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ISBN 978-2-02-149416-7
Titre
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e e
Ouverture - Renouer nos histoires - (XXI siècle-XV siècle)
1 - Traces de la colonisation
Dans notre quotidien
Le scandale du chlordécone
Le Mai 67 de la Guadeloupe : une répression militaire dans un DOM
Interdépendances économiques
Le franc CFA : une politique monétaire sous tutelle
« Un signal lumineux que nous lançait l’avenir » : une philosophie des conférences nationales
souveraines
La francophonie, pilier de la diplomatie
5 - Histoires du futur
Aires culturelles
L’invention du « Sud »
Introduction
2 - L’empire ambigu
Militantes panafricaines
Le choc du procès de Djamila Boupacha
4 - Vers l’effondrement - (1945-1962)
Indochine et Algérie : dix-sept ans de conflit
Mutations métropolitaines
Octobre 1961, dissimulation et impunité
Le temps de la conquête
Atrocités : les enfumades du Dahra
2 - Bâtir et détruire
Colonies, protectorats, mandats
Touristes conquérants
Le caoutchouc rouge
Angoulême, l’empire en province
Culture impériale : la réinvention de l’exception française
Fécondités de la négritude
Un féminisme ambigu
Le mythe de la congaï
Racialisations à géométrie variable
Grandir à Tananarive
Maîtriser la nature
4 - Contester
Dénoncer le Congo-Océan
Violence : la preuve par l’image
Introduction
Désirs d’empire
Droit de conquête
Comment les Français ont pris pied en Amérique du Nord
2 - Gouverner l’empire
Les stratégies impériales
L’empire du milieu
L’empire au nom de l’assimilation
4 - L’esclavage
L’esclavage au quotidien
Le durcissement des Codes noirs
5 - Altérités
6 - L’explosion de l’empire
La guerre de Sept Ans, un conflit planétaire
1 - Mondialisations
Combien de mondialisations ?
2 - Empires
Les empires euro-asiatiques, ou l’empreinte des steppes
3 - Narrations
Cartes
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
TRACES DE LA COLONISATION
Dans notre quotidien
Lydie Moudileno
BIBLIOGRAPHIE
Étienne ACHILLE et Lydie MOUDILENO, Mythologies postcoloniales. Pour
une décolonisation du quotidien, Paris, Honoré Champion, 2018.
Robert ALDRICH, Les Traces coloniales dans le paysage français.
Monuments et mémoires, trad. fr. Ly-Lan Dill-Klein, Paris, Société française
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Nicolas BANCEL et Pascal BLANCHARD, Culture post-coloniale, 1965-2006.
Traces et mémoires coloniales en France, Paris, Autrement, 2011.
Éric DEROO et Sandrine LEMAIRE, L’Illusion coloniale, Paris, Tallandier,
2006.
Sophie DULUCQ, Jean-François KLEIN et Benjamin STORA (dir.), Les Mots
de la colonisation, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2008.
« Bougnoul » : les mots de l’insulte
Marie Treps
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
Depuis les années 1970, des élégants d’origine congolaise arpentent les
luxueuses boutiques de mode, les grands boulevards et les rues populaires de
Paris et de Bruxelles. Ces « Sapeurs », membres de l’informelle Société des
ambianceurs et des personnes élégantes (Sape), arborent costumes colorés,
cravates et chapeaux devenus rares. Passantes et passants leur jettent un œil
curieux, d’autant que leur démarche s’agrémente d’arrêts impromptus et de
poses sophistiquées.
Cette élégance extrême est une réponse à un imaginaire européen
construit depuis le XVIIIe siècle. Le « bon sauvage » inventé alors est censé
ignorer le vêtement et, dans le même temps, les esclaves sont dénudés de
force. Au XIXe siècle, les récits de voyageurs y ajoutent l’imaginaire des « rois
de pacotille », coiffés d’un haut-de-forme et portant une tunique militaire sur
des jambes nues, des poncifs repris par la presse et dans les carnavals. En
1931, la Revue du monde noir, qui s’interroge pour savoir « comment les
Noirs vivant en Europe doivent s’habiller », note que « la vue d’un Noir
habillé à l’européenne provoque le rire du Blanc [car celui-ci] a l’impression
que le Noir est déguisé ». La même année, Hergé dessine dans Tintin au
Congo des hommes torse nu portant panamas et faux-cols et parlant le « petit
nègre », langue inventée par l’armée. Dans l’imaginaire européen, parfois
jusqu’à aujourd’hui, les usages malhabiles de la langue et des vêtements
marchent ensemble.
Or, un nœud de cravate complexe suffit à déconstruire ce regard. Cette
coûteuse élégance a aussi un sens politique et social. Immigrés aux yeux des
Parisiens, les Sapeurs se vivent comme des « Aventuriers » dans la capitale
de la mode. Quand ils déclarent qu’ils vont à la « chaîne », ils ne rejoignent
pas celles de Renault comme d’autres immigrés, ainsi que l’a noté Justin
Gandoulou. Ces « chaînes » sont celles de l’esclavage, mais aussi celles qui
ceinturent la place de la République à Paris où ils paradent. Alors qu’un
« bon immigré » se fait discret et épargne, le Sapeur fait du « tapage » et
dilapide.
Certains Sapeurs de Paris et Bruxelles portent des casques coloniaux et
des uniformes, répliques des tuniques d’officiers d’occasion des chefs du
e
XIX siècle ou copies des vareuses de tirailleurs. Ces vêtements charrient et
jouent avec le passé partagé de la colonisation des Congos par la France et la
Belgique.
Dès les années 1880, en effet, la réinstallation des missionnaires
s’accompagne d’une politique vestimentaire. Il s’agit de contraindre les corps
à la décence et de planter le drapeau de la chrétienté sur eux. Uniformes pour
écoliers et catéchumènes, robes « mission » et complet veston « à
l’européenne » marquent la conversion des baptisés et des mariés.
Dans le même temps, alors que les chefs signent leur pouvoir en achetant
des fripes d’Europe et que les traités sont pleins de tissus, de vestes, de
chapeaux et de parapluies, les autorités coloniales veulent rendre la société
lisible en habillant les chefs d’une tenue d’apparat et d’une médaille.
À défaut d’Européens pour faire fonctionner l’administration, Français et
Belges désignent des auxiliaires. Ces écrivains, expéditionnaires et
télégraphistes issus des écoles missionnaires sont appelés « évolués » ou
« indigènes évolués ». Dans la société coloniale, la maîtrise de la langue des
colonisateurs et l’adoption de leur mode de vie fixent les hiérarchies. Le
vêtement incarne cet ordre qui a pour sommet le colon vêtu de blanc et coiffé
d’un casque colonial.
Mais rapidement boys et auxiliaires inquiètent tant ils dépassent en
élégance leurs maîtres. Les enquêtes policières se multiplient qui pointent que
leur français sophistiqué et leurs tenues s’accompagnent d’un irrespect des
autorités. Les Congolais en complet veston, casque sur la tête et chaussures
blanches aux pieds, manifestent leur refus d’être des corps corvéables. Si
l’obtention du statut d’« évolué » permet une ascension sociale, il ne donne
pas accès à la citoyenneté. Des tirailleurs de retour de la Première Guerre
mondiale ou du Rif le disent en ne quittant pas leurs uniformes impeccables.
Matswa devient à la fois une figure de l’élégance et de l’anticolonialisme,
arrêté et tué.
Le nom de Sape, adopté dans les années 1970 d’abord par les Congolais
de France, joue de ces histoires imbriquées. Ironie sur le goût de
l’administration coloniale pour les acronymes, il relève aussi de l’argot – « se
saper », c’est bien s’habiller. Mais le terme ne désigne-t-il pas aussi à
l’origine le fait de détruire un édifice à la base, autrement dit d’ébranler
l’édifice colonial ? La langue porte cette histoire longue, comme l’actuelle
« danse des griffes », manière d’afficher la qualité de ses vêtements en
rejouant les mêmes gestes depuis les années 1920.
Imitations ? Parodies ? Rejeu sur le mode de la farce d’une histoire
tragique ? La Sape est tout cela à la fois. Après la domination coloniale et les
difficultés des migrations, les Sapeurs sont réprimés par le Parti congolais du
travail à Brazzaville et par la zaïrisation menée par Mobutu à Kinshasa. La
Sape est toujours une subversion par le style. Dans les plis soignés des
vêtements, elle porte une histoire complexe. Elle est à la fois butin colonial,
contestation radicale et interrogation adressée aux passants, de France comme
du Congo.
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
É man gan jo amọ, égan wọn – « On ne peut pas pardonner, mais on peut
oublier ».
Implantée en amphithéâtre au bord de la lagune du fleuve Ouémé, à une
dizaine de kilomètres du Nigeria, la capitale politique de la république du
Bénin porte trois toponymes : Porto-Novo, Xògbónù, Àjàṣẹ. Nommer cette
petite ville ou y cheminer, c’est expérimenter de concert l’appropriation des
formes coloniales et la résistance d’ontologies non occidentales. L’ocre de la
terre de banco révèle un bâti séculaire, où les maisons à étages restent rares.
Un œil plus exercé distingue le quadrillage inachevé d’un urbanisme colonial
enchâssé dans un dédale de ruelles, marchés et placettes vodun. Craints et
sacrés, de nombreux arbres bornent les territoires lignagers ou spirituels. Çà
et là, des restes de l’architecture dite « brésilienne ». En périphérie, de récents
boulevards longent de gigantesques villas carrelées d’inspiration mecquoise,
uniquement concurrencées par la démesure des édifices religieux de béton et
de toutes obédiences – où le vodun a toute sa place.
Officiellement, la cité-État de Xògbónù a été baptisée Porto-Novo au
e
XVIII siècle par un « explorateur portugais » en raison de sa ressemblance
avec Porto. Il n’en est rien. Porto Novo désigne le « nouveau port » de traite
des Noirs, fondé en 1750 par des marchands cherchant à échapper aux taxes
que le roi d’Abomey (royaume du Danxomè) leur impose à Ouidah. Vassal
du royaume d’Òyó, Porto-Novo devient, avec Lagos, son marché aux
esclaves, longtemps après l’interdiction de la traite en 1815. Comme à
Ouidah, des Brésiliens, souvent anciens captifs, s’installent. Certains
participent à cette traite désormais illégale. À Porto-Novo, la mémoire de
cette traite affleure dans les panégyriques des lignages, les toponymes (ville,
places, marchés), le bâti des Brésiliens. Au milieu du XIXe siècle, le royaume
et ses marchands se convertissent à l’huile de palme. Les maisons de
commerce marseillaises imposent traités et protectorats successifs, favorisent
les rois conciliants. À partir de 1890, la ville devient le camp de base de
l’armée coloniale française pour la conquête du Danxomè. Missionnaires et
colons s’installent sur les terres concédées par le roi Toffa. La cathédrale est
bâtie sur le temple de Héviéso, vodun de la foudre ; le bois sacré du Migan
(oncle maternel du fondateur du royaume) devient jardin d’acclimatation. La
ville se dote de grands entrepôts, de trois avenues arborées, d’un palais du
gouverneur, d’une poste, d’un hôpital, d’un pont et d’un chemin de fer à
visée extractive : acheminer l’huile de palme produite par des artisanes
(500 000 ha en 1930) bientôt remerciées au profit d’une organisation
industrielle mort-née. À l’indépendance, le 1er août 1960, la plupart des
édifices institutionnels gardent une fonction publique – le palais du
gouverneur devenant l’Assemblée nationale.
Trente ans de république populaire, suivis d’ajustements structurels et,
surtout, de la méfiance des gouvernements successifs, isolent cette ville
réputée ingérable. Alors que son centre historique est préservé du fait de son
abandon au profit de Cotonou, Porto-Novo développe de nouveaux quartiers
et vit de ses échanges avec le Nigeria. Dans les années 1990, place à
l’économie patrimoniale : la coopération française s’intéresse d’abord aux
traces coloniales, que les jeunes Béninois nomment les « vieilleries de
Blancs ». À partir des années 2000, c’est au tour du bâti dit « afro-brésilien »
d’être inventorié, ce qui n’empêche pas l’effondrement de nombreuses
demeures ou le délaissement de la mosquée historique au profit d’un édifice
flambant neuf.
Cité-royaume colonisée par les marchands depuis sa fondation, Porto-
Novo est passée de l’économie de traite esclavagiste à l’économie de
plantation coloniale, sans rupture ni rébellion apparente. Mais, pendant ces
décennies, la colonisation et les programmes de patrimonialisation de Porto-
Novo ont ignoré ce qui fonde et forme Xògbónù, du cœur du palais central
aux quartiers les plus excentrés : la cité est structurée autour des Yoxo, les
temples des ancêtres fondateurs implantés dans chaque collectivité familiale
devenue quartier. Les espaces publics ne sont qu’une extension partagée de
ces maisonnées. Depuis les années 2010, la restauration progressive des
places dites vodun est au cœur des programmes de coopération. Bien
qu’uniformisante, elle révèle un peu de la trame urbaine, l’omniprésence et
l’omnipotence des vodun, auparavant invisibles à l’œil néophyte. Au travers
de ses fêtes et festivals vodun, Xògbónù se révèle sous Porto-Novo. Reste
l’inconnue, Àjàṣẹ : cité originelle tout autant que dense réseau des mondes
yoruba, rites et langues des mères fondatrices, des épouses captives, des
cheffes de cultes, des grandes commerçantes ou des tantes qui aujourd’hui
encore sont les gardiennes des mémoires collectives. Le paysage d’Àjàṣẹ,
matrimoine pré et postcolonial, reste à rencontrer.
BIBLIOGRAPHIE
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Diên Biên Phu, ces trois syllabes amères pour les troupes de l’Union
française contraintes de cesser le feu au terme d’une bataille acharnée, le
7 mai 1954, sont devenues la métaphore d’une défaite humiliante, à conjurer
à tout prix, dans le camp du « monde libre » dominé par les États-Unis à
l’heure de la guerre froide. Mais, dans l’autre camp, celui des Vietnamiens
communistes, de tous ceux qui se sentaient alors solidaires de leur lutte pour
l’indépendance et qui commençaient à se rassembler au sein d’un tiers-monde
en gestation, Diên Biên Phu (DBP) a cristallisé une puissante vague d’espoir.
Planétaire, l’onde de choc s’est répercutée sur tous les continents, de l’Asie
orientale à l’Amérique en passant par l’Afrique. En Afrique du Nord, elle a
même galvanisé les luttes pour l’indépendance, particulièrement en Algérie
où elle a précipité le passage du Front de libération nationale à la lutte armée
contre la puissance coloniale.
En République démocratique (socialiste à partir de 1976) du Vietnam,
cette bataille refondatrice d’un nouvel État-nation vietnamien a accédé au
rang de mythe sacré et le principal responsable de la victoire, le général Vo
Nguyên Giap, au panthéon des héros de la nation, à l’ombre de la figure
tutélaire du stratège et fondateur de la RDV, Hô Chi Minh. Cette victoire, au
coût humain exorbitant, tient à trois grands facteurs : la sous-estimation de
son adversaire par le haut commandement français, l’intensification de l’aide
chinoise et, surtout, la persévérance et le courage des soldats de l’Armée
populaire du Vietnam – les bo doi –, secondés par une armée de travailleurs
civiques (dan cong) estimée à 300 000 femmes et hommes, recrutés de gré ou
de force. Motivée par la réforme agraire, cette contribution populaire –
essentiellement paysanne – a joué un rôle crucial dans la logistique de la
bataille.
Aussi, DBP est-elle vite devenue, pour le Parti communiste vietnamien,
la métaphore d’une mobilisation exceptionnelle, d’un esprit de résistance et
de sacrifice porté à son paroxysme. Soigneusement entretenu par une
politique mémorielle et une propagande de guerre promptes à occulter les
fractures de la nation vietnamienne, cet esprit va être convoqué par les
autorités communistes aux moments critiques de l’histoire vietnamienne.
Pendant la guerre contre les États-Unis et leurs alliés sud-vietnamiens,
dans les années 1960-1975, « l’esprit de DBP » irrigue constamment la
propagande du Parti. Dans un ouvrage de 1964, le général Giap en résume les
principaux traits : « l’esprit révolutionnaire dans sa plus haute expression, qui
ne se laisse pas griser par la victoire ou rebuter par les difficultés, qui porte à
combattre jusqu’à la victoire finale en n’importe quelle circonstance ». Dix
ans avant la grande victoire du printemps 1975 et la prise de Saïgon, il
conclut à l’inéluctabilité de la victoire vietnamienne contre « l’impérialisme
américain et ses valets », au terme d’une « nouvelle campagne de DBP,
grandiose et de longue durée ».
Mais jamais sans doute, pendant la guerre du Vietnam, ces trois syllabes
n’ont été autant convoquées qu’en décembre 1972, lorsque les Vietnamiens
ont dû faire face aux bombardements les plus intensifs de l’histoire de
l’aviation. Lors de l’opération Linebacker II ordonnée par le président Nixon,
20 000 tonnes de bombes sont larguées par des centaines de B-52 et des
chasseurs bombardiers, entre le 18 et le 29 décembre, entraînant
d’innombrables destructions et la mort de plus de 2 300 civils. La réaction de
la DCA nord-vietnamienne se révèle suffisamment efficace pour qu’au
troisième jour de bombardements le Strategic Air Command révise sa
stratégie. De ce succès, et de quelques autres, naît l’expression de « Diên
Biên Phu aérien », reprise pour la première fois par le quotidien Nhan Dan, le
29 décembre 1972, comme dans une chanson héroïque du célèbre
compositeur vietnamien Pham Tuyên.
Une victoire dans le ciel de Hanoï, comparable à celle remportée vingt
ans auparavant dans la haute région du Nord-Ouest ? On comprend aisément
le potentiel mobilisateur de DBP. Mais l’historiographie officielle et encore
héroïsante de la guerre est aujourd’hui contestée au Vietnam même,
notamment par les témoignages des Hanoïens ayant subi ces bombardements,
qui trahissent leurs souffrances et leur découragement, en écho à ceux d’une
partie des acteurs de la bataille de DBP, en 1954.
Depuis les années 2000, l’esprit de DBP a continué d’être invoqué par les
anciens comme par les autorités. Fort d’un prestige intact, le général Giap a
plusieurs fois exhorté ses compatriotes et leurs dirigeants, dans les années
1990-2000, à un « Diên Biên Phu économique », non sans succès. Il a lui-
même donné l’exemple en se battant pour la construction, achevée en 2013,
d’un vaste réservoir d’eau – devenu le lac « Ông Giap » (« Monsieur
Giap ») – destiné à irriguer près de 300 hectares de rizières dans cette
province enclavée et encore pauvre.
La victoire de DBP demeure aussi et surtout au cœur de la rhétorique du
Parti communiste en lui conférant, avec la croissance économique dont le
développement de la ville de Diên Biên Phu elle-même reflète la rapidité,
l’une de ses principales sources de légitimité. Symbole le plus éclatant d’une
lutte anticoloniale très fortement soutenue par la Chine, l’esprit de DBP est
désormais mis au service de la sécurité nationale, qu’une très large fraction
de la population vietnamienne juge menacée, précisément, par son puissant
voisin du nord.
BIBLIOGRAPHIE
Diên Bien Phu vu d’en face. Paroles de « bo doi », Paris, Nouveau Monde
Éditions, 2010.
Dôi mat voi B-52 – Hoi uc Ha Noi, 18/12/1972-29/12/1972 (« Affronter les
B-52. Mémoires de Hanoï »), Ho Chi Minh-Ville, éditions Tre, 2012.
Général Vo Nguyên GIAP, Diên Biên Phu, 3e éd. revue et augmentée, Hanoï,
Éditions en langue étrangère, 1964.
Pierre JOURNOUD (avec la collaboration de Dao Thanh HUYEN), Diên Biên
Phu. La fin d’un monde, Paris, Vendémiaire, 2019.
Luu TRONG LÂN, Le Diên Biên Phu de l’air. Une victoire de la
détermination et de l’intelligence des Vietnamiens, Hanoï, Thê Gioi, 2006.
Ouvéa, Nouvelle-Calédonie, 1988
et après ?
Benoît Trépied
BIBLIOGRAPHIE
De 1945 à 1954, 300 000 Français ont servi dans les forces du corps
expéditionnaire français en Extrême-Orient (CEFEO). À la fin de la « guerre
d’Indochine », les soldats de métropole représentaient 30 % des effectifs du
CEFEO. Les autres étaient des légionnaires, des « Indochinois », des
« Sénégalais » et, au total, 123 000 « Nord-Africains », dont environ un
millier de déserteurs et de ralliés au Vietminh suscitaient l’inquiétude et
l’attention de la hiérarchie. Parmi eux, des Marocains – environ cent
cinquante – ont connu une épopée particulière, ne pouvant regagner le Maroc
qu’en 1972 (avec épouse vietnamienne et enfants), presque vingt ans après la
fin de la guerre – alors qu’Algériens et Tunisiens étaient rentrés dès la
proclamation de l’indépendance de leur pays respectif (1956, 1962).
Miloud el-Sahli est né en 1935 dans un village pauvre de la région de
Rabat, où son père, avec qui ses relations étaient mauvaises suite à son
remariage, cultivait un lopin de terre. Après un passage par l’école coranique,
Miloud est inscrit par un oncle, sorte de père adoptif (et goumier dans
l’armée française), à l’école primaire française, où il obtient le certificat
d’études. Au décès prématuré de l’oncle, Miloud se propose comme homme à
tout faire auprès du garde forestier, et apprend tous les métiers – jardinier,
cuisinier, chauffeur d’engins agricoles, chasseur… Et le français, tout le
temps.
Fort de ce bagage, Miloud s’engage alors pour quatre ans dans l’armée
française, où sa connaissance du français et de l’arabe, oral et écrit, fait de lui
un interprète. On est en 1951, époque où il rencontre, dans les rangs et au
café, des militants de l’Istiqlal, parti de l’indépendance, et du PC marocain
qui font son éducation politique. Malgré leur avis pourtant, il choisit
« l’Indochine » – dont il ignorait tout, mais la prime était élevée et, dans
l’armée française « on apprend, on apprend… ». Après un détour de quelques
mois en Allemagne pour instruction militaire, Miloud est débarqué à
Haïphong.
Il va de découverte en découverte : la cuisine, la langue, la guerre, des
membres du Viêt Minh – parmi les prisonniers, dans les rangs, à la buanderie,
partout. La nouvelle de la déportation du roi du Maroc par la France le
26 août 1953 déclenche sa colère et précipite sa décision, comme celle de
bien d’autres : passer à l’ennemi. Après bien des péripéties, ils « trouvent le
Viêt Minh » et ses camps, puis sont regroupés dans une ferme collective,
jadis plantation française au nord de Hanoï. Commence une vie de paysans
payés pour construire leur case, débroussailler, mettre en culture, produire,
fournir à la coopérative. Les hommes épousent des Vietnamiennes
marginalisées – pourquoi, sinon, se marier avec un « Européen noir » ? –,
apprennent le vietnamien, Miloud sait même l’écrire, des enfants naissent et
vont, gratuitement, à l’école. Toujours aussi ingénieux, Miloud acquiert les
rudiments nécessaires à un infirmier.
Les ralliés n’ont pas tous déserté à la même époque, ni pour les mêmes
raisons ni de la même façon. Certains sont partis avec armes et bagages, non
sans avoir mitraillé leurs supérieurs et libéré des prisonniers, d’autres dans le
sillage de rencontres inopinées. Quelques-uns – de fortes têtes – ont quitté
l’armée française dès 1949. Cantonnés en Chine frontalière pour formation
idéologique et initiation à la propagande nocturne auprès des casemates de
soldats français, ils appellent à la désertion ou à la quille en l’air par porte-
voix et tracts, en français et en arabe. Les propos insultants et racistes d’un
supérieur en ont précipité d’autres vers « l’ennemi ». Certains, enfin,
véritables prisonniers, ont accepté de se déclarer « ralliés ».
Diên Biên Phu est loin, passent les mois, plusieurs années, toujours pas
de Maroc en vue – indépendant depuis 1956 !
L’intermédiaire et l’intercesseur du groupe auprès des autorités
vietnamiennes est un dénommé Maarouf, alias Ahn Ma, membre éminent du
PC marocain. Désormais haut gradé dans l’armée de Giap, il avait été recruté
par les services de Hô Chi Minh via le célèbre Abdelkrim, alors installé
au Caire, capitale du tiers-mondisme en lutte. Soldat de l’armée française
pendant la Seconde Guerre mondiale, couvert de décorations, Maarouf
organise désormais la résistance dans le CEFEO, la formation politique et
l’ordre dans les camps de ralliés et de prisonniers nord-africains, non sans
une certaine bienveillance pour « ses Marocains », dont Miloud. Devenu
porte-parole, tacticien et stratège du mouvement pour le retour au pays, ce
dernier écope néanmoins d’un an de camp de redressement pour cause de
manifestations, de sit-in et de démarches sauvages auprès d’ambassades à
Hanoï. Tous ne le suivent pas et des conflits internes divisent la communauté
marocaine.
Au fait de la situation, le jeune roi Hassan II ne veut surtout pas de ces
« communistes anti-français ». Guerre froide oblige, les négociations durent
seize ans et ces « poussières d’empires » atterrissent au Maroc avec leur
famille en janvier 1972.
Dix ans après que j’ai écrit leur histoire, révélation : une douzaine de
(petits)enfants de ces Marocains étaient restés au Viêt Nam avec leur mère. À
leur demande s’ensuivit une autre recherche, menée à plusieurs : trouver qui
avait été leur (grand) père… Un Marocain, disait-on ?
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
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Claire ELDRIDGE, From Empire to Exile : History and Memory Within the
pied-noir and harki Communities, 1962-2002, Manchester, Manchester
University Press, 2016.
Yann SCIOLDO-ZÜRCHER LEVI, Devenir métropolitain. Parcours et politique
d’intégration de rapatriés d’Algérie en métropole, de 1954 au début du
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—, « L’indemnisation des biens perdus des rapatriés d’Algérie : politique de
retour ou innovation postcoloniale ? », Revue européenne des migrations
internationales, vol. 29, no 3, 2013, p. 77-91.
Françafrique : des rapports asymétriques
Jean-Pierre Bat
BIBLIOGRAPHIE
« Hourrah pour la France ! Depuis ce matin, elle est plus forte et plus
fière », s’exclame le général de Gaulle le 13 février 1960. Le moment est
historique. La France vient de faire exploser à Reggane (Algérie) la
« Gerboise bleue », sa première bombe atomique. Quelques mois plus tard la
« Gerboise blanche » et la « Gerboise rouge » prendront le relais. À la
colonisation armée de l’Algérie sous le drapeau tricolore succède ainsi sa
colonisation radioactive propulsée par le champignon tricolore. À l’ère des
décolonisations, l’empire colonial français atomisé instaure par ce biais un
nouveau type de pouvoir : nucléaire.
En quête de sa grandeur perdue pendant la Seconde Guerre mondiale, la
France s’est lancée dès après les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki
dans l’aventure atomique. Le CEA (Commissariat à l’énergie atomique) créé
en 1945 à l’initiative de Charles de Gaulle a une double mission, civile et
militaire, et est doté de moyens techniques et humains accrus. En 1947,
l’URSS acquiert sa première bombe atomique. En 1952, l’Angleterre réalise
son premier essai atomique en Australie tandis que les États-Unis font
exploser leur bombe thermonucléaire dans le Pacifique. La même année, la
France lance son premier plan quinquennal d’énergie atomique, ayant pour
objectif avéré de produire au moins cinquante kilos de plutonium 239,
quantité suffisante pour fabriquer 6 à 8 bombes. Les infrastructures
nécessaires à l’armement nucléaire sont mises en place dans la foulée, à
commencer par deux piles plutonigènes et une usine d’extraction de
plutonium à Marcoule. Sous la Ve République, le projet d’armement nucléaire
de la France devient officiel. L’arme atomique doit garantir
l’« indépendance » nationale en permettant une stratégie militaire autonome
vis-à-vis des cercles européens et atlantiques. En 1957, le deuxième plan
quinquennal de l’énergie nucléaire prévoit de doter le pays de combustible
pour la propulsion de sous-marins ainsi que de l’arme thermonucléaire. Le
site de Reggane est retenu pour les premiers essais nucléaires.
L’indépendance de l’Algérie en 1962 ne changera pas immédiatement la
donne. Les accords d’Évian autorisent la France à réaliser des expériences
atomiques dans plusieurs bases sahariennes jusqu’en 1967.
À la suite de l’explosion de la Gerboise bleue, 16 autres seront réalisées
en Algérie, dont 13 souterraines. Le tir de la Gerboise blanche le 1er avril
1960 est qualifié par la presse de « discrète récidive ». Le premier essai
souterrain a lieu quant à lui le 7 novembre 1961 à In Ekker dans le secret
absolu. La presse ne le révèle qu’au mois de mai de l’année suivante, à la
suite du deuxième essai souterrain (1er mai 1962), qu’elle croyait être le
premier. À l’origine de cette médiatisation inattendue : un accident. Un nuage
radioactif échappé de la galerie provoque l’irradiation aiguë d’une dizaine de
militaires, événement connu en tant qu’« accident de Beryl », du nom de code
de l’essai.
De nombreuses critiques et controverses surgissent avant et après le
premier essai nucléaire français réalisé dans le Sahara en pleine guerre
d’indépendance algérienne. Les pacifistes, les États et les populations
concernés dénoncent la bombe « sale », la bombe « coloniale » visant non
seulement à intimider mais aussi à « anéantir » l’Algérie. En novembre 1959,
vingt pays afro-asiatiques déposent à l’ONU une résolution contre l’essai,
dans le but de « défendre leur avenir ». Un mois plus tard, des centaines de
pacifistes occidentaux et africains tentent sans succès de pénétrer sur le site
de tir de Reggane. Fin janvier 1960, plusieurs dizaines de milliers de
personnes manifestent devant l’Ambassade de France à Tunis. Entre-temps,
Calvi est pressenti pour la mise en place d’un centre de tir souterrain, projet
avorté après avoir été massivement contesté. En mars 1963, de vives
protestations surgissent en Algérie face à la perspective d’une nouvelle
explosion souterraine à In Ekker prévue le jour du premier anniversaire des
accords d’Évian. À partir de 1966, suite aux fortes oppositions de l’Algérie,
les essais atomiques se déplacent vers la Polynésie, pour faire exploser la
première bombe H française, très polluante.
Les essais atomiques français des décennies 1950 et 1960 s’inscrivent
dans une période où le monde entier devient le théâtre d’explosions. Pendant
la seule année 1958, pas moins de 307 essais ont lieu, dont la plupart
atmosphériques. Ce rythme d’explosions est conservé encore en 1962, c’est-
à-dire l’année précédant le traité d’interdiction des essais aériens. La
controverse sur les effets sanitaires et environnementaux des essais atomiques
bat son plein durant cette période, notamment à la suite de l’essai américain
Castle Bravo, le 1er mars 1954, à l’origine d’une prise de conscience
mondiale vis-à-vis du risque radioactif. Les mouvements pacifistes et
d’opposition aux essais atomiques gagnent à partir de là une dimension
internationale. Il faudra cependant attendre plus de quatre décennies pour la
publicisation et la reconnaissance de l’impact sanitaire des 210 explosions
réalisées par la France. Elles interviennent grâce à la mobilisation des
vétérans ou de leurs proches. En janvier 2010, une loi d’indemnisation des
vétérans des essais nucléaires est adoptée, loi qui aurait pu concerner des
dizaines voire des centaines de milliers de victimes si la plupart d’entre elles
n’avaient pas déjà disparu. Beaucoup ont ainsi été condamnées au silence et à
l’oubli, malgré le bruit sidérant de la bombe les ayant anéanties ou rendues
malades, tout en ressuscitant l’empire français déchu.
BIBLIOGRAPHIE
LA PUISSANCE FRANÇAISE
EN QUESTION
(1990-2020)
Interdépendances économiques
Denis Cogneau
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
Le 20 janvier 2009, une grève générale qui allait s’étendre durant 44 jours
était déclenchée en Guadeloupe à l’appel de la coalition LKP (Liyannaj Kont
Pwofitasyon – « Unité contre l’exploitation »). Ce collectif de
48 organisations, créé le 5 décembre 2008, se donnait pour but de mobiliser
la population guadeloupéenne contre la vie chère, en désignant le système
d’échange économique entre la France hexagonale et la Guadeloupe comme
responsable d’une hausse des prix ressentie d’autant plus durement par la
population de l’île que celle-ci subissait les conséquences de la crise
économique. À ce constat d’iniquité était adossée une dénonciation de la
mainmise du grand patronat local sur les ressources insulaires (les
« pwofitan », souvent d’ascendance blanche-créole), défiant une élite
économique dont la richesse contrastait avec les difficultés d’une population
particulièrement exposée à la pauvreté et au chômage. À partir du 5 février
2009, en Martinique, le K5F (Kolectif 5 Févrié – « Collectif 5 février »)
relayait la vague de contestation guadeloupéenne, à l’appel des responsables
syndicalistes martiniquais et en synergie avec la population descendue dans
la rue.
Prenant la suite d’un mouvement de contestation surgi en Guyane
française et visant à faire baisser le prix de l’essence, le LKP et le K5F
cherchent dans un premier temps à s’assurer le soutien de la population,
imposant le thème de la pwofitasyon dans le débat public. D’abord, en faisant
résonner la dénonciation de la vie chère et du chômage avec les conditions de
vie d’une part importante de la population locale, auprès de qui la
revendication des 200 euros pour tous les bas salaires et le gel des prix dans
les grandes surfaces va connaître une popularité croissante. Ensuite, en
interpellant les pouvoirs publics au cours de négociations retransmises à la
télévision, démontrant que les prix de l’essence ou d’autres denrées sont bien
le résultat de la mainmise de la grande distribution. Enfin, en pointant du
doigt l’incapacité du préfet et des élus à assurer la continuité territoriale en
matière d’accès à l’emploi ou aux services publics. À mesure que la lutte
contre la pwofitasyon prend son essor, le conflit se radicalise : les importantes
manifestations cèdent progressivement la place aux actions de blocage des
routes, donnant parfois lieu à des affrontements avec les forces de l’ordre et à
des actes émeutiers. Ce climat de tension atteint son paroxysme avec la mort
du syndicaliste Jacques Bino, assassiné par balles dans la nuit du 18 au
19 février. Le 4 mars, un accord général en 165 points est signé, marquant la
victoire du LKP et mettant fin à la grève déclenchée le 20 janvier. Côté
martiniquais, un protocole de sortie de crise est signé le samedi 14 mars,
mettant fin à la grève générale, au trente-huitième jour du mouvement social
initié par le K5F.
Si le LKP comme le K5F ont à la fois regroupé des associations et des
partis politiques, les organisations syndicales ont joué un rôle central au sein
des deux collectifs. C’est en effet dans les syndicats et, dans une moindre
mesure, au sein des associations culturelles et de groupes carnavalesques que
l’anticolonialisme est demeuré le plus présent. Cet ancrage populaire s’est
transmis jusqu’à nos jours, malgré l’affaiblissement du projet de révolution
nationale qui était au cœur de l’activité politique déployée par la jeunesse
antillaise des années 1960-1970 en Guadeloupe et en Martinique – à travers
des mouvements tels que le Groupe d’organisation nationale de la
Guadeloupe (GONG) ou l’Organisation de la jeunesse anticolonialiste
martiniquaise (OJAM). La vivacité de l’indépendantisme et de l’extrême
gauche au cœur des environnements syndicaux s’explique donc par la matrice
anticolonialiste commune aux principales centrales antillaises : c’est le cas de
l’Union générale des travailleurs de la Guadeloupe, principal syndicat
indépendantiste de Guadeloupe né en 1973, mais également des autres
centrales (CGT, CDMT et CTU), qui ont été reprises en main par des
militants issus du trotskisme au cours de la décennie 1980-1990. Cette
critique anticolonialiste se nourrit ensuite d’une expérience générationnelle :
comme nombre de participants au mouvement de 2009, les principaux
dirigeants des syndicats antillais, porte-parole du LKP et du K5F, sont toutes
et tous nés dans les deux décennies qui suivent la départementalisation
survenue en 1946.
Ce n’est donc pas un hasard si les organisations anticolonialistes,
notamment syndicales, ont également été le fer de lance des grandes
mobilisations survenues ces dernières années pour dénoncer l’(in)action de
l’État français dans les départements caribéens d’outre-mer, qu’il s’agisse de
la grève générale en Guyane française en avril 2017 à l’initiative du KPLD
(Kolectif pou lagiyann dékolé – « Collectif pour “faire décoller” la Guyane »)
ou du mouvement contre l’obligation vaccinale en Guadeloupe et en
Martinique à la fin de l’année 2021.
BIBLIOGRAPHIE
Dans les années 1980, le monde a été balayé par une nouvelle « vague
démocratique », en particulier en Amérique latine et en Asie, qui n’a pas
tardé à ébranler les régimes autoritaires postcoloniaux. À l’épuisement
politique de ces derniers se sont ajoutées les transformations du système
économique et financier international dès lors que, dans la foulée des coups
d’État militaire au Chili (1973) et en Turquie (1980), le keynésianisme a cédé
la place au néolibéralisme et au « consensus de Washington » noué entre les
principaux bailleurs de fonds. L’orthodoxie financière et monétariste de
l’école de Chicago que ceux-ci ont imposée par la force à la gauche et au
mouvement syndical, la victoire électorale de Margaret Thatcher en Grande-
Bretagne (1980) et de Ronald Reagan aux États-Unis (1981) ont ouvert la
voie à la mise en œuvre de « programmes d’ajustement structurel » par le
Fonds monétaire international et la Banque mondiale dans la plupart des pays
anciennement colonisés que la chute des cours des matières premières avait
plongés dans une grave crise d’endettement, après l’euphorie de la croissance
du début des années 1970. Même l’Inde, farouchement protectionniste, se
résolut à de premières mesures de libéralisation économique en 1991.
Simultanément les contre-modèles socialistes ne paraissaient plus pouvoir
fournir de politiques de substitution : l’URSS s’enfonçait dans la stagnation
et la guerre en Afghanistan, et la Chine, sous la houlette de Deng Xiaoping,
tournait la page de la Révolution culturelle et se convertissait au « socialisme
de marché » (1978).
La libéralisation économique a eu des conséquences politiques diverses
en Afrique. Certains chefs d’État ont été suffisamment habiles pour la
retourner contre les « barons » de leur régime qui lorgnaient sur leur
succession, comme en Côte d’Ivoire. Mais en asséchant le financement
public de la santé et de l’éducation et en provoquant la dislocation de filières
agricoles ou d’industries jugées insuffisamment compétitives, les
programmes d’ajustement structurel ont aggravé l’inégalité sociale et le
chômage. Le mécontentement populaire qui a suivi a donné lieu à des
manifestations, des grèves, des émeutes, voire des insurrections, comme en
Algérie en 1988, et à des révolutions de palais, comme en Tunisie en 1987.
Les mesures de décompression et de libéralisation politique n’ont pas suffi à
rétablir la paix sociale, et des processus de démocratisation se sont engagés,
parallèlement à ceux qu’entraînait en Europe centrale et orientale le
démantèlement de l’URSS. Le multipartisme s’est généralisé au début des
années 1990.
L’influence de la chute du mur de Berlin sur cette évolution s’est moins
fait sentir sur les sociétés africaines elles-mêmes que sur la politique des pays
européens – notamment de la France – à leur égard. Le président François
Mitterrand s’est vu obligé d’approuver du bout des lèvres la démocratisation
du continent lors du sommet franco-africain de La Baule (1990), compte tenu
de la propagation des conférences nationales (CNS) et du rétablissement du
multipartisme dans de nombreux pays. Pourtant, au sud du Sahara, les
événements d’Europe centrale et orientale ont moins frappé les esprits que le
renversement du président Habib Bourguiba en Tunisie, la reconnaissance du
Front islamique du salut (FIS) et la tenue d’élections libres en Algérie ou la
libéralisation de la monarchie marocaine du vivant même du roi Hassan II.
Surtout, en Afrique du Sud, la fin de la guerre froide a poussé le Parti
national à un compromis avec le Congrès national africain (ANC), à la
libération de Nelson Mandela et au démantèlement de l’apartheid (1990-
1994).
En Asie du Sud-Est et de l’Est la nouvelle configuration du système
international a accompagné la chute des régimes autoritaires aux Philippines
(1986), en Corée du Sud (1997), en Indonésie (1998), ainsi que la
démocratisation de Taïwan (2000). Mais la nomenklatura communiste s’est
accommodée de la libéralisation économique au Vietnam, au Laos et même
au Cambodge, où une fraction des Khmers rouges a contracté une alliance
avec Hanoï pour renverser le régime de Pol Pot en 1979, s’emparer du
pouvoir sous le couvert d’un accord de paix et d’un multipartisme en trompe-
l’œil et faire main basse sur l’économie nationale grâce à une politique
d’orientation néolibérale. À l’opposé du spectre idéologique, les régimes
autoritaires et anticommunistes de Malaisie, de Birmanie et de Singapour se
sont également maintenus.
Les espoirs soulevés par la « vague démocratique » se sont vite dissipés.
Sur le continent africain, les tenants du pouvoir ont conçu des stratégies
sournoises de restauration autoritaire grâce aux ressources financières qu’ils
avaient accumulées en plusieurs décennies de pillage de l’État, à leur contrôle
des services de sécurité ou de l’armée et à leur manipulation du multipartisme
pour diviser l’opposition, selon une vieille technique de l’administration
coloniale face aux mouvements nationalistes, dans les années 1950. La
résistance des régimes en place a souvent radicalisé l’opposition et provoqué
le déclenchement de rébellions ou de guerres civiles que les autorités n’ont
pas hésité à instrumentaliser pour légitimer leur domination, comme en
Algérie après le coup d’État de 1991. Surtout, les effets conjugués de la
libéralisation économique et du suffrage universel ont bouleversé la vie
politique en remettant en cause les contours de la citoyenneté et en donnant à
la compétition électorale de nouveaux enjeux, notamment d’ordre foncier.
Les questions du droit de vote et du droit de propriété se sont posées de
manière plus aiguë qu’auparavant, sous la forme d’un jeu à somme nulle
entre les protagonistes. En conséquence, la problématique de l’autochtonie
s’est imposée dans le jeu électoral en donnant lieu à des opérations de
purification ethnique, voire, au Rwanda, à un génocide (1994), et à des
guerres civiles.
Sur les décombres de l’empire ottoman et des empires coloniaux l’État au
Moyen et Proche-Orient s’est de plus en plus confessionnalisé au prix de
conflits sanglants comme en Irak, en Syrie ou au Yémen. Les régimes
démocratiques du Liban et d’Israël n’ont pas fait exception. Les « printemps
arabes » de 2011 ont fait long feu sous la pression de stratégies de
restauration autoritaire brutale, notamment en Égypte, en Tunisie, au Soudan,
ou ont tourné à la guerre civile, comme en Libye.
L’Inde a elle aussi démontré, avec l’ascension et l’arrivée au pouvoir du
BJP, le parti hindou fondamentaliste, en 2014, comment la libéralisation
économique faisait bon ménage avec l’identitarisme politique. En Birmanie et
au Sri Lanka, ce dernier triomphe pareillement au bénéfice de la majorité
bouddhiste et au détriment des minorités musulmanes ou hindouistes. Au
Pakistan, l’État favorise les courants deobandi et ahli-hadith du sunnisme et
relègue les chiites, les Ahmadi et les Barelwi dans une condition subalterne.
De même, en Malaisie, le régime autoritaire de l’United Malays National
Organization (UMNO), qui est parvenu à rester en place après une période de
turbulences, privilégie les musulmans aux dépens des hindous et des Chinois,
ce qui avait déjà entraîné le retrait de la fédération de Singapour (1965).
L’immensité et l’hétérogénéité de l’Indonésie rendent plus complexe
l’asymétrie ethno-religieuse de l’État postcolonial, mais la Reformasi de 1998
n’a pas entamé l’ascendant des élites musulmanes sur le système politique.
Aux Philippines, la démocratisation a reconduit la centralité de l’oligarchie
politique catholique et poussé à la dissidence des mouvements armés se
réclamant de l’islam, notamment sur l’île de Mindanao.
Ce mélange de jeu électoral au suffrage universel et de particularismes
ethno-religieux a progressivement dévoyé la démocratie et généralisé la
criminalisation de la scène politique, tout en consacrant la prééminence de
dynasties historiques ou de bandes familiales nouvelles venues, enclines au
populisme et à la violence politique, comme au Sri Lanka et aux Philippines.
Dans tous ces cas de figure, la libéralisation économique, couplée ou non
avec la démocratisation relative des institutions politiques, a ouvert la voie à
la « privatisation » des États postcoloniaux et à un chevauchement croissant
des positions de pouvoir et de l’accumulation de biens, sous-jacent à la
formation d’une classe dominante. La dénonciation de la « corruption » ou
les alarmes sur la « faillite » de l’État se méprennent sur la teneur des
processus politiques en cours. Derrière le discours emphatique sur
l’« émergence » du Global South, l’État postcolonial « périphérique » ne s’est
nullement émancipé de sa dépendance financière et politique, même si le
« centre » du système international s’est déplacé vers de nouveaux acteurs, à
commencer par la Chine. Plus que jamais les anciennes métropoles coloniales
et les institutions multilatérales donnent la priorité à la « stabilité » sur la
« bonne gouvernance » et a fortiori la démocratie. Le paradoxe de cette
dernière est d’avoir été le vecteur d’une aliénation croissante de la
souveraineté de l’État postcolonial par le recours à la « conditionnalité » en
matière financière, ou au nom de la lutte contre le « terrorisme » et
l’« immigration ».
La France continue ainsi de multiplier les interventions militaires au sud
du Sahara et de cautionner l’autoritarisme soixante ans après la
décolonisation, malgré ses promesses réitérées de réformer sa politique, d’un
président de la République à l’autre. Jouant un rôle moteur dans le
renversement du colonel Kadhafi en 2011, elle a déstabilisé l’ensemble du
Sahel en s’impliquant (et s’embourbant) au Mali et en reconduisant sa vieille
alliance avec le régime d’Idriss Déby au Tchad. Depuis 1991, les États-Unis
n’ont pas non plus hésité à envahir l’Afghanistan, l’Irak et une partie de la
Syrie pour faire valoir leurs intérêts, sans être en mesure d’y instaurer une
Pax Americana. Ce faisant, ils ont ouvert la voie à l’ingérence militaire de la
Russie et de la Turquie en Syrie, en Libye, en Centrafrique et en Somalie et
encouragé l’influence politique et financière des pétromonarchies au Moyen-
Orient et dans l’ensemble de l’Afrique.
Rien de très nouveau sous les « soleils des indépendances » (Ahmadou
Kourouma), sinon un creusement continu de l’inégalité sociale et une
exacerbation de la violence que peine à dissimuler le paravent
démocratique…
BIBLIOGRAPHIE
Au début des années 1990, des « assises sans pareil » s’emparent d’une
partie de l’Afrique francophone. De grandes rencontres citoyennes se
déroulent dans plusieurs anciennes colonies françaises d’Afrique comme le
Bénin, le Congo, le Gabon, le Mali, le Niger, le Tchad, le Togo – et au
« Zaïre », ancienne colonie belge et actuelle République démocratique du
Congo. Ces états généraux, se déclarant souverains et appelés les
« conférences nationales africaines » (CNS), sont pensés et mis en œuvre
comme des concertations ou des discussions inclusives impliquant tous les
acteurs de la vie socio-politique, économique et culturelle des pays qui les ont
accueillies : anonymes, activistes, intellectuels, dirigeants, religieux,
membres des diasporas, hommes d’État ou d’appareil. Apparues dans des
pays gouvernés par des partis uniques, les CNS sont d’abord la conséquence
des nombreux mouvements de contestation auxquels ont été confrontés les
régimes autoritaires africains à partir des années 1980. Ces « mobilisations
exceptionnelles » témoignent du désenchantement des décennies qui ont
succédé aux indépendances des années 1960. Elles dénoncent la répression,
les inégalités économiques et sociales, les pratiques de prédation des
richesses nationales par des élites dirigeantes, mais aussi l’absence de liberté
d’expression et les exactions de toutes sortes (enfermements arbitraires,
assassinats…) instituées comme mode de gouvernement. Au moment où des
bouleversements politiques entraînent la fin des régimes dictatoriaux
d’Europe de l’Est, les sociétés africaines se mobilisent pour la justice sociale
et affirment leur désir de poser les fondations d’un État de droit véritable, en
s’engageant dans la rédaction de nouvelles Constitutions.
Un penseur camerounais a tenté de donner la pleine mesure de cet
événement politique de l’Afrique postcoloniale. Dans une série d’articles,
dont une partie a été publiée en 1991 dans le journal camerounais Le
Messager, fondé en 1979 par le journaliste engagé Pius Njawé, regroupés en
2009 dans le livre Les Conférences nationales en Afrique noire. Une affaire à
suivre, le philosophe Fabien Eboussi Boulaga endosse l’habit du journaliste –
la philosophie ayant pour tâche d’élucider les temps actuels : « Nous avons
cru […] voir [dans les CNS] un événement politique et philosophique des
plus considérables de notre histoire consciente. » En dépit des appréciations
diverses qu’elles ont suscitées, les CNS, notamment celle qui s’est tenue au
Bénin de février 1990 à août 1991, sont, pour le philosophe, des formes
inédites de contestation de ce que les indépendances africaines avaient
d’illusoire. À la question : « Les indépendances ont-elles marqué une coupure
radicale […] avec ce qu’il faut bien appeler l’aliénation coloniale ? », le
philosophe répond par la négative.
Une lecture proprement philosophique des CNS permet d’éviter la
banalisation de leur sens profond. Il faut pouvoir s’écarter d’un regard
exclusivement journalistique, d’une part, survolant les faits ou à la recherche
d’une nouveauté sensationnelle, mais aussi d’une approche simplement
politique, d’autre part, jugeant systématiquement les CNS d’après leurs
résultats (or, le multipartisme qui en découla fut souvent de façade et les
nouvelles Constitutions rédigées peu adaptées à chaque contexte singulier de
transition démocratique). Les considérer philosophiquement, c’est pourtant
saisir « l’éclairage qu’[elles jettent] sur la destinée des peuples africains qui
essaient de se reconstruire et de se donner un autre futur après les
cataclysmes coloniaux et les tragédies postcoloniales », pour reprendre des
termes du philosophe Kasereka Kavwahirehi. Les CNS apparaissent ainsi
comme « l’expression d’une aliénation totale » mais également comme « une
protestation radicale contre elle », affirme Boulaga. C’est en les interprétant
par le bas, c’est-à-dire à partir du point de vue de « l’homme du dernier
rang », confronté aux formes multiples de la violence, de l’asservissement et
de la déshumanisation, que les CNS se révèlent un moment de réparation
historique, constituant le point de départ d’une refondation du politique en
Afrique postcoloniale. Lieu de délibérations intenses, elles ouvrent un espace
de transition pour restaurer la crédibilité manquant aux États souverains nés
des indépendances, « États sans citoyens » minés par le mensonge et
l’arbitraire.
Ainsi le sens philosophique profond des CNS se manifeste dans la
capacité d’auto-enchantement de la vie, propre à tout collectif humain. En
condamnant les exactions d’États autoritaires et en rétablissant la confiance
comme principe d’adhésion à toute institution, elles appellent les pouvoirs
politiques postcoloniaux à défendre, comme fin ultime, la dignité humaine.
Les CNS ont ainsi, selon les mots de Boulaga, « le caractère d’un
commencement, qui est un recommencement ». Contre la violence des
processus coloniaux européens qui ont traversé le XIXe et le XXe siècle, les
indépendances africaines des années 1960 ont pu apparaître comme une
première tentative d’enchantement du politique. Confronté à leur échec, ce
travail a dû être recommencé – ce que symbolisent les palabres de la décennie
1990, initiées par les peuples africains eux-mêmes. À rebours des
déconvenues politiques qu’elles ont pu entraîner, il faut ainsi persister à les
comprendre et à les lire, nous dit Boulaga, comme « un signal lumineux que
[…] lançait l’avenir ».
BIBLIOGRAPHIE
Eboussi BOULAGA F., Les Conférences nationales en Afrique noire. Une
affaire à suivre, Paris, Karthala, 2009.
Kasereka KAVWAHIREHI, « Fabien Eboussi Boulaga et la fécondité de
l’événement. Question de méthode », dans le dossier « Eboussi Boulaga.
Défaites et utopies », Politique africaine, no 164, 2021/4, p. 17-36.
Nadia Yala KISUKIDI (dir.), dossier « Eboussi Boulaga. Défaites et utopies »,
Politique africaine, no 164, 2021/4.
La francophonie, pilier de la diplomatie
Frédéric Turpin
BIBLIOGRAPHIE
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echapper-survivre-au-genocide-des-tutsi/>.
Sahel : les contradictions d’une politique
de grandeur
Ousmane Aly Diallo
BIBLIOGRAPHIE
L’HISTOIRE DE LA COLONISATION
AUJOURD’HUI
Mémoires françaises de l’empire :
silences, controverses,
instrumentalisations
François Robinet
Le 24 mars 2005 s’affiche dans les colonnes du Monde une tribune titrée
« Colonisation : non à l’enseignement d’une histoire officielle ». Initié par les
historiens Claude Liauzu, Gilbert Meynier et Gérard Noiriel, le texte reproche
à la loi du 23 février 2005, dont l’article 4 appelle à ce que « les programmes
scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française
outre-mer », de vouloir imposer « une histoire officielle » porteuse d’un
« mensonge officiel sur des crimes, sur des massacres allant parfois jusqu’au
génocide, sur l’esclavage, sur le racisme hérité de ce passé ».
Abrogée par un décret du président Jacques Chirac en 2006, cette loi est
au cœur d’une controverse politique et médiatique sur la place du passé
colonial dans la société française, sur l’indépendance des historiens et sur les
formes d’instrumentalisation de l’histoire par l’État français et par certains
acteurs sociaux.
Au milieu des années 2000, le passé colonial revient dans l’actualité
politique française, sous la pression d’un certain nombre d’associations de
« rapatriés » et de nostalgiques de l’Algérie française. Marginaux dans les
années 1980 et 1990, ces groupes tissent des liens avec des parlementaires de
l’Union pour un mouvement populaire (UMP). Des députés UMP
introduisent des amendements présentant la colonisation française en termes
mélioratifs. Le 5 mars 2003, les députés Jean Leonetti et Philippe Douste-
Blazy déposent une proposition de loi qui stipule que « l’œuvre positive de
l’ensemble de nos citoyens qui ont vécu en Algérie pendant la période de
présence française est publiquement reconnue ». Quelques jours plus tôt, le
député Michel Diefenbacher a remis un rapport qui appelle à « parachever
l’effort de solidarité nationale envers les rapatriés » et à « promouvoir
l’œuvre collective de la France d’outre-mer ».
À la même période, des associations militantes comme les Indigènes de la
République ou le collectif Devoir de mémoire dénoncent la persistance au
sein de la société française d’un « imaginaire colonial » et en appellent à la
« décolonisation » d’une République française comparée à un État colonial.
C’est dans ce contexte politique que s’établit le consensus des historiens
sur l’abrogation de l’article 4. Pourtant, des divisions existent au sein des
chercheurs. Dans le texte d’une pétition publiée en décembre 2005, « Liberté
pour l’histoire », un groupe de dix-neuf historiens et historiennes (dont Pierre
Nora ou René Rémond) considère que la loi de février 2005, tout comme
celles du 13 juillet 1990, du 29 janvier 2001 et du 21 mai 2001 (dites « lois
mémorielles »), restreignent la liberté de l’historien, en faisant peser sur lui
un risque de sanction et en lui imposant « ce qu’il doit chercher et ce qu’il
doit trouver ». Publiée quelques jours plus tard autour de Gérard Noiriel et
Michèle Riot-Sarcey, la tribune « Vigilance sur les usages publics de
l’histoire ! » invite à distinguer les initiatives parlementaires visant à
instrumentaliser le passé de celles qui permettent de condamner le
négationnisme ou de favoriser la prise de conscience « des méfaits de
l’esclavage et de la colonisation ».
Depuis les indépendances, le passé colonial se trouve durablement absent
des discours officiels, des commémorations et de la carte des lieux de
mémoire importants en métropole. Pendant des années, la guerre d’Algérie, la
répression à Madagascar en 1947 ou la guerre conduite au Cameroun ne
bénéficient d’aucune reconnaissance officielle. Pour autant, bien avant les
vifs débats publics liés à la loi de 2005, les historiens ne cessent de travailler
sur ce passé. La relative marginalisation des historiens de la colonisation au
sein de l’espace académique français n’empêche pas l’éclosion, dans les
années 1990, d’une génération de chercheuses et de chercheurs nés après la
colonisation, qui éclairent de nombreuses dimensions du passé colonial de la
France. Différentes sommes sur le passé colonial, comme Le Livre noir du
colonialisme (2003), dirigé par Marc Ferro, ou Colonisation, droit
d’inventaire (2004), dirigé par Claude Liauzu, témoignent de ce renouveau
historiographique, qui se prolonge et s’affirme au début des années 2000.
L’exemple algérien est assez révélateur des ambiguïtés de la place du
passé colonial au sein de la société française avant le milieu des années 2000.
Jusqu’à cette période, de Gaulle et ses successeurs mènent une politique de
l’oubli. Difficile à assumer du fait des pratiques de l’armée française et de la
dimension très clivante de l’événement pour de nombreux acteurs (Algériens
ayant servi dans l’armée française ou harkis, « pieds-noirs », anciens du
contingent), le souvenir de la guerre d’Algérie ne fait l’objet d’aucune
politique publique de mémoire et se trouve enfoui par le recours à de
nombreux décrets et lois d’amnistie.
À intervalles réguliers, le souvenir de la guerre d’Algérie ressurgit malgré
tout dans le présent des Français. Au printemps 1972, lors du dixième
anniversaire de la fin de la guerre, les propos du général Massu légitimant la
torture suscitent les réactions indignées d’intellectuels. Pierre Vidal-Naquet
publie La Torture dans la République, 1954-1962 (1972). En dépit d’un
impact limité, des travaux d’historiens (Aux origines du FLN, de Mohammed
Harbi, en 1975) et des fictions (Avoir 20 ans dans les Aurès, de René Vautier,
en 1972) rencontrent un certain succès.
Dans les années 1990 et au début des années 2000, s’opère une forme
d’« accélération de la mémoire », selon les mots de Benjamin Stora. La
guerre d’Algérie est officiellement reconnue par l’État français en 1999.
L’année suivante, le général Aussaresses avoue « sans regrets ni remords »,
dans Le Monde, avoir torturé, tandis que la publication en 2001 de son livre
témoignage Services spéciaux. Algérie, 1955-1957 lui vaut une condamnation
pour « apologie de crimes de guerre ». La publication de la thèse de
Raphaëlle Branche en 2001 chez Gallimard ouvre la voie à un large
consensus quant à la reconnaissance des pratiques de torture mises en œuvre
par l’armée française.
Par leurs usages stratégiques de l’histoire pour sensibiliser l’opinion
publique, certains historiens œuvrent également, à partir du milieu des années
1990, à la résurgence du passé colonial au sein des débats publics qui
traversent la société française. Tel est le cas des initiatives du Groupe de
recherche Achac (Association Connaissance de l’histoire de l’Afrique
contemporaine) et de l’agence de communication Les Bâtisseurs de mémoire,
centrée sur la figure de Pascal Blanchard dont les travaux sur la propagande
et l’iconographie coloniales bénéficient d’une large diffusion tout en suscitant
des analyses très critiques de la part des historiens de la colonisation.
Cette effervescence autour du passé colonial tarde cependant à se traduire
en termes de politique publique de la mémoire à l’échelle nationale. Réclamé
de longue date par les associations de « rapatriés », un projet de mémorial
national de la France d’outre-mer est lancé par la municipalité de Marseille
en 2000, soutenu par l’État à partir de 2003, pour être finalement abandonné
en 2006. Quelques initiatives sont aussi prises en faveur des harkis avec la
création de la Journée du souvenir en 2001 et le choix du 25 septembre
comme journée commémorative officielle en 2002. En décembre 2002, à
Paris, Jacques Chirac inaugure le Mémorial national de la guerre d’Algérie et
des combats du Maroc et de la Tunisie. En 2004, le bicentenaire de la
naissance de Victor Schœlcher est inscrit à l’agenda des commémorations
officielles en même temps qu’est créé le Comité pour la mémoire de
l’esclavage.
La controverse sur la loi de 2005 contribue à accélérer le processus
collectif de remémoration du passé colonial. Dossiers de revues,
documentaires, expositions revisitent le passé colonial français, interrogent
les représentations de l’Afrique et des Africains, mettent en perspective le
rôle joué par la France en Afrique et dans le monde. Réactions et
publications, comme le Petit précis de remise à niveau sur l’histoire
africaine à l’usage du président Sarkozy (2009), s’enchaînent à la suite du
discours de Dakar prononcé par Nicolas Sarkozy en juillet 2007. Les
partisans d’une vision moderne et complexe d’une Afrique ancrée dans
l’histoire mondiale s’opposent au groupe des journalistes et essayistes
rattachés au courant « afropessimiste » (Pierre Péan, Stephen Smith). Des
luttes sont aussi observées entre des acteurs qui revisitent l’histoire coloniale
et postcoloniale française pour dénoncer une Françafrique néocoloniale et
ceux qui travaillent à la légitimation de la présence française sur le continent.
Dans le même temps, la diffusion des travaux des historiens de la
colonisation, la publication d’ouvrages grand public, le choix d’intégrer la
question coloniale au cœur des programmes de préparation aux concours de
l’enseignement en histoire permet une meilleure connaissance du passé
colonial. Bien que tardive, critique et parfois crispée, la réception française
des postcolonial studies bénéficie de la traduction d’ouvrages d’auteurs
importants, de la publication de numéros spéciaux de dossiers de revues
(Labyrinthe, Mouvements, Esprit) et de la redécouverte d’auteurs
anticoloniaux (Frantz Fanon, Albert Memmi, Aimé Césaire).
À droite et à l’extrême droite, le patriotisme sert de socle idéologique à
une véritable guerre culturelle appuyée sur des formes de révision de
l’histoire de France. Les ouvrages dénonçant la « repentance » se succèdent
au cœur des années 2000 (Jacques Paoli, Max Gallo, Pascal Bruckner).
Directeur général de la chaîne L’Histoire de 2007 à 2018 et conseiller de
Nicolas Sarkozy durant son mandat, Patrick Buisson incarne cette
mobilisation de l’histoire à des fins politiques. Auteur dès 1984 d’OAS :
Histoire de la résistance française en Algérie (aux éditions Jeune Pied-Noir),
les crimes de la colonisation font sous sa plume l’objet des mêmes formes de
déni (La Guerre d’Algérie, 2009) que le régime de Vichy ou la Vendée
révolutionnaire.
La période qui s’ouvre en 2017 avec l’élection d’Emmanuel Macron
semble constituer un tournant. Le 15 février 2017, alors candidat à la
présidentielle, il déclare lors d’un déplacement à Alger : « J’ai condamné
toujours la colonisation comme un acte de barbarie. Je l’ai fait en France, je
le fais ici. » Une politique mémorielle se met en place (Rwanda, Algérie,
Cameroun), défendant la nécessaire refondation du lien entre la France et
l’Afrique, alors que la contestation de la présence française se renforce au
Mali, en Centrafrique, au Burkina Faso. Des rapports d’historiens servent de
socle à des projets de rapprochements diplomatiques. Les faits d’histoire les
plus consensuels relèguent parfois à l’arrière-plan des discours officiels
certaines des dimensions les plus sombres des engagements français. Autant
de choix qui invitent à réinterroger les usages de l’histoire par le politique
comme un des enjeux majeurs des sociétés travaillées par leur passé colonial.
BIBLIOGRAPHIE
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Georges BALANDIER, « La situation coloniale : approche théorique »,
Cahiers internationaux de sociologie, no 11, 1951, p. 44-79 ; rééd. Cahiers
internationaux de sociologie, no 110, 2001/1, « Georges Balandier, lecture et
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« Petite bibliothèque Payot », 1973.
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Raison présente, no 199, 2016/3, p. 61-73.
Frantz FANON, Peau noire, masques blancs, Paris, Éditions du Seuil, 1952.
Fanon après Fanon
Matthieu Renault
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
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BIBLIOGRAPHIE
HISTOIRES DU FUTUR
Restitutions, réparations : du problème
à la question
Marian Nur Goni
Des pièces de théâtre et de danse, des chansons, des poèmes, des films,
des dessins, mais aussi des colloques, des rapports, des recommandations et
des résolutions. Des listes et des chiffres, des notes ministérielles parfois
confidentielles. Des manifestations et des tweets, des comités, au Nord
comme dans les Suds. Des tentatives de « vol » et même des procès. Des
émotions, des imaginations, des générations d’hommes et de femmes. Voilà
autant de sources, de gestes et de lieux où se donne à lire et à penser la
question de la restitution des objets spoliés pendant la période coloniale, que
le discours d’Emmanuel Macron à l’université de Ouagadougou en 2017 a
remise sur le devant de la scène internationale, quelque cinquante ans après
qu’elle eut été posée dans le sillage des indépendances africaines. Cette liste
hétérogène donne la mesure de la complexité d’un sujet qui entrelace enjeux
historiques, politiques, éthiques, juridiques, philosophiques, mémoriels,
artistiques, car, comme demande l’anthropologue Benoît de L’Estoile,
« À qui appartiennent les objets des Autres ? » Qui les interprète et les met en
récit ? Que produisent l’absence et la disparition d’objets d’un côté et, de
l’autre, leur accumulation ? Qui y a accès, et pour quelles transmissions ?
Plus vertigineux : que répare le geste de restitution ?
Le débat sur les restitutions revêt une dimension institutionnelle et
recoupe des enjeux géopolitiques, diplomatiques, juridiques et économiques.
Elles se négocient entre États souverains, aux plus hauts échelons (présidents,
fonctionnaires, parlements, ministères, etc.), ainsi que dans un cadre
supranational (au premier chef l’Unesco, mais aussi l’ONU, l’Union
africaine, etc.). Toutefois, les revendications qu’elles expriment sont portées,
depuis des décennies, par des activistes, des artistes, des groupements de
citoyens et de citoyennes en Europe et en Afrique. À ce titre, c’est un désir
d’histoire ou, selon les termes d’Achille Mbembe, une « capacité de vérité »
face à l’histoire qui s’exprime dans ces requêtes. Elle prend la forme d’une
interrogation sur les legs de l’histoire coloniale dans le présent de nos
sociétés, en Afrique comme en Europe, qui se manifestent aussi dans le
champ patrimonial.
Longtemps confinées à l’expertise de spécialistes de musées ou à l’intérêt
d’une poignée de militants et militantes, les restitutions sont devenues depuis
2017 un sujet sociétal à part entière, relayé quotidiennement dans la presse
internationale, et débordant littéralement dans la rue. Au plus fort de la
mobilisation Black Lives Matter en 2020, à la suite de l’assassinat de George
Floyd à Minneapolis, les manifestants établissaient un lien entre les violences
exercées sur les corps noirs de par le monde et le sort des objets africains
emprisonnés dans les capitales européennes. Mais, déjà, dans une tribune de
Libération intitulée « Ainsi nos œuvres d’art ont droit de cité là où nous
sommes, dans l’ensemble, interdits de séjour » et publiée quelques années
plus tôt, en 2006, à l’ouverture du musée du quai Branly, l’ancienne ministre
de la Culture malienne et altermondialiste Aminata Traoré questionnait le lien
entre la mobilité, entravée, des hommes et femmes africains, dans le cadre de
politiques migratoires françaises toujours plus restrictives, et l’accueil,
valorisé, des productions artistiques africaines au musée. S’adressant aux
objets eux-mêmes, elle les exhortait : « Soyez la voix de vos peuples et
témoignez pour eux. »
Si le président français déclarait, en 2017 à Ouagadougou, s’engager pour
les restitutions, le rapport commandé aux universitaires Felwine Sarr et
Bénédicte Savoy dans la foulée, publié en 2018 sous le titre Rapport sur la
restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique
relationnelle, a non seulement suscité des controverses d’une ampleur inédite
au niveau mondial, mais a également posé les premiers jalons d’une plus
longue histoire des demandes de restitution et de leurs négociations entre
l’Europe et l’Afrique. L’historienne Bénédicte Savoy a par la suite exhumé
les prémices du débat engagé depuis les années 1960, et particulièrement
entre les années 1970 et 1980, dans son livre Le Long Combat de l’Afrique
pour son art, qui met en lumière un dense réseau d’acteurs européens et
africains à l’échelle transnationale. Elle analyse la mécanique des arguments
opposés aux demandes de restitution qui ont mené à la démobilisation
progressive des activistes et, in fine, à leur réduction au silence et à l’oubli de
ces premiers débats. Ces arguments opposaient la dimension légale des
acquisitions muséales à la dimension émotionnelle des demandes des
requérants ; ils disqualifiaient systématiquement les compétences et
infrastructures de ces derniers, jugés incapables de conserver les objets de
façon optimale, tout en valorisant la dimension universelle des collections des
musées européens comparée à la dimension nationaliste et identitaire
supposément sous-jacente à ces demandes. De manière remarquable, ces
arguments ont ressurgi quasi à l’identique dans le débat qui s’est ouvert après
la remise du rapport Sarr-Savoy. L’historiographie des restitutions ne cesse
de s’épaissir depuis, impliquant un nombre croissant de chercheurs et
chercheuses ouvrant le cadre strict des restitutions d’objets, pour les lier à
celles de restes humains, de spécimens naturalisés (en raison de la nature
multidisciplinaire des entreprises coloniales de « collecte ») ou d’archives, y
compris audiovisuelles, ou encore à l’histoire des requêtes exprimées dans
d’autres continents et chronologies. Ces revendications concernent
effectivement nombre d’anciennes colonies en Asie, en Amérique du Sud,
ainsi que d’anciennes colonies de peuplement (États-Unis, Canada,
Australie, etc.). Si beaucoup reste à faire pour approfondir les connaissances
sur l’historicité des restitutions, notamment dans une dimension Sud-Sud, des
dates et événements majeurs ont émergé. Ainsi, en 1965, l’intellectuel
Joachim Paulin écrivait dans le magazine panafricain Bingo, publié à Dakar,
un éditorial au vitriol intitulé « Rendez-nous l’art nègre ». Il y décrivait non
seulement les pratiques de captation continue de missionnaires, explorateurs
et « autres brocanteurs » pendant la période coloniale (sur lesquelles a
travaillé toute une génération d’anthropologues depuis les années 1990,
l’épisode le plus connu étant la mission Dakar-Djibouti de 1931-1933), mais
aussi la nécessité de récupérer les arts plastiques du continent « pour bouter le
feu à ce mensonge historique – en paraphrasant Césaire, “ceux qui n’ont rien
inventé” » : « nous en avons besoin pour le chemin qu’il nous reste à
parcourir », affirmait-il. Cet éditorial, publié un an avant la tenue du premier
Festival mondial des arts nègres (1966) voulu par le président Senghor et
pensé comme une extension de sa philosophie de la négritude, ne pouvait pas
plus mal tomber à l’heure où une équipe d’experts africains et européens
s’efforçait de négocier le prêt de chefs-d’œuvre de la sculpture africaine
disséminés dans le monde, en vue de la grande exposition qui devait
représenter la clef de voûte du festival. La question de la dispersion des
objets africains, de l’aliénation de leur propriété au profit de collectionneurs
et musées du Nord, se posa à nouveau lors des deux autres grands festivals
panafricains : à Lagos, en 1977, lors du FESTAC (second World Black and
African Festival of Arts and Culture / Festival des arts et de la culture noirs et
africains) et, quelques années plus tôt, à Alger, en 1969, lors du premier
Festival culturel panafricain d’Alger. Le manifeste publié à sa suite décrivait
le flux unidirectionnel d’objets d’art vers l’Europe (ici associés aux
« archives pillées par les puissances coloniales ») comme une « hémorragie »
et insistait sur la nécessité de leur recouvrement, pour lutter contre la
« dépersonnalisation africaine » que visait l’entreprise coloniale. Dans l’arène
institutionnelle supranationale, il faut citer l’appel d’Amadou-Mahtar
M’Bow, premier directeur général africain de l’UNESCO (1974-1987), Pour
le retour à ceux qui l’ont créé d’un patrimoine culturel irremplaçable,
prononcé à Paris le 7 juin 1978. « Les peuples victimes de ce pillage parfois
séculaire n’ont pas seulement été dépouillés de chefs-d’œuvre
irremplaçables : ils ont été dépossédés d’une mémoire qui les aurait sans
doute aidés à mieux se connaître eux-mêmes, certainement à se faire mieux
comprendre des autres », affirmait-il dans ce texte vibrant visant à susciter un
mouvement d’opinion mondial en faveur du retour des objets les plus
symboliques. Le mot est lâché : « pillage ». Toutefois, comme le faisait
remarquer un fonctionnaire français, Robert Boyer, dans son rapport sur les
restitutions daté d’août 1979, « cet appel évite toute allusion à la
colonisation ». C’est sans doute la raison pour laquelle le fonctionnaire
affirmait : « nous y adhérons volontiers ». Comme pour l’usage du terme
« restitution » – le mot qu’il ne fallait pas prononcer car engageant des
responsabilités –, la sémantique (le choix pesé du vocabulaire avec ses
ellipses et ses omissions) a historiquement revêtu un rôle déterminant dans ce
débat, mieux : elle a constitué un terrain de luttes. On retrouvera Amadou-
Mahtar M’Bow quelques années plus tard en tant que vice-président du
Groupe des éminentes personnalités (GEP) de l’OUA (Organisation de
l’unité africaine), chargé de défendre la cause des réparations pour
l’esclavage et le colonialisme. C’est que restitutions et réparations ont partie
liée.
À la manière de l’acteur américain-caribéen Sidney Poitier qui, lors d’un
débat télévisé en 1963, signifiait vouloir parler d’une « negro question »
adressée à la société états-unienne et non pas d’un « negro problem »,
nombre d’auteurs et d’autrices suggèrent de penser les restitutions non plus
comme un problème à étouffer subrepticement pour « ne pas vider les
musées », mais comme une question à prendre à bras-le-corps et requérant un
formidable élan d’imagination politique. L’enjeu est de créer de nouvelles
formes de musées pour le XXIe siècle, tant en Europe qu’en Afrique, qui
puissent énoncer et imaginer autrement (réparer ?) les récits de l’histoire et
les relations – sociales, culturelles et politiques – qui se nouent autour et à
partir des objets. C’est ce que Sarr et Savoy nomment dans leur rapport de
2018 une « nouvelle éthique relationnelle ». Dans les projets les plus
novateurs, souvent portés par des artistes, la quête pour transformer cette
asymétrie patrimoniale est étroitement liée à des enjeux de justice sociale,
voire de justice environnementale, questionnant une même logique
extractiviste. Au lieu de concevoir les restitutions comme la simple gestion
événementielle du retour d’objets, l’historien sud-africain Ciraj Rassool
invite à y voir les fondations d’une muséologie critique inaugurant de
nouvelles formes de citoyenneté.
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
Même si elle se fait peut-être plus rare aujourd’hui, la limite Nord/Sud est
omniprésente en France sur les cartes des manuels scolaires de géographie
durant les années 1990 et 2000. Simple, elle illustre très bien les inégalités
dans le monde. Elle répond à certaines attentes didactiques de l’enseignement
secondaire : un repère visible, traçable et mémorisable. La limite Nord/Sud
est devenue incontournable.
Son tracé a été inspiré par une carte publiée en 1980 en couverture d’un
rapport dirigé par l’ancien chancelier allemand Willy Brandt, Nord-Sud : un
programme de survie, publié simultanément dans le monde entier. La carte a
été réalisée selon une projection de Peters – choix peu banal et justifié en
première page : « Elle montre exactement la proportion de la surface des
terres émergées. […] Cette projection marque un progrès important par
rapport à la conception qui attribuait un rôle mondial prépondérant à l’Europe
sur le plan géographique comme sur le plan culturel. » De fait, la carte
présentée par Arno Peters en 1973 entend remettre en question la projection
de Mercator, très utile en son temps pour les marins européens, mais quelque
peu dépassée au XXe siècle. La projection dite « de Peters » – en réalité, déjà
décrite par James Gall en 1855 –, plus respectueuse de la surface des
différentes régions du monde, s’inscrit dans une optique tiers-mondiste qui
convient parfaitement à l’esprit du rapport Brandt.
Quant à la ligne elle-même, les auteurs du rapport soulignent eux-mêmes
son simplisme abusif : « Il y a des objections évidentes à une image
simplifiée montrant le monde divisé en deux camps. Le “Nord” comprend
deux pays riches et industrialisés, au sud de l’équateur, l’Australie et la
Nouvelle-Zélande. […] Quelques pays du “Sud”, généralement exportateurs
de pétrole, disposent d’un revenu plus élevé par habitant que certains pays du
Nord. Mais, d’une manière générale et bien qu’il n’y ait pas de classification
uniforme ou permanente, “Nord” et “Sud” sont synonymes grosso modo de
“riche” et de “pauvre”, de pays “développés” et de pays “en voie de
développement”. »
Cette dichotomie mondiale, cependant, ne date pas de 1980. La formule,
en effet, est due à Sir Oliver Franks, alors président de la Lloyds Bank, dans
un rapport remis en décembre 1959 au Committee for Economic
Development (CED), une organisation états-unienne fondée en 1942, et
publié en janvier 1960 dans Saturday Review : « Avant, les tensions Est-
Ouest étaient le problème dominant ; maintenant, nous avons un problème
Nord-Sud d’égale importance. Il est lié au premier, mais il existe en soi, de
façon indépendante et égale. Je voulais parler des problèmes des relations
entre les pays industrialisés du Nord et les pays sous-développés et en
développement qui se trouvent au sud de ceux-ci, que ce soit en Amérique
centrale ou du Sud, en Afrique ou au Moyen-Orient, en Asie du Sud ou dans
les grands archipels du Pacifique. S’il y a douze ans l’équilibre du monde
tournait autour de la reconquête de l’Europe occidentale, maintenant il tourne
autour de relations justes du Nord industriel du globe avec le Sud en
développement. »
En juillet 1964, le Birman U Thant, secrétaire général de l’ONU, attire lui
aussi l’attention sur le fait que la géopolitique mondiale obéit à une double
bipolarisation : « J’ai dit souvent, et je pense que cela vaut d’être répété […],
que les tensions entre le Nord et le Sud sont fondamentalement aussi graves
que les tensions entre l’Est et l’Ouest. » Mais c’est surtout la Conférence de
Paris sur la coopération économique internationale de 1977, connue sous le
nom de « dialogue Nord-Sud », qui mit en avant cette bipartition du monde.
En 1988, on retrouve l’expression « dialogue Nord-Sud » deux fois dans
le programme d’histoire de terminale. Elle qualifie un moment de l’histoire
du tiers-monde – « de Bandung au dialogue Nord-Sud » – où l’on comprend
que la conférence de Bandung serait un moment d’opposition précédant une
phase de dialogue. L’expression disparaît par la suite avant que la géographie
la mobilise à nouveau en 2002 pour décrire un monde présent où la notion de
tiers-monde serait devenue obsolète. Dans un chapitre portant sur « des
mondes en quête de développement », les enseignants sont appelés à aborder
la question de l’« unité et diversité des Suds ». Elle est introduite ainsi dans le
manuel de terminale dirigé par Roger Brunet et Daniel Pierre-Elien publié en
2008 : « Autrefois appelé tiers-monde, le Sud constitue une périphérie
dominée par les grands centres d’impulsion de l’économie mondiale.
Cependant, l’inégale efficacité des politiques de développement, la variété et
l’évolution des situations politiques, sociales et culturelles de ces pays en font
un espace différencié : on parle donc des Suds plutôt que du Sud. » Au terme
de nombreuses discussions sur les divers degrés de développement est venu
le temps du doute. En 2015, sur le site « Géoconfluences » répertoriant des
ressources de géographie pour les enseignants, la question est posée :
« Nord/Sud, une représentation dépassée de la mondialisation ? »
Il n’est pourtant pas certain que le clivage Nord/Sud soit devenu obsolète.
En anglais, la notion de Global South tend au contraire à être de plus en plus
employée. L’étude géo-historique des notions de Sud et de tiers-monde
s’avère en tout cas nécessaire à la compréhension des ressorts de la
domination occidentale dans la seconde moitié du XXe et au début du
e
XXI siècle.
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Fonder un art national
Maureen Murphy
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Universaliser l’universel
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l’universel, Paris, Éditions du Seuil, 1977.
Ne suis-je pas ta sœur ? Femmes noires
et récits féministes
Silyane Larcher
BIBLIOGRAPHIE
Durant les processus d’indépendance dans les décennies 1950 et 1960, les
archives de l’administration coloniale française des territoires colonisés
furent divisées par les autorités françaises entre « archives de souveraineté »,
transférées en France, et « archives de gestion », restant sur place. Il n’y eut
qu’une exception, les archives d’Afrique occidentale française (AOF), restant
au Sénégal et qui furent l’objet d’un désaccord entre archivistes sur la
postérité de ces fonds éclairant les enjeux contemporains de l’accès aux
archives coloniales.
La distinction entre archives de souveraineté et archives de gestion est
formalisée pour la première fois en 1949-1950 en Indochine avec la signature
d’une convention entre la France et le Viêt Nam. D’autres conventions
bilatérales de partage des archives coloniales suivront en 1954 pour le
Cambodge et les Indes françaises. Dans les autres territoires colonisés, le
même principe sera appliqué, mais sur l’initiative unilatérale des autorités
françaises. Les archives des départements d’outre-mer n’ont pas fait l’objet
de la même division et les ministères de la Défense et des Affaires étrangères
ont procédé à leurs propres transferts d’archives pour les administrations les
concernant (notamment les archives militaires et protectorats).
Même s’il existe des spécificités pour chaque colonie, les archives de
souveraineté étaient en général constituées des documents produits par les
autorités françaises à la tête des colonies et fédérations de colonies, par les
institutions ou établissements français, l’état civil français et, « en général,
toutes les archives présentant un caractère politique, diplomatique, militaire
ou privé ». Les archives restant dans les États indépendants étaient les
archives des administrations coloniales locales (hormis celles désignées
comme étant « de souveraineté ») ainsi que des services techniques, des
provinces, municipalités, communes et assemblées locales.
Le transfert physique des archives de souveraineté se fera de 1951 à 1954
pour les fonds d’Indochine, et de façon plus pressée voire dans l’urgence
pour les autres territoires : établissements français de l’Inde en 1954 ;
Madagascar de 1958 à 1960 ; Algérie de 1958 à 1962 ; Afrique équatoriale
française (AEF) en 1960 ; Comores en 1974 ; Territoire des Afars et des Issas
(Côte française des Somalis) en 1977 ; Nouvelles Hébrides en 1980. Les
fonds sont d’abord entreposés dans différents dépôts en France avant d’être
regroupés en un total de 900 tonnes de documents dans ce qui deviendra les
Archives nationales d’outre-mer (ANOM).
Les archives de l’AOF quant à elles sont toutes restées, archives de
souveraineté comprises, au Sénégal. En 1958, Jean-François Maurel,
archiviste français en charge de ce fonds, avait entamé un travail de
communication auprès des responsables politiques français, notamment
Pierre Messmer, alors haut-commissaire de l’AOF, pour les convaincre de la
nécessité de ne pas démanteler le fonds. Au terme de l’accord final trouvé
entre le Sénégal et la France, il est décidé que les archives de l’AOF resteront
sur le territoire sénégalais. En contrepartie, des copies sur microfilm de ces
archives (jusqu’aux années 1920) seront faites et remises à la France. Sur
demande, les États africains anciennement membres de l’AOF pourront
également recevoir des copies microfilmées des documents concernant leur
pays.
Le positionnement de Maurel provoque l’étonnement du chef de service
des archives du ministère de la France d’outre-mer, Carlo Laroche, et une
vive discussion – en partie arbitrée par un troisième archiviste, Jacques
Charpy, qui fut responsable des archives de l’AOF de 1952 à 1958 – sur un
principe fondamental de l’archivistique : le respect des fonds. Le fonds est
« l’ensemble des documents de toute nature, constitué de façon organique par
un producteur dans l’exercice de ses activités et en fonction de ses
attributions ». Pour Maurel, le fonds AOF doit répondre au principe de
territorialité : il constitue une unité physique et organique qu’il serait
dommageable de démanteler. Pour Laroche, les archives de souveraineté de
toutes les colonies constituent un fonds en soi puisque produites au nom du
pouvoir métropolitain. Si les termes du débat entre les deux hommes se
situent sur un plan technique, ce sont bien deux perspectives entre territoire et
métropole qui s’opposent.
Outre cet aspect technique, Maurel insiste sur le fait qu’afin de nourrir les
vocations et de soutenir les carrières d’historiens en Afrique de l’Ouest, les
archives doivent être accessibles aux étudiants dès le début de leur formation
universitaire, ce qui serait rendu impossible par le transfert des archives de
souveraineté. Ce positionnement n’empêche pas, par ailleurs, la défense
d’une certaine influence française postindépendance autour des archives
puisque Maurel projette, avec Charpy, la mise en place de liens privilégiés
entre les deux pays pour la formation d’archivistes ouest-africains, et qu’il
restera à la tête des archives du Sénégal jusqu’en 1977 au titre de la politique
de coopération. Maurel pointe ainsi une caractéristique essentielle des
archives coloniales : leur nature transnationale les positionne en tension entre
différents États.
Des initiatives de coopération internationale entre centres d’archives
proposent depuis les indépendances des voies de conciliation pour y pallier.
On peut citer la notion de « patrimoine commun », mais elle ne tranche pas la
question de l’accès aux fonds. La numérisation constitue une solution
technique concrète et l’un des chantiers majeurs des prochaines décennies
pour les archives, mais elle comporte, notamment pour le continent africain,
des enjeux politiques et économiques qui dépassent largement le champ
d’intervention des archivistes. Le marché du numérique suscite en effet
l’intérêt d’investisseurs publics et privés, non sans de réelles problématiques
éthiques liées à la souveraineté des archives publiques dans un contexte
mondial laissant l’économie post-indépendance de certains pays vulnérable.
Cela pose la question des possibilités et limites de la seule réponse technique
aux questions d’accès aux archives coloniales.
Ces initiatives prennent place dans un contexte plus général de
discussions concernant les biens culturels issus des colonies ayant émergé
dans la sphère anglophone et qui interrogent la légitimité des anciennes
puissances coloniales européennes à posséder ces biens. Pour les archives, la
question est pointilleuse puisque, contrairement aux artefacts et objets
muséographiques, celles-ci ont une valeur probatoire. Ainsi, le long
contentieux touchant aux archives qui oppose la France et l’Algérie porte en
toile de fond sur les responsabilités historiques et politiques du gouvernement
français, et non sur le seul patrimoine culturel. On pense également à la
question des archives concernant le massacre de Thiaroye, Maurice Audin et
les disparus en Algérie, ou l’assassinat de Thomas Sankara, pour ne citer que
quelques exemples.
La question de l’accès aux archives coloniales comprend ainsi une variété
d’éléments qui se télescopent et se superposent : politiques, juridiques,
financiers, matériels et techniques. Ils pointent la polysémie du mot
« archives », à la fois documents, fonds et institutions. Or la question de
l’accès aux documents et celle de l’accès aux institutions sont distinctes,
même si elles se recoupent.
Les conditions d’accès varient grandement d’un pays à l’autre. Par
exemple, les règles de communication des archives sont très proches entre la
France et le Sénégal, là où les archives nationales du Viêt Nam sont
communiquées sur validation de la direction. Cependant, la transparence des
règles d’accès en France ne doit pas faire oublier les mesures qui
entretiennent une atmosphère de soupçon, ainsi que les procédures strictes de
déclassification des archives de la Défense l’ont rappelé en 2020-2021 (une
partie des archives secret-défense, dont certaines avaient déjà été
communiquées, étant alors devenues non communicables) ou encore les
catégories d’archives non communicables pour une période indéterminée
(archives nucléaires, etc.).
De plus, égalité d’accès ne signifie pas équité d’accès. La forte
concentration des sources de l’histoire de la colonisation (ANOM, Défense,
Affaires étrangères) en France rend souvent incontournables pour les
étudiants et chercheurs des pays anciennement colonisés par la France des
séjours de recherche d’autant plus coûteux que les disparités économiques
sont grandes. Au-delà de l’aspect financier, qui reste un obstacle majeur à ces
séjours, il faut ajouter l’obtention des visas qui peut se révéler un frein voire
un empêchement dans l’accès aux archives.
Il faut également mentionner que droit d’accès ne signifie pas accès
effectif. Les moyens financiers manquent dans de nombreux dépôts
d’archives pour permettre la communication des documents dans des
conditions matérielles compatibles avec les règles de conservation, et les
instruments de recherche peuvent aussi se révéler inadéquats pour offrir des
conditions de recherche satisfaisantes dans plusieurs États qui n’investissent
pas suffisamment dans l’administration et la conservation de leurs archives.
À ces problématiques touchant aux institutions des archives et aux cadres
juridiques, administratifs et politiques dans lesquels elles évoluent s’ajoutent
les questions liées aux archives comme source et matériau de recherche. Les
fonds conservés par les institutions ne constituent qu’une partie des sources
de l’histoire de la colonisation. Nombre d’initiatives proposent de compléter
les documents produits par l’administration coloniale par d’autres sources
(histoire orale, iconographie, archives privées, etc.), objets d’intérêt non
négligeable pour le renouvellement des méthodologies de recherche. De plus,
une grande partie des archives locales de l’administration coloniale française,
notamment en Afrique de l’Ouest, a été laissée à l’abandon et se trouve donc
bien hors institutions. Sans mesure de préservation, c’est un large pan de
l’échelon régional et local de l’histoire de la colonisation qui se trouve ainsi
menacé de disparition.
L’accès aux archives coloniales porte donc un nombre important de
facteurs qu’il convient d’interroger de manière critique et réflexive. L’impact
de la division des fonds entre archives de souveraineté et archives de gestion
est déterminant dans cette perspective et les outils d’archivistique
internationale, ancrés dans des pratiques relevant de contentieux qui résultent
de conflits nationaux, ne prennent pas toujours en compte la dynamique de
domination propre à la colonisation et la situation contemporaine de ces
fonds dans toute leur complexité.
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Ruptures de guerre
État et contre-États
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Lucien Lévy-Bruhl et la « mentalité
primitive »
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Lorsqu’on évoque l’âge d’or du cinéma colonial des années 1920 et des
années 1930, la défaite de la France dans les années 1940, la montée du
gaullisme et l’effondrement de l’empire dans les années 1950, on constate
que deux artistes noires françaises dominent le paysage : Jenny Alpha,
officier de l’ordre des Arts et des Lettres (2005), et Joséphine Baker,
comédienne d’origine états-unienne, devenue citoyenne française en 1937 et
intronisée au Panthéon en 2021.
Née en 1910 à Fort-de-France, en Martinique, dans une famille
bourgeoise, Jenny Alpha arrive dans l’Hexagone en 1929 avec l’ambition de
devenir institutrice. Elle s’inscrit d’abord au collège Sophie-Germain, puis à
la Sorbonne, où elle fait la connaissance des surréalistes ; plus tard, elle
côtoiera les fondateurs du mouvement émergent de la négritude. À la
Sorbonne, elle se passionne pour les arts de la scène. En 1939, elle lance son
premier spectacle au musée Guimet, Le Carnaval antillais. Alpha collabore
aussi à la revue anticolonialiste Présence africaine, où elle publie une
recension du roman de sa compatriote Mayotte Capécia, Je suis
martiniquaise (1948), critiquant l’autrice pour son recours à des stéréotypes
coloniaux ; son analyse sera reprise, sans être citée explicitement, dans Peau
noire, masques blancs (1952), de Frantz Fanon.
Le racisme ambiant s’avérera un obstacle important pour ses ambitions
théâtrales, car elle se voit consignée principalement à des rôles de « doudou »
ou de « petite prostituée ». Son apparition dans la pièce de Jean Genet Les
Nègres, en 1958, marque cependant un tournant dans sa carrière. Non que le
racisme ait cessé d’être un obstacle, mais son talent indéniable et sans égal
fait désormais d’elle l’exception à la règle. Elle joue dans plus de cent œuvres
théâtrales, pièces radiophoniques et films, dont La Vieille Quimboiseuse et le
Majordome (1987). Dans son difficile parcours en quête de reconnaissance,
Alpha croisera le chemin de Joséphine Baker, une autre grande vedette du
cabaret, du cinéma et de la musique en France, à qui elle a souvent été
comparée en tant que « nouvelle Joséphine Baker » version antillaise et
« plus grande fantaisiste exotique ».
Joséphine Baker, née Freda Josephine McDonald en 1906 aux États-Unis,
était originaire de Saint Louis, dans le Missouri. En contraste avec le milieu
aisé dont était issue Jenny Alpha, l’enfance de Baker dans une Amérique en
proie à la ségrégation raciale est marquée par une extrême pauvreté, l’errance
de domicile en domicile précaire et un mariage à l’âge de 13 ans. À 15 ans,
elle avait déjà divorcé ; elle se remarie alors avec William Baker, dont elle
conservera le nom de famille toute sa vie. Sa manière frénétique de chanter et
de danser, ponctuée d’expressions comiques, comme par exemple lorsqu’elle
louchait volontairement, finissent par l’amener sur la scène new-yorkaise.
Elle est repérée en 1924 à l’occasion d’un spectacle du Plantation Club de
Harlem, et son charisme lui vaut une offre pour se produire dans La Revue
nègre à Paris. Son apparition sur la scène du théâtre des Champs-Élysées le
2 octobre 1925, seins nus et vêtue d’une simple jupe de plumes – la ceinture
de bananes viendra plus tard –, ainsi que sa fameuse « danse sauvage » font
sensation et lancent sa carrière sur la scène internationale. Cet accueil
enthousiaste en Europe n’empêche pas Baker de retourner plusieurs fois aux
États-Unis, dans l’espoir d’y obtenir un succès théâtral similaire et de
combattre le racisme de la société états-unienne. Ces deux objectifs se
révèlent pourtant hors d’atteinte. Malgré sa double déclaration d’allégeance à
« mon pays et Paris » dans J’ai deux amours, son activité militante en faveur
de la justice raciale lui vaut d’être bannie des États-Unis en 1951, et ce
jusqu’à la marche sur Washington de 1963.
Les carrières de ces deux artistes ont été temporairement interrompues
par la Seconde Guerre mondiale et le régime de Vichy. Mais Alpha et Baker
surent prouver qu’elles étaient plus que des figures du spectacle ; leur
engagement en faveur de la France libre et d’un monde exempt de
discrimination raciale motiva leur participation à la Résistance française.
Joséphine Baker avait joué à l’écran le rôle d’une sirène des tropiques et
Jenny Alpha était elle-même originaire d’une île tropicale enchanteresse ;
toutes deux devinrent de véritables sirènes de la Résistance. Baker,
continuant à se produire sur scène, transcrivait à l’encre invisible sur ses
partitions des renseignements sur les troupes de l’Axe et hébergea des
résistants dans son château en Dordogne. Alpha éprouva une horreur
croissante face aux atrocités de la guerre. Elle cacha pendant six mois une
famille juive, les Jacubowicz, dans sa maison sur la colline de Cimiez, à
Nice, alors que la Gestapo semait la terreur en effectuant des incursions
aléatoires aux domiciles des résidents français. De fait, la maison de Jenny
Alpha reçut la visite de la police nazie alors même que les Jacubowicz y
étaient encore terrés.
Risquant ainsi leur vie, les deux femmes surent amplement rendre à la
France les faveurs que celle-ci leur avait accordées. En reconnaissance de ses
efforts de guerre, Jenny Alpha fut nommée en 2009 chevalière de la Légion
d’honneur, la plus haute récompense pour des actions militaires ou civiles,
qui fut également décernée par le général de Gaulle à Joséphine Baker,
honorée en outre de la croix de guerre et de la médaille de la Résistance avec
rosette.
Traduit de l’anglais par Marc Saint-Upéry
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La guerre, une occasion à saisir pour
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Indochine et Algérie : dix-sept
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Le 17 octobre 1961, des dizaines d’Algériens sont tués par les forces de
l’ordre françaises alors qu’ils manifestaient pacifiquement à Paris pour
l’indépendance à l’appel de la fédération de France du Front de libération
nationale (FF-FLN). Cet événement est aujourd’hui considéré comme l’un
des épisodes clés de la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962). Il est
révélateur du rôle décisif joué par l’immigration algérienne durant le conflit,
mais aussi d’une raison d’État qui a occulté l’ampleur de cette répression au
bilan toujours contesté.
Entre 1954 et 1957, la FF-FLN mit sur pied une structure
organisationnelle sophistiquée permettant de collecter des fonds auprès des
immigrés algériens en France et ainsi de financer la lutte armée en Algérie.
En réaction, la Préfecture de police de Paris élabora un système répressif
destiné à démanteler ces réseaux nationalistes. Avec la nomination de
Maurice Papon comme chef de la police parisienne en mars 1958, ce système
se montra de plus en plus dur dans sa tactique répressive – tactique qui avait
été en partie élaborée en Algérie et qui cherchait délibérément à s’affranchir
des limites de la répression légale : arrestations et détentions arbitraires,
torture, vols, destruction d’objets et de documents personnels. Loin de viser
uniquement les militants nationalistes, le système répressif ciblait en effet
l’ensemble de la communauté algérienne, faisant usage d’une violence
punitive, parfois létale, contre des individus frappés et jetés dans la Seine ou
abandonnés sur la voie publique, et cela bien avant le 17 octobre. La peur
s’installa parmi les Algériens de la région parisienne, dans le contexte d’une
montée de la violence répressive à l’automne 1961, en lien avec les
négociations en cours entre l’État français et le Gouvernement provisoire de
la République algérienne (GPRA) et les attentats mortels de la FF-FLN
contre la police, avec treize officiers tués entre le 29 août et le 3 octobre
1961. Le couvre-feu discriminatoire imposé aux Algériens de la région
parisienne le 5 octobre 1961 constituait une mesure supplémentaire à laquelle
la FF-FLN, sous la pression de sa base, devait riposter.
Les manifestations du 17 octobre 1961 furent ainsi un boycott de fait du
couvre-feu. Elles avaient également d’autres objectifs, comme de marquer le
refus de la répression. Par ces rassemblements, la FF-FLN voulait aussi
montrer sa représentativité afin d’appuyer le GPRA et d’interpeller l’opinion
publique française. Le 17 octobre 1961, il s’agit de manifestations interdites
et inédites dont il faut souligner l’aspect symbolique : l’« occupation » de la
capitale – vitrine de l’empire – par environ 30 000 Algériens, hommes et
femmes, qui devaient impérativement répondre à l’ordre de manifester. En
quelques lieux clés, où s’étaient regroupés des milliers de manifestants
pacifiques, comme au pont de Neuilly ou à Saint-Michel, la police chargea ;
elle n’hésita pas à tirer sur la foule, jetant ensuite certaines victimes dans la
Seine. Outre les dizaines de morts, un millier d’Algériens furent blessés. À la
fin de la soirée du 17 octobre, 11 518 Algériens avaient été placés en
détention suite à cette « rafle gigantesque », selon l’expression d’Emmanuel
Blanchard. Nombre d’entre eux furent retenus parfois toute une semaine dans
des stades (stade Coubertin, parc des Expositions) où les violences se
poursuivirent. Malgré cette répression, il y eut les jours suivants d’autres
mobilisations, et d’autres arrestations : par exemple, quelque
984 manifestantes algériennes furent arrêtées à Paris le 20 octobre.
La dissimulation et l’impunité étatiques ont été soigneusement organisées
par le gouvernement gaulliste. La version officielle, mensongère, ne parlait
que de deux, puis cinq morts algériens, arguant que les policiers avaient agi
en état de légitime défense, et imputant les décès aux règlements de comptes
entre Algériens. Se sachant couverts par le pouvoir gaulliste, les cadres
administratifs et policiers anticipèrent de leur côté de futures amnisties.
Quant à la presse anticoloniale radicale, elle fut censurée par le pouvoir, et
certains documents potentiellement compromettants furent détruits, l’accès à
d’autres étant interdit jusqu’aux années 1990.
Toutefois, d’autres facteurs expliquent la « disparition » du massacre.
Pour les principaux partis et syndicats de gauche, divisés par la guerre froide
et en butte à des conflits internes sur l’Algérie, les protestations n’étaient pas
prioritaires. À gauche, le curseur se déplaça rapidement des manifestants
algériens au rassemblement antifasciste du 8 février 1962 que scella la tuerie
de Charonne où neuf militants communistes furent victimes de la police
parisienne : cette violence fit date, contrairement à celles du 17 octobre 1961.
L’occultation de cette journée est due aussi au refus du GPRA que le
massacre compromette ses négociations avec l’État français.
En France, il a fallu attendre l’émergence de nouveaux acteurs pour
transformer la situation : trois décennies plus tard, de jeunes militants de
gauche, souvent issus de l’immigration algérienne, se sont mobilisés autour
du 17 octobre 1961 dans le cadre du mouvement antiraciste. Entre 1991 et
2011, à travers de grandes commémorations décennales, des ouvrages, des
documentaires et manifestations, ils ont réussi à « nationaliser » l’événement
par le bas. Cette pression venue de la société civile a transformé le 17 octobre
1961 en « lieu de mémoire » transnational, poussant les présidents Hollande
puis Macron vers la reconnaissance officielle du massacre.
BIBLIOGRAPHIE
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Quand, au milieu des années 1940, l’Asie inaugure la grande vague des
« décolonisations », le panasiatisme semble avoir fait long feu. Après tout,
cette pensée composite, issue de l’orientalisme et marginale, est née, au
tournant des XIXe et XXe siècles, d’une exhortation à « rendre l’Asie aux
Asiatiques » et du besoin d’affirmer leur unité socio-culturelle et politique,
voire spirituelle, face à la colonisation et à la domination occidentales. Avec
le reflux des Européens en Asie du Sud-Est, pendant et après la Seconde
Guerre mondiale, la nécessité de l’idéal panasiatique se fait moins sentir.
Surtout, celui-ci a été durablement discrédité par son association au projet de
« sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale » promu par le Japon
impérial.
Le souvenir des premiers chantres du panasiatisme n’a pas disparu pour
autant. Des précurseurs japonais (Okakura Tenshin) au premier président de
la République de Chine, Sun Yat-sen, en passant par le Vietnamien Phan Bôi
Châu ou les Indiens Rabindranath Tagore et Taraknath Das, chacun à sa
manière a tenté de nourrir la construction d’une identité asiatique commune,
au sein d’un réseau intellectuel transnational prenant le Japon comme modèle
de modernisation alternatif, à un Occident dominateur aussi bien qu’à un
ordre sino-centrique périmé. Lorsque le gouvernement japonais promeut à
son tour le projet d’une intégration panasiatique, présenté pour la première
fois le 1er août 1940 par le ministre des Affaires étrangères Matsuoka Yôsuke,
il tente de lui donner une existence institutionnelle. Pour cela, début
novembre 1943, il réunit la Conférence de la grande Asie orientale, censée
concrétiser les idéaux panasiatiques et libérer l’Asie du colonialisme
occidental. Loin d’amorcer un authentique processus d’intégration régionale,
l’initiative parachève une conquête militaire brutale. Elle inaugure un « pan-
nipponisme » fondé sur une implacable hiérarchie des peuples, mis au service
exclusif des intérêts politico-stratégiques du Japon et de son expansion
coloniale, comme le redoutaient déjà, au début du XXe siècle, des observateurs
aussi visionnaires que le Coréen Uhyeong saeng.
Pourtant, fort de ses victoires successives sur de grandes puissances, de la
Russie en 1905 à l’Europe et aux États-Unis en 1941-1942, le Japon a créé
une situation irréversible. Il a détruit les appareils politico-militaires et les
circuits économiques coloniaux, promu des dirigeants autochtones (parfois
libérés directement des geôles coloniales, comme Sukarno dans la future
Indonésie ou Ibrahim Yaacob en Malaisie), et puissamment attisé les
nationalismes, au point de consacrer l’indépendance formelle des Philippines
et de la Birmanie, en 1943, puis du Vietnam, du Laos et du Cambodge, le
10 mars 1945. Motivée par la nécessité d’obtenir la coopération des élites
locales, cette « libération » tardive a pu être accueillie avec enthousiasme par
des nationalistes de l’Asie du Sud-Est en quête d’émancipation, comme le
Birman Ba Maw ou le Philippin José Paciano Laurel, alors placés par les
autorités japonaises à la tête des gouvernements projaponais de leurs pays
respectifs. Mais la plupart des autres nationalistes collaborateurs n’ont pas
attendu la défaite nippone pour se retourner contre les Japonais, jugés
coupables d’avoir substitué à celle des puissances coloniales occidentales une
domination encore plus cynique et brutale.
Après 1945, n’étant plus porté ni par un Japon sous occupation états-
unienne, ni par une Chine aux prises avec la guerre civile, le panasiatisme ne
fait guère recette à l’heure de la guerre froide et de la bipolarisation du
monde, où des mouvements plus englobants tels que le « tiers-mondisme »
l’éclipsent durablement sans l’effacer totalement.
Peut-on déceler sa résurgence dans le régionalisme exclusif qui se
développera, à partir de 1967, au sein et autour de l’Association des nations
d’Asie du Sud-Est (ASEAN) ? Nul doute qu’en affirmant à Bangkok leur
volonté de bâtir une communauté de destin entre pays du Sud-Est asiatique,
ses cinq membres fondateurs en empruntent l’idéal civilisationnel et
humaniste. Mais, désireux avant tout de consolider leurs États jeunes et
fragiles, de pacifier entre eux des relations encore sensibles face à la
perception commune d’une expansion de la menace communiste en Asie, ils
ne renonceront pas pour autant à des formes parfois extrêmes de violence –
notamment anticommuniste – à l’intérieur de leurs frontières, ni
corollairement à des relations plus étroites avec les États-Unis et le « monde
libre ». L’esprit panasiatique ne ressurgira, en définitive, qu’après la fin de la
guerre froide, avec les élargissements successifs de l’ASEAN comme à
travers la promotion néoconfucéenne des valeurs traditionnelles
« asiatiques » d’ordre social et de déférence aux élites, dont les Premiers
ministres Lee Kuan Yew (Singapour) et Mohamad Mahathir (Malaisie) se
feront un moment les hérauts, parmi d’autres, dans un contexte de montée en
puissance de la Chine et de lutte contre l’unipolarité américaine et
l’individualisme occidental.
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Pieds-rouges : espérances, doutes
et déceptions
Catherine Simon
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Vous avez peut-être déjà vu une carte des empires coloniaux. Une grande
carte du monde, où l’on voit des taches de couleurs différentes qui traversent
les continents. La légende nous dit qu’une couleur représente le Portugal, une
autre les Pays-Bas. La France y a fière allure. Une tache immense sur une
bonne partie de l’Afrique, d’autres en Asie, aux Amériques, dans le
Pacifique. Derrière l’empire britannique, c’est le deuxième plus grand empire
colonial par sa superficie. En 1930, la France s’étale sur 11 millions de
kilomètres carrés et compte plus de 100 millions d’habitants.
Mais ces cartes sont des mirages. Ou plutôt, elles ne reflètent qu’une
perspective, celle de leurs créateurs. Pour ces hommes d’État européens, la
carte est un outil pour mesurer leur puissance les uns par rapport aux autres.
Peu importe qu’ils n’aient jamais foulé certains de ces espaces, peu importe
que certaines personnes qui les habitent n’aient pas reconnu cette domination.
La carte sert à montrer qu’on est le maître du monde. Au début du XXe siècle,
les empires européens atteignent l’apogée de leur domination du globe, et la
France en est l’un des principaux acteurs.
À elle seule, la carte ne peut pas nous montrer ce qu’a été l’empire
colonial français. Dire qu’un territoire est français, cela signifie quoi,
concrètement ? L’artiste malgache Malala Andrialavidrazana transforme les
cartes coloniales en y rajoutant des visages, des bâtiments, des formes et des
couleurs. Pour cela, elle multiplie les techniques : collage, photographie,
dessin, texte. Faire l’histoire de la colonisation revient à emprunter une
méthode assez similaire, à multiplier les perspectives, les sources et les
approches pour poser sur l’image trop lisse de cet empire unifié des
personnes et des expériences différentes.
Redessiner la carte de l’empire colonial, c’est rendre visible tout ce
qu’elle cherche à dissimuler. En 1912, un intellectuel et militant vietnamien,
Nguyên Thuong Hiên, regrette les pays qui ont été rayés de la carte. Avant
l’invasion française, le Vietnam « était un État avec sa place dans le monde ».
Maintenant, ce n’est qu’une « patrie perdue » (vong quốc), comme tant
d’autres, effacée par les Français dont les troupes « détruisent et brûlent tout
sur leur chemin, tuant tout ce qu’ils rencontrent ». Pour Hiền, la colonisation
a marqué la fin d’un monde.
La carte porte en soi une redoutable perversité : elle laisse penser que la
seule différence qui compte serait le fait d’avoir été colonisé par les Italiens
ou les Français. Comme si les Européens avaient partagé le monde si
complètement que seules les différences nationales entre eux compteraient.
Mais, même au summum de l’impérialisme européen, au début du XXe siècle,
d’autres mondes continuent à exister. Hiền écrit son texte en Chine, où il s’est
exilé pour fuir l’Indochine française. Son texte n’est adressé ni aux Français
ni aux Vietnamiens, mais à un ami coréen qui a vu son pays disparaître sous
l’invasion japonaise. La carte ne montre pas ces autres couleurs, ces amitiés
anciennes qui continuent, ni d’autres, nouvelles, qui se créent dans ce monde
de ruines.
Depuis notre présent, à première vue, c’est très simple : avant la
décolonisation, il y a eu la colonisation, quand la France dominait le monde.
Mais comprendre la colonisation à son apogée est plus complexe qu’il n’y
paraît. La France a accumulé un gigantesque empire par la guerre, la
contrainte et la collaboration aux XIXe et XXe siècles, partie des fondations
d’un premier empire qui a volé en éclats à la fin du XVIIIe siècle. Cette
expansion coloniale a profondément transformé le monde dans lequel nous
vivons, et a marqué des générations de femmes et d’hommes qui sont nés et
morts sous la colonisation. Ensemble, nous pouvons tenter de produire une
nouvelle carte, de voir où s’étendait cet empire, de cerner ses frontières
invisibles, et ce qui le faisait tenir ou pas.
Où est l’empire ?
Frontières intimes
Ces gestes du quotidien peuvent être plus révélateurs que les
mappemondes, car les frontières les plus importantes du monde colonial ne
figurent sur aucune carte. Vers 1928, une jeune fille qui deviendra Marguerite
Duras prend le bus pour aller au lycée au Saïgon. Elle s’assoit à l’avant, juste
derrière le chauffeur, parce qu’elle est blanche. Il n’est pas envisageable
qu’un Vietnamien s’assoie à côté d’elle. Ce n’est écrit nulle part. Mais tout le
monde connaît la règle : il y a une frontière entre l’avant et l’arrière du bus,
une frontière intime qui parcourt toute la société.
Dans le monde colonial, ce qui compte, c’est moins où l’on est dans le
monde que qui l’on est : colon ou colonisé. Cette différence détermine si on
peut se déplacer, si on paie plus ou moins d’impôts, si on peut être déporté
sans prévenir, qui on peut épouser, comment on est traité par les autorités.
Juridiquement, c’est la différence entre un citoyen, qui participe pleinement à
la vie politique française, et un sujet, qui lui est soumis sans pouvoir y
participer. L’écrasante majorité des habitants des colonies ne sont que des
sujets. Pour eux, ce n’est pas le droit régulier de la France métropolitaine qui
s’applique, mais un système chaotique dénommé l’« indigénat ». C’est une
exception au droit français destinée à ceux qu’on décrit comme les
« indigènes ».
Quand on parle de violence coloniale, on peut penser à une violence
spectaculaire, à des massacres dont on égrène les tristes noms : les enfumades
du Dahra, la colonne Voulet-Chanoine, la prise de Hué. Ils font déjà scandale
à l’époque. Mais cette violence est avant tout sourde, quotidienne et
ordinaire : l’inégalité, qui se répète constamment pour maintenir les frontières
internes de la domination. Ainsi, les indigènes sont soumis à des impôts
supplémentaires, dont les contributions servent à payer le mode de vie des
colons. Les administrateurs peuvent forcer les habitants à effectuer des
corvées qui touchent parfois à l’absurde. Au Mali, dans la boucle du Niger,
les femmes et les hommes passent ainsi la nuit à taper l’eau avec leurs mains
afin de faire taire les crapauds dont les coassements gênent l’administrateur
local.
Cette barrière entre colons et colonisés va bien au-delà de ce qui est dit
dans le droit. Par exemple, un homme européen peut épouser une femme
colonisée, mais l’inverse est extrêmement rare. Pourtant, il n’y a pas dans
l’empire français de loi explicite sur les mariages mixtes. Mais les chiffres
dont nous disposons sont sans appel : à Madagascar, 80 % des enfants mixtes
sont nés d’un père français et d’une mère malgache. Pourquoi ? Parce qu’un
métropolitain qui épouse une Malgache reproduit dans sa famille une version
miniature de la domination coloniale : il exerce une autorité masculine et
patriarcale selon les valeurs de l’époque. Dans le sens inverse, un Malgache
qui épouse une Européenne menace la domination coloniale et son imaginaire
très masculin, et ce mariage est donc potentiellement subversif. Cela n’a
même pas besoin d’être dit, et fait partie de ce qu’Ann Laura Stoler appelle le
« bon sens » colonial. Cette règle se constate dans différents territoires
coloniaux français : à Hanoï, les couples formés par un homme européen et
une femme « indigène » représentent 96 % des mariages mixtes. La frontière
coloniale n’est pas la même si on est un homme ou une femme.
De même, une frontière puissante parcourt les villes coloniales, entre les
quartiers européens et les quartiers indigènes, sans qu’elle ait partout besoin
d’être formellement écrite. On sait ce qu’on risque en tant qu’indigène si on
se déplace dans le mauvais quartier.
La colonisation est un monde où personne n’est neutre. Cela ne veut pas
dire que ce soit un monde complètement binaire. Il existe une mince couche
d’intermédiaires pour faire tenir ce monde divisé, des interprètes, des
mandarins, des caïds. Souvent, ces intermédiaires proviennent de minorités
raciales ou religieuses qui sont assignées à ce rôle, comme les catholiques en
Indochine, les Libanais en Afrique de l’Ouest, ou les juifs au Maghreb.
L’existence de ce monde de l’entre-deux ne rend pas les choses plus égales
ou plus complexes, au contraire, elle renforce la règle : chacun à sa place.
Cela ne signifie pas que tout le monde se comporte comme prévu. Les
intermédiaires ne sont pas simplement les agents du pouvoir colonial, ils le
déforment pour servir leurs propres intérêts. Dans L’Étrange Destin de
Wangrin, l’écrivain Amadou Hampaté Bâ, qui a lui-même travaillé pour
l’administration coloniale, raconte l’histoire d’un interprète noir qui arrive à
berner le pouvoir des Blancs. Wangrin est le seul à comprendre les deux
mondes à la fois, et il en profite pour escroquer tout le monde. Mais ce
pouvoir est fragile, et s’efface dès que les Blancs s’aperçoivent de la
supercherie.
Les possibilités de mobilité existent, mais elles sont limitées. Un bon
exemple est la naturalisation. C’est une procédure qui permet à certains
« indigènes », dans des conditions très limitées, de devenir citoyens français
(et non plus sujets). Elle laisse entrevoir une possibilité d’égalité, selon
laquelle les « indigènes » pourraient, malgré leur naissance, devenir des
Français comme les autres. En pratique, elle est extrêmement rare. En
Nouvelle-Calédonie, aucun Kanak n’a obtenu la citoyenneté française
jusqu’en 1939. En Algérie, entre 1870 et 1919, on estime les naturalisations à
une trentaine par an. La procédure est complexe, dissuasive, souvent refusée
par les autorités. Celui qui a le malheur d’être né « indigène » doit prouver,
par tous les moyens, qu’il est exceptionnel et différent de ses semblables pour
mériter d’être français. Si on est né français, par contre, ce privilège n’est pas
remis en question. La naturalisation permet à certains individus de jouir
d’une certaine marge de manœuvre, mais elle ne menace pas
fondamentalement la domination plus large des Européens sur les indigènes,
et son caractère racial.
L’assimilation des populations colonisées est un argument rhétorique
visant à justifier la colonisation, mais pas une réalité. Si les colonisés
devenaient des égaux, la domination s’effondrerait. De même, la politique
d’éducation ne vise pas à abolir la différence entre les colons et les colonisés,
ce qui est manifeste si l’on regarde les faibles budgets qui y sont alloués.
Tout au plus envisage-t-on l’émergence d’une mince couche d’« évolués »
qui souvent deviendront les plus féroces critiques du système colonial comme
Aoua Keïta, sage-femme qui militera pour l’indépendance et deviendra
députée du Mali. La conversion religieuse ne suffit pas non plus à assurer une
sortie du statut de colonisé. L’État français soutient le travail des
missionnaires aux colonies, même après la séparation des Églises et de l’État
en 1905, laquelle ne sera pas appliquée outre-mer, car la présence des
religieux est jugée utile dans ce vaste empire dont une grande partie des
sujets sont musulmans ou bouddhistes. Le baptême, toutefois, ne confère pas
de droits particuliers.
La colonisation favorise cependant une réorganisation profonde à
l’intérieur même des sociétés colonisées. De nouvelles élites émergent : ceux
qui parlent français, qui sont allés à l’école française et ont des relais
politiques en métropole. André Matswa, originaire du Congo, se servira ainsi
de son passage à Dakar et à Paris pour enflammer les foules contre le système
colonial de retour dans son pays d’origine au point qu’on le prendra pour un
messie aux pouvoirs surnaturels.
Par contre, pour les anciennes élites du monde d’avant la conquête, le
système colonial est synonyme de dépossession, de la perte de terres ou de
statut. À Madagascar, l’ancien secrétaire royal Rakotovao se plaint dans son
journal en 1896 des comportements scandaleux de ses anciens esclaves. En
effet, à partir de 1848, les Français abolissent l’esclavage dans les territoires
qu’ils conquièrent. Cette abolition, si elle ne met pas fin au travail forcé,
transforme les rapports locaux. Pour Rakotovao, la défaite de son royaume
par la France le prive aussi du pouvoir qu’il exerçait sur ses esclaves : « Que
pouvait-on faire ? Lorsqu’on est vaincu, on n’a plus aucun pouvoir. » Les
anciennes hiérarchies s’effondrent.
Bref, un nouveau monde émerge. De nouveaux quartiers viennent
transformer des villes existantes comme Hanoï ou Tunis, nouvelles rues,
bâtiments détruits, nouveaux modes de vie. Ou encore, ce sont carrément des
villes entières qui émergent, comme à Dalat, station climatique dans les
montagnes de Cochinchine construite pour fuir la chaleur de Saïgon, ou à
Saint-Laurent du Maroni, commune-prison fondée en 1858 pour le bagne en
Guyane. Comment le montrer sur une carte, ce monde fait de taches
minuscules, entre les hommes et les femmes, entre les quartiers, entre les
gens ?
Est-ce que cela vaut même la peine, alors, d’essayer de tout rassembler
sur une même carte ? On peut être tenté de dire que l’empire français n’était
qu’une illusion d’optique rassemblant des expériences et des phénomènes
différents. Pourtant, nous continuons à avoir besoin d’une vision d’ensemble
de la colonisation française, car il est indéniable qu’elle s’est exercée à
l’échelle mondiale et qu’elle a donc transformé la vie de personnes dans des
espaces différents, provoquant violences, exils, circulations et rencontres.
D’abord, il faut éviter de tomber dans le cliché selon lequel il y aurait une
« essence » particulière de la colonisation française différente des autres
empires coloniaux. Une idée répandue à l’époque, et qui survit depuis,
voudrait que par rapport à son principal rival, l’empire britannique, la France
aurait cherché à tout prix à mener sa mission civilisatrice, à transmettre des
valeurs plutôt qu’à profiter économiquement de ses colonies. En fait, tous les
empires pensent qu’ils sont exceptionnels et bienveillants comparés à leurs
rivaux.
La rivalité entre nations européennes a joué un rôle important dans les
motivations de la colonisation, mais la France et la Grande-Bretagne ont su
aussi coloniser ensemble, comme aux Nouvelles-Hébrides, aujourd’hui
Vanuatu, où elles établissent un « condominium », une étrange co-
colonisation.
Sur le terrain, l’empire français est souvent bien difficile à distinguer de
ses voisins. Il est facile de tomber dans une analyse « nationale » de la
colonisation, mais ces clichés ne tiennent pas quand on regarde dans le détail.
Il n’y a pas eu de modèle colonial français cohérent, et les différences au sein
des empires sont énormes. La Nouvelle-Calédonie, française, a une
expérience coloniale bien plus proche de l’Australie, pourtant colonie
britannique, que de celle de la Syrie sous mandat français.
En fait, la notion de « modèle » sert surtout dans les débats parmi les
administrateurs coloniaux qui se demandent quel est le meilleur moyen de
contrôler les colonies : assimilation ou association (faut-il faire des
« indigènes » des Français comme les autres, et donc les transformer, ou
s’associer à eux en maintenant leurs différences ?). Ce débat ne reflète pas la
réalité des politiques sur le terrain.
Ce mythe dissimule un problème de sources : on ne peut pas prendre au
mot la parole de l’État colonial. L’histoire de la colonisation n’est pas juste
celle de la politique coloniale, de décisions prises à Paris dans des ministères,
même si c’est souvent ainsi qu’elle a été autrefois décrite par des historiens.
C’est tout l’art du collage à réaliser sur la carte.
Par exemple, quand Jules Ferry, chef du gouvernement français, dit en
1885 dans un discours célèbre que les « races supérieures » ont le « devoir de
civiliser les races inférieures », c’est un bon résumé d’une idéologie raciste
répandue à l’époque. Mais si on consulte d’autres documents administratifs,
on constate que le « devoir de civilisation » des « indigènes », même tel que
le comprend Ferry, a rarement été une priorité des gouvernements français
sur le terrain. Comme l’ont montré de nombreuses historiennes, en pratique la
politique coloniale consiste plutôt à contrôler le territoire le plus large et les
populations les plus importantes possible en dépensant le moins possible, ce
qui revient le plus souvent à sous-administrer en exerçant une violence
arbitraire quand la situation déborde.
Pour comprendre ces « débordements », on ne peut pas s’en tenir aux
documents produits par l’État français. Prenons une perspective inverse. On
peut regarder une histoire de la colonisation écrite par un Algérien anonyme
dans les alentours de Mascara vers 1871. Ce manuscrit résume la colonisation
comme une perte totale de dignité et de valeurs morales : « les mosquées se
vident et les souks se remplissent (tata’atal al-masājid wa ta’amar al-
aswāq) ». L’ordre social s’effondre, car se répand « l’égalité (musāwāt) entre
les femmes et les hommes et les nobles (ashraf) et les éduqués (‘ulamā’) et
les sujets (ra’āt) et la racaille (awbāsh) ». La corruption, la prostitution et les
mensonges sont partout. La colonisation est ici l’inverse de la civilisation,
elle est un chaos infernal.
Mais on ne peut pas s’en tenir à ce texte non plus pour comprendre
comment la colonisation a été vécue. D’abord, il ne résume pas « la voix des
colonisés ». Il est écrit par une personne particulière, un homme formé à la
science musulmane. Même en restant en Algérie, on peut trouver d’autres
voix qui offrent d’autres perspectives sur la colonisation. Des poèmes chantés
par des femmes et non des hommes, ou par des hommes illettrés, ou des
récits en touareg ou en kabyle plutôt qu’en arabe. Certains sont joyeux,
d’autres tristes. Aucun n’a le monopole de la vérité sur ce qu’a constitué la
colonisation.
De même, le discours colonial n’est pas monolithique. Quand Ferry fait
son discours en 1885, Georges Clemenceau lui répond lors de la même
séance à la Chambre : « Races supérieures, races inférieures, c’est bientôt
dit ! […] Race inférieure, les Hindous ! Avec cette grande civilisation
raffinée qui se perd dans la nuit des temps ! » Au sein même de la classe
politique française, la colonisation fait débat. Les massacres, les abus de
pouvoir nous sont souvent connus parce qu’ils ont déjà fait scandale à
l’époque.
Si l’on se rapproche des métropolitains ordinaires, soldats ou colons, qui
ont participé à la colonisation, on voit des perspectives bien différentes de
celles du gouvernement. Un artisan bourguignon, Michel Millet, nous laisse
ainsi un témoignage de la guerre qu’il a été envoyé faire en Nouvelle-
Calédonie en 1878 dans des carnets drôles et troublants écrits dans une
orthographe approximative. Au début, il parle de partir « à la chasses aux
mouton et canac » [sic], assimilant les habitants de l’île à des animaux à
exterminer. Quelques jours plus tard, il est moins catégorique. Accueilli par
des Kanak alliés de la France, il trouve finalement la vie plus douce avec
eux : « nous nous metons à souper mais notre souper n’etait guerre bon […]
les canacs vont nous chercher […] des ignane, des banannes, de la cane à
sucre, que nous avons gouté des tous ses plas […] Depuis que jetais en
expédition je navais jamais si bien reposer ».
La colonisation n’a pas le même visage si on se place selon la perspective
d’une reine malgache plutôt que d’un travailleur vietnamien sur une
plantation de caoutchouc ou d’un ouvrier auvergnat dans une usine Michelin
à Clermont-Ferrand. Ces différences ont suscité des débats parmi les
historiens : dans quelle mesure les colonisés avaient-ils une marge de
manœuvre dans ce système implacable ? À quel point la violence était-elle
centrale dans l’ordre colonial ? La colonisation a-t-elle été une rupture dans
l’histoire des pays colonisés ? Certains chercheurs ont tenté d’y répondre à
partir d’un territoire particulier, en s’enracinant dans une connaissance
approfondie de ses sociétés et de son histoire. D’autres ont essayé de regarder
ce qu’il y avait en commun d’un point à l’autre de l’empire, adoptant une
perspective impériale.
Plutôt que de trancher définitivement ces questions, nous proposons dans
cette partie de multiplier les perspectives de tous les points du monde que cet
empire a désespérément tenté d’unifier sans jamais y parvenir. Cette vision
d’ensemble ne peut se faire que collectivement, pour dessiner tous ensemble
une nouvelle carte qui pèse et situe les expériences multiples de ce système à
la fois complexe et implacable qu’a été la colonisation. On tentera de
comprendre les raisons de cette explosion territoriale qui est partie de restes
d’empire pour transformer le monde entier. Nous verrons quel ordre cet
empire a bâti et détruit, et quelle société différenciée il a mise en place. Enfin,
nous mesurerons à quel point cet ordre a été contesté tout du long, à la fois
dans les colonies et en métropole. Ensemble, nous verrons comment la
colonisation est un long, immense et chaotique dérèglement du monde entier.
BIBLIOGRAPHIE
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« Votre civilisation est celle du fer ! Vous avez de grosses bombes, donc
vous êtes civilisés. Je n’ai que des cartouches de fusil, donc je suis un
sauvage. » Ces propos tenus par Abdelkrim el-Khattabi au moment de sa
reddition à l’armée française en 1926, trois ans après la proclamation de la
République confédérée des tribus du Rif, interrogent sur la nature de la guerre
coloniale. Leur ironie amère traduit la conscience d’une inéluctabilité de la
défaite devant la disproportion des armements, et notamment les
bombardements aériens qui viennent à bout de la détermination des
combattants et des populations du Rif. Elle fait écho à la confiance satisfaite
que les Européens plaçaient dans leur technologie, comme l’artillerie, outil
décisif de la conquête du Soudan dans les années 1890 : « Quoi qu’il arrive,
nous avons la mitrailleuse Maxim et eux non », écrivait le Britannique Hilaire
Belloc en 1898.
Pour autant, le rapport de force n’a pas toujours été aussi inégal entre
armées européennes et sociétés autochtones. Ainsi, en Algérie, dans les
années 1830, les mousquets français étaient inférieurs aux jezaïls arabes à
long canon et, en 1885, le corps expéditionnaire du Tonkin, équipé de fusils
Gras à un coup, fit mauvaise figure face aux fusils à répétition des Chinois.
Samory Touré, aux confins du Sénégal, du Soudan et de la Côte d’Ivoire,
disposait de milliers de fusils à tir rapide achetés aux marchands de Sierra
Leone et d’ateliers de confection de munitions, qui lui permirent de résister
efficacement aux colonnes françaises jusqu’en 1898. Quant à Abdelkrim lui-
même, il avait organisé ses positions en un système de tranchées et de
blockhaus défendus par des pièces d’artillerie.
La guerre du Rif n’est qu’un des derniers épisodes d’un siècle de guerres
impériales. Chacune de ces conquêtes suscite un vif débat en France, et il
s’agit chaque fois de ne pas laisser s’écorner le « prestige européen », comme
l’écrit le Journal des débats le 2 août 1925. Qu’il s’agisse du conflit contre
Abdelkader au début de la conquête de l’Algérie, marquée dans les années
1830 par l’alternance des traités et des opérations militaires, ou de la
« panique parlementaire » qui conduisit en 1885 au renversement du
gouvernement de Jules Ferry, conspué sous le sobriquet de « Tonkinois » à
l’annonce du retrait du corps expéditionnaire français de Lang Son, au nord
du Viêt Nam, ou encore du « guêpier marocain » des rivalités internationales
et impériales de 1905 ou de 1911, toutes ces opérations de conquête génèrent
un débat sur les forces à déployer. Ainsi s’explique la décision d’employer
les grands moyens au Rif, aussi bien en termes d’armement (avions, chars)
que d’effectifs (140 000 hommes – dont 50 000 métropolitains – au plus fort
du conflit). Déploiement militaire sans précédent dans les guerres coloniales
menées par la France, la guerre du Rif révèle aussi une opposition entre des
doctrines et des méthodes différentes : d’un côté, la « pacification » théorisée
et pratiquée par les grands officiers coloniaux, prônée par Lyautey, résident
général de la France au Maroc depuis 1912 ; de l’autre, une guerre de masse
visant la destruction de l’adversaire avec les méthodes empruntées à la
Grande Guerre, mise en œuvre par Pétain qui obtient le commandement des
opérations dans le Rif en 1925. À ce titre, elle constitue un tournant dans la
pratique de la guerre coloniale.
Conceptualisées comme des « petites guerres » (small wars) par le
colonel britannique Charles Callwell en 1896, les guerres coloniales sont
définies comme des guerres non conventionnelles où s’affrontent une armée
régulière et des forces irrégulières qui évitent généralement l’affrontement
direct et mettent en œuvre les tactiques de la guérilla en s’appuyant sur le
soutien logistique de la population. Cette description, partagée par les
officiers français dès la conquête de l’Algérie, les conduit à adapter leurs
propres tactiques : Bugeaud réprouve la formation en carré et les lourdes
colonnes sujettes au harcèlement, et impose des colonnes mobiles pratiquant
la razzia. Cette conceptualisation a posteriori permet de justifier les violences
envers les populations en abolissant la distinction entre civils et militaires. La
politique de la terre brûlée, les incendies de villages, la destruction des
vergers et des greniers devaient affamer la population pour l’obliger à se
soumettre.
Pour autant, le recours à la force dans des opérations souvent très
violentes n’exclut pas les stratégies d’alliance concrétisées par des traités.
L’expédition d’Alger menée en 1830 aboutit à la chute du dey ottoman, mais
le changement de régime en France en juillet de la même année ouvre une
période d’incertitude, entre une occupation limitée à quelques enclaves
côtières et la poursuite des opérations en vue d’une appropriation de l’arrière-
pays. Tandis que les villes du Constantinois et de l’Algérois sont occupées, la
résistance d’Abdelkader oblige les généraux à négocier des traités qui
reconnaissent sa souveraineté sur l’Oranais. En Asie du Sud-Est, tandis que
l’annexion de la Cochinchine et la conquête de l’Annam et du Tonkin sont le
résultat d’opérations militaires réunissant toutes les caractéristiques de la
guerre coloniale, c’est par un traité que le Cambodge passe sous la tutelle de
la France.
En Afrique subsaharienne, l’expansion se fait à partir d’enclaves côtières
comme Saint-Louis du Sénégal ou Libreville au Gabon, où le commerce et
les missionnaires ont précédé les militaires ; dans l’arrière-pays, au contraire,
l’armée est le fer de lance de la colonisation : la présence coloniale est
d’abord une occupation militaire. Au Sénégal, Faidherbe (gouverneur de
1854 à 1861, puis de 1863 à 1865) transpose des méthodes apprises en
Algérie, en particulier les incendies de villages, mais innove en recourant
systématiquement au recrutement local et obtient la création d’un corps
spécifique, les « tirailleurs sénégalais ». Les gouverneurs et les officiers
supérieurs disposent d’une autonomie importante dans la conduite des
opérations, en raison de la lenteur des communications, du désintérêt relatif
du gouvernement et du Parlement pour ces engagements lointains, tant que
les pertes ne semblent pas excessives et que des pratiques abusives ou des
épisodes de violence débridée ne viennent pas faire scandale. C’est le cas de
la marche meurtrière de la colonne de Voulet et Chanoine, deux officiers qui
s’étaient retournés contre leurs supérieurs et furent finalement tués par leurs
tirailleurs en 1899, après avoir fait exécuter nombre de leurs porteurs et de
leurs soldats et laissé derrière eux des villages brûlés aux habitants massacrés
ou pendus, y compris des femmes et des enfants. Au Congo, Savorgnan de
Brazza contribue à l’expansion en outrepassant ses instructions : le traité qu’il
fait signer au roi des Batéké (ou Makoko), en 1880, ne lui avait pas été
demandé, mais il parvient à le faire ratifier deux ans plus tard au terme d’une
campagne de presse orchestrée par les milieux coloniaux, faisant de lui un
héros populaire pour avoir ouvert le Congo à la France « sans verser une
goutte de sang ». Dans la course aux colonies qui saisit les puissances
européennes en Afrique, il devient le « conquérant pacifique », accréditant le
mythe d’une conquête sans violence sous le drapeau de la « mission
civilisatrice » de la France.
Quels que soient le modèle et l’objectif poursuivi, l’expansion ne peut se
comprendre en faisant abstraction des sociétés autochtones auxquelles elle
s’impose. Ainsi, l’occupation de Zinder et d’Agadez, deux villes du Sahel et
du Sahara nigérien de 15 000 à 20 000 habitants, par 80 militaires français et
600 tirailleurs entre 1898 et 1906, s’inscrit dans un paysage politique
bouleversé, où les Français accordent un rôle d’intermédiaires à des esclaves
de cour sans en comprendre les intrigues. Au Sénégal, les Français et leurs
auxiliaires deviennent des acteurs parmi d’autres des géopolitiques locales et
ne peuvent s’imposer sans alliés. Faidherbe reprend ainsi à son compte les
titres des souverains des royaumes wolofs destitués après leur annexion (brak
du Oualo et damel du Cayor).
Les notions de « conquête » et de « soumission » valorisées par la
propagande coloniale présentent une image trop unilatérale de ces
événements en privilégiant le point de vue des militaires français. Le terme
« conquête » donne l’illusion du déploiement uniforme d’une souveraineté
sur l’ensemble d’un territoire après la soumission des autorités autochtones.
Or cette soumission ne suffit pas à assurer le contrôle effectif des
populations. La notion de « pacification », forgée par de grands officiers
coloniaux, tels que Pennequin, Gallieni ou Lyautey à partir de leur expérience
en Indochine, à Madagascar, en Afrique occidentale ou au Maroc, puis
reprise par la presse et les politiques, prend alors le relais. Donnant l’illusion
que la page de la conquête est tournée, elle désigne en réalité des opérations
militaires recherchant la soumission ou l’alliance, mais n’obtenant souvent
qu’une alternance des deux. La « pacification » n’est pas une conquête
pacifique mais une combinaison d’actions politiques et militaires, de violence
répressive et de recherche du compromis, visant à obtenir, par la force si
nécessaire, la « conquête des cœurs et des esprits ». Elle se distingue de la
guerre de conquête mise en œuvre par Bugeaud en Algérie : ce ne sont plus la
victoire militaire et l’écrasement des populations qui permettent
l’assujettissement, mais le travail politique avec les autorités autochtones qui
ouvre la voie à un contrôle durable des sociétés. Le consentement à la
domination reste toutefois fragile et souvent illusoire. Le terme de
« pacification » en vient alors à désigner des démonstrations de force
présentées comme des opérations de police visant à rétablir l’ordre colonial
menacé.
L’expansion coloniale française a été un long processus non linéaire et
non le déploiement d’un plan de conquête préétabli. Les opérations de
conquête, limitées dans le temps, débouchent sur une situation d’occupation
au maillage plus ou moins resserré, qui permet d’exercer un contrôle civil a
minima en déployant au besoin des moyens militaires. Dans les confins où la
présence française est ténue et le maillage des postes plus lâche, la
« pacification » se perpétue parfois jusqu’à la décolonisation, comme en
Mauritanie, où l’administration militaire, appuyée sur des unités méharistes et
des groupes auxiliaires nomades, conserve une place importante. Dès lors, il
est difficile d’isoler un « moment » de la conquête auquel aurait succédé un
temps de « pacification », comme le montre l’exemple de la guerre du Rif,
présentée comme « pacification » mais tenant à la fois de la guerre de
conquête et de la guerre de décolonisation.
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
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BÂTIR ET DÉTRUIRE
Colonies, protectorats, mandats
Samia El Mechat
BIBLIOGRAPHIE
Selon une opinion fort répandue, la IIIe République aurait appliqué dans
ses territoires coloniaux une politique assimilatrice. Reprenant les idées
développées par les philosophes des Lumières, défendant le concept d’un
homme universel, égal en potentiel et en droit, les républicains auraient ainsi
voulu remodeler les cultures dites « primitives » selon les lignes inspirées par
la culture, le développement économique et politique de la France, arrivée
selon eux à un stade supérieur de « civilisation ». Ce « modèle » colonial
français est en général opposé à celui de la principale nation coloniale rivale,
la Grande-Bretagne, laquelle de par sa culture politique pragmatique et
conservatrice aurait appliqué dans ses colonies une politique beaucoup plus
respectueuse des cultures et des chefs locaux, l’Indirect Rule. Construites à
partir de postulats liés au déterminisme culturel, ces comparaisons
homogénéisantes tendent à négliger les débats qui, au sein même des
partisans de la République, ont, dès le début du XXe siècle, opposé les tenants
de l’assimilation à ceux de l’« association », comme le montre Raymond
Betts. S’éloignant de l’idée même de mission civilisatrice, des
administrateurs influents comme Hubert Lyautey (résident général du Maroc
de 1912 à 1916) et Joseph Gallieni (gouverneur général de Madagascar de
1896 à 1905) proposent en effet la mise en place d’une politique indigène
respectant lois et coutumes locales et passant par l’utilisation des chefs
traditionnels comme moyen de gouvernement. Adoptée officiellement lors du
Congrès colonial français de 1907, cette nouvelle orientation de la politique
coloniale française, nommée « association », resta matière à débat au niveau
local, parmi les administrateurs coloniaux et les gouverneurs. Le débat
continua également dans le cadre des conflits qui opposèrent missionnaires et
administrateurs coloniaux : les premiers étaient dans bien des cas plus enclins
à défendre l’idée d’une mission civilisatrice, se confondant à leurs yeux avec
leur mission d’évangélisation, que les seconds, souvent obligés de chercher
des accommodements avec les élites locales (chefs traditionnels de
confession musulmane, par exemple, dans le cas du Sénégal). Ces
accommodements devinrent d’autant plus nécessaires dans les années 1930, à
une époque où la « mise en valeur », c’est-à-dire l’exploitation des territoires
coloniaux, s’intensifia et où l’aide de ces chefs devint primordiale pour
recruter la main-d’œuvre forcée.
C’est une même évolution assortie de débats similaires que décrit Karuna
Mantena à propos de l’Inde britannique de la seconde moitié du XIXe siècle.
Faisant suite à la révolte des Cipayes en 1857, ces débats marquèrent la fin
d’une période libérale, où il s’agissait de préparer l’Inde et son élite à une
émancipation politique selon un schéma similaire à celui de la Grande-
Bretagne (démocratie libérale), et l’avènement d’une politique beaucoup plus
conservatrice fondée sur l’idée qu’il valait mieux conserver et utiliser élites et
coutumes traditionnelles pour gouverner tout en les faisant évoluer. Cette
doctrine ultérieurement nommée Indirect Rule fut popularisée dans les années
1920 par lord Lugard, gouverneur du Nigeria (1914-1919), et étendue à
l’Afrique. Elle devint la norme de la Commission permanente des mandats,
créée en 1919 dans le cadre de la Société des nations (SDN) pour superviser
les anciens territoires allemands confiés notamment à la Grande-Bretagne et
la France. Le système de l’Indirect Rule était alors considéré par les
représentants britanniques à la Commission, notamment Lugard, comme le
meilleur moyen d’atteindre le but énoncé par la SDN : un gouvernement pour
le bien-être des « indigènes ». Il était même considéré comme un substitut
possible à un gouvernement démocratique. De même que l’assimilation dans
le discours colonial français de la fin du XIXe siècle, il servit en fait aux
démocraties européennes à légitimer un système d’exploitation économique
et de privation des droits politiques et sociaux, objet permanent de
contestation. C’est d’ailleurs au nom de cette même assimilation que les
premiers leaders nationalistes revendiquèrent l’acquisition de droits
similaires, politiques puis sociaux, à ceux des citoyens français. C’est
également l’incapacité de la métropole à répondre à cette demande
d’assimilation qui précipita l’indépendance. De ce point de vue, s’il est
erroné d’opposer l’assimilation à la française et l’Indirect Rule à l’anglaise,
l’on ne saurait considérer le débat association /assimilation comme un faux
débat.
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Dans les années 1930, nombreux ont été les personnages officiels et
économistes coloniaux qui, à force de conférences et de comités, se sont pris
à imaginer une harmonieuse concordance des économies métropolitaine et
coloniale. En réalité, le mythe d’une « économie impériale » intégrée au
service de la métropole a servi d’outil de propagande mais peiné à devenir
une réalité tangible face aux résistances locales, aux pressions de l’économie
mondiale, à la grande méfiance d’une partie des industriels métropolitains,
mais aussi en raison de la logique fondamentalement inégalitaire qui présidait
à la gestion des relations économiques entre la métropole et les territoires
coloniaux. L’économie impériale n’a jamais été qu’un espace fortement
hiérarchisé où s’affrontaient une multitude d’acteurs : producteurs,
travailleurs, consommateurs, entreprises, groupes de pression, autorités
coloniales et diverses administrations de l’État métropolitain.
L’espace économique impérial se caractérise tout d’abord par d’énormes
disparités de richesse. Alors qu’en 1925 le PIB par habitant de la France
s’élève à 8 776 francs (en francs de 1937), il n’est que de 1 811 francs en
Afrique du Nord, 623 en Indochine, 782 à Madagascar et 446 en Afrique de
l’Ouest et Afrique centrale. Les économies coloniales demeurent
essentiellement rurales avec un taux d’urbanisation largement inférieur à
celui de la France, même en Afrique du Nord, où il n’atteint que 16,4 % en
1925, contre 48,8 % en France à la même époque. Les inégalités sont
également prononcées entre les colonies elles-mêmes, qui présentent par
ailleurs des niveaux de diversification et de développement économiques très
variés. Alors que débute, vers la fin de l’entre-deux-guerres, une timide
industrialisation dans le nord du Vietnam colonial, l’économie de l’Afrique
de l’Ouest demeure essentiellement agraire et orientée vers l’exportation de
matières premières peu transformées.
L’immense domaine colonial de près de 10 millions de km2 occupé par la
France à la fin des années 1890 devait servir, selon le vocabulaire de
l’époque, à la fois de « débouché » pour ses produits manufacturés et de
« réservoir » de matières premières pour ses industries. L’empire colonial du
début du XXe siècle a été en effet un partenaire commercial essentiel de la
métropole : situé juste derrière l’Allemagne et le Royaume-Uni en 1911,
l’empire s’est hissé à la deuxième place en 1924 avant d’atteindre la première
en 1928. Les importations et les exportations en provenance ou à destination
des colonies ont crû à mesure que les échanges avec le reste du monde se
dégradaient, une tendance qui s’est confirmée dans l’entre-deux-guerres.
La seconde révolution industrielle en Europe entre les années 1870 et la
Première Guerre mondiale favorise l’exploitation massive et systématique de
la biosphère à l’échelle mondiale, créant ainsi des économies coloniales
fortement extraverties. Au sein de l’espace impérial français, l’Algérie
produit principalement du vin et des agrumes, suscitant la défiance des
viticulteurs du Midi qui craignent cette concurrence. En Tunisie et au Maroc,
les minerais de phosphate constituent la majeure partie des exportations,
suivis de près par la production céréalière. La fédération indochinoise, un
espace politique et budgétaire recouvrant le Vietnam, le Cambodge et le Laos
actuels, exporte quant à elle principalement du riz mais aussi du caoutchouc
et, plus tard, de la houille. Malgré la concurrence du sucre de betterave
métropolitain, les colonies des Antilles et de l’océan Indien continuent de
produire et d’exporter du sucre et du rhum. Durant cette période, la Nouvelle-
Calédonie se met à produire un métal stratégique, le nickel. En Afrique de
l’Ouest, le Sénégal s’impose comme le principal producteur et exportateur
d’arachides.
L’intégration commerciale forcée entre Hexagone et territoires coloniaux
s’est largement faite aux dépens de ces derniers, notamment après le tournant
protectionniste des années 1890, où d’aucuns ont alors vu un retour au
« pacte colonial ». En effet, la loi Méline du 11 janvier 1892, légèrement
remaniée en 1928, met fin au régime d’autonomie douanière en vigueur
pendant la période libérale des années 1860. Ce système divise les territoires
coloniaux en deux catégories. Dans le premier groupe des colonies dites
« assimilées » se trouvent l’Algérie, les Antilles, la Guyane, La Réunion,
Mayotte, l’Indochine, la Nouvelle-Calédonie, le Gabon et Madagascar, tenus
d’exonérer de taxes les marchandises métropolitaines. Il s’agit en théorie
d’un arrangement réciproque, mais les colonies ne bénéficient pas toujours
d’un accès privilégié à la métropole puisque celle-ci laisse pénétrer sans
contraintes douanières toutes les matières premières nécessaires à son
industrie sans distinction d’origine. Jusqu’au début des années 1930, par
exemple, les arachides du Sénégal entrant en France sont logées à la même
enseigne que les arachides étrangères. De plus, les marchandises étrangères
arrivant dans les colonies sont très souvent frappées des mêmes taxes que si
elles entraient sur le territoire hexagonal, ce qui limite les échanges
régionaux.
Les territoires dits « non assimilés » bénéficient, eux, d’un régime moins
contraignant, soit parce qu’ils sont déjà fortement intégrés dans leurs espaces
économiques régionaux, comme les comptoirs indiens ou les colonies
d’Océanie, soit parce que leur régime douanier est régi par des conventions
internationales comme pour la Côte d’Ivoire, le Dahomey ou encore le bassin
du Congo où le système dit de la « porte ouverte » garantit en principe
l’égalité de traitement à tous les partenaires commerciaux. Ce système est
également en vigueur au Maroc et en Tunisie ainsi que dans les territoires
sous mandat. Mais ce régime ne profite pas forcément aux producteurs
locaux, notamment en Afrique de l’Ouest, où les maisons commerciales
achètent les denrées à très bas prix, s’appropriant ainsi tout le surplus.
En dépit d’un régime douanier impérial qui lui était très favorable, la
France n’a jamais été le partenaire commercial exclusif de l’empire.
L’Indochine commerce par exemple abondamment avec Hong Kong et la
Chine, où elle exporte la majeure partie de sa production de riz. De plus,
malgré les efforts des publicitaires, les consommateurs français ne sont pas
toujours prêts à « consommer colonial ». Le protectionnisme français a
néanmoins des conséquences nettement défavorables sur le pouvoir d’achat
des populations coloniales ainsi que sur les finances publiques locales. En
outre, il crée parfois des conflits diplomatiques, par exemple entre la France
et le Japon à la veille de la Première Guerre mondiale, le Japon souhaitant
pouvoir exporter ses produits en Indochine au tarif minimal et non au tarif
métropolitain.
Les relations commerciales dans l’empire ont été grandement facilitées
par l’imposition du franc dans la plupart des territoires coloniaux français, à
l’exception de l’Indochine d’une part, et de la Syrie et du Liban d’autre part,
où avaient cours la piastre indochinoise et la livre syrienne, toutes deux
arrimées au franc. Mais cette intégration monétaire impériale a été très
difficile à mettre en place, notamment parce que d’autres monnaies
demeuraient en circulation et que les populations locales avaient peu
confiance en la monnaie coloniale, trop associée dans les esprits au
prélèvement fiscal.
L’imposition du franc finit néanmoins par devenir particulièrement
opportune au début des années 1920 alors que les élites coloniales tentent
sans succès de convaincre les autorités métropolitaines de la nécessité d’un
investissement public accru dans les colonies. La dépréciation du franc à
l’issue de la guerre a rendu plus onéreux l’achat de matières premières à
l’étranger et les colonies deviennent alors une destination évidente pour les
capitaux privés français. Une véritable « fièvre » impériale gagne les esprits
tandis que des centaines de nouvelles entreprises sont créées en Indochine, en
Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest. Mais ce boom impérial perpétue
une division du travail asymétrique basée sur l’exploitation de la main-
d’œuvre locale. Marquées par un fort dualisme, les économies coloniales sont
caractérisées par de fortes inégalités économiques qui sous-tendent les
inégalités raciales et politiques.
L’économie impériale fonctionne principalement au profit d’acteurs
économiques privés, souvent européens, dont les liens avec les états
coloniaux sont toujours très étroits. Certains capitalistes locaux parviennent
tout de même à garder une certaine mainmise sur les structures économiques
locales et à s’enrichir, comme les commerçants chinois implantés en
Indochine depuis bien avant la colonisation, l’armateur vietnamien Bach Thai
Buoi ou encore la famille Boualem en Algérie, à l’origine de l’entreprise de
boissons Hamoud Boualem.
Jusqu’aux années 1930, l’État métropolitain a joué un rôle assez limité
dans le fonctionnement de l’économie impériale, notamment en raison du
principe de l’autonomie financière des colonies décidé en 1900, qui,
consacrant l’idée que l’empire ne doit pas coûter à la métropole, a établi une
division nette entre budget métropolitain et budgets locaux. En vertu de ce
principe, les colonies sont aussi autorisées à émettre des emprunts sur le
marché métropolitain, gagés sur les impôts payés par les populations locales.
Dans cet empire low cost, les intérêts économiques des Européens sont
systématiquement favorisés, notamment grâce à des relais dans les
assemblées locales ou au soutien de syndicats patronaux tels que l’Union
coloniale. Au début des années 1930, l’économie impériale reste donc un
espace mal intégré et décentralisé mais la crise et la fermeture des marchés
mondiaux vient bouleverser cet état de fait.
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y compris dans la lutte pour le pouvoir entre patriarcats concurrents (issus des
mondes coloniaux et colonisés), une sorte d’accord tacite s’opère contre elles,
entre hommes et des deux côtés de la frontière coloniale, visant à définir
celles qui pourront être « sacrifiées » à la mixité sexuelle vénale (le mariage
mixte étant désormais condamné par tous) dans le but de préserver la majorité
des autres. Des bordels militaires de campagne (BMC) aux quartiers réservés,
des maisons de tolérance aux établissements d’abattage, ces femmes
deviennent alors les symboles du lien jugé structurel entre sexualité mixte,
donc vénale, et stigmate prostitutionnel. L’objectif revendiqué, ce faisant, est
bien entendu de jeter l’opprobre sur de telles relations en les assimilant à
l’univers du commerce sexuel ou à celui, connexe, de la sexualité illégitime.
De l’autre côté de la frontière coloniale, si des relations existent entre
hommes colonisés et femmes blanches, elles n’en sont pas moins frappées du
« sceau de l’infamie » comme le montre parfaitement, parmi bien d’autres
exemples possibles, le livre de Marguerite Duras L’Amant, dont l’action se
passe dans l’Indochine française de l’entre-deux-guerres. Car, hiérarchie
raciale oblige, toute femme blanche ayant des relations sexuelles et/ou
conjugales avec un « indigène » est de facto suspectée d’être de « mœurs
légères », simultanément « perverse », « retardée » et « folle ». La
condamnation sans appel des unions entre une femme blanche et un homme
« indigène », y compris dans le cadre de la prostitution – l’administration
coloniale ayant tenté d’y mettre en place, sans grand succès, une ségrégation
raciale et/ou confessionnelle du sexe –, marque donc une frontière
idéologique très nette concernant le « partage des femmes » et fonde, en droit
comme en pratique, la supériorité du mâle blanc et viril, dont l’hégémonie
s’exprime notamment dans un « droit au coït » avec toutes les femmes, y
compris, évidemment, celles des vaincus et des dominés. De ce fait,
entretenir des relations sexuelles avec des « indigènes », s’imposer jusque
dans le ventre des femmes, est évidemment un enjeu majeur de la domination
coloniale et de la puissance virile. Cela explique sans doute pourquoi les
hommes colonisés – qui ont parfaitement assimilé le message – ont tout mis
en œuvre, pratiquement, légalement et symboliquement, pour
garder/retrouver leur pouvoir sur « leurs » femmes pendant et après la
colonisation.
S’ajoutent enfin à ce qui vient d’être dit les rapports non moins
problématiques que les hommes entretiennent entre eux. Fabrique de la
virilité, la colonisation l’est certainement du fait de l’endurcissement
nécessaire d’hommes supposés « castrés » et/ou « efféminés » en Europe
même, en particulier du fait de la naissance des mouvements féministes et de
l’avancée des droits des femmes, et qu’il faut « régénérer » outre-mer. Mais il
s’agit aussi, en miroir, d’assurer la délégitimation des colonisés comme
« hommes véritables », en particulier sur le terrain de la sexualité, tout en
permettant de faire des hommes blancs les « sauveurs » des femmes
« indigènes ». Considérés soit comme des « sodomites » invétérés, soit
comme des « prédateurs sexuels » incontrôlables, les hommes colonisés sont
systématiquement stigmatisés du point de vue de leurs mœurs. Par exemple,
l’excès de sensualité des Arabes est couramment discuté par de nombreux
auteurs qui voient dans leur « licence » excessive et leurs organes génitaux
hypertrophiés l’explication des harems et de la polygamie, comme de
pratiques sexuelles perverses – zoophilie, nécrophilie et sodomie active, y
compris avec des femmes – ou violentes ; le viol est ainsi considéré comme
constitutif de la « nature » des Arabes. Joseph Maire peut donc écrire à leur
propos, dans ses Souvenirs d’Alger, en 1884 : « Le viol est une de leurs
distractions familières. Ils le pratiquent, non seulement sur leurs femmes en
retard de nubilité, […] mais encore, je pourrais presque dire, mais surtout, sur
les petits garçons. » Quant aux relations pédérastiques proprement dites, elles
sont présentées, par exemple dans le Maghreb colonisé et l’Indochine
française, comme une pratique courante des « indigènes » tout en étant
systématiquement associée à la contamination épidémiologique (la fameuse
« syphilis arabe » par exemple), morale et raciale.
Ici se fait jour, cependant, un très ancien malentendu concernant la
sexualité des hommes colonisés. Car, s’il n’était pas rare de voir dans les rues
d’Alger, de Tunis et de Casablanca, par exemple, des hommes se tenir par la
main ou par la taille, et s’embrasser sur les joues, cette attitude ne signifiait
nullement que ces espaces étaient plus « homosexuels » que d’autres dans le
monde. Fort répandue, l’homosocialité ne pouvait être confondue, même
dans sa dimension sexuelle (d’attente, de compensation ou de vénalité), avec
l’homosexualité qui, tout en étant minoritaire, existait bel et bien, comme en
attestent les sources (à l’image des quelques lettres que l’Algérien Athmann
Ben Salah envoie au Français André Gide), les témoignages et la littérature,
mais aussi toute une iconographie érotico-exotique qui met en scène de
jeunes éphèbes « arabes », indochinois, africains…
Ainsi, le schéma général véhiculé sur la sexualité des hommes
« indigènes » est qu’ils sont, de fait, « trop » ou « pas assez » virils, ce qui
permet de les délégitimer en tant qu’hommes « normaux » tout en les
renvoyant en matière de sexualité, comme dans d’autres domaines, à la
« bestialité » et la « perversité » de leurs pratiques, comme à la « sauvagerie »
et au « primitivisme » de leurs mœurs.
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Le mythe de la congaï
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Des villes divisées
Caroline Herbelin
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Les corps en résistance
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Mohamed TAHTAH, Entre pragmatisme, réformisme et modernisme. Le rôle
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Fuir du Mali vers La Mecque
Madina Thiam
Lors d’un recensement en 2001, l’État malien estimait à environ 100 000
le nombre de ses ressortissants installés en France, contre 200 000 au Soudan
et en Égypte. Ces chiffres peuvent surprendre, les migrations sud-nord
dominant les imaginaires collectifs au détriment des mouvements migratoires
sahariens d’ouest en est, vers la mer Rouge. Historiquement, ces derniers ont
pourtant occupé une place importante dans la lutte contre la conquête
coloniale en Afrique de l’Ouest.
En février 1907, le gouverneur d’Afrique occidentale française (AOF)
s’alarme : « Des milliers de Peuls du Moyen-Niger émigreraient du territoire
français pour se diriger vers la vallée du Nil. » Nombre de ces migrants
préfèrent partir plutôt que de se soumettre à l’occupation française. Ils
quittent le Soudan français (Mali actuel) par la route pour s’installer au
Soudan anglo-égyptien, en Égypte, et au-delà, dans le Hedjaz, à La Mecque
et Médine. Les origines de ce phénomène migratoire, largement antérieures à
l’invasion coloniale, sont ancrées dans la tradition du pèlerinage vers les
lieux saints de l’islam : depuis le XIIIe siècle, les musulmans d’Afrique de
l’Ouest empruntent la « route du Soudan » depuis Shinqit (Mauritanie),
Tombouctou ou Djenné (Mali), et traversent le Niger, le Nigeria du Nord, le
Tchad et le Darfour actuels, jusqu’aux ports de la mer Rouge : Sawakin
(Soudan) et Massawa (Érythrée). De là, ils embarquent pour le Hedjaz.
À l’aube du XXe siècle, le flot de pèlerins empruntant la route du Soudan
s’accroît, nourri par des groupes de réfugiés fuyant l’invasion française.
Nombre d’entre eux sont guidés par la notion islamique de hijrah, selon
laquelle tout musulman pris au piège dans un environnement hostile à sa foi
doit partir. Au Soudan français, des familles entières quittent la boucle et le
delta du Niger (notamment les régions de Gao, Mopti ou Segou) et migrent
vers l’est. Elles s’installent tout au long de la route du Soudan. Ainsi, les
chefs de deux États ouest-africains défaits par les Européens, Amadou Tall de
Ségou et Muhammadu Attahiru de Sokoto, choisissent d’émigrer plutôt que
de se soumettre. À leur sujet, une note des autorités coloniales à Fort-Lamy
(N’Djamena), datée de 1906, précise : « Les Toucouleurs d’Amadou, derniers
restes de ces irréconciliables qui n’ont jamais voulu se soumettre à notre
domination, les partisans de l’ancien sultan de Sokoto, et les mécontents de la
Nigéria du Nord s’éloignent vers l’est sans espoir de retour… Il appartiendra
aux autorités anglo-égyptiennes de surveiller ces nouveaux arrivants s’ils se
fixent sur le Nil blanc. »
Or, en ce début de XXe siècle, les autorités anglo-égyptiennes du Soudan
sont à l’affût. Quelques années plus tôt, en 1881, une rébellion a éclaté sous
la direction de Muhammad Ahmad, un chef religieux et mahdi
autoproclamé : le rédempteur dont certaines traditions islamiques annoncent
la venue peu avant la fin des temps. Muhammad Ahmad défait les troupes
ottomanes et égyptiennes, et débute un siège de Khartoum, au cours duquel
ses troupes tuent l’ancien gouverneur général du Soudan, le Britannique
Charles Gordon. Victorieux, il établit un nouvel État indépendant, la
Mahdiyya soudanaise, qui attirera parmi ses rangs de nombreux Africains de
l’Ouest fuyant l’invasion européenne. De fait, l’un des proches compagnons
du mahdi, Muhammad al-Dadari, était un Peul de Sokoto. Ces « Fallata » ou
« Occidentaux » – ainsi que l’on appelle couramment les communautés
originaires d’Afrique de l’Ouest au Soudan –, y resteront établis après la
chute de la Mahdiyya en 1898.
Au-delà du Soudan, d’autres réfugiés et migrants musulmans du Sahel
occidental traversent la mer Rouge et s’installent à La Mecque. Parmi eux,
Alfa Hashim Tall, un proche d’Amadou Tall, qui l’accompagne dans son
exode de Ségou à Kano (Nigeria), et poursuit la route jusqu’au Soudan, puis
le Hedjaz. Il s’installe définitivement à Médine, où il enseignera à la mosquée
du Prophète et décédera en 1931. Un autre émigré, Abdullah Ag Mahmoud,
avait quitté la région de Gao avec sa famille à l’âge de 5 ans lors de
l’invasion française. Installé à Médine, où il devient plus tard imam à la
mosquée du Prophète, il séjournera ensuite en Inde et au Yémen, avant de
traverser à nouveau le Sahara pour s’installer au Soudan français vers 1938.
Comme l’attestent des documents d’archives, les autorités françaises
surveilleront de près les mouvements et la correspondance des deux hommes,
ainsi que les velléités mahdistes à travers le Sahel.
Loin d’une opposition simpliste entre résistance et collaboration, les
migrations de la route du Soudan nous invitent à repenser les formes de la
contestation coloniale. Plutôt que de se soumettre à la violence et au
changement de mode de vie imposés par la colonisation, certains ont choisi
de s’y soustraire en s’appuyant sur des traditions migratoires anciennes,
mêlant motivations politiques et religieuses.
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Ceux qui ont refusé la colonisation
Jean-Numa Ducange
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C’est en avril 1891 que la photographie fait une irruption remarquée dans
le débat français autour de l’expansion coloniale. De terribles images d’un
massacre commis à Bakel (Sénégal) sont parvenues au journal L’Illustration
qui en publie des gravures, commentées dans un article au vitriol. Le
scandale agite jusqu’à l’Assemblée nationale française. En cette fin de
e
XIX siècle, les critiques émergent à la faveur de révélations ponctuelles de ce
qu’une partie de la presse métropolitaine appelle des « abus coloniaux ». Cet
éclat visuel ne suffit pas à réorienter les débats sur les projets expansionnistes
de la France, d’autant plus qu’ils sont surtout focalisés sur le coût de
l’occupation militaire. La photographie n’est pas encore une arme
suffisamment efficace. La couverture visuelle de l’expansion impériale est en
effet encadrée par les autorités coloniales : si des images de violence
circulent, ce sont d’abord celles qui dénoncent des pratiques africaines jugées
rétrogrades, opposées à celles qui célèbrent la présence coloniale. Avec le
massacre de Bakel, la photographie fait, presque par accident, son entrée dans
des débats visuels encore dominés par le dessin satirique.
C’est en vertu de deux tournants que la preuve par l’image devient un
élément du paysage médiatique au début du XXe siècle : d’abord, de nouvelles
techniques d’impression permettent à la photographie d’essaimer dans les
pages des journaux ; ensuite, des scandales en images éclatent de façon
récurrente. Dès 1904, des missionnaires fixent sur pellicule les horreurs
commises sur les populations de l’État indépendant du Congo belge pour
mieux les révéler au monde, forçant la France à enquêter à son tour dans ses
colonies d’Afrique centrale. En 1912, La Bataille syndicaliste publie des
photographies d’atrocités pour dénoncer les campagnes menées par la France
au Maroc, trace d’une évolution de la position d’une partie des gauches
françaises sur la question coloniale. La visibilité des violences émerge
souvent dans le cadre de la compétition avec d’autres empires, jugés plus
brutaux, plutôt que dans celui d’une remise en question profonde des
colonisations. Un rapport illustré sur le génocide des Herero et des Nama
publié en 1918 vient par exemple utilement justifier la confiscation des
colonies allemandes. L’intégration du Cameroun et du Togo à l’empire
français et celle du Sud-Ouest africain à l’empire britannique sont ainsi
légitimées par ces preuves photographiques de violence coloniale.
Le débat s’intensifie dans l’entre-deux-guerres. L’opposition du Parti
communiste à la guerre du Rif mobilise la photographie. En février 1925,
L’Humanité publie le portrait d’un officier français, posant derrière deux têtes
coupées. Indicateur des évolutions de l’anticolonialisme, la dénonciation par
l’image réaliste devient plus régulière. En 1936, le Crapouillot, encore un
peu libertaire, outrepasse la censure et publie un dossier sur les expéditions
coloniales à grand renfort de clichés violents. La capture photographique des
« crimes coloniaux » finit par poser des problèmes insurmontables aux
autorités après 1945. René Vautier, qui photographie la répression des
mobilisations ivoiriennes de 1949, voit ses négatifs détruits par la justice. Son
film anticolonialiste Afrique 50, en partie sauvegardé, est toutefois projeté
dans le bloc soviétique à des militants africains à l’orée de la décolonisation.
Ces images circulent et trouvent des publics multiples. Malgré des
trajectoires encore trop peu documentées, l’information sur les violences
coloniales circule bien au-delà des sociétés européennes et américaines. Dans
l’Algérie de 1938, le magazine Al Shihab publie trois portraits de dirigeants
musulmans tués par des puissances européennes différentes, première étape
d’une plus large dénonciation anticoloniale au-delà de l’empire français. Les
représentations filmées ou photographiées des affrontements de la société
coloniale trouvent ainsi un écho inattendu voire déstabilisant pour les
autorités européennes, qui constatent la réception de ces images par de
nouveaux publics potentiellement plus réceptifs à l’image qu’à l’écrit. Un
piètre long métrage de fiction comme Le Tigre de Malaisie se transforme
ainsi en œuvre contestataire le temps d’une projection à Bouaké, en Côte
d’Ivoire, au milieu des années 1950. L’une des scènes montrant le massacre
de soldats européens par des populations révoltées déclenche des réactions
enthousiastes chez les spectateurs africains.
Les trajectoires incontrôlables des images qui témoignent des aspects les
plus violents de la colonisation ne s’arrêtent pas avec les indépendances.
Reprises, réappropriées, détournées au fil des décennies, elles restent des
traces essentielles et contestées du passé colonial en un présent où les débats
nourris par des images n’ont jamais été aussi récurrents.
BIBLIOGRAPHIE
La consolidation de l’empire
C’est ainsi que les fondations de l’empire colonial français ont été posées
à partir du XVIIe siècle. À quel moment l’empire colonial français se
consolide-t-il ? Certains historiens estiment que l’on ne peut pas parler de
véritable « empire colonial » à l’époque moderne, à cause du manque de
communications entre le royaume et ses territoires ultramarins (Banks, 2002 ;
Pritchard, 2004). Il est vrai que la précarité des moyens de navigation, la
distance, les guerres et autres aléas sont des obstacles majeurs à la circulation
des navires. Par exemple, entre 1713 et 1763, le voyage jusqu’à La Nouvelle-
Orléans prend vingt et une semaines, et il faut naviguer entre quatre et cinq
mois pour atteindre l’île Bourbon.
Cependant, un empire colonial français prend bel et bien forme au début
du XVIIIe siècle. Les colonies deviennent une priorité sous le règne du roi
Louis XIV (1651-1715) car Colbert y voit un moyen de renflouer les caisses
de l’État après de longues années de guerre. Ainsi, la France acquiert à cette
époque des centaines de navires, qui transportent des marchandises, des
correspondances officielles et privées, du personnel maritime ainsi que des
passagers (militaires, administrateurs, missionnaires, colons, engagés, et
esclaves). À partir du début du XVIIIe siècle, les territoires de l’empire colonial
français sont de plus en plus reliés les uns aux autres. D’après la base de
données « Mémoire des hommes : Compagnie des Indes », plus de
751 navires circulent à travers l’empire entre 1713 et 1792, effectuant plus de
2 000 voyages. Parmi ces voyages, plus de 85 % passent par le royaume de
France, et près de 40 % passent à la fois par des territoires français de
l’Atlantique et de l’océan Indien, fait remarquable qui souligne le degré
important d’intégration de l’empire dès cette époque.
Il est clair qu’une conscience et une vision globale de l’empire se sont
déjà formées dans les sphères administratives de la France métropolitaine
durant la Régence du duc d’Orléans (1715-1723). Les administrateurs tentent
alors de centraliser dans les bureaux des archives et des colonies du ministère
de la Marine tous les documents produits depuis les années 1660 touchant
aux colonies françaises. L’inventaire de tous les textes légaux est achevé en
1722, donnant aux administrateurs français une vue d’ensemble sur les
colonies.
Cette perspective globale ainsi que la circulation des navires transportant
les correspondances administratives, les rapports officiels et les documents
juridiques entre les colonies permettent aux administrateurs français
d’élaborer une législation coloniale unifiée qui contribue à la formation de
l’empire. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, le régime absolutiste de
Louis XIV accordait déjà beaucoup d’importance à la collecte
d’informations, et aspirait à rendre les lois plus uniformes dans le royaume
comme dans les colonies. Bien que les particularismes légaux restent très
forts à l’échelle locale, ils coexistent avec un ensemble de lois standardisées,
qui s’appliquent à plusieurs territoires français à la fois. Par exemple, le Code
noir des Antilles de 1685 (une ordonnance royale légiférant sur l’esclavage)
applique des lois uniformes à l’ensemble des colonies françaises de la
Caraïbe. La monarchie s’en sert comme modèle pour formuler un Code noir
pour l’île Bourbon et l’île de France en 1723, et un autre pour la Louisiane en
1724. Ces deux nouveaux Codes noirs sont identiques, et contiennent
plusieurs modifications par rapport au Code noir des Antilles. Par ailleurs, à
partir de la fin du XVIIe siècle, les administrateurs français appliquent une
politique raciale ségrégationniste et discriminatoire assez uniforme à travers
tout l’empire. Ils interdisent par exemple les mariages entre les Blancs et les
Noirs à l’île Bourbon (1673 et 1723), en Louisiane (1724) et à Saint-
Domingue (1731). C’est surtout le développement du préjugé de race et
l’expansion de l’esclavage qui poussent les administrateurs français à
appliquer cette politique raciale dans les territoires de l’empire.
L’esclavage connaît en effet une expansion fulgurante à partir des
années 1720, dans le bassin atlantique tout comme dans les colonies
françaises de l’océan Indien. Les colons développent une économie de
plantation esclavagiste à l’île Bourbon (centrée autour du café), ainsi qu’en
Louisiane (tabac, indigo et riz). En 1758, environ 80 % de la population de
l’île Bourbon est esclave, comme, en 1746, 70 % de la population des
colonies de la Louisiane. Pour ce qui est des colonies dites « sucrières », les
esclaves représentent 90 % de la population à Saint-Domingue en 1754, et
82 % de la population en Martinique en 1755 et en Guadeloupe en 1753.
Environ deux tiers des Africains transportés vers les Amériques sont forcés
de travailler sur des plantations de canne à sucre dans des conditions
abominables. On peut désormais qualifier l’île Bourbon et les Antilles de
« slave societies ». La période la plus frénétique de l’histoire de la traite
négrière atlantique se situe entre les années 1760 et 1820. Entre 70 000 et
90 000 esclaves sont alors déportés de force chaque année.
Ruptures, continuités et reconfigurations
Transformations
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
une mer Atlantique nord parsemée d’icebergs. Ils établissent des campements
sur le littoral nord-américain avant de revenir à l’automne, les cales remplies
de poisson salé. Les pêcheurs font parfois un peu de troc avec les peuples de
la région : hameçons, haches et chaloupes usagées contre des peaux et des
fourrures. Vers 1580, la mode du chapeau de feutre fait grimper la demande
de laine de castor, matière brute du chapelier, et quelques vaisseaux
s’équipent pour le commerce des fourrures. Cette traite renforce la présence
saisonnière française dans la région.
Au XVIe siècle, l’État français s’investit peu dans cette liaison
transatlantique. Cependant, pour faire concurrence à l’Espagne, François Ier
parraine deux explorateurs : Giovanni da Verrazzano, qui longe toute la côte
des futurs États-Unis en 1524, et Jacques Cartier, un capitaine originaire de
Saint-Malo, qui remonte le Saint-Laurent jusqu’au site de Montréal en 1535.
Ce n’est qu’au début du siècle suivant, après la fin des guerres de religion et
une fois que la traite des fourrures a jeté les bases économiques d’une entente
franco-autochtone, que les Français établissent des colonies durables.
Henri IV se sert de ce commerce des fourrures pour mettre en œuvre un
programme de colonisation à moindre coût : il octroie une série de
monopoles commerciaux à des entrepreneurs qui s’engagent en retour à
amener des colons. Ainsi furent fondées les petites colonies de l’Acadie, sur
l’Atlantique, en 1605, et du Canada (le Québec actuel), sur les rives du Saint-
Laurent, en 1608. Pour assurer la persistance de cette dernière colonie,
Samuel de Champlain tisse des alliances avec les Premières Nations,
notamment les Montagnais, les Algonquins et les Hurons.
Au début, l’Acadie et le Canada n’abritent qu’une poignée de Français,
alors que les autochtones sont beaucoup plus nombreux et puissants.
Pourquoi ces derniers tolèrent-ils cette présence étrangère sur leurs
territoires ? Premièrement, ils apprécient les produits européens, tels que les
chaudrons de cuivre, les couteaux et les haches de fer, et les étoffes qu’on
leur fournit en échange de leurs pelleteries. Deuxièmement, ils espérent l’aide
militaire française dans les guerres qui les opposent à la puissante fédération
des Iroquois (Haudenosaunee) qui occupe l’actuel État de New York. Les
Français abritent leurs alliés dans leurs forts et interviennent activement dans
leurs batailles à plusieurs reprises. Ainsi, ils resserrent les liens avec quelques
nations autochtones tout en s’attirant l’animosité d’autres ; aussi, leur
comportement a pour effet d’aggraver les conflits.
Pour concurrencer les Anglais et les Hollandais, installés plus au sud, le
cardinal Richelieu fonde une corporation baptisée Compagnie de la Nouvelle-
France (1627-1663), qui mobilise des investissements privés pour assurer la
colonisation. C’est sous l’égide de la Compagnie qu’une petite société de
seigneurs et d’« habitants » (colons-paysans) s’installe sur les rives du Saint-
Laurent. Les missionnaires, surtout jésuites, y jouent un rôle de premier plan.
En 1642 un groupe de pieux laïcs fonde Montréal, visant à réaliser l’utopie
d’une colonie catholique, peuplée de Français et d’autochtones convertis.
Cependant, son emplacement à proximité du pays des Iroquois constitue aux
yeux de ceux-ci une provocation et ne fait que relancer la longue guerre
intermittente qui les oppose. Finalement, les campagnes d’évangélisation
menées par les jésuites et les « montréalistes » portent peu de fruits. En
l’absence de moyens de coercition, peu d’autochtones acceptent de se faire
baptiser.
Vers l’est, la petite colonie de l’Acadie prend forme. Puisqu’une poignée
de colons seulement y cultivent des marais côtiers, ils ne dérangent pas trop
leurs voisins Mi’kmaq avec lesquels ils entretiennent de bonnes relations.
Négligée par la France, l’Acadie n’accueille qu’une administration coloniale
et une église très rudimentaires. Les colons y sont exposés en temps de guerre
aux attaques des colonies anglaises ; l’Acadie sera prise plusieurs fois, avant
de passer définitivement au pouvoir des Anglais en 1710.
Louis XIV et Jean-Baptiste Colbert dissolvent la Compagnie de la
Nouvelle-France en 1663, avant de rattacher les colonies au domaine du roi.
Ils lancent un programme visant à renforcer le Canada par l’envoi de troupes,
de colons et de fonds. La paix avec les Iroquois (1667) procure une certaine
sécurité à la colonie et permet aux jeunes gens et ex-soldats de s’aventurer à
l’ouest pour troquer des fourrures avec des chasseurs autochtones plus
éloignés. Des missionnaires les suivent et l’État colonial – d’abord opposé à
cette dispersion – établira, vers la fin du siècle, de petites garnisons aux
points névralgiques. La Nouvelle-France de Louis XIV prendra ainsi la forme
d’un vaste empire en expansion vers l’intérieur du continent, joint à une
petite colonie sur le Saint-Laurent, dotée des institutions et des structures
sociales de l’ancienne France, ainsi que de quelques autres enclaves de
peuplement français, telles que l’Acadie, Détroit et le Pays des Illinois. En
dehors de ces colonies, cet empire n’est pas une zone de souveraineté réelle,
mais plutôt un réseau de liens commerciaux, diplomatiques, militaires et
religieux qui relie, de façon très fragile, des nations autochtones
indépendantes aux Français.
En 1699, des aventuriers canadiens fondent une nouvelle colonie, la
Louisiane, sur le golfe du Mexique, près de l’embouchure du Mississippi. La
France en prendra bientôt le contrôle et la colonie se transformera, à partir
des années 1720, en zone de plantations esclavagistes, reliée aux Caraïbes
autant qu’à l’Amérique du Nord. Comme la Nouvelle-France, la Louisiane
profite d’un vaste arrière-pays d’où elle reçoit des fourrures et des produits
agricoles venant des contrées traversées par le Mississippi et ses affluents.
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Marie de l’Incarnation : une fondatrice
Mary Dunn
BIBLIOGRAPHIE
perpétrées par les nations iroquoises et ce n’est que grâce à l’arrivée, en 1665,
du régiment de Carignan-Salières, qu’une première paix est conclue deux ans
plus tard. L’essor vers l’ouest puis le sud peut alors débuter. En 1671,
l’officier Simon-François Daumont de Saint-Lusson prend symboliquement
possession du Pays d’en Haut au nom de Louis XIV. Des forts commencent à
être érigés dans la région des Grands Lacs. En 1682, Cavelier de La Salle
parvient à l’estuaire du Mississippi et procède à la prise de possession de
toute la vallée du fleuve et fonde ainsi la Louisiane.
La couronne se rend alors compte de l’importance de ses possessions
américaines. La Louisiane apparaît comme un lien entre les possessions
espagnoles du Texas et le Pays d’en Haut et comme une zone tampon entre le
Mexique et les colonies britanniques. Le Pays d’en Haut et la Louisiane
forment ainsi aux yeux des autorités métropolitaines une région
géostratégique, qui peut servir de barrière contre l’expansion tant territoriale
que commerciale des Anglais. La France décide alors de bâtir une ligne de
forts sur les axes stratégiques que sont les voies navigables sans toutefois se
donner les moyens de l’occuper convenablement et durablement en y
implantant des colonies de peuplement.
À partir du début des années 1680, les Iroquois attaquent à nouveau le
Canada afin de protéger leurs territoires de chasse. Malgré l’envoi de soldats
des troupes de marine, la colonie demeure directement menacée. Plusieurs
expéditions sont mises sur pied par les Français. Menée par le gouverneur de
La Barre, l’expédition de 1684 est un désastre, tout comme celle menée trois
ans plus tard par son successeur, le marquis de Denonville. En 1687,
organisées selon un schéma européen et ayant adopté une tactique
conventionnelle inadaptée au milieu canadien, les troupes ne parviennent pas
à contraindre l’ennemi, qui s’enfuit et ne laisse que des villages vides à
détruire. Ce n’est que grâce au secours des alliés amérindiens que les
détachements de soldats français évitent une humiliante défaite, notamment
lorsque les Tsonnontouans, l’une des cinq nations iroquoises, leur tendent
une embuscade en 1687. L’année suivante, les Iroquois assiègent le fort
Frontenac et, en 1689, 1 500 Iroquois parviennent à attaquer et à détruire la
bourgade de Lachine, située à proximité de Montréal. Il faut attendre 1701
pour qu’une paix soit finalement conclue à Montréal.
Une décennie plus tard se déroule un nouveau conflit politique puis
économique, cette fois-ci avec les Renards, peuple originairement établi à
l’est du Michigan, dans la vallée du Saint-Laurent. En 1712, les Renards
attaquent les Outaouais, alliés des Français résidant à proximité du fort
Pontchartrain de Detroit, avant d’être harcelés par plusieurs nations
également alliées des Français. C’est le début d’une longue guerre, qui
perturbe fortement les alliances franco-amérindiennes. Le gouverneur du
Canada décide alors d’envoyer des troupes dans les forts de l’Ouest,
notamment Michilimackinac, les Illinois et Ouiatanon. En réalité, il souhaite
avant tout relancer la traite des fourrures, qui avait été interdite en 1696. Les
autorités ne sont donc pas pressées de mettre un terme au conflit avec les
Renards, qui justifie l’envoi de soldats (et de marchandises) dans cette région.
En 1716, une expédition est finalement menée contre les Renards et ceux-ci
finissent par se rendre. Une paix relative est maintenue pendant douze ans, ce
qui n’empêche pas de fréquentes altercations. En 1728, les Français décident
d’attaquer à nouveau les Renards, qui seraient utilisés par les Britanniques
pour les déloger. Deux ans plus tard, le « fort des Renards » est pris, mais le
gouverneur du Canada, Charles de la Boische, marquis de Beauharnois,
souhaite continuer la guerre jusqu’à l’extermination. En 1738, ce dernier finit
par accorder un pardon général aux Renards après avoir échoué à les vaincre
militairement, ce qui a pour effet de mettre fin à la guerre avec une nation qui
n’existe pratiquement plus, la plupart de ses membres ayant été réduits en
esclavage et vendus à des colons français.
Au sein de la société des forts, formée par les Amérindiens et les soldats
français et colons qui y résident, les interactions sont quotidiennes et cela ne
va pas sans provoquer des tensions. À plusieurs reprises, des brouilles
naissent entre soldats et Amérindiens au sujet des destructions occasionnées
par les animaux domestiques des uns sur les cultures des autres. Des querelles
peuvent également survenir lorsque les autochtones s’endettent auprès de
soldats et ne peuvent pas les rembourser. Plus grave, il arrive que les
Amérindiens se plaignent auprès des autorités françaises du fait que des
officiers leur enlèvent leurs femmes et aillent même parfois jusqu’à
commettre des viols. Cela se règle généralement par une augmentation du
nombre de présents offerts aux Amérindiens et les soldats sont rarement
inquiétés. Cependant, cette attitude des autorités françaises est directement
responsable de la détérioration des relations avec les Chactas, peuple du sud
de l’Amérique du Nord qui est le plus important allié des Français. Elle serait
également à l’origine du massacre des Français par les Natchez au nord de La
Nouvelle-Orléans.
Les maltraitances que les Français font subir aux nations amérindiennes
ainsi que la compétition avec les Anglais sont responsables de plusieurs
conflits. En 1729, les Natchez attaquent le fort français situé sur leurs terres
et en massacrent tous les occupants. Cette attaque a de lourdes conséquences
pour la colonie de la Louisiane et inaugure une période de tensions, qui va
durer une vingtaine d’années, notamment contre les Chicachas, alliés des
Anglais et ennemis des Français. En effet, quelques Natchez, dont la nation a
été détruite, se sont réfugiés chez les Chicachas et, immédiatement, les
Français décident de punir ces derniers pour avoir accueilli les « rebelles » et
chargent leurs alliés chactas « de frapper […] sur les Chicachas ». En 1734,
cette politique de harcèlement par les alliés amérindiens ne suffit plus. Il est
décidé d’anéantir les Chicachas car ceux-ci ne cessent d’essayer d’attirer les
Chactas dans leur camp, ce qui, si cela se réalisait, provoquerait la ruine de la
Louisiane. En 1736, le gouverneur Bienville parvient enfin à lancer une
première offensive, mais celle-ci est un échec. Les troupes venues d’Illinois
sont défaites et Bienville, ne parvenant pas à s’emparer d’une position
chicacha fortifiée, est contraint de se replier sur Mobile. Une seconde
expédition a lieu. En août 1739, 1 200 soldats venus du fort de Chartres, de
La Nouvelle-Orléans et du Canada rallient 2 400 alliés amérindiens au fort de
l’Assomption, sur des falaises surplombant le Mississippi, aujourd’hui dans
le Tennessee, puis se mettent en route vers le territoire chicacha. Six mois
plus tard, après quelques escarmouches, la troupe, considérablement réduite
par la maladie, et les Chicachas, constamment harcelés par les Chactas,
décident de faire la paix.
En 1752, il est écrit dans un mémoire du roi que les Chicachas « ont êté
[…] considerablement affoiblis ; et l’on seroit peut-être parvenu à les detruire
entierement sans des mouvemens qui sont survenus chez les Chactas, nation
alliée des François qui avoit pris une grande part dans cette guerre ». En effet,
une partie de la population chacta a fini par se révolter contre les Français au
milieu des années 1740. Les causes de cette révolte sont multiples :
diminution conjoncturelle du nombre de présents et du prestige des Français
(après les deux expéditions ratées contre les Chicachas), développement des
échanges avec les Britanniques, etc. Cependant, d’après le chef
Tatoulimataha, ce sont les violences sexuelles commises par les soldats
français qui auraient précipité la révolte. Pour les Français, le principal
facteur d’inquiétude est néanmoins l’alliance conclue par le chef chacta
Soulier Rouge et son frère Mingo avec l’Anglais James Adair. Considérant
que cela représente un danger pour la colonie louisianaise, le gouverneur
Vaudreuil décide de monter les autres factions chactas contre celle de Soulier
Rouge. La situation s’envenime lorsqu’un officier et deux traiteurs français
sont tués par des partisans de ce dernier dans une embuscade. Le
20 novembre 1746, Vaudreuil écrit qu’il a « demandé justice sur cet
attentat ». Au mois de juillet 1747, les Chactas demeurés fidèles au Français
finissent par livrer la tête de Soulier Rouge, à la plus grande satisfaction du
gouverneur. À Paris, on considère que cela mettra fin à la division, qui
régnait au sein des Chactas et la paix est conclue avec la faction rebelle.
Nul ne peut nier qu’à l’intérieur du continent, au sein de la société des
forts, les relations entre Français et autochtones étaient généralement bonnes.
Il existait une véritable solidarité, des liens solides avaient été créés et les
échanges étaient quotidiens. Il ne faut pas oublier néanmoins que de
nombreux conflits ont eu lieu entre Français et Amérindiens. Il existe
plusieurs raisons à ces conflits : territoriales (avec les Iroquois), économiques
et politiques (la guerre des Renards), maltraitances répétées (Natchez et
Chactas), compétition avec les Britanniques (Chicachas et Chactas). Quant
aux conséquences, elles sont bien souvent dramatiques, notamment pour les
Natchez et les Renards, qui ont été écrasés (pour reprendre Parkman), soit
quasi anéantis ou réduits en esclavage.
Si la société des forts a pu devenir une réalité, c’est en grande partie parce
que les Français n’étaient pas assez nombreux et qu’ils étaient dépendants des
nations amérindiennes auprès desquelles ils vivaient tant pour se nourrir que
pour combattre. C’est donc, pour reprendre les mots de Cornelius Jaenen,
parce qu’il n’y a pas eu de réel peuplement et c’est cette « expansion sans
peuplement », caractéristique de la colonisation française en Amérique du
Nord, qui a contribué le plus fortement à consolider l’alliance des nations
amérindiennes avec les Français. Ce n’est peut-être pas un hasard si les deux
conflits les plus graves mentionnés ci-dessus se produisent là où la
colonisation est la plus forte : Natchez et Detroit.
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Marchandises exotiques et mercantilisme
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Les bols à punch, les saupoudreuses, les cafetières, les théières et les sucriers
témoignent d’une inclination sans faille pour la consommation de ces
produits dans des porcelaines commandées en Chine, copiées à l’envi en
chinoiseries dont les motifs décoratifs se déploient sur les murs des intérieurs
et sur les mobiliers des plus riches. Le goût des terres lointaines atteint alors
en métropole son paroxysme.
L’adaptation des manufactures indiennes aux commandes colossales des
Européens à l’époque moderne, tout comme celle des ateliers chinois à leurs
pratiques gustatives, ne cesse de nous surprendre. Pour cette dernière,
l’inventivité des modèles, qui mêlent les lignes orientales et occidentales dans
des récipients qui imitent le métal bien qu’ils soient en porcelaine, comme
celle des motifs décoratifs qui réinterprètent une iconographie européenne,
sans toujours bien la comprendre, signalent, dès cette époque, l’intention des
Chinois de conquérir le marché occidental. Elles affirment également les
nécessités imposées par les règles d’un marché devenu mondial,
intrinsèquement lié au système colonial. La naissance d’une relation
d’interdépendance à l’échelle de quatre continents est bien à l’œuvre ici, à
l’aube du capitalisme.
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Histoires connectées, XVe-XXIe siècle, Paris, Gallimard, 2015.
À quel prix le sucre est-il devenu l’opium
du peuple ?
Elizabeth Abbott
C’est au XIe siècle que les croisés introduisent la canne à sucre en Europe,
le plus doux des aliments, qui donnera plus tard naissance à l’un des systèmes
de travail les plus cruels jamais inventés : l’esclavage africain. Cependant, à
l’origine, le sucre n’est rien d’autre qu’une délicieuse marchandise, estimée
comme cadeau de prix ou comme pot-de-vin. Les plus riches l’exhibent de
manière ostentatoire sous forme de vaisselle comestible ou d’imposantes
sculptures.
Deux reines Médicis – Catherine, femme d’Henri II, et Marie, épouse
d’Henri IV – font advenir un nouvel âge du sucre avec les doux mets de leurs
chefs italiens, qui deviennent de rigueur à la fin des repas. La prolifération
des livres de cuisine en France – 230 entre 1541 et 1798 – enseigne aux
classes moyennes émergentes les secrets de la réalisation de desserts sucrés.
Cependant, la véritable révolution dans la consommation du sucre – et
dans les vies des millions d’Africaines et d’Africains forcés à sa production –
survient lorsque les Européennes et Européens découvrent que cet aliment
peut transformer trois âcres substances étrangères – le café, le thé et le
chocolat – en breuvages divins. À la fin du XVIIe siècle prolifèrent des cafés
servant les trois boissons, attirant par leur atmosphère et leur coût modique
une clientèle variée, allant de négociants à des penseurs éclairés, au rang
desquels Voltaire, Diderot, Rousseau et Condorcet. Cette clientèle, à mesure
qu’elle avale des litres de café, thé et chocolat sucrés – ou, comme Voltaire
au Café Procope, un doux mélange de café et chocolat –, acquiert une
habitude riche en sucre.
Il en va de même pour celles et ceux qui boivent leur café, leur thé ou
leur chocolat chez eux, qu’il s’agisse d’aristocrates dégustant du sucre raffiné
dans de la porcelaine de Sèvres ou de prolétaires savourant du sucre terré
dans de solides chopes. Dans le Paris du XVIIIe siècle, la consommation
annuelle atteint 30 à 50 livres par personne. Comme les livres de recettes ont
fait évoluer la culture culinaire, les cafés et le rituel du thé font découvrir le
sucre à de plus en plus de gens et le rendent si séduisant, voire addictif, qu’il
devient bientôt l’opium du peuple.
En conséquence, la production de grandes quantités de sucre à des prix
abordables devient un moteur essentiel de l’activité économique française.
Puisque la canne ne pousse pas en France, le pays dépend de ses colonies
sucrières pour satisfaire la demande. En 1791, le duc de la Rochefoucauld-
Liancourt estime que la subsistance de 713 333 familles françaises – jusqu’à
3 millions et demi de personnes – dépend du commerce avec les Indes
occidentales.
Il aurait également dû mentionner les millions d’Africaines et d’Africains
enlevés et leur descendance, qui constituent la cheville ouvrière de la
production sucrière. Emmenés de force dans les colonies, ces femmes et
hommes noirs réduits en esclavage et leur descendance cultivent, récoltent et
raffinent le sucre de canne dans des plantations ou dans des villages où ils
vivent en vase clos. Pour maximiser les rendements, les exploitants des
plantations inventent ce qui constitue sans doute la première occurrence du
travail à la chaîne, où des bandes sont affectées à des tâches spécifiques et
supervisées par des contremaîtres ou négriers armés de fouets.
D’autres esclaves travaillent à la production de sucre en tant que
chauffeurs de chaudière, tonneliers, mécaniciens, charrons, charpentiers,
forgerons, maçons, cabrouétiers, chargeurs, muletiers et gardiens. Aucune
concession n’est faite pour les esclaves agricoles enceintes, et même les
enfants, les personnes âgées et les infirmes se voient attribuer des corvées et
un contremaître. Sous le soleil brûlant de juillet ou d’août, les bandes
préparent le sol en pratiquant des brûlis, risquant les accidents de machette,
l’inhalation de fumée et les morsures de serpents et de rats affolés, les
omniprésents ennemis de la canne. Puis vient le redouté creusage des trous de
canne, un procédé fastidieux et éreintant consistant à creuser des trous à des
endroits précis, à former autour une crête avec la terre extraite, à planter les
fanes de canne avec du fumier et enfin à les combler. Dans les Antilles
françaises, chaque esclave doit terminer vingt-huit trous par heure sous peine
de fouet. Lorsque la canne est mûre, les bandes la récoltent à l’aide de
machettes, de sabres ou de couteaux, travaillant sans répit, car la canne une
fois coupée se met à sécher et sa teneur en sucre diminue si elle n’est pas
broyée dans les deux jours. Là encore, le matériel nécessaire au broyage est
dangereux. Parmi les esclaves qui manœuvrent les énormes rolles extrayant
la sève sucrée des cannes, beaucoup sont des femmes travaillant de dix-huit à
vingt heures par jour, notoirement surmenées et épuisées ; souvent, elles
s’endorment ou titubent à leur poste et se font happer et écraser par les rolles.
Certaines en meurent, mais d’autres en réchappent grâce à l’amputation
rapide du membre blessé, généralement un bras, une main ou un doigt.
Comme l’explique un esclave amputé dans Candide de Voltaire, « Quand
nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous
coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la
jambe […]. C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. »
En 1804, la révolution haïtienne contre le colonialisme français abolit
l’esclavage en Haïti et, du même coup, annihile pratiquement sa production
de sucre, alors estimée à environ 200 millions de livres annuelles. Cependant,
les papilles françaises exigent toujours de la douceur et la France doit donc se
reporter sur la Martinique, la Guadeloupe et l’île Bourbon pour le sucre de
canne et, plus tard, sur la betterave sucrière européenne. Le sucre, quel que
puisse être son terrible coût, était toujours l’opium du peuple.
Traduit de l’anglais par Charlotte Matoussowsky
BIBLIOGRAPHIE
L’ESCLAVAGE
Atlantique : la France a déporté
1,3 million d’Africains
Bernard Michon
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Dunkerque 46 1,0
Rochefort 20 0,5
Bayonne 18 0,4
Vannes 12 0,3
Brest 10 0,2
Sénégal 19 0,4
Mascareignes 96 2,2
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
d’esclaves (ou prétendus esclaves) poursuivent les maîtres pour libérer leurs
clients.
Hormis les archives de l’amirauté, les documents relatifs aux esclaves à
Paris sont rares, dispersés, lacunaires. Toutefois, les documents de police de
cette époque révèlent une vérité toute différente : Paris est un lieu
particulièrement dangereux pour les esclaves, à cause de la liberté que la ville
semble leur promettre et qu’elle peut violemment leur refuser.
Revenons-en à Lucas : son propriétaire présumé est André Olivier de
Chaillou, officier à la Martinique. En 1748, lors de son mariage, les biens de
Chaillou sont estimés à « un nègre trompettiste et dix costumes à
épaulettes ». En 1766, lorsqu’il demande l’arrestation de Lucas, Chaillou est
criblé de dettes : il a dilapidé la fortune martiniquaise de sa femme et, en
demandant la capture de Lucas, a pour objectif de le vendre. Selon la police,
tandis que Lucas languissait dans sa cellule, « Chaillou a vendu ce mulâtre à
Monsieur le Chevalier de Saint Victor, qui l’a acheté pour son frère ». Quatre
ans plus tard, de retour de Saint-Domingue, le baron de Saint-Victor
accordera la liberté à « Ambroise Lucas dit Deschamps » par contrat devant
Ledoux et confrères, notaires à Paris.
En 1766, l’année de son enlèvement, Lucas pensait être libre. Avant son
arrestation, il s’est pourvu en justice devant la cour d’amirauté de Paris, au
motif que « tous les esclaves arrivant en France sont libres ». Lucas obtient
un décret provisoire de liberté le 27 janvier 1766. Puis, deux semaines plus
tard, sur la requête de Chaillou, arrive la lettre du ministre Choiseul
ordonnant son arrestation et sa déportation extrajudiciaire. Incapable de payer
les frais d’arrestation, Chaillou néglige (ou refuse) d’embarquer son esclave
sur-le-champ, comme le lui demande le ministre de la Marine. C’est en raison
de ce défi que Choiseul menace de revendre Lucas aux îles au profit du roi.
Pour arrêter Lucas et d’autres domestiques comme lui, l’instrument usité
est un ordre du roi, mieux connu sous le nom de lettre de cachet. Afin de
capturer un esclave fugitif ou indiscipliné, les maîtres s’adressent à la police
parisienne pour obtenir des lettres de cachet. Ainsi, en 1761, Jean-Charles-
Philibert Trudaine de Montigny, intendant des finances, demande à la police
d’emprisonner Télémaque, âgé de 15 ans, car « depuis quelque temps on s’est
aperçu d’un dérangement tel dans cet enfant que les suites en seroient à
craindre ; M de Montigny espère qu’une correction rigoureuse pourroit le
ramener à son devoir ». Les lettres de cachet venues directement de
Versailles, cosignées par le ministre de la Marine, signifient en fait autre
chose. Ce sont des instruments destinés à casser les jugements de liberté. Les
maîtres sollicitent ces ordres pour empêcher leurs esclaves de les poursuivre
en justice ou bien pour enlever les domestiques qu’ils considèrent comme
leur appartenant après que la cour d’amirauté les a déclarés libres.
Dans un texte de 1777, le ministre de la Marine, Antoine de Sartine,
rappelle le système d’enlèvement qui s’appliquait à Paris sous Louis XV –
pendant qu’il était lui-même lieutenant général de police à Paris : « Le feu
Roi a toujours prévenu ces jugements [de liberté] ou en a empêché l’effet en
faisant expédier par le sécretaire d’état aiant le département de la Marine des
ordres pour arrêter et reconduire aux colonies les nègres qui se sont évadés, et
ont réclamé la liberté. » Pour Sartine et la Couronne, ces ordres servaient à
renforcer la loi, et non à la subvertir. Après tout, c’est du roi et de Versailles
qu’émanait le Code noir, la loi esclavagiste des colonies. Pour le roi et ses
ministres, ce qui relevait de la propriété dans les colonies devait aussi en
relever en France. Du point de vue de la Cour, les esclaves à Paris, quoique
affranchis par arrêt de justice, restaient des biens coloniaux.
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Les jardins : espaces de contestation
Catherine Benoît
BIBLIOGRAPHIE
Ils s’appellent Francis Fabulé (Martinique), Pierre la Puce, Joli Cœur, San
Malo ou Francisque (Louisiane), Narcisse, Pétronille, Thomas et Pauline (La
Réunion), Gervaise ou Cléophon (Guadeloupe), sans oublier Joe, Bett
(Québec), Jean-Mouyaga et Thiamba (Saint-Domingue). Ces hommes et
femmes afro-descendants, habitants de l’empire esclavagiste français du
monde atlantique et de l’océan Indien, ont en commun d’être « libres ». Ils et
elles ne sont pas libres en vertu d’un acte officiel de manumission, d’une
libération de fait ou d’un rachat personnel. Ils ont en commun d’exercer leur
« liberté » par la fuite. On les appelle « marrons » et « marronnes »,
probablement de l’espagnol cimarrón, adjectif utilisé pour nommer les
animaux d’élevage retournés à l’état sauvage. Aux yeux des autorités et de
leurs maîtres, ils posent un problème récurrent de police et ne sont
évidemment pas libres. Ils vivent, de fait, dans les marges de l’esclavage. À
ce titre, ils travaillent illégalement dans les rues et sur les quais de La
Nouvelle-Orléans ou de Port-Louis (île de France). Ils se cachent à la faveur
de l’anonymat des marchés dominicaux de Saint-Domingue, à Cap-Français,
aux Cayes ou à Port-au-Prince. Ils se rencontrent la nuit dans des bals illicites
où ils préparent leur prochain coup ou planifient leur retour auprès de leur
maître et de leurs amis et familles. Ils se font passer pour libres et racontent
des histoires fausses mais vraisemblables lorsqu’ils sont arrêtés et contrôlés,
et parviennent ainsi à échapper à la prison et aux lourdes peines prévues dans
le Code noir ou les règlements de police locaux sans cesse adaptés et
renforcés pour mettre fin au « marronnage ». Ils fraternisent avec d’autres
esclaves ou trahissent en fonction des contextes et des impératifs de survie.
Ils circulent, attentifs aux regards inquisiteurs portés sur eux, sur leur corps et
leurs vêtements. Certains s’installent durablement, ou du moins l’espèrent-ils,
dans les montagnes de Guadeloupe, les marécages de Louisiane ou les forêts
de Guyane. Comme l’a montré l’historienne Sylviane Diouf, ils façonnent
des « paysages marrons ». Ces derniers s’appellent la Plaine des Cafres à La
Réunion, le Morne Brabant ou le site des Trois Cavernes à Maurice, le camp
des Mondongs ou Kellers en Guadeloupe, le site de la Terre Gaillarde en
Louisiane.
La plupart des esclaves « libres » car « marrons » n’échappent pas,
durablement, à la violence, à la terreur et à l’exploitation propre à l’esclavage
racial. Ils reviennent souvent volontairement car fonder des sociétés libres,
parallèles et autarciques est une mission quasi impossible dans les Amériques
et l’océan Indien tant les terres non cultivées de sucre, de café, de riz ou de
coton sont de plus en plus rares avec le temps. » Les campements durables de
« marrons » dans des régions reculées et difficilement accessibles sont rares à
l’extérieur du Brésil, de la Colombie, de la Jamaïque du début du XVIIIe siècle
ou du Surinam et de la Guyane. La plupart des fugitifs des sociétés
esclavagistes de l’empire français prennent donc la direction des villes ou
restent à proximité des plantations où beaucoup sont capturés par les
gendarmeries crées au XVIIIe siècle pour les pourchasser. Les « paysages
marrons » sont alors remplacés par ceux de la répression et du contrôle. Ces
derniers incluent les geôles où l’on punit les fugitifs et fugitives, les places
publiques où sont humiliés (et plus rarement exécutés) les esclaves absents de
longue date, les hôpitaux où on les envoie après les avoir mutilés ou marqués
au fer rouge d’une fleur de lys pour avoir osé s’autolibérer. Leur recherche de
la liberté ne prend pas fin pour autant. Des fugitifs et fugitives de retour en
esclavage accumulent alors du capital, fondent des familles ou se créent des
cercles de sociabilité ; ils cultivent leurs jardins et espèrent acheter, peut-être,
un jour, leur liberté. Cette pratique, interdite en théorie, est partout tolérée et
le nombre d’affranchis dans les sociétés esclavagistes françaises augmente,
en partie en raison de ces rachats, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et
surtout dans les quinze années qui précèdent la deuxième abolition de
l’esclavage. D’autres esclaves, pour qui le rachat n’est pas une option,
récidivent. Seuls ou en groupes. Dans la répétition, ils fondent des cultures de
résistance quotidienne qui servent de traits d’union aux esclaves nés libres en
Afrique et transportés de force vers les Amériques ou l’océan Indien et à ceux
nés en esclavage dans ces mêmes régions. En raison de leur détermination,
les sociétés esclavagistes de l’empire français, de La Réunion à la Nouvelle-
France en passant par la Louisiane, les Antilles et la Guyane, sont des
sociétés en situation de guerre larvée jusqu’à 1848. La guerre oppose des
maîtres en théorie tout-puissants et les personnes esclaves dont l’arme
suprême de liberté est leur corps, et le contrôle de celui-ci. « Les colonies à
esclaves ont été […] des sociétés hautement conflictuelles », rappelle
l’historien Marcel Dorigny : « les esclaves n’ont jamais accepté leur sort et
ont multiplié les formes de rejet ». Parmi celles-ci se trouve le
« marronnage », une « notion » « inhérente à la société esclavagiste » pour
Lucien Abénon, spécialiste de la Guadeloupe, qui fait écho aux propos de
l’abolitionniste Victor Schœlcher : « Aucune colonie n’a échappé au fléau du
marronnage. » « Le marron, selon Prosper Ève, figure historienne de La
Réunion, est un ennemi qui prive le maître de sa force de travail, de sa valeur
financière. En choisissant de rompre le ban […] il défie l’autorité du maître,
il ébranle l’ordre établi. »
Le « marronnage » est une préoccupation récurrente et transversale aux
diverses régions de l’empire français, comme en témoigne la multiplicité des
lois, ordonnances, règlements, projets et autres rapports rédigés sur le sujet
aux XVIIIe et XIXe siècles. Les lois coloniales distinguent habituellement les
« petits » des « grands » « marrons » en fonction de la durée de leur absence
(moins d’un mois ou plus). La distinction, encore dominante aujourd’hui
dans l’historiographie, fait partie d’un discours colonial cherchant à invalider
la philosophie politique, la praxis, des hommes et femmes africains ou afro-
descendants qui s’extraient, en s’échappant, pour une courte ou longue
période, du système esclavagiste. Elle minimise les résistances quotidiennes,
les fuites temporaires et la façon dont les esclaves parvenaient, par petits
éclats répétés, à se libérer de la peur et de la contrainte. La distinction entre
« petit » et « grand » « marronnage » est renforcée à partir des années 1950
par un discours mythologique faisant des « marrons » les héros par
excellence de la lutte anticoloniale dans les Antilles françaises et l’océan
Indien. Édouard Glissant va jusqu’à dire que « le Nègre marron est le seul
vrai héros populaire des Antilles ». Le discours du mythe est renforcé dans
les années 1990 par l’installation de nombreux monuments à la gloire du
« marronnage » dans les anciennes colonies esclavagistes. La thématique
occupe au même moment une place de choix dans la littérature et les arts. En
témoigne, par exemple, la peinture haïtienne, qui fait la part belle à ces
« héros populaires » que sont par exemple Makandal ou Boukman, deux
figures de la révolution haïtienne. En Haïti, toujours, l’esclave « marron » est
au cœur des systèmes de légitimité de la dictature de Duvalier, qui n’hésite
pas à exploiter l’histoire de l’esclavage et de ses résistances pour mieux
écraser les oppositions populaires.
Dans une approche renouvelée (et décoloniale) des résistances à
l’esclavage dans l’empire français, la distinction entre « petit » et « grand »
« marronnage » mériterait d’être abolie. Le « marronnage », peu importe sa
durée ou sa visée, désigne un ensemble de stratégies et de tactiques de
résistance et d’autolibération qu’il est important de replacer dans une
panoplie d’actes politiques visant à installer une tension continue au cœur
même de la violence inhérente à l’esclavage. Les résistances à l’esclavage
dans l’empire français, marronnage y compris, ont souvent été perçues à
travers le prisme déformant de typologies hiérarchisant les esclaves en
fonction de leur soi-disant « action » ou « passivité ». Elles gagneraient à être
vues pour ce qu’elles sont : des actes de création et de résistance à la mort
dans des sociétés pensées comme des prisons.
Dans cette approche, il conviendrait enfin d’insister sur les continuités
entre marronnage et stratégies d’autolibération en contexte postesclavagiste.
La continuité est évidente, par exemple, en Haïti, où le marronnage se
transforme en « vagabondage » aux yeux des autorités militaires haïtiennes,
qui peinent à contrôler la masse des anciens esclaves qui refusent de se plier
aux nouveaux règlements de culture. On parle également de « vagabondage »
dans l’empire français après 1848, lorsque les anciens esclaves ou les
nouveaux « engagés » recrutés pour combler le manque de main-d’œuvre en
raison de l’abolition refusent de se plier à l’ordre des contrôles et des
exigences concernant les mouvements des personnes afro-descendantes ou
travaillant sous la contrainte. Le « marronnage » comme praxis de la liberté
est toujours au cœur des stratégies politiques et philosophiques des nouveaux
libres.
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Musique et danse aux Antilles :
une résistance non violente
Dominique Cyrille
Les Africains déportés dans les colonies françaises des Antilles ont
opposé une résistance constante à l’esclavage qu’ils ont subi. Les formes
violentes, ouvertes ou non, de cette résistance (marronnage, suicide,
empoisonnement, incendie) sont bien documentées. Plus difficiles à saisir, les
formes larvées qui pour les sociologues sont celles que les opprimés
emploient le plus souvent. La résistance se manifeste, disent-ils, au travers
d’actes qui causent des retards, des blocages et enrayent le bon déroulement
du projet ciblé. Dans les colonies françaises des Antilles, la musique et la
danse des Noirs ont été des moyens de résistance ouverte ou non, selon les
périodes et les circonstances.
Ces pratiques de musique et de danse sont évoquées dans des chroniques
et des journaux élaborés par des Européens pour relater leur expérience dans
les colonies. Ainsi les pères Dutertre en 1640 et Labat en 1722, Moreau de
Saint-Méry en 1802, les voyageurs Granier de Cassagnac en 1842 ou encore
Victor Meignan en 1878 consacrent-ils plusieurs pages de leurs écrits
respectifs à l’évocation des divertissements caractéristiques de chaque groupe
humain vivant dans les colonies. Leurs descriptions sont incomplètes, mais
grâce à elles, on apprend par exemple qu’au XVIIe siècle les Africains se
regroupaient par affinités ethniques pour danser, les Arada du golfe de
Guinée sur deux lignes face à face, et les Kongo en cercle. Ces auteurs
répètent volontiers que les Africains des colonies chantent en style
responsorial et que leurs ensembles instrumentaux font la part belle aux
percussions. Le but réel de ces écrits est de souligner la « distance naturelle »
qui, aux yeux des colons, sépare les Blancs des Noirs. Pour eux comme pour
Moreau de Saint-Méry, les danses européennes ont été créées par les Grâces
et ne peuvent être reproduites que par ces mêmes Grâces. Ayant posé leur
danse et leur musique comme modèles de perfection, il leur est ensuite facile
de déclarer bestiale la danse des Africains et de nier tout intérêt à leur
musique. Dans leurs écrits, la danse des Noirs est interminable et faite de
gestes saccadés et impudiques.
Pourtant, tout au long de la période esclavagiste, les Africains ont dansé
et joué leur propre musique sous le regard souvent curieux des colons et de
leurs hôtes de passage. Dans les colonies françaises où les Noirs sont
supposés n’être que des machines animées, c’est en dansant que ceux-ci
réaffirment leur humanité et reprennent, momentanément il est vrai,
possession de leur corps. L’acte de danser implique que l’on use de son libre
arbitre pour choisir les pas et les postures que l’on exécute. Par la danse, les
Africains opposent une résistance non violente mais ferme et constante à la
déshumanisation engendrée par l’esclavage.
Certains esclaves contraints d’apprendre des versions simplifiées de
danses européennes les ont fait fusionner avec celles qu’ils ont ramenées
d’Afrique. Les Français des colonies aspirant à la noblesse tiennent à offrir à
leurs enfants des cours de musique et de danse qui leur permettront de briller
dans les salons parisiens. Adoptant les mœurs de la noblesse française, ils ont
donc recours aux leçons privées de maîtres de musique et de danse venus tout
exprès de France. Ainsi la plupart des danses à la mode dans les bals
parisiens élégants le deviennent aussi sur les habitations des colonies.
Au tournant du XIXe siècle, la contredanse française, danse européenne
exécutée par quatre couples disposés en carré, et le quadrille, qui consiste en
une suite de contredanses, arrivent dans les colonies où, plus qu’un simple
divertissement, on veut en faire un symbole de raffinement et de statut social
élevé. Par goût autant que par désir de suivre la mode, les Noirs libres et de
nombreux esclaves domestiques déjà familiers des danses européennes – car
ce sont eux les musiciens dans les bals des planteurs – s’emparent de ces
danses. Ils démontrent ainsi qu’ils maîtrisent les codes de la bonne société et
qu’ils ont la capacité de reproduire la danse inventée par « les Grâces ». Pour
les Noirs libres comme pour les esclaves, la performance du quadrille et des
contredanses dans le contexte de la colonie esclavagiste équivaut à affirmer
leur égalité avec les Européens. Pour les Européens des colonies, cela
représente un affront. En exécutant ces danses – à la perfection, précise
Moreau de Saint-Méry –, les Noirs remettent en question le principe de
hiérarchie socio-raciale sur lequel repose l’ordre colonial. Au début du
e
XXI siècle le quadrille a perdu depuis longtemps sa fonction de symbole
social, mais il demeure très apprécié en Martinique et en Guadeloupe.
Toutefois, ce sont les danses au tambour ka et au tambour bèlè qui ont la
préférence de la majorité, car c’est en les pratiquant que leurs ancêtres
africains ont affirmé leur statut d’êtres humains et qu’ils ont trouvé la force
de continuer à résister.
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Les marginaux blancs, une autre face
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Ce texte est une version modifiée de l’article paru en anglais dans la section
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Mulâtresse Solitude, héroïne
de la résistance
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D’autres géographies
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Universalismes ?
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MONDIALISATIONS
Combien de mondialisations ?
Romain Bertrand
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D’une rive à l’autre du golfe d’Aden :
espaces connectés
Amélie Chekroun
Sur les deux rives du golfe d’Aden, le XVIe siècle marque une rupture
forte, par l’intensification des relations internationales, avec notamment
l’expansion rapide des Ottomans et l’arrivée des Européens en mer Rouge.
Ces nouveaux acteurs modifient la région en profondeur et entraînent, d’une
part, une instabilité qui perdure jusqu’à la fin du XVIIe siècle et, d’autre part,
un bouleversement du régime documentaire disponible pour écrire l’histoire
régionale, avec le début d’une multiplication des documents écrits aussi bien
endogènes qu’exogènes.
À l’ouest, en 1531, l’imam Ahmad ben Ibrâhîm al-Ghâzî fédère au sein
d’une vaste armée des contingents venus des différents territoires islamisés
de l’est de la Corne de l’Afrique, majoritairement sous l’autorité du sultanat
du Barr Sa‘d ad-Dîn (qui correspondent aux actuels Somaliland, Djibouti et
la région éthiopienne de l’Harargue). Selon le Futūḥ al-Ḥabasha, la
chronique officielle des guerres de l’imam Aḥmad rédigée à Harar, la capitale
du Barr Sa‘d ad-Dîn, par un auteur originaire du Yémen, quelques troupes
venues du sud de la péninsule Arabique ainsi que du reste du monde
islamique (Égypte, Maghreb, Inde) via le port de Zayla‘ se joignent à eux. En
quelques années, cette armée fait la conquête de plus des deux tiers du
royaume chrétien d’Éthiopie, qui occupe le haut plateau à l’ouest de la vallée
du Rift. Le roi chrétien et son armée, aidés par des soldats portugais,
réussissent cependant à reprendre l’avantage en 1543, à tuer l’imam Aḥmad,
à mettre en déroute l’armée musulmane et à faire la reconquête d’une partie
de ses anciennes provinces. Les bouleversements liés à cette guerre entraînent
une profonde réorganisation politique et religieuse de la région. De l’autre
côté du golfe d’Aden, de 1454 à 1517, la partie méridionale du Yémen est
dirigée depuis Zabîd par la dynastie des Ṭâhirides, lesquels seront supplantés
en 1517 par Sulayman Raîs, sur ordre du dernier sultan mamelouk du Caire.
Après la prise de l’Égypte par les Ottomans, Sulayman se soumet au sultan
ottoman, plaçant de fait Zabîd sous autorité ottomane en 1539. Les forces
ottomanes occupent le port d’Aden et la plaine côtière à peu près à la même
période. Stratégiquement, pour les Ottomans, contrôler les principaux ports et
les côtes yéménites permet d’interdire l’entrée de la mer Rouge aux
Portugais. En effet, le contrôle de la mer Rouge, essentiel pour le commerce
entre la Méditerranée et l’océan Indien, fait alors l’objet d’une lutte entre les
Ottomans et les Portugais, qui viennent bouleverser les équilibres de cet
espace.
Les recompositions géographiques, les changements dynastiques et les
guerres de cette première moitié du XVIe siècle sont un tournant majeur pour
l’ensemble de la région. Cependant, les contacts et les échanges entre les
deux rives du golfe d’Aden se poursuivent. Depuis l’Antiquité, les échanges
économiques, religieux et diplomatiques lient les deux espaces. Les sources,
et notamment les dictionnaires biographiques yéménites, tels que le Ṭabaqāt
ṣulaḥā’ al-Yaman de al-Burayhī (m. 1499), mentionnent de nombreux
individus (marchands, oulémas, pèlerins, esclaves, etc.), qui circulent entre le
Yémen et la Corne de l’Afrique : selon les courants, la traversée ne prend que
quelques jours ; les communautés de culture et de religion, qui remontent à
l’Antiquité, facilitent ces échanges ; et les intérêts économiques mutuels les
encouragent. Au cours de la guerre menée par l’imam Aḥmad, ces échanges
sont particulièrement dynamiques. La capture de très nombreux prisonniers
de guerre, vendus en esclavage, via le port de Zayla‘, à Aden et à Zabîd,
entraîne une augmentation considérable du nombre d’esclaves éthiopiens au
sein du monde islamique, jusque dans le Gujarat, en Inde. Certains de ces
prisonniers prestigieux sont envoyés en cadeau diplomatique au souverain du
Yémen. C’est ainsi le cas de Minas, fils du roi chrétien d’Éthiopie : capturé
enfant par l’imam Aḥmad, envoyé captif auprès de Mustafa al-Nashshar
(gouverneur ottoman du Yémen de 1539 à 1549), avant d’être racheté par sa
mère, ramené en Éthiopie après la fin de la guerre et devenir roi à son tour de
1559 à 1563. Outre les esclaves, les sources mentionnent également l’envoi
par Mustafa al-Nashshar de troupes yéménites équipées d’armes à feu en
soutien à l’armée de l’imam, pour faire face à l’armée chrétienne aidée par les
Portugais dans les années 1540. Après la guerre, les sources yéménites et
égyptiennes mentionnent la venue de proches de l’imam à Zabîd et au Caire
pour se réfugier à la suite de la débâcle musulmane et de la reconquête
chrétienne. Le Yémen apparaît alors comme un havre privilégié par les
musulmans de la Corne. L’exemple le plus prestigieux est peut-être celui du
fils même de l’imam, Aḥmad ben Aḥmad, dont la vie depuis l’Éthiopie, en
passant par Zabîd, Constantinople puis Le Caire, où il meurt en 1559, a été
rapportée par l’Égyptien al-Jaziri, dans son histoire du pèlerinage à
la Mecque rédigée au milieu du XVIe siècle.
Au cours de la seconde moitié du XVIe siècle, alors que le royaume
chrétien se recentre au nord du lac Tana, les territoires islamisés de l’est de la
Corne de l’Afrique se réorganisent. Le sultanat du Barr Sa‘d ad-Dîn d’où
était parti l’imam ne survit pas longtemps à la défaite de 1543. Ses anciens
territoires se fragmentent. Sa capitale, Harar, devient une cité-État
économiquement puissante, car stratégiquement placée sur les routes de
commerce et jouant un rôle central dans la définition et la diffusion de l’islam
local. Une partie de l’élite de l’ancien sultanat fonde une nouvelle entité
politique dans l’oasis de l’Awsa, région de lacs au milieu de basses terres
arides, aujourd’hui à la frontière entre l’Éthiopie et Djibouti. L’ouest et le sud
sont occupés par une nouvelle population venue du sud, les Oromo, qui
profite des bouleversements qui suivent la guerre pour s’installer sur la moitié
sud de l’actuelle Éthiopie ; les territoires somalis, qui avaient un temps
accepté l’autorité des sultans de Harar, reprennent leur autonomie ; quant aux
territoires afars, qui n’apparaissent pas dans les sources antérieures au
e
XVI siècle, ils commencent à être mentionnés par quelques voyageurs
étrangers. Un sultan afar islamisé régnant sur le port de Baylûl et son arrière-
pays, au nord de l’actuelle Djibouti, est ainsi mentionné à plusieurs reprises
dans les sources du XVIIe siècle. Par exemple, un diplomate yéménite, Hasan
ben Ahmad al-Haymi, en route vers la cour du roi chrétien dans les
années 1640, quitte le port de Mocha, en Arabie, et accoste deux jours plus
tard à Baylûl, où il note que la région est sous l’autorité du sultan Shihaym
ben Kamil al-Dankali (« l’Afar »). Plus au nord, la province ottomane
d’Éthiopie (Habesh Eyalet), centrée sur le port de Massawa, dans l’actuelle
Érythrée, puis à Jeddah, de l’autre côté de la mer Rouge, est fondée en 1554
par Özdemir Pasha, ancien gouverneur ottoman du Yémen. Pendant quelques
années à la fin du XVIe siècle, le Habesh Eyalet aurait imposé son autorité tout
le long de la côte africaine de la mer Rouge, jusqu’au golfe d’Aden.
Au Yémen, les imams zaïdites (forme locale du chiisme) fondent l’État
qasimite, aussi appelé imamat zaïdite du Yémen, en 1597. Ils combattent la
présence des Ottomans, qu’ils réussissent à chasser : dès 1635 la domination
ottomane de la région est terminée. L’État qasimite est stable jusqu’à la
reconquête ottomane de la fin du XIXe siècle. L’autorité des imams s’étend
alors jusqu’à Aden et l’Hadramaout. Ils entretiennent des relations
diplomatiques et économiques aussi bien avec le royaume chrétien
d’Éthiopie, comme l’atteste le voyage en Éthiopie du diplomate yéménite
Ḥasan ben Aḥmad al-Ḥaymī au XVIIe siècle, qu’avec les territoires musulmans
de l’Est, comme l’atteste leur relation avec le port de Zayla‘, qui leur sert
parfois de prison pour leurs opposants politiques.
Le port de Zayla‘ sur la rive africaine du Golfe est l’objet des convoitises
des pouvoirs des deux rives. Il passe régulièrement sous la tutelle de Harar
et/ou de l’Awsa ; les sources ottomanes laissent entendre qu’au cours de la
seconde moitié du XVIe siècle il dépend quelques années de l’Habesh Eyalet ;
au XVIIe siècle, il est occupé à plusieurs reprises par des Yéménites. Au
moment du retrait ottoman du Yémen en 1635, l’émir yéménite al-Ḥasan ben
al-Qâsim s’installe à Zayla‘, jusqu’à sa mort en 1638. Zayla‘ repasse alors
sous l’autorité des populations musulmanes de l’est de la Corne de l’Afrique.
En 1684, le saint soufi Ali ben Husain al-Rajbi, qui se rebelle contre l’imam
yéménite al-Mu’ayyad al-Saghir, parvient à mettre la main sur plusieurs
régions du sud-ouest du Yémen et sur Zayla‘. Il les gouverne ensuite en toute
autonomie pendant quelques mois. À partir de 1695, les Yéménites sont
présents de manière durable à Zayla‘. Ibrâhim Pacha, un des officiers
ottomans restés au Yémen après le retrait des forces impériales en 1635,
conquiert Zayla‘ pour l’imam al-Nasir du Yémen. Il est nommé émir de
Zayla‘ et y fait construire une citadelle, un palais pour le gouvernement et
une mosquée. Il dispose d’une garnison et de quatre canons. Comme le
précisent les chroniques yéménites, cette conquête de Zayla‘ favorise le
commerce yéménite en mer Rouge et dans le golfe d’Aden : non seulement
les Yéménites peuvent ainsi accéder plus directement au marché des esclaves,
mais le fait de contrôler les deux rives leur permet surtout de lutter contre la
piraterie. Même lorsque Zayla‘ échappe au contrôle direct des Yéménites,
leur présence est cependant attestée. Ainsi, lors de son (probable) passage à
Zayla‘ en 1673, le célèbre voyageur ottoman Evliya Çelebi note qu’y résident
« un envoyé indien, ainsi qu’un envoyé de l’imam du Yémen », mais aussi
des Européens, dont un Portugais, et des représentants des autorités
musulmanes de l’arrière-pays (Harar, Awsa). Loin d’être deux espaces
séparés et isolés, les deux rives du golfe d’Aden sont au contraire en contact
permanent, ne serait-ce que par l’importance du commerce entre Zayla‘ et
Aden, et ouvertes sur le reste du monde.
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Le mythe du Prêtre Jean
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Les empires euro-asiatiques,
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En 1644 l’empire chinois des Ming, fondé presque trois siècles plus tôt
sur les reliques de l’État mongol des Yuan, est conquis par un peuple venu
des steppes du Nord-Ouest asiatique : les Mandchous. Bien qu’inférieurs sur
le plan numérique par rapport aux Chinois Han (200 000 Mandchous pour
120 millions de Han vers 1630-1644), les Mandchous donneront son
extension maximale à l’empire chinois – devenu de fait sino-mandchou –,
dessinant, à quelques territoires près, les contours de l’actuelle République
populaire de Chine. En un siècle, entre 1644 et le milieu du XVIIIe siècle,
l’empire voit en effet son territoire doubler, par le fait des conquêtes
militaires et des alliances.
En s’asseyant sur le trône du Fils du Ciel chinois, les souverains
mandchous reprennent à leur compte les éléments qui fondent sa légitimité,
en l’occurrence la théorie du mandat céleste, qui veut que le Ciel donne à une
famille un mandat l’autorisant à régner sur le « monde sous le Ciel »
(Tianxia). Les limites de ce « monde » ne sont pas définies de manière
précise, si bien que celui-ci est théoriquement extensible ad libitum. En cela,
la théorie du Tianxia se rapproche d’une sorte d’universalisme, mais les
souverains chinois n’ont pas cherché à conquérir ou coloniser des territoires
outre-mer : ils se sont limités aux voisins immédiats. L’extension de l’empire
s’est produite par à-coups et par voie terrestre. Les souverains mandchous ont
poursuivi cette politique en direction de l’Asie centrale, tout en se
construisant un réseau d’alliances avec les chefs mongols.
En 1759, l’empire Qing, sans doute le plus vaste au monde à cette époque
après l’empire russe, s’étend sur 13 millions de km2, environ quatre de plus
que l’actuelle République populaire de Chine (9 736 000 km²). Il se compose,
à son apogée, de cinq ensembles culturels et politiques incorporés à l’empire
à des époques et dans des circonstances différentes.
Le noyau des Qing est la Chine dite des dix-huit provinces, cœur de la
civilisation chinoise proprement dite. Appelée également la Chine propre, il
s’agit de l’ancien territoire des Ming que les Mandchous ont conquis en 1644.
Ensemble le plus vaste de l’empire, il représente environ la moitié de sa
superficie. Il a été gagné au prix de violents faits d’armes. La chute des Ming
à laquelle se sont ajoutées diverses mesures vexatoires (comme le port
obligatoire de la natte) ont représenté une grande humiliation pour les
Chinois dont l’hostilité au pouvoir mandchou n’a commencé à diminuer
qu’au bout de plusieurs dizaines d’années, sans totalement disparaître.
La Mandchourie est la région d’origine des souverains Qing. Elle
correspond au nord-est de la Chine actuelle et couvre les provinces du
Liaoning, du Jilin et du Heilongjiang. La proximité de la région avec la
Corée, la Russie au nord (dont les frontières avec les Qing sont fixées par le
traité de Nertchinsk en 1689) et les territoires mongols à l’ouest en fait un
lieu stratégique. Dès 1668, les Mandchous interdisent aux Chinois venus
d’autres parties de l’empire de s’y installer, afin de garder vierge leur
territoire d’origine, quoique cette interdiction n’ait nullement empêché
l’immigration.
La Mongolie comprend, sous les Qing, le territoire couvert par l’actuelle
République de Mongolie et par celui de la Mongolie intérieure, une province
de la République populaire de Chine, ce qui représente un vaste territoire
d’environ 2 700 000 km². La culture mongole exerce une grande influence
sur les Mandchous, qui lui ont notamment emprunté leur écriture (elle-même
héritée des Ouïghours). La soumission des différentes tribus mongoles aux
Mandchous se déroule progressivement : ce sont d’abord les Mongols
orientaux (Chahar, Khalkha) puis, au terme de plusieurs campagnes
militaires, les Mongols occidentaux, comme les Oïrats. Les Qing intègrent les
Mongols dans le système militaire des bannières et maintiennent, du moins
en apparence, leur organisation en chefferies (khanats). Pourtant, dans les
faits, une bureaucratisation à la chinoise et de nombreux mariages mixtes
entre Mandchous et Mongols affaiblissent ces derniers sur le plan politique et
les placent sous la domination des Qing. Le soutien que les Mandchous
apportent au bouddhisme tibétain constitue par ailleurs un autre lien
important avec les Mongols.
Le Turkestan oriental (Xinjiang, littéralement les « nouveaux
territoires ») est la dernière région conquise par les Qing, et c’est sans doute
là que la dimension impérialiste de l’empire Qing est la plus évidente, après
la conquête des Ming de 1644. Durant la seconde moitié du XVIIe siècle et
dans la première moitié du XVIIIe, cette zone de steppes, peuplée
essentiellement de musulmans turcophones (les Ouïghours), est, dans sa
partie nord, contrôlée par des populations mongoles fédérées sous l’égide de
khans dzoungares tels que Batur Hongtaiji (m. 1653), Galdan (m. 1697),
Tsewang Rabtan (m. 1727) puis Galdan Tseren (m. 1745). Le khanat
s’affaiblit en raison de dissensions internes et les Qing conquièrent la région
en 1757-1759. Qianlong lance en effet une grande campagne qui se solde par
l’extermination d’un demi-million de Dzoungares (soit la quasi-totalité de ce
peuple). Fort de ce succès, le monarque annexe également la partie sud du
Turkestan, correspondant au bassin du fleuve Tarim. En 1768, la région est
formellement intégrée à l’empire Qing et reçoit le nom de Xinjiang. S’ensuit
une politique destinée à peupler cette région relativement vide : le pouvoir
impérial encourage les paysans à s’y établir en les défrayant et en leur
accordant des facilités fiscales. Les résultats ne sont pas à la mesure des
attentes, et le Turkestan demeure, jusqu’à l’époque contemporaine, une zone
marquée par de nombreux conflits ethniques et des insurrections. Située aux
confins de l’empire – 3 000 kilomètres la séparent de Pékin –, cette région
servira très souvent sous l’empire et même après, de lieu d’exil et de
bannissement, tant pour les ministres et les fonctionnaires tombés en disgrâce
que pour les prisonniers de droit commun. Le contrôle de la région par les
Mandchous s’exerce par l’intermédiaire de chefs et de nobles locaux
musulmans – les beg (un mot ouïghour qui signifie « noble »), reconnus et
titrés par les Qing – et au moyen de colonies militaires.
Enfin, le Tibet constitue un cas particulier qui se rapproche d’une sorte de
protectorat. Les souverains Qing comprennent que l’élément clé du contrôle
des Mongols est le Tibet et surtout l’élite tibétaine religieuse, dont
l’ascendant sur les chefs mongols est déterminant en raison de leur foi
bouddhique. En 1720, les rivalités entre les Mongols qoshots et les Mongols
dzoungares débouchent sur un débat à propos de la légitimité du dalaï-lama,
chef de l’ordre bouddhique Gélugpa qui règne alors sur le Tibet. L’invasion
de Lhasa par les Dzoungares (1750-1751) déclenche une contre-offensive des
Qing, qui établissent une garnison dans la capitale tibétaine, inaugurant une
nouvelle ère dans les relations sino-tibétaines. Certaines régions de l’Est
tibétain sont alors rattachées à des provinces chinoises (principalement le
Sichuan et le Gansu). Dans le même temps, les Qing s’allient aux Mongols
khalkhas contre les Dzoungares. Le contrôle temporel du Tibet par les Qing
variera au cours du temps : les Mandchous tantôt s’immisceront dans les
affaires tibétaines (par le biais des ambans, représentants impériaux), tantôt
laisseront les dalaï-lamas ou les dirigeants laïcs ou monastiques gérer eux-
mêmes les affaires intérieures et extérieures.
Les souverains mandchous reprennent à leur compte l’appareil
administratif des Ming avec, entre autres caractéristiques, un recrutement des
fonctionnaires par concours et un système en six ministères. Cela leur permet
de contrôler un vaste territoire peuplé de 200 millions d’habitants avec
seulement 20 000 fonctionnaires. Cependant, les Mandchous sont en Chine
en terrain hostile, surtout durant les décennies qui suivent immédiatement la
conquête de 1644. Afin de s’assurer un meilleur contrôle du pays, les
monarques mandchous doublent les hauts postes de l’administration (un
Chinois et un Mandchou par poste) en donnant la prééminence aux
fonctionnaires mandchous.
L’une des innovations les plus importantes des Qing en matière de
gouvernance est le Grand Conseil (junjichu), créé en 1729 par l’empereur
Yongzheng. À l’origine conseil militaire officieux, il gagnera en importance
au cours du XVIIIe siècle jusqu’à l’emporter sur le Grand Secrétariat, autre
organe important de la cour. Installé à l’intérieur même de la Cité interdite, il
se compose de quelques membres – une demi-douzaine en général – choisis
par l’empereur parmi les plus hauts ministres et fonctionnaires, le plus
souvent mandchous. Outre son rôle de conseil, le Grand Conseil est chargé de
réceptionner, pour le compte du souverain, les mémoires secrets que peuvent
lui envoyer directement certains fonctionnaires triés sur le volet – ministres,
gouverneurs et grands généraux, guère plus d’une centaine de personnes pour
tout l’empire – qui sont ses yeux et ses oreilles à travers l’empire.
Les Mandchous innovent également dans le domaine militaire par rapport
à l’héritage des Ming. Ils incorporent au système chinois une institution
spécifique, les bannières, celle-là même qui leur a permis de conquérir la
Chine en 1644. Cette organisation militaire, créée à l’origine en 1615, est
appelée système des « huit bannières », en raison du nom des couleurs
utilisées par chacun des corps d’armée : jaune, blanc, rouge et bleu,
auxquelles seront ajoutées plus tard quatre bannières supplémentaires, aux
mêmes couleurs mais dotées de bordures (on oppose ainsi les bannières unies
et celles à bordures). Ce système représente davantage qu’une organisation
militaire, car les Mandchous, notamment lors de la conquête, ne distinguaient
pas armée et État : les bannières sont une organisation autant militaire que
socio-économique, lointaine cousine des structures claniques de certaines
populations nomades ou semi-nomades. En 1635, les tribus mongoles et les
ralliés chinois sont à leur tour organisés en huit bannières, ce qui porte le
nombre de bannières à vingt-quatre.
Conquis par la force, structuré par une administration efficace, le Tianxia
sino-mandchou des Qing se sclérose à la fin du XVIIIe siècle et ne peut résister
aux appétits commerciaux des nations européennes. Impérialiste par sa nature
même et colonialiste dans sa gestion de certains territoires (tel le Xinjiang),
l’empire des Qing est lui-même, au XIXe siècle, la proie de l’impérialisme et
du colonialisme d’autres puissances comme le Royaume-Uni ou la France.
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no 21, 2009/1, p. 145-158.
Luciano PETECH, China and Tibet in the Early 18th Century : History of the
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Peter SCHWIEGER, Conflict in a Buddhist Society : Tibet under the Dalai
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Françoise WANG-TOUTAIN, avec la participation de Francesca DE
DOMENICO, Le Décor de la tombe de Qianlong (r. 1735-1796). Un empereur
mandchou et le bouddhisme tibétain, 2 vols., Paris, Imprimerie Launay, IET-
Collège de France, 2017.
Le Cambodge annexé par le Viêt Nam
Marie Aberdam
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ĐẶNG HUY TRỨ, Tứ thụ yêu quy 辭受要規 (« Ce que l’on doit refuser et ce
que l’on peut accepter »), 1868, trad. en vietnamien, Hanoi, Association des
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bureaucratie à l’épreuve (1820-1918), Paris, Maisonneuve et Larose, 2004.
Alexander WOODSIDE, Lost Modernities : China, Vietnam, Korea, and the
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Press, 2006.
Un colonialisme à l’ottomane ?
M’hamed Oualdi
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André RAYMOND, « Le centre d’Alger en 1830 ». Revue de l’Occident
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Yusuf SARINAY, Osmanli Belgelerinde Cezayir (al-Jazayir fil watha’iq
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Tal SHUVAL, La Ville d’Alger vers la fin du XVIIIe siècle. Population et cadre
urbain, Paris, CNRS éditions, 1998.
Le royaume du Kongo, une farouche
indépendance
Cécile Fromont
BIBLIOGRAPHIE
Dona Beatriz Kimpa Vita est une prophétesse chrétienne du XVIIIe siècle
dans le royaume du Kongo. Elle voit le jour vers 1684 sur les terres de
Kibangu, au beau milieu d’une guerre civile opposant deux factions de la
famille royale, les Kimpanzu et les Kinlaza. En 1678, ces deux groupes
rivaux abandonnent la capitale São Salvador et se retranchent dans différentes
régions du royaume.
Beatriz appartient à la noblesse du royaume du Kongo, converti
progressivement au christianisme à partir de 1491. Enfant, les expériences
spirituelles qu’elle aurait vécues la conduise vraisemblablement à rejoindre la
société secrète kimpasi, laquelle entendait s’attaquer aux problèmes sociaux à
travers des rituels mettant en scène la mort et la renaissance de ses adeptes.
Elle connaît deux mariages malheureux, qui prennent fin parce que ses dons
spirituels la rendraient très rétive à la domination masculine.
En août 1704, atteinte d’une longue maladie, elle reçoit la visitation de
saint Antoine, qui se serait introduit dans son esprit alors qu’elle se trouvait à
l’agonie. Après cette expérience, bien qu’elle ait conservé sa personnalité et
son apparence, elle est persuadée d’avoir pris l’identité du saint qui l’a
possédée.
En tant qu’incarnation de saint Antoine, Beatriz Kimpa Vita entreprend
de réunifier le royaume du Kongo en tentant de mettre un terme aux guerres
civiles qui l’affligent. Au même moment, le roi Pedro IV essaie de pacifier le
pays en réoccupant en 1702 la capitale abandonnée. Plusieurs prophètes, dont
une femme nommée Apollonia Mafuta, appellent alors à accélérer cette
reconquête. Beatriz rejoint ce mouvement et en prend la direction.
Le Kongo compte alors peu de prêtres, les plus en vue étant une demi-
douzaine de missionnaires capucins italiens. Ces derniers sont membres d’un
ordre mendiant et généralement très respectés, mais leur présence offense la
fierté de certains Kongo : de nombreux nobles leur prêtent, à tort ou à raison,
des préjugés racistes. Peut-être est-ce ce qui conduit Beatriz à affirmer que
les Capucins nient l’existence de saints noirs. Depuis 1622, une nouvelle
croyance se diffuse donc, selon laquelle saint Jacques, le saint patron du
Kongo, était noir.
Beatriz se fait l’écho de ce message auprès de Pedro IV qui, lui, se
montre réticent. Elle tente alors de persuader son rival João II, qui rejette lui
aussi sa prédication. Finalement, elle se rend directement dans la capitale
abandonnée et s’installe dans les ruines de la cathédrale de São Salvador. Des
milliers de personnes, émues par son message – amplement diffusé par une
troupe de missionnaires, les « Petits Antoine », des adeptes de Béatrice eux-
mêmes possédés par des saints –, prennent la route pour relayer sa prophétie.
La prédication de Beatriz met en avant la nécessité de reconstruire le
royaume, de mettre sur le trône un monarque unique et d’apporter des
changements radicaux à la théologie chrétienne. Outre l’autorité que lui
confère son identification à saint Antoine, Beatriz prétend monter
régulièrement au ciel pour y discuter avec Dieu des problèmes du Kongo.
Elle affirme que Jésus et Marie étaient tous deux originaires du Kongo et que
le Christ est né à São Salvador, avant d’être baptisé à Nsundi (province du
nord du royaume).
Elle entreprend également de modifier le texte des prières de la liturgie
catholique. Elle remplace la très importante antienne Salve Regina (« Salut, ô
Reine ») par le Salve Antonio. Elle affirme que Dieu reconnaît les intentions
des gens plutôt que leurs œuvres, et que saint Antoine, véritable divinité,
occupe une place prééminente, juste après Dieu.
Forte de ses nombreux adeptes, et grâce à la réoccupation de São
Salvador, Beatriz devient un acteur politique de premier plan. Pedro
Constantino da Silva, l’un des généraux de Pedro IV, déplace ses troupes à
São Salvador et se proclame protecteur de Beatriz, qui lui confère le statut de
prétendant au trône.
Cependant, en 1705, elle tombe enceinte d’un de ses adeptes et,
consciente des torts que cela peut porter à sa réputation, accouche dans le
plus grand secret au printemps 1706. Les soldats de la reine Ana Afonso de
Leão, qui contrôle une des factions en conflit, la capturent dans son refuge et
la livrent à Pedro IV. Les Capucins ne voulant surtout pas assumer la
responsabilité de sa mort, Pedro IV la fait juger et exécuter en tant que
sorcière le 6 juillet 1706.
Dès le lendemain de sa mort, des adeptes recherchent des reliques sur le
lieu de son exécution. Puis une femme qui affirme être sa mère prend le
contrôle du mouvement syncrétiste antonianiste, encore actif en 1709, lorsque
les troupes de Pedro IV prennent d’assaut la capitale. On ignore combien de
temps le culte inspiré par Beatriz a survécu, la documentation sur le Kongo se
faisant rare après 1715. Cependant, un certain nombre d’Églises
indépendantes de langue kikongo, s’appuyant sur des traditions orales, ont
continué à proclamer que Beatriz était leur mère fondatrice.
Traduit de l’anglais par Marc Saint-Upéry
BIBLIOGRAPHIE
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Boubacar BARRY, Le Royaume du Waalo : Le Sénégal avant la conquête
(1972), nouvelle éd. revue et augmentée, Paris, Karthala, 1985.
Jean BOULÈGUE, Le Grand Jolof, XIIIe-XVIe siècle, Paris, Éditions Façades-
Karthala, 1987.
Makhroufi Ousmane TRAORÉ, « Marge de manœuvre, négociations et
pouvoir de décision : les souverains de la Sénégambie dans le système des
relations internationales transatlantiques et dans l’évolution du capitalisme
moderne du XVe au XVIIIe siècle », thèse d’histoire moderne sous la direction
de Lucien Bély, université Paris 4, 2009.
Un empire maritime en Océanie
Christophe Sand
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NARRATIONS
L’extraordinaire diversité des rapports
au temps
Sylvia Chiffoleau
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
Un sac de soie rouge, avec glands et fils d’or. C’est ainsi que le
er
1 septembre 1831 l’inspecteur de l’académie de Dijon Gabriel Peignot décrit
sa dernière acquisition à un ami. Le sac lui vient d’Alger, dérobé par un
officier de l’armée française dans un palais de la Kasbah. En dénouant les fils
d’or, Peignot découvre plusieurs lettres et quelques manuscrits écrits en arabe
et en turc ottoman. Que contiennent ces documents ? Ce n’est pas chez
Peignot que nous trouverons la réponse. Il le concède lui-même : « je n’en
sais rien, je crois qu’il faut être disciple d’Allah pour y entendre quelque
chose ».
Dans la décennie qui suit le débarquement français à Alger, Peignot, bien
qu’il ne lise ni l’arabe ni l’ottoman, collectionne les manuscrits algériens
pillés par l’armée coloniale. Il se fournit chez les bouquinistes mais aussi,
grâce à des contacts, parmi les officiers français. Durant cette période, de
nombreux manuscrits algériens sont volés par des soldats désireux de
rapporter avec eux en France un souvenir de la conquête. Dès lors qu’ils
traversent la Méditerranée, ces manuscrits perdent leur dimension textuelle et
deviennent des artefacts du colonialisme. Ils cessent d’être des documents (au
sens propre : faire voir, instruire) ; ils se transforment en souvenirs d’un
« Orient » conquis, mystérieux, muet. Quelles histoires de l’Algérie leur
lecture aurait-elle contribué à raconter ? Quels silences leur pillage produit-
il ? Qu’est-ce que cela nous apprend de la colonisation ?
Le hasard a voulu que l’un des manuscrits de la collection de Gabriel
Peignot se retrouve à la Bibliothèque nationale de France (Supplément
Turc 1349). Une note figurant au dernier folio nous renseigne sur sa
trajectoire. Cette fois-ci, c’est à Constantine qu’un capitaine français, César
Marülaz, récupère le manuscrit. Il l’a « pris » dans le palais du gouverneur
Ahmed Bey à l’assaut de la ville, le 13 octobre 1837, pour l’offrir à son
cousin, Gabriel Peignot, à Dijon. À l’insu de son auteur, le vol de Marülaz est
salvateur pour ce manuscrit : une source contemporaine nous apprend que
l’armée, en plus des pillages, a brûlé de nombreux livres trouvés à
Constantine en 1837. On ne connaît pas l’ampleur de ces actes, mais on se
doute que seule une minorité d’ouvrages ont survécu à la conquête.
Quant au manuscrit volé dans le palais d’Ahmed Bey, il contient une
épître destinée aux étudiants arabes qui souhaitent apprendre l’ottoman. Son
auteur, Salih Ibn Muhammad, vit au Caire au début du XVIIe siècle. L’Égypte
est alors une province de l’empire ottoman. Salih enseigne dans une école de
la ville et a la charge des étudiants anatoliens de la prestigieuse université al-
Azhar. Un jour, Mansur, un haut dignitaire de la province, lui confie son fils,
Ahmed, afin qu’il lui enseigne le turc ottoman, compétence d’autant plus
précieuse que, comme l’écrit Salih, « les gouvernants de notre époque sont
les Ottomans et leur langue est le turc ». Tous les matins, Salih retrouve
Ahmed pour la leçon. À la fin du cursus, le maître rédige une version abrégée
du cours et lui donne pour titre Les Paillettes d’or, compositions d’Ahmed
pour l’apprentissage de la langue turque. Le texte est composé d’une
introduction, d’un lexique bilingue arabe-ottoman et d’un poème écrit dans
les deux langues en alternant vers arabe et traduction ottomane. Deux siècles
plus tard, c’est une copie des Paillettes d’or que Marülaz retrouve chez
Ahmed Bey à Constantine.
La présence des Paillettes d’or dans la bibliothèque d’Ahmed Bey met en
lumière tout un pan de l’histoire des élites algéro-ottomanes du début du
e
XIX siècle. Comme Mansur, Ahmed Bey est un haut dignitaire d’une
province arabe de l’empire. Né à Constantine, il est kulughli, descendant d’un
janissaire anatolien venu faire carrière en Algérie. Comme la majorité des
élites algériennes de son époque, c’est en partie de cette ascendance impériale
qu’il tire sa légitimité politique. Mais, en ce début de XIXe siècle, le lien avec
Istanbul se distend. Lorsqu’il est nommé en 1826, Ahmed Bey est le premier
gouverneur de Constantine à être né en Algérie plutôt qu’en Anatolie ou dans
les archipels de la mer Égée. L’Algérie est alors une province ottomane, mais
une province autonome dont l’ottomanité est contestée par la France, qui
souhaite l’isoler de la Sublime Porte.
Cette ambivalence, cette tension, on les devine dans la présence d’une
copie des Paillettes d’or chez le gouverneur de Constantine. On peut y voir la
volonté d’un dignitaire algérien de cultiver par la langue son appartenance
ottomane à un moment où celle-ci semble remise en cause. Ou peut-être que
le manuscrit des Paillettes d’or lui a été offert par un courtisan qui a vu dans
son titre une sorte d’hommage à Ahmed Bey : les compositions d’Ahmed. Au
début du XIXe siècle, l’épître gagne en popularité dans les provinces arabes de
l’empire. De nombreuses copies manuscrites sont réalisées et une version
imprimée voit le jour au Caire en 1838. C’est à ce monde arabo-ottoman
qu’appartient Ahmed Bey à la veille de la colonisation. Un monde politique
d’abord, mais aussi un monde social et culturel, avec ses best-sellers et ses
communautés de lecteurs.
À lui seul, le manuscrit constantinois des Paillettes d’or révèle peu de
chose. Il permet d’esquisser des pistes, d’entrevoir des histoires que d’autres
manuscrits auraient sans doute complétées et nuancées. La disparition de ces
documents confisqués, brûlés ou perdus crée de nombreux points d’ombre
qui pèsent sur l’historiographie algérienne. En arrachant ces archives à leur
contexte, c’est en partie de la capacité à se raconter soi-même que la
colonisation a privé l’Algérie contemporaine.
BIBLIOGRAPHIE
Isabelle GRANGAUD, La Ville imprenable. Une histoire sociale de
Constantine au XVIIIe siècle, Paris, Éditions de l’EHESS, 2002.
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University Press, 2017.
Abdeljelil TEMIMI, Le Beylik de Constantine et Hāḏj ‘Aḥmed Bey, 1830–
1837, Tunis, Publications de la Revue d’histoire maghrébine, 1978.
Oralités : transmettre le passé
de l’Afrique
Dominique Juhé-Beaulaton
BIBLIOGRAPHIE
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Howard W. FRENCH, Born in Blackness : Africa, Africans, and the Making
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Publishing Corporation, 2021.
Luc NGOWET, Penser la modernité en Afrique. Une introduction à la
philosophie politique africaine, à paraître.
La Charte du Mandé, l’usage politique
du passé
Éric Jolly
BIBLIOGRAPHIE
œuvre au Japon au VIe siècle (soit six cents ans avant la Magna Carta) sous le
règne du prince Shotoku.
Récemment, l’approche fragmentée de la notion de « civilisation » a eu
son heure de gloire, notamment sous la forme menaçante du « choc des
civilisations ». Prenons l’exemple de ce que l’on appelle souvent la « science
occidentale ». Malgré cette épithète restrictive, ce que l’on identifie en fait
comme le contenu de la « science occidentale » repose clairement sur un
patrimoine mondial. Il existe une chaîne de relations intellectuelles qui
rattache les mathématiques et la science occidentales à un ensemble
d’histoires indéniablement non occidentales, comme les innovations
chinoises, indiennes, arabes et iraniennes en matière de mathématiques et de
science. Aujourd’hui encore, lorsqu’une mathématicienne contemporaine du
CNRS ou du MIT invoque un « algorithme » pour résoudre un problème de
calcul complexe, elle contribue à célébrer la contribution d’un mathématicien
arabe du IXe siècle, al-Khwarizmi, dont le nom est à l’origine du terme
« algorithme » (le terme « algèbre » venant pour sa part d’un ouvrage de ce
même savant intitulé Al Jabr wa-al-Muqabilah).
Non seulement l’épanouissement de la science et de la technologie
mondiales n’est pas un phénomène exclusivement occidental, mais certains
progrès planétaires majeurs reposent sur des interactions internationales qui
se sont souvent développées loin de l’Europe. Il suffit de prendre l’exemple
de l’imprimerie. Les Chinois ont énormément contribué à son émergence aux
e e
VIII et IX siècles, alors même que les Coréens et les Japonais travaillaient
eux aussi dans ce sens (avec un succès considérable). Mais l’usage de cette
nouvelle technique ne s’est pas limité à la Chine, à la Corée ou au Japon. Le
premier livre imprimé de l’histoire mondiale a été la traduction d’un traité
indien de philosophie bouddhiste, le Vajracchedika-prajnaparamita Sutra
(parfois appelé « Sutra du Diamant »). Traduit en chinois à partir du sanskrit
au début du Ve siècle, ce manuscrit a accédé à la forme imprimée quatre
siècles plus tard, en 868 de notre ère.
Si les interactions coloniales participent à l’évolution de la « civilisation »
mondiale, il est important de reconnaître que, longtemps auparavant, les
différents peuples ont développé entre eux des relations qui ont contribué à
l’épanouissement de la « civilisation » à l’échelle planétaire. C’est notre
interdépendance qui fait de nous le type de créatures que nous sommes. Il ne
faut pas y voir un objet de honte, mais un motif de fierté.
Traduit de l’anglais par Marc Saint-Upéry
BIBLIOGRAPHIE
Amartya SEN, La Démocratie des autres. Pourquoi la liberté n’est pas une
invention de l’Occident, Paris, Payot & Rivages, 2005.
CARTES
INDEX DES NOMS
Abadie, Paul
Abbas, Ferhat
Abbeville, Claude d’
Abd al-Hafid
Abdallah ben Sa’id
Abd el-Kader (ibn Muhieddine)
Abdelkrim el-Khattabi
Abderrahmane ben Hicham
al-Abid, Nazik
Aboubakri II
Abu, Mallam
Adair, James
Adandozan
Afonso Ier (Nzinga Mbemba)
Agonglo
Ahidjo, Ahmadou
Ahmad al-Mansûr
Ahmad ben Ibrâhîm al-Ghâzî
Ahmad Shah Abdali
Ahmed Bey
Aiguillon, Marie-Madeleine d’
Ailleret, Charles
Aït Ahmed, Hocine
Akbar, Jalâluddin Muhammad
Akossou, Julien
Aleno de Saint-Aloüarn, Louis
Alexandra de Kent (Alexandra Helen Elizabeth Olga Christabel)
Alexandre le Grand
Alleg, Henri
Allemand-Lavigerie, Charles Martial
Allix, Eugénie
Alpha 5.20 (Ousmane Badara Diallo)
Alpha, Jenny
Amda Seyon
Amini, Mohamed
Amini, Mokhtar
Amrouche, Jean
Ana Afonso de Leão
Ang Chan
Ang Duong
Ang Mei
Ango, Jean
Anne d’Autriche
Anquetil-Duperron, Abraham Hyacinthe
Antelme, Robert
Antonetti, Raphaël Valentin Marius
Arafat, Yasser
Aragon, Louis
Archimède, Gerty
Argenlieu, Georges Thierry d’
Ataide, Luis Peregrino de
al-Atrache, Sultan Pacha
Attahiru, Muhammadu
Attiret, Jean-Denis
Au, Chhieng
Auclert, Hubertine
Audin, Maurice
Audouard, Olympe
Aussaresses, Paul
Bâ, Addi
Bâ, Amadou Hampaté
Ba, Maw
Babur (Zahir ud-din Muhammad)
Bach Thai Buoi
Bagu, Sergio
Bakary, Djibo
Baker, Joséphine (Freda Josephine McDonald)
Baldwin, James
Balewa, Alhaji Tafawa
Balladur, Édouard
Balzac, Honoré de
Bao Dai (Nguyên Phuc Vinh Thuy)
Barbosa, Duarte
Baroncelli, Jacques de
Baroin, François
Bastide, Roger
Bastien-Thiry, Jean
Batur Hongtaiji
Bazin, Jean (auteur)
Bazin, Jean (anthropologue)
Beauharnois, Charles de la Boische de
Beaumanoir, Anne
Beaumarchais, Pierre-Augustin Caron de
Beauvoir, Simone de
Bedia, Ramzi
Bégon, Michel
Béhanzin
Beigbeder, Jean
Belain d’Esnambuc, Pierre
Belley, Jean-Baptiste
Belloc, Hilaire
Ben Abdallah, Sidi Mohamed
Benanteur, Abdallah
Ben Bachir, Chikki Mohamed
Ben Bella, Ahmed
Bencheneb, Saad-Eddine
Benoist, Michel
Ben Salah, Athmann
Ben Zelmat, Messaoud
Bergson, Henri
Berlin, Ira
Bernier, François
Bernigaud-Talbo, Jean-Philippe
Bertillon, Alphonse
Beton, Jean-Claude
Beton, Léon
Bienville, Jean-Baptiste Le Moyne de
Billaud-Varenne, Jacques-Nicolas
Billie Brelok
Billouart de Kerlerec, Louis
Binger, Louis-Gustave
Bino, Jacques
Birara, Aminadabu
Bismarck, Otto von
Bissipat, George
Bissol, Léopold
Black M (Alpha Diallo)
Bloncourt, Max
Blondin, Jean
Blum, Léon
Blyden, Edward Wilmot
Boganda, Barthélémy
Bokassa, Jean-Bedel
Bolloré, Vincent
Bolotte, Pierre
Bongo, Omar
Bonnard Duparquet, Marie
Bontemps, Jean
Booba (Élie Yaffa)
Bose, Subhas Chandra
Botero, Giovanni
Botinelly, Louis
Boudiaf, Mohamed
Bougainville, Louis-Antoine de
Bouhired, Djamila
Boukman, Dutty
Boulaga, Fabien Eboussi
Boulifa, Amar
Boum, Hemley
Bou Maza (Mohammed ben Ouadah)
Boumediène, Houari (Mohamed Boukherouba)
Boumendjel, Ahmed
Boupacha, Djamila
Bourdet, Claude
Bourguiba, Habib
Bourmont, Louis Auguste Victor de Ghaisne de
Boutros, Alexis
Boyer, Jean-Pierre
Boyer, Pierre François Xavier
Braddock, Edward
Brandt, Willy
Breton, André
Brocchi da Imola, Giambattista
Bruckner, Pascal
Bruno, G. (Augustine Fouillée, née Tuillerie)
Bugeaud, Thomas Robert
Buisson, Patrick
Burke, Edmund
Cabral, Amilcar
Caillois, Roger
Caix, Robert de
Calas, Nicolas
Calijero, Francisco Javier
Callwell, Charles
Calvin, Jean
Camus, Albert
Canrobert, François Marcellin Certain de
Capécia, Mayotte
Carignano, Giovanni da
Cartier, Jacques
Cartier, Raymond
Casey (Cathy Palenne)
Cassin, René
Castiglione, Giuseppe
Castro, Fidel
Catineau-Laroche, Pierre-Marie-Sébastien
Catroux, Georges
Cavaignac, Eugène
Cavelier de La Salle, René-Robert
Cayla, Léon
Caylus, Charles de
Çelebi, Evliya
Céline, Louis-Ferdinand (Louis-Ferdinand Destouches)
Césaire, Aimé
Césaire, Suzanne
Cesbron, Gilbert
Chailley-Bert, Joseph
Challe, Maurice
Champlain, Samuel de
Chanoine, Julien
Char, René
Charby, Jacques
Charles Quint (Charles de Habsbourg)
Charles VIII
Charles X (Charles-Philippe de France)
Charles-Roux, Jules
Charpentier, François
Chartier de Lotbinière, Michel
Chassériau, Théodore
Chateaubriand, François-René
Chaudenson, Robert
Chavannes, Jean-Baptiste
Chebbi, Abou el Kacem
Chesneaux, Jean
Cherrière, Paul
Chevalier, Michel
Chhean, Vam
Chirac, Jacques
Chivas-Baron, Clotilde
Chocolat (Rafaël Padilla)
Choiseul, Étienne François de
Christie, Agatha
Churchill, Winston
Cissako, Abderahmane
Cissé, Jeanne-Martin
Cissé, Souleymane
Cissé, Youssouf Tata
Cleaver, Leroy Eldridge
Clemenceau, Georges
Clive, Robert
Cocteau, Jean
Cœur, Jacques
Cœurdoux, Gaston-Laurent
Colbert, Jean-Baptiste
Coligny, Gaspard de
Colomb, Christophe
Colston, Edward
Compaoré, Blaise
Comte, Auguste
Condé, Maryse
Condorcet, Nicolas de
Confucius
Constant, Benjamin
Constantin Ier
Cook, James
Coppet, Jules Marcel de
Corneau, Grâce (Mme Joleaud-Barral)
Costa, Manuel Luiz da
Costantini, André
Cot, Jean-Pierre
Coubertin, Pierre de
Courbet, Amédée-Anatole-Prosper
Cousturier, Lucie
Crevel, René
Crozat, Antoine
Curiel, Henri
Cuvier, Georges
Dacko, David
Dalloz, Armand
Dam, Phuong
Damas, Léon-Gontran
Dambury, Gerty
Darlan, François
Das, Taraknath
Daudet, Alphonse
Daumont de Saint-Lusson, Simon François
Davezies, Robert
Davis, David Brion
Dawit
Debbouze, Jamel
Debray, Régis
Debré, Michel
Déby, Idriss
Decaen, Charles-Mathieu-Isidore
Decoux, Jean
Deferre, Gaston
Delafosse, Maurice
Delauney, Maurice
Delavignette, Robert
Deleuze, Gilles
Delgrès, Louis
Domengeaux, James
Demy, Jacques
Denard, Bob
Deng, Xiaoping
Denonville, Jacques-René de Brisay de
Déroulède, Paul
Derrida, Jacques
Deschamps, Gaston
Deschamps, Hubert
Desnos, Robert
Dessalines, Jean-Jacques
Devi, Ananda
Dia, Mamadou
Diab, Mohamed
Diagne, Blaise
Diallo, Diaty
Dias, Bartolomeu
Dib, Mohammed
Diderot, Denis
Diefenbacher, Michel
Dien, Raymonde
Diendéré, Gilbert
Dike, Kenneth Onwuka
Diop, Alioune
Diop, Cheikh Anta
Diop, David
Diop, Mademba
Diop, Majhemout
Diop, Sira
Diori, Hamani
Diouf, Abdou
Djebar, Assia
Djender, Mahieddine
el-Djilali, Abderrahmane
Dom João (Jean VI de Portugal)
Domenach, Jean-Marie
Dore-Audibert, Andrée
Doudart de Lagrée, Ernest
Douglass, Frederick
Doumergue, Gaston
Douste-Blazy, Philippe
Drevet, Camille
Dreyfus, Alfred
Drumont, Édouard
Du Bois, William Edward Burghardt
Du Tertre, Jean-Baptiste
Dubois, Félix
Duchêne, Gabrielle
Duchet, Michèle
Dufay, Louis-Pierre
Duke, Antera
Dulcert, Angelino
Dunham, Katherine
Dupleix, Joseph François
Duplessis, Jean
Dupont, Pierre-Samuel
Dupuch, Antoine-Adolphe
Durand, Alfred
Durand, Marguerite
Duras, Claire de
Duras, Marguerite
Durkheim, Émile
Dy Phon, Pauline
Éboué, Félix
Ékoué (Ékoué Labitey)
Ela, Jean-Marc
El Cano, Juan Sebastian
Elgey, Georgette
Élisabeth II
Élisabeth de Bourbon
Ellington, Duke
Éluard, Paul
Entrecasteaux, Antoine Reymond Joseph de Bruni d’
Entrecolles, François-Xavier d’
Equiano, Olaudah (Gustavus Wasa)
Erdogan, Recep Tayyip
Eskender
Eugène IV
Eyadéma, Gnassingbé (Étienne Eyadéma Gnassingbé)
Ezanno, Yves
Fabe
Fabri de Peiresc, Nicolas-Claude
Fabulé, Francis
Faidherbe, Louis Léon César
Fanon, Frantz
Fary (Fary Lopes)
Faye, Safi
Félix, Louis
Feraoun, Mouloud
Ferlov, Sonia
Ferry, Jules
Feydeau, Ernest
Feyder, Jacques
Firk, Michèle
Flamma, Galvaneus de la
Fleuriau, Aimé-Benjamin
Fleury, Marianne
Floyd, George
Foccart, Jacques
Fochivé, Jean
Fontaine, William
Forêts, Louis-René des
Foucault, Michel
Fourier, Charles
Franck, Pierre
François Ier
Frédéric II Barberousse
Fresneau, François
Frobenius, Leo
Habré, Hissène
el-Haddad (Muhand Amezyan Aheddad)
Hadj Ali, Abdelkader
el-Hafnaoui, Mohammed
Hailé Sélassié Ier
Haley, Alex
Halimi, Gisèle
Hall, Stuart
Hamé (Mohamed Bourokba)
Hamon, Hervé
Hardy, Georges
el-Harrachi, Dahmane (Abderrahmane Amrani)
al-Hasan ben al-Qasim
Hassan II
Hastings, Warren
Haussonville, Paul-Gabriel d’
al-Haymi, Hasan ben Ahmad
Hazard, Paul
Hédouville, Gabriel de
Helvétius, Claude-Adrien
Henri Ier (Henri Christophe)
Henri II
Henri IV
Henrique, Dom
Hergé (Georges Remi)
Herriot, Édouard
Hikmet, Nâzim
Hilliard d’Auberteuil, Michel René
Hiro, Henri
Hitler, Adolf
Hô Chi Minh (Nguyên Sinh Cung, aussi Nguyên Ai Quôc)
Holcomb, Bobby
Holiday, Billie
Hollande, François
Homberg, Octave
Hondo, Med
Hongwu
Houdas, Octave Victor
Houénou, Kojo Tovalou
Houphouët-Boigny, Félix
Hu, Jintao
Huangdi
Hughes, Langston
Hugues, Victor
Husaynides (dynastie)
Hussein Dey (Hussein ibn Hussein)
Husserl, Edmund
Huvelin, Paul
Ibn al-Mukhtar
Ibn Badis, Abdelhamid
Ibn Battuta
Ibn Khaldun
Ibn Muhammad, Salih
Idia
Ieng, Sary
Ighilahriz, Louisette
Ignace, Joseph
Ilboudo, Yamba Elysée
Ingersoll, Thomas
Isha (Isha Judd)
Issiakhem, M’Hamed
Ka‘ti (famille)
Ka‘ti, Mahmud
Kaddache, Mahfoud
Kadhafi, Mouammar
Kafando, Hyacinthe
Kangxi
Kanté, Souleymane
Karinou (Barka Ngainoumbey)
Karpelès, Suzanne
Kateb Yacine (Yacine Kateb)
al-Kattani, Muhammad ben Abd al-Kabir
Kau’ulufonua
Kayishema, Clément
Keïta Aoua
Keita, Sundjata
Kemal Atatürk (Mustafa Kemal)
Keng, Vannsak
Kenyatta, Jomo
Kérékou, Mathieu
Kery James (Alix Mathurin)
Keynes, John Maynard
Khadda, Mohammed
Khai Dinh
Khaled (Khaled el-Hassani Ben el-Hachemi Ibn Hadj Abd el-Kader)
Khayr al-Din (Barberousse)
al-Khwarizmi, Muhammad ibn Musa
Kimpa Vita, Beatriz
Kimpanzu (famille)
Kinlaza (famille)
Klein, William
Kouchner, Bernard
Kourouma, Ahmadou
Kouyaté, Siriman
Kouyaté, Tiemoko Garan
Kracauer, Siegfried
Krivine, Alain
Kubilaï Khan
Kusch, Rodolfo
Ma, Huan
Maarouf (Ahn Ma)
Macaulay, Thomas Babington
Macaya
Mackenzie, Colin
Macron, Emmanuel
el-Madani, Ahmed Tewfik
Madelin, Louis
Mafuta, Apollonia
Magalhães Godinho, Vitorino
Magellan, Fernand de
Mahathir, Mohamad
Mahé, Firmin
Mahomet (Muhammad)
Maire, Joseph
Makandal, François
Makharam, Ababacar Samb
Malek, Redha
Malleret, Louis
Malouet, Pierre-Victor
Malraux, André
Mamalli de Cannanore
Mancoba, Ernest
Mandela, Nelson
Mandouze, André
Mangin, Charles
Mannoni, Octave
Mansa Moussa
Mansur
Manuel Ier Comnène
Mao, Zedong
Maran, René
Marcellin, Raymond
Marie de l’Incarnation (Marie Guyart)
Martin, François
Marx, Karl
Mascolo, Dionys
Maspero, François
Matisse, Henri
Matsuoka, Yôsuke
Matswa, André-Grenard
Maugée, Aristide
Maunoir, Julien
Mauny, Raymond
Mauro, Fra
Maurras, Charles
Mauss, Marcel
Maximilien Ier
Mazarin, Jules
M’Ba, Léon
Mbaye d’Erneville, Annette
Mbeki, Thabo
Mbend, Alexandre
Mbougar Sarr, Mohamed
M’Bow, Amadou-Mahtar
McKay, Claude
Médicis, Catherine de
Médicis, Marie de
Médine (Médine Zaouiche)
Mehmet Ali
Meignan, Victor
Mellier, Gérard
Memmi, Albert
Ménil, René
Mentelle, François Simon de
Mercier, Gustave
Mercier, Louis-Sébastien
Merdaci, Abdelmadjid
Mérignhac, Alexandre
Merleau-Ponty, Maurice
Messali Hadj (Ahmed Messali)
Messmer, Pierre
Métraux, Alfred
Meyer, Odette
Mezquita, Agustín Trigo
Michel, Adolphe
Michel, Andrée
Mika’el
el-Mili, Mohammed Moubarak
Mill, James
Millet, Fernand
Millet, Michel
Mills, Jean-Baptiste
Minh M?ng (Nguyên Phuc Dam)
Mirabeau (Honoré Gabriel Riqueti de Mirabeau)
Mitterrand, François
Mitterrand, Jean-Christophe
Mobutu Sese Seko (né Joseph-Désiré Mobutu)
el-Mogdad, Bou (El Hadj Bou El Mogdad Seck)
Mohammed V (Sidi Mohammed ben Youssef)
Mokhtar, Gamal
Mokhtefi, Elaine
Mokhtefi, Mokhtar
el-Mokrani, Mohammed el-Hadj
Molinari, Gustave de
Monénembo, Tierno
Mongkut (Rama IV)
Monnerville, Gaston
Monnet, Jean
Montagne, Robert
Montalat, Jean
Montalembert, Charles de
Montaudouin (famille)
Montchrestien, Antoine de
Monteil, Charles
Montesquieu, Charles de Secondat, baron de La Brède et de
Montgaillard, Jean-Gabriel-Maurice Rocques
Montigny, Jean-Charles-Philibert Trudaine de
Montpensier (duc de)
Moran, Denise (Marthe Savineau, née Jenty)
Moreau de Saint-Méry, Médéric Louis Élie
Morel, Edmund Dene (Georges Edmond Pierre Achille Morel Deville)
Morsette, Alfred Junior
Mortenol, Camille
Moskowa, Léon de la (Napoléon Joseph Ney)
Mosneron, Joseph
Mosneron-Dupin (famille)
Moumié, Félix
Mounier, Emmanuel
Moutet, Marius
Mpanza Nzinga
Mqhayi, Samuel Edward Krune
al-Mu’ayyad al-Saghir
Mudali, Tanappa
Mudaliyar, Kanakaraya
Mugabe, Robert
Muhammad Ahmad
Mulâtresse Solitude
Murad, Abd al-Karim
Mussolini, Benito
Naaba Koom II
Nadir Shah
Nadir, Churumá
Nairac (famille)
Naisseline, Nidoïsh
Nambiar, Arathil Candeth Narayanan
Napoléon Ier (Napoléon Bonaparte)
Napoléon III (Louis-Napoléon Bonaparte)
Nardal, Andrée
Nardal, Jeanne (Jane)
Nardal, Paulette
al-Nashshar, Mustafa
al-Nasir
al-Nâsirî, Ahmad ibn Khalid
Nasser, Gamal Abdel
Ndiaye, Alfa
Ndiaye, Iba
Nehru, Jawaharlal
Nelson, William M.
Nestor, Jacques
Ngo Kam, Ruth
Nguesso, Sassou
Ngûgî, wa Thiong’o
Nguyên, Anh, voir Gia Long
Nguyên, Phan Long
Nguyên, Thuong Hiên
Nguyên, Van Nhon
Nguyên, Xuan Mai
Niane, Djibril Tamsir
Nicolas V
Nizan, Paul
Njawé, Pius
Njinga
Njoya, Ibrahim Mouombouo
Nkrumah, Kwame
Norodom Ier (Ang Voddey)
Norodom Sihanouk
Norvins, Jacques Marquet de Montbreton de
N’Soumer, Fadhma
Nubar Pacha
Nuh bin al-Tahir
Nyerere, Julius
Nzinga Mbemba, voir Afonso Ier
Obasanjo, Olusegun
Oddéra, Honoré
Oexmelin, Alexandre-Olivier
Ogé (famille)
Ogé, Vincent
Ogée, Jean-Baptiste
Ogot, Bethwell Allan
O’Hara
Okakura, Tenshin (ou Kakuzo)
Omankoy, Sharone
Orléans, Henri Philippe Marie d’
Orléans, Philippe d’
Ouattara, Alassane
Ouedraogo, Jean-Baptiste
Ould Daddah, Mouktar
Oundjié, Josué
Ouologuem, Yambo
Ozanne, Nicolas
Pacha, Ibrâhim
Padmore, George
Palcy, Euzhan
Pancaldo, Leone
Paoli, Jacques
Papon, Maurice
Park, Mungo
Parkman, Francis
Parmentier (frères)
Parmentier, Raoul
Pasha, Özdemir
Pasquier, Étienne-Denis
Passy, Frédéric
Paulhan, Jean
Paulin, Joachim
Paulmier de Gonneville, Binot
Péan, Pierre
Péchoux, Laurent
Pedro IV
Pégard, Marie Joséphine
Peignot, Gabriel
Péju, Marcel
Pélissier, Aimable
Pelletan, Camille
Pelletier, Gérard
Peltier, Leonard
Penne, Guy
Pennequin, Théophile Daniel Noël
Perier, Étienne de
Pétain, Philippe
Pétion, Alexandre
Peyrouton, Marcel
Pflimlin, Pierre
Pham, Tuyên
Phan Bôi Châu
Phetsarath, Rattanavongsa
Philibert, Adélaïde
Philippe IV
Philippe, Édouard
Picasso, Pablo
Pienkny, Jeanette
Pierre-Elien, Daniel
Pigeon, Ginette
Pillai, Ananda Ranga
Pillai, Nayiniyappa
Pinault, François
Pinzón, Francisco
Pinzón, Martin
Pinzón, Vicente
Pires, Tomé
Pitois, Christian
Pitt, William
Pivert, Marceau
Platon, Charles
Pléven, René
Pline l’Ancien
Poha, Jean-Marc
Poiret, Jean-Louis Marie
Poitier, Sidney
Pol Pot (Saloth Sar)
Polo, Marco
Polverel, Étienne
Pomaré IV
Pompidou, Georges
Poncet, Joseph
Pontecorvo, Gillo
Ponton, Georges-Louis
Porchez, Jean-Jacques
Portal d’Albarèdes, Pierre-Barthélemy
Potken, Johannes
Poul, Coumba
Poulier, Jacky
Pradt, Dominique Frédéric Dufour de
Price-Mars, Jean
Primo de Rivera, Miguel
Prince, Mary
Proyart, Liévin-Bonaventure
Qianlong
Quijano, Anibal
Rabemananjara, Jacques
Racine, Jean
Radaoroson, Michel
Raffet, Auguste
Raimond, Julien
Rainilaiarivony
Rajaonarison, Helihanta
al-Rajbi Ali ben Husain
Rakotondrabe, Samuel
Rakotovao
Rama Ier
Rama III
Ramadier, Paul
Ranaivo, Jules
Ranavalona III
Raseta, Joseph
Rasilly, François de
Ravelonahina, Edmond
Ravoahangy, Joseph
Rawlings, Jerry
Raynal, Guillaume-Thomas
Razafindrabe, Victorien
Razane, Mohamed
Reagan, Ronald
Regnaud de Beaumont, Marie-Magdelaine
Reynaud, Paul
Reza Chah Pahlavi
Richelieu, Armand Jean du Plessis de
Richelieu, Louis François Armand de Vignerot du Plessis
Ricœur, Paul
Rigaud, André
Riolan, Jean
Robert, Georges
Robeson, Eslanda
Robeson, Paul
Rocard, Michel
Rocé (José Youcef Lamine Kaminsky)
Rodinson, Maxime
Roe, Thomas
Roger, Jacques-François
Romaine-la-Prophètesse
Rombulo, Pietro
Rommel, Erwin
Roosevelt, Franklin Delano
Rotman, Patrick
Rouan, Joseph
Roudaire, Élie
Roume de Saint-Laurent, Marie
Rousseau, Jean-Jacques
Roy, Bernard
Roy, Claude
Roy, Jean
Rozet, Albin
Rucellai (famille)
Saavedra, Diego
Sacré-Cœur, Marie-Andrée du
Sahib, Chanda
Sahli, Mohammed-Chérif
Saïd, Edward
Saint-Arnaud, Armand Jacques Achille Leroy de
Saint-Castin, Bernard-Anselme de
Sainte-Gême, Henri de
Saint-Lambert, Jean-François de
Saint-Simon, Claude-Henri de Rouvroy de
Sajoue, Léo
Salan, Raoul
el-Salhi, Miloud
Sanderval, Olivier de
Sankara, Thomas
Sarkozy, Nicolas
Sarr, Mamadou
Sarrail, Maurice
Sarraut, Albert
Sartine, Antoine de
Sartre, Jean-Paul
Saurat, Denis
Sauvy, Alfred
Savary, Jacques
Saveros, Pou
Savorgnan de Brazza, Pierre
Say, Jean-Baptiste
Schirach, Baldur von
Schmaltz, Julien
Schmitt, Carl
Schœlcher, Victor
Schumpeter, Joseph
Schwarz-Bart, André
Sebbar, Leïla
Sembène, Ousmane
Seme, Pixley ka Isaka
Sénès, Eugène
Senghor, Biram
Senghor, Lamine
Senghor, Léopold Sédar
Shihaym ben Kamil al-Dankali
Si Votha
Sima, Qian
Simonin, Albert
Siné (Maurice Sinet)
Sisowath, Youtévong
Sixte IV
Smith, Ian
Socé, Ousmane
Sofiane (Sofiane Zermani)
Soglo, Christophe
Soilihi, Thani Mohamed
Sombart, Werner
Sonolet, Louis
Sonthonax, Léger-Félicité
Sony Labou Tansi (Marcel Ntsoni)
Soul G
Soulier Rouge
Soustelle, Jacques
Sportisse, Alice
Stéfany, Samuel
Sue, Eugène
Sukarno, Ahmed
Sulayman Raîs
Süleyman Ier (Soliman le Magnifique)
Sun, Yat-sen
Suong, Sikoeun
Surduts, Maya
Susenyos
Sy, Omar
Sylvain Roux, Jean-Baptiste
Uluakimata
al-‘Umari, Shihab al-Din
Um Nyobé, Ruben
Unik, Pierre
Vaillant, Édouard
Valude, Pierre
Van der Straet, Jan
Van Leur, Jacobus
Van Vollenhoven, Joost
Vassal, Gabrielle
Vattel, Emer de
Vaudreuil, Philippe de Rigaud de
Vaudreuil, Pierre de Rigaud de
Vautier, René
Veloso Salgado, José Maria
Vercors (Jean Bruller)
Vergès, Jacques
Vergès, Raymond
Vermeersch, Jeannette
Verrazzano, Giovanni da
Vespucci, Amerigo
Vialar, Émilie
Vialle, Jane
Vidal-Naquet, Pierre
Vieyra, Paulin Soumanou
Villatte, Jean-Louis
Villegagnon, Nicolas Durand de
Villepin, Dominique de
Villon du Croisic, Étienne
Viollet, Paul
Viollette, Maurice
Viollis, Andrée
Vitoria, Francisco
Vittori, Mariano
Voltaire (François-Marie Arouet)
Vo, Nguyên Giap, 71,72
Voulet, Paul Gustave Lucien
Vu, Trong Phung
Waberi, Abdourahman
Wade, Abdoulaye
Wassaf (Abdallah ibn Fadlallah Sharaf al-Din Shirazi)
Weil, Simone
Weygand, Maxime
Wilde, Oscar
Wilson, Thomas Woodrow
Xu, Jiyu
Yaacob, Ibrahim
Yem Mback, Pierre
Yeshâq
Yohannes de Chypre
Yohannes de Qantorarê
Yongle
Yongzheng
Youlou, Fulbert
Young, Arthur
Youssoupha (Youssoupha Mabiki)
Yukanthor, Aréno
Zara Yacob
Zara, Philippe de
Zheng, He
Zhou, Enlai
Zin al-Din, Nazira
Zniber, Ali
Zobel, Joseph
Zumbi
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