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Auteur et cartographe
Hervé Le Bras.
Démographe et historien, directeur de recherches émérite à l’INED, Hervé Le Bras est aussi directeur
d’étude à l’EHESS. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont : L’invention de la France (avec
Emmanuel Todd), Hachette, 1981 ; Les Trois France, Odile Jacob-Le Seuil, 1985 (rééd. Opus, 1995)
; Les limites de la planète : mythes de la nature et de la population, Flammarion, 1994 ; Les 4
mystères de la population française, Odile Jacob, 2007 ;
The Nature of Population,
Princeton University Press, 2008 ;
Le Retour de la race – Contre les « statistiques ethniques »
(collectif), Éditions de l’Aube, 2009 ; L’invention de la France (avec Emmanuel Todd), Éditions
Gallimard, 2012 ; Le mystère français (avec Emmanuel Todd), Le Seuil, coll. « La République des
idées », 2013.
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UN QUADRILLAGE RÉGULIER
La carte actuelle des densités présente un autre caractère remarquable. Dans
la plupart des régions, les grandes agglomérations repérables par une tâche
brun foncé sont régulièrement espacées. Elles quadrillent le territoire
partout, sauf dans les zones les plus montagneuses. Elles semblent même
suivre une organisation à plusieurs niveaux avec un quadrillage large de
métropoles, puis plus fin de villes moyennes et, enfin, réticulaire de petites
villes. Le géographe allemand Christaller avait constaté le même phénomène
en Allemagne du sud, ce qui lui avait inspiré une théorie des « places
centrales » et de la hiérarchie urbaine. Les villes diffèrent par leurs
fonctions. Celles qui ont les fonctions les plus élevées (universités
anciennes, sièges de grandes sociétés, d’administrations régionales) se
partagent le territoire. Entre elles se disposent des villes aux fonctions moins
importantes (hôpitaux, préfectures), puis les petites villes s’intercalent. Une
telle répartition minimise la distance permettant à tous les habitants
d’accéder aux fonctions urbaines de différents niveaux. L’instauration des
départements et de leurs préfectures en 1791 a accentué la régularité du
quadrillage urbain de la France. Au lieu que l’administration se modèle sur
la population, en fin de compte la population s’est répartie selon le dessein
de l’administration, ce qui rend actuellement très difficile une réforme des
découpages administratifs, en particulier la suppression maintes fois
annoncée des départements.
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Croissance démographique : un mouvement assez
récent
De 1836 au début de la Seconde Guerre mondiale, la population a
diminué sur une portion du territoire de plus en plus large. Dans
l’après-guerre, grâce au baby-boom, à la baisse de mortalité et à
l’immigration, un relèvement se produit sauf dans la « diagonale du
vide » allant des Ardennes aux Pyrénées. Nouveau retournement au
début des années 2000 : désormais, la croissance gagne les
communes rurales les plus éloignées.
1836-1946 : L’EXODE RURAL
Avant 1861, la population rurale dela France s’accroît presque partout.Seules
échappent au mouvement général les zones touchées par la baisse précoce de
la natalité – Normandie, Bourgogne et vallée moyenne de la Garonne –, ainsi
que les régions les plus montagneuses. Puis, décennie après décennie, la
décroissance s’étend. Entre 1861 et 1886, la croissance rurale se cantonne à
une bande centrale, de la Vendée à la Saône-et-Loire avec des extensions
vers le Limousin et la Bretagne. Le dynamisme de quelques villes où
l’industrie se développe – Lille, Troyes, Marseille, Lyon, Reims, Nancy – ne
masque pas l’atonie dont sont frappés la plupart des autres centres. À partir
de 1890, la population française cesse de croître. On compte 40 millions de
personnes en 1891 et 40 millions, aussi, en 1946. Dès lors, la décroissance
de la population rurale se généralise. Seules subsistent des bandes de
croissance sur le rivage méditerranéen où l’assainissement des zones
touchées par la malaria ouvre à l’agriculture de nouveaux territoires, et dans
les régions minières du nord et de l’est. Impressionné par cette longue
stagnation, le géographe Jean-François Gravier forge en 1947 une expression
appelée à un grand succès : « Paris et le désert français », voulant dire par là
que la faible natalité empêche les communes rurales de combler la ponction
de l’émigration vers les grandes villes. La guerre et la proximité de Gravier
avec le régime pétainiste lui ont peut-être laissé espérer un retournement. En
effet, entre 1936 et 1946, donc couvrant l’occupation, la tendance s’inverse.
L’agglomération parisienne, toutes les villes du nord-est, Lyon et Marseille
perdent une partie de leur population. Les provinciaux qui avaient émigré à
Paris retournent à leurs lieux d’origine. Les gains de population se situent
dans l’ouest et le sud-ouest, d’où ils étaient partis.
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2000 : LE RETOURNEMENT
Au tournant du millénaire, de manière aussi inattendue que le redémarrage
de la croissance démographique en 1946, le peuplement change à nouveau
de direction. Désormais, à l’étalement urbain s’ajoute une nette croissance
des communes rurales éloignées de tout centre. En conséquence, la
diagonale du vide se réduit à quelques lambeaux dans le Cantal, la
Bourgogne et la Champagne. Partout ailleurs la population augmente. La
croissance la plus forte a lieu dans les communes de 500 à 2 500 habitants.
Pour autant, les villes ne se dépeuplent pas comme cela s’est produit aux
États-Unis et en Angleterre, mais se stabilisent pour la plupart. Les causes de
ce changement inattendu restent mal connues, mais semblent devoir se
maintenir. Des jeunes, les néoruraux, retournent à la culture biologique et à
l’artisanat, des retraités abandonnent la ville, des étrangers fortunés achètent
des propriétés, des cadres investissent leur résidence secondaire grâce aux
possibilités de travail à distance offertes par Internet. Quand un pays atteint
un haut niveau de revenu, l’espace prend une valeur importante. En disposer
est en quelque sorte l’ultime richesse après la nourriture, les vêtements, le
logement, la voiture, l’électronique, etc. Quand, aussi, les infrastructures de
communication, des routes aux réseaux à haut débit, ont atteint une grande
qualité, quand les centres commerciaux quadrillent le pays, résider loin
d’une ville n’empêche pas de jouir de ses aménités. Les nouveaux ruraux
sont donc des urbains.
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Fécondité : de grands contrastes
Pays le moins fécond d’Europe de 1750 à la Seconde Guerre
mondiale, la France a connu une spectaculaire inversion de tendance
avec le baby-boom en 1946. Elle a aujourd’hui le plus fort indice de
fécondité de l’Union européenne avec 2 enfants par femme contre
1,5 pour le reste de l’Union.
Mesurer la fécondité à un niveau géographique fin met en évidence de
grosses différences. Au cœur des métropoles, l’indice de fécondité descend
au-dessous de 1,5 enfant par femme en raison de la composition de la
population féminine. Les femmes seules et les mères de famille
monoparentales sont en proportions plus importantes dans les grandes
agglomérations. La fécondité des agglomérations plus modestes est
beaucoup plus variée. Certaines, comme Le Havre, Calais, Mulhouse ou
Châteauroux, ont une fécondité élevée, supérieure à 2,1 enfants, tandis que
les autres s’alignent sur la faible fécondité des métropoles. C’est le cas pour
Aix, Limoges, Pau, etc. La différence est due à la présence d’une population
ouvrière ou de tradition ouvrière, comme on le voit nettement dans tout le
sillon houiller. Pour cette même raison, la fécondité est élevée dans les
banlieues populaires des grandes métropoles. La présence des étrangers
explique aussi une partie de la forte fécondité de ces communes car leurs
femmes engendrent en moyenne 3 enfants.
Si les facteurs économiques et sociologiques expliquent le niveau de
fécondité des villes, les différences entre zones rurales ont une origine plus
ancienne et plus profonde. Deux facteurs anthropologiques ont influencé
l’attitude vis-à-vis de la famille, l’appartenance à un environnement de
tradition catholique et le type de structure familiale. Comme on le verra plus
loin, les régions de tradition catholique (Grand Ouest, Est, Pyrénées
occidentales, sud-est du Massif Central, Savoie), qui ont boudé longtemps la
contraception, étaient plus fécondes jusque dans les années 1960.
Inversement, les régions de structure familiale complexe, où la cohabitation
des générations était fréquente et où l’héritage privilégiait l’un des enfants («
familles souches » d’un grand sud-ouest et d’Alsace-Lorraine), pratiquaient
une sorte de « grève des ventres », pour reprendre l’expression en vigueur
dans les années 1900. Pour transmettre leur exploitation agricole ou
artisanale tout en respectant les dispositions du code civil, elles évitaient
d’engendrer plusieurs enfants mâles. Au cours du xxe siècle, l’influence de
l’Église a faibli, mais non celle de la structure familiale. La fécondité des
régions catholiques qui suivaient le modèle de la famille souche – Alsace,
Lorraine de langue allemande, sud-est du massif central, pays basque – a
diminué plus rapidement qu’ailleurs, rejoignant les faibles niveaux de
l’Aquitaine et du Limousin. Au contraire, la fécondité des régions «
nucléaires », celles où la coexistence des générations est traditionnellement
rare, est restée élevée. C’est particulièrement net dans les bocages de l’ouest,
plus encore qu’en Bretagne où subsistent des traces de structure familiale
plus complexe. L’affaiblissement de l’emprise cléricale a ainsi fait
réapparaître une couche anthropologique plus profonde, celle de
l’organisation familiale, à la manière dont l’érosion fait affleurer des couches
géologiques anciennes. Mais aucun socle n’est durable et actuellement, à son
tour, cette couche anthropologique s’effrite.
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Maternités tardives et naissances hors mariage
L’évolution de l’âge des mères à la naissance de leurs enfants et de
la proportion de naissances hors mariage illustre le changement des
mœurs. Le mariage tardif, qui caractérisait les régions de tradition
catholique, est maintenant l’apanage des villes. De leur côté, les
naissances hors mariage, passées de 7 % jusqu’en 1975 à plus de 50
%, ne sont plus un stigmate social mais un indicateur de modernité.
MATERNITÉS TARDIVES : UN PHÉNOMÈNE ANCIEN
Traditionnellement l’Église catholique a séparé les sexes, dans ses rites, dans
son personnel clérical, dans ses écoles, dans les rôles qu’elle attribue aux
hommes et aux femmes. Elle est allée plus loin que les autres religions en
plaçant le célibat et la chasteté au-dessus de la vie en couple. Dans ces
conditions, nul étonnement si le mariage est resté longtemps moins fréquent
et plus tardif dans les pays catholiques. Durant des siècles, une ligne
imaginaire allant de Saint-Petersbourg à Doubrovnik – limite à l’ouest de
l’extension de la religion orthodoxe – a d’ailleurs séparé les pays de
mariages précoce et universel des pays de mariage tardif et de célibat assez
élevé. Se marier plus tard a pour conséquence un âge plus élevé des mères à
la naissance de leurs enfants. La répartition de l’âge moyen des mères à la
naissance de leurs enfants a donc épousé celle de la pratique religieuse en
France, comme on le constate jusque dans les années 1970. Puis,
brusquement, au moment de la première crise pétrolière, en 1974, le nombre
des mariages a diminué et l’âge au mariage s’est élevé. En conséquence
l’âge des mères à la naissance de leur premier enfant qui était de 23,5 ans a
augmenté. Une hausse qui a duré jusqu’au début des années 2000, si bien
que cet âge moyen atteint maintenant 29 ans. L’allongement des études et la
difficulté croissante des jeunes à trouver un emploi stable expliquent ce
changement important du cycle de vie. Simultanément, la pratique religieuse
déclinait. Le lien entre géographie du catholicisme et géographie de l’âge à
la maternité s’est alors rapidement défait. La répartition actuelle ne présente
plus aucune structure ce qui est normal car les différences régionales sont
devenues infimes.
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Europe : le paradoxe de la fécondité
On n’observe aucune convergence de la fécondité entre les pays
européens. La fourchette s’étend de 1,2 enfant en moyenne par
femme en Grèce à 2 enfants en France. Les pays où la famille
conserve une place importante sont les moins féconds. Ceci
s’explique par la possibilité pour les femmes d’accéder plus ou
moins facilement à l’emploi hors de la famille et par la relation
culturellement prescrite entre la mère et son jeune enfant.
FÉCONDITÉ ET ACTIVITÉ DES FEMMES
À première vue, la fécondité des pays de l’Union européenne est la plus
élevée au nord et au nord-ouest, la plus faible au sud et à l’est, l’Europe
centrale occupant une position intermédiaire. D’habitude, dans un pays
donné, les femmes actives ont en moyenne moins d’enfants et celles qui se
marient tôt plus d’enfants. Entre pays européens, ces relations ne sont pas
suivies et même quasiment inversées. Le taux d’activité des femmes est plus
élevé dans les pays les plus féconds, ce qui paraît paradoxal. En réalité, les
femmes souhaitent à la fois avoir un emploi et une famille. Quand elles
peinent à obtenir cet emploi, quand elles savent que le fait d’avoir
commencé à construire une famille leur barre la route à l’emploi, elles
évitent d’avoir un enfant. En revanche, quand elles peuvent concilier vie
familiale et vie professionnelle, elles ne conditionnent pas la venue d’un
enfant à l’obtention d’un emploi. Inversement, en Grèce ou en Italie,
lorsqu’une jeune femme a son premier enfant, son entourage familial ne
favorise pas la recherche d’un emploi. Il en résulte à la fois des projets de
conception remis à plus tard et un plus faible taux d’activité des femmes.
La faible fécondité en Allemagne, Autriche et Suisse a une explication un
peu différente. La norme sociale de ces pays postule que le bien-être de
l’enfant dépend de la qualité du rapport avec sa mère. Souvent celle-ci quitte
son travail durant les premières années de son enfant et hésite à avoir un
second enfant qui entrerait en concurrence avec le premier. Lorsqu’une mère
allemande reprend son emploi rapidement après l’accouchement, elle est
qualifiée de « Rabenmutter » (mère corbeau). Au contraire en France, en
Angleterre et dans les pays nordiques, l’accent est mis sur la socialisation
des jeunes enfants avec des compagnons de leur âge, ce qui légitime le
recours à des crèches et à des écoles maternelles.
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EN EUROPE DE L’EST…
Restent les pays d’Europe de l’Est, que leurs vicissitudes historiques ont
poussés sur une voie différente. Sous le régime communiste, l’obtention
d’un logement était conditionnée par le mariage et la naissance d’un enfant
et l’emploi était un droit universel. L’âge moyen à la naissance du premier
enfant était donc faible jusqu’à la chute du mur en 1989. À cette date, par
exemple en Allemagne, les femmes avaient leur premier enfant à 23 ans, à
l’Est et à 28 ans, à l’Ouest. Avec la réunification, les Allemandes des
nouveaux Länder ont progressivement adopté le comportement de celles de
l’Ouest. Aux premières années de la réunification, le retard des naissances a
été important puis de plus en plus faible à mesure que les comportements se
rapprochaient. Durant cette convergence, la fécondité de l’Allemagne de
l’Est a varié en raison inverse du retard pris chaque année. À l’extrême, si
les Allemandes de l’Est avaient toutes retardé d’un an leur première
grossesse pendant une année, neuf mois après, on n’aurait observé aucune
naissance durant une année entière. Ce qu’a connu l’Allemagne de l’Est est
vécu actuellement encore à un rythme plus mesuré par les anciens pays
communistes (y compris ceux du bloc russe de la CEI). Chez eux aussi, l’âge
des mères à la première maternité était de 23 ans. Il est en train d’augmenter
et de se rapprocher du standard de l’Europe de l’Ouest, soit 28 à 29 ans.
Pendant cette transition, les naissances sont moins nombreuses et l’indice de
fécondité plus faible.
Il faudra attendre la fin de la transition de l’âge moyen à la maternité pour
savoir à quel niveau la fécondité se stabilisera dans les pays de l’Est. Mais
pour les autres pays, au sud, au nord et à l’ouest, le paradoxe est saisissant :
plus la famille est une institution forte, plus la fécondité est faible. En
quelque sorte, la famille est devenue un obstacle à la fécondité ! Le niveau
de la fécondité hors mariage apporte une confirmation supplémentaire. Il est
élevé dans les pays les plus féconds, ceux où les normes familiales sont
moins rigides, et faible ailleurs, particulièrement dans les pays où la famille
occupe une place importante.
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Baisse de la mortalité des personnes âgées
Les écarts de mortalité demeurent importants en France. Différence
d’espérance de vie : 85 ans pour les femmes, 78,5 ans pour les
hommes. Différence selon la profession exercée : à l’âge de 35 ans,
un ouvrier peut espérer vivre en moyenne 39 ans et un cadre 46 ans.
Différence géographique : un homme vit en moyenne 75 ans dans le
Pas-de-Calais ou dans l’Aisne et 80 ans dans le Tarn ou en Savoie…
VIEILLIR EN BONNE SANTÉ
Actuellement, les différences de mortalité selon les lieux gardent une part de
mystère. Les plus évidentes sont relativement faciles à expliquer. Ainsi, les
hommes comme les femmes ont des taux de mortalité, donc des risques de
décéder, 20 % plus élevés que la moyenne sur deux larges bandes nord-est et
nord-ouest. Dans le premier cas, on peut incriminer la pollution engendrée
par les mines et les industries non-ferreuses. Mais, la prévalence de certains
cancers et des maladies cardio-vasculaires est aussi liée au régime
alimentaire. Dans l’autre bande, au nord-ouest, c’est l’alcool qui est le
premier responsable. Il a fait des ravages en Normandie et en Bretagne. Mais
il n’est peut-être qu’une cause seconde engendrée par la misère et l’absence
de perspectives dans des campagnes longtemps à l’écart. La forte mortalité
correspondant à la diagonale du vide, donc aux régions les moins denses et
les plus affectées par l’exode rural, est plus énigmatique. Il se peut qu’elles
aient subi une sélection négative, les plus robustes ayant émigré au cours des
trente glorieuses.
Dans la plupart des villes, la mortalité est plus faible que dans les campagnes
environnantes, mais la différence n’est pas aussi importante qu’entre les
régions. Elle s’explique par la forte présence des classes moyennes et
supérieures. Au contraire, dans les petites villes ouvrières, la mortalité est
plus élevée que la moyenne régionale. C’est le cas à Vierzon, à Montbéliard,
à Dieppe, à Lorient et même à Mulhouse, ville plus peuplée. Ceci dit, la
faible mortalité dans toute la Guyenne, dans l’Anjou et le Poitou, en
Dauphiné et en Savoie n’a pas reçu d’explication convaincante. Des facteurs
plus difficiles à saisir comme le régime alimentaire ou les pratiques de
prévention des risques de maladie sont vraisemblablement à l’œuvre. Ainsi
s’explique sans doute le fait que la mortalité des femmes se répartisse
exactement comme celle des hommes alors que les femmes ne sont pas
descendues dans les mines.
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Les employés, les artisans et petits commerçants : la
relégation
Formant la catégorie sociale la plus nombreuse, les employés
travaillent souvent dans l’administration et la santé. Leur répartition
correspond donc aux besoins de la population plus qu’à ceux de
l’économie alors que celle des artisans reflète une profonde
différence de coutumes entre le nord et le sud. Ceux qui travaillent
la matière, artisans et ouvriers, habitent maintenant la campagne,
plus que les agriculteurs.
LES EMPLOYÉS PLUS NOMBREUX DANS LES VILLES
MOYENNES
À première vue, la répartition des employés parle moins que celle des
cadres, des classes moyennes et des ouvriers. Bien qu’ils constituent la
catégorie sociale la plus nombreuse, ils apparaissent comme le résidu de
l’implantation des forces plus directement branchées sur l’économie. Bien
qu’ils soient assez également répartis, en comparaison des autres catégories,
ils sont moins nombreux en Lorraine, sur la frontière suisse, dans la région
lyonnaise, autour de Toulouse, de Paris, d’Aix-en-Provence et dans l’Ouest.
C’est la liste des régions soit les plus dynamiques, soit les plus industrielles.
En revanche, ils sont présents plus fréquemment dans des villes moyennes
ou assez petites, qui ont des attributions administratives : Nîmes, Gap,
Digne, Mende, Béziers, Carcassonne, Roanne, Bergerac, Angoulême,
Montluçon, Châteauroux, Cahors, Albi, Aubusson, Chaumont, etc. Alors que
le secteur tertiaire est considéré comme le stade ultime de l’évolution
économique depuis que Colin Clark a introduit le découpage en trois
secteurs, il semble au contraire caractériser un stade fossile de la société
quand toute activité innovatrice et manufacturière s’est évanouie. Cette
impression vient, en partie, de ce que le tertiaire comporte les
administrations et le secteur de la santé, dont la vocation n’est pas de
soutenir l’élan économique, mais plutôt de maintenir la société en état de
marche et de soigner les populations.
La répartition du pourcentage de la population active employée dans
l’administration publique et la santé correspond, en effet, bien avec celle du
tertiaire. On observe les plus forts pourcentages dans les villes qui viennent
d’être citées ainsi que dans trois régions : la frontière nord-est, le
Languedoc-Roussillon et un large croissant s’étendant de la Nièvre à la
Dordogne.
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LES TROIS PÔLES DU PARTI COMMUNISTE
On retrouvera bientôt ces trois zones dans maintes situations défavorables
allant du chômage, au manque de diplômes et de la grande pauvreté à la
fragmentation des familles. Historiquement, elles correspondent à ce que
l’historien et politologue René Rémond nommait les trois pôles du parti
communiste, car depuis le Front populaire, le PC y obtenait ses meilleurs
scores. Il faut remonter plus loin dans le passé pour saisir la particularité des
trois régions. À l’exception de l’extrême-nord, elles se sont rangées du côté
de la Révolution lors du vote, en 1791, de la constitution civile du clergé,
dont on parlera plus loin, car il inaugure une coupure fondamentale entre
deux France. À l’élection présidentielle de 1848, Cavaignac y a obtenu ses
meilleurs résultats face à Louis-Napoléon. Ensuite, sous la troisième
République, elles ont soutenu le régime contre l’opposition cléricale. Ce
sont, par excellence, les régions qui défendent les principes républicains
d’égalité et de laïcité. À ce titre, elles attendent beaucoup de l’État, sans
doute trop maintenant où l’on souhaite plutôt des initiatives et des
innovations. Ce raisonnement est schématique car toutes les régions
traditionnellement républicaines ne figurent pas dans cette description et
certaines régions de tradition catholique y figurent. La catégorie des artisans
et petits commerçants va nous plonger dans un passé plus lointain que celui
qui vient d’être évoqué.
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L’ISOLEMENT
La situation familiale a une importance plus grande encore que l’âge sur le
niveau de pauvreté : 5,2 % seulement des couples sont au-dessous du seuil
de pauvreté quand l’homme et la femme travaillent et qu’ils sont sans enfant
ou avec un enfant. Avec deux enfants, leur taux s’élève à 5,6 %, puis à 10,9
% pour ceux qui ont plus de deux enfants. Mais, si seul l’homme a un
emploi, la proportion de pauvres augmente beaucoup plus rapidement avec
le nombre des enfants : 11,7 % pour ceux qui n’ont pas d’enfants, 24 % pour
ceux qui en ont un ou deux et 39 % pour ceux qui en ont plus de deux. La
situation des mères de famille monoparentale, qui n’ont le plus souvent
qu’un ou deux enfants, est encore pire puisqu’elles sont 34,6 % à vivre au-
dessous du seuil de pauvreté. La présence d’un inactif ou d’un chômeur dans
le couple et la situation de mère monoparentale ont donc la plus grande
influence sur le niveau de pauvreté.
Il ne faut pas s’étonner que ce dernier soit le plus élevé dans les deux régions
qui cumulent les deux handicaps : un fort chômage et une proportion élevée
de familles monoparentales, les deux n’étant pas sans rapport, car la perte de
l’emploi rejaillit souvent sur la stabilité des couples en accroissant leurs
difficultés matérielles. On retrouve donc en tête des régions pauvres le nord
et le Languedoc-Roussillon. S’y ajoutent quelques départements de l’ouest
du Massif central où l’on a noté la présence importante de femmes pauvres
âgées ou seules, ainsi que la Corse et la Seine-Saint-Denis. À l’autre bout du
spectre de la pauvreté, se placent les départements où la famille est la plus
stable et le chômage le plus faible, soit l’Ouest et plus particulièrement la
Bretagne, la région lyonnaise et la région parisienne.
Plus inquiétant, ce sont dans les régions où elles sont les plus fréquentes que
les familles monoparentales sont les plus pauvres, comme si la
généralisation de leur situation les tirait un peu plus vers le bas, sans doute
aussi car les supports qu’elles peuvent attendre des autres familles ne sont
pas extensibles. Plus généralement, là où les pauvres sont plus nombreux, ils
sont aussi encore plus pauvres. C’est le cas dans la région méditerranéenne,
à la frontière nord-est, dans les départements du centre et dans ceux de
l’ouest du Massif central.
Le même constat peut être dressé à propos de la distribution de la pauvreté
chez les jeunes de 20 à 24 ans, à ceci près que l’arc nord-ouest entourant le
Massif central rejoint le niveau élevé de pauvreté des deux régions les plus
touchées au nord et au sud. La distribution devient alors très proche de celle
des scores du PC au moment de sa force électorale ou, ce qui est presque la
même chose, la plus opposée aux régions de tradition catholique, en mettant
à part le centre du bassin parisien. Les raisons de ce qui est plus qu’une
coïncidence ont été déjà abordées.
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Les diplômes et le chômage
La proportion de bacheliers par génération est passée de 18 % en
1968 à 76 % en 2012. Mais depuis 1995, le pourcentage de bacs
général et technique a légèrement régressé. Seuls les bacs
professionnels ont augmenté. En outre, les contrastes régionaux se
sont aggravés en matière d’échec scolaire. 5 % des jeunes n’ont pas
de diplômes en Bretagne, mais près de 20 % dans le Languedoc ou
la Picardie.
1968-2012 : 80 % D’UNE GÉNÉRATION BACHELIÈRE
Comme les Français acquièrent leur diplôme en début de carrière, la
répartition actuelle des diplômés au sein d’une génération donnée renseigne
sur son passé éducatif. Ainsi les diplômes des personnes âgées de 55 à 64
ans en 2010 donnent-ils une bonne image de leur niveau d’éducation à la fin
de leurs études, 40 ans plus tôt, donc autour de 1970. Les bacs étaient encore
relativement rares à cette époque : environ un jeune sur cinq y parvenait. Ils
étaient très inégalement distribués dans l’espace français. À quelques
exceptions près, au sud de la ligne La Rochelle-Genève, et en Bretagne
maritime, au moins un tiers des jeunes décrochaient le bac, tandis que moins
d’un sur cinq y parvenait au nord, au centre et à l’est du pays, mis à part
l’Île-de-France et quelques grandes villes. En gros, la France qui boudait
l’industrie courait après les diplômes, tandis que celle qui pratiquait l’usine
dédaignait le bac. Cela s’expliquait par le plein emploi.
Au nord et à l’est, les jeunes se voyaient immédiatement offrir un emploi,
donc un salaire et la possibilité d’accéder à la consommation, par exemple
pour acheter une moto ou une voiture. Inutile dans ces conditions
d’accumuler les diplômes. Au sud, puisque l’industrie était absente, le
diplôme conservait au contraire son rôle d’accès à un emploi, souvent dans
l’administration ou dans une profession libérale.
La montée en puissance du bac a bouleversé cette géographie. Le rythme n’a
pas été régulier. Entre 1970 et 1982, le pourcentage de jeunes qui obtiennent
le bac général ou technique monte lentement de 20 % à 26 %, puis accélère
pour atteindre 55 % en 1995, plus 8 % pour le nouveau bac technologique.
Depuis lors, la proportion des bacs général et technique a stagné. Les raisons
de cette évolution ne sont pas encore entièrement claires.
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Ségrégation à la française
La métropolisation, c’est-à-dire la domination grandissante des
grandes agglomérations sur un vaste territoire, s’est déroulée en
trois temps. Croissance de leur population alimentée par l’exode
rural d’abord, puis concentration des cadres supérieurs et des hauts
revenus. Désormais, un troisième stade est atteint, avec le
regroupement des cadres et des professions intermédiaires les plus
diplômés.
POURQUOI LA MÉTROPOLISATION S’AMPLIFIE ?
Ces deux pages et les deux suivantes constituent le cœur de l’atlas. Jusqu’ici,
la répartition spatiale des catégories sociales et celle du niveau d’éducation
ont été étudiées séparément. Tantôt une forte différence entre les métropoles
et les autres territoires est apparue, tantôt de grands contrastes entre de larges
régions ont été mis en évidence. L’articulation entre les deux catégories,
sociale et éducative, d’une part, et les deux formes, métropoles et régions,
d’autre part, n’est pas apparue. En cartographiant la répartition spatiale des
catégories sociales (cadres, professions intermédiaires, employés et ouvriers)
selon leur niveau d’éducation, on découvre une logique simple. Plus une
catégorie sociale est élevée et éduquée, plus ceux qui ont la formation la plus
poussée se concentrent dans les métropoles. Plus une catégorie sociale est
populaire, plus les plus éduqués de ses membres résident dans certaines
régions éloignées de la capitale sans qu’une préférence pour les métropoles
ne se manifeste. Ce qui n’était encore qu’une tendance il y a 30 ans, s’est
amplifiée depuis, aux deux extrémités de l’éventail social : en haut, la
concentration métropolitaine des plus diplômés, en bas, le repli provincial
des mieux formés.
Si la réalité du phénomène crève les yeux, ses raisons sont plus obscures.
L’accumulation des cadres les plus diplômés dans les plus grandes
métropoles correspond à la hiérarchie des fonctions commerciales,
industrielles, éducatives et administratives. En revanche, le repli provincial
des membres éduqués des catégories populaires est plus difficile à
comprendre. La liste des régions dans lesquelles le niveau d’éducation et de
formation des ouvriers et des employés est le plus élevé fournit un indice.
L’ouest, le sud-ouest, le Massif Central et l’est, des régions de tradition
catholique ou de structure familiale complexe. Dans ces régions, les
capacités d’agir dépendent moins des structures administratives. La
coopération y est plus développée à petite échelle. Ce sont aussi des régions
où la place de chacun est plus étroitement assignée, plus hiérarchiquement
située. Dans une période où le sentiment sinon la réalité d’un retrait de l’État
est largement partagé, elles apparaissent moins menacées, car elles disposent
de « couches protectrices » pour employer une formule utilisée par
l’économiste Joseph Schumpeter.
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LES ÂGÉS PARMI LES ÂGÉS
La population âgée ne forme pas un groupe homogène. Les plus âgés, ici
ceux qui ont dépassé 85 ans, ont connu une histoire différente et sont dans
un état de santé plus précaire. Une seconde anamorphose montre que leur
proportion varie beaucoup au sein de la population âgée de plus de 65 ans.
Globalement, on retrouve l’opposition entre la partie rurale du sud-ouest où
la proportion de très âgés est élevée à l’image de celle des âgés et le reste du
territoire. Les villes, en revanche, ont un profil très différent. La population
âgée de la plupart de leurs centres comprend une des plus importantes
proportions de très âgés. La moitié ouest de Paris est dans le même cas, ainsi
que ses proches banlieues ouest. Ceci tient à la faible propension à migrer
des personnes âgées qui s’incrustent en quelque sorte dans les quartiers de
peuplement ancien. La proportion des personnes très âgées est aussi plus
faible dans les stations côtières, car, issues de générations plus pauvres, elles
n’ont pas migré à leur retraite. Ou bien, si elles en ont eu les moyens,
parvenues à un âge avancé, elles se rapprochent des villes où elles peuvent
trouver des équipements hospitaliers de qualité. La mortalité plus élevée du
nord et de l’est explique aussi que les personnes de plus de 85 ans y soient
rares dans leur population âgée.
La même raison différencie les quartiers populaires des quartiers bourgeois
est et ouest de Lyon ou Lille par rapport à Roubaix et Tourcoing. La
géographie de la vieillesse reste une géographie sociale.
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L’enjeu du vieillissement de la population
Il ne faut pas confondre le vieillissement et la proportion de
personnes âgées. Le vieillissement de la population est défini
comme l’augmentation de la proportion de personnes âgées. Des
régions vieillies comme le sud-ouest de la France ne vieillissent
plus. Des pays où la proportion de personnes âgées est faible
comme la Russie vieillissent rapidement. Les villes françaises,
jeunes, commencent à vieillir.
UNE DYNAMIQUE NATIONALE
Le vieillissement de la population est l’augmentation de la proportion de
personnes âgées de 65 ans ou plus. Sa géographie diffère de celle de la
population âgée. L’opposition entre le sud-ouest vieilli et le reste du pays
disparaît au profit d’une carte plus variée. Au sud comme au nord, à l’est
comme à l’ouest, certaines zones ont rapidement vieilli depuis 30 ans
puisque la proportion de leurs personnes âgées y a augmenté de 10 %, tandis
que d’autres zones ont à peine changé avec une augmentation de l’ordre de 1
%. Sans grande surprise, le vieillissement a été le plus intense dans la
diagonale du vide à cause de la dépopulation qui a duré jusqu’en 2000.
Il a aussi concerné presque toutes les côtes, de la frontière italienne à la baie
de Somme. On a vu qu’il était causé par l’arrivée de jeunes retraités. Le
vieillissement est aussi sensible dans nombre de petites villes peu
dynamiques à l’ombre des métropoles : Laon, Saint-Quentin, Chaumont,
Auxerre, Brive, Niort, Alès, Gap, etc. Inversement, les métropoles ont à
peine vieilli au cours des trente dernières années, malgré l’augmentation de
l’espérance de vie générale et la plus faible natalité des années 1975-2000.
Elles ont compensé le changement démographique global par une
immigration de jeunes et une émigration de retraités. Les métropoles
fonctionnent ainsi de plus en plus à la manière de pompes aspirantes et
refoulantes. Mais c’est leur dynamique interne qui est la plus intéressante.
Pour la mettre en évidence, l’anamorphose indique par les taches bleu foncé
un vieillissement très faible ou nul des métropoles. La première couronne
entourant les métropoles et les grandes villes accuse, au contraire, un fort
vieillissement. Ses habitants, qui ont emménagé il y a plusieurs dizaines
d’années, ont souvent vieilli sur place, limitant le renouvellement de la
population. Plus loin vers l’espace péri-urbain, le vieillissement est à
nouveau faible, car les communes se sont urbanisées récemment avec
l’arrivée de familles jeunes. Enfin, une grande partie du sud-ouest a cessé de
vieillir. Les migrations de jeunes, souvent en provenance du nord, ont stoppé
un processus qui paraissait irréversible. Les zones rurales des départements
du Gers, de la Haute-Vienne, de l’Hérault, de l’Aude et même de l’Ariège
ont presque entièrement cessé de vieillir.
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CHAMPS OUVERTS ET BOCAGE
Pour comprendre la composition sociale du monde rural, il faut donc tenir
compte d’un élément supplémentaire, matériel, mais avec des conséquences
humaines importantes. À savoir le fait de vivre en habitat groupé dans des
villages et des villes ou dispersé en bocage. De ce point de vue, la France est
divisée en deux par une ligne Le Havre-Genève. Au nord les champs
ouverts, au sud le bocage. L’agronome anglais Arthur Young, qui effectua
trois longs périples en France à la veille et au début de la Révolution, a
donné une description précise de ce contraste du paysage agricole, qui se
doublait d’une différence culturale, l’assolement étant triennal en pays
ouvert et biennal dans le bocage. En suivant attentivement la narration de
Young, on peut tracer la ligne de séparation des deux types de paysage
agricole en 1790. En pays ouvert, les paysans vivaient groupés dans des
villages aux maisons mitoyennes. En pays de bocage, ils étaient dispersés
dans des fermes isolées.
On retrouve donc exactement la frontière de Young en dessinant la carte du
pourcentage de population vivant « agglomérée », c’est-à-dire groupée en
villages, par opposition à la population « éparse ». C’est une différence si
marquée et si ancienne qu’elle s’observe encore aujourd’hui malgré
l’urbanisation. Dans Les Caractères originaux de l’histoire rurale française,
l’historien Marc Bloch a montré que ces deux modes d’habitat avaient
engendré deux modes de sociabilité différents. Rapidement dit, dans le
bocage, les coutumes cherchaient à rassembler, car on vivait dispersé, tandis
que dans les villages des champs ouverts, il fallait éviter la trop grande
promiscuité avec ses voisins. Marc Bloch a aussi distingué les bords de la
Méditerranée où la population vit groupée, mais où subsistent des haies
découpant de grandes parcelles.
Les différences dans la structure du peuplement ont influencé le
développement de l’instruction, qui a progressé plus vite dans les pays de
population agglomérée, car tous les écoliers habitaient à proximité de l’école
du village alors que dans le bocage, pour se rendre à l’école, ils devaient
souvent marcher plusieurs kilomètres sur de mauvais chemins.
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Mutation des familles
L’augmentation des divorces et des naissances hors mariage a
multiplié la fréquence des familles monoparentales dont le parent
est une femme dans 90 % des cas. Ces familles résident davantage
en ville. Une mère active seule doit en effet résider à proximité de
son emploi et disposer de services de proximité, crèches, écoles
maternelles et commerces pour prendre soin de ses enfants.
UNE GÉOGRAPHIE DES DIVORCES ANCIENNE
À peine la loi Naquet autorisant le divorce est-elle votée en 1884 qu’une
répartition régionale de la fréquence du divorce s’installe. Elle témoigne
d’une double résistance : celle de l’Église catholique qui interdit de
sacrement les divorcés et celle des familles complexes menacées dans leur
gestion du cycle de vie par le biais des héritages. Aussi les divorces se
cantonnent-ils aux grandes villes et aux régions déchristianisées de structure
familiale nucléaire, donc le Bassin parisien et le rivage méditerranéen. Dans
le Bassin parisien même, seules les régions de population agglomérée sont
réellement atteintes. Elles ont délaissé plus rapidement l’agriculture, sont
plus éduquées à l’époque, les rencontres y sont plus fréquentes et il est plus
facile d’y vivre sans conjoint, alors que dans les régions de bocage,
l’économie agricole traditionnelle exige un couple pour tenir une
exploitation (sous l’Ancien Régime, les veuvages étaient rapidement suivis
de remariages s’il y avait des enfants jeunes, remariage souvent avec un
frère ou une sœur du conjoint décédé, sinon avec un domestique).
Dans son livre consacré au suicide, Durkheim a été frappé par la
ressemblance entre la répartition des suicides et celle des divorces auxquels
il découvrit les causes communes qui viennent d’être discutées : rupture du
lien familial, du lien religieux et du mode de vie agricole. Aussi tard qu’en
1975, la répartition du divorce continue de présenter la même géographie
qu’au moment de son autorisation près d’un siècle auparavant. Les
transformations de la famille et la perte d’influence de l’Église sur les mœurs
entraînent ensuite un changement dans la répartition des divorces. Ils
deviennent alors plus fréquents dans la partie sud déchristianisée de la
France. Au contraire, le suicide migre vers l’ouest où de petits exploitants
célibataires ne peuvent pas résister à la modernisation de l’agriculture. Les
causes n’étant plus les mêmes, les répartitions du suicide et du divorce
divergent. Seules les régions de bocage, de tradition catholique, conservent
maintenant un plus faible taux de divorce, le grand ouest et le sud du Massif
Central.
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HISTOIRE ANTHROPOLOGIQUE ET POLITIQUE DES DEUX
FRANCE
Ce changement est une rupture.
La cristallisation de la France catholique s’est en effet produite à la
Révolution quand, en 1791, il a été demandé à tous les prêtres de prêter
serment à la constitution. La France s’est coupée en deux. Dans les régions
catholiques, la grande majorité des prêtres a refusé le serment : ce sont les «
réfractaires ». Dans les autres régions, ils ont prêté serment en masse : ce
sont les « jureurs ». La carte du partage entre réfractaires et jureurs est
presque identique à celle des années 1960, 170 ans plus tard. Et la répartition
n’a guère varié entre les deux dates, comme on peut le constater au nombre
d’ordinations par habitant en 1876.
La révolution est-elle à l’origine de la coupure entre les deux France ?
Certaines régions étaient déjà déchristianisées auparavant, telle la Provence
et le Bassin parisien, mais dans d’autres la religion fut l’expression d’un
refus de l’État centralisateur et de l’homogénéisation. En effet, la plupart des
régions qui se dévoilent catholiques en 1791 jouissaient de prérogatives, soit
à travers un Parlement, comme en Bretagne et dans le Languedoc, soit pour
appartenir à l’Empire Romain Germanique. L’espace royal n’avait unifié que
les cinq « grandes fermes ». Les échanges d’hommes entre Paris et les
provinces périphériques étaient en outre rares comme le montre la répartition
des origines des Parisiens calculée à partir des cartes de sûreté distribuées
dans les sections parisiennes en 1791. La circulation était plus fréquente
entre Paris et l’intérieur des cinq grandes fermes qu’avec leur extérieur. Les
migrations exercent des effets en retour. À l’époque actuelle, on attribue, par
exemple, la baisse rapide de la fécondité au Maghreb à l’adoption du modèle
occidental de la famille par les immigrés qui le réexportent dans leur patrie
d’origine. De même, le modèle révolutionnaire a été mieux compris et mieux
accepté dans les régions le plus en contact avec Paris.
Une dernière carte ouvre une perspective plus hypothétique : les régions
catholiques sont plus tournées vers l’élevage que les régions
déchristianisées. Cela tient à leur caractère bocager ou montagneux, mais on
ne peut exclure une influence sur les mœurs. Dans ses cours au Collège de
France, Michel Foucault avait insisté sur l’influence politique du
pastoralisme propice à l’autorité et à la hiérarchie. Le rapport aux hommes
peut se modeler sur celui aux animaux.
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La géographie des autres religions
8 % des Français se réclament d’une autre religion que le
catholicisme, qu’ils la pratiquent ou non. 2,6 % de confession
protestante sont concentrés dans leurs bastions historiques
remontant aux guerres de religions du XVIe siècle. 2,8 % sont
musulmans. Sans surprise, leur répartition suit celle de
l’immigration maghrébine. Plus surprenant est le succès des
évangéliques classés dans les « autres religions ».
LE PROTESTANTISME
Au recensement de 1872, qui fut le seul à poser la question de la religion, les
protestants étaient concentrés dans le sud-est du Massif central autour de
leur refuge historique des Cévennes où ils avaient maintenu l’église du
désert. On trouvait aussi des poches protestantes dans le bas Poitou et les
Charentes, ainsi que le long de la Garonne où se situaient plusieurs places de
sûreté qu’ils avaient obtenues à l’issue des guerres de religion. Enfin, ils
étaient implantés à la frontière du Jura avec la Suisse et en Alsace, mais cette
dernière était passée sous le contrôle des Allemands en 1870. Si l’on néglige
les fluctuations aléatoires inévitables avec 800 personnes seulement se
déclarant protestants dans l’ensemble des sondages, la géographie du
protestantisme s’est maintenue malgré un affaiblissement dans le Poitou-
Charentes.
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L’ISLAM
La religion musulmane a accompagné l’extension de l’immigration en
provenance du Maghreb, à partir des années 1960. Ses adeptes sont groupés
dans les régions parisienne, lyonnaise et marseillaise. Avec 2,8 % des
réponses (pratiquants ou non), leur nombre s’élèverait en France
métropolitaine à 1,8 million et beaucoup moins si l’on connaissait la
proportion de ceux qui pratiquent régulièrement.
La répartition des musulmans est plus concentrée que celle des Maghrébins :
loin de réaliser des conversions, ils ne se maintiennent que là où ils sont
assez nombreux.
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LE JUDAÏSME
Ceux qui ont répondu être de confession juive sont trop peu nombreux (280)
pour qu’on puisse en donner la répartition géographique.
Le recensement de 1872 les avait comptés exhaustivement. Ils étaient alors
plus fréquemment installés à l’est, dans la zone méditerranéenne et sur la
côte aquitaine, ce qui correspondait à une longue histoire, celle des Marranes
fuyant l’Espagne après leur mise hors la loi en 1492, celle des Juifs
d’Empire qui n’avaient jamais été interdits de séjour outre-Rhin et celle des
Juifs d’église du Comtat Venaissin.
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LA MUTATION DE 2002
La stratégie de droitisation menée par Sarkozy durant sa campagne
présidentielle de 2007 affecte sérieusement le FN qui perd près de 40 % de
son score de 2002. Le déficit dépasse 50 % et parfois 60 % dans les plus
grandes villes et dans leur voisinage immédiat. Les régions où le FN était le
plus établi sont plus durement ponctionnées en différence de pourcentage
mais aussi en pourcentage de baisse des scores. Les seules zones qui
résistent se situent dans le sillon houiller, sur la façade maritime du Pas-de-
Calais et de la Somme et dans le Limousin, des zones où le FN était jusque-
là peu présent. En choisissant de venir ferrailler à Hénin-Beaumont dans le
sillon houiller, Marine Le Pen a montré qu’elle suivait la conjoncture
électorale.
On a vu qu’en 2012, le FN était revenu à son étiage de 2002, mais son
implantation a changé. Quand on compare les scores de Marine Le Pen en
2012 à ceux de son père et de Mégret en 2002, de grosses différences
apparaissent. En Alsace, dans les régions parisienne, toulousaine, et en
Rhône-Alpes, soit les régions au plus fort potentiel économique, le recul est
de 20 %. Il est supérieur à 10 % dans les métropoles de la Méditerranée.
Inversement la progression est forte à l’ouest et au nord-ouest, dans le
Limousin et autour. Le recul est net dans toutes les villes importantes.
Par ce mouvement, le FN s’éloigne de sa base anthropologique initiale. Il se
rapproche des anciens bastions du PC dans le nord et le Limousin après
avoir investi ceux du Midi. Libéral au départ, il devient social et en faveur
du renforcement de l’État. Il met, comme il peut, en sourdine sa xénophobie
originelle. Au cours de cette mutation, il conserve cependant un caractère
important : il incarne des craintes et des déceptions, il reflète des situations
sociales et économiques alors que les autres partis veulent répondre à des
aspirations.
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Européennes 2014 : la gauche et la droite à la peine
Comme d’habitude, les élections européennes ont connu une forte
personnalisation. En 2014, au-delà de l’échec de la gauche, elles ont
aussi concrétisé des mouvements profonds de l’électorat. Le FN a
continué sa progression dans les zones éloignées des grands centres,
la gauche a mieux résisté dans les régions de tradition laïque et le
centrisme, héritier de la démocratie chrétienne, est monté en
puissance.
Aux élections européennes de 2014 le succès de l’extrême droite, en tête
devant la droite (UMP) et la gauche de gouvernement (PS et radicaux de
gauche), a marqué les esprits. Cependant, la répartition de chacun des trois
courants dans l’espace français est restée pratiquement la même que celle
des trois candidats qui les représentaient au premier tour de l’élection
présidentielle de 2012 (Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy et François
Hollande). C’est le pourcentage obtenu globalement par chaque courant qui
a beaucoup changé. Pour mettre en valeur les légers déplacements qui se
sont produits, il faut rapporter le pourcentage obtenu par chaque parti à
l’élection européenne au pourcentage de son champion lors du premier tour
de la présidentielle de 2012. Si le rapport est inférieur à 1, une déperdition a
eu lieu, s’il est supérieur à 1, les votants de 2012 ont attiré de nouveaux
adeptes.
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CONCLUSION
La structure de l’inégalité
Deux constats s’imposent en conclusion de cet atlas : les inégalités
ont des origines plus anciennes que les crises économiques qui ont
frappé le monde depuis 1974 et elles se renforcent les unes les
autres. Le chômage accroît la pauvreté et l’inégalité de répartition
des revenus, il ébranle les familles. L’absence de diplômes
augmente le risque de chômage. Un faible revenu compromet la
formation des enfants. Mécaniquement, la montée de la pauvreté
augmente le degré d’inégalité. Les inégalités ont donc tendance à
faire boule de neige. Les cartes ont d’ailleurs montré que les plus
fortes inégalités se retrouvaient souvent dans les mêmes lieux, ce
que les calculs statistiques de corrélation confirment. Les inégalités
passées en revue peuvent donc être considérées comme les
multiples facettes d’un phénomène plus global, l’inégalité au
singulier.
Comment caractériser plus précisément cette inégalité ? La tendance
générale des travaux de recherche a été de l’assimiler aux inégalités
de revenu mesurées par le rapport entre le revenu des plus riches et
celui des plus pauvres. Pour les pays développés, Pourquoi l’égalité
est meilleure pour tous ?, l’ouvrage de Richard Wilkinson et Kate
Pickett a, par exemple, mis systématiquement en rapport l’inégalité
des revenus avec un large ensemble de comportements. La thèse a
séduit un vaste public (et le parti travailliste au Royaume-Uni) car
elle sous-entendait qu’en corrigeant l’inégalité des revenus, on
limiterait les autres inégalités. Ce n’est pas sûr. L’inégalité des
revenus est elle-même la conséquence des autres inégalités autant
que leur cause. Pour donner une vue générale de l’inégalité à partir
des inégalités particulières, il ne faut donc en privilégier aucune, les
traiter globalement comme un écheveau de causes et de
conséquences dont on tire des vues partielles.