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Economie culturelle et territoire

Séquence 1: Introduction au cours de sociologie économique

Economie culturelle et territoire


Dr Absa Gassama
Séquence 1: Introduction au cours de sociologie économique

Introduction au cours de sociologie économique : le fait social économique

La sociologie économique est un ensemble d’approches et d’analyses centrées sur les cadres sociaux des faits
économiques comme le fonctionnement des marchés, les organisations économiques ou les articulations entre
réseaux sociaux et sphère productive.

Depuis les apports de l’économie classique (Smith, Marx), la sociologie économique a évoluée et, on peut
repérer historiquement entre la fin du XIXème et le début du XXème, les travaux de sociologues comme Emile
Durkheim et de Max Weber, d’anthropologues comme Karl Polanyi et Marcel Mauss ou de socioéconomistes
comme Simiand, Veblen et Commons.

A partir des années 60-70, les recherches sur l’encastrement sociale des relations marchandes (cf. Karl Polanyi),
les organisations et structures économiques comme institutions socialement construites (Williamson, Aglietta
et Orléan), les relations entre liens sociaux et recherche d’emploi (Granovetter), entre capital social et réseaux
sociaux (Bourdieu en France, Putman et Coleman au Etats-Unis), nourrissent la sociologie économique.

Dans cette mouvance, nous notons également les courants de l’école de la Régulation et de l’Economie des
Conventions.

L’analyse économique traite des questions relatives au comportement des individus en tout instant et à la nature
des effets économiques qu’ils engendrent par ce comportement ; la sociologie économique s’occupe de savoir
comment ils en vinrent à adopter ce comportement. Nous définissons donc le comportement humain assez
largement, de façon à y inclure non seulement les actions, les motifs et les penchants mais encore, les institutions
sociales qui influent sur le comportement économique, comme le gouvernement, l’héritage, le contrat etc.

En sociologie économique, on considère que l’activité économique est une dimension de l’activité sociale. En
d’autres termes, le fait économique est un fait social.

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Un fait social est un ordre de faits qui « consistent en des manières d’agir, de penser et de sentir, extérieures à
l’individu, et qui sont douées d’un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s’imposent à lui » (Durkheim, 1937,
2002, p.5)

« Un fait social se reconnaît au pouvoir de coercition externe qu’il exerce ou est susceptible d’exercer sur les
individus ; et la présence de ce pouvoir se reconnaît à son tour soit à l’existence de quelque sanction déterminée,
soit à la résistance que le fait oppose à toute entreprise individuelle qui tend à lui faire violence. » (Durkheim,
1937, 2002, p.11)

L’activité économique comme toute activité sociale prend donc des formes qui préexistent à l’action de
l’individu et qui, suivant la formule consacrée, « s’imposent à lui ».

La sociologie économique est un lieu de questionnement sur les institutions, les représentations et les
comportements sociaux dans les sociétés dominées par le fait social marchand comme le nôtre. Elle nous permet
d'observer plus attentivement la réalité sociale, d'analyser les comportements, d'étudier les institutions, les
mœurs et les répercussions des structures sociales sur le fonctionnement de l'économie. Le point de vue du
socioéconomiste pourrait ainsi nous amener à avoir une posture plus active en économie et à être plus soucieux
d'intervenir dans la réalité sociale.

A partir de l’observation méthodique de la réalité sociale, le socioéconomiste crée alors des modèles qui
permettent de cerner les classes ou groupes sociaux en présence, les relations entre les membres d’un groupe ou
classe ainsi que la forme de régulation d'ensemble. Il recueille des données empiriques pour vérifier ses
hypothèses de travail tout autant que les résultats qu'il en tire. Ainsi, au lieu d'avoir des déductions logiques à
partir des modèles économiques néoclassiques, nous avons une pluralité de logique de comportement.

Il est donc important de repérer :

- les éléments collectifs de la vie économique

- l'histoire et les transformations structurelles

- les mouvements sociaux

- les processus politiques

Avec cette manière de repenser l'économie, on peut parvenir à créer un modèle économique endogène à partir
de nos réalités sociales qu'il faut d'abord observer avec des outils tels que la méthodologie de la sociologie des
réseaux sociaux pour dire ce qu'il est.

Notre réalité économique est dominée par le système économique informel et par un très faible taux de
bancarisation. En réponse à cet état de fait, le secteur informel est traversé par de nouvelles formes associatives

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qui soutiennent des revendications professionnelles et le système financier est dominé par les sociétés de
transfert d'argent. Nous donnerons donc un cas pratique d’observation et d’analyse du marché du travail d’un
groupe professionnel informel à partir de la méthodologie de la sociologie des réseaux sociaux et de l’économie
des conventions et étudierons la monnaie comme une « réalité sociale » (cf. Simiand). L’étude des singularités
viendra étayer ces perspectives.

Notre but dans ce cours, c'est d'observer notre économie à partir de nos réalités sociales et des théories
socioéconomiques afin d'en faire une description.

A cet effet, nous nous inscrirons dans la sociologie économique durkheimienne en montrant comment
l'institution sociale résulte davantage d'une évolution sociale que d'un calcul optimisateur.

Mauss (1901, p150) nous dit que la sociologie est la science des institutions, c’est-à-dire, la science des actes et
des idées que les individus trouvent institués et qui s’imposent plus ou moins à eux. L’institution est un autre
nom donné au fait social durkheimien pour désigner aussi bien des arrangements sociaux fondamentaux (une
constitution politique) que des phénomènes comme la mode ou les préjugés. Mauss se hâte d’ajouter que, en
mettant l’institution au centre de la sociologie, il ne s’agit pas de s’intéresser qu’au passé : les institutions
évoluent, se transforment car les phénomènes institués ne sont pas compris et mis en œuvre par tous de la même
façon.

Ainsi, nous nous inscrirons aussi dans l'institutionnalisme ou la sociologie économique américaine qui repose
sur une conception de l'institution décrit par Thorstein Veblen (1857-1929) comme étant constituée d'habitudes
mentales prédominantes, de façon très répandues de penser les rapports particuliers et les fonctions particulières
de l'individu et de la société (cf. Veblen, 1989, p.125). En effet, Veblen et John R. Commons considéraient que
l'on doit tenir compte des institutions et des habitudes mentales encadrant les comportements économiques.

En effet, Simiand, autre illustre socioéconomiste durkheimien montre sous le nom de représentation sociale, que
ce qu’il y a de plus impalpable dans les institutions sert à définir la dimension cognitive des comportements
lorsque ceux-ci sont fondés sur des notions de valeur, prix, monnaie. « Ce faisant, il se coule dans la perspective
de Mauss pour tenir compte de l’interaction entre l’institution et le comportement des agents (l’institué) : ceux-
ci sont contraints par celle-là, mais ceux-ci font évoluer celle-là.» (Steiner, 2007, p.12)

Pour Mark Granovetter, sociologue américain contemporain spécialisé dans la sociologie des réseaux sociaux :
« l’action est toujours socialement située et ne peut être expliquée par les seuls motifs individuels » ; « les
institutions sont construites socialement » (in Beyond the Market place, 1990).

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L’institutionnalisme désigne les analyses d’économistes ou de socio économistes qui ont en commun de récuser
tout ou partie de l’axiomatique néoclassique et de mettre l’accent sur les institutions, plus généralement sur les
faits socio-culturels, dans leur approche de la réalité et de l’évolution économiques.

L’institution définit ce qui est socialement légitime et comme telle, agit comme contrainte sociale,
indépendamment des règles légales. Ce faisant, les institutions sont vivantes « elles se forment, fonctionnent et
se transforment… » (Mauss et Faconnet). Leur évolution peut précéder la modification des lois. L’institution a
partie liée à la reproduction mais aussi à la production des rapports sociaux.

Au départ de l’analyse institutionnelle, est récusée l’abstraction désincarnée de l’analyse marginaliste


néoclassique ainsi que l’irréalisme de ses postulats.

Les individus ne peuvent être assimilés à la figure de l’homo oeconomicus tout comme l’activité économique
ne peut l’être au marché autorégulateur : l’économie excède le (ou les) marchés et ceux-ci, loin d’être des
données a priori, sont des construits socio-historiques.

La sphère économique ne peut être appréhendée indépendamment du système social et politique, elle est
structurée par les institutions socio-économiques. Les rapports entre les agents économiques ne sont pas
seulement des transactions marchandes mais obéissent aussi à des règles (droit commercial, droit du travail), à
des normes, des conventions, des représentations.

La sociologie économique étant souvent basée sur la critique sociologique de l’économie, nous prolongeons
cette introduction générale par l’étude de l'anti-utilitarisme et de la régulation. Ensuite, nous nous pencherons
sur un cas pratique et pédagogique de sociologie du marché du travail par la méthodologie de la sociologie des
réseaux sociaux et de l’économie des conventions. Nous finirons par l’étude du fait social monétaire et de
l'économie des singularités.

Ces études nous permettrons de montrer que l’activité économique est une dimension de l’activité sociale et
comment un marché se construit socialement.

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1- L’Anti-utilitarisme

L’Anti-utilitarisme est un courant qui est né dans le sillage de la contre révolution idéologique ultra-libérale
impulsée par Friedrich Hayek, Milton Friedman et Gary Becker. Les ultralibéraux en étaient venus à poser que
le modèle économique valait pour toutes les sphères de l’action sociale. En sociologie, James Coleman visait à
l’élaboration d’une théorie générale fondée sur la théorie des choix rationnels (TCR) alias Rational Action
Theory (RAT), version généralisée du modèle économique. En France c’est largement ce même choix qui était
mis en œuvre par Raymond Boudon sous la bannière de l’ « individualisme méthodologique » ou par Michel
Crozier sous celle de l’« analyse stratégique ». Du côté néo-marxiste, Pierre Bourdieu, lecteur attentif de Gary
Becker, présentait sa sociologie comme une « économie générale de la pratique ». En philosophie morale et
politique, John Rawls entendait définir les bases axiomatiques et axiologiques d’une théorie de la justice fondée
sur le seul point de vue d’agents économiques ordinaires, mutuellement indifférents. Et ce même biais
économiciste généralisé se retrouvait en histoire, notamment avec la New Economic History ou, bien
différemment, chez Braudel, en biologie avec la sociobiologie, le néo-darwinisme et la théorie du gène égoïste,
en linguistique, etc. C’est contre cette dérive théorique économiciste (et individualiste) généralisé que le
MAUSS, entreprit de réagir en subsumant toutes les nouvelles écoles ou les nouveaux programmes qui
fleurissaient alors sous l’étiquette générale d’ « utilitarisme » et en décidant de se baptiser MAUSS, Mouvement
Anti-Utilitariste en Sciences Sociales. C’est de l’œuvre de Mauss que les membres de la revue partiront pour
fonder une théorie anti-utilitariste. Cela a d’abord consisté en une critique du modèle de l’homo oeconomicus
et de son extension à toutes les sciences sociales, en une clarification de l’idée même d’utilitarisme, en une
tentative, via notamment la discussion des thèses de Polanyi, de fixer les grandes étapes de sa genèse historique
pratique dans la recherche complémentaire des éléments anthropologiques permettant de montrer comment
l’homme des sociétés archaïques et traditionnelles est moins un homo oeconomicus qu’un homo donator, soumis
à ce que Mauss appelait la triple obligation de « donner, recevoir et rendre ».

1-1-Utilitarisme
L’utilitarisme est une doctrine qui pose que les hommes sont ou doivent être considérés comme des individus
séparés et mutuellement indifférents, qui, par nature, ne peuvent rien chercher d’autre que leur propre bonheur,
ou leur propre intérêt ; qu’il est bon et légitime qu’il en soit ainsi car c’est là le seul objectif rationnel qui s’offre
aux humains ; et qu’enfin, cette satisfaction de leur propre intérêt, les individus la cherchent, ou devraient la
chercher rationnellement, en maximisant leurs plaisirs (ou encore, leur utilité, leurs préférences) et en
minimisant leurs peines (ou leur désutilité). On le voit, ainsi conçu, l’utilitarisme apparaît comme une
« dogmatique de l’égoïsme », selon la formule d’Elie Halévy, qui fait plus qu’anticiper ce qu’on appelle
aujourd’hui le « modèle économique » ou, plus généralement, l’individualisme méthodologique et la Rational
Action Theory (RAT) ainsi que les grands auteurs de la tradition sociologique comme Talcott Parsons, pour qui
la sociologie doit se penser comme un anti-utilitarisme, i.e. un discours qui reconnaît la légitimité du calcul
d’intérêt et de la rationalité de l’homo oeconomicus mais qui refuse de croire que toute l’action se réduirait à la

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rationalité instrumentale.
Cependant, le courant dominant de la philosophie morale anglo-saxonne depuis John Stuart Mill jusqu’à John
Rawls, en passant par Henry Sidgwick et G. Moore, repose sur une toute autre interprétation de l’utilitarisme.
Tous ces auteurs, en effet, dans leur discussion de l’utilitarisme, accordent moins d’attention au postulat de
l’égoïsme rationnel qu’au principe de justice utilitariste énoncé par Bentham : est juste ce qui permet de
maximiser « le bonheur du plus grand nombre ». On devine la suite : pour être juste et moral, il peut se révéler
nécessaire de sacrifier les intérêts égoïstes au bonheur du plus grand nombre. L’utilitarisme, qui semblait tout à
l’heure consister en une dogmatique de l’égoïsme apparaît maintenant comme une doctrine qui prône
l’altruisme.
Ainsi, l’utilitarisme se caractérise par la combinaison difficile d’une affirmation positive (sur ce qui est) – les
individus sont des calculateurs intéressés rationnels – et d’une affirmation normative conséquentialiste (sur ce
qui devrait être) : est juste et désirable ce qui maximise objectivement le bonheur du plus grand nombre (ou
l’intérêt général, etc.). Bref, par la combinaison d’un égoïsme et d’un altruisme rationnel. On pourrait aller plus
vite en adoptant un esprit utilitariste pratique dans le sillage de Hannah Arendt et en rangeant sous cette étiquette
les doctrines qui posent que tous les problèmes se réduisant à la question : « à quoi ça sert ? »
Le terme d’ « utilitarisme » est assez récent (on le doit à J.S. Mill) mais les 2 principes de base ont déjà étaient
énoncés par Socrate et Platon.
L’utilitarisme n’est rien d’autre que la théorie de la rationalité pratique élargie à l’ensemble de la philosophie
morale et politique. La science économique appuyée sur le postulat de l’homo oeconomicus, représente sa
cristallisation.
Critiquer l’utilitarisme est délicat en raison de la force de son intuition constitutive. Qu’opposer à l’idée
apparemment évidente que les individus ne peuvent rien chercher que la satisfaction de leur propre intérêt et
qu’il n’ait pas d’autre objectif légitime concevable pour les Etats ou les sociétés que celui d’assurer le plus grand
bonheur du plus grand nombre ? En réalité, les explications utilitaristes ne parviennent pas à s’affranchir du
formalisme et de la tautologie, et se bornent à répéter sous de multiples formes que les hommes préfèrent ce
qu’ils préfèrent et sont intéressés par ce qui les intéresse ; soit elles retombent dans une forme ou une autre
d’utilitarisme vulgaire pour affirmer que ce sont les intérêts matériels, et in fine l’argent (ou le sexe, ou le goût
du pouvoir) qui mènent la monde. Au plan normatif, le problème principal est que si le bonheur est assurément
désirable, il n’est pas pour autant objectivable. Il n’est pas une chose. Or, en faire un objectif (et non un résultat
souhaitable possible) implique de le tenir pour une quasi-chose, appropriable, et de considérer le sujet qui le
poursuit, individu ou Etat rationnel, comme un maître ou un propriétaire omniscient ou omnipotent. Plus
concrètement, les sociétés modernes ont tranché le débat en posant que la mesure adéquate du bonheur était le
Produit national brut (identifié au Bonheur national brut) et la maximisation de la vie ou de la survie brute à tout
prix.

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1-2-L’homo oeconomicus
L’homo oeconomicus est rationnel, ce qui signifie qu’il a des préférences (il préfère le cinéma au théâtre) et que
ses choix sont cohérents (si, en plus, il préfère le théâtre au golf, alors il préférera le cinéma au golf) ; il est
également optimisateur, ce qui signifie, qu’il recherche le maximum de satisfaction ou de gain pour le minimum
de peine, de dépenses, de sacrifices (l’entrepreneur s’efforce d’utiliser ses ressources le mieux possible afin de
rendre son profit maximal). Finalement, l’homo oeconomicus s’avère intéressé, mais pas uniquement, par
l’argent (il peut préférer tout sacrifier à la défense de son honneur par exemple), et égoïste (ce qui peut le
conduire à adopter un comportement altruiste pour donner aux autres une bonne image de lui-même). Cette
représentation abstraite de l’homme, bien que souvent contestée, constitue le modèle dominant en sciences
économiques et sociales (individualisme méthodologique).
Comment donc l’Homme devient-il un « animal économique », pour reprendre la formule de Mauss ? Polanyi
est certainement l’auteur le plus radical dans la déconstruction de l’hypothèse de naturalité de l’homo
oeconomicus.
Polanyi met en évidence la rupture qu’a constituée l’avènement du marché autorégulateur (marché sur lequel
les prix sont déterminés par le jeu de l’offre et de la demande, sans intervention extérieure) sous l’impulsion du
libéralisme économique : pour la première fois de l’histoire, les phénomènes économiques sont représentés
comme s’ils étaient séparés de la société et constituaient à eux seuls un système auquel tous les rapports sociaux
devaient être soumis. Dans son livre, La Grande Transformation, Polanyi montre comment ce système de
marché traite comme des marchandises la terre, le travail et la monnaie. Il apparaît ainsi que le marché n’a rien
de « naturel » et a dû être institué.
La singularité historique que Marx attribuait au capitalisme fondé sur le travail salarié et Weber à sa
rationalisation, Polanyi l’impute à l’apparition du marché autorégulé, seule instance dans laquelle le sujet
humain commence à ressembler pour de bon à l’homo oeconomicus de la théorie économique. Le marché est le
lieu de rencontre entre une offre et une demande qui aboutit à la formation d’un prix. A en croire Marx ou
Weber, le marché ou la petite production marchande sont présents dès les temps les plus reculés. Mais c’est tout
le contraire soutient Polanyi pour qui il ne faut pas confondre le Marché et les lieux de marché et croire que les
échanges pratiqués sur les lieux de marché (market places) se déroulent nécessairement selon le mécanisme
marchand théorisé par la science économique. Plus généralement, il ne faut pas identifier commerce et marché.
Ce qui est en effet à peu près aussi vieux que l’humanité, c’est la pratique du commerce mais celui-ci, loin de
s’organiser nécessairement et toujours sur le modèle du marchandage et de l’achat et de la vente, obéit en fait,
le plus souvent à la logique de la réciprocité – i.e. du don/contre-don -, ou de la redistribution patrimoniale ou
étatique. Le commerce peut être commerce par dons, commerce administré ou commerce de marché. Loin de
s’engendrer naturellement et spontanément, le marché et l’homme économique sont le résultat d’une
construction historique. Le Marché est une production politique.
En définitive, le marché présent à l’état de potentialité dans toute société, se forme comme marché autorégulé
dans nombre de sociétés et de périodes historiques. Mais il s’en faut de beaucoup pour que l’on passe à tout

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coup de l’existence de marchés plus ou moins sporadiques et épars à la formation d’un véritable système de
marchés reliés les uns aux autres.
De Polanyi, nous retenons une conclusion essentielle : le degré d’autonomisation et d’extension de
l’économique et du marché est toujours le résultat d’une décision proprement politique, du politique. Or la
politique, autre conclusion maussienne, ce n’est pas autre chose que la généralisation du don, que l’intégrale des
dons et contre-dons, positifs et/ou négatifs. De même que le don doit être compris en termes proprement
politiques (Caillé, 2009).

L’activité du Mouvement Anti-Utilitariste en Sciences Sociales (MAUSS) a consisté à critiquer l’universalisme


occidentalo-centriste, alimenté par les doutes qu’il semblait légitime de nourrir sur le bien fondé de l’idéal du
développement économique généralisé à la planète entière. Cette critique a été portée par Gérald Berthoud et
Serge Latouche. Elle allait de pair avec une critique des théories marxistes de l’impérialisme, très en vogue à
l’époque. Ce n’est pas tant par l’exploitation du Tiers Monde que l’Occident domine, que par les « dons » (de
civilisation) qu’il lui fait. Gift/gift. Le don qui tue ou asservie. Bref, il est largement temps d’avoir un modèle
économique endogène basé sur une démarche nourrie de recherches empiriques. D’où l’étude de la régulation
pour voir ce qu’elle pourrait nous apporter.

2-La régulation
La régulation économique est un processus complexe par lequel un système économique et social parvient à se
reproduire dans le temps en conservant l’essentiel de ses caractéristiques structurelles par-delà les crises qui
l’affectent.
La régulation sociale est un ensemble de règles formelles et informelles qui assurent un certain mode de
fonctionnement de l’activité sociale. La régulation peut concerner la société globale, telle ou telle instance de la
société (relations professionnelles, relations marchandes, champ politique) ou des unités sociales restreintes
(organisations, marchés, groupes divers).
La régulation se distingue de la réglementation : elle n’est pas simplement un corps de règles juridiques régissant
une activité ou une institution, mais un ensemble de mécanismes complexes qui lient les acteurs qu’opposent
par ailleurs leurs positions respectives et, partant, leurs intérêts.
En ce sens, la régulation est le résultat d’une construction sociale : en confrontant leurs points de vue, les acteurs
élaborent des règles du jeu. Celles-ci correspondent à une certaine situation ou à un certain rapport de forces et
peuvent s’imposer plus ou moins durablement : on parlera alors de système régulateur doué d’une certaine
stabilité. Elles peuvent cependant s’avérer inadaptées au bout d’un certain temps en raison d’une modification
des rapports de force ou d’une évolution des comportements et des valeurs qui lui sont associées.
L’élaboration des règles peut être explicite : négociations en bonne et due forme, débats et tractations politiques,
confrontation des points de vue, consultations des publics intéressés. Elle peut être également, surtout au niveau
micro-social, informelle : par un jeu d’adaptations réciproques, les acteurs construisent les règles du jeu qui,

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tout en étant largement informelles, n’en sont pas moins prégnantes.


L’école de la régulation est fondée sur une démarche nourrie de recherches empiriques et fondée sur les apports
de l’histoire des statistiques et de la sociologie.
Cette école porte une attention particulière aux changements historiques de longue période et à la récurrence des
crises dont les formes exactes ne cessent de changer.
La théorie de la régulation permet de penser qu’Etat et capitalisme vont davantage de pair qu’ils ne sont en
conflit.
L’Ecole de la régulation doit son nom à l’attention qu’elle porte à la succession dans le temps de différents
modes de régulation. Leur capacité à résorber les « petites crises » dépend de la nature et de l’agencement des
formes institutionnelles qui les composent. Ces formes sont des codifications des rapports sociaux : résultats de
compromis historiques entre les groupes sociaux, elles canalisent les comportements individuels, les rendent
compatibles. On dénombre ainsi 5 formes institutionnelles (le rapport salarial, le régime monétaire, la forme de
la concurrence, le type d’intervention économique et sociale de l’Etat, le type d’insertion de l’économie
nationale dans l’économie internationale et le mode de régulation de celle-ci) qui se caractérisent par leur
capacité à coordonner les stratégies qu’elles soient privées ou publiques. Réciproquement, l’action de l’Etat y
est définie comme contrainte par les compromis institutionnalisés qui traversent tant la sphère du marché que
celle du secteur public. L’Etat est pensé comme traversé par les conflits issus des logiques contradictoires
propres à chacune des formes institutionnelles : par exemple la présentation de la stabilité monétaire contre le
maintien du lien social qu’est le rapport salarial ; ou encore la recherche de l’ouverture internationale en vue
d’une plus grande efficacité économique au prix d’une perte de certains attributs de la souveraineté. Cette
approche débouche sur la construction d’un cadre conceptuel permettant de penser de façon intégrée les
approches économiques, sociologiques et dans une certaine mesure de science politique. Ce qui est l’objet même
de la sociologie économique.

En sociologie économique, nous délimitons le champ nécessaire à la compréhension d’un phénomène dit
« économique ». Au lieu de ne rechercher que les déterminants économiques, le socioéconomiste redécoupe son
objet en intégrant les facteurs sociaux, politiques et historiques qui à l’évidence, façonnent le phénomène étudié.
Si nécessaire, il acceptera de troquer la théorie de la rationalité pour celle de l’habitus1, il prêtera aux
gouvernements des objectifs proprement politiques et s’appuiera sur une analyse historique pour spécifier la
nature des conditions initiales, resituées par rapport à une trajectoire nationale ou locale spécifique.

Se conformer au processus historique ouvre aussi à la compréhension de la logique des acteurs compte tenu du
contexte institutionnel, système de croyances et de valeurs dans lequel ils baignent. Toute rationalité supposée
est contextuelle et tend à s’incarner dans les habitus. La mise à jour des institutions et conventions permet dans
un second temps de déterminer les indicateurs pertinents pour les acteurs et la société dans son ensemble. Si

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Habitus : concept bourdieusien qui signifie un système de dispositions durables acquis par l’individu au cours du processus de
socialisation qui génère et organise les pratiques et les représentations des individus et des groupes.
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pour le paysan du Middle-West c’est le niveau de sa productivité et son prix à terme sur le marché de Chicago,
pour le paysan du Moyen âge c’est la sécurité de ses récoltes, donc la survie, et la distribution des pluies et des
températures au cours des saisons qui importent. Toute la question est alors de savoir si la conjonction de ces
institutions et des comportements individuels conduit à des régularités sociales et économiques. A cette
étape, les méthodes statistiques et économétriques, les plus rudimentaires comme les plus sophistiquées, sont
particulièrement utiles puisque marché et capitalisme convertissent des rapports sociaux (et juridiques) en des
prix, des transactions, des revenus et des profits. La conjonction de l’ensemble de ces régularités, issues
d’institutions mettant en jeu des logiques différentes, produit-elle ou non un ordre au niveau de la société
et de l’économie ? C’est la question clé de la théorie : soit un régime d’accumulation viable émerge du processus
individuel et collectif de « tâtonnement institutionnel », soit les ajustements conduisent à déstabiliser les piliers
du mode de régulation, lui-même et on qualifiera de crise structurelle, ou grande crise, de tel épisode. Le même
cadre analytique permet donc de penser les périodes de stabilité institutionnelle aussi bien que celle de crise…
sans nécessairement invoquer une perturbation extérieure et exogène venant déstabiliser un équilibre
économique.

Nous avons donc là un modèle explicatif qui n’est pas donné ex ante. Les recherches régulationnistes contribuent
donc à une socioéconomie historique puisqu’elles tiennent pleinement compte de l’enchâssement de l’activité
économique dans les relations sociales et politiques. C’est cette caractéristique qui est à l’origine des
trajectoires nationales et de la persistante diversité des modes de régulation et d’accumulation. Il est donc
important de tenir compte du dynamisme du secteur informel sous nos tropiques. A cet effet, nous nous
demandons quelles sont les médiations sociales par lesquelles s’opère la construction sociale des relations
marchandes ? Comment les institutions et les représentations économiques interviennent-elles pour rendre
possible le fonctionnement du marché ? Le repérage et l’analyse de ces médiations, institutions et
représentations sociales apportent une série d’information, des prix… capables d’en rendre compte. Pour repérer
ces médiations, nous userons de la méthodologie de la sociologie des réseaux sociaux.

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Conclusion

L’analyse structurale modélise les systèmes de liens existants entre les acteurs et décrit les propriétés du réseau
au moyen d’un ensemble de mesures. A la différence de l’individualisme méthodologique au sens strict,
l’analyse de réseau place délibérément l’accent sur les relations existant entre les acteurs plus que sur les acteurs
eux-mêmes.
La sociologie économique a mis en évidence la généralité et l’importance des réseaux sociaux qui révèlent
l’inégalité et la hiérarchie des positions des différents acteurs même supposés égaux à priori (Lazega, 2001).
C’est de la construction de tels réseaux que peut résulter l’émergence de nouveaux marchés et/ou
organisations, telles que les entreprises (White, 2001). L’analyse du réseau des acteurs qui contribuent à la
formation de la politique économique peut éclairer de façon originale la nature de l’Etat et les processus
économiques en cours. Les réseaux fournissent le support de l’émergence soit d’un marché, soit d’une
composante de l’action publique : marché et Etat seraient donc deux formes organisationnelles dotées d’une
certaine stabilité à moyen-long terme coordonnées par les réseaux qui les sous-tendent.

Les premiers textes de Mark Granovetter qui marquent le début de la nouvelle sociologie économique
établissaient que ce que les économistes interprètent comme des relations abstraites entre offreurs et demandeurs
anonymes est en fait toujours médiatisé par un système de relations interpersonnelles concrètes. En un mot, les
relations économiques sont toujours encastrées dans des réseaux de relations interpersonnelles.
Les institutions économiques actuelles que nous étudions reflètent la structure des réseaux personnels dont
elles sont nées. Cela donne lieu à des innovations organisationnelles dont les formes et les limites sont
modelées par les structures des réseaux dont elles sont nées.

Nous reformulons donc « la problématique des institutions économiques comme étant celle de la
mobilisation de ressources pour l’action collective, » (Granovetter, in Orléan (sous la dir. de) 2004, p.125)

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