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CHAPITRE 3. ORIGINES PHILOSOPHIQUES ET BASES THÉORIQUES DES TROIS GRANDS PARADIGMES DE LA

SOCIOLOGIE

L'élaboration de la connaissance scientifique s'opère le plus souvent en référence à un cadre

paradigmatique plus ou moins défini auquel adhère le sociologue. En partant de la définition de


l'historien américain des sciences Thomas Kuhn (La structure des révolutions scientifiques, 1962), un

paradigme en sciences sociales est à la fois une école de pensée ou une tradition scientifique avec ses

méthodologies, ses thèmes de recherche et ses théories typiques; et une vision du monde ou un

ensemble de valeurs et d'a priori philosophiques et idéologiques. Le paradigme scientifique est une

filiation théorique qui se transmet de professeur en élève et finit par structurer la manière

d'appréhender la réalité. L'appartenance paradigmatique rend donc possible une certaine rigidité

idéologique pouvant handicaper, dans le chef du sociologue, l'opération de la rupture épistémologique.

Trois paradigmes ont dominé l'histoire de la sociologie depuis la fin du XIX e siècle. Il s'agit du "holisme

solidariste" (HS), du "holisme conflictualiste" (HC) et de l'"interactionnisme" (I). L'influence de ces trois
traditions sociologiques est toujours perceptible dans les publications de la discipline, même si les

sociologues ont de plus en plus tendance à les "panacher" dans leurs travaux. Il est vrai qu'aucun de

ces ensembles de théories n'est capable d'expliquer entièrement les faits sociaux, d'où l'intérêt de les

utiliser en complément les uns des autres. Dans leur développement tout au long du XX e siècle, ces

trois paradigmes ont d'ailleurs connu une certaine convergence de leurs positions respectives. Il faut

également signaler que des nuances et des différences d'approche ont toujours existé à l'intérieur de

chaque paradigme.

Dans cette partie du cours, nous traiterons comparativement de l'origine philosophique des trois
paradigmes, tout en donnant de chacun une définition générale. Ce qui nous permettra de souligner les

a priori idéologiques qui existent dans chacune de ces filiations théoriques. Partons des commentaires
du tableau suivant:

PARADIGMES

Critères de définition HOLISME SOLIDARISTE HOLISME CONFLICTUAL. INTERACTIONNISME

1- philosophique Matérialisme Matérialisme Idéalisme


2- ontologique Déterminisme social Déterminisme social Liberté indiv./Atomisme
3- épistémologique Objectivisme Objectivisme Subjectivisme
4- méthodologique Macrosociologie Macrosociologie Microsociologie
Analyse généralisante Analyse généralisante Analyse particularisante
5- politique Harmonie sociale Conflictualisme Neutralité
6- dynamique Stabilité>Changement Stabilité<Changement Changement social
exogénie du changement endogénie du aléatoire
changement

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3.1. Critères de définition

3.1.1. Du point de vue philosophique (la conception générale du monde)

* Les deux holismes (HS et HC) proposent une approche matérialiste. Les conditions

matérielles d'existence déterminent la conscience des hommes (leurs représentations

sociales: identités, mentalités, idéologies, valeurs, croyances). Autrement dit, pour les

deux holismes la conscience de soi et du monde est imposée à tout un chacun suivant la

position sociale qu'il occupe. Les valeurs d'une société sont déterminées par ses

nécessités matérielles et le niveau de développement général qu'elle a atteint.

* Au contraire, pour l'interactionnisme c'est l'idéalisme qui est de règle. Sans rejeter

catégoriquement l'influence éventuelle des conditions de vie concrètes sur l'esprit des

hommes, l'interactionnisme affirme que la créativité intellectuelle humaine (les

représentations sociales) peut, à son tour, agir sur les conditions matérielles d'existence.

3.1.2. Du point de vue ontologique (la nature attribuée à l'être humain)

* La définition de la nature de l'homme est sans appel dans le cas des deux holismes.

L'homme est socialement déterminé. La société impose aux individus des modes de

comportement (normes, règles, attitudes). Le devenir des individus est dicté par leurs

conditions matérielles et le fonctionnement de la société.

* L'interactionnisme définit l'homme comme un être fondamentalement libre de

conscience et d'action. L'humain est rationnel. Son comportement social est orienté par

des valeurs et des intérêts individuels. Mais l'individu se trouve atomisé dans la société:

seul (l'atome social), il a une influence insignifiante sur elle.

3.1.3. Du point de vue épistémologique (le choix de la démarche scientifique)

* L'unité d'étude sociologique du HS est le "fait social" qui est extérieur à l'individu et

s'impose à lui (objectivisme). Les motivations individuelles n'ont pas la même valeur

explicative que l'observation des faits concrets (empirisme): le sociologue doit expliquer

les faits de l'extérieur. La position du HC est semblable. L'unité d'étude sociologique du

conflictualisme est le "rapport social". Pour K. Marx, "les hommes nouent des rapports

[sociaux] déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté; rapports de production


qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives

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matérielles [= de leur capacité à produire ou de leurs conditions d'existence matérielles]".


Dans la connaissance holiste de la société (holos, entier en grec), le chercheur part du

général pour expliquer le particulier. Aucun phénomène social ne peut être expliqué sans

recourir à son contexte englobant. La société est vue comme un ensemble composé de

parties interdépendantes. On considère que la société détermine la nature de ses parties.

K. Marx parlait de la "force intégrative du tout sur le particulier". Le tout est supérieur à la

somme des parties:

Société > !des individus.

Pour les deux holismes, la science est une production de savoirs techniques. Mais pour le

HS, ce savoir est prédictif (mieux connaître le réel pour prévenir d'éventuels

dysfonctionnements et préserver son harmonie). Alors que pour le HC, ce savoir est

critique (ou "libérateur"). Car il s'agit de mieux connaître le réel afin de précipiter son

changement.

* Pour les interactionnistes, les faits sociaux sont construits par les individus ou les

groupes sociaux. Des individus rationnels et interagissants produisent leur société. La

société n'est que la somme des entrelacs de relations tissés par ceux-ci, pas plus. L'unité

d'étude sociologique de l'interactionnisme est l'"action sociale". Le sociologue doit

comprendre de l'intérieur le sens des actions individuelles. La compréhension des

motivations est primordiale (subjectivisme). L'interactionnisme considère la science

comme une production de savoirs herméneutiques (interprétatifs) et se refuse d'agir sur

le réel.

3.1.4. Du point de vue méthodologique (le mode d'observation du réel)

* Les deux holismes privilégient des études développant une approche abstraite de

grands ensembles sociaux par des méthodes quantitatives de récolte de données

(macrosociologie). Il s'agit de cerner la fonction sociale du fait étudié dans le cadre de la

société globale.

Une recherche sociologique s'inscrivant dans une tradition holiste pourra s'intituler,

par exemple, La cohabitation juvénile comme institution matrimoniale nouvelle dans

les sociétés occidentales.

* L'interactionnisme fournira une approche concrète localement et temporairement

circonscrit (microsociologie). Il choisira des méthodes qualitatives d'observation du réel

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(interviews, observations participantes). Il portera un intérêt particulier aux relations

quotidiennes entre personnes (ou groupes) et aux phénomènes anodins qui font la

société: ce que les interactionnistes américains appellent face-to-face relations et street

corner society. Un des noms importants du paradigme interactionniste, le Canadien Erving


Goffman passa un an en asile psychiatrique avant de publier Asiles (1961), son étude

portant sur l'organisation de la vie dans les institutions fermées (totales) comme l'hôpital

psychiatrique, la prison, la caserne, le couvent, ...

Le sociologue interactionniste qui travaille sur le sujet cité plus haut pourra titrer sa

recherche La cohabitation juvénile comme une relation nouvelle au compagnon dans

un quartier étudiant de Bruxelles.

Comparez les questions typiques qui animeront la réflexion des chercheurs appartenant à

chacun des trois paradigmes:

Pourquoi et en quoi la société est-elle intégrée?


HOLISME Comment la société se maintient-elle en harmonie?
SOLIDARISTE Quelles sont les institutions sociales qui assurent son fonctionnement?
Quelles sont les dysfonctionnements qui pourraient la menacer?
Pourquoi et en quoi la société est-elle divisée?
HOLISME Quelles sont les inégalités sociales majeures?
CONFLICTUALISTE Comment les couches possédantes protègent-elles leurs privilèges?
Que faire pour changer l'ordre établi?
Comment la société est-elle vécue (perçue) par les acteurs sociaux?
INTER- Quelles sont les motivations qui les font agir (valeurs et intérêts)?
ACTIONNISME Quelle signification donnent-ils à leurs actions?
Comment le comportement individuel change-t-il d'une situation à l'autre?

3.1.5. Du point de vue politique (stratification sociale)

* Le HS considère que la société est un tout cohérent. Toute société se maintient en

vie car elle tend toujours à plus d'harmonie et de complémentarité entre ses membres. A

chacun son rôle. Les hommes ne vivent-ils pas en société pour coopérer et partager entre

eux le travail nécessaire à leur survie collective? Le conflit social existe, mais c'est plutôt

un état anormal de la société: la preuve de développements dysfonctionnels plus ou moins

graves qu'il faut réparer. Pour E. Durkheim, le conflit est une conséquence pathologique

d'un affaiblissement ou d'un excès de règles sociales.

* Le HC décrit la société comme une foire d'empoigne. Toute société est fondée sur

une inégalité d'avoir, de savoir et de pouvoir entre ses membres. Toute société se trouve

divisée en groupes antagonistes selon la position qu'ils occupent dans le processus de

production économique. Ceux-là possèdent ce que ceux-ci n'ont pas. En conséquence, la

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vie sociale est naturellement conflictogène car inégalitaire. L'objet de tout conflit est de

modifier le rapport de forces en présence.

* L'interactionnisme se trouve dans une position neutre en ce qui concerne la

dimension politique. Etant donné qu'il s'intéresse aux relations sociales inter-individuelles

et aux faits anodins ou quotidiens, le paradigme accepte que ceux-ci puissent avoir un

contenu à la fois cohésif (intégration sociale) et conflictuel (domination sociale) selon les

motivations qui propulsent l'action des acteurs sociaux. La société retrouve toujours un

équilibre consensuel à la suite de négociations entre acteurs, porteurs d'intérêts

antagoniques au départ.

3.1.6. Du point de vue dynamique (changement social)

* Pour le HS, l'intégration et l'harmonie sociales concourent au maintien de la société,

donc contribuent à sa conservation. La stabilité est naturelle. Le changement social est

une adaptation ou une réaction organique pour la résolution d'un problème. Le

changement est souvent provoqué par une intervention extérieure à la société ou au

groupe en question (exogénie du changement social). Il est occasionnel.

* Pour le HC, le changement social est aussi naturel et permanent que le conflit et

l'inégalité. Les trois phénomènes sont liés: l'inégalité génère le conflit et l'issue de celui-ci

détermine l'évolution future de la société. Le changement social est donc provoqué par les

contradictions ou les conflits internes à la société (endogénie du changement social).

* Pour l'interactionnisme, le changement social est permanent. Mais son issue dépend
des motivations qui guident l'action des individus. Aussi, est-elle est tout à fait aléatoire. Il

n'est pas possible de prédire l'évolution de la société; elle n'obéit pas à des "lois", comme

l'ont longtemps soutenu les deux traditions holistes.

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3.1.7. Le concept de société dans les trois paradigmes

Comparons en premier lieu l'idée de société respectivement avancée par le HS, le HC et

l'interactionnisme; puis, en guise d'exemple, voyons l'éclairage spécifique que les trois

traditions paradigmatiques apportent à un phénomène social particulier, la déviance:

La société est un système stable, composé de parties interdépendantes, basé sur un


HOLISME consensus moral. Cette structure sociale impose à ses parties des rôles qui
SOLIDARISTE permettent le fonctionnement harmonieux du tout. La société obéit à des
régularités: le comportement social est prévisible.
La société est un système divisé en groupes inégaux et antagonistes. La conscience
HOLISME des individus est dictée par la position sociale qu'ils occupent. Les conflits pour la
CONFLICTUALISTE redistribution des ressources et des attributs précipitent le changement social, qui
obéit aux lois de la dialectique.
La société est le produit d'un ensemble d'interactions entre des acteurs libres de
INTER- déterminismes sociaux et doués de rationalité. Les acteurs sont guidés par des
ACTIONNISME valeurs et des intérêts variables dans le temps. La société est naturellement
aléatoire et sujette à un changement permanent.

Une illustration comparative: la déviance sociale ou la transgression de la norme sociale vue par les trois

grands paradigmes sociologiques

Holisme solidariste
Les sociétés connaissent des comportements déviants ou pathologiques de gravité variable, tout comme
elles sécrètent des normes afin d'instaurer un ordre social. Les délits et les crimes, ainsi que les profils
sociaux probables de leurs auteurs sont plus ou moins prévisibles d'une année à l'autre. La transgression
d'une norme sociale et la sanction qu'elle entraîne permettent à la société de réaffirmer sa cohésion interne
par un rassemblement autour de valeurs considérées comme fondamentales. La sanction assume ainsi une
fonction manifeste de maintien de la société, tandis que la déviance assure une fonction latente de même
nature.

Holisme conflictualiste
Les lois et toute autre forme de norme sociale sont posées par les membres puissants de la société. Elles
reflètent les intérêts de ceux-ci et tendent à les protéger. Un comportement dû à l'exaspération des exclus
ou des dominés sera considéré comme une menace pour l'ordre établi. Il sera défini comme déviant et
connaîtra une sanction. Par contre, les injustices sociales causées par l'inégale distribution de richesses
matérielles et d'attributs sociaux ne seront pas considérés comme sanctionnables. Par ailleurs, pour un même
comportement déviant, les membres des classes populaires risquent d'être sanctionnés plus sévèrement que
les membres des classes aisées.

Interactionnisme
Les normes sociales ne sont pas naturelles. Toute action sociale peut devenir un comportement déviant
lorsqu'elle est considérée comme telle par d'autres acteurs avec lesquels interagit l'auteur de celle-ci. Mais la
réaction d'autres à ce comportement, la sanction, peut être considérée comme imprévisible; elle dépendra
des valeurs fondamentales et des intérêts momentanés qui animent ces autres acteurs. Du point de vue de la
société globale, une norme sociale est définie par un large consensus établi à un moment donné. La
transgression de cette norme est donc une contravention aux valeurs et aux intérêts de la grande majorité
des individus qui forment cette société.

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3.1.8. Une vue d'ensemble des trois paradigmes dominants en sociologie

Nous pouvons maintenant présenter une vue d'ensemble des trois grands paradigmes de

la sociologie et de leurs sous-écoles particulières grâce au graphique suivant. En abscisse

(axe horizontal), il est tenu compte de l'approche des différentes écoles par rapport au

changement social (aspect dynamique) et à l'aspect politique (conflictualisme ou

solidarisme). Sur cet axe, plus vous vous déplacez vers la droite, plus les théories

deviennent solidaristes (harmonie sociale) et valorisent la stabilité. Inversement, plus vous

avancez vers la gauche, plus les théories deviennent conflictualistes (contradiction

sociale) et valorisent le changement. En ordonnée (axe vertical), il est tenu compte des

approches épistémologique et ontologique des différentes écoles étudiées. Plus vous

montez le long de l'axe, plus les théories adoptent des explications holistes; et

inversement, plus vous descendez le long de l'axe, plus les théories deviennent atomistes

ou interactionnistes. Si un auteur est placé sur un axe, cela veut dire qu'il a une position

neutre en ce qui concerne la dichotomie symbolisée par l'autre axe (par exemple, le

compréhensivisme de Weber est placé sur l'axe vertical car il tient une position neutre

dans les dichotomies conflit/solidarité et changement/stabilité représentées par l'axe

horizontal). Nous avons ainsi défini les espaces spécifiques des trois paradigmes: holisme

solidariste, holisme conflictualiste et interactionniste. A chaque sous-école particulière


d'un paradigme est associé le nom de son fondateur ou le nom d'une figure de proue.

Nous aborderons ces auteurs par la suite. A leurs confins, les trois paradigmes

s'interpénètrent et les flèches symbolisent les influences inter-paradigmatiques les plus

apparentes. Enfin, remarquons que certaines sous-écoles récentes (voir les dates de

naissance des auteurs) s'approchent de l'origine des axes car leurs auteurs empruntent
davantage que jadis aux autres paradigmes, reconnaissant ainsi leur complémentarité de

fait.

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+  Holisme
MARXISME  -­  Interactionnisme
MARX  (1818-­1883) POSITIVISME
DURKHEIM  (1858-­1917)
HOLISME   STRUCTURALISME FONCTIONNALISME HOLISME  
GENETIQUE MERTON  (1910)
CONFLICTUALISTE BOURDIEU  (1930) SOLIDARISTE
-­    Conlictualisme
+  Conflictualisme SYSTEMISME +  Solidarisme
-­  Solidarisme SOCIOLOGIE   PARSONS  (1902-­1979)
DYNAMIQUE
 +  Changement TOURAINE  (1925) -­    Changement
 -­  Stabilité +  Stabilité

COMPREHENSION
WEBER  (1864-­1920)
INTERACTIONNISME
ANALYSE  
STRATEGIQUE
CROZIER   INDIVIDUALISME
(1922) METHODOLOGIQUE
BOUDON  (1934)
UTILITARISME
MILL  
(1806-­1873)
INTERACTIONNISME
SYMBOLIQUE
GOFFMAN  (1922-­1982)

-­    Holisme
+  Interactionnisme

Nous allons maintenant nous focaliser un par un sur chacun des trois paradigmes afin de préciser

davantage leurs principes théoriques ainsi que leur évolution historique respective.

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3.2. Holisme solidariste (HS)

3.2.1. La filiation théorique solidariste

La "famille" HS a donnée successivement naissance à plusieurs sociologies spécifiques ou

approches différentes. Nous ne citerons que les quatre les plus emblématiques en leur

associant, à chaque fois, une figure de proue:

- Dès la fin du XIXe siècle: la sociologie positiviste du Français Emile Durkheim

(1858-1917) et de ses continuateurs. Durkheim est un des fondateurs de la

sociologie en tant que discipline scientifique et enseignement universitaire. Même

les sociologues des deux autres paradigmes concurrents lui doivent beaucoup;

- Dans la première moitié du XX e siècle: la sociologie fonctionnaliste dont le plus

grand théoricien est l'Américain Robert Merton (né en 1910);

- Depuis les années '50: la sociologie systémiste de l'Américain Talcott Parsons

(1902-1979). Le courant systémique est toujours à la mode dans énormément de

centres de recherches sociologiques;

- Enfin, depuis les années '70 et actuellement: le "structuralisme génétique" du

Français Pierre Bourdieu (né en 1930) et de ses élèves. Bourdieu tente de

réconcilier théoriquement et méthodologiquement les trois grands paradigmes, mais

son port d'attache reste quand même la famille du holisme solidariste.

3.2.2. Les principes positivistes communément partagés

Les quatre principes théoriques que nous allons voir ont surtout été codifiés par le

philosophe positiviste français Auguste Comte (1798-1857). Mais ils transparaissent

encore dans la réflexion sociologique solidariste contemporaine, qui pense que la société

est fondamentalement subie plutôt que construite par l'individu. Ces principes sont

toujours respectés par les sociologues du paradigme HS dans l'explication du réel et le

choix de méthodologies de recherche. Il s'agit de l'objectivisme, de l'empirisme, du

nomothétisme et de l'évolutionnisme.

1- Objectivisme

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Il n'y a de fait social qu'objectivable, c'est-à-dire concrètement mesurable. "Les fait

sociaux sont des choses" disait Durkheim. Les sociologues HS rejettent toute
explication du monde qui soit extérieure au monde physique (qui soit métaphysique,

extramondaine). De nouveau, Durkheim rappelait à ce sujet qu' "il faut expliquer le

social par le social".

Citons un extrait classique d'un livre de Durkheim, Les règles de la méthode

sociologique (1895), qui illustre parfaitement l'objectivisme du paradigme

solidariste:

"Avant de rechercher quelle est la méthode qui convient à l'étude des faits sociaux,
il importe de savoir quels sont les faits que l'on appelle ainsi. La question est
d'autant plus nécessaire que l'on se sert de cette qualification sans beaucoup de
précision. On l'emploie couramment pour désigner à peu près tous les phénomènes
qui se passent à l'intérieur de la société, pour peu qu'ils présentent, avec une
certaine généralité, quelque intérêt social. [...]

Quand je m'acquitte de ma tâche de frère, d'époux ou de citoyen, quand j'exécute


les engagements que j'ai contractés, je remplis des devoirs qui sont définis, en
dehors de moi et de mes actes, dans le droit et dans les moeurs. [...] De même, les
croyances et les pratiques de sa vie religieuse, le fidèle les a trouvés toutes faites
en naissant; si elles existaient avant lui, c'est qu'elles existent en dehors de lui. Le
système de signes dont je me sers pour expliquer ma pensée, le système de
monnaies que j'emploie pour payer mes dettes, les instruments de crédit que
j'utilise dans mes relations commerciales, les pratiques suivies dans ma profession,
etc., etc., fonctionnent indépendamment des usages que j'en fais. Qu'on prenne les
uns après les autres tous les membres dont est composée la société, ce qui
précède pourra être répété à propos de chacun d'eux. Voilà donc des manières
d'agir, de penser et de sentir qui présentent cette remarquable propriété qu'elles
existent en dehors des consciences individuelles.

Non seulement ces types de conduite ou de pensée sont extérieurs à l'individu,


mais ils sont doués d'une puissance impérative et coercitive en vertu de la quelle ils
s'imposent à lui, qu'il le veuille ou non. Sans doute, quand je m'y conforme de mon
plein gré, cette coercition ne se fait pas ou se fait peu sentir, étant inutile. Mais elle
n'en est pas moins un caractère intrinsèque de ces faits, et la preuve, c'est qu'elle
s'affirme dès que je tente de résister. Si j'essaye de violer les règles de droit, elles
réagissent contre moi de manière à empêcher mon acte s'il en est temps, ou à

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l'annuler et à le rétablir sous sa forme normale s'il est accompli et réparable, ou à


me le faire expier s'il ne peut être réparé autrement. [...] Dans d'autres cas, la
contrainte est moins violente; elle ne cesse pas d'exister. Si je ne me soumets pas
aux conventions du monde, si, en m'habillant, je ne tiens aucun compte des usages
suivis dans mon pays et dans ma classe, le rire que je provoque, l'éloignement où
l'on me tient, produisent, quoique de manière atténuée, les mêmes effets qu'une
peine proprement dite. Ailleurs, la contrainte, pour n'être qu'indirecte, n'en est pas
moins efficace. Je ne suis pas obligé de parler français avec mes compatriotes, ni
d'employer les monnaies légales; mais il est impossible que je fasse autrement. Si
j'essayais d'échapper à cette nécessité, ma tentative échouerait misérablement.
Industriel, rien ne m'interdit de travailler avec des procédés et des méthodes de
l'autre siècle; mais, si je le fais, je me ruinerai à coup sûr. [...]

Voilà donc un ordre de faits qui présentent des caractères très spéciaux: ils
consistent en des manières d'agir, de penser et de sentir, extérieures à l'individu, et
qui sont doués d'un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s'imposent à lui."

L'unité de mesure de la sociologie HS est donc le "fait social", qui est, selon

Durkheim, "une manière d'agir, de penser et de se sentir". Le fait social existe

indépendamment de l'individu (il lui est extérieur) et il s'impose à lui (le fait social

est contraignant pour l'individu). La société impose aux hommes des règles de

conduite, des sentiments, des identités et des positions sociales préexistant à ceux-

ci. La société a une "autorité morale" sur les individus et leur impose une solidarité

(=une manière d'organiser la vie en société). Cette solidarité est intériorisée tout au
long de la vie par le processus appelé socialisation.

Un phénomène fondamental: la socialisation

La socialisation est opérée par des institutions sociales, de véritables

machines à produire de la "cohésion sociale". La socialisation est l'opération

permanente par laquelle les individus deviennent des "êtres sociaux". Tout au

long de notre vie, nous apprenons et appliquons un nombre incalculable de

normes, de valeurs et des rôles sociaux très variés. La socialisation permet

notre adaptation à l'environnement social. Elle produit un degré suffisant de

cohésion et d'homogénéité (conformité) sociales. Etant donné que nous

intériorisons ces multiples règles sociales, nous n'avons (presque toujours)

pas conscience de leur nature coercitive. Plus encore, la conformité aux

normes sociales est recherchée par les individus. Car l'humain reste quand

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même un être social ou grégaire. Pour la sociologie HS, la conformisme et le

besoin d'appartenir à un groupe social défini sont instinctifs.

Dans la tradition du HS, tout ce qui est acquis, tout ce qui s'apprend dans la

vie d'un humain fait partie de la socialisation. On peut distinguer la

socialisation primaire de la socialisation secondaire. La première est manifeste

et s'opère durant l'enfance dans les deux institutions socialisatrices les plus

importantes: la famille et l'école. Les enfants y apprennent la propreté, le

langage, la discipline, à lire et à écrire, les rôles sexuels différenciés

communément admis dans la société, etc. La socialisation primaire, qui

correspond à la formation de la personnalité, est un conditionnement. Elle est

subie: les enfants intériorisent les modèles de comportement, les normes et

les valeurs souhaités par la communauté des adultes. La socialisation

secondaire est plus informelle. Elle commence à opérer pendant l'enfance,

mais se poursuit durant toute la vie à travers des institutions socialisatrices

plutôt (mais pas toujours) choisies par l'individu: les études supérieures, le

groupe de pairs (les amis), le travail, l'entreprise, la vie de couple et la

parenté, les associations, les media, l'église, l'armée (la conscription), etc.

Sans la socialisation il ne saurait être question de société. Par exemple, pour

le HS, les problèmes de cohabitation multiculturelle et d'insertion socio-

économique nés de l'implantation de populations immigrées en Europe

occidentale sont dûs à un degré encore insuffisant de socialisation de ces

groupes à la vie de nos sociétés. Ces problèmes ne pourront être résolus


qu'avec l'assimilation progressive des jeunes générations issues de

l'immigration aux manières "d'agir, de penser et de se sentir" de la population

autochtone...

2- Empirisme

Pour les sociologues HS, seule l'observation concrète des faits permet d'expliquer la

réalité. La compréhension ou l'introspection n'ont pas de valeur heuristique

(explicative). Les sociologues HS ne s'intéressent pas aux paroles, ni aux

sentiments mais aux actes.

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Exemples:

1- Pour étudier le degré d'attachement des ouvriers aux idéologies de

gauche, les sociologues solidaristes n'iront pas les interroger pour savoir s'ils

se sentent "à gauche". Mais ils récolteront des données statistiques

concernant:

- les résultats des élections dans des quartiers ouvriers;

- les taux d'affiliation d'ouvriers aux syndicats, aux partis et aux

associations qui se définissent à gauche;

- les taux de participation des ouvriers aux actions collectives (grèves,

manifestation, pétitions, ...) organisées par ces syndicats ou

associations;

- les ventes des journaux qui se définissent à gauche dans les quartiers

ouvriers.

Cette récolte peut s'effectuer directement, par questionnaire sur un

échantillon représentatif, ou indirectement, en interrogeant dans ce cas

précis les syndicats, les associations, les libraires, etc.

2- Lors d'une enquête, le sociologue HS préférera certainement la question

"Quelle est votre date de naissance?" à celle-ci: "Quel âge avez-vous?". Il


considérera cette donnée comme la seule qui soit objective en matière d'âge.

Alors qu'un sociologue interactionniste (voir point 3.4.) s'intéressera à la


récolte de données, peu importantes pour le sociologue solidariste,

concernant non seulement l'âge physique de l'individu (date de naissance),

mais aussi son âge psychologique (l'âge que l'individu se donne à lui-même,

l'image de soi: il y a des "vieux jeunes-hommes", comme il y a des "jeunes

vieux-hommes", etc.) et son âge social (l'âge que son entourage lui donne: il

y a, par exemple, des "ainés qui ont toujours dû frayer leur chemin tout

seuls", ils seront perçus plus âgés qu'ils ne le sont, et des "petits-derniers

éternellement couvés", qui ne grandiront jamais aux yeux de leurs proches).

3- Nomothétisme et prévisionnisme

Il s'agit, pour le HS de découvrir des régularités qui régissent les phénomènes

sociaux (qu'on appelait "loi sociologiques" au XIXe siècle, comme s'ils étaient des

lois physico-chimiques!). Il faut donc expliquer les liens de causalité ou de

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corrélation entre différents faits sociaux. Cet objectif nomothétique que poursuit le

HS doit logiquement le conduire à prévoir les comportements sociaux. La

découverte de régularités sociales permet la prévision du comportement social.

4- Evolutionnisme

Les sociologues positivistes pensaient sincèrement que l'histoire avait un sens et

que la société s'orientait toujours vers plus de développement, plus de complexité

et plus de cohésion interne. Pour les fondateurs du holisme solidariste, toutes les

sociétés devaient passer par les mêmes étapes de développement que la société

occidentale, la plus avancée. Ce jugement de valeur européo-centriste typique de

l'impérialisme de la fin du siècle dernier ne fait plus l'unanimité. Les sociologues HS

d'aujourd'hui ne sont plus aussi affirmatifs, surtout sur l'existence d'une prétendue

évolution linéaire et universelle des sociétés. Mais les conceptions évolutionnistes

des HS ont rendu possible une bonne description du changement social dans le

monde occidental:

Solidarité mécanique et solidarité organique

Pour E. Durkheim, par exemple, toutes les sociétés partent d'une solidarité

mécanique et s'orientent progressivement vers une solidarité organique. Le

concept de "solidarité" signifie ici l'organisation de la société ou la division du

travail opérée en son sein. Pour survivre, toutes les sociétés doivent partager

le travail nécessaire entre leur membres. Dans sa thèse de doctorat (De la


division du travail social, 1893), Durkheim affirme que ce partage détermine
la nature des liens qui unissent les individus à leur société. La morale,

l'éthique, les us et les coutumes, le droit, les croyances, les représentations

mentales des sociétés découlent de la "solidarité sociale" ou du mode de

partage du travail nécessaire à la survie collective, et non de principes

métaphysiques, hors du monde social et transcendant l'humain, comme les

religions.

Le travail nécessaire n'est pas seulement de l'ordre de la production

économique, mais concerne également l'administration, la sécurité collective,

la justice, les soins de santé, l'éducation (la socialisation) des jeunes

membres, etc. Toutes les sociétés recherchent plus d'efficacité dans la

division du travail, elles tendent toujours vers plus de complémentarité et

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d'interdépendance entre leurs individus: toutes les sociétés connaissent ou

connaîtront un passage de la solidarité mécanique à la solidarité organique.

Pour observer ce qu'il percevait comme une évolution inéluctable pour toute

société entre l'ère agricole de l'Ancien Régime et l'ère industrielle et urbaine

du XIXe siècle, Durkheim choisira l'étude des règles juridiques ou des lois, qui

sont pour lui des faits sociaux matériels, objectivables, hors de la volonté des

individus et qui s'imposent à eux. Dans l'évolution du droit français, Durkheim

voyait l'illustration du passage, tout au long du XIXe siècle, d'une société à

solidarité mécanique à une société à solidarité organique.

Comparons ces deux états des sociétés humaines:

Sociétés à solidarité mécanique Sociétés à solidarité organique

1- Economie agricole de subsistance. 1- Economie industrielle de marché.

2- Droit répressif: énonciation d'interdits et de 2- Droit coopératif: énonciation de libertés (de


sanctions à appliquer en cas de viol des interdits: droits) avec limites. Enonciation des modalités de
réparation (sanctions restitutives) en cas de non-
respect de ces limites (crimes et délits):
Devoirs > Droits Devoirs < Droits

3- La division du travail est faible 3- La division du travail est forte

Elle se fait selon des critères physiologiques (âge, Elle est complexe. La différentiation entre individus
sexe, force physique) ou selon l'appartenance à un est grande. On prend sa place dans la société selon
clan ou une caste. Tous les membres d'une "ce qu'on devient". Achievement society ou
catégorie spécifique (classe d'âge, sexe, caste, société de l'accomplissement. Les enfants peuvent
état,...) possèdent les mêmes qualifications parvenir à assumer des rôles différents de leurs
professionnelles et font le même travail. On prend parents. Certes limitée, la mobilité sociale existe.
sa place dans la société selon "ce qu'on est". Cette limitation est due à la survivance de
Ascription society ou société de l'attribut. Les solidarités mécaniques (claniques) partielles dans
enfants sont socialisés pour prendre la place de certains milieux (par ex. l'accès aux professions
leurs parents. Il n'y a pas de mobilité sociale. d'avocat, de notaire, médecin, de chef
d'entreprise,... est fortement conditionné par le
métier du père) et elle provoque un "gaspillage de
talents". Pour Durkheim, l'inégalité des chances est
une pathologie sociale. La distribution des attributs
sociaux devrait être basée sur le mérite et non sur
l'héritage.

4- La conscience collective est forte 4- La conscience collective est faible

La vie quotidienne des gens est semblable (ils sont Il existe une grande dissemblance entre différents
tous paysans). La source de cohérence sociale est groupes sociaux assumant différentes fonctions et
la similitude. L'attachement identitaire est unique professions dans la société. La source de
(la religion). Il n'y a pas de morale hors religion. La cohérence sociale est la complémentarité. Des
société du "Nous" et société d'interconnaissance attachements identitaires variés apparaissent. Une
(tout le monde se connaît). La socialisation des morale hors religion devient possible (laïcité). La
individus se réalise essentiellement dans la famille, société du "Je" et société de l'anonymat. La
l'entourage immédiat et par la religion. socialisation s'opère toujours dans la famille (et par
l'entourage), mais de plus en plus en dehors d'elle
aussi: à l'école, au travail, par les media,...

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Dans les sociétés à solidarité mécanique, le lien social est fondé sur la

similitude des individus d'une même catégorie sociale, mais aussi sur

l'inégalité des individus de catégories différentes. La conscience collective

des sociétés à solidarité mécanique absorbe les individualités. Le droit des

sociétés à solidarité mécanique impose aux individus un état (un ensemble de

droits et de devoirs lié à un statut social hérité, inamovible et inaliénable)

selon ce qu'ils sont: les hommes, les femmes, les serfs, les paysans, les

artisans, les nobles, le clergé, les catholiques, les protestants, les juifs se

voient infliger des codes de conduite obligatoires et des sanctions (en cas de

non-respect). Ces obligations, sanctions et droits sont différents d'une

catégorie à l'autre et inégaux entre eux. Par contre, dans les sociétés à

solidarité organique, les individus sont supposés égaux devant un droit de

type contractuel et libéral. Le même droit s'impose à tous. Le lien social se

développe dans le cadre d'échanges réciproques, régi par un droit unique,

entre individus interdépendants, de plus en plus différents des uns des

autres. Le statut social de chacun confère encore un certain nombre de

droits et de devoirs, mais les statuts sont acquis et non plus hérités des

parents.

Durkheim constate que dans les sociétés à solidarité organique les individus

sont plus dépendants des uns des autres (accroisement de la

complémentarité économique), mais ils sont aussi, et paradoxalement, plus

autonomes (diversification sociale et culturelle). Puis qu'ils exercent des

métiers différents et qu'ils vivent différemment, les gens peuvent exprimer


davantage leurs individualités. Chacun dépend du travail de l'autre mais

dispose aussi d'un mode de vie et d'une identité qui lui sont propres. C'est

pourquoi, et bien qu'elle soit une tentative d'accroissement de l'efficacité

coopérative, la société moderne à solidarité organique produit deux

pathologies ou dysfonctionnements essentiels: l'individualisme (perte d'une

conscience collective qui incite à la coopération) et l'anomie (affaiblissement

de normes sociales qui produisent la cohésion). La société sera menacée si

ces deux dysfonctionnements ne sont pas maîtrisés.

Un contemporain Allemand de Durkheim, Ferdinand Tönnies (1855-1936),

avait lui aussi établi une distinction similaire entre la société traditionnelle

(Gemeinschaft, communauté) et la société moderne (Gesellschaft, société).

Pour Tönnies, la "communauté" est le fruit d'une volonté naturelle des

hommes. On nait membre d'une communauté: ethnies, religions, clans, tribus,

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familles,... Les communautés sont fondées sur les passions. La vie des

communautés est fusionnelle. Tandis que la "société" est le fruit d'une

volonté réfléchie des humains. On devient membre d'une société par adhésion

personnelle ou par cooptation collégiale sur base de mérites reconnus:

associations, partis, entreprises, syndicats, professions,... Les sociétés, qui

n'ont commencé à dominer l'organisation de la vie sociale qu'avec

l'industrialisation, sont fondées la raison, le calcul et l'intérêt.

Excellents dans la description de l'évolution sociale, ni Durkheim, ni Tönnies

donnent une explication satisfaisante du passage de la société traditionnelle à

la société moderne. Quel est le moteur de la société? Pour Durkheim, la

propension naturelle à rechercher plus d'efficacité dans la division du travail

social (dans la solidarité) provient simplement d'une pression démographique

(croissance de la population, augmentation des échanges et de la

communication entre les différents membres de la société).

3.2.3. Critique du holisme solidariste

Le positivisme, qui est toujours une référence théorique de base pour le HS, est en

quelque sorte un "optimisme naïf" hérité du siècle dernier (l'illusion de la toute puissance

de la "science objective"). Peut-on être entièrement objectif? Les faits sociaux ne sont-ils

pas appréhendables aussi de l'intérieur comme le proposent les interactionnistes?

L'encrage positiviste du HS rend difficile l'explication par ce paradigme des phénomènes


de changement et de conflits sociaux. Si le HS décrit bien les conséquences du

changement social, il ne parvient pas toujours à mettre en évidence les causes de celui-ci.

Le HS néglige l'étude des mutations et des polarisations sociales. Enfin, le paradigme HS a

produit des théories trop générales et abstraites qui ne sont pas toujours en mesure

d'expliquer les conduites réelles d'acteurs sociaux concrets et individuels. Par ailleurs, la

vérification empirique de ces théories abstraites n'a pas toujours été possible.

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3.3. Holisme conflictualiste (HC)

3.3.1. La filiation théorique marxiste

Bien qu'il existe des sociologues conflictualistes non-marxistes comme l'Allemand Georg

Simmel (1858-1918), le Français d'origine russe Georges Gurvitch (1894-1965) ou

l'Américain Alvin W. Gouldner (1920-1981), cette école de pensée est largement dominée

par le marxisme. Nous ne pourrons traiter que du conflictualisme marxiste dans le cadre de

ce cours: holisme conflictualiste et sociologie marxiste seront donc synonymes pour nous.

En termes de recherche sociologique, comme en termes d'idéologie politique, l'oeuvre de

Karl Marx (1818-1883) et de son ami Friederich Engels (1820-1895), qui n'a jamais

concerné que l'étude critique de la société capitaliste du XIX e siècle, a connu un

développement important au XXe siècle, souvent avec des interprétations contradictoires.

En effet, l'oeuvre de Marx resta inachevé et, à l'état d'ébauche pour bien des aspects, il

occasionna une grande variété d'interprétations. Pressentant les usages futurs de ses

travaux, K. Marx affirmera à la fin de sa vie qu' "il n'est pas marxiste" ! Citons, parmi

d'autres, les sociologues marxistes de la seconde moitié du siècle que nous verrons dans

les points suivants:

- Le Franco-Grec Nicos Poulantzas (1920-1980), l'Allemand Ralph Dahrendorf (né

en 1929) et le Brittanique Eric O. Wright travailleront à l'adaptation de la théorie

des classes sociales et de la lutte de classes aux conditions de notre siècle.

- Le Français Louis Althusser (1918-1990) et le Germano-Américain Herbert

Marcuse (1898-1979) ont, par des voies assez différentes, cherché à expliquer la

formation des représentations sociales (idéologies et identités) dans les sociétés

capitalistes contemporaines.

La sociologie marxiste définit la société comme un ensemble de rapports sociaux

caractérisés par des contradictions, des conflits et des changements. Les contradictions

sociales suscitent le conflit et l'issue de celui-ci précipite le changement social. Les

contradictions sociales sont inhérentes à la société. Elles font partie de sa nature. Elles

trouvent leur origine dans la distribution inégale d'attributs sociaux (avoir, savoir, pouvoir)

entre les différents groupes structurels qui divisent les sociétés (les classes sociales, les

deux sexes, les groupes ethniques, les groupes religieux, les régions, ...). Dans la théorie

marxiste, l'état de développement économique et technique des sociétés (= leur

processus de production de richesses = leurs conditions matérielles d'existence)

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détermine, par dessus tout, la nature de leurs divisions sociales et celle de leurs

contradictions. La sociologie marxiste est holiste: le niveau de développement des

sociétés impose aux individus une conscience et un modèle de comportement particuliers.

Cependant, en tant qu'idéologie politique, le marxisme est de nature volontariste: il insiste

sur la nécessité historique de la lutte des "opprimés" contre les "oppresseurs" afin

d'améliorer leurs condition d'existence en abattant l'ordre établi. D'où le refus de la

neutralité politique de la science et l'importance accordée par les intellectuels marxistes à

l'engagement dans des associations, des coopératives, des syndicats, des partis de

gauche et même dans la lutte armée. Cette activité révolutionnaire, en vue de précipiter le

changement social en combattant les déterminismes et qui complète l'étude théorique de

la société, est nommée la praxis. K. Marx dit: "les philosophes n'ont fait qu'interpréter le

monde par différentes voies, alors qu'il s'agit de savoir comment le changer".

3.3.2. Les principes dialectiques communément partagés (le matérialisme dialectique)

La dialectique était l'art de la discussion dans l'Antiquité grecque. Pour la sociologie

marxiste, qui l'emprunte au philosophe allemand Friederich Hegel (1770-1831) et

l'applique à l'analyse de la société, c'est la méthode qui permet la mise en évidence des

contradictions de la réalité. En quoi, l'analyse dialectique doit rendre compte du

changement endogène, c'est-à-dire des mutations engendrées par l'organisation et le

fonctionnement propres du système (société) étudié. L'analyse doit situer l'origine du

changement dans le système lui-même, par exemple dans la modification des rapports (de

force) entre ses parties interdépendantes et antagoniques. Le fonctionnement de chaque


système modifie ses éléments, comme les pièces d'une machine qui finissent par s'user.

La contradiction est la notion clé de la méthode dialectique: le développement des

sociétés dépend de la confrontation de leurs antagonismes. De la contradiction entre une

thèse et une antithèse naît une synthèse inédite, qui dépasse l'antagonisme initial. On
nomme "matérialisme dialectique" l'énonciation des lois générales qui régissent tous les

phénomènes physiques et sociaux. Ces lois seront notamment utilisées pour expliquer

l'organisation, la stratification et la mutation sociales: c'est ce qu'on appelle alors le

"matérialisme historique", l'application des principes du matérialisme dialectique à

l'analyse de la réalité sociale (pour un exposé du matérialisme historique, voir le point

4.2.).

Enonçons à notre tour ces principes ( lois) dialectiques qui ont, pour le HC, le même statut

épistémologique que les principes positivistes pour le HS (voir le point 3.2.2.). Toute

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analyse marxiste d'un phénomène social commencera par l'identification des effets

concrets de ces quatres lois:

1- Loi du mouvement: "tout change"

La réalité est en mouvement permanent. Il n'y a rien d'absolu ou de fixe. Pour

connaître une chose, il faut aussi connaître ses anciennes formes car la nature de

l'ancienne forme conditionne celle de la nouvelle (déterminisme de l'ancien sur le

nouveau). "Pour la dialectique, il n'y a rien de définitif, d'absolu, de sacré; elle

montre la caducité de toutes choses et en toutes choses, et rien n'existe pour elle
que le processus ininterrompu du devenir et du transitoire", écrira F. Engels.

2- Loi de la totalité: "tout influe sur tout"

Pour expliquer les rapports entre des faits particuliers, il ne faut jamais perdre de

vue la totalité. Les phénomènes étudiés doivent toujours être insérés dans le

contexte global qui les détermine. Le "saucissonnage" de la réalité sociale afin

d'expliquer des phénomènes concrets et bien délimités n'est acceptable que si le

résultat de cette étude est ensuite replacé dans la totalité qui l'englobe

(déterminisme du tout sur le particulier). Comme dans tout holisme, pour la

sociologie marxiste, la totalité définit la nature de ses parties interdépendantes.

Mais l'influence de la totalité sur ses parties est souvent latente. Il s'agit de la

découvrir.

Conséquence pratique de cette loi: les intellectuels marxistes devront se spécialiser

à la fois en économie, en sociologie, en science politique et en histoire. Un exemple

typique et contemporain est l'Américain Immanuel Wallerstein (né en 1930), qui

atteint dans ses travaux un degré élevé d'abstraction et de globalisation. Dans le

Système du monde du XVe siècle à nos jours (publié en deux volumes entre 1974
et 1980), il cherche à démontrer les synergies d'inégalités qui ont occasionné la

différenciation des sociétés contemporaines entre un monde occidental riche et un

Tiers-Monde pauvre. Il ambitionne d'expliquer à la fois et en interdépendance le

développement du capitalisme (d'abord en Europe, puis en Amérique du Nord),

l'apparition des classes sociales modernes, l'avènement des régimes politiques

libéraux en Occident, l'apparition du Tiers-Monde ("le développement du sous-

développement") et de ses régimes politiques autoritaires.

Illustration de la loi de la totalité: fédéralisation, stop ou encore?

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Donnons un exemple qui n'est pas d'origine marxiste. Lors d'une enquête

effectuée, pour le compte du Soir (fin avril 1995), sur un échantillon

représentatif de 1.074 Belges de plus de 18 ans on pose, entre autres, la

question suivante: "Faut-il encore accroître le fédéralisme en Belgique, c'est-

à-dire encore étendre les pouvoirs des Régions?". Voici les résultats récoltés
(en % des répondants) dans chacun des régimes linguistiques:

Accroître Ne sais pas Arrêter


la fédéralisation ou sans avis la fédéralisation
Francophones 18 37 45
Néerlandophones 38 45 17

Selon la loi (dialectique) de l'interdépendance (ou de la totalité) et même

selon le simple bon sens, il n'est pas possible d'interpréter valablement ce

tableau, qui rend compte d'un fait social (= la volonté affichée par des

citoyens quant à l'arrêt ou à la poursuite des réformes de fédéralisation),

sans se rapporter à la situation sociale et économique globale du Royaume.

Les taux d'indécision sont considérables, à l'image des incertitudes socio-

économiques que le pays traverse. Mais si, malgré tout, on fait abstraction

des indécis, la relative propension des Néerlandophones pour une

fédéralisation accrue trouve son explication dans:

- le caractère centrifuge du mouvement national flamand qui présente

encore une légitimité importante et invente de nouvelles justifications

("la Flandre finance la Wallonie", etc.)

- la situation économique relativement meilleure du Nord du pays qui

incite à plus de confiance en l'avenir.

A l'opposé, les Francophones sont, pratiquement pour une moitié, réticents

pour une autonomisation régionale accrue. Leur avis trouve son explication

dans l'état économique relativement obsolète du Sud du pays. Les

Francophones sont sur la défensive: une fédéralisation accrue, notamment

celle de la sécurité sociale, est fortement connotée avec une éventuelle perte

de droits acquis. Les réformes fédéralistes du passé sont loin d'avoir amélioré

la situation économique et sociale. L'opinion des Francophones s'explique

également par la division interne (Wallons/Bruxellois) qu'ils connaissent et

vivent comme un facteur d'incertitude.

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3- Loi de la contradiction: "tout a un contraire"

Toute chose contient en elle-même son contraire ou sa propre négation (l'unité des

contraires). La loi de la contradiction est le principe fondamental de la dialectique.

Ce sont les contradictions inhérentes aux choses qui sont la cause de leur propre

transformation ou changement. Car à l'intérieur de chaque chose, ces forces

coexistantes mais opposées, luttent entre elles. Les deux contraires sont

interdépendants:

L'unité du jour et de la nuit; celle de la vie et de la mort sont évidentes. Celle

du capital et du travail; celle du développement des pays riches et du sous-

développement du reste du monde le sont moins, mais elles sont tout aussi

vraies: l'un n'existe pas sans l'autre.

La contradiction entre une chose (affirmation ou thèse) et son contraire inséparable

(négation ou antithèse) se résout par une synthèse (le dépassement de la

contradiction à l'avènement d'une situation nouvelle, qui comporte elle-même des

contradictions nouvelles et inédites).

Illustration de la méthode dialectique: l'avènement du capitalisme industriel

en Europe occidentale et continentale

Affirmation (thèse):

Durant l'Ancien Régime, la noblesse détient à la fois le pouvoir politique et la

propriété économique la plus importante: la terre. Les nobles sont de grands

propriétaires et exploitent les paysans grâce aux institutions du métayage ou

du fermage.

Cependant, un certain nombre de faits socio-économiques quantifiables

commencent à s'accumuler à partir du Moyen Age et surtout tout au long du

XVIIIe siècle. Ils finiront par devenir des dysfonctionnements pour le système:

1- l'apparition d'innovations techniques qui accroissent la productivité

agricole et provoquent une surpopulation relative des campagnes. On

parvient à produire de plus en plus avec de moins en moins de bras.

2- le développement des connaissances médicales et l'amélioration des

conditions alimentaires et hygiéniques permettent la prolongation de

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l'espérance de vie (allongement de la vie et recul de la mortalité

infantile) et donc aussi l'amorce d'une surpopulation réelle des

campagnes. Commence alors une migration de paysans sans travail

vers les villes.

3- la constitution des colonies d'outre-mer (essentiellement de

l'Amérique du Nord) et l'amélioration des techniques de navigation

permettent l'importation de céréales et de coton qui déséquilibrent les

marchés en défaveur des grands propriétaires.

Négation (antithèse):

La bourgeoisie (artisans, commerçants, banquiers et membres des

professions libérales) se pose en tant que la négation de la noblesse. Elle

applique les innovations techniques et les découvertes scientifiques aux

procédés de production traditionnels. Elle utilise la main-d'oeuvre corvéable

constituée par les paysans déracinés, qui n'ont pour seule richesse que leur

force physique. La bourgeoisie connaît un développement rapide de ses

affaires et de son influence politique. La production artisanale se transforme

en production industrielle durant la première moitié de XIXe siècle (révolution

industrielle).

Synthèse (dépassement de la contradiction):

La confrontation entre le pouvoir politique finissant de la noblesse et


l'affirmation du nouveau pouvoir de la bourgeoisie sera dépassée par une

série de révolutions libérales ou bourgeoises entre la Révolution française

(1789) et la moitié du XIXe (dont la Révolution belge de 1830). Les

bourgeoisies nationales s'accaparent le pouvoir politique. La bourgeoisie joue

un rôle progressiste car elle institutionnalise un ordre politique et juridique

adapté au capitalisme industriel caractérisé par la doctrine de la libre

entreprise ("laissez faire, laissez passer").

Mais devenant ainsi une nouvelle affirmation (ou thèse), le capitalisme

(la bourgeoisie industrielle) laissera se développer sa propre négation

(son antithèse): le prolétariat. En effet, de grandes concentrations

ouvrières se forment autour des industries. Les travailleurs, considérés

comme de simples instruments de production (le travail étant vu

comme une marchandise comme une autre), reçoivent des salaires de

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misère et ne bénéficient d'aucune protection sociale. La nouvelle lutte

de classes qui s'engage entre le prolétariat et la bourgeoisie sera

attisée par des phénomènes dysfonctionnels qui se développent

durant le XIXe et au début du XXe siècles:

- la concurrence entre capitalistes rend nécessaire

l'accroissement continu de la productivité (machinisme) et

favorise les monopolisations, les économies d'échelle, ainsi que

les licenciements.

- les progrès techniques provoquent donc une nouvelle

surpopulation relative et entraînent un chômage permanent

("armée de réserve") qui empêche les salaires de monter: l'offre

de travail étant souvent supérieur à sa demande.

- alors que la productivité avance à pas de géants, la

paupérisation de la masse ouvrière (la stagnation de son pouvoir

d'achat) ne permet pas toujours l'écoulement des produits

provoquant des crises récurrentes de surproduction.

La synthèse de cette nouvelle confrontation devait être, selon la

théorie marxiste, une révolution prolétarienne et l'établissement d'un

ordre juridique et politique socialiste. Des révolutions et révoltes à

caractère socialiste, il y en a eu quelques unes durant la seconde

moitié du XIXe siècle et jusqu'à la première guerre mondiale. Mais

aucun régime socialiste n'a pu s'établir en Europe occidentale. Le


résultat essentiel de la lutte de classes sera la reconnaissance sociale

et politique de la classe ouvrière par l'établissement progressif des

législations sociales et du suffrage universel. Le capitalisme se protège

d'une éventuelle révolution par l'octroi de droits économiques, sociaux

et politiques (l'intégration de la classe ouvrière au système et

l'amélioration de son niveau de vie) qui culminera par l'établissement

de la sécurité sociale généralisée après 1945 (telle que nous la

connaissons encore aujourd'hui).

Pour la Belgique, par exemple, les premières législations sociales

s'observent dès 1840 (la réglementation du travail des femmes et des

enfants dans les mines). La loi interdisant les grèves est levée en

1866. Mais le vrai développement du droit social et la légalisation

progressive des syndicats débutent en 1886. L'officialisation du congé

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hebdomadaire, le dimanche, date de 1905. L'instauration de

l'instruction gratuite et obligatoire jusqu'à l'âge de douze ans date de

1914 (elle sera prolongée jusqu'à 14 ans après 1945 et jusqu'à 18

ans en 1983). Le suffrage universel masculin et la journée de travail de

8 heures pour 6 jours par semaine (48 h.) ont été acquis en 1921 (en

fait, les employeurs s'étaient déjà rendus compte dès le XIX e siècle

que les journées de travail les plus longues n'étaient pas les plus

productives). Dans certains secteurs la baisse du temps de travail a

atteint 40 h. par semaine dès les années '30. Les congés payés

annuels datent aussi de l'entre-deux-guerres (1936). Le suffrage

universel féminin a été acquis en 1949. Dans les années '50, le week-

end de 2 jours s'est étendu à tous les secteurs. En 1978, une loi

entérine une situation de fait: la généralisation de 40 heures de travail

hebdomadaires dans tous les secteurs. 1997: dans la plupart des

secteurs on travaille 38 heures/semaine.

4- Loi de la transformation: "tout changement quantitatif produit un changement

qualitatif"

Toute accumulation de faits sociaux de type quantitatif finit par provoquer un

changement (un fait social) de type qualitatif pouvant être d'ordre positif ou

négatif.

Exemples:

1- Les gains en productivité grâce aux innovations technologiques et la pression des

revendications ouvrières (qui peuvent être chiffrées par les pertes dues aux

mouvements de grève) ont occasionné à la longue une baisse de l'ordre de 50% du

temps hebdomadaire de travail. Durant le siècle écoulé, on est passé de 72 h./sem.

(12 h. x 6 jours) à 38 h./sem. Cette accumulation d'ordre quantitatif a donné lieu à

un changement d'ordre qualitatif et plutôt positif en termes de mentalité et de

mode de vie (les congés payés, le système des pensions, la "civilisation des

loisirs",...). Les mêmes gains de productivité (accumulation d'ordre quantitatif) ont

également finit par engendrer un chômage de masse qui implique pour beaucoup

une dégradation de la qualité de la vie sans précédent depuis 1945 (fait d'ordre

qualitatif et certainement négatif).

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2- Dans l'Union européenne, le nombre de diplômés d'études supérieures a plus que

doublé depuis le début des années '70. Cette augmentation sensible du nombre de

diplômés d'études supérieures (accumulation quantitative) a engendré une

dévaluation subjective de l'ensemble de ces diplômes sur le marché du travail (fait

qualitatif).

A partir de ce principe dialectique et contrairement à l'évolutionnisme linéaire du

holisme solidariste (voir le point 3.2.2), les marxistes élaboreront une philosophie

de l'histoire, évolutionniste mais discontinue et en paliers, faits de sauts qualitatifs

successifs.

L'accumulation de contradictions (tensions sociales), exprimée et observée en

termes quantitatifs (la confrontation "thèse/antithèse") donne lieu à un saut

qualitatif (la "synthèse" ou le dépassement de la contradiction initiale). Un système

social est dit "en état de masse critique" lorsque ses contradictions internes

atteignent une occurrence incontestable, quand les rapports sociaux formant ce

système deviennent instables (le tissu social se décompose) et les régularités

observées jadis ne s'y manifestent plus. Alors le système est mûr pour un

changement révolutionnaire, pour un saut qualitatif.

Temps

Selon ce schéma marxiste classique, le développement des contradictions internes

de l'Ancien Régime (sur le palier 1) ont donné lieu au saut qualitatif de la Révolution

industrielle et du capitalisme (palier 2). Le mûrissement des tensions sociales

créées par le capitalisme devront provoquer le saut du "passage au socialisme"

(palier 3).

3.3.3. Critique du conflictualisme marxiste

Axée sur le conflit et le changement, la sociologie marxiste ne rend pas toujours compte

de manière satisfaisante des phénomènes de stabilité et de cohésion sociales. Or les

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solidarités sociales sont aussi apparentes que les inégalités. Elle éprouve beaucoup de

difficultés à expliquer les phénomènes d'identité collective (nationalisme, régionalisme,

religion, etc.) qui ne soient pas exclusivement d'origine économique (l'appartenance à une

classe sociale). L'autonomie des groupes et la liberté des individus ne transparaissent pas

dans le holisme marxiste. Au contraire, cette théorie est rigide et abstraite. La théorie

marxiste affirme des lois (dialectiques) qui ne sont pas toujours vérifiables. Elle fait preuve

d'un déterminisme économique et technologique pesant.

K. Marx et F. Engels prirent conscience de ce fait et chercheront à nuancer leur position

par rapport au déterminisme économique et technologique de leur oeuvre. F. Engels écrira,

en 1894, qu'"il n'y a pas un effet automatique de la situation économique, ce sont au

contraire les hommes qui font leur histoire eux-mêmes dans un milieu donné qui la
conditionne, sur la base des conditions antérieures de fait". Pour F. Engels, la
détermination économique de la réalité sociale n'agit qu'en dernière instance. Cela signifie

qu'il existe bien une détermination dans le long terme, mais elle n'enlève rien au rôle actif

des hommes dans leur vie sociale concrète.

Le marxisme en tant que sociologie promettait de fournir les instruments d'analyse d'une

explication globale ou holiste de la réalité de la société capitaliste et de son évolution

historique. Aujourd'hui, il est essentiellement critiqué pour sa relative inaptitude à rendre

compte de la capacité du capitalisme à maîtriser ses propres contradictions internes en

assurant, durant de longs années entre 1945 et 1975, croissance et élévation du niveau

de vie pour tous. Une réalité sociale aujourd'hui révolue depuis pour l'ensemble des pays

industriels avancés...

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3.4. Interactionnisme (I)

3.4.1. La filiation théorique interactionniste

A la base du paradigme interactionniste se trouve l'idée de compréhension développée par

le sociologue allemand Max Weber (1864-1920). L'objet de cette conception de la

sociologie est de comprendre (en allemand, verstehen) les faits sociaux de l'intérieur,

c'est-à-dire de découvrir le sens que les individus donnent à leurs activités. Contrairement

aux deux approches holistes précédentes, l'analyse interactionniste des phénomènes

sociaux cherche à restituer la motivation et la signification qu'ont les comportements pour

leurs auteurs (subjectivisme). Dans le vocabulaire sociologique, comprendre le sens d'une

action sociale signifie expliquer sa raison ou sa finalité.

Reprenons l'exemple cité au point 3.2.2. où des sociologues HS s'intéressaient à

l'attachement éventuel des ouvriers aux idéologies de gauche. Ils cherchaient à mesurer

les expressions matérielles et quantitatives de ce phénomène. Dans une telle recherche,

un sociologue interactionniste aura comme objectif de dépeindre la "vision du monde"

(Weltumschauung) d'un certain nombre d'ouvriers à partir de méthodologies qualitatives:

observation participante, entretiens approfondis, récits de vie, discussions de groupe

(focused groups). Selon une expression devenue populaire, le chercheur interactionniste

ira voir "au niveau du vécu":

- il soulignera particulièrement l'histoire personnelle et familiale des sujets (qu'est-

ce pour eux qu'être ouvrier, comment le vivent-ils?);

- il cherchera à dégager le plus petit commun dénominateur idéologique des ouvriers

d'aujourd'hui dans une région de Belgique (les valeurs et les intérêts communs,

l'identité groupale);

- enfin, il voudra savoir ce que représente "la gauche" et l'action politique et/ou

syndicale de ce type dans le chef de ceux qui se disent y appartenir.

Les sociologies spécifiques qui se rangent dans ce paradigme praxéologique (relatif à la

compréhension du sens que donnent les acteurs à leurs pratiques sociales) sont assez

diverses, à l'image de son caractère individualiste. A part la sociologie compréhensive de

Weber datant du début du XXe siècle, citons les sous-écoles principales:

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- L'interactionnisme symbolique (depuis les années 1920) d'abord développé par

l'école de Chicago (le département de sociologie de l'Université de Chicago) dont

Ezra Park (1864-1944) fut le chef de file, puis approfondi par d'autres Américains

tels Herbert Blummer (inventeur du nom interactionnisme symbolique), Howard

Becker (né en 1928) et Harold Garfinkel (né en 1917), ainsi que le Canadien Erving

Goffman (1922-1982). Pour cet ensemble de sociologues divers et hétéroclites,

l'ordre social (la structure et les normes sociales) ne s'impose pas aux individus. Au

contraire, il est construit par leur action. Il s'agit d'un ordre social négocié de

manière permanente par tous les membres de la société. L'interaction

interindividuelle est le mécanisme fondamental du fonctionnement d'une société.

Les faits sociaux sont construits par des échanges symboliques quotidiens entre

des individus (ou groupes) doués d'une rationalité pratique et qui cherchent à

donner d'eux-mêmes une image publique favorable (une présentation valorisante de

"soi"). En plus d'une utilité concrète, tout comportement social est "symbolique",

car toute conduite sociale possède une signification spécifique pour les acteurs qui

les commettent et qui les observent. L'école de l'interactionnisme symbolique a

excellé dans l'observation et l'étude de la vie quotidienne, des problèmes de

cohabitation urbaine, de la criminalité et des faits sociaux anodins.

- L'individualisme méthodologique élaboré à partir des années 1970 par le Français

Raymond Boudon (né en 1934), pour qui les phénomènes sociaux ne sont

explicables que par la rationalité et le libre choix comportemental des individus.

L'analyse des comportements individuels est la méthode sociologique la plus


adéquate ou la plus efficace (la plus heuristique) dans l'explication de la réalité

sociale, c'est pourquoi cette école est appelée en français celle de l'individualisme

méthodologique. Des sociologues américains, dont George C. Homans (né en 1919),


ont nommé cette approche radicale de l'interactionnisme rational choice theory ou

social exchange theory. Pour G. C. Homans (Social Behaviour and its Elemantary
Forms, 1966), également, les transactions sociales entre individus sont guidées par
le calcul rationnel des avantages et des coûts respectifs des différentes possibilités

et combinaisons de comportements. L'ordre social ou l'émergence des structures et

des normes sociales est l'illustration même d'un état d'équilibre entre la somme des

contributions et celle des rétributions matérielles et psychiques de tous les

membres de la société. Dès que cet équilibre est rompu, dès qu'apparait une

inadéquation entre les coûts et les avantages que chacun retire de la vie collective,

se développe la frustration. Les conflits naissent du développement des frustrations

sociales.

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- L'actionalisme ou la sociologie dynamique du Français Alain Touraine (né en 1925)

qui étudie, depuis la fin des années 1960, les mouvements sociaux en tant

qu'acteurs principaux de la société et tente une synthèse des traditions

interactionniste et marxiste. Les mouvements sociaux sont des actions collectives

revendicatrices organisées par des groupes sociaux spécifiques pour la défense

d'intérêts et d'identités précises. Ils sont constitués par des acteurs individuels qui

se reconnaissent dans la réalisation de leurs objectifs.

- L'analyse stratégique que le Français Michel Crozier (né en 1922) et l'Autrichien

Erhard Friedberg, qui se sont spécialisés dans l'étude des administrations et des

entreprises, ont formulé à la fin des années 1970 (M. Crozier et E. Friedberg,

L'acteur et le système, 1977). Pour ces auteurs, les rôles sociaux et les normes
sociales ou les règles de conduite ne déterminent jamais totalement le

comportement des individus. Les préférences et les volontés individuelles ont une

force explicative sociologique toujours supérieure aux contraintes et aux structures

sociales, puisque même l'organisation la plus bureaucratique arrive à dégager des

"zones d'incertitude" où les acteurs sociaux peuvent agir librement et déployer des

stratégies en vue de transformer à leur avantage les règles et les rôles imposés par

l'organisation ou la structure sociale.

3.4.2. Les principes interactionnistes communément partagés

A la place des principes positivistes des sociologues du HS et des principes dialectiques


des sociologues du HC, on ne trouve que deux axiomes qui réunissent les

interactionnistes.

1- L'être humain est idiosyncrasique.

L'acteur social a la capacité de se défaire d'éventuels déterminismes ou structures

sociaux qui lui préexistent. Il construit sa société même s'il lui arrive, régulièrement,

d'être influencé par des structures et institutions sociales qui lui préexistent. En

dernière analyse, l'homme est fondamentalement libre. La société est plutôt

construite que subie pour les interactionnistes. L'idiosyncrasie est donc la

propension de l'acteur social individuel ou groupal à agir indépendamment des

déterminismes sociaux.

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A ce sujet, comparez la définition donnée par les sociologues du HS au phénomène

de socialisation et celle qui prévaut chez les interactionnistes:

Le but de la socialisation est l'épanouissement de la personnalité de l'acteur

plus que son adaptation progressive à une société préexistante par

l'intériorisation de normes et de valeurs. L'enfant ne subit pas la socialisation

primaire, il y joue un rôle actif et construit son identité à travers les

interactions qu'il noue avec son entourage (parents, amis, professeurs,

voisins, media,...). De plus, l'enfant contribue à la socialisation de ses propres

parents qui apprennent leur rôle de père ou de mère à son contact. La

socialisation primaire et, à plus forte raison, la socialisation secondaire sont

des processus d'échange et de négociation permanents durant toute la vie.

L'individu construit sa socialisation et sa personnalité au travers de ses

interactions avec son environnement social.

Pour Herbert Blummer (Symbolic Interactionism: Perspective and Method, 1969), la

réalité sociale est formée d'un ensemble d'actions individuelles mises en oeuvre par

des acteurs insérés dans des situations concrètes qu'ils interprètent en fonction

des conduites d'autres acteurs et non en référence à une structure sociale ou à

culture commune et stable. Les individus agissent (ou plutôt réagissent) à partir de

la signification qu'ils donnent aux comportements des autres acteurs en présence

de qui ils se trouvent. La perception du comportement des autres peut évoluer

durant l'interaction et donner lieu à des ajustements. L'interaction, l'unité de base

de l'explication sociologique pour l'interactionnisme, est un processus interprétatif


(du comportement des autres acteurs), intentionnel (orienté selon des valeurs et

vers des intérêts personnels) et ouvert (dont l'issue finale est aléatoire). La réalité

sociale est ainsi perpétuellement (re)construite par les acteurs sociaux. Elle est

instable et contingente dans le temps et dans l'espace. L'ordre social ne détermine

pas le comportement des individus. Au contraire, il n'est que la somme de ces

conduites individuelles. Par conséquent, la sociologie, en tant qu'étude de la

société, ne peut produire qu'une connaissance rétrospective et interprétative

(hermeunétique), sans pouvoir prétendre prévoir l'avenir.

2- L'être humain est rationnel.

Toutes ses actions sociales sont guidées à la fois par les valeurs et les intérêts qui

les motivent ou qui les animent. Penchons-nous sur cette question de la rationalité

des pratiques sociales. La rationalité est la capacité de déterminer les causes et les

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conséquences des choses. Puisque l'individu est doué de raison, il évalue chaque

situation sociale selon ses propres valeurs et intérêts. Dans cette perspective

sociologique, il est primordial de connaître les motivations des acteurs (le sens

qu'ils donnent à leurs actions). Mais avant de définir la rationalité des pratiques de

manière plus approfondie, ouvrons une parenthèse sur la "rationalisation" de la

société.

Weber et le désenchantement du monde (en allemand, Entzauberung):

Pour Max Weber, la rationalisation est un phénomène fondamental qui

caractérise les sociétés occidentales d'après la révolution industrielle. C'est

un processus spécifique à toute société moderne: la généralisation de la

démarche scientifique et intellectuelle dans toutes les sphères de la vie

sociale. La rationalisation s'est d'abord introduite dans la sphère de la

production économique (les techniques comptables, les calculs de rentabilité,

l'organisation scientifique du travail, la recherche de gains de productivité, la

standardisation des procédés de production et des produits, le machinisme,

l'automatisation,...). Plus tard, durant la seconde partie du XIXe siècle, les

domaines politique, juridique et administratif de la vie sociale ont également

connu une rationalisation avec l'avènement de modes d'organisation et de

fonctionnement bureaucratiques liés aux compétences objectifs des

fonctionnaires-experts. Selon Weber, c'est grâce à la rationalisation que l'être

humain parvient à dominer la nature et à maîtriser les déterminismes sociaux.

Les progrès techniques et la rationalisation de la vie sociale, ainsi que celle


des valeurs communément partagées, ont largement diminué l'influence de la

religion dans la société (ce phénomène de baisse d'influence de la religion est

appelée sécularisation ou laïcisation) en reculant les interprétations

métaphysiques, magiques et superstitieuses du monde: Weber appelle cela le

désenchantement du monde. En effet, en prenant en compte le changement


des sociétés occidentales depuis la fin du XVIIIe siècle, Weber ne partage pas

l'optimisme béat des sociologues positivistes du HS au début du XXe siècle.

Pour lui, la qualité des relations humaines baisse avec les progrès de la

rationalisation qui pervertissent, refroidissent, impersonnalisent,

bureaucratisent et rendent anonyme la vie sociale.

Lisons Weber dans le texte d'une des conférences qu'il a prononcé à Munich

entre 1917 et 1919 (Le savant et le politique):

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"Essayons d'abord de voir clairement ce que signifie en pratique cette


rationalisation intellectualiste que nous devons à la science et à la
technique scientifique. Signifierait-elle par hasard que tous ceux qui
sont assis dans cette salle possèdent sur leurs conditions de vie une
connaissance supérieure à celle d'un Indien ou un Hottentot peut avoir
des siennes? Cela est peu probable. Celui qui d'entre nous qui prend le
tramway n'a aucune notion du mécanisme qui permet à la voiture de
se mettre en marche (...). Nous n'avons d'ailleurs pas besoin de le
savoir. Il nous suffit de pouvoir 'compter' sur le tramway et d'orienter
en conséquence notre comportement; mais nous ne savons pas
comment on construit une telle machine en état de rouler. Le sauvage
au contraire connaît incomparablement mieux ses outils (...).
L'intellectualisation et la rationalisation croissantes ne signifient donc
nullement une connaissance générale croissante des conditions dans
lesquelles nous vivons. Elles signifieraient bien plutôt que nous savons
ou que nous croyons qu'à chaque instant nous pourrions, pourvu
seulement que nous le voulions, nous prouver qu'il n'existe en principe

aucune puissance mystérieuse et imprévisible qui interfère dans le


cours de la vie; bref que nous pouvons maîtriser toute chose par la
prévision. Mais cela revient à désenchanter le monde. Il ne s'agit plus

pour nous, comme pour le sauvage qui croit à l'existence de ces


puissances, de faire appel à des moyens magiques en vue de maîtriser
les esprits ou de les implorer mais de recourir à la technique et à la
prévision. Telle est la signification essentielle de l'intellectualisation [ou
de la rationalisation]".

Malgré la rationalisation de la vie sociale et des institutions de la société, Max Weber

pensait qu'une partie des actions sociales ou des pratiques sociales demeuraient

irrationnelles. Mais ses différents successeurs (l'interactionnisme symbolique,

l'individualisme méthodologique, l'actionalisme, l'analyse stratégique,...), qui

formeront le paradigme interactionniste, considèrent aujourd'hui qu'il y a une

rationalité propre à l'acteur dans chaque action sociale. Il s'agit de la découvrir.

Le tableau suivant synthétise la typologie des quatres relations à autrui (ou des

quatre différents types d'action sociale) établies par Weber et corrigées par ses

continuateurs.

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TYPOLOGIE DE WEBER MODIFICATIONS APPORTÉES ULTÉRIEUREMENT


A- COMPORTEMENT TRADITIONNEL Pour Weber, les catégories A et B comprenaient des
actions à faible conscience du sens car les auteurs de
Il s'agit d'actions automatiques ou de réflexes dictés par telles actions n'invoquent pas leurs motivations. Les
la coutume et les habitudes dont l'origine ne s'explique comportements traditionnels et les comportements
pas ou plus. Une majorité de nos actions quotidiennes affectifs seraient donc irrationnels. La catégorie A serait
font partie de cette catégorie. Citons quelques exemples: plutôt l'objet d'étude de l'anthropologie et la catégorie B
- obéir à ses parents celui de la psychologie. Aujourd'hui les sociologues
- s'embrasser ou se serrer la main interactionnistes considèrent qu'il y a une rationalité dans
- manger avec des couverts toute action sociale. Selon eux, les comportements des
- fermer la bouche quand on bâille catégories A et B recouvrent une rationalité
- les rituels (ensemble de comportements fixés par instrumentale. Celle-ci est dans l'usage fait du
une tradition religieuse ou autre) qui marquent comportement.
notamment des moments importants de la vie Par exemple, pleurer est irrationnel, mais cette action
(naissances, mariages, décès, cérémonies) peut décharger le psychisme d'un individu d'une
tension néfaste et jouer un rôle d'exutoire (catharsis);
B- COMPORTEMENT AFFECTIF ou bien un enfant peut pleurer pour amadouer ses
parents en vue d'obtenir quelque chose; ou encore, en
Il s'agit de réactions émotionnelles ou passionnelles. Les Sicile, des "pleureuses" louent leurs services contre
actes commis hors du contrôle rationnel de l'individu. paiement pour pleurer lors d'enterrements! Autre
Voici quelques exemples: exemple, la croyance en Dieu et la pratique d'un culte
- le "coup de foudre" religieux peuvent sembler irrationnelles dans le cas d'une
- la vengeance unique recherche de salut dans l'au-delà. Pourtant elles
- les injures deviennent rationnelles si cette croyance et pratique
- la violence physique servent à acquérir une paix intérieure (une "quiétude
- crier quand on a peur d'ici-bas") et une organisation concrète de la vie de tous
- pleurer les jours (comme dans les cas islamique et hindou).
- crimes commis par les forcenés, etc.
C- ACTION RATIONNELLE EN VALEUR Pour Weber, les catégories C et D comprenaient des
(WERTRATIONALITÄT) actions à forte conscience du sens car les auteurs de
telles actions invoquent clairement leurs motivations.
Il s'agit d'actes commis par conviction ou par sens du Pour les interactionnistes contemporains les actions des
devoir mais sans se soucier des conséquences de celui-ci catégories C et D recouvrent une rationalité substantielle
ou en ne connaissant pas les réactions qu'une telle ou intrinsèque ou encore intentionnelle. Elle est dans la
action peut éventuellement engendrer. Exemples: nature de la chose (en tout cas selon notre esprit
occidental): la rationalité (en valeur ou en intérêt) lui est
- les actes d'héroïsme ou les comportements consubstantielle. On considère aujourd'hui que dans
altruistes (le capitaine du bateau qui se laisse couler toutes les catégories d'actions (A, B, C et D), les
avec son navire ou celui qui court au secours d'un motivations peuvent être manifestement invoquées ou
accidenté de la route) demeurer latentes (motivation inconsciente).
- la jeune fille musulmane qui couvre sa tête pour L'interactionnisme contemporain a tendance à ranger les
sortir en rue et pour aller à l'école catégories A, B et C dans la dernière (D), la plus
- le politicien, annoncé perdant dans les sondages, qui rationnelle chez Weber. Chez les interactionnistes
continue à affirmer ses convictions et projets contemporains, le comportement humain est toujours
politiques impopulaires rationnel, même si cette rationalité n'est parfois
- les actes terroristes qu'instrumentale et ses

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D- ACTION RATIONNELLE EN INTERET motivations pas toujours conscientes. Weber lui-même


(ZWECKRATIONALITÄT) reconnaissait que les quatre types d'actions s'observent
rarement à l'état pur. Les comportements humains sont
Il s'agit d'actions dont la finalité est calculée et qui sont souvent composés d'une combinaison de ces différentes
commis dans l'attente de conséquences souhaitées catégories. Par exemple pour un travailleur, l'acte de se
(notamment provoquer de la part d'autrui une réaction syndiquer aujourd'hui en Belgique peut avoir plusieurs
prévisible). L'acteur confronte clairement les buts et les significations (motivations), il s'agit de voir la plus
moyens en vue d'atteindre un objectif précis. pondérante:
Exemples: - comportement par tradition, puisque ses parents et
- toute démarche de type administratif son entourage proche sont syndiqués "depuis
- l'étudiant qui bloque pour réussir ses examens toujours"
- le médecin qui administre un traitement en vue de - action rationnelle en valeur, puisqu'un travailleur doit
guérir un patient participer à la solidarité de classe par l'adhésion à un
- l'ingénieur qui conçoit et dirige la construction d'un syndicat qui est censé lutter pour la réalisation de
pont valeurs telle la justice sociale, la défense des plus
- les travailleurs d'une entreprise qui se mettent en démunis et la démocratie économique
grève pour modifier à leur avantage collectif un plan - action rationnelle en intérêts, puisque l'adhésion à un
de restructuration syndicat comporte des avantages (la défense de
- l'acheteur qui compare des prix et des qualités sur droits individuels et collectifs actuels et futurs, la
un marché et fait un choix en fonction de son intérêt gestion plus efficace des dossiers de chômeurs
économique syndiqués, le service juridique, la prime syndicale, les
centres de vacances, etc.)

Une action sociale ou une pratique sociale est une relation à autrui, qu'il soit présent ou

absent, vivant ou défunt. L'autrui peut être concret (individu, famille ou groupe) ou

abstrait et impersonnel (organisation, Etat, nation, ethnie, religion). Si l'action sociale est

motivée par les valeurs et les intérêts dont sont porteurs les individus ou les groupes (le

sens donné par l'acteur à son comportement), il n'en demeure pas moins qu'elle est un

processus dynamique. Une action sociale provoque toujours une "réaction". Il s'agit d'un

enchaînement d'actions-réactions, c'est-à-dire d'une interaction (voir le schéma suivant).

Dans ce processus, la perception de l'action d'un acteur par les autres (le sens donné par

autrui à l'action de l'acteur) est aussi importante. Car suivant la nature de cette

perception, l'acteur pourra être amené à modifier son comportement (rectifier le tir).

Même si nous sommes tous armés d'un moteur social, constitué par nos valeurs et
intérêts (V/I) et qui détermine nos actions, la réaction d'autrui, sa compréhension de

notre comportement, influence donc également notre action.

Réaction
Acteur A Acteur B
Action

V/I V/I

Lisons à ce sujet Howard Becker dans Outsiders. Etudes sociologiques de la déviance

(1963):

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" Les gens agissent ensemble [...]. Ils font ce qu'il font avec un oeil sur ce que les
autres ont fait, sont en train de faire, ou susceptibles de faire dans le futur. Les
individus cherchent à ajuster mutuellement leur lignes d'action sur les actions
perçues ou attendues des autres. On peut appeler action collective [interaction

sociale] le résultat de tous ces ajustements, surtout si on garde présent à l'esprit

que le terme ne renvoie pas aux seules actions collectives explicitement


concertées. [...] En employant un terme comme "ajustement", je ne veux pas
suggérer une vision de la vie sociale excessivement paisible, ni dire que les gens se
soumettent nécessairement à des contraintes sociales. Je veux seulement indiquer
que les gens prennent ordinairement en compte ce qui se passe autour d'eux et ce
qui est susceptible de se passer un fois leur décision prise. [...] Je ne veux pas non
plus laisser entendre par la discussion précédente que la vie sociale se composerait
seulement de rencontres face à face entre individus. Ceux-ci peuvent s'engager
dans des interactions intenses et durables sans jamais se rencontrer physiquement
[...]. [L']ajustement réciproque des lignes d'action et les concessions mutuelles au

cours des interactions se produisent aussi entre groupes et organisations."

Enfin, une interaction sociale se déroule dans un cadre contextuel et normatif. Même si ce

cadre n'exerce pas de déterminisme sur l'action des acteurs, il peut y insuffler une

certaine influence.

Bien que sociologue du HS, Talcott Parsons a tenté une synthèse de son paradigme avec

l'interactionnisme dans La structure de l'action sociale (1937). Selon sa formulation, une


interaction sociale implique:

- au moins deux acteurs individuels ou collectifs ayant chacun une motivation

(valeurs/intérêts);

- une situation contextuelle (ou conjoncturelle) mettant en scène les causes, les

moyens et les conséquences d'une action;

- un cadre institutionnel (ou normatif) qui influence ou guide l'action de l'extérieur.

Selon l'identité sociale de l'acteur et la nature de son action, le cadre normatif

l'encourage ou le décourage dans cette activité; il légitimise ou délégitimise son

action aux yeux d'autres acteurs.

Dans cette perspective, les valeurs et les intérêts qui motivent l'acteur subissent

l'influence de la résultante d'un cadre normatif, d'une situation conjoncturelle et de la

réaction des autres. Le cadre normatif est déterminant chez les sociologues du HS mais

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dans le paradigme interactionniste, les lois, les traditions, les normes et le contrôle sociaux

influencent les actions sans en être ni l'unique, ni la première cause.

Exemples d'influence d'un cadre normatif sur le comportement:

- Peu d'automobilistes obéiront aux injonctions d'un individu en civil qui se mettra à

régler la circulation au milieu d'un carrefour. Le port de l'uniforme (une norme

sociale à satisfaire pour accéder à une autorité déterminée) confère toute sa

légitimité à l'agent de police sur la voie publique.

- Il y a quelques années en Belgique, avant des modifications fiscales récentes, il

arrivait que des couples divorcent (sans cesser de vivre ensemble) pour payer

moins d'impôt. Inversement, il arrive à des couples, qui cohabitent depuis de

nombreuses années, de se marier pour éviter une taxation importante notamment

en matière de droits de succession.

- Aux Etats-Unis, la discrimination raciale tant de point du vue légale que de point

du vue des normes sociales (entre autres, la mentalité de la majorité blanche) a

empêché pendant longtemps la promotion sociale des Noirs américains. Les seules

voies de mobilité sociale (en termes de réalisation de soi et d'enrichissement)

furent la musique et le sport durant la majeure partie du XX e siècle. Alors que les

universités ne leur ont ouvert leurs portes que depuis une ou deux générations

seulement, dès les années '20 les milieux du show-business et ceux du sport

professionnel étaient largement investis par les Noirs. Ils n'étaient pas plus artistes
ni plus sportifs que les Blancs, ils n'avaient seulement pas beaucoup d'autres

possibilités d'échapper à la misère.

Ayant défini le cadre qui génère et guide l'interaction sociale dans ce paradigme, donnons

une illustration d'analyse de comportement qui s'inspire de la célèbre formule du

sociologue américain Harold Lasswell (1902-1978) sur la communication: "qui dit quoi,

par quel canal, à qui et avec quel effet?"

Exemple: la mort de Baudouin Ier

Le discours royal du 21 juillet 1993 prendra a posteriori une valeur de testament,

puisque le 31 juillet le Roi Baudouin Ier disparaissait inopinément. Pas moins de

500.000 personnes lui rendront un dernier hommage. Les fractions de la population

les plus attachées à la dynastie, la population bruxelloise, les milieux catholiques (et

parmi ceux-ci surtout les francophones) manifesteront leur unionisme et leur

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attachement au défunt jusqu'aux funérailles (7 août), et au-delà, durant des

semaines, à l'aide de drapeaux, photos ou autocollants sur les vitres, vitrines et

pare-brises. Les quotidiens nationaux seront assaillis de lettres d'hommage.

L'engouement populaire qui s'est emparé de la Belgique à cette occasion était sans

doute la traduction d'un désarroi social, d'une peur du séparatisme au lendemain de

l'instauration d'institutions fédérales (la réforme institutionnelle venait de s'achever

au 14 juillet). De nombreux Belges ont voulu se sentir unis; retrouver un repère sûr

face à un système politique décrié et dont l'avenir est incertain. L'intensité de la

ferveur, même si elle a été amplifié par les media qui ont dressé une hagiographie

du défunt et submergé le public d'images émotives, a révélé à quel point la

monarchie était encore omniprésente, malgré son rôle politique symbolique. Aussi,

le deuil acquit une dimension positive pour l'unité politique et la cohésion sociale.

Interprété comme un sursaut des citoyens unionistes, le phénomène n'a pas tardé à

connaître une récupération par les milieux ecclésiastiques. A la faveur de ce retour

de l'Eglise dans les affaires publiques, l'oraison funèbre du Primat de Belgique qui

qualifiait Baudouin de berger de son peuple, fut fort remarquée.

Posons à notre tour quelques petites questions:

Qui agit? (l'acteur A) / Quand et où? (cadre contextuel)

Les catégories de la population les plus attachées à la Royauté, notamment

des Bruxellois et des catholiques surtout francophones. Durant l'été 1993 en


Belgique suite au décès du roi.

Que font-ils? Comment font-ils? (actions et moyens)

Manifestations d'hommage. Autocollants, drapeaux, lettres aux journaux, etc.

Pourquoi?

Influence du cadre normatif: le décès d'une personne est accueilli dans le

recueillement, à plus forte raison quand il s'agit d'un chef d'Etat. Ses

funérailles sont organisées selon les régles. Les gens font part de leur

sympathie à la famille du défunt et tiennent un discours hagiographique sur

lui.

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Causes liées aux valeurs: aux incertitudes ambiantes liées à l'instauration très

récente de nouvelles institutions fédérales (encore plus complexes et

donnant l'impression de satisfaire davantage certaines revendications

flamandes) s'est ajouté le choc de l'annonce du décès provoquant un

mouvement contre le séparatisme et contre une classe politique, éloignée

des préoccupations quotidiennes, ouverte à certaines idées séparatistes et

connaissant en son sein des cas de corruption. Si le décès de l'ancien

souverain était intervenu à un moment plus "neutre" de l'histoire politique

récente du pays on n'aurait peut-être pas connu un tel engouement populaire

(influence du cadre contextuel).

Causes liées aux intérêts: Elles sont davantage latentes ou de l'ordre du

"non-dit". Durant ces jours, ont manifesté leur angoisse et leur désarroi

essentiellement ceux qui risquaient de se trouver en situation de minorité ou

ceux qui seraient manifestement désavantagés dans le cas de l'indépendance

des Régions). Les francophones qui craignent l'indépendance flamande; les

Bruxellois qui craignent à la fois les Flamands (Bruxelles, la Capitale de la

Flandre) et les Wallons (majoritaires parmi les francophones); les catholiques

qui craignent de se trouver minoritaires dans une Belgique francophone

majoritairement laïque et socialiste; et les couches rentières (par exemple les

détenteurs des bons de caisse et d'autres valeurs mobilières belges) qui

craignent de voir leur investissement perdre sa valeur dans le cas de la

réalisation d'idées séparatistes se sont retrouvés côte à côte dans ce

mouvement.

A qui? (l'acteur B)

Le mouvement d'hommage et de sympathie s'adressait bien sûr à la

personne du Roi défunt et à la famille royale. Mais le mouvement d'hommage

devenu mouvement unioniste visait essentiellement un autrui impersonnel:

les autres fractions de la société et surtout peut-être la classe politique.

Avec quels effets? (réactions et résultats)

Effet catharsis: défoulement collectif pour la libération d'un malaise, d'une

angoisse.

Ural MANÇO - ISC Saint -Louis - Sociologie - 1997/1998


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Effets socio-politiques: parallèlement à l'effet catharsis, le mouvement a

surtout permis de se compter et de s'assurer de sa force numérique. Sur sa

lancée, le mouvement a donné naissance à une liste électorale unioniste et

bilingue (UNIE). Mais cela n'a pas dépassé l'aspect folklorique, par la suite elle

n'a reçu qu'une quantité négligeable de suffrages.

Nous pouvons maintenant établir un schéma plus complet de l'interaction sociale où nous

retrouvons les questions issues de la formule de Lasswell que nous venons de poser:

POURQUOI? QUOI?
Causes Action

Moyens
COMMENT?

Acteur A Acteur B
QUI? A  QUI?
POURQUOI?
V/I V/I

AVEC  QUEL   Moyens COMMENT?


EFFET?
Réaction
Réaction
(Conséquences)
(Conséquences)
CADRE  CONTEXTUEL Influences
Influences OU?  QUAND?
CADRE  NORMATIF
QUELLE  INFLUENCE?

3.4.3. Critique de l'interactionnisme

Dans le paradigme interactionniste les relations inter-individuelles sont capitales. Au

départ ce n'était pas l'optique de Weber, mais l'Ecole de Chicago a surtout développé

l'étude de ce qu'elle a nommé la "street corner society", l'étude des situations où tous les

protagonistes sont présents. Cet aspect des choses limite clairement le domaine d'étude à

la micro-sociologie. Aussi, l'action de grands agrégats sociaux, des grands groupes et les

grands changements globaux ne pourront pas toujours être expliqués au départ de

l'interactionnisme. Contrairement à l'excès de déterminisme des deux paradigmes holistes,

on a surtout reproché aux interactionnistes leur excès de relativisme en matière de liberté

humaine. N'y a-t-il jamais de contraintes sociales? Celles-ci font rarement l'objet des

questionnement des sociologues interactionnistes.

Ural MANÇO - ISC Saint -Louis - Sociologie - 1997/1998


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Quant au postulat sur la rationalité humaine, il évoque des questions auxquelles il est

difficile de répondre: à partir de quand un individu commence à calculer le bénéfice qu'il

retirera de son comportement? Peut-on toujours identifier concrètement l'intérêt qui fait

agir l'acteur social? Si une motivation est inconsciente (ou latente), peut-on encore parler

de rationalité? Quelles relations y a-t-il entre les intérêts et les passions? Pour orienter

leurs propres actions, les gens observent-ils et interprètent-ils toujours le comportement

d'autrui?

Ural MANÇO - ISC Saint -Louis - Sociologie - 1997/1998

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