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Minguet Guy. Les mouvements sociaux, la sociologie de l'action et l'intervention sociologique. A propos de deux ouvrages
d'Alain Touraine. In: Revue française de sociologie, 1980, 21-1. pp. 121-133;
https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1980_num_21_1_6939
L'objectif de ce travail, est de présenter une lecture critique de ces deux livres
qui font corps et que l'on hésite à séparer, sur les points suivants : 1) le système
de référence théorique, l'intervention sociologique et la notion de groupe ; 2) un
mouvement social étudiant introuvable; 3) la question de la militance, les
mouvements sociaux et le rôle du sociologue.
* A. Touraine, La voix et le regard, Paris, collaboration de] François Dubet, Zsuzsa Hege-
Editions du Seuil, 1978, 31 p., fig., tabl. (Socio- dius, Michel Wieviorka, Paris, Editions du Seuil,
logie permanente, 1); Lutte étudiante [Avec la 1978, 382 p. (Sociologie permanente, 2).
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ou non avec les travaux de l'auteur peut ainsi retrouver l'appareillage théorique
et conceptuel utilisé. Il est indispensable pour la lecture correcte du texte et pour
bien saisir la pensée de l'auteur, qui reste à un degré élevé d'abstraction. Enfin,
on ne peut saisir la spécificité de la méthode d'intervention sociologique sans
faire référence au cadre théorique et conceptuel, véritable dispositif heuristique
pour l'auteur qui veut reconstruire un système de représentation de la société et
aider la société et les groupes sociaux engagés à augmenter leur capacité de
transformer leur action (t. 1, p. 82).
Ce travail d'approfondissement réalisé, le lecteur peut se plonger dans
l'alchimie sociale et culturelle de la lutte étudiante, présentée sous l'angle de
l'intervention et de la sociologie permanente.
Sur le socle théorique de la sociologie de l'action, l'auteur présente une
méthode d'intervention sociologique, qu'il définit comme l'action du sociologue
pour faire apparaître les rapports sociaux et en faire l'objet principal de l'analyse
(t. 1, p. 182). Elle se fonde sur quatre principes fondamentaux (t. 1, pp. 184 et
296):
1) la situation de recherche doit être mise en relation avec les acteurs du
mouvement social, en vue d'une observation et d'une analyse des
caractéristiques et de l'enjeu culturel du conflit;
2) elle doit dépasser le discours idéologique pour saisir l'engagement des
participants du groupe militant et, à ce titre, considérer les situations dans
lesquelles les différents partenaires (adversaires, dirigeants) s'affrontent;
3) il s'agit de repérer, dans les conduites collectives, les formes et les
composantes fondamentales de tout mouvement social, à savoir le principe d'identité,
le principe d'opposition, le principe de totalité;
4) la méthode conjugue l'auto-analyse d'un groupe militant et l'action
spécifique du sociologue aidé par son dispositif théorique. Cette dernière exigence est
essentielle, car elle préfigure la possibilité d'une sociologie permanente fondée
sur la construction d'un échange aussi prolongé que possible entre l'action et
l'analyse (t. 1, p. 192).
Les buts ultimes de ce projet sont, d'une part, de contribuer au
développement des mouvements sociaux, d'autre part, de permettre à une société de vivre
au plus haut niveau d'action historique (t. 1, p. 192). On le voit, il y a une
double orientation : à la fois interne, c'est-à-dire centrée sur les capacités de
développement du mouvement en lui-même, et externe, c'est-à-dire intéressée
par les effets des mouvements sociaux sur les systèmes de représentations et les
transformations de la société.
L'intervention comporte plusieurs phases distinctes, dynamisées par un
processus de flexions et s'appuyant sur une typologie des états successifs du groupe.
Le groupe de confrontation, le groupe figure, le groupe mixte
d'auto-interprétation sont un même groupe à des stades différents, en fonction de l'intervention,
de la confrontation des hypothèses et des observations, de la progression de
l'analyse. Il y a chez l'auteur la volonté d'une conceptualisation sociologique
spécifique à travers les transformations qu'il induit dans le groupe et les objectifs
d'apprentissage qu'il poursuit. Il détient « la conviction que la connaissance
qu'elle produit ne peut qu'élever la capacité d'action des militants ». Nous avons
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souligné ce fait en nous interrogeant sur le postulat selon lequel il existerait une
relation de causalité entre un apprentissage d'ordre cognitif, relationnel, culturel
ou autre et la capacité dans l'action. Ce postulat doit être repensé en fonction du
problème du transfert d'apprentissage désormais classique dans les activités de
pédagogie initiale et de formation continue d'adultes. L'objection selon laquelle
le conflit étudiant n'est pas du même ordre qu'une situation scolaire ou
formative est pertinente, mais elle n'infirme pas la proposition selon laquelle il n'est
pas d'emblée acquis de transférer des capacités acquises lors d'une situation (par
exemple, lors des phases différenciées de l'intervention) à un autre contexte qui
présente des conditions souvent différentes. En d'autres termes, l'intervention
sociologique comporte des temps de formation personnelle et collective qui
autorisent des apprentissages au niveau des représentations et des savoirs. Les
descriptions, présentées par les auteurs dans le second tome, nous montrent cet
aspect et elles nous apprennent aussi que le passage au niveau supérieur, celui
des prémisses d'un mouvement social, est problématique. La logique
d'acquisition et la logique de l'action, au niveau individuel ou collectif, ne sont pas du
même ordre et elles ne s'appuient pas sur les mêmes processus, bien qu'elles
soient interdépendantes dans la réalité. Nous postulons, à cet égard, que ces
deux logiques sont d'autant plus efficaces et durables qu'elles s'exercent
simultanément et en articulation.
A ce titre, il faut s'interroger sur la conception de l'intervention de A.
Touraine. Quel est son objectif? Suffit-il de faire de la macro-sociologie, en
faisant l'impasse méthodologique et théorique sur les phénomènes
psychosociologiques, pour réaliser une intervention ? L'intervention tourainienne se
réduit-elle à l'analyse ? La question doit être posée à partir du moment où il
considère certains phénomènes sociaux en termes d'historicité, de rapports de
classes, de mouvement social, où il néglige le micro-social pour considérer le
macro-social. Il ne serait pas inintéressant de comparer ses pratiques de
l'intervention sociologique avec certaines conceptions et pratiques dans le travail
social, car nous pressentons que ces procédés d'intervention véhiculent une
forme de normativité, de système de valeurs par-delà l'analyse au niveau des
groupes. Cette méthode d'intervention, bien que A. Touraine prenne le soin de
se différencier des autres pratiques au niveau des groupes, pose des problèmes
d'ordre psychosociologique qui ne sont pas nouveaux dans le champ des
sciences sociales.
Dans le second volume, il serait aisé de relever les phénomènes
psychosociaux identifiés par les acteurs, bien qu'ils ne soient pas traités comme tels.
Touraine doit-il s'étonner d'être interpelé par quelques participants (t. 2,
p. 209) ?, d'être durement contré dans son intervention (t. 2, pp. 278-279, 285-
288)? Pourquoi accorder une place mineure à ces phénomènes et ne pas leur
donner un traitement théorique adéquat ? Il s'agit bien d'autre chose que d'une
querelle méthodologique ou technique : très exactement d'un problème
théorique concernant l'approche d'ensemble et interdisciplinaire de phénomènes
sociaux. Que A. Touraine concentre son analyse sur l'intervention en
articulation avec son modèle des mouvements sociaux est acceptable, mais ceci
n'occulte pas les difficultés inhérentes à sa pratique.
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Les auteurs nous apprennent aussi que les deux groupes sont parvenus à des
stades différents : le groupe d'Amiens, dynamique au départ, s'épuise
rapidement lors de l'auto-analyse et se maintient dans la revendication et dans la pure
opposition. Il doute de son identité sociale et il ne se définit que par la lutte où il
s'est engagé. Son opposition est rigide parce qu'elle est le substitut d'une absence
d'identité et d'un programme vide (t. 2, p. 92). Le second groupe, celui de
Bordeaux, a tenté de réaliser une conversion de l'auto-analyse vers un
mouvement social étudiant. Il s'est efforcé de rechercher son identité et de définir un
schéma d'action en vue de construire un mouvement social. Mais ce travail n'a
pas débouché sur un mouvement social étudiant : il a amené une angoisse, un
désinvestissement et la sensation de la décomposition. La difficulté majeure
réside dans la définition et l'appréciation des enjeux sociaux globaux par les
acteurs (t. 2, p. 103). Le point d'achoppement s'est situé, dans les deux groupes,
à l'endroit de la conversion fondamentale, du groupe-témoin au groupe-figure,
du groupe-figure au groupe d'auto-interprétation. Comme si le point de flexion,
moment essentiel que l'on pourrait caractériser comme un déplacement du
système de représentations, posait un problème. L'intervention se situait donc
bien dans une problématique de changement.
Concernant le mouvement étudiant, A. Touraine envisage une série
d'hypothèses à propos de la signification du conflit du printemps 1976 : conduites
d'opposition institutionnelle et politique, conduites revendicatives et corporatives
dans la tradition du syndicalisme, conduites de crise ? Les réponses sont
complexes, l'auteur reste prudent à cet égard, et il admet que ce conflit s'inscrit dans
un champ ouvert. Toute l'analyse du mouvement étudiant vise à élaborer un
système de représentation du mouvement étudiant, en disposant d'abord les
niveaux fondamentaux du conflit (culturel, professionnel, intérieur «
université », extérieur « société ») en montrant leurs relations complémentaires et
contradictoires, en examinant leurs composantes (t. 2, pp. 215 et 220) et leur
inclusion dans le mouvement ouvrier (t. 2, pp. 224-226) avec, comme ligne
directrice, la question du mouvement social : « mais s'agit-il d'un mouvement
social ? Existe-t-il un enjeu commun aux adversaires et qui ne peut être que la
connaissance ou plus concrètement l'Université ? L'étudiant lutte-t-il contre les
enseignants et le système universitaire au nom de la connaissance, pour
empêcher que celle-ci soit confisquée par l'idéologie de la classe dirigeante ou par le
corporatisme professoral conservateur ?» (t. 2, p. 217).
Ainsi, lentement se met en place une configuration des différents niveaux et
éléments, qui nous montre qu'il existe un système du mouvement étudiant, avec
des orientations et des conduites différenciées de la part des participants. Si la
problématique de l'action étudiante est établie, cela n'épuise pas la question
centrale : à quelles conditions le mouvement étudiant peut-il parvenir à
l'existence historique ? (t. 1, p. 236). Ce jeu d'hypothèses et de représentations
est soumis au débat, dans les deux groupes, par les chercheurs, pour les valider.
A cet endroit, il faut reconnaître le fait suivant, essentiel dans la démarche de
l'auteur. A. Touraine introduit l'idée que « l'enjeu de la lutte est peut-être
l'utilisation sociale de la connaissance» (t. 2, p. 241), en émettant l'hypothèse
qu'elle procurerait un enjeu culturel au mouvement. L'intervenant admet lui-
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même que le mouvement n'a pas réussi à définir ce thème comme enjeu de son
action. Entre la contestation culturelle et l'utopie critique, il y a l'absence d'enjeu
politique.
Dans ses conclusions, Touraine pose ainsi la question : la lutte étudiante
participe-t-elle au mouvement social qui correspond à la société ? La lutte
étudiante ne révèle-t-elle pas de nouvelles luttes de classes, un nouveau type de
conflit fondamental dans notre société ? (t. 2, pp. 359-500). En dépit des efforts
des intervenants et de A. Touraine surtout, il ne s'est pas produit de mouvement
social. La conclusion est claire : « la demande d'un mouvement existe, mais il
est impossible de parler d'un mouvement déjà réel, c'est-à-dire dont le combat
ait un enjeu societal affirmé » (t. 2, p. 360). Le mouvement étudiant n'a pas eu
de portée politique susceptible de lui procurer une dimension sociétale. Comme
le dit Touraine, il y a un « désir de mouvement et absence de mouvement ; forte
mobilisation et impuissance de l'action collective » (p; 369). Il a éclaté dans sa
première ébauche.
Ces conclusions pourraient être l'objet d'un débat. Le lecteur a envie de dire :
allons plus loin, que va-t-il se passer dans la sphère institutionnelle
universitaire ? La lecture des faits nous rappelle que les organisations syndicales
et politiques étudiantes sont en état de crise et en perte d'influence.
Simultanément une livraison de la revue Esprit (1) rappelle opportunément que
l'université traverse une crise du sens, vécue de façon ambivalente par les
enseignants, et qu'en même temps elle est l'objet de réflexion et de glose
désabusée de la part de ses mandarins et de ses spécialistes des sciences de
l'éducation. Les reportages journalistiques sur les campus révèlent des attitudes
et des conduites de retrait des usagers par rapport à l'université. Ne doit-on pas
lire dans ces indices, si limités soient-ils, des réserves vis-à-vis de l'avenir du
mouvement étudiant ? A notre avis, les auteurs n'ont pas mis suffisamment
l'accent sur le statut provisoire de la condition étudiante qui pourrait expliquer
en partie le désinvestissement des étudiants concernant le devenir des
institutions universitaires. Certes, A. Touraine a eu le mérite d'analyser en
profondeur le conflit de 1976, au travers de quelques acteurs. Mais le
mouvement étudiant n'a pas eu une portée sociale d'avenir et les différents
acteurs se sont tus. Et comment ne pas voir la minceur de ces groupes,
comment ne pas voir le silence de l'Université ?
En reprenant le système de référence de l'auteur, on peut aussi se poser les
questions suivantes : les Universités sont-elles des lieux de la société où il peut se
passer quelque chose allant dans le sens d'un mouvement social et contribuant à
l'historicité ? Pourraient-elles contribuer à quelque renouvellement et sous quelle
forme et à quel prix pour ses principaux acteurs ?
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composée de militants pour que les mouvements sociaux fussent répartis et mus
par les forces sociales ? Pourra-t-on parler de mouvements sociaux généralisés
comme levier de la production de la société par elle-même, comme on a parlé,
en son temps, d'auto-gestion généralisée ?
Il restait aussi à identifier les acteurs du mouvement social. Sont-ils engagés
dans un mouvement précis au sein d'un groupe défini et identifié ou, au
contraire, orientent-ils leurs investissements dans plusieurs groupes, en
constituant une ramification d'échanges et d'engagements ? Quelles sont leurs
trajectoires au travers de leurs expériences institutionnelles, idéologiques,
relationnelles ?
De plus, faire parler les acteurs, leur procurer une représentation de leur
action, ne suffira probablement pas, ni pour augmenter leur capacité d'action, ni
pour résoudre le problème de la violence. Les enquêtes ne donnent pas
nécessairement un surcroît de transparence sociale, surtout si elles sont constituées de
représentations abstraites et réductrices. Au même titre, la méthode
d'intervention sociologique, dans sa plongée dans l'action sociale, ne sort pas épurée de
toute contradiction. Cette production de connaissances éclaire des aspects de la
réalité et les travestit. Ce n'est pas pour rien que les organisations, les groupes
sociaux même directement intéressés résistent aux sciences sociales, car celles-ci
sont liées à l'exercice d'un pouvoir que son détenteur répugne à élucider et à
partager. L'intervention, à cet égard, pose le problème fondamental de l'exercice
d'un pouvoir subtil, diffus mais réel, de l'échange inégal d'informations, et il
serait dangereux et illusoire de croire qu'elle-même puisse le résoudre et surtout
que le sociologue, parce qu'il se croit investi d'une mission prophétique, puisse
l'éluder.
Le statut et les rôles du sociologue dans les groupes sociaux et dans la société
nous intéressent à plus d'un titre. D'abord, quelle image Touraine a-t-il de lui-
même et quelle image veut-il donner à la société et à ses lecteurs ? : celle de la
sociologie inductrice, celle de la sociologie permanente. La première renvoie
d'emblée au statut du sociologue et à l'idée qu'il s'en fait. Selon lui, « le
sociologue est un homme sans pouvoir, probablement mal accepté et qui est
dans la situation ambiguë où se trouve l'historicité : au centre de la société, mais
cachée par les conflits dont elle est l'enjeu » (T. 1, p. 305). Et en même temps, il
s'interroge sur le fait que l'intervention pourrait construire un pouvoir
sociologique, variante moderne du pouvoir technocratique. La question est redoutable,
et Touraine, à notre sens, n'y répond pas en disant que le sociologue ne détient
aucun pouvoir. Le pouvoir, dans les institutions actuelles et dans les sociétés
industrielles, ne se situe pas uniquement dans les structures hiérarchiques ou
dans la définition formelle de l'autorité. Nous réfutons cette idée que les
sociologues « n'ont de pouvoir que s'ils dirigent des appareils » (T. 1, p. 304).
Dans leur intervention, l'auteur et ses compagnons sont plus que des
représentants de la structure universitaire qui les porte; ils sont aussi des représentants
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sociologie. Nous retrouvons ici ce même souci avec l'idée explicite que le
sociologue est le prophète et que la sociologie constitue la science des nouvelles
formes d'action sociale (T. 1, p. 192). Mais comment peut-on se déclarer
prophète et simultanément prétendre construire un ensemble scientifique ? N'y a-t-il
pas là une idée scientiste ? Il avance surtout que « les mouvements sociaux ne
pourront pas exister sans élaborer leur conscience de soi à l'aide des analyses de
la sociologie, de la même manière que dans le passé, penseurs politiques ou
théoriciens de l'économie ont fourni aux mouvements sociaux de leur temps la
théorie de la société dont ceux-ci avaient besoin » (T. 2, p. 373). La question de
la sociologie permanente ou interminable se pose donc à un triple point de vue :
méthodologique, théorique et politique, car elle rejoint le problème de la validité
scientifique et de l'utilité sociale de la discipline sociologique.
L'étude réalisée par A. Touraine, quels qu'en soient les aspects discutables,
nous semble stimulante car elle inaugure un travail prometteur concernant les
relations entre l'action et l'analyse, sans commune mesure avec la sociologie
dogmatique ou la sociologie pour managers. Elle pose aussi le problème de
l'appropriation des connaissances pour les acteurs sociaux. Ainsi, il est une
autre lecture de ces deux ouvrages qui nous amène à dire que ces deux groupes
d'étudiants se sont appropriés un type de connaissance non seulement en
apprenant les produits sociologiques de la part du professeur Tourraine, mais
surtout en étant des acteurs. Ils étaient placés dans des situations conflictuelles et
descolarisées. En quelques années de condition étudiante, ces acteurs n'auront
jamais autant agi, écouté, lu, discuté que durant ces quelques semaines de
conflit et durant les phases de l'intervention. Ils ont acquis une forme de
sociologie en produisant ses matériaux et ce, en dehors de l'institution
spécialisée. De ce point de vue, on peut dire que l'intervention est une action de
formation.
Enfin, il faudrait s'interroger sur le mode d'utilisation des théories de
référence de Touraine. On ne contestera pas à l'auteur le droit de s'intéresser aux
mouvements sociaux comme problème sociologique, ni d'en proposer un
nouveau cadre interprétatif. Nous n'engageons le débat qu'à partir du moment où le
modèle global des mouvements sociaux et de l'intervention sociologique est posé
comme le modèle privilégié, sinon unique, d'interprétation des dynamismes
sociaux. Faut-il abandonner les paradigmes classiques, durkheimien, parsonien,
structuraliste, marxiste et autres, pour adopter le paradigme tourainien ? Est-il
nécesssaire à Touraine de produire une sociologie antiparsonienne pour
construire un modèle qui fonctionne de façon identique au modèle critiqué ? Même
si notre auteur et son groupe se sont efforcés de sortir la sociologie de son cadre
institutionnel et d'être didactiques dans ces deux ouvrages, nous avons retrouvé
des formulations, des rythmes d'expression parfois incantatoires, à la limite de la
remontrance ou du sermon. Est-ce l'assurance du sociologue qui veut
convaincre son lecteur ou est-ce la peur de celui qui est inquiet de ne pas être compris ?
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Institut de psychologie
et de sciences sociales appliquées,
U.C.O., Angers
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