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SOCIOLOGIE
paradigme en sciences sociales est à la fois une école de pensée ou une tradition scientifique avec ses
méthodologies, ses thèmes de recherche et ses théories typiques; et une vision du monde ou un
ensemble de valeurs et d'a priori philosophiques et idéologiques. Le paradigme scientifique est une
filiation théorique qui se transmet de professeur en élève et finit par structurer la manière
d'appréhender la réalité. L'appartenance paradigmatique rend donc possible une certaine rigidité
Trois paradigmes ont dominé l'histoire de la sociologie depuis la fin du XIX e siècle. Il s'agit du "holisme
solidariste" (HS), du "holisme conflictualiste" (HC) et de l'"interactionnisme" (I). L'influence de ces trois
traditions sociologiques est toujours perceptible dans les publications de la discipline, même si les
sociologues ont de plus en plus tendance à les "panacher" dans leurs travaux. Il est vrai qu'aucun de
ces ensembles de théories n'est capable d'expliquer entièrement les faits sociaux, d'où l'intérêt de les
utiliser en complément les uns des autres. Dans leur développement tout au long du XX e siècle, ces
trois paradigmes ont d'ailleurs connu une certaine convergence de leurs positions respectives. Il faut
également signaler que des nuances et des différences d'approche ont toujours existé à l'intérieur de
chaque paradigme.
Dans cette partie du cours, nous traiterons comparativement de l'origine philosophique des trois
paradigmes, tout en donnant de chacun une définition générale. Ce qui nous permettra de souligner les
a priori idéologiques qui existent dans chacune de ces filiations théoriques. Partons des commentaires
du tableau suivant:
PARADIGMES
* Les deux holismes (HS et HC) proposent une approche matérialiste. Les conditions
sociales: identités, mentalités, idéologies, valeurs, croyances). Autrement dit, pour les
deux holismes la conscience de soi et du monde est imposée à tout un chacun suivant la
position sociale qu'il occupe. Les valeurs d'une société sont déterminées par ses
* Au contraire, pour l'interactionnisme c'est l'idéalisme qui est de règle. Sans rejeter
catégoriquement l'influence éventuelle des conditions de vie concrètes sur l'esprit des
représentations sociales) peut, à son tour, agir sur les conditions matérielles d'existence.
* La définition de la nature de l'homme est sans appel dans le cas des deux holismes.
L'homme est socialement déterminé. La société impose aux individus des modes de
comportement (normes, règles, attitudes). Le devenir des individus est dicté par leurs
conscience et d'action. L'humain est rationnel. Son comportement social est orienté par
des valeurs et des intérêts individuels. Mais l'individu se trouve atomisé dans la société:
* L'unité d'étude sociologique du HS est le "fait social" qui est extérieur à l'individu et
s'impose à lui (objectivisme). Les motivations individuelles n'ont pas la même valeur
explicative que l'observation des faits concrets (empirisme): le sociologue doit expliquer
conflictualisme est le "rapport social". Pour K. Marx, "les hommes nouent des rapports
général pour expliquer le particulier. Aucun phénomène social ne peut être expliqué sans
recourir à son contexte englobant. La société est vue comme un ensemble composé de
K. Marx parlait de la "force intégrative du tout sur le particulier". Le tout est supérieur à la
Pour les deux holismes, la science est une production de savoirs techniques. Mais pour le
HS, ce savoir est prédictif (mieux connaître le réel pour prévenir d'éventuels
dysfonctionnements et préserver son harmonie). Alors que pour le HC, ce savoir est
critique (ou "libérateur"). Car il s'agit de mieux connaître le réel afin de précipiter son
changement.
* Pour les interactionnistes, les faits sociaux sont construits par les individus ou les
société n'est que la somme des entrelacs de relations tissés par ceux-ci, pas plus. L'unité
le réel.
* Les deux holismes privilégient des études développant une approche abstraite de
société globale.
Une recherche sociologique s'inscrivant dans une tradition holiste pourra s'intituler,
quotidiennes entre personnes (ou groupes) et aux phénomènes anodins qui font la
portant sur l'organisation de la vie dans les institutions fermées (totales) comme l'hôpital
Le sociologue interactionniste qui travaille sur le sujet cité plus haut pourra titrer sa
Comparez les questions typiques qui animeront la réflexion des chercheurs appartenant à
vie car elle tend toujours à plus d'harmonie et de complémentarité entre ses membres. A
chacun son rôle. Les hommes ne vivent-ils pas en société pour coopérer et partager entre
eux le travail nécessaire à leur survie collective? Le conflit social existe, mais c'est plutôt
graves qu'il faut réparer. Pour E. Durkheim, le conflit est une conséquence pathologique
* Le HC décrit la société comme une foire d'empoigne. Toute société est fondée sur
une inégalité d'avoir, de savoir et de pouvoir entre ses membres. Toute société se trouve
vie sociale est naturellement conflictogène car inégalitaire. L'objet de tout conflit est de
dimension politique. Etant donné qu'il s'intéresse aux relations sociales inter-individuelles
et aux faits anodins ou quotidiens, le paradigme accepte que ceux-ci puissent avoir un
contenu à la fois cohésif (intégration sociale) et conflictuel (domination sociale) selon les
motivations qui propulsent l'action des acteurs sociaux. La société retrouve toujours un
antagoniques au départ.
* Pour le HC, le changement social est aussi naturel et permanent que le conflit et
l'inégalité. Les trois phénomènes sont liés: l'inégalité génère le conflit et l'issue de celui-ci
détermine l'évolution future de la société. Le changement social est donc provoqué par les
* Pour l'interactionnisme, le changement social est permanent. Mais son issue dépend
des motivations qui guident l'action des individus. Aussi, est-elle est tout à fait aléatoire. Il
n'est pas possible de prédire l'évolution de la société; elle n'obéit pas à des "lois", comme
l'interactionnisme; puis, en guise d'exemple, voyons l'éclairage spécifique que les trois
Une illustration comparative: la déviance sociale ou la transgression de la norme sociale vue par les trois
Holisme solidariste
Les sociétés connaissent des comportements déviants ou pathologiques de gravité variable, tout comme
elles sécrètent des normes afin d'instaurer un ordre social. Les délits et les crimes, ainsi que les profils
sociaux probables de leurs auteurs sont plus ou moins prévisibles d'une année à l'autre. La transgression
d'une norme sociale et la sanction qu'elle entraîne permettent à la société de réaffirmer sa cohésion interne
par un rassemblement autour de valeurs considérées comme fondamentales. La sanction assume ainsi une
fonction manifeste de maintien de la société, tandis que la déviance assure une fonction latente de même
nature.
Holisme conflictualiste
Les lois et toute autre forme de norme sociale sont posées par les membres puissants de la société. Elles
reflètent les intérêts de ceux-ci et tendent à les protéger. Un comportement dû à l'exaspération des exclus
ou des dominés sera considéré comme une menace pour l'ordre établi. Il sera défini comme déviant et
connaîtra une sanction. Par contre, les injustices sociales causées par l'inégale distribution de richesses
matérielles et d'attributs sociaux ne seront pas considérés comme sanctionnables. Par ailleurs, pour un même
comportement déviant, les membres des classes populaires risquent d'être sanctionnés plus sévèrement que
les membres des classes aisées.
Interactionnisme
Les normes sociales ne sont pas naturelles. Toute action sociale peut devenir un comportement déviant
lorsqu'elle est considérée comme telle par d'autres acteurs avec lesquels interagit l'auteur de celle-ci. Mais la
réaction d'autres à ce comportement, la sanction, peut être considérée comme imprévisible; elle dépendra
des valeurs fondamentales et des intérêts momentanés qui animent ces autres acteurs. Du point de vue de la
société globale, une norme sociale est définie par un large consensus établi à un moment donné. La
transgression de cette norme est donc une contravention aux valeurs et aux intérêts de la grande majorité
des individus qui forment cette société.
Nous pouvons maintenant présenter une vue d'ensemble des trois grands paradigmes de
(axe horizontal), il est tenu compte de l'approche des différentes écoles par rapport au
solidarisme). Sur cet axe, plus vous vous déplacez vers la droite, plus les théories
sociale) et valorisent le changement. En ordonnée (axe vertical), il est tenu compte des
montez le long de l'axe, plus les théories adoptent des explications holistes; et
inversement, plus vous descendez le long de l'axe, plus les théories deviennent atomistes
ou interactionnistes. Si un auteur est placé sur un axe, cela veut dire qu'il a une position
neutre en ce qui concerne la dichotomie symbolisée par l'autre axe (par exemple, le
compréhensivisme de Weber est placé sur l'axe vertical car il tient une position neutre
horizontal). Nous avons ainsi défini les espaces spécifiques des trois paradigmes: holisme
Nous aborderons ces auteurs par la suite. A leurs confins, les trois paradigmes
apparentes. Enfin, remarquons que certaines sous-écoles récentes (voir les dates de
naissance des auteurs) s'approchent de l'origine des axes car leurs auteurs empruntent
davantage que jadis aux autres paradigmes, reconnaissant ainsi leur complémentarité de
fait.
+ Holisme
MARXISME - Interactionnisme
MARX (1818-1883) POSITIVISME
DURKHEIM (1858-1917)
HOLISME STRUCTURALISME FONCTIONNALISME HOLISME
GENETIQUE MERTON (1910)
CONFLICTUALISTE BOURDIEU (1930) SOLIDARISTE
- Conlictualisme
+ Conflictualisme SYSTEMISME + Solidarisme
- Solidarisme SOCIOLOGIE PARSONS (1902-1979)
DYNAMIQUE
+ Changement TOURAINE (1925) - Changement
- Stabilité + Stabilité
COMPREHENSION
WEBER (1864-1920)
INTERACTIONNISME
ANALYSE
STRATEGIQUE
CROZIER INDIVIDUALISME
(1922) METHODOLOGIQUE
BOUDON (1934)
UTILITARISME
MILL
(1806-1873)
INTERACTIONNISME
SYMBOLIQUE
GOFFMAN (1922-1982)
- Holisme
+ Interactionnisme
Nous allons maintenant nous focaliser un par un sur chacun des trois paradigmes afin de préciser
davantage leurs principes théoriques ainsi que leur évolution historique respective.
approches différentes. Nous ne citerons que les quatre les plus emblématiques en leur
les sociologues des deux autres paradigmes concurrents lui doivent beaucoup;
Les quatre principes théoriques que nous allons voir ont surtout été codifiés par le
encore dans la réflexion sociologique solidariste contemporaine, qui pense que la société
est fondamentalement subie plutôt que construite par l'individu. Ces principes sont
nomothétisme et de l'évolutionnisme.
1- Objectivisme
sociaux sont des choses" disait Durkheim. Les sociologues HS rejettent toute
explication du monde qui soit extérieure au monde physique (qui soit métaphysique,
solidariste:
"Avant de rechercher quelle est la méthode qui convient à l'étude des faits sociaux,
il importe de savoir quels sont les faits que l'on appelle ainsi. La question est
d'autant plus nécessaire que l'on se sert de cette qualification sans beaucoup de
précision. On l'emploie couramment pour désigner à peu près tous les phénomènes
qui se passent à l'intérieur de la société, pour peu qu'ils présentent, avec une
certaine généralité, quelque intérêt social. [...]
Voilà donc un ordre de faits qui présentent des caractères très spéciaux: ils
consistent en des manières d'agir, de penser et de sentir, extérieures à l'individu, et
qui sont doués d'un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s'imposent à lui."
L'unité de mesure de la sociologie HS est donc le "fait social", qui est, selon
indépendamment de l'individu (il lui est extérieur) et il s'impose à lui (le fait social
est contraignant pour l'individu). La société impose aux hommes des règles de
conduite, des sentiments, des identités et des positions sociales préexistant à ceux-
ci. La société a une "autorité morale" sur les individus et leur impose une solidarité
(=une manière d'organiser la vie en société). Cette solidarité est intériorisée tout au
long de la vie par le processus appelé socialisation.
permanente par laquelle les individus deviennent des "êtres sociaux". Tout au
normes sociales est recherchée par les individus. Car l'humain reste quand
Dans la tradition du HS, tout ce qui est acquis, tout ce qui s'apprend dans la
et s'opère durant l'enfance dans les deux institutions socialisatrices les plus
plutôt (mais pas toujours) choisies par l'individu: les études supérieures, le
parenté, les associations, les media, l'église, l'armée (la conscription), etc.
autochtone...
2- Empirisme
Pour les sociologues HS, seule l'observation concrète des faits permet d'expliquer la
Exemples:
gauche, les sociologues solidaristes n'iront pas les interroger pour savoir s'ils
concernant:
associations;
- les ventes des journaux qui se définissent à gauche dans les quartiers
ouvriers.
mais aussi son âge psychologique (l'âge que l'individu se donne à lui-même,
vieux-hommes", etc.) et son âge social (l'âge que son entourage lui donne: il
y a, par exemple, des "ainés qui ont toujours dû frayer leur chemin tout
seuls", ils seront perçus plus âgés qu'ils ne le sont, et des "petits-derniers
3- Nomothétisme et prévisionnisme
sociaux (qu'on appelait "loi sociologiques" au XIXe siècle, comme s'ils étaient des
corrélation entre différents faits sociaux. Cet objectif nomothétique que poursuit le
4- Evolutionnisme
et plus de cohésion interne. Pour les fondateurs du holisme solidariste, toutes les
sociétés devaient passer par les mêmes étapes de développement que la société
d'aujourd'hui ne sont plus aussi affirmatifs, surtout sur l'existence d'une prétendue
des HS ont rendu possible une bonne description du changement social dans le
monde occidental:
Pour E. Durkheim, par exemple, toutes les sociétés partent d'une solidarité
travail opérée en son sein. Pour survivre, toutes les sociétés doivent partager
religions.
Pour observer ce qu'il percevait comme une évolution inéluctable pour toute
du XIXe siècle, Durkheim choisira l'étude des règles juridiques ou des lois, qui
sont pour lui des faits sociaux matériels, objectivables, hors de la volonté des
Elle se fait selon des critères physiologiques (âge, Elle est complexe. La différentiation entre individus
sexe, force physique) ou selon l'appartenance à un est grande. On prend sa place dans la société selon
clan ou une caste. Tous les membres d'une "ce qu'on devient". Achievement society ou
catégorie spécifique (classe d'âge, sexe, caste, société de l'accomplissement. Les enfants peuvent
état,...) possèdent les mêmes qualifications parvenir à assumer des rôles différents de leurs
professionnelles et font le même travail. On prend parents. Certes limitée, la mobilité sociale existe.
sa place dans la société selon "ce qu'on est". Cette limitation est due à la survivance de
Ascription society ou société de l'attribut. Les solidarités mécaniques (claniques) partielles dans
enfants sont socialisés pour prendre la place de certains milieux (par ex. l'accès aux professions
leurs parents. Il n'y a pas de mobilité sociale. d'avocat, de notaire, médecin, de chef
d'entreprise,... est fortement conditionné par le
métier du père) et elle provoque un "gaspillage de
talents". Pour Durkheim, l'inégalité des chances est
une pathologie sociale. La distribution des attributs
sociaux devrait être basée sur le mérite et non sur
l'héritage.
La vie quotidienne des gens est semblable (ils sont Il existe une grande dissemblance entre différents
tous paysans). La source de cohérence sociale est groupes sociaux assumant différentes fonctions et
la similitude. L'attachement identitaire est unique professions dans la société. La source de
(la religion). Il n'y a pas de morale hors religion. La cohérence sociale est la complémentarité. Des
société du "Nous" et société d'interconnaissance attachements identitaires variés apparaissent. Une
(tout le monde se connaît). La socialisation des morale hors religion devient possible (laïcité). La
individus se réalise essentiellement dans la famille, société du "Je" et société de l'anonymat. La
l'entourage immédiat et par la religion. socialisation s'opère toujours dans la famille (et par
l'entourage), mais de plus en plus en dehors d'elle
aussi: à l'école, au travail, par les media,...
Dans les sociétés à solidarité mécanique, le lien social est fondé sur la
similitude des individus d'une même catégorie sociale, mais aussi sur
selon ce qu'ils sont: les hommes, les femmes, les serfs, les paysans, les
artisans, les nobles, le clergé, les catholiques, les protestants, les juifs se
voient infliger des codes de conduite obligatoires et des sanctions (en cas de
catégorie à l'autre et inégaux entre eux. Par contre, dans les sociétés à
droits et de devoirs, mais les statuts sont acquis et non plus hérités des
parents.
Durkheim constate que dans les sociétés à solidarité organique les individus
dispose aussi d'un mode de vie et d'une identité qui lui sont propres. C'est
avait lui aussi établi une distinction similaire entre la société traditionnelle
familles,... Les communautés sont fondées sur les passions. La vie des
volonté réfléchie des humains. On devient membre d'une société par adhésion
Le positivisme, qui est toujours une référence théorique de base pour le HS, est en
quelque sorte un "optimisme naïf" hérité du siècle dernier (l'illusion de la toute puissance
de la "science objective"). Peut-on être entièrement objectif? Les faits sociaux ne sont-ils
changement social, il ne parvient pas toujours à mettre en évidence les causes de celui-ci.
produit des théories trop générales et abstraites qui ne sont pas toujours en mesure
d'expliquer les conduites réelles d'acteurs sociaux concrets et individuels. Par ailleurs, la
vérification empirique de ces théories abstraites n'a pas toujours été possible.
Bien qu'il existe des sociologues conflictualistes non-marxistes comme l'Allemand Georg
l'Américain Alvin W. Gouldner (1920-1981), cette école de pensée est largement dominée
par le marxisme. Nous ne pourrons traiter que du conflictualisme marxiste dans le cadre de
ce cours: holisme conflictualiste et sociologie marxiste seront donc synonymes pour nous.
Karl Marx (1818-1883) et de son ami Friederich Engels (1820-1895), qui n'a jamais
En effet, l'oeuvre de Marx resta inachevé et, à l'état d'ébauche pour bien des aspects, il
occasionna une grande variété d'interprétations. Pressentant les usages futurs de ses
travaux, K. Marx affirmera à la fin de sa vie qu' "il n'est pas marxiste" ! Citons, parmi
d'autres, les sociologues marxistes de la seconde moitié du siècle que nous verrons dans
Marcuse (1898-1979) ont, par des voies assez différentes, cherché à expliquer la
capitalistes contemporaines.
caractérisés par des contradictions, des conflits et des changements. Les contradictions
contradictions sociales sont inhérentes à la société. Elles font partie de sa nature. Elles
trouvent leur origine dans la distribution inégale d'attributs sociaux (avoir, savoir, pouvoir)
entre les différents groupes structurels qui divisent les sociétés (les classes sociales, les
deux sexes, les groupes ethniques, les groupes religieux, les régions, ...). Dans la théorie
détermine, par dessus tout, la nature de leurs divisions sociales et celle de leurs
sur la nécessité historique de la lutte des "opprimés" contre les "oppresseurs" afin
l'engagement dans des associations, des coopératives, des syndicats, des partis de
gauche et même dans la lutte armée. Cette activité révolutionnaire, en vue de précipiter le
la société, est nommée la praxis. K. Marx dit: "les philosophes n'ont fait qu'interpréter le
monde par différentes voies, alors qu'il s'agit de savoir comment le changer".
l'applique à l'analyse de la société, c'est la méthode qui permet la mise en évidence des
changement dans le système lui-même, par exemple dans la modification des rapports (de
thèse et une antithèse naît une synthèse inédite, qui dépasse l'antagonisme initial. On
nomme "matérialisme dialectique" l'énonciation des lois générales qui régissent tous les
phénomènes physiques et sociaux. Ces lois seront notamment utilisées pour expliquer
4.2.).
Enonçons à notre tour ces principes ( lois) dialectiques qui ont, pour le HC, le même statut
épistémologique que les principes positivistes pour le HS (voir le point 3.2.2.). Toute
analyse marxiste d'un phénomène social commencera par l'identification des effets
connaître une chose, il faut aussi connaître ses anciennes formes car la nature de
montre la caducité de toutes choses et en toutes choses, et rien n'existe pour elle
que le processus ininterrompu du devenir et du transitoire", écrira F. Engels.
Pour expliquer les rapports entre des faits particuliers, il ne faut jamais perdre de
vue la totalité. Les phénomènes étudiés doivent toujours être insérés dans le
résultat de cette étude est ensuite replacé dans la totalité qui l'englobe
Mais l'influence de la totalité sur ses parties est souvent latente. Il s'agit de la
découvrir.
Système du monde du XVe siècle à nos jours (publié en deux volumes entre 1974
et 1980), il cherche à démontrer les synergies d'inégalités qui ont occasionné la
Donnons un exemple qui n'est pas d'origine marxiste. Lors d'une enquête
à-dire encore étendre les pouvoirs des Régions?". Voici les résultats récoltés
(en % des répondants) dans chacun des régimes linguistiques:
tableau, qui rend compte d'un fait social (= la volonté affichée par des
économiques que le pays traverse. Mais si, malgré tout, on fait abstraction
pour une autonomisation régionale accrue. Leur avis trouve son explication
celle de la sécurité sociale, est fortement connotée avec une éventuelle perte
de droits acquis. Les réformes fédéralistes du passé sont loin d'avoir amélioré
Toute chose contient en elle-même son contraire ou sa propre négation (l'unité des
Ce sont les contradictions inhérentes aux choses qui sont la cause de leur propre
coexistantes mais opposées, luttent entre elles. Les deux contraires sont
interdépendants:
développement du reste du monde le sont moins, mais elles sont tout aussi
Affirmation (thèse):
du fermage.
XVIIIe siècle. Ils finiront par devenir des dysfonctionnements pour le système:
Négation (antithèse):
constituée par les paysans déracinés, qui n'ont pour seule richesse que leur
industrielle).
les licenciements.
enfants dans les mines). La loi interdisant les grèves est levée en
8 heures pour 6 jours par semaine (48 h.) ont été acquis en 1921 (en
fait, les employeurs s'étaient déjà rendus compte dès le XIX e siècle
que les journées de travail les plus longues n'étaient pas les plus
atteint 40 h. par semaine dès les années '30. Les congés payés
universel féminin a été acquis en 1949. Dans les années '50, le week-
end de 2 jours s'est étendu à tous les secteurs. En 1978, une loi
qualitatif"
changement (un fait social) de type qualitatif pouvant être d'ordre positif ou
négatif.
Exemples:
revendications ouvrières (qui peuvent être chiffrées par les pertes dues aux
mode de vie (les congés payés, le système des pensions, la "civilisation des
également finit par engendrer un chômage de masse qui implique pour beaucoup
une dégradation de la qualité de la vie sans précédent depuis 1945 (fait d'ordre
doublé depuis le début des années '70. Cette augmentation sensible du nombre de
qualitatif).
holisme solidariste (voir le point 3.2.2), les marxistes élaboreront une philosophie
successifs.
social est dit "en état de masse critique" lorsque ses contradictions internes
observées jadis ne s'y manifestent plus. Alors le système est mûr pour un
Temps
de l'Ancien Régime (sur le palier 1) ont donné lieu au saut qualitatif de la Révolution
(palier 3).
Axée sur le conflit et le changement, la sociologie marxiste ne rend pas toujours compte
solidarités sociales sont aussi apparentes que les inégalités. Elle éprouve beaucoup de
religion, etc.) qui ne soient pas exclusivement d'origine économique (l'appartenance à une
classe sociale). L'autonomie des groupes et la liberté des individus ne transparaissent pas
dans le holisme marxiste. Au contraire, cette théorie est rigide et abstraite. La théorie
marxiste affirme des lois (dialectiques) qui ne sont pas toujours vérifiables. Elle fait preuve
contraire les hommes qui font leur histoire eux-mêmes dans un milieu donné qui la
conditionne, sur la base des conditions antérieures de fait". Pour F. Engels, la
détermination économique de la réalité sociale n'agit qu'en dernière instance. Cela signifie
qu'il existe bien une détermination dans le long terme, mais elle n'enlève rien au rôle actif
Le marxisme en tant que sociologie promettait de fournir les instruments d'analyse d'une
assurant, durant de longs années entre 1945 et 1975, croissance et élévation du niveau
de vie pour tous. Une réalité sociale aujourd'hui révolue depuis pour l'ensemble des pays
industriels avancés...
sociologie est de comprendre (en allemand, verstehen) les faits sociaux de l'intérieur,
c'est-à-dire de découvrir le sens que les individus donnent à leurs activités. Contrairement
l'attachement éventuel des ouvriers aux idéologies de gauche. Ils cherchaient à mesurer
d'aujourd'hui dans une région de Belgique (les valeurs et les intérêts communs,
l'identité groupale);
- enfin, il voudra savoir ce que représente "la gauche" et l'action politique et/ou
compréhension du sens que donnent les acteurs à leurs pratiques sociales) sont assez
Ezra Park (1864-1944) fut le chef de file, puis approfondi par d'autres Américains
Becker (né en 1928) et Harold Garfinkel (né en 1917), ainsi que le Canadien Erving
l'ordre social (la structure et les normes sociales) ne s'impose pas aux individus. Au
contraire, il est construit par leur action. Il s'agit d'un ordre social négocié de
Les faits sociaux sont construits par des échanges symboliques quotidiens entre
des individus (ou groupes) doués d'une rationalité pratique et qui cherchent à
"soi"). En plus d'une utilité concrète, tout comportement social est "symbolique",
car toute conduite sociale possède une signification spécifique pour les acteurs qui
Raymond Boudon (né en 1934), pour qui les phénomènes sociaux ne sont
sociale, c'est pourquoi cette école est appelée en français celle de l'individualisme
social exchange theory. Pour G. C. Homans (Social Behaviour and its Elemantary
Forms, 1966), également, les transactions sociales entre individus sont guidées par
le calcul rationnel des avantages et des coûts respectifs des différentes possibilités
des normes sociales est l'illustration même d'un état d'équilibre entre la somme des
membres de la société. Dès que cet équilibre est rompu, dès qu'apparait une
inadéquation entre les coûts et les avantages que chacun retire de la vie collective,
sociales.
qui étudie, depuis la fin des années 1960, les mouvements sociaux en tant
d'intérêts et d'identités précises. Ils sont constitués par des acteurs individuels qui
Erhard Friedberg, qui se sont spécialisés dans l'étude des administrations et des
entreprises, ont formulé à la fin des années 1970 (M. Crozier et E. Friedberg,
L'acteur et le système, 1977). Pour ces auteurs, les rôles sociaux et les normes
sociales ou les règles de conduite ne déterminent jamais totalement le
comportement des individus. Les préférences et les volontés individuelles ont une
"zones d'incertitude" où les acteurs sociaux peuvent agir librement et déployer des
stratégies en vue de transformer à leur avantage les règles et les rôles imposés par
interactionnistes.
sociaux qui lui préexistent. Il construit sa société même s'il lui arrive, régulièrement,
d'être influencé par des structures et institutions sociales qui lui préexistent. En
déterminismes sociaux.
réalité sociale est formée d'un ensemble d'actions individuelles mises en oeuvre par
des acteurs insérés dans des situations concrètes qu'ils interprètent en fonction
culture commune et stable. Les individus agissent (ou plutôt réagissent) à partir de
vers des intérêts personnels) et ouvert (dont l'issue finale est aléatoire). La réalité
sociale est ainsi perpétuellement (re)construite par les acteurs sociaux. Elle est
Toutes ses actions sociales sont guidées à la fois par les valeurs et les intérêts qui
les motivent ou qui les animent. Penchons-nous sur cette question de la rationalité
des pratiques sociales. La rationalité est la capacité de déterminer les causes et les
conséquences des choses. Puisque l'individu est doué de raison, il évalue chaque
situation sociale selon ses propres valeurs et intérêts. Dans cette perspective
sociologique, il est primordial de connaître les motivations des acteurs (le sens
qu'ils donnent à leurs actions). Mais avant de définir la rationalité des pratiques de
société.
Pour lui, la qualité des relations humaines baisse avec les progrès de la
Lisons Weber dans le texte d'une des conférences qu'il a prononcé à Munich
pensait qu'une partie des actions sociales ou des pratiques sociales demeuraient
Le tableau suivant synthétise la typologie des quatres relations à autrui (ou des
quatre différents types d'action sociale) établies par Weber et corrigées par ses
continuateurs.
Une action sociale ou une pratique sociale est une relation à autrui, qu'il soit présent ou
absent, vivant ou défunt. L'autrui peut être concret (individu, famille ou groupe) ou
abstrait et impersonnel (organisation, Etat, nation, ethnie, religion). Si l'action sociale est
motivée par les valeurs et les intérêts dont sont porteurs les individus ou les groupes (le
sens donné par l'acteur à son comportement), il n'en demeure pas moins qu'elle est un
processus dynamique. Une action sociale provoque toujours une "réaction". Il s'agit d'un
Dans ce processus, la perception de l'action d'un acteur par les autres (le sens donné par
autrui à l'action de l'acteur) est aussi importante. Car suivant la nature de cette
perception, l'acteur pourra être amené à modifier son comportement (rectifier le tir).
Même si nous sommes tous armés d'un moteur social, constitué par nos valeurs et
intérêts (V/I) et qui détermine nos actions, la réaction d'autrui, sa compréhension de
Réaction
Acteur A Acteur B
Action
V/I V/I
(1963):
" Les gens agissent ensemble [...]. Ils font ce qu'il font avec un oeil sur ce que les
autres ont fait, sont en train de faire, ou susceptibles de faire dans le futur. Les
individus cherchent à ajuster mutuellement leur lignes d'action sur les actions
perçues ou attendues des autres. On peut appeler action collective [interaction
Enfin, une interaction sociale se déroule dans un cadre contextuel et normatif. Même si ce
cadre n'exerce pas de déterminisme sur l'action des acteurs, il peut y insuffler une
certaine influence.
Bien que sociologue du HS, Talcott Parsons a tenté une synthèse de son paradigme avec
(valeurs/intérêts);
- une situation contextuelle (ou conjoncturelle) mettant en scène les causes, les
Dans cette perspective, les valeurs et les intérêts qui motivent l'acteur subissent
réaction des autres. Le cadre normatif est déterminant chez les sociologues du HS mais
dans le paradigme interactionniste, les lois, les traditions, les normes et le contrôle sociaux
- Peu d'automobilistes obéiront aux injonctions d'un individu en civil qui se mettra à
arrivait que des couples divorcent (sans cesser de vivre ensemble) pour payer
- Aux Etats-Unis, la discrimination raciale tant de point du vue légale que de point
empêché pendant longtemps la promotion sociale des Noirs américains. Les seules
furent la musique et le sport durant la majeure partie du XX e siècle. Alors que les
universités ne leur ont ouvert leurs portes que depuis une ou deux générations
seulement, dès les années '20 les milieux du show-business et ceux du sport
professionnel étaient largement investis par les Noirs. Ils n'étaient pas plus artistes
ni plus sportifs que les Blancs, ils n'avaient seulement pas beaucoup d'autres
Ayant défini le cadre qui génère et guide l'interaction sociale dans ce paradigme, donnons
sociologue américain Harold Lasswell (1902-1978) sur la communication: "qui dit quoi,
les plus attachées à la dynastie, la population bruxelloise, les milieux catholiques (et
L'engouement populaire qui s'est emparé de la Belgique à cette occasion était sans
au 14 juillet). De nombreux Belges ont voulu se sentir unis; retrouver un repère sûr
ferveur, même si elle a été amplifié par les media qui ont dressé une hagiographie
monarchie était encore omniprésente, malgré son rôle politique symbolique. Aussi,
le deuil acquit une dimension positive pour l'unité politique et la cohésion sociale.
Interprété comme un sursaut des citoyens unionistes, le phénomène n'a pas tardé à
de l'Eglise dans les affaires publiques, l'oraison funèbre du Primat de Belgique qui
Pourquoi?
recueillement, à plus forte raison quand il s'agit d'un chef d'Etat. Ses
funérailles sont organisées selon les régles. Les gens font part de leur
lui.
Causes liées aux valeurs: aux incertitudes ambiantes liées à l'instauration très
"non-dit". Durant ces jours, ont manifesté leur angoisse et leur désarroi
mouvement.
A qui? (l'acteur B)
angoisse.
bilingue (UNIE). Mais cela n'a pas dépassé l'aspect folklorique, par la suite elle
Nous pouvons maintenant établir un schéma plus complet de l'interaction sociale où nous
retrouvons les questions issues de la formule de Lasswell que nous venons de poser:
POURQUOI? QUOI?
Causes Action
Moyens
COMMENT?
Acteur A Acteur B
QUI? A QUI?
POURQUOI?
V/I V/I
départ ce n'était pas l'optique de Weber, mais l'Ecole de Chicago a surtout développé
l'étude de ce qu'elle a nommé la "street corner society", l'étude des situations où tous les
protagonistes sont présents. Cet aspect des choses limite clairement le domaine d'étude à
la micro-sociologie. Aussi, l'action de grands agrégats sociaux, des grands groupes et les
humaine. N'y a-t-il jamais de contraintes sociales? Celles-ci font rarement l'objet des
Quant au postulat sur la rationalité humaine, il évoque des questions auxquelles il est
retirera de son comportement? Peut-on toujours identifier concrètement l'intérêt qui fait
agir l'acteur social? Si une motivation est inconsciente (ou latente), peut-on encore parler
de rationalité? Quelles relations y a-t-il entre les intérêts et les passions? Pour orienter
d'autrui?