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F L O R I L E G E D E POESIES K A B Y L E S

L E VIATIQUE D U BARDE
TODS DROITS RESERVES
AUX EDITIONS DE L ' O D Y S S E E
A Mouloud MAMMERI

dont nous avons reçu le testament


identitaire et culturel. Nous avons la nette
conscience qu'il a été le pionnier solitaire, le
précurseur à la mémoire de qui est destinée
cette humble obole- un florilège de poésies
anciennes glanées dans le brouillard de l'oubli,
des poésies qui resteront comme
d'inébranlables vérités d'être, acquises d'une
langue et d'une culture plusieurs fois
millénaires toutefois encore vivantes.
A cet immense érudit, notre père spirituel,
qui avait l'indicible mérite d'avoir essarté,
labouré et emblavé les champs de la moisson
future. Il savait comme nul autre que tout
partirait de là- la tonicité d'une essence
immémoriale.
Ah ! L'incorrigible A M U S N A W qui a
su gagner son pari et partir héroïquement.

EDITIONS D E L ' O D Y S S É E
B. RABIA, Azazga, Avril 2004
Rue des Frères Belhadj Coop. Tazeqqa N°l
Nouvelle Ville 15000 Tizi-Ouzou, Algérie
Tel : 213 (0)20 60 08 31 Mob : 213 (0)70 42 20 95
E-Mail : lodyssee_edition@yahoo.fr

Dépôt légal: 617-2005


ISBN: 9961-9554-3-9
Boualem RABIA

« Toute poésie est avant tout une voix. Et celle-


ci plus particulièrement. Elle est un appel qui FLORILEGE DE POESIES KABYLES
retentit longuement dans la nuit, et qui entraîne peu
à peu l'esprit vers une source cachée, en ce point du
désert de l'âme où, ayant tout perdu, du même coup L E VIATIQUE D U BARDE
on a tout retrouvé. Poésie intérieure, qui tend au
silence, mais un silence peuplé de mille voix sans
timbre, les voix des devenirs qui s'achèvent dans
l'être vivant que nous sommes, en l'instant précis où
nous nous éprouvons comme un être unique et
prédestiné dans la chaîne des êtres...» Bilingue Français-Berbère
Jean El-Mouhoub Amrouche, 1938.
(Chants Berbères de Kabylie)

L'Odyssée
INTRODUCTION
Ce recueil de poésies n'est que la trace rudimentaire et
posthume de toute une Kyrielle d'aèdes, de poètes très souvent
anonymes dont la magie - cette voix qui ne s'est jamais vraiment
lue depuis l'orée des temps, que Kateb Yacine a solennellement
baptisée : génie collectif - réveille et réfléchit l'âme et la vie de la
société berbère de Kabylie en particulier, de la société humaine en
général. Une voix samaritaine, qui parle et prolifère dans un beau
qu'ignorent les profanes, dans laquelle chacun se reconnaît.
Il s'agit là d'une sagesse archaïque. Ancienne, elle nous précède
et ouvre les chemins du dire. Ses héritiers spirituels savent encore la
perpétuer. Cet art du verbe ne nous vient guère de la lyre mystique
des Grecs ou des marbres résonnants de Rome - en dépit de ce
qu'avancent gratuitement ceux qui nient le génie créateur des
littératures orales.
Aussi est-ce une tâche ardue et audacieuse que de vouloir
mesurer l'envergure du patrimoine culturel algérien consacré depuis
îles siècles, voire des millénaires, et transmis de génération en
génération par des aèdes, ces hommes et ces femmes qui, dans les
civilisations orales, sont bel et bien les archives les plus complètes
de leur communauté. Des archives parlantes dont la mémoire relate
ah ovo les vicissitudes d'une somme d'âmes issues de la même
source socio-culturelle - une des cultures les plus antiques de tout le
bassin méditerranéen.
Des archives pluridisciplinaires, parce que cette littérature, elle,
exclusivement orale, est dotée d'une substance qui a trait à tous les
sujets : aubades rituelles, contes, fables, devinettes, mythes
cosmogoniques, poésies épiques, hagiographiques, amoureuses,
funèbres... Archives considérables et impressionnantes car étendues
sur toutes incidences des hommes dont elles tiennent lieu de
mémoire collective. C'est pourquoi nous devons parler ici d'une
littérature orale réellement active et persistante car elle s'incruste
dans les divers courants de la vie sociale ; présente et imposante car
le verbe y a force et efficacité indubitable.
Ad augusta per angusta ! Bien que nous soyons taxés de songe-
creux, dès que nous nous fixons pour dessein la préservation et la

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promotion du patrimoine culturel de nos aïeux, les partisans du vitalité, afin d'assurer son propre avenir dans un monde en pleine
nihilisme volontaire s'évertuent à enfouir l'identité culturelle de mutation.
l'Algérie dans le marasme de l'acculturation. Cependant, les choses C'est une voix bien que ténue et fragile, qui émane d'une
n'étant plus ce qu'elles étaient, chacun sait à présent qu'une culture souche encore humide, qui promet encore des surgeons ; une voix
« dominée » ne s'évacue pas par simple décret. qui, encore familière, persiste à pétrir nos mémoires, et c'est elle,
Par voie de conséquence, il est urgent de s'atteler à la déchirée, qu'entendent les enfants du Printemps 80 : leur langue
sauvegarde, à la promotion et à la vulgarisation de ce patrimoine. maternelle.
D'où la volonté immuable d'exhumer l'insigne vivant de sous le C'est celle, farouche, du cavalier harassé par une lutte sans
chauvinisme affiché. Des convictions saines et inébranlables - merci, celle, angoissée, d'une gazelle pantelante car talonnée,
grâce à leurs précurseurs qui ont eu le mérite d'essarter l'aire de menacée de trépas. Et «toutes les morts sont absurdes, disait
cette culture vouée au chiendent de l'oubli et du mépris - M.Mammeri, celle des Aztèques n'est pas sans raison, elle était
entreprennent la difficile besogne de revigorer un trésor littéraire de contre raison . » 1

portée universelle, et ce loin de l'imagerie et de l'exaltation Cette ferveur incoercible d'explorer les tréfonds d'une tradition
passionnelle. quasi essoufflée en ce début du X X I siècle, mais qui surprend
e

Le génie populaire, par le biais de cette mémoire collective, a d'autant plus qu'elle refuse de céder, m'a stimulé à rester des heures
su, en dépit de toutes les entraves socio-politiques, préserver ce entières figé et suspendu aux lèvres de quelque dépositaire de notre
trésor linguistique, mais face à la suprématie des technologies, la culture ancestrale, guettant ses « I l était une fois... » ou «Untel a
mémoire humaine s'avère insuffisante. C'est pourquoi celles-là dit un jour... » Auprès de ces gardiens du passé je prends racine...
doivent se mettre au service de celle-ci, afin qu'elle se montre apte à et des flots de souvenirs dits avec éloquence remontent ainsi l'océan
engager un produit civilisationnel indigne de cette absurde des mémoires infaillibles, des vers et des vers coulent ipso facto
folklorisation qui tend à l'épuiser, à le dévitaliser, à le frapper de telle une source de vitalité infrangible. Une mémoire infaillible, une
sclérose. Devra venir le jour où tout un stock, strate sur strate, de mémoire à blanc !
vitalité créatrice et traductrice de l'esprit humain pourra être étudié, Muet et extasié, par peur de rompre le fil d'Ariane,
donc reconnu comme porteur d'une sagesse qui, in petto, a toujours d'interrompre l'essor d'une récitation harmonieuse, d'une narration
su fertiliser la culture nationale authentique. prodigieuse, je me borne à récolter un butin où foisonnent la lucidité
« L'avenir ne se construit que sur la connaissance et la fierté du d'analyse, le souci d'esthétique, la justesse des vocables tissés entre
passé. » Ecartée toute idée d'un « passéisme » aveugle ou borné, le coeur et la raison.
c'est naturellement dans l'espoir de consolider cette connaissance, C'est dans une ambiance, peu commune de nos jours, que j ' a i
d'assumer cette fierté qu'il m'est agréable de participer, même recensé le moindre filet de poésie, la moindre bribe métaphorique.
humblement à la sauvegarde des poésies ici rassemblées , qui, Car n'est-il pas sacrilège de laisser s'étioler un printemps sans en
traduites dans une autre langue que celle qui les a enfantées, perdent avoir recueilli la semence future ?
de leurs prouesses véritables. Toutefois, ce florilège séculaire doit Ce corpus de vers (chantés pour la plupart) sent la vérité d'être,
être perçu comme le murmure d'une voix qui aspire à recouvrer sa le feu de l'inspiration spontanée à la fois singulière et plurielle . 2

1 - Cf. « La mort absurde des Aztèques ».


I - Je dois signaler que des milliers de vers sont encore à éditer. Pour boucler ce reccueil, il a 2- « (...) Elle ignore, dit Kateb Yacine, de quel poète elle éveilla la mémoire, celle qui plane sur
fallu procéder à une « sélection ». tous les sentiers... » In « L'œuvre en Fragments, La porteuse d'eau. » Paris, Editions Sindbad, 1987.

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Chez nous, qui dit être, dit poésie, car celle-ci dit celui-là qui lui Il se peut que de tels sages ne soient plus. Néanmoins, il nous
ouvre le sens. Le rude montagnard kabyle aux jarrets d'acier s'est est resté l'écho de leur sagesse pulvérisée. Avant de quitter ce
indissociablement attaché à sa terre qui, bien qu'ingrate, sera louée : monde, ils ont su déposer leur gerbe de vérité sur l'aire à battre le
il la chante, elle et ses avatars, par un verbe à la fois éloquent, juste verbe, ils n'ont pas omis de déposer pour nous le viatique de leur
et pathétique. Un verbe matrice qui ne cesse de déclamer et vie au bout du chemin de leur existence, un viatique qu'aujourd'hui
d'informer tous les courants de la vie traditionnelle (d'un ordre qui nous « lorgnons » comme une fleur insolite au bord de notre route,
parfois n'est plus) aujourd'hui supplantée par de nouvelles qui, sans la mémoire de notre vérité, ne nous mènera nulle part.
habitudes dites « modernes » ; verbe qui déplore souvent une J'y reviens : si parfois, dans les humbles demeures kabyles
société dont l'harmonie aura été dénaturée hélas ! anciennes, les meules étaient réduites à tourner à vide, il n'en était
Si la montagne est inculte, les esprits ne le sont guère ; si les pas de même pour les esprits d'autrefois qui ne moulaient pas du
ventres étaient souvent creux, on trouvait dans la méditation un vent.
remède efficace, on trouvait sa provende dans la création littéraire, Car dans les ikufan , la faim ; dans ces têtes chenues, la
1

d'une suavité inouie, orale mais riche, diversifiée et faisant boulimie de la sagesse, la profusion du sens, la vénération des
quotidiennement thème et version hautement expressifs. On se racines.
nourrissait d'éloquence ! 1
Il faut dire aussi que, si de nos jours le poète est réduit à
Il est donc aberrant de «confondre sous-développement monnayer son art, il en était autrement dans les temps jadis : aucune
matériel et sous-développement spirituel ». Car si la graine du rétribution ne s'attachait à cette fonction. Le barde ne préparait pas
ventre échoue entre les schistes, les métaphores, elles, y prolifèrent ; sa manifestation au préalable, il parlait spontanément et, à coup sûr,
elles y rencontrent, eût-on dit, cette fécondité que nos paysans sa prééminence était mise en exergue, s'avérait toujours en mesure
disent provenir de l'Au-delà, du terreau des tombes ancestrales. Ce d'intéresser l'assistance. Il chantait ou déclamait des vers par monts
don spirituel est hérité d'une civilisation millénaire, depuis et par vaux, ( le verbe en liberté, une liberté fructueuse, le souffle
longtemps marginalisée. d'une inspiration toujours présente) car sa fonction l'instituait
C'est là l'histoire de ceux qui filent la raison comme on file la dépositaire d'une culture ancestrale insondable, détenteur d'une
laine (agad ittelmen §§wab), de ceux dont le verbe tranche plus que maîtrise oratoire indubitable, reconnue par les siens.
le fer (at wawal yugaren uzzaï), de ceux qui élucident l'adage (w id Naturellement il est de mon devoir - et combien il m'est
isefjazen leqwaï), de ceux qui affûtent leur parole (widak isemsaden agréable - de rendre ici hommage à toutes mes informatrices qui,
innan). Toutes ces appellations, ces expressions sont utilisées en sur bien des points, de langue surtout, ont magistralement éclairé
Kabylie pour désigner ceux et celles pour qui la métaphore, ma lanterne, ouvert mon esprit à la splendeur du verbe d'antan..
l'allégorie, l'euphémisme, les subtilités du langage n'ont nul secret, Ces femmes sans la mémoire et les mots-sésames desquelles
ceux qui forgent la parole laconique mais dense pour lui octroyer la lien n'eût été restitué qui fût charnellement berbère, ce butin d'une
force d'une parabole, pour élaguer la prolixité {at wawal ige&men quinzaine d'années de recherches n'eût pu ni progresser ni
eecra), ceux dont la sentence est «douce et suave comme le s'enrichir du point de vue de la diversité thématique. En effet, pour
beurre », disait Si Mohand (at wawal zziden ammudi)... le plus clair des cas, la poésie masculine est plutôt religieuse et ne
véhicule donc qu'une inspiration unilatérale...

l-Ibn Khaldoun affirmait déjà en au XV siècle que »les berbères racontent un si grand nombre
E

d'histoires que, si on se donnait la peine de les mettre par écrit, on en remplirait des volumes. » 1 - Jarres à provisions.

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Boualem RABIA Florilège de poésies kabyles Boualem RABIA Florilège de poésies kabyles

Quand j ' a i écrit «détenteurs et dépositaires », je n'ai donc pas cette préoccupation suicidaire a été combattue par ces mêmes
eu l'idée de passer sous silence le plus clair d'entre eux représenté femmes cantonnées dans leur monde rural fidèle à sa source où l'on
par des femmes toutes illettrées mais point pusillanimes, grâce n'a jamais réellement aspiré à angéliser l'idée que, culturellement
auxquelles je me suis découvert une passion, désintéressée, pour les parlant, la femme est amoindrie par l'homme . 1

belles choses englouties. Cependant, j'espère que les initiés à la C'est dans ce même ordre d'idées qu'il m'appartient de
substance primordiale de cette culture, majoritairement orale, réaffirmer que les femmes - pas seulement kabyles- berbères en
s'accommoderont de ce que peut signifier cet axe de réflexion, ni général sont détentrices de la culture profonde du Maghreb, et ce
plus, ni moins. J'espère qu'ils s'accommoderont à reconnaître que, lato sensu : avec ses panoplies de modèles comportementaux,
sans la distance qui a longtemps séparé nos paysannes des cultures situationnels, linguistiques. Ce n'est pas par hasard qu'en kabyle, le
officielles, il ne nous serait pas parvenu grand-chose de notre terme taqbaylit désigne, comme l'écrit Tassadit Yacine : « La
originalité millénaire. femme, la langue et le code kabyle sont tous trois significativement
Par ailleurs, on a beau spéculer sur le silence « traditionnel » de désignés par le même terme féminin : taqbaylit (entendez : la
la femme kabyle, il n'est qu'apparent : elle n'a jamais connu de kabylité), comme s'ils étaient la quintessence même de l'âme
harem. Par conséquent on a assez tort de l'afficher dans certains berbère. » 2

romans ou films avec un faciès à la fois douloureux et tragique. La culture de ces femmes que d'aucuns disent ignorant tout de
Qu'on en fasse une anamnèse soigneuse et impartiale et on tout (ou à peu près) est en réalité parfois insondable : elles l'ont
s'apercevra que ce silence n'est pas synonyme d'effacement depuis toujours langée dans un silence tranquille mais résistant.
historico-social, que ce pseudo silence est une richesse dont il Pour autant elles sont loin d'être aphones . Leur sagesse, elles la
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fournit l'apologie, où se condensent les choses de la vie, où vivent et elles refusent de s'enferrer dans l'impétuosité d'une
s'affirment des voix d'autres femmes et des voix... d'hommes ! modernité qui a tenté de la ravaler par son hégémonie à la fois
En tous les cas, quand la femme kabyle a envie de se dire, elle scripturaire et scripturale.
n'a ni le ton, ni l'air empruntés : elle a la voix mûre et ne balbutie Je traite donc ici d'une réalité patente qu'on ne finit pas de
point , constater par le biais des décrets et des mass-média officiels. Et je
A travers la sienne propre, fusent des voix à volonté, dont elle a crois vivement que l'expression consacrée de langue maternelle
perpétué et entretenu la mémoire qui, en dépit de tous les avatars de peut largement expliciter ce raisonnement.
la société qui l'avait créée, demeure encore assez sensible Ceci d'une part, d'autre part on entend dire : D awal, d izli t-
quoiqu'elle eût risqué d'être gommée - fût-ce superficiellement - tlawin (littéralement : c'est parole, c'est poésie de femme) pour
par une certaine impulsion chauvine d'une soi-disant adéquation taxer un propos de « léger ». Cependant, le paradoxe est de taille car
socio-culturelle où toutes les valeurs essentielles sont absurdement par ailleurs on applique le vocable tamyart (la vieille) à une
bousculées : une certaine mouvance « iconoclaste » s'est acharnée à personne (les deux sexes confondus, adulte ou enfant) qui «sait
obstruer une voix qui, depuis que le monde est monde, transmet le parler », qui maîtrise les règles de la prosodie et de l'éloquence :
message de l'ascendance à la descendance. La nature morbide de
1- En guise d'exemple, aux Ait Ziki, dans les fêtes, s'exécutaient des joutes oratoires (ou
rhiuitées) lors desquelles les femmes pouvaient donner libre cours à leur inspiration pour « attaquer »
1- Il m'est amer de penser que des milliers de poésie féminines soient anonymes, que de ou « se défendre » face aux hommes qui pouvaient, eux aussi, les ravaler par un verbe satirique.
grandes dames de la chanson kabyle ( Cherifa, Djamila, Ldjida, Hnifa ...) aux textes aquis ne soient 2- Yacine, T., 1990./« Relire Boulifa, Recueil de poésie kabyles. Paris, Awal.
connues des générations montantes. 3- Cf. l'izli ou l'amour chanté en kabyle où il a fallu des femmes à la fois pour les dire (les
détentrices de cette poésie) et une femme, pour les écrire.

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une personne pour qui la finesse de la langue n'a pas de secret. Un jour, une femme, poétesse, grande narratrice, exécutrice de
Mais ne dit-on pas encore : tilawin H i d yettjlawin (littéralement : les toutes sortes d'aubades rituelles, potière, tisseuse, matrone du
femmes, ce sont celles qui prodiguent les soins) . Il s'agit, à mon
1
village également, me l'a confirmé par le comportement qu'elle
sens, de soins à toutes choses, y compris la culture, la langue et avait adopté en ma présence. En effet, dès que j'eus franchi le seuil
l'esprit de sagacité. de sa porte, alors qu'elle était derrière son métier à tisser vertical,
Dans le monde de la femme kabyle, cette culture qui est la elle coupa court la mélopée que j'avais sentie fuser de son âme (tant
nôtre, n'est pas un dossier clos où toute nouveauté instructive ou cet air s'accordait avec l'expression de son visage) : elle comprenait
performante ne peut avoir droit de cité ; elle n'est pas conçue dans mal que je fusse subjugué par l'harmonie de sa monodie qui pour
un dessein décoratif, elle ne ressemble en rien à un patchwork. elle n'était que naturelle et aussi vieille qu'elle. Elle interrompit
D'ailleurs si l'on venait à comparer l'expression (ressources donc ce qui pour moi était chargé de grands symboles : le chant et le
lexicales, vivacités sémantique, originalité dans l'agencement des tissage, et me dit :
vocables...) d'une paysanne de chez nous à celle de son époux Tussid-d g temdint, lehna, tasemt... akken atsexcedaf tjerbubin
(simple exemple) qui aurait vu d'autres horizons que ceux du d iceqfan ufexxar ! « Litt. Tu viens de la ville, pain et prospérité,
village ancestral, et eu accès à d'autres langues et cultures que les pour t'extasier devant des hardes - ses tapis - et des tessons - ses
siennes propres, on s'apercevrait immédiatement de la supériorité poteries !)
qualitative de la première sur la seconde, on se rendrait alors Que ces femmes sachent donc qu'elles sont porteuses d'une
compte que la saveur même de la langue est plus forte chez celle-là moisson miraculeuse qu'elles ont arrachée au brouillard de l'oubli,
que chez celui-ci. Certes, on peut trouver des exceptions mais la qu'elles sont porteuses d'une poésie qui, comme l'a si bien dit
réalité est constatée. Jakobson, « nous protège contre l'automatisation, contre la rouille
C'est dans cette suavité langagière que j ' a i eu le privilège de qui menace notre formule de l'amour et de la haine, de la réalité et
fixer la quintessence de ce florilège de poésies que j ' a i tenues de la réconciliation, de la foi et de la négation. »
(hormis une vingtaine de pièces) de mon aïeule maternelle, de ma Ce que nos poètes et poétesses ont chanté n'est que pure essence
mère, de mes tantes et de quelques autres femmes de mon village collective, humaine, traductrice du moi. C'est pourquoi nous devons
qui ont bien voulu passer le flambeau - après maintes hésitations. savoir gré à ces virtuoses de la parole d'avoir maintenu et enrichi
Néanmoins, quelquefois - surtout auprès de ces dernières - soit une tradition du talent.
par réticence, soit par « respect des convenances » (chez nous une Chaque tribu, chaque village, chaque lignée avait son ou ses
femme ne se confie pas facilement et foncièrement à un homme) poètes préposés comme par nature, affinité ou rencontre, à la
ces détentrices de la sagesse populaire ne s'accommodent pas sauvegarde et à l'enseignement de la tradition orale.
d'emblée et aisément à ce que le premier venu vienne «fureter» Certes, ces archive humaines existent, bien que très rares. On les
dans leur mémoire. Il convient aussi de dire que chez nous les rencontre dans les marchés traditionnels, à l'occasion des joutes
femmes sont souvent des artistes qui s'ignorent. poétiques organisées (très rarement à présent) au cours d'un
mariage, d'une veillée rituelle quelconque. Mais comment stimuler
leur ultime étincelle de vie, si ce n'est par une prise en charge
officielle. Il faut redire que souvent, par aliénation ou par mépris,
1- Tilawin, Hid iftlawin ;
Lxalat, t-Çid ixellun;
une certaine élite intellectuelle pense que tout ce qui est oral est
Tulas, Hid itellsen - dit le dicton

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vain et sans avenir. Alors que la littérature orale n'est rien d'autre En dépit ou à cause de son enracinement, ce patrimoine culturel
que nos archives ethnologiques, sociologiques, historiques... ne s'adresse pas seulement à une communauté bien limitée
Cette oralité qui «nous rappelle à tous notre dette commune géographiquement, tout homme peut y puiser son authenticité.
envers un patrimoine culturel qui ne se limite certes pas à une Vivante image de nos entrailles, du sang de nos plaies intérieures.
portion de l'Afrique du Nord, mais qui contribue par son originalité Mieux vaut la vérité qui blesse que le mensonge qui réconforte, dit
et sa profondeur à ce que le grand poète Léopold Sédar Senghor un proverbe kabyle.
appelle si justement « La civilisation de l'Universelle ». 1
Il faut y insister : c'est à la djemâa, où se gérait la vie de la
Nous avons donc le devoir de nous réconcilier avec l'histoire et la communauté, que se tissait et se tassait toute une sagesse mûrie de
sagesse de ces errants de la parole qui laissaient derrière eux des génération en génération, et dont les franges, espérons-le, ne sont
effluves d'ambre quand ils chantaient l'amour et la joie, des relents pas encore coupées. On se doute de nos jours que tel vieil anneau
acres quand ils évoquaient la mort, l'exil, la misère, « le destin d'argent retrouvé s'est détaché d'un diadème naguère encore chargé
retors ». de symboles (aujourd'hui inconnus ou méconnus) et non le maillon
Pour connaître le passé, nous scrutons les vestiges d'une chaîne de métal rouillé. Encore faudrait-il savoir ce qu'il en
archéologiques, ces témoins muets. Mais pourquoi ne pas interroger est des autres éléments de ce diadème que jadis, en Kabylie, seules
les dépositaires de la culture orale, ces documents vivants et les vierges pouvaient porter comme symbole de leur virginité, pour
explicatifs ? Certes, chez nous on n'interroge ni les uns ni les autres. clore leur honneur.
Or bien des connaissances sont condensées chez ces hommes et ces Cherchons tous ces éléments afin de reconstituer notre identité.
femmes qui initient de prime abord aux hautes règles du verbe. Demandons à nos aînés, les plus initiés en matière de tradition, de
Cette relique, la sagesse populaire, risque de se briser... ou nous ouvrir leurs châsses presque inentamées. On verra alors que
l'est-elle déjà, trop dispersée en trop de tessons. Sinon, là le verbe leur trésor est inestimable, que d'innombrables talents y ont laissé
est aussi ardent que les dards du soleil estival qui vrille la nuque des leur sceau indélébile qui, tenace, refuse de tomber dans l'oubli. Il
moissonneurs (imeggaren), aussi transparent que les eaux rocheuses s'agit d'un patrimoine ancestral consistant et persistant tel l'olivier
(aman bbwezru du Djurdjura, aussi serein et guérisseur que les qui s'accroche aux ravins vertigineux de la Kabylie, qui plie mais
chandelles votives aux coins des sanctuaires, (tileggacin 1-lemqam) ne rompt pas, dont les racines sont coordonnées à celles du pays
aussi glacé que le givre hivernal qui ronge (aqwerrif iseqrurrufen) qu'il couronne, dont il reste vigile.
encore les pieds des paysans berbères chaussés de mocassins taillés
à même la peau du bœuf (arkaseri) cet ami fidèle et compatissant
des hommes qui trime le long de sa vie montagnarde, sentant
comme eux la sueur, et parfois aussi farouche qu'eux : en pays
berbère, pays des crêtes et de l'abrupt, toute alliance ne se fait que
dans la douleur, le sang et la constance . 2

1- Vincent Monteil, Hommage aux «Chants de l'Atlas , traditions millénaires des Berbères
d'Algérie » de Taos Amrouche, Disques Arion, 30 u 103.
2- Aljbib iw, d win iqarb isegli-w (littéralement : mon ami est celui qui ressent ma douleur ).

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lioualemRABIA Florilège de poésies kabyles

A la fontaine des complaintes

Il s'agit d'une joute anonyme entre Sedda, une forte belle jeune
lille « la lune est au ciel et elle sur terre » et un charmant berger de
son âge. Leur lieu de rencontre était un endroit habituellement
interdit aux hommes : «La fontaine des Izlan » (fontaine des chants)
mais un jour, la main de Sedda fut accordée à un homme des plus
fortunés du village.
Leurs amours contrariées, les deux amants continuaient de se
POEMES SUR L'AMOUR rencontrer furtivement au lieu dit. Avant d'entamer la joute, le jeune
Dans le style Izlan berger se dissimulait d'abord derrière une haie de verdure. Ainsi
Sedda, une amphore servant de prétexte, remplie et vidée sans arrêt,
répliquait-elle à chacune des poésies tout en épiant l'indiscrétion de
quelque badaud.
Vinrent les noces de Sedda. Implacable et arrogant, le père de
celle-ci, puissant dans tout le village, intima au jeune berger l'ordre
d'amener le seul bien qu'il possédât: son cheval... afin qu'il
conduisît chez son rival (l'époux) la fille qu'il aimait et pour
laquelle il allait subir le pire des châtiments.

I ,e berger : O vent qui berces les herbes frêles


Trop mon ami tu me fais mal
O toi ma belle taille de guêpe
Par tes sourires tu m'importunes
Ni tu n'as laissé mon cœur se réjouir
Ni tu ne me dis de m'éloigner

Sedda : Je suis peinée par le fils de mon village


Amoureux du plaisir en vain
Il a à sa bouche une pipe
Sur ses yeux des mèches rebelles
Je jure Grand Dieu de t'épouser
A moins que le destin ne me soit contraire

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Boualem R A B I A Florilège de poésies kabyles Boualem R A B I A Florilège de poésies kabyles

Tala g izlan Le berger: O phénix en cage


Dis-moi si tu résistes à l'ennui
Ammud agi isefra d udrig, ur yehsj hed wi d bab nnsen. Si le perdreau vient à te parler
Aftaya tedyant yaf zdan isefra yellan degs. Réponds-lui avec précision
Sedda ^-taqcict g-giwen usaEi, ssifa s wlac ü; g teqwbilt La lionne va-t-elle frayer avec le hérisson
merra : aggur g-genni, nett;at g lqasa. Amaray is d yiwen umeksa t- O cieux envoyez donc la foudre
taddart is dya, í-^izya-s, ula d nefta dayen kan i d ilmezyen.
Sin imarayan agi ihi {emlilin g tala; maca d acu t-temlilit: Sedda : Un joug a beau atteler deux bœufs
nefta yeddarray aleclac deffir t-tala, neftat tessendday tasagwemt, Mais à chacun ses rêves
teftagwem tessenyal. Ihi, s teywzi-m a tallit: yiwen, akkin i Si mon corps est loin
wleclac ; wayed akka-d. Winna ad yessalay tirusiwin, neftat a s- Mon cœur est avec toi
teftarra... awal i lmend bbwayed- Imi ysserru, tit teus; akken s- La caille des typhas t'assure
tenna tixsi: Que l'oreiller la refuse au hérisson
"Ulama kessey zzemley!"
YeUja wacu yelhan tehlalef-ed tmayra n Sedda, yuy-i{ yiwen Le berger : L'autre jour au bord de la rivière
wargin t-tessin, ifern-it babas. Acku yurés tigemmi d wedrim. Xas J'ai trouvé une grive morte
akken, Sedda tezga g tala, te{maggar ameksa nni. Je l'ai prise et mise dans ma poche
Ass-enni t-tiddin, babas t-teqcict iceye-as i wmeksa-nni a d- Elle avait une amulette au bec
yawi asudiw-is a J-terkeb fellas teslit. D ayen kan i s ar' a d-yerr Je l'ai donnée à lire au clerc
ttar. "Amek ameksa yefka-yas wul-is ad yepneslay i yellis b- Il déclare : l'amour est voué à la mort
bwergaz am nek? Ihi tura d neft'ar as t yawin i wergaz-is." L'amour est une couche de braises
Un oreiller d'épines
Ameksa: Ay adu yhuzzen aleclac Même le destin est frivole
Bezzaf a wlidi tdured-i Il associe chardon et pâquerettes
Kemmini a ezuzu m tamast Me voici tel le coucou sur les collines
Xas azmumeg tenyid-i Fou de te savoir mariée
Ur teggid ad yefrah wul
Ur d-dennid a gma xdu-yi

Sedda: Aqcic n t-taddart nney


D meskin d azehwani
Asebsi g tqemmuct-is
Tamzurt af alien teyli
Ma gguley wellah ar k-ayey
Alamma yugi Rebbi

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Ameksa : A tanina deg lqus Sedda : L'autre jour allant dans la plaine
Inni-yi ma yehba-kem lxiq J'y ai trouvé la lionne épuisée
Ma yluea-kem-id ihiqel Elle a laissé sa crinière traîner
Err-as awal s ftehqiq Et a baissé ses yeux
Tasedda tEucer inisi Sous un palmier elle attendait le lion
A tignaw brumt i sshiq Elle avait quitté les siens pour le rendez-vous

Sedda: Xas yiwen uzagl'i tyuga Le berger: O Sedda au corps élancé


Ur din zdint tirga Au teint aussi limpide que l'eau
Nek ssura-w tezdey dihin Pour toi j ' a i abandonné ma tâche
Ul-iw yurek i-gefyima Et pourtant je suis un homme de raison
Tenna-yak thernreî t-tbuda Puisque tu dois partir pour tous tu es déjà mariée
Nek d inisi tugi tsumta 1
De mes rêves naît l'illusion
Plus que la déception
Ameksa : Ddura subbey s asif
Ufiy amergu yemmut Sedda : O mère quelle soif
Ttfey-t-id rriy-t al-lgib Ah boire à la fontaine des roseaux
Yettef lherz ye^summu-t Si je bois je redoute les vindictes 1

Fkiy-t i ttaleb yeyra-t : Si je m'abstiens j ' e n meurs


Lhub itebE-it lmut Pour toi mon aimé
LeEcaq yesgan af yirrij Je suis prête à subir la hache
D asennan i y-yejsummut Fontaine en toi je suis perdue
Ula d lwaed d ahwayli Par beau temps ou par temps couvert
Ikenna addad ar wamlal t-teyzut
2
J'ai commencé par le sirocco
Nek am tikkuk af tyaltin Voici qu'il est de retour
Kern zweg ur d-piunnut Feu prend garde de ne pas
M'atteindre jusqu'à la chair
Je prête serment devant Dieu

1- Neqqar diy: teggul tsumta ur tessemlal sin ilaqen.


2- Kenni: amyag agi yuqa di tutlayt taqbaylit -"kenni tayaws'ar tayed" = qarren, metel, 1- L'amour charnel en dehors du mariage est passible de mort. Il existe un grand nombre de
sixains (izlan) dont le lexique et les métaphores renvoient à l'érotisme. Ce sont presque toujours les
degs i-d-yusa wawal "iken —> akniwen" (jumeaux/synonymes) deux derniers vers du poème qui éclairent les allusions.
kenni... ar ...= Assimiler/comparer... à ...

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Sedda: Nek ddura subbey al-lewda O argent fondu en fibule


Ufiy tasedda taeya Je sais que tu reviendras
Tedlaq i sslaleb {huffunt O fleur épanouie sur un jeune rameau
Tamuyli-s tenta degm a lqaEa Je jure de briser la coutume
Ddaw tezdayt ay tEus izem Et faire couler le sang
Tegga rrkeb s amdiq l-lem£ahda
Le berger : O toi Sedda bien-aimée
Ameksa : A Sedda d lqed-im yewzen Monceau de fleurs soyeuses
D aksum-im izeywed am tiqit Quand tu traverses la place publique
Fellam ay ggiy lecywal Pour toi les gens perdent la raison
Yerna d çswab nzeft-it Que de vertus vous avez enfantées ô femmes
Duleqrar abrid-im n rrhel Pour le bonheur des hommes
Yagi semman am medden tislit
Kra dagi d lemywerrat Sedda: O jeune garçon déluré
Ad yaggwar ccah tawayit O fils du calife Omar
Sous ta main jaillit un torrent
Sedda: A yemma fudey aw'iswen A l'eau claire comme l'ambre 2

Deg tala yzerb uyanim 1 Ta silhouette hante mes rêves


Ma swiy ugadey imenyan Et mes yeux versent des rigoles de pleurs
Ma qqimey fad enni yeqqim
Af ddem-ak a win hemley Le berger : Qui est cette femme qui dit des vers
Ay eemdey lqedE ugelzim Suaves comme une fiole de parfum
Degm ay (JaEey a tala De diligence tu ne manques point
Ama Hafugt ama d lyim Mais veux-tu comprendre l'allusion
Bdiy i tzeyayt unebdu
2 Q u ' i l arrive l'inadmissible
D wayed la d-ye^Eellim Et tu t'envoleras avec l'émerillon 3

A war tarad a times


I-gedran yezw-iy'agwlim
Nek Euhdey-k zzat Rebbi

1 - Le mot fleur est masculin en berbere : tajeggigt est un diminutif.


2- Le torrent et l'ambre font ici allusion à l'orgasme.
1- Ney :seg tala yeebd ujayiy 3- Symbolise le manque d'esprit.
2- Tazyayt : d a?yal ameqqwrarr(maCCi :ta?yalt)

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A 1 fetta yefsin d afzim Sedda : Celle qui parle c'est Sedda agile et subtile
Tuyalin a d-uyaled Elle prône la vérité bien droite
Ay ajeggig yefsan f lqim Peut-être a-t-on fait perdre son dessein à la tourterelle
Nek tisirit ard' a J-rzey Car on est cupide
Leqrar-is t-tazla ggidim Bientôt je rebrousserai chemin
Et te reviendrai à m i d i 1

Ameksa: Kemmini a EZUZU Sedda


Tagemmunt ujeggig hriren Le berger: O toi bien jeune fille
Im'ar'a d-eeddid tajmaet Colonnette de neige couverte de givre
Fellam jahen medden Donne-moi ton amulette d'argent
Ay turwemt a tilawin Qu'elle accompagne mes insomnies
Ay tkebbem ay irgazen
1
Sitôt endormi je te verrai
Et mes yeux pleureront comme un orage d'été
Sedda: Ay aqcic ay ahtatas
A mmis n sidna eumar Sedda : O garçon à la taille droite 2

D acarcur sedw ufus-ik Ah ! te voir fétu


Aman-is am leembar Pour venir à la fontaine te puiser
Mi ttsey ar k id-mmektiy Entre le crépuscule et la nuit noire
Izri-w yesasti d leinsar Je te redonnerai ta forme humaine

Ameksa: Anta dagi d-yessulin Le berger : O branchettes de thym


Teneaees tjaebubt 1-leEtar Vous qui fleurissez en mars
T-tiherci ur tekmid ara 2
M o n poème s'adresse aux filles
Awal d m'at-tfahmed licwar Fardées
Amer i-gderran d le ita Aux yeux grands comme des mares
Affug-im d ubueemmar Emplie de charme
Et le jeune se laisse séduire
Par le parfum des clous de girofle

1- Kebbeb :amyag agi diy yuqa g teqbaylit, ggwemdiq is neqqar :kseb,sEu


2- Izli yagi tecna-t Tawes eemruc « Kemini a Tarkwiya... » 1- Veut dire au grand jour, au su de tous.
(« la berceuse de Zahoua ») 2- Cf. L'Izli ou l'amour chanté en kabyle. Paris, Maison des sciences de l'homme. 1988 p. 203.

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Boualem R A B I A Florilège de poésies kabyles Houalem R A B I A Florilège de poésies kabyles

Sedda: I d-yennan d Sedda criret Quant à moi l'oreiller m'est témoin


Themmel sswab aljeqqani Sans cesse mes entrailles sont bouleversées
Ahat tamilla saereqn-as lferg Ton histoire ô tourterelle
Agad iyebbw'uziyani M ' a marqué au fer rouge
Duleqrar ibarren ucewwaq
A k id-uyal g-gwzal qayli Sedda : O jeune garçon mon frère garçon
A la moustache blonde
Ameksa : A taqcict a tame?yant L'autre jour en traversant la place publique
A tajaebubt ubandu Je les ai entendus jurer ta mort
Fk-iyi Uterz 1-fefta Dans ce village de méchants
A t awiy yid' ar wussu L'aversion poursuit ceux qui s'aiment 1

Mi ttsey ar kern id mmektiy


Izri-w am lehw'unebdu Le berger: O branchettes de thym
Vous qui fleurissez en mai
Sedda : Ay aqcic ay agutman Mes dits chantent les filles
A taeenqiqt b-bwezrem Celles dont le ceinturon est bien ajusté
A w ' i k yufan d axeclaw Toi à la taille svelte tu es une hampe d'étendard
I tal'a k-id-yagwem Incrustée d'or
Gar lmeywreb d l£ica Maintenant on donne les perles aux cochons
A k-id-yerr d bunadem Et fait pousser des roses sur le fumier
Assez d'attendre
Ameksa: A tizEetrin Et de voguer dans le brouillard
Tid yegguggugen i meyres Ton histoire ô tourterelle
Asefru yef teljbayriyin Je l'ai contée à une pierre elle en a pleuré
Mi rnant ead aljerqes
Xas allen am tmedwa Sedda : O garçon à la stature droite
Atas n sser din yeydes Bouture de corail vermeil
Yerwa wbujad tamudli O ma mère où boire
G qqwrenfel mi d-yeneases A la fontaine hantée par le geai
Si je bois j ' a i peur des miens
Si je reste ainsi la soif me tuera

1- Cf.l'Izli ou l'amour chanté en kabyle.Paris, Maison des sciences de l'homme. 1988p. 119.

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Boualem RABIA Florilège de poésies kabyles Boualem RABIA Florilège de poésies kabyles

I nek a d-cahhed tsumta Le berger : Par Dieu je te conjure ô lune


Yerwa wefwad afriwes Avec toutes les étoiles autour de toi
Tadyant-im a tamila Pour moi tue donc l'amour
TdebE-i s wuzzal t-tmes Qui vit dissimulé dans les cœurs
Ce qui m'arrive éternisera mon chant
Sedda: Ay aqcic a gwm'ay aqcic Rossignols allez-vous m'aider
A bu cclayem d iwrayen Deux oiseaux se sont unis
Ddura Eeddey tajmaEt Pour disparaître dans les nues
Tggalan dek ar k nyen: A l'aube ils étaient partis à deux
Taddart yeddan al-laEgeb Au crépuscule l'un d'eux a failli
Karhen sin yedukkulen
Sedda : O jeune garçon au boléro 1

Ameksa: A tizEetrin Couleur de feu


Tid yegguggugen i magu Le lucre est cause de mes déboires
Innan-iw yef tehbayriyin Je porte un pesant fardeau
Mi rnant Ead asaru Toi ramier et moi tourterelle
Xas lqed-im am teljerbunt Nous gagnerons le ciel
F yuli ddheb iremmu Ma bague est à ton doigt
ZerEen-k a gguhar i yilef 1 Aujourd'hui elle brille plus que jamais
Teqqwled a lwerd i wdummu Même si je dois me marier
Barka yi tasga wtelli Pour toi je m'insurgerai
G-gwagu i d-neí£ummu
Tadyant-im a tamilla Le berger : J'aimerais que tout te soit propice
FIkiy-t i wedyay ye^ru O toi à la mantille couleur de cuivre
Qui n'a pas souffert ne connaît rien
Laisse donc ma peine croître
Sedda: Ay aqcic udbiE n lqedd
Pour tous je suis un boutefeu
Tazdayt 1-marjan uzwiy
M o i qui n'ai pas pris le fusil
A yemma fiidey aw'iswan
I tala iEebd ujayiy
Ma swiy ugwadey imawlan
Ma qqimey wergin rwiy

1- Signe de fortune et d'élégance masculine.


1- Anhis iqqar:"At-{zeree(} gguhr fyuzad!"
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Boualem R A B I A Florilège de poésies kabyles Boualem R A B I A Florilège de poésies kabyles

Ameksa: eenney ak Rebbi'ay aggur Sedda : O bruine qui tombe


D yerran yeddukkulen Me voici mouillée sans avoir mené paître
M'ur yi-tenyid lemhibba O foulard de soie
Yefruljun deg-gulawen Neuf 2

Taluft tesywezf aljilja Toi aux yeux fauves


Ay iqqwar m'ad i teiwnem Profites-en si tu m'aimes
Sin ledyur msattafen
Kecmen deg tegnaw yemqen Le berger : Me voici emporté par la vague
Tafrara mi ruljen deg sin Loin de la rive
Tameddit yexdas yiwen Mon cœur d'amour pour toi déborde
Houri qui porte bien l'anneau du pied
Sedda: Ay aqcic a bu tbedeit 1
Les amours éphémères
T-|azeggwayt am ilizaq Ne laissent qu'amertume
Iga-yi-J uzeyyani
eebbey teebga s ccnaq Sedda : Arrête cheval, arrête
Kecc d itbir nek J-tamilla Si tu es sage
I tegnaw a d-nemrafaq Ces noces pour moi sont comme la mort
Taxatemt-iw deg-gwdad-ik Non mes amis ce n'est pas un voile mais un linceul
Ass agi tzad s ureqraq Si mon destin était une poterie
Ulam' akk'ad dduy t-tislit Je la briserais
Af udm-ik a d-nnafeq 2 Puisse ma graine ne pas germer en toi
Maison que je n'ai point élue
Ameksa: Amer ufiy ard a m-tewqem D'ailleurs mauvais choix est infortune
Am thendit bhal ssdid Ainsi je promets de défaire ta couche
Win ur nezmik ur yessin O jeune garçon prends bien garde à toi
Anef-as i lhem ad izid Je sens déjà mauvais présage
Semman-i aceeal t-tmes
Nekwni abeckid ur nerfid

1 -Signifie ne pas avoir eu de contact charnel avec un homme.


1 - Ibeddu diyen akka :Ay aqcic a bu tmezwant. Fait allusion à l'excitation à la simple vue de l'amant.
2- Allusion à la virginité de Sedda.
2- Zik al-Leqwbayl d isay ma yuy bed tamnafaqt, degmi neqqar : « w'ur nesei {{emn i texrit ar
yepceflib timnufaq » !
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Boualem R A B I A Florilège de poésies kabyles Moualem R A B I A Florilège de poésies kabyles

Sedda: Ay aneznaz yekkaten I -o berger : Reste en paix fontaine


Aqlay nebzeg wer neksi De toi je me sépare
A timehremt 1-lehrir Fais tomber les pierres de tes parois
A tin wer d-debdi tyersi
Bu wallen tiwanayin Désormais il ne nous reste plus rien
Ma lliy ak deg-gwul fares-i En toi se sont attardées les rimes
Ici tout ce que tu m'as inspiré s'est évanoui
Ameksa: Aqli-yin g lqae 1-lmuja En vain je tente de redresser mon poème
Ad felli treggwled a rrif A tes abords tout le charme s'est dissipé
Lemb.ibba-k yuri tcax Trouble, de grâce ne redeviens pas claire
TahureJ tegzemd a rrdif
Lemb.ibb'ur nejdum ara O toi Sedda amulette d'argent
Mi teqlae a d-degg ayilif Mantille aux longues franges soyeuses
Saisis les rênes et prends garde de ne pas tomber
Sedda: Ara-d aEudiw ara-d O jeudi infernal
Ma yehren almi t-tyadey Tu foisonnes de tourments
Tiddint agi yuri d-rrljel Dès l'aube je regorge de ténèbres
Ur d lhaf a lehbab-iw kwefhey
Ma main qui tient le mors
Amer yelli lbext d afexxar
Tremble
T i l i s Eemmedy a t rrzey
Elle est engourdie de froid
Dek a wer temyi zzari£a-w
Ay axxam ur friney S'il s'agit de beauté je n'en manque point
Y i r tiferni am tferyi Et de sagesse non plus 1

D lmarqwda-k a t sxesrey Tout cela noble fille tu le sais


Ay aqcic hader iman-ik
Ugadey i kd-pcellifey Tout mon être souffre le martyre
Pour beaucoup de raisons
Mais les conseils n'y peuvent rien

1 - Les mariages de raison (endogamie par exemple) ne tiennent pas compte de ces critères :
beauté et / ou sagesse. Dans la joute il s'agit d'une alliance par intérêt.
Thème intarissable aussi bien dans la poésie que dans la chanson kabyles anciennes et
contemporaines.

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Boualem R A B I A Florilège de poésies kabyles Uoualem R A B I A Florilège de poésies kabyles

Ameksa: Bqa eia xir a tala Le nom de Tahar Oukhoufache était associé à la musique, la
Nek yidem al' ass-a danse et la poésie. Il animait une troupe réputée en Kabylie. Dans
Xas seyl idyayen i lhid les fêtes où se produisait Tahar Oukhoufache, l'ambiance n'était pas
seulement faite de musique et de danse : il y avait
Nekwn' ur y d-yeqqim wara immanquablement de la poésie dans l'air. La soirée dansante devait
Din i teggwra lqafya battre son plein ; mais entre les pauses, ou carrément au terme de la
Da yeeraq wayen i tennid soirée, Tahar Oukhoufache entamait son one man show ses
Asefru eerdey a t-zdiy yekna compagnons pouvaient ainsi se reposer, les joueurs de fifres
Sser yefruri dinna (imejjayeri), les joueurs de hautbois (iyegga^en) et le joueur de
Luy fxilem ljader a-fseffid lambour (agerwqj ney agerbuz). C'est ainsi que ses doigts faisaient
émaner de la peau du tambourin (abendayer ney alemdayer) un
Kem a Sedda lljerz 1-lfetta rythme, dit-on, lent et mélancolique : aberradi tout en chantant
A timeljremt 1-lbacuta spontanément, inspirés par la circonstance, des vers de facture
Ttef aleggam hader aHeyhd solennelle (gnomiques, hagiographiques, louanges au prophète,
A lexmis a bu lqerha aubades rituelles des noces...) ou de facture plutôt délurée (chants
satiriques, de danse, joutes si parmi l'assistance quelqu'un voulait
Anezgum d itemma
lui tenir tête). A vrai dire, Tahar Oukhoufache était poète de son
Tafrara yeyli-d felli yid
état, assez célèbre aussi bien en Basse Kabylie qu'en Haute
Afus yeftfen g ssrima Kabylie. Il est natif de cette première région d'où il ramenait des
Tuy-it legrina danseuses pour les fêtes . On rapporte que vers 1926, il traversa les
Yeqruref mebl' asemmid montagne de la Basse Kabylie afin de se produire chez les
lgaouaouène. Parmi sa troupe de danseuses, il y avait une femme
Amer d zzin ur ggiy ara
âgée alors d'une quarantaine d'années renommée pour sa beauté et
Tamusni ladya
son don de la poésie. Cette femme se nommait Zouina et son nom
Kem a tahrurt wellah ar tahsid
sera célèbre aussi car elle est la partenaire de Tahar Oukhoufache
Tarwiht afta g-gir baia dans le domaine de la poésie chantée (ahiha) . Voici un échantillon2

Atas ay d sseba de ces joutes rituelles :


Ternid ar t-id-tejwessid

1- De ces aèdes qui, en Kabylie, étaient simultanément poètes et musiciens traditionnels


(idebbalen) il y avait aussi Rabiâ Ouali et Azouaou dont la tradition a gardé un air célèbre repris par
('hérita, puis Idir (Azwaw s umendil awray).
2- Aljiha : mélodie aujourd'hui très vivante chez les Chaouis, que Taos Amrouche définit ainsi :
« Le style AhUia, aux pulsions rythmiques accusées est spécifique des chants du travail et de la
meule.»
Un célèbre troubadour d'El kahra (Fréha) Oujwadi passait pour le maître du style. D'où le dicton :
« Ahiha ixesren fekt-ef i wajwadi a t-yellem. » (litt. Quand un air est mal tourné, c'est à Oujwadi de
le rétablir.)

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Boualem RABIA Florilège de poésies kabyles Boualem RABIA Florilège de poésies kabyles

Zik yas win f-wten waman bbwen?ar ara yweqmen tamayra s Lui :
Tahar Uxufac. Degmi win ikkern ar wayed, yin' as : « ^amayra n O toi colombe délurée
Tahar Uxufac, din ay nnaxen legwrac ! » (din ay ggwten yedrimen). Tes longues poésies ne valent-elles pas cher
Argaz agi yella d ameddah yerna d adebbal, diy nefta tamayra Cette nuit nous nous produisons en ce pays
deg ara yewwet, maCCi H Y a yas ccdah : ger tezwayin n ttbel,
a m a r n
Qu'on ne nous prenne pas pour des semeurs de fétus
ad sgunfun iyeggaden, d win yekkaten agerwaj (ney : agerbuz), imir Debout Zouina entonne ta mélopée
ad yebdu Tahar Uxufac tiyita wberradi , s ubendayer; ad yekkat, Cette nuit ton compagnon est Oukhoufache
ad yesseffruy am' af d ccikran n at t-tmayra, am' af ddunit, am'af Que mes seigneurs jaugent ton verbe
teqwbaylit, am' af learc, t-taddart d wedrum i t id-iearden... C'est avec art que j'en avise les jouvenceaux
Tahar Uxufac, i tidef, yella d amedyaz mussanen, ur y eli'ara Mon pays est Ait Ouartirane 1

kan d aferrah yeftawin yas af wedriz d zzhu : isseffruy diyen af Dont tous les hommes sont chasseurs de serpents 2

tayri .2
Nous nous sommes venus chanter l'aubade
Yeftawi yides ticettahin, degmi (id-qqaren wid s-id-yecfan) Ne sont-ce pas les noces d'une bouture d'abricotier
lian yergazen (m'ur s£in ara adrim) yeznuzun kra t-tyawsa iwakken Que chacun reste donc à sa place
ad recqen i tcettahin d-syammayen af irebbawen nsen, diy nefta ma Sur ma tête une mantille ajustée d'un turban arachnéen 3

lian wagad yeftemsethin, jembaeadden wa yaf-fa ... rrehba tewsae...


Tahar Uxufac yella yeftas-ed i « Tama-yin .» 3

Yiwen wass, g 1936 yusa-d ar yiwet t-tmeyra, yebbwi-d yides


ticettahin, garasent tella yiwet n At Wertiran, nnan-ak §§ifa \-\izin
yerna yefra Rebbi ixf is, tesseffruy. Tameftut agi ssawalen as
Zwina.
Akken serden imuraren i rrehba n ccdah, dya Tahar Uxufac ibda
ccikran g bab t-tmeyra, ggesli, g teslit, ... Akken ifuk ccikran,
4

Zwina tuy-ed awriE, terfed ahiha nni yesers Tahar Uxufac, tenna
yas :

1 - Ait Ouartirane : tribu de la Basse Kabylie, région de Sétif.


2- Voulant dire que les hommes de son pays tuent ceux qui y viennent dans un dessein malhonnête
( pour le plaisir charnel).
3- Sous le titre « Prêtresse de la joie », Taos Amrouche écrit ceci sur une pochette de ses
disques : « ( . . . ) une contrée-Ait Ouertirane- où les femmes sont appelées South Ouerthiran, sont
1- Aberradi : Hiyita ubendayer ney n ttbel urnese'ara Imizan n ccdab, sedfaren-t s wbiha.
prestigieuses et vénérées comme des prêtresses, des prophétesses.Grandes et très belles, d'allure
2- S teqwbaylit, tikwal ur yejnebdar ara wawal n "laecaq », itway am s tanfalit : « .. .afijeggigen » noble,fardées et parées, elle avaient le privilège de porter, par dessus leur foulard, comme les
( Amedya : awi-d, sefru af ijeggigen). hommes , taâmamt- l'écharpe de mousseline blanche et de prêter serment à la façon des hommes jmiâ
3- Q At Ziki, m'ara-d bedren « Tamurt 1-Leqwbayel Tamezzyant », qqaren-d : Tama-yin. liman ! -par tous les serments réunis IReste de matriarcat ? »
4 - Qqaren : « Win mi yezraE Tahar Uxufac «(...) Elles chantaient et dansaient, apportant dans leur sillage une joie de bon aloi...Si par
A e bar uyamac extraordinaire, un regard de convoitise osait se poser sur l'une des femmes sacrées, l'année ne
Yugaren ssem 1-lebnac s'achevait pas sans que la punition s'abbatte sur le coupable. »

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Boualem RABIA Florilège de poésies kabyles Boualem RABIA Florilège de poésies kabyles

A Tahmamt a tahtatast Elle:


Am tejririn yeswan geddac Sans pareilles les noces d'aujourd'hui
It-ayi newwet g tmura Surtout qu'elles se font sur un air du Sahel 1

Hader a^Eidem g tleqcac Ici n'émerge nulle barbe de pleutre


Bedd aÇçellit a Zwina Nous voici parmi des hommes de valeur
It-a arfiq im d Uxufac Qui ne tolèrent point l'infamie
Ad zzren ssyad' ay teswit Et qui reconnaissent le convive à sa sagesse
S lmeen' ara ddesiy arrac L'arbre apporte toujours du sien au fruit
Tamurt iw g At Wertiran Racé on ne peut faillir aux convenances
Merra d iseggaden 1-lehnac Les plus jeunes tiennent aux us de leurs aînés
Nekwni nusa-d ar tefsiht Va donc Zouina chante et fais fi de l'inquiétude
Lfarh n isegmi 1-lmecmac Car de preux cavaliers t'entourent
K u l hed yeen' amtiq is N u l statut ne feint d'omettre la joie
F ucembil taemamt n ccac 2
Le maître de cette fête n'est-il pas un notable
Et quel expert que son doigt sur la gâchette 2

Lui, le pagne indigo orné de maints motifs


Tissé par les subtiles femmes du désert

1- Afir agi yella diyen ggwsefru nnicjen : Ay azerraE t-tleqcac


yurek ma ytebe int yemyi
Ay aseggad 1-lebnac
Win d ssem i d-yeflawi
Wi yetfuraren ger texnefyac
\-Assiàfi: style de mélodie plus rythmé que Yatjiba, venu des hauts plateaux vers la Kabylie.
Muqel tameddit sani
D'où son nom, dérivé de ssahel (plaine/plateau).
MaCCi t-Çiqqar bbwarrac
2- Il était d'usage en kabylie de surveiller la soirée dansante, aux fusils, si les musiciens étaient
Yiwet labud a k-tawi
accompagnés de danseuses.
Jadis, les troupes de musicien traditionnels étaient immanquablement dotées de danseuses
2- Sut t-Tama-yin rrennunt taejart af tmebremt, ney Jewqament madi agennur, neqqar diy : arazuz.
enturbannées qui faisaient le tour de la piste de danse et récoltaient les pièces de monnaie : « rrcaq ».
(am akken teby'ad-dini dgi tamettut d wergaz.)

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Florilège de poésies kabyles Boualem RABIA Florilège de poésies kabyles
Boualem RABIA

Dya Tahar Uxufac yerfed ahiha s ssda nni d-debbwi Zwina: Le plus attentif à cette première joute était peut être un homme
du nom de Oujouadi, lui aussi barde à la voix somptueuse. Voulant
Adriz bbwass-a d-amxalef faire déboucher la joute sur des notes plus gaies, Oujouadi dit à
Ladya Imizan d asihli Tahar Oukhoufache : « Abordez plutôt l'air dit des cavaliers . » Et l

Ur din timira l-leh?a? Tahar de répondre : « Certes, d'accord ; mais que le chacal ne
Aqley ger yergazen leali mange pas mes agneaux si je les lui confie. Voyons d'emblée l'avis
Ur teemmiden i yihwah du propriétaire de cette fête. » Ce dernier ayant consenti, Zouina
Heftun inebgi t-tmusni rejoignit Tahar Oukhoufache pour la joute suivante :
Ma d ab.bub ar tiskert 1

D laçel wargin yekmi Tahar : Bouture d'amandier


Arrac defren tisirit Qui profite à merveille
Serreb a Zwina henni yi O toi Zouina
Atn' at rrekba lkweyyas Jument porteuse d'amulettes
Xas d zzhu bed ma yugi Ayant appris ta présence
Bab t-tmeyra ladya mussan Les tribus affluent vers toi dans la clameur
A f zznad adad açnay e i 2

Tibberqect af uzegza Zouina : Fibule des trésors


Reqqment tidma g sshari Rehaussées de turquoise
O toi Tahar
Jeune plant de noisetier
Thi bbwin-t akken Tahar d Zwina, almi dya yenna-yas yiwen
Grappe de raisin mordoré
wergaz isem-is Wejwadi "A Tahar Uxufac, qelb-i{ ar tinna ggem-
3

4 " Tu attires la foule


nayen . Ta poésie est si bien prisée
Yerra-yas-d Tahar Uxufac: Aneam, yarbah, lamaena ma rriy-k
ay uceen d lamman m'aîeeeed iyiden iw? Arju m'ad isserah bab t- Tahar : O rameau de rosier grimpant
tmeyra." Que les abeilles butinent
Dans le jardin de la Chrétienne 2

Tu ploies sur le linteau


Stature d'un palmier
Sur les terres sahariennes

1- Afir agi yella d anzi.


2- G rrebba deg llant teettabin, imawlan t-tmeyra (eassn s lemkwabel. 1- Taywect g gemnayen (l'air des cavaliers) air très rythmé sur lequel naguère encore dansaient
3- Ajwadi, d isem ggiwen wergaz yellan ula d netta d ameddab, qqaren n At Jennad. Yella issa les cavaliers, en Kabylie. On s'en souvient encore. Aujourd'hui, la fantasia n'est plus mise dans cette
région d'Algérie.
tabubeiet tfaz, degmi d-yeqqim g-inzi:
2- Cet air a été repris par les premières chanteuses professionnelles ( Ldjida et Chérifa) sous le
"Abiba yxesren fket-{ i Wejwad' at-t-yellem !"
litre « Tanina » .
4- Tazwayt ggemnayen" d ssida taqdimt 1-lqwedma, yes iccettben yemnayen af ieudyaw. Agad
d-yecfan nnan-d {-(ayawalt I mazal arida ar Icawiyen.
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Boualem R A B I A Florilège de poésies kabyles Boualem R A B I A Florilège de poésies kabyles

Bab t-tmeyra yenna-yas : Serrah a Da Tahar bnan imuraren. W Zouina : Anneau de pied garni de torsades
ur nenjim ur d-isewwaq. Tu nous embellis les chevilles
Imiren terna-d Zwina ar Wemeellem-is: O toi Tahar
Cheval tavelé
Tahr : Ageftum n lluz Chevillière d'argent travaillée
Yegman s wannuz Aux pieds des femmes de Médjana 1

Kemin a Zwina
Tagwmart m lehraz Tahar : Regarde-la toute de grâce faite
Slan yis-m leEruc Comme le meilleur des froments
Ssugten-d ddruz Succulente chair d'agneau
Parfumée aux épices
Zwina: Afzim 1-leknuz Ta crinière est celle de la jument
Icebbeb lmefruz Qui fièrement hennit
KeCcin' a Tahar
Isegmi n lluz Zouina : Svelte regardez-le
Tizurin 1-lmuz Sa denture parfaite fait son sourire charmeur
R.ehba t-teemret Belle broche kabyle 2

Izli d amaezuz Ciselée par un artiste


Brave comme un lion
Tahr: A lward t-tara Quand il apparaît
T-{anint tzizwa
G lejnan t-Trumit
Tercuci leetba
A lqed t-tzaneî
G tmurt n Ssahra

1 - Medjana : plaine de la Basse Kabylie, domaine de la célèbre famille des Mokrani.


2-11 s'agit d'une broche en argent, ronde, émaillée de vert, de jaune et de bleu, et sertie de bosses
de corail. Habituellement, ce type de bijou comporte un nombre impaire de pendentifs (5-7-9-11) Ces
pendentifs sont de formes si diverses qu'on ne peut toutes les citer ici : « Tête de serpent », « Feuille
de chêne », « Cruchon », « Etoile »...

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Boualem RABIA Florilège de poésies kabyles Boualem RABIA Florilège de poésies kabyles

Zwina : A rrdif bu y sura Tahar : O toi aux yeux fardés


Yernan f twetza Tes belles lèvres n'en ont nul besoin
KeCcin'a Tahar Pour toi la femme insurgée 1

Agwmar bu tfiwa Nous voici inquiets tant nous te désirons


Axelxal bu ccarcif Pour toi nous avons vendu la glèbe
Ar sut m-Meggana Et nos vaillants fusils
Fleur de pêcher
Tahr : Walit i tmellah Qui s'épanouit dans les plaines
D ccetla 1-legmab
Zouina : Toi au front comme une étoile
Taksumt uywelmi
Ton visage est mon miroir
Yebbwan g rrwayab
Insurgée car j ' a i un autre désir
Sslaleb n-tagwmart
Toi le faucon au plumage moiré
M'ara tesnabnab
Tes dents à elles seules
Font de mon amour un fou
Zwina: Walit-t i-getbae J'ai repris mon diadème
Açedsu ywennae Et rejeté la broche 2

Abrim n Tgawawt
Izeyyeb ssanaE
Tissas n yizem
M ' ara d-ifarrae

1- Tamnafaqt (littéralement : l'insurgée) c'était la femme qui quittait le domicile conjugal sans le
consentement de son mari et se retirait chez ses parents. La coutume voulait que les hommes, pour
l'épouser, rivalisent à dépenser toute leur fortune. Celui qui avait épousé tamnafaqt était honoré par
tout le village, parce qu'ainsi il avait bravé le mari, surtout si celui-ci appartenait à un clan ennemi ou
qu'on avait une raison de le défier. Cf.T.Yacine, L'Izli ou l'amour chanté en kabyle. Paris, Maison des
sciences de l'homme, 1988, et B. Rabia, les joutes poétiques féminines dans les mariages aux Ait Ziki,
in Awal n°4, (Cahiers d'études berbères) 1988, pp.85-121.
2- Dans la Kabylie d'antan n'importe quelle femme ne portait pas n'importe quel bijou ; en effet il
était de rigueur de porter le bijou adéquat à sont statut social : le diadème ne pouvait être porté que
par des femmes non mariées, la grosse broche (tafzimt) par les femmes mariées ou mères d'un garçon.
On reconnaisait, par exemple, qu'une femme était mariée, divorcée, veuve, dévote... au style des
boucles d'oreilles qu'elle avait ordinairement (tieellaqin, imenyaren, iccerraben ; ilyan...).

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Tahr : Am tit tgaljel Tahar : Brise des plaines


Agussim fïhel Secoue donc ta fouta
Mi tnuffaq naryweb 1
Droite comme un fusil de somme 1

Aqley in nebsel A la crosse sculptée


Nzenz tiywezza Ta démarche gracieuse est celle
Nerna lernkwaljel De la gazelle au pays des Bruns 2

Lenwar n txuxej
Yefsan g sswahel Zouina : Brise des collines
Retourne les pans de ton burnous
Zwina : Bu twenza am yetri Garçon mignon tel un perdreau
Udm ik am lemri Pour toi se tisse ma chanson
Nnufq-ed naryweb Je me ferai faire un tatouage 3

Lbaz d imleywi Afin de ne rien oublier


Fellak asetsu
I lhub ahwayli
Rriy-d taEessabt
Tafzimt iwumi

1- On dit d'une femme qu'elle est un fusil quand il s'agit d'une femme svelte, élégante et nubile.
Mais ici, dans ce vers, il s'agit d'une expression qui vise à rendre l'idée d'une certaine beauté chaste,
inaccessible.
2- Les gens du Sahara algérien.
3- Jadis, en Kabylie, on pouvait reconnaître qu'une femme était de telle ou telle tribu selon le
style des tatouages qu'elle portait au cou, au front ou au menton, et un homme à celui qu'il avait
1- Degmi yeqqar wenzi : « W ur nesei flemn i texrit ar yettallab timnufaq! » - I win isgayen
ayen yellan d lwezyi surtout à la tempe, ou à la naissance du pouce.

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Boualem RABIA Florilège de poésies kabyles

Tahr: Abehri 1-lewda


Huz-as lfuda
Lqed ubeckid
Urqim n tsumta
Tawacda t-tzerzert
Y tmurt 1-Lgwemra

Zwina : Abaehri t-tizi


Qelb-as ibidi
Aqcic d afarrug
Fellas netyenni P O E M E S SUR L ' A M O U R
Annewet ticret D A N S L E S T Y L E ISEFRA
A d - a d-netmekti 1

1- Win iyi-d ieawden tajrirt agi yenna-d belli ur yecf ara fellas am zik, diy netta ur tfuk ara, diy
tiseddarin ahat ur Hint ara akken tent yenna bab nsent, akken msedfarerent dagi.
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1 Je l'ai trouvée à la fontaine 1 Ufiy-t y tala teegb i


Sa stature altière m'a séduit M leud 1-leeli
J'ai bu sans soif Neswa-d aman ur nfud
Elle a tenu un propos qui m'a blessé Imi d-denna awal iqarh-i
Implacable Ur tugad Rebbi
Mes frères elle est capable du pire Ay atma tzemr i skenfud 1

Les hommes dignes ne sont plus Mmuten yergazen 1-1 e ali


Il nous sied de pleurer Ay y ima yrnefli
A présent les filles s'éprennent d'Amara Lmouloud Eecqent g Emara 1-Lmulud

Si au moins je savais son nom Amer day ssiney isem-is


Je remonterais son ascendance Ad nadiy af lasel-is
Bonnes gens comprenez mon acharnement AjEuddem a medden nedrura
Elle s'est amourachée d'un flambard TeEceq g-gwillan d iflis
Tambourinaire de profession 1
D adebbal yisem-is 2

H s'en va dansant d'une contrée à l'autre D acettah deg tmura


Mon imploration va vers Oudris Ad naErey akk' ar Wedris
Que sa beauté soit souillée l'infâme Ad cemtey zzin-is
Ainsi me cherchera-t-elle en vain A y-teftiad' u y-teftaf ara

1- Lian wid yeqqaren: skendid; wiyid qqaren: belejyar, d asfar ceCCayen akken ad rahgen abEad.
1- Dans la société Kabyle ancienne, il était mal vu d'être tambourinaire ou « abatteur » de bêtes 2- Zik d lEib ad yilli wabEad d adebbal ney d age??ar; deg-mi win yekren ar wayed yin'as: ma
(boucher). Le fourgeron aussi « travaillant le feu » (ixeddem times) devait demeurer hors de toute xedmey tagi, teljsid baba d adebbal ney...
agglomération.

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2 Comment te joindre mon seigneur 2 U l ' ans'a sid' ul' ansi


Je suis au loin prisonnière Leswar hbesn-i
Loin de l'endroit où l'on s'est connu Af-mdiq deg nemyussan

Mon mari est un homme jaloux Seiy argaz d amnahsi


Des témoins me surveillent Inigan eussen-i
Parmi eux des enfants Cehden ula d igwerdan
Par notre amour et notre amitié je jure que Aheq lemhibba Hmu'sni
Les ronces m'ont écorchée Inujwal gzern-i
Et les chiens m'ont poursuivie Fellak i yi-deffen yidan
En moi brûle le feu D iliz i-genfufden dg-i
J'ai entendu fuser ton chant de la forêt Sliy-d i wbiba ar te?gi 1

Et j'arrive par des sentiers qui me sont inconnus Usiy d Earqen iy'iberdan
Ton sang prolifère dans le mien D idamen-ik i-gftin dgi
Ton amour me perturbe Lebmala-k thewwel-i
Comme une épine au pied A m udar yuled usennan
Je t'adjure par mes colliers d'ambre et de corail M ' u r tekkired a nennejli bafi
Fuyons pieds nus eenney-ak ssxabi
O bracelet finement ciselé A ddah mi debeen yiran

3 O coquelicot 3 Annay a lebrir igran


Fleur épanouie Yullafen yefsan
En avril Deg yebrir zzat meyres
L ' o n dit que tu n'es plus qu'une ombre falote Nnan-iyi-d lexyal yemsan
Toi aux doigts fins Treqqaqt idudan
A cause de toi me voici affaissé Ataya wfud yerresres

1- Tuyac n zzhu {{awin tent imeksawen i lexla. Degmi, m'ara yentaq yiwen s wayen ur nlaqara, a
k-inin « Ikkes its-ggexf is ifka-( i lexla" - einani, w' ibyan isel.

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Oiseau à la paupière teinte A ttir bu yergel yeyman


Pour moi traverse les eaux Zegr-ay i waman
Vers la belle jeune passe la nuit chez elle T-{ame?yant lembat yures
Dis-lui que le doux amour est vivant In'as yedder lhub ablawan
Veille à le cultiver rurem eg-as lebsan
Puisse-t-il croître à merveille Tacribt tgemmu f-yiyes
L ' e x i l nous a vraiment séparés Tferq-ay lywerba s {{mam
Quand le sang appelle les siens Ma yran d i?uran
Le destin se plaît alors à plaisanter Qessam nhibb'ad yemmenqes
Je puis te jurer par le Coran D ar'am ggaley s Leqwran
Dieu ne me ménage point Nebres g lmizan
Pourquoi s'acharne-t-il ainsi contre les malheureux Ayen Rebbi d imeyban i-gkes
Il ne perce que les cœurs tendres A d y a s n u u l n n i ahcican
Les accable de soucis A s ireftae ine?man
Puis les livre à eux-mêmes TafeM yefka afus dges
Peut-être ai-je blasphémé Ahat bbwiy ddnub nek yennan
C'est mon cœur qui me démange D ul-iw iy'iCcan
Impatient de n'avoir jamais été heureux Laemer i nerbib nuyes

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4 Ah trouver mon destin et tes yeux 4 Aw'ufan Qessam am allen-im 1

Les casser comme un roseau A t-yer? am uyanim


Et les laisser par terre disloqués A t-yegg iferkaked g lqaea
Abead ifka-yas zzin tiwiztin
A untel il donne beauté et richesse
Zzwag-is d urqim
Et épouse magnifique
Yerwa weybub tasumta
Voici que la bécasse prise l'oreiller
Ma d nek yefka-yi agelzim
A moi il a prescrit la pioche
Lbaxt yufeg am-meCCim
Ma fortune s'est envolée comme le son au vent
Neqqaz teftali-d lmebna
Plus je creuse plus ma misère grandit

5 De colère j'ahane sans trêve


5 Grey-d nnehta s wurfan
De mes soupirs les jarres sont pleines
CCuren ikufan
Et il en reste encore par terre
Iggwra-d kra g lqaEa
Mon cœur est tel un muretin
Atawul-iwam ddexxwan
Lourd et enfumé
Iwerrek i ddexxwan
Partagé entre l'angoisse et le courroux
Ger unezgum d lefqiea 2

Untel tire jouissance de ses nuits


A profusion les colliers de corail Abead yeftummel i wudan
Et l'euphorie sous la couverture de haute laine Tizulag 1-lmerjan
Tfad tmudli g trakna 3

Cou de phénix sur une colonne


Taeenqiqt t-tninna f ikedran
Denture menue et éclatante comme des louis
On la dirait faite d'argent comme un bijou Tu e lac am lwizan
A m ssdaq yefsin g lfetta
Quant à moi je veille à compter les étoiles
Ma d nek befteby itran
Compagnon des chiens errants
J'essuie mes larmes avec les pans de mon habit Twannasey idan
Sfadey immetti s tlaba

1- Allen, leeyun, ccfar ... d awalen yezgan i tmedyazt 1-leqbayel (allen am lxi<J uzegza- aEeqqa wzemmur
yebbwan... Zegzawet am lebbar
Tessawal i lyila
Tezzer g lefxwar
2- Wiyiv reimun ifyar agi (3) pfakkan aseftu s 9 :
Ugrey aEziz lemnam
Ufiy-t yenaedam
Ay At Rebbi ccafuE
3- Tamudli d zzhu tnefsit ; qqaren : « yerwa wbujad tamiwjli » zun win ur|-nuklal ara, win ur nessin ara ay at
Rebbi cafuea.
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Vilaine chance que la mienne ! Zzehr-iw am yir iseywan


Telle une vieille corde je l'étiré et elle se casse Jebbdey ftar?an
Jamais elle n'assemblera mes amours en gerbe Lebmala-w ur tebbwid {-{adla
Les jours pervers me sont échus Nek zik i yi zeigen wussan
Je déjeune de soucis Feftrey s iyweblan
Que tu es invraisemblable mon étoile Ahyak a nnejm t-twerdella 1

La fêlure a parcouru mon cœur G-gul m'ara wten iyissan


Mes nerfs sont endoloris Sebken i?uran
Ô ma tête la paix t'a mise en quarantaine Ay ixf-iw tegdel lehna
J'ai pris une mesure d'un k i f grossier Dmey lwezna 1-lkif d azuran
Il ne me reste plus qu'à la rouler Rriy-t i webran
La fumée se lève et je me mets à versifier Ikker wabbu nxeddem isefra

6 Las les jours qui m'étaient favorables 6 Af asm' i y i rebben wussan


Je comptais parmi les cavaliers Rrekba-w d lfersan
Et j'avais une toute jeune monture Rniy ajedeun atni
J'abordais la chasse avec tant de soins Ay d-bdiy çsyada s lehsan
Cherchant la gazelle des champs Af tzerzert yeksan
Je fouillais toutes les forêts Qeddmey-d ti?egwa \-\imi
A présent je suis trahi par les porcs Ma J-tura xdeen-iyi yilfan
Ma chance s'est enfuie Bedden yetran
O mon Dieu ici bas tout est fugitif A Llah da kulci d lfani

1 -Tiwerdella : d ayen yecban lekdeb, (tid-wer-nella-) s tefransist : « l'invraissemblable ».


Neqqar : timucuha tiwerdella, degsent ay nella .

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7 La lune est auréolée 7 Yezzi-d ddur i waggur


La pluie bientôt nous surprendra Duleqrar d ageffur
Elle tombe déjà sur la montagne Seg-gwedrer tebda tyita
Si mon cœur pleure il a raison Ul-iw ma y ru ma £ dur
Eclatante colonnette de givre Af-tjaEbubt b-bwegris tour
Demain ne sera pas fait de clarté Azekk'ur t-tedfir ttya
La fille au corps ferme Taqcict d lqed-is yeCcur
Aux seins comme figues précoces Jdmarren-is d lbakur
Et la chevelure sombre Amzur g ssebya yeyma
Je l'ai entendue frapper dans ses mains Sliy tewwet gr ifassen-is
Trahie par ses amants Xedeen-t yebbiben-is
Elle a vendu sa chevillière d'argent Tegr axelxal-is g rrhina

8 A mon cœur il ne reste plus que le chant 8 Ay ul-iw yefha-k ucewwaq


Car mon esquif a coulé D ssfïna-w teyraq
Allons-nous en avec Rabiâ Ouali 1
Yy'anebdu d RabiE Waeli
Soie neuve et scintillante Lebrir ajdid yereqraq
Qui nous arrive d'Orient Win d-yussan g ccarq
Etendard elle flotte au bout de la hampe Af yixf t-tbarbunt yuli
Ma raison et moi sommes en querelle Nek d rray-iw nemsewwaq
A cause de mon œil amoureux des filles Af tit mi tebraq
Et je cherche l'oubli en vain Tissas yer nedla wlaci
M o i qui suis un révolté de nature Aqcic yellan d amnafaq 1

L'amour me rend fou Ishebl-it leEcaq


Et je me rabats sur le hashish avec excès Yeyli af lebcic d aqerwi

1- Célèbre musicien traditionnel de la Basse Kabylie. L'on dit qu'il était aussi poète, de la trempe 1- Ggiwen wbiba terfed Tawes emruc teqqar-as:
de Tahar Oukhoufache, dont bon nombre de vers sont encore de mise " Aqcic yellan d d amnafaq iby' ad Iyerraq ..."

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9 Le jour du départ en pèlerinage 9 Af asmi nerfed a d-nzur


Nous allions comme des étourneaux en bande Nqele am zerzur
Joyeuse partie de Amaraoua 1
Nebda-d zzhu deg Eemrawa

J'ai vu une fille sur un muret Tbedd-ed yiwet af ssur


Son visage resplendissait D aksum-is inur
A son cou des tatouages fins comme des lettres Ticrad deg-gwudem am tira
O sidi Mansour le noble 2
A sidi Mensur ay ahrur
Cette fois je viens visiter la belle T-Jaqcict ay nzur
Quant à toi je reviendrai une autre fois Ma d keC asmi d-nweea

10 Ay awlili tawid-as sslam


10 O brise porte mon salut
I m yergel yeyman
A la fille aux paupières fardées
Tizerzert mechur yisem-is
Gazelle au nom célèbre
Bbal lwiz i d-yennulfan
Tel un nouveau louis
Bu lbaz ame?yan
Frappé d'un aiglon
I d-deb£en g tmurt n Sswis
Gravé en Suisse
Taeenqiqt tedri d lmerian
A son cou pend un réseau de corail
Tjefab yef-faman
Pommier épanoui au bord de l'eau
Tisura 1-lgennet deg-gwfüs-is
Les jardins de l'Eden sont entre ses mains
Gloire à toi ciel constellé Llah Ujed ay igenni d yetran
Pour la colombe toute mignonne Af tetbirt g lmizan
Le garçon émotif a perdu la raison Ahwawi yebda d lEeql-is
Jeune f i l l e ta beauté gèle les eaux
3
Tabbayrit f iEeqren waman
Et me fait passer des nuits blanches F ur gganey udan
Tes yeux verts à eux seuls me tourmentent I yi hewwlen d allen n sris

1- Tribus makhzen sises dans la vallée du Sébaou, elles étaient sous la tutelle du pouvoir turc ...
2- Saint homme dont la zaouia est encore sur les territoire des Ait Djennad, au village de Timizart
3- Dans le texte original : « tabbayrit » = fille vierge. L'on dit également « taeezrit ».

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A cause de toi on m'accable de dits venimeux Fellas ay ay bedren yinnan


Tout mon être n'en peut plus D ifadden-iw ulwan
Me voici comme désarçonné par un cheval Am-min d iydel ueewdiw-is

11 Je suis tel un condamné à la prison 11 Aqli yin am umyerreq 1-lebbus


Mes entrailles sont vermoulues D afwad-iw isus
Le mal creuse et s'y enfonce Ar daxel i teyza tyita
Elle passe et fait cliqueter sa chevillière Mi tEedda thuz nnaqus
La chevelure jusqu'à la ceinture Amzur ar agus
Elle joint le sourire à la tendresse Terna azmumeg i Ujanna
Les joues fardées Tawjayt teyma g lhirqus
Elle resplendit comme un flambeau Treq amzun d lfanus
Surtout parée de ses bijoux d'argent Terna-yas d Ead lfefta
Savonnette qui lave la souillure Tabbult yessiriden ammus
Chardonneret des cactus Timtarqemt af ukarmus
Qui égaie les fontaines Yis ay cernent tliwa
Fille ô jument de Prusse
Qui a conquis le monde Taqcict d ssebqa 1-Lebrus
Et fait de l'Alsace une contrée de la France Isxedmen legnus
Yerran Lal?as d Fransa
12 O Taos toi qui te promènes sous les orangers
Tatouages aux poignets 12 A Tîawes seddaw tCintin
Et sourcils finement tracés Ticrad di tyaltin
Am timmi truh d lluka
Pour toi j ' a i dilapidé mes biens
Je me vêts de haillons Fellam ay fkiy tiwiztin
Existes-tu parmi les anges T-tedduy s tfawtin
Ur kem ufiy g lmuluka
Ah dormir avec toi deux heures
C'est là le paradis A w ' itsen yidem ssaEtin
Comme une visite à La Mecque Lgennet akw {-tin
Iruh a d-izur Mekka

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13 De grâce fille du gracieux ramier 13 Annay a yelli-s ggetbir ukyis


Ta provende est faite de millet Lmakla-s d absis
Et ta boisson d'eau de fleur d'oranger Tissit-is d aman n zzher
Asmi yi Üjub s wul-is
Du temps où tu m'aimais vraiment
Hed wer yi {yekkis
Entre nous nul ne s'interposait
Nek zzhiy neftat tesber
Je me donnais du bon temps et toi tu te résignais
Ma {-fura ybeddel rray-is
Maintenant en elle tout a changé Messus zzin-is
Fade est sa beauté D ul i {-üjubben a {-yenker
O cœur toi qui l'aimes renie-la
14 Tdahr-i tbed ar ttaq
14 Je l'ai vue debout à sa fenêtre D leemr-iw idaq
Mon cœur s'est serré Terxa-d i wemzur yesleb
Elle a relâché sa lourde chevelure lisse
Axelxal deg-gwdar yeftaq
A ses pieds des chevillières resplendissent Terna-d lbacmaq
Sur des babouches Taqemmuct H a w i z e t ddheb
n

Sa bouche est un louis d'or Ay î-ixedmen d lyerraq


Des gens néfastes nous ont séparés Daymi neffaq
Ils ont travaillé à notre perte Tegga lxatr-iw yeddebdeb
Et mon esprit égaré sonne creux
15 Tdehr-i tbed ar ssdah
15 Je l'ai vue debout sur une terrasse 1
Tendah a ssellab
Elle invoquait les saints Werrakum y a Bnu eisi
Où êtes-vous fils des Ait Aïssi
T-{awjayt-is i d Imesbab
Ses joues radieuses telles des chandelles Ney lwerd mi yeftah
Ou des roses épanouies Tedd' akken tziba wtunsi
Elle portait bien son collier de corail Win yewten degney la ssmab
Point de pardon aux médisants Ad yeffay d amjab
Qu'ils perdent la raison Ad ijerreb g lembani
Et soient voués aux déboires

1- Neuvain chanté par Hnifa, du moins une variante.

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Boualem R A B I A Florilège de poésies kabyles Boualem R A B I A Florilège de poésies kabyles

16 En songe je me suis vu au ciel 16 Ay urgey ixf-iw deg-genni


Ailes au vent Afriwen i wbebri
Mon esprit s'est envolé tel un oiseau D l£eql-iw yufeg am ttù"
De mes yeux les larmes ont creusé des rigoles I?ri-w isax g metti
Une lézarde a parcouru mon cœur Deg-gul yuzel iyisi
Sur mon visage un masque de laideur Udem-iw yuli t-id lqir
Mes entrailles sont bouleversées Attaya tasa-w tettergigi
Elles tressaillent et suintent le chagrin Tzellez tejneggi
Me voici tel un pigeon pris aux rets Am ticki yetqerrec yetbir
1

O génies de par toutes les collines A ssaddat tizi yer tizi


Mon sort me fait prisonnier D lwaEd yettef i y i
Faites que mon rêve soit de bon augure Ssuffey-i targit al-lxir

17 Je redoute la tombée de la nuit 17 Ay tkukruy a d-yeyli yid


Angoisse et froid Lwabc asemmid
Les couvertures ne me sont d'aucun secours D ac'ara d-gen yeEdilen
O mon cœur sais-tu au moins Ay ul ma day tebsid
Qui tu fréquentes Wi d keCC teddid
Ce sont les filles qui te font souffrir T-tibdayin i k-isegghen
Je suis comme une girouette Qqwley d ajebnid uyazid
Qui s'oriente au gré du vent Tin d-iwehhan tejbid
Hélas l'amour est souverain Ziy d lbub i-gtedebbiren
M o i il me charge d'un fardeau de peine Ab E ad hat issuggwet-as lyid
Mon corps en palpite Lbedn-is itweswid
Ah les franges de foulards et les colliers d'ambre parfumés Iy'iga zriru d ssxab yetraben

l-Tettefittqerract.

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Boualem R A B I A Florilège de poésies kabyles Boualem R A B I A Florilège de poésies kabyles

18 Savez-vous ce qui m'arrive 18 Tezram tin yidi yedran


Si je le contais au roc il en tremblerait Ma nniy-d ad yengeb wezru
L'amour des jouvencelles me meurtrit Yuled-iyi fljub t-tsednan
Ah ! avoir de bons yeux et en pleurer Aw'isean i?r'a ten ira
Le cœur miné en est enlaidi I-geîcemmiten d ul yebban
Quant à la faim elle creuse puis se rassasie Wamma la? mi yeyza yebhi

19 Las astre étincelant 19 Annay ay itr'imbwettej


Qui apparaît au déclin du jour Id-yulin tagara bbwass
Beauté radieuse qui m'a meutri I y iga zzin imfeggeg
Iessay i ddnub d lweswas
Me voici vagabond Teggid-iyi ay ameirej
Anxieux et pêcheur invétéré A m teylit tesdubed a maras
Je suis tel un figuier que le mal ronge à la souche
20 M ' a d ak sembey
20 Comment te pardonner Abeggan teseeddad felli
Les temps de tourmente que tu m'as fait subir Ul-iw tura yeqqur
A présent mon cœur a durci Am tnicca deg rrmali
Comme granit dans le désert A l a yreq g tubsifin
Il brûle à l'idée de se venger Tinnid a ssimra g lyali
Telle la foudre durant les longues nuits d'hiver
21 Tennid isay-iw g ly werba
21 Tu m'as dit que ton honneur est en exil I nek d acu yi teggid
A moi qu'as-tu donc laissé Imefti anezgum urfan
Les pleurs l'angoisse et la colère Amallah a leez i tefkid
Las les égards dont tu m'avais entourée jadis Tasa-w izedy-ù; yissir
Maintenant en mon cœur une écharde Tawla deg izazzel usemmid
Des frissons de fièvre sans cesse me parcourent

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22 Nous nous sommes vus dans un jardin exubérant 22 Ay nemzer i lejnan ullif
Par les grandes chaleurs de midi Ay neddukel g-gwazal qayli
O toi aux cheveux soyeux A bu tcebbubt am lebrir
A cause de qui s'est égrené mon collier Fi yefruri wezrar nesni
Que des enfants le reconnaissent Ma day tEeqlen warrac 1

Et je serai la risée de tous A yi yawin medden d imi

23 Je t'implore jeune faucon 23 A piaEred a lbaz me??iyen


Toi au cou bien modelé Bu lbelqa ydewwren
Les hiboux m'ont déjà assaillie D imiEraf zzin-iyi
La soie sur moi n'est que lambeaux Lebrir yuyal d imsilen
Elle est maculée de sang Yexnunes g-dammen
M o n collier d'ambre est tombé à terre Tazlagt n ssxab teyli-yi
De mon diadème se sont détachés des pendentifs Icruren t-tEessabt mi neslen
Les voilà qui traînent dans mon giron S iciw'ay-d zrargen
Mon ceinturon bigarré s'est effiloché Teqqwled ay akwerzi d ftlaqi
O mon âme chérie on t'assassine Tarwibt aEzizen a kem nyen
Pour aujourd'hui l'ultime décision Ass agi yam Eezzmen
O mon Dieu adoré pardonne-moi 1
A Rebb' aEziz taEfud-i

1 - Version de Jean Amrouche, hormis les vers 7,8 et 9 (la 3 strophe).


e

L'auteur de ce poème serait une femme d'une grande beauté. Resplendissante de charme et
d'intelligence, et prise en flagrant délit d'adultère, elle demanda qu'on lui accordât de dire un poème
avant d'être tuée. 1- Zik ma tessared tmettut i tala, tettu-n kra g ssdaq is (axelxal, ney ameqyas ... ) yufa-t wergaz,
Ce fut fait et on l'enterra encore chaude de vie. Il s'agit donc de ce qu'on appelait « timserreft » ateftweinmet
(littéralement : celle qui est enterrée dans « tasraft » - dans une fosse.

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Boualem R A B I A Florilège de poésies kabyles Boualem R A B I A Florilège de poésies kabyles

24 J'ai trouvé une bouture d'oranger 1


24 Ufiy amgud n cCina
Sur la margelle d'une fontaine Af yiri t-tala
Elle croît dans mon jardin où je l'ai repiquée Neqley-t al-lejnan-iw yuy
Si ce n'étaient les langues fourchues Lukan maCi d leEayra
Je voguerais par les contrées Ad nadiy lexla
Sur le garçon v i f je ferais des poèmes Ay abtatas ad ssefruy
Non mon verbe reste en moi Ay awal-iw qqim kan da
Le faix est déjà trop lourd Aeyiy g jeebga
Trop de déboires me pèsent Ur txus tin ara d-rnuy
O vous qui avez déjà souffert mon martyre Ay imjarrebn t-tasa
En connaissez-vous le remède Mmelt-iyi-d ddwa
Oublier le bien aimé Af-fin aezizen a t #uy

25 Deux filles de ce village 25 Snat i taddart agi


Leur amour consume mes entrailles Rrijant afwad-iw yerka
Leurs statures sont harmonieuses comme des bijoux I leqdud H i x u t a m

D'égale beauté Eedlent ula di §§ifa


Toujours à l'orée de mes rêves Zgant af yimi t-targit
Elle se posent sur mon oreiller Trusent-iyi-d f tsumta
Lorsqu'embaume le clou de girofle D qwrenfel mi d-yenEaEes
Fiévreux je suis épuisé Ter?a ifadden-iw tawla

26 Deux filles de ce village 26 Snat i taddart agi


Risquent de me tuer d'amour Rrbant afwad-iw i lmut
Aussi bien tournées que des bagues I leqdud J-ixutam
Leurs chevelures mêmes sont identiques Eedlent ula di temzurt
Lorsque je les trouve à la fontaine Mi tent ufiy di tala
Je deviens aussi léger que la brume Ay ftifsusey am tagut
Abeilles si vous disparaissiez Ma tyabemt a tizizwa
Mais comment éberlué reconnaîtrais-je le printemps M ' a d yaEqel wenguf tafsut

1 - Neuvain chanté par Hnifa, sans la 3 strophe


e

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Boualem RABIA Florilège de poésies kabyles Boualem RABIA Florilège de poésies kabyles

27 Je voudrais vous trouver boutures de menthe 27 A wi kwent yafen d nnaEnas


Pour vous planter dans mon jardin Ar tebbirt-is ad ineqqel
Si jamais vos yeux se baissaient Tit nkwent ma day terre?
Comment ferais-je pour me les concilier Amek ara t id-nbellel
Alors las la lumière et le clair de lune Amallen a tafat a tiziri
Je ne reconnaîtrais plus rien Ur din lbaga naEqel
O belles filles pour vous Annay a time?yanin
Je prendrais le chemin de l'exil Ad ayey abrid-iw n nhel

28 Adieu délices de l'habitude 28 Adruhey akemggey alEadda


C'est là la dernière fois Nek yidem al'ass a
Mais la belle m'occupe encore l'esprit Taqcict a{ay g ddehn-iw
Elle m'a battu au fer rouge Tewwet-iyi s wuzzal yerya
Et initié aux soupirs Tessay-iyi nnehta
Et détourné de la raison Amallen tessaewej rray-iw
Avec verve j ' a i tant versifié Atas ay nessefra s lebrara
Le village en est témoin Taddart akw tesla
Tant pis si l'on dilapide mon héritage eemmedy ad yenz umur-iw

29 Fille de lionne toute faite de grâce 29 Tamdurt t-tsedda tewzen


Pour toi mon coeur est brisé Fellam tasa-w tegzem
Depuis mon enfance tu hantes mes rêves I tem?' ay tezday lemnam
Je ne puis te souhaiter que des douceurs Buddey-am akw i-g?iden
J'ai épuisé mes os et mon sang Fniy iyes idammen
Plus que ma mère je t'ai entourée d'égards Ma d lebsan yelbey yemma-m
Maintenant que tous savent Teggid-iy' almi slan medden
Tu détournes tes regards de moi Tebrid i wallen
En exhibant tes plus belles parures de colombe Tura ternid ssxab a lebmam

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Boualem R A B I A Florilège de poésies kabyles Boualem R A B I A Florilège de poésies kabyles

30 O toi fille de faucon 30 A taqcict yellis n lbaz


Dis-moi quelque bonne parole Hedr-iyi d lemgaz
A mes doutes réponds par la vérité Terred-d legwab s ftebqiq
Noble beauté ne laisse pas indifférent elle creuse Zzin ma d abiur yeqqaz
Et brûle comme le gaz Irreq am lgaz
En plein été je suis transi de froid G-nebdu ye?da-yi ssbiq
Si ma chance pouvait se saisir de toi Amer d zzehr-iw a kem Djaz
Plus jamais tu ne désirerais un homme AjEahded argaz
Quoi que tu fasses tu serais embarrassée Akken txedmed d iEewwiq

31 Vous les femmes volcan en éruption 1


31 A lxalat adrar t-tmes
Qui se consume de lui-même Ireqqen wabdes
De tout désastre vous êtes l'origine D kunemt-i d ssebba n nger
Qui vous fréquentez devient pauvre Win txultemt meskin yefies
A jamais mélancolique Yezga-d yeqqumes
Il va jusqu'à vendre ses champs 2

Yezenz amur is d iger


Jadis serein il travaillait ses vergers Asmi yella yessaxdam ires
Pommiers et poiriers Ttefab d ifires
A présent il ne sait plus manier la faucille Tura iEarq as ula d amger

32 Mon cœur pauvre de toi 32 Ay ul iw ak-k-id Eezzin


Tu te laisses séduire par la beauté Ittabaeen zzin
Dont tu ne récoltes que tourments Tmegred-d irebbi t-tlufa

1- Les 6 derniers vers se trouvent dans Jean Amrouche. Chants berbères de Kabylie. Paris,
L'Harmattan, 1989.p.l42.
2- Il est mal vu de vendre ses terres, habituellement héritées des ancêtres.

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Boualem R A B I A Florilège de poésies kabyles Boualem R A B I A Florilège de poésies kabyles

Deux cavaliers t'ont traîné Juren-k ixeyyalen deg-sin


Au tribunal Ar wanda {cetkin
Vers la montagne de Mansoura 2
Ar wedrar m-Mençura
Mon affaire à moi nul ne l'a comprise D ccars iw bed ur t-yefhim
Le juge n'a prononcé aucun verdict D jjuj ur t-yebkim
O mère comment prouver mon innocence A yemma ddiy g lywelta

33 Je t'ai appelé en vain 33 Ciy E ey-d yurek ur d-usit


O toi au brun regard Ay usbiy n tit
Et pourtant nous sommes de vieux amis Yak i zik i nemyussan
Mon âme à cause de toi est toujours brouillée D lEemr iw ladya terwit-t
Tu le sais Kulci tezriH
Pour toi on me montre du doigt Fellak tbaen iy' idudan

Je sais que ton coeur s'est lassé de moi Fehmey-k s wul-ik taEyit
D iles i y i tefkiî
Ta langue m'a bernée
Ay anekkar 1-lebsan
O toi qui cultives l'ingratitude
34 II est si sage courtois 34 Tamusni yerna yehdaq
Lorsqu'il commence à parler K u l m'ara d-yenftaq
Je souhaite qu'il n'en finisse jamais Amer ufiy ur yesusum
Il a le regard perçant de l'aigle Tamuyli 1-lbaz aremmaq
Il est aussi pur que l'or Lwiz ma yaEtaq
Et aussi doux que la soie des capuchons 3
Lebrir yezdan d aqelmun

1- Entendre : deux gendarmes, qui dans les temps jadis avaient des montures pour circuler en pays
montagneux.
2- Localité de la Petite Kabylie où il y avait un tribunal. A ne pas confondre avec le hameau des
Ait Ziki, dit aussi « Mensoura ».
3- Le burnous kabyle est tissé à la laine uniquement. Mais il en existe qui sont décorés de motifs
géométriques tissés à la soie, à partir de la ceinture jusqu'au capuchon (région des Ait Ghobri).

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Pour lui mes entrailles se consument D ul iw iceqqaq


M o n coeur est lézardé D sser af medden iyum
Et personne ne se doute du secret
35 Ass n {lata tameddit
35 Mardi au crépuscule A kra yellan {-{aEezrit
Que de belles demoiselles Neffel ar tmurt n At Yeggar
Aux Ait Yedjar
Taqcict ul iw tezuzen it
Ah cette fille qui longtemps a bercé mon coeur Win is theml it
Le sien elle l'a omis Tebzen udm is yenhejwar
De chagrin son visage s'est terni S fteryis am yetri tnewr it
N'était-elle pas belle comme un astre Slfettatheggrit
Fardée et parée de bijoux d'argent Netyawal ur î-nbekkar
Pressé je n'ai pu longtemps la contempler Tfey asekwsar {-imzirdit
J'ai dû dévaler une pente Nerfed abiba nsers it
Une complainte fusant de ma bouche T-î' ay d lywarb'a tucbiht n ccfar
Fille aux longs cils l'exil est fait de déboires
36 Ass n lata tameddit
36 Un mardi soir AEwin irefd-it
Il prit son viatique Ar l£e??ugen yebda ssira
Et se dirigea vers Azazga
Yebbwed al-L??ayer tjaer-it
Il arrive à Alger enfermé dans ses murailles Babur yugad it
Craignant le bateau S tedyant 1-lywerba yesla
Car il savait l'exil imminent
A Sidi Twati bader it
O sidi Touati viens-lui en aide
1
Leecaq yeshebl it
L'amour le rend fou Tamurt ur s-tezmir ara
Le pays ne donne point de provende

1- Saint des Aït Ziki, au village de Berkis. Dans une de ses incantations, Taos Amrouche cite
« Sidi Touati », probablement un autre saint d'une autre contrée de la èasse Kabylie.
Fellas afwad iw yehraq
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37 O ma mère j ' ai gravi une montée 37 A yemma uliy assawen


Raide et sans fin Ieellaq bezzaf idul
Sans ami pour m'aider Ula wakud nemEawan
Tous vaquent à leurs occupations Lebbab lhan-d d ftcayul
Ramées qui ploie sous la neige A tasefta mm ideflawen
Que d'amertume tu engranges mon coeur I tarid ar daxel ay ul

38 Si j ' avais main basse sur toi 38 Amer tellid dw ufus iw


Mon coeur tu n'aurais plus froid Ay ul ak-k-ksey asemmid
Si nous étions assortis toi et moi Amer nemsada nek yidek
Nulle idée de vengeance ne t'effleurerait D ccebna wellah ur {-taenid
En toi l'ordre des choses est si confus 1
Yaeraq amek weznen lecywal 1

Que tu t'es engouffré dans le chaos A l m i ar tadunt teddunfid

39 Las croyants mes seigneurs 39 Annay a ssyad' a lmumnin


Je suis trahi par mon ami Ixed£ i y i w'illan d abbib
L'amitié est un fardeau indicible Eebbey ftEebga s ccnaq
J'en suis courbé tant j ' y ai cru Ay atma iyelb iyi rryib
De mes dits il réfute toute véracité Hedrey ççwab ismaEriq
Ainsi cherche-t-il subterfuge pour me renier Ziy d ssebb'iyi d-yejqellib

40 Las ô toi au pelage fauve 2


40 Annay a bu ccrub iwrayen
Quel opprobre que ce que tu m'as fait D lEar imi txedmed tagi
Tu as attendu que je sois dans le fleuve Teggid iy'almi grey s asif
Pour t'insinuer parmi mes brebis Tekcemd iyi-d ger wulli
Qui veut éprouver un ami cherche W'ibyan ad ijarreb arfiq
Si ses paroles sont en accord avec ses actes Ma ddan yinnan d lefEali

1- Les deux derniers vers ont des variantes :


L'affectation m'a aguerri à la peine
Et nous lavons le sang par un autre 1- Tfaka s sin yefyar agi :
2- Il s'agit du chacal. Lehzen iseberd iyi s Ihem
Nessirid idamen s wiyid-

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41 Que je conte au sage 41 Frut ad iniy i musnaw


Et qu'il trouve l'issue Af nek yulbaben igenwan
J'ai atteint le ciel et suis tombé Bbwdey isigna rubey-d
Pour me retrouver à la merci des serpents Sebbey-d g rebbi yzerman
Me voici seul en ce pays Aqli-n d awbid g tmurt-a
Que tout le monde a fui et où même l'eau se vend 1
Reggwlen medden anida Jnuzen waman

42 Je n'ai que faire d'une beauté creuse 42 Wum'as riy i zzin war ne Emir
Au nom même célèbre Ulma mucae
Elle est comme fleur de laurier-rose 2
Nnwar ilili
Qui s'épanouit en vain Yeguggugen byir nnfaE
Je lui préfère la grâce de l'abeille D win t-tzizwit axir
Même brune elle est utile Ulama berrik yenfaE
La vraie beauté c'est le savoir-faire Zzin HiEubbwja d ttbaE
C'est à l'ombre que brille le rayon de miel G lbadna ccahed ilemmaE

43 Me voici recroquevillé tel un pigeon 43 Kuldey g ddiq am yetbir


Aux ailes repliées riiy-durnet ferfir
Que mes amies se lamentent si elles m'aiment Ma yadey tibbibin xas runt
Mon cas je l'ai dit à Fatma-ou-Yidir 3
Hkiy- i Fadma-w-Yidir
Toujours drapée dans ses pagnes de soie M m lfuda 1-lebrir
Elle l'avait pressenti Tenha-yi uqbel ad drunt
Mon destin ne m'offrait que misères Ziy i-gura Sid'af-fenyir
Et je songeais aux fleurs d'avril DeniEey ifsan ggebrir
Alors que les longues nuits d'hivers suçaient mes forces D nek lyali dgi {summunt
Jadis mon espoir s'étendait éperdument Zikenni sgayey labir
Vers une intarissable félicité 1 lxir ur nettixir
A présent telle une mule je suis accablée de misères 2 ebbey ddebk am tserdunt

1 - Entendre que si l'eau se vend, tout est vénal.


2- Dans la poésie Kabyle traditionnelle, on attribue immanquablement à cette plante deux
épithètes : belle et amère, qui équivaut la bivalence : attraction/répulsion.
3- Une clairvoyante de la région d'Akbou, en Petite Kabylie.

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44 Ma mère comment faire 44 A yemma amek ara s-gey


Avec celui qui est cher à mon âme I win aezizen am rrub-i
Sa taille est svelte comme un roseau Lqed is am uyanim
Et ses cils longs à faire de l'ombre Lecfur is rran tili
J'ai beau vaquer à mon travail Ulama xedmey lecywal
Mon cœur demeure auprès de lui U l iw yures i-geîyimi
Qu'on vienne à prononcer son nom Ma la wi d-yebdern ism is
Et quoi que je tienne tombe et se brise Ma ttfey lbag'a{eyli

45 M o n j eune aimé vient de partir 45 Yekker weqcic ad iruh


Seules les traces de ses souliers me sont restées Ixellef iyi-d tirekkit
Que des paroles de poison Bexlaf lehdur uqbiren
Entendues par le jeune au regard sombre I-gesla wusbiy n tit
Car aux yeux d'autrui c'est la guerre Ar medden tegd as nennuy
Mais entre nous l'amour vient de naître Nekwni lembiba H Jdit
a

46 Passionnément je t'aime il est sûr 46 Lembiba a gwma thibbiy-k


Mais bien des gens agissent en diables LamaEna ggwten ccayatin
Je passe des nuits blanches Tnussey ur gganey udan
A songer à toi Ul-iw fellek yepcemim
Ma langue feint l'oubli S yiles-iw sebrey fellak
Quant à mon cœur seul Dieu le sait Ma d ul-iw bed war yeElim

47 Mère je veux étancher ma soif 47 A yemma fudey aw'iswen


A la fontaine hantée par le geai I tala iEebdujayiy
Boire c'est faire jaser les gens Ma swiy idefr i y i wdad
Rester c'est éterniser la flamme de mon cœur Ma qqimey wergin rrwiy
Pour toi ma bien-aimée Af udm im a tin bemley
Je marche sur des braises et brûle Ukley af tergin ryiy

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48 Bel arbuste des montagnes 48 A tasetta deg-gwedrar 1

Qui domine le pays des Zouaoua Iweean Igawawen


Sur tes branches l'oiseau-phénix Tanina sdaxel ines
Pour lequel un jeune faucon fait le vigile leus lbaz mezziyen
Dites donc au bien-aimé A m'ur s-tennid i lwali
Que la folie débute ainsi A k k ' i tdajTU d iderwicen

49 Bel arbuste des montagnes 49 A tasefta deg-gwedrar


Qui domine l'Akfadou Iweean Akefadu
D'où fusent les ramages du phénix Tanina la teswedwid
Que le faucon épie en pleurant leus lbaz ar yeÇru
Dites au bien-aimé A'm'ur s-tennid i lwali
Qu'en son absence je redoute le lit. S lyiba-s hubey ussu

50 Me voici dans les vergers d'Ouachour 1


50 La ne£iadab i lejnan Ueacur
J'amasse des douceurs 2
Njemmae leecur
Passera l'éphèbe je les lui offrirai M ' a d-d-ieeddi weqcic
Sur son visage ruisselle la beauté Fellas zzin d acarcur
Et le charme F ye^uddum nnur
Tel l'astre frais émoulu des cieux A m aggur mi di-yeflali
Anges gardiens des océans Ay ieessasen 1-lebbw
Faites qu'il vive longtemps GgeH ad yimyur
Et le destin me le rendra un jour Lwaed a-t-id-yer yuri

1 - Version chantée par Hanifa dans le style acewwiq. « Ay agur ».


2- Dans la version Kabyle, il s'agit de dîmes prélevées sur les rentes,
i.e. J'ai subi l'opprobre - j'ai fait la mendiante pour te venir en aide.
1 - Ay din yella ggezlan d-ibeddun akka.
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51 O Takfa étoile du matin 51 Takwfa ay itri n s§bab


Quand elle sort pour flâner Mi d-deffey aîmerrab
C'est toujours avant la nuit noire T-tikli y nés kan sedw leica
Je m'ennuie de toi aux seins ronds comme des pommes Tdaen-i m yiffan d ftefab
Qui ne te connaît vit dans la quiétude W'ur kem nezri yartah
Et dort du sommeil du juste Iglalez yurés i tsehl tnafa
O clercs qui prêchez la bonté A lecyax yellan d sçelab
Puissiez-vous devenir fous A^sibem akken nsab
Et qu'ensemble nous erions par les bois Anemmay tizegwa merra
N'est-ce pas vous qui m'avez jugé vaurien D kunw'iy iftan d amjab
Poète ou barde D afsib ney d ameddab
Votre cœur est-il donc fait d'argent A s n i yefsi wul nwen g lfefta

52 On reconnaît son ami quand il partage le viatique avec équité 52 Tjarriben abbib deg qwaewin
A moi un seul regard a suffi Nek kksey-t id y tmuyli

Une bouche comme un louis dentelé Taqemuct d lwiz s carcif


A souri et le clair de lune s'est pris de pudeur Ma tezmumeg tessetija tziri

Si j ' a i encore à vivre son bras me servira d'oreiller Ma nedder nessummet iyili-is
Sinon j'attendrirai le plus cruel des hommes Ma nemmut anyid ula d aqarsi

Alors enterrez-moi sur une colline Mdelt i af tiz'anwaei


Que je puisse d'en haut me rassasier de ses va-et-vient Ar cceywl is m'ara tejEeddi

53 Garçon bouture de bergamotier


Visage de miroir 53 Aqcic taCCineî ibaEt Urumi
Cessons de nous aimer des yeux Ay udm 1-lemri
Barka yay lembiba s wallen
O toi au teint brun
A présent tu te dissimules D aksum ik i d axwemri
Désemparée j'oublie la profession de foi Tura tyebbat-t felli
lEarq-i amek akken i Jcahhiden

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Boualem R A B I A Florilège de poésies kabyles Boualem R A B I A Florilège de poésies kabyles

M o i je t'ai élu pour ton amour des jeux 1


Nek ferney-k d abcayci
Pour ta beauté et ton intelligence Teñid zzin \- ftiarci
Pour toi mes yeux pleureront jusqu'à la cécité Keffent wallen ur deg-gmettawen
54 J'en appelle aux éprouvés
54 Ay imjarben i lefraq
Y a-t-il un élixir pour le courage
A n w ' i d iseflen n ssbar
Malade je ne le suis pas
Atan ur udiney ara
Mais mon âme semble vouloir me quitter
Ma Harwibt teyl'ajsafar
On a beau trouver un autre amour
W'itfen Ibub yeyli yas
Du premier on ne se remet jamais
Xas iEawed ur yejnejbar
55 Cesse de te livrer au plaisir des filles
55 Barka-k zzhu Hebdayin
Toi le profane
A win war nessin
Cela est de mauvais augure
Ur feilas tban tafat
Pauvre de toi qui t'éprends des chevelures
YaEcaq deg-gmezran meskin
Au point d'épuiser tes forces
Ifadden is fsin
Assez de misère sur tes épaules
Lhem yarza-t ger tuyat
Jeune encore rien que du duvet à tes joues
Me?zi af tamart d ameCCin
Tu ignores tout de ce commerce :
S ttjara war yedsin
Du langage des bracelets qui tintent aux poignets
Llaya t-tmeqyaisn af zendat
Des plaisirs elles t'offrent le moindre
Rrebbi ik yiwen maCCi sin
Elles te séduiront avec leurs seins
Ak-k-sedhunt s tedmarin
Et t'enverront passer la nuit sous la pluie
Ak-k-segnnt i wgfur yekkat
56 Zouina la main sur la meule
56 D Zwina mi tger tissirt
Et la jambe tendue
Tedlaq tgecrirt
Pleure à chaudes larmes
Tesnexfay deg-gmettawen
La colombe est toute couverte de bijoux
Teymaq g ssdaq tetbirt
Méditant sur son destin éclaté
Af twenza tugzirt
Lui paralysant les doigts
Mi tetri idudan kkerfen

1- Le texte original emploie le mot «hcayci » qui initialement signifie : fumeur de hachich, et qui
par extension devient : bon vivant, noceur, jouyeux drille...

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Que n'aimerais-je seller une jument Menney a wi s-isergen taEudiwt


En dépit d'un rucher d'ennemis Ad ieemed tidwirt
Qu'ils m'assaillent de leurs fusils et me tuent N at waebar m'ad-at-nyen
Fille altière pêcher dans les vergers Taqcict taxuxÇ t-tmazirt
Bouquet de lavande Tameqqunt t-tmezzirt
Elle a fait méchant mariage D zzwag is iban i-gmehquren
57 Aqliy in deg-gwedrar webdi
57 Me voici solitaire dans la montagne 1

Dbiy d imnfi
Banni
Am-muccen deg-gw'xwnaq n zzan
Comme un chacal dans un bois de chênes zen
Geddac n ssn'ay agi nek d acali
Fugitif depuis des années
Semman iy awetri
On m'appelle le hors-la-loi
Cemmaen i kumisar d berzidan
Tel est le verdict des autorités 2

Tura lbarud igezm ussasi


Sans munitions
Tagwela dya madi
Et sans nourriture
Ma grey ifadden iw ulwan
Mes jambes sont plus molles que jamais
Tarwibt aezizen fani
Mon âme chérie va s'éteignant
Hedru-d lyali
A l'approche des longues nuits d'hiver
A m ass'a-yi-gezren yesyan
Je serai la proie des percnoptères
58 Afus azizen nweddef it
58 Mes mains chéries je vous donnerai
Snesla turez it
Aux chaînes
Ay din d guhreddar iy'idewren
Et les chassepots m'encercleront
Af lmayreb ay bbwdey Tamda
J'arriverai à Tamda vers le crépuscule
3

A r Rebbi nnujja
Dans la peur je te prie mon Dieu
Nsart a ssellab Ibahriyen
Saints des Ibahriyen j'invoque votre intercession

1- Ces deux poèmes.et bien d'utres encore inédits, seraient composés par un bandit d'honneur de
la tribu des Ait Djennad .
2- Version kabyle : « Le commissaire et le président du tribunal... »
3- Tamda : Village à proximité de Fréha, à 23 km d'Azazga.
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Qu'importent les biens Ay s£iy degm a trika


Que je laisserai Ur i y i tyad ara
Seule m'est amère la joie de mes ennemis Tagi d nnif af yeEdawen

59 Pris d'un mal intense 59 Helkey lehlak d aqajhan


De douleur je titube T|eylayey g-gberdan
Ainsi mon malheur va grandissant Lhem syenn'i-gebda lkimya
Tout ce que j'ai dit en ta mémoire s'est dissout Lehdur i k-d-nniy mssan
Mes jours sont épuisés D ussan iw aEyan
Mes ennemis ont raison d'être contents Ma yedsa-î waEdaw ccenna
Qu'est-ce qui ôte au visage sa beauté D acu ytcemmiten igwelman
Aux lèvres leur sourire F ur ttadsan wuglan
N'est-ce pas le cauchemar qui s'agriffe au sommeil Y i r targit tejgugel i tnafa
60 N'est-ce pas mon frère que je ne t'ai point fait de mal
60 Yak a gwm'ur k-xdimey ara
Naguère ou maintenant
A m zik am tura
Quel prétexte invoques-tu pour ce silence
Acu n sseb'id-d-dufid
Pour toi je suis banni(e) de mon pays natal
Nfiy-d g tmurt m-baba
Où l'on me vitupère
Tesxaxed llumma
Comme une bougie mon cœur brûle et fond
Yarya wul tengid a nnfid
Ton amour pour moi n'a guère duré
Lemhibba-k ur tdum ara
Tel un prêt
Ziy d lemEira
Où sont donc toutes les promesses
Amalah a kr'akw i y i tennid
61 O mes boutures de basilic
Plantées en allées droites 61 Ay igwedman 1-lebbaq
Mère je les ai sarclées et arrosées A wid ??iy d iwdiden
A la saison des labours A yemma neycen sswen
A l'une d'elles j ' a i prodigué plus de soins S waman iweggiben
Et elle a fini par m'éborgner Yiwen yars izad ufus iw
Pauvre de moi amoureux de bons parfums D neft'iyi isdreylen
Que de déboires I nek iEecqen deg rrwayab
MaCcl d yiwet i d yetialen

1 - Ce neuvain aurait été chanté par la célèbre Chérifa.


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Boualem RABIA Florilège de poésies kabyles

Triades de sagesse

Un garçon, tout adolescent, trouva son père en train d'élaguer


des solives de bois dur pour en faire des javelots '.
Il demeura un instant taciturne, puis dit :
« Père, réserve-m'en trois. »
très sage le vieillard fixa son enfant du regard et l'apostropha
avec subtilité: « Qui se veut éloquent se doit d'être preux, et qui se
II veut preux se doit d'être éloquent! . Dès lors, si tu désires être
2

agrémenté de trois javelots, ajoute-m'en trois. » 3

Perspicace, le jeune garçon dit à son père, tailleur de javelots :


P O E M E S SUR L A V I E
1 Le premier j avelot m ' est utile
Fais-le de ce cèdre dont les racines épousent le rocher
Il ne prendra pas plus tôt le chemin de la guerre
Que la dignité s'en trouvera accrue
Quiconque en sera atteint tombera
Pour dormir d'une mort certaine
Sans agoniser ni appeler son père
Là j'assumerai ma virilité
N u l n'enjambera ma tombe 4

1- Sorte de grosse lance en bois, pointe acérée, que les anciens guerriers kabyles tenaient
horizontalement entre les mains, la main gauche à quatre empans de la pointe et le centre serré entre
l'avant-bras droit et le flanc.
2- L'on dit en kabyle : « Accorde la main de ta fille à ceux qui ont l'éloquence et les armes. » Cf.
Rabia B., 1988. « Les joutes poétiques féminines dans les mariages aux Ait Ziki », in Awal n°4, Paris.
3- Littéralement : ajoute trois dits, trois adages, trois strophes à ma tamusni (sagesse)
4- Il était d'usage dans la Kabylie d'antan d'inhumer à l'intérieur de la maison familiale un mort
assassiné, de peur que le meurtrier ne vînt enjamber la tombe de sa victime, et que par voie de
conséquence (superstitions ?) cette dernière ne fût pas vengée.

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Bnuftlata 2 Le second javelot m'est utile


Taille-le dans le chêne zen au bois sombre
Yiwen weqcic, akka d ahbayri, yufa babas ineggar ixtucen, Quand il prône la vindicte
ibedd ar nnig uqarruy-is almi dya yin' as : Il y va aisément se frayant la voie
« Nesb iy' a baba tlata. Amyar, yellan d amusnaw, isaked Il ne touche pas plus tôt sa cible
mmis almi yentaq yurés: "Bab bbwawal ilaq it yiyil, bab ggiyil ilaq Qu'elle tombe raide et muette
it wawal. Ihi tura ma tebyid ak-k-nesbey tlata, rnu-yi tlata." A rendre le coup nous ne tergiversons point
Aqcic ifhem licwar, yentaq ar wemyar m-babas, yin' as: Nous recouvrons la gloire ancienne
Et nous en acquerrons une nouvelle
1 Axtuc amenzu y wata
Ladya t-tayada trebbin yezra 3 Le troisième javelot m'est utile
Asm' ara yqesd lfetna Solive d'un olivier dur comme l'airain
iUeddu lEez yétala Quand il s'en va au champ de bataille
Win deg yenta yeyli Au galop il dévore du chemin
Igen yiwet Il renverse sa cible avec dextérité
Ur yeyr' a baba L'aura de l'honneur se voit au front
Din ay d-nbeissen tirugza Elle reluit et jamais ne s'éteint
Ur y-izgir bedd f uzekka Le javelot taille-le-moi vieillard
L'honneur, décuple la vaillance

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2 Win yars iwata Lorsque le fils eut fini de déclamer sa dernière strophe, le père
Nejr iy'it n zzan uswid entama ce sixain :
M'ara yqesd asulef Gloire à qui est jeune
Ifteddu ijfarrae abrid Et qui déjà est initié aux rouages de l'éloquence 1

Win isuma ad yeyli Il n'a de cesse à contempler le monde


Ur yeswedwid Et élucider les mystères de l'âme
Tiyita nney ur tesmargid
A-d-der issay aqdim Gloire à lui s'il ne confond point élire le javelot ou la plume 2

A-d-dernu ajdid Ainsi le vieillard avait-il achevé son poème, et son fils lui dit :
« Puisse le printemps ne jamais s'étioler ! Dis, père, je voudrais
3

3 Win yars iwata que tu m'en donnes encore trois : ajoutés aux quatre, j ' e n ferai sept
D areggway uzemmur n ddkir
4
. » Sinon, je t'en ajouterai trois et tu en auras six . » 5

M'ara yqesd imenyi Voulant jauger davantage la sagesse de son fils, le vieil homme
Tebrzend a rrekba n zzhir lui répliqua : « C'est à toi de m'en ajouter trois pour que j ' e n fasse
Win isuma ard a t-yexdef six. Et plaise à Dieu que tes neuf pèsent plus lourd que mes
6

Lbarma te^ban s anyir quatre . »


7

Ad fellas ma day nekna Et le fils de dire :


D axtuc tesemsaded ay amyar
Yella nnif a-y-ideggir 1 L'homme au boisseaux de blé
Qui ne sème pourtant que la dragée
Ou celui qui se drape de soie
Et en laisse les pans tramer dans la boue
Ou encore celui à qui l'on a prêté des noix
Et qui au centuple rend une provision de glands

1 - « La tamusni est autant de l'ordre de la connaissance que de la création. Les amousnaw anciens
ont fait l'effort d'analyser les situations. Le premier soin du néophyte sera donc d' «apprendre les
exemples », c'est à dire les vérités déjà dégagées par ses devanciers.» Cf. Mouloud Mammeri, Poèmes
kabyles anciens, pages 47. Alger, Laphomic-Awal-La Découverte, 1988.
2- Dans la version originale, il est question de cette planche enduite de kaolin sur laquelle
écrivaient les clercs : talwibt.
3- Le mot ici fait allusion à la perpétuité de la tradition.
4- Somme des trois strophes sollicités du père+le sixain de ce dernier+les trois javelots
5- Les trois strophes du fils+les trois dernières.
6- Somme de six sixains du fils+les trois javelots.
7- Les six sixains du père+les trois javelots.

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Akken yessuli weqcic, yenna-yas babas : 2 Celui qui pour un rien morigène
Alors qu'il est père de tous les opprobres
Gedha s w'illan d acawrer Ou celui qui ne trouve remède qu'en le raisin
Ma yefnawal £ad i tefsbit Et qui s'en va extirper la vigne
G ddunit ad ye{nadar Ou celui qu'on a délesté de son burnous 1

Yefrez tid icebken tarwibt Et qui s'en va voler une sabretache 2

Gedha ma iferraq ger iberdan


Ad yeddem axtuc ney talwibt 3 Pourquoi le serpent sort-il de son exuvie
Car l'âne se plaît à manger son propre b â t 3

Yessuli wemyar, ilu£a-t mmis: "Awer tezwi tefsut! Tura, a Pourquoi le mutisme des percnoptères 4

babà, rnu-yi tlata i rebsa ad mmden seb£a, ney ak-k-rnuy tlata i Car fils de la honte dénigre les femmes de renom
tlata, ak-k-mden setta." Pourquoi la stérilité de la mule
Yentaq wemyar ibyan ad yewzen tamusni n mmis, yin' as: Car souvent la graine oublie d'où elle est issue
"Ihi d kec ara y'irnun tlata ad mmden setta. Ad ig Rebbi tesEa
inek ugaren setta ynu!" Sur ce dernier sixain, le vieillard embrasse son fils en jurant
de lui fêter une seconde fois sa naissance .
1 Bu teqqwnac ggirden
IzzarEen yas abumexlud
Ney win ixellen lebrir
Iseywzef abruE i walud
Ney win mi d-fkan lguz
Yerr' areflal s ubellud

1- Pour le kabyle, le bumous est un vêtement-symbole : il représente à la fois l'honneur et la


virilité de celui qui le porte. Si par extraordinaire, on perdait son burnous, on devait être considéré
comme « dévirilisé » et avili. Pour une femme, un bijou volé signifiait opprobre. Des femmes avaient
été répudiées ou tancées seulement non pour la valeur lucrative du bijou volé ; mais plutôt pour sa
valeur symbolique ?
2- Le vocable, ici, signifie richesse matérielle : être séparé de son honneur, et convoiter d'autres
biens terrestres !
3- Le vers est devenu proverbial, il est appliqué à une personne qui foule au pied ses intérêts, qui
détruit ce qui le protège.
4- Le mutisme des percnoptères est légendaire dans la tradition kabyle. Cf. Mouloud Mammeri, la
légende des oiseaux. In « Poèmes kabyles anciens ».
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2 I win kjedben f kra 1 Me voici tel un proscrit


D nefta d bab t-tfubant Les soucis pleuvent sur moi
Ney win {dawint tzurin Comme par un tamis
IqellaE azar i tferrant
Ah si je pouvais trouver Dieu
Ney win m'ukren abapius
Ma raison serait témoin
Irub yuker-d taxizrant
Trouverait-il à redire
3 Ayyar yeffay wezrem i tegwlimt-is Je vous invoque ô génies des collines
Af-ayyul yeCCan tabarda Intercédez en ma faveur
Acu yesgugmen isyan Je suis dans une mauvaise posture
D mmis 1-lear ijcemmiten tidma
Ayyar teuqqar tserdunt 2 Puissé-je trouver ma chance faite bâton
Imi lheb yepcallaf tara Je la taillerais au moins
La hache me la rendrait droite
Akken d-yenn-akka weqcic enni, immay wemyar iger as
Aux yeux de tous je passe pour vagabond
irebbi: "Tlezm-iyi tekwfart ard' arnuy fellak ssbuE !" 1

Sans l'avoir cherché


Et mes amis me fuient
Dans la poche habite la ruine
Couvert de honte
Dès que j ' a i un sou il tombe

3 O neige qui tapisse le pays


Et givre tous les pitons
Le vent a saupoudrée même dans les vaux
Tu as cassé les hautes branches des poiriers
Séquestré le bétail
Et dévasté les orangeraies d'Aghbalou 1

Qui n'a ni un franc ni sa moitié


Peut-il être gai en ces temps
Et espérer la guérison

1- Sin n ssbueat: yiwen n tlalit, waye4 bbwas-enni dgi yebbwed d arwib af imawlan. Degs sin
yergazen. l-Région de Toudja, à l'ouest de Bougie.

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Tedra yid' am-membasi 4 Mon âme j ' a i promis de te peiner encore


D Jmergid felli Ne t'ai-je pas trop choyée
Yeftifif am uyerbal Et emmitouflée dans des couvertures de haute laine
Amer d ara naf Rebbi Que de montures ai-je chevauchées
Rray d inigi Et j ' a i choisi parmi tant de beautés
Din ar' a-s-ya£raq wawal Ah les femmes porteuses de foulards frangés
Ay ieesassen yaf tizi Il m'appartient de me résigner
A ajhunem felli Maintenant que je suis éprouvé
Aqli yin deg-gir Ujal Ici-bas tout est réversible
W'ufan zzehr is d asyar 1

5 Quatre cent soixante jours


At-t-yenjar meqqar
Passés dans la tourmente
S ugerzim at-t-isawi
Et mon âme veuve de gémir dans la douleur
Semman-i medden aeeftar En vain je cherche mon esprit en fuite
Ur nudey ssfar Brisé comme une céramique
Lebbab-iw reggwlen felli Mon cœur continuellement soubresaute
Seiy lgib welqifar
Isbedr-i g lear Me voici telle la mouette des mers
Mi seiy asurdi yeyli Epris de bateaux
Mon voyage est sans pareil
A ftelg iwten imelles
K u l tizi tegwres 6 Si le destin n'était guère perfide
D axwnaq izzuzr-as wadu Il sourirait comme un bébé
Yerza d amgud ifires Et agirait avec équité
D abeqri yebbes Ma mère qui t'a conseillée de t'épuiser
Yerna d Cerna deg-gweybalu A enfanter
W i n ur nesei frank ney nne§ Et élever la misère même
Izha lxatr ines Me voici tout comme un chien
Yedmae at-t-id-yas bellu Errant par les chemins
Tout en moi s'est effondré

1- Une variante se trouve dans Jean Amrpuche. op-cit-p.144.

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4 Euhdey tarwiht at-t-mehney Le destin est un mécréant


Atas ay t hudrey Il se montre aussi vite qu'il disparaît
Sensey-t ula deg-gwaEdil Toujours injuste
Y lxil atas ay rekbey Quiconque est noble
I zzin xtarey Est voué au péché
Lxalat sut umendil Et se voit contraint à l'exil

Ay atma i yi d-debbw' ad sebrey Ah si c'était un partenaire de jeu


Tura mi tmebney Et furieux
Ziyen ddunit tetbeddil D'un coup de verre je l'éborgnerai

M o n âme est brouillée comme la vase


5 RbaE meyya w seîtin d nnhar
Sans cesse elle est bouleversée
Uran di ssersar
Tel est le sort inique
Tarwibt teslewliw web des
Dans mon cœur la zizanie
Mi dliy af laEmer ihujar
J'effleure l'invraisemblable
Narefref am ufexxar
Mon cœur durcit et se garde de trembler
Uli-iw yezga-d ireqqes
On m'a dit que le k i f est le lot des fugitifs
Aqli-yin am imirey 1-lebbar
Pour moi il n'est que pâquerettes
Eecqey lembwabar
C'est en lui que germe mon printemps
Inig ay tlinigey webdes
Quoiqu'il ait nui à plus d'un
6 Amer ur yelli qessam d afuban Nombreux sont ceux à qui j'enseigne assis
Ad yezmumeg am llufan D'autres même debout n'y voient goutte
YaEdel akw medden wul-is
Me voici tel un berger dans les parcages
A yemma wi kem iwehan
Les jours sont innombrables
Ar-tefnud iysan
Assis à même la terre il pleure de solitude
Trebbad lhem s timad-is
Entre l'hiver et le printemps
Aqliy am nek am yidan
Les journées sont longues
Luley-d i yberdan
O mon esprit compose donc
Ssura yengeh weywrab-is

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7 Qessam agi d lkafer Mon âme habitée par les soucis


Ijebbu-d ijeffer Devienne casanière
Yeftawi zzur deg-gwfus-is La volonté divine est inéluctable
Win yellan d idim 1 Ujar
10 Je suis dans un rêve profond
Iqqen-it al-lekwfar
C'est parce que je sais
Yerna yenfa-t g tmurt-is
Que les sots me lapident
Amer d axsim-iw di leqwmer
Mon destin m'assène des coups et je titube
Afwad-iw yehcer
Ivre de k i f
S lkas ad rrwiy tit-is
Et seules les étoiles me tiennent compagnie
8 Ataya lxater am-madal Tous les sages que je connais
Yezga yejenherwal N u l n'est à l'abri
Y i r rray ijezz' am timni 1
Nous passons pour les fous du village

Afwad-iw ye^keddis ccwal


11 Nous sommes esseulés parmi ce peuple d'insensibles
Neggar d izumal
Nous ne voyons plus assez clair
Tasa teqqur ur tergagi
De rancœur je me laisse pousser les cheveux
Nnan-I lkif imerwal
Quand j'essaie de me prosterner devant ma destinée
Nek yuri d wamlal
Ma volonté s'y refuse
Tafsut-iw degs ay temyi
Les autres m'appellent hypocrite
Ulamma atas wum' i tetmal Quand je crois ma conscience prête à labourer
S Iyim' ay nemmal Elle devient rétive
Tbeddem ur twalam ansi
Sous terre le soc est pris dans la roche

9 Aqli-yin am umeksa yeksan


12 Me voici comme une alouette sur un rocher
S teywzi-k a zzman
Ne faisant de mal à personne
Yekref afud ar yetru
Pourtant on me dit fauteur de troubles
Ger ubeggan d nnissan
Ay jebden wussan
Ay ixf-iw ziy refd asefru

1- Une libellule.

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A tarwiht Ccan iyweblan O Saint vers qui je m'oriente


Ak-kem-rrey s axxam J'implore votre pardon
Lwaed r-Rebb' ad yedru Mon cœur est tel un pot fêlé

O Maître des nuages et du brouillard


10 Kecmey di targit caxey Epargne-moi des rafales de poudre
T-îamusn' ay ssney Tue-moi de ma belle mort
A l m i utraren yengufen
13 Je me suis comparé au chien il vaut plus
Yewwet-i lwaed {embarkaley
Mon destin m'a jugulé
S lkif ay sekrey
L'infortune n'a pas d'autre limite
D itran i yi {wanasen
Kra 1-leeqqwal nn' ay eucrey En vain j ' a i cherché un confident
Garasen {usemmey Je suis serré de partout
D imexlal t-taddart nsen Nous vivons l'ère des valeurs bousculées

Bien fait pour toi qui veux te distinguer


11 Negwra-d y lqum yebbezwez Tu marcheras pieds nus
Neggum' a nefrez On ne veut même plus frayer avec toi
Ay ul-iw CCan-k icubay
14 Chien nulle différence entre toi et moi
Mi naered lwaed a s nanez
Ne t'attriste point
Ray ad ineggez
C'est le même Dieu qui nous a frappés
Nnan-i medden d alemlay
Notre vie est âpre comme l'alun
Mi nwiy lxater-iw ad yekrez
M o i je m'adonne au K i f pour l'oublier
Imirenn i-geglalez
Et toi tu te nourris de savates
Twebl-as tgwersa g-gwedyay
Las les filles qui portent l'anneau au pied
12 Aqliy am uqubae af-zru Le cou blanc comme laine
Hed war t nejduru Nous meublons le vide autour de ceux qui vivent
Semman-iyi medden amcatni

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A ssaddat yer nlehu 15 Mes dits sont bâtis sur du fer


Ilezm-ikwen lasfu Nous nous démenons tous les jours
Deg-gwul izazzel iyisi Nous cherchons Dieu en vain
A bab usigna d wagu Nous voici coincés parmi un peuple ignare
MenE-i ggwywembalu Qui s'adonne au vol manifeste
Tneyd-i lmut r-Rebbi Pour le pain ils ont hypothéqué l'honneur
Quiconque fréquente le licite
13 Qerney ar weqjun yif-i Est emporté par la crue
Lwasd yetf-iyi Voué de vivre d'aumône
Zelt d w'ay d lhed-is
Nnudey abbib ur t-nufi 16 Je suis malade mon cœur
Lbext ihars-i La solitude est mon seul lot
Neggwra-d deg-zzman urahis Parmi les hommes nul ne sait

Ccah a rray yellan d amruri Tous voient en moi un possédé


Ar îeddud bafi En ces temps de défaite
A k yanfin medden i ttebwis Vains sont le bon sens et la réflexion
Je jure que jamais
14 Nek yidek ay aqjun kifkif Je ne me fierai à ce siècle vicié
Ur îîawi Ibif Car des hommes se nourrissent de paille 1

Yiwen Rebb'i d ay yewwten


Teqqwel-a tuddert d azarif 17 Plus jamais de faux amis
Nek tettuy s lkif Bien que décorées
KeC tiremt-ik d arkasen Leurs faucilles récoltent la rosée mais pas le foin

Amallah a sut rrdif Leur assurance sonne le creux


Taeenqiqt am sfif Nulle véracité
Neîwanas wid yetEicen Ce que je redoute m'est parvenu
Ici tous sont cupides
Aux cœurs impitoyables
Mais y-a-t-il mieux ailleurs ?

\
1- Allusion faite au bétail.
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15 Lqewl-iw yebna f uzzal 18 J'ai entamé un poème nouveau


Kullas neftazal Que j ' a i lu avec foi
Nettafar Llah war t nettif Du crépuscule jusqu'à la pointe du jour
Newhel g lqum imejhal J'ai songé à tous ceux dont je partageais la liesse
Yeftakwren deg-gwzal Mon cœur me les a rappelés
Af yrum rrahnen nnif L'âme était sereine les ténèbres s'étaient dissipées
Kra bbwin ieucren lehlal Me voici tel un prisonnier aux fers
Yebbwi-t uhemal Fermés à clé
Yeddem aeekkwaz i #esrif Si tu rencontres l'homme de bien raconte-lui

16 Ay helkey aftan bbwul Même si j ' a i emprunté la voie gauche


Dhiy-d d ama£zul Je n'ignore point la voie droite
Y lEibadbed war yaElim Dis-lui que par devoir il me pardonne

Semman-iyi medden anekbul 19 Voici mon corps défait


Y zzman amahzul Tout comme Job 'je dépéris
Ur iqudd çswab a flexmim Je suis maigre comme un clou
Euhdey-k a lweqt ameriEul Mes jours sont faits de centaurée et de fiel
Ur xdimey s lmul Rien n'égale leur amertume
Kra lEibad irebban walim Même les chiens murmurent la médisance

17 E uhdey ldjbab uqemmuc Du matin au soir


At imegran s nnquc La boisson douloureusement me consume
Mon Dieu pardonne ça me suffit
Ur meggren nnd' af rrbiE
D Ujid nnsen ay d amaycuc 20 Où que vous soyez hommes de Dieu je vous invoque
Tide{ d aqerquc Pitié ô génies tutélaires
iEedda-y-id usemmid O vous tous qui faites des miracles
Yuy akw lEibab ulelluc Accourez vous qui tissez la sagesse
U l nsen d azebluc Et gardez les collines
Ur uminey fazen wiyid Voici mon visage vert de gris

1- Une variante est rapportée par M.Mammeri in « Les isefra, poèmes de Si Mohand », Paris,
Maspero, 1989. P. 198.
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18 Refdey-d asefru d adjdid Vos canons agissent dans le secret


Neyra-tg {ewhid Vous en avez les clefs :
Y leic' almi d-yuli wass Frayez-moi un chemin
Lehbab wukud ne£zehid
21 Me voici tel un faucon sur un pie
Ul-iw iger-iten-id
Même affecté
Fessus lxater yuzef tellas
Je n'ai frappé à la porte de personne
Aqli-i am umebbus g Iqid
Le mépris me vient des hommes
Tisura 1-lehdid
Ma teetred g lgid bku-yas En Dieu j ' a i espoir
Bien qu'il détourne son visage
Ulama tura neffy i webrid
Tout le monde médit sans relâche
Nessen net.Eemmid
Se croyant fort en tout
In' as iwata lzem Efu-yas
Alors que même l'habit s'effiloche sur son corps
19 Aftaya ssura-w tdub
22 Par Dieu je jure de ne plus pleurer ni rire
Cbiy sidna Yub
Maintenant que je sais
DaEfey amzun d amesmar
Comment arrivent les choses
kra din ar Rebbi mektub
J'irai interroger les érudits
SsaEa ye{nub Qui cherchent
SsaEa yheddar i wxessar Et du passé tirent des leçons
Yugi rray-iw ad itub Las tout ce que j ' a i appris et étudié
Ad fakken la E yub Mais puisque ma raison est retorse
A nwexxer af tizi wmencar Me voici dans le dénuement

20 A ssaddaj akkin akka


Annay a lawliya 23 Cela est une malchance
A kra yellan d sçnadi Mes jarrets sont séparés par l'épuisement
Dans ma tête sévit la tare
A^naErem ay at sswab d azetta
A kra yEussen tizza J'ai beau amasser cela s'éparpille à nouveau
At.aya ssifa tenkel teywi Je peux bien attendre de prospérer
Sans paix la vie n'existe pas

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Lemdafae nwen g lbadna Je suis comme le ciel de mars


Tferrum tilufa Qui sans cesse est bouleversé
Huddet iqqarieen anEeddi 1
Les ténèbres m'encerclent

21 Aqli yin am lbaz f iciqar 24 Je suis atteint d'un grand mal


Ulama nentar De douleur je tombe dans les rues
Ur nebbwid bed s axxam-is Ainsi mon malheur va-t-il s'amplifiant
Ar leibad i d-netwahqar Tout ce que j ' a i dit a fondu
Ar-Rebbi nesbar Mes jours sont épuisés
Ulama yetdewwir udm-is Au bonheur de mes ennemis
Win tufid yuyal yezwar Qui enlaidit les visages
Imi-k a lEebd icarcar Qui empêche le sourire
Nefta tetrek tlaba af yiri-s Le cauchemar de la vie

22 Wellah ur truy ur d§iy 25 Tous ces va-nu-pieds m'agacent


Imi d nek hsiy Blasé d'eux j ' a i fui mon pays
Lecywal akw ansi d-kkan Pourtant fort adoré

M ' ufiy lfahem at-t-steqsiy Jadis mon esprit cultivait le bon sens
W'inudan a s iniy Je proclamais partout
Ad-d-nejbed i tidak yedran Et je prisais la grande poésie

Amallah ay heggey yriy A présent me voici sous une avalanche en colère


Mi rray-iw d ufriy Ma pipe de k i f s'est brisée
A q l i yin d aEeryan Cette génération brûle le rucher qu'elle a vidé de son miel

23 Wag' am lbext mi yaEkes 26 Gare à ce bas monde il réduit à la misère 1

D afud yerresres N'ai-je pas trouvé mon seigneur le hadj


Ixf iw degs ccina Maniant la pioche dans une ferme

Akken byuy jeEmey yenqes


D rrebh at-t-nayes
Ddunit ma tezdi-t lehna 1- Le second aurait été composé par le poète, un jour qu'il était de passage dans une ferme
coloniale de Boufarik où travaillaient des gens de son pays, parmi lesquels il remarqua un certain hadj
(terme que l'on emploie pour désigner un homme qui a fait le pèlerinage à la Mecque) que Si Mohand
connaissait bien pour avoir été victime d'une injustice provoquée par cet homme naguère riche et
influent dans son douar.
1- Ayen itqarrieen—>Iqqarieen (les obstacles). 2- Le terme est bien sûr employé ironiquement.

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Dhiy-d am tegnawt m-meyres Son sort n'est-il pas


Kullas d anefdes Comme celui de ces olives de qualité
Ttlam yezzi-yi-d Himura Que l'on gardait pour la conserve

24 Helkey lehlak d aqarban Je jure par le prophète de l'Ascension


T-Jeylayey g berdan Que l'on pousse vers la lâcheté
Lhem syenn'i-gebda ssixta Et la prostitution

Lehdur i k-d-nniy msan 27 Saints quand vous entonnez la litanie


D ussan iw aeyan Quelle lumière s'en dégage
Ma yedsa-t. we £ daw ccenna Alors l'esprit tressaille tel un bourdon
D acu yeîcemmiten igwelman Il se débat et devient furieux
F ur ftadsan wuglan Tel cœur sur lequel s'est posé le souffle 1

Y i r targit tejgugel i tnafa Guérira-t-il de tant d'agitation

25 Nyan ay wudmawen 1-lebfa 28 Je vous prends en pitié vous les possédés


Fellasen ay-d-nenfa Vous les éternels séquestrés de l'angoisse
Wanag tamurt iw d leali-J Des chaînes invisibles immobilisent vos mains
Partout nul remède à votre malaise
Zik nni s sswab ay ne^fafa Nulle rescousse fors ton pouvoir favorable
Neseywzaf tuzfa Fasse que tout prisonnier recouvre son élan
Tafsibt ijemlen neftef-iî
Tura s ddiq i d-yeqqwel ugafa 29 Monde d'ici bas en toi rien que des leurres
Yerrez usebsi nerfa Toi qui nous distrais par le précaire
Lqum iccan tidwirt issary-n; Combien de gens n'aides-tu pas à s'élever
Puis tu les laisses choir et marcher pieds nus
26 Ddunit agi tesnehwag Mon Dieu tout mon amour est pour toi, je te supplie
Ufiy sidi lhag Emplis ma volonté de sagesse
Y lfirma ixeddem akruci

1- «(...) des hommes «que le souffle habite», c'est à dire des agourram qui (...) ont avec la
divinité le rapport existentiel, quasi hors de tout dogme. » Cf.M.Mammeri, « Inna yas Ccix
Muêand »(Cheikh Mohand a dit)

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Am uzemmur userrag 30 Seule la piété aiguise ma pitié


Leqwden-t s açennag Car des cœurs elle est évincée
Thibbin-t medden i wucci Je la vois foulée aux pieds
Tout ce monde l'a en amertume
Eenney ak Nnbi Imi e rag Seuls les innocents la portent haut
Ak-k-yekkes lkurag Ce sont eux les aimés de Dieu
Ak-k-yemmel abrid ar tikci
31 Gloire à Toi, Seigneur qui as érigé le monde
27 Lawliya rrfedn asefiru Qui ôtes et restitues la sève aux branches
S nnur ay tezwar ticci Elles s'épanouissent à l'orée de l'été
LaEqel am ugayemru Et meurent à l'approche de l'hiver
Sya yar da d awehci O Toi à qui j ' e n appelle, aide-moi
Win deg isud wadu En moi creusent force tourmentes
M ' ad yebku lqelb imyecci
32 Me voici tel un aigle blessé 1

28 Taden-i wid yejmelken Harcelé par tous les dangers


At lxiq yezga kulas Du regard il suit ses frères qui partent
D ssnasel g-fassen nsen Leur disant un mot en guise d'adieu
Duwan ur ufm ddwa-s Il était une fois mon temps
Dawi-ten a Llah s lfedl ik Alors je survolais et précédais toutes les caravanes
W ' illan d amekbul sserij-as A présent le mal m'atteint aux os
Il m'est vain d'attendre le salut
29 A ddunit a timywarit
A timnezzaht g lfani 33 Me voici tel un aigle brisé
Win trefded ard' ye^Eella Gisant sur le rocher seul et épuisé
Tebrud as yeddu bafï Du temps où ses ailes se mesuraient à la force du vent
A Rebbi ezizen ak-k-$rey Elles se déployaient grandes et belles
Terred rray iw d absaybi Les voici brisées et pendantes comme des grappes
Finie la villégiature ô toi le grabataire

1- Image omniprésente dans la poésie classique kabyle, dans les expressions comparatives
également.

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30 I y'iya4en d ttaea 34 Me voici comme l'enclume du forgeron


Deg gui m-medden akw teyli Sur moi pleuvent les coups de marteau
Tenemdar g lqaea A Dieu je laisse le soin de châtier
Teqqwel i lsibad d ilili Tous ceux qui ont la langue pendue
Refden-t at ahi nniya Car l'argent est symbole de pureté
Igad thubbed a Rebbi Et le cuivre trahit toujours les siens 1

31 Sebban Ugellid i {-yerran 35 Me voici au bord de la rivière


Yeftarran ggehd i tsedwa Nul sommeil ne vient m'apaiser
I tebbwurt unebdu feftunt O ma mère mes yeux pleurent
Tfyarent degm a ccetwa Comme une fontaine en mars
A win yar nujey £in-i Ce ne sont pas les rimes qui me plaisent
Deg la £ mar tezecj lhesra C'est la peine qui me ronge les os

32 Aqliy am-gider amarzu 36 Me voici au bord de la mer


Winna mi zzint lembal Le sommeil est de moi inconnu
Ismegliz mi Eeddan watmas O ma mère mes larmes abondent
Iwud£ iten-id s wawal : Comme la bruine en ces jours de grisaille
Asmi lliy deg-zzman iw Ce n'est point de pain que j ' a i envie
Ffley i tqqwebba 1-lerbal Les déboires me tailladent la chair
Tura uyay-í deg geysan-iw
Ay atma yudr iyi Ujal 37 Mauvaise est ma posture : coteau menacé par la crue
Ou ramier sur un pic
33 Aqliy am-gider amarzu Pour toi mon sort j'apprête une amulette
Webdes af-fedyay yedrab J'y énonce toute mon infortune
Nul n'est atteint par mon mal
Asm' akken i#em£ebbar d wadu
Je suis seul à l'endurer
Idlaq i yifer is yecbab
Yarez yuyal d agazu
I wmahzul m' ad inadab

1- Il s'agit ici de deux métaux : l'argent et le cuivre. Dans la tradition kabyle, le premier symbolise
h pureté comme le second l'impureté.

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34 Aqli am zzebra wheddad 38 Je suis tel un troubadour


Yel tiyita dgi s wefdis Qui vaque de colline en colline
Ad kwelfey medden i Rebbi Des nuées compactes couvrent ma tête
D kra yeseywzzafen iles is O cœur incrusté d'abcès
Lfetta d yellis n nnqa Je m'égosille parmi les bosquets
Nnbas ad yeqqwel ar bab-is 1
Tel un perdreau délaissé par sa mère

35 Aqli-y ' af y iri bbwasif 39 Me voici telle une feuille


Yeggum' a yi d-yas yides Qui sans trêve danse au vent
A yemma izri-w yefka-d Mon cœur se consume comme une braise
A m umizab i mayres Dieu me refuse tout secours
MaCci d isefra i y'ihwan Un chagrin indicible m'est échu
D lmebna i-guzan s iyes A tous je ne puis le conter

36 Aqli-y ' af y iri 1-lebhar 40 Ma vie j e veux t ' assimiler


Yeggum' a yi d-yas nnum Au soleil quand il se lève
A yemma izri-w yefka-d A l'aube la jeunesse t'a égarée
Am uneznaz ulemlum Et tu as gambadé jusqu'au soir
Macci d ayrum ay cedhay Les chemins d'antan ne sont plus
D lmebna i y ' izwin aksum O faucon n'es-tu pas devenu émerillon

37 Aqli-n am gadir s asif 41 Mon cœur est souillé ma mère


Ney am yetbir deg ccafa Et nul fleuve ne peut le laver
Tjaruy lberz i yexf-iw On dirait une jarre d'antimoine
Srusuy degs tilufa Ou la poudre noire des canons
Ur yudin bed attan-iw De mon sort seul Dieu décidera
A l a nek i d-terza tyita Or mon cœur s'impatiente

1 - Dagi tugna i wulawen ur nesf ara. Degmi qqaren : "Lfetta icubk i( nuhas, ugin lebbab a t-ayen."

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38 Tedra y id ' am udebbal 42 Ma mère mon cœur fulmine


Kul tizi beddey fellas Comme un fleuve en crue
Af y i x f i d-yuy usemgun Où les écumes foisonnent
Ay ul ixeznen timmas Quand il charrie des rigoles de sable
La nesmurgub ger idurna Vile volonté d'agir
Am ferrug tegga yemmas Jamais tu n'as épousé constance

39 Tedra yid' am twerqej 43 Ma patience est celle du moissonneur


A l a Eebbedy aqfafi Qui pose sa fourche et attend
Ul-iw yery' am tergej Se lever les vents propices
Rebbi yefk' afus dgi Qui séparent le bon grain de l'ivraie
Yewwet-iyi wudyu t-^ide^ Quant à moi je t'attends Seigneur
Amer d yiwen ad as nini Toi qui dissipes la noirceur des nuées

40 Cubbey as i ddunit-iw 44 Grands sont mes tourments


Am yitij m'id ineqqar Me voici brisé entre les ailes
Tafrara tessedha-{ temzi O vous qui faites la prière de l'aube
Tezzawzab almi d lEassar Et vos ablutions à l'eau glacée
Iberdan enni n zik Earqen Secourez un malheureux comme moi
Et essuyez-lui les larmes
Teqqwled a lbaz d abuEemmar

41 Ata wul-iw a yemma 45 Ne suis-je pas tel un orphelin


Ur t ssiriden isafen Qui se morfond par un jour de marché
Yecba taxabit n nnil Il pleure à se fendre l'âme
Ney lbarud i kkaten Et ses entrailles brûlent de chagrin
Tuyal al-lebyi r-Rebbi O mon cœur utile est courage
D ul-iw kan i d-ixaqqen Car c'est Dieu qui décrète la séparation

1- Sixain rapporté dans « Inna-yas Ccix Muhend » de M.Mammen.

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42 Ata wul-iw a yemma 46 Me voici ma mère


Am-masif i d-ihemmel Comme une veuve et ses enfants
I d-ieebba deg jryawi Tous pendus à son cou
Yerna-d tiregwa n rrmel Comme des grappes de raisin
Ccah dek a jray-iw Elle est impuissante et lasse
D keCc ur neddi s la£qel Dieu elle implore ta clémence

43 Urjiy i-gerj urewwat 47 J'ai promis de ne plus te porter


Isentan tuzzar yeqqim O collier de corail
Ipraj' ad hubben leryab Je me le suis promis
As yefru Djeb yef-falim Car vile parole est à l'origine de tout
Nek ay arjiy d afus-ik Le noble dattier
A win izzuzufen lyim Est déchu par le laurier-rose

44 Yuy-iyi leywben meqqwar 48 J'ai promis de ne plus te porter


Ay rrzey ger wafriwen O collier de perles
A kra yejzallan ssbab Je me le suis promis
S waman isemmaden Car mauvaise langue est nuisible
Tayem-as i-wmebyun afiis Noble dattier
Tesfedm-as imettawen Ta dignité est usurpée par une baie épineuse

45 Tedra yid' a yemma 49 Mère ma mère chérie


Am-bujil deg-gwas n ssuq Qui s'est gaussé de moi puisse-t-il ne plus jamais rire
Yederyel deg-gmettawen Eprouvé tu l'es beau noyer
Ar daxel i-gezda wbaruq Qui t'appuie à une falaise
Ay ul-iw yefna-k ssber N'as-tu pas vécu de dignité
D R.ebbi'i d-yuznen faruq Toi qui es contraint au dérisoire

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46 Ay tedra yid' a yemma 50 O bel oiseau des légendes


A m taggalt d warraw-is Tu es frère de tous les oiseaux
Bhal iguza t-tzurin A qui t'assène des coups bas
I eelqen akw s amgard-is Tu ne fais que du bien
Tazmart ur tezmir ara Un jour viendra la séparation
A Rebb' illi-k g leewn-is Ainsi jaugera-t-il les faits

47 Nniy-as a kem eahdey 51 O bel oiseau des légendes


A tazlagt utunsi Toi aux sourcils noirs de jais
Nniy-as a kem eahdey J'ai bien trouvé le noble faucon
Imi î-ieeddel yimi Devenu la risée des corbeaux
Tazdayt n ftmer Quelle calamité fond sur nous
Yekkes-as leez ilili Que ces temps sont invraisemblables

48 Nniy-as a kem eahdey 52 Le rouge-gorge et sa progéniture


A tazlagt ueeqquc Se concertent pour faire justice
Nniy-as a kem eahdey Fils de noble méritera-t-il le verdict
Imi î-ieeddel uqemmuc Désarçonné il reste à l'écart
Tazdayt n ftmer Une ère nouvelle l'a brisé
Yekkes-as leez ikirruc Attriste-toi soleil et refuse de poindre

49 Yemma taezizt-iw yemma 53 O ma mère mon cœur s'est brisé


W i n yedsan dg' awer \ yaf Brisé tout comme un miroir
Ufiy ttejra n luz Je suis tel un perdreau en cage
Ufiy-î tsenned ar lkaf Ou un prisonnier aux fers
D leula 1-leez tfuk-i Pourrai-je un jour être heureux
Yerra-yi lbewj ar wecnaf 1 M o i qui envie tous ceux de mon âge

54 O mon esprit vas-y déclamer tes vers


Si tu te souviens de mes aléas
Du temps où j'étais moi-même
Des colliers de corail j'en avais beaucoup
Si la justice était de ce monde
Le cœur resterait toujours jeune

1- Acnaf d imyi mehquren. Degmi qqaren: «Ay acuaf tugi tixsi, fkan-t i wezger yeCca-t!»

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50 A tanina tabehrit 55 O mon cœur sois prudent cavalier


Keminni d wetmas n ttir Prends garde aux chimères
Win i m ixedmen ccer Sois un récipient plein de miel
Keminni xedm-as lxir Que ton couvercle soit d'innocence
Tagwnit 1-lefraq a d-tebder Quand la paix nous échoit enfin
Imiren a d-yeîfekkir C'est à grand coût d'endurance
51 A tanina tabebrit
56 Mère tendre mère
Taberkant t-teeyunin
M o i qui attends que cesse la trombe
Ay atma ufiy lbaz
Alors qu'elle envahit la montagne
Yessedsay tigerfiwin
Tout comme ce tourment qui m'érode
Annay a lwexda ysaren
Que de soucis tu accumules ô mon cœur
I-gdarun g terne ay in
Me voici oppressé entre ciel et terre
52 Ufiy eezzi d warraw is
Nejmaeen ad ayen lbaq 57 Mon état ne me plaît guère
Mmis n lgid wer yuklaî Mes tréfonds tressaillent sans répit
Izga d mbaeid ieewwaq Je suis malade mon corps a beau être sain
Yerza-t zzman g-gwammas Un talisman peut-il me soulager
Hezn ay itij ur cerraq Mon mal n'a pas de nom
Mon âme puissé-je la brûler
53 A yemma yerrez wul-iw
Taruzi-s tecba lemri
58 Mon cœur s'en est allé se défaire de l'ennui
Aqli-n am ferrug g lqus
Et il a trouvé ses amis malades
Ney winna yurez ilezwi
Aussi s'est-il profondément fêlé
Amek ara yezhu lxafr-iw
Comme quelque poterie fragile
Mi waley tizya-w tif-i
Proie du souvenir qu'il se résigne
54 Ay ixf-iw refd asefru Qui l'a accoutumé aux égards n'est plus
Ma tecfid af-fayen ieeddan
Asmi tellid g zzman-ik
Fadent tzulag 1-lmejan
Amer dya d lmizan n ccrae
U l ad yeqqim d amezyan

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55 Ay ul-iw ili-k d amnay 59 Me voici errant tel un aède


Lurek atrekbed f lhawa Qui se produit de colline en colline
Lhila tezday tament Je suis partout et nulle part
Aslay ines d nniya Mon unique domaine est la nue
Kra bbwin mi d-tegwra talwit Des ailes je n'en ai point
S ssebr i t id-ibella Or je plane au-dessus des oiseaux
Voilà que je culbute et tombe
56 Yemma benna yemma Dans une contrée déserte
Nek yerjan lehw'a Jawi J'ai beau me retirer du monde
A l m i tuy-ed af-fedrar L'invective s'étire à mon sujet
Tuy-ed af-fwad tyarq-i Me voici tel le chacal à la queue coupée 1

Ay d-gred ay ul g tnexsas On a fait force bruit or je n'ai rien usurpé


Tetbrsed ger igenni d trinali C'est au pèlerinage que je me guéris
A tout coin j ' a i fait mon vœu
57 Ur y'iegib wakka lliy Le vase de l'endurance a débordé
Tasa d wul t neqlaben J'attends de Dieu mon salut
Udney aftan ur bliy Ma ceinture est faite de ficelles
Amerllin widiketben Les femmes de fortune ajustent le ceinturon de soie
D dda-w ur tessi isem O nuits vous plus nombreuses que les jours
T-Janefsit awij-izelfen Quand mes tourments se ramifient
Le comble est bien la cécité
58 Irub wul ad yekkes lxiq Je ne fais pas plus tôt un pas que je tombe
Yufa-n lebbab d imudan Est-elle donc contagieuse
Tasa-w tebda d iceqqiq Puisque mes amies me fuient
Bbal lbaga yyusan
Ssber ay ul i d-yetmektin
Iyab w ' k igan lebsan

1- Allusion à un conte où l'on coupa la queue à un chacal pour l'identifier parmi tant d'autres et le
punir de ses fourberies.

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Boualem RABIA Florilège de poésies kabyles Boualem RABIA Florilège de poésies kabyles

59 Tedra yid' am umeddah 60 Je voudrais prendre mon essor


Kkatey ur ggiy tizi Une poix invincible immobilise mes ailes
Tamurt ur i tebbw'ara Du temps où j'étais moi-même
Uyey tigemmi deg-genni J'initiais le monde au prestige
D afriwen ur seiy ara A présent mes jours sont épuisés
Rriy-d ledyur ar ddawi Je suis abandonné comme une vilaine harde
A l m i wwtey-d timzirdit Quand je traverse la place publique
Sebbey-d y blad lxali Même les plus vieux me raillent
Ulama ggunbey ddunit
Ay gewwten yinnan felli 61 Le j our où j ' ai quitté la maison paternelle
Qqwley d uccen aqudid Je savais que j'allais devenir poète 1

Yekker yibuh war necci O cœur qui vogue comme le vent


Ufiy-as ddw' i zzyara Pourquoi avoir choisi l'exil
K u l tasetta cuddey-as lxid Puisque tous les astres me sont contraires
Ujila n ssber tenfel Je m'en irai toujours à l'insu de tous
Nebya £ebb'a d-yesteqsi
Nek ftagsey ijujjar 62 O cœur toi qui vogues comme les flots en mer
Tidma yqefteb ukwerzi L ' e x i l n'est que calvaire
Ay udan teylebm ussan O cœur gavé de poison
I wnezgum mi d yefukti Tu portes l'amertume comme un fardeau
Mesqef dya Hidderyelt A la longue elle me coupe les jarrets
Mi nger aqqweddim neyli Elle me colle telles des pièces à une guenille
Asni day tnefled
Mi reggwlen lebbab-iw felli 63 O ma mère que dois-je faire
A cette fièvre qui récidive
La voilà qui brûle mes os
Comme le feu les broussailles
Je n'ai pas plus tôt remédié à un mal
Qu'un autre vient prendre le relais

1 - D Lmehna i-gsefruyen dit-on en kabyle : ce sont les tourments qui poussent à créer (versifier).
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60 D ttesrih neby' a nserrah 64 Mon cœur est serré tel un chas d'aiguille
Llazuq yurez afriwen Par où nul fil ne peut passer
Asmi lliy g zzman-iw Me voici assailli par les ténèbres
Nemmal isay refden medden Seul sans compagnon
Tura d ussan-iw eyan Je monte et descends les collines
Tudegrey am tlaba ytarken Telle une brebis délaissée par le berger
Im' ara d-seddiy tajmaet
Teekkin ula d imyaren 65 Me voici tel un malade
A qui l'on apporte des oranges
61 Asmi ffyey axxam m-baba Le fleuve des Aït Abbas est en crue
I b§iy ad ssefruy Allons traverser par Amraoua 1

Ay ul yetnujjen am-madu Je suis une cible criblée de coups


T-timura m-medden i sennuy Ou celui que la bardane fait délirer 2

Imi d itran feryen


Aninig bed m'as bkuy 66 Mon cœur pleure sans répit
Il soupire et n'en peut plus
62 Ay ul yetnujjen am lebhar Tel un bateau brisé au port
Ses sirènes même sont rouillées
Timura m-medden weerent
Il me sied de ne plus jamais sourire
Ay ul yerwan skenfud
M o i qui demeure dans cet état
Tbubbed anezgum Haskwemt
Idefr-i yezwi yi afud
67 Je pleure alors que le monde rit
Tifiwa g-gwjarbub ay fteent
Car moi seul subis le coup de l'effroi
63 A yemm' amek ar' a s-gey Ma demeure m'est devenue lion
I tawla yi d-yuyalen Ainsi vais-je errer par les champs
La teddeqdiq g-geysan-iw Prends garde de pleurer toi qui t'es moqué de moi
Car à chaque jour son crépuscule
Am tmes deg-gwafrasen
Tin mi wqemy ddw' ar teblu
Ternu-yid ta nniden

1- Ait Abbas : en Basse Kabylie et Amraoua est une tribu dans la plaine du Sébaou.
2- La graine de bardane produit, semble-t-il, l'effet d'une drogue.

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64 Ata wul am tisegnit 68 Mère tendre mère


U l ' ansi tseddi ftelqa J'ai assisté au labourage des sangliers
Ney am-min fi d-teyli tmeddit Ils se sont mis côte à côte
Ur yess' ula d rrafqa Et brutalement la terre est retournée
La ttarrey ger tyaltin O Dieu fasse que ma vie soit longue
Am tixsi yegga wmeksa Que je prenne ma revanche sur les implacables

65 Aqli-yin am umudin 69 Mère ma mère chérie


Mi ftawin medden CCina Mon frère m'a renié
Asif aeebbas yebcar Si c'était mes oncles
A t id-nezger Semrawa Cela passerait aux yeux des gens
Aqliy am lyerd t-teyrit Lion tu seras battu au roseau
Ney win tesserjef Djelba Hélas le champ a dévoré la semence

66 Yepru wul ye{ru kan 70 Sois raisonnable mon cœur


Yesnehtit m' ad yessusem O toi que couvrent les brumes
Lbabur yer?en g lmersa J'ai bien entendu dire
Seddedn-as ijewaqen - Celui-là sa chance est morte
Tebbwi-d ad sahdey tadsa En voilà une ineptie
Af nekinni d-yeqqimen Dieu a-t-il créé qui il a oublié

67 Truy medden ttadsan 71 Dieu mon sort ne peut être pire


Tas nek id-terza tyita M o n âme où t'es-tu donc agrippée
Axxam yeqqwel-i d izem Le rempart est démoli me voici écrasé
Ufiy-as ddw' i lexla Par qui j ' a i épargné je suis agoni d'avanie
W idçan üjadar a ten iru Arrivera l'heure du grand départ
K u l ass isea tagara L'ami fera grief à l'ami

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68 Yemma henna yemma 72 Me voici plongé dans l'abîme profond


Hedrey i tyerza g-gilfan Trouble est son eau
Nniy-as eedlen tayet Je suis tel le fer incandescent
Ata pieqlaben iderfan Placé entre l'enclume et les marteaux
A ^ebbi sywezf-i laemer Les déboires se plaisent à me fréquenter
Ard dse-y deg-gwi \ yedsan Un jour pour moi est plus long que deux

69 Yemma taezizt iw yemma 73 O mon cœur puisse Dieu te guider


Inekr-i gwma g-gemma Et quittons ce pays
Amer meqqar d laemum Vile langue est instigatrice
Ad afen medden ay nenna De la fausse monnaie elle fait de l'argent
Teftewted ay izem s truka Le genévrier est à présent bien gardé
Ziy iger iteft zzerriea Mais le pommier est esseulé le pauvre

70 Wiyak ay ul inu 74 Que les nuits sont bien longues


A win f i d-tebrek tagut Pour ceux qui sont dans le besoin et la gêne
Sliy i medden qqaren-as Seuls dorment ceux qui ont l'âme quiète
Lbext-is wihin yemmut N u l souci ne les importune
A x i leibad war nessin Mes sommes à moi sont légers
Wi d-yexleq bab-is ye#u-t Je m'endors à peine que mes entrailles sursautent

71 Llah Djed nejwawed 75 Ma tendre mère j'attends que cesse la trombe


Anida tetaed a rrub La grisaille du ciel s'amoncelle
Zzerb ihud nejwarked J'attends rescousse d'un ami
W i n m ' i ncub ur d ay icub Je l'ai vainement attendue de mon frère
Djedred uzekkaanruh M o i je n'espère que trop
Abbib a d-yezzem wayed Suis-je issue de leur côte
Chêne zen est étranger parmi les chênes-lièges
Un esseulé peut-il profiter dans la pénombre

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72 Aqli-yin i lebher leymiq 76 Bateau amarré que tu es imposant


Aman-is d iberkanen Les vagues se jouent de toi
Ney am-muzal imlizzeq Ton bois pourrit et s'effrite
Ger zzebra d yefdissen Le sort se plaît à t'être contraire
Lmebna tezga s ixf-iw Quand tu étais à l'apogée de ta gloire
Yinwas ayleb g-gumayen Tu sillonnais toutes les mers
Maintenant en toi nichent les mouettes
73 Ay ul-iw a k yehdu .Çebbi Il faut dire qu'il ne s'agit pas d'être grand
Tiyad a ninig g tmurt a O mon cœur résigne-toi au moins
Sliy ieeddel-i{ yiles Car peut échapper le moment opportun
Yeftarr' asekkak d lfefta
Taqa tesea leessa 77 Par Dieu corbeau dis-moi
Ma d ftefab yetnusu webdes Pourquoi donc es-tu si noir
T'es-tu teint le plumage
74 Ay yewezzifit wudan Ou as-tu failli à ta promesse
Af-fid yedruran Seule la trahison peut nous noircir
A w ' ineqlaben aw'ittsen Ah quand on fait faux bond à ses amis
I-gegganen d w' itsafan
Wlac iyweblan yursen 78 Voici que mon cœur est malade
Ma d nek ides-iw d axfifan Depuis les froids et mars est revenu
Mi nezdew leqlub frawsen Que de philtres n'ai-je pas bus
J'ai infusé même des plantes combien amères
75 Yemma benna urjiy lehw' a |awi Quand on m'a vu dépérir
Asemgun yuy-ed igenni On m'a préconisé leur vertu guérissante
Tteme yuzzel ar webbib Pauvre qui de mon mal est atteint
Imi frajuy gwma xati L'os et la peau n'en sont pas épargnés
Ay ul iyelb-ik rrayib
Myiy-d g-gwbardi s aeni
Zzan ger ubucic d ayrib
Ur yullaf wewbid g-gwteli 1

1- Am<Jiq ur ikCCem ara yitij.

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76 Lbabur isergen yullaf 79 Je pleure autant qu'un bœuf


A win s tetturar lmuja Quand à l'automne les figuiers sont effeuillés
Asyar-is idub yehtutek Il a labouré l'hiver sans répit
Rebbi yedda yas g nneqwma Le joug lui a érodé les épaules
Af asmi s rebhen wussan Mérite-t-il donc d'être égorgé
Inuda-d lebbur merra Destinée que tu es inique
Degs ay seccen imiryan
80 Je pleure et pleure le bœuf
Ziy macc' al-lgef ay tella
Sur le bien impayé de retour
Ay ul-iw telzed meqqar
Il a labouré en dépit des givres d'hiver
Ixf tetfat-it lehna
Il tire et tire l'argile compacte
On a donné ordre au boucher
77 I .Çebb'a tagerfa mmel-iyi
Et il a étripé le malheureux
D acu kem isebyen teymid
Tous ont mangé et trouvé le repas savoureux
Ma yella d sseby' ay teqned
Sans remords les convives se sont régalés
Ney d lemeahd' ay terzid
I-gsebbeyn d lamara
81 Me voici comme un aigle chétif
L-lebbab ixedsen wiyid
Qui va se posant sur les pics
La plaie creuse et entame l'os
78 Ata wul-iw yehlek 1

Plus d'amis aux mains lénifiantes


Deg-gwbeggan almi d mayres Le fléau qui me mine est unique
Ay swiy deg-geddwawi Seul Dieu en sait quelque chose
Swiy ula d imliles
Mi yi zran medden fukey 82 Qui veut admirer la puissance divine
Nnan-iyi sw-it ddwa-k degs Observe les gens un jour de marché
Abbi win terija tyita-w Untel est juché sur sa jument
Tesdukel-as agwlim iyes Et porte des vêtements de soie légère
Un autre n'est même pas chaussé
Et il est pris au cou par ses créanciers

1- Yella diy:
Ata wul iw yehlek Swiy ula d ilili
Rniy tewazey lyali Ay imjarben t-tasa
Ay swiy deg-geddwawi . Lywarba lqella 1-lwali

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79 Truy i-gepni wezger 83 Que mon sort est atroce ma mère


Mi yfuk yifer g tneqwlej; Celui du boeuf qu'on mène à l'abattoir
I tegrest tezga tyerza On lui a bien ligoté les pieds
Azaglu yezga f tayet Et sa bouche se meut pour chercher provende
Yemzel wefwad ur nuklal Sans s'en apercevoir il est égorgé
Ziy ay tuered a tidej Et tombe le pauvre pointant sur les cornes

80 Truy i-gepni wezger


Af lxir ur neftuyal 84 Fais preuve de sagesse ô mon cœur
Iy tegrest tezga tyerza Arrête de labourer dans la rocaille
Jebbdey ijebbed wakal En quoi peut te profiter un seul jour de fête
Fkan lemqud i wakli O toi qui vis dans l'indigence
Yemzel wefwad ur nuklal Si tu dois choisir choisis la plaine
Ccan ??id imensi De très peu sortira l'abondance
Mkul w ' ans' i d-yessawal
85 J'ai fait serment de ne plus faire le bien
81 Aqli-yin am gider urhif Dût-il s'agir de mon propre père
Tarusi-w af iyallen Puisque le faire c'est semer du son
Lgerb iqqaz ar iyes Au vent des hautes montagnes
I wfus lebbab iselfen Et que ceux qui sont devenus mes ennemis
Ur yebli bed wattan-iw Sont ceux-là mêmes que j'avais comblés d'égards
Tas Rebbi ay d lealem
86 Précaire est ma situation
Celle de l'oiseau qui niche dans les plaines
82 W ibyan iwebed Rebbi
Sans trêve il est harcelé
IwebJjed-it ggemsewqen
Par les fusils qui le prennent pour cible
Absad rrekba s {-tagmert
Fatalement un coup de plomb le descend
Itlusu lebsa rqiqen
Le corps disloqué
Abead iftedu bafi
Yerna imtulba a t barsen

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83 Ay tedra yid' a yemma 87 O mon cœur tant que tu t'en souviens


Am-mezger yeddan s aeric Tu ne t'en sortiras pas grandi
Idaren-is cudden mxalfa Laisse les invectives passer
Imi-s yetnad'af lemeic Mets un terme à tes nuits blanches
Ur yuki d yiman-is Que celui qui veut terminer en beauté
Almi dya yezwar s yic Boive du fiel et du laurier-rose

84 Wiyak ay ul inu 88 Gloire à Dieu ô mon cœur


Tayerza ukeddar wexr-as Est-ce distraction qui me sied
Ur tufid i-gellan g leid Ce qu'il me faut est un philtre
A win yellan d amardas Car en moi le mal est profondément ancré
A wlidi taenud lewda Qui donc peut élire son destin
Cwit a k id-yerr atas Si c'est lui qui à l'avance nous mène

85 Suhdey-k ur k xdimey a lxir 89 Ma mère ma mère chérie


Ula di baba i yurwen Je suis brisé comme un figuier
Im'am-min izarraEn aclim Il m'arrive de méditer
Af Temgut Igawawen Et d'espérer des jours meilleurs
D widak imi xdenry lxir Au fait les marchés se tiennent le matin :
Iyi-d yeqqwlen d ix§imen Qui n'y a pas fait ses emplettes ne doit attendre le soir

86 Aqli-y am ttir yuffgen 90 Compare-moi ma mère


Iteecciccen g sswabel A la veuve qui habite une hutte
Deffen-t-id içeyyaden En hiver l'eau suinte sur sa tête
Yufeg yugad lemkwabel En été viennent les courants d'air
Yewt-it wasbar ikub Elle s'effondre par terre
Ssura ezizen tensel Inerte et maigre comme une brindille

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87 Ay ul-iw madam teched 91 De guerre lasse je veux faire des vers


£rateb-ik ur yettali Sur les déboires qui fondent sur moi
Anef i yinnan ad srun Je suis tel un arbre solitaire
Ur teawaz lyali Qui gîte les nuits au vent des hauteurs
W ibyan a s d-gwrin wussan Je suis en proie à une vindicte indélébile
Issew qqedran d ilili Comme un tatouage ancien

88 Llah Djed ay ul-iw 92 Las je veux faire des poèmes


Ma Hadsa yi d-isaben Sur les misères qui me pourchassent
Iy' ilaqen d asafar Je suis tel un arbre solitaire
I lxatr-iw bezzaf yuden Que frappent la pluie et la grêle
Ur yeksan bed i t yuyen Il s'agit d'une vindicte persistante
K u l bed anida t-ssersen 1 Comme une éternelle maladie

89 Yemma taezizt-iw yemma 93 Je veux entamer ma mélopée


iRzey taruz' idekkwaren Hélas ma troupe ici est absente
M ' ara qqimey webdi iny as Au fait les malheurs se ramifient
Ils tombent sur mon âme et l'engloutissent
Yinwas ad i tewqem
Auprès des clercs j ' a i quêté des amulettes
Ziyen ssuq d ssbab
De tous les guérisseurs j ' a i écouté l'avis
W ur neqdi lerbab futen
Mon chemin s'avère interminable
Et mon calvaire indubitable
90 Nek tedra yid' a yemma
Am taggalt yezdeyn ajdar
94 O mon cœur fais preuve de sagesse
G tegrest tezga tiqit
A présent ma tête est toute chenue
G-gwnebdu yezga ssersar
Mon chemin monte et sinue
Tedlaq afud i tremlit
Et les amis ne font pas écho à mes appels
Yerna \ ddebk am syar
Nous avons délaissé le bon blé pour l'ivraie
Et notre semence s'avère abâtardie

1 - Afir agi yella ar ccix Mubend :


«Qqaret kan ah HI
Ur yebyid bed i t-yuyen
Kul bed anida t-ssersen. »

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91 Xaqey byiy ad ssefruy 95 Je passe mes nuits à la belle étoile


Af-fayen ieeddan felli Et on me dit fou
Cbiy ttejra tawbit Me voici maigre comme un pigeon
Tetnus i wafj.u t-tizi Mon corps chéri est tout calciné
D ccebna tug' at-tekkes Bonnes gens mon endurance est telle
A m tecrad n zik enni Que nulle autre ne peut l'égaler

92 Xaqey byiy ad ssefruy


Af-fayen ieeddan f rras 96 Je passe mes nuits dans les sanctuaires
Cbiy ttejra tawbit Et l'on dit que je déraisonne
Abruri lehwa fellas J'ai goûté à toutes les amertumes
D ccebna tug' aHekkes Ma douleur personne ne la devine
Am aftan yezgan kul ass Mon endurance est de fer
Qui alors peut me défier
93 D ttecwiq neby' a ncewweq
T-farbast aha wlac-rf
Ziy lhem yeggar tara
Yeyli-d f lqelb iyum-it
Nezra w' ijebden tira
Mkul ttbib nsebbwel-it
Nlebliu ur neqdis abrid
D cced' ur tetbie talwit

94 Ay ul a k yehdu Rebbi
Ma twalad ixf-ik icab
Abrid-iw yullaf yezleg
Netnajji yaben lebbab
Negga lbeb neddem takka
Nezrae yemyi-d d aqwellab

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95 Lembat-iw deg lexlawi


Qqaren-as medden tessed
Usarey am yetbir aksum
D ssura ezizen tecwed
Ssebr-iw bezzaf meqqwer
Ur yezmir bed a t yawed

96 Tnusuy deg lemqamat


Qqaren-as medden tencef
Swiy qedran di tinzar
S isegli-w bed ma ykucef
Sebrey ssebr b-bwuzzal
Ur yezmir hed a y yettef
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1 O demeure de sous la pierre Ay axxam seddaw wedyay


Que n'aimerais-je te trouver des solives A w i k yufan tigejdit
De tuiles je te ferais un toit A r k iseqqef s lqepnud
Par lequel ne passera pas une goutte Ulam' ar n-tseddi tiqit
Ce n'est pas la mort que je redoute Macci d azekk' ay nugad
Mais ce que j ' a i fait ici bas Dayen nexdem di ddunit

2 O demeure souterraine Ay axxam seddaw tmurt


Que n'aimerais-je te trouver des solives A w i k yufan tigejda.
De tuiles je ferais un toit Ar k iseqqef s lqermud
Par lequel passera la pluie Ulam' ar n-tekcem lehwa
Ce n'est pas la tombe que je crains Macci day nhub' azekka
Mais les limites que j ' a i dépassées Dayen i nhud g-tlissa

3 Bonne gens qui vous battez pour la terre 1


Tnayen medden f tmurt
A qui appartient-elle donc Wissen a leibad wi | ilan
A notre seigneur nous devons la nourriture Nekwni nettalas tagwella
Savez-vous qui est son maître Net{at bab-is d sseltan
Nous avons beau faire de vieux os Akken ibyu yiywzif laemer
Nous finirons tous dans la tombe Leqrar nney d a?ekka

4 Ma mère il est sûr que je mourrai A yemma lmut ad mmtey


Mon cou en sera secoué D amgerd-iw ad yengugu
Pourtant nous mangeons avec les deux mâchoires 2
Yerna nte# af sin imuyag
Et tolérons d'infâmes alliances I tbensemmet la ngennu
Nous nous en irons vers la demeure éternelle Anrub s axxam anesli
Celle d'ici nous l'abandonnerons au vent Ma d wag' a t negg i wadu

1- Il existe encore des pierres saliques qui rappellent la décision prise par les djemâas kabyles,
dans le dessein de mettre fin à des guerres tribales résultant des héritages de femmes, et ayant pour
cause l'exiguïté des terrains. Voir également les poèmes 5 et 7.
2- En français : « Manger à tous les râteliers ».

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5 Ma mère mourir est inexorable 5 A yemma lmut ad mmtey labud


De douleur mon cou va branler D amgerd-iw ad yeqluqel
Pourtant je vole et je trahis Yerna takwrey xeddeey
Et trompe les amis Lebrir af-fzu i wemdakwel
Nous nous en irons vers le logis sans porte A nrub s axxam ur tekki teflut
Quant à celui d'ici-bas nous le céderons aux neiges Ma d wag' a t negg i wedfel

6 O trépas offrande de la vie 6 A lmut tuntict n ddunit


Toutefois je n'ai jamais gémi Xas nek wergin nuzsey
O vie traître A m leyrur a tanefsit
J'ai avalé d'innombrables épines Ay din d asennan sgumdey
Vrai le temps a filé Ziy ha kan tuzef tallit
Au soir de ma vie j ' a i sursauté A l m i {-tameddit i d-ndekwaley

7 Les héritiers se tiennent à la porte 1


7 Lwerrat zgan-d ar tebburt
Dès qu'ils ont appris la mort de mon père Ay slan s baba yemmut
Il est évident que nous serons à leur merci Agwray a d-negwri yursen
A notre douleur les pierres ont réagi Amer ufin ur d-netnunnut
Eux qui répugnent à nous voir apparaître Nuywas slan-d yedyayen
Mort pourquoi viens-tu accabler A tasa tefrut t-tqetta
Celle dont les déboires sont déjà assez durs I tin f ggwten wunhizen
Nous qu'ils auraient aimé voir disparaître Acimi s id-ternid a lmut

8 Les héritiers se tiennent aux remparts 8 Lwerrat zgan-d al-leswar


Ils savent que la mort a happé mon père Slan s baba yenqer
Le sort nous met entre leurs mains Yettef-ay lwasd ar yursen
Et lui s'en va vagabonder Nefta yelha d umendar
J'ai conté cette avanie au tamaris du ravin 2
Nniy-t i tmemmayt ggeyzar

1- Cf. note l.page 169.


2- Arbuste au bois flexible, qui plie et sç relève au gré des crues : largement cité dans la poésie
populaire. Dont l'expression Ad bkuy leywben I tmemmayt ("Je dirai ma peine à un tamaris").
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Et j ' a i juré par Dieu le plus grand : Gguley s Ugellid yullafen


Celle qui n'a jamais connu la joie I tin ur nerbib laemer
Mort pourquoi l'as-tu encore trahie Ternid-as a lmut leydar

9 Celle-ci est l'ultime épreuve de mon coeur 9 T r g i Y Hamseggwrit bbwul


- a a

Ainsi ai-je perdu toutes mes dents A l m i huddey uglan tuymas


Une peine en appelle une autre Taluft ters-ed af tayed
Ma tête en est toute chenue Ccib iyers-ed af rras
Je vous laisse en paix mes amis Qqimet a lehbab besslama
Nos veillées sont passées comme un jour Kra neezzer yuzef am yibbwas
La mort est un chemin jamais désert 1
Lmut d abrid war nexli
Nous nous succédons tels les agneaux du sacrifice Am yexfawen 1-leid al-lemwas
De sous la pierre tombale je vous verrai Daw temdelt a kwen-id fwaliy
J'entendrai l'appel de l'être cher Tiyri bbwi ezizen sliy-as

10 Voici l'ultime épreuve de mon coeur 10 T - r g ' y Hamseggwrit bbwul


a a

Ainsi je compte parmi les impotents A l m i dbiy g-gemhersiyen


J'ai enduré des maladies Acbal d aftan felli yeeddan
Toutes étaient des signes Widen merra d isriren
Je vous laisse en paix mes amis Qqimet a lehbab besslama
Je suivrai le chemin de ceux qui m'ont devancé Sy' ay kkan imenza ruhen
La route de la mort est toujours passante Lmut d abrid wer nexli
Mes racines viendront à ma rencontre I?uran ay d-mmagren
Trois jours après on tassera la terre de ma tombe Telt yyam ad yeddez u?ekka
A l'aurore mon regard pourra percer 3
I tafrara a d-eeddint wallen

1- Vers devenu proverbial, comme tant d'autres extraits de poèmes anciens.


2- Rite connu de toute la Kabylie. En effet, trois jours après un enterrement, les femmes se
rendent dès l'aurore au cimetière pour tasser la terre de la tombe. « Ce n'est qu'à dater de ce jour que
l'âme végétative cesse d'appeler » l'âme subtile qui, elle, reste avec les vivants jusqu'au quarantième
jour après l'inhumation. Au bout de cette durée, un repas rituel regroupe « les liens du sang » (Wid
ccerken idamen). Ainsi, par la commensalité, on aide l'âme subtile à rejoindre le domaine des
invisibles (At t-tbaQnit /at t-^akit).
Le mot berbère « iman » est pluriel, il désigne à la fois l'âme végétative et l'âme subtile :
tanefsit et nul)..
3- Les femmes se rendent au cimetière avant la point du jour : « Avec le soleil, le mort ne peut
plus nous voir, ni nous entendre. »

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11 Quelle amertume que la mort 11 Wlac i-ger?agen am lmut


M o i qui croyais en être épargné Nek yüey ard iyi tanef
Mais fulgurante elle apparaît A l m i tejba-d s ryila
Assénant des coups aux solives 1
Tekkat tigejda s ssxef
Mère ma mère chérie Yemma taszizt-iw yemma
Je suis atteint à la tête comme un ramier Ttewtey am yetbir s ixef

12 Que la mort est amère 12 Wlac i-ger?agen am lmut


Telle l'avancée des tenailles vers les dents Am lkwellab ar tuymas
Elle ne paraît pas plus tôt à la porte Mi d-tekka deg-gmi t-tebbwurt
Que les affres m'entament par les orteils G tefdent yuli-d lweswas
Mère ma mère chérie Yemma taszizt-iw yemma
Comme un reptile je suis scindé en deux 2
Tfewtey am-mezrem s ammas

13 Bienvenue ramier 13 Lseslama-s i yetbir


O toi qui arrives par la plaine I win I d-yekkan agwni
Est-ce ton cœur qui palpite de désespoir Ma Hasa-s i d-irejfen
A la recherche de tes petits Ney Harwa-s i-gepiadi
Je partirai dès la prière du dohr 3
Tazallit n fthur a nrub
Et laisserai la maison vide A d-negg axxam d lxali

1 - Ces solives symbolisent les enfants mâles décédés.


2- Image de la mort qui sépare l'âme subtile de l'âme végétative. Il s'agit d'une notion souvent
répétée dans les chants funèbres.
3- Il est d'usage, selon la loi musulmane, d'enterrer un mort juste après la seconde prière de la
journée, en début d'après midi...

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14 Maudite sois-tu mort 14 A kem ixdae .Çebbi a lmut


Félonne qui te plais à nous surprendre Taxeddaet i d-ye^assen
Ah ! si tu étais perdrix A w i kem yafen Hasekkurt
Au piège on te prendrait A r m-adin medden a kem ttfen
Mais puisque tu es cachotière Imi t-|imxebbit yaf-ful
Tu nous condamnes aux menottes du destin Turezd s lajel ifassen

15 Si la fuite pouvait me sauver


J'irais avec les pigeons 15 Amer di tfeddu trewla
Je ne donnerais nul répit à mes pieds Tili ddiy d yetbiren
Par les plaines et les collines Ar î-rrey i trejdilt udar
La mort est partout I lewiyat d yewriren
Avec ses filets tendus Lmut anda ddiy tella
Tetjaddi-yi d lekwmayen
16 Mère ma mort est là
On m'a affublé d'un suaire blanc 16 A yemma lmut mmutey
Passeront mes enfants chéris Cudden-i lekwfen d amellal
Ils geindront et tituberont de douleur Ajeeddi tarwa-w taezizt
J'entendrai bien leurs appels Ad felli tnazae tetmal
Mais ne pourrai leur répondre Tiyri bbwi ezizen sliy-as
Ur zmirey a d-rrey awal
17 Arrivent les chaleurs torrides
Qui assèchent la scille dans les noues 17 Yebbwed-d unebdu 1-lebrur
Sur chaque parcelle un moissonneur Yeqqur i tywezza yekfil
Qui transporte les gerbes vers l'aire à battre K u l asarqub s urewwat
Il me sied de pleurer du sang
Ar wennar i-geîneqqil
Tel est le sort des mortels
Ma ruy idammen fhan-i
Af nekwni yegguni nhil

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18 Arrive la canicule estivale 18 Yebbwed-d unebdu t-tezyayt 1

Qui assèche l'herbe dans les champs Yeqqur i tywezza weksa 2

Au printemps elle croît avec exubérance Iy tefsut i-gerraeras


En été elle devient gerbes de foin Teqqwel d iqraren t-tuga
Il me sied de pleurer du sang Ma ruy idammen fhan-i
Sur nous qu'attend la tombe Af nekwni yerja wzekka

19 Ma mère mort je le suis 19 A yemma lmut mmutey


Allongé par terre comme une ganse de soie G-gwagwens sredy am saru
Vers moi les miens se hâtent Imawlan mkurkafen-d
Par chaque venelle ou afflue K u l azniq la d iserru
M o n vieux père feint le courage Amyar m-baba yesber
Et ma mère se lamente Yemma taezizt-iw tetru

20 V o i c i le jour où l'on creuse ma tombe


20 I wasmi qqazen azekka
En dépit du tonnerre et des éclairs
Yern'i rreud akw d lebraq
On en a bien lissé les rebords
Mzin-as tidekkwanin
Nulle lucarne n'y est aménagée
Xetmen-t ur as ggin ttaq
Ayant Dieu pour nous
Mi nessa £ e b b ' ur nugwad
Dors-y mon cœur en paix
Izedy-it wul ur ixaq
21 Voici le jour où l'on creuse ma tombe
En guise de mesure on a pris un roseau 21 I wasmi qqazen azekka
Il sera enseveli avec moi 1 Awin lqis d ayanim
Au retour mes amis prendront les sentiers D ne#' ara ymedlen yidi
A la maison on aura saupoudré le sol de s e l 2 Qqwlen d lebbab tizergwatin
G-gwexxam ad zuzren lemlab

1- Il est de tradition, en Kabylie, d'utiliser un roseau pour mesurer la taille d'un mort avant de
creuser une tombe. Ce même roseau est enseveli par dessus les dalles, presque à un empan de
l'extérieur. Il est déterré et brisé au troisième jour après l'enterrement. Ainsi brisé, il ne peut servir
d'éventuelles sorcières.
2- En pays kabyle, comme presque partout en Afrique du Nord, les rites funéraires - entre autres-
sont différents des pratiques dictées par l'Islam orthodoxe. D'où le sel dont on saupoudre l'endroit où
a été déposé le mort avant la levée du corps, et les chandelles ou les bougies que l'on allume au même
emplacement.
On dit : Lemlab ur imeqq'ara. (Litt. Le sel ne germe pas. La mort n'évoluera pas dans la maison
du défunt). 1- Tazyayt ney azayaz = azyal ameqqwran.
Et Ad ig Rebbi yegga- d tafat. Litt."Puisse-t-il laisser de la lumière." (Il s'agit d'exorciser le 2- Akra-awal agi ye la. Neqqar « rrbi ney lebcic », s tarabt yeqqim ed : kkes, ameksa ... Ikusa, t-
A

deuil). taddart g At Yeggar.

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On aura allumé des chandelles Ad ssiyen tiftilin


J'attendrai trois jours pour qu'ils reviennent Telt yyam a nuyalen
Je les guetterai de sous les dalles A d-eassey ddaw tmedlin

22 O khouan vous les vénérables 22 A lexwan imaezuzen 1

A ma mort psalmodiez Mi mmutey dekret felli


Pour moi donnez fête Wqemt-iyi tamayra
Une fête sans henné Tamayra mebla Ujenni
La pire de toutes les peurs Lwabc iyelben lewbuc
C'est au cimetière qu'elle se trouve Y tmeqwbert i-getilli

23 Soleil toi qui viens de poindre 23 Ay itij i d-icerqen


Et atteins tous les rochers War yeggi mkul acruf
Le paradis est érigé dans la splendeur Lgennet tebna tucla
Ses plafonds sont d'or émaillés S ddehb ay ruceen lesquf
Il est habité par ceux qui ont le sens de l'honneur 11 izedyen d aeerdi
Et non par les tyrans Macci d w' illan d ameneuf

24 Soleil toi qui viens de poindre 24 Ay itij i d-icerqen


Porte mon salut aux gens affligés Sellem-iy' af lmubzinin
Ceux qui se résignent à la patience Igad isebbern i rrywem
Grillés par la douleur comme froment sur le feu Zzan am yired g-gwdajin
Quoi qu'il leur arrive I-gebyun yedru yidsen
Jamais ils ne se détournent de la foi D ddin nsen wer t ggin

1 - Qqaren diyen :
A lexwan imaezuzen Tamayra mebla nncida
Ma mmutey dekret xilla Lwabc iyelben lewbuc
Wqemt iyi tamayra I tmeqqwbart kan I-gella

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25 O brise porte mon salut 25 Siwed as ay abebri sslam


A Fatima et à sa progéniture
1
I Fatima d w'ay tesea
Ce sont eux qu'invoquent les preux Yiss ay neddehn izaelak
Quand ils entrent au champ de bataille Mi kecmen degm a lfetna
O toi qui as créé la séparation A kra yexleqn lfiraq
Tu as fait du monde une chimère D ddunit ziy t-tanafa

26 O mère prie pour moi 26 A yemma tedeud-iyi


Aujourd'hui jour du pardon Ass agi n ccafusa
Pour moi tu t'es tant démenée Atas i teddid felli
Par le froid et la pluie I wsemmid akw d lehwa
Enfant chéri je te pardonne : A tarw' aezizen efiy-am
Le cœur d'une mère est plein de tendresse Tas' ur tetrebbi ccebna

27 Me voici en mauvaise posture 27 Aqli-yin deg-gir baia


Je suis pris par la main de Dieu Yettef-i wfus r-Rebbi
Mes pieds n'en peuvent plus Adar f i Jedduy yulwa
Un voile me brouille la vue
Calwaw yers-ed yaf ye?ri
Je vous implore hommes de Dieu
Tanesrit ay at .Rebbi
Nul pardon si vous m'abandonnez
La ssmab ma teggam-iyi
28 O ma mère j'allais partir
28 A yemma kkery ad rubey
Quand j ' a i entendu trépider la poutre maîtresse
Sliy i wejgu yenhez
Je m'en vais laisser ma demeure
Que j ' a i habituée au soin Ad rubey ad ggey axxam-iw
Mes yeux feignent l'oubli D winna mi snumey leez
Mais mon cœur ne veut se résigner S wallen-iw sebrey fellas
Ma t-tasa-w tug' atellez

1- Fille du prophèteMohammed et de Khadidja, épouse de son cousin Ali.


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29 O ma mère j ' allais partir 29 A yemma kkrey ad ruhey


Quand j ' a i entendu pleurer la poutre maîtresse Sliy i wejgu yetru
Je m'en vais laisser ma demeure Ad rubey ad ggey axxam-iw
Que j ' a i habituée à la gaieté D winna mi snumey lhu
Mes yeux feignent la résignation S wallen-iw sebrey fellas
Mais mon cœur se lamente Ma î-tasa-w tug' a t-tettu

30 Je déteste la nouvelle qui me parvient 30 Kerhey lexbar i d-yusan


Jeudi vers midi Ass 1-lexmis lewhi n tthur
Envoyez quérir tous mes amis Ceyyaet i lebbab merra
Pour la dernière visite M ' usan-d ard a nemzur
La mort me saisit à la poitrine D lmut teftef-iy' idmaren
On me trouvera raide comme une bûche A r i d-afen d a?eqqur

31 Mon cœur veux-tu venir 31 Kker m ' ajeddud ay ul


Je veux marcher Adar-iw yeby' ad yelbu
J'ai trouvé mon bien-aimé malade Ufiy wi szizen yuden
Frappé par un mal incurable D aftan wer yetbie bellu
O Toi qui assumes tes décrets A kra d-yuznen leqda
Donne-moi le courage de l'oublier Efk-ay-d ssebr a t-ne$u

32 Gloire au Créateur des cieux


32 Sebban w'ixelqen tignaw
Il les a faits lisses
Ixelq itent-id s ttedbie
Parés d'étoiles
Icebbb itent-id s yetran
Et d'un soleil brillant
D yitij m id yeüemmis
Mon bien-aimé a entamé le grand départ
Wi ezizen yebda inig
Nous le suivrons tous à tour de rôle
Nekkwn' anemsedfar jjmie
33 O croyants quand la mort approche
33 A lmumnin lmut qrib
Les cheveux blancs en sont les prémices
A c u d-yetqeddim d ccib
Seule la tombe est éternelle
D azekka ay d anesli
Ce monde n'est qu'une demeure d'été
Wamma ddunit am leezib

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Ce poème, anonyme lui aussi, a dû être composé vers 1825 : Tajrirt agi ur yejwassen ara yisem umedyaz i \ yebbwin asmi
date à laquelle le pouvoir turc envoya d'Alger ses troupes, avec à — twalem di 1825 — ugin At Jennad a s anfen i Turk ad ieeddi ar
leur tête Yahia Agha, pour mater les Ait Djennad qui lui avaient Temgut ad yegzem zzan (tacemlit agi unegzum ggejga, qqaren as
refusé l'exploitation des forêts (la karasta) du Tamghout. «lqarasta » s tarkwit.
L'expédition échoua aux abords d'Abizar. Ihi laya Yehya iceggae-d ssersur macci d kra ad sxedmen At
Jennad, targit ur as teffiy ara ar tidet: Turk yerre? zdat Ubi?ar.
1 Par toi je prélude Prophète
Ainsi que par le Seigneur créateur 1 Ad selliy fellak a nnbi
Noué à la hampe Arniy Agellid axellaq
Notre étendard surgit au loin resplendissant Leelam-iw d bu tyersi
Arrivent les fumeurs de pipe 1
Ijba-d mebsid yerreqraq
Sur leurs montures fiers et arrogants Rekben at ccerrab d usebsi
Qedmen-d abrid s ueenfaq
7 Yahia Agha à la tête de ses troupes
Croit mater nos guerriers tireurs d'élite 7 Laya Yebya izwar i lqum
Son armée chevauche les plaines Ar at t-tramit i d-isewwaq
Telle une nuée de criquets Ifeummu g lewdiyat
Il a pénétré dans le royaume de Tunis Am-mejrad m' id-iyerraq
Pour enrôler les insurgés Ikcem tigemmi n Tunes
Isexdem w' illan d amnafaq
13 Mais les Aït Djennad le défient
2

D'emblée vain est son désir du Tamgout 13 Ma d At Jennad cqarwen-t


Au sombre chêne zen Af Temgut kksen-as lebmaq
Car si tu veux croiser les fers Nnan ixda zzan uswid
Il ne suffit pas d'avoir des canons décorés Ma tebyid uzzal yebdaq
Là où nos balles sont dures et prestes Cciea macci d lbuq unyic
Mi crir uberbi yastaq

1- Les Turcs.
2- Ait Djennad, de la Kabylie maritime.

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19 Quand ils arrivèrent au-dessus des Aït A ï s s i 1


19 M ' i d yebbwed nnig at £issi
Leurs canons commencèrent à tonner Lbuq yebda d aseqsaq
Nos troupeaux se dispersèrent par les champs Tijlibin myent iereqyab
Nos chers oliviers se disloquèrent Azemmur a£zizen yendaq
Ils dressèrent partout des obstacles iqdae abrid ul'ansi
Et bloquèrent les paysans 2
I ftajer m'ad isewwaq

25 Tant de moutons furent tués 25 I-genya dek ay ufrik 1

Causant la ruine des paysans Bab 1-mal idbej yetxeyyaq


Attriste-toi marché de Lekhmis 3
Tebzned a ssuq 1-lexmis
A l i Oukhoufache est touché
4
£li w Xuffac m'id yejlbaq
On le décapite au yatagan Gezmen ixef 1-lgid s utayan
Illico on emporte sa tête au Bardo 5
Bbwin-t ar Bardu s lebmaq

31 Pour percevoir la rançon car ont-ils dit 31 T-îaj e ait ard' a \ kwemsen
C'est lui l'instigateur Nnan-as d nefl'i d imEewwaq
Il a refusé l'impôt et empêché les siens de mourir de faim Yugi tabzert fljerz lmuna
Il harangue trop Inna-yas wesrir imi-s d afeqfaq
Si nous mettons fin à ses jours Ma day tredmem winna
Sur Istamboul le soleil poindra Tafugt af Stambul tecraq

1- Ait Aïssi village au pied du Tamgout Ibehriyen, commune de Yakouren.


2- Les Ait Djennad descendaient de leurs montagnes pour cultiver la plaine du Sébaou.
3- Dans le temps, le marché des Ait Djennad se tenait les jeudis.
4- Ali Oukhoufache : des Ikhoufachen de Tagereift, le plus célèbre des cataclyseurs des Ait
Djennad durant le conflit qui les opposa aux Turcs, campagne ordonnée par Hussein Pacha et dirigée 1- Ufrik : d aawal Tmaziyt aqdim, maca iqqim-ed g inzi neqqar : « Iban wufrik ay acrik. »
par Yahia Agha en 1825.
ney g isem n Bufarik i-d-yekkan g bu wefrik : bu wakraren. Ney i{barriz am ufrik :am ikerri
5- Palais dans la banlieue d'Alger, actuellement musée.

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37 La guerre est déclarée entre Kabyles et Oultachi 1


37 Tekker ger Weqbayli dwultacen
Nos veuves sont sorties hisser l'étendard Fyent-ed tuggal s ssengaq
Quand la poudre commence à crépiter Rrsas m'ara d-yessasti
C'est à ne plus savoir où est sa gâchette Zznad-ik ad yeeraq
Quant à moi j'en ai vu de tout Ixf-iw ijemmel tirwas1

Depuis longtemps mon esprit erre Atas ay agi deg ixerraq

43 Un tison est fiché dans la braise 2

43 Aseffud yenta g-girrij


Et attend qui refuse d'attaquer I win ibyan ad inafaq
Il me sied de ceindre ma tête avec une tige de roseau Yefha-yi cced ggeylel
Si un fauconneau au regard perçant trahit Ma yexneb mmis 1-baz aremmaq
M o i je suis le fleuve de Bousselam 4

Nek d asif n Busselam


Le long des rives provoque des avalanches K u l asyax ad yeftardaq

49 O vous maîtres du fer et de la parole 49 Ay ayt wuzzal d wawal


Vous en usez pour que notre gloire brille davantage Af yisay nney yerreqraq
Quel ajout vous apportez à notre ardeur Ay ay ternamt d lkerra
Femmes porteuses de bonnets de soie flottants A sut cced iEebraq
Quand vos chants de guerre retentissent Asbuyar m'id-yennuni
Nous acceptons de vive joie toute séparation Mrabba a kra yellan d lfïraq

1 - Grade de la hiérarchie militaire turque.


2- La tradition rapporte que dans la Kabylie d'antan on marquait au fer rouge le front des traîtres
en temps de guerre ; la tâche était exécutée par les femme immanquablement présentes aux alentours
du champ de bataille pour louanger leurs guerriers en chantant des aubades rituelles.
3- En signe de deuil ou d'offense, par les hommes ; les femmes, en pareille circonstance, se
coupaient les cheveux à partir de la nuque.
4- Bousselam : fleuve de la Basse Kabylie.
/- ibidem

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55 Notre courage émane du sang ancestral 55 Tukwi-d tinna deg- dammen


Notre fervent élan vaut mieux que les guêtres de l'ennemi Tazeddamt-iw tugar flmaq
Loin s'en faut des montures sellées Ur telli d rrekba t-tarkit
Des fantassins ennemis bouleversés brisés Yenharwel ssersur yedeqdaq
Pour le Kabyle le nif est une seconde nature Aqbayli nunefk-as nnif
Pousse des you-you toi qui es recouverte de bijoux Syert a tihin iwarken d ssdaq

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Poèmes sur l'Insurrection de 1871 Tajrirt agi af Nnfaq n 1871

1 Abdelkader D j i l a l i 1

Win d-isawlen tajrirt agi inna-d t£arq-as amek teflcemmil.


Tes ramiers s'en sont allés voguant par les champs 2

Les chrétiens les pourchassent 1 eebd Lqadar Gilali


Et les égorgent même dans leur ermitage Itbiren-ik uyen lexla
Le catafalque est aujourd'hui tourmenté La ten iftasdad Urumi
Celui de la Rahmania Izellu-ten g lxelwa
Attristez-vous A l i ben Aïssa Ass-enni igenharwal ftabut
Et Lala Khedidja N at-Ahl-Rrabmaniya
De bien jeunes garçons sont précipités dans les ravins Tebzend a eli benEisa
Et des femmes jeunes vouées à l'errance Ternid a Lalla Xdiga
Saints intercédez riin yecbaben af lkaf
La mosquée de Tabouda est désertée Myent tidm'i lexla
3
NaEret a ssada{ naEret
LgarnaE t-Tbuda yexla

1- Une variante de 6 vers est chantée par Taos Amrouche.


2- Tes ramiers = les khouan.
3- Le dépositaire de ce poème dit avoir oublié la suite.

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2 Je te loue ô Prophète 2 Ad selliy fellak a Nnbi


Et célèbre la Kaâba entourée de remparts Fetney Lkasba m leswar
L'histoire d'à présent Tadyant bbwas-agi
Je l'écrirai brasier rougeoyant AH-aruy s ufergis n nnar
Ton peuple s'est levé pour la guerre Lumma-k tezwar i frad
Nul ne songe à reculer Ur yenwi bed ad iwexxar
Tout montagnard est sur le qui-vive Amesdrer ibed ur iris
Quel messager viendra le renseigner Asrir m'a d-yawi lexbar
Les Oultachi ont capitulé Mayna tekka deg ultacen
Et laissé le malheur arriver à la porte Sebbebn-as i lhem s amnar
Gloire n'est point à leurs habits de soie brodés Ccisa d lebrir imqefteb
Ni à leurs colliers de perles Ney d izurar 1-lguhar
Ils ont embrassé l'opprobre Cudden tara g-geylel
Et déposé les armes encore chargées Ssersen znad xas yasmar
Sidi Ferruch est ravagé par l'incendie Bu-Wefruc tnedh-as tmes
La vague des mécréants s'en est approchée Tu?a-d lmuja 1-lekwfar
Ils ont afflué D Arumi mi d-iyarres
Démoli la tour et le phare Ihud anfa yedda lefhar
Les colonnes cerclées de sculptures Adyay bu ttabE imbelles
Sont creusées à boulets de canon S lbuq is yzan leyrar
Le Kabyle est preux Aqbayli d bu yiyil
Au champs de bataille il a conduit les meilleurs de ses fils Ay-gebbwi tarwa-s d lxetyar
A Alger il n'est pas étranger G L??ayer ur yelli d ayrib
Il y monte et descend Dinna i-guli ydar
C'est une gloire pour la Montagne de la dignité D isay i wedrer 1-1 eez
1

[...]'
3 Voici qu'arrivent les Français
Ils accostent au bord de l'eau 3 Ataya Wrum'a taya
Que de Kabyles se sont ceints pour combattre Ataya Ibed yer waman
Altiers comme des boutures de grenadiers Ay gbegsen g Leqwbayel
La fièvre me brise Am igwedman n rreman
Le tumulte de l'envahisseur arrive à la maison A tawla yi-rzan
Qeddmen d rrhut s axxam

1 - La Kabylie. 1- Dagi, igzem usefru.


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4 O toi Si Belkacem 1
4 KeCc a Si belqasem
Donne à manger à ton cheval du diss Fk-as i wsudiw adles
Il ira chevaucher les plaines Ad ical g lewdiyat
Sur le territoire de Dellys Ar tmurt n Délies
M o n cœur quel n'est pas ton deuil A c u d lhejna-k ay ul
Quand les hommes nobles sont décapités Aqarruy 1-lejwad mi yekkes

5 Voici qu'arrivent les Français 5 Ataya Wrum' ataya


Ravageant les champs de blé Iksa d tiywezza g-girden
Par rangées de fantassins Lesfuf-is d ssersur
Ils descendent derrière les maisons Tarusi nnig yexxamen
Ce coup emportera ma tête Tiyit' aj-îeglu yissi
Quatre lions me sont tombés riin-i rebea yizmawen

6 Voici qu'arrivent les Français 6 Ataya Wrum' ataya


Aux tenues rouges comme des brasiers D azeggway bbal iliz
Des jeunes hommes les prennent d'assaut D icbaben ar Je?zfen
En dépit des canons qui tonnent Xas lbuq ijermimiz
Ville de Paris Ziy d imeteas ay d-wetqed
Tu ne nous as envoyé que des démons A tamdint Lbariz

7 Voici qu'arrivent les Français 7 Ataya Wrum' ataya


A leur tête des Arabes les guident 2
D aEraben i-gezwaren i lqum
Quelle sale histoire ô Musulmans A tadyant ay inselmen
On leur a donné des mulets pas des chevaux Af serdun amer af ujedEun
N u l trésor pour les enrichir Ur din agerruj iyennun
Seulement un morceau de pain Fkan as afujjim bbweyrum

1- Il s'agit probablement de Belkacem Oukaci mort en 1854 l'arme à la main. Son fils (Mohand
Amokrane Oukaci) prit la relève et reprit l'insurrection en 1856.
2- Les hommes des régions arabophones déjà soumises, enrôlés par l'armée française.
200 201
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8 Me voici sur une crête 8 Aqli-yin yef tizi


Montant la garde en proie aux courants d'air D aEessas beddey i ssersar
Au temps des beaux jours Asmi yi rebben wussan
Mes frères et moi nous nous concertions Nek HegmaJ i neftemcawar
Maintenant des boulets les ont transpercés Degsen i teeddad a lkur
Absents ils ont laissé les rues grimaçant Ggan-d azniq yesxenfar
Que puis-je faire pour toi ma vie ? Amek ar am gey a tarwüit
Beauprêtre arrive au seuil de ma porte
1

Yebbwed i y i d Bubrit s amnar

9 Me voici sur le Tamgout 9 Aqli-yin afTemgut


Montant la garde à la belle étoile Af tizi beddey i yetran
Au temps des beaux jours Asmi yi rebben wussan
Mes frères et moi remplissions les ruelles T-tagmaJ CCuren izenqan
Parfait est ton deuil mon coeur t-{a i d lhejna-k ay ul
Beauprêtre a atteint ma demeure Yebbwed-d Bubrit s axxam

10 Lala Fatma ceinture d'or 2


10 La Fadma tabezzamt n ddheb
Long fusil d'argent serti Abeckid im?arref t-teclalt
La voilà comme Fatima fille du Prophète Ataya La Fadm' ult nnbi
Sur une jument blanche Tagwmert t-tamellalt
Elle est sur le chemin de la bataille Tuy abrid al-lfetna
Ayant juré de ne pas accepter le joug Teggul ur tebbwi tudayt
Elle prit la tête du convoi des vierges 3
Ay tessedfer g tEezriyin
Parées de bijoux éclatants 4
S ssdaq ur tekki tywemmalt
Altières telles des perdrix T-timhejlin am tsekwrin
Allant de l'avant Ar zzat ur qedfent taxlalt
Suivies par les jeunes accouchées G tuddar ur teqqim taggalt
Au village toutes les femmes sont dehors

1 - Probablement l'un des officiers qui avaient commandé la conquête de la Kabylie.


2- Fadhma n Soummer : femme très célèbre dans la tradition kabyle, par sa bravoure et sa
voyance.
3- L'on dit que La Fadhma est morte vierge ; elle avait refusé tout mariage, malgré sa beauté
légendaire.
4- Il était d'usage chez les femmes kabyles de'se parer les jours de guerre.
202 203
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11 O vierge Lala Fatma 11 La Fadma a taEezrit


Colombe sur le rempart A tabmamt rebban f ssur
Tu es belle comme le clair de lune Ssiffa ladya ^-^iziri
Et courageuse comme la lionne des ravins Tissas Hasedda 1-leweur
Toi dont le pied n'a jamais foulé les champs Taqejjirt wargin neffiy
Te voici trempée dans le sang et la boue Terki idim d wallud
Un diadème ceignant la tête M teessabt tuy ixf
Elle est drapée rouge comme un coquelicot Timlabeft am ijibbud
Bonne race ne peut faillir D azar ur iredd' ara
Noble tu as refusé de te prosterner Tugid a lgid' atteknud

12 O toi Lala Fatma 12 Kemini a La Fadma


Lionne qui sème la terreur et démobilise Tasedda yesredwin akwmin
Que de grâce Fellam izli n sser
Rehaussée de bracelets et de henné Ternid ddbub Hbacmaqin
Quand Randon nous a assaillis
1
D Randu mi d-ibelles
Tels des criquets ses soldats ont envahi les collines Tyumed ay ajrad tiyaltin
Comme du couscous nous avons fondu et roulé nos balles Ay neftel deg-gwbarbi
Des hottes en ont débordé A l m i neflent tjemmaein
Que de lances n'avons-nous pas taillées Ay nenjer deg-gextucen
Et des meules à profusion 2
Ay nesni deg-gtyarafin
Nos oliviers chéris ont été déchiquetés Azemmur ezizen yengab
On les a ébranlés par la racine Irub akw {-ticeqfatin
De ma tête a glissé le foulard 3
Ay i x f mi teyli tecwawt
Perdu avec les cordons de mes tresses Ddant ula Hisekwrafïn
N u l opprobre lorsque le devoir l'exige Ur yelli lear deg-gisay
O jeunes veuves A tuggal timezyanin

1- Randon : l'un des sept généraux français qui s'étaientt escrimés à réduire les Kabyles, dernier
bastion de l'Algérie conquise.
2- Faire dévaler des meules de pierres du haut des collines était l'un des moyens de freiner
l'assaut de l'armée coloniale.
3- Le code social kabyle interdisait aux femmes de sortir tête nue.

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13 Je vous prends en pitié enfants de mon pays 13 Tyadem-iyi ay arraw t-tmurt


Bien que vous soyez aptes à la guerre Ulama tzemrem i tgaract
Les Français ont ruiné nos villages D Arumi yexla tuddar
Sur nous est tombé le crépuscule Fellay teyli-d tyamact
Nous nous sommes battus l'épaule n'en peut plus Newwet tezwi tayej
Mais il y a la hache vengeresse de Dieu Rebbi yures taqabact

14 Nous nous souviendrons de l'événement 14 Tadyant ard a s-necfu


Qui a gelé eau et nuages Seqren waman d isigna
Intrépides des hommes se sont insurgés Kren yergazen laxuf
La foudre a conquis tout le pays G tmurt tendah ssimra
Nos pieds sont dévorés par les panicauts Idarren iCCa-ten urizu
Nos corps recouverts de plaies D ssura teqzuzem merra
O Saints nous vous implorons Tane £ rit a lawliya
Faites que nous ne survivions pas à la défaite Awar nidir deffïr ta

15 Triste est la fontaine d'Aghôuras 1

15 Tebzen Tala Bbweyras


Son eau ne coule plus en abondance Tegguma aî-t.azzel ar amnar
Triste sur le sort d'Azazga Tendel fI£ ez?ugen
Jadis ses habitants aimaient l'élégance Yennumen lebsa 1-lxetyar
Las les oliveraies des Aït Méziane 2

Azemmur n at Me?yan
Le commissaire s'y prélasse Ibe?za£ degs Kumisar

16 Triste est la fontaine d'Aghôuras 16 Tebzen Tala Bbweyras


Son eau ne coule plus sur la margelle Tegum' attazel ar iri
Triste sur le sort d'Azazga Tebzen fl£ezzugen
Jadis ses enfants étaient richement vêtus Yennumen lebsa lEali
Dans les oliveraies des Aït Méziane Azemmur n At mezyan
Se prélassent les Français IbezzaE degs Urumi

1- Tala Bbouaghras : fontaine très ancienne à l'orée d'une forêt à l'est d'Azazga, à proximité des
« Chalets » naguère occupée par les sœurs blanches, puis devenus « Ecole des Beaux Arts. »
2- Une des plus grandes oliveraies de la région, où, d'après la tradition, l'armée française avait
dressé ses campements après la conquête, vers 1856.

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17 Reste en paix 17 Qimbesslama


Ouarkik où
Ouarkik où]prolifèrent les vaches A Warqiq a bu testan
Quant à moi je m'en vais M a dnek ruhey
Prendre le chemin de l'exil avec courroux 2
Qedmey abrid s wurfan

18 Reste en paix 18 Qim besslama


Ouarkik éleveur de brebis A Warqiq a bu wulli
Quant à moi je suis exproprié Ma dnek rubey
Je prends ma route avec sanglots 3
Qedmey abrid s imetti

19 Femmes des Ait Qasi montagne d'or 4


19 Sut Qasi adrar n ddheb
Jadis elles étaient voilées et cachées K u l t'anda tneggeb
Comme des louis d'or ciselé A lwiz mi yedbas yiri
Elles étaient vêtues de soie brodée
Ceintes de tresses chinées Lsant lebsa tqefteb
Et mangeaient de l'agneau Asaru yzeyyeb
Le jour où on les évacua à Chaïb 5 Lmakla nsent d aywelmi
L'incroyable eut lieu 6
Asmi xlan ar Ceayeb
Elle s'abritèrent d'une haie de laurier-rose Prant lEagayeb
Weqment lebjab d ilili

1 - Ouarkik : plaine agricole très riche à proximité de Fréha. Ces terres avaient appartenu à Cheikh
Mohand-ou-Elhocine.
2- Manque deux vers.
3- ibidem. Ce genre de poèmes est généralement en forme de sixain.
4- Ait Kaci : puissante famille de Djouads kabyles exterminée par l'armée coloniale après la mort
de Belkacem Ou Kaci en 1854 ;
5- Châaïb : localité sur la route menant de Tizi-Ouzou à Mekla, à 17 km d'Azazga.
6- Extermination inopinée de tous les hommes Ait Kaci. D'où l'anathème consacré : Ak-k-yarz
Rebbi taruzi n At Qasi (Puisse Dieu te briser définitivement comme les Ait Kaci).
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20 Tous les Ait Qasi 20 D at ubeckid d utayan


Maniaient le fusil et le yatagan At Qasi akken llan
Hélas l'opulence fait perdre la tête 1
Amer Hawant ur tessexwraf
Ils avaient terres et esclaves Ssan tiggmi ssan aklan
S'habillaient de soie D lebrir ay lsan
Mais la puissance devient tyrannie MaEna ggehd isencaf
Quand le destin se renversa
Leur domaine ne fut que ruines Asmi d lweEd yennebran
A coup sûr Dieu se venge Qqwlen d ixerban
Ziy tin r-Rebbi teftataf
21 Qui veut reconnaître Dieu
Regarde ce qui advint aux Ait Qasi 21 W ibyan ad iwebed Rebbi
N u l ne pouvait jauger leur puissance Iwebd-it g At Qasi
Qui pouvait les contrarier leur désobéir Ur yefhim bed amek llan
Dans leur pays sis entre deux collines
Ttfen-t i tizi almi {-tizi
Ils s'y étaient imposés par la poudre
Hed war ten ijEasi
Lorsque la fêlure entama leur pouvoir
S lbarud i \ id-bellan
Ils descendirent de leurs montures
D'eux il ne reste que les esclaves Asmi ten id-ibda yyisi
D rrekba t-trusi
Degsen gwran-d al' aklan 1

1- Qqaren : asmi isenger Urumi irgazen n At Qasi, rtiqal ad seddun ul t-tulawin.Almi


weqmen asent yiwen ccart ara tent imeneen :Inna yassent : « Atesiyemt times fihel isyaren ma
tebyamt ak-kwent-nqil »
Tekkrer yiwet g tlawin n At qasi terza acbayli n zzit d aqdim, tewqem iceqfan al-laknun,
tessay times mebla isyaren. Irgazen mmuten, tìlawin mezruryent, Aklan qqimen ggwemdiq
1- Vers devenu proverbial dans la tradition kabyle. - Degui d-derza yiwen t-twellit n At Qasi yinwas, yuzel yiwen wegrud bbwaklan imawlan is, ifrab
« Tawant tessexwôaf, oœhd isexsaô lehduô. » imi t-yesqel : « Eemti, eemti ! »
2- Les terres des Ait Kaci (ou contrôlées par eux) s'étendaient de la colline d'Akfadou à celle de Taf ed megren imawlan is, tru almi dya tenna yas ggw sefru t-tfuk : « [ . . . ]
l'actuelle Thénia, ex Ménerville, en Kabyle : Tizi n At Eicha. Taqayemt 1-lejwad tenger
Une version de ce poème est rapportée par M.Mammeri dans Inna yas Ccix Mubend p.54. Ma d aklan Mrebba s eemti

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22 Maudit soit ce jour-là 22 Awar yerbah wass-enni


Où on nous a exilés du pays 1
Deg i d-nenfa nekwni
Et passés par le chas d'une aiguille Nsedda g tit t-tsegnit
Nous avons fui l'hécatombe G berdebbix i nekker i wnejli
Traversé pieds nus les forêts Nemmey tizegwa bafi
Les bébés mêmes hurlaient dans les berceaux D ssebyan deg ddub yetijit
Le cheikh fut pendu tel un mouton à l'étal Ccix i|uEelleq am ikerri
Le sang suintant de tout son corps Yeftuddum ineggi
O saints du pays secourez-nous Annay a ssadaj lyit

23 Je jure par Tifrit 3


23 Ma gguley abaq Tifrit
Que le désastre nous rend visite A r derza twayit
De chaque colline monte un flambeau K u l tiyilt s ubeggagu
On a mélangé du blé avec de l'huile Xellen yirden d zzit
Le jour est devenu nuit Yeqqwel wass Hameddit
Tous les murs du village en tremblent K u l aywrab yejengugu
Nulle épreuve n'égale celle-ci D wa kan ay d ftemrit
Elle anéantit le monde Yefhuddun ddunit
Comment le dire avec les mots Neewaq amek ara d-nessefru
Les fils de la France arrivent tels les flots Tesra-d dderya t-Trumit
Soldats entraînés LEesker yesberfit
Comme une hydre qui rampe vers nous A m lafEa i d-yethuffu
Nos hommes jeunes se défendent à l'arme blanche Fyen yecbaben s tjenwit
Nous avons épuisé la poudre Lbarud nfuk-it
C'est alors que se manifeste l'atrocité Leqhar la d-yetriulfu

1- Manque un vers.
2- Les campagnes de la conquête aboutissaient immanquablement à des razzias, des massacres,
des villages et des vergers brûlés, rasés.
3- Tifrit : il s'agit ici de Tifrit At Oumalek dans la tribu des Ait Idjar ou de Tifrit n At Lhadj
d'Ibehriyen.

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Des Ichariden jusqua'à Timezrit


1 2
G Canden almi t-Jimezrit
Nous endurons toutes ces affres NeCCa akw ti??it
Des Ait Ghobri à Akfadou 3 4
G At Twebp ar Akfadu
Humanité quel destin t'est échu
Ay turid a Llah af txelqit
Mon Dieu anéantis cette génération
Ttarb agi snegr-it
Pour recréer un monde autre
Eiwed-as iddeny' asnulfu
Le nôtre doit disparaître
Fais pleuvoir sur lui feu et soufre Gweffer ay-d s tmes Hkwebrit
1

N'est-il pas déjà défectueux Yuklal snegr it


Ce monde est épris du mesquin Atan yagi d amepzu
Qui le peut dévore son prochain Lqum yeyran tihuddit
Celui-ci est la grive et celui-là l'épervier
Wi yewEan wayed yeCC-it
Wa Hasiwant wa d amergu
24 J'ai échoué au cœur de cette montagne
24 Aqli yin deg-gwdrar webdi
Fugitif
Dbiy d imenfi
Chacal au creux d'un bosquet de chênes zen
Am-muccen deg-gwexwnaq n zzan
Depuis tant d'années voué à l'errance
On m'appelle le hors-la-loi Ggedac n ssn' ay agi nek d acali
Tel est le verdict des autorités 6
Semman i y i awetri
Maintenant la poudre devient très rare Cerneen i Kumisar d berzidan
La nourriture aussi
Tura lbarud igezm ussisi
Mes jambes ne me portent plus
Tagwela dya madi
Mon âme chérie va s'éteignant
Ma grey ifadden iw ulwan
A l'approche de l'hiver
Bientôt je serai la proie des percnoptères Tarwibt Ezizen fani
Hedru-d lyali
A m ass' a-yi-gezren yesyan

1- Ichariden : village des Alt Irathen (ex. Fort National) qui donne son nom à la célèbre épopée de
1871 car elle y eut lieu. (La Bataille d'Ichariden).
2- Timezrit : petit village sur les collines qui surplombent l'oued Sahel, au sud-ouest de Bejaïa.
3- Aït Ghobri : regroupant, jadis, tous les villages allant d'Azazga aux Ait Idjar : Ait Bouadda,
Ifigha, Aïsaad, Awrir, Tabourt, Achallem, Cheurfa,...
4- Col au-dessus de la vallée du Haut Sébaou, au point de jonction de la Haute et de la Basse
Kabylie.
5- Ces deux poèmes seraient composés par un bandit d'honneur de la tribu des Aït Ghobri :
Arezki lbachir ou Amar oumarâi. 1- Amyag agi « ggwffer » yuqa ; yeggwra-dyisem : « ageffur.»
6- Version kabyle : « Le commissaire et le président du tribunal... »

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25 Mes mains chéries je vous tends 1


25 Afus ezizen nweddef i t 1

Aux chaînes qui ligotent mes poignets Ssnesla turez it


Que de chassepots m'encerclent Ay din d guhreddar iy' idewren
J'arrive à Tamda vers le crépuscule
Af lmeyreb ay bbwdey Tamda
J'appréhende mon sort et en appelle à Dieu
Ar R.ebbi nnujja
Saints des mers j'invoque votre intercession
Naeret a ssellab Ibabriyen
Certes mes biens sont innombrables
Peu me chaut d'en être dépossédé Ay seiy degm a ttrika
Seule m'est amère la joie des ennemis Ur i y i tyad ara
Tagi d nnif af yeedawen

1- Poème attribué à SaTd Ouabdoun du village agraraj


2- Tamda : Village à proximité de Fréha, à quelques 23km d'Azazga.
1- Asefru yagi qqaren n sEid Ueebdun.

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La Révolte de 1871. Tajrirtaf 1871

1 Je prélude par toi ô Prophète 1 Ad selliy fellak a nnbi


Faites de même vous tous qui m'écoutez Sellit a medden akw fellas
O Toi Mohammed notre racheteur Ay ucfiE a Mubemmed
Et toi qui distingues le jour de la nuit D kra y farzen id yef ass
Donne-nous un peu de ton éclat Fk-ay kra di nnur-ik
Ote de mon coeur la jalousie Teksed deg-ul-iw nnbas

7 Grands et petits t'invoquent 7 Me?zi meqqwer la yda£ £u


Puisse leur vœu s'exaucer AHawed tyerz' ar tilas
La Prusse ayant vaincu la France Lebrus yerzan Fransa
A réveillé notre courage Yessakwi-d degney tissas
Tous les Kabyles se sont soulevés Kkren Leqwbayel t-tirni
Les adolescents emboîtent le pas aux adultes Yedda webbayri d uterras

13 Ils ont hissé un étendard couleur or 13 Refden ssengeq d imiwriy


Et réuni dix mille hommes Eecr' alaf i-geddan fellas
Hadj Mohand Ait Mokrane 1 Lbadj Mubend At Meqqwran
Et Cheikh Aheddad tel un lion Ccix Aheddad am yilas
Ont gagné à la cause tous les riches Sxedmen kra yellan d assa£i
Sans compter l'affamé et l'indigent Xellik imelli? d umardas

19 Tu es secouée confrérie des Rahmania 2 19 Tengedwaled a Tarebmanit


Du pays va-t-on ébranler tes fondations I tmurt ad hudden isullas
Le peuple s'est jeté dans la bataille Teyli ttayf ar ttrad
Qui n'est pas tué est mutilé W ur nemmut t£ab ssura-s
L'errance a duré des mois Geddac n echar d amendar
Les maisons sont rasées Tizeywa hrurint f Isas

1- Mieux connu sous le nom d'El Mokrani.


Déchu, par la stricte loi de la conquête, après le caïd Bouman des Ait Azeddine et le chef Bou
Akhhwaz des Ait Achour de la Kabylie orientale (1861).
2- La confrérie dont l'un des lieutenants était Cheikh Mohand. Elle a joué un rôle prépondérant
Jans le soulèvement de 1871.

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25 De Seddouk jusqu'à la plaine de Boudouaou 25 G Seduq ar Agwni n Budwaw


L'envahisseur a divisé la terre en empans Bezzan akal mena {-{urdas
Juché sur le courroux Siriz irkeb af lywec
Cerez défigure celui qu'il n'a pas pendu W'ur isegger iEeddem ssifa-s
Il a fait jouer du tambour dans les mosquées Yewwet ttembur g lemqam
Ses soldats y ont dansé et chanté à qui mieux mieux Cedben degs kul wa s cna-s

31 Las Ben Abderrahmane le doyen 31 Annay a BenEebderrahman amyar


Ton Mausolée s'est envolé en poussière Taqubet-ik tembetras
Des montagnes se lèvent des volutes de fumée Af-fedrar tulbabed ay abbu
En plein jour la nuit a fondu sur nous Deg-gwzal teylid-ed a tellas
Noble on t'a humilié Teqqwled a lgid i wendelli
Par la conquête chrétienne G lembella e Bnu-Maydas

37 Ce n'est pas à tort que tu prends deuil long fusil 37 Tebzend a guhreddar cenna
Tu ne veillais que sur des ruines Yarre? kra ma tijarzed fellas
Qui n'est pas mort est muet tel un percnoptère 3
W ur nemmut ikwbel am yesyi
De rire on ne verra plus ses dents Ma mazal a d-dehrent tuymas
Plus de provende pour son monde TeqdaE tgwella i lEebd-is
Tous ont perdu leur maison et leurs biens Menwala yusar axxam d ttrika-s

43 Le pouvoir a redoublé de férocité 43 Lebkwem izegged lew E ara


Les gens sont hantés par l'angoisse Issay i medden lweswas
Vers nous il envoie l'usurier Sliy yuzned assansur
On a battu le tambour pour lire son avis Wten ttar ad-d-yren legrida-s
Il dit inscrire le nombre de nos brebis La yeqqar ad yessers ulli
Alors que sur un chien nous avons payé l'impôt Nekwni aqjun nefka fellas

1- Ex Aima, à quelques kilomètres au nord-est d'Alger.


2- Cerez, l'un des officiers français chargés de mater l'insurrection de la Kabylie du Djurdjura.
3- La tradition dit que le percnoptère est devenu muet par serment, depuis qu'il a assisté,
impuissant, à une injustice. Voir la Légende des oiseaux.In M.Mammeri Poèmes kabyles anciens.op-
cit.
Cet oiseau est fort présent dans les proverbes et les citations kabyles.
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49 L'huissier n'est que pour appliquer l'injustice 49 Llussi yestufa-d i lgur


Il a été frapper à toutes les portes Kul wa yebbwd-it al-bara-s
Il fait payer sans commentaire Ifxellis fuken lehdur
Aussi bien les riches que les pauvres A m usaEi am umaflas
Il s'en va ajouter de l'eau à la mer 1
La yrennu aman i lebbur
Seul Dieu peut briser son élan A l a Rebbi ma yeydem tara-s

55 Même Cheikh Mohand-ou-Elhocine 55 Ula d Ccix Mubend w Djusin


A payé pour T a k a les frais de guerre imposés
2
Af Taqa iqeddem aqerdas
Saints réunis des Ait Boutetchour 3
A ssadat, n At ButeCcur
Vous tous Anges gardiens A kra yellan d aeessas
De grâce Azrou n Thor Txilek ay Azru n Thur
Et Kaâba entourée d'arcades A Lkesba mi zzin leqwas

60 A ceux qui ont le cœur plein de cruauté 60 I yat wul d aqebbad


Rendez-la leur au centuple 4
Rret-asen aEwin d amessas
Ils partiront tels des étourneaux Ad ruhen am zarzur
Laissant derrière leurs traces A{eqqim ala lgerra-s
Peut-être ainsi les choses s'éclairciront-elles pour nous Wissen ad-ay-d-ferzen lumur
Nous distinguerons le bon grain de l'ivraie Ajbin tirect d ukwerfa-s

1- On prélève les impôts pour enrichir davantage le pouvoir français.


2- Petit village des Ait Yahia.
3- Village maraboutique.
4- 11 est d'usage, en Kabylie, de rendre plus qu'on a emprunté.

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66 Le sang a coulé à torrents 66 Ifegged yidim d acercur


D'aucuns ont vu partir tous leurs enfants AbEad ur yeggi bed i tarwa-s
D'autres ont été proscrits W i y i d nfan-ten ar tmura
Combien de cœurs saignent encore Acbal bbwin mi tejrab tasa-s
Je t'implore Oudris le Noble 1
NEar a Wedris abrur
Nous sommes en très mauvaise posture Aqlay yef tizi t-tibbwas 1

Au Sahara les voilà cassant la pierre au marteau 2


G Sebra îru??un azemzi s yefdas 2

Au dessus de leur tête le soleil est suspendu à un empan... Itij iEelleq t-turdas...

1- Saint tutélaire des Illoulen Oumalou.


2- Il s'agit des déportés, condamnés aux travaux forcés.
3- La rime du texte originale montre bien qu'il manque des vers. 1 - Af tizi 1-leedem
2-Xusen yefyar i tagara-zret tamsadit.

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1 Béni sois-tu Prophète 1 Ad selliy fellak a nnbi


Au nom suave comme ambre et musc Isem-ik am lEembar d ssxab
De toi se dégage une lumière éclatante A bu rvnur yeîîeflalla
Qui des coeurs chasse l'angoisse Tekksed deg-gul rrebrab
Assiste au Jugement dernier Wanes i tagwnh; n sswal
Lorsque nous serons captifs des pierres tombales Asm' ar' ay yebbes weywrab

7 Avec mesure j ' entame mon poème 1


7 Taqsit a t.-bduy s lqis
Prêtez oreille jeunes et vieux Recdey-kwen ay amyar d ccbab
Las le palais du lynx Amallah ay anfa ggiffïs
Démolie est la demeure des Mokrani 2
Axxam n At Meqwran irab
La campagne du général Cerez bat son plein 3
Yeffy-ed jninar Siris
Tuant d'innombrables personnes Yedrari lmegget werlabsab

13 Entre lui et nous un mur 13 Nekwni y ides nemzerrab


Triste est l'histoire D aberkan ttarix-is
Azeffoun naguère redoutable Azeffun yellan muhab
Vit les mécréants fouler sa terre Rekden lkweffar akal-is
Au tyran ils firent ériger une église Bnan leknisa i wrehhab
Avec un clocher Rman aceqlal daxel-is

1- Le détenteur de cette pièce historique dit avoir oublié une trentaine de vers parmi ceux de la fin
qu'il n'est pas sûr d'avoir dit dans l'ordre initial.
2- Famille de la Petite Kabylie (Seddouk) appartenant à l'aristrocratie des djouad d'avant
l'insurrection de 1871. Le plus connu de cette famille fut Hadj Mohand El Mokrani.
3- Probablement un missionnaire.

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19 A chaque heure le tintamarre 19 S nnaqus la y estetyab


Des Ardèches il fit venir les siens
1
Y Lardic i d-ijemE lqum-is
On ferma la porte des mosquées LgamaE yeqqwel-as lbab
Dès lors saignait le cœur des croyants Lmumen yejrab wul-is
Que d'affres n'avions-nous pas vues Atas ay nezra g leEtab
Cela est incommensurable Ur s yufi bed leqyas-is

25 En montagne quand nous les combattions 25 Deg-gwedrer mi t id-netharab


Affamés et les pieds meurtris par les pierres et le givre Tiderrit la? agwris
Si jeune qu'on fût on devenait chenu W'illan d ame??yan icab
L'épreuve s'en allait croissante Ccedda tetzid ur tenqis
Dans le plat pays régnait l'épouvante G lewda isemy rrebrab 1

En leur temps les Pharaons étaient plus cléments Yugar FarEun g lweqt-is

31 Quiconque vit son corps dépérir 31 Menwala ssura-s trab


Et ses os à fleur de peau Ufraren d ula d iysan-is
Ils nous cernèrent telles des hordes de chiens Zzeyren fellay am leklab
Dieu a vu son peuple R\ebbi ywala-d lqum-is
Morts étaient parents et amis Mmuten imawlan d lebbab
Après eux mieux vaut trépasser aussi W i n yernan i d lemgaz is

37 Plus d'un était mutilé mort dans la vie 37 WinrrzanuryesEi libab


Ils voulaient en finir Yemmut yefraju lmut-is
Désormais ils comptaient avec les fous Yedba-d gr imeslab
Pieds ligotés au fil de fer S ilezwi icudden idarren-is
Ayant perdu toute raison LaEqel-is irub iyab
Seul le Paradis comptait A-lgennet i-gezr' amdiq-is

43 Las les temps sont bouleversés 43 Amalah lweqt yenneqlab


On a battu le lion dans son antre Yejwet yizem s asgwen-is
Mais la revanche de Dieu est implacable : R.ebbi yewEar yetsaqqab
Qui n'est pas monté sans en descendre Wlac w'irekben ur iris
Plus tard l'ennemi se demandera Ad yuyal ad yessebsab
Comment de ce pays ou l'aura extirpé Anida d-iqelE u?ar-is

1-Ney« gwewda y ugwar rrebrab »


1 - Pour réussir sa politique de peuplement de la Kabylie, la France avait fait venir ses colons de l'Ardèche. Awada= lbeb ameqwran.

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44 Si Cheikh Mohand est agité 1


44 D ccix Mubend ma yebcar 1

O Khouan ôtez-vous de son chemin


2
A lexwan biedet fellas
Il ira par les forêts pieds nus Ad yemmay tizegwa bafi
Rugissant comme un tigre Ad iftedd' inedder am-yilas
A sa main un chapelet D ftesbib deg-gwfus ines
Dont il égrène les perles avec dextérité Icarrew it bbal rryac
Il a une aura de saint Ccix f i-teddid a nnur
Dont il oint même des enfants A lyut isebbayn arrac

45 Quand le muezzin lance son appel 45 Mi sliy s ftadin yuli


M o n être sursaute tant qu'il peut Imir ul yebd' afriwes :
La prière de l'aube n'est point aisée Tazallit n çsbab tewEar
Quand le givre entame la chair comme des ciseaux Agwris igezzem am lemqes
C'est alors que Satan me berce dans la torpeur D ccitan yezuzun i y i
Et rend le sommeil doux Imir iezi?ed ay ides
Il m'indique le chemin du leurre Imlay' abrid al-flani
Tout tapissé de braises rouges Yessan {-tírgin t-tmes
Ah avoir des ailes comme un oiseau A w ' isean lejnab n ttir
Et foncer vers Cheikh Mohand Ar Ccix Mubend iyewwes
J'élis ton giron ô saint X i r irebbi 1-lewli
Qui prêche la bonne parole Ifettu awal d imwennes 2

1- Il existe une variante de ce poème composé seulement de six vers : Ney


Si Cheikh Mohand est agité Et toute parole de lui est sibylline 1 - D ccix Mubnd ma yebcar Awal is t-tarebbanit
Vous ses adeptes écartez-vous de lui La destinée est irréversible et ponctuelle Axuni yerfed tirib.it Mi yenna semddi uraw
Alors il rugit comme un lion Chacun de nous a la sienne prescrite Ad itfeddu inedder am yilas Yeqqar tira g tbadnit
2- Khouan : adeptes d'une confrérie, ici il s'agit de ceux de la Rahmania. 2- Ayendin isefra {dekkiren (lexwan {-{xuniyin) ass-a bbwussan d Ccix Mubend I ten-yennan.

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46 Le salut de Dieu soit sur vous 46 Sslat n Llah fellawen


Vous ermites qui habitez les falaises Ay at t-txelwit izdyen lkef
Poitrine nue vous affrontez le vent glacial Tefkam idmaren i ssarsar
Comme les sangliers vous mangez des glands TeCcam abellud ggilef
Si ma vie s'est usée Ma di tebfa temgart-inu
Aiguisez-la avec une meule 1
Tesmesdem-t ar uyaref
Bien des méchants me haïssent Aî.ezwirem ggwemcum-iw
Vous seuls pouvez les frapper comme serpent à la tête Tesmesdem-î am-zrem s ixef
Je vous implore hommes de Dieu TanaErit ay at Rebbi
Puissé-je vivre encore quand ils seront punis As-nebdar ad inettef

47 O Cheikh Mohand de Taqa 47 A ccix Mubend t-Taqa


Qui dénoue les liens Iferrun lweqEa
Et comprend la langue des faucons Ifehhem i lbizan ledyur
Quatre-vingt-dix-neuf saints t'ont élevé
Rebban-t tesea-w-tesein d-lawliya 1

Tes paroles sont bénies


Awal is yerqa
N u l ne peut atteindre ton apogée
Lmarqed is bed war t-yeCCur
Avoir du cœur est un devoir disais-tu
Même si la constance est douleur Tennid s£ut ul ta d lmuna
Personne ne peut dire qu'il en a fini avec les soucis Ulama ssbar d lqarija
Ur yefri bed hban-t lummur
Je t'implore toi et tous les tiens
Tamgout et Yemma Gouraya
Trey-k rniy akw ddakira
Que les choses pour moi s'éclaircissent
Tamgut yemma Guraya
En mon âme une fourmilière Wa Eia Llah a-y farzen lewEur
Qui va et vient
Une hache taillade mon cœur Ixf iw degs taburga
Teftawi tejara
Deg-gwul ixeddem ucaqqur

1- « La meul des miracles », dit-on (ayaref n ftewhid). 1- Qqaren: ccix Muhend ieedda-d af 99 d lawliya, wis miyya d netta-tfuk t sartut deffires

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48 Je t'implore Dieu bien-aimé 48 Ahya-k a Rebbi amaszuz


Je me prosterne et fais appel à toi Lueey-k s wannuz
A présent l'abcès s'attaque à l'os Mi tuza tfid' ar iyes
Untel se gave d'une nourriture nouvelle : le riz Abe ad yenulfa y as id rruz
Son esprit ignore les tracas toujours accrus Yartab yixf is i ddruz
De l'argent il en a même pour voyager Lmesruf yessagwer i wbewwes
Quant à moi de grands soucis me dévorent MaCC' am nek yeCCa ttabuz
De plus je reçois des coups de maillet Tiyita s wezduz
Au cœur de l'hiver nulle part où me coucher Ggul t-tegrest ul' anida nettes

Je vais vous dire un poème


Sur l'affaire d'Ouchabou Ad awen d-awiy asefru
Qui l'entendra aura mal à la tête Tadyant Ucabu 1

W it yeslan ad yaden ixf is


Pendant sept ans il a puisé dans mes ressources
En vain il est insatiable Sbae ssnin dg'ay-getbuccu
Le félon mangeur de ses amis Yeggum' ad yarwu
Isbele akw ibbiben is
O toi mon Dieu qui octroie rires et pleurs
Maître du soleil et du brouillard Akra yessedsayen yesru
Que ta hache fende sa personne A bab ggitij d wagu
Taqabact atqeddar lEemr is

l-Ouchabou était l'ami ingrat et opportuniste du poète qu'il finit par déletser quasiment de tout
son argent. Le poète serait Smaïl Azikiou

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49 V o i c i mon coeur anxieux 49 Ata wul yesnexsis


Je l'ai trouvé dans la chambre endormi Mi t-ufiy g texxam igen
Avec quoi allais-je le couvrir S wac' ar'at-t-in dley
Avec une mantille ornée de lunes S tmebremt m-agguren
Vers moi il a tendu sa main Yefka-d afus-is yuri
Et a éclaté en sanglots Yeftardaq d imettawen
Bien-aimée je dois m'en aller A taezizt nek ad rubey
Cherche-toi quelque compagnie Awi-d w' ara kem iwansen

50 J'ai le coeur lourd tel un galet 50 Ata wul yeg'azemzi


Quand dans la pièce je l'ai trouvé assoupi Mi t-ufiy g texxamt yeftes
Avec quoi allais-je le couvrir S wac' ar' at-t-in dley
Avec une mantille de crêpe brodée S tmebremt n ffrandawes
Il a tendu sa main vers moi Yefka-d afus is yuri
Et de tout son corps a tressailli D ssura s akw tefrawes
Ma bien-aimée mon devoir est de partir A taezizt nek ad rubey
Que ta mère te tienne compagnie A w i - d yemma-m a kem-twanes

60 Le j ouvenceau s ' apprêtait à partir 60 Ikker weqcic ad irub


Il ajustait ses habits Ar ye{qee eid talaba
Mes mains lui préparaient un viatique Ifassen iw fteggwen as aewin
Mes yeux ruisselaient comme des fontaines I?ri-w yefka-d tiliwa
Reste en paix ma bien-aimée Qqim a wetma besslama
La France a meilleure chance que toi Tif-ikem zzakr Franca
Quand j'aurai perdu et l'oeil et la dent Asmi ara rnuy ugel yar tit
Tu prendras bien une nouvelle épouse Imir ad-d-ternu takna

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61 L'éphèbe est sur le point d'émigrer 61 Ikker weqcic ad yinig


Il baisse la tête et passe sous le linteau Ikna g leetba t-tebbwurt
Il m'a dit donne-moi ta main Yenna-k : Awi-d afus im
O toi à la chevelure longue et soyeuse A timkwebbwel t-temzurt
Puisque nous partageons la même infortune Mi nembuk tiwenziwin
Dieu nous sépare avant la mort Ifarq ay Rebb' ur nemmut
Il m'a dit du regard fais-moi les adieux Inna-k : Wad£ i y i d s tmuyli
Je crains de manquer le train Tamacint amer ad-iyi-tfut
Jeune garçon va sans te presser Rub ay aqcic s leeqlik
Il y a bien une autre que celle-là Afteddud i tneggarut
L'obscurité du nord me guette Nek fteduy ar uderbuz
Toi au moins tu jouiras du printemps Kern meqqar ajeddred tafsut

62 Pour me distraire j ' a i mené paître un agneau 62 Ksiy izimer ad dhuy


Sur mes joues coulent des larmes chaudes Imettawen af tewjayt bman
Il est parti par un temps de neige humide Irub deg-gwass bbwurkis
Maintenant l'année est en fleurs Tura yeëguggeg umagraman
J'ai juré de ne plus porter le pagne de laine neuf Nugi lbaf ajdid t-tadut
En dépit de ce froid qui gèle les eaux I tegrest eeqren waman
J'ai grandement pitié de lui Iyad-i weqcic d abbayri
Ce jouvenceau joyeux drille D azehwani d acerhan
Mon cœur broie du noir U l iw ye??ad tiberkanin
Pour lui qui a fêté l'Aïd chez les Allemands YeCCa L s i d al-Lalman

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1 J'ai vu le percnoptère mangeur de boyaux 1

Chercher sa nourriture dans des tas de fumier


Et critiquer de surcroît le noble faucon
Le Souillé à la gandourah crasseuse
A sous-estimé le venin de ses propos
Quant à moi j'en ai jaugé toute la portée
DIVERS Ses beaux parents aiment chercher noises
Avec eux ne partage-t-il pas toutes les zizanies
P O È M E S ATTRIBUES A M A L O U S
Ignorant le code kabyle
DIT SI ALI OU SMAÏL DE HENDOU Alger pourquoi acceptes-tu de nourrir les chiens
et respectes-tu
A r e z k i moustache de renard
3

Condamné à vivre de pêche


A vider les poissons
Sous les ordres d'un Maltais
Je t-invoque lion des chênes zen
Les mouches nous tiennent tête
Et les sauterelles aussi 4

Un beau jour, Malous trouva des enfants qui regardaient dans


une mare. Sans savoir quelle mouche l'avait piqué, il y sauta sans
même avoir ôté sa gandourah. Et c'est ainsi qu'il faillit se noyer si
ce n'était la présence d'un berger que les enfants avaient appelé à
son secours. Tiré d'affaire, le poète dit ces vers :

1- Quelqu'un qui l'invectivait, le poète répliqua par ces vers.


2- Le détracteur du poète, Arezki, travaillait à Alger au compte d'un poissonnier maltais.
3- Arezki était du village du poète, l'on dit même qu'il s'agissait de son cousin.
4- Tous ceux, implicitement, avaient comploté contre lui.

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1 Ufiy isyi bu yzerman 2 Une fois dans ma vie j ' a i voulu connaître la mare
Ikessen g-dumman Je l'ai crue digne d confiance
Ikkat g Ibaz aburri Alors qu'elle avale les gens
J'aurais dû m'y rendre pour me laver
Ucmit bu tebruEt yerkan L'eau était fraîche
Yenwa d awal kan Même mes jambes en seraient guéries
Nek eelmey lexwbar yuri Tant pis pour ma raison retorse
Idewlan is d at wurfan Qui m'a donné des coups bas
D ccwal ay bdan Désormais plus personne pour t'aider
Taqwbaylit din ur telli
A k l i ou A l i devait marier son fils. La fête battant son plein, i l se
£?ayer i-d-yîrebbin idan souvint que Malous n'avait pas été invité. Il alla le trouver et crut
Is yeggan ccan ainsi réparer la faute. Seulement Malous fut oublié, il n'avait ni
I Wrezqi clayem izirdi mangé ni bu, et dehors il faisait un temps de chien...
Teqqwel-as temeict ar waman Ainsi le poète fut-il amèrement inspiré et s'exclama ainsi sur
Ige??ar iselman la place publique :
Icrek ssuq d Umalti
3 Iblis a donné fête
Tnaerred a ssba£ n zzan Par un temps de chien
Eus§an ay yizan De toutes parts il pleut des trombes
Ula d aw?i? yeftikki
A k l i ou A l i et son fils
Impies
Tous deux bons à nourrir la géhenne
Ne m'a-t-il pas convié en personne
Sa main tremblante
Ne peut se détendre 1

1- Isyi d yirttir, akken qqaren [isyi buyduman, bu tjujar, bu tlefdatin, bu ymurdusen ...]. 1 - Il était avare.

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2 Yiwen was i qqesdey tamda Que son champs soit emporté par un éboulement
Nwiy d lmayda Que pas même le trèfle n'y pousse plus
Ziy neftat tse# medden Quant au blé n'en parlons pas
Lukan di enniy tarda Qu'un fléau vienne décimer ses troupeaux
Telha lebruda Qu'il n'en reste pas une toison
Hellun ula d ifadden Et que la calamité survienne au cœur de l'hiver
Ccah a rray bu tlufa Je souhaite l'opprobre à toute sa famille
TeCcid tiyita Qu'il ternisse même la mariée
Ulac w'ara-k-ibudden Qu'ils soient humiliés aux yeux du monde

4 La bécasse a donné fête


A k l i ou Chaboub 1

A fait noce sur terre qu'on lui a prêtée


Ane qui se distrait à croquer des caroubes
Porte des amulettes
Et se prend pour le plus ancien du pays
Hélas ! l'affreuse face se fait valoir
3 Tamayra yewqem yeblis En dépit des péchés suspendus à son cou
Deg yum nnabis Comme un chien affamé
Lehwa tuy-ed kul tama
Les Ecrits ne l'ont-ils pas clairement dit :
A k l i - w - A e l i akw d mmis Un infidèle à l'islam ne peut devenir pieux
Ay at ddin unqis Les portes de la religion lui sont fermées.
Asyar n ggahenama
Izux-ay-id s yimi-s
Yeftergigi ufus-is
Ay-t-i-d yefk igumma

1- Surnom de Akli-ou-Ali, paraît-il.


2- Ce dernier était métayer chez un certain Ouali.
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Buddey ssix i lmelk-is Ali-ou-Smaïl, poète de son état était un indigent. Pour couvrir
Ur iftemyay degs yifis la cabane qu'il venait de finir, il alla voir un certain Mohand, riche
Ur trebbah degs nneEma paysan de son douar, pour lui demander le chaume qu'il allait brûler
Buddey alman i lmal-is après la moisson de son blé. Mohand lui dit de venir le chercher le
Ur yetyima yilis mardi. Mais le poète n'était pas parti, qu'une femme vint solliciter
As-rrimten akw di cctwa Mohand pour le même chaume, et lui demanda de transporter illico.
Le mardi arrivé, Ali-ou-Smaïl trouva le champ tout nettoyé. Il
Buddey lear i wexxam-is chercha à savoir puis il se révolta :
A m neft'am teslit-is
Ad nefdaben ger llurnrna 5 Si Moh face de souillure
Je t'ai demandé un peu de chaume
Et tu m'as dit : « Reviens mardi »
4 Tamyra yewqem weybub
A k l i w Cabbub L'hypocrite l'a donné à sa maîtresse
Yerna i tmazirt bw Wa£li Peut-être a-t-il été séduit
Au point de sous-estimer ma barbe
Ayyul %e?zen axerrub
eeleqn-as lebjub Je lui souhaite que des filles
Yerr'iman-is d anesli Et des abcès au corps :
Aux moustaches de rat
Taxenfuct icengger mebsub
Ar yeftawi ddnub
Am-qjun mi yeEraq imensi Si Moh visage de calamité
Fève chétive qui pousse dans la rocaille
Akk'ay t-ufiy g Uauub Pleine de pucerons
Uday ur itub
Tasyart-is g ddin teyli Jambes osseuses comme des chardons
Stature de clou
Passe encore si c'était un homme élégant
Depuis toujours il est un vieux cauteleux
Il humilie notre douar
Mais Dieu finira par le coincer

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L ' o n dit que Malous avait une petite jarre d'argile non cuite,
dans laquelle il conservait des figues sèches.
Un jour, ayant plongé sa main dans la jarre, il la trouva vide :
une souris les avait toutes mangées pendant l'hiver.
Malous la piégea...

6 J'ai piégé une souris et je l'ai coincée


Tout ce qu'elle avait mangé
5 Si Muh ay udem bbwefras Elle me l'a payé vite et cher
Delbey-t ggwdellas Les figues que l'ai payées avec mes poèmes
Yenna-yi: A r ass n {lata Pour lesquelles j ' a i longtemps marché
Yefka-t wuday i llal-as Elle les a mangées l'importune
Yedda g leenaya-s
Istehza ggwCcamar-a Tant pis pour toi vilaine créature
Tu as percé ma jarre
Buddey as ftrebga t-tullas Où je déposais les fruits de mon labeur
Atan t-timmas
I tcelyumin uyerda Un piège l'a frappée et meurtrie de ses fers
Un chat l'a happée
Et mangée au bord d'une mare 2

Si Mub ay udem uxessar


Ay ibiw bbwezrar
A win yewwet busettaf Niais, j ' a i fait confiance à une souris
Elle a mangé toutes mes figues
Tiqijjerin ubuneqqar Elle en était donc capable
Lqed umesmar
Amer d win yelhan xaf Je l'ai vue gambader entre les jarres
Inconsciente
Ggwasmi d-yekker d yir myar Un piège attendait de lui couper la tête
Icemmet-ay adewwar
Tin r-Rebbi tettattaf Subtilement elle fut prise au museau
Tout secours était impossible
Tel est le sort de qui ne réfléchit point

2- Le poète allait jeter la petite bête dans une mare.

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6 Nuddi i wyerda nettef-it


Kra ma yeCCa-t ixelles-it
Yerna s leyla deg-giwen wass 1

Tazart i d-helley s tejrirt


Atas i tnuda tgecrirt
Icca-t yemcebbwel yetfumel-as 2

Cah i tamart bbwucmit


Yefla yi takufït
A l a tin ttarrey deg-s iniyman
Tewwet-it teqfet tsebq-it
Amcic icleqf-it
Isgumed-it g temda bbwaman

Riy deg-gwyarda lamman


YeCCa y'iniyman
A ziy yebbwed weqwdie is
Yeîturar ger ikufan
D Rebb'i t yeEm an
Taqaract tudi s ixf-is
Ur yukkw'almi t-tettef g uglan
La ssjbab l'imawlan
Akken i tederru d wur nekyis

Ney:
1- Iyarm-it-id s usennan.
2- Lebhuy {jadaley innan.

250
Achevé d'imprimé sur les presses
de l'Imprimerie Brise-Marine
N°18B.P450 16 111
Bordj El Bahri Alger

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