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ZeïnSaad

17,05 €

9 782336 307664
LE SAHARA OCCIDENTAL
À L'HARMATTAN

BARBIERMaurice : Trois Français au Sahara Occiden-


tal (1784-1786), 215 p.
- Le conflit du Sahara Occidental, 420 p.
- Voyages et explorations au Sahara Occidental au
XLX.esiècle, 371 p.
BESLAY François : Les Reguibats - de la paix
française au Front Polisario (Collec. Alternatives
paysannes), 200 p.
Sahara Occidental: Un peuple et ses droits, 200 p.
- Un peuple et ses droits (version arabe), 112 p.

FARÈSNabile : Peuple sahraoui, chants d'histoire et de


vie pour des roses de sable (en français-espagnol),
poésie, 172 p.
ZEÏN SAAD

LES CHEMINS SAHRAOUIS


DE L'ESPÉRANCE

Introduction de
Jean Ziegler

Editions L'Harmattan
5-7, rue de l'Ecole- Polytechnique
75005 - Paris
© L'Harmattan, 1987
ISBN : 2-85802-883-4
A nos mères sahraouies
Qui bannissent de leurs rêves
L'exil et le désespoir

Vous dont les larmes ont l'amertume


Du sang des peuples poignardés

Kateb Yacine
V'

REPUBLICA ARABE
SAHARAUI DEMOCRATICA

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LA RÉPUBLIQUE
ARABE SAHRAOUIE
DÉMOCRATIQUE
CHANSON D'ADIEU
POUR EL OUALI*

Je t'inventerai une rose


de pétales noires
un drapeau rouge
de sang
brûlant

Je t'inventerai un chemin
qui croise les mers,
une terre
de myrte
et d'eau

Je t'inventerai un vent
de lumières et de ponts
un rêve
d'épis
et d'ailes

Je t'inventerai une ombre


de colombes libres
un ombrage
de brises
et de palmiers

Antonio LEYV A
Poète mexicain

* Traduit de l'espagnol
par LISA PIERRE.
LE PARADIGME SAHRAOUI
par Jean ZIEGLER

Avril 1987 : dans la grande salle de conférence de


l'hôtel Shératon de Rome, transformée en forteresse,
surveillée par des centaines de carabiniers, de
policiers aux gilets pare-balles et de gardes de corps
provenant de toutes les nations d'Europe, le Conseil
exécutif de l'Internationale socialiste tenait son
Congrès sur « la paix et la coopération en Méditer-
ranée». Devant la presse mondiale, les membres du
Conseil et des dizaines d'observateurs, Willy Brandt,
président de l'Internationale, suivi du Premier mi-
nistre italien Bettino Craxi et du Vice-Premier
ministre d'Espagne, Alfonso Guerran, présenta les
subtiles analyses sur les guerres, conflits et tensions
qui de la Mésopotamie jusqu'au Tchad ravagent
aujourd'hui les pays riverains ou voisins de la
Méditerranée. Tout au fond de l'immense salle, parmi
les interprètes, journalistes et agents secrets, un
homme au teint brûlé par le soleil, aux grands yeux
noirs et tristes : Mohamed Sidati, délégué en Europe
du Front Polisario.
Après d'autres intervenants, Lionel Jospin appela à
la mobilisation contre Kadafi et au soutien du
gouvernement tchadien de Hissène Habré. Bruno

9
Kreisky prit la parole, puis le Premier ministre de
Norvège, Madame Brundtland... appels, analyses,
condamnations, annonces de négociations, projets de
résolution se succédèrent. Pendant trois jours et deux
nuits. Sur la guerre du Sahara occidental, peu de
choses.
Or, sur le front central, entre Farsia et Mahbès, une
des batailles les plus meurtrières de toute la longue
guerre venait tout juste de s'achever. Les combattants
de l' Armée de Libération Populaire Sahraouie étaient
montés à l'attaque du Mur marocain à travers les
barbelés, les champs de mines. Dans des combats de
corps à corps, à la grenade, à la kalachnikov, ils
avaient détruit des dizaines d'avant-postes des camps
de base, des colonnes de secours blindées, des dépôts
de munition, des bunkers de commandements maro-
cains. Des centaines de jeunes soldats, sous-officiers,
officiers marocains avaient été tués, brûlés, mutilés.
Des dizaines de jeunes gens et adolescents sahraouis
avaient sauté sur des mines, étaient morts sous les
bombardements des Mirages français, avaient agonisé
dans les barbelés.
De cette effroyable tragédie peu d'écho parvenait à
la salle climatisée du Shératon. Ici étaient réunies les
figures les plus prestigieuses, les principaux dirigeants
du socialisme démocratique. Tous ignoraient super-
bement cette guerre de plus de 12 ans qui si
visiblement n'a pas d'issue militaire et qui mois après
mois accumule dans les champs de mines, derrière le
Mur et dans les barbelés les cadavres de gens qui
pourtant sont des voisins. Depuis 1975, l'armée
d'occupation marocaine bombarde, torture, tue,
brûle, massacre le peuple martyre des Sahraouis.
Depuis toujours, les Sahraouis résistent à l'occupant :
espagnol d'abord, puis maroco-mauritanien et enfin

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marocain. Dans la salle du Shératon Mohamed Sidati,
représentant du peuple agressé, venu en observateur
n'avait pas la parole.
Ce qui se passait à Rome en avril 1987 est
symbolique pour la plupart des luttes actuelles de
libération que mènent sur les trois continents tant de
peuples contre leurs oppresseurs : les peuples d' Afri-
que-du-Sud, de Namibie, d'Amérique latine et
d'autres peuples ailleurs dans le monde qui apparais-
sent sur les téléscripteurs une ou deux fois par an
lorsque leurs combattants réussissent une attaque
particulièrement audacieuse ou subissent une défaite
spectaculaire. Le reste du temps les gouvernements
démocratiques, les forces progressistes, l'opinion
publique du monde industriel réagissent comme de
coutume : par le silence, l'indifférence, l'indolence du
cœur et de l'esprit.

Sur les champs de bataille du désert, dans les


cachots des territoires occupés, les hommes, femmes
et adolescents sahraouis sont, malgré le secours qu'ils
reçoivent d'Algérie, de Suède et d'organisations
humanitaires, ou de solidarité en Europe, désespéré-
ment seuls. Réfugiée sur la Hammada de Tindouf,
balayée par les vents glacés en hiver, brûlants en été,
la majorité de la population civile vit sous tente,
déplacée depuis 12 ans. Sur le front, les hommes au
fusil, en Land-Rover avec un courage indomptable.
En face d'eux, une des coalitions les plus agressives,
réactionnaires, cyniques et brutales que l'Afrique
moderne ait connue : dans les salles de tortures des
casernes et commissariats marocains des territoires
occupés, des «experts» nord-américains et israéliens
assistent les bourreaux chérifiens. La France, l' Afri-
que-du-Sud, l'Arabie Saoudite livrent des quantités

11
inépuisables de blindés, d'avions, de fusées, de
munitions. Ils délèguent sur le Mur en tant que
«conseillers» leurs officiers et coopérants. Les
Sahraouis, peuple nomade, à la culture, la langue, la
cosmogonie millénaires vivent sur ces étendues
brûlées, dans les vallées verdoyantes et les oasis, sur
les côtes poissonneuses et le long des oueds du Sahara
occidental depuis le :xwsiècle. Colonie espagnole par
décision de la Conférence de Berlin depuis 1885, les
Sahraouis - ceux du Reg (désert de pierre) et ceux
du Erg (étendue de sable) - ont toujours été unis,
souverains, intraitables dans leur volonté d'indépen-
dance, intransigeants quant à leur désir d'être libres.
En plus de 100 ans, leur résistance n'a jamais cessé
entre le fleuve Drâa au nord, la Hammada de Tindouf
à l'est, l'Atlantique à l'ouest et les oueds mauritaniens
au sud. Leurs revendications sont toujours les
mêmes : souveraineté populaire, respect de l'identité
singulière, indépendance politique, liberté des per-
sonnes, bonheur pour tous. Ces revendications sont
justes : personne de sensé n'en doute. Pourtant,
depuis plus d'un siècle elles sont niées, noyées dans le
sang.
Chose étonnante : le peuple sahraoui avec son
extraordinaire sens de l'analyse, du contact humain,
de la pédagogie accumule les victoires diplomatiques.
Vingt-huit Etats africains et des dizaines d'Etats
non-africains parmi lesquels la puissante Inde recon-
naissent aujourd'hui formellement la R.A.S.D. -
République Arabe Sahraouie Démocratique. La
R.A.S.D. est membre de plein droit de l'O.U.A. A
l'Assemblée Générale des Nations Unies, année
après année, une écrasante majorité - amenée par
les gouvernements progressistes du Tiers Monde -
vote régulièrement en faveur des revendications

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nationales sahraouies. •Avec quelle conséquence?
Aucune.
La guerre du Sahara est ainsi le révélateur d'un
ordre du monde : ordre où la voix des peuples d'Asie,
d'Afrique, d'Amérique latine a de moins en moins de
poids, où les seigneurs du capital et de la marchandise
règnent. Dans la solitude et la toute-puissance. Par
quelle légitimité ? Celle justement de la violence du
plus puissant, de la rationalité marchande, de la
géostratégie, de l'intérêt du capital.

Le royaume chérifien a tort dans toutes ses


prétentions historiques, politiques, diplomatiques?
De nombreux diplomates occidentaux et soviétiques
le concèdent volontiers, mais à titre privé. Le Maroc
est actuellement gouverné par une tyrannie clanique,
tortionnaire, cynique, corrompue, qui maintient un
peuple entier dans un état de misère, de désespoir à
peine tolérable ? Personne ne le conteste vraiment.
L'invasion de 1975 et la continuelle occupation du
territoire sahraoui violent les règles les plus élémen-
taires du droit international public? Bien sûr, vous
disent toujours entre quatre yeux la plupart des
hommes politiques d'Europe, des Etats-Unis,
d'U.R.S.S. Mais ces mêmes interlocuteurs vous
mettent en face de ce qu'ils appellent des évidences
incontournables : le Maroc et l'U.R.S.S. sont les
deux premiers producteurs de phosphate du monde ;
à Bou Crâa - en R.A.S.D. - dorment les gisements
probablement le plus fabuleux. L'U.R.S.S. préfère le
phosphate à la justice, l'alliance marocaine à la
solidarité populaire? Sa raison d'Etat lui commande
ce choix. L'autre grande puissance a d'autres raisons
tout aussi contraignantes pour porter à bout de bras la
dictature marocaine : aujourd'hui, les bases améri-

13
caines au Maroc assurent la présence permanente du
matériel et des troupes d'intervention sur les bords du
bassin méditerranéen ; les « experts » israéliens au
Sahara collaborent étroitement avec les services
secrets et l'armée du Maroc qui est solidement
amarrée à la charette impérialiste.
La rationalité du grand capital multinational et sa
complice honteuse, la raison d'Etat (d'Europe, des
Etats Unis, d'U.R.S.S.) garottent les peuples du Tiers
Monde. Leurs voix sont étouffées sous le bruit
incessant des grands appareils dits de « communica-
tion». En Europe occidentale, le mouvement de
solidarité anti-impérialiste est frappé <l'anémie. Les
quelques rédacteurs en chef de journaux, émissions
de radio ou de télévision de Paris, Madrid, qui il y a
quelques années encore se laissaient émouvoir par
une argumentation de principe, un drame humain
collectif, le destin nié d'un peuple, répondent aujour-
d'hui par un signe de refus fatigué de la main.
Prudences matoises, compromissions, trahisons sont à
l'ordre du jour. L'avenir du Tiers Monde? La
question ne sera pas posée. De toute façon, elle est
insoluble. Un petit peuple de moins d'un million de
personnes - les uns perdus dans l'immensité du
désert, les autres parqués dans des villes encerclées,
d'autres encore vivant difficilement dans les cités de
tentes de l'exil? Les seigneurs du monde s'en
moquent. Ce Vietnam silencieux ne prive de sommeil
aucun de ceux qui détiennent une quelconque
parcelle de pouvoir dans les appareils de communica-
tion ou de gouvernement d'Occident ou d'Orient,

Les souffrances que continuent d'endurer


- malgré l'appui ouvert, décidé, à leur cause de la
majorité des Etats du Tiers Monde - les hommes,

14
femmes et enfants sahraouis signalent le déclin
dramatique de l'influence des gouvernements afri-
cains, latino-américains, asiatiques dans la gestion de
la planète. Les seigneurs, les banquiers, leurs intellec-
tuels organiques, les généraux de l'ordre du monde
peuvent sans problème désormais se passer de l'avis
des trois quarts de l'humanité. On s'en rendra compte
avant la fin de ce siècle : le destin sahraoui est
paradigmatique pour l'existence de plus en plus
humiliante, obscure, incertaine de tous les peuples de
la périphérie.
Le baron de Brède de Montesquieu qui n'était pas
un révolutionnaire ni même un démocrate, mais qui,
effrayé, assistait aux premiers ravages de l'impéria-
lisme ( espagnol) écrivait : « Ceux qui disent qu'une
fatalité aveugle produit tous les effets que nous voyons
dans le monde disent une grande bêtise, car quelle plus
grande absurdité qu'une fatalité aveugle qui aurait
produit des êtres intelligents?*». Le peuple sahraoui
n'admet pas la fatalité. Le livre de Zeïn Saad dans sa
précision clinique en témoigne. Au Sahara, aujour-
d'hui, la dignité va en haillons. Mais c'est la dignité de
tous les hommes libres : ces jeunes combattants,
vêtus d'une simple culotte, pieds et torse nus qui nuit
après nuit, à plat ventre, rampent dans les champs de
mines, désamorcent de leurs doigts tremblants les
engins de mort, ouvrent un passage pour les troupes
d'assaut qui quelques instants plus tard se rueront sur
les postes marocains, défendent de leur sang, de leurs
membres mutilés, avec leur courage et leur foi, la
dignité, la liberté de tous les hommes.
Tous ceux qui refusent la fatalité d'un monde qui

(•) Montesquieu, L'Esprit des lois, vol. I, 1979, Editions


Garnier-Flammarion, p. 123.

15
s'enfonce chaque jour davantage dans la nuit glacée
du cynisme leur doivent de la gratitude, de l'admira-
tion et une totale solidarité.

Genève, Pâques 1987.

Jean ZIEGLER

16
AVANT-PROPOS

On peut aborder ce livre avec l'a priori - bien


compréhensible - qu'il s'agit d'un ouvrage apologé-
tique. Qu'on nous fasse l'amitié de croire qu'il n'en
est rien. Notre propos vise à présenter la réalité, les
efforts que nous avons faits, les résultats que nous
avons atteints et ce qui nous reste à accomplir.
Les peuples, les Etats et les amis qui nous ont aidés
pendant ces années de lutte connaissent notre
histoire, nos perspectives, et nos aspirations. Le
contenu de cet ouvrage ne leur apportera rien de
nouveau. Nous espérons cependant qu'il les aidera à
rallier à notre cause de nouveaux amis, à mieux nous
faire comprendre de ceux qui se trouvent encore loin
de nous. C'est donc aux amis de longue date que ce
livre est dédié en premier. Mais nous souhaitons aussi
qu'il touche un vaste public, en Europe, en Asie et en
Amérique.
Notre lutte a une signification universelle. Elle
s'inscrit dans le combat que toute l'humanité livre
pour la paix, le bien-être et le progrès. Nous sommes
persuadés que la connaissance de notre cause aide
objectivement à percevoir quelques-unes des difficul-

17
tés que le monde traverse actuellement, à situer les
forces qui s'opposent à tout processus de développe-
ment et de libération des peuples et des individus.
Aussi bien, nous nous adressons au peuple maro-
cain. Il n'est pas notre ennemi mais la victime, au
même titre que nous, d'un régime et d'une politique
voués à l'échec parce qu'injustes, à rebours de
l'histoire et de l'évolution de la civilisation. C'est
particulièrement en son sein que nous espérons
trouver appui et compréhension pour notre lutte. Car
vaincre signifie à nos yeux lui permettre de mieux
conduire son propre combat contre une économie de
guerre qui lui apporte misère et sous-développement.
Pour atteindre le niveau de démocratie d'une société
moderne et juste. Pour que la paix dure dans notre
région, en Méditerranée et sur le continent africain,
tout esprit de domination étant exclu, tant dans le
domaine économique que dans celui des relations
internationales.
Ces objectifs communs aux peuples de la région
peuvent-ils être atteints par le fait de notre seule
lutte? Evidemment non. C'est pourquoi nous atten-
dons, aujourd'hui plus que par le passé, que l'Europe
attachée à la démocratie, intéressée au plus haut point
par la paix dans notre région et la possibilité
d'entretenir avec le Maghreb et l'Afrique des rela-
tions de coopérations à tous les niveaux, apporte sa
contribution pour aboutir à une solution négociée du
conflit entre notre peuple et le gouvernement maro-
cain. Cela a toujours été notre objectif prioritaire.
Cet ouvrage expose les éléments essentiels de notre
histoire. Il démontre, d'une part, qu'il n'y a jamais eu
sur notre territoire de quelconque souveraineté
marocaine, et d'autre part, que notre peuple a acquis

18
dans la lutte la conscience de son identité, de ses
droits et de ses liens avec son patrimoine historique.
Pour nous, la guerre n'est pas un choix délibéré,
elle nous a été imposée. Notre préférence - faut-il le
souligner ? - va à cette société civile à laquelle nous
aspirons et que nous établirons après la libération de
notre patrie. Nous nous y préparons déjà, comme en
témoignent nos expériences en matière d'administra-
tion, d'agriculture, d'artisanat, de santé et nos efforts
dans les domaines de l'éducation et de la formation.
Notre volonté et notre certitude d'atteindre cet
objectif sont aussi fortes que notre disposition à
établir des relations nouvelles, économiques et politi-
ques, avec tous les pays et les peuples de la région afin
de vaincre notre seul ennemi commun : le sous-
développement. Plus encore, nous sommes prêts à
étudier avec nos voisins toute formule garantissant la
meilleure exploitation possible des ressources dont
dispose notre pays, afin de mettre en place un projet
global intéressant les peuples de notre région.
Le cadre politique qui détermine aujourd'hui la
situation du Maghreb ( et donc de notre lutte), n'est
pas des plus favorables : ceux qui s'opposent à la paix
ne semblent pas prêts à renoncer. Leur attitude
consiste à radicaliser les positions, à rompre le
dialogue, à tenter d'internationaliser un conflit déjà
coûteux et dramatique, par une fuite en avant. Fuite
d'autant plus manifeste, pour nous que notre résis-
tance est plus déterminée et chaque jour davantage
soutenue par notre peuple et par la solidarité et la
reconnaissance de plus en plus larges dont nous
bénéficions sur la scène internationale. Cela soutient
notre bras et aiguise notre esprit pour conduire
jusqu'à son terme logique notre lutte militaire,
politique et diplomatique : le Sahara libre.

19
LALIA ET SES RÊVES

« Je t'offrirai une rose des sables. » Lalia, dix ans,


me l'a promis. A Smara. En attendant, Lalia vit dans
un camp de réfugiés où s'entassent plus de cent
soixante-cinq mille Sahraouis. Sous la kheïma (tente),
à la lueur d'une lampe à gaz, pendant que d'une main
preste sa mère prépare le thé, et que l' « âadjaj », ce
terrible vent de sable qui souffle depuis le matin,
oblige tout le monde à se tenir, Lalia raconte Smara.
D'abord, tient-elle à me rassurer,« Chez nous c'est
très beau. Il n'y a pas de vent comme ça!» C'est
l'Eden ! Un paradis comme seuls les enfants savent en
créer, utilisant pour palette l'arc-en-ciel. Pourtant, de
son pays d'origine, elle ne connaît rien. Elle est
arrivée une nuit d'hiver, après le bombardement de
Smara par l'aviation marocaine, il y a de cela ... dix
ans justement. Lalia vit dans le moukhaîem (campe-
ment) où elle a vu le jour. Elle grandit à l'ombre de la
tente familiale. Ses yeux dans la pénombre ressem-
blent à deux taches noires sur une peau mate et lisse
que rien ne semble altérer. Au point que l'on finit par
se demander si la capacité de résistance des adultes
n'est pas tout simplement héréditaire.

21
Pour le moment, Lalia observe la broderie réalisée
par sa mère et des voisines, contribution hautement
artistique à l'écriture de l'histoire de sa patrie, de son
peuple.
Sur son cahier de dessins, Lalia trace un soleil, des
silhouettes en armes, un drapeau sahraoui.
Lalia est une enfant du vent, elle a commencé à lire
et à écrire dans une école en plein air ; pour ardoise,
elle avait sa «portion» de sable, pour craie son doigt
et comme tous les bambins du monde pour écrire en
s'appliquant, Lalia pointe le bout de sa langue au coin
de sa bouche ...
Sous sa tente, Lalia raconte, émerveillée, son
voyage en France, à l'occasion d'une colonie de
vacances de solidarité. Elle parle des maisons à
étages, « des portes et des fenêtres avec plein de
vitres», et puis, sur un ton où transpire le défi :
« comme à Smara, là-bas ». Son doigt minuscule
dessine un horizon arrondi. Elle rit, ne s'arrêtant que
pour dissimuler une quinte de toux qu'elle avait réussi
jusque-là à contenir. Car, malgré son jeune âge, dans
un élan de fierté peut-être, Lalia tente de dissimuler
le mal qui l'affecte, une bronchite à laquelle, sous ce
climat très dur, les femmes et les vieillards n'échap-
pent pas non plus.
Mais refusant de nous laisser nous apitoyer sur son
sort, elle parle, raconte des histoires qu'elle ne finit
jamais. Tant pis. Taquinerie ou galanterie? Il est
difficile en tout cas de taire sa beauté. Et de fil en
aiguille, voici que l'on parle de son mariage. Lalia
rougit mais l'ingénuité de l'enfance prend vite le
dessus : « Je serai enseignante et "lui" médecin. Nous
habiterons une maison avec une autre, dessus, avec des
portes, des miroirs. Beaucoup de drapeaux ... » L'ima-

22
gination la rend intarissable, mais Lalia s'arrête net
lorsqu'on lui demande des nouvelles de son père.
Sérieuse, elle répond : « Il est parti avec d'autres en
"Landro", il va revenir. » Pudiquement, la mère
baisse les yeux pour verser d'autres verres de thé.
Brûlant.
Les hommes au moukhaîem sont des « passagers en
transit». Tout comme les travailleurs émigrés, ils
n'ont pas la chance de voir leurs enfants grandir. De
périodiques mais brèves permissions leur permettent
de renouer le contact, d'assurer la jonction entre deux
moments que la mère aura conservés à l'écart de
l'oubli.
Devant cette enfant qui observe les visiteurs
comme s'il s'agissait de témoins, soudain comme une
phrase de Saint-Exupéry jaillit sur les lèvres : « Lalia,
dessine-moi ton pays!» Et Lalia, en véritable petite
princesse, tant la solennité empreint son geste à ce
moment précis, esquisse sur le sable les contours d'un
Etat, poussant le luxe jusqu'à ajouter les initiales en
arabe de la R.A.S.D. Et malicieuse, elle pointe son
doigt au milieu de sa carte : « Smara, c'est là. Vous
viendrez nous voir à l'indépendance?» Les rêves de
Lalia sont têtus.

23
PREMIÈRE PARTIE

UN PEUPLE, UNE HISTOIRE


Ils étaient apparus comme dans un
rêve, en haut d'une dune, comme s'ils
étaient nés du ciel sans nuages et qu'ils
avaient dans leurs membres la dureté
de l'espace.
Les hommes savaient bien que le
Désert ne voulait pas d'eux.
Mais c'était le seul, le dernier pays
libre ...

J. M. G. Le Clézio, Désert

Nous n'appartenons à personne si-


non au point d'or de cette lampe
inconnue de nous, inaccessible à nous
qui tient éveillés le courage et le
silence.

René Char
CHAPITRE I

UNE SOCIÉTÉ NOMADE ORIGINALE

Pays oublié, peuple inconnu et nié, sans histoire, le


Sahara occidental - avec les Sahraouis - est repré-
senté dans l'imagerie populaire occidentale comme
une contrée désertique sillonnée depuis des siècles
par des nomades voilés chevauchant des dromadaires.
L'histoire de ce pays et de ce peuple est assimilée à
une continuité de séquences historiques figées, mar-
quée par un immobilisme politique, social, économi-
que et culturel.
Que d'idées reçues, véhiculées dans le dessein de
justifier soit la colonisation de cette contrée (Es-
pagne) soit son occupation et l'assimilation de ses
habitants (Maroc) !
L'histoire et la culture sahraouies, ainsi que nous
allons essayer de le montrer, obéissent certes à une
permanence (le peuple sahraoui) mais aussi à une
évolution qui, dans l'étape actuelle, coïncide avec le
Front Polisario et la République Arabe Sahraouie
Démocratique. Nier l'existence d'une histoire et d'une
culture sahraouies aboutit à nier l'existence d'un
peuple, d'hommes, de femmes et d'enfants qui se
confondent avec ces étendues de dunes, de rocs, de

28
sables qui, pour être désertiques, n'en sont pas moins
vivantes et peuplées par des individus qui forment une
Nation.
L'histoire remplit une double fonction dans l'affir-
mation de l'existence des Etats. Au nom du nationa-
lisme, elle est la projection de la situation présente,
ou de son idéalisation dans le passé, c'est-à-dire que le
passé sera reconstruit, réinterprété pour justifier le
présent. Cette démarche est celle qu'adopte le Maroc
pour légitimer son invasion et sa colonisation du
Sahara occidental, sa négation du peuple sahraoui.
C'est à ce même titre et dans la même optique que
durant la colonisation française dans de nombreuses
contrées d'Afrique des enfants Noirs ou Arabes
récitaient inlassablement le trop fameux « nos ancêtres
les Gaulois avaient les yeux bleus et les cheveux
blonds ... ».

Un peu d'histoire ...


Aussi loin que l'on remonte dans l'histoire du
Sahara occidental, les preuves attestent la présence
d'une population dense à l'époque préhistorique
( outils du paléolithique, gravures rupestres du néo-
lithique). On parle même de ce pays comme du
dernier refuge de l'homme de Cro-Magnon, chassé
par une population Noire remontant du Sud et
appartenant à l'antique Empire du Ghana qui
comprenait alors une partie du Sahara occidental. Les
Noirs ont, à leur tour, été lentement refoulés par des
groupes berbères, eux-mêmes chassés par les conqué-
rants romains. Venus du nord, les Berbères se sont
répandus dans le grand Sahara pendant les derniers
siècles de l'Empire romain, à la faveur de l'introduc-
tion du chameau.

29
Jusqu'au VIIIe siècle, outre quelques groupes hu-
mains descendant des populations négroïdes, le
Sahara occidental était donc peuplé de tribus berbères
sédentaires (Zenata) et de tribus de la fédération
berbère nomade (Sanhadja), des Lemtounna, des
Messoufa et des Djodala.
A partir du VIIIe siècle, la pénétration arabe dans le
Maghreb apporte l'Islam. Peu touchées par l'implan-
tation arabe qui se limite essentiellement au Maghreb
maritime, les populations du Sahara occidental se
convertissent à l'Islam, sans se soumettre pour autant
à une domination extérieure. La nouvelle religion est
acceptée et non pas imposée. L'islamisation culmine
avec les Almoravides aux XIe et x11e siècles. En effet,
les Sanhadjas, nomades regroupés sous la direction
d' Abou Bakr Ibn Omar et de son cousin Y oussouf Ibn
Tashfin, partent des confins mauritano-sahraouis
pour entreprendre la conquête du Maghreb et de
l'Espagne. Peu nombreux, les Sanhadjas Almora-
vides ne pourront maintenir leur domination.
Une certaine division socio-politique existait
semble-t-il déjà entre guerriers (Moudjahidin), ensei-
gnants et cadis ( 1) (El Zaouia), et éleveurs (El
Lahma). Cette division socio-politique semble acqué-
rir sa structure définitive avec l'arrivée des Maquils
arabes durant les x11e et XIIIe siècles. Les Maquils,
confédération tribale bédouine, sont originaires du
Yémen.
Vers 1240-1245, les Hassans, une des principales
composantes des Maquils, s'installent dans la vallée
de l'Oued Drâa, puis pénètrent dans la Seguiet El
Hamra, pour atteindre le sud du Sahara occidental,

(1) Cadis = juges.

30
vers Dakhla (Villa-Cisneros) et même au-delà. Un
lent processus d'osmose entre les populations origi-
nelles du Sahara occidental et les Beni Hassans se
réalise, non sans quelques heurts, quelques rivalités et
soubresauts.
Durant les xw et xve siècles, au-delà des origines et
des différences ethniques, une certaine organisation
socio-politique et économique s'instaure au Sahara
occidental. Les structures de la société sahraouie,
ainsi que ses spécificités culturelles, se mettent en
place et vont se maintenir jusqu'au XIXe siècle,
période où deux forces expansionnistes tentent de
s'implanter : le Maroc et l'Espagne.
Du XIIIeau XIXesiècles, le Maroc et la Mauritanie se
présentent comme des pouvoirs politiques fortement
contrastés sur des zones d'influence mouvantes mais
peu développées. Au nord, un royaume de type
féodal, pouvoir monocratique en gestation, se met en
place; alors qu'au sud, une série d'Emirats rendent
compte d'un pouvoir oligarchique.

Une formation sociale spécifique

Situé entre ces deux régions, le Sahara occidental


connaît durant cette même période un développe-
ment historique et culturel propre. Aucun phéno-
mène d'attraction ne sera possible, qu'il s'agisse du
nord ou du sud, car la population y possède une
culture différente.
La société sahraouie traditionnelle comporte des
structures verticales fractionnées : ainsi, au bas de
l'échelle, trouve-t-on « la famille conjugale», puis « la
grande famille» (l' aial) qui représente la structure la
plus courante, ensuite la tribu (qaliba) et la confédé-
ration de tribus ou Djemâa. L'émergence d'un

31
pouvoir centralisateur personnel comme au Maroc ou
dans les Emirats est impossible car le système
socio-politique exclut une telle hypothèse.
A chaque niveau, de la sous-fraction à la confédéra-
tion, en passant par la fraction et la tribu, un système
d'assemblées (les djemâas) prédomine. Ces structures
hiérarchisées etles décisions prises à chaque niveau
n'empêchent pas que l'ensemble fonctionne de façon
communautaire lors d'assemblées de groupe.

Dans cette société traditionnelle où le pouvoir est


«atomisé», le groupe de parenté constitue le lieu de
passage obligé des rapports de production et des
rapports politiques. Chaque chef de famille, de la
base à la confédération trib~le, est à la fois le chef de
l'unité politique et le chef d'exploitation économique.
Au sein du campement (moukaîem), tous les hommes
libres sont égaux et membres de droit de la djemâa
(assemblée) qui est détentrice de la souveraineté et du
pouvoir clanique. Le chef de ces groupements est le
cheikh qui n'est que le «gérant», le coordonnateur
des intérêts communs et du devenir communautaire,
exécutant les décisions de la djemâa.
Ainsi, dans le groupe réduit, fragmenté, la solidari-
té vécue dans les rapports entre parents réels est
endogène. Dans le cadre de la société traditionnelle
du Sahara occidental, la division du travail et la
répartition des rapports socio-politiques ne sont pas
rattachées à la personne mais à une entité humaine
qui est la tribu.

Ces groupes, qui assument dans leur quasi-totalité


une fonction socio-économique précise, constituent
une structure originale, y compris par rapport à
d'autres sociétés nomades (Péninsule arabique, Saba-

32
ra oriental) ; a fortiori, par rapport à des sociétés
sédentaires (Maroc) ou semi-nomades (Mauritanie).
La tribu sahraouie est avant tout une référence
sociale; la carte d'identité, c'est l'ancêtre et l'ascen-
dance. Cette organisation politique et socio-
économique, ainsi que la solidarité mécanique qui
prévaut au Sahara occidental, sont étroitement liées
car la « conscience collective recouvre globalement les
consciences individuelles». Dans cet univers hostile,
hors du groupe, l'individu isolé ne peut espérer
survivre.
Si la société sahraouie comporte de multiples
centres de décisions et semble « atomisée», elle
comprend des liens communautaires tels que l'assa-
biya (lien de sang, solidarité clanique ... ) qui ne
trouvent aucun équivalent en Europe.

Ces différences entre le système sahraoui et les


systèmes centralisateurs du Maghreb ou de l'Europe,
ces spécificités de l'identité historique et culturelle
sahraouie, ont conduit un certain nombre d'auteurs,
confrontés à une absence de pouvoir politique
centralisé permanent, à conclure à l'absence de toute
forme de pouvoir, oubliant, par un réflexe d'européo-
centrisme, que les chemins qui mènent à la construc-
tion des Etats modernes ne sont pas obligatoirement
ceux empruntés par l'Occident chrétien. Pour tous ces
auteurs, si quelque part subsiste un système tribal, il
ne saurait s'agir que d'une forme primitive d'organisa-
tion politique.
Aussi, tous les colonisateurs des territoires africains
vont s'appuyer sur l'existence d'un système tribal
pour nier l'existence d'un pouvoir réel. Le royaume
chérifien, qui est pourtant lui-même issu de ce
système tribal, dont de nombreuses survivances

33
existent toujours aujourd'hui au Maroc, va utiliser ces
mêmes méthodes pour revendiquer le Sahara occi-
dental et y nier toute existence de pouvoir autonome.
La société sahraouie, comme toutes les sociétés
africaines, est ravalée au rang de «peuplade», de
«sauvages et d'indigènes», sans structures politiques
centralisatrices et donc sans pouvoir politique. Pour-
quoi s'étonner que ces peuples, dont on s'empresse de
gommer le passé et l'histoire - et donc, la culture -
soient qualifiés, au sens européen du terme, de
« groupes humains sans droits » ?

Appréciant l'unité d'une société et donc de son


existence dans l'effectivité d'un pouvoir central et
selon un schéma jacobin qui aurait une valeur
universelle, les colonisateurs vont s'attacher à nier
toute existence de structures politiques.
Là où le bât blesse, c'est que dans la société
sahraouie, aussi loin que remonte la mémoire ances-
trale, avant même les premiers Etats d'Europe ou du
Maghreb, un pouvoir réel et une structure sociétaire
cohérente existaient. Dans cette société tradition-
nelle, le pouvoir ne procédait pas d'une impulsion
venue du sommet mais d'une adhésion à la base.
Pourquoi l'organisation politique, la séparation des
pouvoirs, devraient-elles impliquer nécessairement
une référence à un modèle occidental issu de la
séparation des pouvoirs chère à Montesquieu et
développée dans L' Esprit des Lois, document qui
aurait valeur de symbole universel, au même titre que
la Bible aux premiers temps de la colonisation du
monde par les puissances royales européennes ?

34
Une organisation économico-politique typique
Régies par des règles originales et spécifiques, ces
sociétés dites «primitives» possédaient une organisa-
tion politique différente de celle qui se développait
alors en Europe. Le choc entre les deux systèmes ne
pouvait que se traduire par la négation de l'entité à
coloniser, à intégrer.
Aussi, à même but, vieilles méthodes et mêmes
approches : le royaume du Maroc adopte aujourd'hui
une démarche similaire à celle des puissances euro-
péennes, afin d'occuper le Sahara occidental. L'his-
toire de ce pays, comme partout ailleurs en Afrique,
débute bien avant la colonisation. Mais c'est encore le
point de vue européen sur les sociétés traditionnelles
qui prédomine.
La maxime « Divide ut Regnes » ( diviser afin de
régner) est mise en avant par tous les colonisateurs,
qui nécessairement ramènent toute problématique
historico-culturelle et politique au cadre étroit de la
tribu, de la peuplade indigène, valorisant et créant si
nécessaire des notions de dissensions, de division, de
dissociation.
Il existe au Sahara occidental un peuple constitué
par une société organisée, avec une intégration de ses
différentes composantes.
Les tribus sahraouies sont intégrées au sein d'un
même ensemble cimenté par des pactes (Asaba)
qu'elles concluent entre elles ou entre les confédéra-
tions de tribus.
Dans le monde musulman - le Dar El Islam -
alors que les communautés citadines ont opté plus
volontiers pour des accomodements avec l'appareil
dynastique le plus proche ou le plus puissant, le
Bédouin du désert, fort de ses capacités humaines et

35
militaires, ainsi que de son environnement naturel, a
préféré une forme « d'anarchie tribale» à cette
soumission, qu'il ne pouvait concevoir qu'à l'égard
d'Allah.
Les tribus ont vécu ainsi dans une sorte de système
décentralisé où les concepts démocratiques ont perdu-
ré depuis des siècles. Le gouvernement est assuré par
des assemblées élues. Ces conseils exercent leurs
compétences sur l'ensemble du territoire et représen-
tent aussi bien le niveau local que régional. L'autorité
du Conseil de Ait-Arbiin (Main des Quarante) sorte
de gouvernement ou « d'institution de coordination»,
nationale, supra-nationale, assumant la direction du
pays - en temps de paix comme en temps de
guerre - et rappelant un peu le Conseil romain dès
Dix.
Incarnation du sentiment national, le Conseil
Aït-Arbiin est chargé de veiller à la défense du
territoire, à l'arbitrage des litiges - qui sont tranchés
selon l'Or/(2) par le juge que nomme le Conseil-, à
la perception des impôts qu'il utilise au service
d'actions d'utilité publique (financement de la dé-
fense du pays, forage des puits, subventions aux
familles pauvres, etc.), à l'entretien de relations
d'amitié avec l'étranger, par l'intermédiaire du Gha-
fir, sorte d'ambassadeur itinérant.
L'élection des membres du Conseil Aït-Arbiin et
des assemblées tient compte de l'identification du
candidat aux valeurs morales et culturelles
dominantes : sagesse, courage, générosité, honneur,
amour de la patrie.

(2) Code moral et social où le Coran n'intervient que


partiellement.

36
La division administrative est conçue en termes de
concentration humaine, plus ou moins importante,
dans une région donnée, autour des points d'appui
économiques. L'on distingue deux structures
fondamentales : le Frig, campement formé de trente
tentes ou plus, constituant l'unité administrative de
base, et le Mahser qui regroupe une centaine de
tentes, selon l'importance du point d'appui écono-
mique.
Les Mahser's étaient plus nombreux en temps de
guerre car les familles se rassemblaient en grand
nombre par souci de sécurité. Les points d'appui
économiques correspondent : aux ports d'attache du
trafic caravanier, aussi bien qu'aux -régions comptant
un ou plusieurs puits où l'on peut s'approvisionner en
eau et où le bétail peut s'abreuver (Menhel); aux
pâturages autour desquels se concentrent population
et bétail (Mertaa); aux étendues cultivées (mhrath);
enfin, aux concentrations, sur la côte, de populations
vivant de la pêche, particulièrement en temps de
sécheresse (Melwah).
Jusqu'à l'ère coloniale, l'organisation économique
est essentiellement agro-pastorale. Agriculture,
pêche, élevage, artisanat, commerce, chasse, consti-
tuent les activités fondamentales de cette économie
de subsistance où seul règne le troc.

Une identité culturelle bien établie


Les Sahraouis ont affirmé leur particularisme en se
définissant - plus ou moins consciemment - dans
un passé et une culture de résistance.
Toutes les tribus sahraouies parlent une seule et
même langue, le hassanya, qui a été introduite par les
Arabes Maquils au xnie siècle et qui était la langue des

37
Béni Hassans. Cette langue est très proche de l'arabe
littéraire et se différencie nettement de l'arabe
dialectal parlé au Maroc. L'usage du hassanya par les
tribus guerrières et maraboutiques sahraouies expli-
que sa propagation en Mauritanie et son adoption par
les populatons islamisées de ce pays.
Les Sahraouis partagent en outre une seule et
même religion, l'islam, dont ils seront les propaga-
teurs en Afrique occidentale.
Les Sahraouis ont en commun la même littérature,
la même poésie, les mêmes référents culturels. En
raison du caractère nomade (bédouin) de la société, la
culture sahraouie - prise au sens étroit du mot - est
fondamentalement une culture orale et s'appuie sur la
mémorisation des connaissances à l'aide de la poésie,
essentiellement. Elle compte néanmoins de nom-
breux écrits. On citera, par exemple, un livre de Droit
de 10 000 pages de Cheikh Mohamed Ould Mohamed
Salem, ou encore Kitab-al-Badia (Livre de la Bédoui-
nité) du grand géographe, théologien et sociologue
Cheikh Mohamed El-Mami. La bibliothèque de
Smara renfermait également, avant sa démolition par
les troupes françaises, plus de 5 000 ouvrages d'au-
teurs sahraouis, dont la plupart étaient des originaux.

Dès 1975, le Front Polisario s'est attaché à


développer cette culture qui avait subi les assauts des
colonisateurs. Nécessairement populaire, elle est
devenue un secteur prioritaire. Dans tous les campe-
ments, les joutes poétiques, les groupes de chants et
de danses, les artistes-peintres et les sculpteurs
rendent compte de la lutte multiséculaire des
Sahraouis contre les envahisseurs et dans un milieu
naturel défavorable.

38
Au-delà de l'identité culturelle, il existe une culture
de résistance, dénominateur commun à toutes les
tribus sahraouies : ce sont les luttes multiséculaires
contre les différents envahisseurs : Portugais, Espa-
gnols, Anglais, Français, Marocains... Il existe,
certes, des séquences historiques propres à tel ou tel
groupe humain composant le peuple sahraoui, tout
comme il existe des histoires familiales, régionales,
seigneuriales ou royales en Europe, mais l'opposition
aux pénétrations étrangères constitue une continuité
historique pour les habitants du Sahara occidental.
Ainsi, Saugnier et Follie, deux naufragés français
sur les côtes sahraouies, en 1784 et 1786, écrivent que
le Sahara occidental
« est très peuplé et le serait encore davantage sans les
guerres continuelles que ses habitants ont à soutenir
contre l'empereur du Maroc. On dit improprement
que cette nation est rebelle à l'empereur, car jamais
elle ne lui a été soumise ... La liberté dont ce peuple
jouit lui fait supporter les fatigues les plus grandes. Il
regarde ce bien comme supérieur à tout et combat
jusqu'à la mort pour conserver ses droits» ( ... )
« Ce peuple s'est toujours maintenu libre ( ... ) Le
gouvernement des Mosselemins est purement républi-
cain; ici, tous les hommes aiment la liberté ( ... ) Ce
peuple abhorre la domination : il chérit par-dessus
tout sa liberté; il est libre (3). »
Quelle meilleure preuve que celle apportée par
deux Français qui témoignent de l'indépendance des
Sahraouis? La résistance d'aujourd'hui autour du
Front Polisario contre l'invasion marocaine n'est que
la poursuite d'un conflit séculaire entre deux mondes,

(3) Trois Français au Sahara Occidental, 1784-1786, Maurice


Barbier, Ed. L'Harmattan, Paris, 1984.

39
deux sociétés. Cette constante du peuple sahraoui ni
la colonisation espagnole, ni l'occupation marocaine,
n'ont pu et ne pourront l'éliminer.

Une résistance armée constante


Les récits, descriptions, notes et témoignages des
différents explorateurs montrent tous sur quelle force
se brise l'intrusion étrangère. On apprend ainsi que
jamais le pays ne put être administré par une autorité
extérieure et qu'il ne paya jamais de tribut à
quiconque.
L'armée de la résistance sahraouie n'est pas un
corps constitué, à l'exemple d'une armée classique,
mais une force potentielle qui prenait forme lors de
l'apparition d'un danger. La société dégageait alors
ses meilleurs combattants qui « se réunissaient en
armes» contre l'ennemi. Alors, le Conseil Aït-Arbiin,
aidé de ses délégations régionales et locales, prend en
charge les opérations : il rassemble les hommes, les
armes et les montures, organise l'approvisionnement,
décide de la stratégie des combats et nomme le
D'min, Commandant des troupes. Celui-ci désigne à
son tour ses adjoints et choisit son Amnir- guide qui
sait s'orienter, de jour comme de nuit dans le pays.
Cette armée de résistance comprend plusieurs
formations :
- Chouff: composé de deux à cinq combattants, il
peut être comparé à l'escouade de l'armée de Sun
Tzu (4) et se charge des missions de reconnaissance ;
- N'Jeb ou B'Jaoui : formation d'une dizaine de
personnes, équivalent au groupe ou au peloton;

(4) Sun Tzu est l'auteur du Traité de l'art de la guerre, rédigé il y


a vingt-cinq siècles dans la Chine des Royaumes combattants.
Publié à Paris, Flammarion, 1972.

40
- Mejbour : détachement de combattants compa-
rable par ses proportions à la section ou même à la
compagnie;
- Rezzou : force la plus importante numérique-
ment, capable « d'opérer sans détours», comparable
au bataillon, parfois au régiment.
Les effectifs de chaque formation changent selon
l'importance de la mission et la force de l'adversaire.
Très originales, les méthodes de combat sont celles
d'une guérilla bien organisée. Dès l'annonce des
préparatifs de guerre, des émissaires, N'dir, sont
envoyés dans chaque contrée pour informer la
population afin qu'elle s'entoure des précautions
nécessaires.
L'on a ensuite recours au T'Gaoussiss; cette
méthode consiste à envoyer, près de l'ennemi ou en
son sein même, des Arakkas ou espions, sous le
paravent de Bawah (chercheurs de terrains de pâture)
et de Dayar (chercheurs de bêtes égarées). L'objectif
est de réunir le maximum d'informations sur l'en-
nemi.
La bataille est conçue à partir d'un corps attaquant
(Mahrad), soutenu de part et d'autre par des unités
complémentaires, les flancs (Khoulefs) protégés de
toute interception de l'ennemi (Argaba) à l'arrière, à
l'aide du Damen-el-Khalef ou force anti-Argaba, dont
les montures sont exclusivement des chevaux, par
souci de rapidité (5).
Les combats varient de l'attaque à l'embuscade :
El-Ouarda ( attaque frontale effectuée par une force
numériquement importante) ; Leameya ( assaut orga-

(s) Cette conception des combats rappelle celle des premiers


conquérants arabes.

41
nisé à l'instar d' El-Ouarda mais caractérisé par la
rapidité de l'action) ; Abrarik ou Lekmin (embus-
cade). Très souvent, un Mejbour provoque l'adver-
saire et l'entraîne à sa poursuite. Celui-ci tombe alors
dans une embuscade tendue généralement par le
Rezzou ou Argaba (interception de l'ennemi par
l'arrière).
Dans toute bataille, le D' Min est l'élément fonda-
mental. Il doit être un grand connaisseur du terrain,
armé d'une riche expérience guerrière, clairvoyant et
capable de faire régner l'harmonie au sein des
troupes.
Les atouts de cette armée sont la rapidité, la
mobilité, la connaissance du terrain et la combativité
de ses hommes.
L' Armée de la Résistance Sahraouie - A.R.S. - a
repris et continue cette tradition de résistance armée
qui est telle que les Sahraouis ont été dénommés
«insoumis» et le Sahara Occidental désigné comme
les « territoires interdits ».

42
Les vents du peuple me portent
Les vents du peuple m'entraînent
ils sèment mon cœur
et propagent ma voix

Miguel Hernandez

Ce pays est le nôtre


Poignets en sang, dents serrées, pieds
nus,
Terre qui ressemble à un tapis en soie,
Cet enfer, ce paradis est le nôtre

N azim Hikmet
CHAPITRE II

LES «INSOUMIS»
DES « TERRITOIRES INTERDITS»

Une succession d'explorations


Nous n'allons pas dresser la liste exhaustive de tous
ceux qui pour une raison ou une autre ont pénétré au
Sahara occidental car il y a eu tout un mouvement
exploratoire depuis la plus Haute Antiquité. En sont
témoins à la fois les liens qui se sont tissés entre cette
région et le reste du monde et la volonté farouche des
Sarhaouis d'échapper à toute main-mise étrangère.
Les tentatives de pénétration remontent au ve siècle
avant J. -C. Le Carthaginois Han on est le premier à
parcourir le littoral sahraoui avec son expédition
maritime qui mouille au large de la ville de Dakhla,
dans le sud du pays. Mais bien avant lui, les Grecs
connaissaient les côtes du Sahara Occidental.
De leur côté, les Romains envoient au cours du r
siècle avant J. -C., à partir de leurs provinces
d'Afrique du Nord, des expéditions vers la partie
occidentale du Grand Sahara ( 1).

(1) « Aux voyages des géographes et historiens dont les mé-


moires sont conservées à travers les témoignages de Pline, Strabon,
Polibe, Ptolémée, s'ajoutent les expéditions militaires de Julius

44
Mais il faut attendre le début du xvesiècle pour voir
se développer un réel mouvement exploratoire. A
partir de là, le Portugal, l'Espagne, la Hollande, la
France et l'Angleterre créent des établissements sur la
côte dont il ne subsiste rien.
Pour certains auteurs, le marin français Jean
Bettencourt serait le premier Européen à avoir atteint
la côte sahraouie en 1405. Mais la mémoire collective
du peuple sahraoui retient, elle, que les premiers
étrangers ayant pris pied au Sahara occidental sont les
Portugais, à partir des Canaries qu'ils occupaient
alors. Ils organisent de nombreuses expéditions; la
première étant celle de Giles Eanes, Gonçalves
Baldaia et Nuno Tristao parvenue en 1433 au Cap
Bojador ou Boujdour.
Gonzalo de Cintra, navigateur, atteint, lui, le large
de Dakhla en 1442. Après eux, Joao Fernandez
s'enfonce durant plusieurs mois à l'intérieur du pays.
Vers la fin du xve siècle, les futurs colonisateurs
apparaissent sur les côtes sahraouies. En 1468, Diego
Garcia de Herrera y est dépêché par le roi d'Espagne
Enrique IV. Il séjourne dans le pays et installe des
comptoirs commerciaux dont le plus important est
celui de Santa Cruz de la Mar Pequefia ou Kh'Neifis
situé non loin de Cap Juby (Tarfaya). Détruit par les
Sahraouis, car construit à l'insu de leurs autorités,
l'établissement en question est rebâti en 1496 par le
gouverneur de Gran Canarias, Alonso Fajardo.
Aux xveet XVIe siècles de nombreuses expéditions
de Canariens arrivent au large du Sahara occidental.

Maternus et Cornélius Balbus, entre autres». In El Sahara como


unidad cultural autochtona; CSIC, Madrid, 1975.
On trouve aussi dans La Géographie Universelle que la côte
sahraouie a été parcourue par les Phéniciens et les Crétois.

45
En 1601, le Français Jean Mocquet atteint la côte
sarhaouie. En 1724, les Hollandais entrent en scène
pour disputer aux Français l'île d' Arguin (Argoub) à
proximité de Dakhla.
Un peu plus tard, dans le courant du même siècle,
la côte saharouie accueille l' Anglais Georges Glas.
Un autre Anglais Robert Adams, ainsi que les
Français De Brisson, Follie et Saugnier - dont nous
avons rapporté plus haut les témoignages sur les
Sahraouis rencontrés en 1784 et 1786 - vont séjour-
ner également dans le pays.

Tous ces voyages ont préparé l'exploration en


grand de ce territoire, au x1xe siècle. Nombreux sont
les naufragés, voyageurs, officiers, géographes, qui
traversent le pays.
En 1817, c'est le Français Emilien Renou. En 1850,
c'est le Sénégalais Léopold Panet. En 1860, arrive le
capitaine français Vincent. L'année suivante Bou-el-
Moghdad, Sénégalais arabophone, est chargé par la
France d'explorer le Sahara occidental. En 1869, c'est
!'Espagnol Joachim Gatell. Dix ans plus tard, l'Ecos-
sais Donald Mackenzie. En 1881, c'est au tour de
l' Américain Félix Mathews
A partir de 1885, une expédition est envoyée
chaque année pendant quatre ans : le capitaine
français Jules Erckman, l'Espagnol Francisco Quiro-
ga, le Français Camille Douls, le colonel belge
Lahure. En 1891, c'est l'officier français Alfred Le
Chatelier. Puis, en 1914, accoste l'expédition de
!'Espagnol Enrique d' Almonte. En 1920, El Marquès
de Comillas. En 1930, les Français Jean et Michel
Vieuchange. Dans ses Carnets de route, ce dernier
décrit la ville de S'mara, un 1er novembre :

46
« En contrebas, dans un désert sans végétation - et
c'est impressionnant cette terrible nudité - je n'aper-
çois, distinguant mal, que comme une ville de
mirages, comme des terrasses de la même couleur que
le sol que je foule et une coupole jaune clair... Un peu
plus loin, la ville apparaît toute entière : les deux
casbahs, la mosquée, les maisons à demi détruites et,
seule verdure, à droite, les palmiers le long de
l'oued.»

Les tentatives marocaines et


l'avènement du colonialisme espagnol
Si le XIXe et le xxe siècles marquent une rupture dans
l'histoire du peuple sahraoui, ils ne signifient pas pour
autant la fin de la lutte contre les prétentions
hégémonistes d'où qu'elles viennent. Il est notoire
que l'avènement de la colonisation européenne
( espagnole et française), puis de la domination
marocaine a entraîné une accélération et un renforce-
ment de l'identité et de la singularisation du peuple
sahraoui, fixant les limites territoriales qui vont
préfigurer les frontières étatiques de la R.A.S.D.
(République Arabe Sahraouie Démocratique).
Pour bien comprendre la situation actuelle, il est
nécessaire de remonter quelques siècles en arrière.
Au XVIe siècle, le Maroc connaît une période de
renforcement du pouvoir monarchique autour de la
dynastie des Saadiens. Contrôlant le Maroc central,·
ils tentent d'étendre leurs conquêtes au sud afin de
contrôler les routes commerciales du Soudan (pays
des Noirs, actuellement le Mali et le Sénégal). Toutes
les expéditions lancées contre le Seguiet El Hamra se
heurtent à l'armée de résistance sahraouie et se
soldent par des échecs, telle celle de 1566 décidée par
Moulay Ahmed. Afin de prendre le contrôle de

47
Tombouctou en 1591, le Sultan marocain Moulay El
Mansour (2) devra contourner le territoire sahraoui
par l'est, en passant par Tindouf et Gao.
Dès le xvne siècle, le rêve saharien des sultans
marocains saadiens s'effondre car les Sahraouis,
préservant leur identité et leur indépendance, empê-
chent toute pénétration vers le Sahara.
Au x1xe siècle, les successeurs des Saadiens, les
Alaouites, s'efforcent à leur tour de contrôler la voie
commerciale du sud. Deux grandes expéditions sont
lancées par Moulay Hassan en 1882 et en 1885. Elles
n'atteindront même pas les limites méridionales de
l'actuel Maroc. Les Sahraouis, qui refusaient d'enter-
rer les étrangers dans leur territoire, porteront les
cadavres ennemis jusqu'à l'Oued Drâa, la frontière,
et laisseront les bêtes, avec leur chargement, se
diriger seules vers l'intérieur du Maroc.
Mais si les Sahraouis ont pu résister à l'expansion-
nisme marocain, il n'en ira pas de même face au
colonialisme espagnol et français. La pénétration
espagnole sera lente et sournoise, opérant par
l'intermédiaire du commerce. Abandonnant la politi-
que du bâton que ses prédécesseurs avaient appliquée
en vain, le Capitaine Emilio Bonelli Hernando réussit
à prendre possession du littoral sahraoui en novembre
1884.
Nous sommes à la veille du Congrès de Berlin qui
attribuera le Sahara occidental à l'Espagne. Les deux
pays signent alors diverses conventions régissant leurs
rapports commerciaux : l'Espagne obtient l'autorisa-
tion d'établir des comptoirs sur 500 kilomètres de

(2) Ce sultan a été surnommé « Le Sultan noir» pour ses


nombreuses expéditions en Afrique à la recherche d'esclaves.

48
côtes. Mais le 26 décembre 1884, une ordonnance
royale décide l'occupation du Sahara occidental...
Il faut pourtant attendre 1934 pour que l'Espagne
puisse dire qu'elle contrôle le territoire et ses grands
axes. Néanmoins, elle adopte dès 1928 l'exemple
français des « méharistes » et crée les « tropas noma-
das » qui effectuent des incursions sporadiques à
l'intérieur du pays. Incursions chaque fois repoussées
par l'armée de résistance sahraouie, déjà aux prises à
cette époque avec les forces françaises dans les
régions frontalières du Sahara occidental.
Par le jeu des rapports de forces entre l'Espagne et
la France présente au Maroc, en Algérie, au Mali et
en Mauritanie, les frontières de la R.A.S.D. sont
donc fixées à la suite des Traités de Paris, du 27 juin
1900, et de Madrid, du 27 novembre 1912. Le
territoire sahraoui est ainsi délimité de l'extérieur,
notion qui se substitue à celle d'une aire délimitée de
l'intérieur par ses principaux points d'appui économi-
ques (puits, pâturages, marchés, etc.).

La « présence » française :
l'incendie de Smara

Si la colonisation espagnole s'est accomplie sour-


noisement, la pénétration française provoque la
réaction des Sahraouis qui lèvent l'étendard de la
révolte, lançant des opérations jusqu'au cœur du
Maroc et de la Mauritanie. Les représailles ne se font
pas attendre : en 1912, la colonne française du
tristement célèbre Colonel Mouret atteint Smara,
détruit une partie de la ville et incendie la prestigieuse
bibliothèque qui renfermait plus de cinq mille
volumes précieux.

49
Pendant près d'un demi-siècle, des affrontements
meurtriers opposeront l'armée française et l'armée de
résistance sahraouie : en 1923 à Chenguitti, en 1924 à
Port-Etienne, en 1925 à Treyfia, en 1931 à Cheiman
et Aghouenite, en 1932 à Oum-Tounssi, pour ne citer
que les batailles les plus importantes.
A partir de 1933, la résistance sahraouie s'affaiblit.
Un commandement unique des confins du Maroc, de
l'Algérie et de la Mauritanie, est créé au début des
années 1940 pour faire face à toute éventuelle reprise
des combats par l'armée sahraouie. Les Français
érigent une ligne de bases militaires autour du Sahara
occidental, qui n'est pas sans rappeler le limes romain
ou l'actuel « mur » marocain.
En 1936, la « paix coloniale» règne sur toute
l'Afrique du nord-ouest.

50
C'est le même crime
Et la même souffrance
La vieille Afrique
Au cœur percé de flèches

Kateb Yacine

Ils ont eu simplement la force de


combattre
Pour vivre et nous nous combattons

Paul Eluard

On ne se bat bien que pour les causes


qu'on modèle soi-même et avec les-
quelles on se brûle en s'identifiant

René Char
CHAPITRE III

L'ÉMERGENCE DU MOUVEMENT
NATIONALISTE MODERNE

La trève imposée par la « paix coloniale » a duré


quelque vingt ans. Vingt ans pendant lesquels s'est
développée l'exploration scientifique du Sahara occi-
dental, avec la découverte des phosphates en 1947 par
le naturaliste espagnol Alias Medina. L'Espagne
renforce alors sa présence, ce qui conduit le Général
Franco à effectuer deux visites successives à El-
Ayoun, en 1950 et en 1952.
Vingt ans également au cours desquels les peuples
du Tiers-Monde se sont peu à peu emparés du devant
de la scène politique internationale, à travers la
montée des luttes de libération. Le vent de l'émanci-
pation a aussi soufflé sur le Maghreb.

Le Maroc : opération-séduction

La reprise de la résistance sahraouie dans les


années 1950 coïncide avec la montée des luttes des
peuples de la région. A l'initiative de nationalistes
maghrébins naît lentement, entre 1953 et 1955,
l' Armée de Libération (A. L.). Dirigée par des
patriotes marocains, combattants du Rif et de l' Atlas

52
- régions qui ont appartenu à Bilad es-Siba ou « terre
de dissidence» - elle mène la lutte anti-coloniale
sous la bannière du Djihad, au nom de la « solidarité
arabe».
Les Sahraouis, dont le territoire sert de base arrière
aux combattants maghrébins, fournissent d'impor-
tants effectifs à l' A.L. Dès l'indépendance du Maroc,
à laquelle elle a contribué, l' Armée de Libération
décide de poursuivre le combat, à la demande des
Sahraouis, pour libérer le Sahara occidental de
l'occupant espagnol. Mais l' A.L. inquiète la monar-
chie. A la demande pressante de la France et de
l'Espagne, le Maroc entreprend de participer à sa
liquidation.
Lors d'une visite à Dakar (Sénégal) en mars 1957,
Ahmed Belafredj, ministre marocain des Affaires
étrangères et dirigeant du parti de l'Istiqlal, désavoue
publiquement l'action de l' Armée de Libération.
Rabat s'emploie alors à attirer d'abord en douceur,
puis de force, les membres de l'A.L. pour les intégrer
au sein des Forces armées royales (F.A.R.). Sans
succès. Le roi décide d'attendre une meilleure
occasion ...

La France:
les massacres d 'Ecouvillon
Reconstituée en 1957, l' Armée de Résistance
Sahraouie déclenche de son côté une offensive tous
azimuts contre les troupes espagnoles qui appellent
alors la France à la rescousse. En février 1958, c'est
l'opération «Ouragan-Ecouvillon», aboutissement
d'un pacte militaire entre les deux puissances, au
moment où l'armée espagnole, repliée sur la côte, est
sur le point de plier bagages sous la pression de
l'offensive sahraouie.

53
Les troupes françaises arrivant du sud et de l'est, et
les soldats espagnols rappliquant de l'ouest, se livrent
à un véritable massacre, rasent les campements, tuent
hommes, femmes, enfants et déciment les troupeaux
tandis que les F.A.R. marocaines bloquent au nord
toute tentative de repli de l' A.R.S. - l' Armée de
Résistance Sarhaouie - et emprisonnent par la même
occasion les membres de !'Armée de Libération qui
tentent de fournir vivres et munitions à leur voisin du
sud.
La défaite de !'Armée de résistance sahraouie
déclenche un important exode des populations vers
les pays limitrophes : sud du Maroc, nord de la
Mauritanie, sud-est de l'Algérie. En récompense de
sa collaboration, la monarchie chérifienne obtient la
région de Tarfaya qui lui est livrée par l'Espagne en
avril 1958.
Quant au Sahara occidental, il est proclamé
« Province espagnole» et trois notables sahraouis,
choisis par les autorités coloniales, la représentent
aux Cortès, à Madrid, dès 1963. Le gouvernement
franquiste accélère alors le processus d'intégration et
d'assimilation de sa «province d'autre-mer», en
exerçant à la fois un paternalisme vigilant et une
répression permanente, politique épaulée par l'éta-
blissement d'une colonie de peuplement de plus en
plus importante.

Du mouvement pacifique au Front populaire :


du Molisario au Polisario
L'expérience des vingt dernières années, le proces-
sus de décolonisation en Afrique, l'apparition du
Mouvement des Pays non-alignés, la révolution
algérienne, forment autant d'éléments nouveaux

54
ayant contribué à nourrir l'horizon de la génération
qui va prendre la relève de la lutte.
Le nationalisme sahraoui change de ton. Les
rivalités tribales ou régionales aiguisées par les
Espagnols sont reléguées au second rang. La résis-
tance renaît avec le Molisario - Mouvement de
libération de la Seguiet-el-Hamra et Rio-de-Oro -
créé au début de l'année 1967 par un groupe de
patriotes, sous la conduite de Mohamed Sid'Brahim
Bassiri.
Le Molisario voit le jour dans une conjonction
marquée par les revendications marocaines sur le
Sahara occidental, par la politique espagnole d'assi-
milation et par la discussion à l'O.N.U. sur la
décolonisation du territoire sahraoui. L'Assemblée
Générale adopte le 20 décembre 1965 une résolution
(2229/21) qui réaffirme le droit du peuple sahraoui à
l'autodétermination et à l'indépendance.
Trois ans après sa création, le Molisario démontre
son audience au sein du peuple sahraoui en organisant
la grande manifestation pacifique de Zemla. Ayant eu
vent de ces préparatifs, l'Espagne organise en toute
hâte un rassemblement à El-Ayoun, auquel elle
convie essentiellement les notables, la presse et des
observateurs étrangers. Objectif : prouver aux yeux
de l'opinion publique internationale « l'adhésion to-
tale» des Sahraouis au projet colonial d'intégration à
la «Mère-Patrie» et faire avorter le processus de
soulèvement populaire en cours.
Le Molisario décide alors de saisir l'occasion et,
prenant le gouvernement espagnol de vitesse, lance
un appel général par l'intermédiaire de messagers
clandestins, à toute la population qui est invitée à
manifester le 17 juin 1970, jour choisi par les autorités
espagnoles pour leur mascarade.

55
Dès les premières heures de la journée une
imposante concentration humaine déferle dans le
quartier de Zemla et crie son rejet de la politique
coloniale. Bassiri remet un mémoire dans lequel le
peuple sahraoui demande son indépendance, au
gouverneur espagnol le Général José Maria Perez de
Lema, arrivé sur les lieux. Pour toute réponse, l'ordre
est donné à l'armée de tirer. La manifestation se
transforme alors en un gigantesque soulèvement
populaire. Hommes, femmes, enfants, affrontent les
mains nues les hordes coloniales. Morts, blessés,
arrestations, se comptent par centaines. Mohamed
Sid'Brahim Bassiri disparaîtra dans les geôles espa-
gnoles.
Le coup est dur pour le Molisario, le peuple a pris
conscience de l'inefficacité de la voie pacifique.
L'agitation sociale reprend. Le 8 mars 1972 l'état
d'urgence est décrété sur tout le territoire. Mais la
marge de manœuvre du gouvernement se rétrécit.
Fort de l'adhésion populaire, du soutien des
organisations internationales (O.N.U., O.U.A.), les
Sahraouis décident de la tenue du Congrès itinérant
dont sera issu le Front Polisario - Front Populaire
pour la libération de la Seguiet-el-Hamra et du
Rio-de-Oro - le 10 mai 1973, avec le mot d'ordre :
« Par le fusil nous arrachons la liberté. »
Un nouvel épisode de l'histoire du peuple sahraoui
vient de s'ouvrir. ..

56
La voix de toute naissance
Heurte l'ordre du monde

Andrée Chedid

Vous avez fait renaître par votre


sacrifice,
La confiance en la terre, l'âme ab-
sente, la foi perdue
Et par votre abondance, votre no-
blesse, par vos morts,
Comme dans une vallée aux durs
rochers de sang,
Roule un immense fleuve aux co-
lombes d'acier et d'espérance.

Pablo Neruda

Nous fuirons le repos nous fuirons le


sommeil
Nous prendrons de vitesse l'aube et le
printemps
Et nous préparerons des jours et des
saisons
A la mesure de nos rêves

Paul Eluard
CHAPITRE IV

DU DÉCLENCHEMENT
DE LA LUTTE DE LIBÉRATION
A LA PROCLAMATION
DE LA R.A.S.D.

Le Front Polisario est l'héritier d'une longue


tradition de résistance et l'aboutissement d'un lent
processus de maturation : l'accession à l'indépen-
dance par la voie légale et pacifique s'étant avérée
inopérante, la lutte armée s'impose comme ultime
chance de renverser le cours des événements.
Le mouvement naît cependant dans un contexte
particulièrement défavorable : les massacres de Zem-
la ont laissé une blessure profonde, l'armée espagnole
( 60 000 hommes environ) quadrille le territoire ; les
populations nomades que les autorités veulent contrô-
ler ont été contraintes de s'installer autour des villes,
provoquant un isolement des combattants dans le
désert et une réorientation de la stratégie militaire
vers une plus grande participation des villes à la lutte
révolutionnaire; l'analphabétisme a gagné une écra-
sante majorité de Sahraouis; enfin, au plan politique,
Madrid, qui souhaite éluder les décisions des Organi-
sations internationales, a fait ratifier par la Djemâa un
document en vertu duquel le Sahara accédera à
l'autonomie après vingt ans.

58
Au départ, dix-sept hommes ...
Dans le Maghreb, l'insurrection du 17 juin 1970 a
provoqué à plusieurs reprises la rencontre des Chefs
d'Etats algérien, mauritanien et marocain afin de
suivre l'évolution de la situation au Sahara occidental.
Lors du mini-sommet du 24 juillet 1973, les
Présidents Boumedienne et Ould Daddah, ainsi que
le roi Hassan II
« réaffirment leur attachement indéfectible au prin-
cipe d'autodétermination et leur souci de veiller à
l'application de ce principe dans un cadre qui garantit
aux habitants du Sahara l'expression libre et authenti-
que de leur volonté conformément aux décisions de
l'O.N. U. en ce domaine».
Mouvement politico-militaire, le Front Polisario a
élaboré son programme sur la base de la lutte armée.
Le 20 mai 1973, la première opération de guérilla
est montée avec succès contre le poste militaire
espagnol d'El Khanga. L'impact psychologique de ce
coup de main, symbole du déclenchement de la
guerre de libération, conduit par un petit groupe de
dix-sept hommes, est énorme.
Mais de 1973 à 1975, le bras armé du Front
Polisario - qui deviendra à partir du deuxième
Congrès, en août 1974, I' Armée de Libération
Populaire Sahraouie, A.L.P.S. - est peu et mal
équipé, sans grande formation ou instruction mili-
taires, et de ce fait réduit à une guerre de guérillas à
petite échelle.
Il faudra attendre 1974 pour que le Polisario
reçoive le soutien extérieur de la Libye et, fin 1975, de
l'Algérie.
Parallèlement, la guérilla urbaine se développe et le
Polisario s'attelle à la création des premières struc-

59
tures de base du mouvement : les sections locales et
régionales. Leur tâche consiste à informer, mobiliser,
recruter les hommes, collecter les armes, distribuer
les tracts, bref organiser la lutte dans ses divers
aspects.
L'A.L.P.S. a joué un rôle déterminant dans la
mission difficile de coordination entre les diverses
sections et la Cellule centrale. Celle-ci, dirigée par le
Secrétaire général du Front Polisario, unifie l'orienta-
tion et l'analyse, informe, veille à l'application des
programmes et prend les décisions qui s'imposent.
Dès novembre 1973, paraît la revue mensuelle
« 20 Mai», éditée en arabe et en espagnol, dont
l'objectif est de créer le lien intellectuel entre le
peuple et son avant-garde, informer les militants,
évaluer la situation.

Les premières relations diplomatiques


Quinze mois après sa création, le Front Polisario
tient son second Congrès (25-31 août 1974), à l'issue
duquel priorités sont données à l'action militaire et à
l'intervention diplomatique : une Commission des
Relations extérieures voit le jour et des délégations
sahraouies commencent à sillonner le monde pour
. informer l'opinion internationale de la situation au
Sahara occidental.
Les 10 et 11 mai 1975, le Front Polisario réalise
deux coups de maître : deux patrouilles des « tropas
nomadas » composées de soldats sahraouis se muti-
nent et capturent leurs officiers espagnols, marquant
ainsi le deuxième anniversaire du Front. La portée
politico-militaire de ces opérations qui démontrent à
la population sahraouie et à l'opinion publique
internationale la force grandissante du Front Polisa-

60
rio, est considérable. En témoigne, la mission
d'enquête de l'O.N.U. (mai-juin 1975) (1).
Le 12 octobre 1975, au terme d'une rencontre de
trois jours entre les membres de la Djemâa, des
Cortès espagnoles, les notables sahraouis et une
délégation du Front Polisario, l'Unité nationale est
proclamée. Conséquence immédiate de cet
événement : la Djemâa se dissout et le 28 novembre
1975 le Conseil National Sahraoui Provisoire (Parle-
ment) est élu. Le document final rendu public le
6 décembre affirme que «/'autorité légitime et unique
du peuple sahraoui est le Front Polisario».

De la « Marche verte» à la « Marche noire»


L'Espagne, quant à elle, s'est repliée dès le mois de
juin 1975, dans les seules agglomérations d'El-Ayoun,
de Smara et de Villa-Cisneros (Dakhla). Après
l'échec de la répression et celui de la constitution
d'organisations pro-espagnoles (2), elle va engager des
négociations directes avec le Maroc et la Mauritanie
afin de conserver une certaine présence dans la région
et préserver ses intérêts économiques au Sahara
occidental autant qu'au Maroc.
Mais c'est essentiellement à la suite d'un rappro-
chement hispano-marocain que ces négociations tri-
partites vont aboutir aux Accords de Madrid du
14 novembre 1975 qui consacrent le retrait de
l'Espagne du Sahara occidental et l'entrée des
nouveaux alliés, le Maroc et la Mauritanie, dont on

(1) Voir le détail de cette mission, au chapitre VII.


(2) Le Parti Progressiste Révolutionnaire (mort-né), puis le
Parti de l'Union Nationale Sahraouie (P.U.N.D.), seront dirigés
par des officiers espagnols sous les ordres du Gouverneur général
du territoire, le Général Gomez de Salazar.

61
apprendra qu'ils avaient signé un accord secret de
Partage du Sahara occidental lors du sommet arabe de
Rabat en octobre 1974 (3).
Entre-temps, les 6 et 7 novembre, 350 000 Maro-
cains envoyés par le roi Hassan II dans la fameuse
« Marche verte» (4), formidable paravent pacifique,
avaient envahi le Sahara occidental. La manœuvre
était habile et intervenait au moment où la Cour
internationale de Justice de La Haye rendait public un
avis défavorable aux prétentions du souverain chéri-
fien.
En Espagne, les pressions marocaines sur le
gouvernement franquiste agonisant s'étaient multi-
pliées, et au Conseil de Sécurité de l'O.N.U. - saisi
par Madrid, le 18 octobre - les Etats-Unis et la
France avaient empêché toute condamnation du
Maroc. Les risques d'un affrontement militaire
avaient également pesé lourd dans la décision de
Madrid.
C'est dans ce contexte que le territoire du Sahara
occidental est partagé entre le Maroc et la Maurita-
nie, l'Espagne devant se retirer avant le 28 février
1976.
Les bataillons marocains pénètrent au Sahara
occidental - officiellement - les 27 et 28 novembre

(3) Voir l'excellente thèse de doctorat d'Etat de Brahim Terki


La République Arabe Sahraouie Démocratique, un processus
d'édification nationale. Université des Sciences Sociales de
Toulouse, 1986.
(4) A la suite d'un appel au secours du roi du Maroc, le peuple
marocain se vit détourner de ses véritables problèmes nationaux
- salaires de misère, chômage, prix exorbitants des produits de
première nécessité, népotisme, corruption, etc. - On l'entraîna
dans une marche démagogique, désarmé et chauffé par la
propagande officielle, pour reprendre le soi-disant territoire
national des mains ennemies. Il s'agissait en fait du Sahara
Occidental. ..

62
1975. En envahissant ce territoire, le Roi du Maroc
réalisait l'union sacrée autour d'un régime affaibli, et
détournait l'armée, auteur des tentatives de coups
d'Etat de 1971 et 1972, vers une guerre au-delà des
frontières du royaume.
Le 10 décembre, la Mauritanie entre en guerre aux
côtés du Maroc. Et le 9 janvier 1976, le Premier
ministre marocain Ahmed Osman, en visite officielle
en France, déclare à la presse : « L'affaire du Sahara
occidental est définitivement réglée ( ... ) Pour nous, le
Polisario n'existe pas. »
L'invasion maroco-mauritanienne va se traduire
par un exode massif de la population sahraouie - la
longue « Marche noire» - vers la frontière algé-
rienne. Fuyant les exactions des Forces armées
royales, les Sahraouis créent des camps de fortune
dans le désert. Mais, tout manque : eau, vivres,
médicaments, tentes.
Très vite, le Front Polisario assure le regroupement
et la protection des réfugiés, et déplace les camps vers
des zones plus sûres, ravitaillées par l'Armée de
Libération Populaire Sahraouie. C'était compter sans
l'acharnement marocain. Les 19 janvier, 18 et 23
février 1976, des Mirages bombardent au napalm les
camps de Tifariti, Guelta Zemmour et Oum Dreiga,
qui ne regroupent que des civils.
Loin de détacher les réfugiés de la résistance, ces
massacres ne feront que renforcer leur volonté de
lutter.
Au lendemain du retrait espagnol du Sahara
occidental, le· Front Polisario, réagissant au vide
institutionnel créé, proclame le 27 février 1976, à Bir
Lahlou, la République Arabe Sahraouie Démo-
cratique : R.A.S.D.

63
La liberté d'un peuple oriente tous les
peuples

Paul Eluard

Le peuple invente
le plus beau drapeau du monde :
vert l'espoir
de vaincre le noir des servitudes
par le sang rouge des martyrs
pour arracher la blanche paix

les enfants du Polisario


(Editions des Femmes)

La R.A.S.D.
c'est la somme de nos sacrifices
le cumul de nos douleurs et de nos
espérances
c'est l'addition de nos certitudes
le refuge de nos identités

M. S.
CHAPITRE V

LE DROIT INTERNATIONAL
POUR LE PEUPLE DU DÉSERT

Une nuit du mois de février 1976, à Bir Lahlou,


petite localité au nord-ouest du Sahara occidental -
que l'Espagne appela longtemps Sahara Espagnol -
surgit donc une République, des sables du désert. Son
nom claque comme un drapeau dam, le vent glacial :
République Arabe Sahraouie Démocratique -
R.A.S.D.
Au milieu de la foule sahraouie célébrant la
naissance de ce nouvel Etat, les nombreux journa-
listes et invités se sont interrogés sans doute :
comment a-t-il pu surgir (comme par miracle!), des
sables du désert (par définition inhabitables, sinon
inhospitaliers) ! Pourtant, ce pays tout neuf possède
déjà un long passé, des traditions et des coutumes
multiséculaires perpétuées par un ensemble de popu-
lations formant un peuple avec une communauté de
langue, de race, de religion, de culture, de vie
socio-économique, de résistances ...

Une naissance douloureuse


L'apparition tardive de cet Etat aurait pu et
n'aurait dû être qu'un simple événement, l'expression

66
naturelle, à un moment précis et à un endroit donné,
du phénomène général de la décolonisation qui se
traduisit en Afrique, dans les années 1960, par la
naissance ou la renaissance de nombreux Etats.
Rappelons qu'en 1945 il y avait en tout 2 Etats
africains indépendants : l'Ethiopie et le Libéria. Il y
en a aujourd'hui cinquante et un.
La proclamation de la R.A.S.D. a pourtant eu une
signification et une résonnance particulières, en
raison des circonstances dans lesquelles elle s'est
produite. Née le 27 février 1976, dans la joie et la
fierté de tout un peuple, elle vit également le jour au
milieu du cliquetis des armes, du fracas des canons qui
recouvraient les cris des femmes et des enfants, les
gémissements des blessés et des victimes fuyant les
exactions des armées d'invasion marocaine et mauri-
tanienne.

En cette deuxième moitié du xxe siècle, on assistait


à un «remake» tragique : la colonisation d'un
territoire et d'une population d'Afrique. Un « re-
make» d'autant plus absurde qu'il n'était pas le fait
d'une puissance européenne, mais de deux Etats
africains, le Royaume du Maroc et la République
Islamique de Mauritanie, eux-mêmes dégagés depuis
peu de l'emprise coloniale !
Quelle alternative était laissée au peuple sahraoui
face à cette agression et devant l'incapacité des
Organisations internationales (O.N.U. et O.U.A.) à
faire respecter le droit à la décolonisation, l'inertie du
Conseil de Sécurité des Nations-Unies, et la complici-
té bienveillante - à l'égard des agresseurs - de pays
comme la France ou les Etats-Unis? Accepter et
disparaître, ou se battre et ainsi affirmer son
existence?

67
Se fondant sur le principe des nationalités et sur le
droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, le Front
Polisario, mouvement armé de libération nationale,
qui menait donc depuis 1973 le combat contre
l'Espagne, n'avait d'autre alternative que de donner
un cadre étatique au peuple sahraoui, cadre dans
lequel celui-ci pourrait poursuivre le combat.
La R.A.S.D. est donc avant tout la projection
étatique du peuple sahraoui, son expression dans la
communauté internationale où l'Etat est toujours la
seule entité habilitée à s'exprimer. Ce faisant, rien n'a
été changé par rapport au principe selon lequel « dans
l'ordre international, chaque Etat ne peut compter que
sur lui-même pour obtenir le respect de ses droits».

Si la R.A.S.D. constitue une réalité tangible,


incontournable pour de nombreux pays ou Organisa-
tions internationales, pour d'autres, au premier rang
desquels le Royaume du Maroc, elle ne possède
aucune existence légale et ne constitue qu'une fiction
juridique jaillie des sables et devant y retourner au
plus tôt. Que répondre à ces affirmations sinon en
rappelant quelques principes du droit international ?

Les éléments constitutifs de l'Etat sont - on le


sait - au nombre de trois : un territoire, une
population, un gouvernement. Ils servent à définir des
entités politiques nouvelles dont la nature étatique
reste encore incertaine. Mais si l'analyse des éléments
constitutifs de l'Etat est nécessaire, elle n'est pas
suffisante pour rendre compte de la réalité étatique
d'une entité politique nouvelle. En effet, l'Etat se
définit par divers autres attributs fondamentaux qu'il
est seul à posséder, telles la souveraineté et l 'indépen-
dance, qui fondent la réalité, la légitimité et la légalité

68
de son existence. Analysons pour l'instant les trois
premiers points, appliqués à la réalité sahraouie.

Un territoire délimité
par la France et l'Espagne
La République Arabe Sahraouie Démocratique
possède un territoire, un espace délimité par les
conventions franco-espagnoles de 1900, de 1904 et de
1912. Ses frontières sont celles du Sahara Espagnol,
c'est-à-dire du territoire que l'Espagne occupait
jusqu'au 26 février 1976. Cet espace est le fondement
du pouvoir d'Etat qui justifie ainsi son existence et s_a
stabilité. L'espace national constitue un titre juridi-
que en vertu duquel l'Etat exerce sa compétence
territoriale.
Dans le cadre du conflit qui oppose la R.A.S.D. au
Royaume du Maroc, une partie du territoire sahraoui
est occupé par les Forces armées royales marocaines.
De ce fait, pour certains auteurs et hommes politi-
ques, pour la classe dirigeante du royaume chérifien
et pour les tenants de la thèse marocaine, la R.A.S.D.
est une fiction juridique car c'est un Etat sans
fondement territorial.
Une telle interprétation travestit la réalité qui
prévaut sur le terrain. La R.A.S.D. subit certes une
occupation étrangère et une tentative d'annexion
d'une partie de son territoire, mais l'Armée de
Libération Populaire Sahraouie (A.L.P.S.) contrôle
l'autre partie, en plus de l'espace aérien et des eaux
territoriales, comme nous le verrons plus loin.
Plusieurs années durant, l'A.L.P.S. a même
contrôlé une partie des territoires mauritanien (au
nord) et marocain ( au sud), sans que cela ait eu pour
conséquence de faire disparaître les deux Etats

69
agresseurs : la République Islamique de Mauritanie
et le Royaume du Maroc! De la même manière,
l'occupation par la force d'une portion du territoire
sahraoui ne peut avoir pour conséquence la dispari-
tion de la R.A.S.D. !
De nos jours, le droit international positif consacre
le principe de l'intégrité territoriale de l'Etat et
interdit les annexions par la force. Quand bien même
l'ensemble du territoire sahraoui serait sous-occupa-
tion marocaine, cela n'entraînerait pas la disparition
de l'Etat sahraoui car l'article 2 de la Charte de
l'O.U.A. prescrit l'intangibilité des frontières héritées
de l'époque coloniale. Les frontières de tous les Etats
africains étant, d'autre part, délimitées en vertu du
principe dit de l'« uti possidetis » de 1810 ( 1).
Aujourd'hui, le territoire, et avec lui l'Etat, ne
peuvent subir de modifications, voire disparaître,
qu'avec le consentement libre et sans contrainte des
populations habitant ce territoire.

Identité = Sahraouis
Certains parlent aujourd'hui de la R.A.S.D.
comme d'un « Etat en exil» car son territoire se divise
en trois zones où vivent les Sahraouis : les territoires
libérés, les territoires occupés et les territoires
concédés par l'Algérie. Cette expression ne rend pas
compte, elle non plus, de la réalité car elle laisse de
côté l'une des trois parties : la zone libérée où vivent
d'autres Sahraouis que les combattants de l'A.L.P.S.

(1) Les Etats de l'Amérique du Sud issus des anciennes


colonies espagnoles de cette région ont défini leurs frontières
respectives d'après les limites administratives existant en 1810
entre lesdites colonies.

70
Les populations qui habitent le Sahara occidental
sont regroupées au sein d'une même entité et
rattachées de façon stable à l'Etat sahraoui par un lien
juridique qui est le lien de nationalité : ce lien
juridique est renforcé et précisé par deux principes
qui homogénéisent la collectivité nationale : le prin-
cipe des nationalités et le droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes.
1. Le principe des nationalités :
En vertu de celui-ci, tous les individus qui font
partie d'une même nation ont le droit de vivre libres à
l'intérieur d'un Etat qui leur est propre. C'est sur
cette base que sont nés de nombreux Etats en
Europe. Ce postulat prime - cela doit être
rappelé - sur l'exigence du nombre, c'est-à-dire
l'importance numérique de la population.
La naissance de ce que l'on appelle des « micro-
Etats » dans le cadre du principe des nationalités n'est
pas un fait nouveau créé à l'usage des pays sous-
développés ni un effet pervers de la décolonisation.
Est-il utile de rappeler le cas du Lichtenstein qui, avec
ses 27 000 habitants, constitue un Etat européen?
Que dire de la République de San-Marin dont la
population n'excède pas 21 000 âmes? Que penser
d'Andorre et de la principauté de Monaco avec leurs
quelques dizaines de milliers de personnes ? Le Grand
Duché de Luxembourg qui compte moins de 400 000
habitants n'échappe pas à cette règle non plus.
La notion de «micro-Etat» est donc bien plus
ancienne que certains esprits mal intentionnés le
laissent entendre.
Un principe est ou n'est pas. Il ne peut dépendre de
valeurs que personne n'a jamais eu le droit d'établir,
du genre : à combien d'âmes se monte la population

71
d'un «micro-Etat»? Combien d'habitants faut-il
dénombrer pour recevoir« l'autorisation» de créer un
Etat?
A ces questions, nous opposons les exemples
suivants : le Luxembourg et ses 360 000 habitants est
un «micro-Etat» par rapport à la Belgique avec ses
9,8 millions d'âmes qui est elle-même un « micro-
Etat» par rapport à !'U.R.S.S. et ses 277 millions de
citoyens. Le Qatar et le Bahreïn qui possèdent
respectivement 290 000 et 420 000 personnes sont des
«micro-Etats» par rapport à l'Irak - 16 millions
d'habitants - ou à l'Iran - 45 millions de per-
sonnes. Ces deux derniers sont des« micro-Etats» par
rapport à l'Inde - 750 millions d'habitants - ou à la
Chine - plus d'un milliard de citoyens. On est
toujours le micro-Etat de quelqu'un!
Avec la vague de la décolonisation, de nombreux
Etats à faible population ont surgi dans toutes les
régions du monde : Sao Tomé et Principe, Djibouti et
les Comores en Afrique; Vanuatu, Nauru, Tonga,
Tibariti en Océanie; Sainte-Lucie, Trinité et Tobago,
La Barbade en Amérique Latine; Brunei et le
Bouthan en Asie, etc.
En ce qui concerne la R.A.S.D., le principe des
nationalités peut et doit s'appliquer dans sa plénitude,
au même titre que pour tous les autres Etats, quelles
que soient leur taille, leur importance, leur popula-
tion.
2. Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes :
Ce droit des peuples à l'autodétermination, que la
population sahraouie a mis en œuvre de novembre
1975 au 27 février 1976 (proclamation de la
R.A.S.D.), a été maintes fois réaffirmé tout au long
du xxe siècle : les Quatorze points du Président

72
amencain Wilson; le Traité de paix de 1919; la
Charte de l'Atlantique de 1941; la Déclaration de
l'Europe libérée de 1945; l'Article 1, paragraphe 2
de la Charte des Nations Unies ... Il met en avant-le
libre choix des intéressés et repose sur une conception
démocratique de la nation.
En 1960, la résolution 1514 - XV dite « Déclara-
tion sur l'octroi de l'indépendance aux peuples et aux
territoires coloniaux» formule clairement ce droit des
peuples sous domination coloniale à disposer d'eux-
mêmes et à accéder à l'indépendance.
En 1970, l'Assemblée Générale de l'O.N.U. a voté
la résolution 2625 - XXV dans laquelle elle a tenu à
restreindre le droit de sécession au seul cas de
décolonisation.
Ainsi, au Sahara occidental qui était rattaché à
l'Espagne, c'est-à-dire à la métropole, la population
colonisée avait le droit de s'auto-déterminer.
Comme l'affirme la résolution 2625 - XXV,
compte tenu de la volonté librement exprimée par les
peuples intéressés, il existe alors plusieurs solutions :
la création d'un Etat indépendant, l'intégration dans
un Etat indépendant, la libre association dans un Etat
indépendant. Toutes ces solutions découlent impéra-
tivement de l'exercice d'un référendum d'autodéter-
mination libre, régulier et sans contrainte.

Or, le peuple sahraoui n'a jamais pu s'exprimer


librement, car l'Espagne n'a pas organisé le référen-
dum qu'elle avait promis, préférant signer un accord
entaché d'illégalité avec le Maroc et la Mauritanie
(Accord de Madrid, 14 novembre 1975).
Depuis, il n'a pu être consulté en raison de
l'invasion et de l'occupation du Sahara occidental.
Formé ni de Marocains ni de Mauritaniens, ce peuple

73
atteste cependant de son existence - comme nous
l'avons déjà souligné -par son endurance à la nature
impitoyable dans laquelle il évolue, et surtout par une
résistance acharnée à toute tentative de colonisation.
Ainsi, au-delà du droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes, les Sahraouis mettent en œuvre, dans
une lutte quotidienne, leur droit à la vie, leur droit de
peuple à témoigner pour lui-même, à écrire sa propre
histoire.

Un gouvernement de libération nationale


Tout comme il ne peut y avoir d'Etat sans territoire
et sans population, il n'existe pas d'Etat sans
gouvernement. En tant que personne juridique, en
tant qu'entité étatique et politique, l'Etat a nécessai-
rement besoin d'organes qui le représentent, s'expri-
ment en son nom, exercent des pouvoirs, remplissent
des obligations. Ainsi, un territoire sans gouverne-
ment - c'est-à-dire sans pouvoir politique
organisé - ne peut être un Etat, au sens du droit
international. Il ne sera qu'un « Res Nullius » (terri-
toire sans maître) ou un territoire non autonome
(article 73 de la Charte de l'O.N.U.) intégré dans un
territoire étatique.
La nature du gouvernement, ses choix idéologi-
ques, ne concernent pas le droit international mais
seulement les intéressés et relèvent de la politique
intérieure des Etats.
Les Sahraouis ont proclamé la R.A.S.D. le
27 février 1976 et dès le 4 mars, leur premier
gouvernement entrait en fonction. Depuis, il exerce
ses prérogatives avec une capacité et une autorité
totales même si, pour l'heure, celles-ci ne peuvent
s'appliquer aux territoires occupés - cette occupa-

74
tion, nous le répétons, ne remettant pas en question
l'existence même du gouvernement sahraoui, car en
droit international l'annexion et l'occupation d'un
territoire étatique sont interdites. De ce fait, il ne
peut y avoir conflit d'autorité entre le gouvernement
légitime et légal sahraoui, d'une part, et, d'autre part,
le gouvernement marocain en territoires occupés de la
R.A.S.D., puisque cette occupation est illégale et
illégitime.
Les populations sahraouies des territoires occupés
vivent une domination militaire fondée sur la force et
le mépris du droit international et du « jus cogens »
( droit auquel nul ne peut déroger). Les autorités
marocaines d'occupation se trouvent donc dans le
même cas de figure que les forces nazies en France
occupée, de 1939 à 1945.

En République Arabe Sahraouie Démocratique, le


gouvernement et l'administration exercent leur activi-
té de gestion des biens et d'administration des
personnes. Ils sont aidés en cela par des institutions
politiques et administratives nationales, régionales et
locales telles que le Conseil National Sahraoui (Parle-
ment), le Bureau Politique, le Congrès Populaire
Général, les Conseils Populaires de Willaya (Préfec-
tures) et de Daïra (Sous-préfectures), etc.
Le gouvernement est à même de faire respecter ses
décisions et son autorité. Celle-ci s'étend jusqu'aux
limites extrêmes du territoire de la R.A.S.D. puis-
qu'elle concerne l'espace aérien· (plusieurs aéronefs
qui survolaient illégalement le territoire sahraoui ont
été abattus), de même que ses eaux territoriales ( des
centaines de pêcheurs ont été arrêtés ; plusieurs
bâtiments de pêche qui violaient les eaux territoriales
ont été arraisonnés ou coulés).

75
Toutefois, la vie d'une personne civile n'a jamais
été mise en péril du seul fait du gouvernement
sahraoui et ce, sur aucun point du territoire. Les
seules victimes étrangères au conflit du Sahara
occidental ont été des personnes qui se trouvaient
dans la zone occupée militairement par le Maroc.
Le Front Polisario, qui a proclamé la R.A.S.D., est
un mouvement de libération nationale reconnu par
l'O.N.U. C'est le seul représentant véritable et
légitime du peuple du Sahara occidental et donc la
seule autorité légale à pouvoir exprimer les aspirations
légitimes des Sahraouis, en attendant que ceux-ci
puissent s'exprimer librement sans la contrainte des
Forces armées royales marocaines et de l'administra-
tion d'occupation.
Si le Front Polisario est aujourd'hui reconnu par
plus de 120 pays et par la plupart des organisations
internationales, la R.A.S.D. a reçu, en tant qu'Etat et
gouvernement, la reconnaissance de 67 Etats (2) dans
le monde. Elle a des ambassades et représentations
officielles dans de nombreux pays, ce qui lui permet
de poursuivre la lutte sur le terrain diplomatique et
d'exercer son entière souveraineté.

Un Etat de droit et de fait


La quatrième condition constitutive de l'Etat est
pour certains le concept de souveraineté, assimilé à la
notion d'indépendance de l'Etat par rapport à tout
pays étranger ou organisation internationale.
L'Etat sahraoui est souverain et indépendant tant
sur le plan organique ( absence réelle de toute

(2) En novembre 1986 (la liste de ces Etats est portée en


annexe).

76
subordination par rapport à l'étranger) que sur le plan
de son respect et de son acceptation du droit
international. La R.A.S.D. est donc l'égale des autres
Etats (principe de l'égalité des Etats) et toute
intervention extérieure dans ses affaires intérieures
est illicite (principe de non-intervention).
L'Etat sahraoui est le seul à exercer les compé-
tences étatiques et, par là-même, il doit exercer toutes
les compétences nécessaires à la pratique de cette
réalité étatique (principe de l'exclusivité et de la
plénitude des compétences).
Ainsi, l'identification d'un phénomène aussi
complexe que l'Etat ne peut procéder d'un critère
unique mais d'un ensemble d'éléments cumulatifs,
d'un faisceau d'indices et de preuves. L'Etat sahraoui
est donc un Etat de droit et de fait - avec un
drapeau, un hymne national, une administration, une
police, une armée, etc.

Au-delà de ces trois éléments - le territoire, la


population, le gouvernement - il s'avère nécessaire
de traiter également des notions de légalité, de
légitimité et de réalité, qui définissent le concept de
souveraineté.
En effet, pour certains hommes politiques et
certains Etats - au demeurant peu nombreux - il
est difficile, voire impossible, de reconnaître la
R.A.S.D. en raison du conflit qui se déroule sur son
territoire. Une telle interprétation est pour le moins
spécieuse et irrecevable pour des raisons politiques,
juridiques, morales, historiques et de justice.
Il a existé et il existe de par le monde de
nombreuses situations historiques où des Etats ont
perduré alors qu'une partie, voire la totalité de leur
territoire, était occupée. Ce fut le cas des Etats

77
européens durant les guerres napoléoniennes au
début du xrxe siècle; plus récemment celui de la
Pologne et de la France en 1940, de l'Egypte en 1967
et en 1973, du Liban en 1982...
On peut certes s'interroger sur la réalité de la
souveraineté de la R.A.S.D. mais celle-ci doit
nécessairement se définir dans un contexte déterminé
( qui est rarement celui d'une époque troublée ou d'un
temps de guerre) et elle ne peut en aucun cas être
dissociée de la double notion de légitimité et de
légalité.

Dans le cadre du conflit du Sahara occidental, la


légitimité et la légalité s'inscrivent dans la dynamique
de la décolonisation et du processus d'indépendance.
Elles doivent s'analyser dans le contexte du droit des
peuples à l'autodétermination. Ayant eu à subir une
invasion militaire doublée d'une tentative de spolia-
tion et d'ethnocide, le peuple sahraoui a pris les armes
pour survivre et rester lui-même. Sa lutte est légitime
car elle s'inscrit dans le cadre du droit à l'indépen-
dance.
Quant à la R.A.S.D., elle possède - nous l'avons
vu - une existence légale, renforcée par son admis-
sion à l'Organisation de l'Unité Africaine et soulignée
par le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

Aujourd'hui, hormis le Royaume du Maroc, nul


Etat dans le monde ne reconnaît et n'admet l'occupa-
tion du territoire du Sahara occidental. L'illégalité et
l'illégitimité sont donc du côté de Rabat qui a annexé
par la force un territoire auparavant sous domination
espagnole, en violation du droit international positif,
des conventions internationales, de la Charte des
Nations-Unies et de celle de l'O.U.A.

78
Cette prise de possession est contraire à la justice
car elle nie les droits de l'homme et les droits d'un
peuple - les seuls détenteurs du droit de propriété
sur le territoire du Sahara occidental étant les
Sahraouis.
Toujours et partout, le rattachement d'une contrée
et de ses habitants doit se faire dans le cadre de la
légalité internationale, c'est-à-dire dans le respect du
libre choix clairement exprimé des populations du
territoire concerné (les Résolutions 1514 et 1541 -
XV de l'Assemblée générale de l'O .N. U., définissent
précisément les modalités applicables en matière de
décolonisation).
Déjà en 1860, la France, au lieu d'annexer la Savoie
et le Comté de Nice, avait procédé par plébiscite. Ce
fut encore le cas de la Sarre qui opta pour
l'Allemagne en 1935. En revanche, l'Anchluss (an-
nexion de l'Autriche par l'Allemagne en 1938) ne fut
pas reconnue en 1945 car il y avait occupation par la
force et annexion.

La reconnaissance diplomatique

Avec le retrait de la puissance occupante (l'Es-


pagne), le 26 février 1976, le Front Polisario, que la
mission de visite de l'O.N.U. en mai 1975 avait
qualifié de force politique dominante- en dépit de la
- clandestinité dans laquelle il exerçait son action -
décidait de proclamer immédiatement la République
Arabe Sahraouie Démocratique afin de combler le
vide juridique créé.
L'annexion marocaine et l'état de guerre ne
peuvent empêcher ou retarder la reconnaissance de
cette entité politique nouvelle qu'est la R.A.S.D.

79
D'autre part, il existe de nombreux exemples de
reconnaissance d'Etats en lutte pour leur indépen-
dance, avant que celle-ci ne soit entièrement et
définitivement acquise. Ainsi en 1778, la France
reconnaît les Etats-Unis d'Amérique alors que les
colonies anglaises mènent une guerre de libération
(jusqu'en 1783), et avant donc que l'Angleterre
n'accepte l'indépendance de ses colonies. Cette
reconnaissance déclenchera un conflit franco-anglais.
A l'heure où la France et les Etats-Unis sont
confrontés au problème de la reconnaissance de la
R.A.S.D., et soutiennent le Royaume du Maroc dans
sa politique d'annexion, un retour sur leur passé et
leur histoire pourrait fort les inciter à une politique
plus juste et à une mise en adéquation de leurs actions
et de leurs principes.
Dans le même ordre d'idées, les Etats-Unis ont
reconnu le nouvel Etat du Panama en 1903, quelques
jours après le déclenchement de l'insurrection contre
le gouvernement de Colombie.
En 1973, le P.A.I.G.C. mouvement de libération
de la « Guinée portugaise» a proclamé unilatérale-
ment l'indépendance du territoire alors que le
Portugal occupait la capitale et les principales agglo-
mérations. Presque immédiatement, le nouvel Etat de
la Guinée-Bissau fut reconnu par environ quatre-
vingts pays!
En 1975, le M.P.L.A. a proclamé unilatéralement
l'indépendance de l'Angola, ce qui n'a pas empêché
une quarantaine d'Etats de reconnaître cet Etat alors
que son territoire subissait des attaques depuis
l'Afrique-du-Sud et le Zaïre, et que des mercenaires
en occupaient une partie.
Pourquoi ce qui a été valable pour tous ces pays ne
le serait-il pas aujourd'hui pour la R.A.S.D.?

80
Si la reconnaissance d'un nouvel Etat est impor-
tante afin de le conforter dans sa lutte pour
l'indépendance, elle n'est pas indispensable pour que
cet Etat existe. De nombreux exemples attestent de
ce phénomène : de 1810 à 1826, les colonies espa-
gnoles d'Amérique proclamèrent leur indépendance.
L'Espagne attendra des décennies avant d'en recon-
naître certaines. De même le Brésil, qui accèda à
l'indépendance en 1882, ne sera reconnu par la
France qu'en 1926, soit plus d'un siècle plus tard!
L'Union des Républiques Socialistes Soviétiques,
proclamée en 1917, ne sera prise en considération par
les Etats-Unis qu'en 1930, et en 1944, par la
Confédération Helvétique ! La République Islamique
de Mauritanie, indépendante depuis 1960, ne sera
reconnue par le Maroc qu'en 1969. Etc.
Indépendant depuis 1976, le Sahara occidental
possède quant à lui tous les éléments pour sa
reconnaissance : un peuple, un territoire, un gouver-
nement; le droit, la justice et la morale ; la légalité et
la légitimité du combat de son peuple, la réalité d'un
Etat souverain.
Les soixante-sept Etats qui à ce jour ont reconnu la
R.A.S.D. ont affirmé, par ce geste, leur refus
d'accepter l'occupation et l'annexion du Sahara
occidental par le Royaume du Maroc, leur refus
d'entériner un déni de justice et d'admettre que la
société internationale devienne une jungle où tous les
coups sont permis, où les plus forts imposent leur loi
aux plus faibles.

81
Nous avons juré que de la terre
humiliée,
ensanglantée,
émergera la fleur déshonorée
Elle sera comme une rose des sables.

M.S.
CHAPITRE VI

SUR LE FRONT DES SABLES

Le conflit du Sahara occidental fait partie, pour


l'opinion publique européenne, des guerres oubliées.
Aux portes de l'Europe, il menace pourtant la
stabilité du Maghreb, voire de l'Afrique, et porte en
lui-même les germes d'un embrasement général.
Pouvait-on imaginer qu'une guerre puisse se dérou-
ler dans ce nord-ouest africain désertique et inhospi-
talier? Pouvait-on imaginer qu'un petit peuple tienne
en échec l'armée marocaine, pourtant réputée l'une
des meilleures! Et ce, depuis douze ans. La guerre de
guérillas n'était envisageable que dans des maquis,
des jungles, des milieux urbanisés ... mais dans un
désert!

Le Sahraoui, un guérillero né

C'était oublier une donnée fondamentale : le


combattant sahraoui est un guérillero né, qui puise sa
combativité dans une tradition séculaire de lutte.
A l'adolescence, le jeune Sahraoui connaît presque
tout de la guerre du désert. Dès son enfance, il a
acquis une véritable formation théorique à travers les

84
récits et les légendes véhiculés par la tradition orale. Il
se bat dans un univers familier - son pays - où il est
capable de s'orienter de jour comme de nuit,
connaissant chaque pierre du désert, habitué au
climat hostile et animé d'un moral et d'une motivation
sans faille. En bref, le Sahraoui combat chez lui, pour
rester lui-même. Il n'a pas d'autre alternative, comme
le traduit le slogan adopté lors de l'avant-dernier
Congrès du Front Polisario : « Toute la patrie ou le
martyr.»
Cette guérilla du désert nécessite tout au plus une
adaptation aux techniques et aux tactiques de
combats de la guerre moderne car depuis 1975, les
affrontements font rage.
Deux étapes principales marquent cette guerre de
libération : celle des offensives del' A.L.P .S., de 1975
à 1981 ; celle de la stratégie défensive des« Murs» qui
débute en 1981 et se poursuit de nos jours.
Consécutivement à la« Marche verte», l'entrée des
Forces Armées Royales marocaines dans les villes du
Sahara Occidental de novembre 1975 à mars 1976, a
eu pour corollaire, nous l'avons vu, la fuite d'une
grande partie des populations sahraouies. Au nord
comme au sud du territoire, les armées d'invasion ont
essayé d'occuper les zones urbaines et de refermer les
mâchoires de la tenaille pour interdire cet exode.

Offensives et guerre de harcèlement

Au milieu du mois de janvier 1976, Marocains et


Mauritaniens tiennent la plupart des villes et des
postes militaires, mais le Front Polisario occupe le
terrain entre les deux. Dès mars 1976, l' A.L.P .S. va
se livrer à une guérilla meurtrière contre les deux

85
armées qui doivent engager de plus en plus de moyens
et d'effectifs.
La stratégie élaborée par les forces d'occupation
consiste à occuper le terrain en établissant des lignes
de défense souples autour de points d'appui fixes
représentés par les villes du Sahara Occidental
(Haouza, Jderia, Mahbes, Tifariti, Guelta Zemmour,
Smara, Bir N'Zaran, Boujdour. .. ).
Cette stratégie dite des « cent points» va rapide-
ment s'avérer inopérante face aux deux grandes
offensives lancées par l'A.L.P.S. : l'offensive «El
Ouali Moustapha Sayed », du nom du Secrétaire
général du Front Polisario, tué le 9 juin 1976 près de
Nouakchott, qui s'exercera contre la coalition maro-
co-mauritanienne, et l'offensive « Houari Boume-
dienne » qui débute en janvier 1979, contre le Maroc.

Dès juin, les F.A.R. marocaines ont été contraintes


d'évacuer Bir Lahlou, Tifariti, Haouza ... Pour Rabat,
l'abandon de ces postes s'explique par« les impératifs
stratégiques des Forces Armées Royales qui ne sont pas
nécessairement les mêmes que ceux de l'armée espa-
gnole». A croire que le Tercio (Légion Etrangère
espagnole) était en villégiature dans ces postes isolés
au milieu du désert !
Au sud, sous la pression de l'A.L.P.S. et sous le
poids de graves contradictions internes, le régime
d'Ould Daddah est renversé par un Coup d'Etat, en
juillet 1978. A la suite de la proclamation d'un
cessez-le-feu unilatéral par les dirigeants sahraouis, le
5 août 1979 - un an plus tard - la Mauritanie sort
de la guerre fratricide en signant un accord de paix
mauritano-sahraoui à Alger. Ce qui lui permettra
d'œuvrer à la reconstruction de son pays, durement
éprouvé par la guerre et la sécheresse.

86
L' A.L.P .S., quant à elle, est passée de la guerre de
commandos par petites unités aux raids d'envergure
sur les villes, portant le combat dans le sud-marocain
où elle occupe à plusieurs reprises Tan-Tan, coupant
les lignes de communications et d'approvisionnement
marocaines, harcelant les points d'appui et désorgani-
sant la logistique des F.A.R.
A la suite de l'offensive « El Ouali » qui a duré plus
de deux ans, les armes se sont donc tues sur le front
sud et les F.A.R. sont isolées et encerclées à Smara,
El Ayoun, Guelta Zemmour et Bir N'Zaran.

Paris : l'aide au replâtrage


L'incapacité des troupes marocaines à juguler les
attaques des soldats de l' A.L.P .S. va aboutir à une
redéfinition des tâches et des missions dévolues aux
forces d'occupation. Ce «replâtrage» sera effectué
avec l'appui d'experts militaires français et visera à
conférer à l'armée marocaine une plus grande
mobilité et une plus grande souplesse dans l'action,
ainsi qu'un accroissement de sa puissance de feu.
Pour ce faire, les stratèges marocains vont former
des Groupes d'Intervention Rapide Autonome (envi-
ron 120 000 hommes) afin de garantir la protection
des convois et des lignes d'approvisionnement qui
relient le sud marocain (Province de Goulimine, de
Tan-Tan et de Tarfaya ... ) aux régions sahraouies
occupées.
A la suite de plusieurs grands affrontements,
l'état-major marocain décide de « nettoyer le territoire
du Sahara occidental» et constitue des « colonnes
mobiles» regroupant .6 à 7 000 soldats chacune,
puissamment armées et équipées (groupes Ohoud,
Zellaka, Badr, El Arak). Ces colonnes sillonnent le

87
territoire sahraoui et le 8 juillet 1980, Hassan II
déclare que « grâce à Dieu, aujourd'hui, la situation
s'est modifiée du tout au tout et je puis annoncer que je
suis rassuré quant à l'avenir de notre cause saha-
rienne».
Ces propos laissent rêveur, car quelques semaines
auparavant, les colonnes mobiles marocaines avaient
subi une véritable déroute dans les montagnes de
l'Ouarkziz (du 1er au 11 mars 1980). Les unités
marocaines sont décimées et les morts se comptent
par centaines, de même que les armes récupérées par
les forces sahraouies.
Ce qui a fait dire aux Sahraouis : « Le Maroc
commande des armes, la France, les Etats-Unis,
l'Espagne les livrent, l'Arabie Séoudite, Oman ... les
paient, le Front Polisario les utilise... ».

A la suite des grandes batailles des années 1979 à


1981, l'évolution de ce conflit se caractérise par un
échec des plans militaires marocains. Les offensives
de l'A.L.P.S. ont permis la libération du territoire
sahraoui (à 90 % ) et contraint les F.A.R. à la
défensive.
A la suite du fiasco de la stratégie des grandes
unités mobiles marocaines, Rabat n'a plus que deux
solutions : soit se retirer du Sahara Occidental, soit se
retrancher derrière des fortifications et chercher à
gagner du temps en comptant sur une lassitude des
alliés des Sahraouis, voire des Sahraouis eux-mêmes.
Dans l'impossibilité de reconnaître sa défaite, le roi
du Maroc opte pour le retranchement et la stratégie
des « murs de défense», affirmant que « la récupéra-
tion du Sahara est bel et bien accomplie». Ce que son
propre chef d'état-major, le général Ahmed Dlimi, se
charge de démentir en affirmant : « il ne suffit pas de

88
planter un drapeau sur un territoire pour que tout soit
évidemment réglé ».

La stratégie défensive de Rabat :


les murs (1981-1986)

A la fin de l'année 1980, le Maroc est défait sur le


terrain. Son armée est démoralisée, son potentiel
militaire gravement atteint. L'initiative appartient à
l' A.L.P .S. dont les combattants font preuve, de l'avis
même des officiers marocains, d'une motivation et
d'un moral supérieurs ce qui, outre la connaissance du
terrain, explique les succès des Sahraouis.
Ayant opté pour le retranchement dans les
« lignes » de défense, Hassan II s'adresse à ses
« amis » pour obtenir de nouvelles aides financières et
de nouveaux appuis (armes, conseillers ... ). Une
politique qui trahit pour le moins une certaine
constance, puisque déjà en 1977 le monarque
affirmait :
« Nous demandons aux Occidentaux de soutenir,
par une aide économique et militaire et par une
diplomatie dynamique, leurs amis qui œuvrent dans
l'intérêt du monde occidental pour protéger les
ressources minières vitales pour l'Occident. »
Cet amalgame entre le royaume du Maroc et le
« monde libre», par ailleurs clairement énoncé,
entraîne donc un recours naturel et incessant aux
aides des Etats-Unis, de la France, de l'Espagne, de
l'Arabie Séoudite, principaux soutiens du souverain.
Ainsi que l'écrivait Machiavel : «je juge qu'ont
toujours besoin d'autrui, ceux qui ne peuvent affronter
l'ennemi en rase campagne, mais sont contraints de se
réfugier à l'intérieur des murailles et de les garder».

89
Dès novembre 1980, le Maroc entreprend la
construction d'une ligne de fortifications autour de ce
qu'il a appelé le « triangle utile» englobant El Ayoun,
Smara, Bou Crâa. La construction de ce mur sera
suivie par l'édification de quatre autres : décembre
1983-février 1984 : 2e ceinture de défense; avril-mai
1984 : 3e ceinture de défense; décembre 1984-janvier
1985 : 4e mur; mai-juin 1985 : 5e mur.
Le roi du Maroc poursuit plusieurs objectifs : il
obéit d'abord à des motivations militaires et poli-
tiques évidentes et profondes : atténuer les pres-
sions matérielles et psychologiques exercées par
l' A.L.P .S. sur les soldats marocains afin de réorgani-
ser les troupes et leur remonter le moral ; éviter de
subir des pertes humaines importantes; imposer à
l'armée sahraouie une guerre conventionnelle de
position dans laquelle les moyens classiques des
F.A.R. pourront s'exprimer (utilisation massive de
l'aviation, des chars, des véhicules blindés, de
l'artillerie, de la supériorité en effectifs, etc.).

Il lui faut également réduire les dépenses militaires


occasionnées par la poursuite du conflit, alors que
l'économie marocaine donne quelques signes d'essou-
flement stigmatisés par les émeutes de Casablanca
(juin 1981) ; protéger le« triangle utile» et, au-delà, le
sud marocain pour permettre une exploitation des
richesses du Sahara Occidental ; récupérer le terrain
perdu au plan diplomatique : en déclenchant la
construction du 4e mur, le roi pensait peser sur la
décision de l'O.U.A., d'accepter en son sein la
R.A.S.D. Elle en sera pourtant le 51e Etat-membre.

L'édification du 5e mur a commencé au moment où


l'O.U.A. s'apprêtait à tenir son 21e sommet; entre-

90
temps, la R.A.S.D. est devenue, au grand dam du
souverain, Vice-Présidente de l'Organisation!
Faut-il encore rappeler que le Maroc a choisi la voie
de l'escalade militaire en 1983-84, à la date même
fixée par l'Afrique pour l'application de sa résolution
A.G.H. 104 qui demande aux deux parties de
procéder à des négociations directes pour résoudre
pacifiquement le problème. C'est dire le mépris
affiché par le monarque à l'endroit de l'O.U.A. de
l'O.N.U. et de la communauté internationale.

Une guerre qui tombe à point

Mais le roi Hassan du Maroc répond aussi à des


motivations cachées.
Pour des raisons évidentes à comprendre, il s'est
lancé dans la guerre du Sahara Occidental afin de
détourner l'attention de la population marocaine des
problèmes intérieurs (misère, famine, inflation, chô-
mage, corruption ... ). Les murs permettent en outre
l'implantation massive de colonies de peuplement qui
vont atteindre rapidement près de 200 000 personnes.
Enfin, la poursuite de la guerre procure une
certaine sécurité au souverain car elle éloigne l'armée
du palais, rendant ainsi plus difficile toute tentative de
Coup d'Etat.
Avec ces nouveaux « murs de défense », nous
sommes confrontés à une curieuse conception du
phénomène étatique puisque Hassan II après avoir
déclaré que le Sahara Occidental était à lui, et l'avoir
revendiqué en entier, l'a partagé avec la Mauritanie
pour le réclamer dans son ensemble ensuite, puis
finalement le compartimenter et tracer lui-même des
frontières mouvantes, matérialisées par des murs de

91
défense qui varient au gré des rapports de force et des
événements.
Murs mythiques, aveu d'un échec et qui visent
avant tout à protéger l'armée marocaine défaite sur le
terrain. Ces lignes de défense, faites de fer et de feu,
sont truffées de radars et de moyens de détection les
plus sophistiqués, généreusement mis à la disposition
du Maroc pour continuer sa guerre de génocide
contre un petit peuple aux moyens matériels très
inférieurs à ceux de l'agresseur mais décidé à lui tenir
tête.

La guerre d'usure

A la suite des offensives de Lemseyed (10 juillet


1983) et de Smara (6 septembre 1983), au cours
desquelles les F.A.R. ont subi une véritable déroute,
l'A.L.P.S. lance l'offensive « Grand Maghreb», le
13 octobre 1984, qui constitue une réponse politique
et militaire du Front Polisario à la stratégie des « murs
de défense ».
Alors que de nombreux observateurs pensaient que
les radars privaient les combattants sahraouis de leur
atout le plus précieux, c'est-à-dire l'effet de surprise,
les attaques d'envergure comme celles de Zak, de
Zmoul N'Niran (13 octobre 1984), de Haouza et
Dakhla (27 novembre 1984), de Mahbes
(22 décembre 1984 et 12 janvier 1985), de Dakhla et
Argoub (1985), démontrent que les radars et les
champs de mines ne semblent pas avoir protégé le
mur de façon satisfaisante.
De toute manière, les lignes de défense en général
n'ont rempli leur rôle qu'à demi ou pas du tout : la
Grande Muraille de Chine, la Ligne Maginot, la

92
Ligne Siegfried, la Ligne Albert, le Mur de l' Atlanti-
que, les Lignes Challe, Maurice ...
Il se peut qu'Hassan II entre dans !'Histoire comme
l'un des plus grands bâtisseurs du Maroc, mais il
n'aura construit que des murs de sable, sable dans
lequel son trône se sera enlisé !
Loin donc d'être aussi inexpugnable qu'il veut le
laisser croire, le mur est vulnérable. Les combattants
sahraouis l'ont démontré, n'en déplaise aux amis
«fidèles» du Maroc qui tentent d'accréditer la thèse
de l'invulnérabilité de la « ligne de défense», comme
ils ont tenté de faire croire que la population
sahraouie demeurée en territoires occupés s'était
ralliée à la monarchie. Il ne s'agit là que de mesures
de propagande.
Chaque jour, le long de toute la ligne, les
combattants de l'A.L.P.S. procèdent à de multiples
harcèlements ( dix en moyenne). Ceux qui ont assisté
à ces assauts ont pu témoigner de l'efficacité et de la
précision des attaques contre les positions maro-
caines.

Au vie siècle avant Jésus-Christ, le stratège chinois


Sun Tzu écrivait : « Remporter cent victoires en cent
batailles n'est pas le fait de l'habileté. Réduire l'ennemi
sans livrer bataille est le fait de l'habileté. Dès lors, ce
qui est d'une suprême importance dans la guerre, c'est
d'attaquer la stratégie de l'ennemi ... »
S'adaptant à la situation nouvelle imposée par
l'édification des murs, l' A.L.P .S., au lieu d'accepter
une guerre de positions, impose une guerre d'usure
aux F.A.R., choisissant le lieu et le moment de ses
harcèlements ou de ses attaques qui provoquent
davantage de pertes au sein de l'armée marocaine
statique que parmi les colonnes mobiles sahraouies.

93
Acculé à la défensive, vivant difficilement sa
condition de reclus et d'oublié dans les sables du
Sahara, confronté au soleil, à la soif, au froid
nocturne et au manque de loisirs, le soldat marocain
vit dans l'angoisse d'une attaque et dans la situation
d'un laissé pour compte. Cette inadaptation aux
conditions de vie dans le désert se traduit par une
démoralisation croissante et par un phénomène de
désertion ou de non-combativité.
Vers le tapis vert ?
La stratégie del' A.L.P .S., quant à elle, est simple :
la patience; et le roi du Maroc se doit de méditer la
maxime de Machiavel selon laquelle « il est plus facile
d'acquérir que de conserver».
D'autant que ces « murs de défense», construits
avec l'assistance de conseillers militaires français et
américains, ne règlent pas le problème du conflit du
Sahara Occidental. Plus ils s'étirent à travers le
territoire de la République Arabe Sahraouie, plus ils
deviennent fragiles - les forces marocaines sont
obligées de s'enfoncer dans un territoire qu'elles ne
connaissent pas, de s'éloigner de leurs bases arrière et
de. leur logistique - et plus la monarchie est obligée
d'augmenter les effectifs chargés de les surveiller.
Le corps expéditionnaire marocain, soit plus de
140 000 hommes, disséminés le long des 2 000
kilomètres de murs (!) accroît considérablement le
fardeau supporté par une économie qui va de mal en
pis. De 1 million de dollars par jour en 1981, le coût
de la guerre avoisinait en 1985 3 millions de dollars.
La dette extérieure du Maroc est passée de
1,8 milliard de dollars en 1975 à 14 milliards de
dollars en 1985 ; elle avoisine maintenant les 18
milliards de dollars ...

94
En dépit des aides internationales (France, Etats-
Unis, Arabie Saoudite, Espagne ... ), l'économie ma-
rocaine s'enfonce dans la crise et la récession, en
butte à des difficultés structurelles (baisse des inves-
tissements, obsolescence de l'outil de production ... )
et conjoncturelles (mévente des phosphates, élargis-
sement de la Communauté économique européenne à
l'Espagne et au Portugal, rétrécissement du marché et
des exportations marocaines, tension sur le dirham
qui a perdu ces derniers mois 30 % de sa valeur par
rapport au franc français).

En 1983, deux importants instituts américains de


prévisions économiques internationales (Business En-
vironment Risk Information et North-South Export
Consultants Institute), estimaient que la perspective
d'un coup d'Etat militaire au Maroc devrait se
rapprocher à moyen terme; aussi déconseillaient-ils
fortement tout investissement au Maroc, pays catalo-
gué comme « à très haut risque» ...

Pour reprendre Clausewitz, « la guerre n'est que la


continuation de la politique par d'autres moyens ». Or,
le roi du Maroc commet une erreur d'appréciation : il
se bat sur le terrain militaire alors que son ennemi lui
livre une guerre globable, militaire, politique et
diplomatique.

A ce titre, l'isolement du royaume chérifien


s'accroît chaque jour et chaque acte de reconnais-
sance de la R.A.S.D. représente une défaite pour lui.
La politique poursuivie par le Front Polisario et la
R.A.S.D. est, quant à elle, claire : obtenir l'indépen-
dance qui a été confisquée par Rabat et libérer le
territoire sahraoui de l'occupation.

95
Un travail de longue haleine, qui demande un
grand courage et une grande patience. Mais comme le
dit un proverbe sahraoui :
« Le chameau est le plus grand de tous les animaux
du désert, pourtant si on le coupe en morceaux il finit
bien par entrer dans la marmite. »
Que reste-t-il au roi, alors que la solution militaire
s'enlise, sinon adopter la voie médiane à laquelle le
Polisario est prêt : celle du tapis vert ?

96
Bore/li, un conquérant. El Ouali Moustapha Sayed, un libérateur.

Le dromadaire est l'un des éléments essentiels de la culture sahraouie.


Une enfant blessée lors des bombardements marocains de février 1976.

Un engin militaire récupéré sur l'ennemi (D.R.).


Les femmes, piliers de la société, ont constitué l'Union Nationale de la Femme
Sahraouie (D.R.).
Enseignantes et éducatrices (D.R.).
Pratiques traditionnelles : en haut une jeune femme tire le lait d'une gourde en peau;
en bas la production artisanale est un secteur productif.
..,,..,.
L'agriculture : un défi et une priorité pour l'autosuffisance alimentaire.
·~
La prise en charge par l'Etat sahraoui des victimes de la gue"e.

Le dispensaire
et la prévention
sanitaire (D.R.).

La Conférence
Internationale
de Paris
en nov. 1985
pour la
reconnaissance des
droits du peuple
sahraoui (D.R.).
Les femmes prêtes à occuper aussi les fonctions militaires.
(en médaillon : _Mohamed Abdelaziz, Chef de l'Etat) (D.R.).
L'école pour tous même avec de faibles moyens (D.R.).

...
--
,,,,,,..._
.~ ~
Mais quand la mort va tomber sans
une ride au front
Quand ce mur va tomber qui sépare
les mondes,
Quand ce soir va tomber sur l'histoire
des rondes,
Quand ce jour va tomber sur les
heures du pont.

Rouben Melik

Il y a tant de morts
Tenant le monde
En respect

Kateb Yacine
CHAPITRE VII

NEW-YORK, ADDIS-ABEBA,
LA HAYE:
LA BATAILLE DIPLOMATIQUE

La proclamation de la République va ouvrir la voie


à de nouveaux combats, politico-diplomatiques, cette
fois-ci. Objectif: la reconnaissance du mouvement de
libération nationale, le Front Po[sario, celle du
Peuple sahraoui et de la R.A.S.D. par les organisa-
tions et les Etats de la communauté internationale.

L'O.N. U. et l'O. U .A.

L'Organisation des Nations-Unies dès 1965 et


l'Organisation de l'Unité Africaine se sont saisi en
1966 du problème du Sahara Occidental. La première
parce qu'il s'agit d'une question de décolonisation, la
seconde parce que c'est un conflit africain. D'autres
organisations internationales comme le Mouvement
des Non-alignés vont s'ouvrir au problème.
Conduisant la lutte sur les plans militaire et
politique, le Front Polisario et la R.A.S.D. se sont
attachés à utiliser ces « tribunes » pour obtenir une
condamnation de l'invasion et de l'occupation maro-
caines, informer et sensibiliser l'opinion publique, les
dirigeants politiques, les gouvernements et les Etats,

98
à la tragédie que vivent les Sahraouis et à la nécessité
d'appliquer le droit positif en soutenant leur lutte.
A ce titre, dès 1975, l'O.N.U. et l'O.U.A.
deviennent des terrains d'affrontements. De véri-
tables batailles diplomatiques opposent les tenants de
la thèse maroco-mauritanienne, aux partisans de la
lutte du peuple sahraoui. C'est de l'action complé-
mentaire de ces deux organisations que s'est dégagé
un plan de paix à caractère universel, rejeté par un
seul pays, le Maroc.
Isolé, le royaume chérifien s'efforce depuis lors de
travestir les faits et de gagner du temps afin de
légitimer son coup de force militaire et sa colonisation
du territoire sahraoui. Pour cela, le roi a essayé de
dresser l'O.N.U. et l'O.U.A. l'une contre l'autre,
s'attachant à les dessaisir tour à tour du dossier dès
qu'il se trouvait sur la défensive dans l'une ou l'autre
de ces instances.
A ces actions déstabilisatrices et à ces méthodes
troubles qui n'ont pour elles que de jeter le discrédit
sur l'Etat qui les pratique, le Front Polisario, dès le
10 novembre 1978, répond par une mise au point
rappelant qu'en matière de décolonisation, « les rôles
de L'O. U.A. et de l'O.N. U. sont complémentaires et
non contradictoires ».
Alors qu'il bénéficiait en 1975 de la mansuétude et
de la complicité bienveillante de nombreux Etats
occidentaux et arabes, l'érosion des positions du
Maroc dans les organisations internationales est
devenue manifeste.
A cela, deux raisons : tout d'abord le peuple
sahraoui a réalisé son unité nationale autour du Front
Polisario et de la R.A.S.D., et engagé son combat
pour la libération; ensuite, le Maroc a perdu deux

99
grandes batailles diplomatiques : l'une devant la Cour
Internationale de Justice (C.I.J.) de La Haye, l'autre
à la suite de la mission d'enquête nommée par
l'Assemblée Générale des Nations-Unies.

Le verdict favorable de La-Haye


Afin de gagner le temps nécessaire à la mise en
œuvre de leur politique d'annexion, le royaume du
Maroc et la Mauritanie d'Ould Daddah- qui étaient
convenus en novembre 1974 de se partager le Sahara
Occidental - avaient décidé de saisir la Cour
Internationale de Justice.
La résolution 3292 (XXIX), adoptée le
13 décembre 1974, ordonna donc de soumettre le
dossier du Sahara Occidental à la C.I.J., d'envoyer
sur place une mission de l'O.N.U. et demanda à
l'Espagne de surseoir à l'organisation du référendum
qu'elle avait accepté de mettre en œuvre le 20 août
1974. Les deux questions posées à la Cour pour avis
consultatif étaient les suivantes :
1) « Le Sahara occidental (Rio-de-Oro et Seguiet-el-
Hamra) était-il, au moment de la colonisation par
l'Espagne, un territoire sans maître (terra nullius)? »
2) « Quels étaient les liens juridiques de ce territoire
avec le royaume du Maroc et l'ensemble maurita-
nien?»
Bien que saisie par le Maroc et n'ayant pas entendu
les principaux intéressés, à savoir les Sahraouis - la
C.I.J. selon ses statuts, n'entend que les Etats - la
Cour rendit un avis défavorable aux thèses maroco-
mauritaniennes, le 16 octobre 1975, en affirmant :
« Le processus de décolonisation qui doit être
accéléré et que l'Assemblée Générale envisage dans

100
cette disposition, est un processus qui respectera le
droit des populations du Sahara Occidental de
déterminer leur statut politique futur par la libre
expression de leur volonté» (paragraphe 70).
« Comme il est indiqué au paragraphe 70 du présent
avis, l'Assemblée Générale a fait ressortir dans sa
résolution 3292 que le droit des populations du Sahara
Occidental à l'autodétermination n'était ni atteint ni
modifié par la requête pour avis consultatif ou l'une
quelconque des dispositions de cette résolution »
(paragraphe 161).
Le paragraphe 162 mettait un terme aux rêves
maroco-mauritaniens :
« . . . les éléments et renseignements portés à la
connaissance de la Cour n'établissent l'existence
d'aucun lien de souveraineté territoriale entre le
territoire du Sahara Occidental, d'une part, le
royaume du Maroc ou l'ensemble mauritanien,
d'autre part. La Cour n'a donc pas constaté l'existence
de liens juridiques de nature à modifier l'application
de la résolution 1514 (XV) quant à la décolonisation
du Sahara Occidental et, en particulier, l'application
du principe d'autodétermination grâce à l'expression
libre et authentique de la volonté des populations du
territoire. »
Cet avis de la C.I.J. confirmait donc sur le plan des
principes et du droit, le droit à l'autodétermination du
peuple sahraoui, ce que cinq jours auparavant - le
11 octobre 1975 - la mission de visite de l'O.N.U.
avait constaté dans les faits et consigné dans le
rapport Ruydbeck.
Nous ne citerons que deux paragraphes de ce
rapport que les tenants de la thèse marocaine passent
sous silence en raison de son caractère gênant pour
eux : il porte en effet témoignage de l'état d'esprit du
peuple sahraoui avant l'invasion maroco-
mauritanienne :

101
« Dans le territoire, la mzsswn a constaté que la
population, ou du moins la quasi unanimité des
personnes qu'elle a rencontrées, s'est prononcée
catégoriquement en faveur de l'indépendance et contre
les revendications territoriales du Maroc et de la
Mauritanie. Elle a exprimé le souhait de voir
l'O.N. U., l'O. V.A. et la Ligue des Etats Arabes
l'aider à obtenir son indépendance et la préserver. Par
ses manifestations et ses déclarations, elle a démontré
qu'elle appuyait les objectifs du Front Polisario,
favorables à l'indépendance du territoire». (Para-
graphe 420)
« Le Front Polisario qui était considéré comme
clandestin jusqu'à l'arrivée de la mission, est apparu
comme la force politique dominante dans le territoire.
Partout dans le territoire, la mission a assisté à des
manifestations de masse en sa faveur». (Paragraphe
423)
On ne peut être plus clair. Ces deux échecs
marocains devant la C.I.J. et la mission de l'O.N.U.
auraient dû déboucher sur la mise en œuvre du
processus d'autodétermination du peuple sahraoui.
C'était compter sans le Maroc qui, avec la signature
des accords tripartites de Madrid, chercha à imposer
une politique du «fait accompli militaire».

O.U.A. : la R.A.S.D. entre, le Maroc sort ...

De 1975 à 1978, le royaume chérifien et la


Mauritanie vont s'efforcer de gagner du temps afin de
renforcer leur emprise sur le terrain. Ils échouent en
raison de la résistance acharnée des Sahraouis.
A partir de 1978, la position du Maroc à l'O.N.U.
et à !'O.U.A. s'effrite. Au sein de l'Organisation
africaine, le retrait de la Mauritanie du conflit marque
les esprits. Les commissions et comités des sages
nommés par l'O. U .A. réaffirment le droit du peuple

102
sahraoui à l'autodétermination et élaborent peu à peu
une solution comportant la mise en œuvre d'un
cessez-le-feu et d'un référendum libre et général.
Les sommets de Monrovia (1979), de Freetown
(1980) et de Nairobi (1981) marquent un changement
de la tactique marocaine qui cherche à éviter une
condamnation trop dure et à gagner encore du temps.
Mais dès 1981, le royaume du Maroc se retrouve
isolé.
De 1982 à 1985, l'O.U.A. va confirmer la défaite
diplomatique de Rabat et la victoire de la cause
sahraouie en admettant la R.A.S.D. comme 51e
membre, et en adoptant la résolution A.G.H./104,
reprise par l'O.N.U. et le Mouvement des Non-
alignés, ce qui conférera à ce plan de paix une portée
et un caractère universels.

L'admission de la R.A.S.D. devient définitive le


12 novembre 1984. Le Maroc quitte alors l'Organisa-
tion africaine où il ne peut désormais compter que sur
le soutien du Zaïre. L'élection de la R.A.S.D. à la
vice-présidence de l'O.U.A. en 1985 entérine la
déconvenue marocaine.
A l'O.N.U., dès 1983, le Maroc ne bénéficie plus
que de l'appui de quelques pays dont les régimes sont
discrédités, comme celui de Marcos aux Philipphines
ou de Mobutu au Zaïre.
Fin 1985, l'Assemblée Générale des Nations-Unies
rejette le plan marocain qui visait à imposer « un fait
accompli militaire» et à transformer une occupation
« illégale de fait» en occupation « légitime de droit».
L'O.N.U. réaffirme une fois de plus son attache-
ment aux principes du droit à l'autodétermination du
peuple sahraoui et confirme le plan de paix de

103
l'O.U.A. qui s'articule autour de trois éléments
indissociables :
- des négociations entre les parties en conflit, le
Maroc et le Front Polisario, en vue de définir les
conditions du cessez-le-feu et les modalités du réfé-
rendum;
- un référendum d'autodétermination du peuple
du Sahara Occidental sans contrainte administrative
ou militaire d'aucune sorte ;
- l'organisation de ce référendum par l'O.U.A. et
l'O.N.U.
Si le Front Polisario, fort du soutien du Tiers-
Monde et de la Communauté internationale, se
montre prêt à négocier sur-le-champ avec le Maroc,
celui-ci s'entête à refuser les résolutions des Organisa-
tions internationales alors qu'il est notoire que les
représentants du monarque chérifien ont rencontré à
trois reprises au moins les dirigeants sahraouis ( à
Bamako, le 20 novembre 1978 et en 1981, à Alger en
1983; à Lisbonne, en 1985).

Le mutisme de la C.E.E.

Il est certain que la position marocaine découle de


l'espoir de voir l'Occident soutenir son occupation au
Sahara Occidental. En effet, si en dix ans la R.A.S.D.
a effectué une véritable percée diplomatique en
obtenant la reconnaissance de soixante-sept Etats, les
pays occidentaux et les Etats socialistes européens
- hormis la Yougoslavie - manquent à l'appel.
Attitude surprenante puisque certains d'entre eux
votent les résolutions favorables au Front Polisario à
l'O.N.U. (Australie, Espagne, Grèce, Malte, Nou-
velle-Zélande, Autriche, etc.).

104
La lutte de libération nationale du Front Polisario a
cependant reçu le soutien actif des pays scandinaves
avec, au premier chef, la Suède. Un autre Etat
européen, l'Autriche, soutient le peuple sahraoui en
recevant des membres de son gouvernement en plus
de l'aide humanitaire apportée.
En revanche, le comportement passif, voire
complaisant, des pays me~bres de la C.E.E. à l'égard
de l'occupation militaire du Sahara Occidental résulte
de la solidarité européenne avec les positions de la
France (soutien discret au Maroc) et de l'Espagne
( qui refuse de revenir sur les Accords de Madrid).
Ainsi, à l'O.N.U., la plupart des Etats occidentaux
s'abstiennent sur les résolutions favorables au droit du
peuple sahraoui à l'autodétermination, ce qui est pour
le moins surprenant de la part d'Etats si prompts à
déclencher des «croisades» en faveur des droits de
l'homme et des droits des peuples dans d'autres
régions du monde.
La constitution d'un inter-groupe parlementaire
« Paix pour le peuple sahraoui» au Parlement Euro-
péen, en avril 1986, laisse cependant augurer d'une
légère évolution.

Si l'existence de la R.A.S.D. repose sur la lutte du


peuple sahraoui, le devoir de tous les Etats est de
hâter la conclusion de cette tragédie, de mettre un
terme aux souffrances endurées depuis 1975 par les
habitants du Sahara Occidental.
Le Front Polisario et la République Arabe
Sahraouie ont remporté la bataille diplomatique. Le
roi Hassan II n'a plus d'autre choix que de s'asseoir à
la table des négociations.
Il est temps d'exercer des pressions effectives et
efficaces sur le Maroc, pour l'amener à adhérer au

105
plan de paix accepté par la Communauté internatio-
nale (O.N.U., O.U.A., Mouvement des Non-
alignés ... ) et par la R.A.S.D. L'Europe et les
Etats-Unis ne peuvent rester en retrait de cette
dynamique par laquelle soixante-sept Etats ont
reconnu la R.A.S.D., en conformité avec le droit
international et la justice.
Ce conflit ne sert les intérêts d'aucun peuple. Il doit
cesser. Pour cela, le droit du peuple sahraoui à
l'indépendance doit être respecté et la R.A.S.D.
reconnue.

106
DEUXIÈME PARTIE

LES SAHRAOUIS AU QUOTIDIEN


UNE INTERVIEW DE

MOHAMED OULD RAHAL *

par Lisa Pierre

Je voudrais commencer cette interview en évoquant


la situation des populations sahraouies en territoires
occupés. De l'autre côté des « murs de défense», des
Sahraouis sont restés. Certains parce qu'ils n'ont pu
fuir, d'autres parce qu'ils le voulaient. Quelle est
l'attitude des forces marocaines à leur égard ?
Comment se traduit la politique d'occupation et la
répression si elle existe ?

Depuis 1985, le royaume du Maroc développe au


Sahara occidental une politique d'occupation qui vise
à généraliser et à asseoir son influence et sa présence
auprès des différentes composantes de la population
sahraouie. Ces efforts de domination s'exercent plus
particulièrement à l'encontre des jeunes et des
femmes, parce qu'ils constituent les forces vives de la
société sahraouie, parce qu'ils incarnent l'identité
culturelle nationale et sont les garants des valeurs
morales et ancestrales, parce qu'ils résistent à la

(•) Président du Conseil National Sarhaoui.

109
déculturation. Le reg1me marocain pratique à leur
égard la politique de la carotte et du bâton.
Outre les liquidations physiques, les arrestations et
les mesures diverses qui touchent plus particulière-
ment les jeunes et les étudiants, les autorités
d'occupation marocaines se sont efforcées de déve-
lopper une politique d'assimilation, qui, pour être
sournoise, n'en est pas moins réelle. Tout est bon
pour couper les jeunes Sahraouis de leur société
traditionnelle et leur faire adopter le « Maroc way of
life ». Ceci se traduit par de multiples incitations à des
mariages avec des femmes marocaines qui, selon les
autorités d'occupation, « sont civilisées et compren-
nent mieux la vie conjugale ».

En outre, les Forces armées royales ont apporté


dans leurs bagages des phénomènes inconnus au
Sahara Occidental, tels que la drogue (kif, has-
chish ... ) et la prostitution.
Dans le domaine de l'enseignement et de la santé,
tout est fait pour que les Sahraouis soient obligés de
quitter leur territoire, pour des soins importants ou
spécialisés, par exemple. Dès leur plus jeune âge, les
enfants sont pris en main par les spécialistes maro-
cains de la déculturation. Dans les écoles, le hassanya
- notre langue - est interdit et seule la langue
marocaine est tolérée. Tout ce qui peut rappeler la
société sahraouie est prohibé, tels que les chants, les
danses, les vêtements, l'art culinaire ... Quand bien
même le jeune Sahraoui réussirait à surmonter ces
interdictions et à franchir les barrages scolaires, il doit
s'expatrier au Maroc afin de poursuivre ses études,
depuis la fermeture du collège d'El-Ayoun, décidée
par les autorités d'occupation.

110
Quant aux femmes, les attaques qu'elles subissent
visent à briser l'esprit de résistance des familles
sahraouies au sein desquelles elles jouent un rôle
moteur, animant les discussions pour l'indépendance
nationale et ravivant la flamme de la résistance. On
cherche également à dévaluer leur rôle et leur place
dans la société. De même que le rôle de la femme
sahraouie avait connu une régression importante
durant la colonisation espagnole, l'occupation maro-
caine se traduit par une série de pressions visant à la
confiner dans des tâches serviles et de soumission. Il
n'est pas rare d'entendre les autorités d'occupation
affirmer que « la femme n'est qu'un objet de plaisir ...
faite pour s'occuper de son foyer, ne devant pas faire
de politique ... ni travailler». On l'incite à échanger sa
melfa (vêtement traditionnel) contre la djellaba et le
voile marocains, à se marocaniser en émigrant au
Maroc. Toutes celles dont le mari combat au sein du
Front Polisario se voient imposer un nouveau mari
qui est le plus souvent un soldat marocain.

Hors du Front, quelle est la condition d'existence


des hommes?

Les hommes, généralement ouvriers ou commer-


çants, subissent des brimades continuelles de la part
des autorités marocaines. Pour conserver leur emploi
par exemple - au demeurant très pénible et mal
payé - ils doivent souvent avoir recours à la
corruption, quand ils ne sont pas purement et
simplement contraints de s'expatrier au Maroc où ils
forment un sous-prolétariat taillable et corvéable à
merci. Le nombre de travailleurs sahraouis est en
diminution constante, comme dans la société Fos-

111
Boucrâa (phosphates), pour ne citer que celle-ci. Les
artisans et les commerçants devant payer des impôts
de plus en plus lourds, sont obligés d'adhérer à des
partis politiques marocains.
Toutes ces contraintes se doublent d'une série de
mesures qui visent à contrôler les déplacements des
Sahraouis. S'il est aisé de se rendre au Maroc, les
autorités marocaines refusent tout passeport et toute
autorisation de déplacement aux Sahraouis désirant
partir à l'étranger. Ils sont également privés de liberté
d'expression et de réunion, soumis à des perquisitions
sans mandat, sujets à des arrestations arbitraires sans
inculpation et en dehors de l'intervention d'une
autorité judiciaire quelconque et, bien sûr, dans
l'impossibilité de faire appel à un avocat.
Au regard de cette situation, il s'avère difficile de
parler d'autre chose que d'une politique de « terre
brûlée» qui affecte la personnalité et l'identité
sahraouies. La mise en valeur du territoire que
certains journalistes philo-marocains ont cru déceler
au Sahara Occidental consiste en fait à piller les
richesses sahraouies, à mettre en œuvre une politique
de colonies de peuplement et de déculturation, à
construire casernes et prisons, à généraliser un
univers carcéral reposant sur une longue expérience
dont le peuple marocain a fait lui-même les frais.

Quelles sont les structures et les méthodes de


répression employées par les Marocains ?

L'appareil de répression marocain dans les terri-


toires occupés de la R.A.S.D. bénéficie de la

112
logistique et de l'expérience développées au Maroc
même. Il repose sur différents corps et institutions :
- La Direction de la sécurité territoriale, dirigée
par le ministre de l'Intérieur et de l'Information,
M. Oris Bassri, est un organe de renseignements, de
poursuites et de tortures.
- La Direction d'investigation technique contrôle
l'administration marocaine.
- Le Département de sécurité organise et planifie
les actions policières secrètes ou publiques.
- La Police judiciaire est chargée de l'arrestation,
des interrogations des suspects qui sont ensuite
transférés à la D.S.T. et au Maroc où ils disparaissent
le plus souvent après avoir subi diverses tortures. La
P.J. est dirigée par le gouverneur marocain d'El-
Ayoun, Saleh Zemrag.
- La Police administrative établit un dossier
détaillé sur chaque citoyen sahraoui et fiche tous les
suspects.
- La Direction de l'administration générale étudie
les rapports de police et établit les listes de suspects.
- Les Renseignements généraux collectent les
informations.
- Les agents de l'ordre et les forces militaires
assurent la protection des édifices publics, des caïds,
des pachas et des cheikhs et ils opèrent les arresta-
tions des suspects ainsi que les contrôles de police.
- La police militaire et la gendarmerie supervisent
l'ensemble de la répression, y compris contre les
récalcitrants marocains.
- Enfin, la direction générale de la Documenta-
tion, à laquelle appartient Saleh Zemrag, et que
commandait le général Ahmed Dlimi, que le roi fit

113
assassiner en février 1984, coiffe l'ensemble de
l'appareil de répression marocain.
Tous ces services utilisent la torture, faisant régner
la terreur dans les territoires occupés de la R.A.S.D.
Les sévices quotidiens, les arrestations arbitraires, la
répression féroce, la sauvagerie des troupes maro-
caines d'occupation, sont autant de faits qui devraient
inciter la communauté internationale, à l'instar des
organisations humanitaires et de défense des droits de
l'homme, à condamner le reg1me fascisant
d'Hassan II et à soutenir la lutte du peuple sahraoui.
Les tortures les plus fréquentes sont celles de l'avion
(le suspect est attaché en l'air, les mains et les pieds
dans le dos, une barre passant entre les cordes. Dans
cette position, il reçoit des coups des heures entières)
et de l'électricité (tout comme dans les geôles nazies
et les prisons coloniales françaises, le prisonnier se
voit appliquer « la gégène » sur les organes génitaux,
les oreilles, les plaies ouvertes ... ). De nombreuses
autres formes de tortures sont utilisées et le viol des
jeunes filles et des femmes est systématiquement
employé.

Le 16 octobre 1975, quelques semaines avant la


« marche verte», le roi du Maroc déclarait lors d'un
discours prononcé à Marrakech : <<Tout le monde a
reconnu que le Sahara nous appartient depuis la nuit
des temps.» Il est évident qu'il s'agit là d'une
usurpation mais sur quoi repose-t-elle ?

Le Maroc n'a en effet exercé aucune souveraineté


sur le Sahara occidental que l'histoire ait pu enregis-
trer ou retenir. Les historiens rapportent que jusqu'en

114
1912 le royaume ne possédait même pas la nature
juridique d'Etat et ne pouvait en conséquence exercer
de droits de souveraineté ( 1). Les sultans marocains
eux-mêmes ont reconnu que l'autorité de leur
royaume ne s'étendait pas au-delà du sud de l'oued
N oun ( Goulimine).
C'est ce qu'a affirmé le sultan Mohamed Ben
Abdallah dans une convention hispano-marocaine
signée avec le roi d'Espagne Charles III, le 18 mai
1767 à Marrakech. L'article 8 de ladite convention
représente un véritable« déclinatoire de compétence».
Il y est précisé en effet que : « Sa Majesté marocaine
s'abstient de délibérer au sujet de l'établissement que sa
Majesté catholique veut fonder au sud de la rivière
Noun, car elle ne peut se rendre responsable des
accidents et des malheurs qui pourraient se produire vu •
que sa souveraineté ne s'étend pas jusque-là. »
Quelques années plus tard, un autre sultan maro-
cain, Moulay Slimane, réaffirmait la même« action en
désaveu», dans le traité de Meknès du 1ermars 1799.
L'article 22 de ce traité hispano-marocain annonce
que « si quelques navires espagnols fais aient naufrage
sur la rivière Noun et sa côte, Sa Majesté marocaine,
quoique n'en possédant pas la souveraineté, promet
cependant ( ... ) d'employer les moyens ( ... ) pour
sauver et délivrer les équipages et les autres personnes
qui auraient le malheur de tomber entre les mains des
habitants de ces lieux ». Ce qui veut dire intervenir
auprès des autorités sahraouies. Dans ce même traité,
l'article 35 n'accorde de droit de pêche aux Espagnols
qu'au nord d' Agadir.

(1) « L'Empire chérifien de 1912 n'était pas un Etat, au sens du


droit public moderne», in Sahara et Communauté, Marc-Robert
Thomas, P.U.F., Paris, 1960.

115
Des dispositions semblables à celles du traité de
Meknès ont été prises lors du traité anglo-marocain
de Tanger, signé le 9 décembre 1865, portant sur les
« navires naufragés». Le traité hispano-marocain de
Tétouan concernant la pêche rappelle que l'autorité
du sultan ne dépasse pas l'oued Noun. Un autre traité
paraphé à Madrid le 20 novembre 1861, ayant trait
aux navires espagnols naufragés, reprend presque les
mêmes dispositions que le traité de Tanger.
L'historien marocain El-Alaoui écrit en 1832 dans
son ouvrage Kitab-al-Istiqsa-fi-akhbar-el-Maghreb-el-
Aqsa que le Maghreb El-Aqsa (le Maroc) est délimité
par la Moulaya ( oued) et les montagnes de Taza à
l'est, par la Méditerranée au nord et par l' Atlas au
sud. Pour sa part, Ibn Khaldoun écrit dans sa
Moukaddima que le Maroc, limité à l'est par la
Moulaya, s'étend jusqu'à Safi et se termine par les
montagnes de Darnes (Drâa).
D'autre part, jusqu'au :xxe siècle, le Maroc était
divisé en Bilad el-Makhzen - régions de
l'intérieur - sous contrôle du gouvernement et en
Bilad es-Siba - ou terres de dissidence - régions
correspondant au Rif et à l' Atlas, de Souss jusqu'à
l'oued Noun, qui échappaient à l'autorité du sultan.
Il y a lieu de se demander comment le gouverne-
ment marocain peut prétendre avoir de l'autorité sur
un pays aussi lointain que le Sahara Occidental, situé
au-delà de la terre de Bilad es-Siba sur laquelle il
n'exerce aucun pouvoir. Il faut savoir que jusqu'en
1956 au moins, l'opinion marocaine n'avait jamais
entendu parler du Sahara Occidental. Hassan II
lui-même, à l'époque prince héritier, ignorait l'exis-
tence de Tarfaya et dans son livre Sahara et
Communauté, Marc-Robert Thomas déclare : « Au

116
cours des années 1950 à 1956, j'ai eu pour condisciples
aux facultés de Rabat, Paris et Aix-en-Provence,
plusieurs jeunes Marocains qui occupent actuellement
des postes de premier plan dans l'administration et le
gouvernement du jeune Etat : le prince Moulay
Hassan, les directeurs de grands services, etc. Au cours
d'une conversation avec certains d'entre eux, je me
souviens avoir fait état de la province de Tarfaya ( ... ).
Or ces jeunes lettrés ignorent ( ... ) jusqu'à l'existence
même de cette province. »
Il est donc pour le moins surprenant de voir
quelques années plus tard le même Hassan et les
mêmes intellectuels revendiquer « la totalité des terres
qui s'étendent du Drâa au Sénégal et au Niger» !

Comment expliquez-vous, alors, cet esprit expan-


sionniste marocain ?

Avant de répondre à votre question, je voudrais


insister sur le fait qu'il y avait au Sahara Occidental un
pouvoir politique sahraoui, s'exerçant souveraine-
ment, indépendamment de toute autre force étran-
gère. D'aucuns affirment encore que c'est la dynastie
des Almoravides qui a réalisé« l'unité du Maroc». Or
l'histoire démontre que cette dynastie a été fondée
par des Sahraouis entre 1035 et 1070. Si l'on suivait ce
raisonnement, il appartiendrait à la R.A.S.D. de
revendiquer sinon la totalité du territoire du royaume
du Maroc, du moins sa partie méridionale jusqu'à
Marrakech!
Cela dit, l'esprit expansionniste marocain trouve
son origine dans la thèse du « Grand Maroc»
développée par le leader du parti marocain de

117
l'Istiqlal, Allal el Fassi qui, dès la fin du protectorat,
déclarait : « Le Maroc a pour limite, au sud, Saint-
Louis du Sénégal (2). » Un membre de sa famille
dessina alors la carte du projet et l'organe quotidien
du parti, Al Alam, la publia dans son édition datée du
7 juillet 1956.
Le projet comprend, outre le Maroc, tout le Sahara
Occidental, une partie de l'Algérie, la Mauritanie, la
partie nord-ouest du Mali et Saint-Louis du Sénégal.
Les richesses découvertes dans la région (pétrole en
Algérie, fer en Mauritanie, phosphates au Sahara
occidental) n'ont évidemment pas laissé insensibles
les idéologues de !'Istiqlal. Al Alam a d'ailleurs publié
dans le même numéro une étude sur l'importance
économique de la région, assortie d'un inventaire des
minerais et hydrocarbures que recélait son sous-sol.
Pour des raisons de pure tactique et d'opportunité, les
revendications portant sur les régions malienne et
sénégalaise seront temporairement «oubliées».
Un autre facteur motivait l'attitude de Allal el
Fassi : la nécessité de forger un nouvel idéal, après
l'indépendance du Maroc, et de s'assigner un grand
objectif pour nourrir son leadership. Mais l'idéal
expansionniste du leader de !'Istiqlal allait être
aussitôt «récupéré» par la monarchie, animée d'une
toute autre motivation : celle de glorifier la dynastie
Alaouite.
Quant à l'opposition de l'époque, l'Union Natio-
nale des Forces Populaires (U.N.F.P.), formée en
novembre 1959, elle prit rapidement ses distances à
l'égard de la thèse du « Grand Maroc». Ben Barka,
son leader, considérait en 1960 les revendications

(2) Discours de Tanger, 18 juin 1956.

118
«historiques» du Maroc comme une « opération de
diversion». Vous connaissez la suite ...

Sur quoi repose l'argumentation du « Grand


Maroc»?

Elle relève de l'arbitraire! et prétend tirer sa


justification de quatre éléments :
- « L'unité géographique et ethnique» en ce sens
que le Sahara Occidental est le prolongement du
Maroc. On se demande pourquoi le royaume chéri-
fien ne s'étendrait pas jusqu'en Afrique-du-Sud ou
jusqu'à la mer! N'importe quel pays peut, à la faveur
de cet alibi, étendre son territoire au détriment de ses
voisins.
- «L'existence de liens historiques de souveraine-
té». Mais, nous venons de le voir, les traités sont
formels : aucune trace de souveraineté marocaine sur
le Sahara occidental.
- La thèse de « l'Etat dynamique aux frontières
mouvantes» qui reprend exactement la thèse dévelop-
pée par Adolphe Hitler.
- Enfin, les chantres de l'expansionnisme maro-
cain prétendent que « les populations sahraouies
réclamaient la nationalité marocaine » ! La mission
d'enquête des Nations-Unies, en 1975, a pourtant
constaté et rapporté exactement l'inverse, à savoir le
rejet systématique de toute revendication étrangère et
l'exigence de l'indépendance. La Cour Internationale
de Justice de La Haye a d'ailleurs rejeté en octobre
1975 les prétentions marocaines. En fait, le « Grand
Maroc» est plus une idée ambitieuse qu'une réalité
historique.

119
La R.A.S.D. est à ce jour reconnue par soixante-
neuf Etats. Quelle place occupe réellement l'Etat
sahraoui sur l'échiquier mondial?

La R.A.S.D. occupe une place charnière entre le


Maghreb et l'Afrique Noire. Cette dimension arabo-
africaine caractérise le fait national sahraoui. Elle est
membre de l'Organisation de l'Unité Africaine
(O.U.A.) dont elle a assuré la vice-présidence en
1985; et ses premières reconnaissances, elle les a
reçues de plusieurs Etats africains. C'est en Afrique
qu'elle a compté et compte toujours ses soutiens les
plus fermes. C'est ensuite en Amérique Latine que la
R.A.S.D. a rencontré des échos favorables à sa lutte.
Ceci s'explique notamment par le fait que les Etats
latino-américains sont nés de luttes de libération
nationale tout au long du XIXe siècle et que la
R.A.S.D. est le seul Etat arabe à avoir subi une
colonisation espagnole.
Membre de l'O.U.A., la R.A.S.D. est également
respectueuse des principes intangibles du Mouvement
des Non-alignés. Le non-alignement de l'Etat
sahraoui est inscrit dans plusieurs de ses textes
fondamentaux et constitue une des bases de sa
politique internationale. Le royaume du Maroc viole,
quant à lui, les règles fondamentales du non-
alignement par l'octroi de bases à des forces étran-
gères, par sa politique d'intervention en Afrique
(Bénin, Zaïre ou même Mauritanie), par son agres-
sion de la R.A.S.D., etc.

Justement, peut-on dire que le conflit du Sahara


occidental est un lieu d'affrontement Est-Ouest ?

120
Vous voulez faire allusion aux assertions maro-
caines, qui tendent à placer le conflit sahraoui dans
l'affrontement Est-Ouest! Je me permets de vous
rappeler que le royaume du Maroc a toujours
claironné qu'il défendait les intérêts de l'Occident
face à la tentative de pénétration libyenne dans le
nord-ouest africain - la Libye étant perçue comme
un relais de l'infiltration soviétique en Afrique. Or, à
quoi a-t-on assisté? A une union contre nature entre
la Libye et le royaume du Maroc. N'est-ce pas la
preuve que la R.A.S.D. est indépendante de toute
pression et que les seuls intérêts qu'elle défende sont
ceux du peuple sahraoui ?

La problématique du Sahara Occidental est simple


et limpide : il s'agit d'un conflit de décolonisation qui
oppose un agresseur, le Maroc, à un peuple agressé,
le peuple sahraoui qui, pour conforter sa lutte
légitime de libération, s'est doté d'un Etat, la
R.A.S.D. Plutôt qu'à un conflit Est-Ouest, le roi du
Maroc serait mieux inspiré de faire allusion à une
opposition Nord-Sud, le Maroc jouant un rôle de
relais des puissances occidentales.
Alors que la R.A.S.D. n'a cessé d'œuvrer d'ar-
rache-pied pour que cette lutte demeure une lutte de
libération du peuple sahraoui, sans la participation de
toute autre partie, Hassan II n'a cessé d'œuvrer à
l'internationalisation du conflit. Son objectif actuel
est d'entraîner la région dans une nouvelle escalade
militaire et d'impliquer davantage les superpuis-
sances. La rencontre avec Shimon Pérès, les visites
d'officiers israéliens sur les positions marocaines, le
récent contrat de fournitures d'armement passé avec
l'Espagne - qui s'élève à 221 millions de dollars-,
pour ne citer que cela, le démontrent clairement.

121
L'Occident, qui pèse d'un grand poids dans les
relations internationales, se doit de prendre en
compte les aspirations légitimes du peuple sahraoui.
Chaque Etat européen doit reconnaître la R.A.S.D.
car c'est le seul moyen de ramener la paix dans la
région. La paix pour le peuple sahraoui mais aussi
pour le peuple marocain. L'Europe n'a rien à gagner
à la persistance d'un conflit à ses portes, qui peut
déstabiliser tous les pays de la région.
Un Maghreb débarrassé de cette guerre, et au sein
duquel s'intégrerait un ensemble sahraoui indépen-
dant, pourrait former très rapidement un partenaire
économique privilégié, qui comptera près de
100 millions d'habitants en l'an 2000.
En faisant prévaloir le droit sur la force, l'Europe
aura contribué à rétablir la paix dans la région et
permis l'amorce d'une coopération multidimension-
nelle entre deux ensembles géopolitiques que tout
rapproche, à commencer par l'histoire, la géographie,
la culture et la complémentarité économique. La
constitution d'un intergroupe parlementaire « Paix
pour le peuple sahraoui» au Parlement Européen est
l'amorce d'une évolution positive.

Quelles perspectives et quelles solutions envisagez-


vous à ce conflit qui dure depuis plus de onze ans ?
Peut-on espérer une issue à court terme ? Laquelle ?

Dix ans après son invasion du territoire de la


R.A.S.D., le Maroc a échoué dans sa tentative
d'annexer et de marocaniser le peuple sahraoui. La
poursuite et le développement de la répression, le
refus d'accepter le plan de paix que recommande la
communauté internationale, constituent autant de

122
preuves de cet échec, malgré le zèle des soldats, des
policiers, des tortionnaires. L'oppression n'a fait que
renforcer le désir et la volonté des Sahraouis de vivre
libres et indépendants. Comme le peuple français
sous la domination nazie de 1940 à 1944, ils ont réussi
à transformer leurs geôles, leurs souffrances et leurs
tortures en un combat d'où ils sortent renforcés dans
leur unité et leur volonté de rester eux-mêmes et sur
leur territoire.
Ce cycle résistance-répression, ces violations répé-
tées des droits de l'homme, la guerre, tout cela
devrait inciter les alliés du Maroc et ses bailleurs de
fonds ou d'armes à reconsidérer leur soutien à un
despote qui non seulement opprime le peuple
sahraoui mais également son propre peuple.
Comment peut-on imaginer qu'à la fin du :xxe siècle
des entreprises de génocide continuent dans la
quasi-indifférence des gouvernements occidentaux et
de nombreux mass-media? Le génocide qu'a connu le
peuple arménien se répétera-t-il à l'égard des
Sahraouis? On pourrait le penser s'il n'y avait la
résistance farouche opposée par notre peuple sous la
conduite du Front Polisario.
Le 16 octobre 1985, soit dix ans après l'invasion
marocaine, vingt et un jeunes Sahraouis des terri-
toires occupés ont rejoint le Front Polisario. Une
décennie d'occupation n'a donc pu empêcher l'identi-
fication du peuple sahraoui à la lutte conduite par
notre mouvement de libération.

Les journalistes et les politiciens complaisants,


aveuglés par les largesses royales qui n'ont d'égal que
la misère du peuple marocain, tout ceux qui profitent
des facilités accordées dans le royaume chérifien aux
défenseurs de la thèse de la marocanité du Sahara,

123
doivent cesser leur soutien à Hassan II. Qu'ils
méditent par ailleurs un vieux proverbe sahraoui qui
rend compte de la prétendue soumission de notre
peuple dans les territoires occupés : « Embrasse la
main que tu ne peux encore couper.»
Le Front Polisario est clair. La solution de ce conflit
passe par le respect du droit international, du droit à
la décolonisation, et par la mise en œuvre du
processus d'indépendance détourné et stoppé par
l'agression marocaine en 1975.

Le cadre légal est celui du droit du peuple sahraoui


à l'autodétermination et à l'indépendance. Hors de ce
cadre aucune solution n'est possible. Un plan de paix
universel relatif à la question sahraouie existe : c'est
la Résolution A.G.H. 104 R.S. de l'O.U.A. qui a été
reprise par l'Assemblée Générale de l'O.N.U. (Réso-
lutions 39-40, 40-50 et 41-16 des XXIe, XXIIe,XXIIIeet
XV sessions de l'O.N.U.). Cette solution a été en
outre reprise par le Mouvement des Non-alignés et ce
consensus international n'est plus rejeté que par le
Maroc.
S'obstinant dans sa politique du fait accompli
militaire, le royaume chérifien s'isole de plus en plus,
et après avoir quitté l'O.U.A. et boycotté l'O.N.U., il
s'achemine vers son retrait de toutes les organisations
internationales. Il est de l'intérêt des alliés du Maroc
de l'amener à composer avec le Front Polisario. Tous
les conflits se terminent un jour ou l'autre à la table
des négociations, et le conflit du Sahara Occidental ne
peut faire exception à cette règle.

L'ouverture de pourparlers indirects, officiels,


entre le Maroc et la R.A.S.D. à l'O.N.U., marque
une avancée. Certes, ce ne sont pas encore les

124
négociations directes que réclame le plan de paix
international mais cela arrivera un jour. Le refus de
négocier du Maroc est d'autant plus étonnant que des
rencontres directes ont eu lieu à plusieurs reprises
entre les représentants officiels du Maroc et les
représentants du Front Polisario, au Mali en 1978, à
Alger en 1983 et au Portugal en 1985.
Cette intransigeance du Maroc n'est pas sans
rappeler son attitude à l'égard de la Mauritanie qu'il a
revendiquée jusqu'en 1969 !
La seule solution est donc, je le répète, de s'asseoir
autour d'une table et de discuter. C'est le préalable.
Le plan de paix qui prévoit le cessez-le-feu et
l'organisation d'un référendum d'autodétermination
libre, régulier et sans contrainte, constitue les étapes
suivantes. Ce qui passe par le retrait des forces
d'occupation marocaines du territoire sahraoui car on
n'a jamais vu de référendum organisé sous la
contrainte des armes et des baïonnettes.
Le Front Polisario a, à maintes reprises, par la voix
de ses plus hautes autorités, tel que Mohamed
Abdelaziz, Président de la R.A.S.D. et Secrétaire
général du Front Polisario, affirmé son acceptation du
plan de paix universel et sa disponibilité à négocier.
Le blocage, ainsi que l'ont mentionné l'O.U.A. et
l'O .N. U., est le fait du royaume du Maroc. Seule une
pression internationale résolue peut le ramener à la
raison.
Une chose doit cependant être claire : c'est la
volonté des Sahraouis de ne pas accepter la cession
d'un mètre carré de leur territoire national.

Pour de nombreux observateurs, le conflit du


Sahara Occidental semble être entré dans une situation

125
de « ni guerre ni paix », les murs de déf~nse marocains
ayant entraîné une accalmie et une nette baisse des
actions militaires de I' Armée de libération populaire
sahraouie. Est-il exact d'affirmer que le Front Polisa-
rio a compensé sa perte de terrain sur le plan militaire
par une percée diplomatique ?

Cette question m'offre l'opportunité de « tordre le


cou» à un mythe, diffusé par le Maroc et ses relais
médiatiques dans le monde : le Front Polisario
marquerait des points dans le domaine diplomatique
et subirait un recul sur le plan militaire. Cette
affirmation ne résiste pas à une analyse sérieuse des
faits et de la situation générale prévalant sur le
terrain. Je vous renvoie à cet effet au chapitre de ce
livre sur la situation militaire et ne peux que vous
répéter : les « murs de défense» marocains prouvent
l'échec de la tentative d'occupation et d'intégration
du territoire sahraoui dans le royaume chérifien.
Certes, il y a eu un ralentissement des opérations
militaires dû à divers facteurs. Face à l'esprit belliciste
du Maroc, la R.A.S.D. s'est en effet efforcée de
parler de paix, préférant la négociation et la discus-
sion à la voix des armes. Mais devant l'intransigeance
marocaine, notre armée a repris et intensifié ses
harcèlements et ses attaques. Après avoir adapté leur
stratégie aux nouvelles conditions de la guerre, les
combattants de l' A.L.P .S. détiennent l'initiative des
opérations et contraignent Rabat à maintenir sur la
défensive plus de 160 000 hommes, le long de plus de
2 600 km de murs.
Oubliée et sacrifiée dans des étendues arides,
l'armée marocaine se trouve dans une situation
identique à celle des soldats du livre Le Désert des

126
Tartares de Dino Buzatti. Nous avons opté pour une
guerre d'usure qui vise non pas à battre l'armée
d'Hassan II mais à maintenir une pression telle que le
Maroc sera forcé de négocier la paix.

Certaines interrogations subsistent sur les limites


précises que possédera l'Etat sahraoui lors de son
accession définitive à l'indépendance ...

Il ne peut y avoir de doute ou diverses réponses à


cette question. Le territoire de la R.A.S.D. s'étend
sur 284 000 km 2 , soit environ la moitié de la France. Il
est bordé au nord par le Maroc, à l'est par l'Algérie,
au sud-est et au sud par la Mauritanie et à l'ouest par
l'océan Atlantique. Il a des frontières clairement
définies, héritées de l'époque coloniale et détermi-
nées par les conventions franco-espagnoles de 1900,
1904 et 1912. Le Front Polisario, le peuple sahraoui et
le gouvernement de la R.A.S.D. ne demandent que
ce territoire, tout ce territoire, rien que ce territoire.
Certes, avant l'avènement de la colonisation, le
Sahara Occidental était délimité par des frontières
appelées Khatt-el-Khaouff ou « lignes de la peur».
Elles correspondaient grosso modo à la délimitation
du territoire de l'intérieur, par les points d'appui
économiques que représentaient les ports d'attache
du trafic caravanier ou foires régionales se tenant
périodiquement, tour à tour à Goulimine au Maroc, à
Tindouf en Algérie, à S'mara au Sahara occidental et
à Chenguitti en Mauritanie.
Nous savons que certains s'interrogent sur d'hy-
pothétiques revendications territoriales sahraouies à
l'égard de ces trois pays. Que ces gens cessent de

127
« chercher midi à quatorze heures» comme l'on dit en
Europe. Le Front Polisario et le gouvernement
sahraoui n'ont aucune revendication territoriale sur
les Etats limitrophes. Respectueuses de la légalité
internationale, soucieuses de se plier aux normes du
« jus cogens » et du droit international positif, les
autorités sahraouies n'utilisent pas les arguments
marocains fondés sur la force, la violence ou des
données historiques douteuses.
Le peuple sahraoui est conscient de ses droits et de
ses devoirs, tout comme il l'est de sa force et de son
bon droit. Même s'il avait quelques bonnes raisons
historiques et juridiques de revendiquer certaines
portions du territoire marocain (province de Tarfaya,
par exemple), il dépasserait aisément ces contin-
gences matérielles afin de vivre harmonieusement
avec ses voisins. Cette générosité ne doit pas être
interprétée comme un signe de faiblesse mais té-
moigne de la maturité du peuple sahraoui qui, par
ailleurs, est prêt à tous les sacrifices pour récupérer la
moindre parcelle occupée de son territoire national.

Reprenons l'argument «population». Une contro-


verse existe à ce sujet. A combien estimez-vous la
population sahraouie ?

Effectivement, la réponse n'est pas facile. Pendant


longtemps on a nié l'existence du peuple sahraoui afin
de faciliter son assimilation, par l'Espagne, puis par le
Maroc. Certes, on admettait l'existence d'habitants
sur le territoire du Sahara occidental mais seulement
d'individus isolés, de nomades sans cohésion, sans
patrie, sans Etat. Les coloniser c'était leur apporter la
civilisation. Les quelques réfractaires au «progrès»

128
seraient éliminés. Mais en raison de la levée en masse
du peuple sahraoui, c'est à une politique de génocide
que durent se livrer les occupants.
Ainsi, lors de l'opération hispano-française « Oura-
gan-Ecouvillon» en 1958, des dizaines de milliers de
Sahraouis trouvèrent la mort et des dizaines de
milliers d'autres durent s'exiler. Lors de la « Marche
noire», de novembre 1975 à mars 1976, combien
d'entre nous périrent sous les bombes de l'aviation
marocaine ou à la suite des exactions des forces
d'invasion maroco-mauritaniennes?
Toutes ces victimes, ainsi que les nombreux
disparus, rendent difficile une évaluation précise.
D'autant plus qu'en dehors des campements de
Tindouf, il est impossible de savoir exactement le
nombre de Sahraouis réfugiés à l'étranger, en Mauri-
tanie, au Mali, dans les Iles Canaries ou bien encore
retenus au Maroc (province de Tarfaya, de Goulimine
ou dans le nord du pays).
Cela dit, de nombreux chiffres circulent. Ils sont
plus ou moins proches de la réalité, selon les intérêts
que l'on défend. Ainsi, lors des recensements qu'elle
a effectués en 1970, l'Espagne, puissance occupante,
s'est efforcée de sous-estimer l'importance numérique
des habitants du Sahara Occidental afin de faciliter sa
politique d'intégration. Le chiffre de 70 000 Sahraouis
avancé par les espagnols est largement en-dessous de
la vérité.
Actuellement, dans les campements de réfugiés
situés près de Tindouf, il y a 165 000 réfugiés
Sahraouis, essentiellement des enfants, des personnes
âgées et des femmes - les hommes se trouvant au
front. Si l'on rajoute les combattants de l' A.L.P .S.,
les Sahraouis demeurés en zone libérée, ceux habitant

129
dans les zones occupées de la R.A.S.D., ceux qui se
sont réfugiés ou habitent à l'étranger, on dépasse
largement le chiffre de 300 000 avancé par certains
observateurs.

D'un point de vue juridique, la R.A.S.D. peut certes


accéder pleinement au rang d'Etat. Mais cet Etat
sera-t-il viable pour autant? N'est-il pas guetté par
une dépendance politique ou économique envers ses
voisins plus puissants ?

Que faut-il entendre par Etat viable? Aucune règle


n'a été édictée en la matière. Qui pourrait d'ailleurs
élaborer une telle norme? D'autre part, ceux qui se
posent la question de la viabilité de la R.A.S.D. ne
cherchent-ils pas en réalité à nier une telle possibili-
té? Ne sont-ils pas les mêmes qui affirment que le
Sahara Occidental ne peut exister en tant qu'Etat car
sa population serait trop peu importante, son sol trop
aride, sa République une « tare historique a-étatique»
et que sais-je encore? Les procès d'intention ne
manquent pas.
Prenons le premier argument, la faible importance
numérique du peuple sahraoui : non seulement elle
doit être relativisée, ainsi que nous l'avons dit
précédemment, mais il faut la comparer à celle de
nombreux Etats dont le nombre d'habitants est
inférieur - ou guère supérieur - à celui de la
R.A.S.D., sans que cela altère en quoi que ce soit
leur existence ou leur viabilité (San-Marin, le Liech-
tenstein, Monaco, Luxembourg, le Qatar, le Bahrein,
Vanuatu, l'Islande, etc.).

130
L'argument économique ne tient pas non plus. De
nombreux observateurs mal informés ou mal inten-
tionnés en sont restés à l'image d'Epinal, sortie des
livres de l'histoire coloniale, de ces « Bons sauvages»
qui, s'ils devenaient indépendants, ne pourraient
survivre que grâce aux aides internationales qu'ils
recevraient sous leur tente, au milieu de quelques
chèvres et dromadaires faméliques! Dois-je préciser
que la vérité est toute autre?
N'oublions pas que le conflit du Sahara Occidental
découle certes de plusieurs facteurs, politiques,
sociaux, historiques, stratégiques, mais que l'enjeu
économique est loin de constituer l'un des moindres.
Que ceux qui s'interrogent et s'inquiètent du sort des
Sahraouis, de leur chance de survie dans un Etat
indépendant, soient rassurés. Les descendants des
nomades n'auront pas à attendre les subsides de l'aide
internationale car la viabilité de l'Etat sahraoui est
largement garantie par de nombreuses richesses
géologiques et de grandes potentialités économiques.

Des richesses suffisantes pour compter comme


partenaire économique ?

Et comment ! On parle beaucoup des phosphates,


mais il y a d'autres richesses sur la côte sahraouie, de
réputation mondiale! Cette zone est l'une des plus
poissonneuses du monde et le banc sahraoui s'étend
sur 150 000 km 2 , comprenant plus de 130 espèces de
poissons et environ 60 espèces de mollusques et de
crustacés. En 1975, le banc avait une production
annuelle de 10 tonnes au kilomètre carré. La richesse
de ce banc - actuellement soumis au pillage des
flottes de bateaux-usines des grandes puissances

131
maritimes - est telle qu'elle permettrait l'approvi-
sionnement de tous les pays du Maghreb et un large
excédent pour l'exportation.
Quant aux phosphates, le gisement phosphatier de
Bou-Crâa (il en existe d'autres), découvert en 1947, a
des réserves évaluées à 3,4 millions de tonnes, soit
trois siècles d'exploitation. Cette exploitation aisée
- car à ciel ouvert - d'un minerai d'une qualité
exceptionnelle permet une exportation à des coûts
très intéressants par le tapis phosphatier long de
97 km qui relie le gisement de Bou-Crâa au terminal
du port d'El-Ayoun. Le retour à la paix et l'indépen-
dance de la R.A.S.D. permettraient rapidement
d'atteindre une production de 10 millions de tonnes
par an et une exportation vers les Etats-Unis, la
C.E.E., les pays socialistes et les pays du Tiers-
Monde.
Il y a aussi le pétrole et le gaz. Ce secteur est
entouré d'un véritable mur du silence. Pourtant, il y a
des indices certains de pétrole et de gaz entre El
Ayoun et Dakhla (Villa-Cisneros) ainsi que dans le
nord-ouest de la Seguiet el Hamra. Le « black out»
imposé sur les recherches pétrolières interdit d'avan-
cer des chiffres mais l'intérêt persistant des sociétés
pétrolières confirme la présence de nappes impor-
tantes, dans le nord et au large des côtes de la
R.A.S.D.
D'autres minerais existent en abondance. Un
gisement de fer d'une teneur de 65 % prolonge celui
de Gara Djebilet, en Algérie, et d'autres sont situés
dans le prolongement de Zouerate en Mauritanie.
Tous ces gisements sont exploitables à ciel ouvert et
placent la R.A.S.D. parmi les pays à forte réserve
dans ce domaine. On trouve également en territoire

132
sahraoui de l'antimoine, du cuivre, du sel, du nickel,
du tungstène, de l'étain, du chrome, du platine, de
l'or, de l'argent, du coridon (rubis et saphir), du
manganèse, de l'uranium. Toutes ces richesses sont
plus que suffisantes pour assurer la viabilité de
l'économie sahraouie.
Dans un cadre étatique indépendant, la R.A.S.D.
formerait un véritable Eldorado et la prospérité de ses
habitants n'aurait rien à envier à un quelconque pays,
voire même à un pays de la péninsule arabique. Que
manque-t-il alors? La volonté dù peuple sahraoui?
Ceux qui ont eu l'occasion de visiter les campements
de Tindouf peuvent juger de cette volonté qui
s'exprime à travers les ateliers artisanaux, la petite
industrie, les centres professionnels, les jardins
expérimentaux, l'élevage, etc. Ces réalisations, pour
modestes qu'elles soient, sont énormes quand on sait
qu'elles ont vu le jour dans une contrée aride, la
Hamada de Tindouf, connue pour son caractère
inhospitalier, et de plus en mettant en œuvre des
moyens dérisoires.
Si la R.A.S.D. pouvait porter tous ses efforts sur la
satisfaction des aspirations et des besoins du peuple
sahraoui, si elle était en mesure de concentrer toutes
ses énergies et toutes ses potentialités dans le
domaine civil, dans le secteur de l'économie et du
social, si elle n'était pas contrainte d'assumer un
énorme effort de guerre pour garantir la survie du
peuple sahraoui, alors la question de la viabilité de
notre Etat ne se poserait plus du tout sous peine de
ridicule ...

En dix ans, le Front Polisario a réalisé une


expérience unique dans le Tiers-Monde : construire un

133
Etat en exil. Comment s'organise cet Etat, quel est le
fonctionnement de la société sahraouie ? Finalement,
qui êtes-vous?

Le système social que connaît depuis 1975 le peuple


sahraoui, que ce soit dans les campements de réfugiés
- en zone concédée par l'Algérie - ou dans les
territoires libérés, n'a pas surgi sous l'effet d'un coup
de baguette magique. Il plonge ses racines dans un
passé séculaire et dans un présent de résistance, de
lutte, conduites pour une double libération : celle de
la terre et celle des hommes. Pour comprendre la
situation actuelle, il faut faire un léger retour en
arrière.
La société traditionnelle sahrouie était dominée par
certaines spécificités que nous retrouvons actuelle-
ment en R.A.S.D. Ainsi, elle était - et reste - une
société communautaire, marquée par le nomadisme
et une grande solidarité entre les membres du groupe,
qui existait au-delà des liens de sang. Dans cette
société de subsistance, tout s'inscrivait jusqu'en 1950
environ dans une « économie du don» ayant un
fondement tridimensionnel (donner-recevoir-rendre)
et dans une logique bédouine (tribale). Dans le
groupe, au sein du même campement, ceux qui
possédaient donnaient à ceux qui se trouvaient
démunis et ceux-ci leur rendaient soit sous forme de
travail (garde des troupeaux, petits travaux ... ), soit
par la reconnaissance d'une certaine autorité.
Autre particularité de cette société : l'importance
des femmes qui participaient à la traite et aux soins du
cheptel, à la sécurité des campements en dehors des
tâches ménagères, à la fabrication des tentes, des
tapis ... Ces particularités se retrouvaient au sein de

134
tous les groupes humains qui nomadisaient au Sahara
occidental.
Ces groupes partageaient en outre le même refus de
tout pouvoir exogène, l'amour de la liberté, les
mêmes us et coutumes, les mêmes habitudes vesti-
mentaires (boubou, daraa, melfa), un art culinaire
similaire, etc. La colonisation espagnole puis l'inva-
sion marocaine vont bouleverser cette société tradi-
tionnelle. Le phénomène de sédentarisation s'accé-
lère alors. Les activités de subsistance (agriculture,
pêche, élevage) et de suffisance (commerce) régres-
sent.
Le processus d'accumulation supplante l'économie
du don et les Sahraouis commencent à travailler dans
le commerce urbain, dans les travaux publics, dans
l'armée et la police ainsi que dans la pêche industrielle
et l'industrie des phosphates.
Au plan social, la «modernité» se traduit par une
réduction de la cellule familiale, un affaiblissement
des liens de solidarité, une dévaluation du rôle de la
femme et un conflit de génération accompagné d'une
régression du rôle des personnes âgées. Les notables
et les Chioukh seront nommés et payés par l'Espagne
puis par le Maroc. Détenteurs d'un pouvoir de plus en
plus restreint, on dira d'eux qu' « ils portent le
burnous».

Comment, dans ces conditions, retrouver votre


identité profonde ?

Le projet de société que met en place le Front


Polisario dès 1973 puis surtout à partir de 1976 vise à
aider le peuple sahraoui à la retrouver, à jeter un pont

135
entre un passé vécu et un avenir à construire, en
assumant un présent de résistance. Notre mouvement
s'est attaqué résolument à la réduction des disparités
sociales, à la restauration de la place de la femme
dans la société. En effet, comme pour toute chose, on
ne bâtit pas sur du vide, il n'existe pas de point zéro.
Tout tourne autour d'un aspect fondamental : la place
de l'homme dans la société, le développement de
pratiques sociales réellement communautaires et
égalitaires.

Avant de poursuivre, je voudrais vous donner une


précision sur le découpage territorial de la R.A.S.D.,
qui s'organise autour de quatre régions-départements
(les willayas). Ces willayas portent le nom des
principales villes sahraouies actuellement occupées
par le Maroc : El-Ayoun, capitale politique du Sahara
Occidental, Dakhla, sa capitale économique, Smara,
sa capitale religieuse, et Aousserd. Elles sont elles-
mêmes divisées en communes-cantons, les Daïras.
Ces structures territoriales installées provisoirement
en Algérie sont prévues pour une réinstallation
immédiate en territoire sahraoui.

Alors, comment s'organise pratiquement la société


sahraouie aujourd'hui? Elle repose sur les comités
populaires de daïra, au nombre de cinq, qui sont des
organismes d'administration et de production régis-
sant la vie socio-économique du peuple sahraoui dans
les domaines jugés fondamentaux. Les comités popu-
laires regroupent tous les Sahraouis âgés de plus de
quatorze ans, sans considération de sexe ou de
qualité. Cette participation de tous vise à l'autosuffi-
sance et repose sur la volonté affirmée de compter
avant tout sur nos propres forces.

136
- Le comité de l'Education participe au bon
fonctionnement du système éducatif sahraoui et
représente le ministère de l'Education et de l'Ensei-
gnement, au niveau de la daïra. Il s'occupe des
enfants et oriente les jeunes mères pour l'hygiène.
Vous remarquerez que malgré les conditions particu-
lièrement dures (guerre, milieu inhospitalier), l'en-
semble des enfants garçons et filles est aujourd'hui
scolarisé en R.A.S.D. De même, des campagnes
d'alphabétisation permettent de faire reculer l'igno-
rance parmi les femmes, les personnes âgées ou les
combattants de l'A.L.P.S., voire même parmi les
prisonniers marocains.

- Le comité de la Santé s'occupe de tous les


problèmes sanitaires dans les campements (hygiène,
prévention, soins, vaccinations .. ). Son efficacité a
permis d'éradiquer des maladies comme le trachome
et d'enrayer les épidémies qui avaient décimé la
population des campements lors de l'invasion maro-
co-mauritanienne. Il applique les orientations du
ministère de la Santé, qu'il représente.

- Le comité de !'Approvisionnement ou de !'Ali-


mentation, est chargé de la réception, du recensement
et de la redistribution des provisions, de la nourriture
et des biens mobiliers (meubles, gaz, couvertures) ou
immobiliers (tentes). Tout comme pour l'éducation et
la santé, ses prestations sont entièrement gratuites.

- Le comité de la Justice ou des affaires sociales


contribue à la résolution des différends d'ordre
strictement social et s'occupe du domaine social en
général (mariage, divorce, état-civil, circoncision,
recensement ... ). Il applique les orientations du
ministère de la Justice au niveau de la daïra.

137
- Le comité de /'Industrie artisanale s'occupe de la
production des biens et produits usuels sahraouis :
instruments de cuisine, de décoration, pipes, tapis,
nattes, tentes, vêtements ... alors qu'il manque cruel-
lement de matières premières et de matériel de
fabrication (métiers à tisser, machines à coudre ... ).
Chaque daïra est administrée par le Conseil
populaire de daïra composé de six membres élus
démocratiquement (3) lors des congrès populaires de
base où tous les citoyens âgés de plus de 18 ans ont
droit de vote. Ce Conseil populaire est une référence
directe à la djemâa locale traditionnelle. Vous trouvez
également dans les daïras des « départements spéciali-
sés» qui assurent une mission de formation des
spécialistes, règlent les problèmes techniques pouvant
entraver le fonctionnement de l'administration de la
daïra, assurent la logistique auprès des comités
populaires et du Conseil populaire. Ils font le lien
entre la population de la daïra et les ministères. Ils se
composent de spécialistes, de techniciens et des
responsables des comités populaires. Chacun d'eux
est animé par un directeur désigné par le ministère de
tutelle (par exemple le directeur du département
spécialisé de l'Enseignement est nommé par le
ministère de l'Education et de l'Enseignement).
Au niveau régional figure le Conseil populaire de
willaya qui regroupe trois types de représentants : les
Présidents des Conseils populaires de daïras, les
directeurs des départements spécialisés et le wali qui
préside ce Conseil. Il est l'équivalent .de votre préfet
de département et de région. Comme vous le
constaterez, le système administratif sahraoui est

(3) Ce sont les cinq responsables des Comités populaires et le


Président du Conseil.

138
fondé sur l'intégration de la majorité des habitants de
la daïra au sein des activités étatiques.

Le projet de société défini par le Front Polisario


a-t-il des fondements socialistes, communistes, islami-
ques?

Vous posez là un faux problème. Le Front Polisario


récuse tous ces qualificatifs et refuse d'être catalogué
selon des données exogènes, selon des présupposés
idéologiques théoriques. Le mouvement sahraoui et
la société qu'il s'efforce de promouvoir obéissent à
des considérations beaucoup plus pragmatiques et
profondes. Dès la proclamation de la R.A.S.D., les
dirigeants sahraouis ont élaboré un cadre institution-
nel et constitutionnel. De ces textes constitutifs de
l'Etat, il ressort que la R.A.S.D. est une République
se définissant par la place centrale occupée par le
peuple.
Le fondement de notre système politique se situe
dans la pratique, dans la vie quotidienne et non pas
dans des textes idéologiques théoriques. La société
sahraouie est une société profondément communau-
taire depuis des siècles, une société dans laquelle
aujourd'hui les systèmes républicain et démocratique
sont de rigueur. J'ajoute que notre volonté est
d'instaurer dès que possible cette société civile à
laquelle nous aspirons tous. Notre discours, qui a
toujours été légaliste et pacifiste, en témoigne.

Je voudrais revenir sur l'islam qui occupe une place


importante dans la société sahraouie. Comment se
présente-t-il ?

139
L'islam tel qu'il existe et tel qu'il est pratiqué par
les Sahraouis est un islam simple, profond, ancré dans
la vie ancestrale. Il a pénétré dans la société sahraouie
dès le VIIIe siècle (avec l'arrivée des Arabes). Au XIIIe
siècle, l'ensemble du nord-ouest africain est islamisé.
Ce petit rappel historique s'avère important car il
explique en partie la situation actuelle. Ainsi, ce sont
les tribus maraboutiques sahraouies et maurita-
niennes qui permettront la pénétration de l'islam en
Afrique noire, dans le Soudan (le pays des Noirs).
Peu de choses ont changé par rapport à cette
époque. L'islam des Sahraouis du xxe siècle est le
même que celui du XIIIe : un islam dépouillé que
chaque individu pratique en communion avec Dieu,
un islam fait de tolérance. Au Sahara Occidental, il y
a eu et il y a peu de mosquées. Le lieu de prières est
délimité dans le désert par des cercles de pierres, avec
le ciel comme toit et l'immensité comme cadre.
L'homme n'a pas besoin d'intermédiaire pour s'adres-
ser à Dieu et aucun Sahraoui n'admet une autorité
religieuse entre lui et la divinité. Chez nous, il n'existe
pas d 'Emir Al Mouminin ( Commandeur des
Croyants) comme au Maroc.
La société sahraouie, qui se caractérise par cet
islam très proche des sources, un « islam bédouin »,
était appelée aux XVIIIe et xrxe siècles « la Terre des
Saints» car elle était un foyer intense de foi religieuse.
Certes, il existait des hommes, marabouts ou cadis,
particulièrement vénérés pour leur foi ou leur savoir
religieux, mais ce respect s'adressait à l'homme et ne
lui conférait aucun pouvoir politique en dehors de son
« aura religieuse ».

Profondément marqués par cet islam, les Sahraouis


ont proclamé à plusieurs reprises le «Djihad» (guerre

140
sainte) afin de repousser les envahisseurs européens,
voire les tentatives d'invasion du Maroc. Il fut utilisé
comme instrument de lutte pour le respect et le
développement des spécificités sahraouies, et servit
de ferment à l'unicité nationale durant la colonisation
espagnole. Cet islam sahraoui sert de nos jours à
exprimer le rejet de l'occupation marocaine par les
populations qui vivent sous la botte de l'armée royale.
Ainsi, dernièrement, lors d'une visite du roi Hassan
II à El Ayoun, un cheikh sahraoui fut présenté au roi
qui lui tendit la main afin que le Sahraoui s'agenouille
et la lui baise. Mais le cheikh refusa dignement de
s'exécuter et Hassan II en fut pour ses frais! (La
tradition veut qu'au Maroc tout sujet du roi lui
embrasse la main à genoux et se prosterne aux pieds
du souverain, l'Emir Al Mouminin). Pour toute
réponse, le cheikh sahraoui déclara que le roi
Hassan II n'était qu'un homme comme lui-même, un
simple mortel, qu'il n'y avait de Dieu qu'Allah et qu'il
ne voyait pas pourquoi il devait marquer un respect
particulier à un homme descendant comme lui de
Mohamed (Chorfa), de surcroît plus jeune que lui et
qui venait chez lui ...
La religion telle qu'elle est pratiquée en R.A.S.D.
est indissociable de son projet politique qui est
l'avènement d'une société moderne, meilleure, dans
laquelle le respect de la personne humaine occupe
une place centrale. On ne coupe pas de mains en
R.A.S.D., pas plus qu'on n'impose la pratique
religieuse à ceux qui n'en veulent pas. Il ne sert a rien
de comparer notre situation religieuse avec ce qui
prévaut dans d'autres pays tels que le Maroc ou la
Mauritanie.
L'islam sahraoui n'a pas de modèle, il est et
demeure ce que les Sahraouis en ont fait et il

141
n'appartient qu'à eux seuls de le modifier, de
l'accepter ou de le rejeter.

Vous faites sans cesse référence aux racines ances-


trales de la société sahraouie actuelle, il est pourtant
un aspect fondamental que le Front Polisario rejette :
je veux parler du tribalisme. Qu'en est-il aujourd'hui?

La dimension tribale du peuple sahraoui est une


donnée historique qui appartient au passé. La société
traditionnelle du Sahara occidental était une société
divisée en fractions, en tribus et en confédérations de
tribus car les considérations socio-économiques liées
au contexte historique et aux contraintes naturelles et
climatiques imposaient une telle situation.
Certes l'Espagne a pu et a su mettre à profit
certaines divisions entre groupes humains nomadisant
sur le territoire du Sahara occidental afin de s'implan-
ter sur les côtes sahraouies puis coloniser peu à peu le
territoire. Mais ces divisions n'ont en rien altéré la
résistance générale de l'ensemble des tribus
sahraouies à cette pénétration coloniale espagnole ou
à la présence française dans les territoires environ-
nants (Algérie, Maroc, Mauritanie, Mali).
Par ailleurs, ce qui rassemblait le peuple sahraoui
(culture commune, langue, religion, coutumes, struc-
ture sociale, art ... ) était plus important que ce qui
pouvait le diviser (conflits de personnes, divergences
con j onctuelles sur des parcours de nomadisation ... ) .
Les conflits qui pouvaient survenir étaient en général
réglés par l' Aït-Arbiin, c'est-à-dire le Conseil des
Quarante. Cette assemblée, qui se composait des
représentants de toutes les tribus sahraouies, régulait

142
la vie au Sahara occidental, atténuant les tensions,
développant une politique supra-tribale, à l'échelle du
peuple sahraoui. Appelée également« la main-forte»,
cette institution levait les contingents dans les tribus
en cas de danger.

Dès sa création, le 10 mai 1973, le Front Polisario


s'est fixé comme objectif de regrouper le peuple
sahraoui autour d'un projet de société et d'un objectif
commun, à savoir l'indépendance du peuple et de
l'Etat sahraouis.

La mise en œuvre d'une telle politique nécessitait la


réunion de toutes les énergies, de toutes les compo-
santes du peuple sahraoui, sans exclusive aucune, et
donc le dépassement de toute notion tribale. Cet
objectif fut atteint dès les premières années du Front
Polisario et culmina le 12 octobre 1975 avec la
Journée de l'Unité nationale qui vit l'ensemble de la
société sahraouie- jeunes, vieux, hommes, femmes,
cheikhs, notables - se regrouper autour de notre
mouvement de libération.
La proclamation de la R.A.S.D. constitue une
autre étape dans le développement d'une conscience
nationale sahraouie qui, sans rien renier d'un passé
dont elle ne peut que s'enorgueillir, est résolument
tournée vers l'avenir.
Actuellement, toute référence au tribalisme est
devenue impossible car le peuple sahraoui est un et
indivisible. En 1976, un vieux Sahraoui à qui un
journaliste demandait son appartenance tribale
répondit : « Les tribus ne sont plus et elles n'existeront
plus jamais. Mais j'appartiens à une tribu qui est
grande, forte, puissante, qui a un passé glorieux et un
avenir radieux. Cette tribu, c'est le peuple sahraoui. »

143
Le rôle important et éminemment politique de la
femme sahraouie dans la lutte de libération a de quoi
surprendre. Comment expliquez-vous ce phénomène
unique dans le monde arabe ? Quels problèmes cela
pose-t-il dans une société musulmane? N'existe-t-il pas
un risque de régression de cette libération de la femme
sahraouie une fois la victoire acquise ?

Vous avez raison de dire que la femme sahraouie


occupe une place fondamentale dans la lutte de
libération. Je dirai même qu'elle est le pilier de la
société sahraouie dans le sens où elle est depuis
toujours la gardienne des traditions de notre peuple.
Cette place dans la société sahraouie du xx:e siècle
n'est pas surprenante. Elle découle de deux réalités
socio-politiques : la vie traditionnelle bédouine et
l'évolution actuelle de la société sahraouie dans les
camps de réfugiés.
A la différence de ses consœurs du monde
arabo-musulman, la femme sahraouie a toujours
travaillé hors de la tente, sans voile. La polygamie
n'existait presque pas au Sahara Occidental et la
femme bénéficiait d'une certaine autonomie
économique : elle pouvait posséder des biens, une
partie du troupeau, et ses droits successoraux étaient
assurés. Ceci explique en grande partie pourquoi de
nombreuses femmes furent parmi les premières
personnes à rejoindre le Front Polisario, pourquoi
elles ont été à la pointe des revendications contre
l'Espagne et à la source de toutes les résistances à
l'invasion marocaine.
Après avoir orgamse la fuite des familles
sahraouies, elles ont mis sur pied les premiers camps
de réfugiés et ce sont toujours elles qui administrent
les campements aujourd'hui. Leur lutte lors des

144
batailles de la Güera, de Hauza, de Jderia, de Tifariti
et d' Amgala est à jamais inscrite dans l'histoire de la
R.A.S.D. Elles continuent d'ailleurs à recevoir une
formation militaire afin d'assurer la sécurité et la
protection des campements et constituer une réserve
stratégique à même d'intervenir sur le front si le
besoin s'en faisait sentir.
Vous voyez que la place qu'elles occupent dans
notre société leur revient de droit. On ne la leur a pas
donnée, elles l'ont conquise.

Aujourd'hui, les femmes sont présentes à tous les


niveaux de la société, y compris aux plus hautes
responsabilités : trois des vingt-sept membres du
Bureau politique sont féminins, une femme est Wali
(sur quatre). Elles conduisent les campagnes de
vaccination, soignent, organisent les distributions de
vivres, enseignent, tissent, construisent, plantent,
militent. Bref, elles se préparent dans tous les
domaines aux exigences du futur Etat libre. Leur
libération se place dans le cadre de celle de tout le
peuple.
En 1974, elles ont créé l'Union Nationale des
Femmes Sahraouies (U.N.S.F.), qui a tenu son
premier congrès en mars 1985. Cette organisation de
masse œuvre au plan intérieur à développer la
contribution des femmes sahraouies aux tâches d'édi-
fication nationale, et au plan international à sensibili-
ser l'opinion publique féminine mondiale à notre
lutte. Cette lutte ne peut se mener victorieusement
qu'avec la participation de toutes les composantes de
la société sahraouie. Comme le disait une femme :
« Pour applaudir, il faut deux mains. Si l'homme
sahraoui combat, la femme sahraouie doit combattre
elle aussi. »

145
Les femmes sont donc les grandes actrices dans les
camps de réfugiés. Leurs différentes pratiques disent
qu'elles sont à la fois les gardiennes de certaines
traditions, les revendicatrices et les apprenties de
nouvelles formes de savoir et d'action. Entre ces deux
aspects s'inscrit l'évidence d'une appropriation, celle
de leurs luttes, de leur histoire.
Alors, quelle place occupera la femme sahraouie
une fois l'indépendance acquise? Comment voulez-
vous que nous revenions en arrière? Non seulement
la volonté des dirigeants sahraouis est claire : instau-
rer une stricte égalité entre hommes et femmes, mais
le combat que nous menons aujourd'hui n'est pas une
fin en soi. Car après l'indépendance naîtra une
nouvelle bataille, celle déjà engagée dans les campe-
ments et dans les territoires libérés : la bataille du
développement, de l'édification d'une société mo-
derne, juste et humaine.
Le peuple sahraoui uni autour du Front Polisario
est prêt à relever ce nouveau défi et il est conscient
qu'il ne sera en mesure de vaincre le sous-
développement qu'en utilisant toutes ses potentialités
humaines, sans aucune exclusive.

146
ANNEXES
DES REPÈRES HISTORIQUES*

Les tribus nomades, d'abord berbères puis arabes,


qui peuplent progressivement le Sahara Occidental du
début de l'ère chrétienne jusqu'au XIIIe siècle, se
caractérisent par des traits communs :
- une langue, le hassanya, une religion, l'islam, et
une culture communes ;
- une organisation sociale identique, de type
hiérarchique, communautaire et patriarcal, l' « Ait
Arbin» ou « Conseil des Quarante», assurant la
cohésion de cette population, notamment en temps de
guerre;
- des activités économiques communes : agricul-
ture, élevage, pêche, commerce transsaharien.
Au XIVe siècle : premiers comptoirs européens sur le
littoral.
Du xvie au XIXe siècle : d'une part, les sultans
saadiens, puis alaouites, tentent en vain de pénétrer
au Sahara Occidental; d'autre part, ils concluent avec
les Etats européens divers traités par lesquels ils

(•) D'une brochure du Polisario.

148
n'assurent pas la protection des pêcheurs ou commer-
çants au-delà de l'Oued Noun. Ainsi, se manifestent à
la fois l'intérêt des souverains marocains pour le
Sahara Occidental et les limites de leur autorité
effective.
1884-85 : pour protéger ses comptoirs de pêche, à
l'heure du partage de l'Afrique (Conférence de
Berlin), l'Espagne proclame son protectorat sur le
Rio de Oro.
1900-1934 : la France, déjà présente en Algérie et
au Sénégal, cherche à déterminer ses sphères d'in-
fluence au Maroc et en Mauritanie ; la Convention de
Paris (1900) délimite les frontières entre le Rio de
Oro, la Mauritanie et l'Algérie; !'Accord secret
franco-espagnol de 1904 trace les frontières du Sahara
espagnol qui comprend la Seguiet El Hamra, le Rio
de Oro et la région de Tarfaya jusqu'à l'Oued Draâ;
simultanément, elle se heurte à une longue résistance
sahraouie, en particulier à celle de Cheikh El Ma
Aïnin ; le succès de la « pacification » française permet
à l'Espagne de s'implanter dans le territoire ainsi
dé-limité et de le deter d'une o:Fg-anis-ation-aàmi-nis-tra-
tive essentiellement militaire (1934).
1956 : protectorat français depuis 1912, le Maroc
accède à l'indépendance; le parti l'Istiqlal développe
la thèse du « Grand Maghreb» englobant tout le
Sahara espagnol, la Mauritanie et une partie de
l'Algérie, thèse qui sera reprise par le Sultan à partir
de 1958. Elle-même menacée par le Maroc, la
Mauritanie émet également des prétentions sur le
territoire.
1956-1958 : intensification des mouvements insur-
rectionnels au Sahara Occidental, conduisant la

149
France et l'Espagne à intervenir conjointement
(opérations « Ecouvillon » et « Ouragan») par une
action militaire vigoureuse qui n'épargne pas les
populations civiles, et contraint de nombreux
Sahraouis à l'exode vers le sud du Maroc et la
Mauritanie. Par ailleurs, l'Espagne restitue au Maroc
la zone de Tarfaya.

14 décembre 1960 : l'Assemblée générale de


l'O.N.U. vote par 89 voix contre O et 9 abstentions,
dont celles de la France et de l'Espagne, la Résolution
1514 sur l'octroi de l'indépendance aux pays et
peuples coloniaux.

1961 : le Sahara Occidental devient province


espagnole, avec représentation sahraouie aux Cortès;
pour se procurer, notamment la main-d'œuvre rendue
nécessaire par la découverte, en 1963, des importants
gisements de phosphates de Bou-Craa, l'Espagne
encourage la sédentarisation de la population autour
des villes, que favorisent aussi la destruction du
cheptel par les opérations Ecouvillon-Ouragan, la
désarticulation du commerce transsaharien et la
grande sécheresse qui frappe le Sahel de 1968 à 1973.

16 décembre 1965 : pour la première fois, l'Assem-


blée générale de l'O.N.U. prie le Gouvernement
espagnol de mettre fin à sa domination coloniale sur
le Sahara Occidental.

1966 : l'Assemblée générale des Nations Unies


invite l'Espagne à mettre en place, sous son égide, un
référendum d'autodétermination, après consultation
du Maroc, de la Mauritanie et de toute partie
intéressée. Des résolutions identiques seront votées
chaque année jusqu'en 1972.

150
1967 : l'Espagne temporise en instituant la Dje-
maâ, Assemblée représentative du peuple Sahraoui,
mais sans pouvoir de décision, dans le but de dégager
une élite de notables qui lui soient favorables.
1968 : Bassiri fonde le « Mouvement de libération
du Sahara » ; il est arrêté et disparaît après la
sanglante répression de la manifestation populaire
d'El Ayoun, le 17 juin 1970.
17 juin 1970 : grande manifestation pacifique de
Temla réclamant à l'Espagne l'indépendance du
Sahara Occidental. L'armée tire sur la foule.
1972 : par sa Résolution 2983, l'Assemblée géné-
rale des Nations Unies invite l'Espagne à arrêter,
après consultation des gouvernements marocain et
mauritanien et de toute partie intéressée, les modali-
tés d'un référendum permettant à la population
d'exercer librement son droit à l'autodétermination et
à l'indépendance.

1973 : le 10 mai, création du Front Populaire pour


la libération de la Saguiet-El-Hamra et du Rio-de-Oro
(Polisario); le 20 mai, création de l' Armée de
Libération Populaire Sahraouie et déclenchement de
la lutte armée avec l'opération d'El Khanga.

1974 : l'Espagne annonce un référendum d'autodé-


termination sous le contrôle des Nations-Unies. Le
17 septembre, le Roi Hassan II contre-attaque en
saisissant la Cour Internationale de Justice. Confor-
mément à la Résolution de l'Assemblée générale de
l'O.N.U. qui envoie également une mission sur place,
celle-ci devra dire si le Sahara Occidental était un
« territoire sans maître» lors de sa colonisation par
l'Espagne; dans la négative, quels étaient les liens

151
juridiques de ce territoire avec le royaume du Maroc
et l'ensemble mauritanien?
Mai-juin 1975 : la Mission de visite de l'O.N.U. au
Sahara Occidental conclut que le Polisario est
« apparu comme la force politique dominante dans le
territoire» et que la population se prononce catégori-
quement pour l'indépendance.
Octobre 1975 : le 12 octobre, journée de l'Union
Nationale. Création peu après du Conseil national
Sahraoui regroupant toutes les composantes de la
société.
Le 16 octobre 1975, avis de la Cour Internationale
de Justice : lors de sa colonisation par l'Espagne, le
Sahara Occidental n'était pas « terra nullius ». La
Cour conclut à l'inexistence de liens juridiques de
souveraineté territoriale entre le Maroc, la Maurita-
nie et le Sahara Occidental mais constate l'existence
d'un lien d'allégeance entre certaines tribus et le
Sultan. Elle conclut à l'application de la Résolution
1514.

6 novembre 1975 : annoncée dès le 16 octobre par


le Roi Hassan II, la « marche verte », forte de 350 000
hommes, s'avance vers le Sahara Occidental; cette
«reconquête» pacifique et symbolique du Sahara
permet au roi de réaliser l'unité nationale et de faire
pression sur les négociations qui se sont ouvertes à
Madrid.

14 novembre 1975 : Accords de Madrid, confiant


l'administration du territoire à titre intérimaire au
Maroc et à la Mauritanie; l'Espagne quittera les lieux
avant le 28 février 1976; l'opinion de la population
sahraouie, exprimée par la Djemaâ, sera respectée.

152
Alors que Franco est à l'agonie, la tendance pro-
marocaine l'a emporté au sein du gouvernement
espagnol, Carlos Arias Navarro misant d'abord sur la
sauvegarde des Canaries et des Présides et sur la
participation de l'Espagne aux richesses phospha-
tières et halieutiques.
27 novembre 1975 : les troubles marocaines et
mauritaniennes envahissent le Sahara Occidental.
Massacres de populations civiles. Second exode
sahraoui vers la Hammada du Draâ près de Tindouf
en Algérie.
28 novembre 1975 : par la déclaration de Guelta-
Zemmour, 3 membres des Cortès sur 6, 67 membres
de la Djemaâ sur 102 et 60 chefs de tribus proclament
la dissolution de la Djemaâ et son remplacement par
un Conseil National Provisoire Sahraoui et déclarent
que le Polisario est l'unique représentant de la
population sahraouie. Peu après, le roi du Maroc fait
cependant savoir que 72 membres de la Djemaâ
auraient ratifié l' Accord de Madrid.
10 décembre 1975 : l'Assemblée générale de
l'O .N. U. adopte deux Résolutions contradictoires
car, si elles rappellent toutes deux le principe de
l'autodétermination, l'une tient l' Accord de Madrid
pour nul, l'autre l'avalise.
Janvier-février 1976 : bombardements au napalm
des premiers camps de réfugiés par l'aviation maro-
caine. Nouvel exode vers Tindouf (Algérie).
Février-avril 1976 : bombardements des popula-
tions sahraouies en exode par l'aviation marocaine;
départ définitif des Espagnols; partage du territoire
entre le Maroc et la Mauritanie (qui obtient seule-
ment le sud du Rio-de-Oro).

153
Les années 1975-1976 ont profondément marqué la
mémoire collective du peuple sahraoui. Non seule-
ment le sort de son territoire a été décidé en dehors de
lui, mais, en outre, il se trouve désormais partagé
entre ceux qui n'ont pu fuir devant l'envahisseur
marocain et ceux qui, après un long exode, vont
rejoindre les camps de réfugiés dans la Hammada du
Draâ, en territoire algérien.
La délégation a reçu divers témoignages de ces
événements. Ils sont rapportés ci-après.
Dans la nuit du 27 au 28 février 1976 : proclamation
à Bir Lahlou de la République Arabe Sahraouie
Démocratique (R.A.S.D.). Riposte politique à l' Ac-
cord de Madrid, le nouvel Etat organise la poursuite
de la lutte armée, mène la bataille diplomatique pour
sa reconnaissance sur la scène internationale et édifie
une société organisée au sein des camps de réfugiés.
9 juin 1976 : mort d'El Ouali, Secrétaire général du
Front Polisario, sur le front mauritanien.
De 1976 à 1978 : l'O.N.U. renvoie sans cesse la
question du Sahara à l'Organisation de l'Unité
Africaine. Celle-ci, lors de son XVe Sommet à
Khartoum, crée une Commission ad hoc chargée du
dossier Sahraoui, y compris l'exercice du droit du
peuple sahraoui à l'autodétermination.
1978 : intensification des combats dans le sud du
territoire. Le 10 juillet, coup d'état en Mauritanie,
ruinée par la guerre.
1979 : le 5 août, Traité de Paix entre la R.A.S.D. et
la Mauritanie à Alger. Le Maroc envoie ses troupes
vers la zone antérieurement attribuée à la Mauritanie
et quitte le Sommet de l'O.U.A. réuni à Monrovia.
L'Assemblée générale de l'O .N. U. prend, le

154
21 novembre, une importante résolution par laquelle
elle rappelle le droit inaliénable du peuple sahraoui à
l'autodétermination et à l'indépendance, demande au
Maroc le retrait de ses troupes et qualifie le Front
Polisario d'unique représentant du peuple sahraoui.
Résolutions identiques en 1980, 1981 et 1982. En
décembre 1979, le Comité ad hoc de l'O.U.A.
demande également le retrait du Maroc et un
cessez-le-feu sous son contrôle pour permettre la
tenue d'un référendum juste et libre.

1979-1980 : offensive de l'Armée de Libération


Populaire Sahraouie dans le sud marocain et jusqu'à
Tan-Tan, importante avancée dans l'Ouarkziz, en
mars 1980.

16juillet 1980: la R.A.S.D., reconnue par 26 Etats


africains et par d'autres Etats du Tiers-Monde,
demande son admission à l'O.U.A.

Août 1980 : pour résister aux avances du Front


Polisario, le Maroc définit une nouvelle stratégie :
construction du « mur» destiné à protéger le « triangle
utile» où se trouvent les phosphates et la plus grande
partie de la population (El Ayoun, Smara, Bou
Craâ).

26 juin 1981 : au Sommet de l'O.U.A. à Nairobi,


Hassan II «propose» un « référendum contrôlé»,
mais sans négociation avec le Polisario et en précisant
que son objet sera de permettre le retour des
provinces sahariennes à la mère-patrie.

22 février 1982 : la R.A.S.D. est admise à


l'O.U.A., ce qui entraîne la paralysie de cette
institution pendant plus d'un an.

155
13-19 octobre 1982 : Mohamed Abdelaziz, Secré-
taire général du Front Polisario devient Président de
la R.A.S.D. (fonction nouvellement créée).
8 juin 1983 : le 19e Sommet de l'O.U.A. s'ouvre à
Addis-Abeba grâce au retrait « volontaire et tempo-
raire» de la R.A.S.D. La Résolution 104 recom-
mande l'ouverture de négociations directes entre le
Maroc et le Front Polisario et un référendum
d'autodétermination. L'Assemblée générale de
l'O.N.U. adopte la même résolution.
10 juillet 1983 : rupture de la trêve instaurée depuis
1982 avec l'attaque par le Polisario de la garnison
marocaine de Lemseyed.
Décembre 1983 - février 1984 : construction du
deuxième «mur» reliant Bou Craâ, Amgala et
Krebichet, interdisant au Front Polisario de pénétrer
dans le Rio-de-Oro sans passer par la Mauritanie.
Avril-mai 1984 : troisième «mur» qui isole les
villes de Jdiria et Haousa, alors capitale provisoire de
la R.A.S.D.
13 août 1984 : signature du Traité <l'Union arabo-
africaine à Oujda entre le Maroc et la Libye qui cesse
son aide militaire au Front Polisario.
13 octobre 1984 : l' A.L.P .S. lance l'offen.sive
«Grand Maghreb» contre les «murs» de défense
marocains (multiplication des opérations de guérilla).
Novembre 1984: la R.A.S.D. siège à !'O.U.A. et
le Maroc quitte l'organisation.
Janvier-août 1985 : construction des 4e et 5e
« murs » ; désormais, le mur longe du nord au sud la
frontière algérienne jusqu'au niveau de Mabhes, pour

156
rejoindre ensuite Smara et Amgala, d'où il longe la
frontière mauritanienne jusqu'à Guelta Zemmour,
pour s'achever au sud de Dakhla, encerclant ainsi la
majeure partie du territoire.
1985: au 21e Sommet de l'O.U.A., la R.A.S.D. est
élue à la vice-présidence, à l'unanimité. Le
12 novembre, l'Assemblée générale de l'O.N.U.
demande au Maroc et au Polisario d'engager des
négociations directes (91 voix pour, 6 voix contre,
43 abstentions). En novembre, conférence internatio-
nale« Paix pour le peuple Sahraoui» ; en décembre, 6e
Congrès du Front Polisario à l'issue duquel la décision
est prise d'intensifier la lutte armée.
27 février 1986 : lüe anniversaire de la R.A.S.D.
Mars-avril 1986 : constitution d'un intergroupe
parlementaire « Paix pour le peuple sahraoui» au
Parlement Européen de Strasbourg. Création d'un
Comité pour la reconnaissance de la R.A.S.D.
Avril 1986 : début des négociations indirectes entre
le Maroc et la R.A.S.D., sous l'égide de M. Perez de
Cuellar, Secrétaire Général des Nations Unies, et de
l'Organisation de l'Unité Africaine.
Août 1986 : rupture du traité d'Oujda entre le
Maroc et la Libye.

Septembre 1986 : adoption, pour la première fois,


d'une résolution en faveur de la R.A.S.D. par
l'Assemblée paritaire des pays A.C.P.-C.E.E.
Octobre 1986 : adoption par l'Assemblée générale
de l'O.N.U. d'une résolution appelant à des négocia-
tions directes entre le Maroc et le Front Polisario
(98 voix pour, aucune voix contre).

157
En 1986, 69 Etats avaient reconnu la R.A.S.D. :
Liste des pays ayant reconnu
la République Arabe Sahraouie Démocratique
et date de la reconnaissance :

1. MADAGASCAR 28.02.76 37. LIBYE 15.04.80


2. BURUNDI 01.03.76 38. SYRIE 15.04.80
3. ALGÉRIE 06.03.76 39. SWAZILAND 28.04.80
4. BÉNIN 11.03.76 40. BOTSWANA 14.05.80
5. ANGOLA 11.03.76 41. ZIMBABWE 03.07.80
6. MOZAMBIQUE 13.03.76
7. GUINÉE-BISSAU 15.03.76 42. TCHAD 04.07.80
8. R.D.P. 43. MALI 04.07.80
DECORÉE 16.03.76 44. COSTA RICA 30.10.80
9. TOGO 16.03.76 45. VANUATU 26.11.80
10. RWANDA 01.04.76
11. R.D. DU YEMEN 02.02.77 46. PAPOUASIE-
12. R. DES N. GUINÉE 12.08.81
SEYCHELLES 25.10.77 47. TuVALU 12.08.81
13. CONGO 03.06.78 48. KIRBATI 12.08.81
49. NAURU 12.08.81
14. S.T. ET PRINCIPE 22.06.78 50. ILES SALOMON 12.08.81
15. PANAMA 23.96.78 51. ILES MAURICE 01.07.82
16. TANZANIE 09.11.78 52. VENEZUELA 03.08.82
17. ETHIOPIE 24.02.79 53. SURINAM 11.08.82
18. VIETNAM 02.03.79 54. BOLIVIE 14.12.82
19. CAMBODGE 10.04.79 65. EQUATEUR 14.11.83
20. LAOS 09.05.79 56. MAURITANIE 27.02.84
21. AFGHANISTAN 23.05.79 57. BURKINA FASO 04.03.84
22. CAP-VERT 04.07.79 58. PEROU 16.08.84
23. GHANA 24.08.79 59. NIGERIA 12.11.84
24. GRENADE 24.08.79 60. YOUGOSLAVIE 28.11.84
25. GUYANE 01.09.79 61. COLOMBIE 27.02.85
26. DOMINIQUE 01.09.79 62. LIBERIA 31.07.85
27. SAINT-LUCIE 01.09.79 63. INDES 01.10.85
28. JAMAIQUE 04.09.79 64. GUATAMALA 10.04.86
29. NICARAGUA 06.09.79 65. R. DOMINICAINE 24.06.86
30. OUGANDA 06.09.79 66. TRINIDAD
31. MEXIQUE 08.09.79 ET TOBAGO 01.11.86
32. LESOTHO 09.10.79 67. BELIZE 18.11.86
33. ZAMBIE 12.10.79 68. FEDERATION
DE ST KITTs
34. CUBA 20.01.80 ET NEVIS 25.02.87
35. IRAN 27.02.80 69. ANTIGUA
36. SIERRA LEONE 27.03.80 ETBARBUDA 28.02.87

158
TEXTES OFFICIELS OU JURIDIQUES

-1-

AVIS CONSULTATIF
DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Sur la situation du Sahara Occidental
au moment de la colonisation
par l'Espagne

Aujourd'hui, 16 octobre 1975, la Cour Internatio-


nale de Justice a rendu l'Avis consultatif que
l'Assemblée Générale des Nations Unies lui avait
demandé sur deux questions concernant le Sahara
Occidental.
En ce qui concerne la question I : « Le Sahara
occidental (Rio de Oro et Sakiet El Hamra) était-il,
au moment de la colonisation par l'Espagne, un
territoire sans maître (terra nullius)? », ( ... )
Est d'avis à l'unanimité que le Sahara Occidental
(Rio de Oro et Sakiet El Hamra) n'était pas un
territoire sans maître (terra nullius) au moment de la
colonisation par l'Espagne.
En ce qui concerne la question II : « Quels étaient
les liens juridiques de ce territoire avec le Royaume
du Maroc et l'ensemble mauritanien?», ( ... )
( ... ) la Cour conclut que les éléments et renseigne-
ments portés à sa connaissance n'établissent l'exis-

159
tence d'aucun lien de souveraineté territoriale entre le
territoire du Sahara Occidental d'une part, le
Royaume du Maroc ou l'ensemble mauritanien
d'autre part. La Cour n'a donc pas constaté l'exis-
tence de liens juridiques de nature à modifier
l'application de la résolution 1514 (XV) de l'Assem-
blée Générale quant à la décolonisation du Sahara
Occidental et en particulier l'application du principe
d'autodétermination grâce à l'expression libre et
authentique de la volonté des populations du terri-
toire.

-2-

TEXTE DE LA RÉSOLUTION ADOPTÉE


PAR LE 19e SOMMET DE L'O.U.A.
A ADDIS ABEBA (ÉTHIOPIE)
SUR LE SAHARA OCCIDENTAL

« La conférence au sommet des chefs d'Etat et de


gouvernement de l'Organisation de !'Unité Africaine,
réunie en sa 19e session ordinaire à Addis Abeba
(Ethiopie), du 6 au 11 juin 1983.
« Ayant examiné le rapport du comité de mise en
œuvre des chefs d'Etat sur le Sahara Occidental ;
« Rappelant l'engagement solennel pris par sa
majesté le roi Hassan II lors du 18e sommet d'accep-
ter l'organisation d'un référendum sur le Sahara
Occidental en vue de permettre au peuple de ce
territoire d'exercer son droit à l'autodétermination;
« Rappelant avec gratitude que sa majesté le roi
Hassan II a accepté la recommandation de la 6e
session du comité ad hoc des chefs d'Etat sur le

160
Sahara Occidental contenue dans le document AHG/
103 (XVIII) B annexe I, ainsi que son engagement à
coopérer avec le comité ad hoc dans la recherche
d'une solution juste, pacifique et durable;
« Réaffirmant ses résolutions et décisions anté-
rieures sur la question du Sahara Occidental et en
particulier la résolution AHG/RES.103 (XVIII) du
27 juin 1981;
« 1) prend acte du rapport du comité de mise en
œuvre des chefs d'Etat sur le Sahara Occidental.
« 2) exhorte les parties en conflit - le royaume du
Maroc et le Front Polisario - à entreprendre des
négociations directes en vue de parvenir à un
cessez-le-feu visant à créer les conditions nécessaires
pour un référendum pacifique et juste en vue de
l'autodétermination du peuple du Sahara Occidental,
un référendum sans aucune contrainte administrative
ou militaire, sous les auspices de !'O.U.A. et des
Nations Unies, et demande au comité de mise en
œuvre de veiller au respect du cessez-le-feu.
« 3) Invite le comité de mise en œuvre à se réunir
dès que possible et en collaboration avec les parties en
conflit pour définir les modalités et tout autre détail
pertinent en vue de l'application du cessez-le-feu et de
l'organisation du référendum en décembre 1983.
« 4) Demande aux Nations Unies d'installer
conjointement avec !'O.U.A. une force de maintien
de la paix et de la sécurité au cours de l'organisation
du déroulement du référendum.
« 5) Donne mandat au comité de mise en œuvre de
prendre, avec la participation des Nations Unies,
toutes les mesures nécessaires afin d'assurer l'exécu-
tion correcte de la présente résolution.

161
« 6) Demande au comité de mise en œuvre de faire
rapport à la vingtième conférence au sommet des
chefs d'Etat et de gouvernement des résultats du
référendum en vue de permettre au 20e sommet de
prendre une décision finale sur tous les aspects de la
question du Sahara Occidental.
« 7) Décide de continuer à étudier la question du
Sahara Occidental.
« 8) Demande au comité de mise en œuvre, dans le
cadre de son mandat, de tenir compte des procès
verbaux des 18e et 19e sessions ordinaires sur le
problème du Sahara Occidental et à cet effet invite le
Secrétaire général de l'O. U .A. à mettre à la disposi-
tion du comité tous les textes des procès verbaux C
sus-spécifiés.
« 9) Se félicite de l'attitude constructive des diri-
geants sahraouis qui en se retirant v~.Jlontairement et
provisoirement ont permis au 19e sommet de se
réunir.»

Addis Abeba - 19e sommet de l'O.U.A.

-3-

LETTRE DE MOHAMED ABDELAZIZ,


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE ARABE
SAHRAOUIE DÉMOCRATIQUE
AU ROI HASSAN II DU MAROC

Majesté,
Nous éprouvons la nécessité de nous adresser à
votre Majesté, l'évolution de la situation dans la

162
région m'incite à cette démarche plus que par le
passé, pour prévenir les conséquences malheureuses
qui peuvent en résulter.
Nous en appelons à votre conscience dans l'espoir
que la sagesse et la raison prévaudront sur toute autre
considération.
Ayant à l'esprit l'intérêt supérieur des peuples de la
région, dont le vôtre, nous osons croire que vous
saisirez le degré de gravité extrême atteint par la
situation en Afrique du Nord-Ouest. Nous ne déses-
pérons pas de voir les qualités de clairvoyance et de
sagesse l'emporter, à des moments aussi difficiles que
ceux-ci. Nos peuples vivent dans la hantise de la
guerre et de la destruction. Notre région est sous le
spectre de la menace, de l'instabilité et de l'insécurité.
La quiétude, la coexistence et la coopération aux-
quelles nos peuples aspirent fortement - ils en ont
fait leur objectif, leur crédo - pourraient devenir de
simples vœux pieux, des rêves fugitifs, n'étaient leur
foi et leur confiance en leur destinée.
L'histoire a toujours démontré que la guerre
n'engendre que les difficultés, complique les situa-
tions, provoque davantage de souffrances, d'é-
preuves, et que son arrêt, n'est pas toujours chose
aisée ou à notre portée.
Telle est notre conv1ct1on. C'est pourquoi,
conscients des lourdes responsabilités qui nous incom-
bent, nous sentons l'obligation de vous entretenir
avec la plus extrême franchise, et nous prenons Dieu
à témoin. Ceci exige de nous tous de nous hisser à la
dimension des espoirs que fondent sur nous nos
peuples, et à leurs aspirations impatientes de voir
poindre à l'horizon la fin de cette guerre atroce. Cette
guerre qui n'épargne rien, qui détruit tout... La
sagesse nous interpelle, et veut que l'on œuvre pour y

163
mettre un terme, pour que l'on puisse se consacrer à
panser ses blessures et à ouvrir une page qui tourne
celles écrites de sang et de larmes qui l'ont précédées.

Majesté,
Cela fait neuf années qu'une guerre injuste contre
le peuple Sahraoui se poursuit, ce petit peuple
éprouvé qui a enduré les affres du colonialisme
espagnol... Cela était suffisant en soi pour que
d'autres n'entreprennent pas de relayer l'occupant
d'hier, mais en vain ...
Ce fut donc l'épreuve de l'horreur qui continue de
nos jours. Mais qu'avez-vous récolté pour nos peuples
de cette guerre? Si l'on médite les choses avec
lucidité, en s'arrachant à tout subjectivisme, on voit
que le résultat est fort maigre, que le bilan est
lourdement négatif au point de constituer une
catastrophe majeure. Les pertes sont plus acca-
blantes, plus considérables que vous n'imaginiez : que
n'a-t-elle pas annihilé cette guerre! Que de vies
innocentes en sont mortes ! Que de veuves et
d'orphelins... que de Marocains, que de Maurita-
niens, que de Sahraouis en ont été victimes ... A qui
incombe la responsabilité d'un bilan aussi terrifiant?
Cette guerre a provoqué le délabrement de l'écono-
mie Marocaine. Des sommes colossales y ont été
dépensées. Des énergies considérables y ont été
gaspillées inutilement. Elle a fait bon marché de
moyens extraordinaires ... Si tout cela avait été utilisé
avec un minimum de rationalité dans ce qui est plus
profitable, plus rentable pour notre Région, cela
aurait permis à celle-ci de parcourir une étape non
négligeable sur la voie du développement, du bien-
être et du progrès.

164
L'aide financière fantastique, les énormes prêts -
qui alourdissent les charges de votre Etat - ont été
dépensés sans compter, pour se procurer les moyens
de mort et de destruction. Des villages entiers du
Sahara Occidental, du sud du Maroc ont été dé-
truits ... Que l'on arrête ici un instant et qu'on essaye
d'imaginer.
Si au lieu d'avoir été investis dans cette guerre, tous
les moyens joints aux possibilités et aux capacités de
nos peuples - et Dieu sait qu'ils sont immenses -
avaient été dirigés rationnellement et avec méthode à
d'autres usages que ceux réclamés par cette guerre
destructrice, il aurait été possible de faire de notre
Région un ensemble humain, économique considé-
rable, à l'instar de ceux qui existent dans d'autres
parties du monde.

Majesté,
Vous avez tenté - durant ces neuf années de
guerre - d'exploiter certaines circonstances internes,
régionales ou internationales, vous avez eu recours
également à la création d'événements passagers
auxquels vous avez conféré le caractère de « facteur
déterminant» de nature à vous permettre de trancher
militairement le conflit du Sahara Occidental à la
faveur d'une politique d'invasion et d'expansion-
msme.
Vous avez caressé le rêve de remporter la victoire
militaire sur le peuple Sahraoui et le Front Polisario.
Vous continuez à nourrir, jusqu'à preuve du
contraire, cette obsession et vous avez crû qu'en
alimentant le chauvinisme au Maroc, par ce qui a été
désigné sous le nom d'unanimité nationale, vous alliez
atteindre votre but, en écrasant toute résistance au

165
Sahara Occidental. Vous avez engagé - pour ce
faire - une armée très nombreuse et suréquipée dans
une guerre où le perdant ne pourrait être, en aucun
cas, le peuple Sahraoui en raison de la justesse même
de sa cause, et sa détermination à défendre ses droits
légitimes.
Tout laisse croire, Majesté, que vous avez cru
qu'avec la complicité de la Mauritanie de Ould
Daddah et de l'Espagne qui signèrent avec vous les
accords de Madrid le 14 novembre 1975, l'entreprise
vous serait facilitée pour autant, comme si l'acte de
mort du peuple Sahraoui pouvait être apposé sur un
document en l'absence de celui-ci, et en ignorance
totale de son droit inaliénable à l'existence et à la
liberté du choix.

Le temps est passé, la résistance du peuple


Sahraoui s'est affirmée et consolidée au fil des jours.
Vous vous êtes employé à en déformer la nature et la
portée... en déni de justice et en négation de
l'existence de notre peuple, vous avez essayé de
rendre d'autres, qui ne devraient pas avoir de
problèmes avec le Maroc, responsables de la guerre
qui oppose nos deux pays. Vous en voulez à ces pays
d'avoir proclamé haut leur attachement à des posi-
tions de principes justes qu'ils ont choisies, et qui se
résument dans la défense du droit des peuples à
l'autodétermination, vous en voulez à leur foi dans la
décolonisation sur la base des résolutions internatio-
nales, vous leur reprochez, en somme, leur conviction
dans la solution des problèmes politiques de cette
nature, par les voies pacifiques. Les événements et les
développements ultérieurs se sont chargés d'infirmer
ces allégations et de révéler la réalité des choses ... Les
uns et les autres en étaient convaincus.

166
Il est apparu qu'il s'agit bien d'une agression contre
le peuple Sahraoui, qu'il est dans son droit, qu'il est
décidé à se défendre et qu'il a la sympathie du monde.
Tout ceci ne vous a pas suffi. Vous avez persisté à
rechercher coûte que coûte une « victoire militaire »
qui vous permette de liquider la cause du peuple
Sahraoui, vous avez cru bon d'utiliser à fond des
conjonctures internationales déterminées pour at-
teindre l'objectif que vous vous êtes assigné, sans y
parvenir.
Vous êtes revenu à la charge en proposant une
union avec la Jamahiriya Arabe Libyenne Populaire
et Socialiste pour les mêmes desseins. Vous avez
considéré le traité d'Oujda comme une carte maî-
tresse qui va vous aider à éliminer le peuple Sahraoui
et sa cause nationale de la scène internationale.
Jusqu'à une époque récente vous croyiez - si ce
n'est le cas encore - qu'en vous procurant de
l'armement sophistiqué, vous alliez pouvoir briser la
résistance du peuple Sahraoui, enterrer sa cause
sacrée sous un déluge de bombes et de missiles.
Dans la foulée, vous vous êtes lancé dans l'édifica-
tion de ceintures de défense et vous avez procédé en
même temps à des concentrations militaires, que vous
aviez dotées de tout ce que vous estimiez nécessaire
comme matériel militaire, et équipement de guerre,
oubliant alors qu'un peuple qui défend sa dignité et sa
souveraineté ne peut être vaincu. A ce propos,
l'histoire est riche en exemples.
En sus de tout cela, vous avez courtisé de grandes
puissances, vous vous êtes employé à les satisfaire en
vue de leur soutien à votre entreprise de remporter la
victoire militaire que vous n'avez cessé de caresser. ..
Vous leur avez donc accordé des bases, octroyé des
facilités, vous êtes allé même jusqu'à hypothéquer

167
une partie de la souveraineté du Maroc. Ces mêmes
puissances n'ont pas hésité, à leur tour, à vous
accorder toutes sortes d'aides et d'appuis jusqu'à leur
intervention directe dans le conflit à vos côtés. Tout
ceci n'a servi à rien hormis à compliquer la situation,
prolonger l'épreuve de nos peuples.
A la lumière de ce qui précède, il apparaît donc très
clairement que quelle que soit l'importance que vous
vous efforciez de conférer à un des facteurs précités
- dans votre stratégie qui consiste à s'emparer du
Sahara Occidental par la force, à étouffer les
aspirations nationales du peuple Sahraoui, ses droits
légitimes - cela a en fait paradoxalement renforcé la
détermination du peuple Sahraoui et consolidé sa
résistance.

Majesté,
Nous ne nous attendions pas au recours au langage
de la force de votre part, comme si c'était pour punir
le peuple Sahraoui pour sa résistance, pour les lourds
sacrifices qui lui ont permis de chasser le colonialisme
espagnol de son pays, d'avoir raffermi et imposé sa
volonté à l'indépendance nationale et à la liberté. Son
droit a été concrétisé à travers l'avènement de son
Etat, la République Arabe Sahraouie Démocratique.
Nous n'avons pas eu dans l'idée de constituer une
menace pour quiconque, nous n'avons pas eu le
pressentiment que vous alliez percevoir en nous un
danger, car tel n'est pas notre mission ni notre
objectif, du tout.
En effet, le petit peuple Sahraoui, musulman et
pacifique, n'a d'autre but que ses droits légitimes à la
vie digne sur l'ensemble de son territoire national. Il
ne veut combattre quiconque, ni manifester sa force
que si ses droits sont agressés.

168
Comment pourrait-il en être autrement? Le peuple
Sahraoui plaçait en votre Majesté de grands espoirs et
croyait - jusqu'au moment où les balles de l'agres-
sion ont commencé à le pourfendre - que vous alliez
- c'est votre devoir du reste - lui venir en aide et le
soutenir. Le peuple Sahraoui a toujours été dispo-
nible à la coopération ; il œuvre sincèrement à ce qui
lui paraît être l'intérêt des peuples de la Région, croit
fermement au caractère sacré du voisinage. Il avait un
besoin pressant d'assistance, de la part de tous ceux
qui comme vous ont accédé plus tôt à l'indépendance,
ainsi il aurait pu bénéficier de votre riche expérience
en matière d'édification. De même que vous disposiez
suffisamment de connaissances en matière de rela-
tions internationales et dans le traitement des affaires
de ce monde, ce qui lui aurait été profitable dans sa
jeune expérience ...

Majesté,
Nous disposons d'informations suffisantes, des
signes qui indiquent que votre Majesté a l'intention
d'étendre la guerre dans notre région et que les
préparatifs vont bon train dans ce sens ... Ce qui
expose notre région a plus de destruction et de
malheur ... Ceci est confirmé, du reste, par le langage
d'escalade que vous brandissez et par les menaces
répétées que vous profériez à l'endroit d'autres pays
voisins.
Dans ce contexte, on ne peut que poser la
question : de quel crime est coupable la République
Islamique de Mauritanie pour tenter de l'entraîner de
nouveau dans un conflit dont elle s'est désengagée
courageusement? Cette guerre n'a-t-elle pas démoli
tous les acquis enregistrés par ce pays au terme de
dix-huit années d'indépendance?

169
Et l'Algérie? De quel crime est-elle coupable, elle
qui voulait que sa guerre de libération contre le
colonisateur soit la dernière du genre ...
Si nous nous sommes posé la même question par le
passé concernant le peuple Sahraoui, nous continuons
à reformuler avec insistance la même question : de
quel crime est coupable le peuple Sahraoui ? Et quel
est celui commis par le peuple Marocain, Majesté?
Certains peuvent penser que faire entrer un pays
dans la guerre relève du courage. Dans notre
entendement, le courage est une vertu. Le véritable
courage consiste à pouvoir mettre un terme à la
guerre, surtout quand on est assuré de son caractère
injuste et inutile. Tel est le courage exemplaire : se
débarrasser d'une guerre, pendant qu'il est temps et
le summum du courage, c'est faire preuve d'un sens
élevé des responsabilités.
Nous espérons qu'il en soit ainsi pour vous Majesté,
et que se confirme à nous ce qui a été dit à votre
endroit : un homme intelligent, clairvoyant et perspi-
cace.
Nous vous disons, avec une extrême franchise, que
la situation engendrée par la guerre dans notre
Région a besoin de ceux qui se distinguent par les
qualités d'intelligence, de discernement, et de clair-
voyance pour lever le spectre de la guerre qui
perturbe la vie de nos peuples, défait leurs espoirs et
entrave leurs aspirations.
Et dans ce cas, l'histoire et les générations du
Maghreb vous retiendront d'avoir contribué à mettre
un terme à cette guerre sanglante, d'avoir ouvert une
ère nouvelle pour la coopération, l'entraide et la
fraternisation. Nos peuples vous seront collective-
ment gré d'avoir agi pour substituer la paix, la
concorde à la guerre et à l'expansionnisme.

170
Aussi, conscient des responsabilités qui nous
incombent et animés de la bonne foi, nous nous
adressons à votre Majesté, pour lui demander de bien
méditer la situation, de regarder en face la réalité,
pour essayer de mettre un terme à cette guerre qui n'a
plus sa place ni dans les cœurs, ni chez les peuples. En
agissant comme tel, vous répondriez à l'attente de
chaque enfant, de chaque mère, de chaque homme
dans notre continent et de tous ceux qui sont épris de
liberté et de paix.
Nous vous ad jurons de laisser notre peuple vivre
dans la paix, la liberté, souverain sur sa terre. Des
batailles longues, ardues, qui requièrent des sacri-
fices, des efforts titanesques pour être gagnées, nous
attendent... c'est la lutte contre le sous-
développement, Majesté.
Il y a aussi la cause Palestinienne, les droits du
peuple Palestinien qui vous interpellent et attendent
de vous une action concrète.
Vous avez aussi des peuples frères dans le sud du
continent, en Namibie et en Afrique-du-Sud qui
attendent de vous soutien et appui. Ils espèrent de
vous impatiemment une contribution qui peut servir
leurs aspirations à l'indépendance, à la liberté et à
l'émancipation.
La sécheresse, la famine, la pauvreté, l'ignorance
sévissent dans le tiers-monde dont fait partie votre
pays. Les peuples de celui-ci attendent de vous que
vous fassiez quelque chose dans leur intérêt, ils vous
interpellent Majesté.
Nous sommes tous interpelés, pour agir, faire
quelque chose, accomplir une œuvre éminente,
consentir à faire face courageusement à ces difficul-
tés. Vaincre ces problèmes requiert un effort dans
l'accomplissement de l'histoire, et non dans le combat

171
contre le peuple Sahraoui, qui ne peut engendrer que
l'échec, la décadence, l'humiliation et l'abaissement.
C'est pourquoi nous demandons instamment à
votre Majesté de nous asseoir à la table de négocia-
tion pour mettre un terme au conflit qui oppose nos
deux pays. Alors, nous pourrons nous vanter de
présenter au monde une œuvre constructive que
loueront nos peuples, que l'histoire gardera en
témoignage de votre contribution à la paix. Toute la
communauté internationale vous en sera gré.
L'exercice par la R.A.S.D. de ses droits au sein de
l'O. U .A. à l'instar de votre pays, nous a rendu la
tâche plus aisée ...
En effet, le continent Africain a rendu notre
mission plus crédible en nous fournissant son cadre et
une plateforme efficace pour une solution pacifique à
laquelle aspire tout le monde.
Dans l'espoir que notre lettre trouve auprès de
votre Majesté l'attention qu'elle mérite et la disponi-
bilité requise à notre appel sincère pour une paix
juste,
Veuillez agréer, Majesté, l'expression de notre
considération.

BIR LEHLOU, le 3 décembre 1984.

Mohamed ABDELAZIZ,

Président de la République Arabe Démocratique


et Secrétaire général du Front Polisario.

172
-4-

RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR L'O.N.U.


A SA 40e SESSION
DE DÉCEMBRE 1985

L'Assemblée générale,
ayant examiné de manière approfondie la question du
Sahara Occidental,
rappelant sa résolution 38/40 du 5 décembre 1984
relative à la question du Sahara Occidental,
ayant examiné le chapitre pertinent du rapport du
comité spécial chargé d'étudier la situation en ce qui
concerne l'application de la déclaration sur l'octroi de
l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux,
prenant acte du rapport du Secrétaire général des
Nations Unies sur la question du Sahara Occidental,
rappelant la résolution ahg/res 104 (XIX) sur le
Sahara Occidental adoptée par la conférence des
chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Organisation de
l'Unité Africaine lors de sa dix-neuvième session au
sommet tenu à Addis-Abeba du 6 au 12 juin 1983,
1. Réaffirme que la question du Sahara Occidental
est une question de décolonisation à parachever sur la
base de l'exercice par le peuple du Sahara Occidental
de son droit inaliénable à l'autodétermination et à
l'indépendance,
2. Réaffirme également que la solution à la
question du Sahara Occidental réside dans l'applica-
tion de la résolution ahg/res 104 (XXX) de la
conférence des chefs d'Etat et de Gouvernement de
l'Organisation de l'Unité Africaine qui établit les

173
voies et moyens d'une solution politique juste et
définitive du conflit du Sahara Occidental,

3. Demande de nouveau et à cet effet aux deux


parties en conflit, le royaume du Maroc et le Frente
Popular para la liberacion del Saguia el hamra y Rio
de oro, d'entreprendre des négociations directes en
vue de parvenir à un cessez-le-feu visant à créer les
conditions nécessaires pour un référendum pacifique
et juste en vue de l'autodétermination du peuple du
Sahara Occidental, un référendum sans aucune
contrainte administrative ou militaire, sous les aus-
pices de l'Organisation de l'Unité Africaine et
l'Organisation des Nations Unies,
4. Se félicite des efforts déployés par le président
en exercice de l'Organisation de l'Unité Africaine et
le Secrétaire général de l'Organisation des Nations
Unies en vue d'aboutir à une solution juste et
définitive de la question du Sahara Occidental,
5. Invite le président en exercice de l'Organisation
de l'Unité Africaine et le Secrétaire général de
l'Organisation des Nations Unies à œuvrer en vue
d'amener les deux parties en conflit, le royaume du
Maroc et le front Polisario, à négocier conformément
à la résolution ahg/res 104 (XIX) de l'Organisation de
l'Unité Africaine et à la présente résolution les
conditions d'un cessez-le-feu et les modalités d'orga-
nisation du dit référendum.
6. Réaffirme la détermination de l'Organisation
des Nations Unies de coopérer pleinement avec
l'Organisation de l'Unité Africaine en vue de la mise
en œuvre des décisions pertinentes de la dite
organisation notamment la résolution ahg/res 104
(XIX).

174
7. Prie le comité spécial chargé d'étudier la
situation en ce qui concerne l'application de la
déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et
aux peuples coloniaux de continuer à examiner la
situation au Sahara Occidental en tant que question
prioritaire et de faire rapport à ce sujet à l'Assemblée
générale lors de sa quarante et unième session.
8. Invite le Secrétaire général de l'Organisation de
!'Unité Africaine à tenir le Secrétaire général de
l'Organisation des Nations Unies informé des progrès
accomplis au sujet de l'application des décisions de
l'Organisation de !'Unité Africaine relatives au
Sahara Occidental,
9. Invite le Secrétaire général à suivre de près la
situation au Sahara Occidental en vue de l'application
de la présente résolution et d'en faire rapport à
l'Assemblée générale lors de sa quarante et unième
session. Stop et fin. -

-5-

RÉSOLUTION DE LA COMMISSION
DES DROITS DE L'HOMME
DE L'O.N.U. *

Dans sa 42e session, la Commission des droits de


l'homme a adopté par 29 voix contre la résolution
suivante sur la question du Sahara Occidental.

(•) Février 1987.

175
« La Commission des droits de l'homme,
Ayant examiné de manière approfondie la question
du Sahara Occidental ;
Rappelant le droit inaliénable de tous les peuples à
l'autodétermination et à l'indépendance, conformé-
ment aux principes énoncés dans la charte des Nations
Unies et dans la résolution 1514 (XV) de l'Assemblée
générale, en date du 14 décembre 1960, contenant la
déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et
aux peuples coloniaux ;
Réaffirmant la résolution 40/50 de l'Assemblée
générale en date du 2 décembre 1985;
Rappelant la résolution AHG/RES. 104 (XIX) sur
le Sahara Occidental, adoptée à l'unanimité par la
conférence des chefs d'Etat et de Gouvernement de
l'Organisation de l'Unité Africaine lors de sa dix-
neuvième session ordinaire, tenue à Addis-Abeba du
6 au 12 juin 1983 ;
Rappelant aussi ses résolutions 4 (XXXVI) du
15 février 1980, 12 (XXXVII) du 6 mars 1981,
1982/15 du 25 février 1982, 1983/6 du 16 février 1983,
1984/13 du 29 février 1984 et 1985/5 du 26 février
1985;
Consciente qu'il est de son devoir de promouvoir et
encourager le respect des droits de l'homme et des
libertés fondamentales pour tous ;
1. Réaffirme que la question du Sahara Occidental
est une question de décolonisation à parachever sur la
base de l'exercice par le peuple du Sahara Occidental
de son droit inaliénable à l'autodétermination et à
l'indépendance,
2. Réaffirme également que la solution à la
question du Sahara Occidental réside dans l'applica-
tion de la résolution AHG/RES.104 (XIX) de la

176
conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement de
l'Organisation de !'Unité Africaine qui établit les
voies et moyens d'une solution politique juste et
définitive du conflit du Sahara Occidental ;

3. Demande de nouveau à cet effet aux parties au


conflit, le Royaume du Maroc et le Frente popular
para la liberacion de Saguia El-Hamra y de Rio de
Oro, d'entreprendre dans les meilleurs délais, des
négociations directes en vue de parvenir à un
cessez-le-feu visant à créer les conditions nécessaires
pour un référendum pacifique et juste en vue de
l'autodétermination du peuple du Sahara Occidental,
un référendum sans aucune contrainte administrative
ou militaire sous les auspices de l'Organisation de
l'Unité Africaine et de l'Organisation des Nations
Unies;

4. Se félicite des efforts déployés par le Président


en exercice de l'Organisation de !'Unité Africaine et
le Secrétaire général de l'Organisation des Nations
Unies en vue d'aboutir à une solution juste et
définitive à la question du Sahara Occidental ;

5. Se félicite également de l'invitation faite par


l'Assemblée générale au Président en exercice de
l'Organisation de l'Unité Africaine et au Secrétaire
général de l'Organisation des Nations Unies à œuvrer
en vue d'amener les deux parties en conflit, le
Royaume du Maroc et le Frente Popular Para la
Liberaci6n de Saguia El-Hamra y Rio de Oro à
négocier, dans les meilleurs délais, conformément à la
résolution AHG/RES. 104 (XIX) de l'Organisation
de l'Unité Africaine et à la résolution 40/50 de
l'Assemblée Générale, les conditions d'un cessez-le-
feu et les modalités d'organisation dudit référendum ;

177
6. Exprime sa satisfaction devant la détermination
de l'Organisation des Nations Unies de coopérer
pleinement avec !'-Organisation de !'Unité Africaine
en vue de la mise en œuvre des décisions pertinentes
de ladite Organisation notamment la résolution
AHG/RES.104 (XIX);
7. Décide de suivre l'évolution de la situation au
Sahara Occidental et d'examiner cette question à sa
quarante-troisième session, à titre hautement priori-
taire, dans le cadre du point de l'ordre du jour intitulé
« Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et son
application aux peuples assujettis à une domination
coloniale ou étrangère ou à l'occupation étrangères.»

-6-

CONSULTATION DE JURISTES
DU DROIT INTERNATIONAL
CONCERNANT LA RENÉGOCIATION
PAR LA C.E.E.
D'UN ACCORD DE PÊCHE
AVEC LE ROYAUME DU MAROC*

ABELLANHONRABIA,Victoria
Catedratica Derecho Internacional Publico,
Universidad de Barcelona.
BARBIERMaurice
Professeur Université Nancy.

(•) Avril 1987.

178
BONTEMS,Claude
Professeur agrégé des Facultés de Droit,
Université de Paris, Sud XI.
CONDERELLI Luigi
Professeur Université Genève.
DAVID, Eric
Chargé de cours à l'Université Libre de Bruxelles.
HEINTZ Manfried
Professeur Université Bremen.
JouvE, Edmond
Professeur Université Paris-!.
PIERSON-MATHY, Paulette
Chargée de cours à l'Université Libre de Bruxelles.
RIGAUX,François
Professeur à l'Université Catholique de Louvain,
Membre de l'Institut de droit international.
SALMON,Jean
Professeur à l'Université Libre de Bruxelles,
Membre de l'Institut de droit international.
VERHOEVEN, Jo
Professeur à l'Université Catholique de Louvain,
A voué de l'Institut de droit international.
WAQUET,Régis
Avocat à la Cour,
Syndicat des Avocats de France.
consultés par la République Arabe Sahraouie Démo-
cratique, à l'occasion de la renégociation par la
C.E.E. de l'accord hispano-marocain du 1eraoût 1983,
sur la compatibilité de certaines clauses dudit accord
avec les règles du droit international déterminant le
statut du Sahara Occidental.
ont donné l'avis suivant :
1. Le 1eraoût 1983, un traité de pêche a été conclu
entre l'Espagne et le Royaume du Maroc. En son

179
article 16, il était prévu que l'accord demeurerait en
vigueur durant quatre ans mais que, dans l'hypothèse
où l'Espagne adhèrerait à la Communauté Economi-
que Européenne, les hautes parties contractantes
entameraient des négociations afin d'introduire dans
l'accord les modifications qu'elles estimeraient oppor-
tunes.
Le ter janvier 1986 est entré en vigueur !'Accord
d'adhésion de l'Espagne à la Communauté Economi-
que Européenne. L'article 167 dudit accord dispose
que:
« Dès l'adhésion, la gestion des accords de pêche
conclus par le Royaume d'Espagne avec des pays tiers
est assurée par la Communauté. »
Il découle de cette disposition que la Communauté
est devenue compétente pour renégocier le traité de
pêche hispano-marocain, qui expire le 31 juillet 1987.
2. Sans mettre en cause la possibilité du Maroc et
de la C.E.E. de conclure un accord de pêche, la
R.A.S.D. a le droit incontestable de veiller à ce que le
futur accord ne porte pas atteinte à ses droits et à ceux
de son peuple.
Or, une reconduction pure et simple de l'accord de
1983 soulève à ce propos d'indiscutables difficultés.
L'accord ne fournit, en effet, aucune indication
précise quant à son champ d'application territorial.
La formule utilisée aux articles 1er et 6e et à
l'annexe II « las aguas bajo juridicci6n marroqui »
(«les eaux sous juridiction marocaine ») est ambiguë
puisqu'elle n'indique pas exactement jusqu'où, vers le
Sud, s'étendent les dites eaux. Ces termes ne
soulèvent aucun problème s'ils visent simplement des
eaux marocaines internationalement reconnues, soit
celles au Nord du parallèle 27°40'. En revanche, ils

180
sont inacceptables s'ils incluent des espaces sur
lesquels le Maroc prétendrait exercer des droits soit
en vertu de !'Accord de Madrid, soit en vertu de son
occupation illégale.
L'expérience a confirmé que cette absence de
délimitation claire engendre de multiples incidents
entre les autorités sahraouies et les pêcheurs étran-
gers, en particulier lorsque leurs navires croisent dans
les eaux sahraouies en arborant - à titre de
courtoisie - le pavillon marocain.
En effet, la R.A.S.D. exerce sa souveraineté sur
ses eaux territoriales et des droits souverains sur sa
zone économique exclusive, ainsi que sur son plateau
continental, conformément au droit international.
Elle est donc fondée à arraisonner tout navire qui,
sans son accord, se livrerait à la pêche dans les
espaces maritimes relevant de sa juridiction. Ces
espaces étant actuellement une zone de guerre, un tel
navire s'expose à être détruit en cas de résistance ou
de toute forme d'hostilité.
Il est hautement souhaitable, pour éviter de tels
incidents, qu'à l'occasion des négociations en cours,
des formules dénuées de toute équivoque soient
adoptées.
Il est certain que, si la C.E.E. maintient dans
l'accord qu'elle est en train de négocier avec le Maroc
les formules qui précèdent, dont il est clair qu'elles
sont interprétées par le Maroc comme une reconnais-
sance implicite de sa compétence - quelqu'en soit le
fondement - sur les eaux du Sahara Occidental, la
C.E.E. devra être considérée comme se ralliant aux
thèses marocaines.
3. Or, de telles thèses sont incompatibles avec le
statut international du Sahara Occidental.

181
A ce propos, la Communauté semble n'avoir pas
pris conscience de l'importance de l'enjeu.
Dans la réponse qu'elle a donnée, le 18 avril 1986,
à la question écrite posée par Madame A.M. Lizin, la
Commission soutient, en effet, que « les accords de
pêche concernent les possibilités de pêche allouées à la
Communauté dans les eaux sous souveraineté ou
juridiction des pays-tiers concernés; les questions de
limitation territoriale ne sont pas de la compétence de
la Communauté».

Cette répomse appelle une précision.


Il va de soi qu'il n'appartient pas à la Communauté
de délimiter les territoires d'un Etat, mais il lui
appartient de convenir avec ses contractants du
domaine territorial d'application des accords qu'elle
conclut. Ce faisant, elle ne saurait s'arroger des droits
d'exploitation dans un espace qui ne se trouve pas
sous la souveraineté ou la juridiction exclusive de son
co-contractant. Aucun accord de pêche conclu avec le
Maroc ne saurait conférer à la Communauté des
droits dans des eaux qui, selon le droit international,
relèvent du peuple sahraoui et de la R.A.S.D.

4. La R.A.S.D., dont l'indépendance fut procla-


mée le 27 février 1976, est un Etat au sens du droit
des gens, aujourd'hui reconnu par 69 Etats de la
communauté internationale. Elle a été admise comme ,
membre à part entière de l'O.U.A. en 1982.. On ne
saurait en contester l'existence au seul motif qu'une
portion de son territoire est illégalement occupée par
le Maroc. Cette occupation, qui a été internationale-
ment condamnée, complique l'exercice par la
R.A.S.D. de ses droits souverains; elle ne saurait
mettre en doute leur existence.

182
5. Il est vrai que les Etats membres de la C.E.E.
n'ont pas, à ce jour, reconnu la République
sahraouie. Quand bien même ils lui contesteraient la
qualité d'Etat, il demeure interdit à la Communauté
de convenir avec le Maroc de l'exploitation des
ressources naturelles dans des eaux qui, selon le droit
des gens, ne relèvent pas des droits souverains ou
exclusifs de l'Etat marocain. Même aux Etats qui ne
reconnaissent pas la R.A.S.D., s'impose l'existence
d'un peuple sahraoui auquel est reconnu universelle-
ment le droit inaliénable à l'autodétermination et à
l'indépendance.
L'existence de ce peuple et de ses droits a été
clairement constatée par la Cour Internationale de
Justice dans l'avis qu'elle a rendu le 16 octobre 1975.
L'Assemblée Générale des Nations Unies a constam-
ment affirmé que le peuple sahraoui est un peuple
colonial dont les droits doivent être sauvegardés tant
qu'il ne sera pas en mesure d'exercer pleinement son
droit à l'autodétermination. L'Assemblée Générale
tient le Front Polisario pour le représentant légitime
de ce peuple.
6. Ces droits comprennent la protection des res-
sources naturelles, notamment halieutiques, ainsi que
cela a été souligné par la Résolution III, adoptée à
Montego Bay, dans l'acte final de la Troisième
Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer.
Aux termes de ce texte, la Conférence déclare
que:.
« dans le cas d'un territoire dont le peuple n'a pas
accédé à la pleine indépendance, ou à un autre régime
d'autonomie reconnu par les Nations Unies, ou d'un
territoire sous domination coloniale, les dispositions
relatives à des droits ou intérêts visés dans la
Convention sont appliquées au profit du peuple de ce

183
territoire dans le but de promouvoir sa prospérité et
s~n développement».

Un Etat qui s'oppose par la force à l'exercice du


droit à l'autodétermination d'un peuple dont il occupe
illégalement une partie du territoire ne saurait
licitement en exploiter les ressources ou en concéder
l'exploitation.
Tout accord ayant un tel objet, conclu par la
Communauté, la rendrait, dès lors, complice de la
violation par le Maroc des droits fondamentaux du
peuple sahraoui. Les Etats membres de la Commu-
nauté, dont aucun ne dénie le droit du peuple
sahraoui à l'autodétermination, ne sauraient, sans
contradiction, la laisser s'engager dans un accord qui
méconnaîtrait ce droit.

7. Enfin, le Maroc est sans titre aucun a concéder


des droits dans des espaces qui ne relèvent juridique-
ment ni de sa souveraineté, ni de sa juridiction
exclusive.
Dans son avis du 16 octobre 1975, la Cour
Internationale de Justice a clairement dénié au Maroc
toute souveraineté sur le territoire du Sahara Occi-
dental.
Vainement, le Maroc pourrait-il se référer à
l'accord de Madrid du 14 novembre 1975 pour
justifier sa présence. Cet accord a été clairement
condamné par la communauté internationale et, en
outre, quelle qu'en fût la validité, il est devenu, en
toute hypothèse, caduc.
Depuis lors, le Maroc occupe illégalement une
partie du territoire du Sahara Occidental malgré les
résolutions de l'Assemblée Générale des Nations
Unies exigeant le retrait de son armée et de son
administration des zones occupées. Bien plus, après

184
l'accord d'Alger du 5 août 1979 - conclu entre la
République Islamique de Mauritanie et le Front
Polisario - le Maroc a étendu son emprise au
territoire évacué par la Mauritanie et dont la
souveraineté avait été expressément restituée aux
représentants du peuple sahraoui.
Jamais cette occupation illicite ne saurait conférer
au Maroc un titre à disposer des ressources naturelles
du Sahara Occidental. La Communauté est tenue,
conformément au droit des gens, de ne pas recon-
naître cette occupation illégale. Elle manquerait à
cette obligation si elle concluait avec le Maroc un
accord ayant pour effet l'exploitation des ressources
halieutiques du Sahara Occidental.
8. C'est la raison pour laquelle il importe que
l'accord de pêche devant être conclu par la C.E.E. et
le Maroc comporte une clause précise sur la délimita-
tion méridionale des zones de pêche marocaines,
excluant sans ambiguïté les eaux du Sahara Occi-
dental.
Si la C.E.E. veut obtenir des droits de pêche dans
les eaux du Sahara Occidental, elle est tenue de
conclure un accord avec la R.A.S.D. ou avec le Front
Polisario, représentant du peuple sahraoui reconnu,
tant par l'O.U.A. que par l'O.N.U.

Fait à Bruxelles, le 26 avril 1987.

185
BIBLIOGRAPHIE
SUR LE SAHARA OCCIDENT AL

« Trois Français au Sahara 1784-1786», par Maurice


BARBIER(218 pages, 1984), L'Harmattan.
« Voyages et explorations au Sahara Occidental au x1xe
siècle, Introduction, choix de textes et notes», par
Maurice BARBIER(371 pages, 1985), L'Harmattan.
« Le Conflit du Sahara Occidental», par Maurice BARBIER
(420 pages, 1982), L'Harmattan.
« Les Fondements Juridiques et Institutionnels de la
République Arabe Sahraouie Démocratique», Actes du
Colloque International de Juristes tenu à l'Assemblée
Nationale, Paris, 20 et 21 octobre 1984 (160 p.),
L'Harmattan.
« El Processo de autodeterminaci6n del Sahara», par
Francisco Vilar (410 pages, 1982), Fernando Torres
Editor S.A., Valencia, Espagne.
« La Guerre du Sahara Occidental », par Claude BONTEMS
(224 pages, 1984), Presses Universitaires de France,
Collection Perspectives Internationales.
« Western Sahara - The Roots of a Desert W ar », par
Tony HoDGES (380 pages, 1983), Lawrence Hill and
Company, Westport-Connecticut, U.S.A.
« Fueling the Fire » - U.S. Policy and the Western Sahara
Conflict, par Leo KAMIL(Sahraoui), 1986, The Red Sea
Press, Inc., Publishers and Distributors of Third World
Books, Trenton, New Jersey, U.S.A.
« De Oorsprong van het Nationalisme van het Saharaanse
Volk », from Tony HoDGES: « The Origins of Saharawi
Nationalism », in Third World Quarterly, January 1983,
vol. V, n° 1, Uitgave : Stichting Gastarbeidwinkel,
Holtermanstraat, 2, 6512 DB Nijmegen.

187
TABLE DES MATIÈRES

Le paradigme sahraoui
par Jean Ziegler . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Avant-propos ............................. 17
Lalia et ses rêves . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

Première partie
UN PEUPLE, UNE HISTOIRE
Chapitre I : Une société nomade originale 28
Chapitre II : Les «insoumis» des « terri-
toires interdits » . . . . . . . . . . . . . 44
Chapitre III : L'émergence du mouvement
nationaliste moderne . . . . . . . . 52
Chapitre IV : Du déclenchement de la lutte
à la proclamation de la
R.A.S.D. ................. 58
Chapitre V : Le droit international pour le
peuple du désert . . . . . . . . . . . . 66
Chapitre VI : Sur le front des sables . . . . . . . 84
Chapitre VII : New-York, Addis-Abeba, La
Haye : la bataille diplomati-
que....................... 98

189
Deuxième partie
LES SAHRAOUIS AU QUOTIDIEN
Interview de Mohamed Ould Rahal
par Lisa Pierre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109

Annexes
Des repères historiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148
Textes officiels ou juridiques :
1 - Avis consultatif de la Cour internatio-
nale de Justice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
2 - Texte de la Résolution adoptée par le
19esommet de l'O.U.A . . . . . . . . . . . . . . 160
3 - Lettre du chef de l'Etat sarhaoui au roi
du Maroc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
4 - Résolution de l'O.N.U. sur le Sahara
Occidental . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
5 - Résolution de la Commission des Droits
de l'Homme de l'O.N.U. . . . . . . . . . . . . . 175
6 - Consultation de juristes internationaux
sur l'accord de pêche renégocié entre la
C.E.E. et le Maroc . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178
Bibliographie sur le Sahara Occidental . . . . . . 187

190
ZeïnSaad
Au Sahara Occi- Les chemins dental se mène
depuis 1976 une sahraouis guerre oubliée,
ramenée réguliè- rement aux feux
de l'actualité : de l'espérance celle des Sah-
raouis pour la libération de leur
territoire occupé par le Maroc, en dépit de toutes les
résolutions des organismes internationaux. Réfugiée sur la
Hamada de Tindouf, balayée par les vents glacés en hiver,
brûlants en été, la majorité de la population civile vit sous
tente, déplacée depuis douze ans. Sur le front, les hommes
pieds nus, au courage indomptable. En face d'eux, une des
coalitions les plus agressives, les plus réactionnaires que
l'Afrique moderne ait connues, tandis que dans les geôles
marocaines des territoires occupés, des « experts » étrangers
assistent les bourreaux chérifiens, auxquels de leur côté, la
France, les Etats-Unis, l'Afrique du Sud et d'autres ne
refusent aucune aide militaire ...
Ce livre d'histoire et d'actualité est écrit par un Sahraoui.
De là, le ton passionné qu'on lui trouvera, et un désir
constant de ne rien laisser dans l'ombre, afin que nul ne
doute de la légitimité d'une lutte pleine d'espoirs où le
Maroc met aussi en jeu la paix dans cette partie du monde
et au-delà. Il en appelle à nos propres principes d'indé-
pendance, de liberté, de solidarité, à notre propre sens de
la dignité. De là, sans doute, l'émotion qui naît de ces
pages

LE FRONT POUSAR/0 - Front Populaire pour la Libé-


ration du Seguiet el Hamra et du Rio del Oro - est né le
10 mai 1973 au Sahara Occidental pour déclencher la lutte
armée contre le colonialisme espagnol qui commencera dix
jours plus tard. Après avoir organisé la résistance à l'invasion
maroco-mauritanienne, il mène aujourd'hui la guerre de
libération des Sahraouis contre l'envahisseur marocain.

17,05 €

11
9 782336 307664
ISBN : 2-85802-883-4

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