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Editions Esprit

Penser lé politique contre la domination (Sur quelques travaux de Lefort et Gauchet)


Author(s): Olivier Mongin
Source: Esprit, Nouvelle série, No. 450 (10) (OCTOBRE 1975), pp. 511-516
Published by: Editions Esprit
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/24264648
Accessed: 16-03-2017 10:27 UTC

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Penser lé politique contre
la domination
(Sur quelques travaux de Lefort et Gauchet)

Castoriadis 1 et de la revue Socialisme ou barbarie, le travail


Conduit parallèlement
de Claude et à lalesuite
Lefort vise à circonscrire de celui
champ d'une philo de Cornélius
sophie politique. La question posée est celle, double, du social
et du politique. Le politique n'est pas ce que désigne le terme
galvaudé que nous connaissons, mais « lutte pour la transformation
du rapport de la société à ses institutions 2 ». D'autre part, le social
n'étant pas susceptible d'une approche positive, soit qu'on le
conçoive comme adjonction de séries d'individualités, soit qu'il
diffère en tant qu'ensemble des éléments qu'il représente, la
pensée du social devient vite aporétique. Comment donc peut-on
saisir le politique et le social, et saisir leur rapport? Tel est
l'enjeu des travaux que Lefort et Gauchet publient dans la revue
Textures, revue marginale, silencieuse, rigoureuse, revue où ils
voisinent avec d'autres études fort riches, celles de Marc Richir
surtout, qui se situent dans une lignée merleau-pontienne.
Le discours positif n'est pas tant soupçonné qu'écarté du fait
de son innocence feinte par rapport à une véritable pensée de la
société. Qui désire penser le social doit en reconnaître la divi
sion ; la société ne peut prétendre au statut d'objet, la société se
joue dans ses divisions, « non pas que sa divisiion soit une pro
priété entre autres de la société, mais qu'elle ne se donne en
tant que telle que dans et par sa division. Il n'y a pas d'abord la
société, et ensuite division dans la société. La division n'advient
pas au sein d'un espace social déjà donné. C'est l'espace social
qui advient au travers même de ses divisions3 ». Penser la société

1. Nous reviendrons sur l'œuvre de Castoriadis après la parution de


son prochain livre : L'imaginaire social (Ed. du Seuil).
2. Castoriadis : La société bureaucratique, I, p. 54 (U.G.E. 10/18).
3. Marcel Gauchet : « Politique et société : la leçon des sauvages »,
Textures n° 10/11, 1975, p. 78.

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comme division, c'est (


ou barbarie) tirer un ense
du xx" siècle, c'est accepter de conclure que les sociétés non
divisées sont des sociétés totalitaires, le fascisme et le nazisme
d'une part, le communisme d'autre part jouant comme variantes
d'un même modèle4.
On voit comment se joue la question de la représentation. La
représentation d'une société, c'est son auto-réflexion, la modalité
de sa division originaire5. Cette possibilité d'une représentation
de la société est pensée par Lefort et Gauchet à partir d'un jeu
de concepts dont la résonance lacanienne ne devrait pas tout sus
pendre : il s'agit de la triangulation imaginaire-symbolique-réel;
« l'identité sociale menace de se perdre avec la tentative pour
l'achever ; l'espace social menace de s'évanouir avec la tentative
pour l'enclore : identité et unicité du champ social sont des
dimensions symboliques qui ne sauraient prendre la consistance
du réel 6. » En rapport à cette possibilité de la représentation, la
société n'étant possible qu'en regard de sa division, il n'est pas
qu'une forme de société, il n'est pas qu'un type de division; c'est
alors qu'intervient le concept de décision, concept qui pourra
étonner' : « Dans la définition de son fonctionnement qu'opère
et ne cesse d'opérer une société, et par delà ce qu'en savent
et ce qu'en disent ses membres, il faut reconnaître un certain choix,
un acte qui au plus profond l'engage vers l'être 8. »
Au fil des textes, deux décisions sont circonscrites, celle qui
fonde la société dite sans histoire et celle qui fonde les sociétés
historiques.
Où se jouent les divisions qui rythment le flux des sociétés
sans histoire ? Les divisions se traduiront selon deux formes.
Reprenant les admirables études d'anthropologie politique de
Pierre Clastres9, Marcel Gauchet montre que le pouvoir du
chef est signe de son impuissance, que le sens de la société est

4. Dans son article consacré à « La genèse de l'idéologie dans les


sociétés modernes », Claude Lefort écrit que les différences de régime « à
d'autres égards hautement significatives », ne le sont pas dans ce cas (Tex
tures, n° 8/9, 1974, p. 34).
5. Sur la question difficile de la division originaire qui nécessiterait l'étude
du rapport à Husserl et à Merleau-Ponty, cf. Textures, n" 2/3, 1971,
pp. 11 à 14.
6. « Du politique. Sur la démocratie : le politique et l'institution du
social », Textures, n° 2/3, 1971, p. 16.
7. Qu'est-ce que la décision d'une société? Mais il n'est plus question
alors de penser la société sur un mode objectif, positif, La logique de la
connaissance n'est plus la même.
8. Marcel Gauchet : « La logique du politique », Critique, n* 329,
oct. 74, p. 923.
9. Pierre Clastres : La société contre l'Etat (Ed. de Minuit).

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CHRONIQUES 513
marqué ailleurs, « le pouv
taire ». Ce n'est donc pas
jouer la division comme da
au discours de la tradition
reportant en effet absolume
de l'activité des hommes dans sa conformité aux règles, aux
coutumes, aux usages établis, la société affirme l'impossibilité pour
tout agent social de prétendre à une extériorité l'autorisant à
savoir et à édicter pour l'ensemble des hommes ce qu'ils doivent
faire et pourquoi ils doivent le faire10. » Le temps sacré, disjoint
du présent social, est lieu inatteignable du sens, la division est
radicale ; personne n'est en droit d'occuper la place du sens,
il n'y a pas de légitimité d'ici-bas.
A cette division du dehors répond une division du dedans ;
c'est le jeu des prestations et contre-prestations, des dons et
contre-dons, « la réciprocité dans l'échange ». « Ce n'est rien
d'autre que cette reprise de la division intérieure destinée à
en conjurer le déploiement effectif en antagonisme radical des
agents sociaux qu'il s'agit de reconnaître au principe du système
d'obligations imposant de donner, de recevoir et de rendre11. »
S'inspirant des travaux de Mauss et Sahlins (on pourrait ajouter
d'ailleurs les études de Bourdieu sur la Kabylie), Gauchet voit
dans l'obligation de réciprocité à la fois une différence, une
séparation de soi avec l'autre et un rapport à l'autre, un lien
toujours reconduit. Ces analyses très subtiles abordent beaucoup
d'autres aspects, certaines des lignes les plus intéressantes s'inter
rogent sur le sens de la non-historicité12.
Voyons maintenant ce qu'il en est des divisions rendant possible
l'institution du social historique. Jouant de la formule, Clastres
a pu écrire que la naissance de l'Etat était contemporaine de
la lutte des classes et de l'autonomie du politique, « car non seu
lement ce mode de lecture des sociétés dans leur autre, ce système
de renvoi dans Tailleurs du foyer de tout sens ne disparaît pas
avec l'émergence de l'Etat, mais encore est-il annexé par l'Etat
sitôt qu'il naît et lui fournit-il les assises de sa légitimité18. »
Le politique prend la figure de l'autre, l'instance du pouvoir
devient lieu d'émergence du social ; la naissance de l'Etat, nais
sance toujours différée dans la société primitive du fait de sa
Décision, dessine un autre type de divisions, à l'origine duquel
se trouve le politique en tant qu'instance du pouvoir.

10. Marcel Gauchet : « Politique et société : la leçon des sauvages »,


op. cit., p. 69.
11. Id., pp. 81-82.
12. « Du politique », op. cit., p. 30.
13. « Politique et société », op. cit., p. 74.

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C'est à ce moment qu'inte
et de Machiavel et des mu
crées ; le mouvement de l
du discours politique en t
qui marque d'abord la di
l'extériorité du pouvoir, un
du social qu'en modulant
se couper complètement
la bonne position, au bon
litaire ; il ne peut non plu
chant alors et l'institution
cation. « Est introduite d
la dimension d'une extér
s'assurer de son identité. Au travers du lieu du Prince est visé
ce lieu virtuel depuis lequel la communauté pourrait être ras
semblée dans une parfaite cohésion, depuis lequel le collectif
serait absolument dégagé du particulier16 », mais il est impos
sible que le Prince occupe pleinement cette position hors société,
il ne peut que la viser au risque de s'identifier à cet Autre
et de décider pour la société. Finalement, et c'est peut-être la
difficulté de cette pensée, l'institution du social ne se joue pas
en fonction de positions clôturées, mais en fonction de seuils
toujours changeants. Ce qui fonde la position du pouvoir, c'est
justement un terme qui ne peut être atteint, car ce serait la
fin du politique. Le prince se heurte donc à une logique de la
position du pouvoir, « logique qui lui interdit une pleine adhésion
à soi ». Le social s'apparaît donc bien « au travers de sa divi
sion » ; ce qui le rend possible, c'est l'enjeu du politique. Dès
lors, la question de l'institution du social n'est pas étrangère à
l'évaluation du pouvoir politique.
Il faut insister sur la force de cette réflexion ; ce qu'une
science politique, si positive soit-elle, n'est pas susceptible d'appro
cher, une philosophie politique peut en esquisser le mouvement,
un mouvement dont le registre n'est pas le concept, un mou
vement qui n'est pas susceptible d'une représentation clôturée
puisque, justement, c'est dans le politique que se joue la possi
bilité même de la représentation du social, représentation qui
ne peut être totalisante.
On n'hésitera pas à dire que ces travaux répondent — dans

14. Claude Lefort : « Le travail de l'œuvre Machiavel (Gallimard). Sur


Machiavel, cf. également Max Horkheimer : Les débuts de la philosophie
bourgeoise de l'histoire (Payot), pp. 13 à 47; M. Merleau-Ponty : « Note
sur Machiavel », in Signes, pp. 267 à 283.
15. « La logique du politique », op. cit., pp. 914-915.

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CHRONIQUES 515

le sens où ils permetten


tions sur lesquelles se con
politique : on voit mieu
pouvoir isolé, circonscr
tique affranchi de toute
nomes où chacun peut se
totalitaire où le pouvoi
l'institution du social. D
Jean-Pierre Cot et Jean-Pierre Mounier se tiennent à distance
de toute philosophie politique, de toute question sur le fondement
du politique dans une société historiqueia.
Mais une autre division secoue l'institution du social quand
elle s'effectue dans l'histoire, c'est l'opposition des groupes sociaux,
les conflits de classes ; dès lors, les deux divisions modulant les
sociétés historiques sont covariantes, « division du pouvoir et de
la société, et division de classe s'avérant aussi dimensions soli
daires, en même temps que dimensions dont chacune ne se déploie
que dans une exclusion de l'autre, qu'à partir d'une visée de la
résorption de l'autre qui la ferait dimension unique du rapport
de la société17 »,
Il faudrait poursuivre la réflexion de Lefort-Gauchet par leur
évaluation du jeu démocratique, c'est-à-dire la reconnaissance des
divisions propres à la société démocratique18 ; il faudrait égale
ment porter le débat sur le terrain de l'idéologie avec Lefortig.
On se demandera finalement si la perte de sens dont est
victime le travail politique, conçu ici comme représentation
jamais accomplie, toujours différée, n'est pas liée à toute une
mythologie de la société réconciliée, pleine et unitaire20.
Nous avons seulement voulu édifier quelques promontoires
permettant d'apercevoir une pensée souvent ardue, à l'écriture
sinueuse, cela en vue d'une lecture possible.
Pourtant, des questions surgissent, comme toujours! Grâce au
Machiavel de Claude Lefort, à Textures, nous pouvons comprendre
qu'une pratique politique se réclame de plus en plus d'un travail

16. Pierre Birnbaum : La fin du politique (Seuil); J.-P. Cot et J.-P. Mou
nier : Pour une sociologie politique, 2 vol. (Seuil).
17. « La logique du politique », op. cit., p. 920.
18. « Du politique », op. cit., pp. 52-78.
19. Claude Lefort : « Esquisse d'une genèse de l'idéologie dans les
sociétés modernes », Textures, n° 8/9, 1974.
20. Cf. la passionnante introduction de Marc Richir aux Considérations
sur la Révolution française de Fichte, véritable archéologie du discours
révolutionnaire. C'est l'occasion de signaler la très riche collection « Critique
du politique » publiée chez Payot, dirigée par Miguel Abensour. A côté
de nombreux textes de l'Ecole de Francfort, sont parus ou paraîtront des
textes de Nieuwenhuis, La Boétie, Linguet, Fichte...

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théorique, à tel point qu


terrain de la philosophi
d'une pensée de la soc
pouvoir n'être que philo
moins de savoir commen
aujourd'hui dans le doma
quelle politique cette p
que l'évaluation de la s
nous retenons la formulation de Castoriadis : « Nous nous
trouvons dans la situation paradoxale d'entrevoir de mieux en
mieux — ou du moins de le croire — ce qu'implique une
transformation social-historique radicale, et de moins en moins
qui peut l'accomplir22. » Faut-il se risquer par exemple aux
malentendus de l'Ecole de Francfort, dont ils se rapprochent
dans leur désir commun de repenser le politique, la société,
pour s'affronter au phénomène du xx* siècle, celui de l'Etat, de
la domination 23 ?
Il était temps de quitter le théâtre de la politique, le champ
restreint de la science politique, pour repenser le politique dans
nos sociétés, pour fonder l'instance du politique en tant qu'elle
permet l'institution de ce que nous appelons, avant même de
l'effectuer, le social. Penser le politique, contre la domination

Olivier Mongin.

21. « La logique du politique », p. 926. Le philosophique, c'est alors


le retournement critique, mouvement instituant qui préserve tout discours
du risque de l'univocité, l'idéologie se manifestant alors comme redou
blement du philosophique. Claude Lefort est d'ailleurs l'auteur de l'article
« Critique de la sociologie » de l'Encyclopedia Universalis.
22. Castoriadis : L'expérience du mouvement ouvrier, t. I, p. 114
(U.G.E., 10/18).
23. De plus, une fois reconnue la division d'une société, ne s'agit-il pas
de prolonger ce travail afin que viennent se réfléchir d'autres différences,
des lieux critiques, des seuils d'intervention?
24. Il faudra prolonger cette présentation quelque peu générale par des
approches plus précises de la question de l'idéologie et de celle de la démo
cratie.

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