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(2011)
“Anarchisme et libéralisme :
réflexions sur la notion de
« libéral-libertaire ».”
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Francis Dupuis-Déri,
Francis Dupuis-Déri
Professeur, science politique, UQAM
“Anarchisme et libéralisme :
réflexions sur la notion de « libéral-libertaire ».”
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“Anarchisme et libéralisme :
réflexions sur la notion de
« libéral-libertaire ».”
Par Francis Dupuis-Déri *
15 Ce discrédit par jeu d’amalgame se pratique également chez ceux qui veulent
à la fois écorcher les islamistes et les féministes. On reprochera à des
féministes comme Andrea Dworkin et Catharine A. Mackinnon, ou encore à
la Fédération des femmes du Québec (FFQ), leur critique de la pornographie,
parce que ce serait « EXACTEMENT le discours tenu par les islamistes. Les
bonnes filles se voilent et font preuve de pudeur. Les autres sont des
traînées ». Pour marquer le coup, une conclusion en forme de dicton, « qui
s’assemblent se ressemblent » (Richard Martineau, « Quand féminisme rime
avec islamisme », Le Journal de Montréal, 12 mai 2009, p. 6). On devrait
comprendre que les féministes radicales et les miliciens islamistes se
mobilisent en réponse aux mêmes motivations, poursuivent les mêmes
objectifs et mènent les mêmes actions, avec les mêmes effets qui
opprimeraient ou stigmatiseraient pareillement les femmes. Le jeu
d’amalgame participe ici d’une réduction drastique de l’intelligibilité des
phénomènes discutés, et produit des effets de délégitimation du féminisme.
16 Des intellectuels, dont au moins un politologue, ont sérieusement affirmé que
les anarchistes du mouvement altermondialiste et les islamistes qui ont
organisé l’attaque du 11 septembre 2001 contre les États-Unis sont animés par
le même esprit ou la même morale, chacun s’en prenant à des symboles du
capitalisme : les anarchistes en manifestation à des vitrines de banques ou de
McDonald’s, les islamistes aux tours du World Trade Center. Pourquoi alors
ne pas parler d’« anarcho-islamisme » ? Pour une analyse de cette
condamnation par amalgame, voir Francis Dupuis-Déri, Les Black Blocs :
Quand la liberté et l’égalité se manifestent, Montréal, Lux, 2007 [3e éd.], pp.
222-225.
17 Le syllogisme est une forme rhétorique qui permet de dire, par exemple, que
(1) les chats ont des moustaches ; (2) Adolf Hitler avait une moustache ;
(3) Adolf Hitler était un chat ; ou que (1) les libéraux aiment la liberté ; (2) les
anarchistes aiment la liberté ; (3) les anarchistes sont donc des libéraux.
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Œuvres complètes, vol. IV, Paris, Champ libre, 1976 [1873], p. 217.
39 Pierre Kropotkine, La science moderne et l’anarchie, Paris, Phénix, 2004
[1913], p. 132.
40 Pierre Kropotkine, La Grande Révolution – 1789-1793, Paris, Stock, 1909, pp.
745-746.
41 Lucy Parsons, « The Principles of Anarchism », Lucy Parsons, Freedom,
Equality and Solidarity : Writings and Speeches, 1878-1937, Chicago,
Charles H. Kerr, 2004 [1905-1910 ?], p. 38.
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Selon le libéralisme tel qu’il s’incarnerait dans l’individualisme
égoïste dont le néolibéralisme et le marché capitaliste de la
consommation font la promotion, l’individu cherche certes des
associations volontaires dont il peut se délier selon son désir, mais
celles-ci ne sont pas considérées comme politiques : il s’agit
d’associations d’affaire, de loisir, d’amitié, d’amour… L’individu
(néo)libéral se pense ou se veut apolitique 45, alors que les motivations
qui animent l’engagement des anarchistes sont politiques.
L’anarchiste pense la liberté en lien avec l’engagement politique : plus
on peut s’engager en politique et plus on affirme sa liberté.
exclusivement collectif alors que la liberté (en tout cas la “liberté des
[215] modernes”) serait essentiellement liberté individuelle 46 ». Plus
précisément, la liberté et l’égalité ne sont pas deux principes ou
phénomènes qui peuvent être distingués ou séparés l’un de l’autre
dans la réalité politique, ainsi que dans les rapports sociaux. Balibar
avance de plus que la lutte pour la liberté est à la fois une lutte pour
l’égalité, et vice-versa, puisque « égalité et liberté sont contredites
exactement dans les mêmes conditions, dans les mêmes “situations”,
parce qu’il n’y a pas d’exemples de conditions supprimant ou
réprimant la liberté qui ne suppriment ou ne limitent – c’est-à-dire
n’abolissent – l’égalité, et inversement. […] Il n’y a pas d’exemples
de restrictions ou suppression des libertés sans inégalités sociales, ni
d’inégalité sans restriction ou suppression des libertés, ne serait-ce
que pour mater les résistances » et la contestation contre la
domination et l’injustice 47.
Et la solidarité ?
libéraux qui adhèrent à des partis politiques, surtout celles et ceux qui
en font une carrière politique. À qui sait voir et entendre, pourtant,
l’engagement anarchiste est aussi source de larmes, de peine, de
colère et de douleur, de blessures 52, d’épuisement et de dépressions
nerveuses, d’exclusion et de pauvreté, puisque l’anarchisme est
insubordination et contestation, et qu’il pousse à la confrontation avec
le système libéral et ses représentants, dont parfois les policiers.
Conclusion
[226]
Fin du texte