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L’institution de la communauté - Une lecture critique de la sociopolitique du


commun

Article  in  SociologieS · October 2016


DOI: 10.4000/sociologies.5683

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Stéphane Vibert
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SociologieS
2010
Dossiers

L’institution de la communauté
Une lecture critique de la sociopolitique du commun

Stéphane Vibert

Publisher
Association internationale des sociologues
de langue française (AISLF)
Electronic version
URL: http://sociologies.revues.org/5683
ISSN: 1992-2655 Brought to you by Université d'Ottawa

Electronic reference
Stéphane Vibert, « L’institution de la communauté », SociologieS [Online], Files, Des communs au
commun : un nouvel horizon sociologique ?, Online since 19 October 2016, connection on 04 January
2017. URL : http://sociologies.revues.org/5683

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L’institution de la communauté 1

L’institution de la communauté
Une lecture critique de la sociopolitique du commun

Stéphane Vibert

1 Ainsi que le rappellent Pierre Dardot et Christian Laval dans leur important ouvrage sur
la question, le « commun », qui connaît depuis quelques années une actualité
intellectuelle renouvelée, a d’abord été une revendication « portée à l’existence par les
luttes sociales et culturelles contre l’ordre capitaliste et l’État entrepreneurial » (Dardot &
Laval, 2014, p. 16 1). S’opposant à l’extension de l’appropriation privée à toutes les sphères
de la société, de la culture et du vivant, la remise au goût du jour du terme de « commons »
s’avère ainsi mue par des considérations essentiellement politiques, y compris
lorsqu’elles prennent la forme de travaux empiriques à orientation institutionnaliste
(sous l’influence d’Elinor Ostrom) ou de réflexions théoriques radicales, à l’instar des
travaux de Michael Hardt et Antonio Negri. « Commun » est ainsi « devenu le nom d’un
régime de pratiques, de luttes, d’institutions et de recherches ouvrant sur un avenir non
capitaliste » (C, p. 17), à partir de convictions écologistes ou altermondialistes.
2 Néanmoins, cet usage politique ne serait pas suffisant sans une refondation intellectuelle
rigoureuse, à laquelle se sont attelés Pierre Dardot et Christian Laval. Si l’ouvrage discute
et emprunte à l’économie politique, à la philosophie sociale ou à la théorie du droit, il s’en
dégage incontestablement une « sociologie du commun » – une sociologie politique du
commun, en fait – et celle-ci se présente en rupture explicite avec les travaux classiques
sur la communauté. En effet, la conceptualisation du commun comme praxis instituante –
dans le sillage de Cornelius Castoriadis (1975) – entend contourner les dangers potentiels
recelés par la référence à une idée forte de communauté comme sujet politique,
principalement transposée dans l’ouvrage en « hypothèque du communisme », qu’il soit
religieux, prolétarien ou étatique. La référence aux concepts et conceptions de l’immense
penseur, par trop mésestimé, de « l’institution imaginaire de la société », nourrit une
réflexion de grande ampleur, passionnante dans ses multiples directions, mais qui ne
paraît pas toujours échapper à certaines ambivalences et ambiguïtés, ce qui pose la
question de la cohérence d’ensemble d’une théorie qui souhaite reformuler une « science

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L’institution de la communauté 2

des institutions » tout en évidant radicalement la substance historique et culturelle des


collectifs instituants et institués.
3 Loin de pouvoir discuter toutes les propositions de cet imposant ouvrage, il faudra ici se
contenter de souligner les contours et les effets d’une théorisation qui pose en son centre,
comme principe sociopolitique central, la récusation de tout essentialisme ou
naturalisme, radicalisée à un point tel qu’elle paraît par endroits s’assimiler à une
infirmation du donné, un « déni du déjà-là » (Jacques Dewitte), que les sociologies de la
communauté, par-delà leurs limites et insuffisances, avaient néanmoins le mérite
d’interroger, dans l’examen parfois fastidieux des formes substantielles (langue, religion,
mode de vie, mœurs, nom collectif, rituels, etc.) érigées en symboles par toute
communauté « réellement existante ». Il ressort de Commun une perspective
singulièrement formaliste de l’associationnisme républicain et socialiste d’inspiration
proudhonienne, à l’universalisme prononcé et à l’humanisme impeccable certes, mais
loin, si loin, des existences social-historiques concrètes, des ancrages culturels, des
combats locaux 2 et globaux, ainsi que des attachements des personnes et des peuples à
leurs identités collectives différenciées.
4 Cet anti-essentialisme se décline notamment dans l’ouvrage sur quatre plans,
interdépendants et cohérents dans leur logique propre, que l’on pourrait
schématiquement désigner comme philosophique, socio-économique, sociologique et
politique (ici au sens restreint d’une organisation institutionnelle), tout en conservant à
l’esprit qu’en tant que principe éminemment « politique » (au sens cette fois élargi d’une
pratique de délibération commune concernant en droit la totalité des affaires du monde),
le commun englobe ces distinctions analytiques. Quatre plans que nous reprendrons
successivement afin d’en dégager toutes les implications : l’affirmation d’une
prééminence de l’agir pratique, par la coobligation dans la coactivité, sur toute ontologie
sous-jacente, en premier lieu ; ensuite, cette idée d’un « inappropriable » du commun,
permettant d’assurer la primauté du droit d’usage contre le droit de propriété ; puis,
sociologiquement, la défense de l’association comme seule forme sociale apte à conjuguer
la liberté personnelle et l’égalité collective, contre toute « communauté » constituée à
partir d’attributs caractéristiques toujours essentialisés ; enfin, au niveau des institutions
politiques, une théorie fédéraliste des ensembles politiques qui conduit à déconstruire
tout niveau réel de souveraineté.

Agir pratique vs ontologie


5 La volonté affirmée dans l’ouvrage de mettre à distance toute virtualité d’essentialisation
des réalités sociales se déploie in extenso : récusation de la naturalisation du sujet collectif,
social ou politique, bien entendu, mais également de la moindre qualification objective
d’objets ou de choses susceptibles d’être considérés comme communs en soi, subissant par
là un procédé de réification qui, selon Pierre Dardot et Christian Laval, vient voiler la
nature profondément activiste, volontariste et pratique de l’activité politique de « mise
en commun » instituante. En effet, seule celle-ci permet de qualifier le devenir-commun,
toujours contingent et immanent, de certains étants. Le commun n’est alors jamais un
« objet », une fin que l’on vise (au nom de la quête d’un « bien commun »), ni une chose de
par sa nature propre, mais se révèle réellement commun « ce qui est pris en charge par
une activité de mise en commun, c’est-à-dire ce qui est rendu commun par elle » (C,
p. 581). Si nous reviendrons sur ce cercle de la « praxis instituante » qui sert de

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L’institution de la communauté 3

justification au spontanéisme de cet agir créatif commun, il faut bien ici souligner la
présence d’un constructivisme radical excluant « catégoriquement toute ontologie du
commun » (C, p. 277), jusqu’à « l’être-en-commun » entièrement désubstantialisé de Jean-
Luc Nancy ou Roberto Esposito, qui serait tellement découplé de l’agir politique qu’il
conduirait à une « quasi-essentialisation de l’existential heideggérien » (C, p. 278). Afin de
contourner la prédication substantielle de tout sujet collectif et de délivrer le commun
d’un « fond naturaliste » (C, p. 139) retrouvé à peu près dans toutes les théories étudiées
par les auteurs, ces derniers vont faire un usage récurrent d’une définition concevant le
commun comme « le principe politique d’une coobligation pour tous ceux qui sont
engagés dans une même activité » (C, p. 23), source de délibération et de décision
collective. Afin de construire cette « politique du commun », il conviendrait de réfléchir à
des institutions « qui favoriseraient la convergence des activités les plus diverses dans la
direction du commun » (C, p. 462). En d’autres mots, « il s’agit d’instituer politiquement la
société » (C, p. 462), en utilisant le commun comme « principe de transformation du
social » (C, p. 463), par la « coobligation fondée sur la codécision et la coactivité » (C,
p. 465).
6 La reprise à satiété dans l’ouvrage de cette formule laisse quelque peu songeur : le lecteur
n’entrevoit jamais préciser de quelle activité il s’agit véritablement, laquelle se trouve
pourtant à l’origine de tout ce qui en découle de « commun » : la qualification des choses,
la coobligation entre les individus, la formation du collectif. S’agit-il d’une activité
proprement productive, ou peut-elle être idéologique (groupe politique ou religieux),
utilitaire (un groupe d’intérêt), voire simplement esthétique ou ludique (des associations
ou organismes communautaires) ? On ne sait. La démocratie sociale fondée sur le
commun reposerait sur une multiplicité de « conseils » à tous les niveaux de la vie
sociale – on y reviendra – mais celle-ci se structure essentiellement à partir d’une
« double fédération » qui lie horizontalement les unités de production (entreprises) et
unités communales (communes territoriales). Autant on peut aisément comprendre la
coactivité des travailleurs au sein d’une même entreprise, autant il est difficile de saisir
en quoi repose la coactivité de personnes résidant sur le même territoire (village, ville ou
région), hormis si cette coactivité est d’emblée ramenée à la codécision politique sur les
affaires communes, qui est loin de pouvoir définir un « agir pratique » quotidien. Si
l’« agir commun » entend « désigner le fait que des hommes s’engagent ensemble dans
une même tâche et produisent, en agissant ainsi, des normes morales et juridiques qui
règlent leur action » (C, p. 23), on ne voit pas quelles « tâches communes » sont
effectivement réalisées dans la simple coexistence sur un territoire villageois ou urbain,
encore moins à grande échelle dans un pays entier.
7 L’analyse repose ici explicitement sur l’interprétation de la nature de l’espace public
antique par Hannah Arendt. En Grèce serait apparue l’« activité de mise en commun des
paroles et des pensées », participation active des citoyens à la vie de la Cité, non au sens
d’une appartenance civique, mais comme « égalité dans le prendre part » (C, p. 235) : « ce
n’est donc pas la communauté politique qui garantit une fois constituée une activité de
mise en commun prenant place à l’intérieur d’un cadre préexistant, c’est au contraire
l’activité de mise en commun qui fait exister le commun de la communauté politique » (C,
p. 235). Non seulement il est permis de rester dubitatif devant l’exégèse arendtienne, qui
passe sous silence les critères d’appartenance à la Cité délimitant en amont la possibilité
même d’une discussion collective, mais plus encore, l’extension du mode d’apparition
publique dans l’espace politique à l’institution même du social s’avère hautement

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L’institution de la communauté 4

problématique, sinon injustifiable : ne faut-il pas en effet qu’existe déjà une cité, définie
par une histoire particulière, des mœurs et croyances, une langue et des traditions, pour
qu’elle puisse entreprendre de se réinstituer politiquement et par là-même agir en retour
sur ses propres dispositions et valeurs ?
8 Le recours par Pierre Dardot et Christian Laval à « l’ontologie de l’actualité » (C, p. 281) de
Michel Foucault, conçue – si on comprend bien l’argument – comme une « ontologie anti-
ontologique » (au sens où elle ne permet pas de caractérisation déterminée des étants),
impose une historicisation radicale ramenant toute communauté humaine à de l’agir
pratique contingent. La primauté de l’action comme catégorie déterminante pose
problème au moins sur deux plans, qui apparaîtront comme tels lors de la désignation
d’un sujet politique pour la praxis instituante : le niveau des conditions anthropologiques
et socio-historiques permettant l’émergence de ce sujet et le niveau des critères de
participation au « collectif » défini primordialement par la coactivité, puisque le principe
politique de délibération collective prescrit de « faire de la participation à une même
activité le fondement de l’obligation politique, et donc de la coactivité le fondement de la
coobligation » (C, pp. 579-580) : aucune appartenance (nation, ethnie, humanité) ne peut
ainsi constituer le fondement de l’obligation politique, qui « procède entièrement de
l’agir commun », par les « coparticipants d’une même activité » (C, p. 580). Ce
soubassement pragmatiste et interactionniste (dont on peut supputer, à titre
d’hypothèse, une tonalité matérialiste, réduisant l’activité à une transformation des
conditions matérielles d’existence) contribue à dissoudre dans un « social » abstrait la
réalité ontologique de la « société » (autrement dit du niveau de « totalité sociale »,
comprise comme unité synthétique a priori – pour reprendre l’expression de Michel
Freitag (1998) – conjoignant idées, valeurs, représentations, affects, symboles et
pratiques), caractéristique de la sociologie durkheimienne (Callegaro, 2015) et entérinée
par… Cornelius Castoriadis (1975), ce qui ne laisse pas d’interroger sur l’usage de ce
dernier dans la théorisation sociologique de ce commun politique.

Droit d’usage de l’inappropriable contre droit de


propriété
9 Cherchant à cerner le noyau central de l’imaginaire capitaliste, Pierre Dardot et Christian
Laval ne l’identifient plus avec la propriété privée des moyens de production, comme le
veut le sens commun marxiste, mais avec la propriété en tant que telle, soulignant que
l’institution historique de la propriété dite « collective » – en fait étatique – n’a fait que
transférer à une administration bureaucratique et oligarchique le contrôle économique et
donc la domination politique. D’où la solution apportée par les auteurs pour sortir de
cette aporie : « le commun, au principe de ce qui nous fait vivre ensemble, c’est
l’inappropriable comme tel. D’où la thèse que nous soutiendrons ici : si le commun est à
instituer, il ne peut l’être que comme inappropriable, en aucun cas comme l’objet d’un droit de
propriété » (C, p. 233 - souligné dans le texte). C’est par le recours au « droit d’usage » que
s’incarne le commun comme principe politico-économique. La « qualification en droit et
par le droit » (C, p. 267) ratifie un usage public qui n’est susceptible « d’aucune espèce
d’appropriation » : « le commun n’est rien d’autre que du public non étatique » (C, p. 268).
La proposition paraît claire : les zones, sphères ou activités instituées comme
« communes » (selon une décision collective) devront être gouvernées « en commun »,

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L’institution de la communauté 5

par un « social » constamment présent à lui-même dans la délibération et l’action


concertée.
10 Là également, on peut rester largement perplexe devant la potentialité d’un tel
fonctionnement social, tant au plan théorique que pratique. Pour qu’il y ait effectivement
un « inappropriable » susceptible d’un droit d’usage sans sujet propriétaire, il faut bien
néanmoins qu’une « communauté politique » l’institue comme tel (fût-elle une praxis
instituante) et donc, d’une certaine manière, le déclare comme étant sa « propriété » (tout
au moins, ait autorité sur lui) et puisse en sanctionner l’usage, y compris pour le déclarer
« hors propriété ». Or, selon quels modes cette décision est-elle possible dans une société
de millions de personnes, sinon par délégation ou représentation ? Le caractère
inappropriable de ces zones, sphères ou activités pour tout sujet particulier (l’État comme
personne morale, un groupe ou un individu) signifie justement qu’elles sont « propriétés
indivises » d’une communauté prise comme un tout. Même s’il faut les distinguer du
patrimoine aliénable, c’est bien en vertu d’une affirmation de souveraineté (puissance
instituante) que la distinction s’effectue. Qui les défend par la force (devant l’ennemi à
l’extérieur et l’intérêt particulier à l’intérieur) et sanctionne ce non-respect de l’usage
public ? Qui est véritablement (et concrètement) l’instituant de cet institué ?
11 Pourtant, d’après Pierre Dardot et Christian Laval qui suivent ici Paolo Napoli, « il n’y a
pas ni ne peut y avoir de sujet du commun » (C, p. 269) : aucun sujet ne préexiste à la
pratique collective qui produit son sujet. Les auteurs ont ainsi recours au concept
d’« administration » comme usage collectif actif par lequel tous prennent part à la co-
production des normes juridiques non étatiques. Mais qui sont justement ces « tous »,
hormis le fait qu’ils sont en « coactivité » ? « Qui » réellement « pratique » la pratique ? Il
y a ici risque de retomber sur une illusoire immédiateté spontanéiste de la pratique
instituante, créatrice d’elle-même en même temps que de ses institutions, autrement dit
causa sui, un risque pourtant remarqué par Pierre Dardot et Christian Laval, lorsqu’à la
suite de Vincent Descombes, se voit récusé le « prodige philosophique d’une autoposition
normative » (Descombes, 2013, p. 244, cité dans C, p. 425) et confirmée la nécessité de
« faire apparaître la préexistence de la vie sociale, c’est-à-dire l’épaisseur historique d’une
société déjà instituée » (C, p. 425). Si une « certaine entente sur le juste est requise » (C,
p. 238), pour délimiter et sanctionner « l’inappropriable », la détermination de la
communauté politique reste néanmoins largement confuse et impensée, renvoyée sans
cesse à des pratiques, activités ou tâches qui en tant que telles, objectivement, pourraient
désigner les acteurs véritablement concernés par l’usage, sans que jamais n’émerge
apparemment le moindre conflit sur l’interprétation, la signification et les conséquences
d’une telle « coactivité » postulée.
12 Le principe du commun fournirait ainsi une « forme d’inappropriabilité », non pas en fait,
mais en droit : « ce que l’on ne doit pas s’approprier, c’est-à-dire ce qu’il n’est pas permis
de s’approprier parce qu’il doit être réservé pour l’usage commun » (C, p. 582), selon une
décision prise par la praxis instituante. Une décision sans sujet, donc, puisqu’il n’existe
pas de sujet du commun et que c’est la praxis instituante qui « produit son propre sujet
dans la continuité d’un exercice qui est toujours à renouveler au-delà de l’acte créateur »
(C, p. 445). Vouloir « instituer l’inappropriable » – semblent comme à regret remarquer
les auteurs en toute fin d’ouvrage (dans les deux dernières pages) – ne serait-ce pas
pourtant « le faire dépendre de l’acte d’un ou plusieurs sujets et par là même se
l’approprier » ? En réalité, non : ce serait oublier que, d’une part, « le sujet collectif est
produit par l’acte commun de l’institution au lieu de la précéder » (C, p. 583) et que,

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L’institution de la communauté 6

d’autre part, l’appropriation-appartenance (propriété) n’est pas l’appropriation-


destination, qui approprie une chose à sa « destination sociale », qui en règle l’usage sans
s’en faire propriétaire. Mais là encore, le raisonnement paraît aporétique : si l’acte
instituant d’inappropriabilité crée en même temps le sujet collectif instituant, quelle est
la forme concrète de cette décision ? De quoi ou de qui était constitué ce « sujet » avant
d’agir ? Quelles sont les conditions de cette activité d’institution ?
13 Pierre Dardot et Christian Laval paraissent d’ailleurs hésiter entre deux possibilités : une
concomitance entre l’acte d’institution et la subjectivation du « nous » instituant, d’une
part et, d’autre part, la précédence du premier sur la seconde. Cette seconde thèse, qui
pousse le mouvement de désessentialisation à son comble, aboutit à l’assertion selon
laquelle il est impossible de définir des « sujets » collectifs antérieurement à leurs
pratiques contextuelles et historiques d’institutionnalisation. C’est là confondre l’auto-
institution du social (imaginaire et symbolique), avec les institutions cognitives,
normatives et expressives par lesquelles celui-ci accède au monde ; confondre institution
première et institutions secondes (Castoriadis, 1999). Pierre Dardot et Christian Laval
altèrent ici l’approche de Cornelius Castoriadis qui les inspire, en discutant la dialectique
entre le « collectif impersonnel et anonyme » d’où émerge l’infra-pouvoir instituant de
toute société humaine et la praxis du « sujet autonome » (fût-il la société dans son
ensemble, advenant un consensus miraculeux), qui se ferait partiellement instituant en
s’identifiant à l’auteur de la Loi, « partiellement » puisqu’il lui faut admettre qu’il forge
celle-ci à l’aune d’une compréhension du monde culturellement et historiquement située,
bien qu’à prétention universelle. Dans leur chapitre sur la « praxis instituante »
(chap.10), Pierre Dardot et Christian Laval rappellent à plusieurs reprises, fort justement,
fidèles en cela à la position castoriadienne, la dimension de l’historicité dans la genèse
des institutions, le caractère fondamental du « déjà institué » conditionnant mais non
déterminant, la « reprise du donné » par l’instituant nécessairement « sous le poids d’un
héritage ». Cette quinzaine de pages sur la praxis instituante comme « activité
autotransformatrice conditionnée » par son rapport à l’institué (C, pp. 429-445) semble en
tension, voire en contradiction, avec le reste de l’ouvrage, où la réflexion sur le commun
apparaît en général comme enchaînée à une coactivité sans ancrage culturel et
historique.

Association vs société et communauté


14 On l’aura compris, le problème essentiel de la sociopolitique du commun tient selon nous
à sa radicale volonté de « désubstantiation », qui renverse tant la priorité de l’agir sur
l’identité qu’elle rend la dialectique des deux moments de l’instituant et de l’institué
incompréhensible. Pour Pierre Dardot et Christian Laval, la « mise en commun » précède la
communauté politique : « seule l’activité de mise en commun décide de l’appartenance
effective à la communauté politique » (C, p. 238). Aucune condition autre ne serait donc
requise que la présence active. Cependant, on ne peut évidemment éviter de s’interroger
sur l’identité (au sens de leur inscription historique et culturelle, de leur langue, leur
religion, leur nationalité, leur classe sociale, etc.) de ces personnes qui « mettent en
commun » leurs activités, leurs paroles et leurs pensées, sur le sens de leur
« communauté » ? D’où viennent-ils ? Pourquoi le font-ils ? Selon quels principes ?
L’appartenance serait la « conséquence » de la participation à l’institution du commun,
alors que les deux ne peuvent pourtant pas être conçues en relation de causalité, mais

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L’institution de la communauté 7

minimalement de « convenance », d’interdépendance dialectique. Le renvoi désincarné


aux « tâches » et « activités » qui définissent les coobligations et permettent les
codécisions repose sur une abstraction de la fameuse « pratique » matérielle, qui interdit
in fine toute politique réelle et concrète. Car s’impose ici la question, totalement négligée
dans l’ouvrage, des frontières qui viennent définir la communauté et/ou le territoire pour
lesquels s’affirme la norme d’indisponibilité, ce qui immanquablement, on l’a dit, renvoie
à la souveraineté et à l’identité collective. Bref, il convient de se poser la question : quelle
est donc la conception du « sujet » – tant individuel que collectif – implicite à la sociologie
politique du commun ? Attentif autant que Pierre Dardot et Christian Laval au risque
d’essentialisation de l’identité collective (nationale, religieuse ou autre), Vincent
Descombes a néanmoins récemment fourni des clés heuristiques afin d’appréhender, dans
une perspective holiste, la thématique des totalités social-historiques, en évitant les deux
écueils que sont la réduction nominaliste (seules seraient réelles les actions individuelles
qui président à l’établissement d’un collectif) et l’hypostase collectiviste (qui fait du
groupe un « super-individu » extérieur et supérieur à ses membres). La possibilité
d’évoquer une « identité collective », toujours nécessairement dynamique et narrative,
induit la transmission d’institutions au cours du temps, en relation avec un « esprit
objectif » qui en détermine la courbure spécifique selon un pouvoir instituant (lié par
exemple à la langue et aux mœurs) échappant à la législation juridique et politique : « S’il
est possible de réunir une assemblée des citoyens et d’organiser la délibération commune
sur la politique à suivre, c’est parce qu’il y a déjà une vie sociale, celle d’une société déjà
instituée » (Descombes, 2013, p. 246).
15 Il faut selon les auteurs réfléchir à des institutions « qui favoriseraient la convergence des
activités les plus diverses dans la direction du commun » (C, p. 462), en vue d’instituer
politiquement la société. Mais alors, que serait plus précisément une « activité »
consciente qui légitime la formation d’un collectif, d’un groupe « commun » et qui ne
retombe pas dans les ornières du contractualisme (dont l’auteur de référence de
l’ouvrage, Pierre-Joseph Proudhon, s’avère étonnamment proche) ? « Instituer
politiquement », n’est-ce pas justement négliger le niveau historique et culturel concret
(mœurs, religions, appartenances, identités), qui forge pourtant constitutivement
l’existence subjective et ses raisons d’agir, les « activités » et les « pratiques » des acteurs
appelés à s’engager dans la « mise en commun » par réciprocité et coobligation ? Qu’en
est-il alors de la distinction pourtant fondamentale de Cornelius Castoriadis – rappelée
pourtant dans le chapitre 10 – entre la possibilité en droit (de jure) de viser la totalité du
pouvoir instituant (au sens où rien n’échappe potentiellement à son intervention
créatrice) et la limitation en fait ( de facto) de cette activité politique démocratique,
puisque cette dernière doit être ressaisie dialectiquement dans un mouvement
d’ensemble qui échappe toujours à son intentionnalité et à la transparence des effets ? Et
qu’en est-il surtout de la centralité des médiations imaginaires et symboliques qui toujours
conditionnent les transformations touchant le sens de l’être historique propre à telle ou
telle société ?
16 Malgré les pages essentielles à propos du caractère toujours « déjà institué » du social, il
ne paraît pas excessif d’identifier dans la « sociologie du commun » une propension au
volontarisme politique, qui pourrait facilement dégénérer en aveuglement artificialiste
sur la possibilité de « reconstruire le monde » – un autre monde – selon des expériences
collectives aptes à s’instituer en instituant le commun. C’est sans doute pour cela qu’il
n’est jamais question, comme on va le voir dans la « fédération des communs »

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L’institution de la communauté 8

revendiquée, de « société », au sens socio-anthropologique de la totalisation partielle


(Vibert, 2012a) d’un monde social-historique indissolublement politique et culturel (un
« peuple », une « nation »). D’ailleurs, les deux formes de « commune » d’auto-
gouvernement proposées par l’ouvrage comme niveaux de délibération collective, de
normativité, de décision et de sanction, sont l’entreprise et la ville, donc uniquement des
modalités d’appartenance élective, à fondement potentiellement utilitariste (puisque
l’individu peut être en quête du « meilleur » emploi – le mieux rémunéré – ou du
« meilleur » lieu de résidence).

Fédéralisme cosmopolite vs État-nation


17 La sociologie politique du commun se fonde sur un refus théorique radical de l’État-
nation, considéré comme meilleur allié de la destruction capitaliste du monde. L’État est
d’abord conçu comme une technocratie administrative et bureaucratique, donc anti-
démocratique, instrument de violence au profit des élites marchandes, tandis que la
nation (qui brille par son inexistence au cours des 582 pages de l’ouvrage) s’avère
implicitement comprise comme synonyme d’essentialisation identitaire et
d’homogénéisation culturelle. Mais puisque Pierre Dardot et Christian Laval revendiquent
une perspective institutionnaliste, d’où pourrait bien provenir « l’individu démocratique
critique » engagé vers le commun promu par l’ouvrage ? Serait-il donc uniquement lié
aux « institutions socialistes » et autres mouvements progressistes dans l’histoire, sans
rapport avec cet État-nation républicain et démocratique, qui pour Émile Durkheim
(Callegaro, 2015), était coproducteur de l’individu émancipé, contre ses appartenances
traditionnelles étouffantes et contre l’utilitarisme égoïste favorisé par le capitalisme
industriel ? Il est permis d’en douter. Ainsi, la volonté historique du monde ouvrier de
créer une « civilisation nouvelle » (C, p. 385) par la création d’institutions prolétariennes,
la quête d’un « univers juridico-moral autonome » (C, p. 390), voire d’une « société dans la
société » fondée sur la solidarité, la discipline collective et les obligations mutuelles ne
partagent-elles pas leurs valeurs premières (liberté, égalité, justice) ainsi que les
interactions concrètes qui les sous-tendent (« l’ouvrier » peut être aussi breton ou
savoyard, athée ou catholique, homme ou femme, père ou mère, etc.) avec tout un monde
social-historique, qui influe très largement sur l’évolution de la « communauté »
prolétarienne et a généré un englobement du droit ouvrier par l’appartenance nationale ?
18 Quoi qu’il en soit, la promotion de collectifs « communaux », définis par l’activité ou la
résidence hors de toute appartenance politico-culturelle substantielle, implique de
chercher une justice immanente au commun démocratique horizontal (délibératif et
participatif). Est-il possible sur cette voie de ne pas retomber dans un paradigme
contractualiste, donc philosophiquement libéral ? Les ressources communes devraient
« obéir à un système particulier de règles collectives qui concernent les "opérations"
productives, les frontières du groupe et les procédures par lesquelles les règles sont
élaborées et modifiées » (C, p. 149) : quel est donc ce système politique complet de
gouvernement démocratique, apte à sanctionner mais échappant au « commandement
étatique » (C, p. 150) ? Pierre Dardot et Christian Laval reconnaissent le fond
contractualiste de Pierre-Joseph Proudhon (C, pp. 375-376), qui valorise à la fois
l’engagement envers le collectif et une liberté personnelle d’action totale, selon une
« mutualité parfaite ». Néanmoins, devant les dangers du repli d’une association sur son
intérêt particulier, la « Société » (noter ici la majuscule) garderait un « droit de regard et

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de contrôle » (C, p. 380) : mais qui est cette mystérieuse « Société » ? Par quel organe
représentatif de pouvoir intervient-elle, et au nom de qui, sinon respectivement l’État et
la nation ? Il persiste chez Pierre-Joseph Proudhon une tendance à l’organicisme
sociologique par les références au « groupe naturel » (C, p. 383) qu’est la « commune »,
très proche en cela de la « communauté » tönniesienne (Vibert, 2004). Le fédéralisme
communaliste de Pierre-Joseph Proudhon croit destituer la souveraineté étatique, alors
qu’il ne fait en réalité que la transférer entièrement aux « unités élémentaires
indestructibles » que sont les cités, ainsi que le prouve la liste des attributs et
compétences de ces communes, comparables en chaque point aux pouvoirs régaliens de
tout État normalement constitué au sens moderne : auto-gouvernement, imposition des
taxes, disposition des propriétés et revenus, constitution de la police et de la
gendarmerie, nomination des juges, prise d’ordonnances et fabrication des lois (C, p. 384).
Voire même davantage, puisque Pierre-Joseph Proudhon inclut l’existence d’une Église et
d’un clergé élu, donc une religion civile officielle. Si la commune détient en fait une
souveraineté absolue sur son destin, les fonctions étatiques qui la traduisent se veulent
dispersées dans le social, mais n’en demeurent pas moins existantes, en étant simplement
transposées à un niveau inférieur.
19 Sur le modèle proudhonien qui assimile toute centralité étatique à un « nouveau
Moloch », la récusation de la consubstantialité historique entre État-nation et démocratie
moderne (soutenue par des auteurs comme Marcel Gauchet ou Pierre Manent) pave la
voie à un fédéralisme cosmopolite, à la fois profondément utopiste en sa réalisation
pratique et hautement critiquable en ses postulats théoriques (Vibert, 2012b). La
« fédération mondiale » (C, p. 566) nécessaire pour « construire une citoyenneté
transnationale en l’absence de toute appartenance à une communauté transnationale » (C
, p. 566) traduit le projet d’une « citoyenneté politique non étatique et non nationale » (C,
p. 567), laquelle devrait se penser en termes de « pratiques plutôt qu’en termes de droits
formels octroyés » (C, p. 568). Là encore, les questions sont innombrables et insolubles :
qui définit les droits individuels, y compris « pratiques » ? Comment sait-on s’ils sont
légitimes ou non ? Et qui les institue en l’absence d’une instance tierce appelée à arbitrer,
appliquer, sanctionner ?

Conclusion
20 Nous sommes bien conscients que la lecture critique de la « sociologie politique du
commun » que nous proposons dans le but de débattre des propositions importantes
présentées dans l’ouvrage a dû à certains endroits quelque peu « forcer le trait », en
poussant jusqu’au bout la logique argumentative déployée, tout en admettant les
ambivalences qu’elle recèle, notamment en raison du caractère quelque peu décalé du
chapitre 10 sur la praxis instituante par rapport au reste de l’ouvrage. Il ne faudrait
cependant pas passer sous silence – même s’il est impossible d’en tirer toutes les
conséquences dans le cadre de cet article – les autres dimensions dans Commun qui
permettraient de nuancer, compléter voire contredire, les tendances à l’abstraction
pragmatiste et à la désincarnation sociologique qui nous paraissent souvent
problématiques : la récusation de toute « hypothèse communiste », l’insistance louable
sur la nécessité de l’institution (dans une période où des thèses radicalement anti-
institutionnelles, comme celles de Jacques Rancière ou Michael Hardt et Antonio Negri
connaissent un succès florissant), la revalorisation clairvoyante des apports et des limites

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des coutumes paysannes de droit d’usage (le « droit coutumier de la pauvreté »), une
exposition passionnante des aléas du « commun ouvrier » et de ses institutions
historiques (politiques et culturelles), ou encore la réappropriation des catégories
castoriadiennes, dont cette essentielle praxis instituante qui constitue le cœur de la
proposition théorique, même considérant sa mutation conceptuelle.
21 Cependant, la théorisation provisoire du « commun » ainsi proposée néglige des aspects
fondamentaux que la sociologie des « communautés », malgré son indiscutable
propension historique à la naturalisation ou à l’essentialisation, considérait à juste titre
comme essentiels et incontournables : la question du mode de vie, des valeurs et des
mœurs, autrement dit de la « culture » en son sens anthropologique le plus large ; le
rapport entre communauté et société, qui inclut la compréhension socio-politique de
l’appartenance stato-nationale au cœur de la modernité individualiste et capitaliste 3,
ainsi qu’une réflexion sur les frontières de toute collectivité ; l’interrogation sur le conflit
et la guerre, qui prédispose à ne pas évacuer la substantialité historique des identités
collectives, laquelle n’apparaît aucunement contradictoire avec leur capacité à se recréer,
se transformer ou s’hybrider. Surtout, l’argumentation justifiée en faveur du caractère
institutionnel et politique de toute communauté social-historique se révèle grevée par
une insistance démesurée et a-dialectique sur le moment instituant – fût-il révélateur
d’une praxis émancipatoire – au détriment des conditions de possibilité instituées qui en
assurent l’émergence de façon contingente, sans jamais le déterminer nécessairement.
Une question liée au « tiers de référence » qui, par-delà l’horizontalité associative et l’agir
commun, fonde l’existence concrète de telle ou telle communauté sociale (Vibert, 2015).
Une question, d’ailleurs, qu’un Christian Laval, lecteur fin et avisé de « l’ambition
sociologique », avait jadis joliment traduite comme celle qui « concerne l’unité de la
société, la nature du lien humain et plus spécialement encore, la fonction et le type de
médiation symbolique entre les hommes » (Laval, 2012, p. 40).

BIBLIOGRAPHY
CALLEGARO F. (2015), La Science politique des modernes. Durkheim, la sociologie et le projet d’autonomie,
Paris, Éditions Economica.

CASTORIADIS C. (1975), L’Institution imaginaire de la société, Paris, Éditions du Seuil.

CASTORIADIS C. (1999), « Institution première de la société et institutions secondes », dans Figures du


pensable, Paris, Éditions du Seuil.

DARDOT P. & LAVAL C. (2014), Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle, Paris, Éditions La
Découverte.

DESCOMBES V . (2013), Les Embarras de l’identité, Paris, Éditions Gallimard.

FREITAG M. (1998 [1995]), Le Naufrage de l’université. Et autres essais d’épistémologie politique,


Québec, Éditions Nota bene.

LAVAL C. (2012), L’Ambition sociologique, Paris, Éditions Gallimard.

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VIBERT S. (2012a), « Une sociologie sans société est-elle possible ? », dans SÉNÉCHAL Y., ROBERGE J. &
S. VIBERT (dir.), La Fin de la société. Débats contemporains autour d’un concept classique, Montréal,
Éditions Athéna, pp. 251-276.

VIBERT S. (2012b), « Une démocratie sans société ? Critique de Beck et de l’idéologie


cosmopolitique en sociologie », Sociologie et Sociétés, vol. XLIV, n° 1, pp. 121-142.

VIBERT S. (2015), Logique des appartenances collectives. Essais de socioanthropologie politique holiste,
Paris, Éditions Le bord de l’eau.

NOTES
1. Dorénavant, les renvois à l’ouvrage seront notés C, pour « Commun »
2. Ainsi, il n’est pas anodin que la plupart des rares exemples précis et concrets de luttes sociales
et politiques présentées dans l’ouvrage (historiques ou contemporaines) soient toutes peu ou
prou critiquées pour leur « manque » à saisir la nature du véritable « commun » et condamnées
pour leur insuffisance théorique (conduisant à une « réification » des biens communs) : les
différents communismes bien sûr, mais aussi les coutumes paysannes porteuses de jacqueries, les
combats contre les « nouvelles enclosures », les créateurs et promoteurs des « logiciels libres »,
les budgets participatifs, la gestion commune de l’eau à Naples en 2011 ou encore les défenseurs
d’un « patrimoine commun de l’humanité » et de « biens publics mondiaux » (global commons).
3. Ainsi, nous n’apprenons qu’à la toute fin de l’ouvrage (l’avant-dernière page), de manière
totalement surprenante et pour tout dire inattendue en rapport au reste de l’argumentation, que
« la primauté du commun n’implique donc pas la suppression de la propriété privée, a fortiori
n’impose-t-elle pas la suppression du marché » (C, 582)…

ABSTRACTS
The institution of community. A critical reading of sociopolitics of the common
Integrating the social and cultural struggles against the capitalist order and entrepreneurial
state, the political sociology of the common theorized in the work of Dardot and Laval Commun
(2014) aims to found political and activist action on an praxis instituting that generates collective
subjects oriented towards concepts such as coactivity, participation, consultation and co-
decision. This text aims to highlight the contributions and limits of a radically anti-essentialist
conception of social-historical world, while relying on a dialectical conception of institutions,
runs the risk of sometimes pay a pragmatist and disembodied conception of the socio-cultural
universe, illustrated by the use of self-imposed, self-managed and federated "common" as the
only legitimate collective entities.

A l’aune des luttes sociales et culturelles contre l’ordre capitaliste et l’État entrepreneurial, la
sociologie politique du commun théorisée dans l’ouvrage de Pierre Dardot et Christian Laval
Commun (2014) entreprend de fonder l’agir politique et militant sur une praxis instituante qui
génère des sujets collectifs orientés vers les notions coactivité, participation, délibération et
codécision. Ce texte vise à souligner les apports et limites d’une conception radicalement anti-
essentialiste du monde social-historique qui, tout en s’appuyant sur une conception dialectique

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des institutions, prend le risque de verser parfois dans une conception pragmatiste et
désincarnée des univers socio-culturels, illustrée par le recours aux « communes » auto-
instituées, autogérées et fédérées comme seules entités collectives légitimes.

La comunidad como institución. Una lectura crítica de la sociopolítica de lo commun


A juzgar por las luchas socioculturales contra el orden capitalista y el Estado empresarial, la
sociología política de lo común cuya integración teórica podemos encontrar en el trabajo de
Laval y Dardot Commun [Lo común] (2014) procura fundar la acción política y militante sobre la
base de una praxis instituyente que genere sujetos colectivos orientados hacia los conceptos de co-
participación, implicación, deliberación y toma colectiva de decisiones. Este trabajo tiene por
objeto poner de relieve los aportes y las limitaciones de una concepción radicalmente anti-
esencialista del mundo social-histórico, que, al apoyarse en una concepción dialéctica de las
instituciones, corre en ocasiones el riesgo de caer en una concepción pragmatista y desencarnada
de los universos socioculturales, cuestión que se ilustra a la perfección en los "bienes comunes"
autoinstituidos, autogestionados y federados como únicas entidades colectivas legítimas.

INDEX
Mots-clés: commun, communauté, institution, démocratie
Keywords: common, community, democracy
Palabras claves: común, comunidad, institución, democracia

AUTHOR
STÉPHANE VIBERT
Professeur agrégé, École d’études sociologiques et anthropologiques (EESA). Directeur de
recherche au Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités (CIRCEM),
Université d'Ottawa, Ottawa (ON), Canada - svibert@uottawa.ca

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