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Introduction
Objectif premier du cours : Proposer une introduction à l'analyse des politiques publiques. Il s'agit
d'un objet central dans les activités politiques qui a acquis une importance considérable dans la
science politique.
On va s'intéresser à la question de l'exercice du pouvoir à différentes échelles territoriales (nationale
et locales) et à la fabrication des politiques publiques (acteurs, ressources, pratiques). Il s'agira aussi
de mettre en lumière les différentes catégories d'acteurs qui participent aux politiques publiques.
→ Une ou plusieurs autorités publiques : un certain nombre d'organisations mettent en place des
programmes d'action. La spécificité des programmes d'action d'une politique publique est qu'ils sont
initiés et conduit par des acteurs qui ont un statut particulier puisqu'ils se revendiquent d'une
légitimité publique et de facto d'une légitimité politique. Les politiques publiques sont des objets
politiques : ce sont la traduction de l'exercice du pouvoir politique.
Pour Gilles Massardier, une politique publique est un ensemble de dispositifs tangibles (budget,
lois, institutions spécialisées qui régissent un secteur de la société ou une activité), des dispositifs
issus d'une fabrication sociale, collective et complexe par des acteurs ou des groupes d'acteurs et
des institutions nationales voire internationales.
→ Cette définition insiste sur la dimension de fabrication collective.
→ Les politiques publiques sont matérialisées par des dispositifs tangibles : insiste sur les moyens
mobilisés.
Lorsqu'on parle « d'instruments d'action publiques » : c'est l'idée que les instruments choisis ne sont
pas neutres, il y a des enjeux dans le choix des instruments.
L'action publique est organisée de façon sectorielle, c'est à dire par le biais d'une division politico-
administrative coordonnée par les ministères.
Les frontières entre les secteurs peuvent être amené à bouger : les différents ministères sont souvent
dans une situation de concurrence.
Ce qu'on appelle l'État est en réalité un ensemble institutionnel très complexe et diversifié avec un
ensemble de sous-espaces. Loin de former un tout unifié et univoque, l'État apparaît comme un
ensemble de segments qui bien souvent sont en tension, en lutte, en concurrence les uns avec les
autres, pour l'accès aux ressources budgétaires mais aussi pour le prestige, la légitimité, pour le fait
de faire prévaloir son approche (économique ou écologique). Ce clivage est incarné aussi par des
administrations et des acteurs politiques qui représentent ces administrations.
La sectorisation est mouvante aussi car on voit apparaître des enjeux transversaux et multi-
sectoriels qui induisent des enjeux de coopération entre des institutions qui n'ont pas l'habitude de
travailler ensemble.
Lorsque Gilles Massardier parle « d'institutions nationales ou internationales », il insiste sur le fait
que de plus en plus, plusieurs institutions sont appelées à intervenir et qui se situent à des niveaux
territoriaux différents.
L'État est concurrencé par le haut (des organisations supra-nationales, telle que l'UE), et par le bas
avec l'affirmation des pouvoirs territoriaux des institutions politiques et administratives infra-
nationales qui, à la faveur du mouvement de décentralisation, ont commencé à intervenir de façon
importante sur un certain nombre de sujets et qui ont multiplié leurs politiques publiques (qui elles-
mêmes se sont professionnalisées pour produire de l'action publique).
→ L'action publique devient une gouvernance multi-niveaux.
Selon Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès, les politiques publiques sont des actions collectives
qui participe à la création d'un ordre social et politique, à la direction de la société, à la régulation de
ses tensions, à l'intégration des groupes et à la résolution des conflits.
→ Cette définition insiste sur la dimension fondamentalement politique de l'action publique : elle
rappelle que le pouvoir politique est la matérialisation particulière d'une relation de domination.
Avec l'action publique on est au cœur de l'exercice du pouvoir, elle est traversée par des rapports de
force et participe à la régulation de ces rapports de force qui traversent la société.
→ Il y a l'idée que la société est composée d'une variété de groupes sociaux qui peuvent être en lutte
pour défendre certains intérêts, intérêts qui peuvent être matériels ou symboliques (valeurs, normes,
représentations). Une politique publique reflète les tensions et les désaccords de la société, les
demandes qui émanent des groupes sociaux. On touche aussi à la question de la représentation à
travers la représentation des intérêts des groupes sociaux.
Comment les différents intérêts des groupes sociaux sont-ils perçus, entendus, traduit et incarnés
dans un certain nombre de décisions qui prennent la forme de règles, de lois, de distribution des
ressources, à travers les services publiques ou les actions politiques ?
→ L'action publique produit des arbitrages. C'est dans ce sens que, pour Lascoumes et Le Galès, la
politique publique est la création d'un ordre social et politique, la définition d'un espace des
possibles.
→ Les politiques publiques participent à l'intégration des groupes. Très souvent les politiques
publiques consistent à créer des catégories qui vont servir pour l'action, pour déterminer l'accès à un
certain nombre de droits et de prestations.
Le travail des politiques publiques est construit en référence à des publics qui sont la cible de cette
action. À travers ce mode de fonctionnement, l'action publique participe à l'identification et à
l'objectivation de ces groupes.
On rencontre aussi la notion de la légitimité du pouvoir, la légitimité d'exercer une autorité et puis à
travers la création d'un ordre, la légitimation d'un certain nombre de pratiques et de discours.
Yves Surel et Pierre Muller ont étudié les politiques publiques autour de la question de la sécurité
routière, question qui a été amené à être considérée comme un problème publique.
Ils énumèrent les différents types d'interventions dont le problème fait l'objet :
– Via le code de la route et les modifications du code de la route (port de la ceinture de
sécurité, instauration du permis à points). Ce sont des interventions de nature réglementaire
qui empruntent un instrument juridique et qui va être contrôlé par un segment administratif :
le ministère des transports.
– La sécurité routière est aussi traitée à travers l'action répressive des forces de l'ordre (via les
contrôles routiers ou les radars). Les moyens mis en œuvre sont d'ordre financier ; on affecte
une partie de l'emploi de fonctionnaire à cette fonction puis mise en place d'équipement
comme les radars.
– La sécurité routière renvoie à une autre : la lutte contre la conduite en état d'ivresse ou sous
l'emprise de stupéfiant via la mobilisation d'images ou de discours préventifs. Cela demande
la mobilisation du ministère de la santé, qui est en charge de la coordination des campagnes
de prévention et du ministère de l'éducation nationale qui est en charge des campagnes de
sensibilisation dans les écoles.
– Les actions publiques autour de la sécurité routière renvoient aussi à la politique pénale :
c'est une façon d'intervenir à travers des circulaires de politique pénale en préconisant un
intransigeance et un durcissement des peines. Cela renvoie au ministère de la Justice.
– Le ministère de l'industrie est en charge de la composition de voitures plus sécurisantes.
– La question de la sécurité routière exige aussi des interventions sur la voirie et sur les
infrastructures routières : sur un plan matériel ou sur l'organisation de la circulation. C'est
alors le ministère des transports qui va mobiliser des ressources expertes. Dimension
technologique mais aussi d'études.
Les acteurs politiques sont des acteurs parmi d'autres dans l'action publique. Ils se présentent et se
donnent à voir comme les auteurs de la décision. Ils sont associés à la responsabilité de la décision.
Cela les distingue des autres protagonistes.
Qu'est ce qui caractérise le rôle des acteurs politiques dans l'action publique ?
Dans quelle mesure les actions publiques sont-elles affectées par des logiques politiques ?
Jean Joana a travaillé sur les députés sous la IIIe République. Dans un de ces travaux il montre
comment les députés ont commencé à organiser des réunions entre eux, sous la IIIe République.
Ces réunions ont contribué à dessiner un ensemble de rôles et d'organisations au sein de
l'Assemblée nationale, telle que la mise en place des commissions parlementaire, des présidents des
groupes parlementaires ou des rapporteurs.
→ La spécialisation devient une spécialisation sur certain sujets.
Cela renvoie à un ensemble de compétences jugées désormais nécessaires à la légitimité politique.
On fait le constat des formes de sélection politique que Daniel Gaxie a notamment appelé « les
logiques du recrutement politique ». On remarque un durcissement des mécanismes de sélection qui
ont un fort fondement socio-culturel.
→ La sur-représentation des classes supérieures.
→ La tendance aux rapprochement des profils entre les élites politiques et administratives.
– Les élus sont des généralistes. Plus les élus occupent des fonctions élevées plus ils sont
amenés à être des généralistes puisqu'ils sont amenés à trancher sur une grande variété
d'objets et d'enjeux. Dans les collectifs politiques (dans un gouvernement ou dans une
municipalité), est identifié comme un enjeux par les acteurs politiques eux-mêmes, la
spécialisation des compétences, qui est aussi la formation d'un réseau, d'un autre acteur
politique, désigné dès lors comme un concurrent. On voit se croiser logique politique et
logique d'action publique. Ce point de vue généraliste peut être un handicap : ils auront
affaire à d'autres acteurs qui auront une connaissance experte du dossier. Il existe alors deux
stratégies :
→ Se spécialiser sur le dossier, difficile du point de vue de la quantité de dossier à traiter.
→ S'appuyer sur son entourage, se doter d'une équipe de collaborateurs de confiance qui
vont apporter les compétences spécifiques qui manquent à l'élu.
Même si l'élu peut se prévaloir d'une légitimité particulière, il n'est pas dans une position de
force dans la gestion des politiques publiques. Il peut arriver que ça ne soit pas l'élu qui
prenne la décision : il va plutôt ratifier une décision ou une formule travaillée par des acteurs
plus investi sur le sujet en question.
– Les élus se distinguent par une certaine multi-positionnalité. Une des caractéristiques
des élus français est le cumul des mandats.
Godmel et Marrel ont conduit une enquête sur une élue via l'étude de son agenda. Les
agendas des élus sont remplis d'activité différentes ; siéger en assemblée, des activités de
représentations (inauguration, congrès), des activités partisanes locales et nationales, des
activités relationnelles (recevoir les administrés, cultiver les réseaux). La rationalisation du
temps est un élément central du travail et de la professionnalisation politique. Les politiques
publiques ne sont pas l'ensemble de leur agenda. Leur contribution est intense mais brève et
ponctuelle. Dans un processus de politiques publiques on va voir les élus au premier plan
plutôt au début du projet (mise en place des choses, donner une impulsion, lancement du
projet, attribuer des autorisations et un budget) et à la fin du projet (afin d'incarner la
décision et la réalisation, inauguration, communication politique).
Dans quelles mesures les calculs politiques pèsent-ils sur les décisions publiques ?
Les politiques publiques ont ceci de particulier qu'elles sont traversées par les logiques du champ
politique.
Il s'agit de ne pas surestimer la variable politique : ce serait surestimer le rôle des acteurs politiques.
Pour autant on ne peut pas évacuer la variable électorale.
La question qui se pose est : à quel degré une politiques publiques est-elle influencée par des
raisons spécifiquement politiques ?
Les élus sont au prise avec des logiques électorales, c'est aussi dû à la professionnalisation de la
politique.
Ole Weaver a essayé de typifier les différents types de stratégie des gouvernants face à l'action
publique dans la perspective d'une élection. Il part du constat que la perspective d'une élection ne
déclenche pas des comportements uniformes. La même perspective peut inciter un certain activisme
décisionnel ou au contraire un ralentissement, un étirement du calendrier.
Première stratégie : le crédit claiming, offensive qui consiste à essayer de tirer profit, de convertir
des décisions en matière de politiques publiques en crédit politique et donc en bénéfices électoraux.
L'idée est de transformer l'action publique en ressource électorale. L'élu met en place une
communication politique pour s'imputer la responsabilité de ce qui a été fait en en donnant une
lecture positive. Cette stratégie peut aussi être utilisée par les adversaires dans un sens négatif.
Deuxième stratégie : le blame avoidance, c'est le fait de minimiser les coûts, les inconvénients qui
peuvent être lié à l'exercice du pouvoir. Il s'agit d'une stratégie défensive qui repose sur une
intuition : via la consultation de travaux en psychologie sociale, c'est une stratégie qui consiste à ne
pas s'engager dans des projets trop clivant ou controversés, à jouer sur le temps, à repousser
certaines décisions au mandat suivant, à prendre des décisions qui ne vont se matérialiser que dans
une certaine durée, ou encore à dépolitiser certains enjeux en insistant sur leur technicité.
Les acteurs politiques calculent en permanence. Ces stratégies de maximisation des résultats ou de
minimisation des dégâts, ne sont pas forcément hermétiques.
Exemples : l'affaire d'Alstom ou l'épisode de la déchéance de la nationalité (stratégie de credit
claiming : manière d'apparaitre comme un président fort qui prend des décisions marquées mais
aussi de blame avoidance).
Troisième stratégie : the good policy. Les choix des acteurs politiques, parfois, ne sont pas
uniquement motivés par des considérations techniques mais par des convictions profondes, une
croyance forte et sincère dans le bienfondé et la justesse d'une décision qu'ils vont prendre car ils
estiment qu'elle est bonne et nécessaire.
Exemple : l'abolition de la peine de mort portée par Robert Badinter.
La question du symbolique :
Ce qui se joue à travers ces rôles et à travers ces logiques d'imputation, est qu'il y a un premier
niveau où les enjeux sont de l'ordre de leur légitimation personnelle (le fait de gagner ou de perdre
du crédit en temps qu'entrepreneur politique), mais aussi un second niveau comme on le constate
dans le mythe du décideur théorisé par Jacques Lagroye.
→ Le mythe du décideur c'est aussi que finalement même quand on critique un bilan, un gouvernant
pour ce qu'il a fait ou non, implicitement au moins on considère que ça aurait été possible de le faire
par les politiques publiques. C'est une manière d'entretenir la croyance selon laquelle il est possible
de faire changer les choses à travers les politiques publiques par le biais d'un représentant.
L'administration est un lieu essentiel de conception et d'application des politiques publiques. Il est
de ce fait indispensable de prendre en compte la multiplicité des acteurs qui agissent dans les
politiques publiques.
L'administration est un espace social pluriel, segmenté et hiérarchisé.
Enjeux du cours :
Analyser le rôle éventuellement politique des haut fonctionnaires.
Analyser la dimension politique de leur rôle.
La catégorie de hauts fonctionnaires renvoie à des postes d'encadrement supérieur, de
responsabilité, de direction à différents niveaux exercés dans une institution publique. Cela renvoie
à une diversité d'établissements et de fonctions.
En France, on compte environ 15 000 hauts fonctionnaires.
Les hauts fonctionnaires des ministères occupent les postes les plus élevés comme celui de
directeur d'administration centrale. Ils font partie des plus prestigieux à l'intérieur de l'État
(directeur du Trésor est un des postes les plus décisifs dans l'administration de l'État).
Les sous-directeurs, les chefs de service et les chefs de service adjoint, les chefs de bureaux : ces
postes caractérisent les hauts fonctionnaires de ministères.
En majorité ces postes sont occupés par des énarques.
Parmi ses fonctions il faut mentionner les corps d'inspection, l'inspection générale des finances,
l'inspection générale des affaires sociales, l'inspection générale de l'éducation nationale.
On trouve aussi des corps techniques dans lequel on trouve des ingénieurs.
La caractérisation des hauts fonctionnaires se fait en fonction des postes occupés mais c'est aussi le
fait d'appartenir à un corps de hauts fonctionnaires.
Cette appartenance découle de la réussite à un concours, qui est en général très sélectif, d'entrée
dans une grande école (telle que l'ENA) pour rejoindre des corps administratifs (le corps
préfectoral, le corps diplomatique, le corps des administrateurs civils – ceux qui peuplent les
ministères).
Les mieux classés intègrent les grands corps administratifs : l'inspection général des finances, le
conseil d'État, et la cour des comptes.
Il y a d'autres écoles de la République qui forment les hauts fonctionnaires : l'INET (qui forme les
fonctionnaires territoriaux), l'École nationale de la magistrature, l'École nationale de la police,
l'École des hautes études en santé publique, les grandes écoles d'ingénieurs (telle que
Polytechnique) par laquelle les élèves accèdent aux grands corps techniques de l'État : le Corps des
ingénieurs des Ponts, des Eaux et des Forêts, et le Corps des ingénieurs des Mines.
C'est une manière de souligner que l'administration publique est un espace très hiérarchisé et que,
même à l'intérieur de la haut fonction publique, la hiérarchie est prégnante.
→ Dans cette élite se distingue encore une élite de l'élite qui correspond aux grands corps de l'État.
Dans ces univers, c'est une sorte de marque à travers lesquelles ces agents se reconnaissent et
s'attribuent des compétences particulières.
Ce prestige des grands corps est entretenu par le fait qu'à la sortie de l'ENA les élèves sont classés :
la promotion est réunie en ''amphi garnison'' et les élèves sont appelés dans l'ordre. Les 15 à 20 les
mieux classés ont tendance à choisir les grands corps – ainsi ce qui fait le prestige de ces corps
n'est-il pas seulement la nature du travail, c'est aussi le fait qu'ils sont choisis par les mieux classés.
On observe une tendance : la montée en puissance dans la production des politiques publiques de
ces acteurs administratifs.
Le propos du cours va être d'interroger ce rôle décisionnel qui a tendance à prendre de plus en plus
de place dans l'activité des hauts fonctionnaires.
Cette montée en puissance n'est pas anodine d'un point de vue de la légitimité. Les hauts
fonctionnaires s'appuient sur un autre type de légitimité qui entre en concurrence avec la légitimité
démocratique : c'est une légitimité par la connaissance et le savoir, une légitimité technique. C'est
sur cette forme spécifique de légitimité que va se construire la relation entre les gouvernants
politiques et les hauts fonctionnaires.
La perception de rôle des hauts fonctionnaires dans les politiques publiques a longtemps été
enserrée entre deux pôles extrêmes et typifiés :
La première vision consiste à considérer que les hauts fonctionnaires sont de simples exécutants :
qu'ils constituent le bras technique des acteurs politiques. Dans cette perspective on considère qu'ils
ne font pas de politique : cela renvoie à l'idéal-type wébérien de la bureaucratie : le hauts
fonctionnaires doit administrer avant tout de manière non-partisane.
''le fonctionnaire doit exercer sa charge sine ira et studio.'' → sans colère et sans passion.
Pour Weber l'honneur du fonctionnaire est d'exécuter, au meilleur de sa capacité, les ordres qui lui
sont donnés par le politique : il n'est pas là pour décider à proprement parler, la décision est
l'apanage du politique.
→ vision de l'administration subordonnée au politique. Elle est au service du gouvernement.
La deuxième vision apparaît à mesure que les fonctionnaires prenaient plus de pouvoir avec une
vision dénonciatrice qui tend à dire que les hauts fonctionnaires se sont appropriés le pouvoir
décisionnel. Dans cette vision les hauts fonctionnaires sont vus comme étant ceux qui décident
réellement mais en coulisse. En filigrane de cette vision il y a un procès en illégitimité précisément
parce que les hauts fonctionnaires ne s'appuient pas sur une légitimité démocratique. Cette vision
est souvent synthétisée par un mot : la technocratie utilisé de manière péjorative et dénonciatrice.
La vision des hauts fonctionnaires a donc été enserrée entre ces deux conceptions opposées puis les
travaux de science sociale qui se sont intéressées à ces questions ont fait ressortir une image plus
complexe et nuancée.
Ces travaux convergent autour de l'idée que si on veut bien comprendre le rôle des hauts
fonctionnaires, il faut le considérer comme un rôle hybride qui est construit et exercé en
collaboration et même en imbrication avec le politique et les élus.
On peut reprendre la formule de Jean-Michel Eymeri : Selon le politiste, tout en ayant des
caractéristiques différentes, les élus politique est les hauts fonctionnaires partagent ''la
caractéristique d'être professionnellement spécialisé dans l'exercice des activités gouvernantes''.
Plutôt que de rester sur des visions figées, l'enjeu est de comprendre comme s'effectue cette
collaboration, cette division du travail, comment ces acteurs différents partagent avec leurs
spécificité le travail décisionnel.
Il s'agit d'interroger les formes de politisation que l'on peut constater chez les hauts fonctionnaires.
Ce qui suppose d'être très précis dans ce que l'on entend par ''politisation'', qui est une notion
polysémique, qui fait l'objet de luttes de définition.
L'idée est d'observer ces acteurs au travail et de se demander dans quelle mesure ce travail relève
d'une forme de politisation.
Il y a au moins trois formes de politisation que l'on peut envisager s'agissant des hauts
fonctionnaires :
– On peut s'interroger sur une forme de politisation comme étant le fait de faire de la politique
c'est à dire de participer aux activités du champs politique différencié.
On peut aussi s'interroger sur le rôle du politique, de la proximité avec le politique dans les
carrières administratives. Y a t il une forme d'influence issue du champ politique sur les
trajectoires des hauts fonctionnaires ?
– Une autre interprétation de la notion de politisation peut se lire dans leur travail : certaines
des caractéristiques de ce travail est d'exercer une grande proximité avec les politiques.
Quelle est l'intégration des logiques politiques dans le travail administratif ?
– Une autre façon de questionner la politisation : est-ce que dans certains cas la contribution
des hauts fonctionnaires aux politiques publiques ne contient-elle par une véritable
dimension politique dans le sens où elle consiste de faire des choix, de déterminer des
priorités et des orientations, d'imposer une certaine lecture du monde social et de la société ?
Est ce que les hauts fonctionnaires n'ont pas un rôle tellement important dans le
définition de certaines politiques publiques qu'on peut considérer qu'ils sont des
décideurs et donc qu'ils jouent un rôle politique ?
La montée en puissance des hauts fonctionnaires n'est pas dissociable de la tendance du régime à
pencher vers l'exécutif.
L'administration étant de fait rattachée à ce pôle exécutif, leur montée en puissance est à la fois un
résultat mais aussi un mécanisme de se renforcement de l'exécutif.
La montée en puissance de l'administration dans le champ politique va de pair avec une
transformation des rôles de dirigeants et une évolution des critères de légitimité politique.
Cette légitimité par la compétence fait écho à ces ressources dont disposent les hauts fonctionnaires.
→ C'est sur cette base là qu'ils ont appuyé leur revendication de participer de manière accrue à la
politique de l'État, avec l'argument de la compétence et aussi l'argument d'être les défenseurs de
l'intérêt général.
Cette affirmation est liée à une critique des acteurs politiques plus intéressés par leur carrière.
C'est le croisement entre ces luttes de légitimité qui a participé à la valorisation de ces acteurs qui
ainsi, ont trouvé de plus en plus de place pour exercer leur fonction et leur d'emprise sur les
politiques de l'État.
C'est passé par le très fort développement des politiques publiques sous la Ve République : l'État
s'est mis à produire beaucoup de politiques publiques, de service public, il s'est mis à intervenir sur
un nombre toujours plus important de secteurs en matière politique, économique, dans l'éducation,
dans la santé, dans la culture. C'est l'apparition de nouveaux domaines qui deviennent des domaines
d'action publique.
→ Dans la plupart des politiques publiques de l'État, les hauts fonctionnaires étaient à la manœuvre,
et jouaient un rôle d'impulsion, de définition, d'orientation et de pilotage.
Les grands corps de l'État et la haute fonction publique ont été qualifié de noblesse de l'État par
Bourdieu - grandes écoles et esprit de corps.
Bourdieu souligne, en recourant à cette formule, une sorte de double dimension de la noblesse : une
dimension de forte sélection et de forte reproduction sociale, et une dimension de prestige
symbolique qui repose sur la façon dont les hauts fonctionnaires ont réussi avec efficacité à se
présenter et à être reconnu comme les interprètes de l'intérêt général.
La dimension de prestige est importante car le prestige que détiennent certains acteurs, ils le
communiquent aux objets qu'ils travaillent, aux lieux qu'ils traversent, donnant lieu à des effets
d'anoblissement.
Cette noblesse d'État est notamment formée par les grandes écoles. Si la direction contemporaine de
l'école insiste sur les dynamiques d'évolution qui sont à l'œuvre - l'école cherchant à diversifier le
recrutement de l'État - mais le changement social est un processus long qui se heurte aux
résistances du social. Cette école reste donc sélective d'un point de vue scolaire mais aussi social.
Les chances d'intégration sont corrélées aux propriétés socio-démographiques des individus : le
milieu social d'origine, la profession des parents, les études qu'ils ont suivis.
Jusqu'à récemment, 85% des reçus au concours externe étaient des enfants de cadres supérieurs ou
de professions intellectuelles. À l'inverse, 3% des élèves reçus au concours avaient un père ouvrier.
→ Cette forme logique de sélection est caractéristique et persistante.
L'ENA est un facteur de production d'une socialisation très puissante et d'un esprit de corps.
Dans son ouvrage La fabrique des énarques, Jean-Michel Eymeri explique comment les énarques
sont socialisés.
→ Les chances de réussir au concours sont directement liées à la socialisation initiale, cette
socialisation va favoriser l'accession au statut d'énarque mais ensuite l'école elle-même est une
institution qui produit une socialisation unique et distinctive : cela passe par des dispositifs
tangibles et formels : le type d'exercice, les stages, mais elle passe aussi par une culture, une
manière de se représenter, par un ensemble de visions entretenues par le fait que les élèves sont tout
le temps classés.
La logique du classement.
Cette socialisation repose sur une différenciation mais aussi sur une forte homogénéisation. La
socialisation de l'ENA relève d'une forme de mise en conformité, ''l'école produit des régularités
comportementales, les élèves partagent des manières de voir, de sentir, de penser et d'agir.''
explique Eymeri.
Ce qui fait souvent l'objet de critique : c'est la critique en terme de ''moule'', soit celle d'une vision
stéréotypée de voir les choses.
Le discours récurrent sur le pouvoir des hauts fonctionnaires repose sur un constat factuel :
→ De plus en plus, les énarques peuvent être repérés dans les différents pôles du champ du
pouvoir : le champ politique, le champ bureaucratique et le champ économique.
Les positions de pouvoir dans chacun de ces trois pôles sont souvent occupés par d'anciens élèves
de l'École de la République.
→ Ils se caractérisent donc par une multi-positionnalité dans les espaces de pouvoir.
Ce constat doit être utilisé avec précaution pour ne pas tomber dans une forme de caricature, bien
que l'ENA constitue de manière effective un vivier de recrutement pour le champ politique.
Plus on se rapproche du centre du pouvoir plus on voit une sur-représentation d'anciens élèves de
l'ENA :
Sous la Ve République, à ce jour trois présidents sur sept étaient des énarques (Valéry Giscard
d'Estaing, Jacques Chirac et François hollande, Pompidou était normalien).
On peut ajouter que l'ENA a fourni sept Premier ministres et de nombreux ministres, bien que la
tendance aujourd'hui aille vers une dé-énarchisation récente.
La plupart des ambassadeurs sont aussi issus de l'ENA.
On peut noter que c'est plutôt dans des institutions liées au pouvoir exécutif que les énarques font de
la politique.
Les cabinets ministériels, qui sont des organes politico-administratifs, font le lien entre le ministre
et l'administration ministérielle. Le passage en cabinet ministériel constitue une trajectoire
relativement fréquente pour les anciens élèves de l'ENA. Les énarques représentent 1/3 des
conseillers ministériels.
On peut illustrer l'affirmation d'un type de carrière politique qui démarre dans la haute
administration par un passage en cabinet avant de s'engager dans des fonctions plus véritablement et
publiquement politique par l'exemple de la promotion Voltaire.
→ La promotion Voltaire diplômée en 1980, est emblématique dans le sens où en sont sortis un
président de la république (François Hollande), une candidate au second tour de la présidentielle
(Ségolène Royal), un Premier ministre et plusieurs ministres.
De manière poussée l'exemple de cette promotion illustre bien une filière politique, ''l'accès direct
au centre'' selon Daniel Gaxie, qui commence par le centre du pouvoir et passe ensuite par une
consolidation à travers la conquête d'un mandat électoral et d'un ancrage local.
Il faut pourtant se garder d'une vision trop systématique : tous les dirigeants politiques ne sont pas
des énarques.
A l'Assemblée nationale, les anciens élèves de l'ENA représentent ''seulement'' 5% des députés.
À raison d'une centaine de diplômés par an, les énarques ne sont que quelques milliers de personnes
au sein de la population; ils sont donc sur-représentés à l'Assemblée nationale.
Cette sur-représentation apparaît d'autant plus importante que la représentation nationale connaît de
forts effets de sous-représentation de certaines catégories sociales.
Selon une étude de l'ENA sur les trajectoires de ses anciens élèves, ce n'est qu'une petite minorité
qui vont faire une carrière politique (5%). Dans leur grande majorité, les énarques font carrière dans
l'administration. Ce à quoi il faut ajouter que de plus en plus, certains vont aussi faire carrière dans
le privé.
8% des anciens élèves ont quitté définitivement la fonction publique pour aller faire carrière dans le
privé en général.
25% des anciens élèves feraient des va et vient entre fonction publique et fonction privée.
En France, on considère que les fonctionnaires sont subordonnés au politique mais qu'ils en sont
aussi autonomes en étant protégé par leur statut dans la fonction publique. Pour la grande majorité
des fonctionnaires leur carrière n'est pas liée à une intervention dans la politique.
Aux USA, le système est différent : le ''spoils system'' considère que l'administration est politisée. À
partir du moment où elle est là pour mettre en œuvre la politique décidée par un élu, alors il est
normal qu'elle soit politisée. Quand il y a un changement politique, il y a un changement de
l'administration, on redistribue les postes.
Autre exemple : Emmanuel Macron, choisit aussi l'inspection générale des finances mais la 2 étape
de sa carrière passe par le privé : il entre à la banque Rothschild. Il passe du côté du pôle politique
en intégrant l'équipe de campagne de Hollande, puis en étant son conseiller économique. Il intègre
le cabinet de François Hollande puis devient son ministre de l'économie avant de quitter le
gouvernement et de fonder son propre mouvement.
Autre dimension possible de la politisation qui concerne non pas les carrières mais les pratiques :
cela renvoie à l'analyse du travail et des activités qui constituent le cœur du métier de hauts
fonctionnaires.
C'est aussi une forme de politisation ''les hauts fonctionnaires sont des traducteurs'' explique Jean-
Michel Eymeri.
→ Une partie de leur compétence, et in fine de leur pouvoir, est de savoir se repérer, évoluer dans
les deux sphères, de comprendre les modes de fonctionnement, les façons de penser, de calculer qui
sont propres à l'espace politique et à l'espace administratif et de faire le lien entre les deux.
Ils traduisent le sens politique dans des instruments techniques, vont faire exister dans des
politiques publiques des choix politiques indiqués par les élus, les ministres.
La traduction se passe aussi dans l'autre sens : ils vont aussi rendre politique toute une série
d'aspects techniques pour les donner à comprendre et à s'approprier par les dirigeants politiques.
Ce rôle d'interface est absolument central et décisif puisqu'il s'agit aussi de donner au politique des
éléments de dossier – sous le forme de notes – qui vont constituer le socle à partir duquel le
politique va faire ses choix. Cela s'apparente à un pré-cadrage de la décision. Les hauts
fonctionnaires sont appelés à présenter des scénarios possibles. Ils participent en cela à la décision.
Jean-MichelEymeri souligne aussi que le rôle politique des hauts fonctionnaires réside dans leur
rôle de passeur : ce sont des agents qui ont la capacité de passer d'un espace à l'autre.
En traversant les deux espaces ils portent avec eux un certain nombre d'objets : ils vont porter vers
le politique un certain nombre de dossiers et de sujets. Ils vont, dans un sens, décider des sujets qui
vont remonter jusqu'aux instances politiques. Un ministre et son cabinet ont des agendas hyper
saturés, ils ne peuvent pas connaître et s'occuper de tous les sujets : en pratique dans l'action
publique il y a beaucoup de sujets qui sont gérés de façon ordinaire par les services administratifs
uniquement.
Les hauts fonctionnaires font le tri entre ce qu'ils considèrent comme nécessitant l'avis du politique
et les dossier qu'ils vont conserver dans la sphère administrative.
Ce sont en ce sens des agents de politisation : ils opèrent un travail de qualification; ils qualifient un
objet comme étant politique ou non.
Les sujets qui font le plus souvent l'objet d'une transmission au politique sont les sujets dits
sensibles (dont on suppose qu'il est susceptible de provoquer des réactions, des clivages, des
contestation, qui vont se traduire par des manifestations, qui vont affecter les intérêts politiques).
Il y a là aussi plusieurs niveaux de filtre.
Un sujet sensible est aussi un sujet qui va intéresser directement le ministre concerné, par exemple
parce qu'il concerne sa circonscription ou parce qu'il s'intéresse particulièrement à un sujet en ce
qu'il a construit son image dessus.
Les dossiers qui remontent sont aussi ceux qui portent des problèmes considérés comme nouveaux,
pour lesquels il n'y a pas de routine dans la manière d'y répondre.
Le savoir-faire du haut fonctionnaire est de percevoir les limites, jusqu'où il peut s'accorder des
prérogatives décisionnelles. Les hauts fonctionnaires décident de décider seulement quand ils sont
sûrs d'eux, la dimension de confiance étant essentielle.
Le rôle que les hauts fonctionnaires peuvent jouer substantiellement dans la construction de
certaines politiques peut être illustré par l'exemple suivant :
Sylvain Laurens chercheur en science politique a réalisé sa thèse sur la façon dont la question de
l'immigration est devenue une catégorie d'intervention publique à la fois politique et
bureaucratique : Une politisation feutrée.
Il montre comment des acteurs bureaucratiques sont des agents de politisation d'un sujet, qui n'est
pas passé par la compétition politique mais par les circuits administratifs. Il montre à quel point le
travail administratif peut produire ce qu'il est convenu d'appeler des ''effets de cadrage'' et comment
le travail administratif contribue à construire des catégories qui sont à la fois des catégories de
perception, de lecture du monde social mais aussi des catégories d'actions et d'interventions
associées à certains types de dispositifs et de méthodes.
Pour présenter son travail, Sylvains Laurens prend pour point de départ un épisode de la vie
politique récente : la création d'un ministère de l'immigration et de l'identité nationale.
En 2008, ça fait un moment que l'immigration a été construite en enjeu politique, en enjeu
d'affrontement, et en enjeu électoral.
Est-ce que pour autant la création de ce ministère s'explique uniquement par des raisons politiques
et électorales ? Est-ce que la création de ce ministère n'est que le résultat concurrentiel entre
différents acteurs politiques ?
Sylvain Laurens montre que si cette création a eu lieu ce n'est pas seulement parce que
l'immigration était perçue comme un enjeu politique mais aussi parce qu'une telle institution relevait
de l'ordre du pensable et du possible et que si ce ministère a été concevable c'est parce qu'il
s'inscrivait dans la continuité de 40 ans de politiques publiques, au cours desquels ont été élaboré,
consolidé, institutionnalisé tout un ensemble de cadre, de normes, d'instruments d'action publique,
des éléments de doctrine, des acteurs spécialisés, des institutions spécialisées, des méthodes, des
grilles de lecture et des arguments :
→ Autant d'éléments à propos desquels il met au lumière que les hauts fonctionnaires ont joué un
rôle décisif dans leur élaboration et leur institutionnalisation.
[Ce n'est qu'un avatar qui a organisé pendant 40 ans le regard et l'action de l'État sur l'immigration.]
L'histoire c'est qu'à partir de la fin des années 1960, la prise en charge par l'État des questions liées à
l'immigration connait de nombreux changements : l'affirmation nouvelle des hauts fonctionnaires
sur le sujet.
Jusqu'à cette période l'immigration faisait l'objet d'une gestion routinière, discrète et éparpillée dans
différents bureaux administratifs occupés par des agents de rang intermédiaire. Ce n'était pas un
secteur bureaucratique à part entière.
L'arrivée des énarques a introduit un changement important : ils vont investir la question de
l'immigration.
Entre 1964 et 1977, la part des énarques dans l'administration centrale passe de 5% à plus de 40%
on peut donc parler d'une énarchisation de l'administration.
Effets : Dans un premier temps cela a des effets d'anoblissement qui conduisent à une dynamique de
valorisation de la question à l'intérieur de l'espace bureaucratique. Cela contribue à faire en sorte
que la question devienne le cœur d'un système administratif. Les services concernés vont s'étoffer.
Cela devient aussi plus intéressant d'y travailler : il est possible de faire carrière dans
l'administration sur ce sujet là.
Autre effet : les hauts fonctionnaires donnent un sens politique à la question et la porte à l'attention
des politiques. Sylvain Laurens observe une forte augmentation du nombre de notes rédigées par les
hauts fonctionnaires avec des demandes d'arbitrage politique. Les demandes transmises vers les
cabinets portent aussi sur la création de postes dans l'administration et de nouveaux organismes,
dont ils vont obtenir la création : le fond d'action sociale pour les travailleurs immigrés et leur
famille, des organismes en dehors des ministères et à l'intérieur. Autant de lieux d'action dirigés par
des hauts fonctionnaires. Ils élargissent ainsi leur champ d'action.
Comment la technocratisation de ces enjeux accompagne-t-elle sa politisation ?
La politisation de la question de l'immigration va connaître une importance croissante :
→ il y a un phénomène de décolonisation dans les années 1960 :
– La décolonisation implique le rapatriement et le reclassement d'anciens administrateurs
coloniaux,
– Mécaniquement, la décolonisation accroit les flux migratoires, les anciens colonisés,
considérés comme des sujets d'empire, deviennent des étrangers. Les circulations entre la
France et les colonies deviennent des flux migratoires.
La question de l'immigration devient plus que jamais une question bureaucratique importante : elle
devient un sujet inter-ministériel.
Dans l'État, plus un sujet est transversal plus il est inter-ministériel et plus il est politisé, donc
demande un arbitrage politique.
Cette politisation par l'administration va être rejointe par une politisation politique : ces deux types
de politisation vont en faire un enjeu de débat.
Mais la politisation politique est postérieure.
En matière de politiques publiques, les hauts fonctionnaires en question, ont produit des choses, ont
mis en place des outils, ont commencé à élaborer une doctrine d'intervention (les lois sur le
regroupement familial, les politiques d'aide au retour sont issues d'une invention bureaucratique).
→ Quand on regarde sur la longue durée les politiques d'immigration, on voit qu'elles ont peu
changé fondamentalement, ce travail bureaucratique a contribué à mettre en place une doctrine, à
définir la politique de l'État : ce que Sylvain Laurens appelle ''une règle du jeu'' qui persiste et se
poursuit au delà des alternances politiques.
→ On retrouve la différence entre l'administration et le politique : la continuité.
Le sujet est quasiment en permanence sur l'agenda politique depuis la politisation politique de
l'immigration mais quand on regarde les politiques concrètes de l'État on constate une continuité.
C'est pour cette raison que Sylvain Laurens parle de bégaiement.
De ce point de vue là, force est de constater la forte participation des hauts fonctionnaires à la
production du politique.
C'est pour cette raison qu'on peut parler – en citant Jean-Michel Eymeri – d'une contribution de la
haute administration à la production du politique et que certains groupes de hauts fonctionnaires
peuvent être qualifiés de fonctionnaires gouvernants car ils sont multi-positionnés.
Circulant entre les deux, ces hauts fonctionnaires sont des acteurs et des co-producteurs de l'action
publique et, dans ce sens là, ils jouent un rôle politique.
Chapitre 2
Les experts et l'expertise dans l'action publique
Ce que l'on appelle l'expertise ce sont des savoirs, des connaissances mais une forme particulière de
savoir car c'est un type de savoir construit et utilisé pour l'action publique.
La figure de l'expert émerge au XIXe siècle avec une volonté de rationaliser les pratiques de
gouvernement en les appuyant sur des appuis de connaissances par des spécialistes d'une question.
On les a appelé les sciences de gouvernement.
À l'origine, l'expert est celui qui se caractérise par le fait de détenir un savoir particulier souvent
professionnel et qui au titre de ce savoir est sollicité pour régler des situations indécises et
conflictuelles.
Dans ce sens cela veut dire que c'est un acteur appelé comme spécialiste d'un domaine pour
intervenir dans un autre espace. Il est sollicité pour produire un jugement ponctuel par rapport à un
enjeu. C'est dans ces circonstances spécifiques qu'un acteur devient un expert.
Qui est susceptible de devenir expert ? À quel moment l'expertise est-elle sollicitée ? Quel type de
savoir font l'expertise ?
Corinne Delmas propose de ne pas donner de définition à priori de ce qu'est un expert : l'expertise
est une qualité, un statut qui est créé à travers des relations et dans une situation donnée. Une variété
d'acteurs sont susceptibles d'être considérés comme des experts et mobilisés comme tels.
Il faut plutôt considérer la construction de l'expertise.
Il n'y a pas d'expert sans expertise.
La figure du savant, du scientifique, du médecin est une forme classique importante de l'expertise.
Mais il n'est pas nécessaire d'avoir ces caractéristiques-là.
Cela veut dire que l'expert doit être considéré comme un médiateur : c'est un acteur qui va faire le
lien entre deux espaces : son espace d'appartenance d'origine et notamment son espace
professionnel qui peut être l'espace scientifique mais aussi un espace associatif ou tout autre type
d'espace professionnel.
On peut distinguer la production d'expertise qui se déroule à l'intérieur de la sphère publique : dans
le cas français l'importance de l'État fait qu'une partie importante du savoir est produite par des
acteurs qui eux-même interviennent dans la sphère publique.
A- La production publique de l'expertise :
Plusieurs cas de figure peuvent être rencontrés : l'expertise est produite dans le quotidien par tout un
ensemble de services administratifs qui sont dits ''en charge opérationnelle'', c'est à dire que leur
compétences consistent à réguler un secteur d'activité. Et dans le cadre de cette mission, les services
administratifs sont amenés à produire tout un ensemble de connaissances qui sont typiquement un
ensemble de connaissances expertes car produites pour servir l'action publique. Elles sont aussi des
connaissances économiques.
Exemple : des travaux de prospection qui ont pour vocation de donner au gouvernement une
projection sur l'évolution prévisible du champ économique. Dans d'autres domaines, cette expertise
va être de type sanitaire, et peut être produite par le service du ministère de la santé mais aussi par
les différents corps d'inspection (ex : vétérinaire).
L'administration produit généralement des expertises juridiques.
Cette grande diversité des connaissances correspond à la variété des secteurs de l'action publique.
Leur point commun étant qu'elles sont directement liées à l'exercice du pouvoir d'État.
Ces connaissances servent à des activités de certification et de labellisation, d'autorisation et
d'interdiction.
Les services administratifs produisent des données, des informations, des modélisations et des
scénarios qui en pratique vont aider l'État à exercer son pouvoir et éventuellement les formes de
pouvoir dont il a le monopole que ce soit en terme de fiscalité ou d'autorisation et d'interdiction.
B- Les expertises qui ne sont pas issues de services en « charge opérationnelle directe » :
On peut parler des services d'études que l'on retrouve dans un certain nombre de ministères.
- La DARES est la direction des études du ministère du travail.
- La DREES est le service d'étude du ministère de la santé et des affaires sociales et conduit les
grandes enquêtes (ex : les enquêtes de victimisation).
- Les grands organismes de la statistiques publique (l'INSEE, etc..)
- Les Observatoires dont l'Observatoire des inégalités, des drogues et des toxicomanies dont la
vocation est de produire des connaissances à destination du gouvernement.
- Le Commissariat général au Plan.
Cas particulier : les institutions indépendantes tels que le Conseil d'État, le Conseil
Constitutionnel, la Cour des comptes produisent aussi une expertise juridique structurante pour la
conduite de l'action publique.
Cette expertise a une fort pouvoir de légitimation ou le cas échéant de dé-légitimation des décisions
publiques.
Autre forme typique : celle qui consiste pour le gouvernement à confier une mission ponctuelle sur
un sujet particulier à une personne qui incarne une figure particulièrement légitime et compétente
sur un domaine. Cette personne, assez régulièrement, va se trouver être un haut fonctionnaire.
D'autre part, ces rapports peuvent aussi directement alimenter des réformes, peuvent servir de boîtes
à idées sur telle mesure ou telle disposition. Et cela d'autant plus que parmi les acteurs qui vont
participer on a souvent des hauts fonctionnaires dont la caractéristique est la mobilité.
L'expertise est aussi produite dans les cabinets ministériels par le travail des conseillers techniques
qui sont nommés à ces postes pour leurs compétences spécialisées sur un secteur donné.
Ils produisent des savoirs et de l'expertise évidemment sous une forme politisée.
Rien qu'en explorant la sphère publique on a une forte densité d'organisations et de structures qui
appuient la production de l'action publique.
Première catégorie de professionnels : les scientifiques, les chercheurs, les professionnels du champ
académique et scientifique,
Deuxième catégorie de professionnels : la nébuleuse des think tanks. Ces cabinets de consultants
sont des acteurs de statuts privés qui peuvent avoir soit un statut associatif soit la forme d'une
entreprise. On y trouve un enjeu de financement et de dépendance par leur caractère privé. Cette
sphère du consulting a pris une importance considérable dans la construction d'expertises assez
publicisées et qui contribuent à alimenter le débat politique. Au USA cela constitue aujourd'hui un
secteur très important. C'est une confrontation d'intérêt par le biais des idées. On appelle cela le
« marché des idées ». En France on les voit émerger au début des années 2000. Parmi les think
tanks d'obédience libérale on trouve : l'Institut Montaigne (créé par le PGD du groupe d'assurance
AXA et qui compte parmi ses donateurs un certain nombre de grandes entreprises du CAC 40), la
Fondation pour l'innovation politique (créée par un haut fonctionnaire et chef d'entreprise proche
de Jacques Chirac. Ce think tank se situe en marge de l'UMP, avec le projet d'en faire un lieu de
recherche et pas une fondation à vocation uniquement politique), l'IFRAP.
Parmi les think tanks situés à gauche on trouve : TerraNova, la Fondation Jean Jaurès (créée par
Pierre Mauroy, et considérée comme une boite à idée strauss-kahnnienne), la Fondation Copernic
(réputée pour être la gauche de la gauche, le seul des tkink tanks à être financé par les cotisations de
ces adhérents).
→ Le rôle important pris par les think tanks t est corrélé à une forme d'évitement intellectuel des
partis politiques. En particulier lorsqu'ils sont au pouvoir, les partis politiques ne sont plus des
producteurs d'idées mais seraient remplacés dans cette fonction par les think tanks ce qui explique
que plusieurs d'entre eux aient des affinités partisanes.
Troisième catégorie de professionnels : Les groupes d'intérêts et les lobbies dont un des répertoires
d'action consiste à produire du savoir. Ils sont donc aussi des producteurs d'expertises dans le sens
où c'est un savoir qui est directement lié à l'action.
II. L'expertise comme relation sociale :
L'expertise est une relation sociale de sélection, de sollicitation de certains individus en tant
qu'expert. Il ne suffit pas d'être un savant et de détenir un capital scientifique élevé pour être un
expert. Détenir ce capital peut être une condition mais c'est une condition non suffisante. Pour être
considéré comme un expert il faut avoir été sollicité en tant qu'expert. Le savoir produit à l'intérieur
du champ scientifique est un savoir scientifique. Ce savoir devient un savoir expert quand il est
convoqué et utilisé à des fins pratiques et de décisions publiques. Cette conversion suppose tout un
processus d'adaptation, de mise en forme, de traduction qui peut ne pas être sans poser des
difficultés voire sans susciter le refus de certains scientifiques car ce n'est pas la même démarche.
C'est donc une position intermédiaire qui doit concilier les attentes et les critères des deux champs.
Il faut entretenir un capital scientifique mais aussi sa crédibilité et son utilité au sein du champ
politique. C'est une position en tension.
Cela implique par ailleurs que les experts sollicités ne sont pas forcément les meilleurs spécialistes
de leur domaine.
Pour les chercheurs, aller en expertise peut correspondre à différents types d'intérêts : recherche de
ressources pouvant éventuellement être réinvesties dans le champ politique.
Gilles Massardier reflète cette dimension relationnelle et stratégique de l'expertise : il a étudié des
géographes qui à une époque ont été appelé « les nouveaux géographes ». En effet, ils promouvaient
une approche de la géographie quantitativiste. Ils faisaient figure de challenger mais en tant que
promoteur d'une nouvelle approche ils occupaient des positions marginales dans le champ
scientifique. Cette situation se prête à des stratégies de conquêtes de ressources au vue de
compenser cette marginalité. Or, en position dominée dans un espace il est difficile d'accumuler des
ressources dans cet espace : il faut aller les chercher à l'extérieur de l'espace professionnel. Cette
stratégie d'extraversion consiste à occuper des positions dans le champ universitaire mais aussi
dans d'autres espaces professionnel et d'accumuler les ressources de ces différentes positions. Les
géographes mettent en place des stratégies classiques dans leur propre espace (création de revue,
organisation de colloque) mais ils interviennent aussi dans les espaces politique et administratif : ils
siègent dans tout un ensemble de commissions et de comités d'experts, en cabinet ministériel etc..
Mais ils occupaient aussi des positions de conseil auprès des collectivités territoriales qui suivant le
mouvement de décentralisation, avaient étendu leurs compétences. Il y avait donc un nouveau
marché.
Ce n'est pas sans effet sur l'action publique : cette collaboration a conduit à l'élaboration d'un certain
nombre de dispositifs publics.
La raison officielle de la convocation d'une expertise est l'aide à la décision. C'est à dire éclairer les
gouvernants pour qu'ils puissent envisager toute les données d'un problème et prendre la décision
correspondante.
L'usage politique de l'expertise peut être un usage d'amélioration des connaissances.
On en compte deux :
– l'expertise pour justifier et légitimer une décision,
– l'expertise comme ressource pour accéder au processus décisionnel.
L'expertise est donc une relation de circulation entre l'espace savant et l'espace politique et
administratif.
Entre ces deux espaces circulent des connaissances mais aussi d'autres éléments et notamment des
éléments de légitimité. Ce qu'apporte les experts c'est aussi la légitimité particulière liée à la
science. Or les qualités usuellement prêtées à la science sont un peu l'inverse des caractéristiques
prêtées au politique. La connaissance scientifique et les scientifiques sont habituellement loués pour
leurs compétences, la précision et la profondeur de leurs connaissances, ainsi que leur objectivité.
→ C'est le miroir inversé de ce qui est reproché au politique.
Le fait de recourir à un appuie scientifique c'est aussi un apport d'un surcroit de légitimité ou d'une
légitimité compensatoire.
L'action publique a des dimensions concrètes, pratiques mais aussi une dimension symbolique.
Gouverner, c'est aussi entretenir un ensemble de croyances, c'est agir sur les représentations et les
visions du monde, c'est construire une certaine image de la décision : une image légitimatrice.
Enfin, c'est une manière de donner à voir une décision comme étant fondée sur de bonnes raisons :
des raisons de connaissances extérieures au monde politique.
Selon Jean-Yves Trepos, l'expert apporte à la décision un langage de vérité, parce que le discours
de l'expert est supposé reposer uniquement sur la maîtrise d'un ensemble de connaissances qui
peuvent être tirées du droit, de la médecine ou de tout autre domaine.
Frédéric Lebaron souligne quant à lui, que les experts constituent pour les politiques un réservoir
d'autorité parce que finalement à travers la relation d'expertise les politiques s'approprient les
qualités et les vertus prêtés aux savants. Ce n'est pas sans lien avec la construction des luttes
politiques : le recours à un savoir expert est utilisé pour assurer qu'une réforme est nécessaire et
inévitable dans l'absolu et non pas pour des raisons idéologiques.
B- L'expertise comme ressource pour accéder au processus décisionnel :
Cet usage peut se faire sur un mode contestataire et conflictuel : c'est une manière d'imposer un
point de vue hétérodoxe dans l'espace de la décision, mais cette dimension n'est pas systématique.
Parfois certains acteurs associatifs, à priori assez éloignés des acteurs publiques, vont être
approchés par ces acteurs publiques car ils détiennent des connaissances leur permettant de
conduire leurs actions.
Gwenola Le Naour montre comment dans des associations de soutien aux toxicomanes ces acteurs
publiques sont entrés en contact avec les administrateurs de la santé en vue de rechercher leur
expertise.
Il démontre que c'est aussi la situation qui détermine qu'un type de savoir peut devenir un savoir
expert.
Dans ce cas de figure c'est ce savoir qui a permis à ces acteurs d'intégrer la politique publique.
De plus, ces associations vont connaître une forme d'institutionnalisation qui ne sera pas sans effets
sur leur positionnement.
Toutes les questions ne font pas nécessairement l'objet d'une expertise, l'objet de connaissances et
de savoirs.
Il y a aussi l'idée que la façon de produire des connaissances donne lieu à la mise en lumière de
certains phénomènes et que les méthodes utilisées pour connaître peuvent aussi avoir pour
implication de laisser dans l'ombre d'autres aspects ou éléments des problèmes.
D'où le fait que ces dernières années on a observé dans le champ des sciences sociales le
développement d'un sujet : la production de l'ignorance.
→ Il y a même un mot qui a été forgé : l'agnotologie ou étude de l'ignorance comme production
collective et fait social.
Ce terme a été proposé par un chercheur américain, Robert Proctor. Il désigne la production
culturelle de l'ignorance.
Dans l'approche de Robert Proctor c'est le fait de dire que l'ignorance n'est pas seulement l'absence
de connaissance mais qu'elle peut être le résultat de certaines activités.
Ce point de vue fait que l'ignorance est un objet tout aussi nécessaire que la connaissance.
Il y a une géographie du savoir qui décime en creux une géographie de l'ignorance qu'il est
important de prendre en considération si on cherche à comprendre comment les savoirs et les non-
savoirs sont utilisés dans les rapports politiques.
Les travaux de Robert Proctor portent sur le tabac. Son point de départ est la mise à disposition d'un
immense corpus d'archive des industriels du tabac.
Robert Proctor s'est empressé de s'y plonger. Cela lui a permis d'enquêter sur les moyens
considérables déployés par les industriels du tabac pour faire en sorte que la nocivité de leurs
produits apparaissent le plus tard possible. Il montre comment ces stratégies ont servi aux fabricants
de tabac de gagner du temps (près de 40 ans) avant l'intervention régulatrice des pouvoirs publics.
Il montre qu'à partir des années 1950, les industriels ont déployé tout un ensemble de moyens pour
brouiller la connaissance et la perception des connaissances sur la toxicité du tabac et ses effets
cancérigènes.
Cette production d'ignorance a reposé sur une méthode bien précise : la méthode du doute.
Le travail des industriels a consisté à produire tout un ensemble de recherches afin de créer des
controverses, de fragiliser et de concurrencer les savoirs médicaux et scientifiques à priori bien
établis sur les effets cancérigènes du tabac.
Robert Proctor a trouvé dans les archives un mémo intitulé « le doute est notre produit » dans lequel
on retrouve des choses familières : des faits alternatifs.
La stratégie est de créer du trouble quant à la réalité de leurs effets néfastes.
Ils ont bénéficié pour ce faire de la mise en place dans le secteur du journalisme de la fairness
doctrine consistant à donner la parole au deux camps.
Robert Proctor montre que cette production d'ignorance a la particularité de s'appuyer sur la science.
Il dit : « Un propos récurrent est de dire : il faut toujours plus de recherches parce qu'il y a des
doutes ».
→ La production d'ignorance est passée par la production de sciences. Cela a permis de retarder
l'action publique en matière de prévention et de restriction. Mais aussi de retarder l'action
individuelle du fumeur qui déciderait d'arrêter de fumer.
D'autres chercheurs ont constaté que des méthodes similaires dans des domaines différents avaient
été employé avec des stratégies de production de l'ignorance.
Naomi Oreskes a écrit Les marchands de doutes ouvrage dans lequel elle montre que dans tout un
ensemble de débats, les industriels assistés par tout un ensemble de relais et épaulés par une armée
d'experts, ont voulu créer du doute.
Ce n'est pas la spécificité de l'industrie du tabac mais une méthode répandue.
La question de l'ignorance et de ses effets sur la régulation politique s'inscrit dans une approche
stratégique. La production de l'ignorance est une démarche volontaire et offensive, organisée et
manipulatrice.
Ces résultats ont suscité beaucoup d'intérêts et d'autres chercheurs ont voulu aller encore plus loin et
ont identifié tout un ensemble de cas où été utilisé cette production de l'ignorance sans qu'elle soit
aussi organisée que dans l'industrie du tabac.
Ils montrent que l'ignorance peut être utilisée par des acteurs de bonne foi, que cette production peut
être le résultat d'une culture professionnelle, de façon de faire, de nécessité parfois, qui sans que
cela soit l'objectif finalisé, ont pour résultat de laisser dans l'ombre la connaissance de certains
problèmes.
Jean-Noël Jouzel et François Dedieu montrent qu'il y a aussi dans les pratiques même de
l'administration publique des éléments qui favorisent l'ignorance. Ils montrent que cette ignorance
sur les liens entre les pesticides et la santé découle du mode de connaissance choisi pour réguler les
pesticides. Ce mode de connaissance s'explique non pas par l'existence d'une malveillance mais par
les intérêts pratiques des acteurs administratifs.
Conclusion
La question de l'expertise suscite tout une série d'enjeux et de défis. Parmi les questions,
contestations, défis lancés à l'expertise on peut mentionner la question de la légitimité.
Les élus sont loin d'être les seuls acteurs de la décision publique.
Des acteurs s'appuyant sur d'autres types de légitimité peuvent jouer des rôles considérables sur le
cadrage de la décision publique.
Dans quelle mesure alors ces acteurs qui n'ont pas été désigné par un processus démocratique pour
influencer la décision gouvernemental sont-ils fondés pour la dénoncer ?
La question de la légitimité est un des enjeux centraux de l'expertise.
Une autre difficulté posée par l'expertise est qu'on observe une certaine multiplication des
expertises, pour ne pas dire une dissémination.
Cette dynamique produit une multiplication de savoirs de fait concurrents, souvent contradictoires
et conduit à une situation paradoxale :
→ l'expertise supposée aider à trancher devient un facteur d'incertitude. Elle ne permet plus en tant
que telle de trancher. Elle est le reflet des rapports de force entre des groupes en concurrence.
Dans cette dissémination on peut aussi constater le développement de dispositifs participatifs qui
donnent lieu à des débats publics.
Une des finalités est aussi de faire émerger une expertise profane, une expertise d'usage qui ne va
pas reposer sur la détention de savoirs scientifiques mais sur le fait d'être un habitant, d'avoir une
expérience quotidienne d'un lieu. Il s'agit de valoriser ce type de savoir citoyen en tant que savoir
expert.
Ce doute sur l'expertise a aussi été alimenté par d'autres aspects, par un certain nombre de scandales
qui ont mis en lumière un certain nombre d'intérêts.
Par ailleurs, la science, même la meilleur n'a pas toutes les réponses quand les problèmes auxquels
font face les politiques sont complexes et enserrés dans un ensemble de rapport de force concurrents
et contradictoires.
Chapitre 4 - Les groupes d'intérêts
Sabine Saurugger souligne dans son approche la grande hétérogénéité formelle des groupes
d'intérêts.
On peut avoir une acception large : c'est à dire définir les groupes d'intérêts comme une entité
cherchant à représenter les intérêts d'une section spécifique de la société dans l'espace public, ou
une acception plus resserrée : c'est à dire définir les groupes d'intérêts comme une organisation
constituée qui cherche à influencer les pouvoirs publics dans un sens favorable à son intérêt.
On retient l'idée d'organisation et la question de la représentation (les groupes d'intérêts sont des
acteurs représentatifs) qui entraîne toute une série de contraintes et d'enjeux, notamment des enjeux
de légitimation.
La question de l'influence est aussi une perspective au sein de laquelle il convient de les prendre en
considération.
Un des objectif des groupes d'intérêts est de peser sur les processus décisionnels pour promouvoir
un certain nombre de causes et de revendications et ce afin que les demandes soient traduites à
travers la loi notamment.
Autrement dit, les groupes d'intérêts sont aussi des groupes à minima organisés qui sont définis par
une dimension représentative et une dimension d'influence.
Les groupes d'intérêts sont partie prenante de ce processus politique qu'est l'action publique. On
peut préciser qu'en tant que groupe organisé avec des objectifs politiques ils se distinguent d'un
autre type de groupe organisé que sont les partis politiques.
La perception des groupes d'intérêts est largement captée par une figure : le lobby de la grande
industrie et du secteur financier.
Cela va de pair avec une dimension péjorative par le biais d'une représentation de l'influence perçue
aussi de manière négative car au service d'intérêts privés et contraire à l'intérêt général.
Aux États-Unis, les groupes d'intérêts ne sont pas associés à cette dimension négative mais perçus
comme une des modalités du pluralisme politique et un indicateur de la « bonne santé » de la
démocratie.
Dans cette approche, l'intérêt général n'est rien d'autre que le rapport de force entre différents
intérêts en compétition, tous légitimes s'ils respectent les règles de la compétition.
I. Les relations entre les pouvoirs publics, l'État et les groupes d'intérêts :
Dans la littérature de science sociale on a longtemps constaté une opposition entre deux types
d'approches que l'on peut trouver résumés dans les travaux de Philippe C. Schmitter.
En ce sens s'est développée une approche des politiques publiques par les réseaux.
→ Les politiques publiques sont le résultat d'un travail politique, le fruit d'une production entre
différents acteurs dont les acteurs des pouvoirs publics mais aussi des experts et des acteurs de
groupes d'intérêts.
On s'interroge sur leur stabilité, leur hétérogénéité ou leur homogénéité, sur leur caractère ouvert ou
fermé, sur leur lien avec l'État, etc..
Au sein de cette approche par les réseaux différents auteurs ont proposé des notions plus
spécifiques :
– La notion de communauté de politiques publiques proposée par Jordan et Richardson.
Cette notion spécifie certains réseaux de politiques publiques qui se distinguent par une
assez forte intégration, une grande cohésion entre les participants du réseau, une assez forte
sélection à l'entrée du réseau, une inter-dépendance entre les différents acteurs.
– La notion de communauté épistémique proposée par Peter Haas. On retrouve l'idée d'un
réseau fermé et présentant une forte sélection mais cette notion insiste sur le fait que ce qui
constitue le ferment de cette communauté est le partage d'un ensemble de croyances, de
principes, de valeurs constitutives qui constitue le socle de la communauté partagée par les
différents acteurs. C'est à dire le partage d'une même vision du problème, la défense d'une
même logique d'action à l'égard de ce problème, le partage d'une analyse des caractéristiques
du problème et des mécanismes de causalité, le partage des aspects méthodologiques et d'un
certain nombre de principes fondamentaux. Ces communautés se révèlent là aussi assez
sélectives, y participer suppose de détenir un certain nombre de propriétés, avoir connu une
certaine trajectoire. Ces communautés ont tendance à avoir une production normative
importante : détention et diffusion de modèles et de principes, nationale et internationale.
– La notion de triangle de fer proposée par un politiste américain : Ted Lowi. Ce dernier
montre que sur un certain nombre de sujet on peut repérer une coalition serrée qui repose sur
3 pôles : des agents de l'administration fédérale (des fonctionnaires), des parlementaires (des
élus au Congrès), et certains groupes d'intérêts liés au secteur considéré. Son travail a
conduit à relativiser la perception du régime américain comme régime pluraliste. Il montre
qu'on peut repérer une forte sélection des acteurs autorisés et l'existence de relations
stabilisées qui se perpétuent sur la durée entre ces différents acteurs. On parle de « triangle
de fer » pour souligner la solidité de ces communautés de politiques publiques qui se
traduisent par leur résistance et par le fait qu'elles fonctionnent de manière fortement fermée
et connaissent peu de changements.
– Marc Thatcher propose de parler de réseaux thématiques, c'est à dire de réseaux constitués
de réseaux ad hoc, hétérogènes dans leur composition. Ils se caractérisent par une moins
forte durabilité, ont tendance à se disperser à partir du moment où intervient une forme de
résolution du problème ou à l'inverse si le problème est noyé.
– La notion de coalition de causes proposée par Hank Jenkins-Smith et Paul Sabatier. Une
coalition de causes a pour vocation d'essayer de dépasser les oppositions entre réseaux
souples et fermés en montrant qu'une cause peut être soutenue de facto par une coalition
transversale qui rassemble des acteurs très différents à des échelles locales, nationale ou
même internationale. Ce sont des réseaux qui ne sont pas organisés, qui ne se fréquentent
pas directement, qui ont des raisons différentes mais convergentes de soutenir la cause. Les
coalitions de cause ne supposent pas d'agir pour les mêmes raisons et par le biais des mêmes
solutions : il s'agit simplement d'avoir un objectif commun.
Par exemple en France : à propos de la défense de l'énergie nucléaire. On trouve dans la
coalition des hauts fonctionnaires techniques impliqués dans l'élaboration du programme
nucléaire, et désignés par un auteur comme les nucléocrates. Ces acteurs sont favorables à
l'énergie nucléaire, prônent la modernisation du parc nucléaire, sont persuadés des vertus
supérieures de ce type d'énergie. On trouve aussi dans cette coalition des organisations
syndicales (celle d'EDF), des organisations politiques (le PCF), et un certain nombre d'élus
locaux dont les territoires accueillent des centrales.
Cette notion est une synthèse : elle montre qu'un réseau peut être puissant et mobilisé sans
être très intégré, il suffit de partager l'objectif principal.
Ces analyses permettent de mettre en lumière le rôle important joué par certains acteurs : les
acteurs intermédiaires.
Olivier Nay et Andy Smith ont défini les acteurs intermédiaires dans leur ouvrage
Le gouvernement du compromis :
La multiplication des lieux de décision et la fragmentation des lieux du pouvoir favorise voire
nécessite la participation d'acteurs intermédiaires.
Leurs savoir-faire distinctifs résident dans leur capacité à construire des compromis, faire
fonctionner ensemble des groupes diversifiés. Il s'agit d'unifier autour d'une même cause des acteurs
qui sont mobilisés pour des raisons différentes.
Olivier Nay et Andy Smith distingue deux types d'acteurs : les minimalistes et les généralistes.
Les minimalistes sont des acteurs spécialisés dans la construction d'échanges et d'intérêts sans
chercher à rassembler les protagonistes sur une même vision des choses. Ils cherchent à unifier les
acteur à partir d'un socle minimal : une approche stratégique de la coalition à savoir la poursuite
d'un intérêt commun. On parle de courtage des intérêts.
Les généralistes font un travail de médiation qui cherche à aller plus loin, à savoir construire un
sens commun, des valeurs et un langage entre des espaces institutionnels qui ne sont pas inscrit dans
les mêmes logiques de fonctionnement. Le rôle des médiateurs va être de les socialiser à une même
vision du problème. Il s'agit de cimenter cette coalition par un support cognitif : une vision
partagée.
Ce que montre la sociologie des groupes d'intérêts c'est l'importance fondamentale de la notion
d'inter-dépendance entre l'État et ces groupes d'intérêts.
→ L'action publique repose sur des interactions parfois distantes, parfois étroites entre des acteurs
publics et des représentants d'intérêts divers. Ces interactions reposent toujours sur des
interdépendances entre les acteurs.
Plus encore, il faut voir que bien souvent les intérêts et les groupes qui prétendent les représenter
n'existeraient pas sans les institutions étatiques.
→ Dans leur genèse un certain nombre d'intérêts sont produits dans un contexte et un cadre
étatique : c'est l'existence de l'État et de ses politiques qui font émerger certaines causes et intérêts.
Michel spécialiste des groupes d'intérêts et des lobbies a réalisé sa thèse sur la cause des
propriétaires. Il s'agit d'une étude socio-historique de la manière dont les propriétaires se sont
constitués en groupe afin de défendre certaines causes.
Il explique que c'est à travers les politiques publiques de l'État que la catégorie des propriétaires a
commencé à se dessiner : notamment à travers la politique fiscale.
De fait c'est aujourd'hui un acteur identifié dans les politiques de logement.
Autres exemples : Sans système public de retraite il n'y aurait pas de catégorie « retraités ».
C'est parce qu'il y a des politiques migratoires qu'il existe une catégorie de sans-papiers et une cause
des sans-papiers.
Les politiques publiques en se construisant définissent des groupes, et possiblement des causes à
défendre. Elles définissent aussi des modes d'accès au pouvoir : elles s'accompagnent d'un système
de reconnaissance de certains acteurs légitimes pour défendre certaines causes.
Cette dimension d'interdépendance n'est pas sans contre-partie : elle n'est pas sans contrainte dans la
formulation des causes notamment.
Les groupes d'intérêts cherchent à influencer mais ils sont aussi indissociablement des
représentants. Cette position est liée au pouvoir public et s'accompagne de tout un ensemble
d'obligations qui déterminent les capacités d'action des groupes d'intérêts.
Il n'est pas rare que ces relations État-groupes d'intérêts connaissent une certaine forme
d'institutionnalisation via un ensemble de règles, et d'habitudes. Cela va de pair avec un phénomène
de socialisation.
Faire partie d'un groupe d'intérêts reconnu c'est être un acteur des politiques publiques : cela va de
pair avec le nécessaire apprentissage des règles du jeu, cela implique une adaptation.
Une première règle est d'évaluer jusqu'où on peut aller, quelles sont les limites ?
L'institutionnalisation c'est aussi l'apprentissage d'un sens pratique et des limites : à savoir l'espace
des possibles dans les processus décisionnels.
On retrouve toute la problématique de la représentation : l'intérêt des représentés et l'intérêt propre
du représentant.
Maintenir sa place dans le jeu de l'action publique peut supposer de procéder à certains ajustements
des revendications, peut inciter à favoriser des rapprochements avec les adversaires.
Car ces partenaires ont au moins un intérêt commun : continuer à être des partenaires et maintenir
leur place dans le jeu.
Sébastien Plot a abordé dans ses recherches la question du surendettement. Il montre comment par
des effets de socialisation s'opère une forme de rapprochement cognitif : les acteurs apprennent à
comprendre les intérêts et les modes de raisonnement de leurs adversaires. Cela permet de donner
du sens et atténue la conflictualité des relations entre les différents acteurs.
Il montre aussi comment les groupes d'intérêts ont intérêt à maintenir leur place dans le jeu, ce qui
suppose aussi la preuve de leur capacité à travailler ensemble et à obtenir des résultats. Cela
suppose la réalisation de compromis.
Cela a pour conséquence que d'autres organisations qui prétendent aussi défendre les intérêts de tel
ou tel groupe vont se trouver à l'écart des canons officiels de la décision. Ces groupes alternatifs
vont être incités à adopter des modes d'action, des répertoires plus contestataires voire plus
radicaux. Ils sont moins tenus par les règles du jeu. Pour autant la distribution des groupes d'intérêts
n'est pas gravé dans le marbre ad vitam eternam. On peut voir émerger des coalitions ou des
recompositions.
Les répertoires d'action sont une manière de distinguer les groupes d'intérêts entre eux. Il s'agit de
s'intéresser à leurs modalités d'action
Il existe toute une gamme possible d'interventions.
Les groupes d'intérêts et leurs modalités d'action sont souvent classés selon leur caractère plus ou
moins direct ou indirect, selon qu'ils sont plus ou moins intégrés au circuit officiel ou extérieur,
selon qu'ils sont plus ou moins public ou discret lors de leurs mobilisations.
Daniel Gaxie propose de distinguer leurs modalités d'action en terme de circuit court (accès direct,
discrétion) ou de circuit long (recherche d'une visibilité par des circuits publics, stratégies
médiatiques).
En fonction de leurs caractéristiques, les différents intérêts ne vont pas passer par les mêmes
canaux.
Il s'agit d'une formule de Daniel Gaxie qui est le support d'un rappel important pour l'analyse des
politiques publiques car elle renvoie à la façon dont on se représente l'État.
En quoi consiste cet ensemble institutionnel très vaste et ouvert qu'est l'État ?
L'État est pluriel, divers, segmenté, traversé par des clivages, des différences et des contradictions.
Il y a dans cette formule deux éléments qui tiennent ensemble : un espace et des espaces.
Premièrement, dire que l'État est un espace c'est souligner qu'on a affaire à un ensemble
institutionnel très particulier, distinct du reste du monde social. Cette spécificité est mise en lumière
par les travaux des classiques de la littérature sociologique.
En effet, les agents de l'État ont quelque chose de particulier par rapport aux autres agents sociaux :
ils sont dotés d'une autorité, ils ont le pouvoir de contraindre les gens.
Ils partagent cette caractéristique d'être dépositaires de la caractéristique de l'État qui est le
monopole de la violence physique légitime.
Pourtant, l'observation de l'État au concret montre que cet espace n'est pas du tout uniforme ni
univoque : il est pluriel et hétérogène.
Il l'est déjà formellement : l'État s'incarne dans une variété d'institutions et de formes concrètes à
commencer par les différents ministères.
L'analyse des politiques publiques invite à considérer l'État comme un espace de clivages, comme
un espace global dans lequel se sont structurés des espaces particuliers.
A l'intérieur de l'État on a des sous-espaces qui s'inscrivent autour de ces clivages. Ces clivages
montrent que structurellement l'État est traversé par tout un ensemble de lignes de tension.
Outre ces clivages structurels, l'espace de la décision au niveau de l'État est de plus en plus
caractérisé par des luttes et des concurrences entre différents ministères pour avoir la main sur un
sujet, une politique publique.
La division du travail entre les différents ministères est fluctuante. Jusque dans les années 1980,
l'espace gouvernemental est caractérisé par une division nette et établie du travail entre les
différents services. Aujourd'hui elle fait l'objet de redéfinition : les champs de compétence, les
prérogatives d'un ministère sont susceptibles d'être concurrencés par les prérogatives d'autres
ministères.
Exemple du tabac :
Pendant longtemps le tabac a été considéré uniquement comme un sujet économique parce qu'il
existait une production française de cigarette et parce que le commerce de tabac était et est toujours
une source de recettes fiscales pour l'État.
Dans les années 1970, certains hauts fonctionnaires du ministère de la santé se sont saisis de la
question du tabac et ont commencé à développer une approche du tabac comme question de santé
publique.
Ce cadrage n'a cessé de se renforcer à mesure que s'est constitué un réseau d'action publique avec
ses propres experts et un ensemble de lois et de réglementation visant à encadrer les conditions
d'usage du produit.
→ La question du tabac est donc prise en charge par deux ministères différents : le ministère des
finance et le ministère de la santé. Il existe deux visions d'État sur le tabac.
On peut qualifier l'État de bipolaire sur cette question.
Les lobbies pro-tabac s'appuie sur des arguments économiques. Les groupes anti-tabac ont à leur
tour investi le pôle économique : ils proposent aussi des expertises économiques qui appuient l'idée
selon laquelle le tabac ne serait pas rentable pour l'Etat notamment à travers les dépenses de santé
dues aux dommages du tabac etc..
Exister en politique peut passer par l'association de son nom à une loi. L'intérêt politique des
ministres stimule le jeu de concurrence entre les ministères.
Plus que jamais, la direction de l'État est fondamentalement un travail d'arbitrage et de régulation
des concurrences à l'intérieur même de l'État et du gouvernement.
Cela commence dès la constitution du gouvernement via l'attribution des compétences, des sujets et
des moyens administratifs. Au delà de la nomination des ministres il s'agit de faire attention à la
distribution des moyens administratifs : les décrets d'administration.
Cela donne une idée du poids politique du ministère et de la vision du chef de l'État sur ce secteur.
On peut citer une notion issue de l'ouvrage de Graham Allisson sur la crise des missiles de Cuba,
Naissance de la décision.
Il explique que pendant la réunion de crise la dynamique de la décision s'est expliquée par la
concurrence qui existe entre les différents corps de l'armée et des renseignements américains.
→ chacun ayant leurs propres croyances quant à l'intérêt de l'État et aux solutions à la crise.
Nous allons nous focaliser sur une activité décisionnelle : au processus législatif en considérant que
l’adoption de la loi est une figure emblématique du processus politique. Le processus décisionnel ne
se limite pas à la face visible de la prise de décision, ce qui se passe avant renvoie à ce qui
explique qu’un gouvernement se saisi d’un pb. En effet certains sujets sont politisés car ils attirent
l’attention, toute une série de questions concernent cette construction des pb publics et de leur mise
sur agenda. L’analyse des politiques publics s’intéresse également à ce qui se passe après ac la
mise en œuvre des politiques publiques, qui fait apparaitre de nouveaux acteurs.
Importance croissante de la dimension médiatique dans le travail des cabinets. Ces derniers ont
donc des stratégies médiatiques : s’ajustent aux attentes et au cadre médiatique. Or ce cadrage
médiatique pèse sur les modalités politiques, notamment la façon dont un pb va être défini. Rôle des
médias dans la construction du problème, comme le montre Emmanuel Henri sur l’amiante, qui
était traité sur un espace particulier de l’état, le ministère du travail, traité comme un pb de santé au
travail sans politisation ; certains médias s’y sont intéressés et l’ont présenté de manière différente,
ce qui a entrainé l’interdiction de l’amiante par les pouvoirs publics. Bref le capital médiatique
prend une importance de plus en plus grande. On a vu se mettre en place des cellules de veille qui
opèrent une surveillance du secteur pour repérer d’éventuels pb, ainsi qu’une surveillance de
l’espace médiatique ac le SIG (Service d’information du gouvernement).
Le Parlement :
Sous la Vème le Parlement a perdu son pouvoir d’initiative, toutefois il conserve un pouvoir de
contribution à la fabrication de la loi : dans la plupart des cas, les textes présentés par le
gouvernement ne sont pas entérinés tels quel. Dans quelle mesure ce travail de modification des
amendements témoigne-t-il d’un rapport de force ? Pour Marc Milet, la différence réside dans le
type de texte dont il est question, notamment dans leur dimension plus ou moins technique, plus ou
moins politique.
L’attitude du président de commission et du rapporteur sont déterminantes également :
différents intérêts :
- L’intérêt de circonscription : quand un texte concerne directement le territoire d’élection du
rapporteur, alors celui-ci va être disposé à encourager le dépôt de nombreux amendements
- Les intérêts de clientèle : on considère les groupes sociaux. Les élus dépendent d’un réseau
de soutien composé d’une coalition de gp qui entretiennent l’éligibilité du député. Les élus
sont tenus par des dettes politiques à un ensemble de soutien.
- Motivation symbolique : manière d’exister, se distinguer, voire avoir un accès médiatique.
L’asymétrie de pouvoir est confirmée, mais dans un certain nb de textes les parlementaires
instaurent un rapport de force. Le pouvoir d’amendement sert les parlementaires, qui peuvent
avoir un rôle dans la construction de l’agenda décisionnel (tjrs en négociation ac le gouvernement)
afin de pousser le rapport de force. Il est nécessaire de faire des compromis qui peuvent porter tant
sur du contenu que sur le calendrier.
Le budget est l’acte politique majeur d’une collectivité, car le fait de décider la façon de
percevoir des recettes et organiser des dépenses est la traduction fondamentale de choix. On est
supposés pouvoir lire la ligne politique, il y a une forte signification politique du budget. Cpdt cette
dimension est contrainte : la marge de manœuvre effective est considérablement limitée.
Alexandre Siné, haut fonctionnaire et docteur de science politique, a essayé de proposer une lecture
de science politique du budget : il étudie sur 40 ans les budgets successifs de l’état, et observe « la
grande pétrification des finances publiques ». Il veut souligner le caractère rigide et contraint du
budget : des engagements découlent de décisions prises par les gouvernements antérieurs, ac lequel
le gouvernement actuel doit composer. Ces différences imposent un ensemble de dépenses qui
absorbent une partie très importante du budget disponible.
iné décrit l’état comme employeur, débiteur, une part importante du traitement des fonctionnaires, et
est au service de la dette. Les financements des politiques publiques ayant vocation à traiter le
chômage de masse, il reste une large manœuvre effective réduite à la portion qu’on veut.
En moyenne, sur un budget moyen de 300 milliards d’euros, une quinzaine de milliards sont
disponibles pour traduire des priorités politiques. Cette situation de rigidité budgétaire à été
intériorisée sur la durée, les ministères ont ainsi appris par la pratique à calibrer leur demande pour
qu’elle ne paraisse pas excessive, pour éviter qu’ils perdent en crédibilité. Pour mettre en lumière
des éléments de politisation du budget, Siné propose plrs éléments :
- Le calendrier : la réduction des dépenses intervient davantage en début de mandat. Les fins
de mandat se prêtent plus a des tentations d’ouverture en direction de différentes clientèles
électorales.
- 2 techniques de politisation :
• On peut observer cette politisation de manière globale, ou rentrer dans le détail en
désagrégeant les secteurs, pour observer que certains secteurs sont moins pétrifiés.
Les gouvernements s’efforcent de concentrer leur petite marge de manœuvre sur des
thématiques significatives politiquement (création postes ds éducation nationale
pour gouvernement de gauche par exemple).
• L’illusion budgétaire : usage politique d’aspects techniques. Représentation que la
droite serait moins dépensière que la gauche. Identité stratégique collectivement
construite. Le but est de focaliser l’attention sur les décisions initiales, soit le projet
de loi de finance, le budget étant considéré d’identification politique, les
gouvernements sont incités à marquer des différences comme on le constate dans les
projets de loi de finance. On constate en effet une tendance plus dépensière dans les
gouvernements de gauche. La loi de règlement donne a voir les dépenses
effectivement réalisées, qui n’est pas le même budget que la loi de finance.
Alignement dans les pratiques budgétaires effectives entre droite et gauche qd on
observe les lois de règlement. Cette technique d’illusion budgétaire contribue à
entretenir l’image de politisation du budget.
C-Les réformes managériales de l’action publique
a.i.1. Zeré »r
Sont supposées présenter une matrice de rationalisation. Cette technique de management n’est pas
nouvelle, remonte au moins au début des années 60.
Bezès explique qu’on assiste à un discours de réforme, puis petit a petit les réformes sont
introduites : processus qui acclimate la réforme progressivement en construisant sa légitimité, et
suscite des ralliements. La managérialisation de l’administration publique n’est pas subie, il montre
le succès de ce processus. Rendu possible par l’implication très forte d’acteurs de l’état lui-même,
notamment des hauts fonctionnaires. Cette thématique de réforme de l’état ne constitue pas un bloc
doctrinal unifié, mais d’un puzzle doctrinal.
Il distingue 4 types de répertoires :
- Répertoire politique libéral : discours critique à l’égard de l’état en tant qu’institution,
remet en question l’intervention de l’état pour des raisons d’efficacité (économique) et pour
des questions de principe et de légitimité. La conception de l’état est minimaliste : l’état est
supposé se concentrer sur ses missions régaliennes. Ce répertoire inspire les privatisations,
la libéralisation de marchés (comme le marché du travail) la favorisation de la mise en
concurrence…
- Répertoire modernisateur : renvoie à la réorganisation, à prêter attention à la gestion des
services publics et séances publiques. L’idée est de rendre l’action publique plus accessible
pour les citoyens électeurs. Moderniser l’état est faire en sorte qu’il s’ouvre à la population,
et que les citoyens puissent davantage exercer un contrôle. L’état rend des comptes dans
cette approche. Cela améliore la légitimité de l’état. Mise en place d’évaluations publiques.
Michel Rocard avait vu sous son mandat la mise en place des études, des évaluations pour
rendre des comptes.
- Répertoire académique : prend acte de travaux sur les institutions publiques qui constatent
que l’administration à tdce à détenir un vrai pouvoir dans la conduite des affaires publiques.
Certains auteurs formulent une critique politique à partir de ce constat, en considérant que
cela est un pb, ac deux défauts :
o Niskanen explique que les services administratifs sont par définition disposés à
devoir s’agrandir, qu’ils sont mobilisés par des intérêts spécifiques liés à leur service,
qu’ils vont s’engager dans des luttes bureaucratique (pour avoir plus d’agents,
étendre leur périmètre d’intervention etc). Cela supposerait une augmentation des
crédits publics, mais cette théorie est critiquée.
o L’emprise des technocrates est considérée comme une sorte de dépossession du
politique. La réforme de l’état aurait vocation à maitriser la dépense publique, et à
rétablir le pouvoir du politique.
- La boite à outils : ensemble de techniques, développées d’abord dans le champ des
entreprises pour favoriser le contrôle à distance. On peut assimiler le secteur public et privé
dans cette hypothèse, il est donc possible d’appliquer des techniques du secteur privé. Forme
de neutralisation de l’hypothèse de spécificité du service public. Or un certain nb d’activités
ne se prêtent pas à une quantification aussi facile.
Exemple du Benchmarking : évaluation comparative de performance, établit un classement,
pour que tous s’alignent sur le mieux évalué, ou exemple de la rémunération au mérite.
2 réformes :
- LOLF : écrite et votée sous un gouvernement socialiste, celui de Lionel Jospin.
Adoptée en 1998 et 2001, appliquée à partir de 2006.
Met en place une nouvelle organisation du budget de l’état, organisé en forme de mission
(125). Ces missions sont associées à des objectifs par rapport auquel les administrations
vont devoir rendre des comptes.
Les ministères doivent rendre un rapport annuel de performance.
Elle a été interprétée comme renforçant le pouvoir du parlement dans l’activité budgétaire.
Le parlement peut débattre des objectifs des missions.
- RGPP : (Révision générale de politique publique) gouvernement de Nicolas Sarkozy.
Renforce le pouvoir de l’administration du budget, elle est rattachée à ce ministère et
accentue ainsi sa prééminence : renforce ses pouvoirs d’imposition et de contrôle.
Cette réforme réduit le périmètre d’intervention de l’état et de l’administration publique.
Elle renforce le pouvoir d’acteurs démocratique.
Ces deux réformes s’inscrivent dans ces transformations managériales de l'État.
Nous allons voir les pouvoirs territoriaux comme des acteurs majeurs de la production des
politiques publiques.
L'affirmation des pouvoirs territoriaux est lié au processus de décentralisation, qu'on a tendance à
identifier aux grandes réformes engagées au début des années 80.
A ce moment-là, des transformations structurelles ont été mises en place. Pour autant il serait
fallacieux de dater le début de ce processus au début des années 80.
Le mouvement d'affirmation des pouvoirs locaux en tant qu'espace de lutte et de compétition mais
aussi d'invention et de mises en œuvre des politiques publics est un processus plus ancien.
La IIIe république par exemple est déjà une période d'affirmation des pouvoirs territoriaux.
→ Le changement s'inscrit dans un processus de long terme : les étapes réformatrices sont
justement des étapes.
L'idée générale qui ressort de ces travaux est qu'on peut observer dès le tournant du XIXe et XXe
siècle une forte affirmation des espaces politiques locaux qui repose sur l'invention de politiques
publiques.
Le IIIe république constitue un âge d'or des communes, on ressent de la méfiance à l'égard d'un État
bureaucratique centralisé. Les réformateurs sont attachés à une fragmentation des pouvoirs
politiques.
Cela se traduit par une transfert des pouvoirs et des missions vers les autorités locales.
Dans ces conditions, la IIIe République apparaît comme une forte période de rénovation :
→ la tradition de l'État français est celle de la centralisation.
→ La perspective proposée par Dumons et Poluet est de penser l'État et les espaces locaux comme
un ensemble d'espaces politiques emboités, des espaces politiques et administratifs
interdépendants qui se construisent, et se développent sur le plan politique et bureaucratique dans
un ensemble de relations parfois de concurrence mais aussi d'échange, et finalement de
renforcement réciproque à travers ses échanges.
Il faut penser le local comme intégré au national plutôt que fondamentalement distinct et séparé.
Il s'agit de comprendre les relations qui se développent entre ces différents échelons.
Autre aspect : le rôle joué par les politiques publiques dans le processus d'affirmation des pouvoirs
territoriaux.
Le Goff montre comment ce sont les mairies qui ont commencé à mettre en place des bureaux
municipaux d'hygiène et qui ont compris qu'il s'agissait là d'une responsabilité des pouvoirs publics.
S'agissant des politiques sociales, les mairies et les élus locaux ont compris que ces politiques
publiques contenaient aussi de potentielles ressources politiques, susceptibles d'accroitre leur capital
politique. Dans la gestion des dispositifs d'action sociale, les mairies sont en première ligne : ce sont
elles qui traitent les dossiers. Cela participe à une forme d'identification de l'action publique aux
mairies. Or sur le plan du financement la part municipale est en fait minoritaire : ce sont plutôt les
départements et l'État qui apporte la plus grande part au dispositifs. Mais ces dispositifs sont
identifiés à la mairie et apportés au crédit du maire en ce qu'il est sur le terrain.
Parallèlement, la pratique de ces dispositifs incite les municipalités à se renforcer sur le plan
administratif, à monter en compétence bureaucratique : car cela suppose des compétences
gestionnaires, administratives, d'identification et de renforcement socio-démographique des
populations, etc..
Pour autant, il ne faudrait pas s'imaginer que les communes sont complétement autonomes : cette
affirmation communale se fait toujours en relation avec l'état : relations financières, modèle
administratif et bureaucratique.
D'autre part, le développement du pouvoir municipal reste encadré par l'état : il se fait dans le cadre
de ce qui est autorisé par l'État.
On retrouve l'idée d'espace politique et administratif interdépendants, en relation, avec des rapports
de force qui ont évolué dans l'histoire (alternance de séquences décentralisatrices et re-
centralisatrices).
Ces enquêtes montrent l'existence de ces systèmes, c'est à dire des systèmes de relations localisées
entre le représentant de l'État dans les territoires et puis les élus locaux et notamment les mairies et
puis aussi les présidents des départements.
Ce que montrent ces auteurs c'est que plutôt qu'une vision asymétrique d'un état dominant on voit
au local une situation plus équilibrée, d'échange, à nouveau d'interdépendance structurelle entre
l'État et ses représentants.
Exemple : Le préfet tout puissant qu'il soit, pour faire son travail a besoin des élus, de ces relais qui
lui apportent des modalités concrètes sur lesquelles appliquer les politiques de l'État.
Réciproquement, les élus ont besoin de l'État et de ses ressources financières mais aussi techniques,
pour moderniser leur territoire, pour construire des logements et des infrastructures de transport.
On est en présence de partenaires plutôt que d'adversaires.
Les auteurs montrent comment se mettent en place des systèmes d'action reposant un certain
nombre de règles issues de la pratique mais qui conditionnent la capacité d'action des acteurs.
Dans l'application de certaines lois, le préfet est amené à négocier et à tenir compte de
l'acceptabilité de ses décisions par les élus locaux.
La décentralisation n'est pas en soi une rupture absolue, c'est un changement qui s'inscrit dans un
processus historique de long terme.
De fait, le processus de décentralisation qui s'ouvre au début des années 80 va se trouver marqué
par l'emprise des élus sur le déroulement de ce processus.
C'est donc à ce processus spécifique qu'on va s'intéresser dans un deuxième point.
Elle est initiée consécutivement à l'alternance politique de 1981. La réforme de décentralisation fait
partie de l'agenda de changement du nouveau gouvernement. Elle a vocation à constituer un
élément d'héritage politique, un identifiant politique pour ce pouvoir qui avait fait campagne autour
du slogan « changer la vie ».
Cette réforme est confiée au ministre de l'Intérieur en charge de la tutelle sur les collectivités
territoriales.
C'est donc Gaston Defferre qui défend au nom du gouvernement le projet de décentralisation.
Les lois de 1982 et 1983 posent les principes de la décentralisation et s'efforcent de l'organisation.
La loi du 2 mars 1982 instaure la décentralisation en posant son principe fondamental : la libre
administration locale.
Pour donner corps à ce principe, la loi introduit des changements pour matérialiser ce principe :
→ la suppression de la tutelle administrative du préfet.
Jusque là, les actes des collectivités locales faisaient l'objet d'un contrôle à priori du préfet, le
contrôle devient dès lors a posteriori : c'est un desserrement important de la tutelle de l'état.
Logiquement ce la s'accompagne d'un transfert du pouvoir exécutif au président du conseil général,
au maire, au président du conseil régional.
Par cette loi, les régions deviennent des collectivités locales à part entière ce qui conduit à
l'élection au suffrage universel du conseil régional.
Il y a dans les lois du 7 janvier et du 22 juillet 1983 deux enjeux principaux qui ressortent des
débats parlementaires et qui précèdent le vote de ces lois.
On est en présence d'une caractéristique importante du régime politique : le cumul des mandats.
Les parlementaires et les élus nationaux qui doivent décider des réformes sont pour la grande
majorité également des élus locaux. Ils sont donc juge et parti. Ils sont décisionnaires et
destinataires de la décision.
Ça les met dans une position privilégiée pour participer à ce processus décisionnel.
Un enjeu important est les relations entre les échelons territoriaux.
→ hiérarchie, autorité entre les collectivités ?
A l'issu de ces débats a été retenu le principe de non-tutelle d'une collectivité sur une autre.
Du point de vue des relations État-collectivités, l'idée n'était pas de faire de la décentralisation un
processus de fédéralisation. De fait, la décentralisation ne donne pas de pouvoirs normatifs aux
collectivités : cela reste le pouvoir de l'état.
La libre administration locale reste définie dans un cadre décidé par l'état.
Les lois de 1983 contiennent deux principes de répartition qui dans la pratique vont se révéler assez
contradictoires et qui vont donner lieu à des pratiques qui vont être le support d'importantes
critiques à l'égard de la décentralisation :
– On lit dans la loi que chaque conseil « gère les affaires du territoire concerné ». Écrit
comme ça, l'interprétation qui peut être faite est que les collectivités peuvent s'occuper de
toutes les affaires concernant leur territoire donc cette écriture a pour conséquence de ne pas
limiter à priori ces compétences : le critère de délimitation est un critère territorial.
– La clause générale de compétence : les collectivités peuvent se saisir et intervenir sur
n'importe quelle matière. La loi apporte une conception extensive des responsabilités
locales.
– On lit que « Les assemblées locales règlent les affaires de leurs compétences » on a ici
affaire à un critère thématique. Pour chaque niveau de collectivité on a des activités
identifiantes : il s'agit de définir pour chaque catégorie des blocs de compétence considérées
comme des compétences obligatoires. L'idée est de favoriser la lisibilité du système. Il s'agit
de faire en sorte que le système soit le plus lisible possible.
Les spécialités fonctionnelles des communes : usage des sols et urbanisme – services publics
de proximité – écoles (partagée avec l'état).
Les spécialités fonctionnelles des départements : Gros bloc qui regroupe le social et le
médico-social : gestion et distribution des principaux dispositifs d'aide et d'action sociale à
l'image du RSA, des allocations du handicap ou des prestations de prises en charge des
personnes âgées. Ils sont associés aux territoires ruraux : gestion et équipement de
l'aménagement rural. Ils sont chargés des transports scolaires. Compétence scolaire : les
collèges (à l'exclusion du pédagogique comme les communes).
Les spécialités fonctionnelles des régions : développement économique – aménagement du
territoire régional – transport régionaux – formation professionnelle – lycées.
On voit deux conceptions qui ne correspondent pas aux mêmes logiques de répartition des
compétences.
L'existence de cette clause générale de compétence a favorisé un fort activisme de la part des
collectivités. La décentralisation s'est accompagnée d'un fort interventionnisme de la part des
collectivités dû aussi au fait qu'à la tête des collectivités il y a élus donc des entrepreneurs de la
politique qui ont compris que les politiques publiques étaient un ressort politique.
Les intérêts positionnels des élus sont décisifs.
Faire des politiques publiques c'est une façon de se faire connaître, c'est un support de
communication politique en apportant des choses. C'est distribuer des ressources par lesquelles ont
attend des retours.
Les élus locaux avancent une autre raison de leur investissement : il s'agit de compenser les
carences de l'État, c'est faire mieux que l'État dans le service à la personne. Cela consiste à une
amélioration des services publics
Cet argument fait l'objet malgré tout d'un consensus public : la décentralisation s'est accompagnée il
est vrai d'un ensemble d'améliorations dans la gestion des politiques et des services publics.
Concrètement, cette impulsion politique s'est traduite par une multiplication des interventions
territoriales en dehors de leurs compétences.
Typiquement, depuis longtemps, toutes les catégories de collectivités ont des interventions en
matière de développement économique territorial alors qu'il s'agit officiellement d'une compétence
de la région.
Exemple : département de la Saône et Loire. On compte pas moins de 9 agences de développement
économique : l'agence régionale, l'agence du conseil général, les agences des principales villes du
département, les agences des communautés de communes.
→ sur une compétence régionale on a 9 institutions qui s'occupent de développement économique
dans un département.
Autre exemple : La culture. Toutes les collectivités ont des interventions en matière culturelle.
Malgré l'existence d'un ministère de la Culture, ce n'est pas l'État qui subventionne le plus la scène
culturelle mais les collectivités locales. Ce financement objet de politiques locales, crée un
processus de dépendance de la culture au financement public.
La décentralisation a favorisé une forte intervention des pouvoirs locaux dans les dispositifs
publics : cela a donné forme à une certaine pratique de la décentralisation qui a commencé à faire
l'objet de critiques importantes, dont le cœur est exprimé par la fameuse image du mille-feuille
territorial pour mettre en lumière la multiplicité des strates.
Cette multiplication des échelons est perçu comme un problème par un certain nombre de
commentateurs politiques.
Cette stratification est perçue comme un facteur de fragmentation : le fait que chaque collectivité
intervienne un peu dans tout fait que leurs actions ne sont pas coordonnées mais fragmentées
parfois superposées.
→ critique en matière d'efficacité mais aussi en matière budgétaire.
Les critiques pointent aussi les dérives des finances publiques.
De fait, depuis la décentralisation les effectifs des collectivités ont considérablement augmenté.
Dans les débats politiques qui portent sur les finances publiques, des candidats préconisent un
raccourcissement de la fonction publique : ils fondent leur priorité sur les fonctionnaires de la
fonction publique territoriale avec l'idée que les collectivités se sont un peu laissées aller.
Pour toutes ces raisons la décentralisation apparaît comme un processus de réforme finalement
inaboutie de telle sorte que la thématique de la réforme est présente de manière récurrente sur
l'agenda politique dans les débats politiques avec une ligne directrice : il s'agit de rationaliser pour
rendre efficace et moins couteuse cette organisation territoriale. On recherche la bonne formule :
l'optimum territorial.
L'acte II :
L'émergence d'un processus réformateur est favorisé par la conjonction de plusieurs paramètres : la
volonté de revoir la décentralisation.
En 2002, Jacques Chirac est réélu à la présidence de la République il est dans un contexte qui incite
à engager des réformes, il nomme Jean-Pierre Rafarin à Matignon.
Le Premier ministre est un élu territorial. Il a construit sa carrière politique autour d'une notabilité
régionale à travers la présidence de la région Poitou-Charente et le Sénat.
→ Ces conditions favorisent le volontarisme réformateur en matière de décentralisation.
Il arrive à Matignon avec une profonde ambition réformatrice et porteur d'un projet ambitieux :
rationaliser l'organisation territoriale.
Une de ses idées est de favoriser un renforcement de l'échelon régional.
→ Cet acte II va à nouveau illustrer le fait que, dans l'action publique, il ne suffit pas qu'existe une
volonté politique forte mais que le système décisionnel étant complexe et traversé par une
multiplicité d'acteurs et d'intérêts – la décision publique ne peut être qu'un compromis.
La mobilisation des élus locaux forcent le Premier ministre à négocier et à revenir sur son projet
initial.
Un volet constitutionnel : le 28 mars 2003 est adopté une révision constitutionnelle qui inscrit le
caractère décentralisé dans la Constitution et introduit entre autre : le droit à l'expérimentation, le
référendum local.
Une nouvelle loi de décentralisation est adoptée le 13 août 2004 : c'est la loi dite sur « les libertés et
les responsabilités locales ». Cette loi de décentralisation s'inscrit dans la filiation des lois de 1983,
elle porte sur la répartition des compétences. C'est notamment ce projet de loi qui a été en partie
neutralisé par la mobilisation des élus locaux, en particulier le projet du Premier ministre de
renforcer plus explicitement le rôle des régions. Cette volonté s'est heurtée à une vent de
protestation de la part des élus municipaux et départementaux. Un compromis est trouvé : on trouve
dans la loi la simple mention de la notion de chef de file, les régions sont désignées chef de file
dans le développement économique, les départements pour l'action sociale (manière de rappeler leur
existence dans l'organisation territoriale).
Cette dénomination n'est pas associée à une dimension coercitive. C'est une suggestion.
Un des volets principaux concernent le volet scolaire. La loi de 2004 transfère aux collectivités les
personnels, les agents qui dans les établissements scolaires s'occupent de l'entretien. Ils deviennent
des fonctionnaires territoriaux.
L'acte III :
Il s'est opéré sous le quinquennat de François Hollande, il comporte 3 volets.
C'est le cabinet de la ministre en charge de la décentralisation qui a élaboré une première version de
la première carte : les élus locaux représentés au Parlement se sont mobilisés pour contester.
Au final c'est l'Élysée qui a arbitré sur un modèle de carte. Elle est adoptée définitivement le 17
décembre 2014 avec des résultats de vote qui démontre le caractère non-consensuel du projet :
→ 277 voix Pour / 30 abstention / 235 voix Contre.
La carte est entrée en vigueur le 1er janvier 2016 à la suite des élections régionales déplacées à
décembre 2015.
Cette nouvelle carte a suscité d'emblée un certain nombre de questionnement sur les objectifs liés à
la réforme :
→ objectif officiel premier : la rationalisation de l'organisation territorial.
On le savait, la taille n'est pas en soi ce qui fait la richesse d'une région. Dans l'organisation
précédente la région Alsace (deux départements) était une région parmi les plus riches avec un PIB
supérieur par exemple à la région Centre.
→ la superficie n'a pas d'effet déclencheur sur la richesse, alors pourquoi faire des grandes régions ?
Autre ligne de perplexité : les modalités de compensation qui ont accompagné la réforme.
Cette réforme a eu ses perdants : les villes qui ont perdu la fonction de capitale de région.
Par exemple, Montpellier est devenue une métropole en perdant son statut de capitale régionale.
Quid d'une vraie rationalisation ?
Est-ce que ça s'accompagne d'une nouvelle catégorie de compétence des régions ou cela se limite-t-
il à un nouveau tracé géographique ?
Le Premier ministre décide un modèle d'organisation vers lequel il souhaite conduire la république :
il y a deux échelons : la région et l'échelon inter-communal.
La rationalisation préconisée passe par le renforcement de ces deux niveaux. Plus encore, le Premier
ministre incarne sa volonté de rationalisation en affirmant l'objectif de supprimer le département à
l'horizon 2020.
Le projet réformateur se propose de changer radicalement l'organisation territoriale.
Mais la volonté réformatrice s'est trouvée de nouveau contrariée par les réalités du processus
décisionnels et les contradictions politiques qui se sont manifesté :
→ Elle a fait l'objet de plus de 2 000 amendements au Parlement.
Le texte sorti de la navette parlementaire conserve 50% seulement du projet initial.
Parmi ce qui a changé :
→ Il n'y a plus la suppression du département. Le Premier ministre lui-même l'a retiré pour des
raisons de faisabilité politique. Supprimer le département ne peut pas se faire par une loi simple
mais par une révision constitutionnelle.
A l'issue de l'acte III, le département est toujours là et conserve l'essentiel de ses compétences.
Pour ce qui est des régions, son rôle de chef de file du développement économique est confirmé,
elles se voient confier la responsabilité de faire voter un schéma régional du développement
économique, la loi NOTRE fait des régions le guichet unique des aides aux entreprises, elles se
voient confier la gestion directe des fonds européens. Toutes ces nouvelles prérogatives restent dans
le domaine du développement économique. La loi NOTRE ne prévoit pas l'attribution aux régions
de nouveaux volets de compétences.
Conclusion
Au final, on voit à quel point cette politique de décentralisation illustre bien les aléas du
volontarisme réformateur. On voit bien comment de fortes ambitions sont neutralisées par tout un
ensemble d'intérêts contraires. Cela illustre l'emprise des élus locaux sur le processus décisionnel.
De ce point de vue, la réforme du cumul des mandats va peut-être ouvrir une nouvelle ère du
processus décisionnel.
On voit bien que ce processus est un processus incrémental, c'est à dire un processus de
changement qui se déroule très progressivement par petites modifications successives qui tracent
une trajectoires de changement).
D'un côté on peut être frappé par la force de l'inertie et des contraintes qui contrarient le
volontarisme réformateur, en même temps on peut constater que c'est lent et compliqué mais que
mit bout à bout, chaque petit changement finit par déboucher sur un changement.
Au final, on voit se dessiner un schéma d'organisation territorial dont on voit qu'il a le vent en
poupe : un schéma qui repose sur la région et l'échelon inter-communal au détriment du
département et de la commune.
C'est un modèle qui s'inscrit aussi dans le modèle européen de régionalisation.
On peut mentionner une remarque en 2015 : à la faveur des lois de parité et des binômes paritaires,
les conseils départementaux allaient devenir les conseils les plus féminisés mais que ces institutions
sont les plus menacées à moyen terme.
Ce développement des institutions territoriales s'est accompagné d'une augmentation des fonctions
élective d'où émergence d'une population importante d'élus.
La décentralisation pour l'heure a plutôt pris la forme d'une complexification et d'une superposition
de strates.
Les institutions sont elles-même diversifiées : les territoires sont très différents.
Selon les types de territoire, la position de l'élu ne correspond pas aux mêmes modalités et aux
mêmes profils d'acteurs.
Au sein d'un même territoire les fonctions sont aussi différentes :
→ le chef de l'exécutif territorial,
→ les membres de l'exécutif,
→ toute la troupe des simples élus.
Les fonctions et les rôles sont très diversifiés ainsi que la façon aussi ils investissent la fonction.
Les élus locaux se caractérisent par un processus de professionnalisation qui se manifeste sous des
formes et à des degrés différents.
On va s'intéresser à ceux qui sont engagés dans une véritable professionnalisation de la politique.
Les travaux de sociologie politique ont mis en évidence que l'accès à la représentation et aux
mandats politique était un important processus de sélection sociale d'autant plus forte que l'on
s'élève dans la hiérarchie.
Un des arguments mis en avant pour justifier le processus de décentralisation était un argument de
démocratisation qui renvoyait à deux aspects :
– l'idée de rapprochement géographique des instances décisionnelles,
– l'idée de diversification du recrutement politique.
Cette espérance de la décentralisation n'a pas été entièrement satisfaite : les logiques du recrutement
politique se préservent avec force tant au niveau local que national.
Cela s'est accompagné d'une technicisation des conduites de l'action politique et des institutions
territoriales. Cela constitue aussi un facteur de sélection.
Plus on monte dans la taille des communes, plus la sélection sociale des élus est manifeste.
Luc Rouban effectue des statistiques socio-démographique sur les maires des petites et grandes
communes : il se concentre sur les villes de plus de 30 000 habitants. Les chiffres sont significatifs.
En 2014 les maires appartiennent pour 90% aux catégories moyennes et supérieures.
Au début des années 1980 c'était 67%.
→ l'évolution est sans appel.
Le phénomène de sur-représentation est criant : ces catégories ne représentent que 15% de la
population.
Les ouvriers ont aujourd'hui quasiment disparu des gouvernements locaux : dans les villes
moyennes et grandes ils ne sont plus que 0,4% des maires en 2014.
Les enseignants ont longtemps constitué un vivier important d'élus locaux : pour des raisons liées à
leur profession favorisant l'activité politique locale en terme de capitaux, de relative disponibilité
temporelle, de proximité socialiste, le PS ayant particulièrement investi les collectivités locales.
Cette catégorie est pourtant également en relatif déclin.
Ils sont passés de 22% en 1983 à moins de 10% en 2014.
Inversement, une catégorie connait une croissance importante parmi les catégories professionnelles
qui constituent des viviers de recrutement : celle des collaborateurs politiques dont la trajectoire
professionnelle tend à se prolonger par un passage électif.
En 2014 c'est la seule catégorie professionnelle qui connait une véritable croissance dans la
proportion de la population d'origine des élus locaux.
C'est un processus qui accompagne la professionnalisation de la politique locale.
Ces constats réalisés à propos des communes sont confirmés par les travaux réalisés à propos des
autres collectivités territoriales : régions, départements.
Le constat général est synthétisé dans les travaux de Michel Koebel portant sur les élus locaux et
les inter-communalités → la fermeture progressive des profils sociaux des élus.
Cette fermeture sociale, cette distorsion de représentativité serait un facteur explicatif d'une sorte de
désaffection à l'égard des élections.
Les institutions territoriales n'échappent pas aux tendances lourdes de la politique : la tendance
lourde de l'abstention notamment.
Au début des années 1990, la participation aux élections régionales et cantonales s'élevait à environ
70%.
Depuis, cette participation a connu une érosion d'élections en élections pour se situer aujourd'hui
aux alentours de 50%.
→ l'hypothèse que le rapprochement géographique des instances de décision allait rapprocher les
électeurs des représentants ne semble pas réalisée.
Traditionnellement, les élections municipales sont les élections préférées des français.
Pour autant les élections municipales connaissent aussi une érosion de la participation : 79% en
1977 aujourd'hui 60% en 2014.
Les élus locaux sont plutôt âgés : la moyenne d'âge des maires en 2014 est de 66 ans.
Cette tendance au vieillissement des représentants présente la caractéristique d'être transpartisane.
La longévité est aussi une caractéristique de plus en plus prégnante c'est aussi une caractéristique de
la professionnalisation :
En 2014 dans les villes moyennes et grandes, plus de la moitié (55%) des candidats étaient des
maires sortants et non seulement sortants mais qui postulaient pour un 3e mandat.
De plus : ¼ des maires sont en place depuis plus de 18 ans.
On le sait, les logiques de recrutement politiques sont caractérisées par une forte sélectivité genrée
avec une minoration des femmes quelque soit le type d'institutions analysées.
C'est dans ce cadre qu'ont été mises en place les lois de parité qui s'appliquent avec des modalités
différentes à toutes les élections et notamment aux élections locales, plus précisément aux exécutifs
locaux.
En 2015, on met en avant le ticket paritaire.
Avec l'application de ces différentes lois de parité les institutions territoriales sont devenues
largement paritaires justement en ce qui est des Conseils.
Dans les conseils régionaux on a quasiment 50% de femmes élues.
Dans les conseils départementaux on a 50% de femmes élues du fait de cette loi.
Dans les conseils municipaux ça dépend de la position sur la liste : on est à 40% de femmes dans les
conseils municipaux.
De façon générale, on observe que la féminisation n'abolit pas les autres variables sociographiques.
Catherine Achin et Sandrine Lévêque insistent sur la persistance d'une plafond de verre qui est bien
attesté par le fait que si les femmes sont plus facilement élues dans les conseils locaux, l'accès aux
positions supérieures de ces institutions leur reste plus difficile.
En 2014, on a 40% de femmes dans les conseils municipaux mais seulement 16% sont maires.
Pour les conseils départementaux qui ont longtemps été des institutions assez peu accueillantes pour
les femmes : assez brutalement les conseils départementaux sont devenus paritaires mais seuls 10%
des conseils départementaux sont présidés par une femme.
Juste avant la fusion des régions, il n'y avait sur les 27 régions que 3 femmes présidentes de conseil
régional.
→ On peut ainsi voir les effets ambigus ou incertains de la parité dont l'application légale produit
des effets quantitatifs mais qui n'enraye pas la consistance de ce plafond de verre : quand on est
dans l'ordre des pratiques et des règles sociales la marginalisation des femmes continue d'exercer
son effet.
Il y a aussi des parois de verre : la domination genrée se mesure de manière verticale mais aussi de
manière horizontale dans la division du travail qui reste encore très largement sexuée.
Les femmes élues s'occupent de la santé, de l'éducation ou de la culture et beaucoup moins souvent
du budget et des finances des travaux de l'urbanisme et de l'emménagement du développement
économique ou de la sécurité.
Les fonctions régaliennes restent très largement l'apanage des élus masculins, les femmes
continuant à être spécialisées dans les domaines censés être plus proche de leurs qualités féminines
essentialisées.
Ce sont les délégations qui prêtent le moins attention à la confiance en soi, à la prise de parole etc..
Assez souvent les femmes sont utilisées pour remplir d'autres cases : diversité, jeunesse etc..
Une fois posées ces caractéristiques générales, pour autant l'examen de ces caractéristiques
n'expliquent pas comment on accède à ces fonctions.
Les conditions juridiques sont à prendre en considération mais elles ne disent pas grand chose sur
les différences de chances des individus pour accéder à ces fonctions.
On s'appuie sur les travaux de Marc Abélès un anthropologue du politique. Il a effectué une
enquête dans l'Yonne. Il s'intéresse à l'identification de propriétés, de façons de faire qui permettent
à un individu d'abord d'envisager puis d'être habilité à se présenter à un mandat représentatif.
S'agissant de l'éligibilité on peut mettre l'accent sur 3 grands types de ressources dont la détention se
révèle utile pour ne pas dire nécessaire à la construction d'une éligibilité locale :
– les ressources territoriales, tout ce qui est lié à l'ancrage territorial des entrepreneurs
politiques. Cet ancrage c'est le fait de pouvoir montrer un ensemble de relations sociales
inscrites dans la localité, manifester des indices d'appartenance au territoire, si possible une
appartenance valorisante. Cette construction de l'ancrage peut prendre différentes
modalités :
→ l'ancrage familial, le fait d'être inséré dans un réseau relationnel dont la source est
familiale,
→ une inscription dans des organisations territoriales, on peut penser à toutes ces
organisations : associations, clubs sportifs, groupement d'association de logement ou de
parents d'élève etc..
Être élu suppose d'avoir des liens avec ces organisations intermédiaires qui participent à
l'animation du territoire. Plus le territoire est important, plus la population est nombreuse et
leurs caractéristiques diversifiées, plus ce travail d'ancrage est complexe et exigeant et va se
prêter à une forme de politisation de l'entreprise politique. Au local comme ailleurs, les
entreprises politiques ont une façade personnalisée et sont des entreprises collectives. Dans
les territoires étendus et complexe la construction de l'ancrage local suppose un division du
travail représentatif qui va consister pour le leader à effectuer lui-même ce travail d'ancrage
mais à s'entourer soit d'une équipe de colistiers, soit plus généralement à montrer des
soutiens ou de prises de parole explicite en faveur du leader. Il s'agit de s'entourer de
personnes qui vont pouvoir multiplier les sources de l'ancrage et mobiliser plusieurs
segments de la population locale. Il s'agit d'être connu et reconnu. C'est dans ce sens que
la carrière politique locale est souvent désignée comme ayant à voir avec une entreprise de
notabilisation locale dans le double sens de notoriété mais aussi d'une forme de distinction et
de domination sociale.
– les ressources partisanes : la position et le rôle des partis au local est ambiguë, il n'en reste
pas moins qu'on a pu constater une forme de partisianisation du local. Cela se manifeste
plutôt en amont des élections, il paraît moins prégnant dans l'exercice du pouvoir. Les partis
continuent d'avoir une emprise sur l'investiture, la constitution des listes, les partis
continuent de constituer une ressources : ils apportent du personnels, des savoir-faire, des
ressources symboliques et politique : une légitimité, une marque.. des ressources financières.
Les partis continuent d'exercer une régulation des rapports de force. Les ressources
partisanes acquises par un individu peuvent se révéler utiles et pertinentes dans ces sections
en amont : mais pour être éligible il faut être sélectionné, le fait d'avoir une position dans les
sections locales du parti est alors une ressource considérable pour espérer gagner les
investitures d'accès à la candidature.
→ l'éligibilité suppose un ensemble de conditions qui donnent au concret de meilleures chances de
se distinguer dans la concurrence.
→ La carrière classique que certains auteurs appellent la carrière locale ou la carrière ascendante.
Les positions successives de mandats locaux est un élément plus général de construction de carrière
politique qui peut trouver des prolongements nationaux.
Le capital politique territorialisé est alors une ressource importante.
A l'intérieur des instances nationales on voit bien que les fonctions parlementaires sont associées à
une certaine hiérarchie interne : l'accès à ces positions de pouvoir est souvent corrélé à un capital
politique important et composite mais qui a aussi souvent une ressource locale.
→ Deuxième type de cursus honorum : Il est qualifié de carrière descendante ou cursus inversé
dans le sens où la carrière politique commence par l'occupation de positions, de fonctions au niveau
du pouvoir local.
Ces positions nationales sont celles de membres de cabinet ministériel, de membres du
gouvernement, ou encore des positions partisanes. Ce n'est que dans un second temps que ces
entrepreneurs politiques vont s'attacher à conquérir des positions locales. Ce type de cursus est lié à
un phénomène appelé la montée en puissance des hauts fonctionnaires dans l'espace politique.
Ces cas de figure se prêtent assez souvent à la qualification de parachutage. De ce point de vue
l'enjeu de l'ancrage local est un enjeu majeur.
L'attachement des élus, en particulier ceux qui exercent des fonctions gouvernementales ou
parlementaires, l'occupation de mandat locaux constituent pour ces enjeux une ressource de
légitimation mais aussi une sorte d'assurance : le fait de se constituer un fief local est une manière
de se réserver une position de repli face aux aléas de la vie politique nationale.
Or les fonctions politiques nationales sont plus que d'autres caractérisées par leur précarité. Le
mandat local est aussi un moyen d'inscrire dans la durée une carrière nationale.
Différentes lois se sont attachées à encadrer la pratique du cumul, de façon assez laborieuse sur le
plan parlementaire, le gouvernement Ayrault a fait voter une nouvelle loi avec de nouvelles
modalités de restriction du cumul.
→ la figure classique du député-maire est appelée à disparaître.
Un des effets du cumul des mandats est de contribuer à la fermeture du jeu politique : puisque ce
sont les mêmes acteurs qui occupent en même temps plusieurs positions de pouvoir cela veut dire
qu'elles sont moins accessibles à moins de personne.
Est-ce que cette ouverture quantitative s'accompagnera d'une diversification sociale ?
L'argument des élus pour justifier le cumul des mandats est connu : la proximité.
Les élus mettent tous en avant que le fait d'exercer dans une mairie ou un conseil permet d'être en
prise avec le territoire et de sentir les préoccupations de la population.
→ c'est un élément central de rhétorique politique.
Cette légitimité territoriale est plus souvent revendiquée que mise en pratique. Ce que les élus
appellent proximité relève plus de la notoriété.
Les élus ne sont pas tout seuls : de fait l'exercice du gouvernement local présente de fortes affinités
avec ce qui est constaté pour le gouvernement national :
→ c'est une activité collective réalisée par différentes catégories d'acteurs.
Le développement des institutions locales s'est accompagné de l'émergence de toute sortes d'acteurs
que l'on peut qualifier de professionnels du territoire, des agents dont l'activité professionnelle est
spécialisée dans les sujets territoriaux, dans la conduite des affaires locales.
Ces professions proprement territoriales ont connu une progression démographique et une
professionnalisation via notamment l'émergence d'associations professionnelles lesquelles ont deux
fonctions :
→ les associations professionnelles ont une fonction de socialisation des acteurs, une fonction de
mise en commun et de circulation des informations, d'intégration professionnelle
→ les associations professionnelles fonctionnent aussi comme des groupes d'intérêt qui vont
chercher à améliorer l'image du groupe, à travailler à leur reconnaissance indissociable de la
conquête de parts de marchés.
Gilles Pinçon considère qu'on en est arrivé à un stade de montée en puissance des territoires.
→ avec ce que sont devenues les collectivités, on ne peut plus mettre en équivalence le maire d'une
commune rurale et le maire d'une grande ville devenue une métropole. Y compris du point de vue
politique ce sont des fonctions qui n'ont plus rien à voir.
Cette différenciation va plus loin : elle est en lien avec une reconfiguration de la structuration du
pouvoir.
De fait, l'hypothèse est souvent formulée que le développement des territoires en matière d'action
publique irait de pair avec une dépolitisation de l'action publique : quel que soit la couleur du
gouvernement local on fait à peu près la même chose en terme de politique locale.
Les points de vue techniques, les pratiques professionnelles ou encore les jugements experts vont de
pair avec la standardisation des politiques publiques.
Ils ont les mêmes prismes cognitifs.
On va mettre en perspective la gouvernance urbaine avec les travaux de sciences sociales relatifs au
pouvoir local.
Ces travaux nous renvoient à la science politique américaine qui a souvent été pionnière dans ce
domaine.
La science politique américaine est traversée par des débats entre deux grands types d'approche du
pouvoir local, une approche qualifiée d'élitiste et une approche qualifiée de pluraliste.
Les approches élitistes s'inscrivent dans la perspective des travaux de Charles Wright Mills.
Dans son ouvrage L'élite du pouvoir, il suggère qu'une lecture formelle des institutions politiques
conduit à rester à côté de la réalité du pouvoir.
L'occupation de fonctions de pouvoir officielles (telle que les mandats d'élus) n'est pas la garantie
d'un exercice effectif du pouvoir : dans la pratique le pouvoir est détenu par d'autres formes d'élites
que les élites strictement politiques et en particulier les élites économiques.
Cette perspective a été développé par le travail de Floyd Hunter qui a travaillé sur la ville d'Atlanta
en utilisant une méthode réputationnelle qui repose sur une immersion dans l'espace local et un
questionnement adressé à un certain nombre de dirigeants politiques et économiques.
Floyd Hunter a demandé à tout un ensemble d'acteurs de lui indiquer une liste de nom des
personnes les plus puissantes et influentes dans la ville.
Une fois ces listes constituées il a croisé ses informations en interrogeant d'autres acteurs : un
ensemble d'experts et de professionnels en leur demandant de choisir parmi ces listes ceux qu'ils
considéraient comme les véritables gouvernants.
Il en ressort que dans cette ville les véritables dirigeants sont les hommes d'affaires.
Selon Floyd Hunter ce qu'il appelle la machine politique est très largement sous l'influence des
hommes d'affaire dont les attributs de richesse et de notabilité constituent un socle d'influence et en
quelque sorte de pouvoir réel.
Il en déduit une vision pyramidale du pouvoir local avec au sommet les top leader constitués des
businessman locaux.
Ces hommes d'affaires partagent un certain nombre de visions structurantes : ils appartiennent à un
groupe intégré grâce à une sociabilité partagée de manière intense à travers des activités de loisirs
ou à travers leurs activités économiques ordinaires.
Ensuite Floyd Hunter distingue les strates intermédiaires, plus nombreuses au sein desquelles il
classe les hommes politiques.
Au bas de la pyramide il y a la population et les autres groupes sociaux qui sont très largement
maintenus à l'écart du pouvoir et des mécanismes décisionnels.
Cette approche élitiste et la méthode réputationnelle ont fait l'objet de vive critique : comme celle
de confondre la perception du pouvoir avec la réalité de la pratique de pouvoir ou encore de se
fonder sur ce que disent les autres sans savoir réellement qui fait quoi.
D'autres approches se sont développées dont l'approche pluraliste :
On s'appuie sur les travaux de Robert Dahl, Qui gouverne ?
Robert Dahl reproche aux travaux élitistes de considérer le pouvoir comme forcément caché, le
risque étant de glisser vers une sorte de théorie du complot où des élites tireraient en secret les
ficelles et où les représentants politiques ne seraient que les marionnettes de cette élite cachée.
→ Cette hypothèse est difficile à prouver.
→ Cette hypothèse produit aussi des biais cognitifs car elle ne prend en compte que des éléments
que vont dans le sens de l'hypothèse.
Robert Dahl revendique un travail empirique, de terrain : il étude la ville de New Haven.
Sa méthode est de repérer les acteurs en acte et ce faisant de pouvoir identifier qui contribue
effectivement à la fabrication des décisions publiques.
Il s'agit de se donner plusieurs terrains d'enquête, de s'intéresser à plusieurs domaines du politique
dans lesquels plusieurs décisions sont amenées à être prises : la rénovation urbaine, l'enseignement
public et celui des organisations politiques en étudiant les logiques de désignation des candidats par
les partis.
Un des grands résultats de cette enquête est de montrer que selon le domaine considéré on observe
une pluralité d'acteurs dominants : on voit que les sources du pouvoir sont multiples et diverses.
D'où la notion de pluralisme ou encore de polyarchie qui dessine un tableau dans lequel le pouvoir
est beaucoup plus fragmenté que le suggère la vision élitiste.
Cette diversification du pouvoir selon les secteurs favorisent une plus grande concurrence dans
l'accès au processus décisionnel.
Il s'agit de prendre au sérieux des constats déjà apportés par les sociologues classiques. Cette
complexification va de pair avec des nécessités de spécialisation des acteurs, de compétences de
plus en plus pointues et sophistiquées. Il paraît difficile pour certains groupes d'acteurs de
monopoliser les ressources du pouvoir.
L'image du pouvoir local pointe la diversité des sociétés et le fait que cette diversité se reflète dans
l'organisation concrète du pouvoir.
Dans ce tableau pluriel Robert Dahl insiste sur le fait que le pouvoir politique a de l'importance et
en particulier la position du maire : de facto par sa position que lui confère son élection il est au
carrefour de tous les groupes de tous les intérêts et rapports de force qui traversent le territoire.
Dans le sillage des approches pluralistes, on a vu émerger une nouvelle notion qui est la notion de
régime urbain.
Clarence Stone a lui aussi travaillé sur la ville d'Atlanta, il en a tiré un ouvrage Governing Atlanta.
Clarence Stone est parti du constat que s'étaient développés des programmes de régénération
urbaine.
Ces politiques ont été portées par des coalitions d'acteurs exprimant de façon centrale une forme de
coopération entre des leaders politiques d'une part et d'autre part un certain nombre d'entrepreneurs,
d'acteurs économiques territoriaux.
Clarence Stone montre comment cette coalition a porté un renouvellement important de l'action
municipale avec un fort tropisme vers la stimulation du développement économique mais aussi de la
promotion de la ville à l'extérieur, stratégie qui a culminé dans l'organisation des jeux olympiques
en 1996.
A partir de cette étude Clarence Stone retire l'idée que comprendre le pouvoir local c'est comprendre
ces modes de coopération entre des acteurs de statuts différents mais qui parviennent à construire un
projet commun.
Il suggère que ces formes de coopération sont susceptibles de prendre des modalités différentes
selon le type de territoire, et selon sa composition socio-démographique.
Clarence Stone propose une sorte de typologie des régimes urbains. Des régimes urbains qui sont
des formes de gouvernement local qui insiste sur les modalités d'intégration entre acteurs
économique et acteurs publics :
– Les régimes urbains conservateurs : cas de figure dans les villes marquées par la
puissance d'une ou de plusieurs grosses entreprises auxquelles l'histoire de la ville est
souvent intimement liée. Les intérêts des dirigeants de ces entreprises vont aller dans le sens
de la préservation du territoire. Le territoire a été structuré en fonction des intérêts de ces
entreprises : il s'agit de conserver son modèle de développement.
– Les régimes urbains de développement : ils sont centrés sur la croissance du territoire, de
son attractivité qui va se traduire par une prolifération de projets. Pour mettre en ordre ces
initiatives un travail de coordination s'avère nécessaire. On reste dans une vision du pouvoir
local qui fait la part belle aux élites mais à pas à un seul type d'élite : il s'agit pour les élites
de coordonner leurs intérêts. Cette capacité qui va être aussi celle des élus de construire tout
un réseau d'actions publique va être la condition de la réussite. On est dans une vision
concurrentielle du pouvoir local. La structuration des coalitions va mettre en avant certains
projets plutôt que d'autres.
– Les régimes progressistes de classes moyennes : le pouvoir local reflète dans ces décisions
concrètes les aspirations des classes moyennes urbaines et souvent des classes moyennes
urbaines cultivées : le régime urbain repose sur une convergence d'intérêts entre les élus et
certaines catégories de la population locale qui constitue une clientèle électorale : les
priorités données à la politique urbaine va dépendre des attentes de cette catégorie de la
population. Certaines caractéristiques des projets urbains sont en cohérence avec les intérêts
des classes moyennes urbaines qui partagent un certain habitus avec leurs élus. Il y a une
stratégie politique d'ancrage électoral mais cette stratégie est renforcée par l'existence de ces
authentiques convergences d'habitus.
Ces travaux en terme de pluralisme ont inspiré des travaux plus européens notamment britanniques
et depuis ces 15 dernières années français qui ont repris un certain nombre des hypothèses centrales
des travaux américains pour les aborder à travers la notion de gouvernance urbaine.
Les auteurs classiques français : Patrick Legalès, Olivier Borraz et Gilles Pinson :
L'approche en terme de gouvernance souligne la pluralisation des institutions politiques mais aussi
la pluralisation des sociétés locales.
Cette approche insiste sur le fait qu'il faut désormais considérer les territoires comme des espaces
politiques à part entière et ne pas les appréhender dans une vision de subordination.
Aborder les politiques publiques via l'approche en terme de gouvernance c'est prêter attention à
deux dimensions constitutives du politique :
– La dimension de représentation, d'intégration démocratique et la dimension liée à la
représentation : la structuration des sociétés, de structuration sociale. Comment les
dirigeants produisent une construction symbolique du territoire ? Exercer le pouvoir
politique sur un territoire c'est aussi construire un récit sur le territoire et en diffuser une
certaine représentation. Ce qui a trait au politique au sens strict.
– L'action publique et la fabrique des politiques publiques : la gouvernance insiste sur le
fait que cette activité consiste pour les élus locaux dans une capacité à construire et à faire
fonctionner des cadres de l'action collective. C'est construire des modalités d'échange et
d'intégration entre différents groupes avec l'idée de faire émerger de cette diversité des
projets communs et cohérents. À travers ces enjeux les travaux insistent sur le fait que les
villes et les métropoles sont des lieux de définition de l'intérêt général, de définition des
élites voire même des lieux de définition des identités.
Gouverner les territoires pour les élus supposent de développer de fortes capacités d'intégration.
Gilles Pinson parle de chef-d'orchestre pour souligner le fait que ces acteurs occupent une position
particulière et disposent de ressources singulières. Mais ce rôle ne peut fonctionner que si ces élus
parviennent à harmoniser et à faire en sorte que les différents musiciens produisent au final une
composition non dissonante.
De ce point de vue une pratique d'action publique illustre ce travail de gouvernance : ce sont les
grands projets urbains.
Gilles Pinson insiste sur la montée en puissance de l'approche par projet, le développement de ces
projets est caractéristique de la gouvernance urbaine.
Les grands projets émergent dans les années 1970 en réaction au modèle classique de l'urbanisme et
de la planification.
Le Plan était perçu comme une approche à plat où l'espace local était appréhendé comme une
surface à aménager : avec les grands projets on veut une appréhension plus riche du territoire perçu
comme un lieu plutôt qu'une surface : un lieu qui a une histoire et qui est composé de différentes
strates qu'il s'agit de valoriser. Il s'agit de construire une vision de la ville.
Cela reste néanmoins une démarche stratégique : une démarche de structuration du territoire à long
terme.
Cette démarche se veut transversale : la gouvernance urbaine dans son souci de la pluralité insiste
sur le fait que parler de gouvernance c'est aussi mettre en lumière de nouvelles façons de construire
les politiques publiques.
Traditionnellement l'action publique a tendance a être divisé en secteurs. Cela crée des approches
qui sont cloisonnées. La démarche du projet consiste justement à essayer de transversaliser ces
secteurs. Il s'agit que les projets soient multi-dimensionnels.
Dans les grands projets urbains, le discours sur le projet fait partie du projet. C'est aussi la
construction d'une image, l'élaboration d'un morceau d'identité territoriale, c'est une matière pour
créer du symbolique.
Les grands projets constituent la vitrine de ces villes dont ils symbolisent le dynamisme et la
modernité.
Pour les mettre en œuvre une multitude d'acteurs sont amenés à coopérer.
→ Pour définir des objectifs, des priorités, les axes stratégiques, les enjeux de financement, etc..
Exemple : Les Confluences.
Ce que montre Gilles Pinson c'est que cette orientation de l'action publique urbaine vers le modèle
du projet produit des gagnants et des perdants.
Parmi les gagnants de ces nouvelles formes de gouvernances il y a les grands élus urbains appuyés
sur des administrations et des entourages renouvelés et professionnalisés qui leur permettent de
s'autonomiser par rapport à l'État et par rapport à leur parti.
→ À travers la gouvernance urbaine ces grands élus accroissent la part personnelle de leur capital
politique par rapport aux ressources collectives apportées par les partis.
Il y a aussi toutes les structures et groupes professionnels dont les savoir-faire sont valorisés
par les grands projets : les agences économiques, de marketing territorial etc..
Il y a aussi au sens strict les acteurs et intérêts économiques et en particulier ceux qui exercent
dans le domaine de l'urbain : les promoteurs immobilier, les acteurs du marché foncier, les
entreprises de BTP de construction, les entreprises de services urbains, etc..
À l'inverse les perdants sont des acteurs dont les propriétés sont démonétisés et moins valorisé par
le système de gouvernance urbaine :
Il y a d'abord les services de gouvernance de l'État, les services de l'équipement.
Avec la montée en puissance des collectivités cette expertise de l'État paraît moins nécessaire.
Dans le même temps l'État met en œuvre des réformes qui visent à réduire son périmètre.
C'est l'État qui se voit quelque peu banalisé parmi les acteurs publics.
« L'État n'est plus qu'un joueur parmi d'autres ».
Il y a aussi les partis politiques : le constat qu'avec la montée en puissance des territoires on assiste
à une forme de standardisation des politiques urbaines par sa technicisation, la circulation des
acteurs, etc..
Ce que l'on appelle les agendas urbains semblent de moins en moins imprégnés par l'influence
partisane mais plutôt par des variables expertes.
Il y a aussi les classes populaires : de fait la gouvernance urbaine prend souvent la forme des
régimes progressistes de classes moyennes. Les priorités de la ville sont déterminées par les
aspirations de ces classes moyennes. Cela se traduit par un accroissement des prix de l'immobilier
dans les villes ou centre-villes qui a pour effet une certaine relégation des catégories populaires
dans le péri-urbain voire les mondes ruraux.
→ C'est un accroissement des formes d'inégalités sociales au local.
La régulation de la pluralité s'inscrit dans une forme bien précise qui est celle de la
contractualisation.
A partir des années 1980 cette pratique va connaître un essor en lien avec la décentralisation : elle
devient le modèle récurrent d'organisation de l'action publique.
→ les contrats de Plan État-Régions aujourd'hui contrat de projet État-région ont vocation à
programmer le financement des grands projets de façon négociée et ce afin de conserver un
équilibre entre ces différents niveaux du pouvoir.
Cette contractualisation va associer différents niveaux de collectivités publiques nationales mais
aussi européenne via la politique régionale.
→ On a un maillage dense de dispositifs contractuels qui ne supprime pas les rapports de force.
Il y a des usages tactiques de la contractualisation : faire financer par des partenaires des projets.
Parler de gouvernance ne suppose surtout pas d'évacuer les rapports de force.
Le développement de la contractualisation se manifeste aussi entre les acteurs publics et privés.
Exemple des sociétés d'économie mixte.
Autre modalité de contractualisation : les délégations de services publics qui prennent la forme de
convention par lesquelles la puissance publique délègue à un opérateur privé la gestion, la
production et la livraison de services publics.
Régulièrement lors des élections municipales la régulation des DSP est un enjeu d'opposition entre
les candidats.
Bien souvent le choix de l'externalisation vers un partenaire privé est aussi une externalisation vers
le choix de l'expertise.
Parmi ces modalités de contractualisation il y en a une qui a pris une grande importance : les
partenariat public-privé les PPP. Une modalité qui existe au RU depuis les années 1980 et créé en
France qu'à partir de 2004.
depuis ce dispositif a connu un grand succès.
Quel est son principe ?
Il s'agit d'un contrat de partenariat entre une collectivité et une société privée. Le contrat prévoit que
la société privée construit l'équipement, assure son entretien et sa maintenance, éventuellement sa
gestion sur ses fonds propres en contre-partie, le partenaire public rembourse l'investissement et le
fonctionnement en payant une sorte de loyer.
À l'issue du contrat, le partenaire privé récupère la propriété de l'équipement.
Cette floraison des PPP a conduit à les observer de plus près et à mettre en lumière un ensemble de
risques :
→ il faut voir que si le PPP permet de faire de l'action publique il n'en réduit pas le coût : il devra
être assumé par le partenaire public. C'est un investissement lourd sur le long terme.
Cela constitue aussi une dette pour les générations futures.
→ S'agissant de gros projets les exigences attachées à ces projets ont pour conséquence une
situation d'oligopole. Cette situation a pour conséquence de limiter la concurrence et ne favorise par
une baisse des prix. De plus cela tend à marginaliser les PME locales.
Pour être un partenaire il faut être reconnu par eux, mettre en avant des compétences et des savoir-
faire, ne pas être dans une posture de contestation vis à vis des pouvoirs publics.
Ce sont des organisations qui tendent à s'éloigner d'une posture militante contestataire.
Ces registres sont des tentatives, des modalités de présentation de soi qu'utilisent les représentants
de groupes d'intérêts.
→ Engager une stratégie ne présume pas forcément son succès.
On en revient à l'approche de Robert Dahl : il ne faut pas regarder que ce que les gens disent mais
regarder précisément qui participe ? qui est associé ? et qui pèse véritablement dans les décisions
publiques ?
Les groupes d'intérêt doivent s'efforcer de construire des relations, de conquérir d'abord un droit de
sollicitation.
Mais l'audience n'est pas synonyme d'influence d'autant que le type de demande portée par les
groupes d'intérêt sont très différentes : certaines sont très spécifiques (obtention d'une dérogation)
ou plus larges.
Cesare Mattina insiste sur le fait que pour parler de clientélisme si on prend en considération la
durée elles doivent être entretenues mais pas reconstruites à chaque fois : il faut distinguer
clientélisme et électoralisme.
Ce que souligne aussi Mattina c'est que dans les luttes politiques le mot de clientélisme est utilisé
comme une arme pour disqualifier certaines pratiques d'élus en place.
Le mot est utilisé pour dénoncer leur cynisme, voire leur machiavélisme, pour dénoncer une forme
d'utilisation des ressources publiques au service d'un intérêt privé.
→ En ce sens ce serait une forme de perversion de l'exercice du pouvoir par certains élus.
Mais le clientélisme par définition est une relation : pour qu'il y ait relation il faut qu'il y ait un autre
pôle. Pour qu'il y ait une offre clientélaire il faut une demande clientélaire.
Il y a à l'égard des élus ce type d'attentes.
Ce mode de relation politique repose sur un mécanisme fondamental d'échanges qui consistent de la
part des autorités politiques à la distribution d'un certain nombre de biens publiques sur lesquels les
dirigeants ont une autorité.
Ces biens peuvent être matériels ou symboliques (avancement de carrière, d'attribution de logement,
de place en crèche, etc..)
Ces biens peuvent faire l'objet d'une réappropriation personnelle.
Cela se traduit par des soutiens matériels ou symboliques avec l'idée que cette relation s'inscrit avec
une certaine solidité sur la durée : ce n'est pas une transaction ponctuelle mais un système
d'interactions qui structurent sur le long terme le gouvernement.
Cesare Mattina montre que ce mode de régulation clientélaire est le mécanisme central du
gouvernement urbain :
→ C'est une construction sociale de la ville qui est opérée et qui repose sur la valorisation d'un
ensemble de groupes qui forment un bloc social qui va être l'ancrage et le soutien des élites
territoriale.
C'est un travail qui est un travail collectif : en pointe il y a le maire de la ville, mais il y a aussi les
élites politiques centrales du gouvernement urbains et un certain nombre de relais construits sur une
base territoriale infra-communale.
On parle de machines politico-électorales : ces machines consistent à produire sur une base
territoriale - qui va être celle de circonscription, du canton etc.. - un fort investissement de la part
des élites politiques.
Mattina note sur la longue durée comment la dimension familiale est au cœur de ces machines
politiques qui s'étoffent ensuite par des relations amicales ou professionnelles.
Elles sont constituées comme des cercles concentriques autour des élus.
C'est là que se déploie la dimension clientélaire.
Le clientélisme est aussi sélectif, il suppose d'avoir accès plus ou moins directement au pouvoir
politique : tous les groupes sociaux présent sur le territoire n'ont pas de manière équivalente accès à
ce système de distribution.
Il faut d'abord pouvoir s'appuyer sur des ressources sociales qui permettent de s'intégrer dans le
réseau clientélaire.
En pratique le clientélisme ne profite pas aux classes populaires, ce sont plutôt les classes moyennes
et notamment les classes moyennes supérieures qui en bénéficient.
Dans ce sens, le clientélisme est une modalité de gouvernement urbain : c'est un instrument de
classement et de hiérarchisation sociale et politique.
Lors de la mise en place de ce système de régulation clientélaire à Marseille sous Gaston Deffere
maire de la ville de 1953 à 1986, ce système repose sur la distribution de ressources publiques que
Mattina qualifie de ressources de qualité : des emplois à vie, des logements sociaux de qualité.
La qualité de ces ressources est le support de la construction de cette relation durable.
→ C'est un système de fidélisation.
Dans la cas de Marseille, ces ressources se révèlent efficaces : leur réception permettent à ceux qui
en bénéficient de s'inscrire dans une dynamique d'ascension sociale.
Les enjeux qui concernent les intérêts propres des élus restent déterminants dans les pratiques
locales et la façon dont les ressources sont réparties.
Étudier le gouvernement urbain consiste à comprendre comment ce pouvoir politique est assis : qui
gouverne et avec qui il gouverne ?
Le gouvernement urbain c'est une élite politique qui s'appuie sur un bloc social c'est à dire une
alliance de fait entre différents groupes de référence à partir desquels l'élite politique gouverne.
Le vote reste pour Mattina un élément fondamental : il participe à la sélection des élites mais c'est
aussi les enjeux électoraux qui déterminent avec qui et comment on gouverne.
Cela signifie que le constat effectué depuis longtemps d'une augmentation de l'abstention ne
constitue pas nécessairement un affaiblissement du pouvoir politique local quand celui-ci est
construit sur ce type de base clientélaire.
Il s'agit de reproduire le socle de soutien qu'ils ont construit.
Par ailleurs qu'une partie de la population ne vote pas n'est pas un problème à partir du moment où
le soutien est maintenu.
Cela renforce même d'autant plus le poids des groupes valorisés par la régulation clientélaire.
C'est le paradoxe : d'une certaine manière cela peut s'apparenter à un processus d'intégration
politique mais elle s'accommode aussi d'une certain manière d'une marginalisation politique.
Elle s'accompagne d'inégalités politiques.
Selon Mattina il faut pourtant éviter de faire du clientélisme une sorte de caractéristique culturelle
de la ville de Marseille.
Son travail lui permet de souligner que ce qui constitue le clientélisme est finalement transversal à
l'activité politique et au gouvernement des territoires.
→ C'est une question de degré : à quel point ce système est au cœur du mode de gouvernement
urbain ?
Toutes les villes connaissent une demande politique de la part de la population.
Une dimension du métier d'élu réside justement dans la capacité d'écoute à l'égard des
préoccupations des électeurs.
Il est difficile de faire la part entre ce qui relève du travail politique représentatif (relayer et
satisfaire les demandes de la population) et les intérêts personnels de l'élu.
→ c'est toute la complexité de cette pratique.
Le développement de la régulation clientélaire sous Gaston Deffere prend forme sous la conjonction
de deux phénomènes :
– La désindustrialisation qui frappe la ville de manière brutale à partir des années 1960.
Mécaniquement cela produit des besoins et des attentes en terme d'emplois pour lesquelles
ils vont se tourner vers le pouvoir local. Gaston Deffere est une figure du type de
domination notabiliaire. Il a construit sa domination sur des ressources personnelles. En
accédant à la mairie on a un changement d'échelle dans les ressources dont dispose l'élu et
dans la demande.
– Avec la décolonisation, Marseille connait une explosion démographique. La ville va gagner
200 000 habitants en une quinzaine d'années. Cette explosion démographique s'accompagne
de l'explosion de la demande de logement. C'est une période importante de programme de
logements sociaux.
Plus tard, de nouveaux facteurs structurels vont contribuer à la reproduction du mode de régulation
clientélaire.
Dans les années 1990, Marseille connait une nouvelle crise économique qui à une perpétuation des
pratiques.
L'essor qu'a connu le secteur associatif s'est accompagné d'une multiplication des demandes envers
les élus : subventions destinées à créer des associations et des emplois.
Cela contribue à perpétuer la pratique clientélaire.
Le clientélisme est aussi intéressant quand on le prend comme un mode de gouvernement des villes
et un mode de structuration politique et sociale des territoires.
Mattina note qu'il existe à propose de Marseille une rhétorique de valorisation de marketing
territorial.
Cette rhétorique consiste à pointer l'existence d'un cosmopolitisme médit.
Or les communautés ne sont pas des données intangibles, elles n'existent pas à l'état de nature mais
sont des constructions sociales.
La pratique de la régulation clientélaire va se reposer et contribuer à reproduire ces fameuses
communautés.
De fait, l'observation des ces pratiques clientélaire conduit à constater que toutes les communautés
ne sont pas construites de la même manière : elles ont des ressources différentes, bénéficient d'une
reconnaissance inégale etc..
→ les communautés sont loin d'être également loties.
Il y a des communautés gagnantes et perdantes de la régulation clientélaire.
Là encore, cette reconnaissance différentielle rejoint une forme de sélection sociale opérée par le
clientélisme.
Très concrètement : quelles sont les communautés gagnantes ?
→ Les arméniens, les juifs de Marseille et les rapatriés d'Afrique du nord.
La construction des communautés passe par un travail de construction des groupes par eux-mêmes.
Cela consiste dans la diffusion d'une image qui se veut unifiée du groupe à partir de laquelle ils
initieront leurs demandes pour le groupe.
C'est un travail de construction, de consolidation et d'unification.
Pour que ces groupes deviennent des acteurs importants il faut que leur auto-légitimation soit
relayée par un autre type de légitimation opérée par le haut : les institutions locales qui vont fournir
à ces communautés un certain nombre de ressources.
L'intérêt des élus pour ces communautés est le produit de facteurs multiples :
Il y a des éléments d'histoire personnelle, il y a un intérêt politique et électoral : ces communautés
constituent de nouveaux électeurs.
Dans cette stratégie les élus se mettent à parler des communautés contribuant à les faire exister, à
les réifier.
Les manifestations publiques autour des communautés sont devenues des endroits où il faut être.
Par le fait d'intégrer les communautés directement au pouvoir politique en leur donnant accès
à des postes d'adjoints. Ces acteurs s'apparentent à des intermédiaires entre l'institution politique et
les structures associatives communautaires.
À Marseille c'est complétement intégré dans la distribution des postes.
Dans certains cas on va avoir des élus propulsés : des acteurs qui appartiennent de facto à ces
groupes mais qui au départ ne sont pas spécialement impliqués dans les instances associatives.
Ils sont d'abord choisis parce que leur profil et leur nom est considéré comme un signal envoyé : un
sous-entendu d'appartenance affiché.
C'est ensuite en tant qu'élu qu'ils vont être incités à prendre place dans les instances
communautaires.
Le choix de ce type d'élu n'est jamais seulement lié à leur nom : ils sont aussi choisis pour d'autres
appartenances notamment professionnelle : ils détiennent aussi une capacité de relais et d'influence
dans leur milieu professionnel.
Dans d'autres cas on va avoir des acteurs qui au départ occupent des positions dans les
associations qui sont connus comme des porte-paroles. Ils sont recrutés par les élites politiques
dans un second temps.
Les bénéfices sont réciproques : les élus pensent s'assurer des formes de soutiens mais pour ces
intermédiaires l'appartenance communautaire leur permet d'entamer une carrière politique.
→ c'est un échange.
On a aussi des élus qui n'ont pas de liens directs avec une communauté mais qui construisent
leur leadership sur la défense de ces communautés.
Ils s'en font les représentants et les porte-paroles.
Il y a aussi un certain nombre d'élus qui ont été recruté à travers des processus militants et qui
appartiennent à ces communautés mais qui s'en défendent et refusent d'être catégorisés comme
représentant de ces communautés.
Le rapport clientélaire est un rapport social : de fait les personnes appartenant à ces communautés
ont des intermédiaires et ont des formes de facilité avec le pouvoir politique.
→ Ils peuvent faire passer des demandes personnelles.
Cette redistribution clientélaire classique est redoublée d'une dimension collective de la
redistribution.
Ce sont des signaux envoyés à la communauté dans son ensemble.
S'il y a des communautés gagnantes il y a nécessairement des communautés perdantes : il existe une
forme de sélection des groupes bénéficiaires. Certaines communautés se révèlent moins aptes à
s'intégrer dans ce système clientélaire : les maghrébins et les comoriens.
On peut dire que c'est le résultat d'un moindre investissement des instances collectives et le résultat
des pratiques politiques.
→ C'est l'idée que bénéficier d'une régulation clientélaire suppose d'être dans les mécanismes qui la
structure.
Cela produit un confinement spatial, économique, social et politique dont on voit qu'il s'auto-
entretient.
Cela est cependant compensé par la montée en puissance du soutien aux associations, financiers et
symboliques.
La carte scolaire est un instrument d'affectation et de répartition des élèves dans les établissements
publics : elle dessine des secteurs résidentiels.
C'est un système qui existe depuis les années 1960 et qui s'est vu associer un dispositif de
dérogation individuelle.
La carte scolaire fait l'objet de débats récurrents notamment autour de l'assouplissement de la carte
scolaire et d'une liberté de choix pour les familles.
En 2007 il y a une campagne présidentielle : cette séquence a été le contexte d'une politisation ou
d'un regain de politisation de la question de la carte scolaire.
Nicolas Sarkozy en a fait un des éléments de son programme.
C'est aussi l'illustration de la prescription de rôles politiques qui passe par une nécessité pour les
prétendants de tenir le rôle et d'afficher un volontarisme réformateur.
C'est aussi une manière de suggérer que le pouvoir politique a une capacité d'action et de
transformation.
Il est utile d'observer comment s'est traduite la mise en œuvre de ce volontarisme politique
réformateur.
Victoire de Nicolas Sarkozy : une fois au pouvoir, la forme prise par la réforme de la carte scolaire
est celle d'un assouplissement du système de dérogation.
Cette remise à plat des critères ne change pas le fait que ces dérogations ne constituent en rien un
droit opposable.
La réforme n'ira pas plus loin que ça.
Il faut noter que le jeu politique peut avoir tendance à brouiller les réalités institutionnelles : il se
trouve que le président et le gouvernement se sont engagés dans l'annonce d'une réforme d'un
dispositif sur lequel ils n'avaient en réalité plus la main :
D'emblée, la décentralisation faisait qu'il était difficile pour le chef de l'état de prétendre modifier
un outil dont il n'avait plus la responsabilité.
Les conseils généraux qui se sont engagés dans un processus de réforme ont des caractéristiques :
Ce sont des départements urbains connaissant une croissance démographique et majoritairement
dirigés par un président et une majorité de gauche.
Ils associent cette volonté au principe politique de mixité sociale : il s'agit de réviser pour permettre
un meilleur rééquilibrage social des écoles.
→ L'observation montre que les élus sont aussi animés par un autre type de motivation de type
gestionnaire.
Dans cette perspective la révision de la carte scolaire est perçue comme un outil de gestion qui
servirait la répartition des élèves dans des classes déjà existantes : il s'agit de repousser l'échéance
de la construction de nouveaux établissements.
Malgré cette dimension politique il n'en reste pas moins que les agents recrutés l'ont été sur la base
de leurs compétences professionnelles.
En l'occurrence, ces agents n'étaient aucunement militants ni même sympathisants des partis
politiques des présidents des conseils généraux.
Cela va leur donner une certaine autonomie par rapport aux élus. On se mettant au travail ces agents
héritent d'un instrument transféré par les services de l'État.
Ils sont confrontés à un travail de mise à jour de la carte scolaire. Cette mise à jour ne va pas sans
difficultés.
Les élus ont confié à leurs agents la mission de faire de la carte un outil de gestion de la population
scolaire, il s'agit aussi de se projeter.
Il est nécessaire de recueillir une variété de données territoriales qui sont détenues par ces différents
types de partenaires qui se révèlent plus ou moins disposés à coopérer.
Autre difficulté : l'hétérogénéité des séries statistiques dans la période de référence, dans le
périmètre territorial de recueil des données.
→ problème de compatibilité.
On retrouve le décalage entre l'expression d'un projet politique et sa traduction par le biais d'autres
acteurs.
C'est un processus de traduction du politique au technique, il est rarement fluide.
Ces acteurs vont donc tout investir sur le registre technique et professionnel et faire valoir aux élus
leur propre point de vue.
→ Ils vont poser d'emblée que tout n'est pas modifiable dans la carte scolaire.
Il va de soi pour eux que la carte est d'emblée pré-structurée par tout un ensemble de paramètres en
terme de topographie, de voirie, de système de transport présents et que la carte comporte un certain
nombre d'obstacles géographiques.
→ on ne peut pas faire ce qu'on veut.
Le poids des compétences qui leur sont confiées contribue à augmenter les contraintes.
Un nombre important de secteurs ne sont pas modifiables, les changements possibles ne peuvent
concerner que les frontières des secteurs.
→ Cette ressource experte leur permet d'imposer leur vision aux élus.
Leur ressource de savoir ce révèle efficace pour transmettre ce savoir des limites aux élus.
Les élus vont intérioriser cette vision experte que les changements seront marginaux.
Cela va renforcer la motivation gestionnaire : si on ne peut pas tellement modifier les cartes alors
les modifications devront être dédiées à la gestion de la population et des élèves.
Cela conduit à une minoration du projet politique de mixité sociale.
De fait, quand on regarde les ajustements effectués on voit qu'ils restent assez limités.
Même dans les départements qui affichent la plus forte volonté réformatrice : les changements de la
carte portent sur moins de 15% de la cartorisation.
De fait, les élus se trouvent en position de devoir présenter et justifier les modifications apportées à
la carte à toute une série d'acteurs concernés par le sectorisation.
Ils doivent aussi s'assurer du soutien des communes et plus exactement des maires : si la
décentralisation prévoit que les départements ont la charge des collèges, les collèges sont implantés
dans des communes, cela fait que pour les habitants c'est le maire qui est responsable du collège.
→ Il y a concentration des imputations vers la figure du maire.
Les élus doivent donc aussi présenter la réforme devant les organisations de parents d'élèves, les
enseignants et leurs représentants syndicaux et les familles.
Il s'agit de les associer au processus de réforme.
On retrouve le caractère politique du sujet en question et les précautions mises en œuvre en ce sens.
→ c'est l'idée de dispositifs de concertation.
L'observation du processus montre que les parents ne sont jamais réellement parvenus à peser sur la
fabrique de la carte. S'ils ont été consulté, cette consultation ne fut qu'une modalité d'un processus
de consultation beaucoup plus vaste.
Ce n'est qu'en fin de course que la consultation avec les parents a été programmé.
→ la carte est déjà faite.
C'est une consultation d'approbation.
Ce processus de consultation fait l'objet d'une grande préparation par les services du département.
Ils sont amenés à faire l'apprentissage de la conduite de la concertation afin de faire en sorte qu'elle
ne débouche pas sur une remise en cause du projet.
Une des logiques consiste à replacer le débat sur un registre technique comme instrument de
dépolitisation.
C'est une manière d'évacuer la politisation en tant que conflictualisation.
C'est aussi un argument de la nécessité, du fait qu'il n'y a pas d'autres possibilités.
Ils insistent sur une forme de culpabilisation en utilisant le calendrier : ces réunions ont lieu à la fin
du processus et tard dans l'année, or l'affectation des élèves se fait dès le mois de mai.
→ C'est un moyen de pression supplémentaire pour démonter les velléités critiques.
Le fait de les prendre à part est une stratégie pour les détacher d'une vision collective et les ramener
vers une vision personnelle de leur situation.
On voit bien que d'autres logiques de l'action publique tendent à prévaloir : politiques, expertes et
technocratiques, gestionnaires.
→ Ces variables ne sont pas propres à l'action publique nationale mais ce retrouvent dans les
actions publiques locales.
Dans ces luttes certaines ressources se révèlent plus efficaces que d'autres. Les parents sont des
usagers de l'institution scolaire mais elle est de peu de poids face à la légitimité experte.
Le fait de dire que la consultation avec les parents n'a eu que peu d'effets directs n'oblige pas pour
autant à conclure qu'il n'y a aucun effet : on peut se demander s'il n'est pas possible d'identifier
d'autres types d'effet que celui de l'influence.
On voit que les ambitions affichées avec force par des élus nationaux et territoriaux se sont
accompagnées de transformations limitées : la suppression n'a pas eu lieu.
La majorité des élèves se voient appliquer la sectorisation.
Environ 10% des familles demandent une dérogation.
20% des familles recourent à un collège privé.
70% des familles continuent à scolariser leurs enfants dans le collège de secteur.
→ la cartorisation reste un élément de régulation de la population scolaire.