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DES
COFFRES PUNIQUES
AUX
COFFRES KABYLES
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@CNRS Editions, Paris 1993


ISBN 2-271-0540-5
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DES COFFRES PUNIQUES AUX


COFFRES
KABYLES

MARCEAU GAST
ETYVETTE ASSIÉ

Ouvrage publié avec le concours


du Centre National des Lettres

CNRS EDITIONS
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REMERCIEMENTS

ous tenons à témoigner notre gratitude aux M. Ziriat), nous avons pu obtenir quelques bribes complé-
personnalités qui ont contribué à l'élaboration de mentaires sur l'origine géographique des meubles. Mme
cet ouvrage. Nous remercions en premier lieu Dominique Champault, responsable du département de
le professeur Gabriel Camps, créateur de l'Encyclopédie l'Afrique blanche au musée de l'Homme à Paris, M. Habib
berbère, pour ses interventions judicieuses. Des recherches Ben Younès, directeur du musée du Bardo de Tunis, Mme
documentaires ont été menées parallèlement par Mme Marie-France Vivier, conservateur au musée des Arts afri-
Andrée Gast, bibliothécaire au LAPMO et par Mme Doro- cains et océaniens à Paris et bien d'autres amis nous ont
thée Kleinman qui, pour nous, a passé au crible la littérature permis de compléter notre documentation. M. L. Godon,
allemande. M. Serge de Butler, dessinateur au LAPMO, a ancien directeur du collège technique de Bougâa, nous a
contribué par ses conseils à l'étude des décors. fait part de ses expériences et de son savoir. Nosclichés ont
Notre regretté ami Mouloud Mammeri a permis à l'un été tour à tour traités et agrandis par André Bozom, Musta-
d'entre nous d'effectuer deux missions en Kabylie, alors pha Arrib à Alger, Jean-Luc Lioult, Bernard Lesaing à Aix-
qu'il était directeur du Centre de recherches anthropolo- en-Provence. MM. M. Arrib et A. Boumesbah nous ont
giques, préhistoriques et ethnographiques (CRAPE) adressé les compléments qui nous étaient nécessaires.
d'Alger. Les artisans de Kabylie, les Pères blancs de Tizi- Qu'ils soient tous remerciés.
Ouzou, de Tagmout-Azzouz et d'Akbou, ainsi qu'un certain Enfin, le traitement de nos textes a été assuré sur micro-
nombre de familles comme celles de M. Achour Ogal, ordinateur par MmesClaude Brenier-Estrine et Claude Maître
bijoutier aux Ouadhias et de M. Abdallah Ben Abid à dans le cadre du Laboratoire d'anthropologie et de préhis-
Mawaklane, ont reçu avec cordialité M. Gast durant ces toire des pays de la Méditerranée occidentale (LAPMO,URA
missions. Les employés de la Maison de l'artisanat, les 164 du CNRS).
antiquaires et brocanteurs d'Alger nous ont, le plus sou- Que toutes ces personnes trouvent ici l'expression de
vent, accueilli avec intérêt, et grâce à certains d'entre eux notre gratitude.
(M. Ecrohart, M. Boukhalfa Benamara, M. Messibah, LesAuteurs
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SOMMAIRE

Avant-Propos 7 . Essai de classification des différents types


defaçades 110
1.ARCHÉOLOGIE, HISTOIRE ET PERMANENCE - les façades à un seul panneau 112
DUCOFFRE, par M.Gast - les façades à plusieurs panneaux 114
- les façades à caissons 126
• Coffres et sarcophages dans l'Antiquité 15 - les façades à arcades 129
• Les coffres domestiques utilisés comme - les facades atypiques 134
cercueils, découverts en Tunisie et en . Analogies et différences 138
Algérie 17 - les ikufan 138
• Les reniements de l'Histoire 19 - la céramique 140
. Les décors géométriques et leur filiation 24 - les peintures murales 145
. Décors géométriques, coffrages et stèles de - les tissages et les vanneries 145
bois sur les tombes 25 - «bottes à bijoux» et râteliers de cuillers 146
II. APPROCHETECHNIQUE ET SOCIOLOGIQUE, ' RTDANSLES COFFRES KABYLESET LA
IV.LA
par M.Gast SOCIÉTÉBERBÈRE,par M.Gast
• L'homme et l'arbre en Kabylie 29 . Lesarrière-plans culturels et symboliques 149
• Del'arbre à la planche:l'abattage et la . Laplace du coffre dans la maison kabyle 151
découpe dutronc 32 . Lesparticularismes ornementaux du
• Techniques de débitage dubois et de coffre kabyle 154
construction des meubles 34 . Lacroix bouletée 157
• Techniquesde construction ducoffre kabyle 36 . Lafrise florale 159
• Lesoutils et leurs fonctions 46 . Lerenouveau de la sculpture sur bois 163
• Lesferronneries 58
• Géographie des coffres dûment localisée 62 CONCLUSION 169
III. LEDÉCOR,par Y.Assié . Catalogue descriptifdedeuxcent trente objets
enbois sculpté :coffres, portes, armoires,
. Lexique 67 étagères de bois, planches, parM.Gast. 173
. Analyse graphique des ornements 68 • Glossaire des nomsvernaculaires 244
. Analyse des techniques 98 . Indexdes noms de lieux 245
. Architecture et décor 106 . Bibliographie 247
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Paysage de la
campagne kabyle aux
environs de Khelil,
vallée du Bou-Sellam.
(Petite Kabylie, sept.
1965. Photo M.Gast).
Onremarque les
champs d'oliviers et
defiguiers, les haies
de cactus, les zones
forestières encore
présentes.
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AVANT-PROPOS

oilà unhommequi nedort plus !Il a vu la sculpture sur bois de style géométrique et en
des coffres kabyles!»C'est ainsi qu'un particulier l'art des Berbères de Kabylie et du
médecin algérois me parlait d'un de Maghreb.
ses amis, et de la passion qui saisit Les musées d'Algérie, musée du Bardo à Alger,
tout individu découvrant le monde extraordinaire musée des Antiquités, musée de Constantine,
dans lequel font pénétrer ces meubles étranges, si musée d'Oran, etc., possèdent de beaux spéci-
divers, aux décors géométriques toujours différents mens de coffres de bois sculpté, des pièces le plus
d'une pièce à l'autre. souvent présentées comme exceptionnelles, ali-
Au départ, la seule curiosité m'a poussé à gnées devant de belles tentures, bien cirées, en
prendre quelques photos de ces meubles peu étu- témoignage de l'artisanat traditionnel berbère. Ces
diés. Puis le simple réflexe d'ethnographe finit par coffres ont été achetés par les différents conserva-
devenir une tâche qui s'imposait à moi à travers la teurs, soit à des antiquaires avertis, soit par l'inter-
pression de plus en plus vive de mes amis algé- médiaire d'administrateurs civils qui avaient
riens, des antiquaires avec lesquels je liais connais- convaincu au passage telle personnalité, tel profes-
sance, des amateurs qui venaient me signaler telle seur, de l'intérêt de ces meubles. Quelques esprits
ou telle pièce digne d'intérêt pour la recherche, ou curieux, artistes, intellectuels ou amateurs d'exo-
des responsables chargés de l'équipement des tisme maghrébin, en avaient parfois achetés pour
chaînes d'hôtels dont se dotait l'Algérie. Unréseau meubler leur salon. Cet engouement pour le «style
extraordinaire de relations concernant les coffres berbère »avait même incité, vers 1940, un menui-
kabyles s'était créé spontanément, malgré moi, sier d'Alger, M. Alfonsi, à fabriquer en série des
alors que mon véritable programme de travail salles à manger et des bibliothèques en acajou,
m'obligeait à consacrer la quasi totalité de mon sculptées de décors géométriques et teintées en
temps à d'autres recherches sur le Sahara central. brun foncé. Les écrits français consacrés aux arts
Entre 1961 et 1970, j'ai donc accumulé des notes maghrébins avait signalé les grands coffres de
brèves et plus d'un millier de photos prises à la Kabylie, mais sans que personne ne situe à sa juste
hâte, dans la rue, dans des magasins de stockage mesure la profondeur du phénomène culturel que
ou au hasard de découvertes, et quelquefois chez représentaient ces meubles. Quant aux Algériens,
les derniers possesseurs de ces meubles, dans ils se moquaient de cet art «barbare », de l'énor-
leurs propres maisons, en Kabylie. mité de ces meubles qui ne répondaient plus aux
Letemps qu'il nous a fallu pour le catalogage et usages modernes que satisfaisaient les armoires,
l'étude technique de toutes ces photos, en marge les commodes, les buffets; ces vieux coffres
d'autres programmes et activités, celui de la étaient lourds, volumineux, peu pratiques. Les
conception et de l'exécution des dessins, les familles kabyles elles-mêmes ne laissaient-elles
longues recherches et analyses comparatives dans pas souvent ces objets encombrants dehors, au
la littérature et sur le terrain (URSS, Angleterre, soleil et à la pluie, dans les poulaillers, les cours,
Espagne, Portugal, Pays scandinaves, Pays servant à la fois de mangeoire, de nichoir, de
basque, Queyras, Suisse, val d'Aoste, Italie) ont débarras, de caisse à ordures?
démesurément reculé le moment de cette publica- En 1960, les services de l'artisanat, à Alger, se
tion attendue par beaucoup. voyant dotés de crédits plus substantiels, décidè-
C'est donc le bilan de cette aventure que nous rent de nommer un nouveau directeur à la tête de
livrons en partie ici, en espérant que ce livre sus- la Maison de l'artisanat. On fit appel à un Parisien
cite d'autres études plus systématiques concernant qui avait le sens du marketing mais aussi une
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grande culture, et qui accepta de tenter une très vite et l'on assiste alors, à partir de 1962, à une
expérience originale dans ce domaine en Algérie. véritable ruée sur les coffres kabyles.
M.Robert Lévi fut nommé directeur de la Maison En 1963/1964, Robert Lévi a déjà quitté la Mai-
de l'artisanat, avec mission d'en refondre les son de l'artisanat, mais dix à quinze marchands
services administratifs et commerciaux pour en vendent aussi des coffres kabyles et des objets
faire un organisme chargé de la collecte des d'antiquité. Alors que la Maison de l'artisanat n'a
objets produits par l'artisanat populaire algérien, pas su garder son réseau de collecteurs, excellem-
de la vente et de la promotion commerciale et ment formés, éduqués et motivés par Lévi, les mar-
culturelle sur le plan national et international. chands s'organisent admirablement bien; ils for-
L'objectif profond était de donner du travail à ment des groupes d'achat et de vente, servis par
l'arrière-pays, à ces hommes et à ces femmes des collecteurs privés qui voyagent constamment
que la guerre éprouvait profondément et qui se en Kabylie avec quelques fonds en poche ; ils don-
trouvaient souvent ruinés. nent des arrhes aux familles, se réservant l'acquisi-
En prenant sa mission très à coeur et après tion de dizaines de coffres dans les régions qu'ils
avoir effectué plusieurs voyages de prospection, le explorent maison par maison. Les Kabyles sont
nouveau directeur s'entoure de gens compétents, ravis; ils vendent 50, 100 ou 200 DA de vieilles
sensibles à la valorisation de ce savoir populaire «caisses)) qu'ils n'utilisaient pas depuis longtemps
qui s'exprimait à travers une masse considérable et dans lesquelles ils mettaient leurs chevreaux,
d'objets. Il organise des cours de formation, des leurs lapins, voire leurs ordures. Ces caisses, por-
conférences avec des chercheurs et des universi- tées à bras sur le bord des routes, remplissent des
taires. Il suscite, au sein detout son personnel, une camions énormes qui partent pour Alger et arrivent
passion nouvelle pour la découverte. Robert Lévi discrètement, puis font leur distribution. Chaque
engage alors une équipe de cinq collecteurs char- collecteur a ses magasins d'achat et de revente.
gés d'acheter les objets de fabrication locale dans Là, des menuisiers, ébénistes, bricoleurs en tout
toute l'Algérie. Dotés chacun d'un véhicule, ceux-ci genre, deviennent de grands spécialistes de la
sillonnent le territoire de l'est à l'ouest, du nord au reconstitution et du camouflage : faire deux coffres
sud, ne laissant guère de région échapper à leur avec une pièce trop grande, réduire les dimensions
dévorante curiosité. Tous découvrent alors leur d'un meuble énorme sans laisser paraître la trans-
propre pays avec étonnement et ravissement. Ils formation, plaquer de vieilles planches sur du bois
rapportent une moisson extraordinaire de poteries, neuf, colorer les sculptures qui ne l'étaient pas
corderies, sparteries, tapisseries, objets de cuivre, i pour faire plus joli »ou parce que «le client voulait
de bois, de fer, des bijoux, etc. Ces objets sont un coffre qui soit peint », reconstituer des sculp-
stockés dans d'immenses réserves, nettoyés, res- tures d'une main faussement malhabile sans que le
taurés, puis exposés et vendus. De ces explora- client y trouve à redire, les marchands d'Alger ont
tions, véritablement ethnographiques, on ramène appris à tout maquiller, à tout arranger pour le goût
plusieurs vieux coffres kabyles achetés à des prix du client.
dérisoires. C'est la révélation! Lévi expose en Après l'indépendance de l'Algérie, de 1962 à
bonne place ces meubles et tient à les valoriser 1966, une véritable fièvre du coffre kabyle s'est
immédiatement en tant qu'œuvres d'art, irrempla- emparée des Algérois : fièvre d'acquérir la pièce
çables : il les vend au prix qu'un antiquaire les ven- exceptionnelle, surpassant toutes les autres ; fièvre
drait en Europe : il affiche 2 000, 2 500, 3 000 d'en connaître toujours plus : de différents, de sin-
DA(dinars algériens) ! Le public s'enthousiasme guliers, d'énormes; fièvre du gain que représen-
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Coffre 212. Petit


coffre de fabrication
récente, enduit de
peinture à l'huile
craquelée.
Coffre 197. Grand
coffre aménagé en
buffet entièrement
restauré et repeint de
couleurs à la
gouache.
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Coffre double 52 Petit buffet mural


fabriqué en 1865 par originaire de Beni-
Sadok Ouaci Izguen. Il est
Mohamed à la intéressant de noter
demande de Cid Ben les similitudes de
Abid. Peint à l'huile. goût et de style entre
des décors
entièrement peints et
ceux des coffres
kabyles sculptés et
peints.
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Détails du coffre 78.


Outre les sculptures
et les ajours, de fines
gravures à la pointe
sèche délimitent de
nombreux décors
peints en brun, rouge,
jaune et noir, que le
nettoyage du bois n'a
pas tout à fait
éliminés ici.
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taient des objets vendus dix à vingt fois leur prix achetés sur place, les autres expédiés pour être
d'achat, ou de la simple possibilité d'investisse- revendus plus cher à une clientèle étrangère.
ment dans une valeur sûre qui ne pouvait que De 1962 à 1969, nous nous sommes efforcés
décupler à l'étranger... Tousles calculs étaient pos- de photographier et d'examiner le plus grand
sibles, des plus nobles aux plus sordides. Seuls les nombre de ces coffres sur lesquels il était difficile
possesseurs originels de ces coffres demeuraient d'avoir des informations complètes. Les reven-
encore innocents. La rumeur des villes n'arrivait deurs gardaient le plus souvent le secret de leurs
pas jusqu'à eux du fait de leur isolement géogra- origines, craignant qu'on ne concurrence leur
phique, mais aussi à cause du travail discret et action sur place ou qu'on ne médise d'eux auprès
sournois des collecteurs. des anciens propriétaires, car la plupart de ceux-ci
Toutes les régions du monde ont connu ce phé- ignoraient que leurs meubles étaient revendus par-
nomène de collecte mercantile et l'endurent fois de dix à vingt fois le prix qu'on leur en avait
encore, del'Afghanistan au finfondde l'Afrique, de offert.
l'Inde à l'Amérique latine. La loi de 1965 a arrêté la montée des prix en
Avoir vu des centaines de coffres apparaître même temps que l'exportation, mais le goût pour
dans Alger, puis disparaître au fur et à mesure vers le coffre kabyle et les sculptures berbères allait
l'inconnu, a suscité chez nous une profonde émo- s'affirmant en milieu urbain, en particulier au sein
tion, un grand malaise. Nous avions nettement des couches sociales qui comprenaient l'intelli-
conscience de la fuite et de la disparition quasi gentsia algérienne et les coopérants.
définitive d'un patrimoine culturel d'une grande Robert Lévi avait créé en 1963 un atelier de res-
richesse et encore non étudié, très mal connu. Tous tauration et de sculpture de meubles neufs. LaMai-
nos appels à la Direction des antiquités ou aux son de l'artisanat, après des années de gestion plus
autres services susceptibles de créer des collec- ou moins difficile, a conservé encore quelque temps
tions sont restés vains; le même motif était tou- cet atelier qui, en 1972, comprenait soixante
jours invoqué : «Nous n'avons pas de crédits pour ouvriers à Dely Ibrahim; ceux-ci fabriquaient des
acheter des collections decette espèce. »Il nenous «modèlessuivis »desalle à manger, comportantune
restait plus qu'à sensibiliser les ministères qui grande table, un grand buffet, une bibliothèque
avaient les pouvoirs d'arrêter cette hémorragie : vitrée, huit chaises, le tout en acajou et finement
Tourisme et Douanes en particulier. sculpté avec les motifs géométriques que l'on
Lesautorités algériennes alertées se sont émues retrouve sur les coffres. Ces modèles étaient vendus
de ce négoce qui tendait à l' exploitation. En 1965, 9950 DAet exposés chaque année dans les stands
undécret interdisant la sortie des objets d'art, quels de la Foire internationale d'Alger. En 1972, on
qu'ils soient, et considérés comme patrimoine employait des outils modernes et des calques
national, est mis en vigueur. Une commission de constamment renouvelés comportant les mêmes
cinq membres (un directeur des Douanes, undirec- motifs que ceux qui devaient être sculptés sur le
teur des Archives nationales, un directeur de bois, évitant ainsi tout dessin à main levée. Pour
l'Ecole des beaux-arts, un directeur du Service des sculpter le bois, l'ouvrier plante son outil sur les des-
beaux-arts et un professeur d'histoire musulmane) sins du papier qui est ensuite décollé à la fin dutra-
examine alors tous les objets susceptibles d'être vail. Cesdessins, bienexécutés, n'ont pas lafantaisie
exportés et met son veto en présence d'une pièce et la sensibilité des motifs de vieux coffres patinés
de valeur. Cependant, on peut dire que des cen- par l'usure et les ans. Ils ne sont, en outre, jamais
taines de coffres kabyles ont été exportés, les uns agrémentés de colorants. Les meubles teintés au
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brou de noix et cirés offrent l'aspect sévère d'une gravure, souvent colorés, semblent avoir été assez
ébénisterie de luxe, un peu trop chargée de décors nombreux, mais, le plus souvent, ils ont été
géométriques. Tout au plus, ce travail rappelle négligés par les collecteurs. Les antiquaires et
davantage celui des plâtres sculptés dans les pla- revendeurs se sont chargés quelquefois de les
fonds des mosquées que l'art infiniment varié et parer de décors de leur cru et de panneaux sculp-
spontané des anciens coffres kabyles. Avec la tés pris sur d'autres coffres.
sculpture pratiquée désormais à Alger, nous En livrant aujourd'hui les résultats de nos tra-
sommes en présence d'un art qui, bien que nous vaux et l'analyse détaillée de tous les décors de ces
ne contestions pas sa qualité, présente des carac- gravures et sculptures sur bois, notre objectif pre-
téristiques totalement différentes. Le premier était mier est de sauver de l'oubli ces objets qui sont
issu d'une culture populaire, locale, spontanée; ce parfois de véritables chefs-d'oeuvre de l'art kabyle,
dernier, aux objectifs essentiellement écono- en leur attribuant d'une façon définitive une iden-
miques, est le résultat d'une demande administra- tité, une référence, comme il en va des sculptures
tive qui n'a pas cherché à replacer cette technique ou des peintures en d'autres lieux, dans d'autres
dans ses racines culturelles profondes. Desartisans civilisations. Cet art collectif, anonyme, expression
kabyles reprendront-ils librement et individuelle- d'une culture, d'une époque, dans une région pré-
ment cette tradition dans leur propre région, cise, doit faire date dans le patrimoine artistique et
comme ont pu le faire les artisans du Queyras, du l'histoire du Maghreb. Nous prétendons, contre le
val d'Aoste, ceux de Coni (Cunéo) ou de Turin ? parti pris de valeurs négatives dont on n'a cessé de
C'est ce qui semble se produire lentement l'accabler depuis des siècles, donner une filiation,
aujourd'hui. une place chronologique à cet art qui fut qualifié
Cet ouvrage est d'abord le résultat de l'analyse d'anhistorique.
d'une collection de photos de deux cents coffres En effet, ce n'est pas un hasard si des popula-
kabyles recensés plus particulièrement entre les tions qui n'ont jamais voulu se soumettre véritable-
années 1961 et 1966 à Alger, en Kabylie, et chez ment à une autorité étrangère, malgré les avatars
quelques amateurs qui ont bien voulunous montrer de leur histoire politique, ont choisi, privilégié, le
les meubles qu'ils avaient acquis. Nous n'avons décor géométrique. Cet art anonyme, intemporel,
pas photographié systématiquement tous les fournit à leur état d'esprit libertaire et indépendant,
meubles que nous avons vus. Notre échantillon un champ d'expression parfaitement adéquat. Ce
représente une sélection sur plus de mille objets champ atteint tous les domaines de l'être et de son
rencontrés au hasard de nos visites chez les anti- environnement : les tatouages corporels, les objets
quaires et vendeurs de meubles, dans les musées domestiques (réserves à nourriture, tapisserie,
ou en Kabylie. Notre choix, par économie de vannerie, sparterie, broderie, cuir, etc.), la bijoute-
moyens, s'est porté sur des meubles qui présen- rie et la parure, les sculptures architecturales sur
taient toujours un intérêt nouveau, une originalité les maisons, la céramique, la sculpture sur pierre,
par rapport aux types et modèles déjà rencontrés. sur plâtre, sur bois, etc.
En sorte que nous avons très peu de spécimens Exprimant une totale indépendance à l'égard
semblables ou identiques, qui auraient pu être des modes culturels, des religions monothéistes qui
issus d'un même artisan ou d'un même village. ont laissé leurs témoignages parfois prestigieux, des
Nous n'avons pas non plus photographié de arts officiels ou de l'ingérence des pouvoirs poli-
meubles sans décor. Et pourtant, ces meubles tiques, l'art géométrique est aussi un art abstrait qui
dépourvus de la moindre sculpture, de la moindre n'a jamais fini de livrer la richesse et la diversité de
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ses interprétations graphiques, stylisées ou «méca- sculptures géométriques mais très dispersés dans
nisées », dans des gammes de sensibilité variables la civilisation matérielle, tels les bâtons de berger,
selon les lieux, les époques, les cultures, sur toutes les faîtières de tente, les cachets à pain ou à
sortes de matériaux. Mais son rôle le plus ancien, beurre, les cuillères et louches, les étagères de
et qui remonte au néolithique, est très certaine- bois, etc. Lesgrands coffres kabyles nous ont offert
ment sa valeur prophylactique à l'égard du monde par leur nombre, l'importance des surfaces déco-
de l'invisible, de l'au-delà, comme signe conjura- rées, leur grande diversité, leur localisation géogra-
teur et consécrateur des créations de l'homme. phique, un matériau de choix pour ce genre
Timidement et comme par accident, la basmallah d'étude. Enfin, l'opportunité de l'apparition mas-
(«Aunomde Dieu, le Clément, le Miséricordieux Il) sive et soudaine sur le marché algérien d'un
- dont c'est aussi la fonction - apparaît, écrite en nombre insoupçonné de ces grands meubles nous
arabe, sur quelques ouvrages. Mais elle est sur- a permis d'établir cette prise de vue panoramique,
ajoutée, maladroitement, comme une redondance unique, même si nous avons parfaitement
étrangère, non intégrée dans les structures archi- conscience de son aspect parcellaire et insatisfai-
tecturales et esthétiques des meubles. Elle n'est sant, au regard des réalités que représentaient ces
jamais présentée en décor artistique majeur objets et de la culture qui s'y rattachait.
comme dans les arts musulmans de la sculpture et Notre troisième objectif concerne l'actualité de
de la peinture. cet art et de son renouveau, aujourd'hui en Kaby-
Nous pouvons dire que l'art de style géomé- lie, à l'instar d'autres régions qui possédaient les
trique est un mode d'expression fondamental de la mêmestraditions en Europe et dans le monde. Que
culture- berbère qui a, jusqu'à présent, échappé à ce soient les planches en bois à découper le pain,
tous les enfermements, à l'érosion du temps, en la viande, le fromage, décorées sur leur verso de
permettant aux plus humbles comme aux plus belles sculptures géométriques ou de peintures en
riches de s'exprimer, et de faire perdurer une per- Russie, dans les Balkans ou les Alpes, les meubles
ception esthétique où chacun retrouve une partie sculptés du Queyras, du Valais suisse, du val
de son identité et de son imaginaire. On pourrait d'Aoste, de Bellino et du val Varaita en Italie, par-
pousser plus loin l'analyse des fondements de cette tout où cet art traditionnel, populaire, s'est
perception, très certainement en rapport avec la conservé, on assiste à son renouveau, engendré
conception cosmogonique de leur environnement par une très forte demande publique.
qu'ont ces populations. LesQueyrassins, les Valdotains sont très fiers de
Notre deuxième objectif a été de présenter enfin leurs meubles sculptés et défendent âprement leur
un inventaire et un ordre méthodique pour catégo- qualité, leur style, ce goût du terroir, à la mode
riser les signes de base, leurs appellations, et les certes, mais qui représente la revanche des cul-
différentes associations auxquels ils ont donné tures paysannes, montagnardes, sur la standardisa-
lieu : du signe isolé aux frises, et aux compositions tion et la mécanisation industrielle et citadine. Pour-
de plus en plus complexes. Car la sculpture sur quoi en serait-il différemment pour les Kabyles?
bois de style géométrique en Afrique du Nord n'a Eux aussi ont déjà amorcé leur revanche, mais sur
jamais fait l'objet de synthèses comme celles sur un plan plus global, plus total : celui d'une revendi-
les céramiques, les mosaïques ou les tapisseries. cation culturelle, d'une identité qu'ils entendent
Nousespérons, par cette ébauche, mettre fin à une défendre, maintenir et adapter au monde contem-
lacune qu'il était difficile de combler par l'étude porain, à des exigences nouvelles. Dans ce mouve-
d'autres objets enbois usuels, euxaussi décorés de mentde proclamation des identités régionales, qu'il
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soit à soubassement politique ou culturel, ou une d'être mieux connu, et de façon plus rigoureuse,
conjugaison des deux, il n'est pas étonnant que l'on pour satisfaire une clientèle souvent exigeante; car
assiste à un retour à un mode de vie, à une esthé- celle-ci ne demande qu'à apprendre ce qui fonde
tique locale, avec des accommodements et des les différences et les critères de l'authentique objet
innovations dans les différents domaines de produc- du pays. En 1990, les deux centres artisanaux de
tions artisanales régionales : tapisserie, céramique, fabrication de meubles de style berbère, à Djemaâ-
bijouterie et sculpture sur bois. Mais à ces dernières Saharidj et Tizi-Rached, ont des carnets de com-
il manquait des éléments de référence, un corpus de mandes remplis à l'année. C'est dire l'importance
décors, l'accès à des documents anciens, un patri- de la demande.
moine écrit et vivant sous forme d'objets sauvegar- Cependant, depuis de nombreuses décennies, la
dés. C'est ici que se situe notre modeste contribu- majorité des observateurs étrangers, chercheurs,
tion, faute d'avoir pu obtenir des autorités de universitaires ou techniciens de l'artisanat, n'a
l'époque un projet de musée des meubles de tradi- cessé de proclamer le déclin de la poterie kabyle,
tion, sculptés et décorés de gravures, de peintures, de la tapisserie et de tous les arts populaires. Il ne
que ce soit des grands coffres, de grandes portes, s'agit le plus souvent ni de déclin, ni de dégénéres-
des porte-cuillères, étagères et petites caisses, et cence, mais d'une évolution naturelle et perma-
que la Maison de l'Artisanat et les antiquaires ont nente qui n'a jamais cessé de se faire depuis des
vendus par milliers. Nos propositions ont eu cepen- siècles. Cette évolution n'est que le reflet de mul-
dant quelque écho au ministère du Tourisme qui a tiples adaptations techniques ou matérielles aux
consenti à acheter, de 1965 à 1970, quelques-uns modifications des goûts et des besoins locaux, en
de ces beaux objets pour décorer les grands hôtels fonction d'un marché, de circonstances plus ou
(grands coffres, tapis de collection, cuirs, etc.). moins favorables. Aujourd'hui, le renouveau de la
Une génération de jeunes artisans, et aussi de sculpture sur bois en est tout à son début en Algé-
moins jeunes, s'est mise à retravailler le bois pour rie. Nous pensons que la revalorisation des bois
fabriquer soit de grands meubles modernes méditerranéens, de leurtraitement et de leur embel-
(armoires, tables, chaises), soit de menus objets lissement dans des œuvres d'art et d'artisanat typi-
(coffrets, planches décorées, etc.) appréciés comme quement régionales, représente un domaine extrê-
cadeaux-souvenirs par les touristes étrangers mais mement riche de possibilités, tant sur le plan
aussi, beaucoup, par les Algériens eux-mêmes. esthétique que sur le plan économique. Il suffira de
L'artisanat régional n'est donc plus une activité la conjugaison de quelques volontés déterminées
destinée à l'autoconsommation d'objets usuels, pour que s'épanouisse davantage cette prise de
archaïques, obtenus à moindres frais. C'est désormais conscience, pour peu que l'on cesse, ici comme
un métier, et un art rémunérateur qui aurait besoin ailleurs, de vouloir à tout prix politiser la culture.
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Sites où l'on a
retrouvé de grands
coffres en
Méditerranée
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1. Panorama de
villages perchés en
Grande Kabylie
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CHAPITREPREMIER
ARCHÉOLOGIE,
HISTOIREETPERMANENCE
DUCOFFRE
qu'il était nécessaire detenir enfermé» (Daremberg
COFFRESETSARCOPHAGESDANS et Saglio, 1877, t.II s.v. Arca, p.362). Mais ce mot
LA
' NTIQUITÉ semblait plus particulièrement désigner les caisses
quadrangulaires où les Grecs anciens et les Italiens
renfermaient ce qu'ils avaient de précieux (lorsque
1n'est pas facile de situer l'origine Priam, roi des Troyens, décide d'aller supplier
1 exacte des grandes caisses de bois à Achille, chefdes Achéens, de lui rendre le corps de
usage domestique et de leur attribuer son fils, Hector, il sort de ses grands coffres de
une véritable chronologie en Afrique nombreux et volumineux présents. Voir l'Iliade,
du nord. Dune part, en raison de la nature du chant XXIV, 206-247). On en défendait au début
matériau, résistant mal au temps et aux usages l'ouverture à l'aide d'un nœud compliqué, puis, par
domestiques, mais aussi parce qu'il n'y a pas eude la suite, on utilisa des serrures métalliques. Cette
lieux de conservation du patrimoine mobilier dans grande caisse se trouvait dans l'atrium de la mai-
ces territoires soumis aux guerres et aux pillages. son primitive, où la mère se tenait constamment à
Seuls ont pu être préservés d'une totale disparition côté du lit nuptial. E. Saglio signale (ibid., p. 363),
les objets enfouis et cachés durant plus de vingt dans un tombeau de Caere, un coffre peint en
siècles dans des sépultures. La croyance univer- rouge avec des garnitures de cuivrejaune. APom-
selle en une vie dans l'au-delà a poussé tous les pei, on a trouvé un pareil coffre décoré de plaques
peuples de la terre à entourer les morts d'objets debronze cloutées. Leurdimension était telle qu'un
domestiques, de nourriture et de trésors terrestres, homme pouvait s'y cacher sans difficulté. Leur
pour leur permettre d'affronter cette autre vie. Il couvercle était plat, leurs pieds assez bas. Plusieurs
n'est donc pas étonnant que ce soit l'archéologie et légendes rapportent l'enfermement de couples
l'histoire ancienne qui nous permettent de reconsti- dans des coffres : Danaé et Persée, Tennès et
tuer les fragments d'une filiation de ces coffres Hemithea, ouThoas enfermé par sa fille Hypsipyle.
énormes et singuliers, qu'il semble à première vue Ya-t-il eu dans le bassin méditerranéen des
problématique d'apparenter à des catégories sem- rituels du mariage ayant trait au grand coffre ?
blables dans un environnement culturel voisin. Jean-Léon l'Africain rapporte qu'au xvf siècle le
Cependant, une vision très large, à l'échelle du transport de la mariée vers la demeure de son
bassin méditerranéen et des vastes continents où époux à Fez, au Maroc, se faisait dans un grand
des civilisations anciennes ont laissé les traces de coffre de bois : c Quand l'époux va conduire
leur culture, va nous permettre d'établir quelques l'épouse chez lui, il la fait d'abord entrer dans un
repères dans le temps et dans l'espace. coffre de bois à huit pans recouvert de belles
Nous considérerons simultanément trois do- étoffes de soie et de brocart. Des portefaix empor-
maines principaux dans cette recherche compara- tent cette caisse sur leur tête. Lecortège est formé
tive sur une grande aire géographique : les tech- par les amis du père de l'épouse et ceux du mari,
niques de construction et les dimensions de ces avec des flûtes, des trompes, des tambourins et de
grandes caisses, leurs rapports avec le culte des nombreuses torches. »(Jean-Léon l'Africain, 1956,
morts, l'usage des décors géométriques sculptés et p. 210). Malheureusement l'auteur ne dit rien de
peints sur les parois. plus au sujet de ce coffre et nous ne savons pas s'il
Leterme arca désignait chez les Grecs le coffre, est un objet occasionnel ou un élément du mobilier
la caisse, une boîteC( propre à serrer les vêtements, domestique consacrant la nouvelle vie dela femme,
de l'argent, des provisions, et en un mot, tout ce à la fois sur le plan symbolique et matériel.
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Mais quelles relations techniques ou rituelles (Saqqarah). Les coffres-sarcophages du cimetière


peut-il y avoir entre ces grands coffres et les sarco- grec d'Abusir ont très souvent le couvercle en
phages en bois de mêmes dimensions ? Nous bâtière (à deux pentes) ou bombé et accusent des
prendrons quelques éléments comparatifs dans pieds raccourcis à la scie, les bois étant générale-
l'histoire grecque. A la fin de l'époque minoenne ment colorés en rouge (voir Watzinger, 1905). Les
(aux environs du XVesiècle avant notre ère), des planches sont fixées à l'aide de chevilles de bois.
réceptacles funéraires de dimensions restreintes Les dimensions extérieures de ces coffres-sarco-
ont été découverts en Crète «et nulle part ailleurs» phages sont proches les unes des autres : les lon-
(E. Cahen, s.u. Sarcophagus, 1977, t. IV,p. 1064). Il gueurs varient de 180 cm à 206 cm, les largeurs de
s'agissait de sarcophages et non pas d'urnes, où 50 cm à 100 cm, les hauteurs se situent autour de
les corps étaient enfermés les jambes repliées. Ces 100 cm.
réceptacles funéraires crétois deviennent les proto- C'est durant l'époque saïte (XXVIe dynastie
types des sarcophages de l'âge suivant. «La forme égyptienne, environ 800 av. J.-C.) que des rela-
la plus fréquente est celle d'une cuve prismatique, tions intenses s'établissent entre l'Egypte et la
portée par quatre pieds et munie d'un couvercle à jeune civilisation grecque. Les techniques grecques
quatre pentes... Les faces de la cuve et celles du de construction de caisses de bois semblent avoir
couvercle sont décorées d'ornements mycéniens... influencé celles pratiquées en Egypte ; notamment
L'autre forme est toute différente ; c'est celle d'une pour l'usage de la languette permettant l'ajustage
baignoire à cuve arrondie, à rebord proéminent, des planches des parois verticales dans les gros
munie de quatre poignées... La forme des autres pieds de bois aux quatre angles du meuble, avec
est identique à celle du meuble où l'on renferme les l'addition de panneaux de bois décorés sur la
objets familiers...ou à celle de la maison primi- façade, et parfois aussi sur les côtés. Le sarco-
tive... avec le toit à double pente et à fronton et la phage du prêtre d'Ammon Pes-Tenfi de Thèbes
poutre maîtresse qui sépare les deux versants. (environ 600 av. J.- C.) du musée de Berlin signalé
C'est ainsi comme une copie religieuse de la vie par Watzinger (1905, fig. 123, p. 65) en est un
terrestre qui se retrouve dans la vie d'outre- exemple remarquable. Les quatre poteaux d'angle
tombe.» (Ibid, pp. 1064-1065). remontent largement au-dessus de la caisse enca-
Acôté de sarcophages en pierre, en marbre, en drant un couvercle très bombé ; ils portent tous des
terre cuite apparaissent des sarcophages en bois hiéroglyphes développés verticalement, et les pan-
dans tout le monde grec et oriental. Pour E. Cahen, neaux décorant les flancs et la façade présentent
c'est un coffret dont l'usage domestique s'est de fines sculptures de personnages en champlevé.
transformé en usage funéraire (ibid., p. 1066). La caisse n'a pas de pieds, mais elle est pourvue
Parmi les coffres-sarcophages en bois simple on en d'un fond de planches très épaisses.
remarque certains pourvus de riches décorations Ces deux types de techniques anciennes, celle
reproduisant un type architectural très ordonnancé dite «égyptienne »à chevilles de bois, et celle dite
avec sculptures et peintures. Les fouilles de Koul- «grecque» à rainure et languette, se retrouvent
Oba près de Kertch, en Crimée, livrent une façade aujourd'hui très vivantes et nettement différenciées
de coffre composée en sa partie supérieure d'un dans des aires géographiques qui en ont assuré la
large bandeau à damiers encadré de frises, de conservation, probablement en liaison avec de
motifs en oves subtriangulaires surmontant sept puissants traits culturels s'attachant aux objets qui
panneaux décorés, formés de rectangles verticaux. les mettaient en œuvre. Les coffres des nomades
La partie inférieure est bordée d'un bandeau plus afghans aux lourdes planches fixées à l'aide de
étroit rappelant les motifs en triangles de la partie chevilles de bois et de clavettes mobiles sont entiè-
supérieure. Letout est monté sur de larges pieds de rement démontables, sans rainures ni languettes.
bois massif assez courts (voir le croquis de ce Les coffres kabyles sont montés en général grâce à
coffre et ses décors dans l'article de E. Cahen cité l'ajustage par languette et rainure dans les gros
supra, p. 1066, fig. 6100). Nous avons déjà là tout pieds ; les assemblages et les panneaux rapportés
l'ordonnancement technique et architectural que sur la façade sont tous fixés à l'aide de clous de fer
nous retrouvons dans les coffres kabyles. forgé. Aujourd'hui encore les caractéristiques d'un
De semblables coffres ont été trouvés en Asie vrai meuble du Queyras (dans les Alpes françaises)
Mineure, à Gordion-de-Phrygie (800 av. J.- C.), en ont trait en particulier au montage de planches de
Egypte à Abusir (500 av. J.- C.), près de Sakharah bois épais sans clou, ni colle, ajustées uniquement
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àl'aide dechevilles deboiset dedécoupes enqueue entre ces coffres monoxyles et les sarcophages de
d'aronde; de plus il n'est pas admis que ces fabri- pierre, mis à part le fait que les coffres ainsi réali-
cations soient faites en série et mécanisées : seule sés étaient montés sur quatre pieds. Ce montage,
la main de l'artisan doit exécuter toutes les opéra- techniquement aberrant comme nous le verrons,
tions techniques èt les sculptures de style géomé- nous ramène au choix probablement symbolique,
trique, sans l'aide d'outil à sculpter électrique. extrêmement fort, de l'élévation de la caisse au-
Outre les techniques d'assemblage qui définis- dessus du sol, qu'on retrouve autant dans les pra-
sent des traditions régionales très anciennes, la tiques funéraires puniques ou libyques du IVesiècle
forme du couvercle peut être un second indice. Le av. J.-C., en Tunisie, que dans les coffres kabyles
couvercle à deux pentes dit « en bâtière » se actuels; en revanche, dans le monde égyptien,
remarque en de très nombreux exemplaires dans grec et oriental antique, l'archéologie n'a pas
les cercueils de bois mis aujour en Egypte à Abu- révélé de caisse funéraire, de sarcophage de bois
sir, ainsi qu'en Russie du sud, alors que les sarco- ou de pierre surélevés par des pieds aussi hauts
phages grecs de l'Attique et celui représenté sur le que ceux découverts en Tunisie. Cependant,
fameux loutrophore, vase funéraire d'Athènes l'observation de pieds sciés, à Abusir, ne nous per-
(vesiècle av. J.-C.), ont tous des couvercles plats. met pas de préjuger de la hauteur originelle de ces
Les couvercles en bâtière étaient équipés d'une caisses à usage domestique devenues des sarco-
charnière au sommet du volet formé par les deux phages. Ces caisses étaient pourvues à coup sûr
pentes et s'ouvraient par moitié. Les couvercles de pieds, mais il ne semble pas qu'on leur ait
plats disposaient de charnières fixées sur la partie réservé des loges creusées dans la roche pour
arrière dans les coffres domestiques, ou étaient recevoir ces derniers et qu'on ait disposé des sup-
assujettis à l'aide de clous de bronze, directement ports sous la caisse pour éviter son effondre'nent
sur la caisse, dans les cercueils de bois. immédiat après l'enfouissement, comme en
Sur les coffres domestiques, le couvercle en Afrique du Nord, et en Corse (voir J. et L. Jehasse,
«dos d'âne Ilarrondi a prévalu dans de nombreuses 1973, pp.3 à 31).
régions depuis des siècles; on en trouve en Asie
Mineure, en Russie, dans les Balkans et en Europe
occidentale, mais pas en Afrique du Nord (du LESCOFFRESDOMESTIQUESUTILISÉS
moins, de fabrication locale). COMMECERCUEILS, DÉCOUVERTSEN
Leconstat que l'on peut faire quant à la perma- TUNISIEETENALGÉRIE
nence de techniques artisanales archaïques tient
certes à l'environnement socio-économique des La littérature mentionne plusieurs découvertes
populations concernées, mais il peut être aussi la de cercueils de bois, dans le Sahel tunisien en par-
conséquence d'un choix culturel, esthétique, ou ticulier, qui auraient été auparavant des coffres à
même « magico-religieux » représentation de la usages domestiques. Les lieux de ces découvertes
sauvegarde du sens et de la fonction traditionnelle sont Ksour-Essaf (A. Merlin, 1910), Gightis (ou
d'un objet. Or, à propos des grands coffres, on Gighti, G.L. Feuille, 1936-1939), Mahdia (Han-
constate une similitude de techniques, de dimen- nezo, 1890), Smirat (E.-G. Gobert et P. Cintas,
sions entre les cercueils et les objets domestiques 1941), Lamta (J.-J. Smet, 1913, P. Cintas, 1976),
de par la confusion de fonctions à laquelle ils ont Thapsus (P. Cintas, 1956), El-Hkayma (H. Ben
donné lieu à une certaine époque. Cela pour les Younès, 1986). De toutes ces occurences, il ne
caisses de bois en planches sciées ou découpées à reste en fait que trois coffres dûment visibles et
la hache et aplanies à l'herminette. Mais que dire presque entiers : ceux de Ksour-Essaf (à 12kmau
des coffres monoxylestaillés dans untronc d'arbre sud-ouest deMahdia), Gightis et Lamta. Cedernier
comme des pirogues, dégrossis à l'herminette, est en fait le même objet que celui signalé par M.
montés sur quatre pieds pour prendre les dimen- Fantar à Bouhjar (CRAI, 1972). Il s'agit d'un coffre
sions et le volume des grands coffres ? Le tout restauré et remonté par P. Cintas dans le musée
décoré de dessins géométriques sculptés dans la d'Utique. Les coffres de Ksour-Essaf et de Gightis
masse dubois (sans panneaux rapportés) ou agré- sont tous deux visibles au musée du Bardo à Tunis.
mentés de baguettes de bois clouées représentant Les coffres de Mahdia et Smirat étaient très
des figures géométriques. Lasimilitude de formes, endommagés et l'on ne peut affirmer à coup sûr
de techniques et de dimensions est presque totale que ce furent des coffres domestiques. Cependant,
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2. Coffre antique
ayant servi de
cercueil, découvert
par A.Merlin, en
1910, dans une
chambre funéraire à
KsourEssaf. dans le
Sahel tunisien (sud de
Mahdia). Ses
dimensions sont très
proches de celles des
coffres kabyles ;
L: 180 ; !: 84. Les
planches qui forment
les quatre côtés de la
caisse sont montées
en grain-d'orge.
L'ensemble est enduit
d'une couleur rouge

3. Coffre antique
découvert en 1936 par
G. L.Feuille à Gightis
(Sudtunisien)
L:197;1:72;
H: 75 ;pieds : 24x7.
Laparticularité de ce
meuble se situe au
niveau ducouvercle.
Celui-ci est fixe sur
une largeur de 12cm,
sa partie mobilevient
s'articuler au bord de
cette planche grâce à
une série de
chamières composées
d'éléments
cylindriques en bois
sur toute la longueur
et rendues solidaires
par unaxecentral, lui
aussi en bois.
Ces deuxcoffres sont
déposés au muséedu
Bardo àTunis.
(Photos :Institut d'art
et d'Archéologie,
Tunis)

4. Type de grand
coffre kabyle
évoquant les mêmes
volumes que ceux des
coffres antiques, en
provenance d'Agouni
Goughrane (Grande
Kabylie).
L:240 ; 1: 68 ;
H: 105
pieds : 15,5x8. Ces
demiers sont amputés
d'une partie de leur
hauteur.
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à Thapsus, P. Cintas reste fortement convaincu de découverts dans le Quhel tunisien et datant de la
l'identité d'un coffre domestique : «Maisje n'ai plus même époque. La ressemblance de ce cercueil
aucun doute depuis la découverte à l'intérieur d'un avec les coffres domestiques n'est pas relevée ici
tombeau de Thapsus d'un coffre à pieds, ayant par l'archéologue. Elle nous paraît cependant évi-
servi de cercueil, dont des restes importants étaient dente. Cette rare découverte, signalée sur les côtes
encore en place et montraient les quatre montants de la Kabylie, nous est un indice particulièrement
verticaux, eux aussi encore fichés dans les quatre précieux : au Ile siècle av.J.-C., des populations
cavités des extrémités du tombeauIl (P. Cintas, locales fabriquaient sur les côtes kabyles de
Khartago VII, 1956, p.206). Enfin, M. Habib Ben grandes caisses de bois montées sur pieds et qui
Younès, directeur du Centre d'études phéniciennes, pouvaient être utilisées comme cercueils. Les
puniques et des antiquités libyques de Tunis, à qui assemblages à queue d'aronde étaient connus,
nous devons des précisions sur l'existence de ces ainsi que les grands clous de bronze. L'archéo-
vestiges, a découvert à El-Hkayma, près de Mah- logue ne signale pas l'existence de chevilles de
dia, de gros fragments de bois ouvragé; il est per- bois qui sont quelquefois employées pour renforcer
suadé que ces restes appartiennent à un coffre les assemblages à queue d'aronde, mais l'on peut
domestique transformé en sépulture (H. Ben You- supposer que cette technique, très répandue à
nès, Reppal, 1986, pp.47-48 et 147). cette époque, était aussi probablement pratiquée
En 1935, Miriam Astruc, reprenant les fouilles en ces lieux.
de la nécropole de la Pointe Noire, à Djidjelli,
découvre dans la tombe XVIun «cercueil en cèdre
dont une partie était en fort bon état et a pu être LESRENIEMENTSDEL'HISTOIRE
conservée» ((Nouvelles fouilles à DjidjelliIl, Revue
africaine, 80, 1937, p.226). Ladescription donnée Dans l'histoire du mobilier des habitats
de ce cercueil nous paraît être celle d'un véritable humains, le coffre a certainement été le premier
coffre domestique : «Les dimensions du cercueil meuble, et longtemps le meuble par excellence,
étaient de 1,95 m de long, 0,60 m de large et bien avant le lit construit. En Occident, le coffre
0,60mde haut, l'épaisseur du bois de 0,07 m. La demeure essentiel et primordial durant tout le
cuve qui devait être portée par quatre pieds devait MoyenAge, et en Egypte son apparition remonte à
s'arrêter à 0,15 mdu sol. Elle était donc profonde plus de mille ans av.J.-C.
de 0,45 m. La planche du grand côté, qui est Cependant, les témoignages historiques concer-
conservée, montre un assemblage à queue nant l'usage du coffre en Afrique du Nord demeu-
d'aronde à chaque extrémité, traversé par un grand rent pratiquement absents. Hérodote, pourtant pro-
clou de bronze à section ronde, long d'environ lixe, ne nous parle pas de coffres chez les anciens
0,21 m(diamètre à la tête: 0,025 m). Quatre clous habitants de la Libye. Lesarchéologues de la fin du
fixaient ainsi, en s'enfonçant verticalement dans les xixesiècle et dudébut duXXesiècle ont commencéà
assemblages des quatre coins, le couvercle à la exhumer les objets et les meubles en usage chez
cuve, ainsi que des tenons de bois pénétrant dans les vivants, à l'époque punique, et parmi ceux-ci de
des mortaises longues de0,06 m, larges de 0,02 m grands coffres debois. Maisces archéologues n'ont
et profondes de 0,045 m, disposées le long du pas immédiatement établi de différences entre les
grand côté. Les bords sont biseautés... Lecercueil cercueils, les sarcophages de bois et les coffres uti-
de Djidjelli ne porte pas de traces de peinture. Le lisés commecercueils après avoir servi debahuts à
couvercle et les côtés paraissent être faits d'une usage domestique. On doit à P. Cintas et E.-G.
seule grande planche, le bois étant ici plus épais et Gobert une observation plus attentive des résultats
la largeur et la hauteur moins grandes que dans le des fouilles précédentes, et une analyse plus rigou-
cercueil de Ksour-es-Saf. »(Ibid., pp.227-228). Ces reuse de l'ensemble des objets rituels et des mobi-
vestiges, qui furent déposés au musée Gustave- liers trouvés dans les tombes puniques (voir
Mercier à Constantine, ne semblent pas avoir fait notamment E.-G. Gobert et P. Cintas, 1941, P. Cin-
l'objet d'une reconstitution ou d'une restauration tas, 1956, et surtout le Manuel d'archéologie
quelconque. Il est cependant important de consta- punique de P. Cintas, 1, 1970, t.II, 1976. Voir aussi
ter que l'existence de pareils meubles dans une S. Moscati, 1971, pp. 71 et 242).
nécropole approximativementdatée dumesiècle av. Duvueau Iersiècle av. J.-C., les Puniques enter-
J.-C. correspond à celle des mêmes types d'objets raient leurs morts dans des trous profonds (comme
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les caveaux d'aujourd'hui) comportant des niches ces coffres, différentes des pièces que compor-
latérales où étaient logés plusieurs types de taient les cercueils de bois (charnières et ferme-
cercueils : tures du couvercle notamment). Longtemps on a
. des caisses de bois munies de poignées pour cru aussi que les clous de bronze repliés sur eux-
le transport et dont les planches s'ajustaient à mêmes étaient des offrandes, alors que leur pré-
l'aide de clous de bois ou de bronze, lesquels assu- sence témoignait de leur fonction dans des pièces
raient aussi la fermeture du cercueil ; de bois complètement disparues avec le temps.
. des espèces de civières à quatre pieds sur les- «A la différence des cercueils qui sont facile-
quelles reposaient les défunts. Des trous creusés ment maniables grâce à des poignées ou à des
dans la roche recevaient les pieds de ces civières anneaux métalliques, et dont les côtés sont faits
oucatafalques ; d'un seul madrier, les coffres sont dépourvus de
. des coffres de bois à couvercles plats, munis pièces rapportées permettant de les manœuvrer et
de charnières en bois ou métalliques, pourvus de ont leurs flancs uniformément composés de trois
quatre gros pieds encastrés, comme les précé- planches superposées horizontalement et assem-
dents, soit dans quatre trous, soit dans deux cavi- blées en grain-d'orge, c'est-à-dire avec la planche
tés rectangulaires de la largeur du meuble (voir médiane disposée en retrait par rapport aux autres.
P.Cintas, 1956, p. 206) ; Les ais sont fixés aux montants au moyen de mor-
. enfin, des sarcophages de pierre faits d'une taises et de tenons chevillés. Sur la pièce la plus
auge creusée dans un calcaire coquillier et recou- basse, prend appui le fond du bahut ; sur la plus
verte d'une dalle. haute repose le couvercle. » (H. Benichou-Safar,
Les traces d'usure qu'accusaient certains 1982, p. 254.).
coffres permettent de penser qu'il s'agissait de Et cet auteur remarque un peu plus loin (ibid. ,
meubles domestiques utilisés à cette ultime fin. p. 339) : «Il est manifeste que l'emploi à des fins
«Onsait que les vieux bahuts, longtemps employés funéraires de tels meubles n'a jamais été systéma-
par les vivants et mis hors d'usage par un long tique à Carthage ; il a dû cependant se perpétuer
emploi, servaient de cercueil au décès de leur pro- jusqu'à la chute de la ville puisque nombreuses en
priétaire. »(P. Cintas, 1956, p. 206). Il est intéres- sont les traces dans le cimetière de Sainte-
sant de noter que, en Europe également, de vieux Monique. »Cependant, bien que l'on n'ait jamais pu
bahuts ont servi au transport ou peut-être à l'inhu- identifier à Carthage « le moindre bahut, même
mation des morts: «Etienne Boileau, prévôt de hors d'usage, digne de ce nom... »(ibid., p. 253),
Paris au XIIesiècle, défend aux ouvriers huchiers, l'usage domestique de ces coffres, dont la tradition
dans son Livredes métiers,C ( de louer des coffres à semble davantage libyque que punique, ne fait
gens morts », ce qui laisse supposer que ceux-ci aucun doute entre les IVeet Iersiècles av. J.-C. dans
étaient utilisés pour le transport des corps au cime- toute l'ancienne Numidie et même bien au-delà,
tière dans les familles pauvres désireuses de s'évi- dans des régions où les Puniques et les Libyques
ter les frais d'un cercueil. »(R. Barotte, s.d., p. 16). avaient probablement répandu leur civilisation et
Ainsi que nous l'avons remarqué ci-dessus, on leurs cultes, comme sur les côtes espagnoles (Vil-
a découvert de pareils coffres, dûment attestés, à laricos).
Ksour-Essaf, Gightis, Lamta et Thapsus enTunisie, L'organisation des sépultures chez ces popula-
et peut-être aussi à Djidjelli en Algérie. Mais com- tions ressortissait à une croyance quasi univer-
bien d'autres traces de ces meubles ont dû être selle : celle d'une vie par-delà la mort et même
relevées dans des nécropoles sans donner lieu à d'une résurrection. Il fallait donc, pour les plus
une véritable reconnaissance des archéologues, riches, fournir au défunt les éléments ordinairement
comme le fait remarquer Cintas à propos de la dévolus aux vivants : un lit de repos ou un cercueil
nécropole punique de Villaricos en Espagne, pour le corps, un environnement protégé comme
fouillée par Miriam Astruc (à l'exutoire de la vallée l'était celui des demeures de l'époque, de la vais-
du rio Almanzor, sur la côte méditerranéenne de selle pour se nourrir (symboliquement), des jarres
l'Espagne, voir P. Cintas, 1956, pp.203-212)? En à eau, des coffres à vêtements, des objets précieux
effet, les bois ont été la plupart dutemps réduits en ayant appartenu au défunt ou lui ayant été offerts
poudre et n'ont pas toujours été identifiés dans les en hommage et qui représentaient ses biens, ainsi
fouilles de l'époque. Cependant, leur existence est que ceux dont tout voyageur partant à l'aventure
attestée par les pièces métalliques s'attachant à avait besoin pour survivre.
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Il n'est donc pas étonnant de retrouver dans les Mais comment se fait-il que les chercheurs et
tombeaux puniques des objets qui témoignent des historiens n'aient pas reconnu plus tôt l'existence
habitudes domestiques de l'époque à travers des de semblables bahuts chez les populations ber-
tentatives de reconstitution, parfois assez fidèles, bères actuelles et que leur similitude avec ces
de la maison des vivants. P. Cintas signale même coffres puniques ne leur soit point apparue ? Le
l'existence de madriers de bois disposés aux pla- coffre kabyle n'est-il pas encore nommé très sou-
fonds de grands caveaux, qui n'avaient aucune vent afniq, c'est-à-dire «le phénicien Il ? Après les
fonction de sustentation. Ils étaient là simplement affirmations de Gobert et Cintas, seul Gabriel
pour faire ressembler le caveau à la demeure des Camps, historien et archéologue, spécialiste des
vivants (P. Cintas, 1976, p. 91). Berbères, a abordé clairement le problème de la
C'est dans ce contexte qu'il convient de perce- relation entre les coffres kabyles et les coffres
voir la présence de grands coffres de bois dans cer- découverts à Ksour-Essaf et Gightis (voir
tains tombeaux. Cependant, les cercueils de bois G.Camps, 1980, p. 296).
ou coffres pour contenir le corps du défunt ne Dans les autres disciplines, personne n'a établi
représentaient pas l'usage le plus fréquent. Les de parallèle entre ces coffres puniques en bois
morts étaient le plus souvent enveloppés dans un trouvés dans des tombeaux et les coffres kabyles
simple linceul d'étoffe (ibid., p. 275). actuels (nous reviendrons sur l'analyse compara-
S'il y a une filiation de forme et de sens entre tive et détaillée de ces meubles). Même un savant
les coffres puniques du IVesiècle av. J.-C. et la tra- averti comme Georges Marçais, qui a produit la
dition des coffres kabyles anciens dont il nous meilleure note jamais publiée sur un coffre kabyle,
reste aujourd'hui un certain nombre d'exemplaires, reste dans le vague à ce sujet : «Il est légitime - et
c'est qu'un puissant courant de croyances et de quelque peu hasardeux - de rechercher la date et
pratiques socio-culturelles s'est maintenu sur toute l'origine de ces importations... », écrit-il, en parlant
la Numidie et les régions avoisinantes. La rareté des sculptures géométriques d'un coffre kabyle ori-
des exemplaires mis au jour dans les fouilles ginaire de la tribu des At Sidi Brahim (à l'ouest de
archéologiques n'est pas une preuve a contrario. la chaîne des Bibans), sans poser le problème fon-
La plupart des grandes nécropoles ont été fouillées damental de la filiation de ces grands meubles. Il
à la fin du xixe siècle et au début du xx' siècle dans semble que la richesse des sculptures géomé-
des conditions qui ne permettaient pas aussi bien triques de ces coffres ait fasciné les observateurs
qu'aujourd'hui de reconstituer très exactement au détriment de la question de l'origine et des fonc-
l'ordonnance matérielle des objets, leur volume, tions que posait d'abord ce grand meuble.
leur nature. De plus, la conservation de bois, Nous estimons qu'il y a un faisceau important
même très épais, enfouis depuis plus de deux mille de raisons qui ont relégué l'étude de ce meuble si
ans, est très rare. «On trouve souvent, dans les singulier au rang d'une curiosité muette.
tombes, les ornements d'os, d'ivoire, les char- L'art des coffres kabyles, comme nous aurons à
nières ou les serrures qui ont décoré les coffres ou le constater, n'est ni juif, ni chrétien, ni roman, ni
les coffrets de bois. Il faut vraiment qu'on ait arabe. Il ne permet pas son intégration dans l'une
affaire à un tombeau à siccité parfaite, ce qui est de ces grandes civilisations qui ont fourni une
tout à fait exceptionnel, ou alors que le bois esthétique, des styles, des modèles. Il n'est appa-
employé ait été d'épaisseur peu ordinaire : remment pas datable. C'est un art populaire, rural,
planches épaisses ou madriers. Et même, dans ce considéré comme grossier, limité aujourd'hui au
dernier cas, ce ne sont jamais que des débris sou- pays kabyle. Cet art, qualifié de berbère, est
vent méconnaissables qui sont recueillis. Il faut davantage perçu comme une identité en négatif,
considérer comme une véritable chance de décou- au regard de toutes les autres identités positives
vrir, dans les tombes puniques, des coffres de bois proclamées par l'histoire des civilisations qui ont
encore intacts, comme ceux de Ksour-Essaf, de nourri le Maghreb.
Gightis ou de Smirat. Et, là encore, il a fallu l'obtu- Le «phénomène coffres kabyles »est longtemps
ration par dalles lutées à la chaux, que l'on ren- resté discret, presque secret, difficile d'accès, dans
contre dans les tombes creusées dans le tuf parfois l'intimité des familles. Il a fallu de fortes secousses
très sec des côtes tunisiennes, pour que l'anomalie sociales comme les guerres, la violation des terri-
de cette exceptionnelle conservation soit réalisée » toires et des maisons, la pénétration des routes,
(P. Cintas, 1956, p. 206). des marchands et des transporteurs dans des
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montagnes où l'on ne circulait autrefois qu'à pied sujet. Soeur Louis de Vincennes, dans «Le mariage
ou à dos de mulet, pour que se répande sur les en Kabylie »(F.D.B., 1960, pp. 118-120), ne parle
marchés un nombre inattendu de ces objets qu'on que du petit « coffre de la mariée 1) utilisé
croyait disparus. Enfin, la plupart des études sur le aujourd'hui.
pays kabyle ont été faites dans des lieux, des vil- Pierre Bourdieu, qui fit l'admiration des structu-
lages où ces meubles n'existaient plus et où, par ralistes et des linguistes avec son étude sur la mai-
conséquent, on n'en parlait plus. son kabyle (« La maison kabyle ou le monde ren-
Les auteurs les plus connus qui ont étudié la versé », 1972), ne parle pas des grands coffres,
Kabylie et les coutumes kabyles ont émis des juge- bien qu'il mentionne dans son croquis (p. 46) un
ments rapides, péremptoires, en toute partialité. espace « coffres Il qui semble davantage réservé
E. Carette, dans son étude sur la Kabylie propre- aux petits coffres de bois peint de fabrication
ment dite, ne parle du bois et des forêts de cette actuelle. Cette absence est d'autant plus regret-
région que pour en estimer le potentiel d'exploita- table que cet auteur critique à juste raison les
tion commerciale à l'exportation (Carette, 1848). lacunes de ses prédécesseurs : «Lacunes systéma-
Le jugement des deux célèbres auteurs Hanoteau tiques, en particulier en ce qui concerne la localisa-
et Letourneux n'est guère tendre : «L'art de tra- tion et l'orientation des choses et des activités
vailler le bois est encore dans l'enfance ; on pour- parce qu'elles n'appréhendent jamais les objets et
rait presque dire qu'il n'existe pas ; non que les les actions comme partie d'un système symbo-
ouvriers qui s'y livrent manquent d'habileté ; car lique. »(Ibid. note 39, p. 65).
quelque grossiers que soient leurs ouvrages, on est Voilà des préalables qui conviennent parfaite-
étonné qu'ils puissent les produire avec les moyens ment à notre recherche mais auxquels l'auteur n'a
dont ils disposent ; mais ils ignorent les procédés pas pu donner l'extension souhaitée, faute d'avoir
les plus élémentaires de leur profession, et rencontré de grands coffres dans les maisons qu'il
l'outillage leur fait défaut d'une manière à peu près a étudiées.
absolue »(Hanoteau, Letourneux, 1893, 1, p. 561). On retrouve la même absence dans le livre de
Dans leur liste descriptive des meubles, ces auteurs Basagana et Sayad dont le sujet particulièrement
ne parlent pas des coffres (ou ne les mentionnent circonstancié (Habitat traditionnel et structures
qu'à peine, p. 562, t. 1: «des bahuts en forme de familiales en Kabylie, 1974) devait permettre une
coffres »); de même, on n'en trouve pas dans les approche des grands coffres. Là encore, notre
listes d'objets soumis aux ventes privées ou attente est déçue : aucune citation, aucune réfé-
publiques, ce qui laisse supposer que les grands rence dans des descriptions qui se veulent minu-
coffres n'étaient jamais soumis à des transactions tieuses sur l'habitat, la vie domestique, le mariage,
et échappaient aux règles communément admises la dot, etc.
pour tout autre bien. Enfin, dans un très beau livre de photographies
R. Maunier, dans sa description minutieuse de la en couleurs récemment publié sur les maisons
construction de la maison kabyle, ne leur consacre kabyles (Mohand Abouda, Axxam, 1985), alors
qu'une petite note infra-paginale (p.62) : «Je n'exa- que l'auteur révèle avec force l'originalité des inté-
mine pas ici le mobilier, et notamment les coffres à rieurs de maisons traditionnelles et de leurs décors,
panneaux. »(Maunier, 1926). on aperçoit à peine sur une seule photo, un grand
E. Laoust, pourtant prolixe en descriptions eth- coffre complètement basculé sur un côté (p. 72)
nographiques de qualité, enrichies d'analyses lin- parce qu'il a perdu deux pieds et a été laissé dans
guistiques, parle de coffres et coffrets (Mots et cette position discordante.
choses berbères, 1920), ou de grands coffres à Cependant, dans une étude sur la vie féminine
grain appelés tantôt ttarma (mot d'origine per- à Ait Hichem, publiée récemment (Edisud,
sane), tantôt sonduq imenni, chez les transhu- 1990), mais dont les observations datent des
mants du Maroc (Laoust, 1935). Mais ces bâtis en années 1937-1939, Mme Germaine Laoust-
bois n'ont pas de pieds et ne ressemblent en rien Chantréaux qui fait figurer pl. XI et XVle dessin
aux coffres kabyles. d'un grand coffre, écrit (p. 53) : « Il faut noter
H. Genevoix, dans son étude sur l'habitation enfin la caisse où la femme enferme ses robes et
kabyle (F.D.B., 1955, p. 46), pourtant observée ses bijoux (tasenduqt) (fig. 9) ; les grands coffres
dans une région réputée pour avoir fourni des décorés (asenduq) (pl. XV) sont exceptionnels à
grands coffres, est d'une totale discrétion à leur Ait Hichem... ». Cette modeste remarque peut
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MAQUETTE
David Lee Fong
assisté par Luciana Chiaravalli, Jean-Louis Christophe, et Joëlle Wargnier
PAO
Marie-Laure Picard

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Tunis-Tunisie
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