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Economica, 1994
L’Économie des inégalités
XX siècle
MEN, 2006
France 1820-2050
XXI siècle
Seuil, 2011
Chroniques 2004-2012
1700-2010
(coécrit avec Gabriel Zucman)
Le Capital au
XXI siècle
Chroniques 2012-2016
Seuil, 2017
Zucman)
Seuil, 2018
Titre
Du même auteur
Copyright
Introduction
La frontière et la propriété
Plan du livre
Conclusion
XXI siècle. J’ai passé une bonne partie des années 2014-
2016 à voyager autour du monde, à rencontrer des lecteurs,
des chercheurs, des contradicteurs, des citoyens animés par
la soif de débattre. J’ai participé à des centaines d’échanges
autour de mon livre et des questions qu’il pose. Toutes ces
rencontres m’ont immensément
XX siècle
Introduction
Chaque société humaine doit justifier ses inégalités : il faut
leur trouver des raisons, faute de quoi c’est l’ensemble de
l’édifice politique et social qui menace de s’effondrer.
Chaque époque produit ainsi un ensemble de discours et
d’idéologies contradictoires visant à légitimer l’inégalité
telle qu’elle existe ou devrait exister, et à décrire les règles
économiques, sociales et politiques permettant de
structurer l’ensemble. De cette confrontation, qui est à la
fois intellectuelle, institutionnelle et politique, émergent
généralement un ou plusieurs récits dominants sur lesquels
s’appuient les régimes inégalitaires en place.
e
XX siècle, à la suite de la chute du communisme soviétique
et du triomphe
nouveau en ce début de
XXI siècle ;
La frontière et la propriété
e
XIX siècle,
inégalitaires,
migratoires
et
identitaires,
ce
qui
complique
e
XXI siècle le meilleur allié de
et idéologies
classique européen du
la diversité du monde
XIX siècle,
Graphique 0.1
Graphique 0.2
Population et revenu moyen dans le monde, 1700-
2020
Graphique 0.3
Graphique 0.4
La courbe de l’éléphant :
e
XX siècle
Graphique 0.6
Les inégalités de 1900 à 2020 : Europe, États-Unis,
Japon
Graphique 0.7
inégalités éducatives
Graphique 0.8
Revenu parental et accès à l’université : États-Unis,
2014
XXI siècle.
XIX siècle et
au début du
Graphique 0.9
XX siècle, et
La diversité du monde :
l’indispensable passage par la longue durée
et du langage mathématique
XX siècle »,
comprend quatre chapitres. Le chapitre 10 analyse la chute
des sociétés de propriétaires au
e
XXI siècle. J’analyse en
technique
disponible
en
ligne
http://piketty.pse.ens.fr/files/AnnexeKIdeologie.pdf18.
PREMIÈRE PARTIE
DANS L’HISTOIRE
CHAPITRE 1
trifonctionnelle
XIX siècle.
moderne
Dans tous les cas, le point important est que ces droits de
propriété du clergé et de la noblesse vont de pair avec des
pouvoirs régaliens essentiels, notamment en
place en ce début de
XXI siècle.
Graphique 1.1
ternaires
e
XX siècle et du début du XXI siècle.
CHAPITRE 2
pouvoir et propriété
l’inverse,
libre,
et le destin de l’Europe
XVIII siècle,
le cas de la France
À partir du milieu du
e
XIV , XV et XVI siècles, plusieurs auteurs ont
à la fin de l’Ancien Régime
e
XVII siècle, sous le règne de Louis XIV, et tout au long du
XVIII siècle, sous Louis XV puis Louis XVI. Au total, les
effectifs des deux premiers ordres, exprimés en part de la
population totale, semblent avoir été divisés par plus de
deux entre 1660 et 1780. À la veille de la Révolution
française, ils se situaient autour de 1,5 %
graphique 2.1).
Graphique 2.1
XVII
et
e
XIV et le XVII siècle masque en réalité une
Tableau 2.1
1380
1470
1560
1660
1700
1780
Clergé
1,4 %
1,3 %
1,4 %
1,4 %
1,1 %
0,7 %
Noblesse
2,0 %
1,8 %
1,9 %
2,0 %
1,6 %
0,8 %
Total clergé +
3,4 %
3,1 %
3,3 %
3,4 %
2,7 %
1,5 %
noblesse
Tiers état
98,5 %
Population totale
11
14
17
19
22
28
(millions)
160
190
240
260
230
200
dont noblesse
220
250
320
360
340
210
(milliers)
millions).
Tableau 2.2
1380
1470
1560
1660
1700
1780
Clergé
3,3 %
3,2 %
3,3 %
3,3 %
2,5 %
1,7 %
Noblesse
1,8 %
1,6 %
1,8 %
1,8 %
1,5 %
0,7 %
Total clergé +
5,1 %
4,8 %
5,1 %
5,1 %
4,0 %
2,4 %
noblesse
Tiers état
97,6 %
Population adulte
3,4
4,2
5,1
5,6
6,5
8,3
masculine (millions)
110
130
160
180
160
140
60
90
100
90
60
de nobles ?
Plus généralement, à la fin du
XIX siècle, ce
Graphique 2.2
propriétaire
XVII siècle à 70 % au
milieu du
Graphique 2.3
L’Église comme organisation propriétaire, 1750-1780
IV
et V siècles, et le
Quel qu’ait été le rôle exact joué par ces nouvelles règles
familiales, cette stratégie patrimoniale a de fait été
couronnée d’un immense succès, puisque l’Église s’est
retrouvée grâce aux dons de ses fidèles (et pas seulement
des veuves, réputées généreuses) et à sa solide
organisation juridique et économique à détenir, pendant
plus d’un millénaire, des e
La propriété ecclésiastique,
et du capitalisme ?
e
XIII siècle, explique que le problème n’est
elles
reposaient
sur
des
constructions
politico-idéologiques
17. Il est possible que ces effectifs aient été plus élevés
pour des périodes antérieures, en particulier pour la e
e
CHAPITRE 3
XVIII
et du
du féodalisme au propriétarisme
e
XXI siècle, quasiment sous
pour les plus élevés (voir tableau 3.1) 9. Certes, les taux les
plus élevés défendus dans ces projets s’appliquaient
uniquement à des patrimoines et des revenus extrêmement
importants (plus de mille fois la moyenne de l’époque). Il
n’en reste pas moins que des disparités aussi extrêmes
existaient dans la société française de la fin d u
Tableau 3.1
e
e
au
e
e
XVI siècle et au
début du
V et le XI siècle),
ne l’était au
e
supranationale.
et l’apprentissage de la justice
e
XVIII siècle ou
au début du
XIX ,
L’idéologie propriétariste,
e
XIX -XX siècles et jusqu’à nos jours pour
XX siècle,
même si l’on peut juger ces tentatives insuffisantes et
inabouties ; nous y reviendrons). Ou bien on peut se reposer
sur la protection absolue de la propriété privée pour
résoudre presque tous les problèmes, ce qui peut aboutir
dans certains cas à une quasi-sacralisation de la propriété
et à une méfiance absolue contre toute tentative de remise
en cause.
XIX siècle.
e
XIX siècle et du début du XX siècle, et nous
XX siècle.
XX siècle
XXI siècle.
CHAPITRE 4
le cas de la France
XIX siècle 1.
e
XIX siècle et jusqu’à la
Graphique 4.1
au XIX siècle
et au début du
depuis les années 1980), le fait est que la part détenue par
les 50 % les plus pauvres a toujours été extrêmement faible
: environ 2 % du total des patrimoines au e
Graphique 4.2
Graphique 4.3
XX siècle
À la fin du
e
XIX siècle, Paris regroupe autour de 5 % de la population
française
de propriété
Tableau 4.1
e
XIX et au début du XX siècle, en particulier à la Belle
Époque.
XVIII siècle, où la
e
XX siècle et le début du XXI pour
XX siècle.
XX siècle et
au début du
Encore faut-il préciser que les taux prévus par la loi de 1901
étaient extrêmement modestes : le taux applicable en ligne
directe était de 1 % pour la majorité des transmissions,
comme dans le régime d’impôt proportionnel, et il montait
au maximum jusqu’à 2,5 %, pour les parts successorales
supérieures à 1 million de francs par héritier (moins de 0,1
% des héritages). Le taux le plus élevé fut porté à 5 % en
1902, puis à 6,5 % en 1910, afin de contribuer au
financement de la loi sur les « retraites ouvrières et
paysannes » adoptée la même année. Même si ce n’est
qu’après la Première Guerre mondiale que les taux
applicables aux plus grandes fortunes atteignirent des
niveaux plus substantiels (plusieurs dizaines de pourcents)
et que la progressivité fiscale « moderne » se mit en place,
on peut considérer qu’une étape décisive avait été franchie
en 1901-1902, et peut-être davantage encore en 1910, car
le fait de mettre explicitement en relation le renforcement
de la progressivité successorale et le financement des
retraites ouvrières exprimait une claire volonté de réduction
globale des inégalités sociales.
XX .
Parce qu’il est peu intrusif et donne les pleins pouvoirs aux
propriétaires, l’impôt sur le capital proportionnel et à faible
taux a souvent eu les préférences des détenteurs de
patrimoines. On retrouve cette attitude politique non
seulement à l’époque de la Révolution française et au
XX siècle.
la guerre
industriel
XIX siècle
e
e
CHAPITRE 5
européennes
la diversité de l’Europe
Graphique 5.1
e
XVII siècle et
au cours du
XIX siècle.
XVI siècle,
XVII siècle, à
transformation
des
sociétés
trifonctionnelles en sociétés
e
XVII et XVIII siècles étaient relativement
XVII et
XVIII siècles.
Graphique 5.2
e
e
propriétaire
e
XIX siècle et jusqu’au milieu du XX siècle, et d’autre part car
il s’agit en quelque sorte du cas opposé à celui de la France.
Alors que la trajectoire française est marquée par la césure
de la Révolution de 1789, et par de multiples ruptures
politiques et restaurations monarchiques, impériales,
autoritaires et républicaines a u x
XIX
XI -XIII siècles. Le
XIX siècle.
Tout au long du
la majeure partie du
e
XIX siècle, jusqu’en 1860-1870. Adoptée à la suite de la
XVIII et
propriétariste
la fin du
classique
e
XIX siècle une autre
L’almanach de Burke,
e
XIX siècle
e
XVIII siècle et pendant la majeure partie du XIX siècle, la
Chambre des lords gouverne le pays et joue un rôle central
dans le durcissement, la protection et la sacralisation de
plus en plus féroce du droit de propriété. On pense
classiquement a u x Enclosures Acts, ces lois adoptées et
durcies à plusieurs reprises par le Parlement, sous la
conduite des Lords, notamment en 1773 et 1801, et qui
visaient à hérisser des haies autour des parcelles et à
mettre fin au droit d’usage des paysans pauvres sur les
terrains communaux et les pâtures.
e
XVIII et XIX siècles, il paraît
Graphique 5.3
XVIII
et du
propriétariste et colonialiste
XVIII et
La Suède et la constitutionnalisation
1911)
XX siècle.
XVIII siècle,
e
e
XVII et
e
XXI siècle sans
XIX siècle.
de propriétaires au
XIX siècle
Graphique 5.4
Graphique 5.5
XIX siècle.
XX siècle 49.
e
XIX siècle et au début du XX siècle. Pour résumer, si l’on fait
la moyenne sur la période dite de la Belle Époque, on peut
dire que les sociétés de propriétaires européennes se
caractérisaient par une inégalité patrimoniale extrême, avec
environ 85 %-90 % des propriétés détenues par les 10 % les
plus riches, à peine 1 %-2 % par les 50 % les plus pauvres,
et environ 10 %-15 % par les 40 % du milieu (voir graphique
5.6). Si l’on examine maintenant la répartition des revenus,
qui regroupent à la fois les revenus du capital (tout aussi
inégalement répartis que les patrimoines eux-mêmes, voire
un peu plus) et les revenus du travail (nettement moins
inégalitaires), alors on constate que les sociétés de
propriétaires européennes de la Belle Époque se
caractérisent par une inégalité des revenus très forte, mais
sensiblement moins extrême que leur inégalité
patrimoniale, avec environ 50 %-
Graphique 5.6
L’inégalité patrimoniale extrême : les sociétés de
propriétaires européennes à la Belle Époque, 1880-
1914
Graphique 5.7
e
e
XIX et au cours de la
première moitié du
e
XX siècle.
XVIII et
XIX siècle.
Notre monde du
XXI siècle est directement issu de ces crises, même s’il tend
parfois
à en oublier les leçons, surtout depuis la renaissance d’une
idéologie néopropriétariste à la fin du
7. Voir chapitre 2.
DEUXIÈME PARTIE
ET COLONIALES
CHAPITRE 6
extrême
XIX siècle, et
II siècle AEC en
XVIII et
XV et le
XIX siècle
e
XX siècle 4. Il est probable qu’il existe bien d’autres
exemples de sociétés esclavagistes qui restent à découvrir,
et davantage encore qui n’ont pas laissé de traces
suffisantes pour pouvoir être étudiées précisément5. Pour
ce qui concerne les traites africaines, on estime qu’elles ont
concerné au total autour de 20 millions d’esclaves entre
1500 et 1900 (dont les deux tiers au titre de la traite
atlantique, en direction des Antilles et des Amériques, et un
tiers pour la traite transsaharienne et en direction de la mer
Rouge et de l’océan Indien, organisée à la fois par les États
et les marchands européens, arabes et africains), ce qui
constitue une ponction démographique considérable sur
l’Afrique subsaharienne, compte tenu de la population
limitée du continent au cours de cette période 6.
XVIII et
sa région au e
XVIII et
e
XIX siècles, de même que l’esclavage féminin domestique et
sexuel 10. Dans la Grèce antique, certains esclaves, très
minoritaires il est vrai, remplissent des fonctions d’esclaves
publics et de hauts fonctionnaires, en particulier pour des
fonctions hautement qualifiées, comme la certification et
l’archivage de textes juridiques, la vérification de la pesée
des monnaies ou l’inventaire des biens des sanctuaires,
expertises que l’on juge préférable de sortir du jeu politique
et d’attribuer à des personnes qui ne disposent pas de
droits civiques et ne peuvent donc prétendre occuper les
fonctions suprêmes 11. On ne trouve nulle trace de ce type
de subtilité dans l’esclavage atlantique. Les esclaves sont
assignés au travail dans les plantations, et la séparation
quasi absolue entre population noire servile et population
blanche libre prend une forme extrêmement tranchée et
peu commune dans l’histoire des sociétés esclavagistes.
Royaume-Uni : l’abolition-compensation
de 1833-1843
XX siècle 13.
De la justification propriétariste
XIX et au début
du
e
XX siècle 15.
Aux
e
e
XVIII
XVIII siècle, mais qui fut occupée par les soldats anglais en
Graphique 6.1
e
Les sociétés esclavagistes atlantiques, XVIII -XIX
siècles
Graphique 6.2
du
e
XIII siècle à la fois les liens légaux et de nature financière
entre un créditeur et un débiteur, et les liens de
dépendance entre un propriétaire et un paysan. Les
systèmes légaux qui se mettent en place au
XVII siècle,
XIX et au début du
e
XIX siècle,
particulièrement en Suède, à la fin du
toujours en vigueur au
XX siècle. On
pense notamment aux spoliations de biens juifs perpétués
pendant la Seconde Guerre mondiale par les autorités
nazies et les régimes alliés (à commencer par le régime de
Vichy en France), pour lesquelles de légitimes et bien
tardives procédures de
1865)
Tableau 6.1
Graphique 6.3
Il faut souligner que ces effectifs sont très bien connus dans
le cas des ÉtatsUnis, car population libre et esclaves ont fait
l’objet de recensements décennaux systématiques à partir
de 1790. L’exercice était d’autant plus important que le
nombre d’esclaves jouait un rôle central pour déterminer le
nombre de sièges à la Chambre des représentants comme
celui des grands électeurs pour le choix du président, dans
le cadre de la fameuse règle des « trois cinquièmes »
obtenue par les
propriétaires sudistes après de longues négociations : les
esclaves comptaient pour trois cinquièmes du poids de la
population libre. Plus généralement, il faut rappeler le poids
central de la propriété esclavagiste dans la naissance de la
république étatsunienne. La Virginie était de loin l’État le
plus peuplé (avec une population totale, esclaves compris,
atteignant 750 000 habitants lors du premier recensement
de 1790, soit l’équivalent de la population cumulée des
deux États nordistes les plus peuplés, la Pennsylvanie et le
Massachusetts), et elle fournit au pays quatre de ses cinq
premiers présidents (Washington, Jefferson, Madison,
Monroe, tous propriétaires d’esclaves), la seule exception
étant John Adams (Massachusetts). Sur les quinze
présidents qui se sont succédé jusqu’à l’élection du
républicain Lincoln en 1860, pas moins de onze étaient des
propriétaires d’esclaves.
Graphique 6.4
XX siècle,
de l’esclavage
XIX siècle.
XIX siècle, au
e
XIX siècle, alors qu’il reste extrêmement marginal
faible (1861)
XVIII
e
V -VIII siècles, et les exploitations qui en résultèrent furent
ensuite décrites avec les termes du servage.
CHAPITRE 7
et domination
XIX siècle 1.
Dans le cas de l’Amérique du Nord comme de l’Amérique «
latine », il faut toutefois souligner que la question du
peuplement européen engage également celle de la chute
brutale du peuplement autochtone, ainsi que la question
des métissages 2.
peuplement
Graphique 7.1
Le poids des Européens dans les sociétés coloniales
l’inégalité extrême
Voyons justement ce qu’il est possible de dire au sujet de
l’ampleur de l’inégalité socio-économique qui caractérisait
les sociétés esclavagistes et coloniales, et des
comparaisons que l’on peut faire avec l’inégalité moderne.
De façon prévisible, ces sociétés figurent parmi les plus
inégalitaires que l’on puisse observer dans l’histoire.
Graphique 7.2
Graphique 7.3
Graphique 7.5
Graphique 7.6
XXI siècle.
Il ne faut toutefois pas exagérer l’importance des
déterminants « matériels » de l’inégalité. Dans la réalité
historique, c’est avant tout la capacité idéologique, politique
et institutionnelle des sociétés à justifier et à structurer
l’inégalité qui détermine le niveau de cette dernière, et non
pas le degré de richesse ou de développement en tant que
tel. La notion de « revenu de subsistance » est elle-même
plus complexe qu’une simple réalité biologique. Elle dépend
des représentations forgées par chaque société, et il s’agit
toujours d’une notion multidimensionnelle (nourriture,
vêtements, logement, hygiène, etc.), qui ne pourra jamais
être correctement appréhendée avec un indicateur
monétaire unique. À la fin des années 2010, on situe
souvent le seuil de subsistance entre 1 et 2 euros par jour,
et on définit par exemple la pauvreté extrême au niveau
mondial comme le nombre de personnes vivant avec moins
de 1 euro par jour. Les estimations disponibles montrent que
le revenu national moyen par habitant était inférieur à 100
euros par mois au niveau mondial au
graphique 7.6).
Graphique 7.7
coloniaux
XXI siècle.
Enfin et peut-être surtout, du côté des dépenses, on
constate que les budgets coloniaux étaient conçus presque
exclusivement pour le bénéfice de la population française et
européenne, et notamment pour payer les salaires très
confortables du gouverneur, de la haute administration de
la colonie et des forces de police. Pour résumer : les
populations colonisées acquittaient de lourds impôts afin de
financer le train de vie de ceux qui étaient venus les
dominer politiquement et militairement. Il existait
également quelques investissements dans les
infrastructures, ainsi que de maigres dépenses d’éducation
et de santé, mais elles étaient principalement destinées aux
colons. De façon générale, le nombre de fonctionnaires, et
en particulier d’enseignants et de médecins, était
extrêmement faible dans les colonies, mais cela était
compensé par le fait qu’ils étaient exceptionnellement bien
payés, relativement au niveau de vie des sociétés
considérées. En rassemblant l’ensemble des budgets
coloniaux de 1925, on constate par exemple que les
colonies françaises comptaient en moyenne à peine 2
fonctionnaires pour 1 000 habitants, mais que chacun de
ces fonctionnaires était rémunéré environ dix fois le niveau
de revenu national moyen par adulte en vigueur dans les
colonies ; à l’inverse, en métropole, à la même date, on
dénombrait environ 10 fonctionnaires pour 1 000 habitants,
et chacun gagnait en moyenne de l’ordre de deux fois le
revenu national par habitant17.
Graphique 7.8
en perspective historique
Graphique 7.9
du « doux commerce »
XIX siècle.
XIX siècle. Mais cela l’est tout autant pour les autres
En ce début de
e
XXI siècle, on s’imagine parfois que les excédents
commerciaux
XXI siècle, au
XX siècle des
françaises (1912-1946)
Un colonialisme tardif :
XX siècle.
relativement
du Mali
CHAPITRE 8
Sociétés ternaires et colonialisme :
le cas de l’inde
L’invention de l’Inde :
premiers repères
e
XIX et XX siècles. En raison de la forte décroissance de la
population chinoise en cours actuellement, due notamment
à la politique de l’enfant unique mise en place en 1980,
l’Inde devrait redevenir avant la fin des années 2020 le
pays-continent le plus peuplé de la planète, et le rester pour
la suite du
Graphique 8.1
Au
e
e
XIII et
moghol au
e
XX siècle et au début du XXI ,
Graphique 8.2
Tableau 8.1
autres religions).
Sources et séries : voir piketty.pse.ens.fr/ideologie.
II siècle AEC et le
VI siècle et au début du
et patriarcat
XVIII et
XVIII siècle,
XV et
le
en Inde
XVII et XVIII siècles n’étaient pas plus figés que les classes
et les élites européennes de l’époque médiévale, de la
Renaissance ou de l’Ancien Régime. Il s’agissait de
catégories flexibles permettant à des groupes guerriers et
religieux de justifier leur domination et de décrire un ordre
social aussi durable et harmonieux que possible mais qui,
dans les faits, évoluait en permanence en fonction des
rapports de force entre groupes sociaux, tout cela dans un
contexte de développement économique, démographique et
territorial accéléré et l’émergence de nouvelles élites
commerciales et financières. Les sociétés indiennes aux
prochain chapitre).
e
e
XVIII
et
ibérique de l’islam
XVII siècle à la
À partir du milieu du
en Inde (1871-1941)
indiennes et européennes
Graphique 8.3
XVI
et le
et contrôle social
« embauches » 40.
Entre le cas des hautes castes d’administrateurs et celui des
castes criminelles ou quasi serviles, il existe toute une série
de classes intermédiaires, et en particulier de castes
agricoles, qui ont également joué un rôle central dans le
gouvernement de l’Inde coloniale. Au Pendjab, le Land
Alienation Act de 1901 décida par exemple de réserver
l’achat et la vente de terres à un groupe spécifique de
castes agricoles, dont les contours étaient redéfinis par la
même occasion. Il s’agissait officiellement de rassurer
certaines classes de paysans lourdement endettés, dont les
terres risquaient d’être accaparées par des créditeurs et
prêteurs sur gages. Les émeutes rurales qui menaçaient de
se développer inquiétaient d’autant plus les autorités
britanniques que les castes agricoles en question formaient
traditionnellement un canal important de recrutement
militaire. La redéfinition des castes entraîna toutefois de
multiples conflits lors des recensements suivants, car de
nombreux groupes ruraux demandèrent et réussirent à
changer de caste pour accéder aux terres 41.
Graphique 8.4
Tableau 8.2
La structure des hautes castes en Inde, 1871-2014
e
e
positive à l’indienne
XXI siècle. La
Graphique 8.6
de leur transformation
XXI siècle
1. Voir chapitre 7.
4. Voir chapitre 2.
6. Ibid. , p. 106-110.
27. Il est encore plus difficile de dire ce qui serait arrivé aux
maçons creusois, aux menuisiers picards ou aux
vendangeurs catalans si un colonisateur indien les avait
rangés dans des boîtes et leur avait distribué des droits et
des devoirs pendant des décennies en fonction de ces
assignations.
29. Voir S. BAYLY, Caste, Society and Politics in India, op. cit.
, p. 132.
42. Voir S. BAYLY, Caste, Society and Politics in India, op. cit.
, p. 217-232 ; N. DIRKS, Castes of Mind, op. cit. , p. 236-238.
58. Voir S. BAYLY, Caste, Society and Politics in India, op. cit.
, p. 288-293 ; N. DIRKS, Castes of Mind. , op. cit. , p. 283-
285.
60. Voir S. BAYLY, Caste, Society and Politics in India, op. cit.
, p. 344-364 ; A. TELTUMBE, Republic of Caste, op. cit. , p.
179-202.
trajectoires eurasiatiques
et la prospérité occidentale
hégémonique au
XVI jusqu’au
Graphique 9.1
La capacité fiscale des États, 1500-1780 (tonnes
d’argent)
Graphique 9.2
e
XVI siècle à environ 6 %-8 % du revenu national à la fin du
XVIII siècle (voir
graphique 9.2) 6.
e
XX siècle de niveaux de pression fiscale
e
XVI siècle, ainsi par exemple que les États
e
XX siècle et au début du XXI siècle,
encore 78 % au
e
XVIII siècle (contre 40 % au XIX et 54 % au XX siècle) 10. La
période 1500-1800 met en jeu une rivalité militaire
incessante entre puissances européennes, et c’est ce qui
nourrit le développement d’une capacité fiscale sans
précédent, ainsi que de nombreuses innovations
technologiques, en particulier en matière de canons et de
navires de guerre 11.
XIX siècle,
l’invention de l’Europe
e
XVIII siècle étaient, selon Pomeranz, beaucoup plus
smithiennes que celles appliquées au Royaume-Uni. En
particulier, les marchés étaient plus fortement unifiés en
Chine. Le marché des grains fonctionnait sur une aire
géographique plus importante, et la mobilité du travail y
était sensiblement plus forte. Cela tenait aussi à une plus
grande emprise des institutions féodales en Europe, au
moins jusqu’à la
XIX siècle
XVI siècle), et il
XVIII siècle, en
e
XX et XXI siècles. À ce stade, notons simplement que ces
dettes
XVIII et
e
XX siècle.
Protectionnisme et mercantilisme :
e
XVIII siècle, 80 % des
société ternaire
Graphique 9.3
VI siècle et au début du
C’est dans cet esprit que les dirigeants du PCC ont remis
Confucius à l’honneur depuis le début des années 2010, non
sans une spectaculaire volte-face (le conservatisme
économique et social du confucianisme était honni sous la
Révolution culturelle, à l’époque du combat contre les «
quatre vieilleries », les propriétaires fonciers et les
mandarins). À l’étranger, et parfois aussi en Chine, ce
même parallèle historique est à l’inverse souvent utilisé de
façon négative, pour décrire un pouvoir chinois réputé
éternellement autoritaire, avec des masses immuablement
soumises à une forme de despotisme millénaire propre à la
culture et à l’âme chinoises, sous la férule des empereurs et
de leurs mandarins puis des dirigeants et apparatchiks
communistes. Dans tous les cas, de tels rapprochements
posent de multiples problèmes. Ils supposent une continuité
et un déterminisme qui ne se justifient pas, et qui ne
permettent pas de penser la complexité et la diversité des
points de bifurcations qui caractérisent la trajectoire
chinoise, comme d’ailleurs toutes les trajectoires
sociopolitiques historiques.
e
e
population), et le
partir du milieu du
XXI siècle,
À la fin du
Tous les croyants sont alors supposés égaux dans leur effort
pour imiter l’exemple idéal des imams.
XVIII siècle et au
début du
En ce début de
musulmans
musulmans du début du
Propriétarisme et colonialisme :
la globalisation de l’inégalité
e
XX siècle), aux idéologies
que la moyenne.
39. Avant 1856, les Roms étaient exploités à la fois par des
nobles et des monastères. Des commémorations e
er
I millénaire AEC et au début du I millénaire de notre ère),
accordaient une place éminente à la classe des prêtres par
rapport à celle des guerriers (voir par exemple E. SÉNART,
Les Castes dans l’Inde. Les faits et le système, Leroux,
1896, p. 140-141). Il serait toutefois hasardeux de rattacher
trop fortement la puissance de la classe cléricale iranienne à
cette tradition, dans la mesure où la conversion au chiisme
a également concerné d’autres régions. Sur les débats liés
au processus de conversion de l’Iran au chiisme, voir e
TROISIÈME PARTIE
LA GRANDE TRANSFORMATION
DU XX SIÈCLE
CHAPITRE 10
de la première moitié du
XX siècle
de la première moitié du
XX siècle.
privée (1914-1945)
première moitié du
Graphique 10.1
Graphique 10.2
L’inégalité des revenus : la diversité de l’Europe,
1900-2015
Graphique 10.3
Du propriétarisme européen
au néopropriétarisme étatsunien
Graphique 10.4
Graphique 10.5
XXI siècle.
XV et le
au cours du
XX siècle, ce qu’il
e
XX siècle. On constate par
XX siècle, sans
tendance claire, alors que la part correspondante chutait
pour les revenus du capital, d’où une baisse de la part du
centile supérieur dans le revenu total (voir
graphique 10.7).
Graphique 10.6
(1914-1950)
À la fin du
e
XIX siècle et au début du XX siècle, le capital privé était
florissant.
Graphique 10.8
le
colonialisme
et
plus
généralement
le
processus
Expropriations, nationalisations-sanctions
et « économie mixte »
XX siècle. Entre
1914 et les années 1950, c’est toute la conception de la
propriété qui a changé, sous l’effet des luttes sociales et
politiques et des événements militaires. La solidité des
droits de propriété acquis dans le passé, qui semblait
inébranlable en 1914, a cédé la place dans les années 1950
à une conception plus sociale et instrumentale de la
propriété, plaçant le capital productif et l’investissement au
service du
XIX siècle. Il
s’agissait aussi dans certains cas d’emprunts quasi
obligatoires, en particulier pendant les années de guerre, où
les gouvernements exigèrent des banques qu’elles
détiennent des quantités importantes de titres publics, tout
en prenant des mesures visant à plafonner les taux
d’intérêt.
Graphique 10.9
e
XX siècle à la suite des guerres 38. Il fut néanmoins
insuffisant. Faute d’avoir mis à contribution assez tôt ses
classes privilégiées, l’Ancien Régime avait en effet
accumulé une dette publique
XVIII siècle et
Graphique 10.11
Graphique 10.12
L’invention de la progressivité fiscale : le taux
supérieur de l’impôt sur les successions, 1900-2018
et 63 % au Japon, de 8 %, 23 % et 32 % en Allemagne, et de
15 %, 22 % et 39 % en France. La progressivité fiscale a été
maximale au milieu du siècle, particulièrement aux États-
Unis et au Royaume-Uni.
fiscale moderne
Graphique 10.13
XIX siècle, le
XIX siècle
et au début du
XIX siècle.
Graphique 10.14
Graphique 10.15
pays 65.
de la progressivité fiscale
la chute du propriétarisme
XIX siècle
et du début du
des marchés
e
XIX siècle s’appuyait sur quatre piliers : l’équilibre des
puissances ;
XIX siècle.
Graphique 10.16
ordre guerrier
Après avoir passé selon lui plus de deux mille ans à modérer
les passions politiques et l’ardeur des guerriers et des
gouvernants (« depuis Socrate et Jésus-Christ », va-t-il
jusqu’à préciser), les clercs n’ont pas su s’opposer aux
pulsions de mort et à la montée sans précédent des
antagonismes identitaires en Europe depuis le début du e
le dépassement de l’État-nation
e
XIX siècle sont nées d’une
et ordolibéralisme
graphique 0.6.
tableau 3.1.
39. P ar la suite, la hausse de la dette publique entre 1814
et 1914 fut principalement le fait d’opérations
exceptionnelles comme les indemnités de guerre et le «
milliard des émigrés ». Voir également T. P IKETTY, e
2014, p. 230-271.
er
Voir chapitre 4.
CHAPITRE 11
l’égalité inachevée
Nous venons d’étudier comment les sociétés de
propriétaires, qui semblaient si prospères et inébranlables à
la veille de la Première Guerre mondiale, s’étaient
effondrées entre 1914 et 1945, à tel point que les pays
nominalement capitalistes sont en réalité devenus entre
1950 et 1980 des sociétés sociales-démocrates, avec des
mélanges variables de nationalisation, de système public
d’éducation, de santé et de retraite, et d’impôt progressif
sur les plus hauts revenus et patrimoines. Pourtant, malgré
leurs indéniables succès, les sociétés sociales-démocrates
vont connaître un essoufflement à partir des années 1980-
1990. En particulier, elles n’ont pas su faire face à la
montée des inégalités qui s’est développée un peu partout
depuis lors.
XXI siècle le
au cours du
XX siècle.
européennes
envisagée ici 3.
XX siècle sous
e7
Graphique 11.1
Graphique 11.2
propriété temporaire
sociale :
XIX siècle et au
début du
e
XX siècle le
et nordique
à la proposition « 2x + y »
Coopératives et autogestion :
Résumons. Au
e
XIX siècle et jusqu’à la Première Guerre mondiale,
l’idéologie
La social-démocratie, l’éducation
et la fin de l’avance étatsunienne
Graphique 11.3
Graphique 11.4
et de la secondarisation précoces
À la fin du
XVIII siècle et
Graphique 11.5
Graphique 11.6
Graphique 11.7
Graphique 11.8
Graphique 11.9
Graphique 11.10
Graphique 11.11
et aux États-Unis
XX siècle,
de la croissance moderne
Graphique 11.12
Graphique 11.13
Graphique 11.15
XX siècle a
du capitalisme et de l’État-nation
La social-démocratie au
e
XX siècle 107 pourrait être étendue à leurs successeurs de
la période 1950-2020.
XXI siècle,
11.16 et 11.17).
Graphique 11.16
Graphique 11.17
les plus élevés (qui sont certes cinq fois moins nombreux). Il
faut également souligner que la très forte concentration de
la propriété et des revenus qui en sont issus n’est pas un
biais lié au profil par âge de la richesse : elle se retrouve au
sein de chaque groupe d’âge, parmi les plus jeunes aussi
bien que parmi les plus âgés.
Graphique 11.18
Les inégalités face au capital et au travail en France,
2015
resté stable alors que les taux appliqués aux plus hauts
revenus déclinaient127, facteur général qui a été aggravé
par le développement de régimes dérogatoires. En France,
le taux global de prélèvements obligatoires est actuellement
d’environ 45 %-50 % au niveau des 50 % les plus pauvres,
avant de monter autour de 50 %-55 % au sein des 40 %
suivants, puis de redescendre vers 45 % parmi les 1 % les
plus riches (voir
Graphique 11.19
e
XIX siècle ou au début du XX siècle un impôt progressif sur
le revenu et un impôt progressif sur les successions, avec
des taux faibles dans le bas de la distribution et des taux
applicables aux plus hauts revenus et patrimoines qui ont
atteint au cours de la période 1950-1980 des niveaux
extrêmement élevés, typiquement 60 %-90 % 132. Par
comparaison, les trajectoires suivies concernant l’impôt sur
la propriété ont été plus diverses et hésitantes. Des impôts
exceptionnels et progressifs sur la propriété privée ont joué
un rôle important dans de nombreux pays. Les expériences
en matière d’impôt progressif annuel et permanent sur la
propriété ont été plus limitées, mais nous allons voir que les
débats (et parfois les réalisations) ont été extrêmement
nombreux et instructifs, aussi bien aux États-Unis qu’en
Europe. Tout laisse à penser que cette question de l’impôt
progressif sur la propriété va jouer un rôle central au
XIX
et au début du
À la fin du
du
e
XVIII siècle
XVIII siècle,
XXI siècle
Tout laisse à penser que cette longue histoire est loin d’être
terminée. Le système en place est le fruit de processus
sociopolitiques dépendant avant tout des rapports de force
politico-idéologiques et des capacités de mobilisation des
uns et des autres, et il continuera d’évoluer de la même
façon. Surtout, la très forte montée des inégalités
patrimoniales aux États-Unis au cours de la période 1980-
2020, conjuguée avec la médiocre croissance, a créé les
conditions d’une remise en cause du tournant idéologique
des années 1980-1990. Depuis le milieu des années 2010,
on voit de plus en plus fréquemment des responsables du
parti démocrate évoquer le retour à des taux de l’ordre de
70 %-80 % applicables aux plus hauts revenus et
patrimoines hérités. Cela vaut notamment pour Bernie
Sanders, battu sur le fil par Hillary Clinton lors de la primaire
démocrate de 2016, et qui a proposé un taux de 77 % pour
les plus hautes successions (au-delà de 1 milliard de
dollars).
sur la propriété
2. Voir chapitre 5.
détaillées.
CHAPITRE 12
et postcommunistes
de la propriété ?
De la survie du « marxisme-léninisme »
au pouvoir
12.1).
Graphique 12.1
Graphique 12.2
Le centile supérieur en Russie, 1900-2015
Graphique 12.3
communiste et anticolonialiste
légitimes
XX siècle), ou
La Russie postcommuniste :
« oligarques » du pays.
Graphique 12.4
Graphique 12.5
et de la kleptocratie russe
prioritaire 34.
Graphique 12.6
Graphique 12.7
e
XX siècle des dettes issues des guerres mondiales, il paraît
peu probable que les contribuables des classes moyennes
et populaires auront cette patience. À ce stade, la question
est toutefois moins prégnante qu’elle pourrait l’être, compte
tenu du niveau inhabituellement bas des taux d’intérêt sur
les principales dettes publiques. Il n’est pas sûr cependant
que cette situation dure éternellement, auquel cas cette
question deviendra très vite un élément majeur de
reconfiguration du conflit sociopolitique et électoral, en
particulier en Europe. Nous y reviendrons 57.
l’inégalité
Graphique 12.8
L’inégalité en Chine, en Europe et aux États-Unis,
1980-2018
moitié du
de la démocratie parlementaire
et la propriété
initiale
sont
particulièrement
douteux,
voire
totalement
indéfendables 84.
de la démocratie encadrée
de la désillusion postcommuniste
Graphique 12.9
Graphique 12.10
en Union européenne
XX siècle.
Nous reviendrons de façon détaillée dans la quatrième
partie sur ces
n 2-3, 2018.
3. À titre de comparaison, le taux d’emprisonnement
(toujours exprimé en pourcentage de la population adulte)
est actuellement de 0,7 % en Russie, 0,3 % en Chine, et
moins de 0,1 % dans tous les pays d’Europe occidentale.
Voir annexe technique.
5. Voir chapitre 6.
ie
49. Il s’agit des règles dites SNA 2013. Les règles SNA
(System of National Accounts) sont révisées environ tous les
dix ans par un consortium d’organisations internationales et
d’instituts statistiques et s’imposent en principe à tous les
pays. P our les pays occidentaux, les estimations indiquées
sur le graphique 12.8 reprennent simplement les comptes
nationaux officiels. P our la Chine, pays pour lequel il
n’existe pas encore de compte de patrimoine officiel, nous
avons appliqué les mêmes définitions à partir des diverses
sources primaires disponibles. Voir annexe technique.
cité.
n 2015/6.
dispose des pouvoirs les plus étendus (elle vote les lois, élit
le président de la République populaire, etc.), et elle est
élue par l’ensemble des citoyens chinois. En pratique, le
mode de scrutin est indirect à plusieurs degrés, et tous les
candidats aux différents degrés doivent être approuvés par
des comités contrôlés par le PCC.
er
CHAPITRE 13
L’hypercapitalisme :
au
XXI siècle
La caractéristique la plus évidente du régime inégalitaire en
vigueur au niveau mondial en ce début de
planète sont désormais liées les unes aux autres avec une
intensité inédite. La mondialisation est certes un processus
de très long terme. Les relations entre les différentes parties
du monde se sont graduellement multipliées depuis 1500,
souvent sous les formes violentes du colonialisme et de
l’esclavagisme, mais en impliquant également des formes
d’échanges culturels et de brassages humains plus
pacifiques.
Graphique 13.1
Graphique 13.2
Graphique 13.3
Quant à la part allant aux 1 % les plus riches, elle est moitié
plus faible que celle allant aux 50 % les plus pauvres dans
les pays les plus égalitaires (ce qui est déjà considérable,
s’agissant d’un groupe cinquante fois moins nombreux). Elle
est plus de trois fois plus élevée dans les pays les plus
inégalitaires (voir graphique 13.4).
Graphique 13.4
e
XXI siècle, on trouve d’une part des pays
mondiales
de la transparence démocratique
Graphique 13.5
Graphique 13.6
et entre individus
Graphique 13.7
des États
du
Graphique 13.8
Graphique 13.9
à l’âge de l’information
XX siècle et en
ce début de
XX siècle se
Au
XXI siècle,
De la persistance de l’hyperconcentration
patrimoniale
États-Unis-Europe-
Monde
Chine
de l’inflation)
6,4 %
7,8 %
riches ( Forbes)
5,3 %
7,0 %
riches ( Forbes)
4,7 %
5,7 %
(WID.world)
3,5 %
4,5 %
(WID.world)
2,6 %
3,5 %
1,9 %
2,8 %
1,3 %
1,4 %
1,9 %
1,4 %
3,2 %
2,8 %
Lecture : de 1987 à 2017, le patrimoine moyen des un cent-
millionièmes les plus riches du monde (soit environ 30
personnes sur 3 milliards d’adultes en 1987, et 50 sur 5
milliards en 2017) a progressé de 6,4 % par an au niveau
mondial ; les 0,01 % les plus riches (environ 300 000
personnes en 1987, 500
Graphique 13.10
De la persistance de l’hyperconcentration de la
propriété
Lecture : la part des 10 % les plus riches dans le total des
propriétés privées atteignait 89 % en Europe (moyenne
Royaume-Uni-France-Suède) en 1913 (contre 1 % pour les
50 % les plus pauvres), 55 % en Europe en 2018 (contre 5 %
pour les 50 % les plus pauvres), et 74 % aux États-Unis en
2018 (contre 2 % pour les 50 % les plus pauvres).
De la persistance du patriarcat au
XXI siècle
XXI siècle,
Graphique 13.11
e
XXI siècle moins élevés que les sommets observés au XIX
siècle 86.
et de la libéralisation commerciale
Graphique 13.12
Lecture : dans les pays à bas revenus (tiers des pays les
plus pauvres : Afrique, Asie du Sud, etc.), les recettes
fiscales sont passées de 15,6 % du produit intérieur brut en
1970-1979 à 13,7 % en 1990-1999
et 14,5 % en 2010-2018, en partie du fait de la chute non
compensée des droits de douane et autres taxes sur les
échanges internationaux (qui rapportaient 5,9 % du PIB en
1970-1979, 3,9 % en 1990-1999
dans les années 2010, sans que les États parviennent dans
un premier temps à compenser ces pertes.
Il reste qu’il est très difficile pour les pays les plus pauvres
de résister à une pression des pays riches pour une
libéralisation commerciale accélérée, tout cela dans une
atmosphère idéologique caractérisée à partir des années
1980-1990 par un
Graphique 13.13
monétaire
Graphique 13.14
Néopropriétarisme et ordolibéralisme :
de Hayek à l’UE
L’invention de la méritocratie
et du néopropriétarisme
XX siècle et au début
du
e
XIX siècle.
des milliardaires
10.5.
5. Voir également L. ASSOUAD, L. CHANCEL, M. MORGAN,
« Extreme Inequality : Evidence from Brazil, India, the
Middle East and South Africa », WID.world, 2018, AEA
Papers and Proceedings, vol. 108,
et 7.3.
n 2016/1, figure 2.
presse.
et EHESS, 2018.
QUATRIÈME PARTIE
DU CONFLIT POLITIQUE
CHAPITRE 14
La frontière et la propriété :
la construction de l’égalité
Graphique 14.2
et politico-idéologiques
des
dizaines
de
questions
au
sujet
des
caractéristiques
raciaux et du social-nativisme
e
XIX siècle ait pu graduellement devenir celui du New Deal et
de Roosevelt au
14.3).
Graphique 14.3
tour des
graphiques 14.4-14.5).
14.4).
graphique 14.5).
Graphique 14.4
er
des voix au 1
Graphique 14.5
nds
nds
Les autres 2
Graphique 14.7
Graphique 14.8
comme positif.
Du renversement du clivage éducatif :
Graphique 14.9
éducatif
Graphique 14.11
et qui, pour une large part, ont cessé de voter pour ces
partis dans les années 1990-2020, on trouve notamment les
ouvriers du secteur industriel. Cet effondrement du vote
ouvrier pour les partis socialistes, communistes, sociaux-
démocrates, démocrates et travaillistes pendant les
décennies de l’après-guerre est un phénomène bien connu
que l’on retrouve dans tous les pays occidentaux46.
L’explication la plus évidente est la perception croissante au
sein des ouvriers que les partis qui étaient supposés les
défendre sont de moins en moins parvenus à le faire, en
particulier dans un contexte de chute de l’emploi industriel
et d’une mondialisation sans régulation collective suffisante.
de justice éducative
Graphique 14.13
XIX siècle
XX siècle
et de la « droite marchande »
en France
Graphique 14.14
Graphique 14.15
perturbation politico-religieuse
Graphique 14.16
Graphique 14.17
le piège discriminatoire
Graphique 14.18
La frontière et la propriété :
Graphique 14.19
Tableau 14.1
Macron
Fillon (vote
Le Pen
Mélenchon
présidentielle
des
(vote
« inégalitaire- /Dupont-
/Hamon
« inégalitaire-nativiste »)
Aignan
(vote
internationaliste »)
(vote
« égalitaire-
« égalitaire-
internationaliste »)
nativiste »)
100 %
28 %
24 %
22 %
26 %
« Il y a trop
d’immigrés en
56 %
32 %
39 %
62 %
91 %
France » (%
d’accord)
« Pour établir
la justice
sociale, il faut
prendre aux
riches et
51 %
67 %
46 %
27 %
61 %
donner aux
pauvres » (%
d’accord)
Diplômés du
33 %
39 %
41 %
36 %
16 %
supérieur (%)
Revenu
mensuel >
15 %
9%
20 %
26 %
8%
4 000 € (%)
Propriétaires
de leur
60 %
48 %
69 %
78 %
51 %
logement (%)
chapitre 13 127).
Graphique 14.20
De l’instrumentalisation néopropriétariste
de l’Europe
6. Voir chapitre 6.
er
72. Ceci est vrai si l’on examine les profils bruts (avant tout
contrôle), et l’est encore davantage après prise en compte
des variables de contrôle. Voir annexe technique et
graphiques S14.1a-S14.1c.
73. P our un modèle théorique analysant comment les
croyances en l’effort s’adaptent aux trajectoires
individuelles, et permettant ainsi de rendre compte de
l’effet des mobilités sur les attitudes politiques, voir o
120. En Inde, les quotas ont en outre été mis en place dans
un premier temps au seul bénéfice des catégories
discriminées à l’intérieur de l’hindouisme ( scheduled castes
et scheduled tribes), et en excluant les musulmans
(pourtant tout aussi pauvres et discriminés dans de
nombreuses régions, mais dont l’inclusion aurait sans doute
suscité des oppositions virulentes). Ce n’est que dans un
second temps qu’ils ont été étendus aux other backward
classes, y compris aux musulmans. Voir chapitre 8.
chapitre 16.
CHAPITRE 15
Gauche brahmane :
les nouveaux clivages euro-américains
aux États-Unis
Graphique 15.1
graphique 15.3).
Graphique 15.2
Graphique 15.3
Graphique 15.4
Graphique 15.5
Graphique 15.6
15.6) 9.
aux États-Unis
Pour des raisons évidentes, la question de l’exploitation
politique du clivage racial a une longue tradition aux États-
Unis. La République étatsunienne est dans une large mesure
née avec l’esclavage : rappelons que 11 des 15 premiers
présidents du pays étaient des propriétaires d’esclaves. Le
parti démocrate était historiquement le parti de l’esclavage
et du droit des États à maintenir et étendre le système
esclavagiste.
Graphique 15.7
regards transatlantiques
Graphique 15.9
dont
font
et la question raciale
15.7-15.8).
inachevées :
de Reagan à Sanders
au Royaume-Uni
Graphique 15.10
XVIII et du
e
XIX siècle, s’était appuyé sur l’affrontement entre les tories
(conservateurs) et les whigs (renommés officiellement les
libéraux à partir de 1859). À peine plus de trente ans après
le People’s Budget, qui avait permis aux libéraux d’avoir
raison de la Chambre des lords en 1909-1911, les
travaillistes arrivent au pouvoir en 1945 et remplacent
définitivement les libéraux comme principal parti
d’alternance face aux conservateurs, après plusieurs
décennies de compétition acharnée. Le pays qui avait été le
plus aristocratique jusqu’au début du
Graphique 15.12
Graphique 15.13
marchande » au Royaume-Uni
Graphique 15.14
Graphique 15.15
le Royaume-Uni postcolonial
Graphique 15.16
Graphique 15.17
Uni,
de Powell à l’UKIP
La politisation de la question des immigrés extraeuropéens
prend une tournure nouvelle en 1968 avec les diatribes du
député conservateur Enoch Powell. Dans des discours
abondamment repris et diffusés, Powell annonce que des «
fleuves de sang » vont se répandre dans le Royaume-Uni si
les flux migratoires se poursuivent.
justifiant le « Remain ».
Graphique 15.18
, op.
cit.
ACKSON,
Tous les détails sur ces enquêtes, ainsi que les codes
informatiques permettant de passer des fichiers bruts aux
résultats finaux, sont disponibles en ligne.
CHAPITRE 16
Social-nativisme :
similarités et variantes
Graphique 16.1
Graphique 16.2
droite de l’après-guerre
de l’Est postcommuniste
Graphique 16.3
Graphique 16.4
Conflit politique et diplôme en Pologne, 2001-2015
élections.
Lors des élections législatives de 2018, l’électorat s’est
divisé en trois grands blocs : le M5S a obtenu 33 % des voix,
le PD 23 %, et la coalition des partis de droite 37 % 25.
Cette dernière était elle-même très hétéroclite, puisqu’elle
comprenait un pôle anti-immigrés avec la Lega (17 %), un
pôle libéral-conservateur avec Forza Italia (14 %) et d’autres
petits partis nationalistes-conservateurs (6 %) oscillant
entre les deux. Aucun pôle n’ayant obtenu seul la majorité
des sièges, une coalition était nécessaire pour former un
gouvernement. Une alliance fut un moment envisagée entre
le M5S et le PD, mais la méfiance réciproque était trop forte.
Le M5S et la Lega, qui avait déjà fait cause commune lors de
l’opposition au Jobs Act de Renzi au Parlement italien et
dans les grandes manifestations de 2014, se sont alors
accordés pour gouverner le pays sur la base d’un
programme tentant de faire la synthèse entre les deux
partis, avec, d’une part, la mise en place du système de
revenu minimum garanti prôné par le M5S et, d’autre part,
la politique antiréfugiés intransigeante défendue par la
Lega26. Ces deux piliers s’incarnent dans la nomination du
jeune leader du M5S (Luigi Di Maio) au ministère du
Développement économique, du Travail et des Politiques
sociales, en charge notamment du revenu minimum et des
politiques d’aménagement du territoire et d’investissements
publics dans le sud du pays, alors que le chef de la Lega
(Matteo Salvini) occupe le poste stratégique de ministre de
l’Intérieur. Cela lui a permis de mener dès l’été 2018 des
opérations antimigrants spectaculaires, et en particulier de
bloquer tout accès aux côtes italiennes pour les bateaux
humanitaires venant en aide aux réfugiés en Méditerranée.
européenne
À la fin du
de l’idéologie marchande-nativiste
De l’idéologie marchande-nativiste
et de sa diffusion
en Europe
transnational
parlementaires nationales
Reconstruire la confiance,
stabiliser les taux à des niveaux très faibles) que pour des
mesures fiscales exceptionnelles (possiblement adoptées
par l’Assemblée européenne). L’Assemblée européenne
pourrait décider de prolonger le rééchelonnement des
dettes sur une longue durée, par exemple le temps que les
pays de la zone euro aient retrouvé un niveau d’emploi et
une trajectoire de croissance corrects par comparaison à
l’avant-crise (en particulier en Europe du Sud, et plus
généralement au niveau de la zone dans son ensemble).
Elle pourrait également décider que le rééchelonnement
durera tant que des progrès suffisants n’auront pas été
réalisés sur d’autres objectifs jugés plus prioritaires, comme
le réchauffement climatique, ce qui paraîtrait assez justifié
98.
sociale-fédéraliste de l’Europe
16.5-16.6).
Graphique 16.5
Graphique 16.6
de l’État transnational
et de clivages en Inde
Graphique 16.7
des voix et les autres partis 13 % des voix. Note : lors des
législatives de 1977 (post-état d’urgence), le Janata Dal
regroupe les opposants à l’INC de gauche et de droite et est
ici classé avec les « autres partis ».
Graphique 16.8
Graphique 16.9
Graphique 16.10
en Inde
Graphique 16.11
Graphique 16.12
Graphique 16.13
Graphique 16.14
XI siècle, seraient
Graphique 16.15
La politisation de l’inégalité au Brésil, 1989-2018
sur le populisme
59. Il est à noter que même les projets les plus fédéralistes
discutés à ce jour ne sont pas allés jusque-là. En particulier,
le projet de traité instituant l’Union européenne adopté en
1984 par le P arlement européen (dit
61. Les membres de la Rajya Sabha sont élus sur des listes
présentées par les partis et ne sont pas eux-mêmes
membres des législatures des États.
62. P récisément 3 545 membres pour la Lok Sabha contre
245 membres pour la Rajya Sabha. En pratique, cette
procédure de réunion jointe n’a été utilisée que trois fois
depuis l’adoption de la Constitution de 1950, dont une fois
en 1963 pour adopter la loi sur la prohibition des dots.
fiscale et la démocratisation).
chapitre 10.
99. Il est par exemple tout à fait possible que certains pays
d’Europe de l’Est (où de larges pans de l’opinion ne se
reconnaissent pas dans l’évolution nativiste-conservatrice,
comme le montre la forte abstention, en particulier en
Pologne) ou d’Europe nordique rejoignent un tel projet avant
des pays comme le Luxembourg et l’Irlande dont les
gouvernements ont investi tout leur capital politique depuis
les années 1990 à expliquer à leur opinion publique que
l’avenir du pays reposait sur le dumping fiscal.
108.
Voir
annexe
technique,
graphiques
S16.5-S16.6.
Voir
également
A.
GETHIN,
o
the Foreigners' Tax Scheme in Denmark », Quarterly Journal
of Economics, vol. 129, n 1, 2014, p. 333-378.
130. Ont été inclus comme alliés du Congrès les partis qui
ont généralement participé à des alliances avec l’INC, en
particulier dans le cadre de l’UPA (United P rogressive
Alliance). Il s’agit notamment des partis NCP, DMK, TRS et
BJD. Voir A. B
132. Ont été inclus comme alliés du BJP les partis qui ont
généralement participé à des alliances avec lui, en
particulier dans le cadre de la NDA (National Democratic
Alliance). Il s’agit notamment des partis Shiv Sena, SAD et
TDP. Voir A. BANERJEE, A. GETHIN, T. P IKETTY, « Growing
Cleavages in India ? Evidence from the Changing Structure
of the Electorates 1962-2014 », art. cité.
CHAPITRE 17
au XXIe siècle
délibération
e
e
XX siècle. Ils
social-démocratie au
Du dépassement du capitalisme
et de la propriété privée
XX siècle (voire
et la circulation du capital
les plus riches (et jusqu’à 60 %-70 % par les 1 % les plus
riches), n’avait aucune utilité du point de vue de l’intérêt
général. La preuve la plus évidente est que la très forte
compression de ces inégalités à la suite des chocs et des
transformations politico-idéologiques des années 1914-1945
n’a aucunement empêché le processus de développement
économique de suivre son cours. La concentration de
propriété a été sensiblement plus faible depuis le second
conflit mondial (avec généralement autour de 50 %-60 %
des biens détenus par le décile supérieur et 20 %-30 % par
le centile supérieur) que ce qu’elle était avant 1914, alors
que la croissance s’est accélérée 13. Quoi qu’aient pu en
penser les propriétaires de la Belle Époque (1880-1914),
l’inégalité extrême n’était pas le prix à payer pour la
prospérité et le développement industriel. Tout indique au
contraire qu’elle a contribué à attiser les tensions sociales
et nationalistes, tout en empêchant les investissements
sociaux et éducatifs qui ont rendu possible le modèle de
développement équilibré de l’après-guerre. Par ailleurs, la
forte remontée de la concentration de la propriété observée
depuis les années 1980-1990 aux États-Unis, ainsi qu’en
Russie, en Inde, en Chine et à un degré moindre en Europe,
montre que l’inégalité patrimoniale extrême peut se
reconstituer pour toutes sortes de raisons, comme des
privatisations avantageuses ou des rendements financiers
structurellement plus élevés pour les plus hauts
portefeuilles, sans que cela soit nécessairement porteur
d’une croissance plus élevée pour la majorité de la
population, bien au contraire 14.
Afin d’éviter qu’une concentration démesurée de la
propriété ne se reconstitue
XX siècle, avec
universelle en capital
XX siècle, a
certes contribué à une réduction importante des inégalités
de revenus et de patrimoines au cours du siècle écoulé dans
les pays capitalistes, aussi bien d’ailleurs en Europe qu’aux
États-Unis ou au Japon. Mais quelle que soit l’importance de
ce mouvement historique, il ne faut pas perdre de vue que
la propriété n’a en réalité jamais cessé d’être extrêmement
concentrée. En Europe, la part des 10 % des plus riches
dans le total des propriétés privées est certes passée
d’environ 80 %-90 % en 1900-1910 à environ 50 %-60 % en
2010-2020. Mais outre que cela reste une part très élevée
pour seulement 10 % de la population, cette
déconcentration s’est réalisée presque exclusivement au
bénéfice des 40 % suivants (dont la part est passée d’à
peine 10 % à 30 %-40 % du total). En revanche, la diffusion
de la propriété ne s’est jamais véritablement étendue aux
50 % les plus pauvres, dont la part dans le patrimoine privé
total s’est toujours située autour de 5 %-10 % (voire au-
dessous de 5 %), dans tous les pays et à toutes les époques
pour lesquelles des données sont disponibles 22. Depuis les
années 1980-1990, la part de la propriété privée détenue
par les classes populaires (les 50 % les plus pauvres) et les
classes moyennes patrimoniales (ainsi que l’on peut
nommer les 40 % suivants) s’est en outre rétrécie dans la
quasi-totalité des pays. C’est notamment le cas aux États-
Unis, où la part détenue par les classes aisées (les 10 % les
plus riches) a nettement dépassé 70 % du total au cours des
années 2010. C’est aussi le cas en Europe, à un degré
moindre, ainsi qu’en Inde, en Chine et en Russie, où le
niveau de concentration patrimoniale tend à se rapprocher
à vive allure (voire à le dépasser dans le cas de la Russie)
de celui observé aux États-Unis 23.
Tableau 17.1
J’insiste de nouveau sur le fait que les taux indiqués ici n’ont
qu’une valeur illustrative et devraient faire l’objet d’une
délibération collective et d’une expérimentation
approfondie. En particulier, l’une des vertus de l’impôt
progressif sur la propriété est de promouvoir la
transparence sur les patrimoines. Autrement dit, la mise en
place d’un tel impôt, éventuellement avec des taux plus
modérés que ceux indiqués ici, permettra de produire
davantage d’informations sur les rythmes de progression
des différents niveaux de patrimoine et d’ajuster les taux
appliqués par la suite en fonction des objectifs de
déconcentration de la propriété que se donne la société. Les
éléments disponibles à ce stade indiquent que les plus
grandes fortunes ont progressé à des rythmes moyens de
l’ordre de 6 %-8 % par an depuis les années
XIX siècle
et au début du
XX siècle, qui
pays
Idéalement, le retour de la progressivité fiscale et le
développement de l’impôt progressif sur la propriété
devraient se faire dans le cadre de la plus grande
coopération internationale possible. La meilleure solution
serait la constitution d’un cadastre financier public
permettant aux États et aux administrations fiscales
d’échanger toutes les informations nécessaires sur les
détenteurs ultimes des actifs financiers émis dans les
différents pays. De tels registres existent déjà, mais ils sont
pour une large part à la main d’intermédiaires privés. Il
suffirait pourtant que les États qui le souhaitent, aussi bien
en Europe qu’aux États-Unis et dans les autres parties du
monde, changent les termes des accords qui les lient pour
mettre en place un registre public, qui ne poserait aucun
problème technique 56.
Il est important de préciser que cette taxe est due par tous
les propriétaires de ces biens, qu’il s’agisse de particuliers
ou d’entreprises, et qu’ils soient eux-mêmes basés en
France ou à l’étranger (ou détenus par des personnes
basées en France ou à l’étranger). Actuellement, le montant
de la taxe foncière ne dépend pas de l’identité du
propriétaire et de l’ampleur de ses détentions patrimoniales
(puisqu’il s’agit d’un impôt strictement proportionnel), si
bien que l’Administration n’a besoin d’aucune information
supplémentaire pour établir l’impôt (autre que le nom de la
personne ou de la structure à laquelle il convient de facturer
l’impôt). Mais l’Administration pourrait très bien exiger des
propriétaires de ces biens, lorsqu’il s’agit d’entreprises ou
de structures légales de diverses natures (holdings,
fondations, etc.), qu’ils lui transmettent les identités des
actionnaires et les parts correspondantes, faute de quoi des
sanctions dissuasives seraient appliquées 61. De cette
façon, en utilisant également les informations sur les
portefeuilles financiers, transmises par les banques et
institutions financières, l’administration fiscale française
(comme celle des autres pays) pourrait parfaitement
transformer la taxe foncière en un impôt progressif sur le
patrimoine net individuel, en prenant en compte
automatiquement l’ensemble des biens résidentiels ou
professionnels détenus en France, directement ou par
l’intermédiaire d’actions, de parts ou d’actifs financiers de
diverses natures.
e
XIX siècle), ferait face à une augmentation d’impôt sur la
propriété 64.
Avec un tel système, la seule stratégie d’évitement possible
pour les détenteurs de biens résidentiels ou professionnels
basés en France serait de quitter le territoire et de vendre
les actifs correspondants. Face à cela, des mesures de type
exit tax pourraient être appliquées 65. En tout état de
cause, il faut souligner que cette stratégie d’évitement
impliquerait de vendre les biens (logements et entreprises),
de sorte que les prix de ces derniers baisseraient et
pourraient ainsi être achetés par tous ceux qui resteraient
dans le pays (qui a priori seraient les plus nombreux, et
parmi eux des millions de personnes fort compétentes). À la
réflexion, cette possible baisse des prix serait une
excellente chose, au moins jusqu’à un certain point. En
France comme dans les autres pays, la flambée du prix des
actifs (notamment dans les grandes métropoles) est en
partie alimentée par des propriétaires français et étrangers
accumulant des biens dont ils ne savent que faire et qui
pourraient utilement être transmis à des détenteurs moins
riches. Le point important est qu’un pays comme la France
pourrait parfaitement imposer ces nouvelles obligations de
transparence aux entreprises et autres entités et personnes
morales détenant des biens sur son territoire sans que ceci
nécessite l’accord d’autres pays 66.
fiscale
retraites,
de
l’allocation-chômage
et
des
allocations
XXI siècle.
éducative
plus naturelle est que les électeurs les moins diplômés ont
eu le sentiment d’être abandonnés par ces partis, dont
l’attention et les priorités se seraient de plus en plus
tournées vers les gagnants du système éducatif, et dans
une certaine mesure les gagnants de la mondialisation.
Cette transformation politico-idéologique revêt une
importance cruciale pour notre enquête. En particulier, elle
constitue un élément important permettant de mieux
comprendre l’effondrement du système gauche-droite de
l’après-guerre et la montée des inégalités depuis les années
1980-1990 97.
Graphique 17.1
promouvoir la transparence
démocratique
Depuis le milieu du
La frontière juste :
mondiale
mais
n’en
incluant
aucune
concernant
les
questions
Tableau 17.2
des
pays
pauvres)
par
les
organisations
internationales,
chapitres 4 et 11.
21. D’un point de vue théorique, dès que l’on introduit des
contraintes de crédit, ou bien des variations futures de la
valeur des actifs et de leur rendement (imprévisibles lors de
la transmission), il devient préférable de prélever une part
importante de l’impôt successoral sous forme d’impôt
annuel sur la propriété.
51. Les tentatives d’instituer des taux plus réduits sur les
revenus du capital que sur les revenus du travail (comme en
Suède en 1991) ont par exemple conduit à des transferts
totalement fictifs et économiquement inutiles entre
différentes catégories de revenus, par exemple entre
revenus salariaux et dividendes. Voir à ce sujet E. SAEZ et
G. ZUCMAN, The Triumph of Injustice, op. cit. , qui proposent
d’imposer l’ensemble des revenus du capital (y compris les
profits non distribués pour les sociétés non cotées et les
plus-values pour les cotées) aux mêmes taux que les
revenus du travail.
65. L’ exit tax se justifie par le fait qu’il n’existe aucun droit
naturel à s’enrichir en profitant du système collectif, légal,
éducatif, etc., d’un pays donné puis à en extraire la richesse
sans en reverser la moindre part.
94. Tous les nouveaux impôts ont été accusés en leur temps
d’être impraticables, excessivement complexes e
parlementaire.
Conclusion
quête de la justice
L’histoire du
e
Chapitre 1
Chapitre 2
Graphique 2.1. Les effectifs de la société ternaire en France,
1380-1780 (en % de la population totale)
Chapitre 3
XVIII siècle
Chapitre 4
XIX siècle
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 10
Chapitre 12
Chapitre 13
XXI siècle
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17