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Reynaud Emmanuèle. Olson Mancur, Logique de l'action collective.. In: Revue française de sociologie, 1980, 21-3. pp. 451-
454;
https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1980_num_21_3_5030
Jacques LAUTMAN
Université René Descartes, Paris
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Revue française de sociologie
la société (1). Dans cette perspective, il représente un pas théorique fondamental puisqu'il
tente de construire une démarche qui échapperait à deux impasses : généraliser en
attribuant abusivement aux comportements collectifs les caractéristiques des
comportements individuels (tels que l'évoquent par exemple les termes « conscience collective »,
« intérêts de groupe ») ou établir un court-circuit idéaliste et déduire, de l'existence d'un
intérêt commun à plusieurs personnes ou groupes, la réalisation automatique de leur
regroupement et la conduite d'une action collective conforme à ces intérêts.
En effet, la thèse principale et la plus frappante de M. Oison s'énonce sous la forme
(simplifiée) du paradoxe suivant : dans pratiquement tous les cas, des individus ou des
groupes qui auraient intérêt à s'associer pour obtenir un bien qui leur serait profitable à
tous ne le feront pas. Et ceci n'a rien à voir avec les caractéristiques des membres
potentiels de l'association ni avec la nature du bien à obtenir mais avec une
caractéristique structurelle : le fait qu'un bien collectif est un bien dont le bénéfice n'est pas
restreint aux personnes qui se sont organisées pour l'obtenir. Une augmentation de
salaire n'est pas réservée aux seuls membres du syndicat qui est à l'origine de son
attribution (pas plus que les avantages d'une convention collective), la diminution d'un
taux d'imposition n'est pas consentie aux seuls participants d'un groupe de pression qui
l'exigent mais aussi à tous ceux dont la situation est comparable. De ce fait, on
comprend aisément que, du point de vue d'un acteur économiquement rationnel, il y ait
tout intérêt à ne pas supporter le coût que représente, pour chacun isolément, l'entrée
dans un groupe, sa constitution, la charge de son fonctionnement.
Cette constatation de fond, dont ne figure ici que le squelette, ne vaut bien sûr pas
comme constat de blocage mais par ce qu'il explique de certaines difficultés, parfois
paradoxales elles aussi, de l'action collective, et des solutions possibles pour remédier
aux conséquences de ces déductions logiques.
Ces conséquences sont multiples et l'auteur les envisage minutieusement dans des
domaines divers; je ne fais ici que les énumérer : rapports des groupes entre eux selon
leurs dimensions et leurs caractéristiques, cas particuliers des syndicats, des groupes de
pression, dynamique de classe et théorie de l'Etat... avec notamment une critique
inattendue des théories marxistes (2). Un des grands intérêts de l'ouvrage est précisément
dans la diversité des applications du constat initial et dans le nombre de configurations
sociales et d'interrogations théoriques qui en reçoivent un éclairage inattendu (le rôle
déterminant des « petites élites de conspirateurs » au sein des mouvements de masse ;
l'apparition fréquente d'« entrepreneurs » comme résolution des conflits internes aux
grandes organisations; la difficulté de changement dans la direction de ces mêmes
organisations) et un bon nombre d'à-peu-près psychologisants souvent utilisés (« apathie
des masses », « degré de conscience de l'avant-garde »...) se trouvent ainsi privés de tout
fondement.
De la tension entre sa thèse de l'improbabilité d'une action collective et le constat de
l'existence, dans la réalité sociale, de formes diverses d'action collective, l'auteur tire
quelques conclusions éclairantes. Si l'intérêt individuel ne conduit pas nécessairement à
l'action collective, les formes d'action collective existantes ne sont pas expliquées
lorsqu'on détecte les « intérêts » qui animeraient (plus ou moins explicitement) leurs
(1) II est précédé d'une préface de (2) Grossièrement résumé, c'est précisément
R. Boudon qui reprend la thèse centrale de l'ou- parce que la bourgeoisie est décrite comme « at-
vrage dans son propre livre, paru dans la même tachée exclusivement à ses intérêts » que ses
collection : Effets pervers et ordre social, pp. 38- membres ne pourront pas s'unir, c'est-à-dire
46. mettre les intérêts communs au-dessus de ceux
de chacun d'entre eux.
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Bibliographie
(3) Ce sur quoi insiste au contraire (4) Une condition reste toutefois incontour-
R. Boudon qui introduit, dans l'exposé qu'il fait nable pour que le raisonnement d'Oison s'ap-
de l'ouvrage de M. Oison, une contrainte qui ne plique sous sa forme pure : que les « décisions »,
s'impose pas nécessairement : celle de supposer les choix de l'acteur soient indépendants. C'est
que... « il y a avantage à essayer d'expliquer les bien pour cela que le cas des petits groupes est
comportements des individus en société en sup- particulier, les « pressions sociales », sous formes
posant qu'ils cherchent essentiellement à servir diverses (reproches, compliments, menace ou
de manière satisfaisante leur propre intérêt ». Ef- crainte d'être mis au ban du groupe...) interve-
fets pervers... p. 41. nant de manière au moins aussi déterminante
que d'autres variables « rationnelles ».
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Les références qu'il utilise à cet effet, les théories qu'il critique sont de nature très
différente puisqu'elles vont de Marx à Parsons. Les critiques portent d'autant plus
qu'elles s'adressent à l'inspiration de fond, au ressort de ces théories globales. Les
exemples plus précis cités au cours du texte portent parfois la marque de la date de
première parution en anglais de l'ouvrage (1965) et on peut regretter que l'auteur n'ait
pas songé, pour la version française à proposer des illustrations plus récentes. La préface
de R. Boudon donne heureusement des exemples convaincants, même s'ils sont résumés,
de la fécondité de cette approche pour une sociologie de l'action collective en dégageant
la manière dont peuvent jouer des facteurs proprement sociaux comme réduction ou
stimulation des tendances probables de groupes latents telles que les détermine M. Oison.
Emmanuele REYNAUD
Centre d'études sociologiques, G.S.C.I., Paris
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