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Epistémologies du Sud compte rendu du livre de Boaventura de Sousa Santos

Preprint · July 2018


DOI: 10.13140/RG.2.2.18424.55043

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Dimas Floriani
Universidade Federal do Paraná
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POR UMA EPISTEMOLOGIA DA DIVERSIDADE E DOS ESPAÇOS MARGINAIS: (in)justiça ambiental, sujeitos subalternos, discursividades e res(x)istências no contexto do
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Epistémologies du Sud: Mouvements citoyens et polémiques sur la science.
Boaventura de Sousa Santos
Collection «Solidarité et société», Éditions Desclée de Brouwer, 2016, 437p.

L’Oeuvre commence par affirmer que la compréhension du monde l'emporte


sur la compréhension occidentale du monde; Qu'il n'y aurait pas de justice
sociale globale sans justice cognitive globale et que le processus
d'émancipation des sociétés du Sud doit être forgé par elles-mêmes plutôt que
par une théorie critique centrée sur/de l'Occident. Le « prix » donc de ce
dépassement est la disparition même des épistémologies du Sud comme
utopie. Le Sud n'est pas un concept géographique, tout comme le Nord ne l’est
pas. Cette relation se manifeste en termes de modèles antipodes:
l'hégémonisme capitaliste contre la résistance contre-hégémonique. Le « prix »
à payer réside toujours dans des projets d'émancipation sociale soutenus par
des actions de solidarité, des dimensions inconnues par la pensée unique
hégémonique et ses pièges idéologiques de l'individualisme et du
consumérisme débridé.

Ce livre est le résultat (ou la ‘traduction’ comme l'auteur aime le dire) d'une
pensée qui s'est constituée au cours des 30 dernières années et qui commence
pratiquement avec un petit livre-manifeste, publié en portugais : Un discours sur
les sciences - 1985. Il est déjà né sous la controverse puisqu'il est inscrit dans
la guerre des sciences (affaire Sokal) et parce qu'il est originaire d'une
escroquerie écrite par le physicien-mathématicien Alan Sokal, publié dans la
revue Social Text, avec la prétention de dénoncer les faiblesses présumées des
positions anti-positivistes postmodernes.

Depuis lors, Boaventura de Sousa Santos va tisser son excellent travail en


partenariat avec des auteurs du monde entier, qui émergent du domaine de la
pensée décoloniale ou des épistémologies du Sud, comme lui-même appelle.
Comment est-il possible qu'un auteur formé par la tradition de la modernité
eurocentriste ait pu formuler une pensée qui nie le projet critique d'Europe
occidentale, lui imposant l'incapacité de surmonter à l'échelle mondiale les
contradictions du modèle hégémonique? Plus que cela, quel lieu d'énonciation
et de combat politique, ce projet épistémique est-il capable de disloquer du

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système de pensée dominant, l'arme de la critique (la théorie) vers la critique
des armes (système de pratiques)?

Afin de répondre à ces questions, nous devons commencer par une Sociologie
ou une Anthropologie de l'auteur, de son oeuvre, à savoir que son projet
intellectuel est combiné avec une révision des fondements théoriques qui
l'inspirent, associée à la vision politique critique dérivée des expériences
sociales de l'auteur lui-même, dans des situations périphériques. Comme son
immersion dans la communauté ou la favela de Jacarezinho, dans la ville de
Rio de Janeiro, en 1973, lorsqu’il a présenté sa thèse de doctorat à propos des
conflits vécus par ses habitants. Il cherchait à identifier comment ils ont résolu
les problèmes et les conflits par la médiation de l'association des résidents,
c'est-à-dire un droit parallèle et informel non reconnu par l'État. Il s'agissait d'un
droit qui «gouvernait» efficacement la population, les conflits entre voisins,
parents et autorités de la favela elle-même. C'est donc juste quand Boaventura
de Sousa Santos l’appela le droit des opprimés.

Cette identification avec le monde des opprimés trouvera un écho dans la


recherche que l'auteur fera tout au long de son histoire de vie intellectuelle et
personnelle. Cela avec les auteurs les plus divers de la soi-disant périphérie du
système capitaliste et qui ne se limitent uniquement à l'Amérique Latine, mais
qui élargissent le champs à l’Afrique et à l’Asie. Un penseur de la
décolonisation, puisqu'il a vécu dans sa propre peau cette expérience pratique
avec la Révolution des Oeillets au Portugal en 1974 et par conséquent, comme
intellectuel, il a mis à l'épreuve le reflet de l'état des colonisés par les travaux de
Frantz Fanon et d'autres penseurs de la décolonisation .

Cette prise de position a frappée son propre statut d'intellectuel engagé dans le
transit des expériences et des échecs menés par les processus de
décolonisation. Soit, la rupture du paradigme depuis 1968 des structures rigides
et bureaucratiques du socialisme étatiste, le plaçant donc du côté des
mouvements libertaires, en tant que des débris du système capitaliste
mondialisé. L'accumulation d'expériences avec les mouvements alternatifs et
altermondistes le met face aux défis théoriques et politiques, de penser à
d'autres chemins conçus par ces mouvements dans le Forum Social Mondial
(FSM) et d'autres manifestations, comme les mouvements d'occupation à
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Seattle et Wall Street, des indignés en Espagne, le mouvement zapatiste au
Mexique et d'autres insurrections indigènes dans les Andes.

Au fur et à mesure qu’il prennait des positions en faveur des communautés et


des peuples indigènes exclus, il élargissait encore plus sa gamme d'action et
de réflexion critique sur cette nouvelle réalité. Ce qui lui a donné des crédits
pour affirmer ses positions théoriques et politiques présentées dans ce livre.

En ce sens, Boaventura de Sousa Santos incarne la figure de l'intellectuel


mondial engagé, dont le travail est marqué par la collaboration avec un réseau
d'intellectuels de plusieurs quadrants. Principalement avec ceux qui se sont
situés dans le même domaine de solidarité de la pensée anti-hégémonique,
alignés sur les mouvements altermondistes et autonomes, représentés par la
métaphore du Sud. À titre d'exemple de cette production collective, il existe une
production éditoriale encourageante de sept volumes, dont les titres soulèvent
des thèmes difficiles du présent, tels que La démocratisation de la démocratie:
Les chemins de la démocratie participative; Produire pour vivre: Les chemins
de la production non capitaliste; Reconnaître pour libérer: Les chemins du
cosmopolitisme multiculturel; Semer d'autres solutions: Les chemins de la
biodiversité et des connaissances rivales; Travailler le monde: Les chemins du
nouvel internationalisme des travailleurs; Les voix du monde; Réinventer
l'émancipation sociale.

Compte tenu de cette pensée complexe inscrite dans des épistémologies


alternatives, des anti-positivistes et en désaccord avec une science fermée en
soi, l’auteur lance des stratégies de dialogue possible et nécessaire entre
connaissances scientifiques et autres connaissances culturelles, sous la
désignation de l'écologie des savoirs, conçues par une pragmatique du langage
à travers des stratégies de traduction, fortement appuyées par la traduction
interculturelle. Déjà dans les années 90, un autre penseur le mexicain, Enrique
Leff, avait lancé cette proposition de dialogue de savoirs pour soutenir une
nouvelle épistémologie socio-environnementale. De par le concept de
rationalité environnementale, à partir de l'idée que la connaissance scientifique
ne voit pas ce qu'elle ne voit pas, selon le précepte de l'École de Santiago, de
la nouvelle biologie cognitive de Maturana et Varela. Il s’agit donc d’ouvrir les

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voies de valorisation des savoirs culturels pour frayer le chemin au dialogue
entre les savoirs savants et les savoirs vernaculaires.

On peut dire que la proposition de Boaventura de Sousa Santos s’inscrit dans


une écologie de la pensée politique radicale, en dehors des renvois de la
pensée scientifique dominante. Pour ce faire, il faut mener une bataille
acharnée contre la matrice épistémologique eurocéntrique, même contre ceux
qui s'opposent à une certaine forme radicale et anticapitaliste, mais qui sont
encore des prisonniers des matrices salvatrices du vingtième siècle, comme les
stratégies des partis de gauche, avec des anciens modèles du syndicalisme de
la classe ouvrière, en tant qu'acteur central des grandes transformations
sociales et politiques.

Mais comme intellectuel européen qui cherche à se séparer de ces matrices et


à essayer de maintenir des ponts de dialogue entre les savoirs antipodes, il
cherche l'inspiration des outsiders de la matrice européenne, chacun dans son
temps de modernité comme Nicolas de Cues et Blaise Pascal, la docta
ignorantia énoncée par le premier (tout ce que nous savons est soumis à la
limitation de penser l'infini) et le «pari» du second (l’existence de Dieu ne peut
être démontrée de manière rationnelle) qu’ont été ignorés précisément parce
que s’opposaient aux certitudes de la pensée orthopédique, selon De Sousa
Santos que la modernité occidentale entendait garantir. Walter Benjamin a
remis en question la rationalité occidentale moderne en critiquant l'idée de
progrès et d'universalisme qui est au coeur de la théorie de l'histoire de la
modernité.

Pour donner un sens à sa théorie de la traduction interculturelle, De Sousa


Santos cherche à favoriser le dialogue entre les penseurs critiques de la
modernité européenne déjà mentionnés et les penseurs du métissage et des
identités postcoloniales de l'Amérique latine (Mário de Andrade, Fernando Ortiz,
José Marti, parmi beaucoup d'autres), tout en essayant de raccourcir la
séparation entre modernités centrifuges et leurs degrés de séparation. Cela est
possible pour un certain travail d'anthropophagie pour combler les vides
interculturels et bâtir des possibilités contre-hégémoniques, par l'action même
des sujets oubliés et subalternes.

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Les épistémologues actuels qui basent les concepts d'incertitude et
d'emergence, tels que Prigogine, Stengers et Morin, surgissent comme
médiateurs à la redéfinition de la notion de temps qui est au cœur des autres
temporalités culturelles des peuples subalternes dont la référence au passé est
vue comme passé en cage, en particulier pour les Latino-Américains et les
Africains. La théorie de ces temporalités alternatives, entravée par la pensée
abyssale, est largement présentée dans le livre par le biais d'une Sociologie
des Absences, qui cherche à identifier l'histoire et la manière d'être de ces
peuples, leurs savoirs et pratiques écologiques, et par une Sociologie des
Emergences qui s'opposent à l'épistémologie de l'aveuglement, puisqu'il est
incapable de lancer le pont entre les discours et les pratiques hégémoniques et
subalternes, en dévalorisant les expériences (gaspillage de l'expérience) des
modes de vie alternatifs, empêchés de penser, à cause d'une raison indolente,
inhérente à sa façon de voir et de dire.

Apparemment, la connexion entre cette manière d'être et de savoir des


antipodes pourrait être facilitée par une herméneutique de la traduction
interculturelle. Mais rien de plus trompeur que cette position d'objecteurs de
conscience. Il ne s'agit plus d'intellectuels organiques qui feront la grande tâche
de transformation, mais de sujets marginalisés eux-mêmes, dotés d'une forte
conscience de la réévaluation du passé et de l'action moléculaire de la
résistance anti-hégémonique.

De cette façon, ce livre est une formidable synthèse de la pensée de l'auteur,


en deux parties. La première, Discussion sur les Modernités centrifuges et
Occidents subalternes: degrés de séparation, composé de 3 chapitres. La
deuxième, présente le débat Vers des épistémologies du Sud: contre le
gaspillage de l'expérience et contient cinq chapitres.

Enfin, en annexe, le livre se termine par deux manifestes : Pour le bien vivre
(Buen Vivir), typique de la culture des peuples autochtones d'Amérique latine,
en particulier le monde andin, mais pas exclusivement, que dispense le concept
hégémonique de développement et/ou de développement durable, et Pour les
intellectuels militants, que déplace l'arrogance d'un soit disant savoir doctoral,
rappelant les leçons de Nicolas de Cues, pour la sagesse de l'écologie des
savoirs.
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Dimas Floriani – Professeur en Sociologie, Département de Sciences Sociales,
programme de Post-Graduation en Environnement et Développement, UFPR -
Université Fédérale du Paraná, Brésil. [floriani@ufpr.br –
prof.dimasfloriani@gmail.com] – http://lattes.cnpq.br/8434128019700380

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