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Paternalisme et contestation
In: Communications, 12, 1968. pp. 66-83.
Moreau de Bellaing Louis. Paternalisme et contestation. In: Communications, 12, 1968. pp. 66-83.
doi : 10.3406/comm.1968.1173
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1968_num_12_1_1173
Louis Moreau de Bellaing
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Paternalisme et contestation
1. Sur ce point nous sommes en désaccord avec les conclusions de J.Freund (dans
L'Essence du politique, Éd. Sirey, 1965) qui fait de l'incohérence l'une des caractéris
tiques de l'idéologie.
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I. LA REPRÉSENTATION SOCIALE
DU PATERNALISME POLITIQUE
Nous pouvons dégager les conclusions suivantes d'une étude portant sur ce
problème x :
1. Il y a une idéologie paternaliste inhérente à l'idéologie politique du système
culturel français en 1968. Dans l'ordre politique, nous, citoyens français de 1968,
sommes paternalistes, que nous le voulions ou non 2.
L'idéologie paternaliste se définit comme la représentation sociale du pater
nalisme politique. Mais elle ne peut être désignée comme idéologie paternaliste
que parce qu'elle s'articule à un système mythique. Ce système comporte trois
figures : Dieu, roi et père.
2. La représentation sociale du paternalisme politique s'organise en deux sous-
systèmes :
a) Le système paternaliste de représentationsfconstitué par une structure et une
représentation sociale paternalistes en complémentarité l'une avec l'autre. Cette
complémentarité est caractérisée par trois relations : le pouvoir et lea pouvoirs
de fait, le pouvoir et l'absence de pouvoir, la coupure État-citoyens. Dans la
structure paternaliste apparaissent, d'une part le rapport personne-société, d'au
tre part le rapport dominant-dominé, troisièmement le rapport protecteur-
protégé, enfin le rapport responsable-irresponsable. La représentation sociale
paternaliste s'organise, comme le montre le tableau suivant, par l'articulation
de niveaux et de processus en un sous-système cohérent.
b) Le système paternaliste de valeurs, constitué par un ensemble de processus :
transcendance par valorisation, moindre valorisation, dévalorisation, spatia-
lisation par centralisation, personnification, substantification, temporalisation,
transformation des valeurs dans le système paternaliste de représentations. Cet
ensemble de processus s'articule d'une part à un système normatif, d'autre part
au système mythique.
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Sous l'Ancien Régime, le système mythique était caractérisé par les trois
personnages : Dieu, roi et père. Ces figures réelles ou mythiques de la représen
tationsociale paternaliste la surplombaient, mais s'intercalaient aussi comme
médiatrices dans son double niveau constitutif. Au xxe siècle, elles ont quasiment
disparu. A leur place il n'y a plus rien, sinon la même représentation sociale fondée
sur les valeurs dont elles étaient le symbole.
3. L'idéologie paternaliste inhérente à l'idéologie politique collective des Franç
aisde 1968 ne se confond pas avec la représentation sociale de l'autorité poli
tique, ni avec celle de l'autorité dans le rapport privé-public. Il ne s'agit pas d'un
autre système, mais il peut s'agir d'un système différent ou d'un système non-
constitutif de ces représentations sociales de l'autorité.
a) Dans le temps, la représentation sociale du paternalisme politique ne se
distingue de l'idéologie étatique de la société pré-industrielle (xvme siècle) que
par des transformations à Vintérieur du système. Mais le système lui-même, s'il
a été radicalement contesté par Marx et les anarchistes, n'a jamais été radica
lement remis en question. En revanche, la représentation sociale de l'autorité
dans la société industrielle n'est pas l'idéologie étatique de la société pré-indust
rielle. Elle est une transformation de l'ancienne idéologie étatique, non plus à
l'intérieur du système, mais par des éléments (l'égalité, le développement, la
rationalité, l'efficacité par exemple) extérieurs à l'ancien système.
b) Dans l'espace, la représentation sociale du paternalisme politique se rap
porte à la culture ou sub-culture (au sens des anthropologues américains) propre
à la société française. Il serait évidemment nécessaire de procéder à des compar
aisons interculturelles, pour vérifier si elle réapparaît dans d'autres cultures.
Nous tenterons de montrer que les systèmes constituant la représentation
sociale du paternalisme politique : système paternaliste de représentations et
système paternaliste de valeurs, se retrouvent dans les textes portant sur les
événements de mai 1968.
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a) La stucture paternaliste.
1. Rapport personne-société.
« La France », la « société plus juste et plus humaine », le « pays », « notre pays »,
constituent la Société. C'est l'État (peu nommé), le « pouvoir », les « institutions
républicaines », le « pouvoir gaulliste », le « régime gaulliste », « De Gaulle » comme
chef d'État, qui l'incarnent. Face à l'État, il y a les groupes sociaux : « ensei
gnants », « étudiants », « travailleurs », « paysans », « salariés », etc. Il y a les
organismes institutionnalisés : « universités », ou quasi institutionnalisés : direc
tions syndicales ou de partis politiques notamment, les organisations : « usines ».
Enfin, les « larges masses », le « peuple », notre « peuple », « nous », « vous », dési
gnent les limites de la société civile.
Une seule fois on trouve l'individu, un individu : « notre camarade », mais il
est mort. Une seule fois on trouve « chacun ».
Que les auteurs des tracts louent le pouvoir actuel ou le critiquent, tous, sauf
les membres d'un comité d'action, reconnaissent sa légitimité. Médiateur entre
l'individu, la Société et la Société civile, l'État n'est jamais contesté comme tel.
2. Rapport dominant-dominé.
Dans 13 tracts sur les 14 analysés, le pouvoir politique est reconnu supérieur
à tous les autres pouvoirs. Les modalités par lesquelles il abuse de sa force sont
stigmatisées « pouvoir des C.R.S. » des «flics », « des assassins », « des oppresseurs » ;
mais le rapport de dominance n'est pas mis en doute ; c'est « ce gouvernement
d'assassins » qui « fait horreur au peuple », « Notre peuple s'est soulevé contre ce
gouvernement » (Tract U. J.C. et organisations sur la ligne de « Servir le peuple »).
Un tract du parti communiste internationaliste (IVe Internationale) déclare:
« Refuser les négociations avec une telle équipe (le gouvernement Pompidou),
ce n'est pas faire preuve de « gauchisme » et d' «anarchie» (entre guillemets dans
le texte), c'est avoir les yeux grands ouverts et agir de la seule façon sensée. »
La contrainte gouvernementale actuelle est refusée. Mais la contrainte du
pouvoir, reconnue nécessaire, n'est pas contestée.
1. Sur 85 tracts consultés, 40 ont été retenus, qui incluaient positivement ou néga
tivement, explicitement ou implicitement, la structure paternaliste. Après classement
selon la provenance politique, nous en avons pris un dans chaque catégorie ; soit 14 tracts.
Les formations politiques, syndicales ou autres, représentées sont : Occident, un comité
pour la Défense de la République, la F.G.D.S., l'Intersyndicale O.R.T.F., le comité
d'études des libertés universitaires, la C.F.D.T., le P.S.U., le P.C., la C.G.T., Voix ou
vrière, l'U. J.C, la IVe Internationale, le parti communiste marxiste-léniniste, un comité
d'action révolutionnaire. Cet échantillon non représentatif a été conçu comme un « mod
èle de simulation » et ne cherche à donner que des indications tendancielles.
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3. Rapport protecteur-protégé,
II se manifeste massivement dans la critique du régime gaulliste qui, précisé
ment,n'a pas su protéger les citoyens et les groupes sociaux et s'est contenté de
les effrayer : « De Gaulle veut apparaître comme le leader de l'anticommunisme
et le sauveur de la France... Nous refusons de choisir entre la peste et le choléra »
(Tract Occident). « Le régime a provoqué une crise grave... Il expose notre pays
à une alternance d'autoritarisme et de désordre » (Tract électoral F.G.D.S.).
« La répression policière... effraye l'opinion publique » (Tract P.S.U.). « Le pou
voir gaulliste a pratiqué le chantage à la peur... (il) veut continuer en V aggravant
la politique antisociale et antidémocratique » (Tract P.C.). « II a recherché un
bain de sang... N'ayant pu obtenir sa flaque de sang... Les flics du pouvoir gaulliste
assassinent impunément... Le gouvernement vient d'autoriser Bidault et Sous-
telle à rentrer en France... Nous ne pouvons pas travailler dans un pays en état
de siège » {Voix ouvrière).
Un tract gaulliste rappelle les buts du C.D.R. qui sont ceux de tout gouverne
ment : « Défendre la légalité... contre toutes les menaces de subversion... Défendre
contre toute entreprise totalitaire les institutions républicaines. »
4. Rapport responsable-irresponsable.
Le tract du parti communiste internationaliste indique avec précision que la
responsabilité du pouvoir est reconnue. En revanche, la critique porte sur le fait
que le régime gaulliste ait pris la responsabilité de mettre en cause l'ordre et la
paix sociale. Est également critiquée la dégradation (la vacance) du pouvoir
gaulliste. Ce sont le gouvernement ou le président de la République qui doivent
démissionner, ce n'est pas le pouvoir qui doit disparaître : « Le parti communiste
internationaliste... dénonce la responsabilité totale du régime gaulliste dans les
violences qui se déroulent dans toutes les villes de France... (Ces villes) font face
aux forces de coercition d'un État en décomposition... Les dirigeants des centrales
syndicales s'apprêtent à amorcer des négociations sous la présidence d'un tel
gouvernement plus que moribond... Ce gouvernement n'a aucune autorité politique
et morale... Négocier avec lui... c'est... l'aider à prolonger son agonie... Démission
immédiate de de Gaulle... En avant contre le régime gaulliste pour un gouverne'
ment des (et non de) travailleurs. »
A. LE DOUBLE NIVEAU. \
1. Rapport pouvoir-sujétion.
C'est du pouvoir, de l'action de l'État qu'il s'agit : a Ce n'est pas avec des
élections qu'on sauvera la France » (Tract Occident). La terminologie le marque
comme pouvoir : « légalité », « institutions républicaines », « les élections législa
tives doivent permettre à chacun de s'exprimer... » (Tract C.D.R.), « L'autoritarisme »
(non l'autorité), « faire respecter (les droits syndicaux) », « faire droit (aux lég
itimes aspirations) » (Tract électoral F.G.D.S.). « En revendiquant le pouvoir pour
lui tout seul, le gaullisme... » (Tract P.C.).
Face à lui, les citoyens, les groupes sociaux a promeuvent » (Tract C.D.R.),
« contrôlent » (F.G.D.S.), « n'accusent ni ne défendent des revendications poli
tiques » (Tract C.E.L.U. Comité pour les libertés universitaires), «ne luttent pas
contre le régime gaulliste » (Intersyndicale O.R.T.F.), « font entendre la volonté
et les aspirations des Parisiens » (Tract P.C.), « garantissent, consolident, élargis-
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sent les succès revendicatifs » (Tract C.G.T.), « revendiquent », « ripostent », /
« réagissent » (Voix ouvrière), « haïssent »« honnissent » (le gouvernement), (lui)/
« résistent » (Tract U.J.C.), (le) « vomissent » (IVe Internationale). /
La sujétion demeure, elle n'est jamais mise en doute explicitement. Ce sont
seulement les formes de la sujétion qui se diversifient et que l'on critique. )
2. Rapport égalité-parité-inégalité et égalité des conditions à Vintérieur det
groupes sociaux. '
Les pluriels destinés aux individus et aux groupes sociaux s'opposent à des
singuliers destinés à l'État. Ou bien les singuliers s'opposent entre eux par couples
alternés non équivalents. I
Quelques exemples : « sa politique technocratique », « leader », « sauveur »,
face à « nous », « société plus juste et plus humaine » (l'inégalité, inévitable, n'est
pas contestée) ; «gaullisme » face à «salariés»; «les nôtres» (les images de l'O.R.T.F.
fa.ee à « gouvernement » ; « gouvernement » face à « tout le pays » ; « gouvernement »
face à « étudiants et professeurs » ; «tout régime politique » face à « nos camarades »,
« tous » ; « Pompidou et les hommes du pouvoir » (l'égalité-parité) face à « tout le
pays » ; « ministre » face à « pègre » ; « pays » face à « équipe » (l'égalité-parité est
admise, c'est la qualité de l'équipe qui est critiquée).
Phénomène nouveau, dans deux tracts, l'un marxiste-léniniste, l'autre prove
nant d'un comité d'action, la terminologie désignant le pouvoir et ceux qui
l'exercent oppose des pluriels détotalisants à des pluriels détotalisants désignant
la société civile K Également des singuliers équivalents désignent uniformément
pouvoir ou société : « pouvoir » opposé à « peuple », « pouvoir des monopoles, des
C.R.S., des garde-mobiles » opposé à « pouvoir populaire des ouvriers, des paysans
et des étudiants ».
3. La relation liberté à limiter et à concéder-liberté concédée et acceptée.
Il y a toujours limitation et concession de la liberté par l'État. Il a le pouvoir
de la donner et de la refuser. Ce que les citoyens redoutent, ce sont les excès aux
quels cette limitation peut conduire. Mais ils renouvellent périodiquement au
pouvoir leur délégation de la liberté politique, lors des élections ; c'est le contrôle
électoral, le seul contrôle : « De Gaulle trahit ses anciens amis et compte rallier
ceux qui hier étaient en prison par sa faute, ceux qu'il a pourchassés et fusillés »
(Tract Occident). « Défendre la légalité... Faire respecter la liberté du travail et
la liberté d'expression... Les prochaines élections législatives doivent permettre
à chacun de s'exprimer librement » (Tract C.D.R.). « Rendre à l'économie son dyna
misme par un nouveau plan élaboré démocratiquement par le contrôle de nouveaux
secteurs-clés grâce à certaines nationalisations » (Tract F.G.D.S.). « L'O.R.T.F.
exige cette objectivité nécessaire... à notre liberté d'opinion » (Intersyndicale
O.R.T.F.). « Électeurs centristes, continuez de manifester votre opposition au
pouvoir gaulliste » (Tract P.C.). « Le pouvoir gaulliste espérait que tout rentre
rait dans l'ordre... N'avait-il pas promis des élections législatives ? Oui des élec
tions pour que le travail reprenne avant la satisfaction de toutes les revendications
ouvrières. » « Aucune négociation avec la république du coup de force des colonels
d'Alger » (Tract IVe Internationale).
4. La relation décision-exécution.
Décision, application, l'application supposant l'exécution, sont régulièrement,
pour la décision, du ressort exclusif de l'État, pourl'exécution, de celui des citoyens
1. Par pluriels totalisants et pluriels détotalisants, nous désignons des pluriels sug
gérant soit une unité soit une multiplicité.
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et des groupes sociaux : « II faut changer de majorité pour... abroger les ordonnanc
es de 1967 et reconstruire une véritable Sécurité sociale... réformer une fiscalité
que le gaullisme a rendue écrasante pour les salariés » (Tract F.S.D.G). a II faut
construire une Université nouvelle... Nous demandons que le gouvernement
s'engage à réaliser les réformes demandées, afin de permettre une reprise rapide des
activités universitaires. » (Tract. C.E.L.U.). a Le pouvoir gaulliste veut éliminer
toute opposition... Voter au 2e tour pour le candidat d'union c'est permettre que
Paris démocrate soit représenté à l'Assemblée » (Tract P.C.). « C'est le pouvoir
gaulliste qui a pris V initiative des bagarres par son refus du droit de manifestation
à plus de 60 000 jeunes ouvriers, étudiants, enseignants » (IVe Internationale).
B. LE DOUBLE PROCESSUS.
a) Le système normatif.
. i. Autorité et contrainte.
Ce rapport est valorisé : « Défendre la légalité... défendre les institutions répu
blicaines » (tract C.D.R), ou constaté d'une manière neutre : « II faut changer
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b) Le système mythique.
1. Le pouvoir et le sacré.
On ne trouve aucune trace du rapport entre pouvoir et sacré dans les textes.
Seul un tract P.S.U. représente de Gaulle sous la forme de Dieu le Père flottant
sur un nuage.
2. Modèle familial et pouvoir politique.
Ce rapport n'apparaît dans aucun des texte analysés.
3. Figures mythiques et représentation du pouvoir.
Notre hypothèse semble en partie vérifiée par l'analyse du discours politique :
les figures mythiques sur lesquelles se fondaient l'ancienne conception de l'auto
rité politique ont disparu. Mais le système paternaliste de représentations et le
système paternaliste de valeurs demeurent.
4. Diversification du modèle, spécification du mythe.
Le modèle du pouvoir se diversifie dans un vocabulaire dont les significations
et les références varient : « De Gaulle », « leader », « sauveur », « fourrier » (du
communisme), « légalité », « démocratie », « institutions républicaines », « le
régime », « le système », « gouvernement » (très souvent utilisé), « le pouvoir gaull
iste » (très fréquent), le « gaullisme totalitaire », « Pompidou », « les hommes du
pouvoir », « le régime gaulliste », « le ministre Fouchet », « le pouvoir des monop
oles » (assimilé au pouvoir politique).
Ce modèle diversifié dans ses acceptions semble transcendant au système de
représentations sur lequel il repose. Il constitue dans le système paternaliste de
valeurs une sorte de « place vide » où viennent s'entrecroiser les relations terme
à terme.
Mais il s'instaure en mythe, en explication du discours en se spécifiant par le
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Valorisés ou dévalorisés, les éléments qui, dans les textes, indiquent le temps :
mots, formes de verbes, adverbes, le polarisent autour de la « stabilité », de l'équi
libredu système. Il faut que le système demeure, avec des améliorations et des
modifications souhaitées. La perpétuation du système social suppose, semble-
t-il, la perpétuation de son système symbolique : « Complice du P.C. depuis dix
ans, De Gaulle a créé cette situation. Aujourd'hui il veut apparaître... Nous
n'entrerons pas dans ses combines... »; « Faire en sorte que les prochaines élec
tions se déroulent dans les meilleures conditions » ; « Pour l'immédiat nous deman
dons que le gouvernement s'engage à réaliser des réformes » ; « Pendant plus de
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a) La représentation de la négociation.
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seul domaine revendicatif, alors que l'immense masse des travailleurs aspire au
socialisme » (tract parti communiste marxiste-léniniste).
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Or ce nouveau pouvoir ne semble plus se référer à un mythe de l'unité recher
chée,mais, nous l'avons dit, à un mythe de la diversité et du pluralisme. Il est
bien évident qu'il n'y a aucune conciliation possible entre le mythe du pouvoir
gouvernemental, exécutif, centralisé, substantifié et celui du pouvoir communal,
autogéré, décentralisé, diversifié.
Les temps de ce mythe se dessinent déjà dans les textes : c'est, nous l'avons
dit, ceux du présent et du futur à long terme, temps de l'action, alors que ceux
du mythe de l'unité recherchée sont tout à la fois le passé, l'imparfait, le présent
et le futur immédiat, temps de la perpétuation, de la stabilité et du progrès.
Enfin nous avons noté un changement de syntaxe dans le texte d'un comité
d'action; « Pouvoir des monopoles... pouvoir des paysans.» Au niveau du langage
l' égalité-parité disparaît, une « société d'égaux » semble se préfigurer.
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ANNEXE
1. Tract « Occident ».
... Par sa politique technocratique au service des trusts et des monopoles, par sa
politique extérieure favorable aux pays de l'Est, et par sa politique intérieure visant
uniquement à briser l'armée, la jeunesse et tout mouvement national ou nationaliste,
de Gaulle est le seul responsable de la crise qui secoue actuellement la France : complice
du P.C., depuis 10 ans, c'est de Gaulle qui a créé cette situation.
Aujourd'hui, il trahit ses anciens amis et compte rallier ceux qui, hier, étaient en
prison par sa faute, ceux qu'il a pourchassés et fusillés.
Aujourd'hui, il veut apparaître comme le leader de l'anticommunisme et le sauveur
de la France. Nous, Nationalistes français, refusons de choisir entre la peste et le choléra.
De Gaulle est le fourrier du communisme, nous n'entrerons pas dans ses combines pour
le tirer du mauvais pas actuel, les Nationalistes savent que ce n'est pas avec des élections
que l'on sauvera la France...
2. Tract du C.D.R.
Défendre la légalité et la démocratie contre toutes les menaces de subversion, et les
appels à la violence.
Défendre contre toute entreprise totalitaire les institutions républicaines.
Promouvoir, dans l'ordre, une société plus juste et plus humaine, fondée sur la parti
cipation et la responsabilité et exaltant la dignité de l'homme.
3. Tract F.G.D.S.
... Tant que le système durera, il exposera notre pays à une alternance d'autoritarisme
et de désordres.
Il faut changer de majorité pour :
— Faire respecter les droits syndicaux par la reconnaissance de Ja section syndicale
d'entreprise,
— faire droit aux légitimes aspirations des jeunes en donnant la priorité absolue
à l'éducation nationale et à la formation professionnelle,
— rendre à l'économie son dynanisme par un nouveau plan, élaboré démocratique
ment, par le contrôle de nouveaux secteurs clés grâce à certaines nationalisations,
— abroger les ordonnances de 1967 et reconstruire une véritable Sécurité sociale,
— réformer une fiscalité que le gaullisme a rendu écrasante pour les salariés et favo
rable aux revenus du capital.
5. Tract du P.C.F.
... Aujourd'hui le véritable danger apparaît au grand jour. Le gaullisme totalitaire
qui compte déjà 140 élus au premier tour, veut avoir le pouvoir absolu; il veut éliminer
toute opposition. Il prend pour cible le Parti Communiste mais aucune formation poli
tique n'est à l'abri de l'attaque.
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En revendiquant le pouvoir pour lui seul, le gaullisme veut continuer en l'aggravant
la politique antisociale et antidémocratique qu'il a poursuivie pendant 10 années.
Malgré la violente campagne menée par Pompidou et les hommes du pouvoir, une
opposition importante s'est manifestée dans la capitale comme dans tout le pays.
Il faut que cette opposition dont le Parti Communiste constitue la force essentielle
fasse entendre la volonté et les aspirations des parisiens.
8. Tract du P.C.I.
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D'un côté : le pouvoir des monopoles, sous la forme des C.R.S. et Gardes mobiles, qui
déchaîne sa violence de classe. De l'autre côté : le pouvoir populaire des ouvriers, pay
sans, et étudiants qui veulent la révolution.
La victoire appartiendra au peuple, à la condition indispensable que se réalise son
unité de combat : cette unité ne peut puiser sa force que dans l'union et l'action à la
base, pour opposer la violence révolutionnaire à la violence fasciste du pouvoir de la
grande bourgeoisie.
A l'heure actuelle, les dirigeants révisionnistes du P. « C ». F. et de la C.G.T. déploient
toute leur énergie dans le sens de la division des forces populaires, essayant de dresser
systématiquement les ouvriers contre les étudiants.
De plus, ils limitent les luttes ouvrières au seul domaine revendicatif, alors que l'i
mmense masse des travailleurs aspirent au socialisme. De telles manœuvres ont pour
objectif de sauver la classe dominante au pouvoir, c'est-à-dire la bourgeoisie monopoli
ste, mais elles se heurtent à la résistance croissante des adhérents de base du Parti
« Communiste » français et de la C.G.T. ainsi que de certains militants responsables à
tous les niveaux.
Le comité central du Parti Communiste marxiste-léniniste de France renouvelle
son appel à la constitution de comités d'action populaires dans les quartiers, dans les
usines, dans les villages dans les facultés, lycées, et collèges. De tels organismes doivent
permettre l'expression des aspirations révolutionnaires du peuple et l'organisation de
l'action nécessaire pour les faire triompher.
C'est par le renversement du pouvoir des monopoles et non par un référendum plé
biscitaire que s'ouvrira la voie des grands changements historiques de notre société.