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Aristote
Dirigée par Pierre-Yves Rougeyron
e-ISBN : 9782865533435
ISSN : 2728-6274
www.editionsjcgodefroy.fr
L’empire contre-attaque
Posons le cadre
Dominer et peupler
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1. Tableau saisi par Eric Vougel, un voyageur allemand, qui croisa cette caravane maudite dans le Fezzan
libyen. Voir : Boulevert, Yves. Explorations en Afrique Centrale 1790-1930. Y. Boulevert, 2019.
Le Maghreb était un coupe-gorge misérable
Dans le Maghreb précolonial, l’on vit isolé du village d’à côté dont
on croise les habitants une fois par semaine si on a la chance de se
rendre au souk hebdomadaire. L’on vit coupé de la région voisine,
car les routes sont mauvaises et dangereuses. L’on vit étouffé sous
des couches sédimentaires d’ignorance et de superstition. Les
tabous sont nombreux, de la fontaine « maudite » qu’il ne faut pas
approcher jusqu’aux endroits qu’il ne faut pas fréquenter la nuit pour
ne pas croiser les djins.
Le Marocain, l’Algérien, le Tunisien du XIXe siècle ne voyageait
pas. Il passait sa vie près de son lieu de naissance ou dans le cadre
limité de sa zone de transhumance ou de nomadisme. Au-delà, terra
incognita. L’homme ne connaît de sa montagne que le versant qu’il
habite, de la rivière que les berges qu’il a plantées de peupliers et de
pommiers, de sa vallée que la portion où il peut se déplacer sans
être dévalisé. Il connaît la pièce, mais ignore l’ensemble, il habite le
terroir, mais n’appartient pas au pays. Le paysage est familier ou
n’est pas.
Du Moyen Atlas, il ne connaît que les cimes qui lui font face : le
Bouyeblane (3 192 m) près de Séfrou ou bien le Tazekka (1 980 m)
près de Taza. Il ne sait pas les relier à un ensemble nommé Moyen
Atlas qui lui-même appartient à une chaîne qui remonte par plis
successifs depuis le sud-ouest vers le nord-est (Anti-Atlas, Haut
Atlas, Moyen Atlas, Atlas algérien).
C’est l’explorateur européen qui prendra la peine de nommer les
grands ensembles, car il a besoin de les classer et de les décrire, lui
qui les parcoure. Massifs, plateaux, rivières, oasis, la connaissance
du pays sera thésaurisée par les étrangers, scientifiques et espions
allemands, britanniques, espagnols ou français.
Réalité diminuée. Monde rapetissé. Voyager signifie se déplacer
d’un « enclos » à un autre en traversant des zones de non-droit ou
des no man’s land où l’on a intérêt à ne pas s’éterniser pour avoir la
vie sauve. Tel est le cadre de vie de l’homme et de la femme que les
Français viendront bientôt coloniser, à partir de 1830 en Algérie,
1881 en Tunisie et 1912 au Maroc.
Cet isolement alimente les pulsions régionalistes : un esprit de
terroir mêlé à une idée de la pureté du sang et à une solidarité de
facto entre gens qui souffrent, depuis toujours ensemble sans
secours extérieur, le pouvoir central brillant par son absence en cas
de disette ou d’épidémie.
La société n’existe pas au sens où on l’entend nous-mêmes
aujourd’hui c’est-à-dire comme un corps social conscient de soi et
solidaire de ses différentes parties. Avant l’arrivée de la colonisation,
ce sont plusieurs corps sociaux qui s’étalent de la mer jusqu’au
désert et qui se donnent des coups de coude au fur et à mesure des
razzias, des migrations saisonnières ou des guerres civiles.
Les Français joueront sur cette pulvérisation pour imposer leur loi
en dépensant le moins possible en hommes et en matériel. Combien
de batailles seront remportées par les troupes arabes et berbères
levées quelques jours plus tôt parmi des tribus qui ont renoncé à
lutter contre l’envahisseur et choisi d’attaquer leurs voisins ?
Le fanatisme structurel
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1. Edouard Vogel, que nous avons connu dans le chapitre précédent, accompagna – en tant que prisonnier –
une razzia le long de la rivière Logone (frontière entre le Tchad et le Cameroun) où ont été pris « deux mille
cinq cents esclaves et quatre mille bœufs ». Il ajoute que « certains prisonniers furent mutilés : jambe gauche
coupée au genou, bras droit au coude, les pertes de sang entraînant la mort… Des quatre mille prisonniers, il
n’en arriva pas cinq cents à Kouka ». (province du Bornou, au Nigéria actuel).
2. Cette description laconique est d’Ernest Gellner (historien et anthropologue) au livre de Mohammed Ennaji
sur l’esclavage au Maroc au XIXe siècle : Soldats, domestiques et concubines. Un ouvrage qui n’a pas peur
de lever le voile sur les réalités de la servitude dans le Maroc précolonial.
3. L’attrait pour les esclaves féminines à la peau blanche (géorgienne, arménienne etc.) est une spécialité du
monde turc duquel la Régence d’Alger et celle de Tunis participaient.
4. Bou Hmara (1860-1909) faillit renverser la monarchie marocaine, il ligua contre elle un front tribal allant de
l’est (Oujda) jusqu’au Rif. L’histoire de sa vie tout comme sa vie « affective » sont restituées de manière
agréable par Omar Mounir dans son Bou Hmara, l’homme à l’ânesse.
5. Habitants de Fez. Au sens du XIXe siècle, il s’agit d’un peuplement arabe mêlant les descendants des
habitants premiers de la ville (fondée au IXe siècle), aux réfugiés venus de toute part dont des Tunisiens, des
juifs de la Péninsule Ibérique et des Andalous (musulmans expulsés au XVIIe siècle).
6. Habitants de Salé. Rappelons que Salé forma une république indépendante au XVIIe siècle et dont le
principal moteur économique tournait autour de la piraterie maritime.
L’Afrique n’existait pas
Pauvreté et oppression
Liberté
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1. Touraille, Priscille. Hommes grands, femmes petites : une évolution coûteuse : Les régimes de genre
comme force sélective de l’adaptation biologique. Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2008
(en ligne) : http://books.openedition.org/editionsmsh/9687 (page consultée en mars 2021).
2. Ceci est une différence fondamentale avec le Maghreb et surtout le Maroc de la même époque où la
pression fiscale pouvait être absurde voire confiscatoire. D’où la tentation de la dissidence (essiba) pour ne
pas avoir à payer d’impôts.
3. Une autre différence de taille avec le Maghreb où l’on ressentait, dans certains milieux du moins, une vive
nostalgie de l’époque glorieuse où la Méditerranée était une mer arabe et l’Andalousie une terre musulmane.
4. Piette Valérie. « La Belgique au Congo ou la volonté d’imposer sa ville ? L’exemple de Léopoldville »,
Revue belge de philologie et d’histoire, 2011.
5. Discrets et démunis, les Portugais ont excellé dans l’art de déléguer la répression des indigènes à d’autres
indigènes, issus d’ethnies antagonistes. Je ne saurai que trop recommander le travail de l’historien René
Pelissier sur le sujet et dont je fournis la référence en bibliographie.
L’Indochine était en proie au grand remplacement
Coloniser le colonisateur
La camisole de force
L’homme, l’individu lui est un simple rouage de ce grand jeu. Il est
un grain de sable face à la collectivité qui lui exige loyauté et
collaboration. Il est « coincé » de toutes parts dans un réseau
d’obligations vis-à-vis du village (auquel il doit le travail obligatoire)
et de l’État (qui peut le convoquer au service militaire, une épreuve
terrible à plus d’un égard).
Et s’il refuse de respecter les règles, il est exclu. Ce qui veut dire
le bannissement. Il redevient alors une cellule errante, sans identité
ni tuteur. Une âme en peine.
Chaque année, ils sont des milliers de hors-la-loi (au sens de
marginaux) à emprunter les pistes forestières pour s’enfouir dans les
terres « vierges » encore aux mains des Khmers, des Chams ou des
peuples de la montagne. C’est la bataille pour la vie : il faut spolier
plus faible que soi pour ne pas périr de faim et de désespoir.
Ceux qui jouent le jeu en revanche ont une chance infime, mais
réelle de se faire une place au soleil. Pour cela, ils doivent obéir,
entrer dans le moule et courber l’échine. Parmi eux, les aspirants au
concours très sélectif de mandarin, un sésame pour participer de la
bureaucratie qui gère le pays. La sélection se fait sur la base du
mérite et non du népotisme ou de la corruption. Encore une fois, il
suffit de travailler et d’obéir pour avoir une chance de s’en sortir.
L’homme est maté, il apprend la discipline à chaque instant et à
chaque coin de rue. On est à mille lieues de la « licence » qui règne
au Maghreb ou en Afrique dès que le Sultan ou le chef ont le dos
tourné.
Toutefois, cette discipline et cet esprit de corps sont au service de
la riziculture. Point d’industrialisation à l’horizon. Point de révolution
des arts et des sciences. Le Vietnam n’est pas la Prusse. Il est, dans
un certain sens, un bout de civilisation chinoise accrochée aux
rizières et aux forêts de la péninsule. Il attendra que la Chine
s’éveille et fasse sa révolution moderne (bien après la fin de la
Guerre froide) pour connaître enfin l’ère industrielle.
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1. Paul Boudet évoque avec un charme touchant le triste sort du peuple cham, balayé par les Annamites et
sorti de l’histoire en dépit de sa sophistication et de sa civilisation. Paul Boudet (1888-1948) était lauréat de
l’Ecole Nationale des Chartes, affecté en Indochine en 1917, il y monta de toutes pièces le service des
archives et créera ce qui deviendra plus tard la Bibliothèque Nationale du Vietnam.
2. Les appréciations formulées dans ce chapitre peuvent paraître sévères. Elles reflètent sans aucun doute un
jugement de valeur, à un moment ou un autre. N’étant ni historien ni journaliste, je n’ai pas besoin de feindre
la neutralité.
PARTIE II :
(1830-1905)
Aux origines de la colonisation française : une
lente gestation et un accouchement rapide
Les Français, eux, ne sont pas des Européens comme les autres,
ils ont commis un crime impardonnable aux yeux de leurs pairs : la
Révolution de 1789. L’Europe des monarchies, de Londres à
Moscou, les a comme retranchés de la famille européenne. Elle ne
leur pardonne pas la mort de Louis XVI ni la destruction de l’ordre
traditionnel. Et elle est encore moins disposée à oublier l’épopée
napoléonienne, une poussée coloniale aussi foudroyante que brutale
et qui a failli engloutir tout le continent. L’Europe a beaucoup de
reproches à faire à la France. Alors, elle la surveille. Alors, elle la
punit. Et la place dans une camisole de force, trop serrée pour son
corps.
Au Congrès de Vienne (1815), réunissant les vainqueurs de
Napoléon, l’Europe a réglé son sort à la France. La punition durera
un siècle et ne sera levée réellement qu’en 1914. En attendant, la
France effectue une longue traversée du désert, privée de territoires
qui lui sont chers (la Savoie et le Comté de Nice notamment),
entourée d’États tampons créés sur mesure pour la contenir (pensez
aux Pays-Bas) et privée d’alliances d’envergure.
Toutes les tentatives de briser le carcan seront vouées à l’échec
ou au demi-succès. Guerre de Crimée entre 1853 et 1856 (un demi-
succès où la France ne tire pas le crédit qu’elle estimait devoir lui
revenir), Campagne d’Italie en 1859 (un demi-succès là aussi, car
Napoléon III réussit à fâcher les Italiens, ses alliés pourtant), Guerre
du Mexique de 1861 à 1867 (une catastrophe absolue et sans
appel).
Les vents ne recommenceront à souffler dans un sens favorable
qu’à la fin du XIXe siècle lorsque des alliances seront conclues avec
la Russie (1892) et la Grande-Bretagne (1904).
Cette puissance frustrée, constamment empêchée par ses pairs,
peut trouver dans la colonisation un exutoire. D’autant plus que
l’acte de coloniser n’est pas une nouveauté pour les Français et
s’inscrit dans une tradition coloniale qui remonte à loin. L’Ancien
Régime a constitué un empire colonial qui a participé à sa grandeur
et lui a rapporté quelques richesses. Des îles « agricoles » des
Antilles à la rentabilité économique élevée, aux immensités du
Canada et du Mississippi, le souvenir est bon, voire excellent. Alors,
pourquoi se priver d’imiter les Anciens dans ce qu’ils ont fait de
grand ?
Ce microclimat préside au démarrage de l’histoire coloniale
contemporaine de la France : l’intervention en Algérie en juillet 1830.
La décision d’intervenir dans ce pays s’est inscrite dans le cadre que
nous venons d’esquisser : la France a cédé à la tentation de « faire
un coup », facile et peu risqué et aux dividendes extrêmement
limités. Le Roi Charles X, en mal de légitimité vis-à-vis de l’opinion
publique, voulait causer un électrochoc à peu de frais. Au passage, il
aurait aimé rehausser le prestige de la France auprès de ses pairs
européens, histoire de leur rappeler qu’elle est encore une
puissance avec laquelle il faut compter. Prétextant une querelle
diplomatique, il a envoyé un corps expéditionnaire qui a vaincu les
forces ottomanes plus facilement que prévu. Au-delà de cela, aucun
plan, aucun objectif, aucune doctrine. On y reviendra dans les pages
à venir.
Nous sommes face à une politique d’opportunités, d’occasions à
saisir et qui se conçoit dans le court terme seulement. Personne
n’avait la moindre idée de ce qu’était l’Algérie ou de ce qu’il
convenait d’y faire en juillet 1830. Ces questions ne se posaient
même pas : on intervient pour obtenir un dividende politique
immédiat (en quelques semaines, on défait le Dey et on expulse les
Turcs). On ne se projette pas dans le futur, car le futur n’est pas en
Algérie, il est en France, il est en Europe. Le monde d’alors se limite
à l’Europe au sens large : de l’Oural aux États-Unis. Le reste de la
planète est une aire de jeux, un champ d’intervention où l’on se sert
quand on peut, mais où n’a pas vocation à s’enraciner ou à s’investir
véritablement.
On réagit, on répond à une tentation, à un stimulus. En 1830,
l’opportunité de « corriger » un potentat médiéval à peu de frais a
servi de stimulus. Plus tard, la stimulation viendra de milieux
spécialisés qui poursuivent des intérêts « catégoriels ».
Le lobby colonial
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1. Le capitaine Cupet (1859-1907) a participé à l’exploration des Hauts Plateaux indochinois à la fin du XIXe
siècle.
2. À cette date, la Russie représentait 26 % du total, l’Espagne et le Portugal : 16 % !
Voir Giradet, Raoul. L’idée coloniale en France : de 1871 à 1962, Paris, La Table Ronde, 1972.
3. C’est en ces termes que se serait adressé Paul Déroulède à Jules Ferry au sujet de la question coloniale.
4. La conquête de l’Algérie sera étudiée plus tard et on verra, à cette occasion, qu’elle ne sera vraiment
terminée qu’en 1905 avec la pacification du Sahara. En 1848, se referme l’épisode de la résistance de l’émir
Abdelkader.
5. Bien entendu, le niveau de développement de l’Irlande n’est pas celui de l’Angleterre ou de la Prusse au
XIXe siècle. De même pour les pays ibériques.
6. Lire la race selon l’acception de l’époque à savoir le peuple, la civilisation, l’appartenance ethnoculturelle.
On parlait d’ailleurs de race française, de race allemande, de race espagnole, etc.
7. À ce stade, l’enthousiasme et l’impatience d’agir concernent les élites ou plutôt quelques certains restreints
parmi elles. L’opinion publique n’a pas le loisir de se poser ces questions ni de mesurer l’immense fossé qui
sépare la puissance de l’Europe de la faiblesse du reste du monde.
8. Meuriot, Paul. « La population de l’Angleterre en 1901 ». Journal de la société statistique de Paris, tome 44,
1903 (en ligne) : http://www.numdam.org/article/JSFS_1903__44__99_0.pdf
(page consultée en avril 2022)
9. Henry Louis, Blayo Yves. « La population de la France de 1740 à 1860 ». Population, 30e année, n° 1,
1975 (en ligne) : https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1975_hos_30_1_15696#pop_0032-
4663_1975_hos_30_1_T1_0071_0000 (page consultée en avril 2022)
10. 1822 : création de l’Œuvre de la Propagation de la Foi ; 1854 : création des Missions africaines de Lyon ;
1868 : création de la Société des Missionnaires d’Afrique (connus comme les Pères Blancs).
11. Rambaud, Arthur. « Préface » in J.R. Seeley, L’Expansion de l’Angleterre, Paris, 1885.
12. Discours du 28 juillet 1885.
13. À la veille de la Première Guerre Mondiale, sur les 700 000 Français installés dans les colonies, 500 000
vivent en Algérie.
14. Eugene Étienne (1844-1921) est un pied noir, originaire d’Oran, il sera plus que le porte-parole de la
colonie algérienne à Paris, il incarnera à lui tout seul la cause coloniale, son état d’esprit et sa rhétorique.
Député, sous-secrétaire d’État aux colonies, il donnera plusieurs coups de pouce à Lyautey qui séjourne en
Algérie à la fin du XIXe siècle pour pacifier la région dite du sud-ouest oranais. La relation amicale entre
Étienne et Lyautey symbolise la « réconciliation » française aux colonies : Étienne est un républicain plutôt
intransigeant et anticlérical, Lyautey est tout l’inverse, pourtant ils vont s’entendre à merveille sur la politique à
mener outre-mer.
15. Le 31 mars 1905 et sans avertir personne, l’empereur allemand se rend à Tanger. Il traverse la ville à
cheval et se rend à la rencontre du Sultan marocain qu’il assure de son soutien face à l’impérialisme français
et anglais.
Une idée tordue
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1. Pour une excellente analyse de l’aspect démographique de la colonisation, je renvoie vers cet article où j’ai
d’ailleurs prélevé ces quelques statistiques sur la mortalité des militaires :
Etemad Bouda, « Pour une approche démographique de l’expansion coloniale de l’Europe », Annales de
démographie historique, 2007 (en ligne) : https://www.cairn.info/revue-annales-de-demographie-historique-
2007-1-page-13.htm (page consultée le 6 mars 2021)
2. « Il fut pour moi l’ami le plus sûr, le plus désintéressé, le plus dévoué ; en deux occasions, il risqua sa vie
pour protéger la mienne. » Cet hommage au Hadj Bou Rhim fait partie du compte rendu que Charles de
Foucauld a tiré de son voyage au Maroc. Voir : Reconnaissance du Maroc, 1883-1884.
Le « stage » algérien
L’exception algérienne
Les Algériens ont été pris de court par l’invasion française. Cela
ajoute à la singularité de leur colonisation puisque les autres peuples
ont tous été « prévenus » à l’avance des intentions de la France.
Pour comprendre leur réaction à la colonisation, il faudrait au
préalable se plonger dans le paysage politique et mental de l’Algérie
en 1830. Sans prendre la peine d’examiner l’état des esprits, des
croyances et des loyautés, toute interprétation des faits ne serait
qu’une énième décharge de moralisme, entre victimes innocentes et
bourreaux désignés.
L’Algérie à la veille de l’arrivée des Français est un pays
extrêmement morcelé selon des lignes de division ethniques,
religieuses, régionales et tribales. Il n’y a pas un peuple algérien ou
une Algérie, mais une mosaïque de populations qui vivent
relativement isolées les unes des autres et se font la guerre en
permanence. Le contentieux, la discorde et le recours à la violence
dominent les relations entre les collectivités qu’il s’agisse de tribus,
de familles ou de confréries religieuses. L’individu ne signifie pas
grand-chose en tant que tel, chacun se définissant par une ou
plusieurs appartenances : la race (kabyle ou arabe), le lieu de vie,
l’affiliation tribale, la religion (juif ou musulman), la manière de
pratiquer la religion c’est-à-dire l’adhésion à une des nombreuses
confréries qui organisent la spiritualité et font l’intermédiaire entre
Dieu et les hommes.
Ce monde éclaté ne se fédère qu’au prix d’un immense effort que
seuls des êtres exceptionnels peuvent accomplir. L’Émir Abdelkader
(1808-1883) en fait partie. Il est une de ces figures extraordinaires
capables à la fois de violenter les récalcitrants et de galvaniser les
enthousiastes. Un enfant du pays qui se sert des matières premières
disponibles en abondance dans l’Algérie de l’époque : la xénophobie
et le fanatisme religieux. On y déteste le chrétien doublement, pour
être l’étranger qui vient spolier le pays et pour représenter l’infidèle
qui vient troubler la foi musulmane.
Sans faire appel à ces deux passions tristes, il est impossible de
réunir les forces vives autour d’un but commun. Et encore, il faut
toujours refaire ce qui a été fait la veille puisque le goût de l’intrigue
et l’esprit de vendetta soufflent en permanence dans l’intimité des
cœurs.
L’Algérie est aussi une terre sous souveraineté étrangère,
gouvernée selon un système qui se contente de diviser pour mieux
régner. Point d’institutions élaborées, de conseils sophistiqués et
d’idéologies pompeuses. L’Islam, la matraque et la cooptation
suffisent. La seule ambition est d’exploiter les populations sans rien
leur donner en retour.
La Régence d’Alger, le nom donné à l’entité politique ottomane en
Algérie, est une colonie low cost où les Turcs dépensent peu et
gouvernent beaucoup. Bien que leur pouvoir n’ait été que nominal à
certains endroits, ils ont toujours été au centre du jeu, arbitres des
intrigues et suzerains de toutes les ambitions. Du littoral jusqu’aux
portes du désert, aucun homme fort n’est en place sans la
bénédiction du Dey d’Alger1.
La domination ottomane en Algérie se fonde sur une ingénierie
sociale sans vergogne qui consiste à déléguer à certains Algériens,
méticuleusement choisis, le soin d’opprimer d’autres Algériens. Le
système est tellement efficace qu’en temps normal le nombre de
militaires turcs déployés en Algérie ne dépasse pas les 3500 âmes2.
C’est peu, comparé au contingent que la France a envoyé sur place
pour assurer sa domination : 100 000 militaires dans les années
1840.
Détenteurs du pouvoir, les Turcs vivent à Alger et dans les
grandes villes comme Oran, Constantine et Tlemcen. Ils
interviennent directement dans l’administration de la région en
arrière d’Alger où ils possèdent des fermes et des résidences de
villégiature. Dans ce secteur, à majorité arabe, le territoire est
quadrillé par des caïds repartis sur onze subdivisions administratives
nommées aoutan. La sécurité est assurée par des garnisons fixes et
par des tribus arabes, placées aux endroits sensibles. À l’est, une
fraction de la tribu arabe des Arib surveille la route de Constantine et
garde les yeux fixés sur la Kabylie. À l’ouest, les Zemouls et les
Hadjoutes assurent la vigie. En contrepartie, ces « forces
d’autodéfense » cultivent sans frais les terres domaniales et ne
paient pas l’impôt. Enfin et par mesure de précaution, les limites des
aoutan périphériques sont artificiellement repoussées de quelques
kilomètres vers la montagne, plaçant de facto les Berbères des
hauteurs sous l’autorité des Arabes de la plaine. Un moyen habile de
maintenir vives les tensions interethniques et d’empêcher toute
union contre le colonisateur.
Dans le reste du pays, le dispositif turc s’assimile à une
administration indirecte, composée de deux leviers principaux.
D’un côté, les Coulouglis, des métis descendants des soldats
ottomans (père turc, mère arabe). Solidaires de l’ordre établi et
convaincus de leur supériorité raciale sur les Algériens, ils forment
une caste à part. Quand ils n’occupent pas des fonctions
administratives de premier plan à Alger, ils sont destinés, avec
femmes et enfants, à des garnisons à l’intérieur des terres. Ils y
mènent une vie de colons armés, connus pour leurs vertus
guerrières et leur agriculture florissante.
De l’autre, un assemblage disparate de tribus antagonistes que
les Turcs retiennent de se dévorer les unes les autres : les tribus
makhzen contre les tribus raias. Les premières ont préséance sur
les secondes qu’elles obligent par la force à payer les impôts. Au
besoin, elles les répriment au moyen de razzias contre leurs biens,
leurs bétails et leurs femmes. C’est comme si l’État français avait
fermé le commissariat et l’hôtel des impôts de votre ville avant de
confier ses missions régaliennes à un gang de Tchétchènes.
Sur une carte de l’Algérie, l’on est saisi par la disposition des
différentes tribus. Le territoire est une natte qui enserre les éléments
les plus turbulents et les moins fiables. À l’ouest par exemple, les
tribus raias sont confinées entre les tribus makhzen qui sont
habilement disposées le long de deux lignes parallèles allant d’Oran
à la vallée moyenne du Chélif (côté nord) et de Sebdou à la ville de
Saïda (côté sud).
Au premier rang des tribus makhzen, figurent les Smella et les
Douairs de la région d’Oran. Ces dernières sont dites du grand
makhzen ou du makhzen supérieur parce qu’elles ont été
constituées par les Turcs à cet effet. Imaginez une collectivité entière
dévouée au service militaire : des paysans, des bergers, des
artisans, des notables et des chefs de guerre. En contrepartie des
services rendus, les tribus du grand makhzen cultivent des terres de
l’État. Ailleurs, les Turcs délèguent leur pouvoir de police et de
collecte de l’impôt à des tribus plus loyales et plus agressives que
leurs voisines, celles-ci forment le makhzen inférieur, elles diffèrent
des premières par le fait qu’elles exploitent en général des terres qui
leur appartiennent et ne se mobilisent qu’au coup par coup au gré de
la conjoncture.
Pour prévenir les intrigues et empêcher les conspirations, les
tribus makhzen sont réparties selon des lignes de commandement
différentes. Sur le haut plateau central, les Oulad Aziz et les Oulad
Antar, tribus makhzen contiguës, répondent à des chefs différents :
l’une à l’Aga d’Alger, l’autre au Bey d’Oran.
Un trou subsistait cependant dans le dispositif turc : la Kabylie. En
1830, la région se gouverne elle-même sous la houlette des
Mokranis, une famille aristocratique qui ne reconnaît que
formellement le pouvoir ottoman.
L’éclatement et le morcellement généralisé des structures sociales
touchent les consciences également.
Depuis Paris, l’on peut croire que les Algériens sont simplement
musulmans sunnites. Or, l’Islam algérien est morcelé en plusieurs
mouvements religieux, en concurrence entre eux et avec le pouvoir
politique. Adeptes du secret, ces groupes forment de véritables
sociétés parallèles invisibles au profane, parmi elles : la Kadiriya, la
Chadlya, la Derkaouiya, la Taibiya, la Tijaniya, la Rahmaniya et la
Senoussiya. Chacune propose une tarika c’est-à-dire une méthode
particulière pour entrer en communication avec le Divin et obtenir
ses grâces. Que le lecteur s’imagine des confréries religieuses avec
des signes de reconnaissance occultes aux non-initiés, des lieux de
réunion interdits aux autorités temporelles, des conceptions
politiques bien arrêtées (pour ou contre les chrétiens, pour ou contre
les Turcs, pour ou contre une alliance avec le Sultan du Maroc, pour
ou contre l’immixtion de l’Islam et de la vie profane).
Les Turcs dominent donc un mille-feuille aux couches plus ou
moins visibles à l’œil nu. Ils sont les seuls à pouvoir en disposer
sans le casser ni dépenser des fortunes pour le maintenir sur pied.
Une commission d’enquête envoyée en Algérie par la chambre
des députés en 1833 a résumé la colonisation turque en Algérie de
cette manière :
« Les Turcs ne connaissent que le présent, la souveraineté
actuelle du jour. Ils s’occupent peu du lendemain, et ne gouvernent
les populations que dans l’intérêt du pouvoir, sans penser au
gouverné, qui devient ce qu’il peut. »3
Les Français, eux, en moins de vingt ans, feront tout voler en
éclats. Les Turcs leur ont livré un corps malade, un quasi-cadavre,
ils l’ont transformé en bouillie.
Ils seront surpris par la combativité des Algériens, fruit de l’hostilité
qui coule dans les veines d’une société de combattants où tout le
monde fait la guerre ou s’attend à faire la guerre un jour ou l’autre.
Les mentalités et les valeurs algériennes reflètent les compétences
qui permettent d’assurer la survie dans un environnement brutal où
règne la loi du plus fort : agilité et agressivité d’un côté, indiscipline
et désunion de l’autre.
La dislocation tribale
La dislocation raciale
La dislocation religieuse
Par « chance », les Français n’ont jamais eu à affronter une ligue
religieuse unifiée et encore moins une alliance entre les confréries et
les tribus.
Le manque de coordination entre les confréries émane de leurs
jalousies réciproques. Ainsi, l’émir Abdelkader (affilié à la confrérie
des Kadiriya) n’a pas pu compter sur la Taibiya qui, forte de 80 000
membres environ, aurait pu lui être d’un grand secours. Ce n’est
qu’en 1845 que le leadership de la Taibiya a sonné le tocsin et
rejoint l’insurrection. Quelques semaines après la « chute » de l’Émir
lors de la bataille d’Isly au Maroc où les forces maroco-algériennes
ont été balayées par Bugeaud.
De même, Abdelkader n’a jamais pu compter sur la puissance
secte des Rahmaniya, pourtant très hostile à la pénétration
chrétienne en terre d’Afrique. Cela ne veut pas dire que les adeptes
de la Rahmaniya n’ont pas résisté, ils ont simplement agi dans leur
coin, sans se coordonner avec lui. D’ailleurs, le grand moment de la
résistance des Rahmaniya s’est produit en 1871 lorsque cette
puissante secte a joint ses forces aux Mokrani de Kabylie.
À l’époque, Abdelkader était exilé en Syrie, où il attendait la mort.
Les confréries ont résisté aux Français comme elles sont arrivées
au monde et prospéré : en ordre dispersé.
Au sein d’une même confrérie, les dissensions sont telles qu’une
faction peut déclarer le jihad et l’autre se tenir tranquille. En 1871, la
faction de Sidi Ali Bou Azouz n’a pas rejoint le reste de la confrérie
Rahmaniya, ses membres se souvenaient peut-être de l’insurrection
de 1865 où leurs frères les ont laissés se débrouiller seuls face aux
Français8.
L’on comprend mieux pourquoi les Algériens ont perdu la guerre.
Leur désunion a autant pesé que la cruauté des forces françaises,
leur organisation supérieure ou leurs armements.
Abdelkader se rend en 1847. La phase la plus difficile et la plus
importante de la conquête s’achève : le nord de l’Algérie est grosso
modo entre les mains des Français, à l’exception de la Kabylie, de
quelques massifs et des zones en lisière du désert comme
les Zibans.
En 1847, les Français ont peut-être une colonie, mais n’ont pas de
projet pour cette colonie. Ils se sont battus à l’aveuglette, en réaction
à la résistance algérienne plus qu’en connaissance de cause.
D’ailleurs, quelle est la cause française en Algérie en 1847 ?
____________________
1. Le Dey gouverne la Régence au nom du sultan de Constantinople.
2. Ce nombre augmente bien sûr en cas de conflit armé ou de révolte.
3. Cette appréciation est due au député de l’Indre-et-Loire, Monsieur de La Pinssonière. Elle est citée dans un
article de Xavier Yacono, historien et professeur à l’université d’Alger dans les années 1950. Voir : Yacono
Xavier. La Régence d’Alger en 1830 d’après des commissions de 1833-1834 (fin). Revue de l’Occident
musulman et de la Méditerranée, n° 2, 1966. pp. 227-247.
4. Les chiffres varient selon les estimations des autorités françaises (1,5 million) et celles des autorités
algériennes (4 voire 6 millions).
5. Le fameux incident du coup d’éventail survenu trois ans plus tôt.
6. Le Dey, à proprement parler, est déporté à Naples. Les janissaires et les autres Turcs sont transférés en
Anatolie.
7. À l’origine, zouave faisait référence à zwawi, le nom donné à des tribus kabyles spécialisées depuis des
lustres dans la fourniture de soldats au service des Ottomans. Avec le temps, le recrutement a englobé des
Arabes de toutes les régions d’Algérie ainsi que des Français.
8. Au sujet des rivalités entre confréries religieuses en Afrique du Nord, je suggère cette référence accessible
aux non-initiés : « Les sociétés secrètes chez les Arabes et la conquête de l’Afrique du Nord », Revue des
Deux Mondes, 1884.
9. Un profil bien particulier que celui d’Ismail Urbain (1813,1884). Journaliste, interprète et grand ami du
peuple algérien, Ismail Urbain a été aux premières loges de la conquête. Converti à l’Islam bien avant son
expérience en Algérie, il a tenté de proposer une formule politique et administrative à même de garantir
l’identité algérienne et la modernisation de la société algérienne. Il aimait sincèrement les Algériens tels qu’ils
étaient et auraient aimé que la France soit leur bienfaitrice et non leur bourreau. Comme tous les esprits
originaux et adeptes de la nuance, il a été mis à l’écart par les faucons et les radicaux.
10. Lettre de Napoléon III à Persigny, ambassadeur de France à Londres, 29 juillet 1860.
La conquête économe
____________________
1. Cette citation ainsi que les éléments relatifs à l’histoire des goums au Maroc proviennent de l’article du
colonel Arnaud de la Grand’Rive, publié sur le site web du Centre de Doctrine et d’Enseignement du
Commandement de l’Armée de Terre, (en ligne) : https://www.penseemiliterre.fr/le-recrutement-la-formation-
et-l-emploi-des-troupes-locales-comme-vecteur-strategique-de-succes-chez-lyautey-2-
4_114113_1013077.html (page consultée en février 2021)
2. Rapport d’ensemble sur la pacification, l’organisation et la colonisation de Madagascar (référence complète
en bibliographie).
3. Discours à la Chambre des Députés du 20 octobre 1884.
Les indigènes ont conquis les indigènes
____________________
1. Philippe Devillers (1920-2016) est un journaliste et historien français. La citation est tirée de : Français et
annamites, Partenaires ou ennemis ? 1856-1902, Paris, Denoël, 1998.
2. Il s’agit d’un fait notoire puisque les mandarins sont avant tout une technocratie, recrutée sur le mérite
académique et non sur sa valeur guerrière.
3. Habitants du Souss, la région située entre Agadir et Taroudant grosso modo.
4. Habitants de la ville de Fez.
5. Sidna (notre seigneur) : le Sultan (Moulay Youssef à l’époque).
6. Tiré de Paroles d’Action, un recueil des discours et des prises de position publiques de Lyautey entre 1900
et 1926.
PARTIE III :
(1905-1954)
La déception coloniale
Le gouffre économique
La boîte noire
____________________
1. Cité par Charles Robert Ageron dans L’Anticolonialisme en France de 1871 à 1914, PUF, Paris, 1973.
Gustave de Molinari (1819-1912) fut un économiste belge, d’obédience libérale.
2. Je ne saurai que trop recommander son Pour en finir avec la repentance coloniale.
3. Sauf en 1926.
4. Sauf au Maroc où les pays d’Extrême-Orient avaient accès au marché dans les mêmes conditions que la
France. Cette égalité douanière remonte à l’Acte d’Algésiras, établi en 1907, soit cinq ans avant l’entrée en
vigueur du Protectorat. Elle concerne tous les partenaires commerciaux du Maroc à l’époque dont les États-
Unis et l’Allemagne, mais ce sont les Chinois (le thé) et les Japonais (produits manufacturés) qui en profitèrent
le plus. Leurs excédents commerciaux avec le Maroc ont lourdement pesé sur les comptes du Protectorat qui
n’avait d’autre choix que d’honorer les engagements pris à Algesiras.
5. L’Algérie est une exception à cette règle car son climat est assez proche du climat du Midi. Devant le
manque de colons français, on a fait venir des contingents européens (Malte, Italie, Espagne etc.). Mais, le
potentiel économique de cette colonie a toujours été limité du fait de la rareté de ses sols fertiles et de
l’absence de richesses minérales notoires. Le pétrole ne sera exhumé qu’à la fin de la période coloniale.
6. Elise Huillery. The Black Man’s Burden – The cost of colonization of French West Africa for French
taxpayers. 2009
7. Sauf en 1931 du fait de l’effondrement des prix des matières premières, conséquence de la crise de 1929.
8. 10 milliards de Francs (soit un milliard de piastres, la monnaie locale) pour une production nationale globale
de 394 milliards de Francs.
Voir : Vincent L-A. Évolution de la production intérieure brute en France de 1896 à 1938 : Méthode et premiers
résultats. Études et conjoncture – Institut national de la statistique et des études économiques, n° 11, 1962.
Voir aussi : Aperçus sur la situation économique des États associés d’Indochine, Revue d’économie Politique,
vol. 64, n° 2, Éditions Dalloz, 1954 (en ligne) : http://www.jstor.org/stable/24690175 (page consultée en
décembre 2021).
9. Paul Bernard (1892-1960) concevait deux priorités absolues pour l’Indochine : (a) diversifier l’économie par
le biais de l’industrialisation (chimie, textile, sidérurgie etc.) et (b) maximiser la production rizicole en misant
sur les engrais, et ce afin de nourrir la population et de disposer d’excédents réguliers pour l’exportation.
Comme les engrais coûtent cher, Paul Bernard invitait les autorités coloniales à en subventionner les prix pour
accélérer leur adoption par les paysans.
10. Ksour (pluriel de Ksar) : un fort ou un village fortifié appartenant au domaine saharien ou présaharien du
Maroc et de l’Algérie.
Une mauvaise affaire pour les colonisés aussi
L’empire de la pénurie
L’économie de ghetto
Par impuissance, la France a choisi le modèle économique le
moins cher, le plus utile d’un point de vue politique et le plus cynique
aussi : une économie de ghetto. Elle a réservé le développement
économique au petit monde blanc à qui elle a pu apporter, bon an
mal an, les infrastructures de base (ports, routes, etc.), la sécurité et
un cadre de vie à la française.
Jamais la France n’a considéré les colonies comme de futurs pays
émancipés qui devront marcher sur leurs deux jambes. Bien au
contraire, la transformation économique opérée par la colonisation
s’est bornée à faire du Maroc, du Sénégal et de la Guinée des
satellites. Des automates qui répondent aux impulsions d’un cerveau
lointain à travers les impulsions de l’administration et des grandes
entreprises. Sous cet angle, il n’était pas nécessaire de les doter
d’une industrie, d’un secteur énergétique robuste et compétitif, d’une
agriculture capable de nourrir la population et de générer des
surplus exportables, etc. Personne ne voyait de mal à spécialiser la
Côte d’Ivoire dans le cacao ou le Sénégal dans l’arachide, du
moment que la métropole leur envoyait des machines et des biens
de consommation.
Aussi, aboutit-on dès les premières décennies de la vie de chaque
colonie a un micro-PIB ridiculement bas si l’on considère la
population totale (allogènes et autochtones), mais respectable si l’on
se borne à la population d’origine européenne. Cette ambition limitée
avait le mérite de soigner les intérêts des « pieds-noirs » qui étaient
tentés de rafler la mise tout seuls sans partager les fruits de la
croissance avec les colonisés. Nous l’avons souligné précédemment
: les colons ont pris en otage la politique coloniale française par le
biais de leur influence à Paris et par l’intermédiaire de leurs députés,
des chambres de commerce et des journaux. Dans le cas de
l’Algérie, cette dérive a atteint des proportions scandaleuses dans la
mesure où de 1870 (chute de Napoléon III) jusqu’à la Seconde
Guerre mondiale (voire plus tard), l’économie de la colonie a été
subventionnée et sans cesse renflouée par l’État dans l’intérêt
exclusif des colons. Il fallait soigner la clientèle électorale au mépris
de la rationalité économique et des intérêts légitimes des Algériens
musulmans.
Ailleurs, en Afrique noire et en Indochine, de véritables fortunes
ont été amassées par des entrepreneurs disposant d’un monopole
légal ou d’une situation oligopolistique. Transport fluvial au Gabon,
au Congo, en Oubangui-Chari et dans le delta du Mékong ; sociétés
d’import-export qui achètent les denrées tropicales à bas prix et les
revendent en France à un prix avantageux et fixé à l’avance7 ;
compagnies de transport maritime et de messageries établissant la
liaison avec la France ; sans oublier bien sûr les banques. Autant de
cartels et de trusts qui ont certes beaucoup travaillé, mais aussi
profité de rentes de situation fort avantageuses, sous les yeux des
indigènes ravagés par la disette et la galle.
Le capital privé, d’une manière générale, a été au plus facile. Il
s’est saisi des positions avantageuses décrites ci-dessus et a
cherché à maximiser la rentabilité tout en réduisant le risque. Cela
veut dire occuper les terrains où la démographie est déjà
suffisamment forte pour offrir un débouché commercial, comme
l’Indochine qui a été inondée de produits textiles français. Cela
signifie aussi se saisir des gisements miniers les plus faciles d’accès
comme l’étain de la Nouvelle-Calédonie et les phosphates de
Tunisie.
À la longue, les colonies ont développé une économie duale. D’un
côté, une économie moderne, mécanisée et rompue aux méthodes
de gestion les plus avancées, organisée autour de la notion de
productivité et ouverte sur le commerce international. De l’autre, une
économie archaïque, mais non moins active et bouillonnante, fâchée
avec la science et la technologie, hors de portée du système
bancaire qui veut bien de son épargne, mais répugne à lui accorder
des crédits par manque de garantie. Deux économies vivent côte à
côte et qui se toisent : l’européenne et l’indigène, la formelle et
l’informelle, la moderne et la traditionnelle. Deux ghettos se font
face.
Au Maroc, deux agricultures ont cohabité comme deux planètes
éloignées tournent autour du même soleil. L’agriculture moderne
d’exportation, irriguée, à la pointe des techniques d’optimisation
génétique comme les greffes pour les plantes et les croisements
pour les animaux. C’est l’agriculture des fermes modèles de la
région de Guerrouane près de Meknès (vignes, amandiers,
pommiers), de la vallée de la Moulouya (agrumes), de la plaine du
Gharb (betterave, canne à sucre, riz). En face, de l’autre côté de
l’oued, l’agriculture de subsistance, déprimée et déprimante, car elle
dépend de la générosité du ciel qui varie d’une année sur l’autre, les
pluies ayant toujours été irrégulières au Maroc. Elle ignore les
engrais et ne connaît que le fumier ; elle se passe de soins
vétérinaires et se résigne à voir une vache laitière produire peu et
mourir vite.
L’agriculture traditionnelle répète les procédés et les erreurs
hérités des anciens. Elle a pour horizon la fatalité. C’est l’éternel
recommencement du cycle de la pénurie. Elle écoule ses maigres
surplus dans les souks hebdomadaires, toujours à courir après le
temps, car les hautes températures et l’absence de magasins de
stockage dignes de ce nom réduisent la durée de vie des récoltes, le
fellah marocain a toujours peur que son olive soit infectée par les
vers de terre ou que ses tomates pourrissent sous ses yeux dans les
cageots, alors il s’en débarrasse au plus vite et au prix dicté par
l’acheteur.
Ma propre famille a vécu cette dichotomie. Mon oncle aîné gérait
un domaine agricole ultramoderne dans la très fertile plaine du
Souss (vers Taroudant), une exploitation où avait investi la famille de
l’ancien président Giscard d’Estaing. Et mon grand-père, à la même
époque, engraissait des volailles et des moutons dans une caverne
creusée à même la roche. Deux univers pour une même colonie. Et
entre les deux, pas ou peu d’effet d’entraînement, pas ou peu d’effet
de ruissellement.
Comme d’habitude dans la vie, des malins, des chanceux et des
individus plus compétents que d’autres se sont créé une « situation
» malgré l’apartheid de fait qui séparait les mondes européen et
indigène. En Algérie dans l’entre-deux-guerres, des musulmans ont
racheté les terres libérées par les pieds-noirs qui renonçaient pour
de bon à la colonisation agricole, lui préférant les facilités de la vie
urbaine. Au Maroc, la famille Laghzaoui a prospéré dans le transport
interurbain en dépit de la position privilégiée occupée par la CTM
(Compagnie générale et de Tourisme au Maroc). En Cochinchine et
au Cambodge, des entrepreneurs vietnamiens ont saisi les
opportunités offertes par le boum de l’hévéa et ont créé leur propre
plantation où ils exploitaient eux aussi les coolies misérables venus
du Tonkin. Parmi eux et à titre d’exemple, la plantation d’un certain
Ly-Ba-Dung possédant 87 ha à 112 km de Saigon et employant 25
ouvriers, dont des coolies indigènes. En Afrique de l’Ouest aussi,
des entrepreneurs noirs ont profité de la paix et de l’union douanière
au sein de l’AOF et AEF pour étendre des réseaux commerciaux sur
de grandes distances, le cas par exemple du jeune M’ba, ivoirien
d’ethnie malinké qui s’improvisa grossiste de produits alimentaires
appréciés des noirs de la région de Bouaké, il faisait venir le poisson
de Mopti (dans l’actuel Mali), du riz de Sikasso (Mali), de l’igname
précoce, du maïs et du mil de tout point de l’AOF. Dans les années
1950, il recevait jusqu’à 60 tonnes de marchandise par jour ! M’ba
occupa avec brio une niche très « juteuse » délaissée par le
capitalisme colonial. Allons-nous en faire une victime du
colonialisme ?
L’apartheid éducatif
Au-delà de l’argent, le défi était aussi humain (où trouver les profs
nécessaires à une telle entreprise ?) et logistique (comment
atteindre des élèves en brousse ou en plein Sahara dans des
endroits où l’espérance de vie de l’Européen est limitée ?). En 1945,
l’e-learning16 était encore inconnu…
Et politiquement, l’extension de la scolarité indigène était un
chemin de croix. Les milieux colons voyaient en effet d’un mauvais
œil la perspective d’un enseignement obligatoire à destination des
colonisés. En Algérie, l’hostilité a été totale et explique pour
beaucoup l’extrême retard pris dans l’alphabétisation des
musulmans. Depuis la fin du XIXe siècle, Paris fixe un budget pour la
construction et l’entretien d’écoles réservées aux musulmans. Mais,
les conseils municipaux, tous aux mains des pieds-noirs, avaient les
plus grandes réticences à l’engager17. Très peu d’écoles ont été
construites et celles qui tenaient sur pied étaient en mauvais état.
Partout ailleurs, les Européens n’ont jamais été preneurs d’élèves
autochtones dans les écoles où ils plaçaient leurs enfants. Ils ne les
ont acceptés qu’au compte-gouttes, sous la pression des autorités
françaises qui voulaient placer les fils de bonne famille, histoire de
s’assurer la loyauté des élites indigènes d’une manière générale, les
gouverneurs n’étaient pas convaincus de la nécessité d’éduquer les
peuples sous leur tutelle et la raison en est simple, elle tombe sous
le sens même : quels postes offrir aux « intellectuels » et aux «
lettrés » indigènes si par définition ils n’ont pas l’accès à la fonction
publique, n’étant pas citoyens ? Et puis comment expliquer à un
normalien sénégalais comme Sédar Senghor ou un jeune médecin
ivoirien comme Houphouët-Boigny qu’il gagnera toute sa vie moins
qu’un Français qui a le même diplôme ? Comment leur faire
admettre qu’ils ne peuvent pas vivre dans le quartier européen et
voyager où bon leur semble sans laissez-passer ?
Parmi les premiers à se plaindre figurent les médecins
vietnamiens lauréats de la faculté de médecine de Hanoi. Dès les
années 1920, ils s’indignent de ne pouvoir exercer la médecine
libérale comme leurs homologues européens qui ont suivi à peu près
les mêmes études. Ils grossiront les rangs des nationalistes et
ajouteront à leur amour de la patrie la revendication corporatiste.
Certains opteront pour une critique originale, mais néanmoins
dangereuse pour la domination française, comme le chirurgien Ton
That Tung qui, dès son retour d’Europe en 1939, a milité pour une «
médecine nationale » purement vietnamienne et qui se veut autre
chose qu’une déclinaison de la médecine occidentale en milieu
tropical18.
Cela dit, il serait injuste et inexact de faire reposer le poids du
fiasco éducatif colonial sur les seules épaules de la France. Les
indigènes ont souvent résisté à l’offre éducative française par rejet
du colonialisme. Ce phénomène s’est atténué après la Première
Guerre mondiale,19 mais est resté vivace dans certains segments de
la population et s’est réveillé avec vigueur lors des guerres de
libération.
Si les Français n’ont pas fait entrer les indigènes au Paradis, ils
ont sorti des millions d’entre eux de l’Enfer. Travail inachevé, œuvre
ô combien discutable, mais formidable réalisation tout de même. Le
simple fait d’avoir mis fin à la traite et à l’esclavage intra-africain est
en soi une prouesse. Les indigénistes ne l’admettront jamais, les
Français eux-mêmes se refusent à le croire, mais la vérité doit être
dite.
Le premier service rendu par les Français est sans conteste
l’interdiction de l’odieux commerce des êtres humains. Ces deux
fléaux ont saigné l’Afrique des siècles durant et n’ont été éradiqués
que par l’action décisive des puissances européennes qu’il s’agisse
de la France, de la Grande-Bretagne ou encore de la Belgique.
L’avènement de la colonisation a été un choc pour les uns, mais
aussi une joie pour les autres, les captifs, les esclaves et les otages.
Cela s’appelle un progrès et fait honneur, qu’on le veuille ou non, à
la mission civilisatrice. Peu importe que les Français aient voulu par
ce biais mettre à disposition de l’économie capitaliste des millions de
bras, mobiles (puisqu’ils ne sont plus fixés à un maître) et prêts à
s’employer contre salaire. Peu importe oui parce que le saut
qualitatif entre la servitude et la liberté, même factice, est
incommensurable.
Là où les Européens n’ont pas mis les pieds, l’esclavage a
perduré : l’Arabie Saoudite a attendu 1960 pour l’interdire. Et là où la
présence coloniale a été la plus lâche (comme dans les déserts du
Sahara), on a tergiversé pour interdire l’esclavage comme en
Mauritanie où il n’a été supprimé que dans les années 1920.
L’Éthiopie n’a mis fin à l’esclavage et à la servitude volontaire qu’en
1942, mise sous pression par les Italiens qui quelques années plus
tôt ont envahi le pays et libéré plus de 400 000 âmes en peine20.
Les méchants Français ont mis fin aux châtiments physiques qui
concernaient non seulement les esclaves, mais aussi les hommes et
les femmes libres. Finies les langues coupées et les peaux
marquées au fer rouge. Ils ont également mis un terme à des
pratiques dégradantes comme la mise en gage d’êtres humains
comme garantie de dettes commerciales et privées. Avant la
colonisation, que ce soit en Indochine ou en Afrique occidentale, un
oncle pouvait gager son neveu contre l’octroi d’un prêt, charge à la
personne gagée de travailler gratuitement pour le créancier jusqu’au
jour où l’intégralité de la dette sera soldée.
Libérer, la France l’a fait quand il s’est agi de libérer les juifs du
Maghreb de leur servitude millénaire. Pour la première fois, les juifs
ont pu quitter le mellah où ils vivaient confinés les uns sur les autres
par peur des brimades et des pogroms. Pour la première fois, ils ont
accédé à la dignité, leur intégrité physique garantie et leur culte
respecté. Jamais avant l’arrivée de la France, le juif marocain ne
pouvait monter à cheval ni porter le vêtement qui lui plaisait. Il était
tenu, par son statut de dhimi, de marcher à pied, parfois pieds nus et
de se vêtir d’une manière qui le distingue du musulman : au moyen
d’une belgha21 rouge par exemple.
Le retour de la sécurité fut une libération pour tous les indigènes.
La fin du brigandage a redonné la vie à des régions jadis désolées
par les razzias et les crimes en tout genre. La paix imposée par la
France a permis le renouveau du commerce aux mains des
autochtones. Les caravanes ont pu circuler à nouveau, les primes
d’assurance baisser suite à la disparition des pirates.
Voici un aperçu du Maroc des années 1880 tel que Charles
de Foucauld l’expérimenta. À votre avis, quel était l’état du
commerce dans un tel chaos ?
« Si, dans les qçars22 et dans les tribus errantes, des coutumes
protègent plus ou moins chaque individu contre ses concitoyens,
rien nulle part ne sauvegarde l’étranger : tout est permis contre lui.
On peut le voler, le piller, le tuer : nul ne prendra sa défense ; s’il
résiste, chacun lui tombera dessus »
____________________
1. Tiré de « Développement économique et legs coloniaux en Afrique », International Development Policy |
Revue internationale de politique de développement, 1 | 2010.
2. Tiré de l’étude de Jean-Pierre Besancenot. Voir : La santé en Côte d’Ivoire, d’hier et d’aujourd’hui. Cahiers
d’outre-mer. N° 162 – 41e année, avril-juin 1988.
3. Tel est le diagnostic formulé par Germaine Tillon (1907-2008), ethnologue rompue aux réalités nord-
africaines. Elle a étudié l’Algérie et spécifiquement la région des Aurès à deux moments différents : 1940 et
1955.
4. Le gourbi est le nom générique donné aux habitations (en dur) des classes défavorisées. Une pièce
rectangulaire mal aérée, basse et édifiée en pisé ou en pierres reliées par un mortier.
5. Concernant le déficit de productivité de la main-d’œuvre algérienne et nord-africaine en général, je renvoie
à l’essai de Daniel Lefeuvre : Pour en finir avec la repentance coloniale.
6. Clément, Alain. « L’analyse économique de la question coloniale en France (1870-1914) », Revue
d’économie politique (en ligne) : https://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2013-1-page-51.htm (page
consultée en mars 2021)
7. À l’image de la Compagnie Française de l’Afrique Occidentale (CFAO) dont l’origine remonte aux maisons
de commerce ouvertes en 1852 par Charles-Auguste Verminck en Côte d’Ivoire, en Sierra Leone et au
Sénégal.
8. L’ironie du sort voudra que le Plan de Constantine soit mort-né car, un an à peine après son lancement, De
Gaulle annonce le principe de l’autodétermination c’est-à-dire la possibilité de l’indépendance de l’Algérie. À
partir de cette date, les entrepreneurs ont cessé de croire dans l’économie algérienne…
9. Chiffres fournis par Adam Barbe dans Public debt and European expansionismin Morocco From 1860 to
1956.
10. Égalité réelle en Algérie du fait du Décret Crémieux, alignement progressif sur la condition du Français au
Maroc et en Tunisie. Ainsi, dans ces deux pays, les israélites ont été admis dans les écoles françaises bien
avant les musulmans.
11. Au Vietnam, le système confucéen traditionnel a été activement et implacablement combattu par les
autorités coloniales qui ont fini « par avoir sa peau » dans les années 1910. À sa place, rien n’a été prévu si
ce n’est un système hybride qui ne couvrait qu’une infime partie de la population scolarisable.
12. Philippe Séguin (1943-2010), l’ancien président de l’Assemblée Nationale française, a vécu à Tunis
jusqu’au milieu des années 1950. À l’approche de l’indépendance, il a dû quitter le lycée français de Tunis
pour préparer son bac au lycée public de Draguignan. En arrivant en France, il a été surpris d’être « à l’aise »
parmi ses camarades métropolitains, le niveau exigé en Tunisie étant bien plus élevé. En Algérie dans les
années 1920, un certain Fernand Braudel enseignait l’histoire au lycée…
13. Les diplômes délivrés par l’université de Dakar ne sont valables qu’en Afrique.
14. Ces chiffres proviennent d’une étude de Pascale Barthélemy de l’École Normale Supérieure de Lyon. Voir
: « L’enseignement dans l’Empire colonial français : une vieille histoire ? », Histoire de l’éducation, 128 | 2010,
(en ligne) : http://journals.openedition.org/histoire-education/2252 (page consultée en mars 2021)
15. Ces données proviennent de cette excellente étude publiée par Abdou Moumouni Dioffo sous le titre
L’Éducation en Afrique (en ligne) : https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/educationmoumouni/ (page
consultée en mars 2021)
16. Les Australiens, confrontés au problème des grandes distances, ont organisé un ingénieux système
d’enseignement via les ondes radios dans les années 1950-60.
17. Il ne faut pas oublier que seuls les pieds noirs étaient autorisés à élire des maires et des conseillers
municipaux en Algérie jusqu’à la réforme municipale décidée en 1956.
18. Monnais-Rousselot, Laurence. « Paradoxes d’une médicalisation coloniale ». Actes de la recherche en
sciences sociales. Vol. 143, juin 2002 (en ligne) : www.persee.fr/doc/arss_0335-
5322_2002_num_143_1_2853 (page consultée en mars 2021)
19. C’est l’époque où les indigènes se convainquent de l’utilité de la médecine et accordent ainsi plus de
crédit aux idées européennes. Par ailleurs, la guerre a certainement rapproché les communautés, les
indigènes ayant fourni un contingent non-négligeable de soldats sur le front européen.
20. Le fait que les troupes italiennes qui ont envahi l’Éthiopie en 1935 étaient fascistes ne nous exempt pas
d’être fidèle à la vérité historique. Les armées de Mussolini qui ont dévasté l’Éthiopie ont en même temps
libéré les captifs.
21. Une sorte de babouche.
22. Je reprends ici l’orthographe de l’auteur (dans Reconnaissance au Maroc) même si l’usage aujourd’hui
serait d’écrire : Ksar au singulier et Ksour au pluriel.
Dictature et apartheid
L’apartheid républicain
La solidification du système
____________________
1. Tiré du Procès de la colonisation française, un livre-pamphlet publié en 1925. Je l’ai consulté en ligne :
https://www.notesdumontroyal.com/document/654a.pdf (page consultée en mars 2021)
2. « Toute critique injurieuse des actes de l’administration française ou cambodgienne est punie d’un
emprisonnement de trois mois à trois ans et d’une amende de 10 à 100 piastres. » , un extrait d’Indochine
SOS par Andrée Viollis.
3. Une étude passionnante de la presse marocaine entre 1918 et 1939 est offerte par l’historienne Amina
Ihrai-Aouchar. Voir : La presse nationaliste et le régime de Protectorat au Maroc dans l’entre-deux-guerres.
Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, n° 34, 1982.
4. La haute mortalité des Européens soumis au climat tropical ou même nord-africain a alimenté la recherche
de « refuges » en altitude ou près de la mer où les corps pouvaient se reposer loin des germes, de la chaleur
et de l’humidité. En Asie, la France fit construire des magnifiques stations d’altitude comme Da’Lat et Bana au
Vietnam et Bokor au Cambodge. Celle-ci était reliée à Kep, en contrebas, une station maritime avec villas et
club pour Européens. Au Maroc, Ifrane a été une destination de choix pour échapper au climat suffocant de
Fez en été.
5. Ce passage est tiré de L’Amour aux colonies écrit sous pseudo par un certain Dr Jacobus X, un trésor pour
l’étude des mœurs (notamment sexuelles) dans les colonies françaises.
6. Le sort du métis était moins dramatique, me semble-t-il, dans les colonies lusophones d’Afrique. Les
Portugais étant certainement plus à même de mélanger leur sang à celui des populations locales.
7. Indochine S.O.S, page 58.
8. Pour une analyse fine des causes de la surmortalité dans le chantier du Congo Océan, je recommande
cette étude, courte et très bien documentée :
Sautter Gilles. Notes sur la construction du chemin de fer Congo-Océan (1921-1934). Cahiers d’études
africaines, vol. 7, n° 26, 1967.
9. Londres, Albert. Terre d’Ebène, Paris, Albin Michel, 1929.
10. Cette histoire est contredite avec véhémence par les responsables de la société concessionnaire.
11. Paul Monet (1884-1941), ancien capitaine de l’artillerie coloniale, ancien employé du service de
géographie de l’Indochine, devenu anticolonialiste après avoir été témoin du calvaire des travailleurs
vietnamiens.
12. Terre d’Ebène, chapitre XXIX.
13. Congaï : femme ou jeune femme en annamite. Mousso : idem en Afrique noire.
La revanche des faibles
La fuite
Le secret
Le sexe tarifé
Bien entendu, qui dit sexe dit maladies vénériennes qu’il s’agisse
de relations homosexuelles ou hétérosexuelles.
Durant les vingt premières années de l’occupation française en
Indochine (1860-1880), la syphilis a représenté la moitié des
invalidations dans les hôpitaux. C’est une arme de destruction
massive ! Arme du faible par excellence : pas chère et à faible bruit.
Aussi, n’y a-t-il aucune surprise à voir l’armée organiser elle-
même des Bordels militaires de campagne, installés près des
casernes et soumis à un contrôle sanitaire strict. Les fameux BMC
devaient éloigner les soldats et les officiers des femmes (et des
hommes) à la santé douteuse. Peine perdue dans de nombreux cas,
car la tentation de l’interdit parle toujours plus fort que les
admonestations des généraux. Et de toute façon, un bordel « de
l’État » n’aura jamais les atouts d’une maison close privée, soumise
à la concurrence et affranchie des règles bureaucratiques.
En Indochine, la prostitution a pris une ampleur considérable afin
de satisfaire une demande toujours soutenue en femmes
européennes et en femmes jaunes. Le « désir » européen a
rencontré une offre locale agile qui a su s’organiser et garder une
longueur d’avance sur l’administration coloniale. Cette offre a puisé
dans une tradition ancienne de lupanars chinois et japonais,
antérieurs à la colonisation et habitués à servir une clientèle
étrangère. Le Vietnam précolonial disposait également d’une
pratique ancienne de la prostitution qui s’est enflammée au contact
de la colonisation (afflux d’hommes célibataires oblige).
En 1931, il y avait 17 bordels régulés à Saigon (offrant des
femmes indochinoises, asiatiques et européennes) contre des
dizaines de maisons clandestines. L’on pouvait trouver des filles
également dans certaines fumeries d’opium et dans les théâtres
chinois sans oublier les garnis propices aux rencontres discrètes et
furtives. Autant de lieux difficiles à surveiller, car à la lisière de l’art,
de l’amusement et de l’hôtellerie. À mesure que la municipalité
serrait la vis, la prostitution s’est déplacée vers les banlieues et les
campagnes, c’est-à-dire au-delà du champ de compétence de la
police des mœurs. Il en va de même à Hanoi où les matrones et les
filles se sont installées dans la zone suburbaine qui, en vertu du
découpage administratif, dépendait du Protectorat du Tonkin alors
que la ville en soi était une colonie française à part entière5.
Au final, qui contrôlait qui ? Les uns diront que l’homme blanc
dominait le corps de la femme indochinoise. D’autres souligneront
que la matrone, voire certaines prostituées de haut vol, tiraient leurs
épingles du jeu en amassant l’argent et en tournant en bourrique les
clients asservis par leur passion. De toute façon, dans les deux
camps, les maladies vénériennes faisaient des ravages. Match nul
peut-être.
L’amour intéressé
____________________
1. L’on pensera aussi aux Frères Musulmans d’Égypte, organisation clandestine formée dans les années
1920-30 suivant le moule de la franc-maçonnerie.
2. De nos jours, le mouvement mouride est une pièce essentielle de la matrice politique sénégalaise. Il fédère
presque 30 % de Sénégalais et ces marabouts donnent des consignes de vote. Si le Sénégal a traversé les
soixante dernières années sans ruptures politiques, c’est aussi du fait de l’effet stabilisateur des mourides et
de leurs concurrents les tijanis.
3. L’Amour aux Colonies, page 54. Lu aujourd’hui, ce livre peut sembler scandaleux car il est traversé par un
racisme assumé et une aversion franche de tout ce qui n’est pas blanc et français. Cela dit, si le lecteur veut
bien mettre de côté ses préjugés, il trouvera dans ce texte une lucarne sur l’inconscient colonial qui mêle
fascination pour le sexe interracial, répulsion pour l’indigène et péril vénérien. Ces trois ingrédients se
composent et décomposent au gré des circonstances et des émotions. Au final, il n’y a pas de place pour
l’amour, telle est certainement la leçon véritable de ce livre.
4. En langue annamite, nay veut dire panier. Ce sont en effet des enfants de sept à douze ans, munis d’un
panier et qui font le siège des boutiques pour offrir leurs services de portage.
5. À l’époque, les autorités coloniales en Indochine avaient pour modèle Casablanca ! En effet, la ville (sacré
Lyautey) avait innové dès 1924 en inaugurant un quartier réservé à la prostitution, emmuraillé, fermé sur lui-
même, accessible par une seule porte, doté d’un dispensaire, d’un poste de police et de gendarmerie et d’une
prison sans oublier les cafés et les boutiques. Le Bousbir (de la déformation du propriétaire du terrain nu sur
lequel a été édifié le quartier, un certain Prospère). Toutefois, la greffe n’pas pris en Indochine, le « milieu » de
la prostitution étant plus fort et agile que prévu, ne se laissant pas enfermer dans un endroit confiné.
PARTIE IV :
(1954-1962)
L’illusion de la domination
____________________
1. « Notre empire n’est assis que sur la force ; nous n’avons ; nous ne pouvons pas avoir d’autre action sur
les Arabes ; nous ne pouvons nous perpétuer en Afrique que par la force. »
2. Auguste Pavie (1847-1925).
3. Joseph François Poeymirau (1869-1924). Proche collaborateur de Lyautey au Maroc, il a mis en œuvre la
politique de la pacification par tache d’huile. Officier connu pour ses compétences politiques en milieu
indigène (ou bien ses compétences « interculturelles » dirions-nous de nos jours).
4. Paul Cambon (1843-1924), premier Résident Général en Tunisie, « inventeur » de la formule du
Protectorat.
5. Joost Van Vollenhoven (1877, 1918), jeune gouverneur de l’AOF en 1917, il saura trouver les mots justes
pour avertir le gouvernement français de l’état d’épuisement moral et physique des indigènes sous sa tutelle.
6. Quelques traits surprenants des lois coutumières berbères sont évoqués par Gilles Lafuente dans une
étude synthétique et facile à lire. Voir : Lafuente Gilles. Dossier marocain sur le dahir berbère de 1930. Revue
de l’Occident musulman et de la Méditerranée, n° 38, 1984.
7. Du côté du Tafilalet, sud-est du Maroc.
8. Le terme bidonville aurait été forgé au Maroc d’ailleurs, à cette époque.
Les décolonisations tranquilles
L’anti-modèle britannique
Il faudrait également tordre le cou à la croyance tenace en une
décolonisation exemplaire du côté des Britanniques. Rien de moins
faux puisque l’indépendance de l’Inde fut un drame absolu qui coûta
la vie à des centaines de milliers de civils innocents. Les Anglais se
sont contentés de fixer une date à leur départ et ont laissé les
autochtones se débrouiller seuls pour inventer un nouveau monde.
Cela s’est traduit par la division de l’ancien empire des Indes en trois
entités artificielles : le Pakistan musulman, l’Inde multiethnique et
plutôt hindouiste et le Bangladesh musulman, état satellite du
Pakistan. Les convulsions qui ont suivi ce départ précipité ont été
d’une nature extraordinaire. L’exode des réfugiés entre Inde et
Pakistan a porté sur une quinzaine de millions d’individus qui ont dû
quitter leur maison pour rejoindre le Pakistan (pour les musulmans)
et l’Inde (pour les hindouistes). Le conflit au Cachemire qui se
prolonge à nos jours est une conséquence de cette déchirure et il
peut provoquer, un jour ou l’autre, une guerre nucléaire entre New
Delhi et Islamabad. À l’est, le Bangladesh s’est retrouvé colonisé par
les Pakistanais après avoir chassé les Anglais. Une guerre terrible a
eu lieu en 1970-1971 avec des viols de masse et des exactions
contre les civils, elle s’est soldée par l’émancipation du Bangladesh
de la tutelle pakistanaise.
En Malaisie, la décolonisation a été violente quoique bien moins
traumatisante qu’en Inde. Les Britanniques ont tout de même dû
lutter contre une guérilla communiste sur une dizaine d’années (de
1948 à 1960).
En Afrique, le bilan de la décolonisation britannique est loin d’être
un conte de fées. Au Kenya, plusieurs guerriers Mau Mau ont été
castrés. En Afrique du Sud et en Rhodésie (futur Zimbabwe), le
départ des Anglais a laissé la place à des républiques racistes où les
communautés africaines étaient confinées et discriminées. Il a fallu
attendre les années 1990 pour tourner la page. D’une certaine
manière, Mandela a conclu la décolonisation de l’Afrique du Sud.
____________________
1. Au sujet des méthodes et de l’état d’esprit des guérilleros vietnamiens, je conseille cette étude publiée en
Suisse. Voir : Quartier, Vincent. « L’armée Viet-Minh, vue par les Français en 1949 », Revue Militaire Suisse
(en ligne) : https://cafi47.files.wordpress.com/2013/11/vietminh.pdf (page consultée en mars 2021)
2. Rapporté par le lieutenant-colonel David Galula dans Pacification In Algeria.
3. Le FLN a assassiné les opérateurs radio et les standardistes en premier. Les premiers vols de
reconnaissance sur zone ont eu lieu au milieu de l’après-midi, le mal était déjà fait.
4. L’armée des frontières correspond aux forces du FLN qui n’ont pas combattu sur sol algérien entre 1954
et 1962. Ces militaires étaient confinés au Maroc et en Tunisie de l’autre côté des lignes de défense (dont la
fameuse Ligne Morice).
5. Comme souvent dans ces moments dramatiques, des hommes désobéissent aux ordres illégitimes et se
portent au secours des civils. Plusieurs soldats français (dont des musulmans) ont organisé la défense de
certains bâtiments où les civils ont pu trouver refuge ce 5 juillet 1962.
6. Ce n’est qu’en 1905 que l’armée française parvint à pacifier le désert, soit 35 ans après la pacification de la
Kabylie et presque 60 ans après la reddition d’Abdelkader.
7. 70 000 km de routes et 4 300 km de voies ferrées en Algérie contre 11 500 km au Maroc à la veille de
l’indépendance et moins de 1 500 km de voies ferrées environs.
8. Extrait d’une interview concédée à la revue éditée par une association montpelliéraine (Association
culturelle d’éducation populaire) : Ensemble, juin 2005. Je n’ai pas réussi à mettre la main sur l’original.
PARTIE V :
L’EMPIRE CONTRE-ATTAQUE
Le suicide
____________________
1. Les forces américaines ont déversé 80 millions de litres de napalm et autres agents chimiques. Pour en
mesurer l’impact profond et durable sur les paysages, je conseille de lire l’étude de la géographe Amélie
Robert (référence complète en bibliographie).
2. Voire juive bien que l’élément israélite ait toujours été confiné matériellement et moralement aux marges.
Les juifs ont habité le mellah durant des siècles et ont occupé les emplois les plus stigmatisés aux yeux des
musulmans, d’où la relative insignifiance de leur impact sur la civilisation générale du Maghreb.
3. Nom donné aux résistants algériens entre 1954 et 1962. Un moujahid (pluriel moujahidine) pratique ou a
pratiqué le Jihad contre la France. Leur nombre ne dépasse pas les 30 000 à l’apogée des effectifs du FLN.
De nos jours, plus d’un million d’Algériens serait porteur d’une carte de moujahid…
4. Union Générale Tunisienne du Travail, fondée en 1946, pièce centrale de la contestation de la présence
coloniale française.
5. Contraint par le FMI et la Banque Mondiale, le parlement tunisien a décidé, le 31 décembre 1983, la hausse
des prix de la semoule et des pâtes (+70 %) et du pain (+108 %).
6. Le terme harki couvre plusieurs réalités dans la guerre de libération nationale (1954-1962) : le milicien
musulman membre de la force d’autodéfense et le soldat musulman affilié à l’armée française.
7. Vermeren, Pierre. Une Histoire de l’Algérie Contemporaine, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2022.
L’Afrique noire : crash en bout de piste
Le néocolonialisme voulu
Nous sommes dans les années 1990. Les illusions sont perdues :
le communisme est mort, le clientélisme à l’ivoirienne aussi, le
développement n’a pas eu lieu, les sociétés sont larguées avec les
riches d’un côté et l’immense masse miséreuse de l’autre.
On se coupe les oreilles des uns des autres au Libéria et en Sierra
Leone. Des États s’effondrent dans un carnaval de cannibalisme et
de viols collectifs. Le Rwanda francophone réussit la prouesse de
tuer 800 000 civils innocents à la machette en moins de trois mois.
Le Congo-Kinshasa se dilue à mesure que la santé du vieux Mobutu
s’étiole.
Bienvenue dans l’enfer tropical.
Dans la jungle, il faut se placer en haut de la chaîne alimentaire et
ne pas trop penser au sort des individus situés plus bas. Les élites
africaines adoptent cette mentalité : elles ne pensent plus qu’à
persévérer dans leurs êtres, tant pis pour la justice sociale, l’équité
et la dignité.
Elles renoncent à gouverner, elles préfèrent administrer des
fortunes, des fiefs et des carrières. L’État tombe en ruine, mais les
hauts fonctionnaires sont tout sourire, car ils prennent un
pourcentage sur chaque container débarqué au port d’Abidjan ou de
Cotonou. La gendarmerie ne contrôle plus que la capitale et la route
de l’aéroport ; peu importe, une clique d’officiers supérieurs se
remplissent les poches en dérobant le diesel et la nourriture
des soldats.
On ne gère plus le pays, on administre la décomposition de la
société. Et on le fait bien en respectant les formes et le langage à la
mode : droits de l’homme, démocratie, pluralisme, développement
durable, biodiversité… Autant de sésames pour être entendu à Paris
et à Genève. Habile dissimulation du visage hideux de la prédation.
Plus question de remettre en cause l’ordre mondial, il suffit de
faire allégeance à la pensée unique. On joue la comédie. Le
dirigeant africain prononce les paroles que le décideur occidental a
envie d’entendre. Il écoute en retour les admonestations des
consultants et des humanitaires qui se chargent de répliquer le
catéchisme du moment.
Convaincu qu’il a raison, l’homme blanc ne cesse de donner son
avis. Obsédé par son maintien au pouvoir, le dirigeant africain et son
entourage écoutent et prennent des notes. Juste prix à payer pour
continuer à jouir des délices de l’aide au développement.
La nouvelle gouvernance
La double-souveraineté
La purification éthique
Du côté des pays du sud, l’immigration n’apporte que des
bénéfices. Inutile de travailler pour la DGSE pour en apercevoir les
contours à commencer par les commissions prélevées sur les
mafias de l’immigration clandestine. En effet, personne ne traverse
le désert du Sahara avec une colonne de jeeps chargés de drogue
et de migrants sans payer la « coutume »6 à qui de droit. Sans aller
aussi loin, il suffit d’estimer les prélèvements effectués sur les
transferts officiels de devises qui transitent par des banques et des
sociétés financières qui ont pignon sur rue à Bamako, Niamey et
Douala. Une manne.
L’immigration massive débarrasse l’Afrique et le Maghreb de leurs
éléments révolutionnaires. Les sans-culottes en puissance sont
transplantés à Paris, Londres ou Berlin, bien loin des dirigeants qui
les ont volés et spoliés.
Parmi les délinquants qui mènent la vie dure aux Français,
auraient pu se recruter des émeutiers pour envahir les palais
présidentiels et des rebelles pour trucider les corrompus et les
incompétents. Au lieu de se rendre utiles, ces voyous écument le
RER pour détrousser les travailleurs et les innocents qu’ils traitent
de racistes par-dessus le marché. Rarement une génération se sera
autant trompée d’ennemi.
Les potentats arabes et africains rigolent au nez de cette jeunesse
égarée. Et disent merci à la France qui aspire leurs classes
dangereuses.
Certains rétorqueront que la France attire aussi à elle les cerveaux
des pays du sud. C’est vrai. Il y a plus de médecins béninois en
France qu’au Bénin. Mais est-ce que quelqu’un regrette leur départ
au Bénin ? Telle est la question à se poser. La réponse est
évidemment négative. Personne ne pleure le départ des médecins,
des mathématiciens et des artistes. Bon débarras ! L’intelligentsia
est toujours source de problèmes : elle connaît ses droits, elle est
(en général) moins crédule que le peuple abruti par l’analphabétisme
et les médias à la solde du pouvoir, elle veut les droits de l’homme.
En somme, elle est « emmerdante ». Est-ce que vous pensez que le
Maroc regrette le départ en France de Leila Slimani ou de Abdellah
Taïa ? Pas le moins du monde. Au pays, ils auraient dérangé par
leur éloquence et leur franc-parler. À Paris, ils sont un magnifique
produit d’exportation qui brille par une analyse fine de la société
française.
Ainsi, les pays du sud se vident des profils les plus intègres et les
plus capables. Ceux qui ne font pas de compromission avec la
corruption et le népotisme, ceux qui sont en mesure de faire leurs
preuves n’importe où dans le monde.
Et quand on a besoin de compétences rares et précieuses, eh
bien on les amène comme on importe des smartphones et des
BMW. Il n’y a rien de plus facile que de passer un contrat avec
McKinsey ou le Boston Consulting Group. Rien de plus aisé que
d’embaucher des ingénieurs turcs ou chinois pour construire un
barrage. Rien de plus enfantin que d’appeler un fournisseur étranger
et lui demander de réparer votre système électronique de gestion
des cartes grises. Il vous envoie la meilleure matière grise
disponible, elle descend à l’hôtel, accomplit la mission et reprend
l’avion ensuite. C’est une question d’appel d’offres, un travail
d’acheteur. C’est banal.
Beaucoup plus sophistiqué est l’art de gouverner un pays pour le
sortir du sous-développement. Mais de ça personne ne veut au sud
de la Méditerranée. En tout cas pas les oligarchies en place. Ce
serait signer leur arrêt de mort. Bien au contraire, elles
applaudissent le départ des éléments les plus vertueux et se
complaisent à voir le paysage politique et économique se réduire à
un marécage infesté de crocodiles et de serpents. Tel est
l’écosystème idéal pour se perpétuer au pouvoir : des affairistes
médiocres surnageant parmi un peuple d’azimutés qui mangent à
peine à leur faim.
Parfois, le simple fait d’allumer la télévision et d’entendre un
ministre s’exprimer suffit à vous convaincre que tout est perdu. Que
le pays est foutu. Qu’il n’y a plus d’espoir si un ministre ne sait pas
faire une phrase avec un verbe, un sujet et un complément. Le
système gagne parce que le peuple déclare forfait. Victoire du
découragement.
Bénie soit l’immigration.
Le rêve américain
Les élites françaises sont devant l’immigration comme un drogué
face à une dose de crack. Elles ne peuvent s’en passer.
L’afflux de main-d’œuvre sans papiers est essentiel au
métabolisme de pans entiers de l’économie comme le BTP (un
secteur à forte influence politique), la restauration, les services de
gardiennage et de sécurité voire l’agriculture (vendanges,
ramassage des fraises, etc.).
Conséquence « fortuite » de l’injection d’une main-d’œuvre
vulnérable donc docile : la dévitalisation du syndicalisme. Qui craint
encore une grève générale en France ? Quel conseil
d’administration du CAC 40 perd encore le sommeil à cause des
mouvements sociaux ?
Pour un certain capitalisme, l’immigration est une bénédiction. Elle
lui permet d’affaiblir le corps social dans son ensemble pour lui faire
admettre l’inacceptable : le démantèlement de l’Etat-Providence, la
clochardisation des ouvriers, le déclassement de la classe moyenne
et la soumission des institutions politiques à des pouvoirs étrangers,
illégitimes et non représentatifs. En important des immigrés, les
oligarchies savent très bien qu’elles importent les germes de la
division et de la discorde. Les victimes du système perdent de vue
leur véritable ennemi. Ainsi, les salariés ne savent plus s’ils sont
opprimés parce que salariés ou parce que noirs ou musulmans…
Les réformes (comprenez les reculs) passent comme une lettre à la
poste dans une société désarticulée, incapable de rendre les coups
qui lui sont portés. Plus grave encore, les populations immigrées ont
tendance à accepter l’inégalité, car elles proviennent elles-mêmes
de pays où l’injustice et la sécession des élites ne font pas débat. Un
cadeau du ciel au moment où l’on doit convaincre la société de
renoncer à toute cohésion sociale. La société française rêvée par les
oligarques est à mi-chemin entre la Californie et l’Inde : connectée et
hédonique d’un côté, misérable et résignée de l’autre. Et cerise sur
le gâteau, les immigrés, une fois naturalisés, ont tendance à voter
pour la gauche et les progressistes. Ces deux-là sont les alliés de
l’oligarchie depuis qu’ils ont abandonné la justice sociale et toute
notion de souveraineté.
Le rêve multiculturel
Un nouveau lobby
Sidération
____________________
1. Petite Anthologie du rap anti-français par Christian Combaz. Source :
https://www.lefigaro.fr/vox/politique/2015/10/05/31001-20151005ARTFIG00352-petite-anthologie-du-rap-anti-
francais.php
2. Préface des Damnés de la terre, Paris, François Maspero, 1961.
3. Trente millions d’euros en juillet 2019 qui s’ajoutent aux 140 millions promis par l’Union Européenne au titre
de la lutte contre l’immigration clandestine.
4. Le pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières a été signé à Marrakech en 2018.
5. Lien : https://www.laregion.fr/Soutien-a-l-accueil-et-a-l-integration-des-demandeurs-d-asile-et-des-
beneficiaires-d (page consultée en mars 2021)
6. Dans le Sénégal du XIXe siècle, les commerçants devaient arroser les chefs et les marabouts en charge
des territoires traversés par les marchandises : il fallait payer la « coutume ». La colonisation a mis fin à cette
pratique et a instauré d’autres impôts à la place.
PARTIE VI :
QUE FAIRE ?
Légitimité zéro
Cette jeunesse qui fuit ses responsabilités n’est pas légitime pour
donner des leçons à la France. Qu’elle fasse ses « devoirs d’écolier
» et elle gagnera peut-être le droit de juger le passé.
Que peut-elle ajouter aux paroles de Abdelkader, l’émir algérien
qui a failli expulser les Français d’Algérie ? Lui qui s’adressait ainsi à
Bismarck en août 1870 après que celui-ci lui est proposé de lever le
glaive à nouveau contre la France :
« Celui à qui vous avez adressé l’offre de marcher contre la très
glorieuse et très généreuse France et de vous prêter le concours de
sa loyale épée devrait, par mépris et dédain s’abstenir de vous
répondre.
« Que nos chevaux arabes perdent tous leurs crinières avant
qu’Abd el Kader ben Mahi ed-Din accepte de manquer à la
reconnaissance qu’il a pour le très puissant empereur Napoléon III
(que Dieu le protège !).
« Que votre arrogante et injuste nation soit ensevelie dans la
poussière et que les armes de l’Armée française soient rougies du
sang des Prussiens (que leur orgueil soit puni !)
« Tel est le vœu du serviteur de Dieu »
Quelle valeur ajoutée a un militant indigéniste ou un rappeur ou un
humoriste pour venir aujourd’hui exiger des Français ce que le grand
Abdelkader n’a pas exigé d’eux.
Ceux qui étaient en droit d’exiger des réparations se nommaient
Cedar Senghor, Houphouët, Sékou Touré, Hô Chi Minh… Lumumba
vis-à-vis des Belges. Ces grands hommes ne se sont pas rabaissés
à tendre la main. Ils étaient trop fiers.
Mohammed V n’a jamais exigé de repentance de Lyautey. Il lui a
rendu visite à Nancy près de six ans après son renvoi du poste de
Résident général au Maroc. Rien n’obligeait Mohammed Ben
Youssef (le futur Mohammed V) à se rendre chez Lyautey en 1931 si
ce n’est le respect et la considération qu’il ressentait à l’égard de sa
personne. D’ailleurs, comment est-ce qu’un homme d’État marocain
peut en vouloir à la France d’avoir sauvé le Maroc de la dislocation ?
Non, la génération actuelle n’a aucun droit d’inventaire. Elle a
l’obligation de se retrousser les manches. La colonisation est finie.
Désormais, il est question de vaincre le sous-développement au sud
et la médiocrité (qui assiège une partie des diasporas) au nord.
____________________
1. Après le départ de l’Espagne, le Rif se retrouve dans le giron du Maroc. Il se soulève et subit une
répression sévère à base de bombardements et d’arrestations de masse.
La vérité, toute la vérité, rien que la vérité
La vérité de la nuance
____________________
1. « Dire la vérité est la prémisse du changement » (notre traduction)
Conclusion Une mauvaise idée qui a eu des
résultats inespérés
Le rêve colonial
Époque précoloniale
Monde arabe :
Ennaji, Mohammed. Soldats, domestiques et concubines :
l’esclavage au Maroc au XIXe siècle, Tunis, Ceres, 1994.
Mounir, Omar. Bou Hmara, l’homme à l’ânesse, Rabat, Marsam,
2009.
Djellali, Abderrazak. Le caïdat en Algérie au XIXe siècle. Cahiers de
la Méditerranée, n° 45, 1, 1992. Bourgeoisies et notables dans le
monde arabe (XIXe et XXe siècles).
Van Vollenhoven, Joost. Essai sur le fellah algérien, thèse pour le
doctorat, Paris, 1903.
Émerit Marcel. L’état intellectuel et moral de l’Algérie en 1830.
Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 1 N° 3, juillet-
septembre 1954.
De Foucauld, Charles. Reconnaissance au Maroc 1883-1884, Paris,
Société d’Éditions géographiques, maritimes et coloniales, 1888.
Barbe, Adam. Public debt and European expansionismin Morocco
From 1860 to 1956. Paris School of Economics, 2016.
Cochut, André. « Les Khouan : mœurs religieuses de l’Algérie »,
Revue des Deux Mondes, période initiale, tome 14, 1846 (p. 589-
611).
D’Estournelles de Constant, Paul. « Les sociétés secrètes chez les
Arabes et la conquête de l’Afrique du Nord », Revue des Deux
Mondes, 1884.
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