ?
Maka Diop
TRUCTURE DE LA CA AGNE: • •
Vil es sans terroir t Villa e avec terroir Sine Alter uolof· Keur Sidy Mbengue 1

• Taiba Amary Mbery


N kha Peulh
••• ail • ekh Tall
Ndiawagne Fall Ndiakha Fall
Dara Andal
• • • Mbatar Diop. • Thienaba
de Brama
Thioune 1
• Darou Kebe Teugu Ndo ui 1
• Madina Kane • ;L'=-~:':"":'~~~~~_./

Galla Mbengue • Ndakhar Birima


• Mbenguene Mbelgor

Gade Kebe Ndia

• Djinniakh
• • Koure Mbelgor
• NGATTE GAYE
• aar Gueye 1
• Gade Affe
• Ndiaby Fall • Khalmbane Sali

Thiey Thiey

• Tawa Fall herif Ka

• Dale
Gouye eo Pallreo

• Pame • oki Gueye

• Mb a Lo
• Pallene Ded

• Gaty Rat ;"",,""'iiiii....."""""""""..,;î;iiiiiiiiiiiiiii~6 Kilom e1ers


Source: DATI
Enquëtes Bara Mboup
I.1.3.3. L’évolution de la structure foncière : statut quo ou
réaménagement
L’habitat sous l’ère de la culture commerciale, les structures foncières vont
servir à des enjeux de pouvoir.
La transformation de l’arachide en culture de rente va t-elle alors remettre en
cause la structure foncière héritée de l’ère ceddo?
Avec l’agriculture de rente et la monétarisation de l’économie, une nouvelle
dynamique spatiale entre en jeu dans le bassin arachidier naissant. Cette
dynamique spatiale se traduit par une restructuration de la campagne et une
extension du bassin arachidier encadrées par les nouvelles autorités locales
et parrainées par les autorités coloniales. Celles-ci ayant fait leur choix sur
celles-là pour la réussite du projet de développement de l’arachide dans la
zone.

L’espace devient un enjeu qui tout en donnant un coup d’arrêt à la dynamique


spatiale de reproduction ceddo, épargnait les droits coutumiers déjà accordés
par l’Etat ceddo
Le maintien des droits acquis sur le plan foncier est lié à la reconduction de
ces notables qui assure la continuité du pouvoir local au profit de l’Etat
colonial ; ce dernier apportant des mesures de sécurité pour assurer et
encourager la production de l’arachide gage de la bonne marche de
l’économie de marché.
Cependant, la chefferie traditionnelle qui va succéder à cette monarchie, par
la volonté des autorités coloniales, va continuer à jouer dans la campagne un
rôle prépondérant dans l’affectation des terres et la conduite de la politique
clientéliste qui lui sert de moyen de contrôle de son territoire.
Le pouvoir colonial va même poursuivre cette politique précoloniale de
promotion des notables ruraux et des leaders paysans : les chefs religieux.
Ainsi, les chefs coutumiers vont autoriser la création de nombreux villages
auxquels ils vont affecter un terroir agricole avec le morcellement des terroirs
d’autres villages. C’est l’exemple des villages de Gade Mbrama, et de
nombreux autres villages de marabouts comme Madina Kane, Ndia, village
qui renaît de son site ancien après une longue disparition.
L’histoire de l’installation du village de Gad Brama dans son site actuel est
une illustration des prérogatives des chefferies traditionnelles reconduites par
l’Etat colonial et de la continuité des exactions ceddo contre les paysans.
En effet, avec l’autorisation de Thiéyacine Dié, alors chef de canton15 de
Thilmakha, le fondateur de Gade Mbrama allait s’installer dans le site actuel
en 1886 au lendemain de l’inauguration du chemin de fer.
Le fondateur de Gad Brama était un ressortissant de Mbenguène un village
situé à l’est de Kébémer et qui étouffait de l’exiguïté de son terroir. L’homme,
un pasteur qui possédait un grand troupeau voudrait un terroir où vivre
tranquillement avec son bétail. Selon la version du fils du chef du village, il
aurait fait une offre d’une partie de son bétail au chef coutumier, et ce dernier
lui a donné l’autorisation d’occuper une poche du territoire. Mais il fut averti
du risque qu’il encourait compte tenu de la situation de la bande de terre qui
lui est offerte de se faire entourer de ceddo. Le risque est d’assister
impuissant à la préhension d’une de ses bêtes par ses cohabitants ceddo. En
effet, la poche de terroir en question était située entre Pékhe Tall où habitent
les griots ceddo, Teug Ndogui, villages forgerons ceddo, Ndièye un village
ceddo d’où est originaire la mère du chef de canton du Guet (Macodou Sall).
Mais le fondateur de Gade accepta de s’accommoder au risque de trouver ,
en disant que le cas échéant, il allait demander sa part du festin sans autre
forme de procès.
Ainsi donc, malgré la défaite de l’aristocratie, la condition de la paysannerie
n’a pas tellement connu une grande amélioration du fait du statu quo observé
dans l’administration coloniale. Et, cela entre dans le cadre de la stratégie de
l’Etat colonial qui trouve un moyen d’exécuter sa politique coloniale et
atteindre ses objectifs à moindre coût, en reproduisant les rapports sociaux
traditionnels comme le confirment certains auteurs : « la nécessité de
maintenir le statu quo au niveau du village (souligné par nous) exclut toute
intervention administrative. La question est donc de savoir comment intégrer
les communautés villageoises formant cantons et cercles coloniaux.

15
A la suite de la pacification du Cayor, l’administration coloniale a divisé le pays en cantons dont
celui de Thilmakha.
Au niveau du canton était maintenu l’ancien personnel politico-administratif
des monarchies placé dans un dispositif contrôlé par le colonisateur. Les
commandants de cercle étaient le monopole d’un personnel d’origine
métropolitaine » ( Diop et Diouf, 70 :1992)
La politique coloniale de développement de la culture arachidière utilisait
apparemment les mêmes démarches que la monarchie guerrière : à la place
des « lël », les contraintes de corvée, de taille, d’impôts et celles de la
politique de sécurité alimentaire s’exerçaient sur les populations. Le sujet se
substituait au badolo.
La reconduction de la chefferie traditionnelle appartenant à la famille des
ceddo a favorisé la continuité des représailles sous le couvert de la politique
de l’indigénat avec l’institution du travail forcé , les impôts de taille et de
corvées, l’enrôlement de force dans l’armée coloniale : tout un ensemble de
mesures contre la liberté des populations et dans lesquelles le ceddo a un
pouvoir discrétionnaire très important. Par cette politique qui s’apparente à
une version française de « l’indirect rule » dans le monde rural, et dont la
conduite est laissée à l’initiative des ceddos , l’ambiance d’insécurité vécue
pendant la phase monarchique continue de plus belle.
C’est par cette politique de violence sur les badolos assujettis au travail forcé
que la construction et la mise sur pieds des infrastructures (route et chemin
de fer) donnent au bassin arachidier l’équipement dont il avait besoin pour
répondre à l’objectif des autorités coloniales.
Cette continuité dans le système d’administration reconduit le marabout
comme défenseur des badolos qui lui font allégeance et lui servent souvent
de talibés ou de main d’œuvre.

Les notables ruraux entretiennent avec les chefs religieux des relations
d’alliance ou d’allégeance. Les premiers servent souvent aux seconds de
Ndiattigui (hôtes) dans les villages où ils se rendent en visite. En échange,
ces derniers les nomment cheikh ou diawrigne ou représentant à la tête de
l’assemblée des fidèles dans le village ou même dans toute la contrée.
Les notables ruraux se servent ainsi des marabouts pour asseoir leur
prérogative politique dans le village et auprès des autorités politiques près
desquelles le marabout joue un rôle important de client politique et de
médiateur auprès de la population.
Les chefs religieux arrivent ainsi à consolider leur rôle protecteur sur les
populations en particulier sur celles qui leur sont soumises spirituellement :
leurs disciples ou talibés. Comme aux beaux jours de la période monarchique
ils maintiennent leurs privilèges en bénéficiant également de terres de
culture. Ceci facilite leur implantation dans le bassin arachidier et sur les
terres de leur choix. En cas de conflit sur le foncier, ils bénéficient du soutien
de l’autorité de l’Etat. On peut citer plusieurs cas :
- Dans l’actuelle Communauté rurale de Guéoul et ancien Canton de
Thilmakha, un chef religieux habitant à Mbissis Dia, fort de l’aura que lui offre
la légende, a revendiqué et obtenu un vaste lopin de terre aux dépens d’une
famille ceddo. Le marabout ayant obtenu gain de cause prés des autorités
coloniales aurait eu la permission de prendre son cheval et de circonscrire les
limites de son domaine foncier. Depuis ce jour lui et ensuite ses descendants
contrôlent ce domaine. Et paradoxalement en l’an 2004 ils continuent à
vouloir opposer leur refus à la création d’école sur des villages voisins sous le
prétexte que le terrain qui abrite même ce dit village leur appartiendrait.
- De même non loin au nord ouest de la ville de Kébémer, le village
maraboutique de Thiénaba a dû se tailler un terroir dans la violence. Les
champs qui couvrent ce terroir gardent une toponymie qui évoque leur
histoire belliqueuse. Les noms offerts aux exploitations agricoles en disent
long sur les conflits qu’ils ont engendrés. Les noms comme nexulène ( « c’est
malgré vous » en wolof) ou diokharbi signifiant « le doigt dans l’œil » ou défi
lancé aux autres prétendants témoignent de l’atmosphère tendue dans
laquelle ces terres ont été obtenues ou défendues.. Selon leurs protagonistes
de Badar Guèye village voisin, les champs ont été arrachés de force de leur
terroir par les autorités religieuses de Thiénaba.
- De même d’autres marabouts sous le prétexte qu’ils veulent installer des
daaras et que l’ambiance profane de leur village d’origine ne leur convenait
plus se font attribuer des sites pour abriter le village et des terres pour
cultiver.
C’est le cas de Médina Kane dont le fondateur originaire de Kanène situé à
quelques kilomètres au nord est de Diokoul Diawrigne aurait eu l’autorisation
de fonder ce village auprès du Chef de Canton du Mbawor avec la
bénédiction du Khalife général des Tidianes, Sérigne Ababacar Sy.

La logique d’attribution de la terre n’a pas changé du fait du statu quo


observé dans la classe dirigeante. Mais la nécessité d’entretenir une clientèle
politique qui se renouvelle du fait de l’attraction de l’économie arachidière sur
les populations proches ou lointaines impose quelques réaménagements.

I.2. LA RESTRUCTURATION DE L’HABITAT AVEC


L’ECONOMIE ARACHIDIERE

Sur le terroir l’impact se manifeste par une intensité et une fréquence dans
l’exploitation, voire une extension allant jusqu’à la remise en cause des
jachères et la mise en location de terres naguère prêtées sans aucune
contrepartie créant une sorte de monétarisation des rapports sociaux. Sur
l’habitat, une profonde restructuration va aussi bien toucher les
établissements humains.
L’accroissement des besoins en terres de culture a comme conséquence
immédiate l’extension du Bassin arachidier au dépens d’autres formes de
mise en valeur et une restructuration de l’habitat.
L’économie arachidière en se substituant à l’économie de subsistance s’est
traduite par la naissance d’une filière arachidière. Celle-ci contrôlée par des
maisons de commerce françaises a réorganisé l’espace par la mise en place
d’un double réseau : un réseau de points de collectes et de succursales des
maisons de commerce d’une part. Chaque point de collecte réunissant un
poids de récolte d’arachides en proportion de la taille de son hinterland.

Cette restructuration de l’espace détermine alors un autre réseau


d’établissements humains qui fait la différence entre les villes et les
campagnes. Parmi les facteurs discriminants entre villes et villages, il y a le
passage des voies de communication (comme la voie ferrée) qui est souvent
un critère d’élection d’une localité en points de traite ou en ville.
Dans la campagne, l’extension du bassin arachidier s’est accompagnée d’une
restructuration de l’habitat. Cette restructuration modifie l’habitat dans le sens
d’une dispersion dans les zones d’habitat ancien du Cayor et du Ndiambour
et vers un groupement dans les zones de colonisation récente naguère
réservée à l’activité pastorale.

I.2.1 La restructuration de l’habitat en campagne : tendance à


la dispersion

L’introduction de l’arachide comme culture de rente a engendré une autre


forme d’occupation de l’espace par un processus de desserrement de
l’habitat groupé hérité de l’ère monarchique et une expansion de l’espace
agricole.
Le desserrement est certes lié à la sécurité retrouvée avec l’ordre colonial
préoccupé par la prospérité de la production arachidière. Les exemples de
Toundou Andal de Santhioup Rob Naane sont typiques de cette évolution de
l’habitat.

Toundou Andal est une contrée du Cayor. Elle tire son nom de Andal
Ndiaye. Ce dernier venu du royaume du Diolof, serait aussi un descendant
de Ndiadiane Ndiaye fondateur du dit royaume. Il serait le père de Mame
Amari Mbéri, fondateur de Taïba Amari Mbéri. Une autre version confirme
l’appartenance que Andal Ndiaye à la famille royale du Diolof sans pour
autant préciser l’identité de son père. Le prince aurait quitté le Diolof, seul
(and/ daal (en wolof) : seul) sans aucune compagnie à la suite de difficultés
d’accession au pouvoir16.
Il doit son intégration facile dans sa société d’accueil, à ses dons de
chasseurs qui lui permettaient d’approvisionner ses hôtes en viande de
gibiers à profusion
Toundou Andal (ou pays de Andal) regroupe un certain nombre de villages
dont le plus ancien est Khéleré.
16
Selon nos sources, l’accession au pouvoir au Diolof était à l’issue d’une lutte (fratricide) entre les
prétendants. Cela imposait aux différents candidats de quitter le pays pour aller se préparer pour la
circonstance. Les prétendants reçoivent de leur propre mère l’injonction de s’exiler soit pour prendre le
trône et en cas de défaite de poursuivre l’exil.
Avec la dispersion à la suite de l’économie arachidière, d’autres hameaux
voient le jour. Certains d’entre eux ont évolué vers de grands villages.
Parmi les villages nés de Khéleré Ndiaye, on peut citer : Taïba Amari Mbéri ;
Diokouli Ndiaye ;Kholéré (Ndiaye) ; Diame Ndiaye Sine Ndiaye ;Ndiawagne
Ndiaye ; Diwane Ndiaye ; Dara Andal (Ndiaye) .

Santhioup Rob Naane est aussi un gros village. Du fait de l’exiguïté de son
terroir, il a subi, sous l’effet de l’économie arachidière, une forte émigration de
familles à la recherche de terres de cultures. Il est ainsi le village d’origine de
plusieurs petites localités, et abrite encore aujourd’hui certaines institutions
communes : le cimetière dans lequel tous les villages viennent en pèlerinage
annuel pour rendre hommage à leurs ancêtres communs, des chants
religieux annuels. Ces villages tous situés dans la périphérie de Ndande
sont :Sérif Ka, Dall Ka ,Gouye Méew, Yaari Yiir (village disparu ou
délocalisé), Thiale ;Sahm Ngom, Paam, Siiwal.

Ainsi donc, l’expansion de la campagne s’accompagne d’un desserrement de


l’habitat hérité de la période monarchique (caractérisé par le groupement) et
de la conquête de terres nouvelles parfois éloignées du village d’origine. Ce
dernier, avec l’évolution peut perdre de sa suprématie par le jeu subtil de
facteurs discriminants comme les facteurs de polarisation dont les marabouts
et les voies de communication.
La dispersion a multiplié le nombre de villages, mais il a aussi marqué le
réseau de villages par une toponymie qui le distingue des autres.
La dynamique de dispersion est consécutive aussi à la rupture d’équilibre
entre offre et demande en terre qui se solde parfois par des conflits aggravés
par la nouvelle configuration des exploitations exigeant plus de superficies.
La dispersion peut être liée à la topographie et à la nature des sols ou à un
changement de mode de vie de la population. Ces conflits débouchent sur
des déménagements et la création de hameaux de culture. Ceux-ci se
reconnaissent dans le milieu wolof par leur toponymie.
La toponymie des nouveaux établissements en milieu wolof a une
composante « santhie » , « Gëty »ou « keur ») C’est le cas des villages de
Santhie mour , Santhie thiérigne : Gëty ratt, Gëty Yaram ; Gëty Ndongo. Ces
villages peuvent connaître une évolution qui en fait un gros village et
beaucoup d’exemples peuvent être cités à cet égard.
Des villages ayant le patronyme de Keur sont les plus fréquents. Rien que
dans l’arrondissement de Ndande, le répertoire des villages de 2000 fait état
seize (16) villages ayant le patronyme de Keur. On peut citer Keur Manta
Sèye, Keur Ndiaye Wolof, Keur Médoune, Keur sidy Mbengue, Keur Omar
Dia tous localisés dans la Communauté rurale de Bandègne.
Ces conflits sont rares voire inexistants dans la zone ouest caractérisée par
une topographie dunaire et par une faible occupation humaine et des villages
menus; ils sont cependant nombreux plus à l’est sur les terres
topographiquement plates comme dans le Mbawor à proximité des gros
villages et des importants centres de Kébémer, de Ndande, de Darou Mousty.

Le développement de la culture arachidière n’a pas été seulement un facteur


de dispersion de l’habitat, il est également un facteur de hiérarchisation des
établissements humains.

Plus le desserrement se faisait vers l’est plus les villages occupaient des
terres topographiquement plus favorables à la culture de l’arachide et plus,
les nouveaux établissements s’approchaient des voies de communications et
des centres ruraux ou urbains ; et plus ils prenaient de l’importance par leur
facilité d’accès et pouvaient être érigés en centres de collecte pour les
villages environnants situés plus à l’ouest.
Ainsi, bien que Khéléré soit le premier village où se sont établis les Ndiaye
émigrés du Diolof, Taïba Amary Mbéry va le supplanter en importance du fait
de sa position vers l’est, l’importance de son terroir et la forte personnalité de
son chef un célèbre marabout qui aura l’honneur d’accueillir comme hôte
Sérigne Mor Sokhna Mbacké, (fils aîné de Mame Mor Diarra Mbacké) et
demi-frère du fondateur du mouridisme, venu s’y établir sous la
recommandation de ce dernier. Les sources orales indiquent également que
la création de villages par les marabouts mourides dans le Cayor est rare.
Mais les établissements humains qui ont servi de lieu de résidence des chefs
religieux ont connu un effet de boule de neige grâce à la polarisation
humaine des marabouts sur leurs disciples.

Ce desserrement de l’habitat se faisant en rapport avec la recherche de


terres de cultures rencontre des limites avec les obstacles liés localement aux
conditions naturelles : la topographie peut être un facteur répulsif qui explique
la densité humaine de certains terroirs et la direction des flux migratoires liés
au desserrement des villages.

Au fur et à mesure qu’on se dirige vers le littoral les dunes à l’allure


vigoureuse constituent des contraintes physiques à la culture arachidière.
Avec une forte pente et un ensablement provoquant une trop faible capacité
de rétention des eaux de pluies, la valeur agronomique des sols devient trop
faible pour la culture arachidière. D’ailleurs toute la partie ouest de Toundou
Andal est caractérisée par ces aspects.
D’abord zone pastorale anciennement occupée par des ressortissants du
Diolof, la zone semble convertie à l’agriculture pluviale avec la sécheresse
qui a dû décimer le bétail. Avec des sols très sablonneux, un relief de dunes
et de cuvettes, c’est une zone relativement peu favorable à l’exploitation
arachidière. Pour être exploités, les champs d’arachide exigent un calendrier
agricole à la limite trop contraignant. En effet rares sont les espaces
répondant aux conditions pédologiques idéales d’une exploitation arachidière.
S’ils existent, les champs d’arachide sont localisés dans les cuvettes plus ou
moins comblées et les dunes de très faible envergure offrent un terrain
assez vaste pour servir d’exploitation agricole.
Mais là les conditions d’exploitation sont contraignantes : la perméabilité des
sols impose un rythme particulier aux paysans. Dés la première pluie, c’est le
goulot d’étranglement : il faut s’empresser de semer et faire les labours avant
l’assèchement des sols. C’est une véritable course contre la montre qui exige
une main-d’œuvre disponible et une autonomie en matériel agricole. La
texture et la structure du sol font apparaître d’autres contraintes : leur fragilité
face aux agents d’érosion.
A la forte érosion (walta) que subissent les sols dunaires sous l’effet des
vents marins, s’ajoute l’effet de ruissellement qu’entraînent les pluies sur les
sols dior pauvre (xéli). Ils provoquent des contraintes physiques défavorables
à la poussée de l’herbe et à la culture du mil dans les cuvettes. Cette fragilité
des sols selon les usagers (Sérigne Kane, cultivateur à Madina Kane)
détermine la durée de l’exploitation des parcelles de culture. A cause de leur
modelé dunaire, la fragilité des sols et leur exposition à l’érosion éolienne, les
terres de Toundou Andal exigent une jachère obligatoire de 3 ans, après
seulement 2 ans de cultures.

A l’opposé, les sols du Mbawor (zone située plus à l’est) diffèrent de ceux de
Toundou Andal par une plus grande monotonie de la topographie et une
faible exposition à l’érosion du fait de la diminution de l’efficacité du vent. Les
terres de culture du Mbawor peuvent supporter cinq (5) ans de culture sans
interruption pour seulement trois (3) ans de jachère. En somme, elles se
renouvellent plus vite que celles du Toundou Andal. En conséquence, ces
terres sont plus recherchées, les villages plus nombreux, la densité de
l’occupation humaine plus grande et les questions foncières plus brûlantes.
De même les conflits y afférents sont plus nombreux et plus dramatiques.
Les établissements les plus récents ont choisi de s’installer dans cette partie
où l’arachide semble avoir trouvé les meilleures conditions de
développement. De faible occupation la zone a accueilli de nombreux villages
récents.
La densité de l’occupation humaine semble s’expliquer par la disponibilité des
ressources indispensables à la production arachidière ou la réponse offerte
par le milieu physique aux conditions de la production.
Nous avons vu plus haut que la zone de prédilection des nouveaux
établissements humains nés de la dispersion des anciens gros villages était
la zone la moins topographiquement différenciée. Il s’agit de la partie qui avait
également accueilli l’installation des infrastructures ferroviaires et routières.
Cette partie représente globalement la zone la plus anciennement occupée
car abritant les anciennes provinces du Guet et du Ndiambour dont le
système foncier n’a pas été remis en cause.
Ces contraintes foncières et juridiques résultant de la démographie et de
l’ancienneté de l’occupation expliquent sans doute l’affectation pour des
besoins agricoles de la zone pastorale à la colonisation des marabouts
mourides attirés par l’économie arachidière.
Ainsi donc aux contraintes spatiales issues des contraintes physiques,
viennent s’ajouter les contraintes humaines liées à la dynamique spatiale
ceddo qui a exclu du droit foncier une large part de la population. Les
structures foncières et les droits fonciers qui en ont résulté, la reconduction
de la clientèle politique de la monarchie ont laissé peu de marge de
manœuvre pour les paysans et même des nouveaux colons chefs religieux
venus du Baol pour la culture arachidière dans le bassin arachidier. La seule
alternative fut de squatter les terres des éleveurs situées plus à l’est autour
de Darou Mousty.

La dynamique d’occupation de l’espace entraînée par l’économie arachidière


et la densité qui en a résulté ont favorisé la dispersion de l’habitat et
l’extension du bassin arachidier.

I.2.2 l’extension du Bassin arachidier

L’accroissement des besoins en terre a été résolue de deux manières : en


premier lieu par l’extension du bassin arachidier et en second lieu par la
colonisation de terres proches. L’extension du bassin arachidier a connu trois
étapes :
En 1900, la zone de forte production couvrait une bande de terre d’une
trentaine de km le long du chemin de fer et englobant les escales et leur
arrière-pays immédiat. La zone s’étendait du nord de Louga au sud de
Ndande situé dans l’actuel département de Kébémer.
En 1910, la zone de forte production arachidière s’élargit d’ouest en est en
débordant la périphérie initiale du chemin de fer, pour s’étendre en
profondeur sur près de 40 km jusqu’à Sagatta, Thilmakha. (Sar, M ; 1970)
En 1937, une cinquantaine d’années plus tard, l’aire de forte production
s’élargit davantage vers l’est sur plus d’une cinquantaine de km en occupant
les terres pastorales autour de Togui Diack17 (rebaptisé Darou Mousty par les
nouveaux colons mourides). Cette dernière phase d’extension s’est
accomplie au prix d’une cohabitation plutôt difficile avec les premiers
occupants peuls.

La densité humaine s’explique apparemment par l’histoire, la topographie et


la disponibilité des ressources hydriques.

La zone de forte densité humaine est celle d’occupation ancienne qui a abrité
les anciennes provinces du Guet et du Ndiambour, où l’habitat groupé traduit
la coexistence avec les pôles humains constitués des princes guerriers et des
chefs religieux. Cette zone s’étend des alentours de Sagatta ancienne
capitale du Guet situé à l’Est, jusqu’au littoral à l’Ouest. Cette partie du
Bassin comprend deux sous ensembles : la partie littorale qui s’apparente à
ce qu’on nomme Toundou Andal et la partie centrale qui englobe le Mbawor
et se prolonge jusqu’au méridien de Sagatta Guet.

17
Source : Sérigne Mbaye un Cheikh mouride interviéwé à Kébémer. D’après lui , le marabout
fondateur de la ville se serait réjouit de savoir que le village dans lequel il va s’installer s’appelait ainsi
car en wolof « Togui Diack » signifie : s’installer et bien s’accomplir ou établissement de bonne
fortune.
CARTE EXTENSION PROGRESSIVE
DU VIEUX BASSIN ARACHIDIER ( Oues st)

Légende

•• Chef Lieu de Région


Route
Chef Lieu de Déparrement
Chef Lieu d'Arrondissement

Chemin de fer

Route principale
Route principale à 2 voies
" \

CI Zone 3 • ROU MOUSTY

Source: DATI Zone2


Enquêtes Bara Mboup
CI Zone1
Ainsi dans la zone occidentale, les villages se sont éclatés pour donner
naissance à d’autres qui vont s’installer plus à l’est où la topographie et
l’ensablement sont largement plus faibles.
Plusieurs villages ont vu le jour à la suite d’un desserrement de l’habitat
d’autres villages.

I.2.2.1 Evolution de la densité et crise foncière.

La structure foncière évolue peu : les premiers occupants accordant


parcimonieusement des droits fonciers aux nouveaux arrivants. Aussi, dans
le cadre de chaque village, la structure foncière montre-t-elle une inégalité
d’accès aux terres de cultures ; compte tenu de leur statut ou de leur
ancienneté ou de leur origine, les familles disposent ou non de terres de
cultures propres.
L’extension de la culture arachidière et en conséquence, la dispersion de
l’habitat n’ont pas pour autant modifié le régime foncier. La naissance de
nouveaux établissements humains dans la campagne ne donne pas des
droits fonciers sur les terres occupées ni une redistribution des terroirs
agricoles. Cela donne des villages sans terroir propre et obligés de dépendre
d’autres pour les terres de culture. Ce qui prédispose à des migrations ou à
des bagarres sanglantes.

Il résulte de ces études que la campagne a une structure foncière héritée de


la période du lamanat ou de la monarchie ou encore des chefs coutumiers
reconduits par l’Etat colonial. Ainsi, la campagne présente un ensemble de
terroirs de tailles différentes : il y a de petits et de grands terroirs villageois.
Cette structuration de l’espace en campagne persiste encore de nos jours.
Dans l’actuelle communauté rurale de Guéoul, les villages de Djignakhe Fall
(ancien village ceddo) et Mbarome Diop (village de chef religieux) et Ndiaw-
Ndiaw constituent les mieux pourvus en ressources foncières.18

18
A notre question si le Conseil rural a procédé à une redistribution des terres , le Président de la
Communauté rurale nous a répondu que ce n’est pas nécessaire car les ayant droits de ces terres les
prêtent aux gens qui en ont besoin.
De même, le village (ceddo) de Ndaye Fall situé dans l’actuelle communauté
rurale de Diokoul Diawrigne prête ses terres à plusieurs villages situés à ses
alentours. C’est un exemple sur lequel nous reviendrons dans la dernière
partie de ce travail. La même observation peut être notée en ce qui concerne
le village de Lèye situé dans la même communauté rurale. Ce village prête
ses terres à beaucoup de villages environnants dont Mérina Seck, Mbatar,
Diakha et Tawa Guèye.
Dans l’Arrondissement de Sagatta et dans la Communauté rurale de Thiolom
Fall, le petit village de Warak Diop prête ses terres aux villages voisins de
Massar Diop, de Bouyott Guèye et autres. Le village de Kilimane habité par
les Naarou Kadioor tire une partie de ses revenus avec la location de ses
terres (15000 F CFA pour 2 ans)
De même la forte dynamique de migration vers les terres plus aptes crée la
concentration de ces villages dans la partie est de la zone littorale. Il en
résulte une forte densité et une saturation de la capacité de charge des
terres qui ont abouti à des conflits. Ces derniers sont parfois l’occasion de
batailles rangées occasionnant mort d’hommes. C’est le cas de wakhal
Diamme (toponymie prémonitoire car signifiant « dit la paix ») hameau situé
sur la route nationale II au sud à 1km de Kébémer où des batailles ont
occasionné un mort et des blessés sur une zone de terroir disputée entre des
cultivateurs de Kébémer et des habitants du dit hameau.

Le même cas s’est produit à Ndiaby Fall à l’est de Kébémer où la bataille


autour des champs a finalement fait l’objet d’un règlement judiciaire avec
l’épreuve du serment consistant à lécher un sabre rougi au feu pour attester
de leur bonne foi.
Dans les villages, il est institutionnalisé dans la structure foncière des
avantages fonciers aux chefs et aux aînés en vertu des règles traditionnelles
édictées par les coutumes favorables à la gérontocratie : le chef de village
détient un domaine foncier réservé à son rang est dénommé « Mag
moome » ou propriété du plus âgé (en l’occurrence le chef du village l’aîné
parmi les descendants du premier habitant ou défricheur) : c’est le cas à
Palméo Fall et à Ndangour Ndiaye.
Ces terres peuvent être soit de taille symbolique : il s’agit alors d’un lopin de
terre, soit un vaste domaine. la taille du « Mag moome » est souvent en
proportion du terroir villageois. Dans les villages à terroir très important en
superficie le chef de village a un grand domaine, dans le cas contraire, ce
domaine se réduit à un lopin de terre. Cette sécurité foncière faite au chef est
un indicateur de la dynamique de conflit dont l’espace est l’objet. Des conflits
fonciers vont d’ailleurs apparaître également avec la loi sur le domaine
national : certains descendants d’un chef de village défunt défendent leur
droit de propriété sur le « Mag, moome » en prenant comme référence sur la
nouvelle législation foncière.

La structure foncière de la région est donc héritée de la période monarchique.


Du moins pour l’essentiel, car mis à part quelques rares cas de personnes
ayant profité des dispositions de l’Etat colonial et plus tard, les marabouts qui
ont colonisé la zone pastorale dans la zone de Darou Mousty, la structure
foncière et le découpage des terroirs villageois dateraient de l’époque pré
coloniale.
Cependant malgré le statu quo en matière foncière, la forte pression foncière
est à l’origine du morcellement des exploitations et en conséquence la
dispersion de l’habitat caractérisé par des villages menus. Pélissier a eu à
décrire cet habitat en insistant sur le degré de dispersion.

Selon lui, le réseau de villages dont est couverte la campagne wolof a pour
caractère primordial son extrême émiettement : estimée à 213 hab. la
moyenne nationale de l’effectif des villages était de 119 hab. dans la région
de Diourbel et de Louga, y compris ces deux villes. Pélissier ajoute que sur
les 3653 « agglomérations », la même région administrative compte 2469
villages de moins de 100, dont plus de 1500 groupant moins de 50 villages.

Dans le département de Louga, la dispersion de la campagne était encore


plus accentuée car la moyenne était de 67 personnes ; mais la densité
augmentait du nord au le sud. En effet, autour de Louga, dans les limites de
l’arrondissement de Mbédienne, la densité était de 23 habitants au kilomètre
carré, la moyenne de la population par village s’établissait à 73, et 43% des
agglomérations comptaient moins de 50 habitants chacun.
Par contre, au cœur du Cayor, au sud de Ndande alors que la densité
atteignait 48 habitants au kilomètre carré, la moyenne par village était de 84
habitants par village. (Pélissier, 1964)

Cependant à cette tendance à la dispersion de l’habitat dans la campagne


de colonisation ancienne s’oppose son inverse avec un habitat groupé dans
les villages dirigés par des chefs religieux comme ceux que l’on trouve dans
la zone de Darou Mousty. Avec moins de villages (266), l’Arrondissement de
Darou Mousty connaît une plus forte densité que Ndande (311) et Sagatta
(267).

I.2.2.2 L’extension sur les terroirs pastoraux

L’extension la plus significative du Vieux bassin a été menée avec


l’installation progressive de chefs religieux appartenant pour l’essentiel à la
confrérie religieuse des Mourides.
Elle s’est faite hors des zones wolof des anciennes provinces du Guet et du
Ndiambour (apparemment assez densément peuplées et les terres déjà
distribuées aux notables ruraux). Elle est le fait de marabouts venant du Baol
et se passe dans les zones pastorales autour de la zone de Darou Mousty
anciennement occupée par les pasteurs peuls.

Cette expansion a été à l’origine d’un paysage contrasté formé de grandes et


petites exploitations, d’une modification de la structure ethnique et de la
création de nombreux villages dont la masculinité devient dominante.
L’option coloniale qui consiste à privilégier les notables ruraux et les chefs
religieux pour une production arachidière importante, leur autorise l’accès à la
terre et son occupation au dépens de leurs concurrents même si ces derniers
sont les premiers occupants. C’est pour cette raison que les autorités
appuieront les marabouts dans les nombreux confits fonciers en particulier
contre les sociétés pastorales qui occupaient la zone de Darou Mousty. C’est
un parti pris en faveur de l’espace colonial en extension avec la culture
arachidière aux dépens de l’espace coutumier ou traditionnel maintenu par
les éleveurs nomades.
Ainsi naît un nouvel ordre spatial caractérisé par la naissance de territoire
délimité et occupé de manière permanente au dépens d’un espace
traditionnel qui s’identifie à un réseau de localités fréquentées de manière
temporaire.
Les chefs religieux disposent d’une forte main d’œuvre constituée de
disciples prêts à faire un investissement humain gratuit. Cela explique le
soutien des autorités coloniales et les grandes exploitations maraboutiques.
Le choix de la zone de Darou Mousty s’explique par le fait que la zone
pionnière comprise entre Louga et Kébémer est déjà saturée et que le bassin
arachidier ne pouvait plus s’étendre que sur les terres pastorales faiblement
occupées en apparence.

Enfin la fondation de nombreux daaras (medersas) constitués de jeunes


disciples transformés en une main d’œuvre essentiellement masculine et
avec l’aide des autorités coloniales qui y ont tenté de trouver des solutions
aux contraintes en eau avec l’installation de forages (carte à l’appui). Ces
forages ont largement contribué à transformer les daaras en villages.
. Ces marabouts, aidés par leurs nombreux disciples recrutés pour la plupart
du Ndiambour et du Baol, vont avec la bénédiction des autorités coloniales
acquises à la culture de l’arachide, créer de nombreux villages.
Chaque daara est dirigé par un Diawrigne qui officie en marabout dans la
zone.
On peut citer le village, le fondateur et l’occupant actuel (tableau n° 4 ci-
dessus).
Tableau n°4 : liste des établissements maraboutiques dans la zone
pastorale
Nom du Fondateur Héritier actuel
village
Touba Cheik A Bamba Mame Thierno
Roff Mbacké
Mbacké Cheikh Bamba Sérigne Cheikh Maty
Cayor (ex- Mbacké Lèye Mbacké
Phalo)
Fass Sérigne Ady Touré Sérigne Cheikh
Touré : Touré
(1895)
Darou Cheikh Awa Balla Mame Thierno
Marnane Mbacké Mbacké
Darou C A Balla Mbacké Mame T Mbacké
miname
Sam Sérigne Fallou Sérigne Modou
Yabal Mbacké Bousso Dieng
Tawfekh Sérigne Modou Awa Sér Modou Cara
Mbacké Balla Mbacké Cosso Mbacké
Sarsara Cosso Mbacké Astou Modou Cara Cosso
Lô Mbacké (le fils)
Madina Sérigne Awa Balla Sérigne Moustapha
Mbacké Absa Mbacké
Diwane Sérigne Mapaté Sylla Modou M Sylla
Darou MatarSamba Diop AbdourakhmaneDiop
Salam
Darou S CA Balla Mbacké
Wahab
Darou Mame Thierno Sérigne Abdou
Mousty Birahim Mbacké Khoudoss Mbacké
Darou Sér M Awa Balla Bassirou Mbacké
Kratiel
Darou- Mouhamadou Mbacké Mame mor Mbacké
kosso
Darou Sér M Awa Balla Fallou A D Mbacké
Rahman

Source Bara MBOUP: entretien avec Monsieur Koundoul, Adjoint au Chef


d’Arrondissement de Darou Mousty

Cette liste n’est pas exhaustive et la carte des établissements humains (carte
n°9) en montre d’autres.

Ces villages sont parfois créés sur des sites de villages peuls et les
pâturages transformés en champs d’arachide.
C’est le cas de Darou Mousty créé sur le site de Togui Diack et celui de
Touba Mérina ex-Khabane fondé en 1625 devenu Mérina puis rebaptisé
Touba Mérina en 1949 par El Hadji Falilou Mbacké après y avoir installé un
daara.

Ailleurs, ce sont les litiges fonciers qui opposent des villages de marabouts
avec d’autres : le village de Divane fondé en 1911 par le marabout Mapathé
Sylla sous la tutelle de son chef religieux Thierno Birahim Mbacké (frère
cadet du fondateur du mouridisme) va disputer les terres de Boulel Seck dont
la création remonte à 1876 par un nommé Mbaye Seck. Le marabout, à
l’étroit dans les terres de Divane, est attiré par l’étendue des terres de Boulel
qu’il voulait coloniser avec l’aide de ses disciples.
La dynamique de création des villages s’est poursuivie avec la création
récente de Darou Rahmane en 1966 par Sérigne Fallou Mbacké fils de
Sérigne Modou Awa Balla Mbacké qui y a rassemblé les fidèles de son père
suivant en cela les souhaits du Gouvernement. Plus tard encore d’autres
villages vont naître avec d’autres marabouts ; c’est le cas de Touba Belel
créé avec Sérigne Abdou Lahat Mbacké.,devenu Khalif général des mourides
en 1968.

La zone de Darou Mousty, de colonisation récente, est ainsi caractérisée par


l’importance en nombre de villages maraboutiques.
Mais autant les autorités coloniales ont besoin des marabouts pour réunir les
conditions d’une telle ambition, autant les chefs religieux ont besoin de
l’implication des paysans dans la production. En effet c’est par les apports de
ces derniers en nature et en espèces que les projets confrériques des
marabouts vont être réalisés. Le cas de la confrérie mouride par ailleurs
dominante dans la zone est intéressant à étudier. Les disciples non disposés
à donner du travail au marabout peuvent en compensation faire des dons en
nature ou en espèces.
Carte n° 9 : les établissements maraboutiques dans la zone sylvopastorale
Déjà dans la perspective de la construction de la Grande Mosquée de
Touba19 capitale de la confrérie mouride, il fut demandé à chaque disciple de
verser une somme équivalente à la valeur numérique du nom Touba écrit en
arabe soit 24 dërëm (5 F CFA en wolof) ou 24 x 5 F, soit 140F CFA..

Cette implication des deux catégories sociales de calibre différente va se


répercuter sur la structure des exploitations : les petites exploitations
familiales paysannes et les grandes exploitations maraboutiques.
Les promoteurs de cette nouvelle économie en l’occurrence les autorités
coloniales n’ont fait que greffer sur le mode de production trouvé sur place
les nouveaux rapports qui permettent d’atteindre leurs objectifs.
Cette situation de transition d’une économie est pareille à celle décrite par
Maurice Godelier lorsqu’il écrit « Pour Marx à ses débuts et pendant
longtemps, la subsomption de divers procès de travail sous la forme
capitaliste de production n’a pas bouleversé profondément les techniques, les
savoir-faire, la base matérielle de la production. Cependant une modification
fondamentale s’est opérée rapidement dans l’organisation de la production :
le travail est devenu plus intense plus continu et l’exploitation de la force de
travail est augmentée par la suppression d’un grand nombre de jours fériés et
l’allongement de la journée de travail. Bref en terme de théorie économique,
la subsomption formelle entraîne une augmentation de la plus-value
appropriée par le propriétaire du capital. » (M Godelier 1987) pp. 506-507 :
RISS :n° 114 l’analyse des processus de transition.

19Source : entretien avec Monsieur Koundoul, Adjoint au Chef d’Arrondissement de Darou


Mousty
19 En effet, l’arachide a prospéré dans les campagnes du fait qu’elle a constitué un moyen de redéploiement des confréries religieuses et de
financement des grands projets religieux locaux ou confrériques comme les mosquées et même les champs religieux annuels des villages grâce
à la contribution financière de tous le membres de la communauté.
Selon quelques talibés (disciples) mourides, dès son intronisation comme khalife, Sérigne Mouhammadou Moustapha Mbacké, fils aîné du
fondateur de la confrérie des Mourides
a fondé le village de Taif, et a envoyé ses propres frères comme Diawrigne
(représentant) dans différentes localités du pays. Ainsi, Sérigne Abdou Lahat fut envoyé à Kab Gaye (Département Kébémer), Sérigne Bara à
Mbackol près de Pekesse ;Sérigne Fallou à Ndindi, Sérigne Bassirou à Porokhane ; Sérigne Abdou Khadre à Bahdad (est de Touba ) Sérigne
Saliou (khalif actuel) à Guélor département de Mbour, Arrondissement de Fissel ; Communauté rurale de Ndiagagnao.
Cette distribution ne sort pas du Bassin arachidier. Elle s’expliquerait par la volonté de réaliser le pari de construire la mosquée de Touba : une
des ndigël (recommandations ) de leur défunt père.
Mais cette forme de transition constitue, d’une part, une forme d’articulation
entre la division internationale du travail et la division locale du travail.

Cette articulation a le mérite d’être à la fois un moyen d’insertion de


l’artisanat local au nouveau mode de production et une opportunité donnée
aux propriétaires fonciers de gagner en appoint de nouvelles ressources en
nature et en revenus monétaires à partir de la location de leur terre ou de la
pratique du métayage (bay seddoo). D’autre part elle permet une parfaite
intégration du mode de production ceddo avec le mode de production
introduit par l’économie monétaire en maintenant et en harmonisant les
rapports entre les diverses catégories sociales. C’est le cas notamment des
rapports entre chefs religieux et disciples, et entre détenteurs de droits
fonciers et sans-terre.
L’introduction de l’arachide comme culture de rente donne ainsi aux rapports
sociaux une dimension économique qui se répercute dans l’espace :
l’accroissement des besoins en terre de culture va avoir un impact profond
aussi bien sur le terroir que sur l’habitat.

Mais c’est également sur la classe des notables ruraux et les chefs religieux
que l’Etat colonial porte son choix pour mener à bien sa stratégie
d’exploitation coloniale en spécialisant la colonie dans la production
arachidière. Le choix des marabouts semble en effet être justifié par leur
capacité de production lié à leur capacité de mobilisation de main-d’œuvre
nombreuse, et en plus, leur volonté d’intégrer l’économie de marché dans
laquelle ils sont attirés par leur grand projet de construction de mosquées
dont l’une des plus ambitieuses fut celle de Touba. L’intégration des notables
ruraux paraît incontournable pour encadrer les populations vers l’objectif de
réussite de la politique coloniale.

Au caractère de groupement de l’habitat lié à la polarisation humaine des


chefs religieux à la suite de leur influence sociale et politique, s’ajoute une
double spécificité d’ordre démographique et matériel. La spécificité
démographique des villages est liée au sex-ratio où prédomine la masculinité
du fait de leur origine de « daara ».
L’aspect matériel résulte de la densité de leur équipement en infrastructures
qui s’explique par la taille des villages mais surtout par l’influence politique
religieuse et économique des chefs religieux. Ce qui ajoute à la polarisation
des villages.
Ainsi, malgré les problèmes d’eau liés à la structure géologique du site (cf. la
coupe hydrogéologique ci-dessus p 46), les marabouts ont pu mobiliser une
forte main-d’œuvre. La création de forage dans la zone va attirer d’autres
populations et transformer ainsi les daaras en villages assez grands, ce qui a
contribué à rendre l’habitat groupé malgré le nombre important de villages.

C’est aussi un début de restructuration par l’économie arachidière de


l’habitat : par la polarisation humaine et par les équipements et infrastructures
liées à la production, la collecte et la commercialisation de l’arachide.
Cette transformation des daaras en villages n’a pas pour autant changé un
sex-ratio à dominante masculine (voir tableau n° 5).L’étude de la structure par
âge et par sexe des villages ayant le toponyme de Darou est ce point de vue
révélateur.
Le sex-ratio à prédominance masculine est confirmée dans 13 villages sur 23
(Darou Mousty exclu du fait de son caractère de ville (religieuse) 2é capitale
du mouridisme. Ces villages témoins de l’origine de leur fondation en daaras
connaissent une progression démographique. Cette évolution tend à grossir
les effectifs féminins et à renverser le sex-ratio, comme c’est le cas à Darou
Mousty.

D’autres facteurs jouent en faveur du groupement : la bonne pluviométrie de


la zone, l’occupation par des chefs religieux mourides. Ces derniers en plus
de leur charisme parviennent à réunir des villages épars en un seul sous le
critère d’appartenance en un seul guide religieux, puis en villages centres
dotés d’équipements et d’infrastructures modernes.
Désormais à la polarisation humaine s’ajoute l’effet de polarisation des
équipements et des infrastructures introduits par le système colonial et l’Etat
moderne et dont l’importance de la concentration fait la discrimination entre la
ville et la campagne.
Tableau n° 5 Structure par âge et par sexe des villages ayant le
toponyme de Darou et situés dans la zone de Darou Mousty
Village Masculin Féminin Total
- 14ans 14 à 64 +64ans Total -14 ans 14 à 64 +64ans général
Total
1Dara Thioly 1 7 4 1 12 2 7 0 9 21
2 Dara Thioly 2 29 26 6 61 26 41 1 68 129
3Darou Cosso 159 327 13 499 135 254 21 410 909
4Darou Diakhaté 24 38 2 64 35 38 2 75 139
5 Darou Diop 109 164 7 280 105 171 10 286 566
6Darou Diop 2 8 16 1 25 7 18 1 26 51
7Darou Diop 3 8 9 1 18 14 12 0 26 44
8Darou Fass 12 23 1 36 9 20 0 29 65
9Darou Kratiel 21 36 6 63 15 28 0 43 106
10Darou Marnane 304 507 44 855 324 485 25 834 1639
11Darou Mbaye 7 12 0 19 11 16 1 28 47
12DarouMbeusDiag 12 23 0 35 20 23 0 43 78
ne
13Darou Mbeus 31 43 5 79 22 45 1 68 147
14Darou Miname 48 70 2 120 15 57 2 74 194
15Darou Mousty 1750 2588 191 4529 1710 2856 215 4781 9310
16Darou Ndiaye 2 5 19 1 25 9 10 1 20 45
17Darou Ndiaye3 4 2 0 6 0 1 0 1 7
18Darou Rahmane 52 96 5 153 54 94 2 150 303
1
19Darou Rahmane 15 34 3 52 17 30 2 49 101
2
20Darou Salam 33 58 3 94 18 53 1 72 166
21Darou Salam 20 68 2 90 14 27 1 42 132
Yabal
22Darou Sall 1 2 3 0 5 2 8 1 11 16
23Darou Sall 2 19 41 3 63 21 37 3 61 124
24Darou Wahab 41 87 6 134 58 93 1 152 286

Source : répertoire des villages : Région de Louga, 1976 ;

Cette double polarisation entraîne ainsi une nouvelle structuration de l’habitat


avec à la clé une forte mobilité alimentée par la dynamique démographique
retrouvée avec la fin des guerres et des grandes endémies et par la question
foncière liée à la structure même des terroirs villageois.

L’espace ceddo sur lequel l’espace colonial va se tailler son aire d’influence
connaît un mode de reproduction qui par le biais d’un redéploiement de la
population dans des villages vassaux permettait le contrôle effectif du territoire.
Avec l’éviction de l’Etat ceddo et l’introduction de l’arachide un coup d’arrêt fut
donné à ce mode d’occupation de l’espace sans beaucoup remettre en cause
les acquis.
La principale raison est le choix fait sur les notables ruraux et les marabouts
les principaux piliers sociaux qui encadrent la population autochtone dans leur
nouveau mode de production basé sur l’arachide.
Le statut quo sur le foncier entraîne des situations de rente pour les
prétendants de droits fonciers. La terre devient cette fois-ci un enjeu de pouvoir
que détient les notables proches du pouvoir colonial.
Cette extension de la campagne sous la houlette du desserrement de l’habitat
et de la colonisation de nouvelles terres de culture donnent un boom à la
production d’arachide et en conséquence la dynamique des flux d’échange et
celle des marchés. Ces marchés qui finalement sont au début et à la fin d’un
autre type d’habitat : la ville.
Quelle place pour la ville dans cette nouvelle dynamique ? Quelles seront les
relations villes-campagne ?

I.2.3 Restructuration de l’habitat : l’émergence des villes

L’observation du site de nombreux villages et même des villes laisse percevoir


un paysage macabre marqué par la présence d’un peuplement de baobabs dite
« guent » ou site abandonné à la suite d’épidémie meurtrière. Ce type de
sinistres éradiqué depuis l’épidémie de la peste des années 40, ne s’est plus
reproduit. Cela témoigne d’une situation sanitaire meilleure et d’un niveau de
vie sans doute plus élevé. La croissance démographique s’est imposée à la
suite d’une transition démographique liée à la continuité d’une forte natalité
structurelle puisque relative à la natalité de type agricole assortie de
l’amélioration des conditions sanitaires préservant tout au moins des grandes
endémies. La mise en place de la filière arachidière et le statut quo dans le
domaine technique de l’outillage ont dû encourager la conservation du
comportement démographique en vue de la reproduction sociale qui nécessite
une forte main-d’œuvre. Il s’agit de la conservation de la structure de la famille
caractérisée par la polygamie, la famille élargie, le taux élevé de fécondité par
femme et le rôle actif de l’enfant dans l’exploitation familiale et dans celle des
chefs religieux.
Santé publique et comportement démographique suscités par les besoins de
main d’œuvre introduits par l’économie arachidière ont dû provoquer une
transition démographique qui pose le problème d’équilibre entre population et
espace agricole en campagne et encourage la mobilité spatiale tantôt vers
d’autres campagnes tantôt vers la ville. Dans une économie d’échange, les
populations ont le choix selon leurs activités de vivre soit en campagne, soit en
ville. L’équilibre qu’il y a dans la répartition entre villes et campagnes est
fonction de plusieurs facteurs parmi lesquels, le niveau de développement.
Pierre Georges ne fait-il pas la différence de cet équilibre selon qu’on est en
pays sous-développé ou pays développé ?
« Les processus d’accroissement massif de populations urbaines sont issus de
la Révolution industrielle et se sont développés d’abord dans les pays où elle
s’est produite, et qu’aujourd’hui l’extension des villes y apparaît comme une
séquelle des mécanismes déclenchés dès le XIXé siècle. En revanche, dans
les pays sous développés, l’urbanisation est un phénomène plus directement
démographique, en ce qu’elle résulte de l’afflux de populations que la
campagne ne peut plus nourrir dans les conditions techniques et sociales
actuelles » (Pierre Georges).

Nous allons étudier le cas de l’équilibre villes-campagne dans le Vieux Bassin


arachidier. Mais essayons d’abord de déterminer le contexte dans lequel les
villes sont nées et les conditions sociales et économiques qui président à leur
développement.
Le contexte : c’est d’abord les effets de la politique coloniale : ce sont les
différences de traitement entre citadins et ruraux, les différences de niveau de
vie ; le contexte créé par la structure de la campagne, le regain de besoin
d’espace, la fin de l’Etat monarchique et la perte d’initiative spatiale à la suite
du coup d’arrêt de la reproduction spatiale ceddo et la réorientation des flux de
migration vers les ville. Ceci est d’autant plus valable que les facteurs de la
mobilité spatiale de grande envergure se répètent avec la récurrence de
périodes sèches et pluvieuses qui caractérisent le Sahel.
Mais cherchons d’abord à identifier le processus d’urbanisation dans le Vieux
Bassin arachidier.
I.2.3.1 Le processus d’urbanisation

L’arachide en réorganisant l’habitat rural en favorisant la dispersion de l’habitat


traditionnel groupé sous l’ère de la monarchie, a, en revanche, stimulé
l’existence d’agglomérations humaines qui ont évolué vers le statut de villes.
Avec la fin de l’ordre de ceddo, l’économie monétaire se substitue à l’économie
de subsistance : désormais les ressources autrefois acquises directement par
l’activité directe de l’homme (chasse, cueillette, activité agricole) peuvent
s’acquérir indirectement par les revenus. Les conditions de naissance des
marchés sont ainsi réunies entraînant celles des villes qui deviennent les
unités « d’encadrement » du nouvel ordre économique, le centre des échanges
et de la production des produits secondaires.

La ville devient donc un espace de ressources et de revenus susceptibles


d’attraction sur les populations.

Cette restructuration des établissements humains se traduit aussi par


l’émergence du réseau urbain en fonction de la capacité de collecte ou de
traitement de l’arachide. Elle matérialise l’impact de la filière arachidière sur
l’habitat.
Le développement spatial du bassin correspond à un engagement accru de la
population dans la production de l’arachide et un besoin d’espace agricole ; il
correspond également à une hausse de la production et l’extension de la filière
arachidière. Ce processus se traduit par un maillage de l’espace en
infrastructures et en acteurs nouveaux dont la présence détermine une
discrimination et une hiérarchisation des établissements humains. C’est en
fonction de l’importance des infrastructures, leur densité et leur qualité que se
développent les centres urbains par l’attrait qu’ils exercent sur leur arrière-pays.
Mais, on peut également souligner qu’entre les centres urbains et leur arrière-
pays, les relations fonctionnent comme un système de vases communicants,
traduisant ainsi une forme d’équilibre entre ville et campagne.
Les villes sont les résultats d’un processus en plusieurs étapes qui se
confondent avec l’installation progressive des fonctions qui leur sont dévolues :
une phase militaire, une phase économique et une phase administrative.
La phase militaire correspond à la mise en place d’un système de forteresses
dont l’objectif est le contrôle et la pacification d’un territoire qui va
correspondre à l’espace colonial, cet espace rebaptisé la colonie du Sénégal,
taillé sur l’espace traditionnel et amputé de la souveraineté de l’autorité
monarchique du Cayor. Cet espace dégagé est sécurisé par un système de
forts qui abritaient des garnisons militaires ; ces dernières ayant la charge de
la défense de l’axe Dakar - Saint-Louis qui relie les localités de Louga et
Kébémer.

La pacification de la zone s’est faite en trois étapes : l’installation dans les sites
insulaires de Gorée et de Saint-Louis dont les caractéristiques stratégiques
évidentes ont contribué à leur rapide urbanisation et développement ; le
déploiement d’une ligne téléphonique (en 1862 ) défendue par un système de
forteresses dont les postes de Mbidjem, Lompoul et Mérinaghem20 (L S
Mbow :1985 ; 270) ; enfin la transposition de ces postes militaires du littoral
vers l’intérieur dans les sites de villages anciens comme Kébémer et Louga et
dont les autorités traditionnelles étaient des chefs musulmans favorables à la
puissance coloniale.
Ces forts (au nombre de quinze dont celui de Louga construit en 1883) vont
évoluer en gares le long de la voie ferrée.

La phase économique se matérialise par la transformation des forts en points


de traite
Sitôt la pacification terminée, les maisons commerciales vont emboîter le pas
aux garnisons militaires pour donner aux sites des forts une dimension
économique.
Après les militaires, viennent les marchands représentés par les maisons
commerciales marseillaises et bordelaises ou leurs succursales venues de
Saint-Louis. Les forts ainsi transformés en escales deviennent des marchés
qui structurent et organisent l’espace en points de collecte hiérarchisés par
l’importance de la production échangée et du nombre de villages polarisés.

20
(Mbow L S: une lecture des villes sénégalaises, in annales de la faculté des Lettres et Sciences
humaines n° 15 ; 1985, PUF ; Paris) »
L’escale par ses maisons de commerce était un espace structurant : un
« circuit fortement soutenu par d’excellents rapports de clientélisme entre
producteurs et revendeurs-gérants, de sous comptoirs a permis aux escales de
polariser à leur profit une aire agricole suffisamment importante. » (MIN : 6 ;
1993)
C’est en reconnaissance légale de ces localités et de l’arrière-pays que les
autorités coloniales ont décidé de leur donner un statut juridique.

Enfin, avec la phase juridique la ville prend sa substance administrative avec


un statut légal et un aménagement spécifique.
L’arrêté n°1263 AB du 23 Février 1953 stipule que « le classement d’une
localité de brousse comme point de traite en fait un centre urbain, avec
toutes les conséquences d’ordre domanial que cela entraîne : lotissement
officiel, adjudication des parcelles, obligation d’effectuer certains
investissements sous forme de constructions en dur ». (Joseph Fouquet, cité
par Sar, M. : 1970 : 93).

Ces localités ainsi reclassées constituent dans une large mesure, le point de
départ du système d’établissements humains avec leur hiérarchisation, et une
esquisse de l’armature urbaine et de la future carte régionale.

En effet la hiérarchie observée à cette date demeure encore : cette nouvelle


juridiction a érigé plusieurs localités en centres urbains ou en localités dont
les fonctions lui permettent de polariser d’autres localités sur les plans
économique et administratif.

Le nombre de localités élues augmentaient et témoignaient de la dynamique


que l’économie arachidière imprimait à l’espace et aux agglomérations
humaines. L’évolution de ce nombre dans le cercle de Louga passe de 12
points de traite en 1950 à 23 en 1956 et 26 en 1959 avant d’être ramené à 21
en 1960 : une dynamique attestant le développement de la production et de
l’extension en superficie des emblavures.
La quantité d’arachide rassemblée en un lieu détermine son statut et sa place
dans la hiérarchie des localités.

En plus de cet aspect quantitatif, s’opère sous l’impulsion de l’arachide la


hiérarchisation des établissements humains. Sar M. a dressé une liste des
établissements humains dans un ordre qui plus tard est repris pour l’essentiel
comme les points d’ancrage de l’administration coloniale d’abord, puis du
Sénégal indépendant.

Points de traite de 4000 à 8000 t

Louga 7827 Darou Mousty 4928

Kébémer 6400 Guéoul 4450

Coki 5128 Ndande 4207

Points de traite de moins de 1000 à 2000 t :

Darou Marnane 1914 Ndoyenne 1245

Thiamène 1695 Touba Mérina 1202

Ndiagne 1457 Thiolome 1191

Kanène 1282 Nguer Malal 1044

Points de traite de moins de 1000 t :

Bakal 998 Kabdou 343

Niomré 630 Kelle Guèye 285

Mouk-Mouk 377 Keur Momar Sarr 177

(Sarr, M. 92-93 ; 1970)

La confrontation avec la carte régionale actuelle (page 121 : carte actuelle du


Vieux Bassin arachidier) confirme la hiérarchisation des points de traite. Les
plus importants deviennent des communes reconnues comme villes : il s’agit
de Louga et Kébémer érigées en chefs-lieux de département à
l’indépendance en 1960. Les autres points de traite représentent dans l’ordre
hiérarchique des chefs-lieux d’Arrondissements, des chefs-lieux de
communautés rurales ou des villages centres.

Cette hiérarchisation traduit un équilibre entre l’espace polarisé et le statut de


la localité polarisante : une sorte d’équilibre villes-campagne.
CARTE DU VIEUX BASSIN
ARACHIDIER

• PETE

Région LOUGA
• THIEPPE

KAB GUEYE

Source: DA

Enquêtes ara Mboup

Légende • TOUBA MERINA


Chef lieu • NDOYENE
• Chef lieu de région
SAMYA AL
• Chef lieu de Département

• Chef lieu d'Arrondissement Région THIES


• Chef lieu de CR

• COMMUNE

Route
Chemin de fer

Route principale

Route principale à 2 voies

o Vieux bassin arachidier


Région de DIOURBEL
o Limite région
~"""'Iiiiiiii~""""""""""~iiiiiiiiiiii...i16 Kilometers
I.2.3.2 L’équilibre villes-campagne

La ville et la campagne s’opposent par leurs caractéristiques essentielles :


d’une part le marché pour la première et le terroir pour la seconde, d’autre
part on peut séparer le temps de vivre urbain du temps de vivre rural.

Cependant ces caractéristiques sous-tendent leur équilibre tant que s’exerce


leur complémentarité.

La hiérarchie établie sur la base du tonnage collecté en moyenne est


confirmée dans ce tableau des points de traite (moyenne calculée dans
l’intervalle 1951 et 1958). C’est aussi le début de l’équilibre villes-campagne :
l’importance d’un point de traite est proportionnelle à celle de sa capacité de
collecte résultant de la taille ou de la productivité des terroirs de son arrière-
pays rural d’une part et de la force d’attraction de son marché sur les
producteurs. Cette force d’attraction du marché est mesurable à la
représentativité du commerce et de sa compétitivité par l’offre qu’il propose
aux paysans (crédit ou autres services). Car, «… de façon indirecte, l’escale
était souvent relayée par des bourgs satellites où opéraient les rabatteurs et
les gérants de sous-comptoirs. » (MIN : 6 ; op. cit.)

L’équilibre villes-campagne, dans le cadre de l’économie d’échange, se


traduit par des interrelations rendues possibles par la complémentarité de
leurs fonctions respectives : cette complémentarité peut se mesurer à la
dynamique des flux : flux financiers, flux de biens, flux démographiques,
etc.…
- Les flux financiers de la ville vers la campagne en échange de la
production agricole vendue engendre des flux de biens de consommation et
d’équipement de la ville vers la campagne.
- Ces flux de biens de consommation et d’équipement (même artisanal)
consolident ainsi la fonction de marché de la ville. (en wolof on aurait dit la
métaphore que ceux qui sont à l’ombre travaillent de concert avec ceux qui
sont sous le soleil). L’étendue de la demande (rurale) détermine la taille du
marché qui est un espace de relations d’échange et le nœud de plusieurs
réseaux.
- Les flux démographiques se mesurent à l’aune de la concentration dans
le temps et dans l’espace de ces ressources que sont ces biens financiers et
matériels. Cette concentration de biens est aussi un facteur d’attraction et
source de flux démographique donnant les ressources humaines qui
travaillent à leur traitement à leur acheminement et à leur distribution. Toutes
ces activités pouvant générer des revenus.

L’équilibre permet le croisement entre les flux de biens et les flux financiers :
biens de production et de consommation venant de la campagne ou de la
ville et flux financiers faisant la navette; le tout étant accompagné de flux
démographique. La concentration des biens et les revenus qu’elle engendre
attirent les flux démographiques qui, à leur tour, donnent à la ville son
caractère d’agglomération humaine et de marché.

Les villes de Louga et de Kébémer donnent un exemple d’équilibre villes-


campagne qui permet de comprendre l’importance respective des villes et
leur hiérarchie.
L’importance de chacune des villes peut se mesurer en fonction de la taille de
leur arrière-pays et des ressources qu’elles échangent.

Dans leur configuration administrative acquise avec l’accession à la


souveraineté internationale du Sénégal, le département de Kébémer détient
les 2/3 des surfaces cultivables contre 1/3 pour le département de Louga.
Mais paradoxalement, la ville de Louga se développe plus rapidement que
celle de Kébémer.
La ville de Kébémer détient dans son arrière-pays les 2/3 des surfaces
cultivables contre 1/3 pour l’arrière-pays de la ville de Louga. Néanmoins,
cette dernière est plus importante sur le plan spatial démographique et
fonctionnel. Car la ville de Louga a bénéficié d’un arrière-pays relativement
plus important et polyvalent. En effet, à cet arrière-pays comprenant la
campagne proche spécialisée dans la production agricole s’ajoute un autre
comprenant toute la zone sylvopastorale incluant la zone de Linguère-Dahra
et qui a donné à Louga son fameux marché à bestiaux : le Marbat.

De plus grâce à son unité industrielle, la ville de Louga polarisait les deux
arrière-pays fusionnés en un seul.
Du point de vue du marché de l’arachide, la ville de Louga, bénéficiant de sa
proximité avec Saint-Louis, capitale politique et siège du grand commerce,
avait enregistré un trop plein de maisons de commerce.

Plusieurs comptoirs commerciaux présents au Sénégal sont implantés dans


le cercle de Louga et pratiquaient le commerce de demi-gros. Il s’agit des
maisons Lacoste, Deves & Chaumet ; Buhan & Tesseire, CFAO, NO.SO.CO,
Maurel & Prom, Maurel & Frères, Barthes et Lesieur, Sentenac, Graule & Cie
et Chavanel qui avaient leurs succursales à Kébémer (Mboup 1996).
L’affluence de traitants était tellement importante dans la ville de Louga au
point que, selon nos interlocuteurs, certains traitants, faute de place, s’étaient
fixés dans les localités avoisinantes. Ce fut le cas de la famille Wardini qui
s’était finalement installée à Sakal, une localité plus petite située sur la route
de Saint-Louis.
Ces maisons de commerce collectaient la production arachidière par une
série d’intermédiaires et fournissaient en échange des denrées alimentaires,
des articles de traite et des produits manufacturés. L’importance des
quantités de graines d’arachide devrait expliquer l’installation dans la ville dès
1928 de l’Huilerie du Cayor ou usine Dégomis du nom de son propriétaire.
L’usine fabriquait en plus de la glace (500 kg par jour) et 55 à 60 tonnes
d’huile par saison.
Ces infrastructures commerciale et industrielle organisent un espace
d’approvisionnement en région agricole dont la ville de Louga devient la
capitale économique. Cette région que nous nommons ici sous le vocable
de Vieux Bassin arachidier comprend la zone de Louga et celle de Kébémer.
La concentration des maisons de commerce et de l’huilerie font de la ville de
Louga pôle régional dont le rayonnement couvrait tout son arrière-pays rural,
agricole et pastoral.
La ville de Louga a également bénéficié d’un héritage d’avantages
administratifs qui datent de l’ère coloniale : elle fut le chef-lieu du cercle le
plus vaste du Sénégal et qui englobait les subdivisions de Kébémer, de
Louga et de Linguère.
Toutes ces fonctions administratives et économiques ont contribué de
manière déterminante à faire de la ville de Louga et celle de Kébémer dans
une moindre mesure des marchés à légumes dont la production est
encouragée depuis les années 1940 dans les Niayes situées dans la bordure
atlantique.

La hiérarchie entre les villes de Louga et de Kébémer peut donc s’expliquer


aussi par leurs fonctions dans la filière arachidière et dans l’administration.
Ces fonctions déterminent l’importance de l’arrière-pays.
La ville de Kébémer dispose dans son arrière-pays d’un vaste capital de
terres cultivables et d’une forte main-d’œuvre disponible et disciplinée
organisée en daaras sous la direction de marabouts en majorité mouride.
L’importance relative de Louga s’explique par un cumul de
fonctions supérieures : fonctions historique, économique et en particulier
industrielle qui lui permettent de fusionner dans son arrière-pays agricole,
sous formes d’espaces emboîtés, tous les autres liés à d’autres points de
traite y compris celui de Kébémer. A ces fonctions s’ajoutent celles que lui
donne son arrière-pays pastoral qui alimente son marché à bestiaux.
L’association de toutes ces fonctions lui confère son rayonnement régional
par un équilibre villes-campagne qui fonctionne grâce à la dynamique des
marchés urbains et des ressources drainées par les terroirs de l’arrière-pays.

I.2.3.2.1 La dynamique de l’équilibre villes-campagne

Cet équilibre qui fonctionne grâce à ces croisements de flux se maintient


grâce à des facteurs de régulation. Mais il peut connaître des ruptures du fait
de facteurs de distorsion.
Les flux peuvent se renforcer et s’affaiblir ou s’inverser ou changer de
direction en fonction de divers facteurs.
L’évolution de l’équilibre villes-campagne en dépend apparemment. Cette
dynamique évolue sous l’influence de la mobilité qui dépend de facteurs de
régulation ou de distorsion.

Ce sont les facteurs de distorsion qui engendrent des crises passagères : ils
sont souvent liés à la pluviométrie, aux baisses de rendements et ou des
prix, et peuvent parfois se combiner.

En effet, malgré la relative stabilité climatique favorable qui a marqué la


période de 1921 à 1969, la perturbation est venue de la crise monétaire
suivie d’une période de sécheresse.

Ainsi en 1929, la population du cercle de Louga qui avait atteint 134000


habitants allait décroître jusqu’à 112317 h en 1932 : cette chute de la
population est consécutive à la crise arachidière des années 1930-1932, elle-
même résultant de la crise monétaire de 1929.
On souligne que la période 1941 et 1950 qui correspond à une épisode
sèche et la deuxième guerre mondiale, est aussi soldée par une crise
majeure qui a provoqué une forte émigration rurale vers des zones plus
productives.

Les migrations rurales revêtent un caractère tantôt spontané, tantôt organisé


et ont pour la plupart une amplitude interrégionale.
Les migrations organisées le sont souvent par des chefs religieux et des
notables ruraux qui bénéficient d’une confiance populaire et plus encore
d’une capacité de mobilisation du fait de leur baraka21. Ces migrations
peuvent être dirigées vers ou en dehors du bassin pour de nouvelles zones.
Cet équilibre a une dimension démographique dans une région où la mobilité
est une dimension importante de la vie. La mobilité est interne à la région
lorsque le bassin connaît une expansion ou retrouve son développement (à la
suite d’un retour de la pluviométrie après une phase sèche). Les flux sont soit
orientés vers la campagne ou vers les villes. Le gonflement démographique

21
A Guëty Ndongo (bâtisé ainsi par le fondateur de la confrérie mouride), le chef de village affirme que
la prospérité du village a été prédit par Cheikh Issa Diène, car dit-il ce sont les habitants de ce villages
qui le premier l’ont reposé du travail. Le Cheikh travaillait son champ au moment où les habitants lui
enjoignent de ne plus travailler : ils le feraient à sa place. En récompense, il leur promet la prospérité.
qui en résulte se répercute sur les villes et les campagnes. La colonisation de
la zone de Darou Mousty outre l’arrivée de marabouts Mbacké de la confrérie
mouride originaire du Baol (région de Diourbel) s’inscrit dans cette
dynamique.
La plupart des disciples qui ont répandu à l’appel des marabouts dans cette
zone seraient venus du Ndiambour (zone de Louga) et du Cayor (zone Thiès-
Kébémer).
Cette migration interne explique la forte densité (relative) de cette zone.
Cette migration est inter rurale; elle peut aussi diriger vers les villes et
prendre une allure d’exode rural renforçant la base démographique des villes.

C’est le cas lorsque les villes sont assez attractives puisque bénéficiant
d’équipements et d’infrastructures et d’une dynamique économique offrant
des opportunités de revenus aux ruraux.
Les migrations peuvent aussi se diriger hors de la zone pour des raisons
diverses.
Ainsi, Tidiane Lo un notable originaire de Niomré, ayant constaté le caractère
spontané et le nombre de plus en plus important de départs individuels tenta
d’y de mettre de l’ordre et d’organiser avec succès le mouvement de
navétanat en direction du Saloum (Ndiaye, op. cit. p 69).
Mais l’organisation de migrations les plus importantes serait l’œuvre de
marabouts et de leurs disciples. Parmi eux, on note les grands dignitaires (ou
cheikh) mourides qui ont participé à l’organisation des migrations. C’est les
cas de Cheikh Issa Diéne de Ndande et Sérigne Daouda Mbaye de Louga.
Ces derniers ont surtout suivi le mouvement vers le sud en participant
activement à la colonisation du nouveau Bassin arachidier dans les Terres
Neuves. Cheikh Issa Diène aurait créé au Saloum des champs associés à
des daaras et villages nommés Lagane, Khabane, Déguène (Touba Ndiéné);
ses descendants ont continué son œuvre en créant d’autres colonies comme
Daray Sidy (par Sérigne Naar Diène, son fils) et Khaïra Mbayar (par Sérigne
Bassirou Diène). Ces colonisations s’accompagnent d’une émigration de
disciples ; elles entrent dans le cadre de l’extension du bassin arachidier mais
aussi du redéploiement des confréries religieuses dans l’espace national en
suivant le front de colonisation arachidière.
Cette organisation de migration n’empêche le retour des populations
émigrées chaque fois que la pluviométrie annonce une reprise.

Par exemple, la bonne pluviométrie enregistrée en 1933 a pour conséquence


l’augmentation de la population du cercle qui passe à 133027 h (Sar,
Moustapha, 1970).

Ainsi donc les crises arachidières consécutives aux épisodes sèches de la


pluviométrie et aux crises monétaires provoquent des migrations de
population vers d’autres régions ; ce qui a nécessairement une incidence
négative sur l’urbanisation. Le tableau ci-dessus montre le recul de la
population urbaine en 1959 qui est une année de baisse de la pluviométrie.

La répartition démographique entre ville et campagne évolue sous l’impulsion


de la production arachidière.

Tableau n° 6 : évolution du taux d’urbanisation de 1930 à 1950

Population/Année Population totale Population Taux Population Taux


rurale urbaine
1930 141088 132788 95% 8300 5%
1950 123906 105206 85% 18700 15%
1959 154100 135000 87,6 19100 12,4

Source des données : SAR, M. 1973


100

95

90
Tx urbain
%

Tx rural
85

80

75
1930 1950 1959
Année

La répartition de la population entre villes et campagnes est fonction d’une


part de l’effectif totale de la population présente dans la zone et du
développement de la production arachidière.
Si le taux d’urbanisation augmente dans la période (1930-1950) en passant
de 5% à 15%. Ce n’est pas tant en fonction du développement de la
production, au contraire, cela peut être attribué au fait que la ville est devenue
un lieu de refuge économique.
Car, les facteurs répulsifs en campagne se sont aggravés avec les
mauvaises récoltes liées à la sécheresse : les années 1930 (292mm), 1931
(242mm), 1941 (292mm), 1942 (239mm) ont été particulièrement sèches.
Les productions d’arachide et de mil avaient baissé pour devenir nulle en
1941/1942. A cela s’ajoutent des calamités naturelles comme le « heug »
(pluies hors saison) de 1942 qui n’a pas épargné le petit bétail.

Il y a aussi d’une part une corrélation entre l’augmentation du taux


d’urbanisation et la représentativité de l’arachide dans le système de culture.

En 1932 : lorsque des superficies cultivées en arachide n’étaient que


seulement de 32%, alors la population urbaine s’étaient limitées à 5%
En 1959 l’arachide s’affirme davantage avec 42% contre 49% pour le mil
(qui diminue de 6% par rapport à la date précédente) et 9% pour le niébé et
autres (diminution de 6%), l’urbanisation en était à 12.5%. Il se produit un
certain équilibre qui pourrait traduire aussi l’importance de
l’autoconsommation et de la consommation urbaine en mil. Mais, la réduction
de la part des cultures vivrières correspond à une baisse relative de la
population rurale.

La part des cultures vivrières en superficies était de 68% en 1932 ; avec 55%
en mil et 13% en manioc, niébé, correspondant à une population rurale de
95%. Il faut souligner que l’arachide reste dans une certaine mesure une
culture vivrière. Son association avec le mil et le riz dans les traditions
culinaires sénégalaises est restée intacte malgré sa promotion en culture de
rente.

De toute manière, la production du mil et sa consommation font partie


intégrante de la stratégie de développement de la production arachidière.
D’abord, le système de culture, avec l’association mil/arachide et
l’assolement biennal en résultant, est nécessaire à la productivité des terres
arachidières. Ensuite, il permet de prendre en charge la reproduction de la
force de travail que le mil doit assurer en garantissant la sécurité alimentaire
ou à défaut, prendre en charge une partie de la consommation.
Enfin, la culture du mil et l’autoconsommation des cultures vivrières
permettent d’épargner les revenus arachidiers et de les utiliser à d’autres fins.
Une prise en charge de la nourriture de la campagne par les revenus
arachidiers grèverait le budget familial et réduirait gravement le pouvoir
d’achat des paysans en raison de la taille des familles et de l’inflation des
produits d’origine étrangère comme le riz.
Elle pourrait le cas échéant, compromettre le développement de la culture
arachidière. C’est apparemment pour parer à cette éventualité que fut prise
l’initiative des greniers de soudure par les autorités coloniales dans le cercle
de Louga. Pour la réalisation d’un tel objectif, les autorités coloniales ont fait
montre d’une violence telle que les paysans du cercle de Louga se
souviennent encore des exactions du Commandant qu’ils nomment Co22
dans leur jargon.
Cependant le recul des cultures vivrières au profit de l’arachide n’est peut-
être pas redevable seulement à l’appétit du gain, mais aussi à d’autres
facteurs. En effet, la culture du mil est très vulnérable à l’évolution des sols.
Les sols deck plus propices au mil se dégradent et évoluent vers une
structure de sols dior (phénomène baptisé « diorisation » par certains
chercheurs). De même, le mil n’a pas comme l’arachide la faculté de tirer
directement l’azote de l’atmosphère et est très sensible à la richesse en
azote. Or, les sols faute d’apports nouveaux en humus et engrais minéral, et
soumis à une forte exploitation extensive, sont très éprouvés par la culture
arachidière. Cette pratique extensive peut être attribuée au régime foncier, du
fait que ceux qui empruntent ou cultivent la terre en location ne trouvent pas
de raison de la gérer dans une perspective durable.
Cette diorisation entraîne le rétrécissement des superficies favorables au mil
et perturbe l’équilibre entre culture vivrière et culture arachidière le socle sur
lequel la campagne a bâti sa stabilité.

La perte de l’équilibre entre cultures vivrières et cultures de rente vient


compromettre la stabilité démographique des campagnes et renvoie à la
mobilité dont l’objectif est de trouver des revenus monétaires suffisants pour
assurer la survie.
A cela s’ajoute une rupture d’équilibre entre population et espace liée à la
réduction de superficie cultivable face à l’augmentation de la demande en
terres et de la récurrence de périodes sèches entraînant des déficits en
revenus dont la compensation ne peut se faire que par les migrations.

Il y a donc d’autre part, une corrélation entre l’importance des cultures


vivrières et celle de la campagne.

22
Dans la région, les paysans ont en mémoire les exactions subies sous le commandant Co qu’ils
assimilent à un bourreau en affublant à son nom ce petit sobriquet « Ko Jurul, jendoo ko, doo ko
yerem » : on n’a pas de pitié pour la personne qu’on n’a ni enfantée ni achetée. Pour rappel le
commandant Co a dirigé le cercle de Louga
Cependant il importe de souligner qu’à l’état des techniques restées
artisanales, l’exigence de forte main d’œuvre rurale peut expliquer la
faiblesse de l’urbanisation et influer sur l’équilibre villes-campagne.
La faible productivité rurale liée à la sécheresse et ses conséquences sur la
baisse des revenus et du pouvoir d’achat peut être à l’origine d’une mobilité
rurale qui se traduit par des migrations inter rurales et l’exode rural.
Ces migrations peuvent être temporaires ou définitives.
D’autres facteurs non moins importants viennent imprimer une dynamique de
mobilité à la campagne. Il s’agit des problèmes fonciers liés surtout au
changement des rapports humains et au statut des hommes dans la
campagne.
Ils procèdent de contraintes sociales et spatiales et contribuent à l’exclusion
de la campagne :
- Les contraintes sociales
A l’échelle locale des terroirs villageois, la poussée de la culture de rente a
entraîné une grande boulimie de terre et aggravé le système d’exclusion dans
le système foncier.

Elle a créé un relâchement dans les liens de solidarité qui permettaient le


bon voisinage entre villages de terroir assez grand et villages de colonisation
récente qui avaient bénéficié d’un accès facile sous forme de prêt. Les exclus
de la terre augmentent.

A l’échelle familiale, la société traditionnelle à économie de subsistance avait


pu bien gérer ses contradictions liées à son caractère gérontocratique par le
redéploiement des générations montantes sur d’autres terres. La tradition qui
privilégie les plus âgés et les aînés au détriment des plus jeunes et des
cadets garde une dimension de solidarité familiale avec le partage de la
nourriture dans le ménage.
La discrimination entretenue par la tradition sur les terres est reconduite par
les autorités chargées de la distribution des semences surtout lorsque celles-
ci, mises à la disposition de chaque famille n’étaient pas suffisantes pour
tous ses membres.
- Les contraintes spatiales

Elles se sont aggravées à la suite de la perte d’initiative spatiale qui


représentait une forme de régulation spatiale.
Auparavant, des redéploiements de population étaient effectués pour donner
des terres aux nouvelles générations qui allaient fonder ailleurs une nouvelle
communauté villageoise : en effet lorsque à la suite d’une rupture d’équilibre
entre population et terroir, s’imposait l’obligation de rechercher une terre
d’accueil pour la génération de trop, alors un terroir leur était offert même si
c’était dans le cadre du contrôle territorial. Face à la nouvelle donne politique
caractérisée par la fin du régime monarchique, cette initiative est perdue,
d’autant plus qu’avec la densification du bassin arachidier et la structure
foncière restée favorable aux notables ruraux, l’exode rural devient une
alternative. Il se traduit en flux démographiques dirigés vers les villes comme
dans une sorte de vase communicants entre la campagne et les villes qui
absorbent le trop plein démographique.
La ville est d’autant plus attractive que la campagne est répulsive du fait de la
différence de statut de l’homme et du genre de vie.
- La ville : un espace de sécurité et de citoyenneté à temps plein :
La ville offre à l’homme un statut supérieur qu’en campagne : une partie des
citadins étaient considérées comme citoyens, la ville était dirigée par des
autorités avec moins d’arbitraire et de tracasseries coloniales.

Par contre, la campagne reste un espace de non droit : ses habitants sont
des sujets soumis aux servitudes de l’indigénat et aux exactions des chefs
coutumiers et même des autorités coloniales ; ils sont victimes de corvées et
de taille.
La ville a été également moins exposée que la campagne aux pénuries de
toute sorte. Comme le souligne Richard Molard « …pendant toute la durée de
la guerre, là seulement (dans les villes) se trouvaient quelques tissus, un peu
de quincaillerie, des occasions de dépenser des billets de banque devenus
complètement inutiles en brousse. Le paysan noir a brusquement éprouvé
pour la ville le même attrait que le paysan français. La crise a provoqué une
poussée urbaine sans précédent en AOF et qui ne semble pas devoir
s’arrêter… » (Cité par Ndiaye, O. N. : 36.). Cette saignée de la campagne
peut aussi s’expliquer par le contexte de la politique coloniale caractérisée
par la politique de l’indigénat marquée par les corvées.
La plupart des acteurs économiques étant des français, des libano syriens et
des ressortissants des quatre communes font bénéficier de droits liés à leur
statut de citoyens aux localités dans lesquelles ils vont exercer leurs activités
économiques. La ville devient aussi un espace de droit qui se traduit par la
présence de services : école, centre de santé, etc.…

- Les différences de revenu entre villes et campagnes


La ville offre des opportunités ou externalités qui aident à l’insertion urbaine
des ruraux : d’abord par sa structure sociale, par sa dynamique économique
et son caractère d’agglomération humaine.
Par sa structure sociale la ville offre un marché de travail : l’existence de
nouvelles catégories sociales formées par les traitants et gérants des
maisons de commerce ressortissants français ou libano-syriens et citoyens
des quatre communes fait naître des opportunités de travail pour les ruraux.
D’abord d’auxiliaire au service de la catégorie sociale susmentionnées : c’est
le cas des rôles de rabatteurs pour les hommes; puis, des métiers de
bonnes ou femmes de ménage pour les femmes rurales.
Ensuite, en complément de l’économie structurée des maisons de commerce,
s’ajoute l’économie informelle qui ouvre des perspectives d’insertion
économique aux ruraux.
Elle sert aussi de transition entre d’une part les métiers traditionnels des
castes qui se recyclent sous forme d’ artisanat : la forge, la bijouterie, la
cordonnerie et d’autre part les métiers modernes ou la création de nouveaux
services offerts par la population locale comme la restauration, la confection,
la boulangerie. Le commerce de détail ouvre des perspectives pour les ruraux
assez entreprenants : la commercialisation du vivrier marchand par les
femmes des villages proches de la ville. A Kébémer, les femmes des villages
proches, Tobi, Ndakhar, Mbengène dominent le marché de la distribution de
farine de mil ou de couscous.
L’économie informelle augmente en importance en fonction de l’importance
des tonnages d’arachide commercialisés et participe à l’animation des
marchés hebdomadaires qui se tiennent à tour de rôle dans les différentes
escales ou points de traite.
Ces ruraux arrivés et installés en ville élisent domicile tout autour de l’Escale
et contribuent à créer l’espace urbain et à lui redonner son identité et sa
physionomie. Si par les métiers, la ville semble être la copie du village en ce
qu’elle donne une forme d’occupation spécialisée de l’espace avec la
proximité sociale et spatiale des activités économiques à l’image des castes.
Aussi, du point de vue physionomique, observe t-on ce qui est proprement
identifié comme le périmètre urbain ou « taax ya » (les bâtiments) en
l’occurrence l’Escale, et ce qui revient au village ou campagne : l’habitat en
nature. La décision de rester en dehors de ce périmètre ou à la lisière ne
procède pas seulement d’une exclusion économique ou sociale, mais elle
procède d’un repli culturel : dans nos enquêtes, plusieurs personnes du
troisième âge regrettent leur incrédulité dans le passé en ayant refusé l’offre
qui leur avait été faite d’obtenir un titre foncier dans l’Escale. Ils considéraient
difficilement la valeur d’échange d’une parcelle en ville.
Ce regret témoigne de leur conscience urbaine actuelle et de leur ruralité
d’hier : pour eux la richesse, c’était l’exploitation agricole ou le bétail.
Aujourd’hui devenus citadins, ils ont une perception citadine de la richesse :
la maison ou les ressources financières.
La ville par ces opportunités sert de lieu d’appropriation de revenus d’appoint
lorsque les revenus agricoles deviennent insuffisants. Elle sert aussi
d’alternative ou de lieu de repli aux ruraux victimes d’exclusion foncière.

En plus, au temps de travail relativement court en campagne, et à la précarité


des revenus liés à une pluviométrie évoluant en dents de scie, s’ajoutent des
rapports entre commerçants et paysans défavorables à ces derniers.
En effet, le prix de l’arachide bien que substantiel pour les maisons de
commerce était grevé chez les producteurs par le paiement de tous les
intermédiaires allant du rabatteur jusqu’aux succursales en passant par le
chef de comptoirs de brousse et les libano-syriens.
Au paiement des intermédiaires s’ajoute celui du système de crédit. . Car
« C’est à crédit (que l’on devait) approvisionner les intermédiaires africains,
peuples commerçants côtiers du début, ou plus tard, agent de traite chargés
de prospecter la brousse » (J.S. Canale, 1964; p14)
Enfin les activités économiques induites par l’arachide n’étaient pas
suffisamment durables ni assez importantes pour permettre des économies
significatives dans les campagnes et les petites villes car « La « campagne
de traite » s’effectue sur une brève période de quelques mois, aussitôt après
la récolte, sa durée et sa localisation dans le temps variant suivant le produit
et la région. Pendant le reste de l’année, l’activité est réduite, limitée à la
vente des marchandises, faite en grande partie à crédit. » (J.S. Canale,
1964 ; p14)
L’économie arachidière est une économie sélective aussi bien sur le plan
social que spatial.
Sur le plan spatial, les inégalités de revenus sont observées entre les villes et
les campagnes. Ensuite au sein des villes l’espace est structuré en fonction
des revenus et la structure paraît tenir plus de la race ou du statut de
l’homme, qu’il soit citoyen ou sujet. Cela montre les limites spatiales de
l’insertion urbaines des ruraux.
Sur le plan social, les notables ruraux gardent les privilèges fonciers qu’ils
tirent de l’ère monarchique et les petits producteurs se heurtent à la
législation foncière traditionnelle.

La société arachidière entretient une sélection sociale qui se traduit par des
privilèges qu’elle donne à certaines catégories sociales : traitants, gérants de
maisons de commerce ou de succursales, chefs religieux et notables ruraux
du fait du choix porté sur eux par les autorités coloniales. Les maisons qui
gardent l’initiative économique de par leur position dans la filière arachidière
s’approprient les bénéfices.
Les revenus qu’ils gagnent ne leur permettent pas une mobilité sociale dans
l’économie et une position stable : la mobilité spatiale devient une stratégie
de survie et de recherche de ressources d’appoint. Les villes ou les nouveaux
bassins arachidiers situés au sud de leur région leur offrent un espace
d’accueil plus prometteur grâce aux opportunités de revenus qu’ils y
attendent.
Mais apparemment la mobilité sociale paraît impossible : la société
arachidière reste figée dans une inégalité malgré les espaces aménagés pour
certaines catégories sociales. L’étude de la filière arachidière dans les villes
et entre villes et campagne donne une idée des limites de la mobilité sociale.
La part la plus importante des revenus arachidiers revient à ceux qui
détiennent l’initiative économique. On peut étudier cet aspect dans la
stratégie des acteurs de la filière arachidière.

I.2.3.2.2 La stratégie des acteurs

Les maisons de commerce marseillaises, bordelaises et rouennaises


installées à Louga avaient leurs succursales à Kébémer.

Parmi les premières maisons commerciales à s’installer à Kébémer, il y a la


maison Maurel et Prom arrivée en 1918. Elle sera suivie dès 1920 par une
mosaïque d’établissements commerciaux qui y installent leurs succursales.

Il s’agit de la C.F.A.O (Compagnie française d’Afrique occidentale), la


NO.SO.CO (Nouvelle Société Commerciale), les établissements Vézia, les
établissements Soukay et fils, la S.C.O.A (Société commerciale Ouest
Africaine), les établissements Chavanel et fils, et Maurel & Prom.
Le commerce des succursales européennes était spécialisé dans la
distribution en demi-gros des denrées alimentaires des articles et les produits
manufacturés. Il est relayé par les intermédiaires européens et libano-syriens
qui eux aussi étaient actifs dans la distribution de produits agricoles comme
l’arachide, le mil, la gomme et d’autres activités comme la boulangerie et
l’épicerie.
Parmi les commerçants libano-syriens installés à Kébémer, on peut retenir
certains noms : Jamil Abourisk , Bélo, Bichara, Joseph, Bouche, Haramane,
Moussa Gafary, Nicolas, Lascandre, Emile, Japy et Michel mitri.
Enfin, dernier maillon de la chaîne, le commerce des petits traitants locaux
était spécialisé dans le détail et dans la distribution des marchandises. A
Kébémer, parmi ces petits traitants et gérants, on peut citer : Ahmadou Anta
Samb, Doudou Gaye Massar, Antou Guèye Massamba Guèye et Oumar Aw
seraient venus de Saint-Louis. C’est le cas aussi de Jupiter Faye, Cheikh
Moustapha Diop, Iba Diagne, Cheikh Ibra Faye. Par contre Mbaye Diène
serait originaire de Rufisque Makébé Kébé de Kébémer.
En plus de l’importance de leur nombre, c’est la qualité de leur statut qui,
peut-être doit retenir notre attention car c’est apparemment ce qui va
déterminer, dans une certaine mesure, l’évolution des lieux habités. La
présence sur son sol de tous ces citoyens étrangers et Saint-Louisiens a dû
profiter à la ville d’abord du point de vue administratif en raison des services
dus par l’administration coloniale aux citoyens. Ce qui a dû impulser le
développement administratif et politique de la ville par le nombre croissant de
services.
En effet, la localité de Kébémer a connu une série de promotions assez
rapide qui lui ont valu de s’ériger en ville polarisante : promue chef-lieu de
province du Guet en 1923 ; deux ans plus tard elle est devenue commune
mixte (en 1925). Ensuite, Kébémer est érigé en chef de subdivision dans le
cercle de Louga, commune de moyen exercice en 1958 ; enfin, chef-lieu de
département en 1960.
Des infrastructures polarisantes venaient accompagner cette évolution
politique et marquer le tissu urbain : il s’agit des infrastructures médicales :
une infirmerie créée en 1921 et érigée plus tard en dispensaire ; la création
d’école pour la scolarisation des enfants.
En plus de leur fonction administrative, les villes exercent des fonctions
économiques parmi lesquelles le commerce prend une place prépondérante.
Le commerce est d’abord la première fonction à la base de la naissance des
agglomérations urbaines du bassin arachidier. Il importe d’analyser la
dynamique et le fonctionnement de cette activité et identifier les acteurs et
leur stratégie. A ce propos, la vie commerciale était animée par la
concurrence entre les maisons de commerce.
Pour attirer plus de clients et de productions, ces maisons commerciales ont
développé une certaine stratégie en employant des saint-louisiens de souche
pour la plupart, lesquels se sont fait relayer par des parents ou des rabatteurs
habitant la campagne.
Ahmadou Anta Samb serait arrivé le premier en éclaireur avant de se faire
rejoindre par ses cousins et parents par alliance : Issa Mbaye, Doudou Gaye
Massar, Antou Guèye Massamba Guèye et Oumar Aw disséminés dans la
brousse à certains points de traite stratégiques. Cette alliance était
nécessaire pour contenir la concurrence et fidéliser la clientèle à travers un
réseau parental.
Il existait d’autres réseaux locaux qui étaient animés par les paysans eux-
mêmes. C’est le cas par exemple de Mbaye Diop Mbawor qui tentait comme
son nom l’indique d’orienter toute la clientèle de la contrée du Mbawor en
faveur du traitant au service duquel, il travaille. En revanche ou en contre
partie, les paysans de la contrée ainsi fidélisée pouvaient bénéficier de séjour
sans frais en ville dans la maison du rabatteur.
Les traitants africains utilisaient ainsi donc des réseaux de parenté pour
rechercher et fidéliser leur clientèle. Les rabatteurs convoyés sont souvent les
ressortissants des contrées dans lesquelles ils sont envoyés ; le rabatteur
s’adresse à des producteurs qu’il connaît parfaitement pour avoir partagé
avec eux des relations de type communautaire au moins. Ses relations
subjectives paraissent être le fondement des rapports de confiance entre le
paysan et le commerçant.
Ce dernier consent à la clientèle des prêts, au besoin, de vivres de soudure
pendant l’hivernage ou des marchandises en échange de sa fidélité.

Ces réseaux épousaient parfois aussi la dimension religieuse avec les


confréries musulmanes mouride, tidiane, et qadria.
La famille Samb venue à Kébémer pour les activités de traite de l’arachide
dirige la Mosquée. Elle a bénéficié du parrainage du Khalife général de la
confrérie Tidiane (Sérigne Babacar Sy) sur l’autorisation de qui la Mosquée a
été construite.
Cheikh Moustapha Diop ressortissant de Saint-Louis devenait un Cheikh de
la confrérie Qadria.
El Hadji Cheikh Faye employé de Maurel Prom a été élu premier Maire de
Kébémer. Il a eu pour épouse la fille du Khalife général des Baye Fall
originaire de Ndiaby Fall, petit hameau situé dans la banlieue de la ville.
La concurrence s’appuyait sur le système de crédit, à l’instar d’ailleurs de
toute la filière arachidière.
Ces maisons de commerce bénéficiaient du financement d’organismes de
crédit métropolitains qu’elles redistribuaient dans les différentes localités en
fonction de l’importance des quantités d’arachide destinées à la
commercialisation. Elles s’occupaient en aval de la distribution des produits
de consommation. A ce titre, les succursales des maisons de commerce
installées alors à Kébémer pratiquaient le commerce de demi-gros. Les
traitants (ou sous-traitants) locaux avaient tissé des relations de fidélité et de
crédit avec les paysans. Mais il importe de savoir si les transactions
commerciales issues de la filière arachidière ont créé la classe commerçante
capable de prendre en main le commerce de la ville et remplacer le
commerce étranger ou à défaut constituer une classe urbaine capable de
continuer l’œuvre des traitants ou en somme devenir une classe structurante.
A ce propos, il importe de souligner que l’arachide a permis la naissance
d’une noblesse arachidière en ville. A Kébémer comme à Louga, les agents
des maisons de commerce et leurs employés de commerce originaires des
quatre communes bénéficiaient d’un certain prestige social auprès de la
population locale et rurale. Ce prestige s’est matérialisé par l’élection d’un
d’entre eux comme Maire de Kébémer et un autre comme Imam de la ville.
Cependant les rapports entre les différents acteurs permettaient-ils une
promotion économique des plus faibles ?
Selon cet auteur, les relations usuraires pouvaient compromettre l’évolution
ou l’ascension économique et sociale des paysans. En effet il souligne que :
« une clientèle paysanne assidue parmi les cultivateurs qui viennent vendre
leur récolte qui font presque tous leurs achats chez lui pendant la saison
sèche, mais qui contractèrent des dettes accablantes pendant l’hivernage,
quitte à payer quel qu’en soit l’intérêt exigé pour le prêt, à la prochaine récolte
d’arachide » (Amar Samb cité par Ba op, cit : 106).
Malgré ce témoignage accablant pour la filière arachidière il y aurait un
certain nombre de paysans devenus commerçants en tirant le capital primitif
de l’activité agricole.
Car selon cet ancien gérant de maison de commerce, en période de bonnes
récoltes, il arrivait que certains paysans (notables ruraux ou propriétaires
terriens ?) déposent leur argent chez le commerçant jusqu’à l’épuisement de
leurs réserves de céréales pour venir le récupérer.23
Mais tandis que certains paysans pratiquaient la thésaurisation des revenus
tirés de la culture de l’arachide, d’autres se mettaient à les investir dans
l’activité de commerce. La plupart des premiers commerçants locaux des
villes de Louga et Kébémer ont reconnu avoir tiré le capital initial (primitif) de
leur commerce de la vente de leur récolte d’arachide. Les paysans pouvaient
également trouver une insertion dans l’économie urbaine en intégrant les
réseaux nés de la filière arachidière comme rabatteur au profit des maisons
commerciales ou encore comme manœuvre ou marchands à la sauvette. Les
femmes rurales ou encore celles des quartiers périphériques de la ville
pouvaient trouver chez les employés de commerce ou des maisons de
commerce ou encore de l’administration des emplois comme femmes de
ménage.

Mais, de par la place qu’elles occupaient et les revenus qu’elles pouvaient


tirer de la filière arachidière, les catégories sociales autochtones ou locales
n’ont pu bénéficier de revenus assez importants pour permettre leur
promotion vers un contrôle de la filière ou une partie de celle-ci.

En ville, elle n’a pu créer une catégorie sociale structurante, c’est-à-dire une
bourgeoisie locale capable de rivaliser avec des maisons de commerce et
tenir le commerce à leur place.
A ce propos, le cas de Louga semble être exemplaire.
Dans cette ville une initiative locale qui a tout l’air d’une joint-venture a tenté
de faire face à la concurrence des grandes maisons commerciales.
A Louga, l’économie arachidière a engendré un embryon de bourgeoisie qui a
mis sur pied une structure locale. Celle-ci cherche à se tailler une place dans
le commerce de traite : il s’agit de la SEPA (Société d’Etudes des Produits
23
ce témoignage est recueilli de El Hadji Mbaye Diène, gérant (originaire de la ville de Rufisque) de
Chavannel et fils. Il affirme avoir gardé beaucoup d’argent pour des paysans qui ne le réclamaient qu’à
long terme.
Africains) dirigée par un natif de Louga. On peut lire sur un document
polycopié le témoignage suivant- : « …je me retrouvais dans le circuit de mon
grand-père Momar Gaye avec la remise sur le marché d’une nouvelle
société : la SEPA …Très vite, la SEPA allait conquérir le marché de Louga,
Kébémer et Linguère » (Mansour Bouna Ndiaye, ex-Maire de Louga)
La société, poursuit l’auteur, utilisait ainsi un réseau de 91 traitants, tous
sénégalais. Pour fidéliser sa clientèle, elle avait proposé des prix très
concurrentiels et en bonification, un billet de la Mecque mis en loterie au profit
des paysans. La capacité de la SEPA de mobiliser autant de traitants à son
compte peut découler de l’utilisation de réseaux traditionnels. En effet M.
Ndiaye étant descendant de la famille de la monarchie du Diolof bénéficie
d’une ascendance sociale auprès des notables ruraux au point de pouvoir
assurer la reconversion des anciens réseaux politiques de ses ancêtres en
réseaux économiques. Ce clientélisme de type nouveau n’exclut pas les
marabouts devenus les grands producteurs d’arachides.
Sentant la concurrence déloyale, les maisons commerciales ainsi que
l’huilerie Dégomis vont combattre à leur manière la SEPA.
Malgré les atouts économiques sociaux et politiques réels dont elle a fait
profiter les citadins, l’économie arachidière n’a pu assurer la reproduction de
la couche sociale urbaine qu’elle a mise sur pieds.
En campagne, il paraît pertinent de s’interroger sur l’identification des
paysans thésauriseurs et dont certains se sont servi de la culture de
l’arachide pour faire de l’accumulation de capitaux leur permettant de se
lancer dans l’activité commerciale. En effet, l’observation de la composition
du corps des commerçants à Kébémer donne un certain nombre d’indices
sur ces paysans promus par l’arachide.
L’essentiel des commerçants locaux de Kébémer sont des « Naaru Kadioor »
ou des ressortissants de villages proches comme Ndakhar Khabe . Or, ces
« Naaru Kadioor » comme les Sady, les Amar, les Sougou appartiennent à
des ethnies qui s’occupent d’activités agricoles pendant l’hivernage et de
commerce (informel) la saison sèche. Anciens compagnons des monarchies
et ils sont héritiers de villages dotés des larges terroirs dont ils louent une
partie aux paysans des villages voisins. Le cas est identique pour les
ressortissants de Ndakhar quant à leur rapport historique avec la monarchie
et les droits fonciers qu’ils en ont tiré. Cependant la proximité avec la ville a
largement joué pour les familles Syll de Ndakhar qui sont demeurés dans leur
village tout en dominant une bonne part du commerce local à Kébémer. La
proximité a permis aux femmes de Ndakhar, Tobi et Mbenguène de dominer
le marché du vivrier marchand (farine de mil, couscous et niébé) ; en plus
leurs filles occupaient concurremment avec celles des quartiers périphériques
le marché de l’emploi des femmes de ménage.
Cependant cette percée relative de certains paysans ne peut cacher la
paupérisation massive du grand nombre.
Cette paupérisation s’est traduite (dans la physionomie urbaine et même
rurale) par la naissance d’une société à deux vitesses en ville et en
campagne : la catégorie sociale des notables ruraux et des marabouts
relativement aisée en campagne face à la masse de paysans pauvres ;
d’autre part en ville les tenants du commerce et de l’administration et les
autres, les exclus : la masse des paysans et ouvriers de l’arachide.
La physionomie urbaine s’est traduite par une dualité dans l’habitat urbain
avec un quartier central dit Escale et représentée par la ville ou les « taax » et
les quartiers périphériques souvent la duplication du village avec les mêmes
matériaux de construction des maisons et qui l’apparentent à un taudis.
En reproduisant quasiment la société monarchique, l’arachide est à l’origine
d’un immobilisme social qui est le reflet d’un immobilisme économique. Selon
Suret Canale cet immobilisme se reflète aussi dans le paysage urbain qu’il
décrit ainsi : « Elles demeurent ce qu’elles étaient : centres administratifs et
escales de traite…Les agglomérations ayant un caractère proprement urbain
sont rares : même dans les chefs- lieux, les constructions « en dur » se
limitent au quartier des affaires et aux quartiers résidentiels européens.
Rejetés dans la périphérie, les Africains essaient de reconstituer le cadre
villageois- cases en banco ou paillotes- avec comme au village élevage de
petit bétail (moutons, chèvres, poulets et pintades) » (J. S. Canale : 1964 :
517)
Cette pauvreté ou modicité de l’habitat des africains reflète aussi l’état dans
lequel se trouvent les producteurs. Cela laisse présager la faiblesse
économique des producteurs et leur difficulté à s’occuper de la terre en
facteurs de production et donc le maintien des sociétés africaines dans une
agriculture extensive parfois préjudiciable à la terre et sa reproduction.

Conclusion
L’existence de la campagne précède celle des villes. La campagne est
contemporaine de l’économie de subsistance et du contexte politique et
social marqué par le règne de l’Etat monarchique et de la société ceddo.
L’émergence des villes coïncide avec l’économie monétaire associée à la
production arachidière. La ville et la campagne, tout en articulant le mode de
production ceddo à l’économie de marché, deviennent ainsi les deux pôles
alternatifs d’une économie d’échange qui désormais détermine le
développement des territoires et leur attractivité.

Cependant, si l’économie arachidière a pu tant restructurer l’espace et


assurer son insertion dans l’économie de marché, a t elle pour autant réuni
les conditions de sa propre reproduction ? A t-elle créé une couche sociale
capable de reprendre l’activité commerciale et de la mener à des fins de
développement.

La lutte pour le contrôle des ressources ou du capital a été remportée par les
Maisons de commerce qui gardent jusque là l’initiative commerciale en
imposant leur prix aussi bien de l’arachide que des articles de traite, et le
contrôle des conditions du déroulement des opérations commerciales ; ce qui
se traduit par la nature de l’habitat (qui se reflète différemment dans la
physionomie des quartiers) de chaque communauté : mobilité spatiale sans
mobilité sociale.

Sur le plan social, elle a créé une sorte de noblesse arachidière, une
catégorie sociale plus imbue du prestige de citoyens dans une société de
sujets que d’acteurs économiques dotés de moyens économiques leur
permettant de se substituer aux traitants ou de prendre l’initiative économique
et voler de leurs propres ailes.
Cette noblesse entretient avec la société de paysans les mêmes rapports
d’usure que les traitants.
Mais peut-on attendre plus d’une économie de traite qui ne se donne pas
d’objectifs de développement? Plutôt que des efforts dans l’investissement,
c’est l’exploitation par l’usure qui semble être son credo, n’est ce pas l’objectif
majeur du système colonial ?
L’Etat du Sénégal indépendant tente de récupérer ces avantages coloniaux
par de nouvelles mesures.

C’est pour la correction d’un tel système que l’Etat indépendant va devoir
entreprendre des réformes de la filière arachidière. Celles-ci vont se faire à
travers des politiques de développement qui lui permettront de prendre
l’initiative économique à l’échelle nationale et de profiter au maximum de la
filière arachidière. Mais cette initiative économique de l’Etat indépendant va t-
elle corriger les inégalités de revenus entre villes et campagne ?

Quelles réformes pourraient permettre à la ville et à la campagne de


maintenir leurs fonctions respectives afin que celle-ci puisse vivre dans son
terroir de manière harmonieuse grâce à sa production et aux échanges avec
la ville?
DEUXIEME PARTIE

POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT ET
EQUILIBRE VILLES-CAMPAGNE DANS LE VIEUX
BASSIN ARACHIDIER.
II. LES POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT ET L’EQUILIBRE
VILLES-CAMPAGNE DANS LE VIEUX BASSIN ARACHIDIER.

Ce sont les politiques inaugurées depuis l’indépendance. Leurs objectifs et


leur contenu révèlent la volonté de l’Etat de réaliser le développement
économique et social de la nation sénégalaise. Il importe de chercher dans
quelles mesures ces politiques de développement déterminent l’équilibre
villes-campagne et la dynamique régionale du Vieux Bassin arachidier.

Ces politiques peuvent s’analyser en politiques volontaristes et en politiques


réalistes.

II.1. LES POLITIQUES VOLONTARISTES ET L’EQUILIBRE


VILLES- CAMPAGNE

L’équilibre villes-campagne qui se dessinait avec l’économie arachidière dans


le cadre de la traite va connaître une évolution sous l’influence des politiques
de développement introduites par le Sénégal indépendant. Ces politiques
sont d’abord sous-tendues par une volonté de relever le défi du
développement, d’où leur nom de politiques volontaristes.

II.1.1. Contexte et Objectifs

Dès la période de l’autonomie interne entre 1958 et 1960, la volonté de


rompre avec l’économie de traite par la promotion du développement, la mise
en place d’infrastructures de base et la création d’une bourgeoisie nationale
s’était vivement exprimée à travers d’ambitieux projets.

D’abord, le gouvernement avait profité de cette période pour fixer comme


objectif l’animation et la planification de l’économie. En 1958, deux bureaux
de recherche français furent engagés ; il s’agit de la Compagnie Industrielle
et d’Aménagement du Territoire (CINAM) et la Société d’Etudes et de
Relativisations Economiques et Sociales dans l’Agriculture (SERESA). Ils
étaient chargés de faire un diagnostic de la situation économique du
Sénégal, de définir un type approprié de politique de développement et
d’identifier les moyens pour la réaliser.
Ensuite, en 1959, on procède à la délimitation des régions naturelles, à
l’inventaire des ressources humaines et matérielles, et à l’identification des
contraintes et potentialités.

Enfin, des innovations majeures se traduisant par des réformes


institutionnelles furent mises en œuvre pour établir un appareil d’Etat capable
d’accueillir la politique du gouvernement et atteindre les deux principaux
objectifs : la décentralisation des structures administratives et la
déstructuration de l’économie de traite. Par la décentralisation des
structures administratives, le nouvel Etat se proposait d’impliquer les
populations dans la marche des affaires publiques. Sur le plan de la
gouvernance locale la loi municipale de 1955 instituant les communes de
plein exercice (avec un conseil élu au suffrage universel et un maire
fonctionnaire nommé mais non administrateur) permet à la population locale
de porter le choix sur ceux qui sont pressentis pour diriger leur localité. En
1958, la ville de Louga va être admise dans le lot de ces communes de plein
exercice alors que Kébémer est érigé en comme commune de moyen
exercice(commission municipale élue au suffrage restreint ) avant de passer
en plein exercice en 1960. (Sénégal : 1978)

La déstructuration des mécanismes de l’économie de traite se traduisait


quant à elle par une politique de nationalisation, la création d’établissements
spécialisés comme les organismes de crédit ou d’encadrement des paysans.
La nationalisation permettrait à l’Etat d’avoir une mainmise et un contrôle
effectifs sur l’appareil économique des sociétés et entreprises naguère
détenues par des étrangers.

Toutes ces mesures traduisaient la volonté de mettre sur pied une économie
indépendante au Sénégal (Dione, 2005 : 15)
Dans l’économie rurale, base du développement national, l’organisation de la
production passe d’une part par la mise sur pieds de coopératives qui
s’occuperaient aussi bien de la commercialisation des produits agricoles que
de l’approvisionnement du monde rural en biens d’équipement et de produits
de consommation, et d’autre part par l’accès à la terre comme facteur de
production. Cette dernière mesure annonce la remise en cause de la
législation foncière qui privilégiait les notables ruraux et l’élargissement de la
base de la production.

Ainsi, en 1960, le Sénégal, en accédant à la souveraineté internationale, veut


aussi réaliser son indépendance économique. Il tente de se développer en
se fondant sur une bonne gestion de ses atouts et une maîtrise de ses
contraintes. L’un de ses atouts était lié à la production arachidière connue par
sa bonne teneur en huile. Pour cette raison l’arachide sénégalaise avait
bénéficié d’une part, d’une forte demande dans le marché mondial, d’autre
part, de prix préférentiel garanti avec le soutien de la France. Enfin le
Sénégal cherche à conserver sa place privilégiée dans le peloton de tête des
producteurs mondiaux d’arachide.

Cependant en dépit de ces avantages, le pays n’avait pu bénéficier de


manière significative des retombées financières de la production arachidière
à cause du système économique de traite incompatible avec l’objectif de
développement. En effet comme le souligne cet auteur, « l’introduction du
Sénégal dans les circuits de l’échange international lui a fourni une série
d’occasions de croissance, mais la logique économique interne du système
colonial dans lequel il était inséré s’est opposé à leur transformation en un
mouvement cumulatif ». (Vanhaerverbeke, cité par Mbodji 1981 :150 )

Le Sénégal entend alors réorganiser la filière arachidière en maintenant les


acquis sur le plan de la qualité tout en augmentant la production. Il espère
ainsi profiter des revenus potentiels de l’arachide pour réunir les moyens de
son décollage économique.
Pour atteindre cet objectif, le Sénégal élabore une stratégie de
développement volontariste qui allie la socialisation de facteurs de production
et leur modernisation.

Le fondement idéologique de cette stratégie de développement volontariste


s’inspirait du socialisme dont l’objectif était ainsi présenté par Léopold Sédar
Senghor alors Président de la République du Sénégal : « l’objectif majeur du
socialisme est de faire régner l’abondance par le développement accéléré
des forces productives et, partant de la production. Il est majeur en ce sens
qu’il doit avoir la priorité sur tout autre, singulièrement sur la justice
sociale….mais le second objectif reste bien la justice sociale. Cela veut dire
que les biens et services ainsi multipliés dans l’abondance seront répartis
équitablement entre les travailleurs après qu’on en a prélevé, sous forme
d’impôts, ce qui est nécessaire aux services publics notamment aux services
sociaux chargés de l’éducation, de la santé et des loisirs. » (L. S. Senghor,
1969 : préface 3éme Plan)

Mais l’on peut se demander sur quelles forces productives allait se fonder ce
projet de développement ? Et quelles catégories sociales en deviendront les
principaux bénéficiaires ? Ce sont encore celles des chefs religieux et des
notables ruraux que s’était choisie la classe des traitants ou au contraire la
petite paysannerie ?

Apparemment en s’inspirant du socialisme, le choix porte sur l’élargissement


de la base sociale de la production et la modernisation des facteurs de
production et particulièrement du perfectionnement de l’outillage pour une
plus grande productivité, le tout pour réaliser les ambitions déclarées.

Sur quel espace entre la ville et la campagne allait-on privilégier


l’accumulation du capital à redistribuer ?

Ainsi même si l’élite rurale composée de chefs religieux et des notables


ruraux reste la base sociale du développement agricole, il reste que les petits
paysans gardent une place stratégique dans le système de production.
En effet, l’objectif de développement à la base ainsi que l’organisation de la
production sont clairement exprimés : la coopérative constitue la pierre
angulaire de la filière arachidière : Les coopératives doivent assurer à toutes
les familles paysannes un minimum d’équipement auquel toutes ont droit
sans devoir quitter leur terroir.

Le système coopératif s’offrait ainsi comme un moyen de socialisation des


facteurs modernes de production et la participation du plus grand nombre à
l’œuvre de développement ; cette participation massive qui voulait garantir à
chacun des revenus et à la nation les moyens de ses ambitions de
développement économique.

Il était en effet le cadre par lequel l’Etat assure l’équipement des producteurs
et leur assistance par des organismes d’encadrement capables de les
amener à maîtriser les paquets technologiques indispensables à l’obtention
de résultats à la hauteur des ambitions nationales.

Aussi, tente-t-on de s’inspirer de la culture locale pour socialiser la


production.

D’abord, l’institution d’un système coopératif qui s’inspire des principes de


solidarité régissant la société traditionnelle sert aussi de caution pour solliciter
les crédits bancaires indispensables à la modernisation des facteurs de
production.

Ensuite, l’Etat tente également de moderniser les rapports sociaux par la


mise sur pied d’un code foncier par la loi 64-46 du 17 juin 196424 qui donne
droit aux producteurs sur les terres qu’ils ont travaillées depuis trois ans :
cette loi promet la terre à ceux qui la travaillent est une remise en cause du
droit foncier traditionnel.

24
Certes c’est en 1964 que le Gouvernement Sénégalais a lancé la Loi sur le Domaine National. Mais,
cette approche révolutionnaire ne fut appliquée qu’ en 1980 et c’est en 1972 que les Présidents de
Communautés Rurales ont été responsabilisés dans la gestion des terroirs (C.N.C.R. 1999)
Ce qui, logiquement, devrait être le point de départ d’une redistribution des
terres signifiant la fin de la logique « ceddo » de répartition du patrimoine
foncier et du statut quo maintenu et hérité du pouvoir colonial.

Enfin, un autre volet de la modernisation est l’amélioration des conditions de


vie avec la politique de l’eau et le droit à des crédits de matériel pour l’habitat.

Malgré tout, la politique agricole apparaît comme une sorte de continuité de la


politique coloniale qui portait son choix sur les chefs religieux et les notables
ruraux comme maîtres des principaux facteurs, la main-d’œuvre pour les
premiers et la terre pour les seconds. Des statuts qui leur valent la fonction
d’encadrement de la société rurale dans la production de l’arachide.

En effet, en plus des avantages gardés sur les facilités en facteurs de


production : semences, terres, lignes de crédits à la Banque Nationale pour le
Développement du Sénégal (BNDS), matériel agricole et des prix
préférentiels, les marabouts participent très souvent à la commercialisation et
au contrôle des coopératives. A ce sujet, selon certains auteurs, les
marabouts sont aussi bien impliqués dans la production de l’arachide que
dans la gestion des coopératives. Rocheteau affirme que : « Très tôt…, le
développement du mouvement coopératif a permis aux cadres
maraboutiques portés par les populations elles-mêmes ou nommés par
l’administration aux postes de responsabilités, de reprendre partiellement le
contrôle des circuits de distribution » (Rocheteau, G. : 69 : 1970)25

Ainsi, les chefs religieux gros producteurs peuvent fonder leur propre
coopérative ou alors adhérer à d’autres en prenant la direction de celles
érigées dans les localités où dominent leurs disciples.

25
Pionniers mourides au Sénégal : changement technique et transformation d’une économie
paysanne : Juillet 1970 ; 80 pages ; ORSTOM)
Certains d’entre eux plus puissants bénéficiaient de lignes de crédits mis à
leur disposition par la BNDS et de meilleurs prix et de quotas pour les
semences et le matériel agricole.

Ces atouts du marabout augmentent son prestige économique et social et


confirment son leadership social et politique et contribuent à faire de lui un
pôle humain et un intermédiaire entre l’Etat et les populations. Cependant, il
convient de noter que ces chefs religieux sont pour la plupart restés dans la
zone de Darou Mousty.

De la même manière, « … les notables ruraux utilisent les coopératives pour


construire ou consolider leur bases politiques et économiques et sociales,
renforcer leur autorité et leur prestige. » (Mbodji, 1985 : 103).

Cette politique de crédit a permis la diffusion de la machinerie agricole. A


l’échelle nationale, les unités de culture attelées passent entre 1957 et 1963
de 200 à 5950, les unités légères de 0 à 4782, les charrues de 1111 à 5170,
etc. [Mbodji, 1985]

Cette nouvelle politique de crédit a été un facteur de transition qui se traduit


par un dépassement des prêts d’équipement sur les prêts de soudure :
« Désormais, les prêts d’équipement dépassent les prêts de soudure »
(Ecrement, 1965 : 61, 134 cité par Mbodji : 1985, 101).

Cela traduit une plus grande présence des pouvoirs publics et leur option
pour les facteurs de production.

Cette continuité de la politique coloniale n’a pas manqué d’alimenter une


polémique entre hommes politiques adversaires et partenaires de cette
option.

A l’inauguration de la mosquée de Touba le 7 juin 1963, le Président Senghor


s’adressant à l’auditoire n’a pas manqué de réagir aux critiques de ses
détracteurs en disant :
« Puisqu’un certain gauchisme infantile prétend nous présenter nos chefs
religieux comme des contre-révolutionnaires, les Fourrier du conservatisme, il
me plaît en ce haut lieu, de faire justice de ces calomnies. De nouveau
qu’est-ce que le socialisme, sinon le système économico-social qui donne
primauté et priorité au travail ? Qui l’a fait mieux qu’Amadou Bamba et ses
successeurs, dont vous El Hadji ? On me parlera d’un travail rationalisé,
organisé. Et vous avez toujours dans ce sens soutenu l’effort du Parti et du
Gouvernement »26. (Senghor, L S, cité par Copans, J : 208 : 1980)

Ce socialisme a aussi une dimension sociologique et spatiale

Sur le plan spatial, les politiques de développement ont un objectif fondé sur
la spécialisation de l’espace entre la campagne lieu de production et la ville
lieu des échanges.

Tout en reprenant à son compte un développement fondé sur l’agriculture,


l’Etat veut atteindre ses objectifs en pariant sur les gros producteurs
constitués des chefs religieux. C’est ainsi que ces politiques de socialisation
et de modernisation de la filière arachidière ont aussi privilégié les
campagnes maraboutiques que sont les zones rurales les plus productives.
Aussi, les villages maraboutiques détiennent-ils un privilège dans la
répartition géographique des forages et des coopératives et les marabouts
dans l’équipement en facteurs de production.

Une étude faite sur la zone de Touba Belel (arrondissement de Darou Mousty
, Département de Kébémer) sur l’exploitation du Khalife Général des
mourides Sérigne Abdou Lakhat Mbacké fait état de l’existence de 30 daara
regroupant 160 « takder » (disciples) et cultivant 750 ha (soit la moitié de la
superficie foncière totale). Ils utilisent 30 polyculteurs, 60 semoirs, 30
charrues, 60 paires de bœufs et 48 tonnes de semences d’arachide
décortiquée (Jean Copans : 244 :1980)

26
(cf. L.S. Senghor Liberté I, Le Seuil, 1964 pp. 423-424); le crédit agricole et les marabouts ou les notables
religieux ; cité par Jean Copans in Les marabouts de l’arachide p 208)
Ces villages de chefs religieux peuvent aller jusqu'à discuter la polarité aux
points de traite situés sur les axes de communication en particulier sur la voie
ferrée et qui administrativement bénéficient du prolongement des services
regroupés en ville. C’est le cas des localités promues chefs-lieux
d’Arrondissement accueillant des services groupés dans les CERP. Ces
derniers regroupent des agents de la SODEVA, des EAUX et FORETS, de la
promotion humaine et de l’animation rurale, l’ONCAD qui était chargé en
amont et en aval de la distribution de facteurs de production (semences
machines, engrais), la commercialisation et la collecte.

Mais le lieu d’accumulation du capital parait être la ville d’abord en raison


des efforts d’investissements consentis à son égard et des fonctions qu’elle
joue dans le cadre de la filière arachidière et de l’option volontariste de l’Etat.

Cette politique interventionniste se fait sous forme d’équipement et


d’encadrement de la campagne. Elle va avec des mesures
d’accompagnement de consolidation du fait urbain et de sa connexion avec
la campagne. Aussi la bipolarité villes-campagne est-elle régulée par une
complémentarité dans leurs fonctions respectives : fonction de production et
celle de marché. Leur connexion est assurée par un double réseau : un
réseau d’infrastructures et un autre d’équipements composés de services
administratifs et de structures d’encadrement pour le développement, et dont
l’organisation pyramidale assure une certaine continuité entre les villes et la
campagne.

II.1.2. Equipements et structures de développement au


service de l’équilibre villes-campagne

Equipements et structures de développement assurent, par leur ancrage et


leur densification, une centralité et une polarité des espaces urbains et
impulsent une certaine dynamique dans les relations villes-campagne. Celles-
ci encouragent le développement des activités de production en campagne et
la création de nouveaux villages. Aussi l’augmentation de la production va en
corrélation avec la croissance des activités d’échanges et la vitalité du
marché urbain.
Dans ce contexte, les villes relais à l’instar de celles de Louga et de
Kébémer entrent dans une dynamique de croissance urbaine. Celle-ci se
traduit par une extension du tissu urbain (les nouveaux quartiers, les
opérations de lotissements, témoin de la demande de parcelles), une
augmentation et une diversification des activités entraînant une multiplication
des fonctions. Ainsi la ville en plus de sa fonction de marché, devient un lieu
d’insertion de l’artisanat traditionnel issu de la campagne et de l’artisanat
moderne. Ces activités d’appoint pour les ruraux et les habitants des
quartiers périphériques font de la ville un milieu stable pour les citadins et un
espace de recours pour les ruraux.

La ville est ainsi un cadre propice au développement et à la croissance des


activités commerciales, un espace dans lequel les ruraux viennent rechercher
des revenus d’appoint. Ils y arrivent en jouant les rôles d’intermédiaires et de
détaillants, de colporteurs ou de rabatteurs que suscite le marché urbain. Lieu
de transformation, la ville est aussi un espace d’insertion économique en
raison des externalités qu’elle développe. Cette dynamique économique et
démographique se mesure à la croissance du taux d’urbanisation supérieur
au taux de croissance naturelle. Cette offre de travail et de revenu de la ville
à la campagne fait de ces deux espaces une sorte de continuum.

Par ce mécanisme, les surplus ruraux sont déversés en ville


saisonnièrement ou non. Ces surplus naissent de différentes manières :
d’abord ils procèdent des inégalités d’accès à la terre tant du fait de la
diversité des villages vue a travers la structure de la campagne que de la
difficulté d’accès à la terre dans le cadre familial pour les jeunes et les
femmes et les célibataires ; ensuite le comportement démographique reste
inchangé malgré l’apport de la charrue attelée qui réduit de manière
significative la main-d’œuvre nécessaire a l’exploitation familiale. Le
comportement démographique se fonde sur un fort taux de fécondité féminine
et la précocité de l’âge de mariage. Le transfert des surplus de population
rurale au profit de la ville devrait expliquer la forte urbanisation, mais
seulement lorsque les villes offrent un cadre d’accueil susceptible de les
intégrer.
Ces surplus seront encore beaucoup plus importants lorsque la campagne
n’arrive plus à sauvegarder sa productivité et ses revenus propres, soit du fait
du marché ou de la production.

Cela rappelle la théorie des vases communicants entre villes et campagne : il


y a donc un équilibre démographique entre les deux. La campagne a
maintenu sa dynamique démographique et ses surplus sont envoyés en ville
dont le développement des activités nécessite une main-d’œuvre rurale : les
femmes de ménage, les artisans, les ouvriers, le commerce informel local et
de détail a coté du gros commerce étranger puis national. En revanche, du
fait de la dissémination des marchés ruraux hebdomadaires, la campagne
offre aux citadins une bonne occasion de collecte de revenus.

Le renforcement du couple villes-campagne est inscrit dans la perspective de


développement du pays. En effet, pour atteindre ses objectifs de
développement, l’Etat sénégalais compte sur cet autre levier social, celui des
commerçants des villes et des campagnes. D’une part pour assainir le
secteur en éliminant l’économie de traite pour maximiser les revenus qu’il
pourrait tirer de la filière. D’autre part pour corriger les distorsions causées
par les maisons de commerce en reprenant les réseaux commerciaux entre
ville et campagne. Ces objectifs sont réalisés dans le cadre de la filière
arachidière.

II.1.2.1 Structures de développement et relations villes-


campagne

La dernière mouture de l’organisation de la filière arachidière mettait un


système formé de trois segments solidaires : le segment production ; le
segment commercialisation et le segment transformation.

Le segment production comprenait trois composantes ou partenaires :


- l’I.S.R.A (Institut Sénégalais de Recherche Agricole) pour la recherche et
la production de semences sélectionnées et l’adaptation de celles-ci aux
différentes zones écologiques (le Nord pour la variété 55, le centre la fleur 11
et le sud le 73 ayant respectivement un cycle végétatif de 80, 90 et 120
jours.)

- le service semencier était chargé de la commande et de la distribution


des semences sous forme de crédit. Il a été remplacé par la SONAGRAINES
et plus tard par l’UNIS (l’Union Nationale Interprofessionnelle des Semences)
pour la vente des semences sélectionnées et sa multiplication dans la
logique de la libéralisation de la filière arachidière.

- les PAYSANS (organisés en coopératives pour la production et le


crédit) pour la production tous azimuts y compris celle de semences de
bases utilisées 4 ans après pour la multiplication et la vulgarisation (avec la
SODEVA )

Le segment commercialisation en premier lieu contrôlé par l’OCA qui a


évolué en Office National de Commercialisation et d’Assistance au
Développement (ONCAD) comprenait aussi les OPS (Organismes Privés
Stokers), les transporteurs et l’UNCAS (l’union nationale des coopératives du
Sénégal)

Le segment de la transformation : il comprend deux unités, la première est la


Sonagraines (organisme spécialisé a la production et la gestion des
semences) et la seconde est la SONACOS (société nationale pour la
commercialisation des oléagineux) qui a remplacé le défunt ONCAD depuis la
libéralisation en 1984 et qui cumule la transformation et la commercialisation :
il est important de souligner le rôle des transporteurs et des commerçants
devenus transporteurs ou OPS dans le système de la filière arachidière en
particulier les locaux pour comprendre les initiatives de l’Etat dans ce
domaine au lendemain du départ des traitants.

En ville, les réformes agissent, dans une certaine mesure, sur le


développement des fonctions urbaines : le secteur industriel et celui du
commerce. Dans le Vieux Bassin, le secteur commercial est privilégié.
II.1.2.1.1 Les structures d’encadrement : l’exemple du commerce

En ville, le secteur commercial bénéficie aussi de la socialisation et de la


modernisation avec un système d’encadrement ayant un volet de crédit et un
volet d’assistance.

Les forces économiques, qui avaient l’initiative du développement dans la


partie nord du Bassin Arachidier depuis l’introduction de l’arachide dans notre
pays, étaient des maisons commerciales bordelaises et marseillaises
contrôlées par des étrangers propriétaires. La politique de développement
adoptée et conduite avec l’indépendance les oblige à se repositionner dans le
tissu économique en abandonnant leur position initiale pour aller dans la
capitale du Sénégal et s’occuper du commerce de gros. Leur remplacement
oblige, en revanche, de la part de l’Etat, la formation de catégories sociales
aptes à se substituer à eux. Cela explique aussi les politiques commerciales
initiées dans le cadre de la filière arachidière inspirée des politiques de
développement.

La politique de développement a commencé par l’élimination de l’économie


de traite : Il s’agit de dessaisir la commercialisation de l’arachide des mains
des maisons de commerce étrangères et d’assurer leur substitution par de
nouveaux acteurs nationaux. Des mesures d’accompagnement sont
exécutées avec la mise sur pied de structures d’encadrement et de
financement des activités de ces nouveaux acteurs nationaux que sont les
opérateurs économiques.

« L’intervention accrue de l’Etat dans le premier Plan de Développement


Economique et Social devrait permettre aux élites du pays de diriger les
structures, de faire disparaître l’économie de traite, de développer les circuits
de commercialisation, d’abaisser les coûts de distribution. C’est pour réaliser
ces objectifs que furent créés l’Office de Commercialisation Agricole (O.C.A.),
les Centres régionaux d’Assistance et de développement (CRAD) et les
différentes Banques d’Etat : Banque Sénégalaise de Développement
(B.S.D.), Crédit Populaire du Sénégal (Banque des groupes intermédiaires),
Union Sénégalaise de Banque pour le Commerce et l’Industrie (U.S.B.C.I.) .
C’est à ce même souci qu’a répondu la volonté de développer rapidement un
mouvement coopératif encadré par la puissance publique » (Deuxième Plan
Quadriennal de Développement économique et social : T1 : 13 ; 1965)

Ces structures sont des outils de régionalisation par le biais du


développement de spéculations agricoles spécifiques dans une région
donnée. Cette régionalisation se traduit par une intégration nationale dans le
cadre de la division nationale du travail, et une intégration économique et
sociale des populations au sein de la région et de la nation et même du
monde.

C’est une opportunité offerte aux régions administratives d’exploiter leurs


atouts et potentialités économiques. La Société de Développement et de
mise en Valeur du Bassin arachidier (SODEVA) en est un exemple. Elle
couvre comme son nom l’indique tout le Bassin Arachidier. Cette
régionalisation a été appuyée par la création d’infrastructures routières
articulées au chemin de fer pour relier les zones de production au centre de
groupage : c’est le cas dans le Vieux Bassin arachidier de la route Kébémer –
Sagatta - Darou Mousty (qui se prolonge finalement à Touba) prévue et
réalisée dans le cadre du premier Plan de Développement, ainsi que celle
reliant Kébémer et Lompoul.

Avec le départ des maisons marseillaises et bordelaises, consécutif à la fin


de l’économie de traite et à la reprise en main de l’économie nationale par le
nouvel Etat indépendant, les locaux de ces maisons sont laissés vacantes.
Le commerce local bénéficie alors de cette opportunité et du soutien de l’Etat:
la cession par les anciennes maisons de commerce de leurs locaux et la
politique de promotion du commerce par un encadrement technique et
assistance financière.

Le cas de Kébémer est un exemple illustratif de cette phase transitoire qui


voit le commerce national se substituer au commerce de traite.

En effet, de nouveaux commerçants locaux ont hérité pour la plupart des


boutiques des traitants français ou libano syriens.
Le tableau 7 (page 161) permet de nous en donner une lecture des
changements de propriété des bâtiments du centre ville ou Escale, grâce a la
réappropriation des locaux a usage commercial par de nouveaux locataires
africains et par l’Administration nationale.

Il est intéressant de noter que la plupart des commerçants sont soit d’anciens
gérants de Maison de commerce ou des ressortissants de la campagne
proche (Syll) ou des maures « darmanko » Sady et Amar … tous habitants de
villages à grands terroirs.

En prenant la place des traitants, ils vont continuer à nourrir les mêmes
réseaux de clientèle qui animent les relations villes-campagne dans le cadre
de la filière arachidière.

Un certain nombre d’entre eux vont jouer le rôle de commerçants de gros ou


demi-gros par rapport aux autres et particulièrement aux ressortissants
mauritaniens tenant des boutiques et se spécialisant dans le commerce de
détail. Ce rôle dans le commerce de gros n’a été possible que grâce à la
politique de développement du commerce introduit par l’Etat dans le cadre de
la réorganisation de la filière arachidière.

La filière arachidière crée un équilibre fonctionnel entre villes-campagne que


régule la complémentarité entre les deux entités spatiales avec l’appui de
structures d’encadrement de production et de commercialisation. La ville
fonctionne de la même manière avec une certaine spécialisation économique
et spatiale des quartiers, sous forme d’une division locale du travail.

L’Escale, quartier qui concentre la plupart de ces services administratifs et de


structures de développement joue le rôle de poumon économique de la ville
puisqu’elle abrite aussi le marché.

Ce quartier administratif et commercial est ombilicalement lié aux quartiers


périphériques dont la plupart furent des villages traditionnels intégrés
physiquement à la ville, par des opérations de lotissement. Ces nouveaux
quartiers constituent aujourd’hui les plus peuplés ; ce sont Mbabou, Galla,
Mbassine, Médina (ex-Ndakhar).
Tableau 7 : Transfert des bâtiments des anciens traitants aux commerçants
locaux

Anciens traitants Nouveaux acquéreurs ou occupants


Gorel Aliou Syll
Peyrissac Iba Diagne (ex-gérant) puis Code
Gueye
Sarda Aliou Syll
Maurel et Prom Cheikh Ibra Faye (ex-gérant)
Chavannel et fils Mbaye Diène (ex-gérant)
SCOA Ecole Cheikh Ibra Faye
(administration)
Vezia Karim Fall
Michel Mor Talla Sady
Nicolas Makhtar Diop
Metri Modou Sady
Renault Madawass Diop
Abdou Mbarak Ablaye Amar
Tidiane Keur Cheikh Thiam
Abdoul Aziz Makhoudia Mbaye
Mosabi Ibra Gadiaga
Bissinolale Basse Amar
Toffi Keur Modou Diop
Maurel et Prom El Hadji Cheikh Faye
Madame Lemou
Moussa Gafary Babacar Kebe
Bichara Modou Wade
JAMIL Abourisk Makébé Kébé – Ali (boulanger)
Amadou Anta Samb Famille Amadou Anta Samb (traitant)
Commandant de cercle (Bourgi) Mairie
NOSOCO Omar Fall
Dispensaire Dispensaire
Reraux SNDR Inspection enseignement.
Societe nationale de progres du GUET Elémentaire (administration)
(Semences)

Source : Enquête Bara Mboup 2005


L’Escale, en concentrant l’essentiel des richesses et des personnes
ressources (commerçants et administratifs), est le centre économique qui
abrite aussi le marché des affaires et du travail. C’est dans ce quartier même
que se trouvent les ateliers des artisans traditionnels et modernes, les
maisons des fonctionnaires de l’administration dans lesquelles viennent
travailler la main-d’œuvre féminine venue des quartiers périphériques.

Les quartiers périphériques prennent ainsi, part à l’économie urbaine comme


une partie entière de la campagne : fourniture de main d’œuvre locale et de
produits agricoles. Les ressortissants de ces quartiers gardent encore une
bonne part du marché du travail et de la distribution : l’artisanat moderne et
traditionnel pour les hommes ; le marché des produits agricoles (arachide,
niébé, etc.) et la main-d’œuvre domestique pour les femmes.

Mais l’essentiel du personnel commerçant de cette époque était composé de


libano syriens, de traitants représentant les maisons de commerce. Cette
classe de commerçants va abandonner ses positions antérieures du fait des
politiques de développement initiées par les nouvelles autorités sénégalaises.

En effet, au lendemain de l’indépendance, le Gouvernement du Sénégal


décide d’une politique de développement qui n’a pas épargné le secteur du
commerce. En effet, il fut pris la décision de moderniser un commerce qui au
départ des maisons de commerce marseillaises et bordelaises était occupé
par des analphabètes dont les méthodes étaient plus proches de l’informel
que du formel.

Pour moderniser le commerce et éviter son « informélisation » l’Etat décide


de créer des structures d’encadrement du commerce dans chaque
département du Sénégal et animées par des assistants comptables qui
devaient pousser les commerçants à tenir une comptabilité27.

A Kébémer, la structure commerciale s’appelait : « Entente-Dioubo »

27
Interview de Ibra Bane : Assistant comptable gérant de la structure « Entente Dioubo » dans les années 1970.
La structure du commerce peut s’identifier à un réseau départemental et une
polarisation du commerce par la ville de Kébémer.

Dans cette localité, l’un des plus grands commerçants grossistes cumulant
les fonctions d’OPS et de transporteur, le Député-maire Karim Fall avait
établi une liste de 55 commerçants pour constituer une coopérative à
l’échelle départementale. Chaque commerçant a reversé à Karim 100000frs
(cent mille francs) CFA à titre de part sociale pour constituer le capital social
à verser à la BNDS, soit une somme totale de 5500000frs (cinq millions cinq
cent mille francs) CFA. Ce capital social a permis à la banque de dégager le
prêt pour l’organisation dénommée « Entente Dioubo ».

Le fonctionnement de la structure épargnait les commerçants du département


de se rendre à Dakar pour s'approvisionner en marchandises, mais c’est à
Kébémer que l’on commandait et recevait les marchandises voulues.

Au bout de quarante cinq (45) jours, on devrait payer les marchandises


commandées : à la première livraison, on peut recevoir une valeur d’un
million de francs CFA (1000000) en marchandises renouvelables après
paiement au bout du délais ou au prorata de la somme remboursée. Ainsi
était financé le commerce et développé un réseau de commerçants
grossistes ou demi-grossistes et de détail établis dans les différentes localités
chefs-lieux de circonscriptions administratives. La plupart des commerçants
cités ont été aussi des collecteurs d’arachide et ont participé au transport de
la production grâce à des camions souvent acquis à crédit dans le cadre du
programme d’équipement de l’Etat financé par la BNDS.

II.1.2.1.2. Commerce et réseaux de relations entre villes et campagne

Le réseau de commerçants adhérents à Entente-Dioubo comprenait un


certain nombre de commerçants établis dans différentes localités du
Département de Kébémer.
Tableau 8 : Réseau de Entente-Dioubo dans le département de Kébémer

Localités Commerçants
Kébémer Karim Fall

El Hadji Cheikh Faye

El Hadji Mbaye Diene

Basse Amar

Aliou Syll
Ndande Macodou Fall

Bira Yamba Ngom

Mbaye Gotte Fall


Guéoul El Hadji Doudou Gaye

Mbaye Seck
Sagatta Mbaye Diagne

Souleymane Cisse
Darou Mousty El Hadji Ibra Seck

Cheikh Diop Taltal

El Hadji Lo

Cheikh Ndiaye Lampe


Loro Alé Seck
Darou Marnane Cheikh Ndiaye
Source : Enquête Bara Mboup 2005

La structure « Entente Dioubo » avait ses adversaires regroupés dans une


organisation de commerçants dénommée G.E.S dirigé par Bamba Sourang.
C’est dans celle-ci que militaient d’autres commerçants de la ville de
Kébémer dont deux grossistes Modou Sady et Madawasse Diop
politiquement opposés à la tendance locale de M. Karim Fall promoteur et
leader de l’Entente.
La plupart de ces commerçants grossistes ont participé en tant qu’OPS
(opérateurs privés) à l’achat et au transport des graines. Mais ils ont
reconduit le système traditionnel de fidélisation de la clientèle rurale et
urbaine par un système de prêt, reproduisant ainsi les pratiques d’usures
connues avec le système colonial. Entre villes et campagne, l’arachide tisse
des relations fécondes où la parenté, la communauté et la confrérie religieuse
sont à la base de réseaux de clientélisme et garantissent leur fidélisation.

En revanche, la bataille entre les réseaux n’a pas manqué de restructurer le


commerce entre des associations de commerçants rivales : ceux du formel
recevant des banques, crédit et assistance et les autres du Groupement
Economique du Sénégal (GES) comme Modou Sady et Madawass par
exemple, formant de petits réseaux familiaux. Mais ces derniers possèdent à
l’instar de leurs rivaux une puissance motrice composée de camions gros
porteurs avec une capacité de chargement de 30 tonnes disposant d’une
mécanique avec deux ponts.

Celle-ci leur permet de joindre les villages les plus reculés pour acheminer la
production collectée dans des coopératives vers des points de la route où
s’effectuait le transbordement dans des camions de moindre calibre dont
certains appartenaient à leurs partenaires transporteurs ruraux.

Cette organisation du commerce maintient les fonctions de la ville, ses


relations avec la campagne notamment en ce qui concerne les réseaux de
clientèle et de redistribution des ressources diverses et de richesses entre
villes et campagnes. Elle traduit aussi l’existence d’une classe ou catégorie
sociale capable de se substituer à la classe des traitants et de participer au
fonctionnement et au développement des villes d’une part et d’animer les
relations villes-campagne par un système d’entretien des réseaux anciens
permettant la fidélisation de la clientèle rurale. Cette classe occupe le quartier
Escale en reprenant les maisons laissées par les traitants.

Cette organisation des circuits de commercialisation entretenant les relations


villes-campagne est renforcée par l’organisation pyramidale des structures
administratives et celles d’encadrement et de développement.
II.1.2.2 structures administratives et consolidation des
fonctions urbaines et rurales

L’organisation dans l’espace des structures administratives est pyramidale et


suit la logique d’emboîtement des unités territoriales. Elle lie ainsi les
établissements humains dans un réseau garantissant leur cohésion et leur
hiérarchisation et assurant la continuité de l’Etat entre centres et périphérie,
entre villes et campagne.

II.1.2.2.1 Équilibre villes-campagne et volonté politique

La continuité du paradigme de l’équilibre villes-campagne hérité de la


colonisation passe par le maintien et la fonctionnalité de la division spatiale
du travail entre les deux entités spatiales. Cette division se traduit par la
spécialisation de la campagne dans la production agricole et la ville dans le
rôle complémentaire de marché entre autres. Ce marché urbain (quotidien) a
un rayon de desserte qui pénètre toute la campagne environnante que couvre
l’aire départementale, polarisée par la ville chef-lieu.

Cette ville se voit dotée d’infrastructures qui sous-tendent et consolident sa


polarisation économique circonscrite dans un cadre départemental ou
régional. Cette situation économique que conforte une infrastructure de
services polarisants a aussi son répondant démographique dans les villes de
Kébémer et Louga. Ces infrastructures polarisantes sont :

- d’une part les services à fonction banale (ou interne), qui concernent toutes
les activités dont la desserte est limitée par le périmètre communal comme
l’administration et les services techniques communaux, le commissariat de
police, etc.;

- d’autre part, les services à fonction spécifique s’étendant en dehors de la


ville.

Les services à fonction spécifique sont de deux sortes :


- en premier lieu, ce sont les services à rayonnement départemental groupant
l’administration et les services techniques départementaux siégeant dans les
capitales départementales : on peut citer entre autres, la Préfecture, les
services d’encadrement technique, la Gendarmerie, la Justice de Paix, etc.

- Et en second lieu, on a les services à rayonnement régional comme la


Gouvernance, les services de contrôle et d’encadrement technique, le
Tribunal, etc.

Les services à fonctions multiples (fonctions à la banale et spécifiques) qui


groupent la plupart des services liés à la santé ou ayant un caractère d’intérêt
général (circonscription médicale, banques), les services liés au transports.
(Ngom ; Thiécouta : 102-103 ; 1976)28

Ces différentes fonctions urbaines peuvent se lire à travers la matrice des


fonctions établie par l’Etat dans sa volonté de hiérarchisation des villes.

(Matrice des fonctions en annexe : source Tableau de bord des


Communes ; 1993 : 24)

Ces différentes mesures administratives qui se traduisent par la densification


des infrastructures et des équipements ont accentué et renforcé les fonctions
d’agglomération et de relais des villes départementales. Les animateurs de
ces équipements et infrastructures constitués par les fonctionnaires
contribuent une part importante de la demande du marché urbain et aussi
une offre de travail issue du milieu rural.

De même, ce marché urbain produit la classe de commerçants et professions


libérales (pharmaciens, avocats, consultants etc.…) constituent une catégorie
sociale capable de produire des investissements qui entretiennent ou
augmentent sa centralité.
De l’importance de cette catégorie sociale et de ses initiatives économiques
dépendent la physionomie de la ville et sa dynamique « orbi et urbi » ; celle
qui fait dire que : La ville bénéficie à son hinterland : après s’être urbanisée,
elle-même, la ville urbanise son hinterland… ; de maléfique pour ses
environnements proches et moins proches la voici qui est bénéfique,
réactivante, modernisante, enrichissante !

Tableau 9 : Répartition de la Population sénégalaise par sexe et par Activité


professionnelle ; Commune de Kébémer (1976) et Commune de Louga
(1976)

COMMUNE DE KEBEMER COMMUNE DE LOUGA


Groupe d’activité professionnelle Homme Femme Total Homme Femme Total
Personnel des Professions Scientifiques, 77 15 92 327 57 384
Libérales, Techniques et Assimilées
Directeurs et Cadres Administratifs et Assimilés 4 - 4 11 - 11
Personnel Commercial et Vendeurs 155 70 225 825 360 1195
Travailleurs spécialisés dans les services 19 13 32 115 112 227
Agriculture, Manœuvres Agents, Conducteurs 535 12 547 2573 102 2675
d’engin
Déclaration imprécise de profession 85 33 118 831 632 1463
Total 1315 164 1479 5729 1325 7054
Source DPS : RGP Avril 1976

Ce tableau montre la prédominance des actifs relatifs à l’économie agricole,


mais il ne mentionne pas les activités induites comme celles à l’économie
informelle : la restauration, la location de maison, les activités de commerce,
les services ménagers. D’ailleurs le tableau ci-dessous donne une vue
d’ensemble des activités liées à cette activité arachidière.

Le cas de Louga

La défense d’une telle organisation de l’espace face à la menace de la force


d’attraction de Dakar a amené les pouvoirs publics à la création de
métropole régionale, de métropole d’équilibre avec l’aide de l’organisation
pyramidale des infrastructures. Des études dont certains documents officiels
ont cherché à classer ces villes et selon leur fonction respective en relation
étroite avec leur niveau d’équipement et l’importance des infrastructures.
Les premières permettent une polarisation administrative de la campagne
autour de la ville érigée en chef-lieu de département ; les secondes sont des
structures de d’encadrement et de régulation des relations villes-campagne
grâce à une organisation pyramidale des structures de développement dont
les démembrements les prolongent dans la campagne. Le tout permet un
développement du marché urbain grâce à un système d’échange et de
clientèle qui consolide la ville dans sa fonction d’agglomération et de marché.

.II.1.2.2.2. Conséquence démographique sur la croissance urbaine

Les dynamiques économiques issues de l’économie arachidière ont entretenu


entre 1961 et 1976 une urbanisation relativement forte dans l’espace
régional : cela se confirme par des taux d’urbanisation supérieur au taux
d’accroissement naturel et des développements du tissu urbain avec la
naissance de nouveaux quartiers qui s’insèrent dans l’économie urbaine par
l’activité de leurs habitants

Tableau 10 : Evolution démographique des villes du Vieux Bassin Arachidier

Population en Taux de
Localités 1961 1976 croissance
Louga 16280 33579 4,94
Kébémer 3500 6769 4,5

Source : DPS
35000

30000

Effectif 25000

20000
Louga
15000 Kébémer

10000

5000

0
1961 1976

Années

Entre 1961 et 1976, Kébémer et Louga ont ainsi connu un taux de croissance
proche du taux moyen de croissance urbaine. Du fait des équipements, des
infrastructures et des équipements qu’elle suscite la filière arachidière est un
fait structurant.

Cette structuration se remarque à différentes échelles régionales locales


urbaines et rurales.

Cette nouvelle politique renforce également la structuration de l’espace


entamée par la filière arachidière : de nouvelles infrastructures viennent
conforter la polarisation des villages centres dont l’existence est quasiment
déterminée par le biais de points de traite créé depuis l’ère coloniale. En effet
l’encadrement des paysans est assuré par une structure de développement
localisée dans le village centre qui polarise un terroir autour d’équipements
collectifs, d’une équipe d’animation polyvalente, d’une coopérative de
commercialisation des arachides, et enfin d’un programme d’actions locales
de développement.

Les résultats obtenus dans le cadre de la filière arachidière concernant la


production, la commercialisation grâce à un réseau de points de collecte et
de marchés hebdomadaires en campagne, et quotidiens en villes, animent et
apportent une dynamique importante en campagne.
Ces résultats ont pour appui des structures d’encadrement de production et
de commercialisation qui sont le prolongement de celles situées en ville.

L’importance de la commercialisation de l’arachide crée un marché dont


l’activité est soutenue par l’Etat à travers des formes de crédit alloué aux
commerçants dans le cadre d’une politique de promotion de nationaux pour la
substitution aux traitants de la période coloniale. C’est le cas au niveau de
notre zone d’étude de plusieurs localités par ailleurs érigées en chefs-lieux
d’Arrondissements comme Ndande, Sagatta, Darou Mousty, Coki, Mbédienne
et d’autres gros villages : Guéoul, Diokoul Diawrigne, Niomré, Kanène Ndiob,
etc.

Ces renforcements administratifs opèrent une transformation de la structure


professionnelle de la campagne et ébauche une certaine forme d’urbanisation
par l’introduction de genre de vie urbain et d’un développement des activités
informelles.

Parallèlement à cette croissance urbaine, on note une pareille dynamique


démographique dans les centres ruraux eux aussi érigés en chefs-lieux
d’arrondissements ou de communauté rurale.

Il en résulte donc une évolution démographique des localités regroupant des


infrastructures liées à l’arachide (et peut être une faible évolution depuis la
crise pour certains et le maintien d’une tendance à la forte hausse pour
d’autres).

Une étude comparative de l’évolution démographique de la campagne et des


villes permet de trouver les tendances d’évolution en étudiant la répartition
spatiale de cette démographie.

L’évolution démographique des Arrondissements du Bassin arachidier, ceux


de Coki et de Mbédienne sont à étudier plus spécifiquement. On peut noter
d’ores et déjà que les Arrondissements du Bassin arachidier sont plus
peuplés que les autres et ont éventuellement une densité plus élevée ; de
même les arrondissements situés à l’est connaissent une dynamique
démographique plus importante que ceux situés plus a l’ouest.
Si l’on reconnaît que la ville est la fille de l’Etat, on peut affirmer sans risque
d’erreur que les villages centres, en particulier les villages maraboutiques et
ceux des notables ruraux le sont aussi. Ces pôles humains supports de
l’Etat en construction et piliers du régime politique bénéficient de privilège en
matière d’infrastructures et équipements ruraux. Le caractère providentiel
semble consubstantiel à l’Etat en construction.

Tableau 11 : charge et densité des points d’eau par Arrondissement.

Arrondissements
Darou
Ndande Sagatta Mousty
Superficie en Km2 1373 1082 1368
Population totale (habitante) 48742 48981 57011
Nombre de points d'eau 1304 1011 1057
Nombre de points d'eau 374 76 122
modernes
Nombre de points d'eau 19 67 117
mécaniques
Charge par point d'eau 103,3 644,4 467,3
moderne
Densité par point d'eau 3,6 14,2 11,2
moderne
Charge par point d'eau 2564,8 731,05 487,2
mécanique
Source : Mbengue 1998 :33
1400

1200

1000

800
Nombre

600

400

200

0
Ndande Sagatta Darou Mousty
Arrondissements

Nombre de points d'eau Nombre de points d'eau modernes Nombre de points d'eau mécaniques

Mbengue souligne que la présence des chefs religieux dans les


Arrondissements de Darou Mousty et de Sagatta explique aussi leurs
avantages en matière de densité de points d’eau.

Cela dénote la continuité des privilèges des villages contrôlant des terroirs au
détriment des villages sans terroirs : discrimination au sein des campagnes
entre villages sans terroirs et villages excédentaires en ressources foncières,
entre familles riches en terre et d’autres qui en louent ; et au sein des
campagnes entre notables ruraux, marabouts et paysans, d’une part, entre
les paysans possédant des terres et les paysans sans terre, d’autre part.

La hiérarchisation de l’habitat en campagne pourrait s’expliquer par le niveau


d’investissement en infrastructures dont seul l’Etat garde l’initiative. En ce
domaine la politique du gouvernement privilégie les agglomérations les plus
importantes et les villages de chefs religieux dont l’influence est avérée.
Depuis 1960, l’application de cette politique en matière d’infrastructures
rurales : secco, coopérative et autres, infrastructures hydrauliques suit cette
logique.
Mais dans la démarche officielle, on précise dans « le bilan de la politique
hydraulique » que « le chef de l’Etat avait fixé entre autres objectifs de doter
tous les villages du territoire national de points d’eau pérenne (…), il avait
précisé que la priorité devait être accordée aux chefs-lieux d’arrondissements
et de communautés rurales, aux gros villages (c’est nous qui soulignons) aux
villages centres et aux villages frontaliers » (Sénégal, 1992)29.

La situation hydraulique des villages des Départements de Kébémer et de


Louga montre que cet objectif est réalisé en ce qui concerne les chefs-lieux
d’Arrondissement et de communauté rurales (3 Arrondissements et 13
Communautés rurales pour Kébémer et 4 Arrondissements et 11
Communautés rurales pour Louga).

Cette restructuration de l’espace est le résultat des décisions politiques


inspirées par la poursuite des objectifs de l’Etat.

La nouvelle économie arachidière a renforcé l’équilibre villes-campagne qui


se dessinait dans la phase de traite par un maintien voire une densification
des réseaux des relations d’échange liées à la complémentarité dans le cadre
de la filière arachidière. Ces réseaux sont animés par les acteurs urbains et
ruraux autour de marchés, et sont renforcés par l’organisation pyramidale de
l’administration et des structures de développement qui à leur tour donnent à
l’espace ou aux localités les attributs de polarisation et de centralité. La
nouvelle organisation de l’espace, sa hiérarchisation et son fonctionnement
sont tributaires de la filière arachidière et de la volonté politique de l’Etat.

Mais cet équilibre villes-campagne loin d’être statique, évolue en fonction de


la dynamique du marché c'est-à-dire d’abord de l’offre constituée de la
production.

29
2 documents :
-1 : République du Sénégal, Ministère du développement rural et de l’hydraulique :
Bilan de la politique de l’hydraulique rurale dans le département de Louga : 4 p +
annexes
- 2 (idem).Kébémer : 4 p + annexes. Novembre 1992
Celle-ci alimente les points de collecte de l’arachide et les marchés ruraux
hebdomadaires ; créant des points d’échange locaux et des aires d’influences
spécifiques dans la campagne ; la plupart reproduisant celles qui étaient
élues par les autorités coloniales. Ces réseaux de points sont soit reliés par le
chemin de fer (c’est le cas des anciennes escales), ou alors par la route ou
les pistes ; tout cela fait vivre un système de transport et de clientèle qui
entretient un système de réseaux sociaux. Ces réseaux structurent des aires
d’influence autour de pôles humains, de lieu de forte production, de points de
collecte et de marchés. Certains pôles humains comme les chefs religieux
contribuent à une forte ruralisation du Vieux bassin par une colonisation
continue de terres, par la création de villages et leur ancrage dans le secteur
rural.

Ces structures spatiales de la campagne sont observables : cette


densification et cette dynamique de la campagne qui se traduisent par la
création de nouveaux villages vont de pair avec une forte urbanisation du fait
de l’augmentation de la production, de la croissance des activités d’échange
et de la vitalité du marché urbain.

Les villes relais comme Louga et Kébémer exercent des fonctions qui
permettent une dynamique urbaine qui se traduit, d’une part, par une
extension du tissu urbain (les nouveaux quartiers, les opérations de
lotissements, témoin de la demande de parcelles), une croissance des
activités artisanales et commerciales et de transformation d’autre part.

En prenant l’initiative de la distribution spatiale et de la localisation des


équipements, et des infrastructures et du volume et de l’intensité des
interventions des structures d’encadrement, l’Etat garde aussi l’initiative de la
centralité et de la naissance des pôles urbains et ruraux et dans une certaine
mesure de la périphérisation des lieux.

Cette volonté se fonde bien dans la perspective de la réalisation des objectifs


économiques et sociaux énoncés et tient compte des forces sociales et des
atouts naturels de l’espace national ou leur combinaison.
C’est ainsi que la plupart des villes et centres ruraux sélectionnés avaient été,
depuis l’époque coloniale, consacrés comme tels par l’économie arachidière.
Les nouvelles réalisations en matière d’établissements humains seront celles
que la nouvelle politique de la filière arachidière imposera. Il importe donc
d’étudier l’impact de la production sur l’équilibre villes-campagne.

II.1.2.3 Evolution de la production et équilibre villes-


campagne

La production joue un rôle prépondérant dans les échanges entre villes-


campagne et les fonctions des deux espaces.

La production arachidière du Vieux Bassin arachidier est un étalon de


l’équilibre villes-campagne. Le Vieux Bassin comprend les Départements de
Louga et de Kébémer

L’analyse du tableau 12 (ci-dessous) montre d’abord l’augmentation des


superficies de production et son maintien de 1960 à 1984.

L’augmentation des superficies est en relation directe avec l’élargissement de


la base sociale de la production, de la disponibilité des crédits agricoles. Mais
la hausse des superficies ne se traduit pas par une hausse conséquente de
la production : on peut remarquer que les courbes de production et des
superficies ne gardent pas les mêmes allures bien qu’elles restent marquées
par l’évolution en dents de scie.
Tableau 12 : L’évolution de la production du Vieux Bassin de 1960 à
1997
Kébémer Louga
Années Superficie Rendement Production Superficie Rendement Production
1960 63339 800 50671 29930 801 23964
1961 58000 1000 58000 33000 1182 39000
1962 51000 784 40000 33000 650 21450
1963 70493 700 49361 39508 800 31606
1964 74000 811 60000 27000 815 22000
1965 76500 850 65000 53000 900 47000
1966 89412 501 44772 63263 483 30556
1967 64400 994 64000 50000 900 45000
1968 87249 664 57965 70000 509 35600
1969 60000 767 46000 50000 880 44000
1970 81600 313 25530 48000 228 10940
1971 61700 898 55400 45000 962 45000
1972 74700 107 8000 46000 67 3100
1973 73025 449 32800 24600 744 18300
1974 74570 714 53261 49000 1000 49000
1975 78000 800 62400 58000 850 49300
1976 81400 480 39072 57760 521 30082
1977 72170 345 24911 56980 132 7545
1978 81692 1158 94573 52497 803 42164
1979 91760 459 42141 62782 283 17739
1980 80257 728 58425 51666 737 38098
1981 94019 810 76176 50439 634 32003
1982 84589 700 59212 52602 510 26620
1983 22167 495 10963 3799 323 1227
1984 23200 500 9740 - - -
1985 16040 1041 16698 7795 900 7015
1986 21188 882 18678 11023 771 8497
1987 24580 872 21426 10880 825 8976
1988 36238 373 13501 22252 317 7048
1989 33928 884 29984 26551 716 19016
1990 53658 488 26210 29329 886 25974
1991 32917 550 18104 45986 580 26672
1992 45952 139 6387 35995 62 2232
1993 15293 383 5857 10114 237 2397
1994 93471 421 14091 52665 523 27544
1995 36188 617 22328 32279 699 22563
1996 44744 305 13647 44492 647 28786
1997 18791 285 5355 35146 196 6889
Source : D.P.S. Dakar, Sénégal
Production en milleirs de tonnes
19

0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
60 superficies en milleirs
19 19

0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100

62 60
19 19
64 62
19 19
66 64
19 19
68 66
19 19
70 68
19 19
72 70

19 19
74 72
19
19 74
76
19
19 76
78
19

Kébémer
19 78
80

Années
Kébémer

19
19 80
années

82
19
19 82

Louga
84
19
84
Louga

19
86 19
19 86
88 19
88
19
90 19
90
19

La courbe de la production montre une évolution en dents de scie


92 19
92
19
94 19
94
19
96 19
96
La conséquence immédiate de la crise de production c’est la difficulté des
paysans à payer leurs dettes vis à vis de l’Etat.

L’analyse du tableau montre deux situations différentes : une première allant


de 1960 à 1982 et une seconde entre 1982 et 1998.

L’importance de la production peut se mesurer par la dynamique qu’elle


impulse à l’activité locale et aux relations villes-campagne ; mais elle peut se
mesurer à son impact sur le plan national et régional.

A l’échelle globale, l’importance de la production impulse une nouvelle


discrimination de l’espace national en deux entités : un Sénégal utile et un
Sénégal marginal. Ce dernier regroupant les régions de faible production, le
premier englobant les régions de forte production. Celle-ci, étant un facteur
de localisation des investissements, détermine aussi la disparité entre régions
centrales et les autres de faible production, régions périphériques.

La production arachidière conditionne principalement le niveau d’intervention


des acteurs et l’Etat en particulier.

Elle conditionne aussi la vitalité économique des marchés et des relations


villes-campagne.

La première situation résulte des politiques volontaristes alors que la


seconde est consécutive aux politiques réalistes ou d’ajustement des
premières en fonction des nouveaux contextes ou de l’environnement
économique international.

Deux phases sont à distinguer :

- Une première de 1960 à 1982 est marquée par une forte augmentation et
un maintien des rendements et de la production à un niveau élevé.

- Une phase marquée par une baisse drastique de la production à laquelle il


faut ajouter les mesures de dégraissage de la fonction publique.
A partir de 1983, ce sont les mesures d’ajustement ou des nouvelles
politiques agricoles et économiques qui sapent les bases des relations villes-
campagne et de la centralité urbaine.

La phase de 1960 à 1982 : c’est l’ère de la volonté politique. Mais celle-ci fait
face à diverses contraintes qui compromettent ou entravent les objectifs
visés. Ces contraintes sont d’ordre physique et sociale et contribuent à
modifier l’organisation de l’espace national à travers l’équilibre entre les
différentes régions mais aussi les villes et leur arrière-pays rural, la
campagne.

II.1.2.3.1 Production et évolution de l’équilibre villes-campagne face aux


contraintes

Les contraintes de la production se répercutent dans l’équilibre villes-


campagne puisqu’ils déterminent les flux d’échange liés à la division spatiale
du travail et leur complémentarité. Mais la production fait face à diverses
contraintes. Les premières contraintes à la production se trouvent être les
contraintes physiques.

II.1.2.3.1.1 Les contraintes physiques

Elles peuvent être considères comme un facteur discriminant de l’espace du


fait de son impact sur la production. Ces contraintes physiques sont de nature
diverse. Tantôt c’est la pluviométrie qui est en jeu, tantôt, c’est la nature ou la
composition du sol qui est mise en cause. Elles ont déterminé la production
qui, à son tour, détermine la localisation des investissements et restructure
ainsi l’espace national entre régions centrales et régions périphériques. Les
contraintes physiques climatiques sont une donnée majeure dans le Sahel,
mais leur acuité diffère d’un lieu à un autre, et cela malgré la volonté politique
des gouvernants.

La volonté de l’Etat de promouvoir l’arachide coïncide, en réalité, avec la


construction d’un Etat moderne, du parti unique et d’une économie de
développement pour la simple raison que le Sénégal venait d’accéder à la
souveraineté internationale.
Pour atteindre ces trois objectifs l’Etat s’appuie sur les structures sociales
existantes : dans la campagne, les autorités étatiques comptent sur les
capacités de mobilisation de facteurs primaires de production des notables
ruraux et les chefs religieux. Ces derniers sont de grands leaders sociaux et
intermédiaires entre le Pouvoir et la clientèle politique. Les premiers étant
connus comme les maîtres de la terre et les seconds étant les grands
mobilisateurs de main-d’œuvre gratuite et docile.

Cette volonté de construire un Etat moderne explique dans une certaine


mesure le maintien du Programme Agricole, et la poursuite des politiques
sociales avec les politiques de soudure, cela malgré les aléas climatiques
observés. Cette même option explique les initiatives de l’Etat en matière de
politiques d’aménagement du territoire fondées sur des principes de
régionalisation autour de pôles de développement relayés par des villes
secondaires articulées à leur arrière-pays.

Par exemple sur le plan de la production et de la productivité, des faits


régionaux interviennent largement.

Du point de vue de la production, les conditions et les facteurs de production


ont été déterminants dans la discrimination entre les différentes régions
notamment entre la région de Kaolack, représentative du Nouveau Bassin et
celle de Louga ou zone du Vieux Bassin arachidier.

- d’abord la pluviométrie a été un facteur important

Tableau 13 : comparaison des écarts pluviométriques du bassin arachidier


entre Louga dans le Vieux bassin et Kaolack au sud

Louga Kaolack
450 800
Moyenne
Nombre de jours 40 60
Minima 239 524
Maxima 865 1276
Durée de l'hivernage (jours) 90-95 110-120
Source : (P. Pélissier : 1964 : 10-12)
A coté de cette différence sur le plan de la pluviométrie, s’ajoute celle des
rendements et de la productivité.

Tableau 14 : la production arachidière : rendement et productivité du


travail

Localités Louga Kaolack Nioro


Durée des pluies par an (A) 30 50
Rendement moyen à l'ha (B) kg/ha 500 925 1000
Nombre de jours de travail nécessaire à
l'ha (c) 60-70 70- 100 100-125
Productivité (B/C) 7,7 10,9 8,9
Source : Monique Lakroum pp. 155-167

Ces écarts de productivité peuvent s’expliquer avec les différences de


structures des sols liées, en quelque sorte, à la fatigue des sols dont le
principal facteur est la faible restitution des sols en matière organique.

Selon René Dumont : « Au Sénégal, il faut descendre aussi bas que Kaolack
vers le sud pour trouver des sols ferrugineux tropicaux contenant souvent
20% d’argile. Les sables quasi-dunaires qui dominent au nord et au centre de
ce pays, n’en ont souvent que 5% et ne peuvent garder une structure, une
certaine capacité de rétention de l’eau et des éléments fertilisants, qu’avec un
minimum de teneur en humus… » (Dumont, R., 1972)30

La faiblesse relative de la production et de la productivité de la Région de


Louga par rapport a celle du Sine Saloum explique la localisation des
investissements et leur niveau au sein du Bassin arachidier.

Sur le plan spatial, la discrimination concerne aussi bien les régions que les
villes et la campagne.

En ce qui concerne les régions, les disparités sur le plan des


investissements, sont exprimées dans ce tableau 15 :

Ces disparités dans les investissements s’expliquent aussi par des facteurs
naturels et de facteurs de production.

30
René Dumont : « Paysannerie aux abois ».- Paris : ed. du Seuil, 1972.-p182-183
Les politiques d’aménagement du territoire et de correction des déséquilibres
entre Dakar et l’intérieur du pays ne sont devenues pertinentes qu’avec les
débuts de la crise arachidière liée à la baisse de production et par
conséquent des revenus. Tant que les revenus le permettaient ou que les
politiques de subvention ou politiques volontaristes distribuaient des
équipements et des vivres de soudure aux producteurs, ils assuraient ainsi
une forme d’équilibre villes-campagne en maintenant les populations en
campagne et régulant leur relation avec la ville.

Tableau 15 : disparités régionales et niveau d’investissements

Régions Production régionale P.I.B.E. per


brute capita Dakar
P.I.B.E. per
Par habitant en F. cfa
capitas autres
Régions
Dakar 226600 00

Thiès 83300 2,5

Casamance 39000 5,8

Sine Saloum 37700 6,0

Fleuve 37500 6,0

Sénégal Oriental 35600 6,3

Diourbel 32400 6,9

Louga 22200 10,2


Source : Ndione E. et al : pauvreté ambiguë : enfants et jeunes au
Sénégal, ENDA, Dakar, page 38.31

Ces disparités suscitaient des flux de migration des régions périphériques


vers les régions centrales. Mais en raison de la localisation de ces
investissements en ville, ces disparités se vérifient à l’échelle
départementale, entre villes et campagne.

31
Ndione E., Sagna M. Bugnicourt J. Pauvreté ambiguë : enfants et jeunes au Sénégal. ENDA, Dakar
1987, 185p
Cette répartition des revenus se caractérise par une inégalité au profit de la
ville, d’une part par celle des revenus arachidiers et celle des
investissements, par la part des gains obtenue par les acteurs urbains.
D’autre part, la répartition du revenu national reprenait les discriminations
sociales reproduites par la filière arachidière. Cette répartition est décrite ainsi
par Lacombe :

« Le revenu national par tête pour 1968 est de 55 000 F CFA. Le partage
s’effectue inégalement entre :

a) 130 000 salariés dont le revenu annuel moyen est de 500 000 F CFA. Ils
représentent avec leur famille le quart de la population et reçoivent les deux
tiers du revenu national ;

b) les agriculteurs, dont le revenu fluctue grandement selon les cours et la


production de l’arachide, et qui représentent les trois quarts de la population ;

c) des groupes se distinguent par leurs niveaux de vie. En zone urbaine,


c’est la bourgeoisie parlementaire, la bourgeoisie d’affaires et les étrangers
(en 1959 les étrangers absorbaient 25 % de la consommation d’après une
estimation de la BCEAO), en zone rurale, c’est la bourgeoisie rurale
(marabouts et grands propriétaires)…

« Par ailleurs, une redistribution du revenu national s’effectue par :

a) les migrations saisonnières de ruraux (surtout célibataires) qui vont


chercher un emploi en ville durant la saison sèche de non-culture (novembre
à mai) et opèrent un transfert de revenus difficilement appréciable au
bénéfice de la zone rurale ;

b) un transfert qui se fait de salarié à chômeur grâce à la solidarité familiale »


(Lacombe et al pp. 952-953 :1973)
La répartition inégale au sein de la campagne peut s’expliquer par la
structure de celle-ci et l’inégalité du capital foncier, en premier lieu, et les
fonctions de leader et d’intermédiaires entre l’Etat et la population rurale en
second lieu.

La mainmise des chefs religieux et des notables ruraux sur les institutions
rurales (chef de villages, relais du Pouvoir et Président de coopératives)
permet a ces derniers de maintenir le statut quo sur le plan foncier du fait de
la défense de leurs intérêts dans l’application du domaine national.

Aussi, en plus des terres qu’ils exploitent en fermage ou en métayage, le


renforcement de la polarisation de leur localité au détriment d’autres, les
notables ruraux contrôlent les coopératives. A propos des crédits et des
vivres de soudure qu’ils reçoivent pour le compte des populations rurales, les
chefs de villages profitent largement de leur position d’intermédiaire entre
l’Etat et les populations : ils donnent leurs propres versions statistiques en
surévaluant les besoins en vivres de soudure ou en matériel agricole, le
nombre d’habitants ou de carrés bénéficiaires et s’approprient la différence
après distribution aux ayants droit. {Interview de Monsieur, N. Fall directeur
d’école de Ndoyenne dans l’Arrondissement de Sagatta Guet),

Les inégalités de revenus entre villes et campagne sont plus complexes.

II.1.2.3.1.2 Les contraintes politiques :

Elles sont relatives à la discrimination des revenus entre villes et campagne.

L’inégalité entre revenus urbains et revenus ruraux s’explique par des causes
diverses. D’abord, elle englobe la discrimination dans les revenus entre les
paysans d’une part et les employés urbains et en particulier ceux des
structures de développement en ville, les commerçants et les fonctionnaires
d’autre part.

Ensuite, on peut souligner que cette inégalité n’a pas toujours été favorable
aux villes mais qu’elle l’est devenue.
Cet extrait du tableau comparatif des salaires horaires moyens du paysan
sénégalais et du travailleur Dakarois l’illustre assez nettement.

Tableau n° 16 Tableau comparatif des salaires horaires moyens du paysan


sénégalais et du travailleur Dakarois et du travailleur Français

Année Travailleur Travailleur Paysan Paysan

Dakarois Français Sénégalais du Sine-

Saloum
1890 0. 12 F 0. 26 F 0.28 F 0.28 F

1919-21 0.33 1.67 0. 90 0.50

1922-26 0. 55 2. 47 1. 40 1.38

1927-31 0. 66 3. 30 1. 70 1. 70

1932-36 0. 78 3. 97 0. 80 1. 00

1937-41 0. 90 5. 90 1. 30 1. 37

Source (Cheikh Bâ, 1980 :108)

Le paysan sénégalais a donc été relativement bien payé et à un moment


mieux que le travailleur français et l’a été toujours mieux que le travailleur
Dakarois jusqu’en 1941. Mais la situation va progressivement changer à ses
dépens.

En effet, selon le Mémorandum sur le secteur urbain au Sénégal élaboré par


la Banque Mondiale, si la première catégorie de travailleurs gagnait 62300
francs CFA en 1975, dans l’autre les gains cumulés par le « smigard » du
secteur privé représentaient 276000 francs, soit le quadruple du revenu
paysan (Mbow : 282 : 1985).32

32
Mbow, Lat Soukabé : Une lecture des villes sénégalaises pp. 265-288 ; Annales de la faculté des lettres et
Sciences humaines n°15 ; Université de Dakar ; PUF. 1985. 351 p.
Ensuite procédant de la volonté politique de l’Etat, cette distorsion bien que
enrobée dans l’idéologie socialiste senghorienne, s’explique dans une large
mesure par une « simple application de la théorie des avantages
comparatifs ; le fait de produire sur son sol les cultures pour lesquelles on est
compétitif sur le marché mondial et l’importation de celles dont on n’est pas
compétitif et la péréquation du second par les marges gagnées sur le
premier lorsque le niveau de revenu l’exige paraît d’une logique
implacable… » Maxime Aubert in Politiques alimentaires et structures
sociales en Afrique noire : quelle autosuffisance ? p 22).

Cette importation de produits de première nécessité subventionnés par l’Etat


est supportée par les producteurs de la campagne au bénéficie des citadins.
Comme le note si bien Founou : « on a montré…qu’au Sénégal l’évolution de
la quantité de riz importée est en corrélation étroite (0,97) avec celles des
salaires urbains, mais quasi nulle avec celles des exportations d’arachide ; et
10% seulement du riz importé dans l’ensemble de l’AOF était en 1956
consommé dans les campagnes » (B. Founou, cité par Maxime Aubert: 22 ;)33

Enfin on peut expliquer la distorsion des revenus urbains et ruraux par les
rapports d’usure entre commerçants urbains et producteurs ruraux.

Mais, cette discrimination était atténuée par les revenus de transfert envoyés
a la campagne par les ruraux venus travailler pendant la morte saison en
ville.

En effet, la ville de par la dimension de son économie qui présente une


certaine externalité était un lieu de repli des ruraux en morte saison sèche.
Mais parfois aussi, il y a une véritable division du travail autant dans
l’exploitation familiale, que dans les membres du carré. Une grande parcelle
était utilisée en guise de champ collectif pour la production de culture vivrière
en particulier le mil, et des parcelles individuelles étaient destinées pour des
cultures de case pour les femmes et des cultures de rente pour les hommes
(arachide).
33
(B. Founou, Surexploitation de la force de travail en Afrique, thèse d’Etat, Université de Paris VIII
1977, 343-362 cité par C. Coquery-Vidrovitch, 1980 : 35 puis par Maxime Aubert in Politiques
alimentaires et structures sociales en Afrique noire : quelle autosuffisance ? p 22) :
Dans cette production toute la main-d’œuvre n’était pas tenue de participer à
l’investissement physique du travail, d’autres étaient alors restées en ville
pour assurer la régularité aux revenus de transfert qui servaient à assurer
des vivres de soudure à la famille et à acheter au besoin des compléments
de semence. Cette stratégie des famille est d’autant pertinente pour la partie
nord et ouest du Vieux Bassin caractérisée que la structure des sols « dior »
trop lessivés n’arrivent plus a donner de bon rendements en mil ( MBOUP ,
1997). D’autre part, l’utilisation de ces nouveaux facteurs de production en
particulier, la traction attelée a, de manière significative, diminué les besoins
en main d’œuvre : le chef de village de Sagatta témoigne que son père
utilisait dix (10) « sourgas » pour exploiter ses 10 hectares. Aujourd’hui,
seules deux bras en l’occurrence lui et un de ses fils suffisent pour exploiter
la même parcelle à l’aide de leur matériel agricole.

Enfin l’utilisation de ce matériel agricole, en particulier les charrettes, a été


déterminante dans l’animation de l’espace par l’allégement des travaux et
vaincre la distance pour les champs éloignés : la charrette a ainsi contribué à
la restructuration de l’habitat en encourageant le regroupement et même
l’alignement des villages naguère constitués de hameaux, une configuration
de l’habitat qui était une véritable contrainte à l’efficience et un taux de
fonctionnement acceptable des équipements comme les écoles, les forages
destinés au monde rural. Enfin la charrette a aussi participé de manière
décisive à l’animation des terroirs villageois et a la stabilisation de la
campagne en facilitant le transport vers les villes et les marchés
hebdomadaires des villages voisins. A l’Est dans la zone de Darou Mousty :
l’acquisition de la charrette a joué un rôle principal dans l’approvisionnement
et le transport de l’eau et une forte polarisation des localités équipées de
forages.

Le paysage de la zone est marqué par l’importance des charrettes à traction


animale où l’âne joue un rôle prépondérant. L’homme utilise une partie
importante de son temps au transport de l’eau.
Photo n°1 Ravitaillement dans un point d’eau situé dans la zone de
Darou Mousty

Tout cet environnement économique était favorable à la campagne dont les


familles rurales n’avaient pas besoin de quitter leur terroir pour vivre. Seule
une partie de la main-d’œuvre partait en ville et temporairement et le plus
souvent avec le consentement de la famille dans le cadre d’une stratégie de
survie familiale.

Cependant la période de crise arachidière arrache toutes ces opportunités


aux ruraux et la perte de ces revenus d’appoint naguère gagnés en ville les
enfermait dans un cercle vicieux : endettement en facteurs de production –
production en dents de scie – accumulation de dettes et difficultés de
paiement - faible revenu du fait de la rétention d’une partie des revenus avec
le système de ristourne. La faiblesse des revenus entraîne l’absence
d’investissement sur la terre provoquant la faiblesse des rendements. Il en
résulte une faible production, et la stratégie de sortie de crise qui s’ensuit
commence par une demande d’annulation des dettes – puis le cycle
recommence par un endettement en facteurs de production et leur revente
dans des marchés parallèles cette fois-ci ; puis a nouveau une demande
d’assistance en vivres de soudure et l’annulation des dettes au profit des
paysans.
Dans le Département de Kébémer qui couvre plus des 2/3 du Vieux Bassin
arachidier, les producteurs accablés par les dettes et les mauvaises récoltes
se solidarisent pour créer un lobby autour des pôles humains religieux et
politiques constitués par les chefs religieux et les notables ruraux afin de
pousser le responsable politique local à faire pression sur le Gouvernement
pour « l’épongement » des dettes surtout en année électorale.

Bien que les sorts soient différents entre, d’une part les différentes contrées
de la Région ou du Département ou, d’autre part entre, les différents
producteurs notables ruraux, paysans et chefs religieux, tous se mobilisent
contre le payement des dettes contractées auprès des structures
d’encadrement étatiques locales.

Ceci a fait dire au préfet de Kébémer en tournée dans le Département pour le


recouvrement des dettes, que : « Dég gi dafa jame kénne, niéepe
sookhandoo » (un seul individu est victime et tous les autres feignent d’être
atteints) : pour dire qu’il faut faire la distinction entre ceux qui ne sont victimes
de rien et qui ont obligation de payer des vrais sinistrés susceptibles de
bénéficier de mesures de clémence.

Ces mêmes paysans étaient souvent victimes des peseurs qui les spoliaient
d’un poids non négligeable de leur récolte et d’autre part des manœuvres
frauduleuses des notables ruraux et chefs religieux.

Cette attitude de non paiement des dettes va finalement avoir raison du


système de crédit. Des mesures spéciales seront réservées à la Région de
Louga en particulier ses parties nord et ouest relativement plus vulnérables
aux aléas climatiques mais aussi abritant moins d’exploitants maraboutiques.
Ces mesures spéciales vont davantage affecter à la zone incriminée la
culture de niébé et redessiner la carte des terroirs agricoles du Vieux Bassin.
Carte n° 11 : Rétrécissement du Vieux Bassin arachidier à partir des
politiques réalistes

Source : Bara Mboup 2005 ( adapté de la carte IVe PDES, 1982 )

Cette situation de la dette, cause un manque à gagner aussi bien pour l’Etat
que pour le commerce local et modifie les stratégies des uns et des autres.

L’attitude des producteurs explique la réaction de l’Etat qui décide à partir de


1982 de la suspension du Programme Agricole dans le Vieux Bassin. Cette
mesure a pour conséquence une baisse de la production arachidière et une
modification de la physionomie du Vieux Bassin arachidier et son décalage
vers l’est.

La baisse de la production entraîne la crise de la vie de relation et le


décalage du Bassin Arachidier va l’aggraver du fait du jeu des stratégies
contradictoires.
Le déclin annoncé du commerce urbain, et par conséquent la dislocation de
son réseau de clientèle et des relations villes-campagne, suscite l’émergence
de nouvelles stratégies de développement fondées sur le credo du
développement local avec l’aide d’ONG

La stratégie de la campagne et celle que l’Etat développe en réponse


annoncent la rupture des relations villes-campagne : la ville sevrée de
production rurale, était empêchée de fonctionner convenablement. Les
structures d’encadrement perdaient peu à peu leur pertinence, le personnel
prévu pour leur fonctionnement devenait pléthorique, voire inopportun. Le
marché s’atrophiait, le commerce souffrait de cette crise et des
délocalisations de commerce de gros vers les grands centres situés dans le
régions du bassin arachidiers non encore affectées par la migration des
isohyètes. A Kébémer, les plus grands commerçants, les grossistes ont
délocalisé leurs affaires à Dakar. (Mboup, 1996). La plupart de ces
commerçants ont été victimes de la stratégie des réseaux de clientèle
contractés et entretenus sur la base de rapports familiaux ou claniques ; et ils
sont tombés en faillite faute de non recouvrement des sommes d’argent que
leur doivent les paysans en difficulté. Perte d’argent et perte de réseaux de
clientèle sont les principaux facteurs qui ont poussé les commerçants a
migrer vers d’autres cieux.

La ville de Louga a connu le même scénario (Ndiaye, 1975 ?). Pire, elle avait
déjà perdu son huilerie et sa fonction de collecte de la production régionale.
Si le facteur essentiel de cette évolution dramatique du Vieux Bassin
arachidier peut certainement être lié à la baisse de la production et aux
problèmes de la commercialisation, les contraintes du marché ont leur part
d’impact dans cette situation.

La crise de la production entraîne un rétrécissement des marchés : une


baisse des activités et une migration des acteurs vers des zones plus
productives.
Tableau 17 : Migrations interrégionales et solde migratoire de la
Région de Louga

Région de 1976 1979


LOUGA
Population totale 426596 574420
Immigrants 40675 44000
Emigrants 111886 79000
Solde - 71213 - 35000
Source : DPS

Ces faits de production et de revenu sous-tendent les disparités régionales


puisque le marché détermine l’organisation de l’espace et dans une large
mesure l’évolution des régions et de l’équilibre villes-campagne. C’est ce que
confirme le professeur Cheikh Bâ lorsqu’il constate que : « Le problème de la
migration est un problème de revenu, d’emploi et d’échange à courtes
distances, donc un problème de marché régional dynamique parce que
structuré » (Cheikh Bâ : 144).

L’évolution des faits confirme que la volonté politique est loin d’être
déterminante si elle ne s’appuie sur le marché.

II.1.2.3.1.3 Crise de la filière arachidière et ses effets sur les


établissements humains ou la fin du couple villes-campagne

Tous ces dysfonctionnements dans les réseaux de relations entre les


établissements humains entraînent alors une désarticulation dans l’espace
entre villes et campagne. Ils affectent également les rapports de production
et d’échange : les équilibres sont rompus.

Malgré tout, les Maures ont pris le dessus et le commerce de Kébémer a été
détenu par eux jusqu’en 1989 (date du conflit sénégalo-mauritanien), ce qui a
contribué à limiter les capacités d’absorption ou d’intégration des ruraux ou
des urbains dans l’économie urbaine, et à les obliger de partir vers d’autres
cieux.

La contrainte majeure pour le commerce local à Kébémer a été moins la


conséquence de la sécheresse que la stratégie de clientélisme héritée de la
période des traitants.
Beaucoup de commerçants ont voulu faire des crédits aux paysans et
attendre la récolte ou la traite pour se faire payer. Les dettes ainsi
accumulées par les paysans auprès des commerçants n’ont pu être payées
avec la sécheresse. L’espoir que les prochaines saisons peuvent avoir une
autre physionomie, du fait de l’évolution en dents de scie de la pluviométrie
confirme la sentence de la culture locale : « Aucune saison de pluies ne
ressemble à l’autre, donc pourquoi perdre espoir ! »

Cette baisse démographique qui est à la base de la faible urbanisation est


consécutive à la perte de fonction des villes et des campagnes dans
l’économie régionale à la suite de la crise arachidière.

La crise de la production et la détérioration de l’échange ont pour effet de


désorganiser l’espace régional et montrer davantage les limites de la volonté
politique face au marché.

Cette crise économique avait affecté les campagnes et avait creusé l’écart
entre revenus entre urbains et revenus ruraux avant de compromettre ces
derniers du fait qu’elles compromettaient la stratégie de repli tactique des
ruraux en ville soit pour des revenus d’appoint en morte saison, soit pour leur
insertion effective dans l’économie urbaine. En effet, la ville a toujours
représenté un espace de repli stratégique pour les ruraux. La durée de ce
séjour en ville est plus longue pour les ruraux exerçant leurs activités
agricoles dans les régions Nord comme celle de Louga compensant en
principe leur déficit de productivité agricole. (Cela peut aussi expliquer la
migration vers la ville lorsque les autres choisissent de se tourner vers
l’agriculture vivrière).

Cela veut dire que lorsque dans une région l’économie urbaine est en crise,
les villes ne sont plus les exutoires des surplus de la campagne. (Autrement
dit, il n y a plus de phénomène des vases communicants entre villes et
campagne). Les surplus démographiques de la campagne, qu’ils soient
consécutifs à la densité ou à l’abondance de main-d’œuvre, ne se déversent
plus à la ville départementale. Là, le déséquilibre villes-campagne est
manifeste.
Les surplus démographiques ruraux ont tendance à choisir pour destination
les villes ou les villages d’autres régions ou l’économie fonctionne et répond à
leur attente. Au pire de la crise agricole et urbaine entre 1976 et 1988, les
villes de Kébémer et de Louga ont perdu leur évolution convergente de la
période 1961-1976 pour aborder des évolutions divergentes entre 1976 et
1988.

Tableau 18 : Effet de la crise sur le taux de croissance urbaine

Villes /Années 1961-1976 1976-1988


LOUGA 4, 94 3,71
KEBEMER 4, 50 1, 52
Source : DPS

L’exode rural perd son horizon urbain de proximité pour aller plus loin tout
en se déconnectant de tout son réseau de solidarité tissé pendant des
décennies entre commerçants de la ville et producteurs ruraux.

Les campagnes subissent à leur échelle la même saignée que la région dans
son ensemble ; on note dans les villes de nouveaux migrants qui viennent
habiter les marges parfois insalubres, un phénomène connu pour Dakar et les
grands centres régionaux commencent à se développer dans la région de
Louga.

Ces divergences dans les évolutions entre villes-campagne se constatent


aussi…On ainsi une disparité dans l’évolution démographique des villes du
Vieux Bassin et dans sa campagne.

Si dans la période entre 1960 et 1976, l’évolution démographique en ville et


en campagne a été ascendante et homogène. en 1988, elle a montré des
évolutions démographiques descendantes (taux de croissance) que l’on peut
attribuerà la conjoncture économique difficile du fait de la crise de la filière
arachidière.

En plus des évolutions liées à cette crise agricole qui accentuent le


déséquilibre villes-campagne, d’autres mesures et événements défavorables
à la région deviennent préjudiciables à sa cohésion spatiale.
L’ensemble de ces faits explique la faiblesse relative de l’urbanisation, le
caractère négatif du solde migratoire.

Tableau 19 : Evolution du taux d’urbanisation des régions du


Sénégal entre 1976 et 1988.

Régions 1976 1988 Variations


1976-1988
Dakar 96% 96,4% + 0,4
Casamance 17% 21,0% + 4,0
Diourbel 26% 38,0% +12
Fleuve 25% 27,5% +2,6
Louga 08% 10,8% +2,8
Sénégal 8,9% 13,8% +4,9
Oriental
Sine Saloum 12,5% 16,3% +3,8
Thiès 25% 32,0% +7,0
Source : Mbow. L S : Les politiques urbaines : gestion et aménagement pp. 205-231
in « Trajectoire d’un Etat »

100
90
80
70
60
Taux

50
40
30
20
10
0
Dakar Casamance Diourbel Fleuve Louga Sénégal Sine Saloum Thies
Oriental
Région

1976 1988

L’urbanisation s’accroît davantage dans les autres régions et se traduit par


des opportunités de revenus urbains relativement plus importantes. En raison
de la politique de décentralisation industrielle qui les privilégie et l’effet
d’entraînement sur l’économie informelle, le secteur d’insertion économique
de la plupart des candidats à l’exode s’élargit et augmente sa capacité
d’accueil des migrants urbains de régions voisines. C’est un aspect des
contraintes du marché sur les dynamiques locales et démographiques.
II.1.2.3.2 Les contraintes de marché

La crise de la production rurale se traduit par une réduction des surfaces


emblavées et celle de la production. Elle a pour conséquence la réduction du
marché urbain.

La crise de la production se matérialise par les réductions des superficies


cultivées

et du tonnage de la production.

Alors que de 1970 à 1990, en moyenne, la production annuelle régionale


d’arachide a atteint 93469 tonnes celles des superficies 147959 ha, entre
1990 et 1998, cette moyenne n’était plus que 16915t pour la production et de
33913 pour les superficies cultivées.

C’est un manque à gagner de près du 4/5 en revenu. Il a pour conséquence


la réduction du marché urbain.

En ville, les effets d’externalité enregistrés à travers les opportunités de gain


offertes par les importantes récoltes d’arachides des années 1970 – 1990
commencent à se réduire entre 1990 et 1998 au prorata de la baisse de la
production. Le dépérissement des structures d’encadrement et la réduction
des effectifs de la fonction publique réduit le nombre de fonctionnaires et de
consommateurs en ville tout en réduisant les opportunités de travail des filles
des quartiers périphériques et des villages environnants qui dominaient
l’emploi de femmes de ménage.

Le commerce connaît par la suite une forte vague de délocalisation. C’est


ainsi qu’à Kébémer, les grossistes et grands transporteurs que furent A K
Fall, M Sady, M Diop, tous entament une délocalisation de leurs affaires à
Dakar ne laissant à Kébémer que les informels sevrés de tout prêt du fait de
la libéralisation qui a mis fin au système d’encadrement et de crédit dont
bénéficiaient les commerçants. Les villes de Kébémer et Louga perdent la
substance de leur fonctions urbaines en matière de commerce et
d’administration.
La crise du marché affecte la vie de relation qui structurait l’espace et même
les réseaux sociaux qu’elle consolidait.

L’existence d’un marche urbain central et des marchés ruraux satellites est
un facteur de dynamisme départemental, voire régional contribuant à la
participation de larges contrées et de leurs habitants au développement
national.

En retour les retombées de cette participation s’analysaient en terme de


revenus additionnels et d’attractivité locale empêchant l’exode. L’absence de
participation à l’économie nationale est donc une cause de baisse de
revenus ; et c’est ce qui risque d’arriver avec l’abandon programmé de la
culture de l’arachide dans la zone.

Lorsque dans les années 1980, l’Opposition sénégalaise récusait le Pouvoir


dans ses prétentions d’avoir réalisé un taux de croissance de 6%, elle étayait
son argumentation par le fait que cela ne ressentait pas dans le niveau de
vie du monde rural et dans le panier de la ménagère. Le Premier Ministre
répondait en substance : « Si malgré la hausse du taux de croissance, une
bonne partie de la population rurale reste en dessous du seuil de pauvreté,
c’est qu’elle n’y a pas participé ». Déjà la baisse de la production se traduit
par la réduction de la dimension du marché et de ses effets d’externalité ou
par le recul de l’informel.

Il s’ensuit la crise de l’artisanat approfondie par l’adoption du Programme


Agricole qui l’a marginalisé en isolant l’artisanat traditionnel de la production
agricole. D’autre part, l’artisanat moderne (menuiserie, confection,
maçonnerie) prend le dessus sur l’artisanat rural traditionnel. Pour des
raisons de survie ce dernier tente de s’adapter au mode de vie urbain, c’est
des métiers de la forge qui faute d’une masse critique de clientèle rurale se
détournent de celle-ci et tentent une option pour la bijouterie dont les gains
sont beaucoup plus rémunérateurs.
La crise du marché local résulte aussi de la faiblesse de la rémunération des
paysans du fait de l’incertitude de la production et du poids supporté par le
monde rural théorisé par Senghor dans le cadre du socialisme et qui est
l’interprétation à l’échelle mondiale de la division internationale du travail et
de la théorie des avantages comparatifs.

Le refus des paysans d’honorer leurs dettes va compromettre le


fonctionnement de la filière arachidière : les marchés urbains naguère lieux
d’échange qui servaient de nœud entre la ville et la campagne système et la
vie des structures qui faisaient de la ville un lieu central et attractif, un pont
qui tisse les relations villes-campagne, la fin du commerce et du marché.

Ce rétrécissement du marché urbain résulte de la baisse des revenus ruraux


et donc de leur pouvoir d’achat. Il entraîne la crise du commerce qui se
matérialise par le départ des grands commerçants, désertion consécutive à
l’attitude des paysans (refus de payer les dettes contractées auprès d’eux),
mais aussi à l’attitude de l’Etat d’exclure la région de Louga du Programme
Agricole. Tout cela contribue davantage à compromettre le développement de
la production agricole dans le Vieux Bassin.

L’ensemble de ces faits se signale par la déstructuration des structures


administratives et des structures de développement rural qui sonne le glas de
la polarisation des villes.

Cette déstructuration entame l’organisation de l’espace ; d’une part, elle


enlève à la ville sa polarisation en particulier dans les zones les plus
vulnérables comme le Vieux Bassin Arachidier ; d’autre part, elle encourage
la fin des relations villes-campagne et la naissance de kystes urbains.

Pire elle peut être a l’origine d’inversions de polarité comme c’est le cas de
Darou Mousty et de Dahra dans les Départements respectifs de Kébémer et
de Linguère.

En réussissant à infléchir les décisions de l’Etat et même à l’obliger à changer


de stratégie politique, les contraintes physiques et le marché remettent en
cause les politiques volontaristes.
En plus des vicissitudes de la production qui grèvent le pouvoir d’achat des
producteurs, viennent s’ajouter celles du marché. Le marché a en effet une
incidence notoire sur la production d’abord au niveau de la productivité et
des rendements en raison du manque de motivation des producteurs à
engager leurs forces de travail dans la production et à investir.

La faiblesse relative des revenus constitue un handicap à la production


puisqu’elle compromet l’acquisition des facteurs de production et entame la
motivation des producteurs. «Le rendement des récoltes, disait Wiliam Ponty,
est fonction non du climat mais des prix payés à la récolte précédente »
(Pélissier, P. : 1995 : 293)

Cette faiblesse des revenus est aussi consécutive à celle des prix au
producteur offerts par le marché international.

La détérioration des termes de l’échange peut être perçue comme la riposte


du marché international aux initiatives hardies et à la volonté politique de
l’Etat sénégalais. C’est un changement dans d’ordre structurel majeur dans la
place de l’arachide dans le marché mondial : l’arachide qui avait le privilège
dès le début de surclasser ses concurrents sur le plan international vient à
son tour de perdre sa place avec la concurrence d’autres oléagineux comme
le soja ; elle passe du régime de préférence que lui accordait la France (et qui
lui permettait de bénéficier de prix garanti) à celui de prix déprimé du fait de
la détérioration des termes de l’échange.

La crise du marché local est consécutive à la détérioration des termes de


l’échange qui résulte du marché international.

A une autre échelle, elles montrent l’incapacité de l’Etat à trouver les


ressources sur lesquelles il comptait pour financer le développement. Cette
situation prouve la dépendance du marché national sur le marché global.

Selon certaines études, le prix réel de l’arachide payé au producteur a décliné


de plus de 40% entre le début des années 60 et le début des années 80.
Il en est résulté, sur la même période, une baisse de plus de la moitié de la
valeur réelle de la production commercialisée par habitant rural (Gilles
Duruflé : 36 :1994).

En effet, face à la baisse des prix de l’arachide consécutive à la détérioration


des termes de l’échange, les producteurs ont adopté divers comportements
qui traduisent une stratégie défensive face au marché.

On note en premier lieu une désaffection de l’arachide par les paysans au


profit du mil. Face à la baisse des prix aux producteurs, la paysannerie est
quelque peu tentée par le retour à l’économie de subsistance.

« L’arachide et le mil se partagent par moitié l’ensemble des surfaces, les


autres cultures vivrières ne jouent qu’un rôle d’appoint. Ces dernières
années, il semble que les surfaces en arachide n’augmentent pas, alors
que les surfaces en cultures vivrières s’accroissent. Cependant, cette
tendance peut être conjoncturelle et due à plusieurs années de mauvaises
récoltes (l’arachide ayant beaucoup souffert des conditions climatiques
défavorables au cours des dernières années). Mais, il est plus probable que
la désaffection des paysans pour l’arachide soit liée à la baisse du prix
d’achat d’environ 4 F CFA par kilo en 1968.

Le prix moyen au producteur est passé de 20-21 F à 16-17 F. Cette baisse


n’est pas compensée par une augmentation de rendements malgré un
accroissement de l’équipement agricole dont l’achat a endetté les paysans.
Sans cet endettement dont le remboursement absorbe le tiers du revenu
monétaire, il est probable que la désaffection pour l’arachide aurait été plus
prononcée ». (Lacombe et al : 1973 : 951)

D’autre part la baisse des revenus est une contrainte difficile à surmonter
pour les ruraux puisqu’elle empêche les investissements en facteurs de
production sur le sol et la régulation du système de crédit.
La détérioration des termes de l’échange a compromis la production par un
enlisement des producteurs dans un cercle vicieux qui décourage les
politiques volontaristes de l’Etat. Les répercussions à l’échelle régionale et
nationale sont immenses et de surcroît, interdépendantes.

Viennent s’y ajouter les effets de la détérioration des termes de l’échange,


des politiques discriminantes entre villes et campagnes, le sort des
campagnes et des villes du Bassin arachidier en devient plus critique.

Enfin la détérioration des termes de l’échange va avoir un impact profond sur


le pouvoir d’achat des producteurs et sur la recomposition de l’organisation
de l’espace national et de son économie.

Elle limite ainsi la volonté de l’Etat à continuer dans la voie du socialisme tel
que défini par Senghor faute des ressources attendues de la filière
arachidière pour financer le développement économique et social de la
nation.

La méfiance de l’Etat résulte du constat d’échec des politiques volontaristes.


A la suite de la détérioration des termes de l’échange, le marché sénégalais
se réduit comme une peau de chagrin : d’abord, la production baisse faute de
motivation des producteurs ; néanmoins le peu qu’ils produisent n’est pas
entièrement destiné au marché national ; au contraire, ils cherchent a vendre
leurs récoltes dans des circuits parallèles jugés plus prompts à payer et avec
des prix meilleurs.

Ensuite, les producteurs tentent de jouer aux sinistrés pour se faire pardonner
les dettes accumulées auprès de l’Etat. Enfin face au recul des surfaces
emblavées en arachide et de la réduction du marché national, s’annonce
alors l’abandon des politiques volontaristes qui inaugure l’adoption des
politiques réalistes.
II.2 POLITIQUES REALISTES ET EQUILIBRE VILLES-
CAMPAGNE
Les politiques réalistes sont consécutives, dans une large mesure, aux
contraintes du marché dont une des causes principales est la détérioration
des termes de l’échange. Celle-ci, en plus des contraintes physiques qui font
baisser la production minore les revenus de l’Etat, remet en cause son
caractère providentiel et compromet la synergie entre les acteurs de la filière,
notamment le Gouvernement et ses alliés de la campagne : les notables
ruraux et les chefs religieux.

Si les politiques réalistes n’ont débuté qu’en 1984, une période relativement
longue de difficultés économiques les a précédées.

En effet, « Durant les vingt dernières années, la croissance de l’économie


sénégalaise a été faible contrairement au croît démographique qui est resté
constant. Durant la période 1977-1983, le PIB a progressé de 1,6 par an en
termes constants et la population de 3%. L’industrie manufacturière dont
devait dépendre l’augmentation de la capacité économique des villes a
stagné par suite de la crise de l’agriculture dont elle est solidaire, et de la
concurrence extérieure. » (Mbow, L.S :209 op. cit.).

II.2.1 CONTENU ET OBJECTIFS DES POLITIQUES


REALISTES ET LEURS CONSEQUENCES SUR L’EQUILIBRE
VILLES-CAMPAGNE

Ces Nouvelles politiques sont fondées sur les principes de « Moins d’Etat,
Mieux d’Etat » c'est-à-dire une option de restriction des dépenses pour une
plus grande efficacité.

Elles commencent par une restructuration des structures mises sur pieds
avec les politiques volontaristes, ce sont les structures de l’administration et
celles de développement rural considérées comme trop onéreuses au vu du
bilan économique déficitaire.

L’objectif des Politiques réalistes est de réaliser les grands équilibres


financiers.
Faute de pouvoir tirer les ressources attendues de l’agriculture et en
particulier de la filière arachidière pour assurer le développement économique
du pays, l’Etat sénégalais renonce à ses politiques volontaristes. Il prend des
mesures de restriction des dépenses pour réaliser des économies d’échelle.
La restriction des dépenses s’accompagne d’une priorisation dans les
dépenses et une marginalisation de certains chapitres considérés non
productifs comme ceux relatifs au social.

Cet équilibre est recherché dans l’élimination ou la restructuration des


structures de développement et des structures administratives en les
délestant du poids salarial qu’elles supportaient.

En conséquence, l’échelle d’application des politiques est nationale ; ces


politiques sont loin d’être sélectives et régionales puisque sont d’ailleurs
supprimées les structures régionales de développement et leur parrain,
l’ONCAD.

Elles ont alors des conséquences importantes dans les relations villes-
campagne. En dégarnissant la ville de ses structures administratives et
structures de développement qui faisaient (déterminaient ) la quintessence de
sa centralité, ainsi que toute sa couche sociale productive constitutive de la
classe moyenne, ces mesures font perdre aux villes en particulier, les villes
secondaires, leurs fonctions de relais et de marché. Il en résulte une
désarticulation des réseaux sociaux et spatiaux qui la liaient avec son arrière-
pays rural.

Cette opération a été menée par des mesures de dégraissage de la Fonction


publique sous le vocable de « départ volontaire », une forme consensuelle
de licenciement. Ces initiatives seront suivies par un blocage du recrutement
dans la fonction publique et une vague de privatisation des entreprises
publiques et parapubliques. Celle-ci s’accompagne de reformes de la
législation du travail plus attrayante et plus incitative pour les nouveaux
acquéreurs de ces entreprises bien que ces mesures soient perçues comme
une déprotection des travailleurs.
Sur le plan social, la reforme de la Caisse de Péréquation et de Stabilisation
des Prix met fin à la subvention des denrées de première nécessité et laisse
la place à la « vérité des prix ». Dans la campagne, les Politiques réalistes
donnent naissance à la Nouvelle Politique Agricole. Cette dernière signifie
d’une part la suspension du Programme Agricole qui permettait l’équipement
a crédit des paysans et, d’autre part, leur encadrement. Cette réforme
envisagée sous le vocable de « responsabilisation » des paysans va les
priver de facteurs de production et d’encadrement pour la maîtrise du paquet
technologique indispensable à une agriculture performante. Ce qui explique
la réduction des emblavures et de la production à l’échelle nationale et dans
le Vieux Basin arachidier.

Les politiques réalistes approfondissent la crise des relations villes-


campagne entamée par celle de la production et favorisent l’émergence de
politiques sectorielles et locales.

II.2.2 POLITIQUES REALISTES ET RECOMPOSITION


TERRITORIALE

Elles traduisent la volonté de l’Etat de s’adapter à la conjoncture


économique et au déficit financier lié à la crise agricole. Il en résulte la
désarticulation des solidarités spatiales (entre villes et campagne) et la
fracture du « Sénégal utile » en deux entités concurrentes. Elles favorisent
l’émergence de politiques locales isolant les villes de leur arrière-pays.

II.2. 2.1 L’ère d’émergence des politiques locales

L’option pour des politiques sectorielles aux dépens de politiques régionales


et départementales favorise l’émergence de politiques locales.

Les politiques locales mettent fin au paradigme régional et départemental qui


inspirait les politiques volontaires. Elles sont le résultat d’initiatives locales ou
étatiques sans perspectives de développement global. En effet, ces politiques
semblent privilégier des actions ponctuelles et sont le fruit parfois de l’action
de coopération internationale ou décentralisée. On peut donner plusieurs
exemples.
L’exemple des projets

P1 Sapco (Mbour) ;

P2 ICS / Taïba

P3 Vallées fossiles (Région de Louga) : Keur Momar Sarr

P4 CSS / Richard Toll

P5 SAED / Podor

P6 SAED / Matam

P7 DERBAC / Kolda

P8 SODAGRI /Ziguinchor

P9 AFRICARE / Kaolack

P10 Projet Agro-forestier /Diourbel

P11 SAED / Boundoum / Dagana.

Source : MEFP : 1999 : 10 vol. 2

En réalité, ces politiques de programme et de projet marginalisent la région


déjà fortement touchée par la crise arachidière puisque, aucun de ses projets
ne concerne le Vieux Bassin arachidier, bien que celui des vallées fossiles sis
à Keur Momar Sarr soit situé dans la Région de Louga.

Des actions de même type avaient déjà eu raison de l’organisation du Vieux


Bassin arachidier avec la délocalisation du marché du bétail de Louga vers
Dahra. Cette délocalisation entre dans le cadre d’une politique sectorielle de
l’élevage qui a plus de perspective nationale que régionale. Cette politique
qui avait voulu instituer une division spatiale du travail dans la filière viande a
trouvé nécessaire de faire du Ferlo une zone de « naissage » et Dahra un
marché pour les veaux qui seront acheminés dans d’autres régions pour leur
élevage, et leur abattage. A cet effet, furent conduites des politiques de
forages.
Celles-ci finirent par concentrer le bétail dans la zone et diminuer la
transhumance vers les points d’eau et les fourrages traditionnels qui
expliquait leurs randonnées vers l’ouest du Bassin arachidier pour entrer en
contact avec les marchés du Vieux Bassin.

Les politiques de forage ou « resahélisation » du Ferlo donnent à la zone


sylvopastorale sa propre personnalité (Cheikh Bâ…). Mais aussi elles
l’isolaient du reste de la Région. Le transfert du marché du bétail à Dahra a
soustrait à la ville de Louga une des ses principales fonctions qui l’avaient
propulsée en ville polarisante et lui avaient permis de maintenir sa dynamique
de développement.

Ainsi donc, la désarticulation de la complémentarité des terroirs et l’isolement


des villes d’avec leur arrière-pays réduisent la dynamique des relations entre
les différentes unités territoriales de la région et sapent sa dynamique
économique. Ce processus tend à désorganiser une économie naguère
assez bien organisée et à créer des ghettos économiques en son sein.

Le paradigme du développement national fait pièce à celui du


développement régional. Il en résulte une sorte de désarticulation de l’espace
régional.

II.2.2.2 Désarticulation de l’espace (régional) et émergence de « kystes


urbains » dans le Vieux Bassin arachidier

La désarticulation de l’espace s’est faite à plusieurs échelles.

D’abord à l’échelle de la Communauté rurale avec les villages des marabouts


qui, profitant de traitement de faveur dans la répartition des équipements et
des infrastructures et de l’attractivité du pôle humain des chefs religieux,
concurrencent les villages centres.
Ensuite, à l’échelle départementale s’amorce une inversion dans l’importance
démographique des localités allant dans le sens contraire de la hiérarchie
administrative : des chefs-lieux d’Arrondissement deviennent plus importants
que les chefs-lieux départementaux. On peut citer les exemples de Dahra et
de Darou Mousty

II.2.2.2 .1 Les exemples de Dahra et de Darou Mousty

Dahra et Darou Mousty se développent plus rapidement que leurs chefs-


lieux de Départements respectifs que sont Linguère et Kébémer, du fait des
effets induits d’activités économiques et du marché qu’ils abritent.

Tableau 20 : L’inversion démographique dans la hiérarchie fonctionnelle


entre villes départementales et établissements humains de rang inférieur

Années

Localités 1966 1976 1988


Kébémer 3500 6769 8120
Darou Mousty 2107 9310 12942

Linguère 2800 7776 9824

Dahra 2441 10708 11150

Source DPS

14000
12000
10000
8000 Kébémer
6000 Darou Mousty
4000
2000
0
1 2 3
12000
10000
8000
Linguère
6000
Dahra
4000
2000
0
1 2 3

La désarticulation de l’espace entrave la dynamique des relations villes-


campagne, remet en cause celle du développement local et affaiblit le
développement régional. Elle provoque la perte de polarisation des villes et
expose la Région à la concurrence des régions voisines.

La perte de dynamique régionale à la suite de la crise arachidière est


aggravée par les politiques sectorielles dont l’impact sur la Région se traduit
par une absence de solidarité entre les contrées de la même Région.

Enfin à l’échelle régionale, les relations entre la ville régionale et les villes
secondaires sont réduites au lien administratif et n’ont aucune substance
économique. La ville capitale régionale en perdant sa dimension économique
régionale perd aussi son rôle de pôle de développement régional et de
métropole d’équilibre. Elle se détermine alors vers un statut de « kyste
urbain », tout comme les villes départementales à l’endroit de la campagne
environnante.

Il s’en suit une déstructuration de l’espace régional et même départemental

Les politiques régionales avec l’émergence de Louga comme capitale


régionale ne règlent pas le problème. Elles apparaissent plus comme un
conglomérat de services à rayonnement régional : c’est-à-dire l’ancien chef-
lieu départemental auquel on a ajouté des services nouveaux de rang
régional : le lycée, l’hôpital, la gouvernance, le stade, la banque ; une
infrastructure industrielle de très faible desserte régionale.
Celles-ci contribuent à transformer les villes plutôt en « kystes urbains »,
des villes déconnectées de leur arrière-pays rural et vivant de manière
centrifuge : cas de Louga

Cette perte se mesure du point, de vue démographique, par la baisse de


croissance urbaine (plus faible que le taux de croissance naturelle) et les
soldes migratoires négatifs.

II.2.2.2 .2 L’exemple de la ville de Louga

En 1976, la ville de Louga est promue capitale régionale avec la formation de


la région du même nom amputée de la région de Diourbel. Cette promotion
peut s’expliquer par la volonté politique en matière d’aménagement du
territoire. Mais l’exécution de cette volonté laisse entrevoir l’intervention de
beaucoup de ressources humaines locales dont l’ex-Premier Ministre de
l’époque, devenu plus tard Président de la République, d’une part et
Monsieur Djily Mbaye chef religieux et mécène d’autre part.

Elle doit donc beaucoup au soutien politique, dans les hautes sphères de
l’Etat où se localisent des personnalités politiques éminentes, fils du terroir
et d’autres fils locaux de la société civile. L’érection de Louga en capitale
régionale va-t-elle signifier sa promotion en métropole d’équilibre et en pole
de développement régional ?

Cette promotion tout au moins se traduit concrètement par un


développement urbain synonyme d’investissements et d’opérations dans
l’espace urbain. Ce développement se manifeste d’abord sous forme
d’extension de l’habitat, avec la naissance de quartiers nouveaux.

Puis il y a eu la mise en place d’infrastructures et de services nouveaux en


rapport avec la nouvelle fonction de capitale régionale et l’aménagement
d’espaces réservés au déploiement d’activités économiques et
d’investissements.
Sur le plan des réalisations dans l’espace urbain, on note :

- d’une part, l’émergence d’un nouveau quartier abritant les équipements


affairant à la nouvelle fonction et de structures d’accueil pour les services
administratifs : il s’agit de Grand Louga dont la superficie est de 290 ha, soit
9% de celle de la Commune.

- d’autre part un effort de rénovation de la ville tente combler le déficit en


V.R.D. créé par une extension de l’espace urbain de plus de 4000 parcelles à
la suite d’opérations régulières de lotissements effectuées dans la période
1981-1986.Enfin, sur le plan économique, la création d’une zone
industrielle, d’une zone commerciale et d’une zone artisanale.

Le tableau 22 ci-dessous fait la synthèse de cette évolution de l’espace


urbain de Louga.

Vu la structure de la participation à la mise sur pied de la capitale régionale,


la logique du « Moins d’Etat et Mieux d’Etat » est respectée, et l’abandon des
politiques volontaristes reste la règle. Est-on en face d’un Etat
accompagnateur ?

Djily Mbaye a également investit dans l’agriculture avec la création de la


S.E.R.P.A. (société d’étude et de recherches pour la production agricole) qui
exploite plus d’une quarantaine d’hectares de maraîchage.

D’autres investissements comprennent une zone industrielle, une zone


commerciale et une zone artisanale.

« Sur les 1400 entreprises recensées au Sénégal en 1974 par la SONED,


seules 7 étaient dans la région de Louga dont une seule pour Louga
(N.O.C.O.S.E). Parmi ces 7 entreprises ne figurait qu’une seule unité
industrielle, les autres appartenant aux secteurs du commerce et des
services. Cependant cette situation allait bientôt connaître une évolution.
Tableau 21 : l’évolution des équipements et de l’espace urbain de
Louga

Montant de
Localisation l’investissement Réalisateurs

Grand Louga En millions de Etat Commu Djily Divers


Réalisations
Louga Centre francs CFA ne Mbaye
Hôpital régional + + +
Marché 300 souks + 310 +
Gouvernance + + +
Gendarmerie + +
2 gares routières + + 115 +
Caserne Sapeurs + +
Campement touristique + +
Chambre froide + +
Pavillon dispensaire + +
Extension réseau + + 73 + +
électrique
Extension Eau + + + +
Programme : 137 + +
logements
Programme 60 + +
logements
Extension Mairie + 44 +
6 Km de route + 30 + +
Un Lycée + +
Un Institut Arabe + +
SO.TEX.KA (usine) + + +

Un Stade + +
Une Station d’essence + 20 +
2Espaces Verts + + 40 +

Source : (Ibrahima Diop GAYE : 77 : 1989)34

34
Diop Gaye Ibrahima : Place du quartier Grand-Louga dans le processus d’extension de la ville de
Louga 94p ; 1989 ENEA Dakar.
L’érection de Louga en chef lieu de région en 1976 a été suivie de
l’implantation de certaines petites et moyennes entreprises dont les plus
récentes sont :

- La C.O.S.E.A.B (compagnie sénégalaise des arachides de bouche) dont


l’activité porte le décorticage et l’exploitation des arachides de bouche.

- La S.P.I.A spécialisée dans les produits phytosanitaires.

- La SO.TEX.KA (société des textiles de Kaolack)

« Même si les deux dernières restent vierges de toute activité, la zone


industrielle quant à elle a déjà accueilli la SO.TEX.KA., la SPIA spécialisée
dans les produits phytosanitaires et la NTS (Nouvelle Teinturerie
Sénégalaise) qui n’a pas encore démarré ses activités » (Diop Gaye, 58 :
1989).

En dehors de ces P.M.E nous notons à Louga l’existence de cinq


boulangeries et de deux pharmacies.

La nature même de ces investissements révèle une rupture avec la


première génération d’industries. En effet ces dernières étaient basées sur la
transformation de la production faite dans l’arrière-pays. C’est le cas de la
confiserie qui fabriquait des bonbons à partir de la gomme arabique produite
dans le Ferlo, et celle de l’huilerie Dégomis qui s’approvisionnait en matière
première à partir de la production arachidière du Vieux Bassin en l’occurrence
le Département actuel de Louga et celui de Kébémer. Au contraire de celles-
ci, on observe que la seconde génération d’industries (COSEAB, NTS SPIA,
SOTEXKA) se caractérise par l’absence d’approvisionnement local de ses
matières premières du fait de la production de celles-ci hors de la région. Car,
contrairement à l’huilerie qui est fermée, les nouvelles unités industrielles de
Louga n’ont aucun rapport avec les réalités rurales de la région. Le cas de la
COSEAB qui fait partie des unités industrielles de la SONACOS (voir ci-
dessous : carte (n° 12) de distribution des activités de la SONACOS)
montre assez bien cette absence de synergie entre villes et campagne.
Cette unité industrielle traitant de l’arachide de bouche, on n’a pas tenu
compte de la proximité de l’unité de transformation de la zone de production,
qui justifiait très souvent l’installation des unités industrielles au Sénégal.

Source : Internet (sonacos.sn)

Le cas de la SOTEXKA est pareil et même pire encore, car ne pouvant


intégrer dans la filière de production et de commercialisation son arrière-pays
facteur de redistribution de revenus et d’enrichissement qui réorganise les
échanges villes-campagne. Il reste la SPIA : cette dernière traîne les mêmes
lacunes que les premières, mais elle fait le paradoxe de ne présenter aucun
magasin de distribution dans la région parmi les dix sept (17) disséminés à
l’échelle nationale (Cf. Le Journal de l’économie, 2004). Ces faits montrent
que la ville de Louga, bien que promue capitale régionale n’en a pas pour
autant pris le rôle de ville diffuseur de progrès et facteur d’entraînement, ou
de métropole d’équilibre dans l’espace régional et national.
Les conséquences d’un tel choix de développement d’une ville dotée d’un
attribut de capitale régionale (qui est certes raisonnable) sont qu’elles
accentuent la rupture avec l’arrière-pays et confirment la ville dans sa nature
de « kyste urbain ».

Dans les statistiques publiées, la main-d’œuvre employée est faible et les


entreprises restent dans la catégorie de PME-PMI du fait de leur faible
capital.

Les produits finis des entreprises ne procèdent pas de l’existence d’une filière
dans laquelle s’insère le monde rural : il y a dans ce procès de production,
l’absence de filière intégrant la campagne et en conséquence de cette non
participation, on enregistre l’absence de revenus pour elle. Donc cette
production isole la ville de la campagne au lieu d’assurer l’intégration des
deux.

Ces efforts d’industrialisation accompagnent une politique de réhabilitation


locale des villes sans objectif d’entraînement de leur arrière-pays. Aussi,
avons nous des villes qui se présentent sous forme de « kystes urbains »,
réalité attestée par la volonté politique de faire de Louga une capitale
régionale administrative déconnectée économiquement du reste de la
Région.

II.2.2.2 .3 Les conséquences sur la ville de Kébémer

Elles sont plus catastrophiques. La ville de Kébémer a perdu, avec la


restructuration issue des mesures d’ajustement structurel, une part
importante de ses fonctions dont l’essentiel était fondé sur l’administration et
les activités liées à l’arachide. La réduction des représentants de la fonction
publique a perdu son commerce. Malgré un début prometteur avec l’Entente-
Dioubo, l’émergence d’un commerce de gros en relation régulière avec des
détaillants de l’arrière-pays rural, le commerce s’est considérablement
décapité avec le départ des grossistes, les principaux acteurs exerçant une
fonction de relais dans les relations villes-campagne.
Ainsi les activités commerciales étaient descendues si bas en 1988 qu’il ne
restait dans la ville que le petit commerce de détail et dont les unités plus
importantes étaient entre les mains des ressortissants mauritaniens.

Le tableau ci-dessous nous révèle la structure et les caractéristiques


dominantes du commerce après la crise arachidière.

Tableau 22 : la structure du commerce à Kébémer en 1988

Nombre Nombre Nombre Nombre Nombre


de de de souk de d’étal
marché boutique cantine
-
1 75 108 156

Source : Tableau de bord des Communes – Kébémer p 29-8

Le commerce est ainsi caractérisé par la faiblesse du capital avec l’absence


du commerce de gros et l’importance des souks et des étals.

Il ne restait plus d’espoir, pour les résidents et les ruraux d’obtenir des
revenus. Cette faiblesse du capital se répercutait aussi dans l’investissement
et l’emploi, donc dans l’ensemble des activités économiques. Le tableau des
activités et emploi par secteur lève un coin du voile sur cette situation
économique morose

Activités et emplois par secteurs

Tableau 23 Activités secondaires à Kébémer

Etablissements Emplois en 1988


Permanents Saisonniers Journaliers Total
Boulangerie 14 13 27
Ateliers et 11 11
Garages
Total 25 13 38
Tableau 24 Activités tertiaires à Kébémer

Etablissements Permanents Saison Journali Total


niers ers
Commerce
55 - 55
Tourisme
3 4 7
Total
58 4 62
Source : Tableau de bord des Communes- Kébémer p 29-8

Ces chiffres qui indiquent le niveau d’emploi montrent d’une part la baisse de
celui-ci par rapport a la situation de 1976, et d’autre part, la faiblesse de sa
capacité d’insertion des ruraux et même de rétention de ses propres fils. Les
auteurs de ces tableaux en tirent la conclusion que la ville de Kébémer
souffre d’un manque de fonctions enrichissantes et une insuffisance de celle
de transmission. (Sénégal, 1993 : 39-3)

L’insuffisance de transmission signifie l’incapacité de remplir ses fonctions de


relais vers la campagne. Cette fonction est par ailleurs compromise par l’état
des infrastructures de communication.

Les premières à subir les effets de cette politique dans le Vieux Bassin sont
les infrastructures routières dont la rentabilité économique paraît dérisoire au
vu de la faible desserte des lieux de stockage de l’arachide. Puisqu’elles ne
participent plus au développement, les routes largement éprouvées par
l’usage intensif avec les camions gros porteurs sont fortement dégradées
sans bénéficier d’un service d’entretien. Ainsi la Région perdait ses routes
d’évacuation de l’arachide devenues impraticables. Il s’ensuit sa
marginalisation et le dysfonctionnement des ses échanges intérieurs tels
qu’ils fonctionnaient en appui aux réseaux commerciaux. Les routes de
Lompoul – Kébémer - Darou Mousty - Touba entre dans une dégradation
avancée. Le chemin de fer Louga –Dahra – Linguère devient impraticable. La
dégradation « des initiatrices d’unité qui créent la cohésion des contrées »
entraîne la désarticulation des circuits commerciaux et en conséquence les
réseaux sociaux qui les sous-tendaient. Aussi se renforce le développement
séparé des villes et des campagnes et le processus de dislocation de
l’économie régionale.

Le résultat de cette dislocation est la perte pour la région de Louga d’une


partie de son économie faute de bonne communication, mais aussi par
captage de la zone de Touba dont le marché est plus compétitif. Aussi la
Région de Louga ne bénéficie-t-elle plus de la totalité de sa production
agricole. Elle n’arrive plus également, à utiliser tout le potentiel d’exploitation,
puisque faute de voies d’accès les Niayes sont sous exploitées et mal
intégrées au marché régional et national.

Seules les localités qui bénéficient de mesures spéciales se développent au


détriment des autres et parfois dans le sens contraire de la logique de
l’organisation hiérarchique des établissements humains. Les cas de Dahra,
de Darou Mousty et de Louga attestent ce phénomène.

La désarticulation de l’espace régional du Vieux Bassin, en réduisant à la


portion congrue les relations villes-campagne, enlève tout mécanisme
d’équilibre entre les différents espaces. Elle dépolarise les villes en les privant
de manière effective, de leur rôle de métropoles ou de simples relais avec
leur ex-arrière pays rural.

Louga qui englobe le Vieux Bassin est-il la région de plus faible


investissement. ?

Il a ses propres contradictions : contradictions entre les politiques régionales


et sectorielles, incohérence entre les interventions ponctuelles de l’Etat dans
les régions et la cohésion du schéma d’aménagement retenu de métropoles
d’équilibre et absence de base régionale de production et d’échange. Il en
résulte la naissance de kystes urbains et la remise en cause des schémas
départementaux ou les villes secondaires perdent leur suprématie sur des
bourgs ruraux chefs lieux d’arrondissement (Dahra et Darou Mousty) et
l’émergence de kystes urbains (Louga érigée en capitale régionale avec des
infrastructures industrielles sans rapport avec la campagne et/ou l’arrière-
pays régional)
La baisse de la croissance urbaine des villes du Vieux Bassin (Louga et de
Kébémer) peut s’expliquer par la rupture de l’équilibre villes et arrière-pays
rural consécutive à certaines mesures politiques de l’Etat sénégalais : la ville
de Louga a perdu son arrière-pays pastoral à la suite de la
« resahélisation » (Cheikh Bâ), la réforme de la politique sectorielle de
l’élevage, et de la relocalisation du marché du bétail a Dahra.

La ville de Kébémer a perdu son arrière-pays rural en raison d’abord de la


sécheresse et du glissement du Vieux Bassin a l’est vers Darou Mousty mais
aussi et surtout du détournement de cette zone la plus productive dans le
giron de Touba.

Ces pertes ont eu pour effet un développement séparé d’avec l’arrière-pays


rural.

Ces politiques suivent des logiques de développement à l’échelle nationale


aux dépens de celles du paradigme départemental des relations villes-
campagne ; elles compromettent aussi le développement à l’échelle
régionale.

La région de Louga voit sa dynamique de développement économique et


démographique compromise par cette fragmentation/désarticulation de son
territoire ; celle-ci est marquée par la rupture des relations villes-campagne et
celles qui liaient la ville régionale considérée naguère comme pole de
développement régional et les villes secondaires chefs-lieux départementaux.
Cette fracture de l’espace régional renforcée par la dégradation des voies de
communication, va connaître des développements insoupçonnés du fait des
mutations spatiales que va connaître l’ensemble du Bassin Arachidier
II.2.3 RECOMPOSITION TERRITORIALE ET CONCURRENCE
COMMERCIALE AU SEIN DU BASSIN ARACHIDIER

La détérioration des termes de l’échange a été le premier facteur


déclenchant un processus de fracture de la région du Bassin arachidier en
deux zones concurrentes. Une première zone dont le centre névralgique est
Dakar la capitale politique et économique sénégalaise. En face, une zone
concurrente aux contours moins précis est dirigée par Touba capitale
religieuse et économique de la confrérie religieuse des « mourides ».

Pendant longtemps cette métropole africaine, en l’occurrence Dakar, aspirait


de toute sa puissance le reste du pays et réussissait à attirer vers elle de
grosses vagues de migrants venus des autres régions du Sénégal. Cette
dynamique avait fini par inquiéter les autorités sénégalaises au point de
redéfinir les rôles des villes de l’intérieur pour jouer les rôles de métropoles
d’équilibre et de métropole régionale.

Osmont souligne cette situation en ces termes :

« Dans cet environnement géographico-historique, la politique urbaine a,


jusqu’à ces dernières années, été limitée pour l’essentiel à la presqu’île du
Cap Vert, car si on met à part les zones de culture de l’arachide, c’est là
qu’est le Sénégal utile aux yeux des responsables. En 1970…la ville de
Dakar et la région du Cap Vert concentraient, sur un peu moins de 0,3%du
territoire national : 13% de la population totale (19% en 1976) ; 66% des
salariés ; 42% des fonctionnaires sénégalais ; 52% des salaires distribués
dans le pays ; 77,5% des industries »

Cet énorme déséquilibre territorial ne fera que croître, rendant vains les rêves
de création d’une « armature urbaine solide, destinée à jouer un rôle de
contrepoids équilibrant face au développement hypertrophié de
35
l’agglomération dakaroise » (Sar. Moustapha : 1977) .

35
Moustapha Sar, ancien directeur de l’aménagement du territoire, « Problèmes d’urbanisme de
l’agglomération dakaroise » Ubanisme n° 159, Spécial Afrique Juin 1977 pp 66-73
Cet objectif, énoncé en 1977 par le directeur de l’urbanisme, s’était partout
traduit par la transformation des sept capitales régionales en autant de
métropoles d’équilibre, et par la création de six centres intermédiaires et de
vingt trois centres secondaires, le tout dans le cadre des dispositifs
institutionnels datant de 1972, qui introduisaient une décentralisation et une
déconcentration administratives qui se cherchent encore actuellement »
(Osmont, A. : 63-64 : 1995)

Apparemment les politiques mises en œuvre n’ont pas connu les effets
escomptés faute de poids économique qui puisse avoir un impact
démographique conséquent. C’est Touba qui, ces dernières années va entrer
par effraction dans cette liste des métropoles d’équilibre en l’absence de
toute volonté politique de l’Etat sénégalais. Mieux, la capitale des mourides
va devenir la deuxième agglomération du Sénégal sans pour autant suivre la
logique de la politique d’aménagement du territoire de l’Etat. La naissance et
le développement de Touba procèdent de la concurrence avec Dakar.

Cette concurrence revêt d’abord une dimension économique et


démographique. L’intérêt de la naissance d’une métropole puissante à l’orée
de la Région de Louga est qu’elle va contribuer au processus de la
marginalisation de la région déjà éprouvée par sa désorganisation territoriale.
Elle va faire partie des territoires que se disputent les deux métropoles
concurrentes. La Région de Louga va même échapper à l’influence
économique de Dakar pour se mettre dans la mouvance économique de
Touba puisque depuis longtemps celle-ci avait réussi à la contrôler
religieusement.

Ce sont là, les prémisses d’une recomposition spatiale avec de nouvelles


forces en jeu.

Les métropoles de Touba et Dakar vont chacune adopter des stratégies


économiques différentes, pour conquérir des marchés, des territoires et
étendre leurs aires d’influence.
Il en résulte une lutte entre deux marchés sanctionnée par des
redéploiements démographiques.

L’évolution de la migration interrégionale au Sénégal montre que les gros


effectifs qu’attirait Dakar commencent à se réduire alors que ceux à
destination de Touba augmentent (voir tableaux 26 et 27 ci-dessous).

Cette redistribution des flux migratoires dans le territoire national est


l’expression d’une concurrence économique dans laquelle la capitale des
mourides développe des positions favorables.

La concurrence économique a débuté avec la permission accordée aux chefs


religieux de vendre leur arachide aux plus offrants et d’avoir le loisir de choisir
des marchés autre que ceux autorisés par l’Etat (Mbodji).

Cette autorisation n’est pas étrangère à la détérioration des termes de


l’échange et au contexte dans lequel elle s’inscrit.

En effet, en 1968 au moment de l’avènement de la détérioration des termes


de l’échange, le projet de ville de Touba prenait forme avec l’arrivée à la tête
de la confrérie mouride, d’un nouveau chef religieux réputé bâtisseur et
rompu aux affaires.

Selon certains interlocuteurs, comme L M dirigeant de « dahira » mouride à


Ndande, les fils de Serigne Touba, fondateur du mouridisme, se sont
personnellement investis dans la culture arachidière pour réaliser les projets
que leur père leur avait confiés au terme de sa vie. Parmi ceux-ci, figure la
construction de la grande mosquée de Touba. C’est pourquoi, dès son
intronisation comme khalife, l’aîné de la famille, Sérigne Mouhammadou
Moustapha Mbacké envoie ses propres frères comme représentants ou
« Diawrigne » dans différentes contrées du Bassin arachidier, contrées
indiquées plus haut. On peut rappeler le cas de Sérigne Abdou Lahat qui fut
envoyé à Kab Gaye dans le Département de Kébémer.
Cette distribution ne sort pas du Bassin arachidier. Elle s’expliquerait par
la volonté de réaliser le pari de construire la mosquée de Touba (un des
ndigël de leur défunt père). Les zones d’occupation sont aussi des lieux de
prosélytisme de la confrérie mouride.

En effet, en plus de l’investissement personnel des chefs religieux eux-


mêmes dont la production était très importante, des participations sous forme
d’investissements humains ou à défaut, des participations financières étaient
demandées aux disciples.

Le montant de la cotisation s’élevait à 140 francs par tête, soit (5F CFA x
28), 28 correspondant à la valeur numérique de Touba dans la transcription
arabe.

Il y a d’autre part une volonté de décentralisation pour rapprocher le


marabout des talibés ou fidèles pour les encadrer et les faire participer dans
la réalisation des objectifs retenus par le Khalife.

De toute manière, la stratégie d’expansion et de décentralisation des


confréries s’est révélée à terme comme un moyen de doter surtout la
campagne de pôles humains véritables animateurs des établissements
ruraux (chants religieux annuels, cérémonie familiale) et organisateurs de la
société rurale ou même urbaine en « dahira » ou association religieuse
locale. C’est aussi une force de restauration de la campagne face aux forces
d’attraction des villes. Cette tradition des chefs religieux de vivre hors de la
capitale du mouridisme est maintenue bien que les localités habitées par les
chefs religieux s’urbanisent avec les palais la superbe mosquée du chef
religieux et les résidences secondaires de riches disciples, comme à Taif.
Mais ces villages maraboutiques gardent jalousement leur statut de villages
pour apparemment échapper au contrôle de l’Etat. Ce faisant, la forte
présence des chefs religieux dans une région donnée contribue à élever son
taux de ruralité; cela explique en partie le faible taux d’urbanisation de la
Région de Louga
Ces facteurs humains semblent être plus déterminants que les infrastructures
dans la stabilisation des villages ou des établissements humains : cas de Kab
Gaye.

Ces notables religieux ont dû jouer un rôle très important dans la production
arachidière, la gestion de champs du mercredi cultivés pour le compte du
marabout. Ils ont d’autre part joué un rôle important dans le mouvement
coopératif.

A Kab Gaye, Sérigne Abdoul Ahat s’est acquitté de sa mission avec


l’assistance de la population locale.

En échange, le marabout aidait la population à faire face à leurs problèmes


de soudure et de semences. A propos de semences, le marabout
s’approvisionnait aux séccos de Ndande et Diawrigne.

Des relations fécondes ont lié le marabout à ses hôtes. N’est-ce pas ce qui a
favorisé le mariage de son frère Sérigne Sonyibou Mbacké à une
ressortissante du village ? (Sokhna Ngaïta Gaye) ;

Des relations d’entraide, de parenté, de fidélité ont caractérisé les rapports du


marabout avec les habitants de Kab Gaye. Ces relations de fidélité ont dû
provoquer la ruée vers Touba de plusieurs dignitaires locaux liés au
marabout, lorsque celui-ci devait à son tour exercer le khalifat, en 1968 après
un séjour dans la localité de plusieurs dizaines d’années.

Le départ de ces dignitaires de Kab Gaye a provoqué une grande saignée


dans le village. Sur la proposition du marabout et avec des mesures
d’accompagnement, les familles Ndiaye et Gaye ont suivi le marabout à
Touba.

Comme mesures d’accompagnement, le Khalife aurait proposé à ses fidèles


dignitaires 500000f, une parcelle et une année de nourriture gratuite, pour
chaque ménage. Une telle offre constituait une aubaine d’autant plus que les
années suivantes allaient devenir les plus éprouvantes pour le monde rural
avec la dure sécheresse des années 1970.
Cette conjoncture devrait amplifier les échos de l’appel du Khalife de venir
habiter à Touba .Cette démarche des autorités religieuses a été perpétuée
par l’actuel khalife.

Cet exode va se traduire dans l’espace toubien par la naissance de nouveaux


quartiers ayant l’allure de villages en raison des liens communautaires ou de
parenté entre les cohabitants et de la nature des infrastructures
socioculturelles (mosquée, école coranique, etc.).

Ainsi, on retrouve les ressortissants de la zone de Ndande dans les quartiers


de Darou Khoudosse, Ndiéné, Madiyana, Janatoul Mahwa, Touba HLM.

Le chef religieux (Serigne Abdoul Ahat Mbacké) va entrer un moment en


dissidence avec l’Etat pour apparemment être le porte-voix d’un mouvement
de protestation paysanne qui vise à dénoncer la politique de l’Etat vis-à-vis
des paysans. En effet le privilège accordé aux marabouts de vendre la ou ils
veulent pouvait être un prétexte pour le Gouvernement de se faire bonne
conscience et piller sans pitié le paysannat.

Mais les chefs religieux longtemps intermédiaires entre la classe paysanne


et l’Etat ne pouvaient rester impassibles au sort de celle-ci même si l’Etat
leur avait donné des privilèges.

Les chefs religieux bénéficiaient en revanche de la part des paysans de


champs d’arachide sur lesquels ces derniers travaillaient gratuitement pour le
compte de leurs chefs religieux, comme les champs dits du mercredi. Chez
les mourides, en plus de ce travail volontaire, des cotisations étaient
demandées a ceux qui étaient indisponible pour le travail. Le produit des
récoltes d’arachide et la participation financière des disciples devraient
financer les grands projets mourides dont la grande Mosquée de Touba.

La baisse des prix au producteur entraînait l’appauvrissement des disciples


constitués en majorité de paysans. Cet appauvrissement signifiait aussi une
perte probable pour la confrérie car pouvant compromettre leur participation.
Cela peut expliquer pourquoi le chef religieux n’a de cesse d’exhorter ses
disciples autour du travail, de la religion et de ses ambitions pour Touba.
Ce leitmotiv du khalife général des mourides a donc eu un écho favorable
auprès de la communauté mouride dont on peut dire qu’une partie importante
se trouve dans la région du Vieux bassin du fait de liens historique et familial.
Cet écho favorable a puissamment transformé la localité de Touba.

La capitale du mouridisme, Touba, a connu sa grande mutation : de village,


elle devenue une ville et mieux une grande métropole. Ce processus est le
résultat de l’exécution du projet de la ville que le khalife Serigne Abdoulahat
a porté avec lui, suivi en cela par ses différents successeurs. En effet jusqu'a
son arrivée à la tête de la confrérie, Touba tenait jusqu’ici de perpétuer
l’œuvre et la volonté du fondateur.

Tenu à l’écart de la vie mondaine ou profane, et maintenu dans le sillage du


« ribat » de statut sacré, le village de Touba vivait alors d’agriculture à l’instar
de toutes les campagnes sénégalaises. « La distance entre Mbacké et Touba
est décrétée zone spéciale de protection et il est interdit d’y construire pour
éviter la conjonction entre les deux villes.

Cette zone est réservée aux travaux agricoles ».36 Mais « à la fin des années
1970 et au début des années 1980, la tendance s’inverse … Dès lors, le
marché « OCAS », principal centre de redistribution des marchandises de
contrebande provenant de la Gambie et de la Mauritanie connaît un
développement fulgurant» (Babou :21 ;1992 )37.

Cette mutation prend effet à partir des années de sécheresse où on


enregistre une baisse sans précédent des revenus dans le monde rural. La
communauté mouride réorganise sa survie à partir de l’importation des
produits de contrebande importés de Gambie en échange des produits
arachidiers ou des facteurs de production comme les machines agricoles
largement servis à la paysannerie par l’Etat dans le cadre du Programme
agricole.

36
Monographie de Touba, auteur cité par Babou, p26
37
Babou, Cheikh Anta : Touba, genèse et évolution d’une cité musulmane au Sénégal,
UCAD, FLSH, Département Histoire, Mémoire DEA, 1992 ; 39p
Sous la protection du marabout, la ville se transforme en ville franche où tous
les produits de grande consommation (riz, sucre, tissus, tomate et
médicament) et armes sont achetés à prix relativement bas.

En plus de cette conjoncture attrayante, les autorités religieuses décident de


la gratuité de l’eau. Les commerçants sont en outre exonérés formellement
d’obligations fiscales.

En plus de ces conditions attrayantes liées au statut de ville franche de la


localité, l’appel des autorités religieuses à faire une obligation morale pour
tout fidèle d’avoir une maison à Touba stimule une croissance
démographique dont les conséquences spatiales vont être énormes.

Selon les statistiques et les estimations, Touba va connaître très vite une
croissance démographique sans précédent au Sénégal : 41950 en 1976,
138604 en 1988 soit plus du triple en 22 ans, plus d’un million d’habitants en
2002 soit huit fois environ en 14 ans.

Les conséquences d’une telle explosion démographique vont se répercuter


sur l’organisation de l’espace : la zone agricole qui servait de cordon de
sainteté au village de Touba, le confinait au rôle religieux et le séparait de
Mbacké la ville a la fonction commerciale, s’estompait : c’est ainsi que fut
remis en cause l’aménagement de l’espace et les différentes fonctions entre
Touba village et Mbacké la ville. Mbacké sera la première à subir les
conséquences du processus d’urbanisation de Touba, car le commerce et
une bonne partie de la population vont migrer vers la Ville sainte.

Ensuite ce sera le tour des villes du Vieux Bassin arachidier de Kébémer et


Louga de subir la concurrence au niveau du commerce tout en récupérant
leur ancien arrière-pays rural dont leur situation de kystes urbain avait fini par
les séparer.

Cette concurrence de Touba va davantage exercer une pression sur les villes
du Vieux Bassin et sur sa dynamique économique renforçant leur caractère
de kystes urbains.
Sur le plan local, l’autre comportement centrifuge consiste à l’émergence de
marchés parallèles, la dispersion des réseaux de collecte et leur
détournement au profit de points de collecte tournés vers les marchés
parallèles.

C’est le cas de Darou Mousty devenu le principale zone de production du


Vieux Bassin arachidier et de la Région de Louga mais dont la production ne
profite pas à l’économie régionale puisque détournée vers Touba. La saignée
démographique en faveur de Touba compromet la stabilité démographique
de la ville et de la campagne ainsi que leur dynamique économique et de leur
équilibre à tout point de vue. On assiste plutôt à une rupture d’équilibre : les
relations villes-campagne n’ayant plus de consistance ni de substance
puisque les échanges fruits de la complémentarité étant réduits à une portion
négligeable.

Les marchés urbains ne sont plus attractifs pour les ruraux. L’exode vers
d’autres horizons ou régions s’impose.

Tableau 25 : Matrice des migrants et soldes migratoires entre la région


de Louga et les autres des 15 ans et plus sur la période 1988-92

Migrants de la région de Solde


Louga vers… Effectifs % Migratoire
Dakar 15 323 31,30 1639
Ziguinchor 146 0,30 -719
Diourbel 21 033 42,96 15711
St-Louis 2 911 5,95 -652
Tambacounda 485 0,99 180
Kaolack 3 039 6,21 -529
Thiès 4 424 9,04 1416
Fatick 1 319 2,69 – 1060
Kolda 283 0,58 219
TOTAL 48 963 100,00
Source : DPS : EMUS / 1992-1993- RAPPORT NATIONAL DESCRIPTIF- Août 1997
page 44
45,00

40,00

35,00

30,00

25,00

20,00

15,00

10,00

5,00

0,00 el
ar

a
a
is

k
ho

tic
ac

ld
nd
ou
rb
ak

Th

Ko
c

Fa
ol
u

u
-L
D

in

io

co

Ka
gu

St
D

ba
Zi

m
Ta

A ce propos, il paraît crucial de modifier le bilan migratoire pour étoffer le


marché, par des politiques qui apportent des solutions au problème de la
migration ou encore des offres qui font changer ou incitent les acteurs à
prendre des décisions compatibles avec les objectifs de développement.

A terme, les relations entre Touba et le Vieux Bassin arachidier (Région de


Louga) s’annoncent négatives pour ce dernier, puisqu’elles se soldent par
une baisse de la production, une dégradation des revenus paysans et une
désarticulation des relations villes-campagne.

Cette situation est aggravée par l’émergence de la ville de Touba qui


présente une certaine attraction spirituelle et économique salvatrice avec son
statut de ville religieuse capitale de la confrérie mouride (la confrérie la mieux
représentée dans la région)

Touba exerce ainsi sur la région trois types d’attraction :

- une attraction économique portant sur la production agricole régionale et sur


le commerce. Ses commerçants face aux paysans désarmés achètent
jusqu’au matériel agricole que ces derniers avaient acquis sous forme de
crédit contracté auprès de l’Etat.
- une attraction démographique au point que 11% de la population de Touba
serait venu du Département de Kébémer et les 6% de celui Louga : (Cheikh
Gueye). Cette saignée démographique résulte de flux migratoires bien
organisés en réseaux avec l’émergence du califat de Sérigne Abdou Lahat
Mbacké. L’impact démographique sur le Vieux Bassin est manifeste dans
l’évolution de la situation démographique des Départements de Louga et de
Kébémer et en particulier dans les Arrondissements strictement arachidiers à
l’exception de Darou Mousty. Cet impact se reflète dans la redistribution de la
population entre villes et campagne de 1976 à 1988 (tableaux 26 et 27ci-
dessous).

Tableau 26 : Populations urbaine et rurale, Département de Kébémer

Arrondissements Taux
1976 1988 d’accroissement
Darou Mousty 0, 90
51169 57011
Ndande 0, 30
47049 48742
Sagatta - 0, 05
49252 48981
Total population 0, 31
14747 154734
rurale
Population 6769 1,66
8120
urbaine
Total 0,47
154239 162854
département
Tableau 27 : Populations urbaine et rurale, Département de Louga

Arrondissements 1976 1988 Taux

d’accroissement
(76 /88)
Coki 0, 37
39226 40994
Keur Momar Sarr 1, 55
27934 33614
Mbedienne - 0, 11
38300 37785
Sakal 1, 12
31426 35912
Total population 0, 73
136886 148305
rurale
Population 3, 95
33579 53429
urbaine

population 1,41
170472 201734
département
Source : (DPS : 2003 : 3 et 4)

- une attraction territoriale : une seule zone de la région paraissait être


protégée de cette forte attraction sur le plan démographique : c’est la localité
de Darou Mousty ainsi que sa zone économiquement. Celle-ci en plus de son
activité agricole encore importante serait dotée aussi du rempart spirituel de
Ibra Faty Mbacke (Ndamal Darou) frère du fondateur du mouridisme. Selon,
nos sources (un dignitaire appartenant à la famille Mbacké) la résistance de
la zone de Darou Mousty s’explique par l’assurance que Ahmadou Bamba
avait faite en substance : « Reste à Darou, demain, on partagera tous les
bienfaits que Dieu m’accordera » ; en conséquence les gens de Darou
Mousty sont peu enclin à migrer à Touba que les autres membres de la
confrérie mouride. Mais territorialement la zone de Darou Mousty reste sous
l’influence religieuse de Touba du fait qu’il lui sert de modèle.

- Les villages satellites de Darou Mousty (à cause de la production


arachidière encore importante et le fait qu’ils servent de lieu de retraite des
chefs religieux) constituent de puissants facteurs de polarisation.
En effet, la plupart de ces villages ont été créés à l’instar de Touba pour
servir de résidences secondaires dans la logique de la tradition mouride
entretenue par tous les fils du fondateur, dans un lieu isolé dans la campagne
où l’on est entouré de ses disciples et au milieu d’une vaste exploitation
agricole. Le village qui sert aussi d’exploitation agricole de Sérigne Abdou
Lahat était Touba Belel dont on a décrit plus haut l’importance de
l’équipement agricole et de son caractère moderne.

Cette métropole de Touba se développe très vite. Le moteur principal de ce


développement est son marché OCAS qui prend les allures de marché sous-
régional.

La détérioration des termes de l’échange a favorisé l’émergence de marchés


parallèles et a donné l’occasion d’une confrontation économique entre les
réseaux parallèles qui se fondent sur un commerce basé sur les échanges
sous-régionaux plus horizontaux. (BANJUL –TOUBA – NOUALCHOTT) et les
échanges verticaux NORD-SUD marqués par des échanges très inégaux. Ce
caractère géométrique a sa dimension économique du fait de la différence de
prix pratiquée par les réseaux respectifs.

Sa production alimente un axe Banjul – Touba – Nouakchott : de Banjul


Touba s’approvisionne en produits manufacturés bon marché en échange de
l’arachide ou des facteurs de productions retirés du Programme agricole ; et
achetés des paysans et a un prix supérieur à ceux du Sénégal, un axe de
commerce informel avec des prix compétitifs en ce qui concerne les denrées
de première nécessité (riz, sucre, tomate, etc.) et d’autres comme les tissus,
les médicaments. (Voir carte n° 13 : p 229)

Bien que l’Etat ait consenti aux marabouts (Mbodji) la possibilité de vendre
leur arachide dans les marchés de leur choix, ces derniers ont apparemment
cherché et trouvé des alternatives au circuit traditionnel et officiel de la
commercialisation de l’arachide. En effet il fut expérimenté une stratégie de
désaffectation des circuits officiels apparemment rivés sur la perspective
traditionnelle du marché mondial, pour privilégier une perspective sous
régionale.
La plaque tournante de ce marché sous régional est la ville sainte de
Touba et les terminaux Banjul, la capitale gambienne, et Nouakchott, la
capitale de la Mauritanie. Le fait que ce commerce de ces deux pays soit
connecté à des réseaux internationaux et hors du giron français pèse sur la
concurrence avec le commerce officiel en qualité des marchandises et des
prix.

Ces difficultés économiques vont s’aggraver avec la sécheresse, puis


l’adoption des nouvelles politiques par l’Etat du Sénégal qui ont pour
conséquence la chute de la production, la « tertiarisation » de l’économie et la
déstabilisation économique de la région avec la désarticulation de la ville et
de la campagne, la délocalisation du commerce au profit des grandes villes et
l’intensification des réseaux migratoires.

Ensuite l’adoption de la politique de « vérité des prix » consécutive aux


politiques dites réalistes va favoriser le développement de la contrebande
dans les marchés du Vieux Bassin du fait de l’écart entre le niveau des prix
des denrées de première nécessité offert par Touba et le niveau des prix
pratiqués par l’Etat.

Les prix très concurrentiels en raison de la valeur comparative des monnaies


sont défavorables à l’économie sénégalaise

C’est dans ce contexte d’opposition entre deux marchés dont l’un est dit
informel et l’autre structuré que la compétition est remportée par le premier
par des offres plus avantageuses ou plus rapides. Par exemple dans la
commercialisation de l’arachide : le « mbapad » (vente de la production sur le
champ, avant récolte) avec des prix peu compétitifs, se développe et prend
de l’ampleur en marginalisant les circuits officiels. Certes ce procédé peut
assurer au paysan des gains moins substantiels mais c’est un commerce plus
rapide et offre l’opportunité d’échapper aux jeux des « peseurs » voraces qui
minorent les poids des récoltes. Il permet également au paysan d’échapper
au contrôle de l’administration soucieuse de remboursement des dettes et de
loyauté des producteurs ayant contracté des dettes auprès d’elle.
Cette marginalisation des offres urbaines et la demande rurale fait que la
production arachidière du Vieux Bassin cesse d’alimenter les échanges, et
affaiblit la dynamique des relations villes-campagne.
Carte n° 13 Axes commerciaux concurrents : Dakar - St Louis et Banjul – Touba - Nouakchott
En plus de l’arachide, le commerce parallèle offrait l’occasion de redistribution
dans l’espace sous-régional des facteurs de production (machines-outils :
semoirs, houes, etc.) subventionnés pour les producteurs sénégalais et
contractés sous forme de dette à travers le Programme agricole. Mais ce
commerce permettait aussi le troc de marchandises. On s’approvisionnait a
Banjul en produits de première nécessité (riz, sucre, tomate, et autres) dont
la revente au Sénégal pouvait garantir des marges bénéficiaires
substantielles. Ces transactions ont donné lieu à un commerce fructueux
bénéficiant d’une protection par le statut religieux de la localité de Touba en
zone franche. La dynamique des échanges et les percées dans les régions
voisines autorise l’amorce d’une forme d’accumulation primitive du capital
mais aussi une plus grande concurrence du commerce des régions voisines
dont celui de la Région de Louga. (Axe Banjul – Touba – Nouakchott
(passant souvent par des pistes) / axe Dakar – Saint-Louis (sur la route
nationale n° 2).

La combinaison de la baisse de la production et la concurrence du commerce


local par celui de Touba a régulièrement affecté l’économie régionale.

L’autre comportement centrifuge consiste à l’émergence de marchés


parallèles et la dispersion des réseaux de collecte et leur détournement au
profit de points de collecte tournés vers les marchés parallèles

En conséquence du développement de ce marché parallèle, on note le


détournement de la zone de Darou Mousty de l’économique régionale au
profit du marché de Touba.

Désormais, la zone de Darou Mousty est tournée ainsi que sa production


dans la mouvance du commerce de Touba. Cela atteste que la Région de
Louga ne bénéficie que de la portion congrue de toute la production dont elle
est créditée dans les statistiques officielles. Une situation née de la
compétition entre les marchés officiels peu incitatifs et les marchés informels
très compétitifs.
A cela s’ajoutent les politiques sectorielles qui ont eu raison des formations
régionales par une forme de désarticulation de l’économie.

Cette situation consécutive à la balkanisation politique économique et


monétaire de l’Afrique ou de la région Ouest africaine s’annonçait déjà : elle a
compromis dans une certaine mesure le développement du Sénégal.

La balkanisation a, sur le plan politique, remis en cause la primauté du


Sénégal et du caractère de centre ou métropole ouest africaine de sa capitale
ex-capitale de l’AOF.

En effet elle a été à l’origine de la réduction de son marché et en particulier


de celui de son industrie qu’il avait héritée de la colonisation et dont la
dimension était taillée à la mesure du marché sous régional.

Ensuite, en reconnaissant à chaque Etat une souveraineté certaine elle a


poussé plus à la concurrence qu’ à la coopération. Chaque Etat essaie de se
doter de sa propre industrie et a défaut opte pour une économie de
réexportation par conquête des marchés des pays limitrophes. A cette
initiative solitaire vient s’ajouter une monnaie solitaire et non convertible.
C’est le cas de plusieurs voisins du Sénégal dont la Gambie et la Mauritanie
où le marché de Touba s’approvisionne à profusion jusqu'à une date récente.

Il en est résulté une situation économique à l’échelle nationale que les


autorités sénégalaises ont déplorée dans le Deuxième Plan de
développement en ces termes : « Enfin, une importante fraude sur les
produits manufacturés provenant du Japon et de la zone sterling, plus
particulièrement de Hongkong s’exerce aux frontières Sénégalo-Gambiennes.
Elle est suffisante par son volume pour créer des difficultés aux entreprises
dakaroises dans une certaine mesure les ressources budgétaires… »
(Deuxième Plan : 41 : 1965)
Conclusion

L’économie d’échange a connu plusieurs mutations avec le temps : d’abord


on assiste au passage de l’économie de traite à l’économie basée sur les
politiques de développement volontaires conduites par un Etat d’obédience
socialiste ; puis des réformes politiques dites réalistes sont introduites sous la
bannière du libéralisme avec comme slogan « Mieux d’Etat, Moins d’Etat » ;
enfin ce libéralisme fait le lit à la décentralisation et à la logique participative
des populations auxquelles on invite d’occuper les espaces de
responsabilités libérées par l’Etat socialiste dans le cadre du passage au
libéralisme

Les politiques de développement volontaires et réalistes sont deux moments


de l’action publique où les relations villes-campagne ont connu des mutations
profondes allant de l’équilibre à une rupture totale. Le moment où l’équilibre a
joué correspond à une époque de politique volontaire où structures de
développement et structures administratives se sont combinées pour
consolider un certain continuum villes-campagne.

Les politiques réalistes viennent tout dégarnir pour faire place à des kystes
urbains dont l’économie, même si elle s’étoffe, se trouve sans rapport avec
leur arrière-pays rural.

Cette période est un moment d’émigration comme si le contexte de l’équilibre


villes-campagne était le facteur de stabilité et de prospérité qui avait
maintenu les populations dans leur terroir. En revanche le nouveau contexte
de déliquescence des relations villes-campagne semble avoir détruit les
attaches des hommes avec leur terroir et/ou leur territoire. Les régions
voisines ont largement profité de cette migration dont elles deviennent les
zones d’accueil.
Mais la nouvelle donne est d’abord que les flux migratoires vont connaître de
profondes mutations autant dans leur direction que dans leurs composantes.
En ce qui concerne la première, la direction privilégiée, aux lieu et place de
Dakar, est plutôt Touba. Ensuite pour les composantes, nous avons deux
aspects.
D’une part, au lieu des individus, c’est au tour des familles entières
d’émigrer. Cette nouvelle donne tend vers une déstructuration sociale du
village pouvant compromettre son système de fonctionnement basée sur la
division sociale du travail (par le système de castes) ou d’autres formes de
complémentarité entre familles qui régulent le réseau local de clientèle et le
système de production. Ainsi une famille qui part est un maillon manquant
dans la chaîne de production et de solidarité de la communauté.

D’autre part, les flux vers la ville de Touba sont en majorité constitués des
populations dépendantes : les personnes concernées sont plus composées
de vieilles personnes et d’enfants que d’adultes. Enfin, face aux facteurs
répulsifs constitués des dures conditions de vie du fait de la rareté des
ressources, la possibilité de disposer gratuitement de parcelles, voire d’être
logé dans un appartement cossu, et l’opportunité de répondre à l’appel du
khalife sont une aubaine pour les candidats à l’émigration et à l’exode.
Mais ce contexte défavorable au Vieux Bassin arachidier va-t-il ou non
évoluer et dans quel sens ?
Le déséquilibre villes-campagne qui s’est ainsi creusé va-t-il alors évoluer
dans le sens d’un rétablissement ou non ?

A la lumière de l’évolution du contexte international ou régional et des


stratégies de acteurs locaux dont les plus en vue sont les migrants
internationaux, des changements interviennent dans le Vieux Bassin
arachidier aussi bien sur le plan social que spatial.
TROISIEME PARTIE

L’IMPACT DE LA MIGRATION INTERNATIONALE


SUR L’EQUILIBRE VILLES-CAMPAGNE
III. L’IMPACT DE LA MIGRATION INTERNATIONALE
SUR L’EQUILIBRE VILLES-CAMPAGNE

La migration internationale apporte certes des changements notamment sur


l’équilibre villes-campagne et la compétitivité régionale, mais on en n’ignore
l’ampleur.

La mobilité est une donnée des régions du Nord : mais cette mobilité a connu
des mutations en fonction de la distance des ressources qui sont souvent à la
base des migrations. L’intégration à l’économie de marché a encre modifié la
nature des ressources et leur modalité d’accès. En effet, la recomposition
territoriale qui va accompagner l’économie de marché, a mis en rapport des
régions entières et a donné plus d’espace aux migrants ; ainsi, de faible
amplitude, les migrations sont passées à de grande amplitude.
Dans le Vieux Bassin arachidier, la cause principale des migrations était liée
à une donnée structurelle : la terre ( par sa pénurie ou son appauvrissement);
mais le phénomène migratoire s’est amplifié en fonction de données
conjoncturelles(sécheresse, nouvelles opportunités de revenus) et s’accélère
sous l’impulsion d’agents économiques qui interviennent pour en tirer profit,
et pour aider les migrants à franchir les différents obstacles qui se dressent
devant eux, surtout dans les contextes nouveaux des migrations
internationales.

L’étude du processus de migration nous permet de faire connaissance avec


les mouvements précurseurs.

III.1 MIGRATION INTERNATIONALE : MOUVEMENTS


PRECURSEURS ET DEVELOPPEMENT

La migration internationale résulte du développement de mouvements


précurseurs.
Ces mouvements sont internes:
III.1.1 LES MIGRATIONS INTERNES :
Elles sont de trois types
- le navétanat ou mouvement paysan vers les bassins de production
arachidière, l’exode rural, les migrations rurales et interurbaines.

III.1.1.1 Le navétanat

A sa naissance, le Vieux Bassin arachidier était une zone d’accueil des


migrants venus d’ailleurs, parmi lesquels des saisonniers attirés par les
revenus arachidiers ; ces derniers sont appelés les « navétanes ». Avec les
aléas climatiques et les baisses de rendements, le Vieux Bassin est devenu
une zone d’émigration vers d’autres parties du Bassin arachidier et les
Terres Neuves au sud est du pays.

Comme son nom l’indique ce flux de paysans en quête de terres et


conditions pluviométriques plus favorables à la culture arachidière est
saisonnier. Il est plus souvent organisé par les marabouts même si l’on sait
que des paysans peuvent participer au mouvement sur une décision
individuelle. Mais, le navétanat n’est pas récent : «l’émigration a commencé à
une époque très ancienne, à partir des années 1907 » (SAR, M op. cit. p31).
Ces mouvements de populations étaient liés aux cycles pluviométriques que
connaît la région. Ainsi un cycle de bonne pluviométrie entraîne un
renouveau de l’activité agricole, une remontée de la courbe démographique,
une commercialisation d’un volume plus important d’arachide.

Un cycle de pluviométrie défavorable entraîne le contraire une baisse de


l’activité agricole, une baisse de la courbe démographique, un accroissement
du flux migratoire vers le sud (Terres Neuves).
Cette option pour la culture de l’arachide demeure, mais l’exode rural l’a
emporté sur le navétanat.
III-1 -1-2 L’exode rural et les migrations interurbaines

Les villes, les métropoles urbaines davantage, sont devenues les lieux de
prédilection vers lesquels se dirigent aussi bien les paysans que les citadins
des petites villes comme Kébémer. Ce mouvement est lié à l’importance des
revenus en ville : jusqu’à la grande crise, le revenu unitaire du travail était
deux fois supérieur dans la production arachidière que dans les activités
urbaines non qualifiées. Il est aujourd’hui trois fois moindre, et il y faut ajouter
six mois de chômage saisonnier ». (Dumont : 200 : 1972).

Mais ces opportunités de revenus dans les grandes villes ont subi une chute
remarquable du fait du rush qu’elles ont provoqué à travers tout le pays.
En effet l’économie informelle qui a très souvent accueilli ces forts courants
migratoires a montré ses limites d’absorption dans les années 1980 : « la
situation économique actuelle et la déflation des effectifs dans les
organismes parapublics comme dans la fonction publique incitent à penser
que les débouchés sont à chercher de plus en plus dans l’économie populaire
urbaine ou secteur informel. La population urbaine employée dans ce secteur
est passée de 147000 actifs en 1960 à 275700 en 1980… A Dakar, il y a un
tailleur pour 100 habitants, ce qui signifie qu’il n’y a plus beaucoup de places
pour une augmentation de leur nombre.(Diéne Dione : 180 :1992).

III.1-2 LES MIGRATIONS INTERNATIONALES

Elles comportent une phase africaine et une phase européenne et américaine

III.1-2-1 La phase africaine

Elle comporte deux types de mouvement :


- un mouvement de type formel organisé par les autorités publiques et
- un mouvement de type informel tantôt individuel tantôt collectif organisé
par des particuliers.
Ces deux types de mouvements sont souvent liés : le premier étant celui des
« appelés » et le second « spontané ».

III.1-2-1-1 Les mouvements migratoires formels

Depuis l’ère coloniale au 19e siècle jusqu’aux années 1980, le Sénégal a


fourni des contingents de travailleurs à la demande de pays étrangers.
D’abord en 1892-1893, les tirailleurs sénégalais sont envoyés en Côte
d’Ivoire. Il y avaient été précédés en par la main-d’œuvre sénégalaise
appelée en 1880 dans ce pays pour sa mise en valeur. Dix ans plus tard (en
1890), c’est le Congo qui fit appel aux sénégalais pour la construction du
Chemin de fer Matadi-Kinshasa. Récemment dans les années 1970-1980, le
Gabon et la Côte d’Ivoire ont fait appel aux enseignants et même aux
étudiants sénégalais pour répondre à la demande pressante de professeurs
exprimée par les autorités scolaires.
La main-d’œuvre et les entreprises sénégalaises sont encore présentes en
Afrique de l’Ouest et du Centre en réponse à l’appel de gouvernements de
pays de ces régions. Hors d’Afrique la main-d’oeuvre sénégalaise a servi en
France et au Koweït.
Le Sénégal a ainsi une longue expérience de migration internationale pour
avoir été un réservoir de main-d’œuvre pour l’Afrique et d’ailleurs. Ce rôle
découle de la précocité relative de la mise en valeur du Sénégal dans le
système colonial et de celle de sa révolution démographique.

III.1-2-1-2 Les mouvements migratoires informels

Le mouvement migratoire organisé par l’Etat a toujours été suivi d’un


mouvement informel. Apparemment lorsqu’une communauté étrangère
commence à atteindre une certaine importance numérique, elle développe
une sorte de résistance culturelle, une forme de « way of life » qu’elle
exprime à travers son organisation, ses manifestations culturelles, ses modes
de consommation : cela correspond à une demande. Les sénégalais
n’échappent pas à cette règle.
En effet, les pays africains abritant une forte colonie sénégalaise comme la
Côte d’Ivoire et le Gabon sont aussi des pays très différents du Sénégal par
l’environnement écologique (pays forestiers) par la religion dominante
(animisme) par les habitudes alimentaires et vestimentaires. Ainsi, dès que la
communauté sénégalaise devient numériquement importante, elle exprime
une demande que d’autres sénégalais souvent actifs dans l’informel viennent
satisfaire ; se développent alors la restauration, la confection, la coiffure à la
sénégalaise, etc.…
De même les mouvements religieux se développent à travers des structures
dites dahiras formes d’associations dont les adhérents appartiennent à une
même confrérie religieuse (Tidiane, Mouride, Khadir, Layène). Ces dahiras
sont le plus souvent présidés par un représentant du Khalife Général de la
confrérie dans la localité. Ce représentant sert également d’ambassadeur
pour le marabout et de médiateur pour les adhérents de la dahira. A sa
demande, le marabout peut solliciter l’intervention de l’Etat sénégalais pour
régler des problèmes ponctuels de la communauté.
Cette phase africaine a connu un certain déclin avec les vagues d’expulsion
ou des crises politiques internes du pays hôte.

La plupart des expulsions de sénégalais s’expliquent par une volonté du


pays hôte à assainir le secteur du commerce modernisant le secteur informel
afin d’en tirer le maximum de ressources susceptibles d’aider à faire face aux
impératifs économiques. En outre, certaines autorités publiques font croire
que l’absence d’emplois pour les nationaux est liée à la concurrence des
étrangers. D’autres raisons du déclin de la phase africaine sont consécutives
aux crises politiques qui rendent le climat social tendu et peu propice au
travail des étrangers. Mais la principale raison peut être aussi les problèmes
économiques des pays africains relatifs aux plans d’ajustements structurels
des années 1980 et 1990. Ce contexte a détérioré les conditions d’accueil de
certains pays hôtes tout en poussant davantage les Sénégalais à émigrer
vers d’autres destinations telles que l’Europe.
III-1-2-2 la phase européenne

Cette période correspond à une phase de rupture dans les migrations


internationales : rupture dans les politiques migratoires et rupture spatiale
dans les migrations sénégalaises.
Concernant la rupture dans les politiques migratoires en Europe, on peut
noter un changement de taille. En effet, les mouvements migratoires Nord-
Sud ont toujours été des déplacements de main-d’œuvre strictement dirigés
dans le cadre des empires coloniaux. Ces derniers ont jusqu’aux années
1950 empêché leurs sujets coloniaux issus du Tiers Monde d’entrer dans les
réseaux migratoires autre que ceux qui leur étaient imposés. (De Wende,
C.W ; Bertrand : 32 : 1994). Ce contrôle des courants migratoires
correspondait à une phase d’expansion dans le monde développé alors que
la main-d’œuvre disponible était très faible. Il se faisait par l’obligation
discriminante de visa d’entrée exigé aux ressortissants de pays non
colonisés. Mais l’on observe une certaine libéralisation car dès qu’un
sénégalais arrive en France, il peut entrer librement en Italie ou dans
d’autres pays de l’Europe de l’Ouest. Avec une réglementation draconienne
synonyme d’interdiction de l’activité informelle en France ( Mboup :69 :1996),
les sénégalais passent en masse en Italie où les conditions d’exercice du
commerce informel sont meilleures. En effet ce pays offre un terrain de
prédilection pour les actifs de l’informel. Cela paraît paradoxal certes mais
Barbier l’explique ainsi « Théoriquement, administration et économie
informelle sont antinomiques. Cependant, les exemples ne manquent pas, de
par le monde aussi bien en Europe (en Italie) que dans les pays du Sud (en
Asie du Sud-Est), d’Etats qui ont su puiser leur dynamisme dans la
coexistence d’une double économie formelle et informelle » (Barbier, JP :35
1991)
Cependant, cette phase libérale va connaître un terme avec les accords de
Schengen et le visa sera obligatoire, mais la migration internationale va
bénéficier de réformes somme toute salutaires avec des mesures de
régularisation. Celles-ci vont permettre aux émigrés naguère clandestins
puisque sans statut d’obtenir les chances d’intégration dans l’économie du
pays hôte.
En Italie où les ressortissants du Vieux Bassin sont les plus nombreux, les
émigrés bénéficient de contrats de travail. Aussi passe t-on d’une phase de
clandestinité à une phase de prolétarisation. Ces mesures de régularisation
se poursuivent encore pendant les années 2000 dans les pays du Sud de
l’Europe en rupture totale avec le reste de l’Espace Schengen. Cette
situation s’expliquerait par le fait que « les pays de l’Europe du Sud sont
tentés par une politique de laxisme à l’égard de l’immigration maghrébine
illégale qui leur permettrait, à partir d’une main-d’œuvre à très bas prix, de
développer l’agriculture sous serres dans les régions d’Alméria ou l’industrie
textile et certains types de métallurgie dans l’Italie du Nord. Dans un espace
économique européen, ces secteurs et ces régions peuvent trouver ainsi le
moyen de faire concurrence aux vieilles industries de l’Europe du Nord et
d’éviter la délocalisation de certaines entreprises ou producteurs dans les
pays du Sud » (De Wende, C.W ; Bertrand op. cit. p 135-136)
Cette phase européenne plus ou moins circonscrite dans les pays du Sud a
connu un grand développement et reste la région du monde la plus attractive
pour les jeunes du Vieux Bassin arachidier.

III-2 MIGRATION INTERNATIONALE : RECOMPOSITION


SOCIALE ET RESTRUCTURATION TERRITORIALE

Le contexte qui a vu la migration internationale se développer est aussi un


accélérateur des migrations interrégionales dont le résultat est un solde
migratoire négatif du Vieux Bassin. En même temps, ce contexte du « Moins
d’Etat et Mieux d’Etat » et de la décentralisation a vu une administration
nouvelle se substituer à celle de l’Etat et justifiant ses activités du sceau de la
lutte contre la pauvreté. Ce nouvel environnement administratif constitué pour
la plupart d’Organisations Non Gouvernementales (ONG) ouvre une ère
nouvelle de développement participatif. Aussi trouvent-ils dans la migration
internationale des partenaires indirects avec lesquels ils partagent les mêmes
objectifs et dont les initiatives contribuent à transformer en profondeur la
région aussi bien au plan social que spatial.
III.2-1 MIGRATION INTERNATIONALE ET RECOMPOSITION SOCIALE

La migration internationale a favorisé une recomposition sociale avec


l’émergence de nouveaux acteurs dont le rôle n’avait jamais été exercé par
une composante sociale autochtone. Les initiatives de ces nouveaux acteurs
ont impulsé une dynamique de reconstruction des territoires qui ont connu un
dysfonctionnement à la suite de la crise arachidière dont il servait de cadre de
développement.

En 1999 lors d’une tournée économique dans la région de Louga, le


Président Abdou Diouf, alors chef de l’Etat du Sénégal, faisait cet appel.
« A l’appui des autorités régionales qui, je le sais, en font leur priorité, je
lance un appel aux investisseurs nationaux et étrangers, pour qu’ils viennent
saisir toutes ces opportunités. Je pense en particulier aux émigrés de la
Région qui peuvent, de cette façon, contribuer de manière durable au
développement de leur région et de leur pays… » (Abdou Diouf, 1999)
Ces comparaisons entre émigrés, investisseurs nationaux et étrangers nous
paraissent peu fortuites du fait de la capacité des émigrés à participer au
développement de leur localité. Cette capacité tient à la faculté qu’ils ont
d’être des détenteurs de capitaux et à leur volonté de les fructifier. Cette
participation peut être signalée à deux niveaux, celui de leurs propres
investissements et celui de la coopération décentralisée.

Ainsi à l’image de la bourgeoisie étrangère, on peut considérer qu’avec les


émigrés, l’émergence d’une catégorie sociale locale capable de drainer des
capitaux semble être une des nouvelles donnes résultant de la migration
internationale.
Ces migrants répondent apparemment à l’appel. Mieux, ils investissent les
différents espaces stratégiques dans lesquels l’intervention est nécessaire et
pertinente (espace global, local puis régional).
L’émigration résultant directement des rapports conflictuels entre les
différentes échelles géographiques (globale, régionale et locale) dans le
cadre de la crise du Bassin arachidier (détérioration des termes de
l’échange), tente de bien tirer partie des espaces globaux pour apporter un
nouvel équilibre dans les espaces régionaux et locaux.
L’Histoire nous a appris que c’est à partir du Nord que sont prises les
principales décisions concernant notre déchéance économique à savoir la
détérioration des termes de l’échange, la dévaluation de notre monnaie, le
Franc CFA, les subventions des agricultures concurrentes aux nôtres. Mais
c’est vers cet espace du Nord que nous devons déployer, avec énergie, toute
notre stratégie pour le rendre plus favorable. Les émigrés y tirent, de la vente
d’articles de l’artisanat local, des ressources substantielles dont le transfert
ranime nos économies devenues moribondes du fait du pillage.
La migration internationale a d’abord été une poursuite de la clientèle
touristique venue du Nord. C’est par la volonté politique des pays d’accueil
qu’elle est devenue une offre de main-d’œuvre, un phénomène de
prolétarisation par le biais des politiques de régularisations. [Mboup, 1996]
C’est à l’échelle globale, voire centrale que les émigrés ont agi pour avoir les
ressources de transfert nécessaires à l’impulsion de leurs actions de
développement local. La réussite du développement local suppose donc une
bonne stratégie, centrée sur la reconstruction de territoires fonctionnels et
viables et dont la durabilité nécessite une recomposition spatiale.
Celle-ci permet le retour aux dynamiques originelles, la protection des
acquis et la compétitivité.

Les nouveaux acteurs institutionnels, ONG et Programmes, sont des


structures d’accompagnement aux nouvelles politiques et à la
décentralisation. Leur jonction avec les collectivités s’inscrit dans le cadre de
la réalisation des objectifs de réhabilitation des territoires. C’est pourquoi la
complémentarité de leurs actions avec celles des migrants internationaux est
possible du fait de la convergence de leur objet : le territoire et son
développement.
Mais tout développement passe nécessairement par la réactivation des
réseaux restés en latence du fait de la crise et qui doivent renouer les
différents secteurs de l’économie, les différents espaces qui leur servent de
cadre, en l’occurrence les villes et la campagne, et les acteurs qui animent
ces différentes composantes territoriales.

Ainsi avec les acteurs locaux, la migration internationale tente de ranimer les
relations villes-campagne, compromises par la crise agricole et les politiques
publiques, et de rétablir les fonctions respectives des différentes entités
spatiales. Ceci ne peut être possible sans un drainage de ressources pour
amorcer la reprise des fonctions aussi bien des villes que des campagnes.

III.2.1.1 MIGRATION INTERNATIONALE ET TRANSFERT DE


RESSOURCES

Le rôle primordial de la migration internationale est de générer des


ressources qui sont acheminées vers les zones de départ en vue de résoudre
les problèmes des facteurs répulsifs. Ces ressources dites de transfert sont
diverses : on peut les analyser en espèces et en nature ou en biens
matériels.
En espèces, on peut évaluer en sommes d’argent envoyées : ce sont les
ressources en transfert de fonds.

III.2.1.1.1 Les migrants et les transferts de fonds

C’est le type de transfert, apparemment, le plus significatif au vu de son


impact social et spatial par les changements qu’il introduit dans les conditions
de vie et de la structure sociale.
Les transferts de fonds suivent des circuits connus : la voie informelle, les
mandats poste et les comptes bancaires, Western Union et tout récemment
les Mutuelles d’épargne et de crédit. Mais la typologie de ces circuits indique
déjà la difficulté de faire une quantification exhaustive de ces transferts en
raison de l’opacité de certains d’entre eux : la voie informelle, les comptes
bancaires et les Mutuelles.
Les différents types de transfert sont liés à la localisation des émigrés et de la
législation en vigueur dans les pays d’accueil, laquelle législation a évolué
ces dernières années de manière significative.
Les modes de transferts connus sont donc de trois ordres :
- la voie informelle ;
- la voie bancaire ;
- la voie postale.
Les deux premières voies sont les plus anciennes, mais aussi les plus
hermétiques quant à l’évaluation des masses d’argent transférées. Cette
situation s’explique par l’histoire de la migration et celle de l’insertion juridique
des migrants dans l’économie des pays hôtes surtout dans les nouveaux
pays d’accueil des ressortissants du Vieux Bassin arachidier comme
l’Espagne, l’Italie, les Etats-Unis.

L’histoire de la migration internationale montre que la migration circulaire a


été une stratégie très adaptée à la situation des migrants et de leur statut
juridique. Par exemple en Italie où se rencontre la plus importante colonie de
ressortissants du Vieux Bassin, le mode de transfert informel est
apparemment le plus courant et le plus ancien et le plus adapté à l’économie
informelle. Il est entré en vigueur depuis les années 1980, au tout début de
cette migration dans ce pays, et au plus fort de la migration clandestine. La
clandestinité privait du droit de disposer d’un compte bancaire, mais aussi
d’émettre des mandats.

En plus, il n’était pas possible de faire des transferts d’argent par la poste ou
par la voie bancaire entre l’Italie et le Sénégal faute d’accords entre les deux
pays. Face à cette situation, les migrants avaient trouvé des voies de
contournement par la France. En effet les habitués de la migration circulaire
qui ne passaient que l’été en Italie (et le reste de l’année au Sénégal)
pouvaient se transformer en convoyeurs d’argent et transporter par devers
eux l’argent destiné aux familles par leurs pairs après reconversion en
Francs français. L’argent devrait transiter par la France ; et il ne manquait pas
de risques d’être pris par la douane de ce pays faisant perdre des sommes
colossales aux émigrés.
Cette situation pouvait amener des convoyeurs indélicats à simuler une
infraction de ce genre et détourner l’argent des émigrés.
Cette situation n’a évolué qu’en 1993 avec la signature par le Sénégal et
l’Italie d’accords d’échanges bancaires, donnant aux émigrés réguliers la
possibilité de transferts d’argent par voie bancaire. Cette évolution est
conforme à la logique des autorités italiennes qui ont commencé à lever le
statut de clandestins aux émigrés en prenant des mesures de régularisation.
Elle a quelque peu pesé sur les transferts par la voie de la poste. Cependant
celle-ci restait en marge de cette dynamique de libéralisation. Même si les
envois étaient possibles par la poste française, ils connaissaient quelques
obstacles majeurs au paiement des destinataires avec les difficultés de
paiement de la poste de Kébémer entre 1991 et 1993. La baisse relative des
mandats postes avait profité à partir de 1993 (début de voie bancaire avec
l’Italie) aux transferts bancaires car aussi bien les émigrés que les
commerçants locaux sont devenus titulaires de compte à la banque (la
Société Générale de Banque au Sénégal (SGBS) en particulier pour avoir été
la correspondante de la Banca del Lavoro d’Italie).

La situation aux bureaux de poste de Kébémer et de Louga semble avoir


connu une amélioration dans les paiements à la suite de deux phénomènes.
Il s’agit d’une part de l’importance des dépôts en recettes au bureau de poste
de Kébémer (faute de concurrence, ici il n’y avait pas de banque) qui
finalement servaient payer aussi les mandats de poste Louga ; ceci n’a été
possible qu’avec les investissements liés au transfert d’argent des émigrés.
D’autre part, l’émergence des modes de transferts d’argent rapides comme
Western Union va redonner à la voie postale un regain de dynamisme.
La voie informelle va très vite imiter ce mode de transfert rapide. Des
exemples comme Lamp Fall en France, Kara International aux Etats-Unis, les
Box en Italie ont des correspondants au Sénégal pour payer sur place des
mandats aux destinataires par simple appel téléphonique. Les
correspondants sont parfois des commerçants ayant à payer des
marchandises à l’étranger et honorent ainsi leurs commandes.
Ainsi donc les transferts informels et bancaires semblent être très importants
mais faute de traçabilité pour les premiers et d’accessibilité pour les seconds,
il y a une certaine opacité qui empêche leur évaluation. Quant au transfert
d’argent par la Poste, il est resté accessible et assez bien réparti dans
l’espace du Vieux Bassin du fait de la présence de bureaux postaux dans
tous les bourgs ruraux.
Il paraît donc impossible de déterminer de façon précise le montant des
sommes d’argent transférées par les émigrés en raison de la diversité des
modes de transfert et la protection dont ils bénéficient en raison de leur
illégalité ou du secret des institutions qui les assurent.
En ce qui concerne leur diversité, le transfert d’argent est devenu une activité
lucrative pour des émigrés qui apparemment en font leur activité.
De même la législation change d’un pays à un autre.
On ne peut donc se contenter que des mandats poste, lesquels, malgré un
certain nombre de lacunes, permettent néanmoins d’apprécier l’évolution des
flux financiers et d’envisager leur estimation.

L’évolution des transferts de fonds, à travers des mandats internationaux


dans certaines localités du Vieux Bassin Arachidier, nous donne une idée de
leur importance par rapport aux sources traditionnelles de richesse du Vieux
Bassin Arachidier.
Si l’on considère que la Poste est concurrencée dans le transfert de l’argent
par les autres voies ci-dessus citées, on peut affirmer que la migration
internationale est devenue progressivement la principale source de revenu de
la Région de Louga. « Les émigrés hors frontières (Europe, Pays de la sous
région ont fait transiter par la Poste de Louga 3,527 milliards de F CFA vers
leur famille en 1999. Ce montant atteint 3,686 milliards si l’on y ajoute les
mandats nationaux émis vers la région. Ce flux de transfert représente
exactement le montant injecté par la SONACOS la même année (3,625
milliards) pour acheter 25 000 tonnes d’arachide dans la région » (MAE,
2001)
Cette comparaison est d’autant plus importante que l’année de référence est
une bonne année de production si l’on considère l’évolution de la production
des années 90 dans le département de Kébémer, le noyau du Vieux Bassin.

Tableau n°28. Production arachidière du Département de Kébémer 1990-


1995

Années Production en Prix/FCFA/au Valeur totale


tonnes producteur
1990-91 26 210 80 2 096 800 000
1991-92 18 104 80 1 448 220 000
1992-93 6 487 80 510 960 000
1993-94 9 023 100 902 300 000
1994-95 14 091 120 1 690 920 000
Source : Bara MBOUP (1999)

Ces revenus obtenus grâce à la filière d’arachidière peuvent être comparés


avec ceux fournis par la migration internationale avec le relevé de la période
1986-1994

Tableau 29 : Relevé des mandats internationaux 1986-1994 Kébémer

Années Montant en francs CFA


1986 7 197 192
1990 56 332 336
1991 239 232 260
1992 11 217 150
1993 82 208 011
1994 99 664 967
Source : OPCE-Kébémer ; (Mboup, 1999)

On peut distinguer deux périodes : celle qui va de 1986-1994 et la seconde


de 2000 à 2002.
La première période est celle qui précède la dévaluation du Franc CFA où la
parité avec le Franc Métro était de 1 à 50.
Pour la seconde période post-dévaluation, la parité passe de 1 à 100. Cette
nouvelle parité fait que les transferts de fonds habituellement effectués
connaissent un doublement de leur valeur. Cela se traduit par le gonflement
des flux d’argent et du montant reçu par les familles des émigrés. C’est ainsi
que les sommes d’argent de la seconde phase figurant dans les tableaux ci-
dessous sont sans commune mesure avec celles qui sont inscrites dans le
premier tableau ci-dessus.
Tableau 30 : Kébémer : mandats internationaux 2000 – 2002 (montant
en F CFA)
Années 2000 2001 2002
Mois
Mandats Western Mandats Western Union Mandats Western Union
poste Union poste poste
(Poste)
Janvier 1 877 614 2 289 319 2 315 791 2 940 711 9 905 429
Février 2 793 177 2 471 521 6 497 391 2 186 274 13 041 395
Mars 4 557 700 3 326 327 4 699 504 1 554 544 12 014 555
Avril 4 122 581 5 490 000 18 400 688
Mai 7 528 439 5 216 290 16 301 300
Juin 8 855 078 7 250 074 27184 339
Juillet 6 705 551 8 839 892 22726 260
Août 8 848 847 8 492 794 29142 070
Septembre 2 424 286 5 411 210 16929 094
Octobre 6 012 381 17581 317
Novembre 2 868 896 16910 711
Décembre 16 359 630 32198 8 028 393 15 590 917
Total 64104830
641048 1942793
30 82
Total cumulé 41 642 908
259 976
471
Moyenne 21 664 705 13 880 969
mensuelle
Source : OPCE : Kébémer (juillet 2002)

A cela s’ajoute la situation financière des transferts d’argent aux bureaux de


Poste de Ndande et Sagatta. Ces localités se caractérisent par l’absence de
Western Union. Seul, le bureau de poste reçoit les mandats de manière
traditionnelle.
Tableau 31 : Sagatta : mandats internationaux de 1997 - 2001(montant en F CFA)
années 1997 1998 1999 2000 2001

mandats
Janvier 409 100 1 500 000 429 717 470 000
Février 150 000 300 000 430 000 271 776 2 870 00
Mars 340 000 595 600 1 740 000 44 000 40 000
Avril 186 000 695 600 610 461 487 266 710 000
Mai 782 000 200 000 376 034 531 266 1 000 100
Juin 465 000 650 000 975 025 730 873 479 336
Juillet 350 000 1 255 600 1 295 831 1194 960 598 822
Août 300 000 842 500 374 055 500 196 826 166
Septembre Néant 315 000 846 871 1 648 709 497 114
Octobre 405 000 700 000 989 296 350 042 448 577
Novembre 40 000 650 300 645 951 515 383 517 545
Décembre 300 700 422 000 1 912 249 2 364 048 566 700
Total annuel 3 318 700 7 685 600 11695 773 9 068 236 7 267 526
Moyenne (39035835)/12 7 807 167
annuelle
Moyenne 276 558 640 466 974 647 755 686 605 627
mensuelle
Source : OPCE de Sagatta, 2002

Tableau 32 : Ndande : mandats internationaux de 1997 - 2000(montant en F CFA)

Années 1997 1998 1999 2000

Mois
Janvier 127 991 742 794 1 677 000 1 114 818
Février 758 100 338 100 385 000 2 135 400
Mars 584 000 489 527 1 564 018 1 256 007
Avril 509 900 827 500 656 000 3 165 007
Mai 336 000 540 235 690 000 3 163 100
Juin 333 000 811 000 821 881 5 638 016
Juillet 505 300 530 000 699 755 3 515 000
Aout 581 584 871 000 1 473 000 1 868 134
Septembre 347 800 751 000 896 134 833 134
Octobre 844 800 786 900 1 263 354 683 134
Novembre 477 800 1 460 826 1 567 100 4 363 700
Decembre 597 726 400 000 1 130 000 2 585 000
Total annuel
Moyenne
annuelle
Moyenne
mensuelle
Source : OPCE Ndande (2002)

A l’opposé des ces bureaux de Poste précédents, celui de Darou


Mousty38travaille avec Western Union. La situation des transferts y est de
loin plus importante.
En 2000, il y a eu pour les mandats internationaux entre 500 et 600 millions
francs CFA venant de l’extérieur ; entre Mai et Novembre, 153 millions de
mandats-poste et 216 millions venant d’Italie et d’Espagne, par western
Union. Soit, au total, 369 millions.
Cette différence s’explique aussi par le nombre croissant d’émigrés. Cette
croissance est due à la diversification de l’origine sociale des candidats à
l’émigration, puisque celle-ci n’est plus la seule affaire des pauvres paysans
ou des jeunes désœuvrés des villes. Elle est aussi devenue une source de
revenus compétitive pour toutes les couches sociales, en particulier des plus
nanties, du fait de l’importance des revenus qu’elle génère et des avantages

38
Nous n’avons pu obtenir que ces données de la part du receveur de la Poste a Darou Mousty. Il
affirme être nouveau dans le service et ne maîtrise pas encore les archives.
comparatifs par rapport aux revenus arachidiers et aux autres activités
professionnelles.

Ramenée au revenu moyen par actif, la comparaison entre ressources


arachidières et celles issues de l’émigration (par le rapport entre le montant
annuel des ressources et le nombre d’actifs : 89 625 pour le département et
6990 pour le chef-lieu, Kébémer) donne :
- un montant par actif de 8060 F servi par la migration internationale en
1990 contre un revenu arachidier de 23 395 FCFA ;
- en revanche, en 1991, le revenu moyen par actif donnera 16 159 FCFA
pour l’arachide, et 34 225 FCFA pour l’émigration.
Cette différence entre les revenus arachidiers et ceux de la migration
internationale va croissant au vu de l’évolution des chiffres que montrent les
tableaux ci-dessus et la diversification des canaux de transfert.

Il résulte de ces tableaux que les revenus de transfert pour la ville de


Kébémer par la Poste connaissent une régularité et ont un volume important
(259 976 471 en 2001) que l’on peut estimer à 300 millions par an soit 25
millions par mois : c’est l’équivalent de la masse salariale de 125 salariés
envoyant chacun 200 000 FRS CFA. En somme toute proportion gardée, la
seule masse d’argent envoyée par les émigrés par la poste dépasse de loin
la masse salariale que distribue l’administration publique et locale qui emploie
135 personnes (sources : BURREST, 1999)
Mieux, s’il faut ajouter au transfert d’argent par la Poste, ceux des portages,
des envois bancaires quasi impossibles à estimer, des mutuelles de crédit,
des envois par téléphone par commerçant ou représentant sur place
d’associations informelles qui concurrencent Western Union, les sommes
peuvent atteindre une valeur insoupçonnée.
De plus si l’on se réfère à l’Association des ressortissants de Kébémer en
Italie (ARK), le nombre d’émigrés kébémérois dans ce pays est estimé à un
millier. Si chacun envoie une moyenne de 100 000 FCFA par mois, on est à
100 millions de revenus par mois.
De toute manière, la Poste ne fait que révéler la partie visible de l’iceberg ; et
le solde des transferts de fonds passant par d’autres canaux reste méconnu.
Cependant leur impact sur le développement local se fait sentir car en plus
des avantages sur le niveau de vie et le maintien de la population sur place, il
faut signaler le renforcement institutionnel de la ville à travers le rôle
prépondérant que fait jouer l’émigration à la poste, mais aussi l’acquisition de
nouvelles fonctions : bancaire, avec l’installation de la Compagnie Bancaire
de l’Afrique de l’Ouest (CBAO).

Ainsi donc, en faisant passer ces sommes d’argent par la Poste, les villes et
les centres ruraux deviennent des lieux de transit des transferts d’argent.
Pour la plupart, l’argent reçu constitue un dépôt, chez le commerçant qui sert
de correspondant à l’émigré et un intermédiaire avec sa famille a une période
où les communications téléphoniques n’avaient pas connu leur explosion
actuelle.

En plus de son caractère spatial très marqué la distribution des transferts


d’argent connaît une certaine régularité temporelle. Cette régularité
mensuelle des mandats ou des flux monétaires malgré leur différence de
volume contraste avec les rentrées de revenus arachidiers qui sont
saisonniers et précaires du fait de l’évolution en dents de scie de la
pluviométrie. On peut noter que le transfert d’argent devient plus important en
volume avec les fêtes religieuses du Magal de Touba et de la tabaski (fête du
mouton) et privilégie le système de portage du fait du retour de plusieurs
émigrés.

Une seconde caractéristique est que le financement des activités de la


campagne et de la ville du Vieux Bassin arachidier n’est plus d’origine
étrangère ou étatique, mais vient des fils du pays même. Par ce nouveau
circuit de l’argent la campagne renoue ses relations économiques avec la
ville et réduit sa dépendance par rapport à elle.
Cette suprématie des revenus de la migration internationale fait ressortir
l’importance de la catégorie sociale des émigrés dans la survie et la stabilité
des familles rurales et urbaines d’une part et d’autre part la régénération et
l’accumulation du capital dans une société en crise.

Mais les transferts d’argent masquent aussi les autres types de transfert qui
les accompagnent et dont le plus remarquable reste le transfert de
ressources matérielles.

III.2.1.1.2 Les migrants internationaux, vecteurs d'échange de biens et


promoteurs de la production locale

La migration internationale se traduit aussi par un courant d’échange de biens


entre lieux d’origine et lieux d’accueil.
En effet, la migration internationale dont notre zone d’étude est le lieu de
départ est née initialement de la poursuite du touriste. À une certaine
époque, le tourisme des européens en Afrique était un tourisme de
découverte se caractérisant par une dimension culturelle très favorable au
commerce des objets d’art. Ils présentaient une certaine diversité, puisque les
spécimens vendus représentaient toutes les aires culturelles de la région
ouest africaine voire de l’Afrique au Sud du Sahara. Le tourisme a très
souvent été accompagné par le développement par la production et la copie
de pièces rares recherchées.
Ces objets d’art étaient les œuvres des artistes sénégalais et en particulier
des artisans cordonniers et boisseliers sculpteurs, les forgerons et bijoutiers
qui avaient quitté les campagnes pour se positionner dans les villages
artisanaux des grandes villes.
Et que les sénégalais ont excellé dans la distribution de ces objets d’art dans
les parages les hôtels et des lieux d’exposition dans les zones touristiques,
puis dans les autres pays africains.

Cette distribution des objets d’art se fait de la même manière que les objets
d’artisanat de service. En effet, dans ce domaine aussi s’applique la division
sociale du travail : les artisans produisent et les non artisans de la
communauté villageoise se spécialisent dans la distribution. Ce système de
production ressoudait la cohésion villageoise en réactivant les réseaux
traditionnels de clientèle et revitalisait la fonction villageoise d’unité de
production.

Les personnes qui s’occupaient ainsi de la redistribution sont les mêmes qui
parcouraient les différents espaces de vente au Sénégal et en Afrique et plus
tard en Europe sur les bordures de la Seine et de la Méditerranée.
Dans ces mêmes lieux, les ressortissants sénégalais, lorsqu’ils atteignaient
un effectif important, tentaient une reproduction de la structure et du
fonctionnement de la société sénégalaise. C’est ainsi qu’arrivent les chefs
religieux qui installent leurs représentants, les organisations confrériques, les
restaurateurs, les professionnels de la confection sénégalaise, les
cérémonies culturelles et cultuelles, etc.…

La spécificité de la migration internationale en Europe se matérialise par le


transfert de techniques. En effet, dans leur migration circulaire, les émigrées
ont choisi à la fin de chaque été de retourner au pays natal avec l’idée de
combler le reste de l’année par des activités lucratives. C’est ainsi que de
nombreuses activités sont entreprises par les émigres de retour avec le
recyclage d’une partie de l’argent gagné pendant l’été.
Ce transfert de matériel d’occasion et sa distribution sont devenus la
principale activité de certains émigrés. Le matériel léger est envoyé en fret,
le lourd en conteneurs par bateau.
Ces transferts de marchandises ont connu une longue évolution aussi bien
dans leur nature que dans leur volume.
Tout au début, c’étaient des marchandises légères : montres, chaussures,
ceintures, effets vestimentaires, et tout un stock d’invendus dans les plages
et places des villes touristiques d’Italie notamment. Une fois débarqués, ces
articles étaient revendus au marché Sandaga de la capitale sénégalaise.
Puis vient la phase des importations de marchandises lourdes : des motos
(scooter), des voitures automobiles de tourisme et de transport, des pièces
détachées, des frigos et des moteurs.
Une part importante de ces marchandises est constituée d’articles acheminés
dans des conteneurs et comprenant du matériel d’occasion en Europe mais
jouissant d’une forte demande de la part des artisans locaux puisque
répondant a leurs besoins d’équipement pour le développement de leurs
activités. C’est le cas des machines pour la bijouterie, des machines à
coudre.
La conjoncture de la dévaluation a provoqué un boom dans ces flux de
transfert de matériels puisque correspondant à une période de forte inflation
des prix pour les équipements des artisans en particulier les machines à
coudre.
L’argent ainsi gagné de la revente des articles importés était réinvesti dans
d’autres spéculations ou l’approvisionnement d’autres articles artisanaux à
exporter.
Parmi celles-ci, certaines concernent l’agriculture avec la pratique du
« mbapate », achat des champs de culture de mil ou d’arachide arrivés en
maturité. A ce propos notons l’exemple de cet émigré qui avait acheté dix
(10) tonnes de mil a quinze francs le kilogramme, un tonnage qu’il revendra
a une ONG a cinq millions de francs CFA. De même beaucoup d’émigrés
s’adonnent aux échanges de produits agricoles entre régions productrices et
régions déficitaires.
En passant l’automne et l’hiver dans ces activités, les émigrés se livrent au
printemps à la préparation de leur retour en Europe et bouclent leur
calendrier en passant des commandes de marchandises destinées au
marché italien pour l’été.

Il s’agit de toutes sortes d’articles fabriqués par les artisans sénégalais dans
les villages artisanaux : sacs en cuir, bracelet, tam-tam « diembé », boubous
sénégalais, etc.
C’est ainsi que des échanges de biens accompagnent la migration
internationale et ont un impact profond dans la dynamique spatiale et
fonctionnelle de certains secteurs économiques comme l’artisanat et le
commerce, et même l’industrie.

Les transferts ont servi d’abord les émigrés dans leur reconversion
économique locale et leur statut social. Très souvent issus de la catégorie
sociale des sans emploi ou des prolétaires de la société, les voilà (les
émigrés) promus au rang d’investisseurs et de décideurs au plan social, voire
politique.

Cette transformation a le mérite de combler une lacune au plan social en


faisant émerger une nouvelle catégorie relativement riche et soucieuse de
promouvoir localement des investissements aussi bien dans le secteur social
que dans le secteur productif.

III.2.1.2 Les migrants internationaux: une classe d'investisseurs locaux

L’observation montre qu’il y a une progression dans les interventions des


émigrés : la première étape est le soutien a la consommation pour faire face
a la survie avec l’entretien de la famille en ville et au village, la communauté
villageoise ; puis c’est le soutien a l’exploitation familiale pour les membres
pouvant relayer l’émigré dans les charges domestiques ; la deuxième étape
est la construction d’une maison de prestige et la troisième ou étape finale est
l’investissement productif comme pour préparer le retour. Cet investissement
peut revêtir, suivant sa localisation en ville ou en campagne, des formes
différentes.

Mais si les deux premières phrases sont simples, la troisième constitue une
gageure pour des gens dont le niveau d’instruction n’est pas élevé : c’est
pourquoi le mimétisme prend une large place dans leur stratégie
d’investissement, réduisant du coup l’éventail des secteurs d’investissement.

Les émigrés sont devenus ainsi de véritables investisseurs. Ils utilisent les
campagnes et les agglomérations significatives en particulier les villes
comme lieu de localisation de leurs investissements.

Tout au début, la localisation de l’investissement est fonction de l’importance


de la demande et de la nature de l’offre, et explique la répartition que nous
donne le tableau suivant :
Tableau 33 : La répartition des investissements d’émigrés originaires
de la ville de Kébémer
Noms Quartier de Type d’investissement Localisation
résidence
Individuel Collectif
1 A. Kébé Mbabou Transport, pièces X Dakar
2 A. Kébé détachées

3 A. Mbaye Mbabou Télécentre et pièces


détachées X Dakar
4 P. Fall Mbabou Commerce et pièces X Dakar
détachées

5 A. Kébé 6
I. Kébé Pressing X
7 T. Mbaye Mbassine Quincaillerie X Dakar
Mbabou

8 D. Kébé Escale Commerce et pièces Dakar


9 A. Diop Escale détachées

10 A. Kébé Mbabou Blanchisserie Dakar/ Mbour


(lavomatique ; X
pressing)

11 T. Faye M bassine Commerce, pièces Dakar /


Mbassine détachées, télécentre Kébémer

12 T. Thiam Mbabou Services (Télécentre,


13 M. Thiam photocopieuse, fax) et X Kébémer
commerce

14 M. Guèye Mbabou Essencerie X Kébémer


15 M. Thiam Mbabou Boulangerie X Podor
16 M. Syll (Mbelgor) Transport et
Moulins à mil Touba

17 M. Kébé Mbabou Boulangerie X Kébémer


Richard Toll
et Vélingara

18 P. Kébé Mbabou Boulangerie X Koungueul

19 T. Kébé Mbabou Boulangerie X Kaffrine

20 M. Mbaye Quincaillerie, X
Mbabou entreprise de Kébémer
confection, télécentre
21 N. Thiam Commerce/ Transport X
Mbabou en commun, Kébémer
quincaillerie
Source : Bara Mboup, 1998
On note d’abord la suprématie de la boulangerie qui s’explique par son
ancienneté et son caractère familial. En effet, introduite en ville par Maurel et
Prom, la boulangerie a depuis été l’activité majeure des originaires de la ville
de Kébémer, activités et savoir faire qu’ils ont exercés dans leur exode vers
les grandes villes comme Dakar et autres métropoles régionales. Cette
longue expérience capitalisée a servi aux émigrés actuels de recruter leur
main d’œuvre au niveau familial, et de faire de la boulangerie un secteur
d’activité ayant l’allure d’une entreprise familiale. La multiplication de
boulangeries a provoqué un retour massif vers leur ville d’origine des
ressortissants de Kébémer d’une part et leur redéploiement dans les localités
accueillant ce type d’investissement.

Ensuite, la localisation dominante des investissements privilégie la capitale


Dakar suivie de Kébémer. Cette localisation dépend de la nature des
investissements et de la diversité de la demande et de l’opportunité de
rentabilité de l’investissement. On peut remarquer par exemple, que les
investissements sur le bâti ont connu la même évolution, les émigrés ont
cherché à construire une maison à Dakar pour s’assurer des revenus sur la
location, avant de construire dans leur localité d’origine. La dynamique de la
construction a connu un frein à Dakar avec la déception liée à la difficulté de
recouvrement du loyer. En revanche, elle a connu un coup de fouet dans les
localités d’origine ; les bâtiments construits pouvant alors par leur
somptuosité et leur style défier toute concurrence avec les grands standing
des grandes avenues de la capitale sénégalaise.

Enfin, après avoir été désorganisés par les départs massifs vers d’autres
régions et Touba en particulier, voilà que reprend petit à petit la
reconstruction des territoires du Vieux Bassin arachidier. Cette reconstruction
passe par de nombreuses initiatives dans lesquelles les émigrés ont pris une
part importante.

Dans les villages, des accords tacites comme le pacte dit de Niomré impose
à tous les ressortissants de construire leurs maisons dans la dite localité dont
l’existence fut profondément menacée par l’hémorragie vers Touba.
Dans les villes les investissements productifs se multiplient et prennent une
dimension insoupçonnée : par exemple pour la premier fois de son histoire la
ville de Kébémer étrenne sa première unité industrielle ; et c’est par
l’entremise des émigrés. Il s’agit d’une usine de fabrication d’aliments de
bétail.

La nouvelle unité industrielle de la ville de Kébémer est créée en 2005 et


dénommée « Touba-Bétail » ; elle installée à l’extrême nord de la ville sur la
route nationale N2 sur une superficie d’un hectare gracieusement offerte par
la Commune.

Ses promoteurs sont des émigrés natifs de la ville et travaillant en Italie ;


l’unité industrielle est une SARL dont le chiffres d’affaires est estimée à plus
de cent millions de francs CFA ; le nombre d’actionnaires est de trois tous
émigrés le promoteur principal travaillait dans le même secteur de l’industrie
alimentaire; c’est d’ailleurs son patron qui lui a proposé de lui vendre l’usine
avec un certain allègement dans le paiement.

Le nombre d’emplois prévu pour le début est de 40;

Cette unité vient en appui aux tendances actuelles de l’élevage régional.


Longtemps confiné à la tradition de pratiques extensives l’élevage régional
vient de bénéficier d’un outil ou d’accompagnement pour une modernisation
ou à défaut d’appoint pour l’élevage intensif ; la fonction essentielle de cette
unité industrielle est triple :

- d’abord, il s’agit d’une part de satisfaire la demande de la Région de


Louga première productrice de bétail au niveau national et aider à la
modernisation du secteur. L’élevage urbain est également entrain de
connaître un développement assez significatif grâce aux investissements des
émigrés. Ces derniers pratiquent d’ailleurs un éleveur intensif parfois avec la
pratique de l’insémination artificielle.

- L’usine inaugure un autre modèle d’industrialisation qui rompt avec celle


de kyste urbain comme l’ont été les unités industrielles de la ville de Louga.
Elle contribue donc à rétablir les relations villes-campagne d’une part, mais
également, elle aura à donner à la région son usine et par conséquent briser
le monopole de Touba sur le marché de l’aliment de bétail dans la Région de
Louga. Car Touba a non seulement son unité industrielle d’aliment de bétail
mais aussi avec sa situation stratégique de ville de transition ou intermédiaire
entre le Bassin arachidier et la zone sylvopastorale est un grand marché de la
production industrielle du Sénégal au point que beaucoup de produit du fait
de l’importance des tonnages livrés dans la ville sainte se vendent à des prix
compétitifs c’est le cas du ciment et de l’aliment de bétail.

- Si ce défi est relevé, l’usine peut éventuellement réintégrer


l’Arrondissement de Darou Mousty dans le reste du Département de
Kébémer et de la région. Sur le plan national l’usine Touba-bétail compte
intégrer le système les minoteries comme Sentenac, les Grands Moulins et
NMA (nouvelle minoterie africaine) en utilisant leur sous-produit ;

Tableau n° 34 : Estimation du cheptel Département de Kébémer novembre 2004

Département bovins ovins caprins équins asins volailles porcin

Kébémer 500 5250 5000 500 103 25000 32


Commune

Ndande 12000 93923 26795 3680 650 184727 -

Sagatta 11000 69482 63822 6000 620 166000 -


Gueth

Darou Mousty 25975 127237 111175 7172 810 202000 -

Total 49475 295892 266792 17352 2183 32

Source : Inspection des services vétérinaires Kébémer 2005

La zone de Darou Mousty qui comprend plus de la moitié du cheptel


départemental est contrôlée par le marché de l’aliment du bétail à Kébémer.
L’augmentation des bovins dans la ville traduit l’exode rural ; les ruraux
arrivés en ville gardent leur mode de vie rural. A cela s’ajoute la propension
des émigrés à constituer des troupeaux de bovins en guise d’épargne.
Par cette initiative industrielle qui s’intègre parfaitement dans l’économie
régionale la migration internationale montre une fois de plus qu’elle est
capable de redresser les erreurs d’investissements déjà notées dans la
région notamment dans les choix d’industrialisation qui ont davantage servi à
couper les relations entre la ville de la campagne et créer des kystes urbains.

Cependant force est de reconnaître que l’impact de la migration internationale


est moins sensible dans l’industrie que dans les principales fonctions
urbaines et rurales, à savoir le commerce et l’artisanat en milieu urbain, et
l’agriculture dans la campagne, reprenant ainsi les moteurs de
développement de la région dans la phase initiale.

De même dans ces différents secteurs de développement, les migrants sont


la seule catégorie sociale intervenant à titre volontaire dans le financement et
l’équipement, dans des conditions compétitives du marché, des différents
acteurs du développement local à savoir les agriculteurs, les commerçants et
les artisans. Cette fonction d’assistance au développement qui a manqué
depuis que l’Etat s’est mué de l’Etat Providence à l’Etat libéral vient d’être
comblé par les émigrés. Ce qui augure d’une relance de la production et de la
renaissance des territoires naguère en crise.

III.2.2 MIGRATION INTERNATIONALE ET RECONSTRUCTION DES


TERRITOIRES

Dans l’économie de marché, les échanges jouent un rôle fondamental dans la


naissance et le fonctionnement des territoires. La déterritorialisation du Vieux
Bassin à la suite de la crise arachidière a commencé par la réduction à néant
des relations villes-campagne qui lui servaient de support. La reconstruction
de ces territoires à différentes échelles locales, départementales et
régionales passe par la reprise des fonctions respectives des villes et de la
campagne. Cette opération s’appuie nécessairement sur une classe
d’investisseurs locaux prêts à stimuler l’économie et susciter la résurgence
des réseaux traditionnels d’échanges et des vieilles solidarités sociales.
III.2.2.1 Transferts internationaux et développement des fonctions
urbaines

Le commerce et l’artisanat paraissent être les fonctions urbaines les plus


affectées par la crise arachidière et les politiques réalistes, ils sont en
revanche celles qui sont les plus revitalisées par la migration internationale.

III.2.2.1.1 Les effets de la migration internationale sur le commerce


urbain

Le commerce est l’activité qui a le plus profité des transferts d’argent des
émigrés pour plusieurs raisons.
Le commerce a profité des thérapies administrées par les migrants aux maux
du monde rural et urbain a savoir l’insécurité alimentaire consécutive à la
crise agricole, l’approvisionnement en facteurs de production et en vivres de
soudure, dans un contexte de « Moins d’Etat, Mieux d’Etat ». La reprise des
relations villes-campagne passe par la restauration des fonctions
commerciales des villes et la création des conditions de la compétitivité du
commerce local.

III.2.2.1.1.1 La restauration des fonctions commerciales des villes

D’abord, la migration internationale en utilisant le commerce urbain comme


intermédiaire avec les familles restées en ville ou au village a choisi de faire
vivre celles-ci avec les produits importés. Ce qui a été un facteur de diffusion
du mode de vie urbain en campagne aussi bien dans l’adoption des
conditions de vie urbaines (habitat et équipements modernes) et de
consommation de denrées exotiques. Cette adoption doit largement
augmenter la demande et en conséquence stimuler l’offre et agir sur la
distribution en multipliant le nombre de points de distribution et celui des
distributeurs que sont les commerçants et les marchands. Ces points de
vente sont localisés dans des espaces plus ou moins favorisées par leur
caractère d’agglomération influencée en cela par la qualité de places
centrales.
Ensuite, les commerçants ont constitué les principaux intermédiaires entre les
émigrés et leurs familles et ont été les plus grands destinataires des
transferts d’argent faits par ces derniers.
Cette nécessité d’avoir un correspondant découlait du fait qu’au début les
transferts d’argent ne connaissaient pas son boom actuel puisque les envois
n’étaient pas si réguliers du fait de difficultés d’ordre juridique et diplomatique.
En effet, c’est seulement à partir de 1993 que le Sénégal et l’Italie ont signé
des accords permettant aux émigrées en règle de faire des transferts d’argent
par voie bancaire. Par voie postale, il fallu attendre beaucoup plus tard. Aussi
les émigrés résidant en Italie devraient aller jusqu’en France pour convertir
leur lire italienne en francs français avant d’émettre un mandat vers le
Sénégal. Mais au Sénégal, la Poste se trouvait dans des difficultés de
paiement des mandats notamment entre 1991-1993. Donc à l’absence de
toute banque dans les autres localités de la région autres que Louga et vu les
difficultés de la poste, le portage continuait d’être le principal mode de
transfert d’argent dans la région depuis le début des années 80 et de la
destination italienne. Or les émigrés venaient pour l’essentiel en fin Août-
Septembre de chaque année ou lors des grands événements religieux de
l’année. Cette irrégularité des mandats au début obligeait les émigrés à
confier leurs familles à des commerçants qui leur fournissaient toutes les
denrées dont elles avaient besoin ainsi que des services relatifs à la gestion
de la famille. En retour les émigrés profitaient des possibilités d’envois pour
déposer des sommes d’argent pouvant couvrir, dans quelques cas, les
besoins des familles pendant une année entière. Un commerçant pouvait
ainsi rassembler les frais annuels de plusieurs familles. Ce contrat de
confiance, ayant lié les commerçants locaux aux émigrés, était finalement
étendu à tous les services allant de l’entretien de la famille en vivres jusqu'à
l’achat d’une parcelle et à la construction de la maison.
Les commerçants se taillant une clientèle fidèle de migrants, s’occupent de
toutes les affaires des émigrés : parcelle, construction de maison, mariage,
cérémonie familiale. Ils deviennent les intermédiaires avec les
artisans (maçons, menuisiers, etc.) avec lesquels ils discutent les prix de
leurs prestations.
Aussi avions nous souligné que « la prospérité d’un commerçant se mesure
au nombre d’émigrés dont il gère les affaires » (Mboup, 1999).
Cette manne financière est, pour l’essentiel, concentrée entre les mains d’un
nombre restreint de commerçants. Car à cette période, le contexte de crise
économique avait poussé à la réduction drastique voire la disparition du
commerce de gros avec sa délocalisation à Dakar.

Il ne restait dans les villes secondaires et les centres ruraux que des
détaillants souvent d’origine rurale et se ravitaillant pour l’essentiel à partir du
marché de Touba.
Aussi pour la ville de Kébémer, par exemple, la crise arachidière et la
concurrence du commerce informel installé à Touba avaient fini par décapiter
le commerce local avec la délocalisation des grossistes et transporteurs (A K
Fall et M. Sady entre autres) vers Dakar. Le vide ainsi créé favorise
l’émergence des petits commerçants (d’origine rurale pour la plupart).

Ceci aide à une restructuration du commerce et le reclassement de bon


nombre de détaillants : les commerçants recevant le plus d’argent se
transforment en grossistes, les autres en demi-grossistes ou détaillants
suivant la part reçue. Mais le plus important semble être le fait que l’argent
est injecté dans l’économie de la ville et dépensé sur place.

Il résulte de ces nouveaux rapports entre commerçants urbains et


consommateurs ruraux, le changement de la structure de la consommation et
son explosion avec l’adoption par les campagnes du mode de vie urbain
contribuant à l’élévation de la demande en produits de base (riz, huile, sucre
savon) payés avec les revenus de transfert.

III.2.2.1.1.1.1 Migration internationale et transformation des modes de


financement du commerce.

De l’économie de traite à nos jours, le commerce a bénéficié de plusieurs


mesures de financement. Mais jamais les crédits n’ont été d’origine locale.
En effet, pendant l’économie de traite, c’est par le biais de financement
métropolitain que les crédits parvenaient aux intermédiaires africains des
maisons de commerce.
Avec l’Etat indépendant, s’annonce l’ère des politiques de développement en
deux phases. La première phase ou celle de l’Etat Providence octroyait un
encadrement technique et un financement au commerce. Les crédits étaient
octroyés par une banque créée a cet effet : la BNDS.

La seconde phase (ou celle de la rupture), du « Moins d’Etat, Mieux d’Etat »


se traduit par la suspension des mesures antérieures, de la libéralisation.
C’est ce qui va introduire la troisième phase comme si la nature ayant horreur
du vide : les transferts de fonds des émigrés vont servir de financement au
commerce directement ou indirectement.
Avec les transferts de fonds s’opère une sélection parmi les petits
commerçants locaux dont le choix était davantage fondé sur les liens de
parenté ou d’appartenance communautaire à et parfois à la facilité de contact
téléphonique. Ce dernier aspect offre à l’émigré l’opportunité d’appeler à tout
moment le commerçant pour lui demander des services ponctuels au profit de
la famille et même de parler directement à un membre de la famille sur
rendez-vous chez le commerçant.

Cette sélection explique la restructuration du commerce : ceux qui bénéficient


de plus de mandats d’émigrés reçoivent plus d’argent et ont plus de moyens
de financement pour gravir les échelons du commerce. De détaillant on
passe plus facilement au commerce de gros. La dispersion géographique de
la localisation des familles des émigrés, qu’elles vivent en ville ou en
campagne, contribue à la résurgence des anciens réseaux sociaux et
communautaires de solidarité, et celle de réseaux d’échange entre villes et
campagne. Cette augmentation subite de la clientèle est un facteur
déterminant de développement du commerce urbain.

Mais la campagne renverse les rôles : elle devient créditrice et cesse d’être
débitrice comme elle le fut depuis la phase de l’économie de traite jusqu'à la
première phase de développement volontaire.
Malgré cela, la campagne se confine amplement à sa fonction de production
et laisse à la ville la sienne en suscitant la résurgence et la vitalité des
réseaux traditionnels d’échanges. Ce qui explique dans une certaine mesure
l’échec des ONG dans leur stratégie de lutte contre la pauvreté et de relever
le niveau des populations rurales par le biais des boutiques de village :

Etude de cas : ressources de transfert et développement du commerce


à Kébémer

L’évolution du commerce, sous l’impulsion des transferts de la migration


internationale, s’est faite sur l’espace avec la multiplication des zones
d’échanges et des infrastructures.

Tableau 35: évolution du commerce de Kébémer entre 1988 et 2002

année Nombre de souks Nombre de Nombre d’étals Nombre de Nombre


s cantines boutiques d’emplois
1988 75 108 156 55
(permanents)
2002 110 347 --- 749 1189
(domaine (en 1999)
communal)
Source des données : MINT et BUREST et Mairie de Kébémer ; (2005)

Le dépouillement d’une enquête faite par la Municipalité fait ressortir une forte
diversité dans la structure de cet ensemble de boutiques du Domaine
Communal ou Domaine Public. cette nomenclature s’explique par la
localisation des boutiques dans un espace réservé entre la rue et les maisons
et qui est plus ou moins grand selon que le statut de la route (nationale,
départementale communale). C’est le long de la route nationale ou sur les
réserves foncières de la Société Nationale des Chemins de Fer du Sénégal
(SNCF) qui jouxtent le premier marché de la ville que se trouvent les plus
denses noyaux de ce commerce. Selon cette enquête dont l’objectif était de
dénombrer les boutiques et leurs caractéristiques comme la taille et la
hauteur (puisqu’un nombre important de ces boutiques étaient en étage), le
commerce a connu un boom sans précédent. La structure du commerce a
révélé une structure spatiale, sociale et locale révélatrice des profondes
mutations dans les rapports villes-campagne.
III.2.2.1.1.1 .2 Migration internationale, structure du commerce et équilibre
villes-campagne

Notre enquête révèle la structure spatiale et locale laisse apparaître la part


des rapports villes-campagne dans l’occupation des noyaux de commerce
urbain.
. Les acteurs commerciaux sont aussi bien d’origine urbaine que rurale et leur
origine met l’accent sur les récentes fonctions de financement du commerce
par la migration internationale et les nouvelles dynamiques d’intégration des
ruraux dans l’économie urbaine.

Le commerce a une structure spatiale et sociale qui donne aux relations


villes-campagne une dimension nouvelle. En effet, la structure spatiale du
commerce montre l’existence de deux noyaux centraux denses à savoir le
Marché Central et le Domaine Public. Sur un effectif de 569 boutiques
identifiées dans l’ensemble, deux cent et une (201) boutiques occupent le
Domaine Public et 368 le marché central. Le nombre de boutiques
appartenant à des émigrés est de 68 pour le premier cas et. 70 dans le
second.
Tableau 36 : La position du commerce rural et émigré dans l’espace urbain de
Kébémer

Commerce rural Localisation


dans Occupation Domaine Marché central
l’espace urbain public
Villages d’origine Total Non migrant Emigré Non Emigré
migrant
Ndakhar sylla 39 4 3 21 11
Toby Diop 28 7 2 12 7
Kandala mbengue 8 1 5 2
Gade brama 1 1
Keur médoune 5 1 4
ndiaye
Gade kébé 8 7 1
Fouta 4 2 2
Gade bitiw 4 4
Diokoul 5 4 1
Badar bouya 1 1
Daga diagne 3 3 1
Diawar loum 3 1 2
Ndiaby fall 9 3 4 2
Maka mboubène 1 1
Mérina mboubène 5 4 1
Nguèye-nguèye 1 1
Koki guèye 1 1
Pékhe tall 1 1
Sagatta 3 3
Bellakho 3 3
Ndop gadiaga 3 1 2
Teug ndogui 5 1 4
Maka ndiaye 4 4
Talène gaye 1 1
Nguebal 3 3
Maka diop 1 1
Fordiokh 2 2
Taiba ndiaye 4 4
Badar guèye 3 3
Beyti ndiaye 1 1
Ndiawagne fall 1 1 1
Thiakhaw gaye 1
Sine mademba lèye 2 2
Tholom fall 2 2
Thioune 1 1
Total rural 168 41 21 75 31
Kébémer 563 292 70 133 68

Enquête : Bara Mboup 2005


450
400
350
300
250
200
150
100
50
0
Effectif Non migrants migrants

Rural Urbain

D’abord, on note que le commerce rural a fait une percée dans le marché
urbain en profitant du caractère d’agglomération de la ville, contribuant ainsi à
son expansion et au rétablissement de l’équilibre villes-campagne. La
migration internationale a créé les conditions favorables au financement et au
développement du commerce urbain et rural, mais elle tend à se positionner
dans ce commerce pour trouver une porte d’insertion dans l’économie en
choisissant les centres ruraux et les agglomérations urbaines. Dans les 563
boutiques ou cantines, les ruraux occupent 168 dont 52 par des
émigrés directement. Par contre le nombre de boutiques d’émigrés de la ville
de Kébémer s’élève à 138.

Ensuite la structure du commerce d’origine rurale évolue, car même si les


commerçants d’origine des villages avec grands terroirs comme Ndakhar et
les villages des « naru kajor » dominent dans le commerce de gros; les
ressortissants des villages sans terroir arrivent dans le lot et dominent en
nombre les commerçants ruraux.

Enfin, dans les investissements commerciaux des ruraux, la proximité est de


règle. En dehors de quelques rares cas comme ceux de Tallène Gaye plus
proche de Ndande et de Keur Makhary Mboup plus proche de Louga dont on
peut trouver quelques-uns de leurs investissements loin de leur village, on
peut noter que les boutiquiers ruraux s’installent de préférence dans le bourg
ou la ville les proches.
Dans la ville Kébémer les commerçants ruraux habitent surtout les villages de
petite taille les plus proches et rarement les bourgs ruraux. Il apparaît donc
que la proximité est la règle dans le choix de localisation. Ceci peut
s’expliquer par la volonté de ces derniers de profiter des réseaux sociaux qui
alimentent la clientèle.

La migration internationale a donc stimulé la fonction commerciale des villes


en augmentant le nombre d’actifs du secteur mais aussi en agissant sur sa
structure. Grâce aux ressources de transfert, la campagne a multiplié ses
opportunités de revenus en ville en exerçant des activités marchandes soit de
manière directe avec la tenure de ses affaires par un émigré de retour ou
alors indirectement par le biais d’un parent. La migration internationale a
raffermi les relations commerciales entre villes et campagne en redonnant à
la ville son caractère d’agglomération et multiplié ainsi ses opportunités
d’affaires et partant son attractivité et sa polarité. Cette nouvelle donne a
contribué à la compétitivité de l’économie locale et régionale.

Ainsi, à la suite de la crise arachidière ayant provoqué la délocalisation du


commerce de gros, le nombre de commerçants grossistes est passé de zéro
à six (DPS), et le nombre de cantines et boutiques a été multiplié par 7 au
moins puisque passant de 108 à plus de 800 ; les cantines occupant le
domaine communal excédant 700, le nombre d’emplois a été multiplié par 20.

De même on peut noter que le nombre de marchés est passé de 1 en 1988 à


3 en 2005 : le marché central, celui du Domaine Public et le nouveau marché
de Diaméguene (non encore mis en fonction) sans compter le marché de
poisson et de légumes situé dans l’enceinte de l’ancienne gare routière.
Le développement du commerce entraîne la compétition autour des
ressources foncières du fait du débordement des marchés et l’occupation
spontanée d’espaces non destinés au commerce.
La présence massive du commerce rural tend à fidéliser la clientèle rurale
située dans l’hinterland de la ville et redynamiser les réseaux de clientèle et
de solidarité sociale encore vivace en campagne. Elle permet de renforcer les
relations villes-campagne et accroître la compétitivité du commerce urbain.
III.2.2.1.1.2 La création des conditions de la compétitivité du commerce local

Apres avoir recréé, par leur transfert, un commerce bien structuré avec une
nouvelle classe de commerçants, les émigrés, ou du moins certains d’entre
eux, déploient des stratégies individuelles de pénétration du commerce ; ils
entrent dans la concurrence locale en ouvrant leur propre boutique. Avec des
stratégies collectives (mutualisation) ils parviennent à ouvrir une brèche dans
le marché a la recherche d’une insertion dans le commerce local.
Ils contribuent du même coup à neutraliser le commerce de Touba et trouvent
le moyen de la pénétrer par la production des Niayes.

Ainsi donc, les migrants de Kébémer mènent une bataille commerciale locale
à dimension régionale
Cette bataille est l’œuvre des émigrés. Soucieux de pénétrer le marché
verrouillé par des commerçants financièrement bien assis et à la fortune
desquels ils avaient bien participé, les émigrés adoptent des stratégies de
pénétration du marché de Kébémer. L’importance de ce marché de ville est
très remarquable de par son histoire et son symbolisme. C’est un marché très
achalandé où interviennent aussi beaucoup d’autres acteurs surtout les jours
de grand marché à savoir les Lundi et Jeudi. Pendant ces deux jours tout
l’arrière-pays rural se joint à la population de la ville pour organiser un marché
de grandeur exceptionnelle. Cet arrière-pays est d’autant plus important que
les émigrés qui leur envoient de l’argent le font par soit la poste, soit par les
commerçants même s’il s’agit d’une transaction « box ».

Les commerçants de TOUBA venaient vendre du savon à des prix très


compétitifs (au moins 25 F de moins que le prix du marché) et raflaient ainsi
la mise.

Selon quelques commerçants locaux, la stratégie de pénétration du marché


des commerçants de Touba se fondait sur une stratégie de collecte rapide de
fonds. Cette collecte de fonds liquide se fonde sur des emprunts de
marchandises non périssables et faciles à écouler. Apparemment aucun
bénéfice n’est à priori recherché, mais de l’argent liquide.
Après collecte des fonds, les commerçants toubiens s’adressent à des
marchés internationaux pour acheter des marchandises à bon prix qu’ils
écoulent avec de gros bénéfice. Ainsi le marché de Kébémer sert de lieu de
dumping et de collecte de fonds.
Les émigrés viennent à leur étaler leur stratégie de pénétration du marché :
ils choisissent quatre produits dans lesquels ils étaient selon eux longtemps
exploités par les commerçants locaux. Ces produits sont : le riz, l’huile, le
savon et le ciment. Pour acheter beaucoup et avoir un capital important, ils se
regroupent en mutuelle. Ils partent des prix des commerçants. Exemple : la
tonne de riz acheté au détail leur était vendue à 240000f.
Or achetée auprès du grand grossiste à Dakar (B S Dièye), elle leur revenait
à 185000 f la tonne, frais de transport compris. Ils revendent le sac de 50 kilo
à 9500f soit 19000 les cent kilo cherchant une faible marge bénéficiaire de
5000f par tonne pour d’autres frais d’emmagasinage et de paiement du
gestionnaire, ils estimaient avoir une économie de 40000f par tonne soit un
bénéfice de 400 000 f toutes les 10 tonnes. Cette pénétration a fait baisser le
marché du riz puisque les commerçants se sont finalement alignés sur les
prix des émigrés au grand bonheur des consommateurs achetant le sac.

De même, ils observent que le service du commerçant maison clé en main


était cher puisque ainsi, la maison valait au moins une fois et demie que si
l’on avait acheté son terrain et faire la construction par soi-même.

Pour être concurrentiel dans la vente du savon, ils ont cherché et obtenu un
grossiste à Dakar pour vendre à un prix compétitif.
Ils ont ainsi mis fin au règne des commerçants toubiens. Cela permet à
l’argent de rester et de circuler dans la ville.
Egalement, avec leur prix modiques ils cherchent à gagner la clientèle locale
et élargir celle-ci. En effet, ils sont parvenus à décrocher une partie de la
clientèle des émigrés permettant à cette dernière catégorie de payer à partir
de l’étranger même leur ration alimentaire de leur famille.
L’évolution est nette entre la première phase de la migration jusqu’en 1994
année de la dévaluation et la suite jusqu’à l’an 2002.
En plus de l’argent dont elle « arrose » ainsi la ville, la migration
internationale draine aussi un important lot de ressources en nature.

Mais depuis la libéralisation intervenue dans le cadre des Nouvelles


Politiques et se traduisant par la fin de la politique socialiste et l’assistance de
l’Etat aux opérateurs économiques urbains et aux producteurs ruraux, les
régions à faible investissement industriel et dont l’économie est
essentiellement rurale vont connaître une délocalisation de leurs opérations
par la migration de leurs acteurs.
Mais les transferts effectués par les migrants et leurs investissements vont
restaurer les fonctions urbaines et apporter une nouvelle dynamique à
l’espace urbain. Désormais les investisseurs sont locaux et autonomes : il y a
une amorce de développement local.

Le retour à des relations villes-campagne suppose que l’on soigne les maux
qui ont été à la base de la rupture. Cela veut-il dire que les villes et la
campagne puissent recouvrer la dynamique de leurs fonctions respectives ?
Cela passe par la réalisation des conditions de production dans les terroirs
villageois, gage d’une participation de la campagne au développement
territorial, qu’il soit local, départemental ou régional. Pour satisfaire ces
conditions, il faudra au préalable mettre un terme à la saignée
démographique, en particulier les départs des actifs, redémarrer l’économie
locale, promouvoir des revenus constituant des avantages comparatifs. Une
telle action impose qu’on agisse sur des leviers économiques qui ont trait aux
fonctions des espaces urbains et ruraux.

Les conditions s’apparentent a celles qui ont été vécues dans le Vieux Bassin
Arachidier c’est a dire des établissements humains relativement assez grands
pour créer les conditions d’émergence d’agglomérations capables d’abriter
des marchés assez attractifs. Cela suppose l’éradication des facteurs
répulsifs qui ont noms conditions de vie précaires : crise alimentaire, absence
de revenus et de soins de santé et éducation et, à défaut, de l’introduction de
mesures alternatives, le rétablissement de conditions permettant la reprise
des relations villes-campagne.
Mais la création de ces conditions suppose qu’on puisse agir à différentes
échelles, depuis celle a partir de laquelle on avait décidé la détérioration des
termes de l’échange (échelle globale), l’échelle départementale avec les
échanges villes-campagne, une échelle qui dépend largement de la
dynamique économique régionale. Quel rôle pour l’Etat dans ce contexte :
avec un bon jeu d’agglomérations constituées de métropoles, des villes
secondaires et des bourgs ruraux et une politique qui évite de contrer par ses
politiques sectorielles les politiques de développement régional mais qui
plutôt tend à les harmoniser. Toutes ces conditions semblent s’offrir
aujourd’hui avec le Moins d’Etat qui fait que l’Etat est moins présent et moins
agissant et celle de la décentralisation qui permet aux populations de
participer à leur manière à leur développement. C’est dans les zones où l’Etat
est moins agissant que les impacts de la migration internationale ont fait plus
de régulation et du développement grâce à l’utilisation faite des transferts
d’argent et de matériels.
Ces derniers se présentent sous forme de matériel à usage de biens de
production et de biens de consommation.
Les biens de production ou d’équipement vont davantage profiter au secteur
secondaire en particulier à l’artisanat et à la boulangerie.

III.2.2.1.2 Migration internationale et mutation de l'artisanat urbain

Sous l’impulsion des transferts de la migration internationale, l’artisanat a


connu de profonds changements aussi bien qualitatifs que quantitatifs. C’est
le secteur dans lequel la migration internationale a le plus donné. Grâce a
celle-ci l’artisanat s’est modernise et a servi de levier économique important
pour les villes et la société.

L’artisanat a connu des transformations quantitatives et qualitatives

Les transferts de ressources des émigrés contribuent à faire de l’artisanat un


secteur dynamique et créateur d’emplois, de revenus et d’innovation
structurelle et sociale.
Tableau 37 : Evolution des effectifs de l’artisanat
1985 1990 1996
Département Effectifs % Effectifs % Effectifs %
Louga 370 60,1 621 61,8 1337 66,22
Kèbèmer 117 20,3 154 15,3 328 16,25
Linguère 90 15,6 230 22,9 354 17,53
Total 577 100 1005 100 2019 100
régional
Source : Plan Régional d’Action pour l’Environnement 2000 ?

L’artisanat a bénéficié d’un coup de pouce de la migration internationale. En


effet, malgré le contexte marqué par les vagues d’émigration des jeunes dans
la période 1985-1996, les effectifs d’artisans ont été multipliés par 3,6 dans le
Département de Louga et de 2,8 dans celui de Kébémer (les deux
départements du Vieux Bassin arachidier).
Cette montée en puissance de l’activité artisanale serait due à la forte
demande de travaux artisanaux exprimée par les migrants internationaux.
Cette hausse des effectifs devrait s’expliquer par aussi le phénomène de
retour d’artisans ayant délocalisé leurs activités dans les grands centres
urbains. Cette délocalisation pourrait expliquer en partie l’écart entre le
nombre d’artisans reconnu par les statistiques du ministère du plan de 1996
(2019 artisans à Louga) et le nombre d’artisans enregistrés à la chambre des
métiers (1337 personnes). Ces dernières sont ainsi réparties : 759 dans
l’artisanat de production, 365 dans l’artisanat d’art et 213 dans celui de des
services.
Cependant, les données recueillies par le PADMIR font état de 2626 artisans
dans le seul département de Kébémer dont seuls 544 sont inscrits dans la
Chambre des Métiers.

Parmi les mieux représentés figurent les teinturières (320), suivies de maçons
(260), des tailleurs et confections (224) et des menuisiers ébénistes (188),
des mécaniciens (175), des menuisiers métalliques (160), des cordonniers
(160), des bijoutiers (128), etc. (PADMIR et al 2005 : 26); Ces trois dernières
catégories représentant l’artisanat traditionnel connaissent un fort élan de
modernisation avec des équipements de transfert venant d’Europe pour la
plupart.
Les transformations de l’habitat et l’explosion du bâtiment (voir photos ci-
dessous) aussi bien en ville, dans les quartiers périphériques, qu’en
campagne, sont déterminantes dans la hausse de la demande en produits
artisanaux. Ceci est confirmé par l’IAGU lorsqu’elle note qu’à Louga, le
bâtiment, le métal (avec l’outillage et la charpenterie), la couture et la
cordonnerie sont les quatre grands secteurs artisanaux de la ville en plein
essor. Au total, les professions de la production occupent 25% des actifs de
la ville. (CD PE Louga : 2005)
A Kébémer, l’artisanat a profité de la part des émigrés, d’un lot de matériel de
haute qualité, à des prix compétitifs et à des conditions douces. Concernant
le sous-secteur de la confection qui passe avec la boulangerie pour les
premiers pourvoyeurs d’emploi des kébémérois, l’apport des émigrés a été
déterminant dans la naissance de grands ateliers équipés par plus d’une
dizaine de machines à coudre. Celles-ci en alliance avec la qualité
professionnelle des maîtres tailleurs ont permis d’être compétitifs sur le plan
national de la mode au point que récemment un jeune tailleur de la ville a
gagné la deuxième place du « ciseau d’or » confirmant les sauts qualitatifs
des artisans de Kébémer. Sur ce plan, disons que pour satisfaire les
commandes certains maîtres tailleurs en véritables entrepreneurs utilisent
une sous-traitance au niveau local ou, à défaut, font appel à une main-
d’œuvre exogène spécialisée, habituellement nichée à Dakar, créant des
vagues de migration dans le sens Dakar – Kébémer.

L’artisanat rencontre ainsi des atouts : une forte demande solvable et un


équipement à conditions douces.
Le tableau ci-dessus ne mentionne pas le nombre de GIE mais disons que
ces derniers sont suscités par la nature des marchés et leur mode de
compétition. La volonté d’entrer en compétition sur des marchés publics ou
privés est souvent à la base de cette restructuration, mais la compétitivité est
relative à l’équipement qui conditionne la productivité de travail et la qualité
de la production.
En ce qui concerne les métiers traditionnels comme celui de la forge, le
niveau d’équipement incite à de nouvelles formes d’organisation et à une
restructuration sociale du métier et de la demande.

L’artisanat traditionnel qui a connu une profonde crise à la suite de la


mécanisation agricole et de la crise arachidière va largement profiter de la
migration internationale.

La migration internationale a connu deux phases. Une phase de migration


saisonnière où les migrants passaient seulement l’été en Europe (Espagne,
France, Italie) et le reste de l’année au Sénégal. Et une phase de migration
assortie de travail contractuel qui a vu le jour après les vagues de
régularisation voulues et décidées par l’Espagne et l’Italie depuis l’institution
du visa Schengen et la volonté de prolétarisation de la masse de migrants
venus des pays africains(Mboup, 1996).

Dans le souci de rentabilisation de la migration circulaire dont ils se livraient,


certains migrants internationaux font un transfert d’équipements artisanaux
qu’ils mettent à la disposition des artisans à crédit. En retour, les émigrés
constituent une clientèle nombreuse solvable commandant matériel agricole
pour leurs parents paysans ou des accessoires pour leur maison (portes,
fenêtres, grilles)

L’équipement apporté aux artisans va aussi bien aux forgerons qu’aux


tailleurs qui ont modernisé leur atelier et leurs outils de travail. Ils ont ainsi
accès à une clientèle qui n’était pas à leur portée.

Avec la migration internationale, l’artisanat se modernise aussi bien dans son


équipement que dans sa structure.

La modernisation, avec les équipements apportés et cédés à crédit par les


émigrés, et la restructuration, avec l’évolution de simples ateliers en GIE, sont
révélateurs des grands changements dont l’artisanat local est l’objet.

C’est le cas de D. Seck qui a transformé son atelier traditionnel en atelier


moderne nommé GIE Touba-Métaux : D. Seck possède aujourd’hui un
équipement qui dépasse, par la qualité et la quantité, les limites de la forge
traditionnelle.
Cet équipement comprend 3 postes soudure ; 3 perceuses à support ; 3
meules à table ; 1 cisaille électronique et des matériaux divers : marteaux,
enclumes, clés et scies à métaux.

Il emploie deux salariés et douze (12) apprentis Sa clientèle est multiforme


en raison de sa stratégie de combiner le traditionnel et le moderne. En
gardant un pied dans la culture locale, il se fait le forgeron des uns et des
autres. Sa clientèle est constituée d’une part d’émigrées résidant a Kébémer
et dans les villages environnants comme Mbengene, Maka Diagne, Bellekhor,
Kandala et Ndakhar ; d’autre part en vertu de son statut, son GIE lui ouvre le
marché des ONG comme l’UNICEF, le PAM, Plan International dont la
commande est souvent constituée de moulins a mil a distribuer en campagne
dans le cadre des programmes d’assistance.

Un autre forgeron très célèbre est M Diack. Sa réputation dépasse les limites
de la zone en raison de ses prouesses dans la fabrication de charrettes, de
machines l’agricoles, les armes à feu ou les copies de toutes pièces des
machines, qu’elles soient de fabrication industrielle ou artisanale.

De toute manière, le marché fonctionne pour la campagne comme une


bonne partie de la ville beaucoup plus dans l’esprit des réseaux traditionnels
que dans un esprit d’appel d’offre et de compétitivité. Ainsi, les artisans,
forgerons ou autres, se partagent les émigrés ruraux ou urbains suivant une
appartenance communautaire. En retour ils deviennent les fournisseurs en
équipements modernes de ses artisans car dans la culture locale on dit que
« les mains des kadior-kadior39 se croisent » ; en d’autres termes c’est du
donnant donnant, tels sont les termes d’un contrat de solidarité sociale.

M. Seck n’est pas le seul dans cette modernisation de son équipement car
l’essentiel est amené par les émigrés qui cherchent à élargir leur clientèle.

39
Ce terme est le nom des populations de cette contree en reference au CAYOR le nom de leur royaume
d’origine. Il existe aussi les diolofs-diolofs, les njambours-njambours , les baols-baols, etc…
Ainsi, des forgerons ont petit a petit abandonné leurs hangars naguère situés
dans des espaces vagues pour trouver des ateliers parfois dans les
anciennes bâtisses des maisons de commerce ou prendre en location des
magasins (c’était le cas de Seck qui a maintenant bâti au centre de la ville
une grande maison qui abrite son GIE),.

On peut trouver aussi la même structure et les mêmes réseaux de clientèle


dans l’artisanat moderne.

Ainsi M. Sène un ancien émigré s’est converti dans la menuiserie sur bois.
Son GIE est logé dans une ancienne bâtisse de maison de commerce. Son
atelier est moderne et bien équipé de grosses machines comme la scie
mortaise. Il jouit d’une clientèle localisée en ville et en campagne mais en
majorité composée d’émigrés. Les temps forts de ses commandes sont les
périodes de préparatifs du Magal de Touba ou des cérémonies religieuses
des villages à forte communauté d’émigrés.

L’artisanat de la confection offre le meilleur exemple par les conditions


d’acquisition d’équipements en raison de l’importance des effectifs des
tailleurs et de leur évolution de leurs structures en GIE.

La visite de huit ateliers de tailleurs parmi une trentaine identifiée au marché


central, et l’interview des quatre propriétaires les plus équipés et trois chefs
de petits ateliers (à deux machines au plus) nous ont permis de tirer les
conclusions suivantes.

L’artisanat de la confection a profité lui aussi de l’apport des émigrés : il


existe des tailleurs qui sont de véritables chefs d’entreprise avec un
équipement moderne capable de répondre aux exigences de la mode dont
les femmes des émigrés, souvent tentées par l’ostentation, sont de grandes
clientes.

L’essentiel de l’équipement vient d’Italie par les émigrés : il s’agit de


machines de marques BERNINA 217, NECCHI, WILHEM, PFAF, BORELLI,
SINGER, CORNELI.
Cet équipement très moderne fonctionnant à l’électricité est aussi
relativement de haute technologie permettant d’être compétitifs en matière de
couture de mode. Avec cette donne, rien d’étonnant qu’un jeune de la localité
L. MBOUP est primé dans le concours national de couture en 2002, en
remportant le deuxième prix du « Ciseau d’or ».

Le BERNINA 217 et le CORNELI sont les plus coûteux. Le premier coûte a


l’état neuf entre un million deux cent mille francs (1 200 000 FCFA) et un
million cinq cent mille francs (1 500 000 FCFA).

Mais selon M MBOUP, le BERNINA lui est revenu à cinq cent mille Francs
(500 000 FCFA) et a condition douce.

Citons le cas de M. Samb qui dispose, dans son atelier, de quinze machines
dont sept BERNINA 217 ; il affirme en avoir acquis beaucoup d’autres qu’il a
revendus à d’autres collègues.

Cet équipement a permis aux grands propriétaires d’élargir leur clientèle.


Mais la confection de mode les oblige aussi de faire appel, d’une part, à une
main-d'œuvre non locale (venant de Dakar) et qualifiée dans un certain
modèle de couture et d’autre part de mettre sous-traitance des tailleurs de la
ville lorsque les commandes dépassent la capacité de production de l’atelier.

Dans le secteur de la confection, les difficultés d’accès au crédit du Fonds de


Promotion Economique sont réelles. La Chambre des Métiers de Louga
offrait aux professionnels organisés l’opportunité de prêt d’équipement sur la
base d’apport personnel. Par contre, les émigrés sans poser de conditions,
offrent des facilités d’équipements qui viennent concurrencer l’offre de ces
institutions financières.

L’environnement économique ainsi créé par la migration internationale, à


savoir la dynamique du marché, a permis la reconversion d’anciens
personnels de l’administration en retraite ou déclassés par les politiques de
restructuration. En effet des cliniques privées sont ouvertes aussi bien dans
le secteur médical que dans le secteur de l’élevage. Ce qui montre que la
ville sous l’impulsion de la migration internationale a renoué avec la
dynamique d’antan. Cette situation nouvelle se traduit dans le développement
des activités urbaines.
Tableau n° 38: activités économiques urbaines.

Désignation Type Localisation Emplois

Commerce Commerce Marché central 1199


Carrefour RN2

Artisanat Couture, Marché central 848


menuiserie
Route
bâtiment,
nationale,
mécanique
quartiers

Entreprises et Secteur privé Escale 151


ONG essentiellement

Administration Fonction Escale, 135


publique et quartiers
locale

Transport Routier Ville 140


interurbain et
hippomobile

L’agriculture Agriculture et Hinterland 130


élevage proche

Autres Employé de Ville 46


maison

Source : Enquêtes populations - juin 1999 BUREST, cité par ADM p. 62.

Ce tableau montre plus globalement une hausse de l’emploi urbain et que


même s’il y a eu les politiques réalistes qui ont été une cure de jouvence pour
l’administration de développement volontariste, la tendance qui se dessine de
la combinaison des interventions des ONG et des initiatives locales donne
une situation meilleure. L’effectif des ONG et Entreprises (151 emplois)
dépasse de loin celui de l’administration publique et locale (135).

En plus de la dimension quantitative, l’artisanat, en tant que fonction urbaine


en expansion, sert de creuset de formation pour les émigrés et de
modernisation des rapports sociaux.
En effet, les nouveaux équipements ont transformé la forge traditionnelle en
ateliers modernes. Les commandes en charrettes des émigrés ruraux en
faveur de leurs proches, en moulins à mil par des ONG de la place pour
équiper le monde rural ont fini par faire de ses ateliers de véritables fabriques
avec des salariés et des apprentis.
La taille des affaires encourage la création de GIE.
Cette nouvelle dynamique a ouvert ce secteur, naguère centrifuge considéré
comme la chasse gardée d’une caste, à d’autres. Cette ouverture est
consécutive à la modernisation du métier, mais aussi en raison des revenus
qu’il garantit et de l’importance du marché liée au développement du secteur
du bâtiment dopé par la migration internationale. Mieux, l’artisanat se
confirme comme un secteur de réinsertion des exclus de l’école et comble
assez bien le vide laissé par l’absence d’école privée dans certaines localités
comme la ville de Kébémer et pour les familles à faible revenu dans la ville de
Louga. Cette fonction de réinsertion économique est d’autant plus importante
que certains métiers d’artisan sont très recherchés dans les Pays
d’immigration. L’artisanat sert ainsi au recyclage des émigrés désireux de
répondre aux nouveaux besoins de travail dans leur lieu d’accueil : c’est le
cas notamment de certains émigrés qui, voyant la forte demande en
soudeurs et les avantages salariaux y afférant, décident d’apprendre ce
métier dans les ateliers de la ville, le temps de leurs vacances.
Ainsi si les émigrés apportent pour l’essentiel les nouveaux équipements qui
transforment l’artisanat, c’est aussi par les transferts de ressources
monétaires que les commandes sont payées. Il est donc clair que la machine
économique de la ville fonctionne bien grâce à la migration internationale.
Mais outre cette contribution indirecte, les émigrés agissent directement à
travers l’appui aux populations locales par une intervention ponctuelle ou aux
institutions par la coopération décentralisée enfin par des investissements
directs dans l’économie. Les institutions bénéficient largement de l’assistance
des émigrés par des apports directs et par la coopération décentralisée.
La migration internationale a donc profondément transformé l’artisanat sur les
plans quantitatif et qualitatif, et sur sa structure et sa fonction sociale d’une
part, et développé, voire rétabli, les relations villes-campagne d’autre part.
L’évolution quantitative se traduit par la multiplication des ateliers et leur
diversité : artisanat traditionnel et moderne, de service et production : forge et
confection. La modernisation de l’habitat consécutif à la migration
internationale est un des facteurs explicatifs de l’essor quantitatif de
l’artisanat dont la multiplication des équipes de maçons.
Son équipement moderne et sa restructuration sociale avec le passage de
métier et d’atelier familiaux au GIE ont sans doute été à la base de la
compétitivité. Ce qui lui a valu une deuxième place au concours de mode de
confection du Sénégal, et le captage des gros clients comme les ONG,
l’appel de main d’œuvre venue d’autres horizons. L’artisanat a ainsi fait un
bond qualitatif sur la conquête du marché et a créé des opportunités de
revenus et de développement des fonctions urbaines.
Sur le plan qualitatif, l’artisanat traditionnel connaît une modernisation et une
évolution de son rôle de formation de main d’œuvre exportable et de tremplin
à la migration internationale.

Localement, la boulangerie est une ancienne activité apparemment introduite


par Maurel et Prom dans les Escales de traite. Les employés ont hérité cette
activité qu’ils ont passée à la génération suivante. Les Kébé-kébé sont de
grands actifs dans la boulangerie. Et cela peut expliquer la propension de ces
derniers à investir dans ce secteur. Il faut souligner que les investissements
les plus importants se rencontraient dans la boulangerie.

Aujourd’hui, celle-ci est passée de deux unités des années 1990 de


production à cinq avec des capacités de production supérieures, car
certaines boulangeries ont plus d’une machine et des succursales dans les
bourgs ruraux et des villages situés sur l’axe Dakar - Saint-Louis comme
Ndiaye Thioro. Cette situation économique se reflète dans le tableau qui
présente une synthèse de la typologie des activités de la Commune.

Le nombre d’emplois créés par la boulangerie est difficile à évaluer. La seule


boulangerie que nous avons visitée compte 20 employés et utilise 71 points
de vente dont 38 dans la ville. En plus de ces points de vente réguliers et
servis quotidiennement, il y a ceux qui se multiplient lors des marchés
hebdomadaires : jeudi à Ndiagne (dans le département de Louga), vendredi à
Thieppe, Samedi à Darou Mousty et Khonk Yooye mardi à Sahme Yabal
mercredi à Sagatta. Certains villages bénéficient de points de vente
journaliers : Maka Ndiaye, Bellakhor, Kandalla, Mbenguène, Lompoul.
Le développement simultané des fonctions urbaines et rurales entraîne le
développement croisé des relations villes-campagne : la ville en vertu de ses
fonctions d’agglomération reste le lieu privilégié des investissements (théorie
des lieux centraux) aussi bien des émigrés ruraux que des citadins.

Tableau 39 : la contribution de la boulangerie dans les relations villes-


campagne à travers la distribution du pain dans les marchés permanents et
hebdomadaires du Vieux Bassin
Marchés

Localités Hebdomadaires Permanents

Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi Dimanche

Kébémer

Guéoul

Sagatta

Kanéne
Ndiob

Ndande

Lompoul
(Niayes)

Thieppe

Darou
Mousty

Sahm
Yabal

Ndiagne

Thiamène

Source : Enquête Bara Mboup 2005 et DPS 2002 ; p107

Dans la distribution du pain, il y a un nombre très élevé de femmes


notamment avec des kiosques. La baguette vendue avec une marge de 15F
en plus d’une ration journalière d’une baguette pour le compte du revendeur.
La concurrence entre boulangerie fait naître des stratégies de localisation qui
développent le secteur dans le département au bonheur des consommateurs
et des femmes qui tiennent en main le secteur de la distribution.

L’évolution de l’artisanat moderne comme la confection et les nouvelles


modalités de son équipement expliquent sa compétitivité et sa productivité.
Celles-ci ont créé les conditions de retour des travailleurs locaux exerçant
leur activité à Dakar ou dans les métropoles régionales, retour consécutif aux
avantages comparatifs des prix pratiqués. Le mouvement inverse des flux
migratoires ou ce phénomène de retour des travailleurs résulte de ce nouvel
élan des fonctions urbaines qui traduit une forme de compétitivité du territoire
du Vieux Bassin arachidier.
On peut établir une certaine corrélation entre mouvement des affaires et
mouvement démographique (croissance, migration, exode). En effet, on
observe, dans un premier temps, l’existence d’un mouvement d’exode vers
les métropoles régionales et principalement Dakar et Touba, et dans un
deuxième temps et progressivement, une réorientation des flux au sein du
Vieux Bassin vers les villes secondaires, les centres ruraux les plus proches,
ou vers les réseaux, routiers ou autres. C’est la traduction d’une autre
corrélation, celle entre migration internationale et émergence d’un secteur
marchand fort, pouvant servir de tremplin pour une bonne insertion
économique des émigrés et des femmes. Le redéploiement progressif des
émigrés vers les villes secondaires et les centres ruraux de la région obéit à
deux contraintes majeures. La première est représentée par les limites,
malgré l’effet de la loi de Reilly, de l’extension rapide de Touba. La deuxième
est la réduction des avantages comparatifs du commerce de Touba qui, du
fait du contexte nouveau lié à la dévaluation du franc CFA en 1994, connaît
une certaine inflation des marchandises. Ceci a affecté la compétitivité de son
marché.

Cette répartition des investissements dans les villes, en particulier les


métropoles, descend progressivement dans les villes secondaires et même
les bourgs ruraux.
La crise arachidière et la concurrence du commerce informel installé à Touba
avaient fini par décapiter le commerce local avec la délocalisation des
grossistes et transporteurs (Karim Fall, Modou Sady) vers Dakar. Le vide
ainsi créé favorise l’émergence des petits commerçants (d’origine rurale pour
la plupart) qui grâce aux fonds de transfert de la migration internationale qui
transitent par eux deviennent grossistes ou demi-grossistes ou détaillants
tenant boutiques et magasins très achalandés.

La diversification ou le changement de structure de la consommation traduit


une augmentation de la demande : les commerçants qui assurent l’offre se
taillent une clientèle fidèle de migrants dont ils deviennent les correspondants
locaux, s’occupent de toutes les affaires des émigrés : achat de parcelles,
construction de maison, mariage, cérémonie familiale. Ils deviennent les
intermédiaires avec les artisans : maçons, menuisiers, etc. avec lesquels ils
discutent les prix. Le commerçant devient ainsi l’intermédiaire entre l’émigré
et ses parents d’une part et les autres travailleurs d’autre part.
La multiplication ou la hausse exponentielle de la consommation avec
l’adoption par les campagnes du mode de vie urbain contribuent à l’élévation
de la consommation en produits de base (riz, huile, sucre savon) payés avec
les revenus de transfert.
Dans ce développement du commerce urbain ponctué par l’essor de la
distribution, avec le nombre croissant de marchés, de cantines, les femmes
retrouvent une bonne place dans les transactions et les affaires. Elles sont
préférées aux garçons quand il s’agit de tenir le commerce. En effet, ces
derniers aveuglés par leurs désirs d’émigrer sont tentés de détourner l’argent
pour assouvir leurs ambitions. Plusieurs témoignages d’émigrés confirment
des cas fréquents d’abandon et de détournement de boutiques de migrants
de la part de leurs frères pour les rejoindre en Europe. On peut noter cette
même implication de la gent féminine dans les investissements en
campagne.
En hivernage, la main d’œuvre se féminise de plus en plus du fait que la
migration internationale est majoritairement le fait des hommes que celui des
femmes.
Et ce déséquilibre est plus profond en campagne qu’en ville. Mais cette
situation peut évoluer du fait qu’à beaucoup d’égards, la migration
internationale a aussi imprimé sa marque dans la campagne. Il est donc
important de mesurer cet impact.

III.2.2.2 TRANSFERTS INTERNATIONAUX ET DEVELOPPEMENT DES


FONCTIONS EN CAMPAGNE

Autant que la ville, la campagne a subi sous l’effet de la migration


internationale de profondes mutations qui concourent au développement
local. Ces changements peuvent s’analyser aussi bien dans ses fonctions
que dans la structure de l’habitat.

III.2.2.2.1 Migration internationale et développement local en campagne

Il parait difficile de parler de la campagne comme d’une réalité homogène, car


l’analyse que nous en avions faite montrait qu’elle avait une structure
complexe. Mais d’abord elle est partagée entre deux zones aux
caractéristiques opposées :
- une partie située à l’ouest et caractérisée par la faible profondeur de la
nappe phréatique et par l’existence de villages enclavés ou non ;
- une autre située à l’est et caractérisée par la rareté de l’eau liée a la
profondeur de la nappe phréatique et souvent enclavée.
La campagne comprenait d’une part des villages centres, chefs-lieux
d’Arrondissements et ou de Communautés rurales, souvent anciennes
escales de traite, et d’autre part des villages menus avec ses terroirs. Ces
derniers étant différents par la taille de leur terroir comprennent des villages
ayant de vastes terroirs, d’autres en avaient peu et d’autres dépendaient des
précédents pour leurs terres de culture. Cette situation était un héritage de
l’ère ceddo que la longue évolution dans l’ère moderne n’avait pas encore
effacé.
Cette résistance était liée sans doute à la longévité politique des notables
ruraux et des chefs religieux qui ont accompagné les différents régimes
politiques au service desquels ils sont restés comme cadres intermédiaires
de la campagne.
Mais on peut noter une évolution générale qui touche toute la campagne :
L’amélioration des conditions de vie ou l’éradication des facteurs répulsifs et
la reprise de la production (ou la remise en service des terroirs villageois)
sont les deux mamelles du développement de la campagne.
L’amélioration des conditions de vie en campagne concerne dans un premier
temps l’habitat et l’adoption du genre de vie urbain

Dans les villages, l’impact de la migration internationale concerne d’abord la


dimension sociale fortement touchée par la crise alimentaire sans
perspectives de solution avec les politiques de développement (sécurité
alimentaire en substitution des vivres de soudure). En tant que stratégie
sociale de survie, la migration engage et mobilise toutes les couches
sociales ; aussi a t-elle exhumé les réseaux de solidarité familiale et clanique
(billet pour l’émigration) et a renforce son ancrage spatial par la mise sur pied
d’infrastructures nouvelles (mosquée, école coranique parrainée par un chef
religieux)Ces infrastructures portent la marque des principaux acteurs qui ont
une part importante dans l’utilisation des revenus de transfert. Ce sont les
chefs religieux et les notables ruraux. Elle a parfois effectué un pas de plus
vers une intégration dans l’économie de marché (activités marchandes :
moulin a mil, télécentre, boutique, etc.).
Mais pour l’essentiel, la migration internationale a permis a la vie rurale de
reprendre et les établissements ruraux de se développer en créant des
conditions d’existence attractives.
Tableau n° 40 : exemple d’animation de la vie rurale dans quelques
localités de la campagne
Villages Activités sociales Investissements
Cotisation annuelle :
100000fcfa
Participation décès.
Ambulance.
Daraou Mousty Participation décès.
Raccordement eau courante
(2 robinets publics) et
branchement pour chaque
carré électrification du
Toby village : coût : 21 Millions
Caisse pour un billet
d’avion au profit
d’un jeune candidat
à l’émigration
(400000 à 2000000 f
Ndiaby cfa)
Prise en charge du centre
de santé ; Construction
d’une école arabe sous
Financement Gamou contrôle du marabout
Thiolom annuel ; (Sérigne Mourtala)
Participation à la mise en
service d’un forage par une
contribution financière
exigée par une ONG
Couré Mbelgor américaine
Mosquée Gamou
Ndakhar annuel Solidarité
Mosquée ; Keur
Sérigne Touba ; Electrification (énergie
Mbenguène Solidarité décès solaire)
construction du collège:12
classes prévues dont 5
construites ; achat d’une
ambulance et subvention de
l’évacuation des malades :
en raison de la moitié des
Ndande : frais
Financement Gamou
annuel ; Participation
Diawar Loum décès. Prise en charge du forage
Source : enquête Bara MBOUP, 2004

On peut donc admettre que la migration internationale a créé de nouvelles


conditions d’existence attractives pour les établissements humains.
Cela pose a terme l’équilibre entre terroir et population. De ce point de vue,
examinons quelques types d’utilisation des terroirs.

III.2.2.2.2 Migration internationale et développement des terroirs

La stratégie des migrants ruraux a redonné au terroir sa fonctionnalité


d’antan.

Sous l’impulsion des migrants, l’exploitation familiale change de fonctions,


elle entre dans le cadre d’une stratégie d’accumulation du capital et de
division du travail au sein de la famille élargie :
Elle change aussi de financier : d’abord ce fut l’Etat le principal fournisseur de
facteurs de production et de vivres de soudure pour la campagne. Ensuite les
Nouvelles Politiques ont sevré la campagne des services de l’Etat (phase de
Responsabilisation). Maintenant l’agriculture tire ses ressources des revenus
de transfert de la famille. Avec la reprise de l’agriculture dans de meilleures
conditions, avec des fonds propres, on s’adapte aux nouvelles politiques de
l’Etat, le terroir reprend l’importance d’antan avec tous les enjeux liés à son
exploitation. La campagne en reprenant du service rétablit ses fonctions et
ses relations avec la ville (par le biais du marché).
Aussi, peut-on constater avec Campagne que « La place de l’agriculture dans
les processus est l’objet de profondes transformations. [Dans les processus
originels (avant désengagement de l’Etat)], l’agriculture avait un rôle moteur à
la fois direct (valeur ajoutée et emplois agricoles) et indirect (effets
multiplicateurs locaux amont et aval). Dans les processus, observés
actuellement au Nord comme au Sud, l’agriculture a d’abord perdu son rôle
moteur. En effet, malgré son adaptation à la demande, qu’elle peut satisfaire
de façon compétitive (produits de qualité ou du « terroir »), elle n’engendre
que peu de valeur ajoutée supplémentaire et continue à perdre des emplois
(Campagne, 1994).
Cette régression économique a pour conséquence la perte de la capacité de
l’activité agricole à soutenir les autres secteurs économiques. Au contraire il
a besoin d’eux pour se reproduire et prive les paysans à participer
effectivement au développement de leur terroir.
« On observe en effet de façon quasi générale, … que les zones ou
l’accumulation de capital dans l’agriculture est la plus fréquente et la plus
durable sont celles où les revenus extérieurs des familles agricoles sont
importants.
Cette nouvelle source d’accumulation, qui ne peut exister que si des emplois
non agricoles apparaissent et se multiplient, permet alors un certain niveau
de modernisation, d’adaptation et donc de durabilité de ces agricultures »
(ABDEL HAKIM et CAMPAGNE,1987 ; CARVALHO et al.,1991 ; ELLOUNI,
1995 : 269 ).

Avec la stratégie de certains migrants internationaux de fructifier les


ressources financières tirées de leur voyage, l’agriculture prend un coup de
pouce

Mais à l’origine le premier objectif des migrants ruraux dans les


investissements agricoles, s’inscrivait dans une stratégie de redistribution des
charges familiales au niveau du ménage ou de la famille élargie. Le migrant
payait aux membres de sa famille les facteurs de production nécessaires.
Puis l’activité agricole a servi de moyen d’accumulation aux migrants.
D’abord, reprenant des pratiques anciennes initiées par les usuriers de la
période de traite, les émigrés s’adonnent au « mbapate » ou achat de
champs d’arachide arrivés a maturité. Les émigrés locaux confirment ainsi
leur volonté de se substituer à cette classe préoccupée par leur souci
d’accumulation de capital. Ensuite, on tente de s’impliquer davantage dans la
production en associant capital et travail sous forme de contrat de métayage
(ou colonat paritaire) : on cherche un paysan sans moyen mais disposant de
terres suffisantes, on lui donne tous les intrants et de la nourriture ; en fin de
saison on se partage les récoltes. Enfin le migrant peut choisir le fermage en
prenant en location des terres et loue une main d’œuvre en engageant un ou
des sourgas ou ouvriers agricoles. Cette stratégie des migrants introduit une
nouvelle dynamique d’investissements dans l’agriculture et développent les
fonctions productives du terroir en comblant lacunes de la suspension du
Programme Agricole.
Les émigrés interviennent aussi dans l’élevage , qu’il soit extensif avec des
troupeaux de bovins en campagne comme en ville, ou intensif avec surtout
l’amélioration de la race bovine avec des opérations d’insémination artificielle
.
Cette dynamique des fonctions productives du terroir nous renvoie à trois
cas typiques qui montrent par leur envergure jusqu’où peuvent aller les
initiatives des émigrés en matière d’agriculture. Ce sont les cas des Niayes et
de Ndaye Fall.

Etude de cas : l’exemple des Niayes

Le terroir des Niayes a sans doute été l’un des espaces agricoles qui auront
connu les plus grandes mutations.

En effet, dans les Niayes, les cultures maraîchères ont toujours été
pratiquées dans les bas-fonds et en petites superficies, et se faisaient avec
des moyens rudimentaires : puits ou séanes et arrosage manuel. Aujourd’hui
grâce à l’encadrement technique de certaines ONG et de l’appui financier des
émigrés, des motopompes sont utilisés et les cultures sont étendues au-delà
des bas fonds pour s’étaler sur les dunes par le biais d’une tuyauterie (voir
schéma et photos).

Les transformations des systèmes de cultures dans les Niayes peuvent


s’observer à travers les images ci-dessous. (Voir photos dans les pages
suivantes)

Le terroir des Niayes a sans doute été l’un des espaces agricoles qui auront
connu les plus grandes mutations.

En effet, dans les Niayes, les cultures maraîchères ont toujours été
pratiquées dans les bas-fonds et en petites superficies, et se faisaient avec
des moyens rudimentaires : puits ou séanes et arrosage manuel. Aujourd’hui
et du fait de l’encadrement de certaines ONG comme l’AFDS et
Vision Mondiale et l’Ancar , et le financement des émigrés, des motopompes
sont utilisées et les cultures sont étendues au-delà des bas fonds pour
s’étaler sur les dunes par le biais d’une tuyauterie (voir photos ci-dessous).

Photo n°2 : Exploitation traditionnelle dans les Niayes :

Source : Bara Mboup 2005

Ainsi les surfaces cultivées sont largement augmentées et la production


multipliée et diversifiée. Cette nouvelle donne a été à l’origine d’une forte
spéculation qui provoque un rush des émigrées vers la zone achetant surtout
les cuvettes des Peuls qui apparemment en avaient beaucoup plus qu’ils ne
pouvaient exploiter.

Aujourd’hui, les bas-fonds sont éventrés (photos 3 et 4) pour creuser des


puits sous forme de séanes rectangulaires afin de disposer de suffisamment
d’eau pour arroser d’importantes superficies à l’aide de motopompes ayant
un débit de 50 m2 / H.
Photo n° 3 : bas fonds éventré pour creusement de point d’eau

Source : Bara Mboup 2005

Photo 4 : La nouvelle formule de puits dans les bas-fonds des


Niayes.
Source : Bara Mboup 2005

Ce rush vers les Niayes a été aussi encouragé par le rétablissement de la


route Lompoul – Kébémer qui par ailleurs prolonge Touba – Kébémer aussi
rénovée. Cette route va ouvrir le marché de la ville sainte aux Niayes.

En effet, ce sont surtout les commerçants de Touba qui viennent acheter


l’essentiel de la production, la veille du jour de marché ; ils constituent la
clientèle préférée des producteurs locaux puisqu’ils défient toute concurrence
au vu des prix qu’ils proposent et les quantités qu’ils achètent. En revanche,
c’est à partir de Touba que sont acheminés des camions de fumier pour
l’enrichissement des terres, opérations d’autant plus nécessaires que des
dunes sont décapitées pour augmenter les terres cultivées.

Photo n° 5 La conquête des dunes par les cultures maraîchères


SOURCE : Bara Mboup 2005

L’exploitation dans les Niayes ne se limite plus au bas-fonds ; elle s’étend aux
pentes voire les dunes ; de même aux cultures traditionnelles que sont les
cultures maraîchères, on y ajoute celle de l’arachide de contre saison.

Photo n° 6 : de nouvelles pratiques d’arrosage pour atteindre les


plantes sur les dunes.
Source : Bara Mboup 2005

Ainsi les surfaces cultivées sont largement augmentées et la production


multipliée et diversifiée.

En plus des cultures maraîchères conventionnelle, la production s’est élargie


à d’autres gammes de spéculations : c’est le cas de l’arachide produite hors
saison et dont la vente procure des revenus substantiels. Cette nouvelle
donne a été à l’origine d’une forte spéculation qui provoque un rush des
émigrées vers la zone achetant surtout les cuvettes. Les populations des
niayes en particulier les Peuls qui sont les premiers occupants dans la zone
et qui pour cette raison sont les propriétaires des différentes cuvettes
s’adonnent à cette spéculation foncière. Cette situation fait que les surfaces
cultivables pourraient connaître un regain d’investissements et une
dynamique de production en raison de l’implication des émigrés dans la
production maraîchère.

Ce rush vers les Niayes a été aussi encouragé par le rétablissement de la


route Lompoul – Kébémer qui par ailleurs prolonge Touba – Kébémer aussi
rénovée. Cette route va ouvrir le marché de la ville sainte aux Niayes. En
effet, ce sont surtout les commerçants de Touba qui viennent acheter
l’essentiel de la production, la veille du jour de marché.

Ils constituent la clientèle préférée des producteurs locaux puisqu’ils défient


toute concurrence au vu des prix qu’ils proposent et les quantités qu’ils
achètent. En revanche, c’est à partir de Touba que sont acheminés des
camions de fumier pour l’enrichissement des terres, opérations d’autant plus
nécessaires que les dunes décapitées pour augmenter les superficies
cultivées ne sont pas fertiles. Mais il en résulte que le marché de légumes
construit à Kébémer ne fonctionne pas comme attendu puisque court-circuité
par des marchands d’autres régions dont ceux de Touba. Ces derniers
viennent s’approvisionner directement en légumes à Lompoul la veille même
du jour de marché ; et en raison de la forte demande qu’ils constituent et les
prix qu’ils proposent ils sont préférés des maraîchers.

Les cas de Ndaye Fall et de Ndiawagne Fall, deux villages disposant de


vastes terroirs, sont révélateurs de l’évolution que la migration internationale
a imprimée aux villages a finage.
A Ndiawagne Fall la migration internationale a eu un double impact.

Le premier est une modernisation de l’habitat et le second une réduction de


la population. Cette réduction de la population résulte de l’exode de certaines
familles d’émigrants. La différence de comportement entre familles qui
consolident leur attachement a leur terroir et familles qui abandonnent le
village s’explique par les droits sur le sol. En effet comme le résume un de
nos interlocuteurs « ceux qui sont partis ont trahi le village, lorsqu’ils n’avaient
rien, ils étaient restés avec nous ; quand ils sont devenus riches ils se
séparent de nous. Mais la logique est claire : les gens dont les parents
avaient des moyens sont revenus auprès des leurs, mais ceux dont les
parents étaient incapables d’entretenir sont revenus prendre leurs parents et
partir en ville ».
L’exode qui s’amorce aujourd’hui est une conséquence de la migration
internationale et de la structure foncière héritée de l’ère ceddo. Aussi les
émigrés dont les parents sont de grands propriétaires terriens ou de grands
éleveurs retournent toujours au bercail pour retrouver leurs parents ; c’est
l’inverse pour les émigrés dont les parents ne jouissent pas de propriété
foncière.
Ces derniers sont tentés par un second exil ou exode rural pour trouver
ailleurs et naturellement en ville les perspectives d’insertion économique.
Cela les pousse à construire leur maison en ville et emmener leurs parents.

Il résulte de cette sentence que les « sans terre » de la campagne sont


soumis a un nouvel exode lorsque le terroir retrouve une forte sollicitation ou
un plein emploi. Dans ce cas les détenteurs de terre ne déménagent pas leur
famille et tentent de développer des activités rurales comme l’agriculture et
l’élevage. L’exemple du village de Ndaye Fall parait être un cas spécifique
des villages a terroir propre étendu. Les émigrés sont organisés en GIE et
cherchent le financement d’un ambitieux projet agro-industriel pour valoriser
leur terroir. Pour ce faire les terres sont identifiées et l’exploitation délimitée.
(voir annexe).
Les terroirs agricoles connaissent alors une reprise de ses activités de
production et se développent ainsi avec l’appui des émigrés qui investissent
dans l’agriculture directement ou indirectement.

Il est également courant de voir d’importants troupeaux de bovins dans la


zone et même dans les villes de Louga et Kébémer ; ce type d’activité étant
devenu un moyen d’épargner pour les émigrés.
Cependant le terroir en retrouvant sa dynamique réanime aussi les petits
marchés ruraux des villages centres. Ces derniers connaissent une certaine
renaissance du fait des opportunités qu’offre leur centralité.

III.2.2.2.3 L'impact de la migration internationale sur l’évolution des


bourgs ruraux

La Migration internationale a permis la reprise et le développement des


fonctions rurales des villages centres.
Le premier facteur de ce développement est d’abord les transferts et la
stratégie des émigrés.
A l’instar des villes, les bourgs ruraux ont recouvré, par leur bureau de poste,
une fonction de destination et de transit des flux d’argent réguliers jamais
connue avant dans son ampleur.
Cette manne financière fruit du travail des enfants de la localité et des
villages environnants sert d’abord à l’entretien des familles et tombe dans
l’escarcelle des commerçants sous forme de rentrée de fonds, à gérer pour
l’émigré et sa famille et de somme d’argent pour des marchandises à vendre
à l’émigré.
Ce flux financier permet aux commerçants locaux de reprendre et de
financer leurs activités marchandes et aux bourgs ruraux de reprendre leur
fonction de marché. Il en résulte la relance de plusieurs autres activités
relatives à la reprise de fonctions artisanales et annexes.

C’est ainsi que les localités anciennes escales et chefs –lieux


d’arrondissements ou de communauté rurale ont bénéficié des
investissements des émigrés. Cette évolution de ces centres ruraux en
marché de consommation ayant acquis les caractères d’une agglomération
significative a exercé un attrait sur d’autres investisseurs, comme les non
migrants ressortissants, résidents ou non de la localité (cas de Guéoul avec
deux boulangeries, l’une appartenant à un émigré, l’autre à un ressortissant
non résident).

L’habitat connaît une restructuration profonde à la suite relocalisation des


familles et des villages des émigrés sous l’impulsion des mouvements des
investissements sociaux et productifs qu’induit la migration internationale. Les
Villages centres ou bourgs ruraux connaissent une augmentation des
fonctions économiques: d’abord lieux de retrait et de transit des transferts
d’argent, lieux d’approvisionnement en vivres, ils bénéficient du renforcement
des infrastructures marchandes impulsées par la nouvelle donne économique
qui se traduit par une meilleure intégration à l’économie de marché et un
redimensionnent de leur périmètre qui en font des agglomérations de taille
importante. Cette dynamique de développement, loin d’être interne, résulte
de l’effort de plusieurs communautés villageoises qui participent par ses
émigrés à la construction d’équipements marchands et le renforcement
d’infrastructures sociales.
Ces équipements et infrastructures renforcent la qualité d’agglomération des
lieux et le développement de la fonction de marché.
Cette nouvelle donne induit une dynamique de retour de plusieurs travailleurs
ayant migré dans d’autres régions à la suite de la crise économique, ce qui
témoigne de la nouvelle compétitivité de la région du Vieux Bassin Arachidier
et du freinage des flux d’exode vers les autres régions et l’arrivée de
plusieurs familles de villages voisins.

Evolution des bourgs ruraux : les exemples de Sagatta, Ndande, de


Darou Mousty, de Guéoul et Niomré

L’évolution du commerce à Sagatta

Les nouveaux commerçants sont une génération nouvelle complètement


différente de la première dont tous les membres sont emportés par la crise
arachidière : il s’agit de A Guèye, A Kane, M Guèye et B Sarr.

Depuis 1999-2000, on note l’émergence de demi-grossistes comme M


Ndiaye et M Cissé qui s’activent dans un conglomérat d’affaires :
quincaillerie, vente de béton, fer, ciment et denrées de première nécessité.
Bref tous les produits qui composent la demande des émigrés, à savoir
l’entretien de la famille en nourriture et la construction de la maison.
Pour réussir leur insertion économique, les migrants tentent de trouver leur
place dans cette nouvelle génération d’élus : trois émigrés ont ouvert des
boutiques couplées avec télécentres. Un autre qui se spécialise dans
l’import/export de la quincaillerie installe une grande quincaillerie à Dakar et
une succursale à Sagatta. La croissance des revenus et le mode de vie
urbain dominant aidant, un émigré fils de commerçant (Nasse Ndiaye fils de
Mbaye Ndiaye) a mis sur pied une boulangerie pour satisfaire la demande
locale. Ceci va entraîner une concurrence avec les boulangers de
Kébémer habitués à servir les lieux. Dans la même mouvance, une
pharmacie est venue s’installer.

A l’amélioration des conditions de vie et de l’environnement économique


s’ajoute la création d’un Collège d’Enseignement Général qui va contribuer à
la réduction de la migration scolaire.
A cote de cet exemple de Sagatta étudié avec concision, il y a le cas plus
exhaustif de Ndande.

Exemple : Ndande ou la résurrection d’un bourg rural agonisant

Ndande fut une ancienne Escale de traite très active comme le montre
l’importance de l’effectif des commerçants. Son arrière-pays rural était
composé de villages très agricoles. Parmi ceux-ci, Kab Gaye qui avait
accueilli et abrité les exploitations de celui qui deviendra un illustre khalife
général des mourides, que l’Histoire retiendra pour ses initiatives
urbanisantes de la cité sainte de Touba, il s’agit de Sérigne Abdou Lakhat
Mbacké
Pour la même raison la zone de Ndande a été la plus touchée par la crise
agricole qui va réduire à néant son marché, et par l’exode vers Touba. Le
caractère massif de cet exode s’explique aussi par les liens matrimoniaux et
la parenté avec les khalifes de Touba. A tout cela vient s’ajouter cette longue
collaboration avec leur illustre hôte dans ses moments de traversée du
désert. L’Arrondissement abrite aussi le village d’origine de la mère d’au
moins deux khalifes de la confrérie : le village de Ndiakhate Khoury.
Cette parenté explique peut-être aussi les lieux de résidence des partants
pour Touba. La plupart d’entre eux vivent dans les quartiers maraboutiques
de Dianatoul Makhwa, Daroukhoudosse, Madyana…
La fonction commerciale de la localité de Ndande a connu une grande
évolution de la période de traite à la phase actuelle

Cette évolution peut s’analyser sous la forme d’une décadence au vu de la


réduction progressive du nombre de commerçants. De ce point de vue, la
comparaison des listes peut nous donner une idée de l’importance de cette
réduction.

Les traitants autochtones installés en 1940 étaient de cinq (5) et connaîtront


une hausse pendant les années 1970 avec les encadrements étatiques pour
retomber à néant laissant sur place que de petits commerçants sans surface
financière importante.

L’enquête ne permet pas de classer ces commerçants et d’identifier leurs


caractéristiques : grossistes, demi grossistes, détaillants. Mais, on peut
constater que le commerce ndandois connaît une bonne croissance
jusqu’aux années 70, période à laquelle, le commerce autochtone commence
une phase de déclin. Cette phase moribonde sera approfondie par l’exode du
commerce significatif vers Dakar. C’est le cas de D N Fall ex-propriétaire de
la « Librairie le Sénégal », des frères Lô très connus dans le transport, par
exemple. La fonction de marché de cette ancienne Escale de traite a donc
été très affectée par la crise arachidière qui apparemment n’a laissé aucune
survivance de la période faste.

Le commerce de Ndande reprend du service grâce aux retombées de la


migration internationale ; une liste de trois commerçants a été établie lors de
nos enquêtes ; il s’agit de F. Fall, B. Touré et G. Diallo.
Cette liste se caractérise par la faiblesse de l’effectif et par l’origine des
commerçants.

En effet, hormis le dernier de la liste, les deux premiers ne sont pas des
résidents. Ils habitent l’arrière-pays et tirent leur clientèle des migrants
internationaux. Ils sont au cœur du nouveau circuit de l’argent tel que modifié
par la migration internationale.
Ces commerçants sont les principaux destinataires des mandats
internationaux en raison de leur rôle d’intermédiaires et de fournisseurs de
denrées et de services de toutes sortes aux familles des émigrés.
Les transferts d’argent et le mode de consommation urbain qu’ils vont
susciter créent une demande dont l’importance entraîne des délocalisations
ou des retours vers Ndande en vue de participer au redressement de l’offre
devenue faible.
Ce phénomène de retour est très manifeste du coté des investisseurs et
surtout des artisans.
On peut noter par exemple le retour à Ndande d’artisans auparavant installés
à Dakar.
A Ndande, le même phénomène, toute proportion gardée, s’est reproduit :
des artisans exerçant ailleurs, dans d’autres villes ou régions sont attirés de
nouveau par leurs localités d’origine du fait de l’évolution de la demande
locale suscitée par la migration internationale. Ainsi, on a enregistré à
Ndande le retour de plusieurs artisans :

Tableau 41 : retour de travailleurs expatriés à Ndande

Emigrés de Activités Lieu d’exercices


retour

El Hadji Ndiaye Commerce Italie

Lamine Mboup Tailleur Dakar

Abdou Aziz Tailleur Dakar


Mboup

Mbacké Seck Tailleur Bamako (Mali)

Source : Bara MBOUP ; enquête 2002


Les raisons de ce retour se trouveraient selon nos interlocuteurs, dans les
nouveaux avantages comparatifs locaux de l’exercice de leurs activités.

Selon les tailleurs venus de Dakar, la clientèle de Ndande s’est beaucoup


améliorée en quantité et en qualité ; en effet, la demande est devenue très
importante et alignée sur la mode en cours dans les grandes villes.

Mais, alors que les charges de la capitale restent élevées pour les étrangers,
le retour chez soi, et dans la campagne épargne et diminue certaines d’entre
elles.

La clientèle est au rendez-vous en raison de l’élévation du niveau de vie liée


à l’injection de ressources financières sans précédent dans la localité comme
en atteste le tableau des mandats internationaux ci-dessus. L’artisanat a
aussi connu une renaissance certaine à travers la reconversion en
menuisiers métalliques des forgerons traditionnels confinés pendant
longtemps à un niveau rudimentaire de production.
La menuiserie métallique est surtout de mode avec l’importance prise avec
l’explosion du bâtiment dans lequel les grilles et les portails en fer apportent
une dimension de richesse et de superbe.

Tableau 42 Charges mensuelles moyennes d’un tailleur à Dakar

Charges Valeur en F CFA

Logement 15000 F

Atelier 30 000 F

Electricité 5000 F

Total 50 000 F

Source Bara MBOUP ; enquête 2002

Malgré le coût élevé de ces charges, la différence de prix de la couture est


généralement de 1000 F (6 000 F pour Dakar et 5 000 F pour Ndande). Au
point que si le nombre de clients ne fait pas suffisamment de différence, alors
il est plus avantageux de travailler à domicile puisque le coût du logement
n’existe plus et celui de l’atelier est moindre (4500 F/ mois). A Ndande, les
interviewés reconnaissent avoir plus de clients qu’à Dakar et que les
conditions d’accueil du commerce et de la confection se sont améliorées.
Cette nouvelle dynamique enclenche une autre : face à la demande de
cantines et d’ateliers, les émigrés achètent des parcelles aux alentours du
marché pour les construire et les mettre en location.

Ces constructions ne sont pas seulement de l’initiative d’émigrés de Ndande,


mais aussi d’émigrés de l’hinterland. Il en est ainsi des cantines construites
par des ressortissants de Tallène Gaye, village situé dans la périphérie.

A l’instar de Kébémer Ndande était une escale de traite, la crise arachidiere


a été l’occasion de faillite et de délocalisation du commerce. Ainsi, la plupart
des anciens commerçants ont transfèré leurs affaires à Dakar. Ce furent les
cas de B Lô, F Touré, M Dieng, D N Fall qui tous se sont repliés à Dakar.
En conséquence de ce départ, le commerce est entré dans une longue
phase de léthargie dont il ne se relèvera que lorsque la migration
internationale a commencé à injecter des fonds a destination de leurs familles
sises à Ndande ou dans la campagne environnante.
Avec la délocalisation du commerce à Dakar, il y a une vacance que de petits
boutiquiers tentent de combler. La plupart de ces derniers sont du monde
rural où ils ont gardé de fortes attaches.
A Ndande, le commerce le plus important est entre les mains de
ressortissants de villages environnants : F Fall ancien émigré et Bara Touré,
habitant respectivement à Getti Ndongo et Bitiw dans la périphérie de
Ndande. Ces petits commerçants servent de relais aux émigrés et leurs
familles.
Les fonds issus de la migration internationale ont servi dans un premier
temps à reproduire la même fonction que celle de l’exode rural : il s’agit de
satisfaire les besoins primaires des familles en mettant un terme à l’insécurité
alimentaire qui concerne aussi bien la campagne que la ville. Cette fonction
inspire la stratégie des émigrés ruraux. Ces derniers ne se limitent plus à
envoyer de l’argent pour acheter des vivres, mais aussi pour s’outiller en
facteurs de production, dans un contexte de Nouvelle Politique Agricole où
l’Etat a suspendu le Programme Agricole qui faisait le prêt de ces facteurs
aux paysans.

Les émigrés ruraux saisissent toutes les opportunités pour faire travailler les
non migrants et les faire participer dans l’entretien de la famille.
Cette stratégie inspire l’esprit de solidarité qui consiste à supporter les frais
de voyage aux plus jeunes candidats à la migration en Europe et rechercher
leur rapide insertion économique dans l’industrie ou dans le commerce
informel.
On peut noter que l’essentiel de ce transfert d’argent va entre les mains des
commerçants.

Avec la migration internationale, le bourg de Ndande connaît un


développement rapide avec le déménagement de plusieurs villages ou de
familles venus de la campagne.
Un nouveau quartier dénommé Darou Salam qui se distingue par ses belles
maisons dont certaines sont construites en hauteur. Ce quartier a vu le jour
avec l’arrivée de ressortissants de villages environnants comme Ndiakhate
Baba, Niokhoul Fall, Serif Ka et Santhioup Rob Naane, Dal, Gouye Meew,
Yaari Yiir (village ayant entièrement disparu), Thial, Sahm Ngom, Paam,
Siwal.

Ce sont des villages dont on avait vu dans la première partie de cette étude
qu’ils souffraient de l’exiguïté de leur terroir puisqu’ils appartiennent à la
classe des villages sans terroirs propres.

Une partie importante des ressortissants de ces villages ont aussi des
maisons à Touba, Dakar et Meckhé. Mais malgré cette dispersion, chaque
année, des chants religieux et des prières rassemblent cette communauté à
Santhiou Rob Naan ou se trouve aussi le cimetière de la communauté. Cette
extension de Ndande a une forte répercussion sur le marché des affaires :
l’augmentation des prix des terrains ou parcelles a usage d’habitation. Une
parcelle nue de 20m sur 20 m, vendue 15 000 F CFA en 1983 se revendait
cinq cent mille francs (500 000 FCFA), voire un million de francs ou plus
suivant la localisation, en l’an 2000.

On observe que cet exode a donné lieu à une extension spatiale de Ndande
avec une modernisation de l’habitat et de sa physionomie.

Cette croissance de la localité de Ndande a une forte incidence sur le


développement de l’arrière-pays. Elle contribue ainsi à leur offrir une
alternative plus proche de lieu d’épanouissement pour les candidats à l’exode
et les acteurs économiques.

Les bourgs ruraux, en accroissant leur population et leur taille, exercent une
attraction sur les populations environnantes, selon la théorie de la loi de
gravitation ou le potentiel démographique. Ils contribuent à les fixer. En plus,
en fonction des ressources de transfert ils développent des fonctions
urbanisantes comme les services liés au commerce, à l’artisanat, à
l’éducation, et encouragent des échanges au sein de la campagne.
Cette dynamique locale s’accompagne du redéploiement des réseaux
sociaux entre villes et campagne au profit du développement local et limite
les migrations vers les autres régions.40

III.2.2.2.4 Migration internationale, décentralisation et intercommunalité

La migration internationale a créé une conscience nouvelle, celle


d’appartenance à un même territoire et la nécessite de participer à son
développement à travers une organisation communautaire. L’association des
Ressortissants de Ndande a une dimension intercommunautaire. En effet,
elle regroupe des émigrés de Ndande et ceux d’autres villages comme Mber,
Ndiongué Fall, Mbaka, etc.
Les émigrés cotisent, chacun, cinquante (50) euros par an. De soixante six
(66) en 2001, le nombre de cotisants passe presque au double en 2002, soit
131 cotisants.
Cette structure a acheté une ambulance pour le centre de santé et mis à sa
disposition une somme de 500 000 F CFA pour le salaire annuel du
chauffeur.
Pour l’évacuation des malades, un barème des subventions a été fixé en
fonction de la destination : une somme de 1500 Francs est octroyé au
malade devant être évacué à Kébémer, 3000 F à Louga et 7500 F pour
Dakar.
En ce qui concerne les vivres de soudure, F.F., ancien émigré devenu
commerçant affirme que les émigrés envoient depuis 1989 trois tonnes de riz
au village de Getti Ndongo (en raison de 60 kg de riz par ménage). En cas de
décès dans le village, le transport vers Touba du corps est garanti, ainsi que
le bœuf pour les obsèques.

40
Selon Steward, « on appelle potentiel de gravitation (ou potentiel démographique) de la ville A sur un
point M l’attraction exercée sur ce point par la masse de la population de la ville A. Cette attraction est
proportionnelle a la population de la ville A et inversement proportionnelle a la distance entre A et M ».
Afin d’assurer à la population scolaire de Ndande et des environs de
meilleures conditions d’étude, un Collège d’Enseignement Moyen a été mis
sur pied par les émigrés. Une enveloppe de sept millions quatre vingt cinq
mille francs a été dégagée et repartie comme suit :

Tableau n°43 : l’Association des émigrés de Ndande : les coûts de


construction du CEMG et réfection du foyer de la femme

Coût du premier bâtiment 3 006 100 F CFA


Coût du second bâtiment 3 535 000
Coût de construction des 363 900
toilettes
Mobilier scolaire 120 000
Réfection du foyer de la femme 60 000
Total 7 085 000
Source : Enquête Bara Mboup (2002)

La construction de ce collège contribue, à coup sur, à la diminution de la


migration scolaire. Elle a aussi renforcé son caractère d’agglomération et sa
capacité de polarisation sur la campagne environnante.
Les bourgs ruraux de par leur développement offrent aussi à la campagne
environnante l’occasion de la rapprocher des services.
De la même manière on s’aperçoit que Darou Mousty et Guéoul se développent spatialement et
économiquement, aujourd’hui, grâce, à l’arrivée de familles rurales ou de villages de leur arrière-
pays et des investissements des émigrés.

La localité de Guéoul est dans la même dynamique de développement de


ses fonctions, de l’habitat de l’extension spatiale.

Ce développement des fonctions peut se mesurer sur le plan fonctionnel et


spatial.

Parmi celles-ci le commerce. En effet ce dernier a connu une explosion ces


dernières années sans doute du fait de la migration internationale. Au plan
fonctionnel, un développement rapide du commerce s’observe par le
développement des boutiques le long de la Nationale II. Ce secteur se
modernise avec la naissance d’une structure de distribution d’essence à
travers la station ELTON.
De même le secteur secondaire se développe avec l’installation de deux
boulangeries dont la première appartient a un émigré et la seconde a un
ressortissant qui avait élu domicile a Dakar, mais qui vient profiter de la
hausse de la demande a la suite de l’amélioration du niveau de vie et de la
mutation du genre de vie rural en genre de vie urbain.

A cela s’ajoute la création de services nouveaux parmi lesquels on peut


noter : d’abord un Collège d’Enseignement Général qui a vite évolué en
lycée. Ensuite, voit le jour un Institut Islamique alliant la formation religieuse
et la formation professionnelle sous l’initiative d’un enfant de la localité
(Seydi Alioune Boye). Cet institut identifié par l’UNESCO comme une
initiative originale pouvant servir de modèle à encourager, attire beaucoup
d’enfants de la campagne environnante.

Enfin, Guéoul est aussi le lieu de convergence de beaucoup de malades du


département et d’ailleurs venus se faire traiter dans une clinique privée
dirigée par un enfant du terroir.

Sur le plan spatial on peut mesurer ce développement à l’aune de son


étalement et de l’évolution des prix des parcelles à usage d’habitation du
fait de la demande des expatriés. Ces derniers ont amorcé une dynamique
de retour dans la localité accompagnée d’initiatives en matière
d’investissements économiques.

Cette demande se traduit par une pression foncière qui aboutit à un


dépassement du périmètre villageois et un empiétement sur les
communautés rurales voisines. En effet, il y a un conflit foncier latent entre
les CR de Guéoul et de Bandégne et qui est vivace entre les villages de
Guéoul et de Gouye Gall situé à l’ouest de ce dernier.

Aussi, du fait de son étalement lié à son extension et à l’importance de la


demande de parcelles à usage d’habitation dans la localité de Guéoul, la
tentation a-t-elle été grande de répondre favorablement à cette demande.
Mais le terrain choisi a été revendiqué par les habitants de Gouye Gall dont
il était selon le droit coutumier leur terroir de culture.
Le conflit a été rendu plus complexe, d’abord, par le fait que le village de
Gouye Gall (logiquement avec son terroir) était de la CR de Bandégne ;
ensuite du fait que la spéculation foncière avec la multiplication des
migrants qui veulent construire leurs propres maisons différentes de celle
du carré familial.

Ainsi donc, l’éradication des facteurs répulsifs qui s’est traduite par
l’amélioration du cadre de vie avec de nouvelles infrastructures et de la
sécurité alimentaire font mieux que d’arrêter l’exode et fixer la population.
Elles donnent aux villages, une force attractive qui s’exerce sur des
riverains et même de jeunes chefs religieux venus s’installer comme pour
participer à l’animation de la nouvelle dynamique de développement de la
campagne.

Mais cette fixation des populations résulte aussi de conditions externes


comme l’environnement créé par l’existence et la dynamique de
développement des bourgs ruraux. Ces derniers permettent l’offre de
services divers et d’externalités en faveur de la campagne comme nous
pouvons le constater avec l’étude de leur évolution à la suite des effets de
la migration internationale.

L’émergence de pôles semi urbains jouant les mêmes fonctions de


marché et d’agglomération que les villes augmente les opportunités
d’investissements des émigrés ruraux et fixent autant que possible
l’investissement au plan local des émigrés de la contrée.
Ainsi, les nouveautés introduites par la migration internationale entraînent
aussi la revitalisation et le développement des fonctions de la campagne
par la redynamisation des terroirs et la résurrection des bourgs ruraux. Ces
changements n’épargnent non plus l’habitat.
III.2.3 MIGRATION INTERNATIONALE : TRANSFORMATIONS DE
L'HABITAT RURAL ET MUTATION DES RELATIONS VILLES-CAMPAGNE

En plus de cette mutation dans la fixation des campagnes du fait de


l’importance acquise par les bourgs ruraux, force est de reconnaître leur
contribution dans les stratégies d’occupation de l’espace à travers la
relocalisation des villages.

L’étude de cette relocalisation et des stratégies d’occupation de l’espace


nous renvoie à l’impact de la migration internationale sur l’habitat entendu
comme la répartition des hommes sur l’espace.

III.2.3.1 Migration internationale et stratégies d'occupation de l'espace


ou mutation de l'habitat

Les stratégies d’occupation de l’espace se traduisent par une reconfiguration


de l’espace rural sous deux formes.

La première est la recomposition de l’habitat rural avec l’extension des


centres ruraux qui prennent l’allure d’agglomérations (urbanisation) assez
grandes pour exercer une fonction de polarisation significative au prix de la
régression des villages. C’est ce phénomène que nous venons d’étudier dans
le développement des bourgs ruraux.

La seconde est l’accroissement de la mobilité rurale qui trouve dans la


façade des axes routiers le site privilégié de l’installation de villages naguère
placés au centre de leur terroir. N’est-ce pas là le signe d’un genre de vie
nouveau ou la simple volonté de capter les réseaux ? Ces deux phénomènes
sont-ils accidentellement solidaires ou procèdent-ils d’une liaison
nécessaire ?
L’importance de la migration rurale est déjà reconnue dans de nombreuses
études. Pour exemples, nous pouvons citer Touré et al, 1998.

L’importance de la mobilité rurale est le plus souvent liée à la recherche de


terroir agricole.

Deux cas de figure se présentent : dans le premier, ce sont des paysans


sans terre ou les villages à terroir exigu (tributaire du dogal) ; dans le second,
il s’agit de la non productivité des terres. En effet selon Touré et al, « Les
abandons de villages s’expliquent par le manque de vitalité des espaces de
production autour de ces villages devenus inopérants pour l’élevage ou
l’agriculture »

Ils arrivent à la conclusion que :

« …C’est donc le besoin d’espace pour développer une activité de production


qui détermine l’exode des habitants d’un village vers un ailleurs choisi en
fonction de la capacité de charge qu’il offre pour les besoins des cultures ou
des pâturages ». (Touré et al, 1998 : 199)

Mais si cette campagne décrite se maintient toujours dans une logique


d’économie rurale se rencontre encore dans leur zone d’étude, il n’en va pas
de même dans la nôtre. Et c’est cette logique d’économie mi-rurale et mi-
urbaine, qui semble déterminer l’habitat et la mobilité des ruraux.

III.2.3.2 Les stratégies actuelles d'occupation de l'espace et l'évolution


des établissements humains dans l'axe Dakar - Saint-Louis

Cette mobilité de la population rurale dans l’espace qui traduit aussi une
redistribution de l’habitat n’est ni un déplacement fortuit, ni un remake de la
mobilité décrite si dessus par Touré et al.
Elle est plutôt déterminée par une situation nouvelle induite en partie par la
migration internationale et par une stratégie d’adaptation à la nouvelle donne
de la part des ruraux. Tantôt, elle se dirige vers les terroirs, tantôt elle se
dirige vers les vers les lieux où s’accumulent les réseaux comprenant la
route, la conduite d’eau, le réseau de poteaux électriques et téléphoniques.

Cette panoplie est sans doute un paquet de facteurs favorables pour des
gens ayant besoin de développer leur niveau de vie ou de bien rentabiliser
les constructions des belles villas que les émigrés ont tendance à construire
dans les villages.

Aussi, c’est la nouvelle logique économique qui, nous semble t-il, tend à
expliquer cette mobilité vers les réseaux. Car sur l’axe Dakar – Saint-louis se
trouvent alignées les grandes villes du Vieux Bassin, Kébémer et Louga ; et
entre elles, il y a les bourgs ruraux Ndande, Guéoul. Cette suite de localités
relativement importantes crée alors un environnement économique très
dynamique qui attire des ruraux adoptant une stratégie de diversification de
leurs activités économiques en congruence avec leurs stratégies de
localisation de leur habitat.

Ces stratégies se traduisent par l’extension spatiale et un boom


démographique des établissements humains situés dans l’axe Dakar – Saint-
Louis. Etudions quelques cas.

A Palméo Fall, Les émigrés ont contribué largement à la modernisation du


village et à l’amélioration des conditions de vie. En plus des efforts faits pour
la transformation de l’habitat (voir les différents types : sungle et bardasse, de
la période arachidiere qui contraste d’avec la case en paille traditionnelle, il y
a les bâtiments dont l’évolution peut être indexée aux différentes phases de la
migration internationale : avant la dévaluation et après la dévaluation).
A l’origine le village n’était pas aligné sur la route : il a plutôt été l’objet d’une
restructuration. C’est une agglomération née de la réunion de quatre
hameaux situés, chacun au centre de sa part du terroir et sa spécialisation
sociale dans le système de production par des fonctions de caste Ces
hameaux étaient Thiarre Gou mag (les concessions des marabouts dans
lesquelles se trouvent celles des griots et celles des forgerons autrefois
d’ailleurs séparées) Thiarre Gou ndaw (séparé du premier par un conflit
confrérique); Paalène (concession des Fall les premiers habitants
«propriétaires » du village) et Ndiayène, la concession des derniers venus.
Palméo Fall a dû changer de site à l’instar de nombreux villages pendant la
période de sécheresse pour s’installer à proximité de la route nationale N2 et
profiter de l’offre d’alignement qui leur était donnée par le Centre d’Expansion
Rurale Polyvalent de Ndande.

Mais le village n’aura connu un développement rapide qu’avec l’ère de la


migration internationale.
En effet, l’habitat est en train de connaître de profondes modifications avec la
transformation des cases de chaume et des « sëngel » (une chambre en
paille surmontée d’un toit en zinc), en un bâtiment grand standing en terrasse
surmonté d’une niche, un style architectural à la mode chez les émigrés .

Photo n° 7 Transformation de l’habitat : une image très fréquente


dans les quartiers périphériques des villes et dans les villages

Source : Bara MBOUP 2005

Photo n° 8 Village de Teug Ndogui : transformation de l’habitat ou


nouvelle physionomie de la campagne.
Source : Bara MBOUP
On note l’érection de la mosquée au dessus du feuillage en arrière-plan et au
premier plan, les différents types d’habitat témoins de l’économie arachidière
(le bordage tout en zinc à droite, le « sungle » avec toit en zinc et clôture en
paille) et le bâtiment avec niche de la migration internationale.

Pour Palméo Fall, il y a un véritable problème foncier ; en effet le village


n’arrive plus à accueillir et satisfaire la demande de candidats qui voudraient
venir s’y installer. Faute de parcelle disponible, toute occupation nouvelle se
traduirait par un empiétement du terroir agricole déjà saturé et jalousement
réservé par les paysans

Des hameaux de culture ont vu leur demande de parcelles au sein du village,


classées sans suite. C’est les cas de Daray Palméo et Guëtti Omar. Il est
noté qu’un autre villageois (Ndiasse Diouf, habitant à Baïty) aurait même
payé deux ans d’impôt pour voir son vœu de bénéficier d‘une parcelle se
réaliser. Plus heureux est ce marabout mouride Ibra Mbacké, fils de Sérigne
Sahm Mbacké (en 1998 en période d’exode massif vers Touba) qui a
bénéficié de l’hospitalité du village et auquel en échange il va faire bénéficier
de son aura

Mais qu’est-ce qui attire tant vers Palméo ?


Les facteurs attractifs de la dite localité peuvent provenir de l’impact de la
migration internationale. En effet, les retombées de la migration internationale
de plusieurs ordres ont profondément amélioré la qualité de la vie de la
localité :

D’abord, le village s’est doté d’infrastructures modernes en profitant de la


proximité des réseaux d’électricité, d’eau et de téléphone. Les émigrés ont
payé collectivement onze millions cinq cent mille francs (11500000f) CFA
pour équiper le village de courant électrique. Le téléphone existe dans
plusieurs ménages et un télécentre dans la place publique. Son alignement
récent et à la façade de la N2 lui vaut la facilité de se connecter aux réseaux
d’eau et de la SENELEC et de la SONATEL pour le téléphone.

Ensuite, la solidarité sociale qui a toujours fonctionné a pris une nouvelle


dimension : en hivernage des vivres de soudure traditionnellement distribués
par les soins de l’Etat sont aujourd’hui pris en charge par les émigrés et mis à
la disposition des habitants ; des candidats à la migration sont financièrement
aidés et suivant un certaine équité car les familles devraient en profiter à tour
de rôle ;de même chaque famille ayant enregistré un décès a droit à une
assistance de l’ordre de cent mille francs (100000 F CFA).

La structure foncière, caractérisée par le principe du Mag Diël a été remaniée


par la Loi sur le Domaine National. La stratégie des émigrés qui inclut
l’utilisation des terroirs par le développement de l’agriculture a débouché sur
un enjeu foncier. On peut toutefois noter que les investissements lucratifs des
émigrés ne sont pas localisés dans le village, mais très souvent ailleurs, en
particulier à Ndande ou à Dakar (capitale politique et économique du pays).
On constate ainsi sur le plan social l’émergence d’une catégorie sociale
relativement jeune, généreuse et soucieuse de la promotion sociale de la
population locale et qui de par l’adoption d’un nouveau style architectural
transforme la physionomie du village après une importante contribution à son
urbanisation par le biais d’un équipement moderne. (Informations recueillies
auprès de Thierno Sarr : 80ans ; actuel patriarche de Thiarre Gou Mag ;
Modou Diouck (artisan) et un chauffeur habitant de Palméo.).

Une localisation le long de la N2 et un développement pareil sont récemment


constatés en ce qui concerne les villages de Mbidiene, Keur Baka, Merina
Dakhar, Ndiaye Thioro, Ndieye Sefour, Teug Ndogui, Pekhe Tall, Ndiarno
Wade et autres situés le long de l’axe routier de la N2 qui traverse le
département de Kébémer. La distribution des villages de discrète passe à
une distribution linéaire bien qu’elle soit restée irrégulière.

Bien entendu ce sont tous d’anciens villages naguère situés en plein champs
et dont le terroir empiète sur la route qui s’autorisent cette relocalisation le
long de la route. Mais ce n’est pas seulement la route le facteur décisif car
tous ces villages sont situés sur la façade ouest de la route où sont localisés
les différents réseaux.

Et puis le village de Teug Ndogui d’abord situé dans la façade s’est ensuite
déplacé entièrement vers la façade ouest.

En l’absence de cette possibilité de s’installer sur la route du fait d’un


éloignement ou d’absence de droit sur la route, des stratégies alternatives
sont empruntées pour vaincre l’enclavement et réunir les conditions d’un
accès facile à la ville. De pareilles initiatives ont été prises par plusieurs
villages du département de Louga.

Ainsi des villages comme Dielerlou Syll, Keur Modou Khary Mboup, Nguidilé,
Ndjimby Seck, Mborome Diop, Keur Maip trouvent le moyen d’être présents
dans l’économie urbaine tout restant en campagne.

En effet après avoir consommé le divorce aujourd’hui d’avec des allures


rustiques de la campagne d’antan pour arborer une nouvelle physionomie
caractéristique des quartiers modernes des villes, ils revendiquent leur
appartenance aussi à la ville par une adoption du genre de vie urbain qui
oblige les femmes à se rendre quotidiennement au marché de la ville pour
faire leurs emplettes ; cela nécessite une organisation régulière du transport.
Certains villages sont dotés de véhicules faisant la navette entre leurs
localités et la ville de Louga.

C’est par exemple le cas du village de Ndjimby Seck où les émigrés ont loué
un car payé mensuellement pour effectuer des navettes Ndimby – Louga.
Dans les autres villages, le transport se paie par déplacement.

Les émigrés ont participé aux financements des boutiques au niveau des
villages et de Louga, à la création des télécentres dans leurs villages. Dans le
domaine scolaire, ils encouragent la scolarisation des enfants car leur séjour
en Europe leur a permis de mesurer l’importance de l’école dans la vie des
hommes. (R 122) ces villages qui répondent ainsi à l’attraction de la ville par
cette forme de résistance, en restant dans le terroir du village, tout en
profitant des effets d’agglomération de la ville sont souvent d’anciens villages
disposant d’un terroir important et assez grands pour abriter certaines
infrastructures qui font d’eux des villages centres. Les migrants internationaux
viennent appuyer leur centralité en assurant un certain développement local
par le biais de transferts de ressources.

En plus de cet aspect économique, la dimension culturelle n’est pas


négligée, l’organisation de manifestations culturelles et religieuses comme les
gamous annuels villageois invitent à une redynamisation des réseaux sociaux
de solidarité. C’est aussi les temps forts de remobilisation des fils et des filles
des villages autour des préoccupations de leur localité d’origine.

A Niomré (chef-lieu de la Communauté rurale la plus déficitaire du Vieux


Bassin), l’un des mots d’ordre est le construction par chacun des
ressortissants d’une maison dans le village. Ainsi est né un pacte dit « Pacte
de Niomré ».

En tenant compte de la rivalité qui caractérise les rapports entre tous ces
villages, cette décision peut faire tache d’huile et faire revivre la contrée.
Ces émigrés ruraux participent à des logiques de développement qui les
poussent à investir en ville et à ne pas se cantonner à l’économie rurale.

Ainsi, la migration internationale a fortement contribué à la renaissance de


l’économie urbaine de la ville de Louga en perte de vitesse depuis la fin des
années 80 du fait de la crise de l’économie arachidière et des activités
industrielles. En effet, outre les activités artisanales et le secteur administratif
très développé en raison du rôle de capitale régionale de la ville de Louga,
ce sont les activités commerciales qui vont connaître une pleine expansion.
Les professions commerciales occuperaient 42% des douze mille sept cents
(12 700) personnes que compte la population active de la ville.

Ce dynamisme est renforcé par l’existence dans la ville de Louga de deux


grands marchés où s’effectuent la plupart des échanges, douze boulangeries,
dix huit magasins de demi-gros, cinq stations d’essence, deux cent cinquante
sept (257) boutiques de détail et cinq pharmacies. Le commerce qui s’y
développe est surtout un commerce de détail. Les données de 1996 révèlent
l’existence de 606 détaillants dans la région contre 6108 à l’échelle nationale.
(PE Louga, IAGU : 18 :2005 ?)

Quant à l’environnement rural proche de Louga, il est constitué dans sa


grande partie par des villages dont l’existence ne se justifie plus par l’activité
agricole. Par conséquent, tous les villages aussi bien les petits que les
villages centres subissent la même attraction de la capitale régionale.

« Ainsi toute la sous zone se trouve polarisée par Louga-ville surtout au plan
commercial, transport, artisanal et sanitaire» (ENEA, 2000).

Plus qu’une simple polarisation, la ville de Louga attire vers elle beaucoup de
villages qu’elle engloutit du fait de son étalement lié à l’arrivée à sa périphérie
de villages en divorce avec leurs activités traditionnelles. Cet étalement
augmente la menace sur les villages proches et sur l’organisation de la
campagne.
C’est ainsi que toute la Communauté rurale de Nguidilé se trouve polarisée et
désorganisée et son terroir largement réduit par la ville de Louga. En effet, le
village de Ndjimby Seck qui polarisait Tawa Peul, Tawa Wolof, Mborom et
Keur Maip a perdu son influence sur ces derniers.

Cette influence s’estompe d’autant plus que certains villages sur lesquels elle
s’exerçait ont déménagé a Louga, c’est le cas de Ndankou Beye et Ndame
Khary dont les populations se sont déplacées vers Louga et n’y reviennent
que pour cultiver les terres sur lesquelles elles ont gardé leur droit en payant
la taxe rurale. La raison de ce déplacement est le manque d’eau ; car ils sont
éloignés du tuyau du Lac de Guiers. (ENEA, op.cit.)

Les stratégies d’occupation de l’espace rural mènent à une reconfiguration de


la campagne sous deux formes. La première est la recomposition de l’habitat
rural avec l’extension des centres ruraux qui prennent l’allure
d’agglomération (urbanisation) assez grande pour exercer une fonction de
polarisation significative au prix de la régression des villages. L’habitat est
dans une dynamique de regroupement.

L’autre cas est la campagne située dans la zone caractérisée par la rareté de
l’eau liée à la profondeur de la nappe et de sa mauvaise distribution et de sa
passable qualité. C’est la zone de Darou Mousty ou les villages sont
pratiquement instables à l’exception des villages des chefs religieux. Ici la
mobilité est une composante de l’existence des villages. Instabilité que tente
de limiter les collectivités locales : avec l’aide d’ONG, le Conseil rural consent
à faire un puit forage à la demande du village à condition que ce dernier
verse des contributions significatives (entre 10 et 25 %). Celles-ci sont
souvent supportées par les émigrés du village.

La zone est entre Sagatta et Darou Mousty ou zone de difficulté


d’approvisionnement en eau est abrite les bourgs ruraux les plus faiblement
habités et l’habitat très dispersé. La tendance est au regroupement de
l’habitat au profit des agglomérations comme Darou Mousty, mais les ruraux
qui déménagent développent des stratégies de sauvegarde de leur terroir à
travers un mouvement pendulaire saisonnier.
Cette zone est caractérisée par l’absence de ville et (cela explique ceci) la
faiblesse progressive des bourgs ruraux au profit des agglomérations de
Touba. Les cas de Sagatta et Ndoyenne sont révélateurs de cette situation.
De ce fait le potentiel démographique de ces bourgs ruraux n’exerce aucune
attraction sur le reste de la campagne sinon avec une certaine faiblesse.
C’est plutôt les agglomérations de Darou Mousty et de Touba qui exercent
une certaine attraction sur les établissements humains. En plus de ce
potentiel de gravitation attribué a ces dites agglomérations, il y a le problème
de l’approvisionnement en eau qui se pose. Or seuls les villages
maraboutiques en plus de leur statut de daaras créés sur le modèle de Touba
sont suffisamment équipées pour échapper à l’emprise des capitales
mourides.

III.2.3.3 Régression des bourgs ruraux du centre du Vieux Bassin


Arachidier: les exemples de Sagatta et Ndoyenne

De toutes les localités les plus significatives du département de Kébémer,


Sagatta a connu avec certitude une décroissance de sa population.

Tableau 44 : évolution démographique des établissements humains

Localités/ 1966 1976 1988 2000


ans
Kébémer 3500 6769 8120 14 321
Darou 2107 9310 13 893
Mousty 12942
Ndande 1477 3068 3986
2698 (sic)
Sagatta 896 1789 1886 1500
Guéoul 845 2328 2530 3675
Source : DPS
La localité de Sagatta a été rejointe du point de vue démographique, puis
dépassée, voire doublée par la localité de Guéoul dont elle le chef-lieu
d’Arrondissem

16000
14000
12000
10000
Effectif

8000
6000
4000
2000
0
1966 1976 1988 2000
Années

Kébémer Darou Mousty Ndande Sagatta Guéoul

Quant au cas de Ndoyenne, c’est peut être la localité qui a le plus souffert de
l’influence de Touba. La localité est très affectée par cette vague d’exode
vers Touba. Cet exode a connu ses temps forts entre 1985 et 1995.
L’exode a débuté avec le départ de deux notables (un commerçant
transporteur El Hadji M Ndoye, et N Sall notable du village et fils de l’ancien
Chef de Canton, agent vétérinaire de son état et très aisé sur le plan matériel.
Ces deux fortes personnalités qui sont aussi des modèles et leaders sociaux
ont servi de catalyseurs à la vague de migration vers Touba et ils n’ont laissé
derrière eux qu’une partie non mouride ou des personnes n’ayant pas la
capacité de déménager et d’être accueillis à leur guise. Pour mesurer
l’impact de cet exode sur la vie du village, il faut sans doute voir ses effets sur
la population scolaire du village.

Cet exode a eu une forte répercussion sur l’école. A partir de 1989, l’effectif
faiblit au niveau du recrutement.
Jusqu’en 1988, on avait une moyenne de 50 élèves par classe, soit plus de
250 élèves. Puis l’effectif descend vers une moyenne de 20 à 30 élèves
jusqu’en 1995.
En 1996, l’effectif s’est réduit à 88 élèves, puis, c’est la fermeture de l’école
en 1999-2000 avant de redémarrer en 2001-2002 avec une seule classe de
Cours d’Initiation.
Mais le premier concurrent de l’école élémentaire fut l’école coranique dirigée
par un marabout tidiane (El Hadji Ibrahima Diop) qui en restant avec son
école et sa famille a évité à Ndoyenne de disparaître de la carte. Il a été
rejoint en cela par un autre chef religieux mouride : le marabout S(erigne)
M(odou) Karim Mbacke venu s’y installer en 1992-93 avec son daara (une
unité de production arachidière) et récupérer voire exploiter a l’occasion
quelques terres abandonnées par les déserteurs.
L’exode des paysans vers Touba a fait monter les enchères sur les terres de
culture, montrant ainsi l’enjeu autour des terroirs. Cet exode a multiplié les
menaces de perte des terroirs agricoles des paysans, puisque des chefs
religieux sont tentés d’étendre leur patrimoine foncier sur les terres
abandonnées.
Un telle recolonisation par des marabouts de terres abandonnées ou
laissées en friche a été observée : c’est le cas a Ndieyenne Toundou au sud
de Sagatta ou Sérigne Abo Mbacké a installa sa daara ; les cas de Kyr
Samb, de Ndjibe, de Ndjinguene Dallah.
Cette opération ne s’effectue pas toujours sans heurt : en 1995-96, dans les
villages de Barga, Touba Merina situés le long de la route entre Darou
Mousty et Ndoyenne, un chef religieux (Sérigne Modou Matar) qui voulait
annexer les terres de villages désertés pour les intégrer dans son domaine de
Taycir a rencontré l’opposition des ayants droits. Parmi ces derniers figurent
des paysans et agro pasteurs soucieux de sauvegarder le parcours du bétail
et de garantir sans heurt la liberté de circulation et de la traversée de la zone
de Darou Mousty des transhumants conduisant leurs animaux depuis le
Ferlo, région de départ, jusqu’à Pékesse zone d’arrivée située au nord est de
Thiès.
De ce point de vue pour défendre leurs terres les paysans laissent des abris
provisoires dans leur terroir paient la taxe rurale et y reviennent pendant
l’hivernage pour exploiter leurs terres.
La campagne de la zone de Darou Mousty se reconstruit avec la résistance
des établissements humains peuls qui sont de confrérie différente (tidiane ou
qadre) et les villages maraboutiques qui restent insensibles à l’attraction de
Touba qui du reste leur sert de modèle.

Car ces derniers sont conçus comme un « ribat » servant à la fois de lieu de
retraite, de résidence principale au chef religieux, et regroupant l’exploitation
agricole et le daara ou d’école coranique et foyer de main-d’œuvre. La
capacité de résistance des villages maraboutiques à l’attraction de Touba, et
leur stabilité sont liées à leur équipement en infrastructures diverses et
particulièrement en forage.
Les villages maraboutiques ne soufrent pas de la pénurie d’eau : Arafat,
Darou Mousty, Darou Wahab, Darou Marnane, Dekhle, Fass Toure, Mbacké
Kadior, Mbadiane, Taicir, Taif Diop, Touba Merina, Touba Roff ont tous leurs
propres forages
Le paradoxe de cette zone est alors sa forte densité en forage et le manque
d’eau qui est la principale cause d’exode. La raison principale est l’absence
de raccordement des villages de paysans et d’éleveurs à ces forages des
villages de marabouts.

Les villages ayant disparu du fait du manque d’eau sont pour la plupart de la
zone de Darou Mousty : on peut citer les villages de Keur Alioune Ndiaye,
Ngomene. Kalom, Ndame Sanoussi et Thioly Diagne.
Ces villages ont eu un problème d’eau à la suite de la baisse de la nappe
phréatique, mais ils conservent leurs champs tout en étant à Darou Mousty
ou ils vivent dans des abris provisoires. Ils ont gardé leur structure de villages
au sein de l’agglomération de Darou Mousty.
Des villages sont réduits a une faible agglomération par une forte
hémorragie : il s’agit de Diwane Sylla (alors deuxième agglomération), Boulal
Seck, Diaharky et Thialouguel, les plus anciens villages de la zone.

Ces menaces des marabouts sur les terroirs des villageois en exode ne se
limitent pas à l’Arrondissement de Darou Mousty, elles concernent toutes les
zones du Vieux Bassin arachidier.
Ces chefs religieux tentent de légaliser leur forfait avec la complicité des
Conseils ruraux. C’est tout le contraire à Sagatta où le PCR affirme faire
usage de dilatoire et de jeu de cache-cache pour protéger les terres de sa
communauté rurale des ambitions des marabouts.

Son stratagème consiste à se cacher derrière la compétence du conseil rural


et de ne jamais à soumettre cette instance l’approbation des requêtes de ces
derniers sur les terres des paysans en exode, faute d’eau.
Ces mesures de sauvegarde des terroirs sont certes salutaires mais
insuffisantes puisque ne résolvant le mal à la racine. Il s’agit de régler le
problème de l’eau. Ces villages qui déménagent de leur terroir faute d’eau
sont tentés d’y revenir pendant l’hivernage pour l’exploiter. Pour une solution
définitive, les émigrés en synergie avec le Conseils ruraux, les villages et les
ONG tentent de trouver le financement de forage.

III.2.3.4 La contribution des migrants internationaux au développement


des terroirs ruraux situés dans l'est du Vieux Bassin arachidier

Cette contribution concerne la solution des problèmes d’eau et de facteurs


de production

Dans l’Arrondissement de Darou Mousty, il y a une migration pendulaire entre


l’espace de l’Arrondissement et Touba. En morte saison, Touba reçoit les
villages ; en hivernage, les villages retrouvent leurs terroirs agricoles, les
problèmes d’eau sont amoindris puisqu’on s’approvisionne dans les mares.
La taxe rurale est payée pour sauvegarder le terroir (exemple de Mbeye 1 et
Mbeye 2, et Taltal)

Il y a même des villages ayant connu une renaissance à la suite du retour des
habitants.

Ce retour vers les lieux de départ résulte de la combinaison d’une part du


facteur répulsif de Touba devenu une ville difficile à vivre, et d’autre part les
investissements des émigres concernant l’eau en partenariat avec les ONG.
C’est le cas des villages de Barga et de Darou Diatme (CR de Touba Merina)
qui ont déménagé vers Touba, pour raison de manque d’eau.

Il y a une dynamique de retour au village après la réalisation d’un point d’eau


avec l’aide de l’AFDS.

La participation des émigrés se fait en payant la contrepartie exigée par le


partenaire au développement.

A Keur Matop, les émigrés ont donné une contrepartie : 600 000 FCFA (PIA
2003)

Pour résoudre ce problème d’eau qui se trouve être la principale contrainte


dans cette zone, on note le déploiement d’un effort immense des CR avec
l’appui des émigrés et des partenaires au développement. Exemples…
Toutefois la contrainte majeure pour les migrants pour diversifier leur
stratégie d’insertion économique et vivre le mode de vie urbain reste
l’absence de villes alternatives et de bourgs ruraux importants dans cet
environnement d’habitat dispersé. Et cette situation génère souvent des
conflits d’intérêt entre migrants et résidants des villages.

On note que la décision de déménager sème le germe de la division dans


certaines communautés. Des villages résistent au déménagement ou se
divisent en deux camps opposés : les vieux qui ne veulent pas partir a Touba
et les jeunes qui les y invitent leur refusent toute assistance.

De ce point de vue, il parait intéressant de souligner l’exemple de Ndiayene


Toul, un village de Arrondissement de Sagatta confronté au problème d’eau.
Comptant une forte colonie d’émigrés pour la plupart ayant localisé leurs
activités et leurs maisons à Touba, le village est divisé par un projet de
forage. Ce désaccord oppose les Vieux et les Jeunes. Après avoir pris un
engagement de payer une contrepartie auprès de la CR pour avoir leur
forage, les habitants du village se sont rétractés après, arguant l’impossibilité
de respecter leur engagement du fait de l’invasion des criquets qui ont ruiné
tous leurs espoirs.
En réalité ce sont les émigrés sur lesquels ils comptaient pour financer leur
contribution qui leur ont finalement demandé d’abandonner le village et d’aller
à Touba, où ils pourraient trouver des conditions décentes de vie sans trop de
frais. Mais puisque la plupart de ces paysans étaient des pasteurs (de
confrérie non mouride), ils ont préféré décliner l’offre et remettre à plus tard la
mise sur pied de leur forage.
De toute manière, les terroirs villageois restent l’enjeu : au début de cet
exode vers Touba, les départs des ruraux étaient souvent suppléés par des
arrivées de marabouts avec leur cohorte de disciples pour appréhender les
terres laissées vacantes par les candidats à l’exode et s’y installer comme ce
ribat à l’image de Touba à l’origine.
Cela traduit aussi que les terroirs villageois restent toujours fonctionnels et
que la campagne garde tout son attrait et sa disposition à exercer sa fonction.
Ces villageois qui passent la saison sèche à Touba et retournent au village
pour s’adonner à l’agriculture ont sans doute eu le soutien de leurs enfants
émigrés. En effet, malgré l’absence de terroir agricole de la capitale
religieuse, les parts de transferts d’argent utilisés à des fins agricoles sont
importantes.

Le tableau suivant montre les niveaux des transferts par voie postale à Touba
et le nombre de bénéficiaires.

Tableau 45 : mandats postaux à Touba 2001 - 2004


ANNEE MONTANT NOMBRE
BENECIAIRES
2001 22 475 958 3500
2002 20 123 149 2448
2003 26 833 271 1224
2004 42 500 430 319
Source : Poste de Touba

Par rapport à cette masse d’argent transférée, l’utilisation est déterminante


pour l’activité économique de la ville, mais aussi pour les zones rurales,
zones de départ des citadins.
Tableau 46 : utilisation des transferts monétaires à Touba
Utilisations montant % montant % montant %
Besoin 2.730000 15 8.020000 1.077200 41
personnel
Nourriture 9.550600 53 - - 9.550600 37
Agriculture 5.766400 32 - - 5.766400 22
Total 18.02000 100 8.020000 100 18.822000 100
Source : M, Fall, 2005

Nous retenons des sommes indiquées dans ce tableau que sur deux
montants des trois dernières années (2002, 2003 et 2004), soit 18 020 000
et 18 822 000 F CFA.

La part de l’agriculture représente respectivement 32 et 22 %, soit environ


entre le tiers et le quart des transferts d’argent. Cette part maintient l’activité
agricole des familles qui ont des terres dans les villages qu’ils ont quittés.
Cela assure le développement du terroir de la campagne.

100%
90%
80%
70%
60%
%

50%
40%
30%
20%
10%
0%
2002 2004
Années

Besoin en personnel Nourriture Agriculture

De même, dans les zones ou les marabouts ont réussi à s’installer et à


s’imposer, la campagne se repeuple en profitant de l’aura de pôle humain
que constituent les chefs religieux. Et cela est arrivé avec les villages situés
dans l’axe Dakar – Saint-Louis.
Mais l’offre de l’émigration ne se limite pas aux investissements des émigrés.
En effet à ces initiatives économiques s’ajoute la recherche de partenaires
d’appui au développement dans le cadre ouvert par la coopération
décentralisée. Coopération dont la réussite apporte un plus à la dynamique
de développement des bourgs ruraux et un bon maillage du territoire
départemental voire régional consolidant les facteurs attractifs du milieu.

III.3 MIGRATION INTERNATIONALE, COOPERATION


DECENTRALISEE ET COMPETITIVITE TERRITORIALE
La coopération décentralisée est une compétence reconnue aux collectivités
locales mais dans la pratique, elle souffre de limites que des migrants
internationaux vont aider à contourner.

III.3.1 LES LIMITES DE LA COOPERATION DECENTRALISEE

Cette dernière forme de coopération est retenue dans les textes législatifs.
En effet l’article 17 de la loi 96-06 portant code des Collectivités locales
prévoit celles-ci ont la possibilité « dans le cadre de leurs compétences
propres, d’entreprendre des actions de coopération qui donnent lieu a des
conventions avec des Collectivités Locales de pays étrangers ou des
organismes internationaux publics ou privés de développement ». La mise en
œuvre de cette disposition législative semble trouver une parfaite
concordance avec la loi française en ce domaine. En France, l’article L1112
– 1 du code des Collectivités Locales prévoit que « les Collectivités
Territoriales et leurs groupements peuvent conclure des conventions avec
des Collectivités Territoriales étrangères et leurs groupements dans les
limites de leurs compétences et dans le respect des engagements
internationaux ». Bien que cette concordance semble donner un feu vert pour
entrer en contact avec ces Collectivités Territoriales, quelles opportunités
s’offrent pour leur saisine ?
Pourtant ce ne sont pas les instances internationales qui manquent : il y a par
exemple, la Fédération Mondiale des Villes Jumelées, l’UNITAR (l’Institut des
Nations Unies pour la Formation et la Recherche, Programme Coopération
Décentralisée) qui a mis sur pied les centres CIFAL (Centres Internationaux
de Formation des Autorités/Acteurs Locaux). Mais ces instances ne sont pas
accessibles a toutes les Collectivités Locales et localités de manière
équitable : les villes et des collectivités de certaine échelle comme les régions
sont les mieux placées pour en profiter.
Des avantages de ce type de coopération sont obtenus à travers différentes
stratégies.

Les stratégies du « conteneur » (voir annexe), celle des microprojets, la


stratégie de programme et la stratégie de développement concertée sont
utilisées pour accompagner et consolider le développement local.
De ce point de vue, ce sont les migrants internationaux qui, à travers leurs
associations, jouent les principaux boute-en-train.

En effet que seraient les différents projets des ONG et des Collectivités
Locales si les migrants internationaux n’offraient pas leur concours pour
donner les contreparties réclamées par les premiers ? Car ces dernières sont
souvent confrontées aux difficultés de collecte des impôts.
Au plan local, des villages et des villes ont bénéficié de la coopération avec
les ONG du Nord avec certaines localités (Kébémer, Guéoul, etc.). Citons
quelques exemples.
Si c’est en Italie qu’on trouve la plus importante communauté kébéméroise à
l’étranger, ce sont les villes de Pise, Florence et Pescara qui accueillent les
plus forts contingents. L’importance et le dynamisme de nos ressortissants à
Pise ont conduit au jumelage de cette localité avec la ville de Kébémer. Cette
initiative suscitée par les émigrés a noué une coopération décentralisée entre
les deux communes qui ont été riches en opérations.
En effet, cette coopération a donné pour l’instant un lot de matériel destiné à
l’équipement à la Mairie en ordinateur et fax. En plus une enveloppe de dix
neuf millions (19 000 000) F CFA est destinée à la réhabilitation du marché
de la ville et la construction de dix huit (18) nouvelles cantines.

En outre la commune a reçu 200 tables bancs, et cinq projets ont été
sélectionnés pour cinq quartiers de la ville : deux moulins à mil, une banque
de céréales à Galla Mbengue et une embouche bovine pour le quartier
Escale. Cette initiative a eu des effets car elle est imitée par d’autres
ressortissants qui se trouvent dans d’autres pays. Ainsi un autre ressortissant
de Kébémer a mis en rapport l’équipe municipale avec une ONG française
Béziers-Sud Ouest sans frontière. Celle-ci a remis un important lot de
matériels sanitaires et promet d’équiper le centre de santé de tables
d’opération, une radio mobile et un cabinet dentaire complet (actuellement
opérationnel).
Aujourd’hui, cette coopération décentralisée franchit d’autres paliers, la région
de Pise élargit sa coopération à toute la région de Louga. Elle agit dans le
cadre d’une coopération de toutes les régions italiennes avec celles du
Sénégal. Cette coopération vise la réinsertion des émigrés de retour et le
développement régional.

III.3.2 L’évolution de la coopération décentralisée

Apparemment, la coopération décentralisée avec l’Italie n’a couvert jusqu’en


2000 que la ville de Kébémer. Depuis cette année à la suite de la visite du
Président de la République du Sénégal en Italie, la coopération décentralisée
va désormais s’étendre à toute la région de Louga. Le fondement d’une telle
généralisation est la dimension nationale envisagée pour la coopération
décentralisée. En effet, ce type de coopération va concerner toutes les 10
régions (Matam non compris) du Sénégal en rapport avec les 10 Provinces
de l’Italie. Déjà des protocoles d’accord ont mis en rapport les régions aux
provinces suivantes :
Chaque région du Sénégal est représentée en Italie par le consul et le
démembrement provincial de la Coordination des Associations Sénégalaises
en Italie.
Le financement de la coopération décentralisée est estimé à 42 milliards
pour la période 2003-2005. Les fonds sont composés de la participation de la
province italienne, celle de l’Etat italien par le biais du Ministère des Affaires
Etrangères et celle de l’Union Européenne (U.E).
Tableau n°47: coopération décentralisée entre Provinces italiennes et
Régions sénégalaises
Provinces Régions du Secteurs
italiennes Sénégal d’intervention
Pise Louga Agriculture et
élevage
Florence Thiès
Livorne Dakar Activités et
Equipements
portuaires
Massa Tambacounda Exploitation du
marbre
Arezzo Fatick
Prato Kaolack
Lucca Kolda
En projet :
Saint-Louis
Ziguinchor
Diourbel

Source : interview de Monsieur M. Thiam41 2002

L’exécution des projets au niveau de chaque région exige une répartition des
tâches ou contreparties : la Collectivité locale d’accueil : Commune ou
Communauté Rurale donne les terres, le Conseil régional construit les locaux
et la Province apporte le financement.
L’objectif de ces projets est la réinsertion économique des émigrés de retour.
Dans le cadre de la coopération décentralisée dans la région de Louga, la
Province de Pise a envoyé du 20 au 23 Janvier 2003 une délégation pour
rencontrer les autorités régionales de Louga et rendre visite aux partenaires
locaux. Cette délégation comprend le directeur du Centre Nord Sud pour la

41
Monsieur Massamba Thiam est coordonnateur national des Emigrés, chargé de l’information et de la
presse, de Matlaboul Fawzeini , coordonnateur ARK Kébémer
coopération, l’Assesseur Provincial chargé du développement et Président du
Centre Nord Sud, et un docteur vétérinaire et M. Massamba Thiam délégué
régional pour la coopération et membre de la communauté sénégalaise de
Pise.
Cette délégation a rencontré le Ministre de l’Agriculture, le Ministre chargé de
la décentralisation
Le projet envisagé dans la région est programmé à Linguère : il comprend
une boucherie moderne et une usine de traitement des peaux.
Des projets de la coopération décentralisée ont eu pour cadre plutôt les villes
que les campagnes.

Cependant force de noter que les émigrés de Kébémer n’ont pas attendu
cette opération pour préparer leur retour et leur insertion économique. Pour
s’en convaincre, essayons d’évaluer un peu en jetant un regard sur les
investissements directs des émigrés.

La place de la migration internationale dans la coopération décentralisée est


différente selon les localités ; la coopération décentralisée est une
dimension de la stratégie de développement local. Sa consistance est en
relation inverse avec l’ampleur de l’action (ou des initiatives) étatique.
Là où l’Etat s’impose par l’expression de sa toute puissance (en occupant
tout l’espace), la coopération décentralisée et le développement local se
réduisent à leur plus simple expression.
Entre les villes de Kébémer et de Louga, cette différence saute aux yeux :
dans la première ville, les émigrés prennent beaucoup d’initiatives et
suppléent la carence des élus locaux. En revanche, dans la capitale
régionale, les autorités municipales laissent moins de place aux émigrés en
raison de leur toute puissance ou autosuffisance. En conséquence, sur le
plan régional les émigrés de Kébémer sont les plus grands initiateurs de la
coopération décentralisée.

Les initiatives des émigrés prennent toute leur ampleur là où l’Etat est moins
présent. C’est le cas des villes secondaires. La région de Louga semble avoir
combiné cette dichotomie : Sur la coopération décentralisée contractée au
niveau local par les Collectivités Locales elles-mêmes, les contributions des
migrants internationaux permettent de satisfaire aux exigences financières
des ONG et Programmes pourtant si nombreux. (Tableaux ci-dessous).

Tableau 48 : Partenariat local et développement : ONG intervenant


dans les départements de Kébémer et Louga

Intervenants Domaine et lieu Localisation


d’intervention
Radi (réseau africain Ordures ménagères Siège : Mékhé
pour le Epargne/Crédit Commune de
développement Formation en gestion Kébémer
intégré) de crédit pour les
femmes
CISV ( ONG Allégement des Louga,
Italienne) travaux des femmes
Arrondissement de
Sagatta ; extension
vers les
Arrondissements de
Darou Mousty et
Ndande
PFD (Population, Alphabétisation, Kébémer
Femme et Santé
Développement)
CADEC (Comité Alphabétisation
d’Appui
GEC Epargne/Crédit
(fonds Ministère de la
femme)
MECARUL Epargne/Crédit
(artisans)
World Vision / Epargne/Crédit
Mutuelle Alphabétisation
FADEC NJAMBUR
FDEA Epargne/Crédit
ADEF Afrique Alphabétisation
FADJAR Alphabétisation
PROMO ART
DISC
ANCAR
AFDS
PADMIR Kébémer
PSSA
ANAFA
CVCS
PSIDEL/Dakar Dakar
FNPJ/Dakar Dakar
SOS SAHEL Louga
International
ARD Louga
Projet « Alizé »
Projet Biodiversité Thiès
ARDECOM
DGL/FELO
USU/PSAOP Louga
USAID/BASICS
USAID/MSH
HUNGER PROJECT
AQUADEV Louga
Source : PADMIR-KEBEMER
L’importance de la représentation des ONG dans le Vieux Bassin Arachidier
comme l’indique le tableau fait penser à une substitution de l’administration
de l’Etat supposée faire du développement par une autre qui lutte contre la
pauvreté. Peut-on affirmer qu’avec le dépérissement de l’administration du
développement émerge celle de la pauvreté ? Leurs activités comme le
montre le tableau s’occupe peu d’investissements productifs et beaucoup
plus d’assistance sociale ou d’encadrement dans cette voie. De toute
manière par leur lieu d’implantation ou localisation de leur siège et de leur
espace ou territoire d’intervention, elles contribuent à la dynamique des
relations villes-campagne et la reconquête des arrière-pays par les villes.
Cette dimension des relations villes-campagne est très remarquée dans le
cas de la ville de Louga et son arrière-pays rural (tableau 51)
Aussi, peut-on déplorer ce déséquilibre que la coopération décentralisée
établit entre monde urbain et rural. Cette lacune semble avoir pour origine les
textes organisant ce type de coopération avec la campagne. En effet, il y a
des difficultés de trouver des collectivités locales correspondantes aux
communautés rurales sénégalaises, en Italie par exemple. Ainsi hormis
l’intervention locale de quelques ONG, le volet coopération avec les villages
est presque nul. Mais comme pour corriger cette lacune, les migrants
internationaux s’organisent et prennent des initiatives au niveau de leurs
localités.
A Guéoul, Sur le plan du développement communautaire, les émigrés ont
apporté à Guéoul la contribution qui lui était demandée par l’USAID pour
construire un centre de santé (interview PCR, 2001) ;

De même, ces émigrés ont pu de leur propre initiative obtenir l’intervention


d’ONG étranger dans leur terroir. C’est le cas de l’ONG espagnole Mallerca
Solidaria qui a consenti une somme de trente deux millions (32 000 000)
FCFA pour appui au développement de l’éducation et de l’hygiène scolaire
avec la construction de classes et de latrines dans les écoles. A ce propos,
une répartition spatiale des investissements a ete faite et quatre sites vont
beneficier de ce financement : Nguéoul village, Khadji Gueye, Bakhia Ndiaye
et Ngouye Diawaar. Ainsi des classes sont construites à la place d’abris
provisoires.

Tableau n° 49 : ONG et relations villes-campagne dans le département


de Louga
ONG basées à Domaine Localités
Louga d’intervention et bénéficiaires
réalisations
Plan International Semences Nieme Cissé
Gestion de moulin à Nguidilé
mil et décortiqueuses Dielerlou Syll
Santé Keur Maib
Alphabétisation Gouyar 1
Construction et Gouyar 2
réhabilitation de Mbarome
classes Diop
Magasins céréaliers
Petit commerce
Agriculture
Elevage
Adduction d’eau
Caritas Moulin à mil Dara Diagne
Dielerlou Syll
Vision Mondiale Hydraulique (forages, Nguidilé ;
puits) Baqia Dia
Cases de santé Kaip Dia
Environnement Keur Maip
(reboisement) ; Gye
Maraîchage Djimbé seck ;

DISC Santé (cases de Dielerlou Syll


santé, formation de Rité Diaw
matrones, Oulingara
dotation ….) Tall
Kébé
Ndeukta
Source : ENEA -Rapport de Stage d’analyse 2000 ; pp 22-23 : extrait
(tableau complet voir Annexe)
Toutes ces initiatives confirment que les émigrées ne sont pas de simples
investisseurs confinés à des motivations économiques, mais ils ont aussi des
préoccupations d’intérêt général avec le souci du développement local.
De ce point de vue, ils interviennent dans d’autres espaces de la vie sociale
comme la coopération décentralisée.
Ces initiatives ont dû convaincre l’Etat à mieux reconsidérer la place des
émigrés dans le développement local et dans la recherche de partenaires
pour le développement. Cette mesure avait été prise par la Commune de
Kébémer qui a été un précurseur dans ce domaine suivant en cela les
nombreuses initiatives de ses ressortissants à l’étranger.

III.3.3 MIGRATION INTERNATIONALE, DYNAMIQUE SPATIALE ET


COMPETITIVITE TERRITORIALE.

L’habitat est le reflet des options de localisations des investissements. Dans


les villages sans terroirs la tendance est de venir construire dans les lieux
centraux qui offrent plus d’opportunités de conversions à leurs activités
économiques. Alors que dans la campagne ou les conditions le permettent,
on assiste à une exploitation du terroir tout en menant des activités
commerciales en ville. Une troisième situation est offerte par les villages dont
le terroir est traversé ou est proche des routes ou plus généralement des
réseaux : ces villages se déplacent pour s’aligner sur les réseaux a mi-
chemin entre les villes et le terroir.

Les Communautés Rurales et les localités situées sur l’axe Dakar – Saint-
Louis développent une plus grande densité. Corrélativement les villes et les
bourgs ruraux connaissent une croissance démographique plus importante
qu’à l’est. (Tableau n° 51 et carte n°14 : l’évolution de la densité des
Communautés Rurales)
Tableau 50 : La hausse de la densité des CR situées dans le Vieux
Bassin Arachidier le long de l’axe Dakar – Saint-louis

N CR 1976 1988 2002 Variations


Département de Louga
Arrondissement de Mbédienne
1 Mbedienne 45 31 -14 29 -2
2 Nguidile 49 61 +12 74 +13
3 Kelle Guey 51 67,6 +16,6 78 +10,4
4 Niomre 44 41 -3 41 +0
Arrondissement de Coki
5 Koki 57 17 -40 27 + 19
6 Ndiagne 63 76,6 +13,6 98 +21,4
7 Pete 31 31 0 40 +9
ouarack
8 Thiamene 30 38 +8 43 +5
Département de Kébémer
Arrondissement de Ndande
9 Ndande 60 97 +37 122 +25
10 Bandegne 40 40 +0 44 +4
11 Diokoul 39 42 +3 48 +4
Ndiawrigne
12 Kabe Gaye 28 23 -5 19 -4
Arrondissement de Sagatta
13 Thieppe 18 19 +1 18 -1
14 Sagatta 62 60 -2 74 +14
15 Thiolom 60 64 +4 74 +10
16 Kanene 57 45 -12 37 -8
ndiob
17 Loro 46 40 +6 40 +0
18 Gueoul 62 72 +10 87 +15
Arrondissement de Darou Mousty
19 Darou 42 52 +10 62 +10
Mousty
20 Mbadiane 19 33 + 14 60 +27
21 Ndoyenne 36 40 +4 44 +4
22 Sahm 14 16 +2 30 +14
Yabal
23 Touba 34 27 -7 18 -9
Merina
Source : DPS
Carte n° 14 : Evolution Densité des Communautés rurales 1976-2002
Cette évolution se traduit aussi dans la réussite des politiques de
décentralisation avec une collecte plus importante de la taxe rurale et des
niveaux d’investissements plus importants que par le passé (voir annexe).

Tableau 51 : l’évolution des établissements humains situés à l’est et à


l’ouest du Vieux Bassin

Localités/ 1966 1976 1988 2000


ans
Kébémer 3500 6769 8120 14
321
Darou 2107 9310 13
Mousty 12942 893
Sagatta 896 1789 1886
1500
Guéoul 845 2328 2530
3675
Source : DPS, 2005

16000
14000
12000
Kébémer
10000
Nombre

Darou Mousty
8000
Sagatta
6000
Guéoul
4000
2000
0
1966 1976 1988 2000
Années

Aussi la ville de Kébémer chef-lieu de département reprend le dessus sur


Darou Mousty, et le village de Guéoul devance Sagatta son chef-lieu
d’Arrondissement.

Cela confirme aussi l’urbanisation et la croissance des villes de Kébémer et


Louga respectivement avec des taux de 3,32 et 3,95. Ce qui annonce une
reprise de la croissance démographique (tableau et courbe ci-dessous).
Tableau 52 : Evolution du taux de croissance moyen annuel des
villes de Kébémer et Louga de 1961 – 2002

Périodes 1961- 1976 1976 - 1988 1988 - 2002


Louga 4,94 3,71 3,95
Kébémer 4,50 1,52 3,32
Source : DPS

5
Taux de croissance

4
Louga
3
Kébémer
2

0
1961- 1976 1976 - 1988 1988 - 2002
Périodes

La ville de Louga connaît un fort taux de croissance de 3,95. Mais ce n’est


pas un fait nouveau. Même au plus profond niveau de la crise dans les
années 70, Louga avait atteint des taux de croissance urbaine élevée du fait
sans doute de la fonction de capitale régionale qu’elle exerce.
En revanche, et voici le fait nouveau : la ville de Kébémer a connu un taux
croissance moyen annuel de 3,32% en 2002, ce qui dépasse le taux de
croissance de 1,52 de la période précédente, renouant ainsi la dynamique
démographique de la période faste de l’économie arachidière. Cela montre
aussi que la ville commence à retenir ses natifs et même accueillir d’autres.
La ville a développé alors des facteurs attractifs. Mais les croissances
démographiques des villes de Louga et Kébémer ont fait naître un
phénomène spatial inédit et original.

En effet avant que la ville n’atteigne les limites du périmètre urbain, c’est à
l’intérieur de la commune que venait s’installer les ruraux.
Ainsi naquirent des quartiers spontanés comme Faq Dek à Louga et Cité
Niakh à Kébémer. L’intégration de ces quartiers par restructuration et leur
modernisation partielle par les transferts de la migration internationale ont été
réalisées.
L’augmentation de la demande en parcelles des citadins a poussé et les
stratégies de certains ruraux a venir s’installer de manière spontanée à l’orée
de la ville pour se faire intégrer lors des prochains lotissements a provoquée
des empiétements sur les terroirs ruraux des communautés rurales.
Lesquelles n’ont pas manqué de réagir. Par exemple la ville de Kébémer a
connu ce phénomène d’extension. La ville étouffe dans son périmètre initial,
et du fait de son étalement empiète sur les Communautés rurales voisines.
Ceci la met en conflit avec ces dernières. Pour défendre son terroir et stopper
la ville dans ses limites légales, la Communauté rurale de Ndande anticipe
sur l’extension de la ville en affectant des parcelles a des tiers dans les
confins du périmètre urbain, obligeant ainsi les autorités municipales au
dialogue.

Aujourd’hui le phénomène d’exode rural a changé de stratégie d’intégration


de la ville, et de site de localisation. Au lieu d’intégrer directement le territoire
urbain, ce sont maintenant les villages proches des villes qui servent de lieu
d’accueil et de tremplin à l’intégration du territoire urbain. Ce même terroir
villageois en raison de sa proximité, est convoité par les citadins qui tentent
d’y trouver des parcelles à usage d’habitation. Cette situation est favorable à
des pratiques de spéculations foncières et mène vers des conflits de
compétence entre le chef de village et les autorités municipales. En effet le
premier cherche à aménager à sa manière son village en faisant un
alignement ; à l’opposé, les seconds cherchent à intégrer le village dans leur
périmètre communal et le cas échéant faire un lotissement qui prévoit des
équipements et des infrastructures.
A ce niveau, il y a des stratégies croisées. Ce sont surtout les villages
enclavés et éloignés de la ville qui viennent. La ville de Kébémer est
confrontée à des difficultés de ce genre avec le village voisin qu’elle a tenté
d’engloutir, c’est le village de Ndia qui a son tour a essayé de défendre son
terroir agricole et sa souveraineté.
De telles intégrations des villages se sont traduites par une extension spatiale
et un empiétement sur les terroirs villageois. Et pour trouver la solution idéale
pour la ville, les autorités municipales ont pris langue avec les Conseils
Ruraux des Communautés Rurales limitrophes d’une part et saisi le Chef de
l’Etat d’autre part de la question d’étouffement des villes dont les périmètres
étaient ainsi limitées depuis l’époque coloniale.
La demande en espace dans les deux villes ne dépasse guère l’offre légale
du périmètre urbain ; mais elle est satisfaite au détriment des communautés
rurales voisines et dans une certaine forme d’habitat spontané dans de
nouveaux quartiers : les faq-dek à Louga et Cité niakh à Kébemer (voir carte
de la ville de Louga en annexe)

Les limites communales de Louga comprises dans 1800 hectares depuis


1854 sont restées inchangées alors que la demande actuelle s’élève à 3035
hectares (IAGU) qu’il faudra nécessairement amputer de la Communauté
Rurale de Nguidilé. De même la ville de Kébémer qui à la même période
n’avait que légalement 400 hectares s’étend aujourd’hui sur 1700 hectares en
empiétant sur l’espace rural. Sa dynamique actuelle lui impose une demande
spatiale qui l’oblige à négocier avec les Communautés Rurales voisines
quelques 1,5 kilomètres de chaque côté, ce qui lui permettrait d’avoir un
périmètre de 2500 hectares. Les Communautés rurales ont donné une
réponse positive, mais non pas dans les dimensions voulues par la ville ;
certaines ont refusé et réduit leur offre à un kilomètre (Voir dossier en
annexe).

Ce consensus avec les Communautés Rurales a mis un terme aux conflits


avec les villages qui refusaient toute intégration à Kébémer et leurs ambitions
sur leur terroir. Un décret présidentiel est signalé aux chefs de villages
rebelles pour justifier la préhension de leur terroir au profit de la Commune.
Il résulte de ces conflits et des concertations un nouvel équilibre villes-
campagne : les campagnes obtiennent un droit et un pouvoir de contrôle sur
leur territoire et sur celui de la ville.
Mais comme on peut le noter, ces problèmes entre villes et campagne se
passent surtout à l’ouest autour de l’axe Dakar – Saint-Louis ou même les
bourgs ruraux connaissent un développement plus important. Le tableau
suivant renseigne sur cette évolution qui redresse des déséquilibres liés à la
conjoncture de la crise arachidière et de la compétitivité de l’axe Banjul -
Touba.- Nouakchott.
Il résulte de cette évolution que les villes autant que les Communautés
Rurales situées sur l’axe Dakar – Saint- Louis d’une part et celles à l’est
autour de Darou Mousty connaissent une nouvelle dynamique
démographique (voir carte n° 14 p 338 ) et de développement économique
(voir en annexe le niveau de recouvrement de la taxe rurale et les
niveaux d(investissements)..

Ainsi les zones d’émigration deviennent des zones de repeuplement : la


désertion de certains milieux ruraux laisse des terres en friches que certains
marabouts viennent occuper. Mais ces derniers servent de pôles humains
attirant avec eux l’installation de daaras et population. Le retour observé de
certaines catégories de paysans déçus par l’exode vers Touba se traduit par
un repeuplement des zones rurales avec l’aide des émigrées et des
partenaires au développement. Cette reprise démographique a une
dimension économique du fait des transferts d’argent qui la suscite et donne
a terme revitalisation des anciens territoires économiques basés sur
l’équilibre villes-campagne. Alors les relations avec la ville se développent
davantage.

L’Etat républicain naissant avait demandé en vain le regroupement de


l’habitat pour une bonne efficience de l’exploitation des infrastructures et
équipements modernes ; mais apparemment, c’est le poids du terroir dans la
vie rurale qui était plus déterminant que les offres d’équipements annoncés
par le Gouvernement. Cette situation a fait que la campagne est demeurée ce
qu’elle a été pendant une longue période.
Conclusion

La nouvelle donne économique introduite par la migration internationale


(avec les opportunités offertes par les politiques de décentralisation) dans la
campagne fait que le terroir n’est plus le centre de l’activité rurale autour
duquel se structure la vie de la campagne. Le terroir se marginalise peu à
peu et entre partiellement dans la stratégie de la campagne comme une
source de revenu d’appoint et à temps partiel car le temps de la campagne
semble avoir changé du fait de leurs activités continues qui ne se limitent plus
à l’espace rural, mais inclut l’espace urbain.

La distribution spatiale des revenus de transferts et la crise agricole


expliquent l’adoption d’un genre de vie urbain et la diffusion et la
multiplication de certains types d’investissements (boulangerie, pharmacie).
De ce point de vue on note une certaine stratégie d’occupation du marché
local (facteur de localisation) par les émigrés et des investisseurs originaires
de la localité. Cette dynamique d’investissements se traduit par le
développement des centres ruraux et ouvrent des perspectives d’emplois.
Cette dynamique de développement explique l’élasticité du marché du fait de
l’augmentation de la demande en quantité et en qualité déterminant une offre
adéquate.

Il s’ensuit un phénomène de retour des travailleurs en exode qui trouvent


localement des opportunités de réinsertion économique.

Cette animation du marché des centres ruraux tend à accroître l’activité


économique qui permet le rapprochement du marché et réduire la distance
avec le marché urbain qui est suppléé dans une certaine mesure par les
marchés ruraux dont les services sont multiples.

L’adoption du genre de vie urbain et la stratégie de pénétration du marché


par les émigrés peuvent expliquer la volonté de relier la ville et le village, car
l’accès au marché devient quotidien et non plus hebdomadaire.

Une dynamique susceptible de provoquer la relance des activités urbaines et


rurales et la reprise de leurs fonctions économiques respectives.
Ce poids des agglomérations a sa dimension économique avec le
développement des marchés.

Ceci a fait jouer l’effet d’agglomération sur les émigrés en quête de lieu
d’investissement et aussi de non émigrés ou simples travailleurs soucieux de
trouver des lieux favorables à leurs activités. Ainsi en plus des émigrés, on
voit l’arrivée d’hommes d’affaires qui tenaient des investissements ailleurs
dans d’autres régions. C’est le cas à Guéoul, à Ndande, à Darou Mousty et à
Sagatta qui accueillent des investissements comme ceux relatifs à la
boulangerie introduits par des ressortissants locaux émigrés ou non.

Les transferts de ressources financières et matérielles de l’émigration ont


donné une nouvelle dimension aux relations villes-campagne. Ils assurent
une augmentation des flux d’échanges et revitalisent les réseaux sociaux qui
assurent l’essor de fonctions urbaines aussi bien en ville que dans les centres
ruraux.

La migration internationale a redéfini la stratégie d’occupation de l’espace en


modifiant largement l’habitat.

L’habitat est le reflet des options de localisation des investissements. Dans


les villages sans terroirs la tendance est de venir construire dans les lieux
centraux qui offrent plus d’opportunités de reconversion à leurs activités
économiques. Alors que dans la campagne où les terroirs agricoles le
permettent, on assiste à un retour massif vers l’agriculture tout en
s’investissant dans des activités commerciales en ville. Une troisième
situation est offerte par les villages dont le terroir est traversée ou est proche
des routes ou plus généralement des réseaux : ces villages se déplacent
pour s’aligner sur les réseaux et se retrouver à mi-chemin entre les villes et le
terroir.

Malgré toutes ces dynamiques de l’habitat qui se traduisent par son


regroupement ou par la relocalisation des populations rurales et de leurs
villages, la campagne ne semble pas menacée ni dans son existence ni dans
sa configuration. Au contraire, on peut noter :
- qu’elle continue à pourvoir en population les villes de la région en
restructurant les flux de migration et leur direction en les orientant au lieu du
traditionnel exode vers les autres régions ;
- Qu’il n’y a pas d’abandon du terroir villageois, même si on note une
délocalisation (ou déménagement fréquent) du village voire sa disparition.
- Que le terroir connaît un regain d’exploitation à des fins agricoles, malgré
les nouvelles politiques de l’Etat en matière rurale, du fait du soutien des
émigrés.
- Que la campagne se trouve dans une logique de diversification de ses
activités, ce qui explique ses déplacements, ses relocalisations et ses
mouvements pendulaires entre terroirs agricoles et agglomérations. Cette
dynamique s’inscrit largement dans la stratégie des émigrés qui consiste à
employer tous les bras du ménage : faire émigrer tous les candidats dans la
mesure de leur possibilité, par la prise en charge des frais du voyage, et pour
les recalés et autres, assurer leur insertion économique sur le plan local en
développant des activités génératrices de revenus. Cette mouvance tend à
développer la campagne dans ses fonctions traditionnelles. De même le
transfert de ressources financières et matérielles, la diffusion du mode de vie
urbain en campagne, la pénétration du marché urbain par l’élargissement et
la diversification du secteur de la distribution liée à celle de la demande en
ville, lieu de transit des transferts et lieu d’approvisionnement.
Tout cela contribue à corroborer l’élévation du niveau de vie dans le Vieux
Bassin arachidier. Un tel constat ressortant aussi des résultats d’une étude
sur la pauvreté ne mentionne pas certes le rôle des migrants internationaux
dans les changements en cour dans la région de Louga. Mais on peut noter
que depuis la crise arachidière, aucune politique n’a réussi à redresser
l’économie régionale. Celle-ci a été plutôt largement concurrencée par celle
des régions avoisinantes. Cependant la reprise de la dynamique économique
dans les différents départements du Vieux Bassin arachidier va résulter
beaucoup plus des injections de ressources de transferts et l’utilisation qui en
est faite, et d’autre part des initiatives en développement local et coopération
décentralisée des émigrés internationaux.
Les villes ont recouvré leurs fonctions économiques, dans lesquelles la
campagne contribue largement.
C’est d’abord leurs fonctions administratives, certes largement réduites
d’abord à la portion congrue par les Politiques réalistes, mais aussi
renforcées avec l’arrivée d’une « administration de la pauvreté » formée
d’ONG qui tentent de redynamiser les rapports entre la ville et la campagne
avec l’appui discret des ressources de transferts issues de la migration
internationale.
Tous ces changements allant de la recomposition sociale à la reconstruction
des anciens territoires entraînent le développement des relations villes-
campagne. Il en résulte une redistribution de la population régionale. Les
migrations sont désormais internes puisque circonscrites à l’intérieur du
territoire du Vieux Bassin. Cela entraîne une augmentation de la densité de la
population surtout dans l’axe Dakar–Saint-Louis contrebalançant ainsi celui
de Banjul–Touba–Nouakchott. Cette nouvelle dynamique qui traduit une
certaine compétitivité territoriale correspond aux objectifs de l’Etat à travers
sa stratégie d’aménagement du territoire. Elle permet en effet de corriger les
déséquilibres interrégionaux. Pour atteindre cet objectif, on a procédé à la
création de métropoles d’équilibre, de villes secondaires et de centres ruraux.
Mais le problème est l’animation d’un tel dispositif pour que son
fonctionnement puisse créer un équilibre d’une part entre les centres ruraux
et les villages de l’arrière-pays et d’autre part entre les villes et leur
campagne. C’est ce que la migration internationale a réussi en réactivant les
réseaux d’acteurs qui en sont les moteurs et les ressources qui en constituent
l’énergie. Par la coopération décentralisée et dont celle contractée avec des
ONG nationales, internationales et des Collectivités locales étrangères, les
migrants ont montré leur ouverture et leur engagement auprès de leur
communauté d’origine et leur capacité d’intégrer les institutions locales.

La migration internationale a renversé dans une certaine mesure les rôles


institués par l’économie arachidière. En effet, la ville vivait pour l’essentiel de
la valeur ajoutée qu’elle mettait sur la production arachidière rurale. Elle
profitait donc beaucoup plus de l’arachide que la campagne. Celle-ci la
produisait, mais s’endettait à cause de la détérioration des termes de
l’échange et de l’usure.
Avec la migration internationale, la campagne ne s’endette plus, mieux elle
devient créancière et opère des placements de capital en ville.

Celle-ci est devenue le lieu de convergence des investissements productifs


des émigrés urbains et ruraux en raison de son statut d’agglomération.

Les Politiques de développement se sont traduites par une réduction de la


sphère de pouvoir de l’Etat par le biais de la décentralisation. Cette réduction
est vite compensée par les compétences des collectivités locales épaulées
dans leurs missions par les ONG et les migrants internationaux. Ces deux
derniers ont combiné leurs influences et leurs ressources pour redonner au
Vieux Bassin une dynamique économique et spatiale sans précèdent. Celle-ci
passe par un rétablissement de l’équilibre villes-campagne dans lequel la
campagne acquiert un nouveau pouvoir économique et politique. Sur le plan
économique, cette nouvelle donne permet la reprise des fonctions
économiques des terroirs et des établissements humains qui se traduit par le
développement territorial et la compétitivité du Vieux Bassin arachidier. Sur
le plan politique la campagne a acquis un nouveau pouvoir celui de contrôler
les limites du périmètre urbain, puisque la ville ne peut plus se développer
spatialement sans l’autorisation et les conditions des Communautés rurales
limitrophes (voir annexe le cas de Kébémer et son arrière-pays rural).
Dans cette mouvance, la Région de Louga dans tout son ensemble gagne en
dynamique du fait de la détermination de ce foyer nodal qu’est le Vieux
Bassin arachidier.
Maintenant que faire pour maintenir le cap ?
L’équilibre villes-campagne pour se réaliser exige d’une part le
développement des activités transversales ou communes entre les deux
établissements ou de spéculations dont le traitement demande l’intervention
d’aussi bien la ville que la campagne avec une certaine complémentarité ou
une synergie ; ou alors l’utilisation par les ruraux de la fonction
d’agglomération des villes.
Les investissements dans le commerce et l’agriculture ainsi que dans
l’industrie avec la création d’unité industrielle, (telle que celle construite à
Kébémer) par les migrants internationaux entrent dans cette catégorisation
et impulsent une dynamique d’équilibre villes-campagne en rétablissant les
anciennes activités économiques dans les deux espaces voire à en créant de
nouvelles. C’est le signe d’un changement social important qui consacre
l’émergence d’une petite bourgeoisie locale prenant en charge le
développement urbain et aussi rural par des investissements de nature
diverse. Ces investissements redonnent vie aux villes, aux villages centres et
terroirs ruraux. Cette dynamique d’équilibre recrée une économie régionale
plus solidaire, comme l’arachide l’avait réussie, débouchant sur une
compétitivité territoriale qui suscite le retour de plusieurs migrants internes.

Aussi la Région de Louga naguère classée en 1984 comme la moins


urbanisée, avec le plus faible taux d’investissements et l’une des plus
pauvres, figure en 2004 dans le peloton des régions mieux loties.
Mais quel est le facteur déterminant de cette renaissance ?
N’est-il pas alors plus opportun de tirer les leçons alternatives offertes par la
migration internationale ?
L’équilibre villes-campagne repose sur des échanges qui impliquent un
clientélisme tissé par des réseaux sociaux qui préexistent à l’ère coloniale et
appartiendrait de ce fait au mode de production ceddo. Ce sont ces réseaux
qui servent de canal aux transferts de ressources et leur localisation dans
l’espace auxquels s’ajoute la restructuration sociale ayant donné la nouvelle
classe locale d’investisseurs. Les valeurs d’appartenance à la famille, au
terroir et à la localité voire à la Région sont aussi des facteurs de localisation
des investissements des émigrés, lesquels ont aussi souvent besoin de se
revaloriser à travers leurs réalisations physiques soit pour convaincre de leur
réussite ou pour rivaliser avec leurs pairs. Ces valeurs constituent aussi des
forces qui entravent l’évasion des ressources et des investissements vers
d’autres cieux comme l’ont fait les anciens traitants et leurs substituts les
commerçants locaux dont le financement reposait sur l’Etat.
A terme, cet état des lieux n’est-il pas un indicateur du potentiel de
développement de ces sous espaces régionaux qui offrent un cadre idéal de
redynamisation de l’économie régionale en trouvant les moyens de rétablir
l’équilibre villes-campagne ? Ne devrait-on pas repenser le rôle de ces sous
espaces qui à l’image du Vieux Bassin arachidier peuvent jouer le rôle de
pôle de développement et de facteur de compétitivité régionale grâce à leurs
traditions, leurs structures sociales et leurs réseaux sociaux ?

La capitalisation des ressources qui ont servi aux investissements sociaux et


productifs n’a été possible qu’à partir d’espaces où la valorisation du travail
est importante. N’est-ce pas donc en faisant une bonne combinaison des
différentes échelles spatiales que ces résultats sont obtenus : échelle
internationale, où se prennent les décisions qui conditionnent le destin de
notre pays à travers la détérioration des termes de l’échanges et la
dévaluation de la monnaie nationale ; et échelle locale : un espace déjà
structuré par des réseaux dont on a la possibilité d’intégrer et d’utiliser à des
fins commerciales, politiques etc.
N’est-ce pas par ces réseaux dont les migrants internationaux ont réussi à
recréer les conditions de revitalisation (à l’image des vallées fossiles) que
s’amorce une dynamique de rééquilibrage entre villes et campagne ?
Cette dynamique, à laquelle contribuent d’autres acteurs (ONG,
Programmes) dont les interventions sont rendues possibles par les conditions
offertes par les politiques de décentralisation, la coopération décentralisée et
les ressources de transfert, ne reste t-elle pas alors le moteur du
développement local dans le Vieux Bassin arachidier et partant de la
compétitivité de toute la Région de Louga ?
Bibliographie

I.- Ouvrages généraux

BA Cheikh. - Les Peulhs du Sénégal, étude géographique, Dakar, Abidjan,


Lomé NEA 1986, 394 pages.
BERTIN J. -La graphique et le traitement graphique de l’information –
Paris, Flammarion : 1977 : 277 p.
Boubacar Barry. - La Sénégambie du XVé au XIXé siécle : traite négrière,
islam, conquête coloniale, 432p. , Editions Harmattan. Paris 1988
CANALE, J.S. -Afrique Noire occidentale et centrale : l’ère coloniale,
1900-1945 : éditions Sociales, Paris. 1964 ; 637p
CHALEARD J L, DUBRESSON A :- Villes et campagnes dans les pays du
Sud : Géographie des relations, Karthala : 1999 : 258 p
COPANS, J. - Les marabouts de l’arachide : la confrérie mouride et les
paysans du Sénégal Paris – Le Sycomore : 1980 : 263 p
COURTIN R et. MAILLET P: - Economie géographique, Précis Dalloz
637p
DE WENDE, C.W; BERTRAND. (Dir).- Le défi migratoire, questions de
relations internationales.- Paris. -Presses de la fondation nationale des
sciences politiques, 1994, 312 p

DEKETELE, JM et ROEGIERS, X: - Méthodologie du recueil


d’information, Université De Boeck, 1998 : 226 p

Dictionnaire économique et social, 1975

DOLFUS, O. L’espace géographique : Collection Que sais-je n°1390, PUF,


1970, 126p.

DUMONT R.- Paysanneries aux abois.-Paris.- ed du Seuil, 1972.- 255 p


DUPEUX, Georges ; QUALEY, Carlton et al.- Les migrations
internationales de la fin du XVIIIéme siécle à nos jours.- Paris ; Kartala,
1994 –Editions du CNRS, 1980.- 705 p
GASTELLU, J.M. et MARCHAL, J.Y. - Colloques et Séminaires. La ruralité
dans les pays du sud à la fin du XXsiècle, ORSTOM Paris, 1997. 768p.

GEORGES, Pierre - Population et peuplement, PUF, 1980, 205p.

GEORGES, Pierre. -L’ère des techniques, constructions ou


destructions ? PUF, 1974, 174p.

GILLES Duruflé.- Le Sénégal peut-il sortir de la crise ? Karthala : 1994 :


223

GRAWITZ, M. – Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 1993, 870


p.

GUEYE, C :- Enjeux et rôle des nouvelles technologies de l’information


et de la communication dans les mutations urbaines. Le cas de Touba
(Sénégal) 2002 ? 43 p

JACOB, J.P. ; DELVILLE, PH. Lavigne ;- Les associations paysannes en


Afrique : organisation et dynamique.- Paris : Kartala, 1994.- 305 p
LABORIT, Henri. - « l’homme et la ville » Flammarion 1971, 218 pages

LACOMBE et al : Sénégal pp. 952-953 in Croissance démographique et évolution


socio-économique en Afrique de l’ouest Paris 1973 : 1028 p

LAKROUM J : - Le travail inégal paysans et salariés sénégalais face à la


crise des années trente. L’harmattan, racine du présent, 187 p

MAXIME Aubert : -Politiques alimentaires et structures sociales en Afrique


noire : quelle autosuffisance ? 1980 ? 295 p ?

MILTON SANTOS : -Les villes du Tiers Monde : Genin 1971.428 p

MOINDROT Claude : Villes et campagnes britanniques- Paris A Colin, 1969, 350 p

NDIAYE, O M. - Les dynamiques migratoires dans la société wolof,


l’exemple du Ndiambour 1900 – 1950. : (1990)
NDIONE E., SAGNA M. BUGNICOURT J. - Pauvreté ambiguë : enfants et
jeunes au Sénégal. ENDA, Dakar 1987, 185p
NDIONE, E S.- L’économie urbaine en Afrique, le don et le recours.-
Paris : Kartala, Enda Sahel, 1994.- 217 p
NGUYEN VAN CHI-BONARDEL Régine : Vie de relations au Sénégal Dakar
– IFAN 1978 927p

OSMONT, Annik. - La Banque Mondiale et les villes. Du développement à


l’ajustement. Paris Karthala, 1995, 309p.

PELISSIER, Paul : . - Les paysans du Sénégal imprimerie Fabrêque, 940 p.

PELISSIER, Paul. - Campagnes africaines en devenir, ed. Arguments,


318p, 1995.

PELISSIER, Paul.-Atlas du Sénégal.- Paris : Les éditions JA, 1972, 72 p


PHILIPPE Antoine et DIOP A Bara :- La ville à guichets fermés ?-
itinéraires, réseaux et insertion urbaine ; IFAN-ORSTOM : 1995 : 360 p
Pierre George : Précis de Géographie rurale – Paris PUF-1978, 350 pages.
PROST André – La hiérarchie des villes en fonctions des activités de
commerce et de service.
Samb, Amar: matraqué par le destin ou la vie d’un talibé NEA, 1973
ROCHETEAU, G. . - Pionniers mourides au Sénégal : changement
technique et transformation d’une économie paysanne : Juillet 1970 ; 80
pages ; ORSTOM)
SANGUIN, A. L. : VIDAL de la Blache, 1845-1910, un génie de la
géographie, Bélin, 1993 : 384p
SCHMIDT DI FRIED BERG, Ottavia.- Islam, Solidarietà e lavoro, I muridi
senegalesi in Italia.- Edizioni della Fondazione Giovanni Agnelli :Torino,
1994, 250p
SENEGAL et OSCARE. - Migration et développement ; impact des projets
de développement sur la migration et identification des projets : (1996) ;
2 tomes
SENEGAL, MEFP-DPS-Service régional de Louga. - Situation économique
de la région, octobre 1999
SY Cheikh Tidiane (Dir).- Crise du développement rural et désengagement
de l’Etat au Sénégal.- Dakar : NEA, 1984.- 164 p
SY (Cheikh T). -La Confrérie sénégalaise des Mourides présence
africaine, 1969, 350 p
II. Mémoires, Thèses

BA, Cheikh Adama . - Le Guet : histoire d’une ancienne province du


KAYOOR (1900-1945). Dakar, UCAD, 1995, 133p.

BA M : -Paysages et communautés rurales au Sénégal Occidental.


Approche intégrée par cartographie assistée et télé détection satellitaire.
Univ de Franche- comité, Labo-Environ –Paysage –URA 908 du CNRS, Th de
doctorat, 1995 : 467 p.
Babou, Cheikh Anta : Touba, genèse et évolution d’une cité musulmane
au Sénégal, UCAD, FLSH, Département Histoire, Mémoire DEA, 1992 ; 39p
BARRY, Boubacar Le royaume du Waalo. Le Sénégal avant la conquête
Paris : Maspero coll. « test à l’appui », 1972. 393 p.
BATTESTI, L.M.- L’immigration de la main-d’œuvre étrangère et la
Communauté Economique Européenne.- Lille : Université de Lille, Service
de reproduction des thèses, 1973, 710 p (2 tomes)
BROCHIER J. -La diffusion du progrès technique en milieu rural
sénégalais, T1 Institut de science économique appliquée, Juin 1965.
Catherine Coquery Vidrovitch, Sociétés paysannes du Tiers Monde – PU.
de Lille – 1981, 204 pages.
DIABIRI (Assimion) . - Contribution des banques céréalières à la sécurité
alimentaire dans la région de Louga (cas de la banque céréalière de
Kébé Ndekta) ENEA:Dakar-Sénégal 81p.
DIOP A Bara. - La société wolof tradition et changement. Les systèmes
d’inégalité et de domination : Karthala, 1981 355 p.
DIOP GAYE Ibrahima : Place du quartier Grand-Louga dans le processus
d’extension de la ville de Louga 94p ; 1989 ENEA Dakar.
DIOP, A Bamba, Croissance et originalité de Touba dans l’armature
urbaine sénégalaise, mémoire de fin d’études, ENEA – Dakar, Décembre
1989.
DIOUF Amadou, le Daara Mouride, mémoire de fin d’études, ENEA, Dakar
1965.
DIOUF, Mamadou. - Le Kajoor au XIXe, pouvoir Ceddo et conquête
coloniale – Karthala, Paris 328 p.
Faye, S - modélisation hydrodynamique des nappes du littoral Nord
entre Cayor et Saint – Louis. Impact des futurs prélèvements dans le
cadre de l’alimentation en eau de Dakar et ses environs. (Thèse 3eme
cycle, Département de Géologie, Université Cheikh Anta Diop de Dakar
(1995). 160 p + annexes.
GALAUP, A. TI MERA, A : - Rôle des petites villes dans le développement
économique régional ATEGU/ ENEA : Dakar -Sénégal : 1988 :166p

GUEYE, Cheikh. - L’organisation de l’espace dans une ville religieuse :


Touba, thèse de doctorat, université Louis-Pasteur, Strasbourg, 2 volumes,
1999.

MBAYE Fatou Kane :- Esquisse d’une étude d’impact de la migration de


retour des modous ruraux de New York dans leur zone de départ : cas
de Diokoul Diawrigne (Région de Louga) et Ndioudiouf Ndioum (Région
de Diourbel) : UCAD : 1999 : 55 p

MBENGUE, Marthe : les contraintes de la gestion de l’eau en milieu


rural : cas du département de Kébémer Dakar, UCAD : 1998

MBOUP, Bara : - Du Sénégal en Italie : Analyse d’une filière de migration


internationale à partir de Kébémer de 1985 à1995. Dakar UCAD, 1997,
111p.

MBOUP, Bara. - Migrations internationale et développement local à


Kébémer, 1999, 40p.

NDIAYE, Amadou Lamine.- Etude et cartographie des paysages de la


grande côte sénégalaise : Application à la mise en valeur et à la
conservation des ressources naturelles- Dakar : UCAD, 1995
NDIAYE, Ameth: - Situation Economique et morale du mouvement
coopératif dans le Département de Louga : ENEA : Dakar -Sénégal 1965 :
46 p.
Ndiaye Ousseynou Ndiémé :- Dynamique des migrations dans le
cercle de Louga 1920-1973 : critique des sources de Documentation
UCAD Dakar 1980 ?
NGOM Thiécouta : - « Les équipements urbains des capitales régionales au
Sénégal » : Université Libre de Bruxelles : 1975-1976 : 277p

NIANG, Ibrahima. - Analyse de la contribution des ressources de transferts dans


le quête de sécurité alimentaire des populations : cas de la CR de Nguer Malal.
ENEA : Dakar –Sénégal

OUEDRAGO Karim. - Eléments d’approche de la filière arachidière au Sénégal.


ENEA : Dakar -Sénégal : 91 p

SAR, Moustapha.- Louga la ville et sa région :essai d’intégration des


rapports ville campagne dans la problématique du développement
(Sénégal).-Dakar : UCAD, IFAN, 1973
SOW O :,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,

TALL, Sérigne Mansour. - Monographie d’une ancienne escale de traite :


Kébémer, Dakar, UCAD, 1990.

TOURE M et. Fadayomé, T: - migrations et urbanisation au Sud du


Sahara. Quels impacts sur les politiques de population et de
développement 1993 : 336 p
TRICART, J et. BROCHI, M: Le grand erg du Tranza et du Cayor revue de
géomorphologie dynamique, 1955
Ziavoula Robert Emond : villes secondaires et pouvoirs locaux en Afrique
Subsaharienne

III. Rapports et Revue :

BA Cheikh. - « La dynamique des migrations dans le Sénégal Septentrional »


in COLVINE Lucie et al, Les migrants et l’économie monétaire en
Sénégambie : 1980
BA M et EHSN. Touré. -Evolution de la production agricole (1962-1994) :
Bulletin de l’IFAN B 48, 1-2 : 1998: pp175-191
DIA Mademba Ramata : Des villages migrent vers Touba in Le Matin (2001)
CAMARA A M Dimensions régionales de la pauvreté au Sénégal in Belgéo
2002.1 pp17-28 oct. 2002
DIOP.A.B. – Parenté et famille wolof en milieu rural in Bulletin de l’IFAN.
T.XXXII, sér. B, n°1, 1970 ; pp217-229
DIOUF Mamadou :- Le problème des castes dans la société wolof pp 25-37 in
Revue sénégalaise d’Histoire vol 2 n°1 Janvier- Juin 1981 : Imprimerie St
Paul Dakar : 73 p
DJITE, Mamadou- Les contraintes fiscales et budgétaires de la collectivité
locale sénégalaise in Le Soleil n° 9348 du 28 et 29 Juillet 2001 – P17.
ENEA 29eme promotion : - Rapport de stage d’analyse dans la
Communauté Rurale de Nguidilé : Région de Louga : Juillet - Août 2000
FALL, M. - « Marchés locaux et groupes marchands dans la longue
durée : des marchés du Cayor aux marchés du Fleuve Sénégal XVIIIe s.
– début XXe s.
FALL, Marième : Impact de la migration internationale dans le
développement régional (cas de la ville de Touba) ATEGU/ ENEA : 2005 :
34p
GACHON L.- Géographie des rapports villes-campagnes - extrait du
Bulletin de la Société Belge d’Etudes Géographiques Tome XXVI : 1957 : 70p
GODELIER, M. - l’analyse des processus de transition. In Revue
Internationale en Sciences Sociales : n° 114 : 1987 pp. 506-507
LAKE L-.A et EHSN Touré : - l’expansion du bassin arachidier, Sénégal
1954-1979- Paris, INSEE- coopération, Réseau Amira, 1985.48, 102 p.
LAKE L-A : - Concepts et méthodologie de la recherche Ecossen – Note
d’exploitation des travaux du Séminaire 02 – Univ de Dakar, IFAN, Labo
de Géo, Projet Ecossen, Mai 1998, 09 p.
LAKE L-A, MD-Thiam, M Thiobane. -“Evolution de la répartition des paysages
agraires (1954- 1995) in Bulletin de l’IFAN, B, 1998.48, 1-2; 47-86 p-177 B
LAKE L-A. -« Typologie des espaces ruraux du Nord –Ouest
Sénégalais ». Notes de Biographie (Dakar), 1989 : 100-132.
LAKE, LOUIS ALBERT, NDOUR et al. -Eco géographie du Sénégal
subsaharien et développement dynamique des espaces ruraux des
années 1950 à 2025 ; Dakar Janvier, 2000 ; 261 p. Presse de l’imprimerie
Saint-Paul.
MAINGUET, M. - L’homme et la sécheresse – Paris, Masson, 1995 : 335 p.
MBODJ, M. - la crise trentenaire de l’économie arachidière in Le Sénégal :
Trajectoires d’un Etat pp205-231

MBOW L. S. -Une lecture des villes sénégalaises in Annales des facultés


des lettres et Sciences humaines n°15 pp 265-288, PUF : 1985 : 351p.

MBOW. L. S. - Les politiques urbaines : gestion et aménagement, in Le


Sénégal : Trajectoires d’un Etat pp205-231

MICHEL Pierre : Géomorphologie : les régions littorales in Atlas national


du Sénégal, 1978, 146 p
SARRE, Ismaila – Décentralisation de services de la santé. Les recettes, objet
de toutes les convoitises – in Sud Quotidien n° 2478 du 10 Juillet 2001 page
05.
SENEGAL MP/DPS:- Répertoire des villages, 1964, 196 p
SENEGAL MP/DPS:- Répertoire des villages, 1976
SENEGAL MP/DPS:- Répertoire des villages, 2000
SENEGAL BUREST/ADM. -Audits urbain, financier et organisationnel et
établissement du contrat de la ville de la Commune de Kébémer,
Rapport définitif- version finale, Août 2000
SENEGAL CERP Ndande. -PLD de la communauté de Bandégne 2001, 68
pages.
SENEGAL CERP Ndande. -PLD de la communauté rurale de Ndande Mars
2001.
SENEGAL Ministère de l’agriculture : -Recensement National de
l’Agriculture et système permanent de statistiques agricoles en 2
volumes : 1998-1999
SENEGAL : Ministère de l’Urbanisme, Direction des Collectivités Locales. -
Tableau de bord des Communes : Kébémer, 1993, 39p.

SENEGAL :- 1er Plan Quadriennal de Développement Economique et


Social : 1961-1964 : 297p+ annexes
SENEGAL :- IIe Plan Quadriennal de Développement Economique et
Social, 1965-1969 : Introduction et analyse : 1965 :70p
SENEGAL :- Projet de IIIe Plan Quadriennal de Développement
Economique et Social 1969-1973 : Juillet 1969 : 346 p
SENEGAL :-IIIe Plan Quadriennal de Développement Economique et
Social 1969-1973 : Juillet 1969 : 346 p
SENEGAL : Région de Diourbel : Département de Kébémer. - Séminaires
des Cadres intermédiaires 1966 46p
SENEGAL : Région de Diourbel : Département de Kébémer. -Séminaires des
Cadres intermédiaires 1963 28p
SENEGAL : Région de Diourbel : Département de Kébémer. -Séminaires des
Cadres intermédiaires 1964 26p
SONKO M. L. et DIA I. Enjeux fonciers et approches pour une politique
foncière au Sénégal, CNCR SENEGAL ; 1999 33 P
TOURE E.H.S.N, M.D Thiam et MD Ndiaye : « Lieux dits du Nord-Ouest
Sénégalais». In Bulletin de l’IFAN, 48, B, 1-2 : 193 – 199 : 1998
TOURE EHSN, MD. Ndiaye, et al « Evolution des densités de populations
(1976-1995 ». in Bulletin de l’IFAN, B, 48, 1, -2 : 1998 -142.p
UCAD - Espaces ruraux du Nord-Ouest Sénégalais. Données et variables
d’évolution, 1954 – 1996 – Rapport technique Dakar IFAN, Sherbrooke,
Cartel (Projet Ecossen), (A3). 1996 : 103 p
Table des matières

INTRODUCTION GENERALE 1

PROBLEMATIQUE 4
METHODOLOGIE 28

PREMIERE PARTIE

LA FORMATION DU ASSIN ARACHIDIER

ET LA RESTRUCTURATION DU

SYSTEME D’ETABLISSEMENTS HUMAINS

I LA FORMATION DU BASSIN ARACHIDIER ET LARESTRUCTURATION


DU SYSTEME D’ETABLISSEMENTS HUMAINS 38

I.1 FORMATION DU BASSIN ARACHIDIER 40


I.1.1 Les facteurs physiques 42
I.1.1.1 La diversité physique des terroirs 42
I.1.1.2 L'apport du milieu soudano-sahélien 49

I.1.2. Le facteur humain 60

I.1.2.1. Les avantages de la situation 60


I.1.2.2. Le mode de production ceddo dans la société wolof 62

I.1.3. Habitat et terroirs ceddo : structures et évolution 66

I.1.3.1 L'habitat ceddo: forme et structures 66


I.1.3.1.1. caractéristiques de l'habitat ceddo : une campagne groupée 67
I.1.3.1.2.La structure de l'habitat ceddo 70
I.1.3.1.2.1. une structure que reflète le mode de production 70
I.1.3.1.2.2 la dimension politique de la structure de la campagne 75
I.1.3.2. Structures des terroirs et structures foncières: 78
I.1.3.3. L'évolution de la structure foncière: statut quo ou réaménagement 85
I.2. LA RESTRUCTURATION DE L'HABITAT AVEC L'ECONOMIE ARACHIDIERE
89

I.2.1 La restructuration de l'habitat en campagne: tendance à la dispersion 90


I.2.2 L'extension du bassin arachidier et la crise foncière 95
1.2.2.1 Evolution de la densité et crise foncière 98

1.2.2.2 L'extension sur les terroirs pastoraux 101


I.2.3 Restructuration de l'habitat: l'émergence des villes 110

I.2.3.1 Le processus d'urbanisation 112


I.2.3.2 L'équilibre villes-campagne 118
I.2.3.2.1 La dynamique de l'équilibre villes-campagne : 121
I.2.3.2.2 La stratégie des acteurs 132
Conclusion 139
DEUXIEME PARTIE :

POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT ET EQUILIBRE VILLES-CAMPAGNE DANS LE


VIEUX BASSIN ARACHIDIER.

II. POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT ET EQUILIBRE

VILLES-CAMPAGNE DANS LE VIEUX BASSIN ARACHIDIER. 142

II.1 LES POLITIQUES VOLONTARISTES 142

II. 1.1 Contexte et objectifs 142


II.1.2 Equipements et structures de développement au
service de l'équilibre villes-campagne 150
II.1.2.1 Structures de développement et relations villes-campagne 152
II.1.2.1.1 Les structures d'encadrement : l'exemple du commerce 154
II.1.2.1.2 Commerce et réseaux de relations entre villes et campagne 160
II.1.2.2 Structures administratives et consolidation des fonctions
urbaines et rurales 163
II.1.2.2.1 Equilibre villes-campagne et volonté politique 163
II.1.2.2.2 Conséquence démographique sur la croissance urbaine 166
II.1.2.3 Evolution de la production et équilibre villes-campagne 173
II.1.2.3.1 Production et évolution de l'équilibre villes-campagne
face aux contrainte 177
II.1.2.3.1.1 Les contraintes physiques 177
II.1.2.3.1.2 Les contraintes politiques: 182
II.1.2.3.1.3 Effets sur les établissements humains et sur
le couple villes- campagne 190
II.1.2.3.2 Les contraintes de marché 194
II.2 LES POLITIQUES REALISTES 200

II.2.1 Contenu et objectifs des politiques réalistes et conséquences


des politiques réalistes sur l'équilibre villes-campagne 200
II.2.2 Politiques réalistes et recomposition territoriale 202
II.2.2.1 L'ère de l'émergence des politiques locales 202
II.2.2.2 Désarticulation de l'espace (régional) et émergence
de "kystes urbains" dans le Vieux Bassin arachidier 204
1.2.2.2.1Les exemples de Dahra et de Darou Mousty 205
1.2.2.2.2 L'exemple de la ville de Louga 207
1.2.2.2.3 Les conséquences sur la ville de Kébémer 212
II.2.3 Recomposition territoriale et concurrence commerciale
au sein du Bassin arachidier 217

Conclusion 234
TROISIEME PARTIE :

IMPACT DE LA MIGRATION INTERNATIONALE


SUR L'EQUILIBRE VILLES-CAMPAGNE

III IMPACT DE LA MIGRATION INTERNATIONALE


SUR L'EQUILIBRE VILLES-CAMPAGNE 237

III.1LA MIGRATION INTERNATIONALE : MOUVEMENTS PRECURSEURS ET


DEVELOPPEMENT 237

III.1.1 Les migrations internes : 238


III.1-1-1 Le navétanat 238
III-1 -1-2 L’exode rural et les migrations interurbaines 239
III.1-2 Les migrations internationales 239
III.1-2-1 La phase africaine 239
III.1-2-1-1 Les mouvements migratoires formels 240
III.1-2-1-2 Les mouvements migratoires informels 240
III-1-2-2 La phase européenne 242

III-2 MIGRATION INTERNATIONALE : RECOMPOSITION SOCIALE ET


RESTRUCTURATION TERRITORIALE 243

III.2-1 Migration internationale et recomposition sociale 244


III.2.1.1 Migration internationale et transfert de 246
III.2.1.1.1 Les migrants et les transferts de fonds 246
III.2.1.1.2 Les migrants internationaux, vecteurs d'échange
de biens et promoteurs de la production locale 255
III.2.1.2 Les migrants internationaux: une classe d'investisseurs locaux 258
III.2.2 Migration internationale et reconstruction des territoires 263

III.2.2.1 Transferts internationaux et développement des


fonctions urbaines 264
III.2.2.1.1 Les effets de la migration internationale sur
le commerce urbain 264
III.2.2.1.1.1 La restauration des fonctions commerciales des villes 264
III.2.2.1.1.1.1Migration internationale et transformation
des modes de financement du commerce 266
III.2.2.1.1.1.2 Migration internationale, restructuration
du commerce et équilibre villes-campagne 269
III.2.2.1.1.2 La création des conditions de la compétitivité
du commerce local 273
III.2.2.1.2 Migration internationale et mutation de l'artisanat urbain 276
III.2.2.2 Transferts internationaux et développement
des fonctions en campagne 289
III.2.2.2.1 Migration internationale et développement local en campagne 289
III.2.2.2.2 Migration internationale et développement des terroirs 292
III.2.2.2.3 L'impact de la migration internationale sur l'évolution
des bourgs ruraux 300
III.2.2.2.4 Migration internationale, décentralisation et intercommunalité 309

III.2.3 Migration internationale: transformation de l'habitat


rural et mutation des relations villes-campagne 312
III.2.3.1 Migration internationale et stratégies d'occupation de l'espace 312
III.2.3.2 Stratégies actuelles d'occupation de l'espace et évolution
des établissements humains dans l'axe Dakar - Saint-Louis 314
III.2.3.3 Régression des bourgs ruraux du centre du Vieux Bassin
Arachidier: les exemples de Sagatta et 322
III.2.3.4 La contribution des migrants internationaux au développement
des terroirs ruraux situés dans l'est du Vieux Bassin arachidier 326
III.3 MIGRATION INTERNATIONALE, COOPERATION DECENTRALISEE ET
COMPETITIVITE TERRITORIALE 329
III.3.1 Les limites de la coopération décentralisée 331
III.3.2 L'évolution de la coopération décentralisée 333
III.3.3 Migration internationale, dynamique spatiale et
compétitivité territoriale 339

Conclusion 345
BIBLIOGRAPHIE

ANNEXES

A chacun sera donné un rang en rapport avec ses actes. Dieu rétribuera leurs
œuvres en toute justice : nul ne sera frustré de son dû.
Annexes
Annexe 1

Questionnaire
Questionnaire de village
I. Identification du village, historique et typologie

A Historique et toponymie
Nom
Origine :
- origine paysanne origine ceddo origine artisane
- origine maraboutique origine griotte

B Typologie et fonction des villages

Villages centres
Villages simples
Villages d’émigrés :

C Structure sociale et foncière


Structure sociale :…………………………………………………
Structure foncière :………………………………………………
- taille du terroir :
- statut foncier : terres propres empruntées
- évolution du régime foncier :…………………………………………
- répartition des terres :………………………………………………
- quelles sont les familles les mieux servies ?..................................
- pourquoi?.....................................................................................
II. Migration internationale

Raison de la migration :………………………………………


Processus de la migration :………………………………………………
…………………………………………………………………………………
………………..
Qui a eu l’initiative de la migration ?...................................................
…...
Comment les migrants trouvent les moyens de
voyager ?……………………
…………………………………………………………………………………
…………….......
Emigration et transfert : matériel et monétaire
Organisation et actions des émigrés :
Transferts et investissements :
- montant des transferts monétaires………………………
- nature des transferts matériels :………………………
- investissements sociaux :………………………………
- investissements économiques :……………………
- localisation des investissements :………………
- évolution de la localisation :……………………
Impact sur les infrastructures :
Équipement collectif : réseaux d’eau réseaux d’électricité
routes réseaux téléphoniques

Dans quelle mesure les émigrés ont-ils contribué


-à l’évolution des terroirs agricoles ?............................................
…………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………
……………………………
À la pression foncière ?...........................................................
…………………………………………………………………………………
………………
Impact sur l’habitat :………………………………………………………
Quel est l’impact sur la dynamique des migrations internes
Destination :
Dakar Touba Louga Kébémer Autres
Enquête urbaine

La ville :
Historique de
l’implantation :……………………………………………………………….
Évolution spatiale : (taux d’urbanisation, investissements)

L’occupation du sol et son utilisation ;


La dynamique spatiale propre
Evolution sous l’action réciproques des dynamiques de la ville et de la
campagne
Les fonctions et leur évolution sous l’influence de la migration :

- commerce :………………………………………………………………
……………….
- Structure : part respective du rural, de l’urbain et des émigrés dans
- Le
gros :………………………………………………………………………….
- demi-
gros :………………………………………………………………………
- Détail :………………………………………………………………………
……………
Occupation de l’espace :

- domaine public ou communal,


- marché central,
- marché spontané
- L’impact de la migration internationale aux différents
niveaux :………………
…………………………………………………………………………………
…………….
- artisanat :…………………………………………………………………
………………
- industrie :…………………………………………………………………
………………
-
Gestion urbaine et émigration :
- rôle des émigrés dans la coopération décentralisée :………
- autres modes d’intervention :……………………………
Relation villes-campagne :
- Les réseaux de clientèle;
- Système de crédit
- Offres de marché.
ANNEXE 2
Annexe 3
,
..
rl.(j r; ~ 0;,::'
REPUB LIQUE DU SENEG AL NO ••••.;;.., .,.:. /CKBI2003
Un Peuple - Un But - Une Foi
èOMM UNE DE KEBE MER

LE MAIR E DE LA COMM UNE DE KEBE MER


A
MONS IEUR LE PRESI DENT DE LA COMM UNAU TE RURA LE
DE
THIOL OM

Objet: Demande d'extension dt! périmètre communal

Monsieur le Président,

-,- EaCom mune de KélïémëYaëoiiiïii"ces-âefillcîiës'années, .me~xp


i~i~~­
démographique accompagnée d'une urbanisation glliopante.
La position géographique de la ville est à ('origine de ces deux facteur
s évoqués
plus haul
Tout cela a eu évidemment pour conséquence une contrainte de site c'est-
à-dire étouffement et manque de zone d'extensi?n.

C'est ainsi que beaucoup de promoteurs économiques, pour s'instal


ler,
voient leurs demandes de terrains mises en instance.
C'est pour remédier à ce problème d'espace, que nous venons par la
présente,
Monsieur le Président, solliciter auprès de votre entité territoriale, l'exten
sion de
la Commune de Kébémer sur Ikm 500 à l'intérieur de votre domaine.

------ Veuille z agréer-Monsieur-le Président; l'expression· de nos sentime


ntS -.-
respectueux et dévoués_

Kébém er, le 12 mai 2003

LEMA IRE
AMPL IATIO NS: 1 •
Préfet /
Sous-Préfet
Chrono
ANNEXE 4 RECOUVREMENT DU BUDGET

Communautés
Recettes totales réalisées
rurales

Moyenne
1998 1999 2000 2001 annuelle

Arrondissement
de Ndande

6 277
Bandègne 4 397 467 7 875 390 6 956 870 5 879 342 267

7 019
Diokoul 3 796 091 14 772 843 3 021 956 6 487 418 577

8 392
Kab Gaye 6 591 366 12 763 118 4 787 210 9 429 757 863

16 961
Ndande 30 807 894 12 475 982 12 506 565 12 054 189 158

5 060
Thièppe 4 401 235 9 033 480 1 130 187 5 678 398 825

Moyenne 9 998 11 384 5 680


arrondissement 811 163 558 7 905 821 -

Arrondissement
de Sagatta

3 823
Guéoul 2 419 988 3 118 301 6 050 362 3 707 259 978

3 017
Kanène Ndiob 2 902 579 2 966 459 5 240 133 962 397 892

2 652
Loro 345 548 3 240 321 4 908 502 2 114 709 270

4 909
Sagatta 1 689 896 5 979 514 7 163 541 4 804 219 293

5 031
Thiolom Fall 3 179 396 4 838 324 9 200 137 2 909 930 947

Moyenne 2 107 4 028 6 512


arrondissement 481 584 535 2 899 703 -
Arrondissement
de Darou
Mousty

4 548
Darou Marnane 1 864 561 5 318 861 7 251 045 3 761 087 889

9 640
Darou Mousty 5 438 850 12 798 681 12 478 294 7 847 577 851

2 246
Mbadiane 234 939 1 955 019 4 906 878 1 890 237 768

2 453
Ndoyène 327 498 3 157 483 2 899 137 3 429 655 443
3 076
Sam yabal 195 874 4 281 834 4 167 587 3 661 788 771

3 095
Touba Mérina 69 098 4 082 598 4 361 567 3 869 302 641

Moyenne 5 265 6 010


arrondissement 1 355 137 746 751 4 076 608 -

Source : PADMIR – SEN/98/C01


UAT Kbémer

Départment Kebemer : Situation du recouvrement des recettes des


Communautés rurales du centre de l'ouest et de l'est

12 000 000

10 000 000

8 000 000 Moyenne arrondissement NDANDE

Moyenne arrondissement SAGATTA


6 000 000

Moyenne arrondissement DAROU


4 000 000 MOUSTY

2 000 000

-
1998 1999 2000 2001

Source : PADMIR – SEN/98/C01


UAT Kbémer
--,-------------7
s a c 1 É T
LE MATIN f VENDREDI 19 JANVIER 2001
E
EXODE

Des' villages migrent vers Touba


Le rêve de tout mouride leurs baluchons à Taube en «Touba es< la copitale de l'in-
est d'avoir un toit dans la déplaçant avec eux des familles formel. Cela fait que les ruraux
cité de Bomba. Et mieux entières. Ce qui fait. que far- n 'ont aucune difficulté pour
encore, Toube est la der- rondisse ment de Koel. jadis intégrer les circuits économi-
prospère avec son élevage. est ques». Avec cette ruée, la cité
nière demeure de tout
en train de mourir à petit feu•. de Bamba conna:~ un accrois·
disciple de Cheikh Mma- Cheikh Issa Sali est lui aussi semene démographique ex-
dou Bomba. Consé- frappé par l'ampleur des mi- ponentiel. Il s'y ajoute que
quence majeure, beau- grations : .Beaucoup de fa- l'actuel khalife des mou rides
coup de villages des ré- milles de Keur Samba Kane Serigne Saliou Mbacké a via-
gions de Diourbel, Louga, sont parties s'installer à Touba bilisé 45.000 parcelles durant
Thiès ont disparu au pro- espérant y trouver un eldo- l'année 1999, Ces lots àUSlljle
fit de la ville sainte. Cela o rado.. Et. ajoute-t·i1 ; «Sou- d'habitation attirent de nou-
ne va pas sans problèmes vent. ces nouveaux venus cons- veaux arrivants. Le seul hic se
de survie ou d'ordre sa· lfuisent des cases dons la pé- situe au niveau des infrastruc-
nltaire. riphérie de la ville de Toubo". tures sanitaires et hydrauli-
Lexode vers la ville sainte a ques qui n'ont pas suivi la
«Quiconque désire acquérir pour corollaire un dépeuple- croissance démographique.
une propriété s'il veut. il lu; en ment poussé de villlljles du
Baol et du Ndiambour. • De L'ÉQuAnON DE L'HYDRAUU-
sera offert "gfotuitemel}t».
Ainsi s'exprimait feu Serigne plusen plus de villages du dé- . QUE ET DE LA SANrt

Abdoul Ahad Mbàd<é qui di~ portement de Bambey Les populations consentent
rigeait la confrérie mou ride. (Thiepp. Mérina Diop, Lognor) de gros efforts pour se pro-
se meurent. Leurs résidents curer le précieux liquide. En Touba est la destination de beauc~p: de migrants
Nous étions en 1985. Cha-
que jour que Dieu f;;;t, des sont allés trouver une nouvelle dépit de l'existence d'une di- fois. Ce fut le cas lors de la fisance des équipements sa- pital. Cette insuffisance
pans entiers de villlljles dispa- terre d'occueil., relève Pape zaine de forages fonctionnels dernière semaine du mois de nitaires. Touba dont.1a popu- d'équipements sa~itaires a
raissent au profit de la ville Moussa Diouf de "arrondis- dans la ville sainte, "approvi- décembre 2000. Les autori- lation croit rapidement ne été à l'origine de la floraison
sainte. Moussa Diop de l'ar- sement de lambaye. Expli- sionnement en eau pose pro- tés administratives de la ville dispose que d'uQ seul centre de ce que l'on -àppelle
rondisseme,,!, de Kael (dépar- quant l'attrait qu'exerce la blème. Ces ouvrages déjà sainte n'avaient pas manqué de santé .faisant office d'hô- abusivement.cliniques pri-
tement de Mbacké) témoi- capitale du mouridisme. Mor soumis à une forte pression d'interpeller le Président pital avec deux médecins. vées».
gne: .Lo plupart des résidents Diaw, un te.:hnicien du déve- ne permettent pas de satis- Abdoulaye Wade lors de son Quelques structures de
du village de K.oel ont déposé loppement· rural, déclare: faire la demande4 Des pénu- dernier séjour à Touba. A ce moindre envergure peuvent MAOEMBA RAMATA DIA
ri!'iS d'eau surviennent par- déficit en eau s'ajoute l'insuf- être citées à côté de cet hô-

Vous aimerez peut-être aussi