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ELEMENT CONSTITUTIF D’ANALYSE DES

PROBLEMES SOCIAUX DE
L’ENTREPRISE/ ORGANISATION

00. INTRODUCTION
L’analyse d’un problème social est une tâche fréquente en sciences
sociales. Une telle analyse sollicite les habiletés en lecture et en
écriture des étudiants qui, pour les besoins de l’analyse, doivent
exposer par écrit leur compréhension d’un problème social. Le texte
produit par les étudiants doit à la fois refléter leur appropriation de
références pertinentes et leur intégration de la posture d’écriture
exigée par l’analyse d’un problème social dans une perspective
sociologique.
L’objet de la sociologie porte sur l’influence des déterminismes
sociaux et du degré de liberté individuelle dans les pensées et
comportements humains. En conséquence, l’attention des sociologues
sera particulièrement attirée vers les conditions objectives et
subjectives qui expliquent les attitudes et conduites des individus dans
leurs relations aux autres. Dans le même ordre d’idées, la perspective
sociologique est dirigée à la fois vers les phénomènes qui relèvent de
l’organisation sociale (phénomènes structurels) et ceux se déroulant au
fil des rencontres de la vie quotidienne (phénomènes interactionnels).
Mais quelle est l’utilité de la sociologie? À quoi peut-elle bien servir?
La discipline sociologie permet de prendre un recul par rapport au
discours commun et de questionner ce qui peut sembler « naturel » ou
« aller de soi ». Selon Peter Berger, le premier principe de la
sociologie repose sur l’idée que « les choses sont différentes de ce
qu’elles paraissent »1 invitant tout observateur de la société à se méfier
des évidences. La sociologie permet aussi de mieux comprendre la
dimension sociale des cheminements individuels et d’établir des liens
entre des difficultés éprouvées sur le plan personnel et les enjeux
collectifs d’une société. C’est le cas, par exemple (et nous aurons
l’occasion d’approfondir la question durant les prochaines semaines)
de la corrélation qui existe entre les inégalités économiques, la
déviance familiale et la situation des personnes prostituées.
Par l’entremise du savoir sociologique (concepts, théories, méthodes
et techniques d’investigation) les sociologues sont à même de décrire,
analyser et expliquer la relation entre le fonctionnement de la société,
les transformations qui surviennent au cours de son évolution et la
réalité vécue par les groupes sociaux. On fait appel à leur expertise
pour répertorier et évaluer les impacts de certains mécanismes et
changements sociaux en vue de faciliter la mise en place de moyens
d’intervention qui limitent les effets néfastes sur les personnes et la
société.
Le présent élément constitutif vise à situer la contribution du savoir
sociologique dans la résolution de différents problèmes sociaux
actuels et ainsi participer à l’amélioration des conditions d’existence
des individus.
0 .1. OBJECTIFS DE L’ELEMENT CONSTITUTIF
Le présent élément constitutif d’Analyse des problèmes sociaux de
l’entreprise /Organisation poursuit les objectifs suivants :
- Objectif Global
L’étudiant doit acquérir des connaissances générales pour analyser de
problèmes sociaux et développer des habiletés qui serviront de support
théorique et méthodologique dans l'étude des problématiques sociales,
objet de l'intervention en travail social; acquérir une capacité de
contextualisation sociale des problématiques observées et intégrer
cette contextualisation à ses interventions.
- Objectifs spécifiques, opératoires
- Permettre aux étudiants de maitriser la manière d’analyser un
problème social car l'analyse d'un problème social est une tâche
fréquente en sciences sociales. Une telle analyse sollicite les habiletés
en lecture et en écriture des étudiants qui, pour les besoins de
l'analyse, doivent exposer par écrit leur compréhension d'un problème
social.
- Habiliter l'étudiant à faire une analyse des différents problèmes
sociaux contemporains et à relier les problématiques individuelles
avec les enjeux collectifs.
- Les étudiants doivent savoir distinguer les principales théories et
méthodes d'analyse utilisées dans l'explication des problèmes sociaux
et leurs liens avec les solutions proposées par différents groupes de la
société.
- Les étudiants maitrisent la manière d’explorer, en regard des théories
abordées, quelques problèmes sociaux contemporains qui affectent les
individus, les groupes, les collectivités et les organisations.
0.2. PLAN DE L’ELEMENT CONSTITUTIF
CHAP I. GENERALITES
I.1. QU’EST-CE QU’UN PROBLEME SOCIAL?
I.2. HISTORIQUEMENT, COMMENT LES PROBLEMES
SOCIAUX ONT-ILS ETE ABORDES AU QUEBEC?
I.2.1. En quoi la recherche a-t-elle fait évoluer la profession et la
discipline du travail social?
I.2.2. Peut-on parler d’avancées notables?
I.2.3. Quelles sont les retombées du travail social sur la vie
communautaire?
I.2.4. Quels sont les enjeux majeurs aujourd’hui?
I.3. COMMENT NAISSE UN PROBLEME SOCIAL
I.4. LES CINQ ETAPES DE LA CONSTRUCTION D’UN
PROBLEME SOCIAL
I.4.1. Emergence
I.4.2. Légitimation
I.4.3. Mobilisation
I.4.4. Débats sur le traitement
I.4.5. Action sur le terrain
CHAPITRE II LE CONTENU DE LA POLITIQUE SOCIALE
II.1. L’ÉVOLUTION ET L'ORIENTATION DE LA POLITIQUE
SOCIALE
II.2. LA MISE EN OEUVRE DE LA POLITIQUE SOCIALE
II.2.1. Les mécanismes juridiques
II.2.2. La participation des intéressés
II.3. LES PROBLÈMES DU TRAVAIL
II.3.1. Sur le plan de l’âge de la retraite
II.4. LES PROBLÈMES D'ORGANISATION MÉDICALE ET
SANITAIRE
II.4.1. Le problème de la recherche médicale
II.4.2. L’éthique médicale
II.4.3. Le problème économique et financier
II.5. LES PROBLÈMES SOCIAUX DE LA DISTRIBUTION
DES REVENUS DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
II.5.1. Influence des transformations du besoin de sécurité
II.5.2. La sécurité, envisagée comme un but
II.5.3. La sécurité, envisagée en tant qu’organisation
CHAP III. PROBLEME SOCIAL, LE CONCEPT ET LES
PRINCIPALES ECOLES THEORIQUES
III.1. LA NOTION DE PROBLEME SOCIAL
III.2. PRESENTATION DE QUELQUES ECOLES THEORIQUES
D'ORIENTATION SOCIOLOGIQUE DANS L'ANALYSE DES
PROBLEMES SOCIAUX.
III.2.1. L'École de Chicago et le modèle écologique
III.2.2. Le culturalisme
III.2.3. Le fonctionnalisme
III.2.4. L'approche critique dite « du conflit social »
III.2.5. L'interactionnisme symbolique et les théories de la réaction
sociale et de l'étiquetage
III.2.6. Le constructivisme
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
CHAP I. GENERALITES
Dans l’expression problèmes sociaux de l’entreprise / organisation,
thème du présent enseignement enseignement, l’essentiel est le mot
« social ». Celui-ci a des acceptions multiples. Chacun y met un peu
ce qu’il veut.
Par « social », nous entendrons l’humain, le point de vue de l’homme.
Les problèmes sociaux sont les problèmes de l’homme. Ce ne sont pas
tous les problèmes de l’homme, il y a une masse de problèmes de
l’homme qui ne sont pas des problèmes sociaux : ceux qui concernent
l’anatomie, la physiologie, le langage, etc. Les problèmes sociaux sont
les problèmes de l’homme envisagé en tant que personne. Ces
problèmes, ainsi sommairement définis, recouvrent deux grandes
catégories de questions, suivant qu’on envisage l’homme en tant
qu’individu, en lui-même, ou dans ses relations avec les autres
hommes.
Au premier point de vue, le social se définit dans une large mesure par
opposition à l’économique. Le point de vue économique est le point
de vue de la production, envisagée sous tous ses aspects de quantité,
de qualité, de débouchés et de prix de revient, la production envisagée
en elle-même.
Le point de vue social est le point de vue de l’homme pris dans son
développement physique, dans son bien-être matériel, dans
l’expansion de ses possibilités propres.
À cet égard les problèmes sociaux recouvrent : d’abord, tout
naturellement, les problèmes de la santé et de l’intégrité physique au
sens le plus large du mot, les problèmes aussi des moyens d’existence,
que ces moyens d’existence viennent du travail, ce qui est le cas
normal ou qu’ils viennent de sources étrangères au travail, notamment
pour ceux qui ne peuvent pas travailler : les malades et les invalides,
les vieillards…
I.1. QU’EST-CE QU’UN PROBLEME SOCIAL?
«Un problème social est un processus construit et ne relève pas d’un
consensus ; ce sont plutôt des individus dominants qui définissent les
comportements qui “posent problème” aux bien-pensants, ceux qui
établissent les limites à ne pas dépasser, définit Henri Dorvil. Ce sont
ces mêmes individus qui “problématisent” les conditions de vie de ces
groupes marginalisés. Seulement deux catégories de personnes ont
réussi à échapper à ce processus : des catégories de genre, experts de
leur identité sexuelle, et d’anciens patients devenus pairs aidants.»
I.2. HISTORIQUEMENT, COMMENT LES PROBLEMES
SOCIAUX ONT-ILS ETE ABORDES AU QUEBEC?
«En 1960-1970, on s’en remettait à l’État-providence pour régler de
manière massive les problèmes en oubliant les singularités des
personnes, explique Marcelo Otero, professeur de sociologie à
l’UQAM. On fonctionnait avec des catégories stéréotypées : le
toxicomane, la prostituée, l’itinérant. En 1980, on a assisté au retrait
de l’État. Toutes les catégories de personnes vulnérables devaient
alors se prendre en main. À partir des années 1990, on a compris
qu’une personne a plusieurs dimensions. On tente maintenant de
concevoir des politiques en ce sens. Toutes les professions du social :
travailleurs sociaux, sociologues, intervenants communautaires, etc.,
doivent penser à des manières nouvelles d’intervenir dans une société
où l’individu prime sur la collectivité. Mais le risque est toujours le
même, celui de tomber dans la psychologisation des problèmes
sociaux.»
I.2.1. En quoi la recherche a-t-elle fait évoluer la profession et la
discipline du travail social?
«Les connaissances ont été construites avec les milieux, dans un souci
constant d’améliorer des pratiques en créant une foule d’outils,
indique Céline Bellot, directrice de l’École de travail social de
l’UDEM. Par contre, il y a eu peu de recherches sur la nature
scientifique du travail social. C’est un manque, mais on y remédie
avec les jeunes formés au doctorat en travail social.»
I.2.2. Peut-on parler d’avancées notables?
«Avec la recherche qualitative, on tient compte du regard des gens, de
leur situa- tion individuelle dans la construction des savoirs ; ils ont
leur mot à dire, affirme Marcelo Otero. On le voit par exemple avec la
création de comités d’usagers dans les établissements de santé.»
I.2.3. Quelles sont les retombées du travail social sur la vie
communautaire?
« L’essence du travail social est le vivre-ensemble, déclare Elisabeth
Greissler, professeure à l’École de travail social de l’UDEM. Ainsi,
avec les jeunes de la rue, on a dépassé la vision caritative,
misérabiliste qui met l’accent sur le danger et les interventions
coercitives. Notre analyse de l’expérience de la rue chez les jeunes est
devenue plus riche et complexe. On peut mieux accompagner la
construction identitaire des jeunes, réduire les méfaits, créer des ponts
entre les institutions, lutter contre la stigmatisation et améliorer la
cohésion avec les autres citoyens.»
I.2.4. Quels sont les enjeux majeurs aujourd’hui?
«Il faut se pencher sur le financement de la recherche en travail social,
dit Céline Bellot. En construction de connaissances, il y a beaucoup de
travail à faire avec les milieux de pratique en amont et en aval de la
recherche. Il faut en tenir compte dans la façon d’accorder les
subventions.»
«On doit aussi garder une perspective critique sur les données
probantes, très en vogue actuellement, parce qu’elles s’attaquent à ce
qui est le plus visible, mais mettent de côté des personnes», croit
Elisabeth Greissler.
I.3. COMMENT NAISSE UN PROBLEME SOCIAL
Sortir les SDF de la rue, empêcher la consommation de stupéfiants,
contrôler l’obésité, éviter la violence conjugale, remédier au
décrochage scolaire, … Par quel processus ces comportements ou ces
situations accèdent-ils au statut de problèmes publics ? Réponse avec
J. Moriau, sociologue (CBCS-ULB).
Autant d’expressions de la volonté publique, autant de problèmes
sociaux auxquels il semble évident de proposer des réponses. Mais par
quel processus ces comportements ou ces situations accèdent-ils au
statut de problèmes publics ? Comment deviennent-ils «
problématiques » ?
Que faut-il pour que naisse un problème social ? A rebours du sens
commun, une majorité des sociologues s’accorde pour dire qu’un
problème social ne s’impose pas de par son existence même, mais est
le produit final d’un complexe et incertain travail de construction,
mêlant une foule d’acteurs hétéroclites aux intérêts et aux objectifs pas
toujours convergents. Ce ne sont donc pas des « conditions objectives
» révélées par le discours scientifique – comme les effets de la
consommation de tel ou tel produit par exemple ou le manque de telle
ou telle ressource pour une partie de la population – qui
détermineraient de façon indéniable ce qui fait problème. Il est erroné
de voir les comportements ciblés ou les populations concernées
comme des catégories naturelles qui réclameraient par elle-même
d’être considérées comme « problématique ».
En réalité, la connaissance que la sociologie a de la société ne peut pas
aboutir à l’identification de problèmes avant que ceux-ci ne soient
déjà constitués. Ce ne sont pas les sciences sociales qui peuvent
décider péremptoirement de ce qui est problématique ou non, mais
seulement une activité de jugement exercée à l’extérieur du champ de
compétence de celles-ci. Cette conception de la genèse des problèmes
sociaux permet d’expliquer pourquoi certains problèmes, bien que
patents dans la vie quotidienne de certains, n’émergent qu’avec
difficulté dans l’espace public et dans le champ des sciences sociales.
Un exemple parlant est les questions de genre : les inégalités entre
hommes et femmes n’ont été que relativement récemment reconnues
et traitées comme un problème social. Pendant des décennies la
sociologie a analysé le fonctionnement de la société occidentale sans
prêter plus qu’un œil discret à ces questions. Pendant des années, les
catégories masculines ont modelés la perception de la réalité. Ce sont
les luttes féministes qui ont, au fur et à mesure, fait apparaître ces
inégalités comme dignes d’intérêts, jusqu’à imposer des « études de
genre » dans les universités.
Ainsi, toute une série de questions qui pourraient être considérées
comme « problématiques » n’accèdent ni à l’attention sociologique, ni
au débat public : comme les écarts faramineux de richesse au sein de
la société ou les méfaits d’une organisation sociale basée sur la
concurrence, pour donner deux exemples contemporains et lourds de
conséquences.
Pour s’enclencher, la genèse d’un problème social requiert avant tout
un acte de désignation. C’est parce que telle ou telle situation est
définie et posée comme « problématique » par un certains nombres
d’acteurs (publics ou non) attachés à une « cause » qu’elle peut
revendiquer d’être considérée à un moment comme un problème
social. Dans la diversité des situations qui composent la société,
certaines peuvent apparaître comme étant en rupture avec l’ordre des
choses. Elles suscitent incompréhension, malaise, scandale ou
indignation. Elles incitent certains à se saisir de la question dans une
volonté de changement.
Tout problème social naît ainsi, du succès de l’association d’un
jugement moral à des faits sociaux. Telle désignation implique
également de croire que la question traitée ne relève pas de l’ordre de
l’accidentel ou de l’incontrôlable. Il y a problème public parce que,
justement, on pense qu’il y a moyen d’agir sur les phénomènes
concernés, qu’ils sont contrôlables d’une part, et d’autre part, qu’ils
sont liés à une intentionnalité, à l’action consciente d’un acteur
identifiable.
I.4. LES CINQ ETAPES DE LA CONSTRUCTION D’UN PROBLEME
SOCIAL

Une vision constructiviste des problèmes publics, c’est-à-dire une


vision qui pointe le travail moral nécessaire à la problématisation de
telle ou telle situation, renvoie les sciences sociales à un rôle
secondaire, celui de documenter et de commenter ces situations a
posteriori. Ce n’est pas la sociologie qui, en s’intéressant par exemple
à la délinquance ou à la pauvreté, en font des problèmes ; elle s’en
saisit dans un second temps, une fois que leur caractère problématique
a déjà été affirmé par une série d’autres instances.
Cette vision, en visualisant le rôle essentiel que joue une pluralité
d’acteurs, permet de complexifier le processus d’apparition des
problèmes publics que nous résumerons ici schématiquement en cinq
étapes : émergence, légitimation, mobilisation, débats sur le
traitement, actions sur le terrain.
Insistons d’emblée sur le fait que tous les problèmes sociaux ne
passent pas toujours par ces cinq phases et que certains n’atteindront
jamais l’étape de l’exécution des actions de terrain. La vie d’un
problème public est une affaire précaire, soumise aux aléas, aux
controverses et aux combats entre porteurs d’intérêts divers. Toute
élaboration est faite d’aller-retour, de bifurcations et, parfois,
d’impasses ; elle peut toujours être remise en cause aux différents
stades et se voir modifiée au gré des interventions des différentes
parties prenantes.
Dans ce processus, les cinq étapes qu’identifie Blumer, sociologue
américain (1900-1982), sont autant de moments clés auxquels se
jouent la poursuite et la consolidation de la problématisation.
I.4.1. Emergence
La première étape a déjà été en partie abordée, c’est celle de la
désignation. Le premier enjeu est de faire exister le problème, ce qui
passe par un travail de définition et de catégorisation : imputation de
responsabilités et de causalités, identification d’acteurs concernés et
d’actions constitutives de la situation, évaluation de préjudices,
proposition de solutions. C’est par l’ensemble de ces énoncés
descriptifs et interprétatifs qu’une situation, maintenant définie dans
ses diverses facettes, devient bel et bien un « problème ». Le plus
souvent, cet effort d’élaboration est porté par des « acteurs collectifs »
qui tentent de peser sur la vie sociale : associations de patients, ligues
morales, groupes de pression ou d’intérêts divers, acteurs associatifs,
partis politiques, etc. Ces acteurs collectifs ne préexistent pas toujours
au problème qui est pointé : ils se configurent et se reconfigurent aussi
au gré du travail de constitution du problème.
On est donc dans le modèle suivant : un ou des dénonciateur(s), un «
lanceur d’alerte » publicise des dommages et des victimes, pointe des
coupables ou des responsables et en informe l’opinion ou les pouvoirs
publics concernés. Dès cette étape il faut souligner l’importance des
médias de masse et la capacité qu’ils recèlent de pouvoir relayer,
appuyer, conforter, ou non, les thèses défendues par les porteurs du
problème. Ce pouvoir d’influence peut se révéler central dans sa
constitution et garde ce poids tout au long du processus.
I.4.2. Légitimation
Vient la seconde étape : celle de l’extension au débat et au jugement
public sur le bien-fondé des accusations, des revendications et des
propositions. Les « faits » mis en avant reflètent-ils bien la réalité du
problème ? Les mises en relations s’avèrent-elles exactes ? Les
propositions sont-elles réalistes ?
Il s’agit de construire, grâce à la force dont est porteuse la formulation
du problème et à des ressources symboliques (appui de personnes
célèbres ou légitimes, d’élus politiques, de médias) et matérielles
(publicité, organisation de manifestations, tribunes publiques), une «
arène publique » disposée à accueillir le problème, à laisser place à sa
discussion et à la construction de solutions.
L’enjeu ici est bien de rendre le problème public et légitime. Il faut
insister sur le fait que tous les thèmes potentiels d’inquiétude ne
deviennent pas, du fait même de leur nature, des problèmes publics.
La réalité des faits autorise à parler de compétition entre problèmes
publics pour obtenir reconnaissance et prise en compte de la part des
pouvoirs publics. Plus finement, on peut également pointer qu’à
l’intérieur même du problème exposé à l’opinion publique, peut jouer
une certaine concurrence entre les façons de le considérer, sa
définition et les implications dont il est porteur (les chômeurs doivent-
ils être considérés comme victimes ou responsables de leur sort ?
Peut-on envisager un certain niveau de consommation de drogue
comme « acceptable »? Faut-il fournir un abri aux SDF en hiver ou
durant toute l’année ?).
I.4.3. Mobilisation
A partir du moment où il y a intervention des pouvoirs publics on
rentre alors dans une troisième phase, celle de la stabilisation de la
question, de son institutionnalisation. L’étape de la mobilisation des
moyens publics est une étape décisive dans le sens où l’action
publique, à la fois, atteste du « sérieux » de la cause et fige, via une
série d’instruments, de cadres légaux, d’interventions, d’enquêtes, de
système d’évaluation, une certaine conception de ce qu’est ce
problème public. Cette institutionnalisation du problème peut
également parfois apparaître comme une certaine « bureaucratisation »
de la question traitée car c’est ici que l’usage des instruments
administratifs (catégories administratives, statistiques officielles,
critères de choix, etc.) peut écraser et déformer les revendications
originelles au profit d’une prise en compte du problème plus
compatible avec les équilibres politiques.
I.4.4. Débats sur le traitement
Cette troisième étape est fréquemment couplée à la quatrième :
l’élaboration de pistes de solution et d’intervention concrètes pour
solutionner le problème. Il s’agit ici de trouver un compromis entre les
diverses versions du problème portés par les parties prenantes et de
clore les controverses. Le plan d’action officiel constitue la définition
officielle du problème, en ce sens qu’il correspond à la façon dont la
société a finalement perçu et cherché à le traiter à travers ses
organisations officielles (représentants politiques, pouvoirs publics,
associations subsidiées).
C’est un arrangement négocié qui ne correspond que rarement à la
formulation initiale. Entre l’indignation de départ, l’écho qui lui a été
donné par le public et les médias, les multiples reformulations de la
question et les décisions politiques qui en sont issues, des différences
de conception considérables peuvent apparaître et aller jusque
remettre en cause l’indignation première. C’est ce que montre par
exemple l’histoire de la prise en compte de l’épidémie de sida en
France qui voit très longtemps s’opposer frontalement à propos de la
question des traitements, le Ministère de la santé et les activistes d’Act
up et des mouvements homosexuels, pourtant à l’origine de la
reconnaissance du problème.
I.4.5. Action sur le terrain
La carrière du problème public s’achève, cinquième étape, par la mise
en place de programmes d’action, qui n’arrivent pas toujours à le
résoudre mais qui contribuent à sa rigidification en lui faisant une
place dans ce qui sera dorénavant l’évidence renouvelée de l’ordre
social. Cette étape n’est évidemment pas la mise en place mot pour
mot du plan d’action tel qu’il a été élaboré lors du point précédent.
Celui-ci est refaçonné et ajusté au gré des contraintes du terrain et de
la mise en œuvre, au gré également de la plus ou moins bonne volonté
des administrations porteuses des solutions.
Ces étapes sont bien évidemment décrites trop schématiquement et
segmentent artificiellement des développements qui, dans les faits,
sont beaucoup plus complexes. Cette division, en assignant chaque
phase à un ou des acteurs particuliers (le lanceur d’alerte, les pouvoirs
publics,…), occulte particulièrement la façon dont se lie, se renforce
ou s’oppose le jeu des différents protagonistes parties prenantes à un
problème public. Au final, une telle construction est bien le fruit d’une
responsabilité partagée, dans laquelle le rôle des médias, des
scientifiques, des acteurs de terrain mais aussi des simples citoyens se
mélangent. Ce modèle occulte aussi le poids des controverses : un
problème social, même pris en charge par les autorités publiques, peut
continuer à susciter débats et opposition que ce soit quant à sa
formulation ou à sa prise en charge. Le traitement officiel d’une
question ne signifie pas automatiquement qu’il existe un consensus
socialement partagé sur la nature du problème, son importance et les
remèdes qu‘il faut y apporter. Les exemples de polémiques, de la lutte
pour le droit à l’avortement dans les années 70 à la crise actuelle des
réfugiés, sont légion.
Bien que toutes les questions publiques ne suivent donc pas ce chemin
ou en suivent d’autres ; bien que certaines puissent être traversées de
plus de tensions que d’autres, qu’elles puissent se voir ramenées en
arrière au gré de contestation ou d’ouverture d’une nouvelle
controverse, … cette formalisation donne néanmoins un cadre
explicatif général et abstrait qui décrit de façon satisfaisante la genèse
des problèmes publics et, surtout, permet de penser ceux-ci autrement
que sur le mode de l’évidence. Ce sont là d’incontestables mérites.
A titre d’exemple l’alcool au volant est-elle bien la bonne question ?
Dans la culture des problèmes publics Gusfield, sociologue américain
(1923-2015) retrace, par l’enquête, la façon dont, aux USA, la
question de l’alcool au volant est devenue la problématique centrale
sur laquelle agir pour garantir la sécurité routière, que ce soit aux yeux
des autorités publiques, de la police ou des citoyens. Il met ainsi en
lumière le processus de construction qui aboutit à considérer
aujourd’hui comme normal le fait de lutter avant toute autre chose
contre la consommation d’alcool des conducteurs.
Cette évidence, elle a pourtant une histoire. Gusfield montre
précisément comment la charge de la responsabilité a progressivement
été mise toute entière sur les épaules des conducteurs afin d’éviter
l’identification de responsabilités alternatives, comme celle reposant
sur les constructeurs automobiles ou les aménageurs publics.
L’alcool au volant s’impose comme problème public suite à la
conjonction des efforts de plusieurs acteurs importants : les
compagnies d’assurance qui cherchent à faire de l’accident un
événement individuel ; les ligues de moralité prohibitionnistes qui
voient une opportunité de faire avancer leur cause ; les constructeurs
automobiles qui évitent des investissements coûteux pour rendre leurs
modèles plus sûrs ; les pouvoirs publics qui se soustraient à des
aménagements supplémentaires de l’espace public. Toute une
argumentation reposant notamment sur la mise en évidence du plus
grand nombre d’accidents provoqués par des personnes ayant
consommé de l’alcool cherche à assurer un lien indestructible entre
consommation d’alcool et risque d’accident grave. Bien que Gusfield
démontre la faiblesse scientifique sur laquelle repose la production de
ces chiffres (manque de groupe de contrôle, difficulté du calcul du
taux d’alcoolémie, incertitude quant aux causes réelles des accidents
répertoriés), il est obligé de reconnaître l’incapacité des tenants
d’autres positions, comme celles de certains Sénateurs cherchant à
augmenter la sécurité des véhicules, à faire valoir leurs vues.
Cette conceptualisation a écrasé toute conception alternative du
problème de la sécurité routière et empêche, sans doute encore pour
longtemps, la production de solutions alternatives : réduction de la
vitesse moyenne, développement de modes de transport alternatifs,
révision du tracé des routes. Le travail de Gusfield confirme qu’une
fois constitué, un problème social acquière légitimité et autorité. Il
devient une réalité bien difficile à déconstruire.

CHAPITRE II : LE CONTENU DE LA
POLITIQUE SOCIALE
Dans l’élaboration de la politique sociale, le problème essentiel qui se
pose, et qui apparaît bien entendu lorsque l’on parle de planification,
est un problème de choix. Les objectifs de la politique sociale sont
multiples. Les besoins qu’elle tend à satisfaire sont extrêmement
variés. Dans cette multiplicité d’objectifs, dans cette variété des
besoins tout n’est pas possible à un moment donné. Il faut donc définir
des priorités. Il faut doser les satisfactions données aux différentes
parties prenantes, en fonction de la situation économique, en fonction
de l’urgence que présente telle ou telle situation, en fonction aussi, il
faut bien le dire, des pressions politiques ou des pressions de certains
groupes sociaux.
De manière très générale, il y a trois groupes essentiels de problèmes
auxquels l’on est naturellement porté à donner la priorité : ce sont les
problèmes de l’emploi, les problèmes de la santé et les problèmes de
l’éducation. Mais, il va de soi qu’à l’intérieur de chacun de ces
groupes de problèmes, il y a une multitude de solutions possibles et de
degrés d’intervention. Les solutions qui seront adoptées, les priorités
qui seront définies, varieront tout naturellement avec l’évolution
économique, avec le degré d’industrialisation, sans qu’il soit possible
de définir a priori des normes valables partout et toujours.
C’est, dans cette définition des priorités, qu’intervient le problème de
la sélectivité de la politique sociale auquel il a été précédemment fait
allusion et qui est une des préoccupations nouvelles et les plus
importantes que l’on rencontre, au moins dans certains pays, aux
États-Unis, en Grande-Bretagne, et cette notion commence également
à pénétrer en France, à l’époque contemporaine.
Le problème de la sélectivité, pris en son sens le plus large, consiste à
opter entre une politique d’ensemble, qui tend à améliorer les
conditions d’existence de toute une population par une action sur les
structures mêmes de la vie économique et sociale et une action en
faveur de la solution des besoins les plus urgents, c’est- à dire des
catégories les plus défavorisées.
Bien entendu, si l’on prend « sélectivité » au sens propre du mot, toute
politique sociale est sélective. Tout n’étant pas possible, il faut bien
faire des choix, et un choix est une sélection. Mais ces choix peuvent
avoir des caractères très différents.
Cela peut être un choix entre problèmes : on donne la priorité au
problème de la santé sur le problème de l’éducation, au problème de
l’emploi sur le problème de la santé. Cela peut être un choix entre
catégories de personnes intéressées : par exemple, on donne la priorité
aux enfants ou aux personnes âgées sur les adultes.
Mais lorsqu’on parle aujourd’hui de politique sociale sélective, c’est à
autre chose que l’on pense : c’est, pour prendre la formule des États-
Unis, à la lutte contre la pauvreté. Il s’agit de donner la priorité dans
l’effort social, sinon l’exclusivité, à une action en vue d’éliminer ou de
réduire la pauvreté, c’est-à-dire d’améliorer le niveau de vie des
catégories les plus défavorisées de la population. L’on s’efforce de
définir une « ligne de pauvreté » – poverty line – qui corresponde à la
limite de revenus au-dessous de laquelle l’on estime qu’il n’est pas
décent qu’un pays civilisé ou un pays évolué laisse vivre des individus
ou des familles. Il s’agit donc d’amener les individus ou les familles
dont les revenus sont au-dessous de cette ligne à atteindre ce niveau.
Cette tendance à donner la priorité à une politique sociale fondée sur
la lutte contre la pauvreté, c’est-à-dire à faire intervenir la notion de
revenu, dans l’intervention de la collectivité, est favorisée à l’heure
actuelle par un renouveau de l’individualisme libéral, qui voudrait que
l’on rende à ceux qui en ont la possibilité la responsabilité de l’effort à
faire pour améliorer leur sort. Cette tendance est favorisée par
l’amélioration générale du niveau de vie dans les pays les plus
évolués.
Il est certain que les budgets individuels ou familiaux d’un niveau
relativement aisé peuvent plus facilement supporter certaines charges
ou certains risques, et que, par conséquent, l’intervention de la
collectivité est moins nécessaire. Tout cela peut apparaître comme
répondant à une préoccupation parfaitement rationnelle.
À partir du moment où l’on ne peut pas tout faire, il apparaît normal
de faire porter le principal effort sur les catégories les plus
défavorisées, sur les éléments de la population qui ont les revenus les
plus faibles.
Cependant cette tendance n’est pas sans présenter certains risques.
D’abord il n’est pas aisé, dans bien des cas, de connaître exactement
les revenus individuels et familiaux. Si certains revenus sont faciles à
connaître, par exemple les salaires, il en va tout autrement des revenus
non salariaux, qu’il s’agisse des revenus des agriculteurs, qui en partie
au moins sont des revenus en nature, ou des revenus des professions
non salariées , professions commerciales ou artisanales, ou professions
libérales. D’où un risque de favoriser ou de défavoriser certaines
catégories par rapport à d’autres. Il n’est pas plus facile de définir une
« ligne de pauvreté ». Ou bien cette ligne est fixée à un niveau très
bas, et alors tout se ramènera à des efforts d’assistance qui ont
toujours existé et qui existeront toujours, ou l’on fixe cette ligne de
pauvreté à un niveau plus élevé, et l’on risque alors de ne pas pouvoir
accomplir un effort
II.1. L’ÉVOLUTION ET L'ORIENTATION DE LA POLITIQUE
SOCIALE
Suffisant pour élever le niveau de vie de ceux qui ont des revenus
inférieurs à cette ligne idéale. Mais ce qu’il y a de plus grave, dans
une politique qui serait trop exclusivement fondée sur le niveau des
revenus, c’est qu’elle tend psychologiquement à une ségrégation
sociale, à une ségrégation entre les pauvres et ceux qui ne le sont pas,
entre ceux qui sont aidés et ceux qui supportent la charge de l’aide.
Cette ségrégation sociale a de très graves inconvénients
psychologiques et sociaux, en accentuant les oppositions entre deux
grandes catégories de la population.
Ces inconvénients sont encore accrus dans les pays où la distinction
entre pauvres et riches se combine avec des distinctions différentes,
des distinctions d’origine, des distinctions de couleur ou de race. Ceci
est particulièrement net dans un pays comme les États-Unis, où les
quatre cinquièmes de la population dite pauvre sont constitués
d’éléments de couleur ; les tensions qui existent déjà, sur la base de
ces éléments raciaux, risquent d’être aggravées bien davantage encore
par l’accentuation du clivage entre les catégories sociales en fonction
du revenu.
Bien entendu, on ne peut jamais faire complètement abstraction, dans
un effort social, des revenus dont disposent les individus ou les
familles, mais il y a un inconvénient à fixer d’une manière générale
une ligne de pauvreté et à consacrer tout son effort ou l’essentiel de
son effort à ceux qui sont en-dessous de cette ligne. Il est infiniment
préférable, pour chaque problème déterminé, de définir, et seulement
dans la mesure où on ne peut l’éviter, des conditions de revenu, mais
qui peuvent être différentes, car les besoins ne sont pas les mêmes
pour les divers problèmes. Par exemple, on peut parfaitement
concevoir que l’on fixe des critères de revenu différents pour les
facilités données au logement ou pour les mesures prises en matière de
santé, ou encore en matière d’éducation. À partir du moment où l’on
diversifie les critères, l’on évite, dans une large mesure, les
inconvénients psychologiques d’une politique sociale qui tendrait à
effectuer des clivages trop marqués suivant les revenus.
II.2. LA MISE EN OEUVRE DE LA POLITIQUE SOCIALE
La mise en œuvre de la politique sociale, une fois définie, implique
des mécanismes juridiques, la définition de cadres géographiques et
administratifs, et des méthodes techniques
II.2.1. Les mécanismes juridiques
Les mécanismes juridiques sont extrêmement variés. L’on rencontre,
dans la mise en œuvre des politiques sociales, des types multiples
d’institutions, qui coopèrent aujourd’hui à l’action sociale.
Sortes de considérations contradictoires interviennent. Tout d’abord,
l’évolution même des problèmes sociaux, leur importance croissante,
les moyens administratifs, financiers, techniques qu’appelle leur
solution, exigent l’élargissement des cadres dans lesquels est
organisée cette solution. La mise en œuvre d’une politique sociale
implique une solidarité de plus en plus large. Dans le même sens joue
le souci de supprimer des inégalités injustifiées, qui peuvent être des
inégalités régionales, ou des cloisonnements, nuisant à la mobilité
économique et sociale. Les procédés techniques auxquels on fait appel
de plus en plus à l’époque contemporaine, l’informatique par exemple,
supposent aussi une centralisation, car l’informatique est coûteuse et
son emploi serait souvent peu rentable dans des cadres trop étroits. En
sens inverse joue le caractère essentiellement humain de l’action
sociale, qui est antinomique à la bureaucratisation de cette action,
bureaucratisation qui a naturellement tendance à s’accentuer, au fur et
à mesure que les mécanismes s’éloignent des intéressés.
À la base de toute action sociale il y a organisation d’une solidarité.
Or, pour que cette solidarité ne soit pas oppressive, pour qu’elle
n’apparaisse pas ou qu’elle apparaisse le moins possible comme une
contrainte imposée, l’organisation doit traduire une solidarité
réellement ressentie par les intéressés. Or, c’est un fait qu’au fur et à
mesure que les cadres s’élargissent, la solidarité s’atténue, tout au
moins la solidarité consciente ; la solidarité qui est naturellement
ressentie au niveau de la famille, au niveau du groupe local, au niveau
du groupe professionnel, est beaucoup moins sensible au niveau
régional, au niveau national, encore bien moins au niveau
international.
C’est la conciliation nécessaire de ces préoccupations contradictoires
qui est à la base de toute la mise en œuvre des politiques sociales à
l’époque contemporaine.
Cela conduit naturellement à une combinaison entre des structures
nationales, qui sont inévitables et probablement demain des structures
internationales, et des organismes intermédiaires, proches des
intéressés.
Là où il n’y a qu’à appliquer des règles générales, d’une manière
automatique, par des mécanismes aveugles, il y a intérêt à avoir une
organisation nationale, une organisation à un niveau aussi élevé que
possible. Là, au contraire, où l’on est amené à prendre des décisions
fondées sur des appréciations individuelles, tenant compte de la
situation particulière de chacun, situation à la fois matérielle,
psychologique et sociale, il faut rapprocher les mécanismes des
intéressés eux-mêmes.
II.2.2. La participation des intéressés
Ceci se relie à un autre problème, qui est celui de la participation des
intéressés eux-mêmes à l’effort social entrepris à leur profit.
Sur le plan des mécanismes comme sur le plan des techniques, la
tendance est partout, aujourd’hui, à développer au maximum cette
participation.
Sur le plan des individus eux-mêmes, dans l’intérêt de l’affirmation de
leur dignité, l’on tend à favoriser l’effort individuel ou familial. C’est
ce que les Anglo-Saxons appellent le self help. Il s’agit pour les
mécanismes sociaux, pour les institutions sociales non pas de se
substituer aux individus ou aux familles mais d’aider les individus ou
les familles à faire l’effort nécessaire pour l’amélioration de leur
condition.
Sur le plan collectif, ceci doit s’exprimer dans la participation des
intéressés à l’élaboration de la politique sociale, comme à la gestion
des institutions sociales mettant en œuvre cette politique.
Comment se réalise cette participation ? D’abord, en donnant une
importance réelle, dans la mise en œuvre de la politique sociale, aux
collectivités locales. Ces collectivités en effet sont proches des
intéressés. Elles expriment directement leurs aspirations, leurs organes
directeurs sont en général l’émanation immédiate de la population.
Elles réalisent de manière concrète et immédiate une participation de
la population tout entière, donc des bénéficiaires, à la gestion de
l’effort entrepris à leur profit.
Bien sûr ceci n’est pas toujours facile, à partir du moment où la
politique sociale s’inscrit dans une planification nationale. Mais il faut
combiner une planification nationale des cadres et des orientations, et
une mise en œuvre auprès des individus ou des familles, au niveau
local.
Une autre forme d’organisation de cette participation s’exprime dans
la place qui est faite, dans les différentes institutions participant à
l’effort social, aux intéressés eux-mêmes. Il y en a aujourd’hui de
multiples exemples. C’est le cas dans les entreprises, des comités
d’entreprise, qui dans la plupart des pays interviennent dans la gestion
des institutions sociales créées au profit du personnel, qui en France
ont même le monopole de la gestion de ces institutions. C’est le cas
également des formules d’organisations mutualistes ou coopératives,
qui par définition réalisent une solidarité directe, une entraide
mutuelle, entre les membres des groupements, et dont les organes
dirigeants sont l’émanation des intéressés.
C’est le cas également des institutions d’assurances sociales ou de
prévoyance, des organismes de Sécurité sociale, dans la mesure où les
gestionnaires de ces organismes émanent des intéressés eux-mêmes.
C’est enfin le rôle pris par les syndicats, dans la gestion des
institutions sociales. Le rôle est variable suivant les pays. Dans les
pays socialistes, les syndicats assument la gestion d’un très grand
nombre de services sociaux. En Union soviétique, par exemple, les
syndicats ont la responsabilité de toute l’Inspection du travail et d’une
grande partie de la gestion des institutions de Sécurité sociale. Mais,
même lorsque ce rôle n’est pas aussi développé, il est rare que les
syndicats n’interviennent pas dans la gestion des institutions sociales.
Tout cela conduit à atténuer l’emprise, de la collectivité, le sentiment
de contrainte que traduit l’intervention de la collectivité. Tout cela
tend à faire que la mise en œuvre de la politique sociale apparaisse
comme exprimant une solidarité concrète, consciente, de tous ceux qui
sont intéressés par cette politique sociale.
Le résultat ainsi cherché est encore très loin d’être atteint. Mais il
existe une tendance générale, dans tous les pays, à développer cet
effort.
II.3. LES PROBLÈMES DU TRAVAIL
D’autre part, l’on est naturellement porté à tenir compte de plus en
plus des caractères propres de chaque travail. Pour un nombre
croissant de travaux, et au-dessous d’une certaine limite, les
justifications sociales de la réduction de la durée du travail
s’estompent. Sans que l’on en ait toujours suffisamment conscience, le
problème change de caractère.
II.3.1. Sur le plan de l’âge de la retraite
Sur le plan de l’âge de la retraite, des considérations nouvelles
apparaissent aujourd’hui.
C’est d’abord le vieillissement des populations. En ce qui concerne le
vieillissement individuel du travailleur, les progrès de la médecine
permettent au travailleur de conserver une validité physique et
intellectuelle plus longtemps que par le passé, surtout eu égard au
caractère nouveau des travaux accomplis.
Sur le plan collectif, l’on assiste à une augmentation de la proportion
des personnes âgées, dans la population des pays modernes. Il se
produit une modification profonde et croissante de l’équilibre
démographique.
Ces deux facteurs vieillissement individuel, vieillissement collectif ne
peuvent pas ne pas avoir de répercussions sur l’âge de la retraite.
Un deuxième ordre de considérations intervient, c’est la conception
que l’on se fait que l’on doit se faire de la place des personnes âgées
dans la société. Ici, l’on est en présence d’une option fondamentale,
sans qu’on en ait toujours suffisamment conscience : ou bien l’on
estime que les personnes âgées doivent bénéficier de conditions
convenables d’existence, mais en dehors du monde actif, ou bien on
veut les maintenir dans la société active, en adaptant alors la structure
de cette société à la situation nouvelle créée par le double
vieillissement, individuel et collectif. Le choix entre les deux termes
de cette alternative est commandé par la situation du marché du
travail, bien sûr, mais aussi par des conceptions sociologiques : les
tendances plus ou moins conscientes, ou plus ou moins avouées, des
employeurs à préférer les travailleurs jeunes, des salariés et de leurs
organisations à éliminer du marché du travail les travailleurs âgés
iraient dans le sens de la première solution.
Mais cette solution rencontre des difficultés presque insurmontables et
des objections extrêmement sérieuses. C’est d’abord la nécessité de
faire la meilleure utilisation possible de tous les éléments de la
population et d’éviter la charge écrasante que fait peser sur les
travailleurs actifs une population âgée inactive de plus en plus
nombreuse. C’est ensuite, sur le plan individuel, le souci de maintenir
à chacun une activité suffisante, qui apparaît comme une condition du
bien-être, parfois même de la survie, en tout cas du ralentissement du
vieillissement individuel.
C’est pourquoi l’on est naturellement porté à penser qu’il faut
s’efforcer de maintenir les personnes âgées dans la société, mais en
adaptant les structures de la société à cette situation.
Ceci doit être lié à la politique générale de l’emploi, car si l’on veut
que les personnes âgées conservent une activité, cela ne peut pas être
n’importe quelle activité.
II.4. LES PROBLÈMES D'ORGANISATION MÉDICALE ET
SANITAIRE
Pour certains médecins, pour avoir des institutions collectives. Mais
c’est encore peu de chose. Et l’un des problèmes qui se posent est
celui de l’intégration des médecins dans une organisation technique
plus satisfaisante, articulée notamment sur l’hôpital.
Est-il possible de réaliser cette organisation sans porter atteinte, ou
une atteinte excessive, aux libertés des professions médicales ? C’est
un des problèmes actuels.
L’on recherche des formules d’organisation qui concilient les
préoccupations en présence. C’est une recherche difficile.
II.4.1. Le problème de la recherche médicale
La recherche médicale est actuellement coordonnée par l’Institut
national de la santé et de la recherche médicale, qui bénéficie de
crédits appréciables et qui s’efforce d’aider les chercheurs répartis à
travers la France, soit dans les centres hospitaliers et universitaires,
soit dans les industries pharmaceutiques, soit dans les établissements
désintéressés.
Là, certainement, un progrès appréciable a été accompli, mais cette
recherche reste encore dispersée et sans discipline ni coordination
toujours suffisante.
II.4.2. L’éthique médicale
Un autre groupe de problèmes, encore plus difficiles, touche à
l’éthique médicale.
Au fur et à mesure que les progrès techniques se développent, il
apparaît qu’il n’est pas techniquement possible de faire bénéficier tous
ceux qui en ont besoin de tous les soins dont ils seraient justiciables.
Ce n’est pas techniquement possible, parce qu’il n’en existe pas le
moyen, non seulement le moyen financier mais le moyen technique.
L’exemple le plus typique est celui du rein artificiel, de la dialyse
rénale, pour lequel il n’y a pas un nombre suffisant de reins artificiels
en France pour traiter tous ceux qui en seraient justiciables.
Et il en va encore plus ainsi pour les greffes d’organes, pour lesquelles
seul un petit nombre de malades peuvent être traités.
Le problème d’éthique médicale qui se pose alors est de savoir quels
critères on peut appliquer pour déterminer ceux qui seront et ceux qui
ne seront pas traités.
Qui va faire ce choix ? Est-ce que c’est le médecin ? Est-ce que c’est
quelqu’un d’autre ? C’est un problème qui n’a pas jusqu’à présent de
solution et dont il faut bien dire que l’on ne voit pas très bien la
solution.
II.4.3. Le problème économique et financier
Un problème beaucoup plus concret de l’organisation médicale est le
problème économique et financier.
L’on constate, en France comme partout, une croissance rapide de la
consommation médicale. Croissance plus rapide en France que dans la
plupart des autres villes, pays, en raison même de la liberté dans
laquelle sont organisées et fonctionnent les professions médicales et
paramédicales.
À l’heure actuelle les dépenses de soins médicaux se répartissent à peu
près entre un tiers d’honoraires des professions médicales, in tiers
pour la pharmacie et l’appareillage et un tiers pour l’hospitalisation.
98 % de la population sont couverts par des mécanismes d’assurance.
Mais cela ne signifie pas que 98 % des dépenses sont supportées par
de tels organismes, en raison même de la part des dépenses qui reste à
la charge des assurés.
L’on peut admettre, grosso modo, que 65 % du budget médical de la
nation sont financés par des moyens collectifs et que 35 % restent à la
charge des budgets familiaux.
En présence de la croissance constante de la consommation médicale,
qui par conséquent grève de plus en plus lourdement les budgets des
régimes collectifs finançant les soins, l’on se demande si ces régimes
seront en mesure de continuer à faire l’effort qui leur a été demandé
jusqu’à présent, bien que des formules aient été envisagées pour
essayer de résoudre ce problème. Une de ces formules consiste à
constater que le progrès technique, le progrès économique conduisent
à l’augmentation des revenus familiaux, et à penser, par suite, que ces
revenus familiaux accrus devraient pouvoir supporter une part plus
importante des dépenses médicales. L’on pourrait aussi estimer que, à
tout le moins, les budgets comportant un revenu élevé pourraient
supporter une part plus importante, dans les dépenses médicales, que
d’autres. Ces formules sont concevables, et théoriquement elles
peuvent apparaître rationnelles ; mais elles sont très difficilement
applicables. Elles sont difficilement applicables parce que, d’abord,
les revenus en France sont mal connus, au moins lorsqu’il ne s’agit
pas de revenus salariaux, et que, par conséquent, l’injustice du
système fiscal risquerait de se multiplier par l’injustice des systèmes
de Sécurité sociale.
D’autre part, la population tout entière est extrêmement attachée à la
couverture des soins médicaux ; chaque fois que l’on a essayé de
limiter cette couverture, il y a eu des réactions extrêmement vives.
Enfin dans la mesure où l’on envisage de laisser à la charge des
budgets familiaux le « petit risque », on s’aperçoit qu’il est
pratiquement impossible de définir ce « petit risque » et, surtout, que
l’immense majorité des individus, n’ayant jamais que des « petits
risques », serait appelée à cotiser sans jamais rien recevoir ; or, c’est
quelque chose qui est psychologiquement très difficile à faire
admettre.
On est alors amené à chercher d’autres solutions. C’est l’appel à des
ressources nouvelles. C’est un effort pour freiner l’augmentation de la
consommation médicale, soit en volume, soit surtout en prix. À cet
égard, les pays qui ont une organisation collective plus poussée de la
médecine ont une croissance de la consommation médicale, au moins
en coûts, moins rapide. Ce sont alors les libertés des professions
médicales qui peuvent se trouver mises en cause. Mais ces libertés
sont plus menacées par les exigences techniques de l’organisation de
la médecine que par l’organisation financière.
Alors on a essayé, dans des réformes de 1967, qui visent d’ailleurs
uniquement.
Le régime général de Sécurité sociale, d’apporter une amorce de
solution. On a tendu à freiner la consommation médicale, en agissant
sur les consommateurs, en augmentant la participation des assurés aux
frais médicaux, en limitant la possibilité de s’assurer volontairement,
soit par la voie commerciale soit par la voie des mutuelles, pour faire
couvrir la part des frais restant à la charge des budgets familiaux.
L’on a voulu aussi s’efforcer d’accentuer la responsabilité des
administrateurs des organismes de Sécurité sociale, en décentralisant
la gestion des caisses, en lui donnant un aspect plus mutualiste. Ces
efforts n’ont eu jusqu’ici que des résultats décevants ; on peut même
dire qu’ils n’en ont eu pratiquement aucun.
Il faut en effet faire le partage entre ce qui est volume de la
consommation, volume qui s’accroîtra nécessairement avec les
progrès techniques, et ce qui est prix.
Or, c’est l’action sur les prix qui est de beaucoup la plus importante.
Et cette action sur les prix ne peut être menée que dans un cadre
national et par une politique systématique et d’ensemble. En réalité,
les problèmes économiques de la médecine ne sont qu’un aspect d’un
problème beaucoup plus général, que nous avons rencontré d’ailleurs
pour toutes les professions médicales et paramédicales, c’est le
problème de l’organisation médicale prise dans son ensemble.
Dans la mise en œuvre de cette organisation, les éléments
économiques et les éléments techniques sont étroitement liés,
interdépendants ; car c’est l’évolution technique de la médecine qui
entraîne une augmentation des coûts et du volume de la consommation
et l’on ne peut pas penser que l’augmentation des coûts puisse
raisonnablement freiner les progrès techniques. Ainsi à l’heure
actuelle, dans tous les pays du monde, qu’il s’agisse des États-Unis,
des pays socialistes, des pays d’Europe occidentale ou des pays
économiquement en voie de développement, l’on est confronté à ce
problème essentiel que doit être, dans les conditions de la médecine
moderne, une organisation satisfaisante de la médecine au sens le plus
large du mot, c’est-à-dire des professions médicales et des services
collectifs qui y participent. C’est un des problèmes les plus difficiles
de notre époque. Et il faut bien dire que nulle part l’on n’a donné à ce
problème de solution encore pleinement satisfaisante.
II.5. LES PROBLÈMES SOCIAUX DE LA DISTRIBUTION
DES REVENUS DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Les idées socialistes ou socialisantes et aussi où la population avait
atteint un niveau matériel et culturel relativement élevé, qui lui
permettait de comprendre, d’admettre les possibilités d’action sur les
menaces de la vie économique, qui lui faisait aussi ressentir plus que
par le passé les menaces des circonstances, puisque ces menaces
risquaient de faire perdre un acquis qui n’existait pas dans la période
antérieure.
II.5.1. Influence des transformations du besoin de sécurité
Il s’y est ajouté, à l’époque immédiatement contemporaine, l’influence
des transformations que nous constatons autour de nous sur le besoin
de sécurité.
L’accélération du progrès technique, qui est un des facteurs essentiels
de l’évolution économique, moderne, crée de nouvelles menaces, car
si la société industrielle est changeante, les progrès techniques qui se
réalisent aujourd’hui à travers l’automation, les mutations de toutes
sortes à travers les concentrations d’entreprises, créent une insécurité
nouvelle, un risque accru de chômage. D’autres facteurs d’insécurité
naissent du progrès technique lui-même, ne serait-ce que les éléments
d’insécurité tenant à la pollution de l’air ou de l’eau ou aux radiations
ionisantes.
En même temps donc que de nouvelles causes d’insécurité
apparaissent, l’homme aspire à des satisfactions accrues ; il réclame
sans cesse davantage, il demande davantage de soins médicaux à partir
du moment où les progrès techniques lui permettent d’espérer pouvoir
combattre toutes les maladies et la mort ; il demande à conserver le
niveau de vie atteint jusqu’à la fin de ses jours ; plus on a un niveau de
vie élevé, plus on est attaché au raffinement de ses conditions
d’existence, plus on désire que l’acquis ainsi obtenu soit conservé.
Cette évolution nous fait apparaître que la notion de Sécurité sociale
recouvre en réalité deux notions différentes, entre lesquelles on ne fait
pas toujours une distinction suffisante, suivant que la Sécurité sociale
est considérée comme un but ou comme une organisation.
II.5.2. La sécurité, envisagée comme un but
Si on l’envisage comme un but, la Sécurité sociale apparaît comme la
garantie de la stabilité, de la permanence de conditions matérielles et
peut-être même, à certains égards, de conditions morales d’existence.
Au sens le plus large, elle couvre la sécurité de l’emploi qui doit
trouver normalement sa solution à travers le plein emploi, la
protection non pas seulement de l’emploi du salarié, mais de l’activité
professionnelle, c’est-à-dire la sécurité de l’exploitation agricole, la
sécurité de l’exploitation commerciale ou artisanale pour le non
salarié. Les lois agraires, les lois sur la propriété commerciale, sur le
fermage correspondent dans une certaine mesure à cette idée de
sécurité tout autant que les mesures qui tendent à garantir l’emploi du
salarié en le protégeant contre les menaces de l’économie et contre,
éventuellement, l’arbitraire patronal.
La Sécurité sociale recouvre aussi la sécurité du gain. À cet égard en
font partie la politique des salaires et la politique des prix, ces deux
politiques étant étroitement liées pour déterminer le pouvoir d’achat et
la conservation de ce pouvoir d’achat.
La Sécurité sociale est aussi la sécurité de la capacité de travail se
réalisant à travers la prévention de la maladie et de l’accident, à
travers les soins donnés lorsque la maladie ou l’accident surviennent
et aussi à travers les mesures de reclassement, de réinsertion dans la
vie active une fois la maladie guérie ou l’infirmité consolidée.
Enfin, la Sécurité sociale c’est l’attribution de revenus de
remplacement en cas de perte de revenus du travail pour quelque
cause que ce soit.
Donc, au sens le plus large, la Sécurité sociale peut apparaître comme
extrêmement impérialiste, en ce sens que la notion de Sécurité sociale
est un élément de coordination, d’unité, de politiques multiples :
politique de l’emploi, politique du salaire, politique de la santé,
politique de l’enfance, politique de la vieillesse.
II.5.3. La sécurité, envisagée en tant qu’organisation
Si nous l’envisageons maintenant sous son second aspect
d’organisation, on pense à des législations, à des institutions ou à des
services collectifs qui tendent soit à couvrir les charges
exceptionnelles pesant sur les individus et les familles, notamment les
charges tenant à la présence d’enfants au foyer ou le coût de la
maladie, soit à fournir des revenus de remplacement en cas de perte de
la rémunération du travail.
Au sens organique du mot, la Sécurité sociale a donc une partie plus
étroite que si on l’envisage en tant que but ; elle correspond au souci
de parer aux conséquences de la maladie, de l’accident, de la
maternité, de l’invalidité, du décès, du chômage, de la vieillesse et des
charges familiales.
Mais nous devons être conscients de la confusion faite trop souvent
entre les deux notions de la Sécurité sociale. Les circonstances
politiques, économiques ou sociales d’un pays à l’autre ont pour
conséquence que l’organisation de la Sécurité sociale a un contenu
souvent très différent quant à son champ d’application et aussi quant
aux méthodes utilisées pour la mettre en œuvre.

CHAP III. PROBLEME SOCIAL, LE


CONCEPT ET LES PRINCIPALES ECOLES
THEORIQUES
Ce chapitre aborde la définition du concept de problème social et
présente les principaux courants analytiques ou courants de pensée qui
prévalent actuellement dans l'analyse sociologique des problèmes
sociaux. Nous y présentons tour à tour : l'École de Chicago, le modèle
culturaliste, l'approche fonctionnaliste, l'approche critique du conflit
social, l'interactionnisme symbolique et les théories de la réaction
sociale et de l'étiquetage et, finalement, le constructivisme.
D'usage courant dans la vie quotidienne, la notion de « problème
social » demeure encore imprécise dans les diverses disciplines des
sciences humaines. Et ce, malgré un nombre considérable de
publications sur les problèmes sociaux (articles, livres et surtout
recueils de textes ou « readers »); malgré aussi l'existence, aux États-
Unis, d'une société pour l'étude des problèmes sociaux, American
Association for the Study of Social Problems, et sa revue spécialisée,
Social Problems.
De fait, l'enseignement, la recherche et les publications sur les
multiples problèmes sociaux qui confrontent les sociétés actuelles
relèvent d'une longue tradition surtout américaine. En dépit de cet
effort, l'imprécision demeure, notamment parce que la notion de
problème social a toujours été fort discutée mais les définitions ont
varié dans le temps. Il faut donc d'emblée admettre que l'analyse des
problèmes sociaux n'est pas, elle-même, sans problème.
En effet, parler de problème social, c'est déjà, en soi, comme l'ont
noté plusieurs auteurs, poser un problème sociologique.
Toute société, nous dit R. Rezsohazy, fait face à des problèmes
sociaux; s'ils sont reconnus, « ils deviennent des enjeux et alors des
acteurs et des groupes sociaux se mobilisent pour participer à ces
enjeux ». C'est dans la logique de cette dynamique que les problèmes
sociaux ont, dès ses origines, constitué la principale cible
d'intervention du service social : « Depuis leurs tout débuts vers la fin
du 19e siècle, les services sociaux se sont surtout attaqués aux
problèmes les plus flagrants des individus et des familles : la pauvreté,
la misère sous toutes ses formes, les handicaps physiques et mentaux
sont devenus la cible principale de leurs interventions »
Mais, s'est demandé R. Barbier l'enseignement des sciences humaines
permet-il à l'intervenant social de comprendre quelque chose à la
complexité des problèmes sociaux ?
Non, répond-il, car les sciences humaines cherchent moins à expliquer
la réalité sociale qu'à « circonscrire, marquer et finalement contrôler la
clientèle cible des travailleurs sociaux : la classe ouvrière urbaine dans
ses composantes économiques, socio-affectives et socio-culturelles ».
D'ailleurs, affirme-t-il, « on cherchera en vain un seul ouvrage
didactique en sciences humaines à destination du travail social qui
apporterait une lumière plus appropriée à l'explication scientifique des
faits quotidiens brassés par les praticiens du travail social ». Plus
récemment, Martin et Chopart se sont plaints d'un manque de
réflexion approfondie en travail social sur le concept de problème
social. M. Tachon estime de son côté que le travail social tente de
s'imposer de plus en plus comme secteur spécialisé dans la gestion des
problèmes sociaux, mais qu'il s'agit d'un secteur en crise. C'est donc
dire que le défi est de taille lorsqu'il s'agit de préciser le concept de
problème social, même s'il est relativement facile de le circonscrire à
travers des situations concrètes telles que la pauvreté, le chômage, etc.
Toutefois, dans l'Angleterre du 17e siècle, les taudis, la pauvreté, la
délinquance et la maladie mentale n'étaient pas considérés par
l'ensemble de la population comme des problèmes sociaux (Merton et
Nisbet. Ceci doit donc nous amener à nous interroger plus
sérieusement sur la définition du problème social, en nous intéressant
moins à l'objet réel et concret constitué par un phénomène social
particulier (délinquance, maladie mentale ou autre) qu'au concept lui-
même et à l'évaluation des perspectives théoriques d'analyse.
III.1. LA NOTION DE PROBLEME SOCIAL
Selon R. Lenoir, la notion de problème social renvoie historiquement
à deux conceptions principales : « La première recouvre assez bien le
champ dont traitent « l'aide sociale » (les pauvres, les cas « sociaux »,
les marginaux, etc.), la « sécurité sociale » (la vie hors travail,
notamment la vie de famille et celle des personnes âgées, etc.), bref,
des problèmes auxquels sont confrontés professionnellement les
travailleurs « sociaux » (assistantes « sociales », éducateurs
spécialisés, etc.) et que visent à résoudre les politiques et les lois «
sociales ». La seconde acception provient d'un autre sens que ce terme
avait déjà au 19e siècle : proche de celui de « socialisme », de «
question sociale » ou « d'enquête sociale ».
Nous ne procéderons pas à un relevé exhaustif des différentes
définitions de la notion de problème social; cela a été fait plusieurs
fois avant nous et la plupart des définitions se ressemblent. Nous en
examinerons plutôt quelques-unes parmi les plus usuelles ou les plus «
classiques », afin d'en retirer les éléments principaux. Mills souligne
que l'approche traditionnelle vis-à-vis les problèmes sociaux est
essentiellement a-théorique et a-historique par la préférence accordée
à la perspective descriptive, empiriciste et a-politique par son
incapacité à dépasser le niveau individuel des problèmes pour aborder
celui des structures sociales. Dans son livre intitulé L'imagination
sociologique, il avança donc quelques propositions pour renouveler
l'analyse des problèmes sociaux. On lui doit cette distinction des plus
fructueuses entre les « épreuves personnelles » qui surgissent au sein
du caractère de l'individu et affectent ses rapports immédiats avec
autrui, et les « enjeux collectifs » qui soulèvent des questions
transcendant le voisinage de l'individu et le champ de sa vie intérieure.
Pour C.W. Mills, les analyses concernant ces deux niveaux doivent se
compléter et non s'opposer.
Dans la même décennie, Merton et Nisbet avançaient qu'un problème
social consiste en un écart entre ce qui est et ce que les gens pensent
devoir être (ou encore, entre les conditions actuelles et les valeurs et
normes sociales), écart considéré corrigible. Fait intéressant qui mérite
d'être souligné dès à présent, les administrateurs sociaux et les tenants
de l'épidémiologie des années 1980, tels Pineault et Daveluy ou De
Robertis et Pascal, abordent la notion de problème social dans le
même sens. Pour les premiers, par exemple, la notion de problème
exprime « l'écart ou la différence entre un état optimal, défini de façon
normative, et l'état actuel ou réel » (Pineault et Daveluy. La même
perspective s'affirme chez N. Cohen et al, à qui les problèmes sociaux
apparaissent comme des problèmes de valeurs pouvant être cernés à la
lumière de ce qu'une société juge être bien ou mal. Selon eux, un
problème social doit être analysé en relation avec les systèmes de
valeurs auxquels adhèrent les individus et les groupes sociaux. Et si
nous acceptons la relativité des valeurs, on se trouve donc en présence
de plusieurs définitions d'un problème social selon les individus et les
groupes impliqués.
Ces définitions vont rapidement trouver écho au Québec. Ainsi par
exemple, P. Durocher précise que « les problèmes sociaux doivent être
distingués des autres problèmes par l'étroite relation que ces
problèmes entretiennent avec les contextes institutionnels et normatifs
d'une société; un fait social est dit problème en ce sens qu'il représente
une interruption, une brisure dans l'ordre des choses conçu comme
normal et valable par une société ». Même analyse chez A.
Normandeau qui ajoute : ces problèmes « sont sociaux en ce sens
qu'ils appartiennent au domaine des relations humaines. Ils sont des
problèmes en ce sens qu'ils représentent des coupures au sein du «
train-train quotidien » accepté ou désiré; violations du « bon » ou du «
correct », telles que la société définit ces qualités; dislocations au sein
des modèles et des relations sociales que la société préfère ». On
retrouvera ces mêmes notions de dislocation et de dysfonction du
système social quelques années plus tard chez Kallen et Miller, Lenoir
et Perron ; pour ce dernier, la dysfonction est plus spécifiquement
l'écart entre les normes d'une société et le comportement d'un nombre
plus ou moins grand d'individus. Un certain nombre d'auteurs tels
Horton et Leslie, Manis, Laskin, Lalonde et Beaudoin précisent
quelques dimensions suivant de base à l'identification d'un problème
social : il y a un problème l’ors qu'un grand nombre de personnes sont
affectées par une situation donnée, que cette situation est jugée
intolérable, et que les gens sont conscients de la nécessité d'une action
collective. En ce sens, « aucune situation, peu importe combien
dramatique elle puisse être, combien choquante pour autrui, n'est un
problème social à moins que les valeurs d'un nombre considérable de
gens ne la définissent comme un problème ». Les problèmes sociaux
sont donc, affirme Laskin, des problèmes de valeurs. R. Blum adopte
également cette perspective en soulignant que les problèmes sociaux
présentent les caractères d'une crise sociale, « en ce sens que leurs
conséquences atteignent l'ensemble du groupe ou de la société et
doivent être traitées par des mesures de caractère collectif ». De plus,
les problèmes sociaux ne sont pas des phénomènes « anormaux », bien
au contraire, ils apparaissent « comme les manifestations logiques,
compréhensibles et inévitables des structures sociales, des valeurs et
des comportements en usage ». Conséquemment, ajoute-t-il, il n'est
pas fondé de soutenir « que la responsabilité des problèmes sociaux
incombe à des individus moralement inférieurs ».
Après avoir montré, avec plusieurs exemples à l'appui, la « versatilité
» de la conscience collective à propos de la perception des problèmes
sociaux, M. Pelletier insiste de son côté pour dire que ces derniers
naissent des « contradictions internes » et que conséquemment, les
débats autour des problèmes sociaux sont le résultat d'un jeu complexe
de rapports de force au sein de la société. La reconnaissance sociale du
problème, indispensable à son accession au statut de problème social,
renvoie directement à la question du pouvoir et des rapports de force
entre « ceux qui subissent les problèmes de bien-être et ceux qui
détiennent le pouvoir de mettre en place des politiques sociales c'est-à-
dire ceux qui contrôlent l'appareil étatique ». Bref, tout problème
social est aussi un problème éminemment politique. De plus, les
problèmes sociaux comportent également une dimension économique,
reliée plus ou moins directement à l'insuffisance du revenu.
Les problèmes sociaux ne sont donc pas de nature exclusivement
humanitaire mais comportent des dimensions politiques et
économiques qui sont le plus souvent masquées.
Pour R. Rezsohazy, les problèmes sociaux sont presque toujours
associés au changement social : « Le problème social pointe ou surgit
au cours du changement; trois notions permettent de le comprendre
: La rupture, le défi, l'inadéquation au départ, il y a toujours une
rupture entre un état qui s'est formé et une attente. Cette situation
lance un défi. Celui-ci apparaît comme une menace ou un danger pour
l'altérité ou la sécurité ou le bien-être ou les intérêts ou encore les
valeurs des acteurs impliqués ». Quant à la genèse des problèmes
sociaux, Rezsohazy n’estime que « ceux-ci résultent du changement et
le suscitent à la fois ». Si l'on suit son raisonnement, il y a des
problèmes sociaux qui sont permanents en quelque sorte alors que
d'autres sont relatifs et occasionnels. Ils sont également différents
suivant les époques, les lieux, les groupes : « en 1848, on en
connaissait d'autres qu'en 1968, la France en affronte d'autres que
l'Allemagne, les employés en rencontrent d'autres que les patrons, les
gens mariés d'autres que les célibataires et les jeunes d'autres que les
vieux ». De même, souligne Lenoir, « Ce qui est constitué comme «
problèmes sociaux » peut disparaître comme tel alors que les
phénomènes qu'ils désignent, subsistent. Il en est ainsi, par exemple,
de la pauvreté, qui fut, aux États-Unis, un grave problème « social »
pendant les années 1930 et disparut dans la décennie 1940-1950, ou
encore du racisme qui ne deviendra un problème social que dans les
années 1960 ». Quant à la causalité des problèmes sociaux, elle relève
« de multiples facteurs et événements, se situant dans les secteurs les
plus différents, qui font fonctionner la société et lui tracent sa
trajectoire ».
En 1983, R. Landreville complétait en quelque sorte ces propos en
relevant qu'au cours des années, on a constaté que plusieurs
événements ou situations perçus comme problèmes pouvaient devenir
des situations ou des événements désirables, telle la régulation des
naissances; et inversement, certaines situations désirables à l'origine
sont maintenant perçues comme des problèmes, tel le travail des
enfants. D'autres phénomènes sont devenus « neutres » avec le temps
(par exemple la « décence » vestimentaire, le divorce, etc.), ou
relativement tolérés (comme l'homosexualité et l'avortement). Enfin, il
y a les situations où il y a plus ou moins « création » de nouveaux
problèmes sociaux. Ainsi, certains auteurs comme Blumer estiment
que si l'on veut vraiment comprendre, expliquer les problèmes
sociaux, un changement conceptuel est nécessaire. Pour ce dernier, en
effet, les approches traditionnelles sont le reflet d'une « grossière
incompréhension de la nature des problèmes sociaux » qu'il définit
comme « les produits d'un processus collectif de définition » (voir
plus loin).
Ceci dit, pour qu'il y ait action par rapport à un problème social, il faut
que celui-ci devienne un enjeu. Selon Rezsohazy, un problème devient
un enjeu « dès qu'il est reconnu, qu'un acteur le prend en charge,
qu'une action se déclenche et que celle-ci mobilise tous les acteurs
intéressés » à solutionner le problème. S'en suivent habituellement des
luttes de pouvoir entre les divers groupes pour la disposition des «
ressources » forcément limitées. Le rôle décisif des acteurs en
présence est corroboré par A. Beaudoin qui écrivait plus récemment :
« On parlera de problème social s'il y a prévision collective que la
dégradation d'une situation va se poursuivre selon le processus
enclenché et produire des conséquences inacceptables ou de moins en
moins acceptables. Dans cette perspective, les principes-guides de
l'action qui sont définis dans toute société pour s'adresser à de telles
situations deviennent le point de départ de la politique sociale adoptée.
L'action collective formelle qui en résulte prendra différentes formes
selon le type de société, les moyens et ressources disponibles ou
possibles à développer aux fins de l'action, la conception même de
l'action à entreprendre et les groupes en présence » .
Tout en reprenant un peu la perspective de Rezsohazy, De Robertis et
Pascal estiment toutefois qu'un problème collectif est souvent
insuffisant pour être le point de départ d'une action; il faut aussi « que
ce problème soit perçu comme important et vital par les intéressés
eux-mêmes. Il est utile de se rappeler que les problèmes sociaux sont
plus ou moins susceptibles de dynamiser les personnes et les groupes
selon qu'il s'agit de problèmes ressentis par les intéressés eux-mêmes,
des problèmes reconnus par les institutions et/ou autorités, de
problèmes découverts par les travailleurs sociaux à partir de leur
contact quotidien avec la population. Cette classification a le mérite de
nous rappeler qu'une même réalité peut être perçue et analysée de
façon différente selon où l'on est situé, et que ces trois types de
problèmes doivent être distingués ».
Parmi les différents discours qui marquent la définition d'un problème
social, les discours professionnels sont parmi les plus importants. W.
Ryan décrit comme suit la logique de l'intervention sociale : «
Premièrement, identifier un problème social.
Deuxièmement, étudier ceux qui sont les victimes du problème social
et découvrir en quoi ils sont différents des autres en raison des
conditions misérables d'existence.
Troisièmement, définir cette différence comme la cause du problème
lui-même. Enfin, charger un bureaucrate de l'administration d'inventer
un programme d'action humanitaire pour corriger les différences ».
Les professionnels définissent donc le problème essentiellement
comme une déficience, ce qui entraîne presque automatiquement
l'individualisation et la division de la personne ainsi que la
psychologisation du problème. Dite en termes personnels, l'idéologie
professionnelle nous affirme trois choses : vous êtes déficient, c'est
vous le problème, vous avez plusieurs problèmes. Replacés dans la
perspective des intérêts professionnels, corporatistes et syndicaux, ces
postulats deviennent : nous avons besoin de problèmes, nous avons
besoin de vous dire lesquels et, finalement, nous sommes la solution à
votre (vos) problème(s). Bref, l'idéologie professionnelle se
caractérise par une vision du monde « où nos vies et nos sociétés sont
traitées comme une série de problèmes techniques. C'est une idéologie
qui métamorphose le citoyen en client, les communautés en une
juxtaposition d'individus déficients ». C'est en ce sens que Spector et
Kitsuse (voir plus loin) perçoivent « le processus de définition des
problèmes sociaux comme étant d'abord relié à des intérêts
professionnels engagés dans l'appropriation d'un champ d'intervention
». Et pour M. Tachon, la définition d'un « problème social » nécessite
habituellement trois conditions : « premièrement, la mise en évidence
d'un contexte singulier comme manifestation d'une contradiction
générale qui travaille l'ensemble de la société; deuxièmement, un
groupe social intégré dans les réseaux de pouvoir, reconnu comme
compétent sur le sujet et ayant accès aux instances de décisions locales
ou nationales; troisièmement, la légitimité de ce groupe social à
inscrire cette question dans le champ des « problèmes» justifiant une
intervention ».
Pour Tachon et Lenoir, la perspective professionnelle implique aussi
une véritable stratégie de gestion des divers problèmes sociaux, par
secteurs et spécialités (jeunes, vieux, immigrants, etc.), au sein de
laquelle les jeux stratégiques de différents acteurs viennent
transformer la perception initiale des problèmes : « Une hiérarchie
s'institue : les acteurs dominants investissent dans des problèmes
sociaux « solides »; les acteurs mineurs gèrent les problèmes de
moindre importance. Il y a ainsi une large correspondance entre la
place des acteurs dans le champ et la plus ou moins forte légitimité des
problèmes sociaux qu'ils gèrent ». Dans cette perspective, les
institutions et les intervenants analysent et décodent le social et
identifient les problèmes et les besoins sociaux selon leur logique
propre ainsi que selon leurs intérêts respectifs.
Plusieurs auteurs ont insisté sur le fait que chaque problème social a
son histoire et se développe selon une série de phases, chaque phase
reflétant un changement dans le groupe qui définit le problème, le type
de définition qui en est donné et les actions amorcées dans le but de
résoudre le problème en question. Les problèmes sociaux sont ainsi
perçus non comme des situations statiques mais comme des séquences
d'événements.
Ainsi pour Lenoir comme pour Bell l'apparition et le développement
d'un problème social s'effectuent en trois étapes principales. Il y a
d'abord « des transformations qui affectent la vie quotidienne des
individus à la suite de bouleversements sociaux divers et dont les
effets diffèrent selon les groupes sociaux ». Mais « ces conditions
objectives ne donnent naissance à un problème social que lorsqu'il lui
est trouvé une formulation publique ». D'où la nécessité d'analyser
toute une série de facteurs reliés à cette deuxième étape : travail
d'évocation, d'imposition et de légitimation.
Finalement, vient la troisième étape, « le processus
d'institutionnalisation, qui tend à figer et à fixer les catégories selon
lesquelles a été posé et résolu le problème au point de les rendre
évidentes pour tous ». En somme, il faut qu'à des « transformations
objectives sans lesquelles le problème ne se poserait pas, s'ajoute un
travail spécifique d'énonciation et de formulation publiques, bref, une
entreprise de mobilisation ». Et l'analyse de cette mobilisation
constitue une dimension importante de l'analyse sociologique des
problèmes sociaux.
Il semble donc y avoir un relatif consensus quant aux principaux
éléments d'un problème social. En effet, la plupart des définitions,
mêmes récentes, se recoupent l'une l'autre et la majorité d'entre elles
soulignent l'existence de trois conditions essentielles à l'existence d'un
problème social, soit la constatation d'une situation-problème,
l'élaboration d'un jugement sur celle-ci et le sentiment de pouvoir
modifier la situation. La constatation d'une situation-problème est
peut-être l'aspect le plus facile à cerner, puisqu'il y a de nombreuses
situations (délinquance, pauvreté, alcoolisme, etc.) qui sont jugées «
anormales », dont on peut constater les effets et les conséquences.
C'est l'étape de la prise de conscience. Toutefois, une situation dans
une société n'est jugée comme problème social qu'en vertu des valeurs
admises par cette société, ce qui la distingue des autres types de
problèmes. Finalement, pour qu'une situation soit considérée comme
un problème social, elle doit être perçue comme étant corrigible; sinon
il s'agira d'une situation à laquelle on doit s'adapter.
C'est l'étape de la réforme ou de la prise en charge du problème par
une institution ou une organisation et de la redéfinition de celui-ci en
fonction des compétences professionnelles de l'organisation.
Les problèmes sociaux constituent donc autre chose que des situations
marginales et isolées de la société où ils existent; bien au contraire, ils
sont intimement reliés aux structures de la société qui les définit
comme étant des situations-problèmes (Durocher, 1965); ils en sont,
en quelque sorte, la contrepartie inséparable. De plus, un problème
social est souvent le point de rencontre de perceptions fort différentes
et parfois même conflictuelles, émanant de groupes ayant chacun leur
analyse des causes du problème et des moyens à prendre pour le
corriger. Ils essaieront bien entendu de faire valoir leurs idées de façon
à ce que les solutions qui seront adoptées correspondent à leurs
intérêts. Il nous faut donc approfondir ces différences de perspective
analytique.
III.2. PRESENTATION DE QUELQUES ECOLES
THEORIQUES D'ORIENTATION SOCIOLOGIQUE DANS
L'ANALYSE DES PROBLEMES SOCIAUX.
C'est aux Américains que, traditionnellement, nous devons la majorité
des travaux scientifiques sur lesquels reposent les diverses
perspectives qui président à l'analyse des problèmes sociaux. On ne
s'étonnera donc pas du recours abondant que nous faisons, dans cette
partie du présent article, à la documentation américaine pour
l'identification et le développement des principales approches. Ce qui
ne nous empêchera pas de signaler, lorsqu'il nous paraîtra opportun de
le faire, des contributions françaises et québécoises sur les thèmes à
l'étude et ce, particulièrement en raison de leur apport à l'intervention
sociale.
Dès le début des années 1960, R. Merton figure dominante de la
théorie américaine des problèmes sociaux, en regroupe l'étude sous
deux catégories principales : la désorganisation sociale et le
comportement déviant. Fonctionnaliste de souche, Merton n'en prône
pas moins l'utilisation complémentaire des différentes écoles
théoriques existantes pour une analyse plus exhaustive des situations
problématiques. C'est ainsi qu'en plus d'approcher l'étude du
comportement déviant par la théorie essentiellement fonctionnaliste de
l'anomie, il y a ajouté celles de l'association différentielle et de
l'étiquetage issues du courant interactionniste, de même que la théorie
du conflit social souvent considérée comme un courant de pensée
distinct en soi. Nous retrouverons chez plusieurs auteurs cette
tendance difficilement réalisable mais fortement recherchée et
souhaitée, par les scientifiques américains surtout, d'en arriver à une
théorie d'ensemble pour l'analyse des problèmes sociaux.
Horton et Leslie identifient quant à eux trois perspectives principales :
celle de la désorganisation sociale, celle de la déviation culturelle, et
celle du conflit de valeurs. De son côté, R. Blum retient cinq notions
pour analyser les problèmes sociaux en service social : le changement
culturel (incluant le retard culturel), la désorganisation sociale, le
conflit culturel, la déviance ou pathologie sociale, notions auxquelles
il ajoute celles des statuts et rôles issus des théories du groupe. Pour sa
part, A. Etzioni propose un regroupement en quatre catégories, à
savoir : les approches
structuro-fonctionnalistes et de consensus, les approches axées sur le
conflit social et l'aliénation, l'interactionnisme symbolique et
l'ethnométhodologie, et enfin l'approche néo-conservatrice. G. Ritzer
distingue trois angles de prise pour l'étude des problèmes sociaux : le
comportement déviant, les problèmes d'inégalités et de conflits
sociaux, les problèmes reliés aux progrès humains. Selon qu'il analyse
ces situations sous l'angle macro logique des structures, il a recours
aux théories du changement social, des tensions sociales et des sous-
cultures, tirées du courant structuro-fonctionnaliste. Lorsqu'il
considère les situations dans leurs dimensions plus restreintes de
déviance individuelle, il se réfère à l'interactionnisme symbolique dont
il retient les théories de l'association différentielle et de l'étiquetage,
ou encore au courant du behaviorisme en psychologie sociale par le
biais de la théorie de l'échange et celle de l'apprentissage social.
Se situant dans une perspective historique, Julian et Kornblum
utilisent, en les reliant à trois courants de la pensée sociologique, une
division en six perspectives spécifiques à l'étude des problèmes
sociaux : la pathologie sociale et la désorganisation sociale qu'ils
relient au fonctionnalisme; la perspective du conflit de valeurs reliée
au courant dit du conflit social; la perspective du comportement
déviant reliée au fonctionnalisme; l'étiquetage issu de
l'interactionnisme symbolique; la perspective institutionnelle qui
s'inspire et du fonctionnalisme et du conflit social. Utilisant également
une perspective historique, Rubington et Weinberg présentent six
approches spécifiques reliées elles aussi aux différents courants
sociologiques mentionnés ci-avant : la pathologie sociale, la
désorganisation sociale, le conflit de valeurs, le comportement
déviant, l'étiquetage ou perspective interactionniste et la perspective
critique.
Du côté français, et adoptant aussi une perspective historique, C.
Bachmann et J. Simonin reprennent les travaux de N. Herpin sur les
principales problématiques théoriques qui orientent l'action sociale, en
Amérique du Nord et en Europe, depuis le début du siècle. Ils
démontrent que, depuis son début de professionnalisation, l'action
sociale s'est référée à plusieurs modèles théoriques dont les principaux
sont: l'École de Chicago, le modèle culturaliste, les approches
fonctionnalistes, la problématique interactionniste.
Pour les besoins du présent élément constitutif, et à cause de son lien à
l'intervention sociale, nous nous inspirons principalement du cadre de
présentation de ces auteurs, cadre auquel nous ajoutons, en guise de
complément, la perspective critique et le constructivisme.
III.2.1. L'École de Chicago et le modèle écologique
Herpin de même que Rubington et Weinberg situent durant les années
1920 et le début des années 1930 les bases de développement du
modèle de l'École de Chicago, emprunté à l'écologie animale Selon
Bachmann et Simonin les praticiens et universitaires de cette école de
pensée concevaient effectivement l'univers urbain en référence à une
métaphore écologique. La ville est divisée en zones naturelles
(quartier), les territoires sont délimités, des modes de communications
et d'échanges entre communautés s'établissent, des règles de
coexistence s'instaurent; bref la ville s'organise selon le principe d'une
adaptation mutuelle. Cela correspond à « l'équilibre naturel des
espèces » pour le règne animal. Toutefois, certains facteurs, surtout
dans les grandes villes, viennent rompre cet équilibre.
Surgissent alors des phénomènes de désorganisation : par exemple, la
grande mobilité de la population, de forts taux de chômage, des
problèmes d'habitat, de criminalité, de délinquance, etc. C'est là
qu'entrent en jeu les intervenants sociaux. Comme la ville est source
de ruptures et d'exclusions, ils proposent une auto-organisation, sur la
base de la communauté. Rubington et Weinberg soulignent l'insistance
que portaient les théoriciens de cette approche à la description plutôt
qu'à la théorie. Comme en témoignent leurs études de ce temps sur les
hobos, les ghettos, les désordres mentaux et autres types de problèmes,
professeurs et étudiants utilisaient la ville de Chicago comme
laboratoire naturel pour leurs études. On retrouve des échos de cette
perspective, par exemple, dans les propos de S. Alinsky qui a
beaucoup œuvré à Chicago même.
Par ailleurs, F. Mourant souligne que plusieurs auteurs ont appliqué
cette perspective à l'étude de la délinquance et ont développé le
concept de «zone de délinquance», selon lequel certains milieux
produisent une désorganisation sociale qui conduit à la délinquance
juvénile.
III.2.2. Le culturalisme
Herpin situe dans la période précédant la seconde guerre mondiale le
développement de la pensée culturaliste aux États- Unis. L'unité
théorique des travaux des tenants de cette orientation serait fondée sur
« le rapport privilégié qu'ils entretiennent avec la psychanalyse
freudienne ». Selon le même auteur, le problème central que posent les
culturalistes est celui de la personnalité et le concept clé est celui de la
socialisation, c'est-à dire l'intériorisation par les membres d'une société
des modèles culturels spécifiques à cette société. Dans cette
perspective, ce qui intéresse le chercheur, ce sont les différences
culturelles entre les sociétés, les différences dans la « personnalité de
base » des individus lorsqu'ils appartiennent à divers milieux culturels,
ainsi que les mécanismes de socialisation par lesquels un produit
naturel brut, quasi identique à l'origine, devient différencié par suite de
son appartenance à une culture différente. Cette perspective a été
largement utilisée pour expliquer divers problèmes sociaux. Par
exemple, plusieurs auteurs ont soutenu que la sous-culture délinquante
est une sorte de compromis entre la sous-culture prolétaire de leur
milieu d'origine et la sous-culture de la classe, qui est toutefois
dominante dans le système scolaire. Ce genre d'explication est vite
devenu très populaire : de la pauvreté à l'homosexualité, presque tout a
été expliqué en termes de sous-culture.
Associés à cette perspective, il y a ceux qui mettent l'accent sur les
conflits de valeurs. Issue de la synthèse des théories américaines et
européennes du conflit social, cette approche stipule que les sociétés
modernes sont caractérisées par une diversité et une hétérogénéité de
valeurs, ce qui aboutit à des divergences qui sont sources de
problèmes sociaux. Même si les premiers travaux inspirés de cette
approche furent produits dès les années 1920, c'est au début des
années 1940, avec les travaux de Fuller et Myers que s'implante
véritablement la formulation de la perspective du conflit de valeurs.
Cette formulation, reflétant l'époque (dépression économique suivie de
la seconde guerre mondiale), met en évidence non seulement la
dimension des valeurs mais aussi celle des intérêts dans les conflits
sociaux. C'est dans cette optique que Rubington et Weinberg abordent
les conflits de valeurs du point de vue de luttes émergeant entre
groupes sociaux, notamment les luttes sociales et les actions
collectives entreprises par les étudiants ou les comités de citoyens
depuis les années 1960 et qui ont permis à des individus de se
regrouper autour d'attitudes, de valeurs, de droits et d'intérêts partagés.
Blum estime lui aussi que les conflits de valeurs sont à l'origine des
problèmes sociaux parce qu'ils produisent des définitions
conflictuelles des conditions sociales considérées comme indésirables
et parce qu'ils sont une source de confusion (anomie) qui encourage la
déviance personnelle.
Le conflit culturel représente une autre dimension reliée à ce courant
de pensée. Une bonne illustration de la théorie générale du conflit
culturel est la théorie dite du « retard culturel », élaborée pour
expliquer les problèmes sociaux dans les pays en voie de
développement en fonction du facteur « innovation technologique ».
Blum reprend cette théorie à titre d'hypothèse d'explication des
problèmes sociaux. Il utilise la notion de changement socioculturel
comme source principale des problèmes sociaux. Dans cette
perspective, le changement mine les valeurs et provoque de profondes
angoisses chez l’individu. Un autre exemple d'utilisation des conflits
de valeurs est le modèle proposé par Cohen pour analyser les
problèmes sociaux dans la perspective du service social. Ce modèle
est orienté vers l'analyse des valeurs mises en cause et met en lumière
le décalage entre les situations de fait et les normes spécialement
reconnues.
III.2.3. Le fonctionnalisme
Le fonctionnalisme a été, pendant longtemps, le modèle dominant
dans la sociologie américaine. Simplifiée à l'extrême, on peut dire que
cette approche conçoit la société comme un être vivant, un organisme
dont le tout et les parties sont solidaires. Chaque organe doit remplir
sa fonction par rapport au tout organique. Dans la mesure où le
fonctionnalisme met l'accent sur l'harmonie et la collaboration, il était
presque normal qu'une telle perspective théorique devienne très
populaire dans les milieux du service social.
Cette perspective conduit à analyser les dysfonctions au niveau des
individus ou des groupes. Si le dysfonctionnement est produit par une
rupture des solidarités, l'intervention sociale favorisera alors un nouvel
apprentissage des rôles afin que l'harmonie ou la collaboration soit
rétablie. De son côté, Herpin a bien souligné que ce qui caractérise
l'analyse fonctionnelle, c'est l'importance attribuée à l'ordre normatif
qui constitue l'élément essentiel d'un système social. Au sein d'un
système social ainsi défini, le problème de l'acceptation de normes et
valeurs institutionnalisées, par des acteurs qui disposent d'une grande
part de libre arbitre, et celui de l'imposition de sanctions à ceux qui s'y
soustraient, sont primordiaux. Il faut donc distinguer entre les acteurs
qui acceptent les mêmes lois et règles sociales et ceux qui les refusent
et les ignorent.
Pour illustrer cette perspective, on peut recourir à un exemple
classique : celui de Merton et Nisbet, intitulé « Contemporary
Social Problems », qui fut maintes fois remanié et réédité par la suite.
Ces auteurs distinguent trois grands processus qui ont contribué à la
naissance des problèmes sociaux dans les sociétés industrielles : les
conflits institutionnels, la mobilité sociale et l'anomie.
Pour ces auteurs, il n'existe pas de dénominateur commun strict pour
comparer l'ampleur des problèmes sociaux ni pour indiquer lesquels
sont les plus importants. L'ampleur dépend du degré de divergence des
conditions sociales par rapport aux standards sociaux qui prévalent
dans la société. Quant à l'importance relative des problèmes sociaux,
c'est l'importance accordée aux valeurs par la société qui la détermine.
Par conséquent, on peut s'attendre à ce que les solutions proposées
pour faire face à une situation-problème soient divergentes et à ce que
le changement représenté par les solutions proposées s'accorde avec
les intérêts et les valeurs de certains groupes, au détriment des intérêts
et valeurs de certains autres groupes.
L'orientation fonctionnaliste introduit aussi la distinction entre les
problèmes sociaux manifestes et les problèmes sociaux latents.
Les premiers sont ceux qui sont généralement reconnus comme des
problèmes. Les seconds sont des conditions qui ne sont pas largement
identifiées comme problèmes, bien qu'en fait elles soient en désaccord
avec les intérêts et les valeurs des gens. Ainsi les problèmes sociaux
présentent à la fois un aspect subjectif et objectif.
Merton et Nisbet précisent par ailleurs que la perception populaire des
problèmes sociaux, même manifestes, est souvent erronée ou inexacte.
Il y a deux raisons principales à cela : d'abord nous avons
généralement une perception médiatisée des problèmes sociaux et en
outre, quelques-unes des formes les plus pénétrantes de
désorganisation sociale, comme la pauvreté, ont peu de visibilité
publique. Les perceptions populaires des problèmes sociaux ne sont
donc pas nécessairement le meilleur guide pour l'évaluation objective
de leur dimension et de leur importance. D'autant plus que la
perception des problèmes sociaux varie aussi selon la structure des
relations sociales. Par exemple, plus la distance sociale entre les
victimes d'une catastrophe et les observateurs est grande, moins ces
observateurs sympathisent avec les victimes.
Enfin, pour les fonctionnalistes, les problèmes sociaux sont soit des
problèmes de désorganisation sociale, soit des problèmes de déviance
sociale. La désorganisation sociale est une quelconque condition qui
empêche la structure sociale de fonctionner aussi bien qu'elle le
devrait pour rencontrer les valeurs et les buts collectifs.
Quant au comportement déviant, il implique des écarts significatifs de
la norme socialement assignée aux différents statuts et rôles. La
structure sociale et culturelle qui permet un comportement conforme
et organisé peut aussi créer certaines tendances vers des
comportements déviants et de désorganisation sociale. Dans ce sens,
les différents problèmes sociaux représentent, pour ainsi dire, les coûts
sociaux pour le maintien d'une organisation particulière de la vie
sociale. Dans une certaine mesure, il résulte que les problèmes sociaux
sont souvent les conséquences non anticipées de l'institutionnalisation
de certains comportements sociaux. Donc, les deux facettes,
désorganisation et organisation, sont théoriquement inséparables.
Blum identifie un certain nombre de symptômes généraux de la
désorganisation sociale : le formalisme, le déclin du sacré,
l'individualisme, etc. Mais pour Merton, l'éclatement du système
social est plutôt attribuable à un problème de communication entre les
membres, l'incompatibilité entre les valeurs et les intérêts de divers
groupes, une déficience dans le processus de socialisation et de
mauvais aménagements dans les demandes de membres ayant
plusieurs statuts occupationnels. Conséquemment, pour remédier au
problème social, il est nécessaire de reconstruire un nouvel état
d'organisation ou d'équilibre social dans la société.
En ce qui concerne la déviance, Horton et Hermanson estiment qu'elle
peut prendre différentes formes et résulter de différents facteurs. Il y a
d'abord une inhabileté à suivre les normes généralement acceptées,
comme dans la maladie mentale, la dépendance à l'alcool et aux autres
drogues, ou une impulsion psychologique interne à commettre l'acte
déviant. Dans ces cas, les causes de la déviance sont de nature
biologique, psychologique ou physiologique et le comportement qui
en découle échappe au contrôle de la personne. Dans d'autres cas, il y
a le refus d'accepter les normes généralement reconnues. Dans ces cas,
la personne a été socialisée à des normes déviantes.
Chez Merton, l'explication de la déviance prend son point de départ
dans le concept d'anomie de Durkheim. En distinguant entre culture et
société, il note l'existence, d'une part, d'un système organisé de valeurs
qui gouvernent la conduite des individus appartenant au même groupe
et, d'autre part, celle de normes et de moyens institutionnalisés,
acceptables pour la société, qui règlent l'accès à des buts définis
d'après la culture. Or, une tension s'établit entre les buts (culture) et les
moyens admis (société). Cette désarticulation de la culture et de la
société, où l'une empêche ce que l'autre propose, conduit à une
dissolution des normes et à l'établissement de l'anomie : un état social
caractérisé par une absence de normes. Par exemple, les couches
défavorisées sont induites à partager le « rêve américain » mais ne
possèdent pas les moyens légitimes de l'atteindre. Dans ce contexte, la
délinquance est une forme d'adaptation « normale ». Horton estime
que la plupart des théories sociologiques qui abordent l'analyse des
problèmes sociaux se rattachent à l'un ou l'autre des grands
paradigmes, soit le modèle de l'ordre, soit le modèle du conflit. Les
théoriciens de l'ordre privilégient le concept d'anomie alors que ceux
du conflit mettent l'accent sur celui d'aliénation. L'une et l'autre théorie
sont cependant tout autant normatives dans la mesure où elles
interprètent les faits à l'intérieur d'une analyse idéologique concernant
la nature de l'homme et de la société. Le fonctionnalisme relèverait du
modèle de l'ordre dans la mesure où, pour les fonctionnalistes, le
problème social est avant tout un problème de socialisation; il s'agit
donc, pour le régler, de renforcer l'autorité des impératifs et des
interdits collectifs.
III.2.4. L'approche critique dite « du conflit social »
Comme le fonctionnalisme, la théorie du conflit social, en sciences
sociales, est une approche macro logique qui concentre son attention
sur les structures sociales et où la société est vue comme un tout.
Cependant, au lieu d'étudier les répercussions des différentes
structures sociales sur le système entier, les théoriciens du conflit
social s'intéressent plus spécifiquement aux façons dont une société
est organisée pour servir les intérêts d'une minorité de possédants et
puissants aux dépens du reste de la société).
C'est à cette division de la société en deux groupes principaux,
polarisés par des intérêts contradictoires, que renvoie le concept «
classe sociale ». Une dynamique conflictuelle, la lutte des classes,
préside aux rapports qu'entretiennent ces deux classes.
L'approche de conflit social, qui anime la perspective « critique » la
plus largement utilisée dans l'analyse des problèmes sociaux, prend sa
source dans la pensée marxiste qui a inspiré divers courants ayant
marqué nombre d'analyses et actions sociales au vingtième siècle.
Rubington et Weinberg situent surtout durant les années soixante-dix
la période principale de l'application de cette perspective à l'étude des
problèmes sociaux en Amérique du Nord. Sont souvent cités comme
conditions d'émergence de cette approche, des facteurs tels que
l'agitation sociale des années soixante aux États-Unis, l'influence des
penseurs de l'École de Francfort et de leur critique acérée de la culture
du capitalisme avancé, et le développement d'une théorie radicale en
criminologie. Comme le signale F. Mourant, « c'est avec la parution
des ouvrages collectifs The New Criminology en 1973 et Critical
Criminology en 1975, que se manifestent pour la première fois de
façon systématique et explicite une critique sociale ayant la
criminologie pour base et un questionnement en profondeur des
idéologies et des courants philosophiques qui la nourrissent » .
Le modèle du conflit s'oppose à l'ordre de la société parce que ce
dernier apparaît comme une stratégie de la classe dominante, une
réification des valeurs et des motivations, et une rationalisation du
mécanisme de contrôle social. Les tenants des théories du conflit
perçoivent la société, non comme un système naturel, mais comme un
lieu de conflits politiques continuels entre des groupes ayant des
objectifs sociaux différents et une vision du monde opposée. Quant
aux problèmes sociaux, ils proviennent essentiellement des actions
d'exploitation des classes dominantes. Ainsi, ils ne reflètent pas les
échecs de l'individu à remplir ses rôles sociaux comme le suppose la
tradition de l'ordre, mais au contraire, les incapacités de la société à
rencontrer les besoins nouveaux des individus et des collectivités et
les conflits de pouvoir à l'intérieur de la structure sociale.
Conséquemment, les partisans de cette approche ne portent qu'une
faible attention aux caractéristiques innées des individus. Selon eux, la
nature humaine est déterminée par les conditions historiques,
économiques et sociales dans lesquelles elle se retrouve.
Certains auteurs insistent sur les fonctions positives du conflit :
quelquefois il aide à établir l'unité et la cohésion dans les groupes;
c'est un moyen de résoudre la tension entre les antagonistes et un
moyen pour amener le changement dans la société. Les tenants de
l'approche du conflit social mettent également l'accent sur le fait que
les personnes auront à être « transformées » pour être libérées des
dépendances psychologiques et idéologiques à travers lesquelles les
anciens régimes ont exercé leur emprise sur les individus. Selon ces
théoriciens, les problèmes sociaux existent parce que ceux qui sont au
pouvoir ne désirent pas vraiment les résoudre et que des portions
significatives de la classe actuelle au pouvoir bénéficient assez
directement de l'existence de problèmes sociaux.
Seul un « processus révolutionnaire » (et non des « réformes ») qui
corrigera les conditions d'aliénation, permettra d'assurer la victoire
contre les problèmes sociaux.
Pour les théoriciens du conflit, nous dit G. Ritzer, le problème social
ultime serait le système capitaliste lui-même puisque la plupart des
problèmes sociaux les plus spécifiques tirent leur origine du problème
majeur de l'inégalité inhérente au système même. Par exemple, les
hauts taux de crime seraient attribuables pour une grande part à l'écart
immense et infranchissable qui sépare le riche du pauvre, comme
l'abus de drogue serait relié aux intérêts des « barons de la drogue » et
des politiciens qui tirent avantage de ce commerce. Pour ces
théoriciens, les problèmes sociaux portent des enjeux politiques
déguisés et ils sont, jusqu'à un certain point, « les enfants naturels » de
la structure économique capitaliste et des relations de pouvoir qu'elle
génère.
Pour les tenants de l'approche du conflit social, l'appauvrissement des
masses de travailleurs salariés représente le facteur majeur des
problèmes sociaux de toute société régie par les règles du capitalisme
dont le fonctionnement dépendrait en bonne partie de l'exploitation de
la force de travail des masses laborieuses. L'aliénation des classes
dominées représente aussi une composante majeure des problèmes
sociaux. Le rapport compétitif qui résulte du jeu de la concurrence
économique crée un monde dominé par la possession matérielle et
génère une machine productive qui opprime ceux qu'elle prétend
servir. Etzioni expose ici l'idée de Marx selon laquelle, sous le règne
du capitalisme, des choses considérées jusque-là comme étant
inaliénables deviennent des objets d'échange et de marchandage, tout
objet physique aussi bien que moral étant mis en marché comme biens
à être taxés à leur « juste » valeur marchande (K. Marx, cité par
Etzioni. Et Etzioni de poursuivre que cette déshumanisation serait à la
racine même des problèmes sociaux, ces derniers surgissant de la
transformation de toute chose précédemment valorisée comme une fin
en soi, y inclus le sens même de l'existence humaine, en une
instrumentante, une valeur d'échange, une chose à être négociée,
trafiquée contre d'autres choses, d'autres biens sur le marché. C'est
pourquoi la principale responsabilité du crime ne revient pas à
l'agresseur mais à la structure politique et socio-économique qui le
prive d'un standard de vie décent; l'alcoolisme est une évasion à
laquelle le travailleur a recours plutôt que de faire face à ses véritables
ennemis, l'exploiteur et les tensions sociales générées par un travail
routinier et dénué de signification existentielle. De façon générale,
même si le lien n'est pas toujours aussi évident entre les conditions de
vie et les problèmes sociaux, les tenants de l'approche du conflit social
attirent l'attention sur le fait que le comportement déviant découle de
problèmes politiques dont la vraie nature est occultée par le traitement
que lui réserve la société, traitement inspiré d'un « modèle
thérapeutique » plutôt que de mesures de changement social.

III.2.5. L'interactionnisme symbolique et les théories de la


réaction sociale et de l'étiquetage
La perspective interactionniste dans l'étude des problèmes sociaux
provient de deux écoles de pensée : l'interactionnisme symbolique et
l'ethnométhodologie. Héritiers intellectuels de l'École de Chicago, les
tenants de ces deux courants de la psychologie sociale américaine
centrent leur attention sur le contexte immédiat dans lequel s'inscrit le
comportement des individus, objet de leurs études. Une différence
subtile distingue les deux groupes. « Le premier, s'inspirant de G.H.
Mead, est connu sous le nom d'« interactionnisme symbolique » :
interactionnisme parce que la réalité sociale est considérée comme
étant formée d'une multitude de petites interactions concrètes entre les
personnes; symbolique parce que le langage abstrait de ces
interactions leur donne une signification». « Le second courant, l'«
ethnométhodologie» est dérivé de la sociologie phénoménologique
pour qui la réalité est un objet construit socialement au moyen de
définitions émanant d'individus et de groupes, donc non susceptible
d'être étudié objectivement ».
Tirée de ces deux courants de pensée, la théorie de l'étiquetage,
désignée aussi sous le nom de perspective interactionniste, représente
un angle d'approche important dans l'étude des problèmes sociaux.
Rubington et Weinberg (1989 : 184) situent le développement de cette
perspective pour le champ des problèmes sociaux à la fin des années
cinquante et durant les années soixante, période où, aux États-Unis,
l'étude du crime, de la déviance et du contrôle social sont devenues
des spécialités en sciences humaines. Des facteurs comme l'extension
des concepts, les conflits d'écoles sociologiques et l'insatisfaction
devant les théories existantes pour comprendre le comportement
déviant expliqueraient le recours grandissant à une approche qui
constitue en soi une remise en question des autres écoles de pensée.
Comme le précisent Julian et Kornblum, les tenants des autres
perspectives considèrent, par exemple, que la pauvreté, la
délinquance, la toxicomanie, le crime représentent des situations
concrètes, définies objectivement comme des problèmes sociaux, dont
ils essaient d'identifier les conditions d'émergence. Les théoriciens de
la perspective interactionniste, de leur côté, considèrent que les
définitions socialement acceptées de la déviance ou des problèmes
sociaux sont subjectives; aussi, leur tâche consistera-t-elle à tenter
d'expliquer pourquoi et sous quelles conditions certains actes et
certaines situations en viennent à être définis ou jugés problématiques
ou déviants. Cette approche suscite donc « un renversement de la
question, qui ne se pose plus désormais au sujet de la personne du
déviant, mais plutôt au sujet de la réaction sociale ».
Plusieurs auteurs illustrent bien cette position. Jones, Gallagher et
McFalls avancent qu'en tant que processus social, le comportement
déviant se présente logiquement en deux stades : d'abord, l'acte de
violation de la norme sociale et ensuite, la réaction sociale à cet acte
qui décide ce qu'est la déviance et à qui accoler l'étiquette de déviant.
Ainsi, un comportement inapproprié peut être vu comme une
excentricité si le déviant est riche, et comme un désordre mental s'il ne
l'est pas. Dès lors, la déviance n'est pas une qualité inhérente,
intrinsèque au comportement, mais le résultat de l'interaction entre la
personne qui pose l'acte et les autres qui y réagissent. On voit donc
que le courant interactionniste propose un changement d'objet : « ce
n'est plus l'étude des causes de la déviance qui importe, mais bien le
processus par lequel certaines formes de comportement, et les
personnes qui y sont associées, en viennent à être perçues, définies et
traitées par d'autres comme déviantes eh général ou délinquantes en
particulier ».
Bachmann et Simonin insistent eux aussi sur le fait que les
interactionnistes s'interrogent sur les situations qui font problème, en
ajoutant que la désignation d'un individu comme déviant mène elle-
même à une accentuation de la déviance. L'idée s'en dégageant est que
la société, tout en voulant contrôler la déviance, ultimement, le
produit. Fondamentalement d'ailleurs, comme l'a souligné H.
Manseau, l'identification des problèmes sociaux, dans ce modèle,
découle donc davantage des conceptions propres à des groupes ou
personnes qui sont parvenus à s'approprier une question sociale
comme champ d'action ou de compétence. Elle rejoint par-là
Rubington et Weinberg qui, s'intéressant aux conditions qui favorisent
la réussite de l'étiquetage, font remarquer que l'étiqueteur est
habituellement dans une position où il tire avantage du fait de décerner
une étiquette. Très souvent, poursuivent les mêmes auteurs,
l'étiquetage est fait par quelqu'un dont c'est la tâche d'appliquer des
caractéristiques définitionnelles (par exemple les agents de contrôle
social, les journalistes) et le faire est souvent un signe de succès dans
sa fonction.
Ainsi, pour les interactionnistes, le sens donné à toute situation est un
construit, la désignation officielle des problèmes sociaux ou des
crimes ne relevant pas tant d'un consensus que de l'interprétation de
ceux qui interviennent dans la définition des lois et leur mise en
application. Dans la même logique, les statistiques enregistrées au sein
des appareils de contrôle ne témoignent pas tant de l'ampleur objective
d'une question que de l'action définitionnelle et de ses aboutissements.
Les interactionnistes estiment en effet que l'incidence statistique d'un
problème peut surtout se comprendre à partir des activités
définitionnelles des personnes qui ont concouru à la reconnaissance de
ce problème. De même, les tenants de la perspective de la réaction
sociale contestent l'orientation étiologique. Selon eux, présenter la
déviance comme une donnée ontologique, antérieure à la réaction
sociale, constitue une inversion logique puisque le déviant ou le
délinquant est un « construit social ». De plus, analyser les causes de
cette déviance indépendamment de l'étude de la dynamique sociale
ayant contribué à l'émergence des normes morales, sociales ou
pénales, c'est prendre les reflets des choses pour la réalité.
Par exemple, lors d'un premier vol, un jeune peut rapidement être «
étiqueté » délinquant par la police. Ainsi, il peut, par la suite, en venir
par lui-même à adopter la conduite qu'on attend de lui.
Conséquemment, la déviance est le produit conjoint des institutions
qui définissent qui est déviant, et des acteurs sociaux qui s'enferment
dans ces définitions; l'acte de déviance n'est plus le moment où
l'individu transgresse la loi mais le processus complexe au cours
duquel il en vient à être désigné comme déviant. Il importe donc de
distinguer les phases de ce processus et d'analyser les conditions
sociales qui favorisent ou non la déviance. Parmi les conditions
sociales, il y a, rappelons-le, ce que les interactionnistes nomment la
réaction sociétale. L'infraction à la norme n'inaugure une carrière de
déviant qu'à la condition que cette infraction soit socialement perçue
comme telle. Ce n'est pas la première infraction qui est déterminante,
mais le déclenchement des mécanismes sociaux de désignation. Pour
ce courant de pensée donc, « ce qu'il importe de découvrir par
l'analyse des problèmes sociaux, ce sont les forces sociales qui sont
productrices de sens. L'interactionnisme symbolique suppose que
l'objectivité n'existe pas. Même si la misère humaine a des fondements
réels, l'importance accordée à tel ou tel problème particulier, de même
que les représentations qui l'entourent, dépend des individus qui ont
réussi à imposer leur définition du problème dans un contexte social
donné ».
En somme, dans la perspective interactionniste, si l'on veut
comprendre la déviance, il ne faut partir ni des individus, ni des
comportements des individus, ni même des règles qui sont
éventuellement transgressées, mais des situations dans lesquelles il
peut advenir que soient désignés des déviants. Il n'y a, en effet, rien de
prédéterminé, et la distribution éventuelle des désignations de déviants
est le produit émergeant de l'interaction. Ceci rompt avec la façon
traditionnelle d'envisager un problème social, dans la mesure où le
regard se porte désormais sur les définisseurs du problème, sur la
définition qu'ils proposent et sur les solutions proposées. Les
définisseurs deviennent ainsi une partie même du problème. C'est
pourquoi le processus d'étiquetage (« labelling ») est au centre de la
perspective interactionniste.
III.2.6. Le constructivisme
Plus en continuité qu'en rupture avec le courant précédent, les
constructivistes mettent l'accent sur les processus de construction
sociale des problèmes sociaux. Pour ces derniers, un problème social
est le résultat des démarches d'individus ou de groupes concernant des
demandes de modification de certaines conditions sociales. Cette
perspective déplace l'accent traditionnellement mis sur les conditions
objectives vers le processus par lequel se construisent les définitions
de problèmes sociaux.
L'existence d'un problème social dépend de l'existence des groupes qui
définissent une condition comme problématique, veulent y remédier et
agissent dessus. Il y a deux types de groupes : ceux directement
touchés par la situation problématique et ayant intérêt à la transformer
et ceux qui ne sont pas impliqués mais dont la situation heurte les
valeurs. Les groupes sociaux peuvent donc être guidés dans leur
action, soit par leurs intérêts, soit par leurs valeurs. Les auteurs
élaborent ainsi un nouveau cadre d'analyse des problèmes sociaux
comportant trois éléments de base; une théorie des intérêts : les
groupes comme les individus cherchent à défendre leurs intérêts
économiques, sociaux, etc.; une théorie de l'indignation morale : les
groupes dénoncent certaines conditions comme problématiques, car
elles heurtent leur sens des valeurs, indépendamment de leur intérêts;
une théorie de l'histoire naturelle : les problèmes sociaux n'émergent
pas d'une situation statique ou d'un événement spontané, mais de
séries d'activités évoluant et s'influençant les unes les autres .
Cette approche remet nécessairement en question la notion de
consensus social et conduit Spector et Kitsuse à proposer une autre
définition du problème social. Pour eux, un problème social est
constitué par « les démarches d'individus ou de groupes formulant des
griefs et des revendications à propos de certaines conditions supposées
exister ». Une démarche de revendication est une forme d'interaction
entre deux ou plusieurs protagonistes sociaux à l'intérieur de laquelle
une partie demande à l'autre que soit fait quelque chose par rapport à
une certaine condition sociale jugée insatisfaisante afin de l'améliorer
ou de la changer. Conçues comme telles, les démarches de
revendication font partie intégrante de la vie politique et sociale et
tous ceux qui s'y impliquent participent de facto au processus de
définition des problèmes sociaux. Conséquemment, les auteurs
étudient les problèmes sociaux en partant des individus qui
parviennent à les faire émerger en tant que problèmes, et en mettant
l'accent sur les intérêts des individus ou des groupes qui participent à
la définition de ces problèmes.
Ils proposent également un modèle d'analyse de l'évolution des
problèmes sociaux en quatre étapes principales. La première
comprend « les tentatives collectives pour remédier à une condition
perçue et jugée choquante et indésirable par certains groupes. Les
tentatives pour transformer des problèmes privés en litiges publics et
les éventualités de ce processus de transformation, constituent les
activités initiales des problèmes sociaux ». La deuxième étape
commence avec l'approbation de ces revendications par « des agences
gouvernementales ou autres institutions officielles influentes ». En
effet pour passer à la phase suivante, un problème social doit
concerner et être pris en charge par « une institution afin de gérer les
revendications et les plaintes relative à la condition en question ». La
phase 3 commence quand les participants considèrent la réponse
officielle comme problématique. La phase 4 prend naissance quand les
revendicateurs « affirment qu'il n'est plus possible "de fonctionner
dans le système et quand ils tentent d'élaborer des institutions
alternatives ». Selon ces derniers, il n'existe pas de relation causale
simple entre une condition sociale insatisfaisante et la mise en marche
des réponses institutionnelles.
Ils insistent sur le fait que les problèmes sociaux résultent du travail de
plusieurs acteurs sociaux (tels que journalistes, médecins, politiciens,
travailleurs sociaux et organisateurs syndicaux) et que plusieurs
aspects des problèmes sociaux peuvent être abordés à travers l'étude
des personnes qui participent aux diverses étapes du processus de
construction de la réalité des problèmes sociaux.
Depuis le début des années 1980, plusieurs auteurs ont repris ce thème
de la « construction » des problèmes sociaux. Ainsi Bachmann et
Simonin soulignent que l'on doit admettre que le concept de problème
social est relatif et qu'il est construit. De même, Martin et Chopart
affirment sans ambages : « Les problèmes sociaux n'existent pas
comme tels. Ils font l'objet de processus de construction ». Même
analyse chez Huisman et Landreville qui soulignent que dans le
champ criminologique, on envisage souvent une situation-problème en
termes d'infraction ou de crime et ce faisant, on commet, selon eux,
une erreur fondamentale qui « consiste en ce que comportement et
infraction sont considérés comme le point de départ. On prend ces
faits comme des données et non comme des construits ».
Selon Martin et Chopart, le travail scientifique dans l'analyse des
problèmes sociaux doit consister « à comprendre comment une société
donnée envisage, à un moment donné, la nécessité de régulations,
d'interventions politiques, collectives, réglementaires, afin de résoudre
des zones de tensions devenues incontournables ». Il faut aussi
procéder à un important travail de « déconstruction » portant
notamment « sur la mise en œuvre des systèmes d'intervention, sur les
cloisonnements qu'ils induisent, leur capacité de réifier tel ou tel
aspect de la vie sociale : la pauvreté est isolée du chômage, isolée de
la vie familiale, etc. ». Bref, il faut faire apparaître les interconnexions
complexes qui relient « ces problèmes sociaux, leur catégorisation et
leur mode de traitement ».
Tachon s'attarde de son côté sur l'idée qu'étant essentiellement le
résultat (ou le produit) « de constructions historiques », les problèmes
sociaux « apparaissent comme des notions relatives, faisant l'objet de
réinterprétations par les agents et les institutions dans leurs stratégies
pour se partager les moyens symboliques, économiques et techniques
de l'action sociale ». Ce processus de réinterprétation constitue une
véritable « mise en scène » du problème social. Par exemple, les
problèmes de la délinquance juvénile ayant été identifiés comme des
problèmes de sécurité sous la pression convergente de groupes divers
(policiers, magistrats, enseignants, politiciens, etc.), on a pu voir l'État
désigner l'insécurité liée à la délinquance juvénile comme « problème
social » et dans le même mouvement, définir une méthodologie
d'intervention.
Ainsi, l'intervention sociale se construit presque toujours à partir d'un
même scénario : « un problème social » légitimé par des références
politiques et techniques génère des institutions qui mobilisent des
investissements et des personnels spécialisés. Les institutions et les
personnels spécialisés jouent alors avec la manifestation publique du «
problème »; ils proclament l'urgence de la question, justifiant ainsi
leur présence. Cette situation est amplifiée par la concurrence et la
surenchère entre les différentes instances du « travail social », les
diverses prestations assurées par les institutions se présentant comme
des réponses originales à un problème social identifié.
Cuillemard et Lenoir ont bien montré, dans leurs travaux sur le «
troisième âge », les mécanismes socio-historiques de l'émergence des
problèmes sociaux. Ce dernier, notamment, montre que « l'invention
du troisième âge » correspond d'abord à un problème de solidarité
intergénérationnelle qui prend son origine dans l'organisation
industrielle et dont l'effet est d'introduire une gestion différenciée de
cette population; cette situation génère à son tour l'apparition d'agents
spécialisés dans la gestion de la population en question et l'émergence
de mouvements de revendications chez cette dernière. De fait, la
répartition de l'existence humaine en « âges de vie » avec son cortège
de problèmes sociaux, est tout à fait arbitraire. Beaucoup de travaux
historiques ont pointé le relativisme des « classes d'âge », tels les
travaux d’Ariès (1973), Chamboredon et Prévôt sur l'apparition des
notions d'enfance et d'adolescence.
Au Québec, un certain nombre d'études se sont inspirées de la
perspective constructiviste. Par exemple, K. Fahmi s'est attaché à
reconstituer les événements qui ont concouru à l'émergence de la
prostitution juvénile en tant que problème social au Québec. Certes, ce
phénomène n'est pas nouveau chez nous tout comme ailleurs.
Toutefois, ce n'est que depuis la fin des années 1970 qu'on s'interroge
sur cette réalité en tant que problème social. Plusieurs intervenants
sociaux ont participé aux débats sur cette question, qui bénéficièrent
d'une large diffusion médiatique au cours des dernières années. À
partir de cet exemple, l'auteur affirme que les médias jouent un rôle
très important dans la définition et la construction des problèmes
sociaux. La construction du problème des jeunes dits prostitués s'est
donc élaborée autour de différentes scènes. Le même thème fut
alimenté par l'arrivée de nouveaux acteurs sociaux (les policiers, les
commissions d'enquête, etc.). En bout de ligne, la définition du
problème, conclut Fahmi, s'appuie sur un jugement moral (protection
et punition) qui tient peu compte de la réalité socio-économique des
jeunes vivant cette condition.
Sensiblement dans la même perspective, H. Manseau a analysé les
processus de définition et de prise en charge institutionnelle du
problème de l'abus sexuel au Québec. Selon elle, la présence d'un fort
mouvement de protection de la jeunesse qui a engendré la mise sur
pied de tout un dispositif d'intervention a eu un impact direct sur la
définition de l'abus sexuel et sur les représentations que suscite ce
phénomène. Tout cela amène l'auteure à conclure que l'abus sexuel «
est une forme de construit institutionnel et professionnel comme c'est
le cas pour tous les problèmes sociaux qui s'élaborent à partir d'un
discours extérieur à celui des personnes faisant l'objet d'un contrôle
étatique ». Elle s'interroge également sur le fait que « les conceptions
les plus répandues sur l'abus sexuel ont été élaborées dans un contexte
éloigné des situations particulières vécues par les jeunes victimes. Des
intérêts liés à la prise en charge du problème semblent contribuer à
faire en sorte que cette question soit traitée sous un angle qui ne
correspond peut-être pas à l'intérêt des jeunes victimes ».

CONCLUSION
Il faut rappeler notre objectif de départ. Il s'agissait d'abord de tenter
de clarifier la notion de problème social et ensuite, d'introduire
brièvement un ensemble de perspectives d'analyse de ce concept. Au
terme de cet exercice, il nous faut constater qu'un débat a marqué ces
divers courants, c'est celui des rapports entre les dimensions objectives
et subjectives des problèmes sociaux. De sorte que l'on est maintenant
en droit de se demander : mais est-ce dire que tout est subjectif, qu'il
n'y a pas de situations, d'événements, de comportements réellement
négatifs ou problématiques ? Et avec d'autres, nous répondons :
évidemment non. Ainsi, P. Landreville précise :
« Même si nous maintenons que dans une démarche sociologique nous
devons nous attarder aux situations perçues et définies comme
problèmes, déviances, etc., nous croyons que, du point de vue éthique,
il y a des situations, des conditions négatives que nous devons tenter
de contrôler, d'atténuer, d'éliminer par des politiques sociales
adéquates. En premier, il y a des situations d'exploitation, de
domination et des besoins fondamentaux (vie, sécurité, ...) qui ne sont
pas respectés. Il y a aussi d'autres besoins (plus subjectifs ?) que Ton
juge nécessaires, indispensables dans une société historique donnée
(exemple : les droits de la personne, l'égalité, la justice) que l'on
voudra utiliser comme critères des situations-problèmes. Mais, quelle
que soit la « réalité » ou « l'objectivité » des situations problèmes, il
faut bien réaliser qu'en termes de politique sociale, il faudra que des
groupes jugent ces situations-problèmes et qu'ils aient le pouvoir
d'imposer leurs définitions et leurs solutions. Il faut rappeler que,
même si nous affirmons qu'il y a des situations qui posent réellement
des problèmes, cela ne signifie pas qu'il y ait ou qu'il puisse y avoir de
« vrais » crimes. Le crime sera toujours un construit juridico-politique,
puisqu'il ne s'agit que d'une catégorie de situations dites problèmes,
celles que l'on croit devoir gérer ou contrôler par des peines imposées
par l'État ». Et F. Mourant de conclure : « Que le crime soit une
construction politico juridique on ne peut qu'en convenir, mais il
demeure que certaines formes de comportements sont nuisibles,
dangereux et causent de sérieux torts aux autres ».
En somme, nous avons montré qu'en service social comme en
sociologie, il existe divers codes de perception, de définition et de
traitement des problèmes sociaux. Selon J. Horton, pendant longtemps
l'étude des problèmes sociaux a été abordée à partir de deux modèles
principaux : celui de l'ordre et celui du conflit. Chaque perspective
interprétait les faits à partir d'un contexte idéologique particulier. Ces
discours masquaient toutefois leur propre normativité.
D'une façon générale, on a souvent recours à une terminologie de
l'évidence, et la définition d'une situation sociale comme étant un
problème social est assujettie aux normes véhiculées par un ou
plusieurs auteurs. Même si maintenant les modèles interprétatifs sont
plus nombreux, il n'en demeure pas moins que le débat sur
l'interprétation subjective d'une réalité dite objective demeure. Dans
un tel contexte, il s'avère important d'expliciter clairement sa propre
perspective d'analyse et de la situer par rapport aux autres.
Tout au long de cet élément constitutif bien des questions ont été
abordées, qui peuvent apparaître disparates, qu’il s’agisse des données
générales de la politique sociale, des aspects sociaux des questions
démographiques, des problèmes de la famille, du travail et
d’organisation médicale de sanitaire, des rapports entre employeurs et
salariés ou de la distribution de revenus et de la sécurité sociale. Ce
n’est là pourtant qu’une partie des problèmes sociaux contemporains
auxquels ce cours est consacré. Nous n’avons abordé notamment ni les
problèmes du logement, ni les problèmes de l’alimentation, ni les
problèmes de l’enseignement général.
Ce qui frappe quand on examine l’ensemble de ces problèmes, c’est à
la fois leur variété et leur unité.
Leur variété tient à l’ampleur croissante des domaines où il apparaît
possible et souhaitable d’intervenir pour améliorer la condition
matérielle et morale des individus et des familles. L’on assiste à une
extension, une diversification constante des besoins humains qui sont
ressentis comme insatisfaits ou insuffisamment satisfaits.
Mais, à travers cette variété, il y a une unité, parce qu’il s’agit toujours
de l’homme.
Sans doute les hommes sont-ils différents par leur degré d’évolution
économique, d’évolution culturelle, de civilisation, mais, à travers
cette diversité, il y a une unité profonde. À un moment ou à un autre,
les mêmes problèmes se posent dans des conditions analogues.
Il y a unité aussi dans les problèmes sociaux parce qu’il y a
interdépendance des divers problèmes, la solution de chacun
commandant la solution des autres et étant commandée par la solution
de ces autres. Cette interdépendance est quelque chose de nouveau ;
elle n’a pas toujours été comprise et elle ne l’est encore que de
manière très imparfaite. L’on constate à l’heure actuelle encore une
tendance très générale à envisager chaque problème isolément, en lui-
même, et il en résulte d’ailleurs une imperfection trop fréquente des
solutions mises en œuvre. C’est ce qui souligne l’importance d’une
politique sociale d’ensemble.
L’unité des problèmes sociaux s’exprime aussi par l’interdépendance
croissante des hommes, le sort de chacun réagissant sur le sort des
autres. Les politiques sociales sont des politiques nationales, mais
elles le seront de moins en moins dans l’avenir ; elles devront de plus
en plus être conçues dans un contexte international, s’intégrer à une
politique sociale internationale.
Cette politique sociale internationale il convient de le dire est à peine
ébauchée. On en trouve des manifestations à travers l’Organisation
internationale du travail, dans la Charte sociale européenne, dans les
droits sociaux proclamés dans la Déclaration internationale des Droits
de l’homme. Mais il ne s’agit trop souvent encore que d’affirmations
de principe ; ces affirmations sont certainement appelées à se
concrétiser de plus en plus. Il faut prendre conscience de
l’élargissement nécessaire des cadres de la politique sociale.
Mais cette politique sociale, chaque jour plus nécessaire, est aussi une
politique difficile à mettre en œuvre.
D’abord, tout n’est pas possible à un moment donné dans un pays
donné. Il faut procéder à des choix, et il est fort malaisé d’opérer ces
choix, car il y a une aspiration profonde, presque confuse et souvent
contradictoire, de toutes les populations à la solution générale de tous
les problèmes ; chacun est naturellement porté à refuser le choix. Dans
la mesure où les choix s’opèrent, ils sont rarement commandés par des
considérations rationnelles, ils sont l’effet de pressions. Les groupes
les plus puissants tendent naturellement à l’emporter. Or, ce ne sont
pas toujours ceux dont les besoins sont les plus urgents. L’effet de ces
pressions est trop souvent et naturellement la cause du sacrifice des
faibles. Une autre difficulté de la mise en œuvre de la politique sociale
tient à ce que la base d’une telle politique est toujours et
nécessairement la solidarité. Or, au fur et à mesure que s’élargissent
les cadres dans lesquels s’organise la politique sociale, le sentiment de
solidarité s’affaiblit ; chacun se sent solidaire de ceux avec qui il est
en contact permanent, dans la vie quotidienne ou professionnelle, mais
il lui faut un effort pour se sentir solidaire d’éléments qui ne le
touchent pas de près.
D’où des résistances contre la mise en œuvre d’une politique sociale ;
d’où aussi, dans la mesure où cette politique ne repose pas sur une
solidarité consciente, voulue, une tendance à la bureaucratisation des
mécanismes sociaux, une perte d’efficacité humaine dans ces
mécanismes. Une autre difficulté encore réside en ce que la mise en
œuvre de la politique sociale suppose souvent un réaménagement des
structures sociales, ne serait-ce que pour élargir les cadres de la
solidarité.
Or, les structures existantes résistent, chacun est attaché aux structures
qu’il connaît, auxquelles il est habitué et hésite à accepter des
formules nouvelles. La mise en œuvre de la politique sociale suppose
aussi des contraintes, qui seront d’autant plus sensibles qu’elles
n’expriment pas une solidarité consentie, qu’elles apparaissent comme
imposées et non pas voulues.
À l’époque actuelle on constate la contradiction profonde entre deux
courants simultanés : d’abord, l’accent nouveau mis au moment
présent sur la liberté de l’entreprise envisagée comme favorisant le
dynamisme économique, l’évolution générale de la technique, de
l’économie et de la société. Or, qui dit libre entreprise, dit
logiquement individualisme accru et tend à mettre l’accent sur le «
chacun pour soi ». L’autre courant, qui n’est pas moins profond,
s’exprime dans la nécessité ressentie d’une discipline collective, d’une
solidarité accrue pour satisfaire les aspirations sociales des
populations, pour permettre une politique sociale dynamique et
efficace.
Cette contradiction est d’autant plus aiguë au moment présent que les
changements de plus en plus rapides du monde contemporain sont
générateurs, dans des masses considérables de populations, d’un
sentiment, plus ou moins confus mais profond, d’une nouvelle
insécurité, qui naît de l’incertitude du lendemain due aux
changements. Or, il n’est possible d’y remédier, d’en atténuer les
effets.

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