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Revue française de sociologie

Olson Mancur, Logique de l'action collective.


Emmanuèle Reynaud

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Reynaud Emmanuèle. Olson Mancur, Logique de l'action collective.. In: Revue française de sociologie, 1980, 21-3. pp. 451-
454;

https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1980_num_21_3_5030

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Bibliographie
Troisièmement, comment traiter les actions non logiques, le domaine de la croyance,
le problème de l'action de masse, des retournements subits de l'opinion, du changement
brutal ? L'individualisme méthodologique n'y est pas totalement impuissant, des pistes
d'analyse nous sont données dans le livre : ce ne sont pas les plus riches. Quand les
motifs de l'action sont le sens de l'honneur, la conception du beau, la conviction de la
foi, est-il possible de présenter une analyse sociologique ? Je le crois. - qui ne soit pas
réductrice à l'excès ? Je le souhaite. - qui donne sens aux engagements individuels ?
Idéalement oui. - qui parte d'eux ? Je n'en suis pas sûr. N'y-a-t-il pas des types de
situation où la dynamique culturelle, plus encore que celle du politique prend comme
une autonomie de mouvement par rapport aux membres de la société et où tout calcul
est aboli ?
Une dernière interrogation touche à l'ambition du projet. S'agit-il vraiment de
l'ensemble de la sociologie, comme donneraient à le penser les pages qui tentent
d'unifier la diversité des démarches des sociologues, mais que ne disent rien des
institutions au sens du terme durkheimien. Excessive et réductrice certainement est la
conception d'une certaine sociologie qui veut que le social soit en nous sans nous, que
les rapports de production ou les sujets historiques développent leur efficace dans un
intermonde pour imposer des destins aux sociétés et à leurs membres. Sans s'en donner
l'apparence irrémédiablement anecdotique, le livre de Boudon est un livre polémique et
il n'échappe peut être pas totalement à certaines limites du genre. L'homogamie peut être
interprétée selon un calcul individualiste et rationnel. N'est-elle pas aussi, comme nous
dit Alain Girard, le produit de règles non écrites qui veulent que les rencontres
matrimoniales ne se fassent ni n'importe où, ni n'importe comment ? Sur ce cas, je ne
suis pas sûr que l'hypothèse plus lourde, certes, soit inutilement coûteuse.
Sociologie de droite disent certains. La qualification n'a guère de signification, hormis
d'exprimer l'allergie à la considération de l'individu, ou la volonté forte de traiter du
social comme si les sociétés et l'histoire n'étaient le fait des hommes et de leurs choix : il
y a un sens politique et qui n'est pas innocent à dire de droite une démarche qui entend
traiter des individus comme d'adultes responsables et respectables. Faudrait-il penser que
même chez les sociologues le respect de l'individu est plutôt à droite qu'à gauche ? La
méthode produit des connaissances tout autant utiles à des projets politiques de gauche
que de droite ; en revanche il serait probablement exact de dire qu'elle est plus puissante
pour expliquer des situations d'ordre que de mouvement. En quoi elle convient
davantage au traitement des problèmes des sociétés libérales par temps calme, ou des
totalitarismes dans leurs phases conservatrices, qu'à ceux des orages désirés.

Jacques LAUTMAN
Université René Descartes, Paris

OLSON (Mancur). - Logique de l'action collective. Préface de Raymond


Boudon. Traduit de l'américain par Mario Levi, Paris.Presses Universitaires de
France, 1978, 200 p. (Sociologies).
L'ouvrage de Mancur Oison s'inscrit dans une lignée théorique qui a pris ces toutes
dernières années un essor particulier, en tentant de rendre compte de l'articulation
effective - dans la réalité - des choix individuels et des évolutions sociales, des
interventions des personnes, des groupes et de leurs résultats à l'échelle de l'ensemble de

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la société (1). Dans cette perspective, il représente un pas théorique fondamental puisqu'il
tente de construire une démarche qui échapperait à deux impasses : généraliser en
attribuant abusivement aux comportements collectifs les caractéristiques des
comportements individuels (tels que l'évoquent par exemple les termes « conscience collective »,
« intérêts de groupe ») ou établir un court-circuit idéaliste et déduire, de l'existence d'un
intérêt commun à plusieurs personnes ou groupes, la réalisation automatique de leur
regroupement et la conduite d'une action collective conforme à ces intérêts.
En effet, la thèse principale et la plus frappante de M. Oison s'énonce sous la forme
(simplifiée) du paradoxe suivant : dans pratiquement tous les cas, des individus ou des
groupes qui auraient intérêt à s'associer pour obtenir un bien qui leur serait profitable à
tous ne le feront pas. Et ceci n'a rien à voir avec les caractéristiques des membres
potentiels de l'association ni avec la nature du bien à obtenir mais avec une
caractéristique structurelle : le fait qu'un bien collectif est un bien dont le bénéfice n'est pas
restreint aux personnes qui se sont organisées pour l'obtenir. Une augmentation de
salaire n'est pas réservée aux seuls membres du syndicat qui est à l'origine de son
attribution (pas plus que les avantages d'une convention collective), la diminution d'un
taux d'imposition n'est pas consentie aux seuls participants d'un groupe de pression qui
l'exigent mais aussi à tous ceux dont la situation est comparable. De ce fait, on
comprend aisément que, du point de vue d'un acteur économiquement rationnel, il y ait
tout intérêt à ne pas supporter le coût que représente, pour chacun isolément, l'entrée
dans un groupe, sa constitution, la charge de son fonctionnement.
Cette constatation de fond, dont ne figure ici que le squelette, ne vaut bien sûr pas
comme constat de blocage mais par ce qu'il explique de certaines difficultés, parfois
paradoxales elles aussi, de l'action collective, et des solutions possibles pour remédier
aux conséquences de ces déductions logiques.
Ces conséquences sont multiples et l'auteur les envisage minutieusement dans des
domaines divers; je ne fais ici que les énumérer : rapports des groupes entre eux selon
leurs dimensions et leurs caractéristiques, cas particuliers des syndicats, des groupes de
pression, dynamique de classe et théorie de l'Etat... avec notamment une critique
inattendue des théories marxistes (2). Un des grands intérêts de l'ouvrage est précisément
dans la diversité des applications du constat initial et dans le nombre de configurations
sociales et d'interrogations théoriques qui en reçoivent un éclairage inattendu (le rôle
déterminant des « petites élites de conspirateurs » au sein des mouvements de masse ;
l'apparition fréquente d'« entrepreneurs » comme résolution des conflits internes aux
grandes organisations; la difficulté de changement dans la direction de ces mêmes
organisations) et un bon nombre d'à-peu-près psychologisants souvent utilisés (« apathie
des masses », « degré de conscience de l'avant-garde »...) se trouvent ainsi privés de tout
fondement.
De la tension entre sa thèse de l'improbabilité d'une action collective et le constat de
l'existence, dans la réalité sociale, de formes diverses d'action collective, l'auteur tire
quelques conclusions éclairantes. Si l'intérêt individuel ne conduit pas nécessairement à
l'action collective, les formes d'action collective existantes ne sont pas expliquées
lorsqu'on détecte les « intérêts » qui animeraient (plus ou moins explicitement) leurs

(1) II est précédé d'une préface de (2) Grossièrement résumé, c'est précisément
R. Boudon qui reprend la thèse centrale de l'ou- parce que la bourgeoisie est décrite comme « at-
vrage dans son propre livre, paru dans la même tachée exclusivement à ses intérêts » que ses
collection : Effets pervers et ordre social, pp. 38- membres ne pourront pas s'unir, c'est-à-dire
46. mettre les intérêts communs au-dessus de ceux
de chacun d'entre eux.

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participants ; il y faut aussi d'autres causes originelles, d'autres régularités de


fonctionnement, d'autres contraintes et d'autres stimulants pour assurer leur existence. Ainsi, dans
la constitution d'un groupe, dans la conduite d'actions collectives interviennent des
facteurs divers dont il est alors fondamental et possible d'évaluer le poids.
• la simple contrainte : c'est elle qui assure le paiement des impôts, le fait que
chacun a intérêt à ce que l'Etat puisse financer un certain nombre de biens publics
n'ayant jamais provoqué un afflux spontané de contributions librement consenties
(p. 34); c'est la politique d'affiliation syndicale obligatoire et de restriction de l'accès au
marché du travail aux seuls syndiqués qui explique la puissance de certaines branches
syndicales aux Etats-Unis (p. 91);
• la fourniture, en même temps que ces biens collectifs dont, par définition, nul ne
peut être exclu, de biens individuels liés à la participation personnelle au groupe : aide à
trouver un emploi, protection contre des brimades (p. 97);
• les facteurs « non rationnels », c'est-à-dire pour lesquels les évaluations se font de
manière plus complexe.
L'auteur ne fait qu'évoquer ces derniers sans les analyser en détail mais un des
résultats de ses développements antérieurs est - paradoxalement là encore - de leur
redonner une place primordiale et non pas une fonction d'accompagnement idéologique,
de « surplus ». La notion de « rationnel », « comportement rationnel », y reçoit même un
sens plus large que ce à quoi les raisonnements économiques nous ont habitués puisqu'il
ne se réduit pas à un comportement « égoïste » de maximisation des bénéfices (3). En
effet, l'auteur applique son raisonnement - comme cas extrême et avec un certain
humour - à l'exemple d'un agriculteur qui serait décidé à « placer les intérêts des autres
agriculteurs au-dessus des siens » (p. 87), c'est-à-dire en d'autres termes à un
comportement volontairement « altruiste ». Cet agriculteur est convaincu que, pour que chacun
reçoive le meilleur prix de sa récolte, le volume total de la production doit être réduit;
chaque agriculteur devrait donc - logiquement - réduire sa propre production ce qu'il
ne fait évidemment pas s'il est préoccupé de son intérêt. Mais s'il le place après le « bien
commun » ?
M. Oison montre que, même dans ce cas particulier, le comportement « rationnel »
consistera à fixer le même niveau de production que les autres agriculteurs, la rationalité
conduisant à ne pas faire un « sacrifice (qui) n'amènerait un bénéfice notable pour
personne », puisque les agriculteurs constituent un « groupe latent », mais à « chercher à
exercer une influence sensible sur d'autres gens ». Ce qui nous renvoie alors aux
problèmes de constitution des petits groupes...
On est donc bien loin des stricts calculs d'intérêt, loin de la « rationalité économique »
comme seul ressort des activités organisées (4) et loin de l'analyse des « mentalités ». Les
prolongements de cette approche apparaissent déjà multiples.
L'auteur en est parfaitement conscient puisqu'il pense que l'utilisation des méthodes
de raisonnement issues de l'économie apporteront beaucoup aux sciences sociales.

(3) Ce sur quoi insiste au contraire (4) Une condition reste toutefois incontour-
R. Boudon qui introduit, dans l'exposé qu'il fait nable pour que le raisonnement d'Oison s'ap-
de l'ouvrage de M. Oison, une contrainte qui ne plique sous sa forme pure : que les « décisions »,
s'impose pas nécessairement : celle de supposer les choix de l'acteur soient indépendants. C'est
que... « il y a avantage à essayer d'expliquer les bien pour cela que le cas des petits groupes est
comportements des individus en société en sup- particulier, les « pressions sociales », sous formes
posant qu'ils cherchent essentiellement à servir diverses (reproches, compliments, menace ou
de manière satisfaisante leur propre intérêt ». Ef- crainte d'être mis au ban du groupe...) interve-
fets pervers... p. 41. nant de manière au moins aussi déterminante
que d'autres variables « rationnelles ».

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Les références qu'il utilise à cet effet, les théories qu'il critique sont de nature très
différente puisqu'elles vont de Marx à Parsons. Les critiques portent d'autant plus
qu'elles s'adressent à l'inspiration de fond, au ressort de ces théories globales. Les
exemples plus précis cités au cours du texte portent parfois la marque de la date de
première parution en anglais de l'ouvrage (1965) et on peut regretter que l'auteur n'ait
pas songé, pour la version française à proposer des illustrations plus récentes. La préface
de R. Boudon donne heureusement des exemples convaincants, même s'ils sont résumés,
de la fécondité de cette approche pour une sociologie de l'action collective en dégageant
la manière dont peuvent jouer des facteurs proprement sociaux comme réduction ou
stimulation des tendances probables de groupes latents telles que les détermine M. Oison.

Emmanuele REYNAUD
Centre d'études sociologiques, G.S.C.I., Paris

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