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COURS :

Méthodes des sciences sociales

INTRODUCTION

L'histoire des sciences sociales débute avec le siècle des Lumières, autours de 1650, lorsqu'une
révolution au sein de la philosophie naturelle a changé le cadre de référence avec lequel les
individus jaugeaient de la scientificité. Les sciences sociales sont issues de l'éthique (la morale)
de cette époque et ont été influencées tout au long XIX e siècle (la révolution industrielle et la
révolution française, notamment). Les sciences sociales se sont développées à partir des
sciences (expérimentales et appliquées), de savoirs existants, de pratiques normatives, et ce,
dans un élan et une vision de progrès social lié à des groupes sociaux donnés.

La période moderne a vu la science sociale être utilisée pour la première fois comme un champ
conceptuel distinct. La science sociale est influencée dès sa naissance par le positivisme en
cherchant à se distinguer des spéculations métaphysiques (abstraites).

Vers le début du 20e siècle, la philosophie des Lumières est contestée dans divers endroits du
monde occidental. Divers domaines des connaissances se sont alors tournés vers les études
expérimentales et la construction de cadres théoriques dans un langage formel. Les divers
domaines des sciences sociales se sont ainsi principalement orientés sur des méthodologies
quantitatives. De plus, la nature interdisciplinaire de la recherche scientifique sur le
comportement humain et les facteurs sociaux et environnementaux, a amené de nombreuses
sciences naturelles à s'intéresser à certains aspects de la méthodologie des sciences sociales.

Les chercheurs continuent de rechercher un consensus sur la méthodologie à utiliser pour relier
par une grande théorie, les diverses théories de moyenne portée jusque dans les années 1960.

Le terme contemporain de « sciences sociales » fait généralement références à toutes les


disciplines qui étudient l'humain ou ses interactions et ou ses structures sociales, autres que la
philosophie et les arts.

Les sciences sociales d'une époque et d'un lieu génèrent une certaine forme de discours
dominant qui est l'émanation naturelle d'un contexte intellectuel et politique particulier. La
science a été détournée pour asseoir la légitimité des pouvoirs, de l'ordre social, des
gouvernements. Elle sert aujourd'hui à justifier des décisions politiques. Elle remplit, dans le
monde contemporain, le rôle que remplissaient les religions autrefois.

PARTIE I - LA SOCIOLOGIE UNE SCIENCE SOCIALE

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I. Les Sciences sociales
II. Science et sociologie
III. Les étapes de la démarche sociologique
IV. Méthode quantitative, méthode qualitative
V. Sociologie de l’action sociale, sociologie du fait social

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I - Les Sciences sociales

Les sciences sociales sont un ensemble de disciplines académiques ayant en commun l'étude
du social humain, et des interactions sociales entre les individus, les groupes et leurs
environnements. Selon les approches, elles peuvent tendre plus vers les sciences naturelles et
cognitives, ou au contraire, vers la philosophie ou les lettres.

Elles comprennent plusieurs disciplines dont la sociologie, la psychologie, l'économie, la


démographie, la géographie, la science politique, l'histoire, l'anthropologie, l'ethnologie,
l'ethnographie, ou encore la criminologie et la linguistique

La Sociologie peut tout aussi bien être regroupée avec l’économie et la science politique pour
former les sciences sociales ou avec la philosophie, la psychologie et l’histoire au sein des
sciences humaines.

Dans le premier ca, on insiste sur l’analyse de l’organisation sociale, dans le second cas, sur
l’étude de l’homme en société.

Le développement de ces sciences sociales a été initié par le renouveau de la philosophie


politique au XVIIème siècle, mais ce sont les sciences de la nature qui leur servent le plus
souvent de modèle.

1. Issues de la philosophie politique, les sciences sociales font souvent référence aux
« Sciences Exactes » :

A. La philosophie politique est à l’origine des sciences sociales :

• La philosophie politique grecque est la source la plus lointaine des sciences sociales
modernes. Neutralisée par la subordination des activités humaines à un principe divin,
la réflexion sur la politique est étrangère à la société médiévale. Elle réapparaît à la
Renaissance sous la plume de Machiavel et surtout chez Hobbes qui est considéré
comme le père de la philosophie politique moderne. Cherchant à déterminer
rationnellement ce que serait l’organisation politique la plus apte à empêcher les
guerres civiles, ce philosophe anglais légitime le pouvoir absolu ;

• En Allemagne, cette origine philosophique des sciences sociales est assumée par les
sociologues. Pour Weber les phénomènes sociaux ne peuvent pas être assimilés à des
phénomènes naturels et le sociologue peut emprunter des concepts ou des exemples à
ce qu’il appelle les sciences de la culture. On retrouve une démarche analogue chez
les fondateurs de l’école de Francfort dont l’ambition était de développer une
philosophie sociale. Cette tradition reste vivace dans la philosophie politique moderne

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dont certains auteurs (à l’image de J.Rawls) s’interrogent toujours sur les
caractéristiques d’une société juste.

B. Les sciences exactes ont servi de modèle aux sciences sociales :

• A la renaissance, l’apparition des sciences modernes crée les conditions d’une


réflexion nouvelle sur la société. A partie de Galilée, la nature perd partiellement son
caractère divin pour devenir une donné que l’on peut penser et mesurer. A la
connaissance religieuse qui est livresque se substitue une connaissance scientifique
faite de théories et d’observations. La subjectivité est bannie de la recherche et les
mathématiques deviennent l’instrument obligé de tout savoir scientifique.

• En raison de leur abstraction, ces mathématiques ne peuvent pas servir de modèle aux
sciences sociales, par contre, leur utilisation et celle des statistiques sont souvent
considérées comme un signe du caractère scientifique de la recherche. La référence
des premiers sociologues a plutôt été la physique à l’image de d’A. Comte qui voulait
fonder une « physique sociale ». A la fin du XIXe siècle. Durkheim fait ouvertement
référence aux sciences médicales quand il oppose le « normal » au « pathologique ».
L’un comme l’autre avait l’ambition de pouvoir expliquer l’ensemble du social à l’aide
de lois comparables à celles des sciences de la nature.

2. La Naissance de l’économie et de la Sociologie

A. La science économique se distingue de la science politique

• On s’accorde à penser qu’Adam Smith aurait fondé l’économie en publiant


« Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations » en 1776 et que
cette discipline serait devenue une science, un siècle plus tard, avec l’apparition du
courant de pensée néoclassique ‘ou utilitariste).

Le modèle mis au point par ces économistes s’appuie sur deux hypothèses : la première
est celle d’un individu rationnel cherchant à maximiser son utilité (sa satisfaction) ; la
seconde est celle d’un marché concurrentiel dans lequel il n’existe pas de relation de
pouvoir.

En utilisant les outils mathématiques mis au point au XIXè siècle, les néoclassiques
ont voulu montrer que le marché pouvait se réguler de façon efficace sans intervention
de l’Etat dans l’économie.

• Ce faisant, la science économique s’est émancipée de la réflexion politique. Alors que


la science politique s’intéresse à l’Etat, à sa conquête et, plus généralement, au
pouvoir, la science économique se donne pour objet d’étude la création de la richesse
et de sa répartition.

B. La sociologie se distingue de l’économie mais lui emprunte parfois ses modèles

• Au tournant du XXe siècle, la sociologie est, à son tour, devenue une science tout en
s’opposant au caractère réductionniste de l’économie. En France, Drukheim réfute les
théories utilitaristes qui réduisent la vie sociale à l’échange marchand. Il affirme au
contraire que le fondement de la vie sociale réside dans la morale c’est-à-dire dans
l’ensemble des règles sociales. Au même moment, Weber reproche à Marx de ramener

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l’ensemble des phénomènes sociaux à une infrastructure économique et insiste sur le
rôle joué par les valeurs dans l’apparition du capitalisme. Au-delà de leurs différences,
Durkheim et Weber ont en commun de s’interroger sur la dimension culturelle de la
société, dimension que l’économie méconnaît.

• Depuis quelques décennies, le modèle économique de l’individu rationnel a été


importé aussi bien en sociologie qu’en science politique.

En sociologie, l’individualisme méthodologique explique les phénomènes sociaux par


agrégation des comportements d’individus rationnels même si cette rationalité est
moins parfaite que celle de « l’homo œconomicus ».

Les domaines d’études de ces deux disciplines restent distincts mais un même modèle
est parfois mis en œuvre dans l’une comme dans l’autre.

Les sciences sociales naissent du refus d’expliquer la société en faisant référence à une
cause qui lui serait externe, c’est-à-dire à Dieu. La philosophie politique constitue une
première tentative pour penser la société, mais l’économie et la sociologie ont souvent
adopté une conception de la vérité héritée des sciences de la nature.

II - Sciences et Sociologie

Les sciences de la nature ont longtemps été considérées comme un modèle par les sciences de
la culture et, en particulier, par la sociologie. L’accès à la scientificité se fait-il nécessairement
sur le mode choisi par les sciences dites exactes ou les sciences sociales doivent-elles trouver
leur propre mode de scientificité ?

1. Le Savoir scientifique se distingue du sens commun

A. Pour Popper, la science repose sur un principe de falsification

• Dans son ouvrage majeur « la logique de la découverte scientifique » publié en 1934,


Karl Popper critique l’inductivisme qui consiste à tirer une proposition générale d’un
ensemble de faits. Ainsi, l’observation de 10 signes blancs sur un étang ne fait pas de
l’affirmation « tous les signes sont blancs » un énoncé scientifique. Il soutient que le
critère distinctif entre les sciences et les non-sciences est la falsifiabilité (ou la
testabilité) de l’énoncé scientifique : un énoncé scientifique doit être suffisamment
précis pour pouvoir éventuellement être contredit par un fait. Ainsi, « la vitesse de la
lumière est de 300 000 Km par seconde » est un énoncé scientifique tandis que « Dieu
existe » ne l’est pas. C’est pourquoi Popper refusait à la psychanalyse ou au marxisme
le statut de science.

• Les théories scientifiques sont donc des énoncés qui, à un moment donné, n’ont pas
(encore) été réfuté. Il s’ensuit que les sciences ont une histoire faite d’énonciations, de
réfutations et de reformulations. Les sciences de la nature répondent bien à cette
conception de l’activité scientifique comme tentative, toujours partielle et inachevée,
de comprendre le monde.

B. Bachelard met l’accent sur une rupture épistémologique entre le savoir


scientifique et le sens commun

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• En 1938, le philosophe Bachelard publie « La formation de l’esprit scientifique »,
ouvrage dans lequel il insiste sur la nécessaire rupture épistémologique qui doit exister
entre le sens commun (les interprétations de la réalité par les acteurs sociaux) et le
savoir scientifique. Selon lui, le fait scientifique est conquis, construit et constaté.

✓ Il est conquis car il suppose de rompre avec les présupposés ;


✓ Il est construit car un scientifique ne peut pas aborder le réel sans disposer,
auparavant, d’une théorie qui lui permette de formuler une question et
d’avancer une hypothèse ;
✓ Il est constaté car toute théorie doit être confrontée aux faits et ne pas être
invalidée.

• Pas plus que Popper, Bachelard ne considère la science comme un ensemble de


« vérités » qui s’opposeraient aux « erreurs ». c’est, selon lui, « un ensemble d’erreurs
rectifiées ». cette démarche de rectification suppose de la part de scientifiques, la
connaissance de ce qu’est une science, la capacité à mettre en doute les croyances
partagées et une grande attention à la pertinence des méthodes et instruments utilisés.

2. La Sociologie revendique le Statut de Science

A. La formalisation mathématique est une première direction prise par la sociologie

• Une première réponse à l’exigence de scientificité exprimée par Bachelard a été de


recourir à la formulation mathématique. Mathématicien d’origine, Paul Félix
Lazarsfeld a incarné cette volonté de la sociologie d’accéder à la scientificité par le
recours à l’outil mathématique. A l’Université de Columbia, il a développé les
méthodes quantitativistes et mis au point la technique du « panel » qui consiste à
répéter une enquête sur un même groupe d’individus afin de suivre une évolution dans
le temps.

• Cette méthode a porté ses fruits. Entre autres découvertes, on doit à Lazarsfeld une
meilleure connaissance des mécanismes de diffusion d’un message publicitaire dans
l’opinion. Il a montré que le message publicitaire avait besoin, pour être efficace, d’être
relayé par des individus jouant le rôle de leader d’opinion au sein de petits groupes
(famille, amis, etc….)

B. L’interrogation sur les conditions de la réflexion sociologique est une autre façon
de rechercher la scientificité

• Dans « Le métier de sociologue », publié en 1968, Pierre Bourdieu, Jean-Claude


Chamboredon et Jean-Claude Passeron ont explicitement poursuivit la démarche
amorcée par Bachelard. Ils constatent que le travail sociologique peut être altéré par
des présupposés (les croyances que le sociologue partage avec son groupe social) et
les contraintes institutionnelles (une carrière, des possibilités de crédits, etc….) et ils
affirment que la prise en compte de ses contraintes est la condition du travail
sociologique. Ils préconisent le développement d’une sociologie de la sociologie et la
validation des résultats des travaux sociologiques par les autres sociologues.

• Plus de 20 ans après « le métier de sociologue », Jeau-Claude Passeron est revenu sur
le statut de la sociologie dans un ouvrage intitulé « le raisonnement sociologique »
1991). Cela a été pour lui l’occasion d’affirmer que la sociologie était une science qui
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ne relevait pas d’une logique poppérienne. Le travail du sociologue consiste, en effet,
à collecter des informations puis à créer des catégories et à les rapprocher et, enfin, à
énoncer une généralité théorique. Or, la sociologie ne bénéficie par d’un système unifié
et stable de définitions formant un paradigme atemporel et aspatial. Toute théorie
sociologique est nécessairement une interprétation de la réalité et n’est donc pas
falsifiable. La sociologie n’est pas pour autant assimilable à de la littérature ou à une
science « mole ». la rigueur dans la démarche permet d’en faire une « science
empirique de l’interprétation ».

La sociologie ne peut accéder à la scientificité en suivant les mêmes voies que les sciences
dites « dures ». Cela ne signifie pas qu’elle ne soit qu’idéologie ou littérature. Elle sera
d’autant plus scientifique qu’elle saura adapter ses méthodes de travail et d’évaluation à
la spécificité de son sujet d’études : les relations sociales.

III - Les Etapes de la démarche Sociologique

Les sociologues doivent rendre compte scientifiquement de la réalité sociale. A cette fin, la
recherche sociologique se déroule en trois étapes : le sociologue pose tout d’abord une question
tout en écartant les préjugés, puis, il construit un modèle d’analyse pour, vérifier ses hypothèses.

1. De la rupture avec les préjugés à la construction d’hypothèses :

A. Le sociologue doit poser une question et écarter les prénotions (les anticipations) :

• La recherche sociologique part d’une question dont l’origine peut être la


méconnaissance d’un phénomène. Le doute face à une opinion toute faite ou l’intérêt
suscité par un phénomène paradoxal. Une première phase d’exploration a pour but de
cerner le problème. Elle consiste à lire ce qui est disponible sur le sujet, à réaliser
quelques entretiens préliminaires et, éventuellement, une enquête légère.
Cette première phase peut conduire à reformuler la question afin de mieux la délimiter,
de rendre possible une réponse et de supprimer les jugements de valeur de sa
formulation.

• Durkheim conseille d’écarter les prénotions : le sociologue doit donc poser des
questions sans préjuger des réponses. Grâce à une enquête portant sur le comportement
des soldats américains au cours de la seconde guerre mondiale, P. Lazarfeld a montré
que nombre « d’évidences » étaient fausses. Ainsi contrairement à l’opinion commune
qui voudrait que les intellectuels soient psychologiquement plus fragiles que les
manuels, ce sont les soldats faiblement instruits qui ont développé le plus de névroses.

B. Il doit, ensuite, construire un modèle d’analyse :

• Le choix d’une problématique, c’est-à-dire d’une perspective théorique est une étape
charnière entre le questionnement et la mise en place des hypothèses. Les
problématiques sont nombreuses, mais la plupart peuvent s’intégrer dans l’un ou
l’autre des trois courants que sont : la sociologie de l’ordre, la sociologie du conflit et
la sociologie de l’individu. La définition des concepts utilisés se fait en liaison avec la
problématique retenue puisque leur signification varie selon les théories.
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• Issues de la problématique, les hypothèses se font sous une forme qu’il sera possible
de vérifier à l’aide d’observations. Cela exige que l’on détermine les indicateurs qui
seront utilisés afin de les tester. Ainsi, à partie de l’hypothèse selon laquelle
l’intégration familiale protège du suicide, Durkheim choisit comme indicateur de cette
intégration le statut matrimonial (célibataire, marié, veuf).

2. La vérification des hypothèses :

A. La recherche d’observations :

• Afin de tester les hypothèses, il faut maintenant rassembler des informations.

- La sélection des données qui permettent de tester les hypothèses est indispensable
car il est impossible et inutile de recueillir l’ensemble des données potentiellement
disponibles.
- Le choix d’une méthode quantitative ou qualitative est inséparable de celui des
données à recueillir. Une méthode quantitative privilégie les données statistiques ;
une méthode qualitative s’appuie de préférence sur des ouvrages littéraires, des
textes officiels et, surtout, sur des entretiens réalisés par l’équipe des sociologues.

• Ces données peuvent-elles être le résultat d’expériences provoquées par le


sociologue ? l’étude des interactions au sein de groupes restreints se prête à ce genre
de pratique. Cependant, les expériences ne sont jamais renouvelables à l’identique et
ne s’apparentent donc pas à celles réalisées dans le cadre d’une science de la nature.

B. L’analyse des observations :

• L’analyse des observations dépend de la méthode sociologique utilisée.

- Dans le cadre d’une méthode0 quantitative, il faut classer les données statistiques,
mettre en évidence des corrélations (relations) et, à partir de là, des causalités, puis
enfin, comparer les hypothèses aux résultats. En cas d’écart entre les hypothèses
et les observations, il faut interpréter ce résultat en s’interrogeant sur la possibilité
d’un biais (oblique) statistique.
- Dans le cadre d’une méthode qualitative, il faut analyser le contenu des documents
en mettant en valeur les thèmes et le vocabulaire utilisé par les individus ou
organisations à l’origine de ces documents.

• Conclure consiste à délimiter les acquis du travail de recherche pour ce qui est de la
démarche et de la connaissance théorique.

- Lorsque la démarche a donné satisfaction et qu’elle est jugée novatrice et


pertinente, il faut déterminer les conditions requises pour qu’elle puisse être
réutilisée avec profit au cours d’un travail ultérieur.
- La connaissance théorique progresse que les hypothèses soient confirmées ou
infirmées : dans le premier cas, elles doivent être tenues pour vrai (du moins
provisoirement), dans le deuxième cas, le travail aura permis d’écarter une
hypothèse fausse.

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La sociologie a adopté une démarche en trois étapes qui confère à ses conclusions le statut
de vérité scientifique. Cela permet d’échapper à un relativisme absolu qui voudrait que
toutes les affirmations se valent. Mais, s’il est acquis que certains énoncés contiennent plus
de vérité que d’autres, cela ne signifie pas que leur vérité est éternelle. Un énoncé doit être
tenu pour vrai tant qu’il n’a pas été démontré qu’il était faux. Mais le social évolue et se
transforme, la vérité sociologique n’est pas universelle.

IV. Méthode quantitative, méthode qualitative

Afin d’expliquer un phénomène, la sociologie met en œuvre deux méthodes de recherche qui
peuvent être quantitatives ou qualitatives.

La première, dérivée de celle utilisée dans les sciences de la nature, donne la priorité à la
recherche de régularités statistiques. C’est une méthode quantitative, dont l’usage est préconisé
par Durkheim et qui se prête bien à l’analyse de pratiques ayant une certaine fréquence (le
suicide, le mariage, la réussite scolaire, etc….) ; la seconde est fondée sur la recherche de
relations logiques entre deux phénomènes sociaux. C’est une méthode qualitative utilisée par
Weber notamment pour expliquer l’apparition du capitalisme et qui convient pour l’étude des
phénomènes uniques dans l’histoire.

1. Les méthodes quantitatives : la recherche de relations statistiques

A. la construction des variables :

• Toute recherche sociologique commence par la formulation d’une question puis se


poursuit par la construction d’hypothèses qu’il faut, ensuite, tester grâce à
l’observation de la réalité. Il faut, pour cela, transformer le concept utilisé dans la
question en une variable, c’est-à-dire quelque chose de mesurable.

En principe, une variable devrait pouvoir prendre un très grand nombre de valeurs (le
revenu est une variable au sens strict), en sociologie, une variable est un critère de
classification quelconque (le genre, la classe d’âge, le groupe professionnel, le statut
matrimonial, le niveau de diplôme, etc….).

• Le vote dépend-il de l’intégration au catholicisme ? dans cette question que se posent


Guy Michelat et Micchel Simon, le concept qu’il faut transformer en variable est
« intégration au catholicisme ». les auteurs le définissent comme étant le degré
d’adhésion au système de valeur prôné par l’église catholique. La variable dérivée de
ce concept est une classification qui distingue les pratiquant réguliers (assiste à une
messe au moins une fois par mois), les pratiquants non réguliers, les non-pratiquants
et, enfin, les non-catholiques.

B. L’analyse des relations entre les variables :

• Il est maintenant possible de chercher des régularités statistiques entre ces deux
variables que sont le vote et l’intégration religieuse. On s’aperçoit que la probabilité
d’un vote à droite croît avec la pratique religieuse.

Un travail analogue en prenant comme variable son plus la pratique religieuse mais la
possession (ou non) d’une résidence principale montre que les propriétaires votent plus
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fréquemment à droite que les locataires. Or, les catholiques pratiquants sont plus
souvent propriétaires que les autres.

• Qu’est-ce qui est le plus important pour expliquer le vote à droite ? l’intégration
religieuse ou la possession d’un capital foncier ?

Le croisement des variables nous apporte la réponse : seule une minorité de non-
pratiquants possesseurs de leur résidence principale votent à droite alors que c’est le
fait de la majorité des pratiquants réguliers qui sont locataires. Le vote de droite
s’explique bien plus par l’intégration religieuse que par la possession d’un capital.

2. Les méthodes qualitatives : la recherche d’implications logiques :

A. La recherche d’homologies de structure :

• La méthode qualitative consiste à chercher la cause d’un phénomène sans faire


intervenir de données statistiques. Une première façon de faire est de montrer qu’il
existe une relation logique entre deux phénomènes. Leur comparaison permet de
déterminer leurs caractéristiques communes et, éventuellement, leurs différences. Si
les principales caractéristiques de l’un et de l’autre sont identiques, on dit qu’il existe
une homologie (identité) de structure entre ces deux phénomènes. On peut alors établir
une relation de cause à effet entre eux.

• Cette démarche est utilisée par Weber pour expliquer l’apparition de comportements
capitalistes en occident. Pourquoi, en effet, le capitalisme n’est-t-il pas apparu dans
d’autres régions du monde ?

Pour répondre à cette question, il compare les mentalités des capitalistes à celle des
protestants, des catholiques, des musulmans, des bouddhistes, etc….. à l’aide de types
idéaux qui sont des représentations simplifiées de la réalité. Sa conclusion est qu’il
existe une identité entre les valeurs du capitalisme et celle du protestantisme. Pour
Weber, l’éthique protestante a favorisé l’apparition du capitalisme.

B. L’analyse fonctionnelle :

• L’analyse fonctionnelle qui consiste à expliquer un phénomène ou une institution par


le rôle qu’ils jouent dans la société est également une méthode qualitative puisqu’elle
ne fait pas appel à une quantification de la réalité. Bien souvent, elle consiste à
expliquer une pratique en la replaçant dans un ensemble plus vaste qui peut être une
institution ou la société toute entière.

• L’exemple le plus célèbre nous est donné par Merton lorsqu’il s’interroge sur les
raisons de l’hypertrophie des partis politiques américains et du maintien en place
d’hommes politiques corrompus. Il montre que ces phénomènes s’expliquent par des
fonctions latentes : les partis suppléent (remplacent) les dysfonctionnements de l’Etat
en devenant des prestataires de service moins impersonnels que les administrations.
Un phénomène social (l’hypertrophie des partis politiques américains) s’explique par
ses fonctions (fournir rapidement et personnellement des services).

La méthode quantitative présente l’avantage de se prêter à la vérification. Il est donc


possible d’obtenir l’accord de tous les sociologues sur la constatation d’une régularité
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statistique. La méthode qualitative se prête difficilement à la vérification et ne provoque
jamais l’unanimité. Il est toutefois possible d’utilises ces deux méthodes de façon
complémentaire.

Types Méthodologies en sciences sociales


Analyse de contenu • Analyse du discours • Entretien •
Entretien semi directif • Étude de cas • Histoire de vie •
- Méthodes qualitatives
Observation • Observation naturaliste • Observation
participante • Pensée à voix haute
Échantillon • Enquête • Questionnaire • Sociogramme •
- Méthodes quantitatives Sondage • Statistique • Statistiques en psychologie • Tests •
Unités de bruit médiatique
Dialectique • Analyse de réseau • Monographie • Analyse de
- Qualitative & quantitative
données

V - Sociologie de l’action sociale, sociologie du fait social

Qu’est ce que la sociologie ? Max Weber et Emile Durkheim nous ont légué deux des plus grandes grilles
de lecture en sociologie. Le premier a centré son analyse sur l’étude des « actions sociales » alors que le
second a privilégié celle des « faits sociaux »

1. Les théories de l’action sociale :

A. Le sociologue doit étudier les actions sociales :

• Les actions sociales constituent, pour Max Weber, l’objet d’étude de la sociologie.
Une action étant un comportement volontaire, une action sociales présente trois
caractéristiques :

- L’individu ou l’acteur (cela peut être un groupe) doit agir en tenant compte des
autres acteurs. Ainsi, deux individus qui lisent des revues dans une salle d’attente
n’ont pas à proprement parler de relation sociale puisque le départ de l’un
n’affectera pas la conduite de l’autre.

- L’action sociale doit avoir un sens pour les autres. Tendre la main pour saluer
quelqu’un est l’exemple même de l’action dont la signification est claire pour tous.

- Enfin, pour être sociale, une action doit tenir compte de la façon dont elle va être
interprétée par les autres et de la réaction qu’elle va susciter.

• Il existe plusieurs types d’actions sociales. Le premier type, caractéristique de la


société moderne, est l’action rationnelle par rapport à une fin qui consiste à se fixer un
but et à se donner les moyens de la réussite. Cette action a émergé dans le domaine
économique (réaliser un investissement en est un exemple) et s’est, ensuite, étendue
aux autres domaines sociaux au point de devenir dominante dans les sociétés actuelles.

B. La sociologue doit être « compréhensive » :

• Un acteur ayant une stratégie, le sociologue peut et doit étudier son point de vue afin
de comprendre le sens que celui-ci donne à son action. On parle de sociologie

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compréhensive pour désigner pour désigner une méthode de travail s’attachant à
déterminer les mobiles conscients et inconscients des actions individuelles.

Un acteur n’est jamais seul. Il ne faut donc pas focaliser son attention sur un individu,
mais analyser les interactions (les influences réciproques) qui constituent l’action
sociale. A cette fin, il faut comprendre, comment un acteur adapte son action à celle
de ses partenaires, et comment ces derniers réagissent à cette nouvelle donne.

• Le sociologue doit enfin rendre compte de la distance qui existe, la plupart du temps,
entre les objectifs initiaux et les résultats. La multiplicité des acteurs et de leurs
stratégies, avec tout ce que cela comporte comme compromis, est une première
explication de cet écart. Les problèmes posés par l’agrégation des comportements
individuels en est une seconde. Quiconque a fait l’expérience d’un embouteillage un
jour de grand départ sait qu’un comportement individuel rationnel (utiliser sa voiture
pour partir en vacances) devient absurde à partir du moment où il est adopté par
plusieurs millions d’individus.

2. Les théories de l’action sociale :

A. le sociologue doit étudier les faits sociaux :

• En distinguant la conscience individuelle de la conscience collective, E. Durkheim


ouvre d’autres perspectives à la sociologie. La conscience individuelle est l’ensemble
des goûts et aptitudes strictement individuels alors que la conscience collective est
formée de normes et valeurs communes à l’ensemble du groupe social. Pour E.
Durkheim, préférer le bleu au vert relève de la conscience individuelle, alors que
préférer la démocratie à la dictature est du domaine de la conscience collective.

• Le sociologue doit étudier les faits sociaux, expression de cette conscience collective.
E. Durkheim les définit comme l’ensemble des actions, pensées et sentiments
extérieurs imposés à l’individu par la société. Cela signifie qu’ils ne sont pas
individuels et que cette dernière cherche à les faire partager par l’ensemble de ses
membres en usant de la socialisation et du contrôle social.

B. La sociologie doit être « objective » :

• Le sociologue ne peut pas comprendre les faits sociaux à partir des individus puisque
leurs actions sociales relèvent de la conscience collective et non pas de la conscience
individuelle. Un fait social ne peut donc être expliqué que par un autre fait social
antérieur. Pour expliquer le suicide, par exemple, il ne faut pas interroger des individus
qui ont tenté de se donner la mort, mais rechercher les variables sociologiques (âge,
sexe, situation matrimoniale, etc….) qui favorisent ce comportement.

• Dans un souci d’objectivité, Durkheim recommande de traiter les faits sociaux comme
des choses, c’est-à-dire comme des objets d’observation. A l’image du biologiste, le
sociologue doit être extérieur à son objet d’étude. Il lui faut définir son sujet d’étude,
écarter les prénotions qui nuisent à la recherche scientifique, construire des hypothèses
et les vérifier à l’aide de données statistiques.

Au tournant de XIXe siècle, Weber et Durkheim ont défini deux grandes conceptions du
social et de la sociologie : la première raisonne en termes d’individu, la seconde en termes
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de variables sociologiques. Alor que certains sociologues du XXe siècle se situent
clairement dans l’un de ces deux mouvements, à l’image de Raymond Boudon qui
revendique l’héritage wébérien, d’autres chercheurs ont essayé de dépasser cette
opposition, c’est notamment le cas de Pierre Bourdieu.

PARTIE II : LES FONDATEURS

I. Comte : le positivisme
II. Marx :

A. Le matérialisme historique
B. Les classes et l’Etat

III. Durkheim :

A. Les règles de la méthode sociologique


B. La société
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IV. Weber :

A. Une sociologie compréhensive


B. La rationalisation

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PARTIE II : LES FONDATEURS

I. Comte : le positivisme

Auguste Comte (Montpellier, 1798 – Paris, 1857) est celui à qui revient la paternité du mot
« sociologie ». Mais ce n’est pas son seul mérite et il est surtout connu pour être le représentant
le plus rigoureux du « positivisme ». Pour ce courant de pensée, seule la connaissance
scientifique des faits peut prétendre à la vérité, et la sociologie doit être conçue sur le modèle
de la physique. Cette position bien tranchée a fait de Comte l’interlocuteur incontournable de
tous les sociologues qui, jusqu’à Weber se sont penchés sur le statut de la sociologie.

1. La sociologie est une physique sociale

A. Les sciences de la nature…

• Le positivisme est un scientisme pour qui seule la connaissance scientifique des faits
peut prétendre à la vérité. La physique en constitue la modèle : à partir d’expérience,
et grâce à l’utilisation des mathématiques, le physicien peut déterminer des lois
universelles qui rendent intelligible le monde.

• A partir des mathématiques, les sciences se sont développées les unes après les autres
selon le même modèle, chacune prenant appui sur celle qui l’a directement précédée.
De l’astronomie, les hommes sont passés à la physique puis à la chimie et enfin à la
biologie qui, pour A. comte, est la dernière activité à avoir accédé au statut de science
(à l’esprit positif).

A. ….ont procédé la sociologie

• La sociologie, que comte entend fonder, se situe d’abord en continuité des sciences
qui l’ont précédée. Non seulement la sociologie leur est redevable de sa
méthodologie, mais elle bénéficie également de l’ensemble des savoirs accumulés
par ces sciences. Elle est donc la discipline qui, dans l’esprit d’A. Comte, va
couronner et parfaire l’ensemble des recherches menées jusque-là.

• Mais la sociologie est également une discipline spécifique. Car l’homme étudié par
la sociologue est, non seulement, un être biologique mais, également un être social
façonné par l’histoire. Les générations successives d’hommes, dans leur volonté de
vivre ensemble, ont construit un ordre social qui est à la fois naturel et intellectuel ou
moral. Du fait de leur rapport à l’histoire, les phénomènes sociaux sont donc plus
complexes que les faits strictement naturels.

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2. Le sociologue doit mettre en évidence des lois

a. La sociologie doit dégager des lois ……..

• L’homme étant un être social, il n’est pas possible, nous dit Comte, d’expliquer les
phénomènes sociaux en partant des individus (contrairement à ce que soutient
aujourd’hui le courant de « l’individualisme méthodologique »). Il faut au contraire
partir de la totalité ‘la société) pour en comprendre les parties (l’individu ou plutôt la
famille qui constitue, pour Comte, l’élément de base de la société).

La tâche du sociologue consiste alors à mettre en évidence des lois sociales qui, à
l’image des lois de la physique, permettent de déduire les conséquences d’une
combinaison de phénomènes sociaux.

B. .. dont celle des « trois états » est l’exemple le plus achevé

• La « loi des trois états » est, pour Comte, l’exemple de ce qu’un sociologue peut
mettre en valeur. Dans son analyse du développement de l’esprit humain et donc du
rapport au savoir, il croit discerner trois moments :

- Dans le premier état, l’état théologique, les hommes trouvent des explications
surnaturelles aux phénomènes, qu’ils soient purement naturels ou sociaux ;
- Dans l’état métaphysique dérivé du premier, « les agents sur naturels (….) sont
remplacés par des forces abstraites ». Ainsi, par exemple, l’ordre social
n’apparaît plus comme étant d’origine divine mais comme étant un fait naturel.
- Dans l’état positif, enfin les hommes, à partir de l’observation et à l’aide des
mathématiques, mettent en évidence des relations stables (des lois) entre les
phénomènes.

• A ces trois formes de pensée, Comte associe trois types d’institutions économiques
et politiques :

- L’esprit théologique est caractéristique des sociétés hiérarchisées et militaires


dont le Moyen Age européen fournit les exemples les plus significatifs ;
- L’esprit métaphysique qui domine l’Europe de la Renaissance aux Lumières
est associé à des institutions transitoires qui rompent avec l’ordre ancien sans
pour autant assurer pleinement la suprématie de l’industrie sur l’organisation
militaire ;
- L’esprit positif correspond à une organisation sociale basée sur l’industrie et
qui fait de la production l’activité centrale de la société.

Ainsi, à partir d’une réflexion sur l »évolution de l’esprit humain, Comte aboutit à une
conception assez déterministe de l’évolution des sociétés.

Comte est longtemps resté une référence incontournable en sociologie par sa


prétention à fonder une sociologie objectiviste qui détermine des lois sociales et, en
particulier, les lois de l’évolution de la société.

Mais la difficulté de toute sociologie objective est de concilier ces lois sociales et une
relative liberté humaine. Faute d’avoir donné une solution satisfaisante à cette

14
contradiction, Comte est aujourd’hui considéré comme une figure historique
essentielle mais dépassée de la sociologie.

II. Marx :

A. L e matérialisme historique

Karl Marx (Trèves, 1818 – Londres, 1883) fonde sa méthode d’analyse de la société sur un
double refus : celui d’expliquer les transformations de la société par les idées, et ce lui de
faire de l’Etat le garant de l’intérêt général. Il renverse ces deux propositions et fait de
l’économie la base dont dépendent l’Etat et les idées. D’où le reproche qui lui est fait de
réduire les phénomènes sociaux à des phénomènes économiques. Ce reproche est fondé,
mais il existe également chez Marx des textes, contradictoires avec les premiers, qui
accordent une relative autonomie au politique et au culturel.

1 - Une société est définie par son mode de production :

b. Rapports de production et forces productives ……….

• Les forces productives sont l’ensemble des ressources matérielles (matières


premières, machines et entreprises) et des ressources humaines (la main-d’œuvre
caractérisée à la fois par le nombre de travailleurs et par leurs qualifications) dont
dispose une société.

• Les rapports de production sont les rapports de propriété sur les ressources
matérielles. De ces rapports de production dérivent des rapports d’exploitation. Car
la classe sociale qui ne possède que sa force de travail est bien obligée de mettre cette
capacité de travail au service de la classe qui a la propriété des moyens de production.
De cette exploitation (la classe exploitante s’approprie une partie de la richesse créée
par les travailleurs) naît la lutte des classes.

b. …..forment le mode de production

• Le mode de production est le système économique composé des forces


productives et des rapports de production. Dans les premiers temps qui suivent la
mise en place d’un mode de production, les nouveaux rapports de production
favorisent le développement des forces productives puis, peu à peu, ils font
obstacle à leur expansion. Il faut alors, nous dit K. Marx, changer de mode de
production pour libérer les forces productives.

• Le mode de production féodal a ainsi succédé au mode de production esclavagiste,


avant de céder la place au capitalisme. Caractérisé par la propriété privée des
moyens de production et donc par l’opposition entre la bourgeoisie et le
prolétariat, ce mode de production à, dans un premier temps, permis un
développement considérable des forces productives avant de connaître des crises
industrielles. Aussi K. Marx prophétise-i-il son dépassement par un mode de
production socialiste puis communiste dans lequel, en l’absence d’exploitation, le
développement des forces productives serait facilité et bénéficierait à tous.

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2- Le mode de production détermine les relations sociales

c. Les relations sociales sont façonnées par l’infrastructure économique :

• Sur cette base économique (l’infrastructure), Marx pose une superstructure


juridique et politique à laquelle il associe les domaines culturels ou religieux.
L’économie détermine donc le système politique et juridique, mais également les
phénomènes culturels et les idées. « L’existence sociale des
hommes……détermine leur conscience », nous dit Marx en faisant des classes
sociales et de leurs relations le fondement des systèmes de croyance.

• Cette lecture de Marx est fortement déterministe. Les individus semblent être
l’incarnation de leur classe sociale et paraissent privés de toute liberté de choix.
Ainsi, le capitaliste qui offre de mauvaises conditions de travail à ses ouvriers n’a
guère d’autres possibilités. Il est tout simplement rationnel en cherchant à
maximiser son profit conformément à l’intérêt commun à tous les membres de la
bourgeoisie

d. La lutte de classe favorise le changement social :

• Les classes sociales sont, chez Marx, les acteurs collectifs qui, au cours de leurs
affrontements, transforment l’organisation économique et sociale. Dans la société
capitaliste, la classe ouvrière est l’acteur central qui, au cours de la lutte contre la
bourgeoisie, transforme le système économique. En obtenant satisfaction, les
mouvements ouvriers obligent le capitalisme à se modifier même si, nous dit
Marx, sa logique (l’exploitation) reste inchangée. A terme, la classe ouvrière –
c’est du moins ce que prophétise Marx – devrait obtenir le remplacement du
capitalisme par le socialisme puis le communisme.

• Les analyses historiques de Marx se révèlent moins déterministes que ses œuvres
plus militantes dans la mesure où il reconnait que l’action des classes et
éventuellement de certains hommes peut orienter l’histoire ne serait-ce que
temporairement. Il est au moins possible aux hommes d’accélérer ou de ralentir
un processus de transformation économique que Marx juge souhaitable et espère
inéluctable.

La diversité et, il faut le dire, l’aspect contradictoire des textes de Marx ont autorisé plusieurs
lectures de son œuvre.

Une partie des chercheurs ont insisté sur sa volonté de faire du matérialisme historique une
science et ont, à l’image d’Althuser, privilégié l’étude des structures et des lois du système
économique plutôt que celle des actions des acteurs, fussent-ils collectifs.

D’autres, histories pour la plupart, ont accordé une relative autonomie au culturel et au politique
dans des travaux portant sur la culture populaire ou sur les rapports de force entre acteurs
collectifs.

A. Les classes et l’Etat

Marx sociologue nous a légué une réflexion sur la division du travail, sur la production
sociale des connaissances (les idéologies) et sur les classes sociales et l’Etat. Ces deux

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derniers aspects de sa pensée qui ont le plus suscité les commentaires sont l’objet de cette
présentation.

1. Le capitalisme est caractérisé par la lutte opposant la bourgeoisie au prolétariat

a. Marx distingue les classes « en soi » des classes « pour soi » :


• Le premier des critères avancé par Marx pour définir une classe sociale est sa
place dans les rapports de production. Le rôle joué par une classe dans la
production de la richesse est ici déterminant et Marx oppose les classes qui sont
propriétaires des moyens de production à celles qui ne possèdent que leur force
de travail c’est-à-dire leur capacité à travailler.
• Le second critère utilisé par Marx pour définir une classe est la conscience de
classe, c’est-à-dire le sentiment d’appartenir à un groupe ayant des intérêts
communs. Or, l’apparition d’une conscience de classe n’est pas automatique.
Marx cite ainsi l’exemple des paysans qui, vivant repliés sur leur exploitations
familiale, entretiennent peu de relations entre eux et n’ont pas développé de
conscience de classe. Pour reprendre les termes de Marx, ils forment une classe
« en soi » (ils sont définis objectivement) mais pas une classe « pour soi » (ils
n’ont pas la conscience du rôle qu’ils pourraient jouer).
• Une classe, enfin, est définie par les rapports conflictuels qu’elle entretient avec
les autres classes. Marx s’intéresse avant tout au conflit qui oppose deux classes
(le prolétariat et la bourgeoisie) conscientes de leurs intérêts respectifs. Mais une
alliance entre plusieurs classes contre un adversaire commun est également
possible.

b. Le capitalisme est voué à la bipolarisation sociale :


• Dans ses ouvrages à caractère historique et politique (La lutte des classes en
France), Marx distingue jusqu’à sept voire huit classes sociales différentes : la
bourgeoisie industrielle, la bourgeoisie financière, la bourgeoisie commerciale,
la petite bourgeoisie (les artisans, les professions libérales….), la bureaucratie
(fonctionnaires, militaires…..), le prolétariat et, pour finir, le sous-prolétariat
composé des exclus du système productif.
• Toutes ces classes n’ont pas la même importance dans le fonctionnement du
mode de production capitaliste. L’opposition entre deux d’entre elles (la
bourgeoisie d’une part, et le prolétariat d’autre part) suffit à rendre compte de la
logique du système capitaliste.
L’analyse des autres classes, bien que celles-ci soient numériquement
majoritaires à l’époque où écrit Marx, n’est pas nécessaire à la compréhension
du système capitaliste. De plus, nous dit Marx, à terme, le concentration
économique devrait aboutir à une bipolarisation effective de la société en
scindant la paysannerie et la petite bourgeoisie (que nous appellerions
aujourd’hui les classes moyennes) en deux : la plus grosse partie de ces deux
classes devrait se prolétariser alors qu’une minorité devrait s’enrichir et intégrer
la bourgeoisie.

2. L’Etat est le reflet de l’organisation économique :

a. L’Etat est au service de la classe dominante :

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• L’Etat est analysé par Marx comme un instrument de domination au service de
la classe exploitante. Témoin des violones affligées aux mouvements ouvriers
par les gouvernements européens, Marx considère que l’Etat dans les sociétés
capitalistes a pour finalité le maintien de l’exploitation du prolétariat par la
bourgeoisie.
• En réduisant l’Etat aux intérêts d’une classe exploitante, Marx s’inscrit en faux
contre les thèses de Hegel selon lesquelles l’Etat serait l’incarnation de la
rationalité. En fait, affirme Marx, l’Etat n’est aucunement extérieur ou supérieur
à la société ; il en est, au contraire, l’émanation. En cela, il est cohérent avec une
conception de la société qui fait de l’économie une infrastructure sur laquelle se
développent les instances étatiques. Mais, ce faisant, Marx est incapable
d’accorder le moindre intérêt au concept d’Etat de droit.

b. Marx prévoit son dépérissement avec la progression vers le communisme :

• Appelant de ses vœux l’instauration d’un mode de production communiste


caractérisé par la disparition de l’exploitation, Marx envisage le dépérissement
de l’Etat. A la suite de l’interdiction de la propriété privée des moyens de
production, les classes sociales devraient disparaître et, avec elles, l’exploitation.
L’Etat, alors, n’aurait plus sa raison d’être.
• Mais il a fallu plusieurs siècles pour que le capitalisme se substitue totalement
au féodalisme. Aussi Marx prévoit-il que le passage au communisme sera lent.
Entre deux modes de production, il prévoit un stade intermédiaire : le socialisme
dans lequel la propriété collective des moyens de production aura été instituée
sans que les anciennes classes n’aient totalement disparues. Sous le socialisme,
l’Etat reste indispensable comme instrument de la domination du prolétariat sur
l’ancienne bourgeoisie, mais il doit dépérir au fur et à mesure que les anciens
clivages sociaux s’estompent.

Marx définit les classes sociales à partie des trois critères que sont la place dans les
rapports de production, la conscience de classe et la lutte des classes. Les classes nouent
entre elles des rapports d’exploitation que l’Etat, instrument de la clase dominante, doit
maintenir. Marx opère donc une démystification de l’Etat, relégué au rang de simple
instrument, mais cette démarche l’empêche de penser l’Etat de droit.

III. E. Durkheim :

B. Les règles de la méthode sociologique

Emile Durkheim (Epinal 1858 – Paris 1917) est unanimement considéré comme le père de
la sociologie française. Philosophe de formation, il a fait de la sociologie une science sociale
à part entière en posant les bases méthodologiques de cette discipline, puis en regroupant
autour de sa revue « L’année sociologique » une équipe de recherche, et enfin en
l’enseignant à l’Université. Les réflexions méthodologiques de Durkheim sont concentrées
dans trois ouvrages : « Les règles de la méthode sociologique » (1895), « De la division du
travail social le suicide » (1893), Etude de sociologie (1897). Dans les règles de la méthode
sociologique, il s’attache tout d’abord à définir l’objet de la sociologie (étudier les faits
sociaux) avant d’énoncer les principales règles auxquelles doivent s’astreindre les
sociologues.

1- Le sociologue doit étudier les faits sociaux


18
a. Faire de la sociologie une science

• Homme de la IIIe République, E. Durkheim se demande comment il est possible


de réconcilier et de réunir ses concitoyens. Il se propose de fonder une science dont
l’objet est d’étudier les « faits sociaux » afin d’éclairer les citoyens sur le
fonctionnement de la société et de les guider dans leur œuvre de réformes sociales.
• Pour cela, en prenant exemple sur les sciences de la nature, il veut faire de la
sociologie une discipline positive qui rompe avec la métaphysique, et qui soit
capable d’un progrès cumulatif de connaissance scientifiquement fondées.
Durkheim, ici, se situe dans une tradition positiviste.

b. Définir les faits sociaux

• Il commence par définir les faits sociaux comme étant des « manières de penser,
d’agir et de sentir » qui existent en dehors des consciences individuelles et qui sont
dotées d’un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s’imposent aux individus ;
• Un fait social est donc toute action ou pensée qui respecte deux conditions.
La première est que cette action ou pensée ait une origine sociale. L’invité qui offre
des fleurs à la maîtresse de maison ne le fait pas en fonction de ce que Durkheim
appelle « sa conscience individuelle », il le fait en fonction d’une « conscience
collective » qui le dépasse, qui est commune à tous les membres de la société et
qu’il a intériorisée.
La seconde condition est que la société fasse pression sur l’individu pour imposer
cette action. Quand ils respectent les normes, les individus considèrent que leur
comportement va de soi, et ils ne ressentent pas le pouvoir de coercition des faits
sociaux. Mais, nous dit Durkheim, tous les faits sociaux sont contraignants et il
suffit de transgresser une règle pour provoquer soit une sanction officielle soit une
réaction négative de l’entourage.

2 - Le sociologue doit respecter deux règles fondamentales

a. Les faits sociaux doivent être traités comme des choses

• La première règle à laquelle doit se plier le sociologue est « de considérer les faits
sociaux comme des choses ». A l’image du biologiste, le sociologue doit pouvoir
être extérieur à son sujet d’étude s’il veut que son travail soit scientifique.

• Il doit, pour cela, faire abstraction des prénotions (des idées non scientifiques) qui
lui viennent de ses expériences personnelles et qui font obstacle à la connaissance
scientifique. Comment imaginer, en effet, qu’un sociologue puisse étudier la
famille, la religion ou le suicide sans idées préconçues ? Celles-ci sont souvent la
force de l’évidence mais sont issues d’expériences personnelles forcément limitées
qu’il serait hasardeux de tenir pour représentatives.

b. Un fait social n’est explicable que par un autre fait social qui lui est antérieur

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• Pour comprendre les faits sociaux, le sociologue ne peut se contenter d’interroger
les individus sur leurs motivations puisque la conscience collective qui e st à
l’origine de leurs actions leur est extérieure.
Il ne doit pas non plus les expliquer en accordant une place prépondérante à des
faits étrangers au domaine de la sociologie. Durkheim rejette ainsi les explications
du suicide en termes d’hérédité (ce qui relève de la biologie) ou de la faiblesse de
caractère (ce q et du domaine de la psychologie).

• Il affirme au contraire que « la cause déterminante d’un fait social doit être cherchée
parmi les faits sociaux antécédents ».
Il préconise alors de vérifier s’il existe une « concomitance » (un rapport de
simultanéité) entre deux variables statistiques avant de s’interroger sur une
éventuelle relation de causalité entre les deux phénomènes observés. L’un des
phénomènes peut être la cause de l’autre mais, bien souvent, Durkheim fait
intervenir un troisième élément qui détermine les deux premiers.
Ainsi, après avoir vérifié statistiquement que les hommes se suicidaient plus
fréquemment que les femmes, il explique cette différence par une moindre
intégration sociale des hommes.

En faisant se la sociologie une discipline autonome, Durkheim à ouvert la voie à un courant de


pensé distinct des traditions marxiste ou weberienne. Il a inauguré une méthode de recherche que
l’on qualifie de quantitative car elle est basée sur des enquêtes statistiques. Toujours en vigueur
aujourd’hui, ces techniques sont à la fois concurrentes et complémentaires des méthodes
qualitatives privilégiées par l’Ecole de Chicago et ses héritiers.

B. La Société

Tout au long de son œuvre, Durkheim s’est interrogé sur les conditions de l’intégration sociale
des individus. Trois ouvrages constituent les points forts de sa réflexion : « De la division du
travail social », publié en 1895, « Le suicide, Etude de sociologie », qui date de 1897 et enfin
« Les formes élémentaires de la vie religieuse », paru en 1912.

1- Durkheim pense que la société crée les individus

a. La distinction entre la conscience collective et la conscience individuelle

• Préoccupé par l’intégration des individus dans la société, Durkheim fait une
distinction entre une « conscience collective » et une « conscience individuelle »
qui coexisteraient au sein de chaque personne.

- La conscience collective est l’ensemble des idées communes à tous les


membres de la société. Elle est le résultat du brassage des pratiques et des idées

20
mises en œuvre par les membres d’une société depuis de nombreuses
générations et offre une richesse et une complexité infiniment supérieure à
celles des représentations d’un seul individu.
- La conscience individuelle est constituée des opinions propres à un individu.

• A l’encontre des utilitaristes, Durkheim pense que des individus guidés par leur
seule conscience individuelle seraient incapables de vivre en groupe, car la
poursuite exclusive des intérêts personnels ne peut pas aboutir à des liens sociaux
durables. Seule la conscience collective réunit les individus, elle fait de la société
une entité morale, harmonieuse, différente de la somme de ses membres et
supérieure à chacun d’entre eux.

b. La distinction entre le sacré et le profane

• Durkheim voit dans la religion l’illustration de sa thèse sur la supériorité de la


société sur l’individu. Dans les formes élémentaires de la vie religieuse, Durkheim
définit toute religion par sa capacité à distinguer le sacré du profane.

- Tout ce qui relève du sacré est isolé du profane et protégé par des interdits.
Cela peut être des dieux, des lieux, des objets, des gestes, des rites, des
croyances, etc ;
- Tout ce qui relève du profane est maintenu à l’écart du sacré par des interdits.
Ainsi toutes les relogions interdisent certaines attitudes, certaines tenues
vestimentaires dans les lieux sacrés.

• Dans les communautés primitives australiennes, le totem, en tant qu’être mythique


représentant un clan (groupe primitif de parenté), est au cœur du domaine sacré. Au
cours des cérémonies religieuses, tout se passe comme s’il insufflait à chacun des
participants une énergie diffuse (la mana) qui unifie le groupe. En fait, nous dit
Durkheim, derrière le culte du totem se cache celui du clan qui est une réalité
supérieure à chacun des membres. Il généralise ensuite cette analyse en faisant de
toute religion l’expression du culte de la société qui est la seule réalité à dépasser
les individus et à pouvoir les rassembler.

2- Le lien social est fragile

a. La division de travail est source de solidarité mais la « conscience collective » tend


à s’affaiblir

• Dans son ouvrage consacré à la division du travail, Durkheim analyse celle-ci


comme un phénomène social (et non pas économique) qui a pour conséquence la
création d’une nouvelle solidarité entre les membres de la société. Alors que dans
les sociétés à « solidarité mécanique » (les sociétés à faible division de travail), les
individus sont tous semblables, dans les sociétés à « solidarité organique » (les
sociétés à forte division de travail), les individus exercent des fonctions différentes
et sont donc dépendants les uns des autres. Par référence au corps humain dans
lequel les organes sont différents mais concourent tous à la vie, Durkheim qualifie
cette solidarité d’organique. La division du travail crée donc de la solidarité.

• Cependant, le développement de la conscience individuelle dans les sociétés à


solidarité organique se traduit par un affaiblissement de la conscience collective et
21
peut déboucher sur une neutralisation de la solidarité dans l’hypothèse où un relatif
équilibre entre les deux consciences ne serait pas maintenu.

b. L’affaiblissement de la conscience collective favorise le développement de


comportements anormaux

• Durkheim en veut pour preuve le fort niveau de suicide dans les sociétés modernes.
Plus fréquent dans les sociétés à solidarité organique que dans les sociétés à
solidarité mécanique, le suicide participe également d’autres logiques :

- Le suicide altruiste, caractérise des sociétés à forte conscience collective, est le


fait de personnes qui renoncent à la vie au nom d’une valeur suprême ;
- Le suicide égoïste, plus courant dans les sociétés à forte conscience
individuelle, est au contraire le fait de ceux qui refusent de se plier aux normes
sociales et qui préfèrent la mort au conformisme ;
- Le suicide anomique enfin, est comme le précédent, caractéristique des sociétés
modernes. En période d’instabilité et de précarité (crise économique par
exemple), certains individus, frustrés de ne pas pouvoir atteindre leurs
objectifs, peuvent être tentés par le suicide lorsque la conscience collective est
affaiblie.

• Ce dernier type de suicide amène Durkheim à définir l’anomie comme étant un état
dans lequel les individus ne sont pas guidés par les valeurs et les normes. En
l’absence de conscience collective forte, les individus ont fréquemment des
pratiques anormales qu’il qualifie de pathologiques et dont le suicide n’est d’un
exemple extrême. L’affaiblissement de la conscience collective favorise ce que
nous appelons aujourd’hui la déviance.

En France, les disciples de Durkheim ont poursuivi sa réflexion sur les relations entre
l’individu et la société. Après la Seconde Guerre mondiale, l’influence de cette école s’est
effacée mais d’autres courants de pensée ont emprunté à Durkheim certains de ses concepts.

IV. Weber :

Max Weber (Erfurt, 1864 – Munich, 1920) est souvent opposé à Durkheim. L’un et l’autre
ont, à la même époque, contribué à l’institutionnalisation de la sociologie en l’introduisant
ou en la développant (dans le cas de M. Weber) au sein de l’université. Mais, alors
Durkheim s’inspire des sciences de la nature, Weber cherche, au contraire, à s’en distinguer
et à fonder une méthodologie originale et spécifique à la sociologie

A. Une sociologie compréhensive

1. La sociologie est différente des sciences de la nature

a. La sociologie a pour objet l’étude des actions sociales

• L’objet premier de la sociologie est, pour M. Weber, l’étude des actions sociales.
Toute action n’est pas une action sociale. Il définit une action comme étant toute
conduite à laquelle un individu accorde une signification et une intentionnalité (ex :
22
ouvrir une porte) et une action sociale comme étant une action entreprise en tenant
compte des réactions des autres (ex : ouvrir une porte pour laisser passer
quelqu’un).

• Toute action sociale suscite une réponse (ex : la personne à qui l’on a cédé le
passage peut adresser un signe de remerciement), si bien que le sociologue doit
étudier les actions réciproques (les interactions) des uns et des autres.

b. Elle est différente des sciences de la nature

• Ainsi défini, le domaine de la sociologie est, comme celui des sciences de la nature,
infini. Sciences de la nature et sciences de la culture ont donc en commun d’être à
jamais incapables d’expliquer la totalité des phénomènes qui relèvent de leur
domaine de compétence respectif.

• Mais ce qui les distingue est plus important que ce qui les réunit :

- Les sciences de la nature étudient les phénomènes qui se répètent naturellement


et qui sont souvent reproductibles en laboratoire. Il est alors possible de mettre
en valeur des relations de causalité et, à l’aide d’une modélisation mathématique,
d’en tirer des lois générales.

- Les sciences de la culture (dont la sociologie) étudient les phénomènes qui


dépendent des intentions humaines. Il faut donc, nous dit Weber, s’interroger sur
les motivations des individus avant de rechercher des relations de causalité sans
qu’il ne soit possible d’isoler une variable pour l’étudier en laboratoire ;
Aussi M. weber estime-t-il qu’une vérité sociologique n’est pas transposable en
dehors du domaine d’étude pour lequel elle a été mise en évidence. Il n’existe
donc pas, en sociologie, des lois générales comparables à celles des sciences de
la nature.

2. La sociologie doit être compréhensive et explicative

a. Le sociologue doit comprendre et expliquer les phénomènes sociaux

• Les sciences de la culture, confrontées à des phénomènes intentionnels, doivent


adopter une méthode compréhensive qui leur est spécifique. Alors que le chimiste
ne peut étudier un produit qu’en le soumettant à l’expérience, le sociologue peut
comprendre un acte social de l’intérieur en s’interrogeant sur les intentions de
l’individu qui l’a commis ;
Certaines relations sociales sont immédiatement compréhensibles car la relation
entre les intentions et les actes est évidente (ex : les relations de politesse). D’autres
sont plus complexes et le sociologie doit en construire la signification en
recherchant les intentions officielles ou secrètes de chacun des acteurs (ex : le
développement du capitalisme).

• La compréhension des phénomènes doit ensuite être complétée par une explication
faisant intervenir des relations de causalité. Après avoir mis en valeur les intentions
de tous les acteurs mis en relation, il faut rechercher les actes qui en ont découlé et

23
les conséquences, parfois éloignées des intentions, qui en ont résulté. M. Weber
ouvre ici la voie à des analyses en termes « d’effets pervers ».

b. Il utilise u outil spécifique : l’idéal – type

• Pour l’aider à comprendre les phénomènes sociaux, le sociologue doit utiliser un


outil qui lui est propre et que M. Weber nomme « idéal-type » ;

Un idéal-type est une représentation simplifiée de la réalité construite en négligeant


tout ce qui n’est pas caractéristique du phénomène étudié et en accentuant, au
contraire, ses traits spécifiques. Ce n’est ni une moyenne ni une description fidèle
de la réalité, mais un modèle abstrait, à l’image du marché chez les économistes
néoclassiques, qui doit permettre de mettre en valeur la logique des relations
sociales telles qu’elles découlent des intentions des différents acteurs. Pour
déterminer les caractéristiques essentielles d’un idéal-type, le sociologue doit
opérer par comparaison et observer ce qu’une organisation économique, une forme
de domination a en plus ou en moins par rapport aux autres.

• Ainsi, quand il forge l’idéal-type de l’esprit du capitalisme pour rendre compte de


l’état d’esprit des chefs d’entreprises, il réduit leur système de valeurs aux deux
valeurs centrales que sont le travail et l’épargne.

La bureaucratie, le capitalisme, l’esprit du capitalisme, l’éthique protestante, les


différentes formes de domination (traditionnelle, charismatique, légale) ou d’action
(traditionnelle, affective, rationnelle en valeur, rationnelle en finalité)…sont
quelques-uns des types idéaux les plus couramment utilisés par M. Weber.

B. La rationalisation

Marx Weber est devenu célèbre pour avoir publié en 1905 »L’éthique protestante et l’esprit
du capitalisme », ouvrage dans lequel il insiste sur le rôle des valeurs dans les
transformations économiques. Mais « Economie et société » dont la rédaction débute en
1909 est l’ouvrage dans lequel il a exposé l’essentiel de ses concepts de base : action sociale,
rationalité, domination, légitimité……pour lui, le monde moderne est caractérisé par une
nouvelle forme de rationalité qu’incarne le capitalisme.

1. La rationalité moderne s’incarne dans la domination légale

a. Weber observe une rationalisation des actions sociales

• Dans la société traditionnelle, M. Weber décèle trois formes principales d’actions


individuelles qui correspondent chacune à une logique particulière :

- L’action traditionnelle consiste, pour un individu, à respecter les usages sans


s’interroger sur la finalité de l’action (respecter les habitudes vestimentaires) ;
- L’action affective est une réaction que l’on qualifierait parfois d’instinctive (se
quereller) ;
24
- L’action rationnelle par rapport aux valeurs peut être illustrée par l’attitude du
capitaine qui coule avec son bateau.

• Le monde moderne, quant à lui, est caractérisé par une quatrième logique – la
rationalité par rapport aux fins – qui se substitue partiellement aux trois premières.

Cette rationalité est caractéristique de l’action d’un individu qui choisit un objectif
et les moyens les plus efficaces pour atteindre son but. Primordiale en économie,
elle s’étend à tous les domaines sociaux et réduit l’influence des valeurs dans les
conduites humaines.

b. Cette rationalisation débouche sur une domination légale

• Cet affaiblissement des valeurs rend plus que jamais nécessaire la légitimation de
la domination, c’est-à-dire la capacité d’influencer le comportement d’autrui.
Weber s’intéresse tout particulièrement à la politique et se demande comment un
pouvoir nécessairement contraignant peut être accepté par la population.

• Il distingue trois formes de domination qui correspondent chacune à une légitimité


particulière :

- La domination traditionnelle est fondée sur le respect des coutumes ;


- La domination charismatique résulte de la personnalité exceptionnelle d’un
individu ;
- La domination légale, caractéristique des sociétés modernes, suppose qu’il existe
des règles rationnelles établies pour accéder au pouvoir et un statut légal pour celui
qui l’exerce. La domination légale est la forme que doit prendre le pouvoir dans
une société dominée par la rationalité moderne.

A ces conditions, l’Etat peut exercer la « monopole de la violence légitime ». il


exerce une domination sur la population, mais cette domination est rationnelle et
fait le moins possible appel à la violence.

2. L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme

a. Le protestantisme a favorisé le développement du capitalisme


• Le capitalisme est, pour Weber, caractérisé par l’existence d’entreprises dont le but
est de maximiser leur profit au moyen d’une organisation rationnelle du travail et
de la production.

• En étudiant l’apparition du capitalisme moderne à partie de XVIe siècle, il observe


une corrélation entre des professions (chefs d’entreprises, banquiers) et une
confession (le protestantisme). Il cherche alors à comprendre ce phénomène et à
expliquer le développement du capitalisme en partant des motivations des acteurs
(les capitalistes, les protestants) et non pas les conditions matérielles de la
production comme l’avait fait Marx avant lui.

b. L’esprit du capitalisme et l’éthique protestante sont congruents

25
• L’esprit du capitalisme est un idéal-type construit par Weber autour de deux valeurs
(le travail et l’épargne) qui lui paraissent caractéristiques de la mentalité des
capitalistes modernes ;
- Le travail est la valeur fondamentale du capitalisme. C’est un but en soi autour
duquel un individu doit organiser sa vie.
- L’épargne et son corollaire, l’investissement, est l’autre valeur centrale du
capitalisme puisqu’une partie conséquente de la richesse doit être épargnée afin
d’élargir la base productive.

• L’éthique protestante trouve son origine dans la solitude de l’homme face à Dieu.
Alors que les catholiques peuvent trouver le salut dans le respect des dogmes de
l’Eglise, les calvinistes sont persuadés que l’homme est prédestiné.

Comment savoir si l’on est élu ? A cette question, certains protestants ont répondu
que la réussite professionnelle est un signe d’élection. L’individu doit donc se
consacrer à son travail considéré, ici encore, comme une fin en soi et favoriser
l’épargne plutôt que la consommation puisque cette dernière est source de plaisir.

Les valeurs du protestantisme ont donc favorisé le développement de l’esprit du


capitalisme et facilité indirectement l’essor du capitalisme. « Les idées deviennent
des forces historiques efficaces » nous dit Weber.

PARTIE III :
LES TRADITIONS SOCIOLOGIQUES

I. L’Individualisme Méthodologique
II. Le Holisme
III. Dépasser l’opposition Individualisme / Holisme ?

--------------------------------------------------

I . L’Individualisme Méthodologique

Les sciences sociales, appelées aussi sciences morales, ou sciences de la culture, tentent de
comprendre, avec les méthodes des sciences de la nature, la diversité des faits
sociologiques, des faits historiques, des phénomènes économiques et politiques etc.

26
Dès leur naissance, deux tendances antagonistes ont vu le jour : l’individualisme de l’école
allemande de Wilhelm Dilthey et Max Weber, et le holisme de l’école
positiviste d’Auguste Comte et Émile Durkheim.

Cet antagonisme renvoie à deux conceptions du statut de l’acteur social :

- L’une met l’accent sur l’autonomie et la responsabilité des acteurs sociaux. Elle
accorde le primat au jeu des individus et à leur conscience (l’individualisme) ;
- L’autre met l’accent sur l’hétéronomie et les effets déterministes des structures sur les
acteurs sociaux. Elle accorde le primat à l’inconscient, qu’il soit biologique,
psychologique ou social (le holisme).

A. Définition :

Le terme « individualisme méthodologique » a été créé par l’économiste et sociologue


autrichien Joseph Schumpeter (1883 – 1950) en 1908 afin de distinguer l'individualisme
politique et l'individualisme méthodologique. Il a été repris et illustré par les économistes
Mises et Hayek, notamment, de même que par l’épistémologue Karl Popper. C'est Max
Weber qui l'introduit dans le domaine des sciences sociales. En France, il est porté
notamment par le sociologue Raymond Boudon.

Il ne doit pas être confondu avec l'individualisme en tant que conception morale et
politique : il ne comporte aucune hypothèse ou prescription concernant les motivations ou
les actions des individus. Il se contente d'affirmer que les individus sont les seuls organes
moteurs des entités collectives, et qu'on peut toujours reconstruire une propriété collective
à partir de propriétés individuelles.

Il constitue un modèle central en sciences sociales, selon lequel les phénomènes collectifs
peuvent (et doivent) être décrits et expliqués à partir des propriétés et des actions des
individus et de leurs interactions mutuelles (approche ascendante).

Cette approche s'oppose au holisme, selon lequel les propriétés des individus ne se
comprennent pas sans faire appel aux propriétés de l'ensemble auquel ils appartiennent
(approche descendante).

L’individualisme méthodologique est une méthode qui vise à expliquer les phénomènes
sociaux en deux étapes organiquement liées :

1/ une étape d’explication qui consiste à montrer que ces phénomènes sociaux sont la
résultante d’une combinaison ou d’une agrégation d’actions individuelles ;

2/ une étape de compréhension qui consiste à saisir le sens de ces actions individuelles, et
plus précisément à retrouver les bonnes raisons pour lesquelles les acteurs ont décidé de
les effectuer.

Compte tenu du rôle primordial que joue ici la notion d’action, cette méthode peut aussi
être appelée l’« analyse actionniste », ou, en un mot, l’« actionnisme ».

L’analyse causale, n’est pas toujours applicable puisqu’elle nécessite de pouvoir recueillir
des informations quantifiées et comparables. Mais surtout, son potentiel explicatif est très
limité.

27
En effet, l’individualisme méthodologique permet de formuler de véritables explications
des phénomènes, alors que l’analyse causale s’en tient aux descriptions.

En tant que simple règle de méthode, l'individualisme méthodologique laisse un grand


choix d'hypothèses quant aux individus, il n'impose aucun modèle pour leur comportement
ni aucune forme particulière de représentation.

Pour les économistes, l’individu est censé adopter dans toute situation un comportement
conforme à ses intérêts alors que, pour les sociologues, le contexte social interfère sur le
calcul des acteurs.

Partant des motifs qui poussent l’individu à agir, le sociologue qui se réclame de
l’individualisme méthodologique n’ignore cependant pas que l’individu entre
nécessairement en relation avec autrui, sans avoir nécessairement la possibilité d’anticiper
ses actes (le modèle du joueur d’échecs qui élabore sa stratégie en tentant de prévoir les
coups de l’adversaire s’avère ici fécond).

Dans les deux cas, les phénomènes sociaux ne résultent pas de déterminismes extérieurs
mais sont des résultats, éventuellement imprévus, de l’agrégation d’actions individuelles.

B. Raymond Boudon et l’individualisme méthodologique

Raymond Boudon fut un fervent défenseur de l’individualisme méthodologique, il fut le


premier à introduire ce courant de pensée en France après l’avoir étudié aux États-Unis dans
les années 60, il a mis l’accent sur les différences entre l’approche des économistes et celle
des sociologues.

Il considérait Max Weber comme le fondateur de la démarche individualiste dans les sciences
sociales. Pour ce dernier, la réalité sociale relève d’interactions individuelles obéissant à des
choix subjectifs qu’il faut tenter de comprendre. Selon Weber, « La sociologie compréhensive
(telle que nous la concevons) considère l’individu isolé et son activité comme étant son unité
de base, je dirai : son ‘atome’ » (Essais sur la Théorie de la Science). De même, pour
Raymond Boudon, l’axiome de base d’une sociologie qui repose sur l’individualisme
méthodologique est le suivant : « L’individu, et non le groupe, est ‘l’atome logique’ de
l’analyse sociologique ». Il s’agit donc de ramener les phénomènes macroscopiques (non-
intentionnels) auxquels la sociologie s’intéresse à leurs causes microscopiques
(intentionnelles).

L'individualisme méthodologique dans lequel s'inscrit l'école « boudonnienne » explique les


faits et les processus sociaux comme l'addition de conduites et de représentations individuelles
en interaction : l'individu est « l'atome logique de l'analyse » car il constitue l'élément premier
de tout phénomène social. Comprendre le social, c'est, dans cette perspective, analyser les
rationalités des individus, puis saisir leurs « effets de composition », c'est-à-dire la façon dont
l'ensemble des actions individuelles s'agrègent pour créer un phénomène social. Boudon a mis
ainsi en évidence ce qu'il nomme des « effets pervers », c'est-à-dire des « phénomènes de
composition » où l'addition d'actions individuelles rationnelles produit des effets inattendus
et contraires aux intentions
de chacun.

28
Ainsi, les paniques boursières constituent un exemple typique de tels effets pervers. Quand un
grand nombre d'individus, par crainte d'une baisse des cours, vendent leurs actifs, ils
provoquent ce qu'ils craignaient : une chute du prix des actions.

L'école « boudonnienne » a élargi son analyse, en la concentrant non plus seulement sur la
maximisation des utilités, mais en prenant en compte les croyances dans l'action individuelle,
développant le concept de rationalité cognitive.

C. Critiques faites à l’Individualisme Méthodologique :

L’individualisme méthodologique a toutefois fait l’objet d’un certain nombre de critiques


qui ont porté sur certains de ses postulats.

- La notion de rationalité : certains économistes ont introduit la notion de rationalité


limitée, l’individu, confronté à une situation pratique, ne recense pas l’ensemble des
solutions possibles a priori mais n’en envisage qu’un certain nombre, celles qui lui sont
immédiatement accessibles, parmi lesquelles il effectue son choix. La rationalité qu’il
met en œuvre est, en outre, dite adaptative car l’individu n’est pas spontanément
rationnel : celle-ci est le fruit d’un apprentissage qui lui permet progressivement de
s’adapter aux circonstances qu’il rencontre.

- La notion d’intérêt : est-il envisageable de penser que l’intérêt individuel dicte


l’ensemble des conduite ou, ne pouvons-nous pas plutôt admettre que l’individu se
contente dans la plupart des cas d’ « éviter les gaffes ».

« Dans la plus grande partie de leur vie, les hommes ne maximise rien du tout, ni ne
cherchent à atteindre un but concrètement identifiable, mais tiennent tout simplement à
être intégrés, ou à demeurer dans une pièce qui se déroule. Le rôle est sa propre
récompense, mais non un moyen pour parvenir à une situation donnée comme fin.

- L’individu calculateur que ce paradigme décrit est trop souvent un individu


désincarné, interchangeable, sans histoire (aux différents sens du terme) puisque
n’importe quel autre individu se serait comporté à sa place de la même façon au nom de
son intérêt personnel. Autrement dit, le paradoxe de cette sociologie individualiste
réside justement dans le fait qu’elle ignore ce qui différencie les individus entre eux.
Les individus n’adoptent pas les mêmes comportements selon la situation et plus encore
selon la perception qu’ils ont d’une même situation, perception qui peut d’ailleurs
s’avérer erronée et différer selon les trajectoires personnelles, les propriétés
sociales…..autrement dit, les définitions que les individus donnent de leur intérêts
s’avèrent, en pratique, sensiblement variables, ce qui rend particulièrement délicate la
formulation d’hypothèses générales de conduite auxquelles chacun serait censé se conformer.

II. Le Holisme

A. Définition du holisme

Le holisme est un mode de pensée qui appréhende un phénomène ou un système


complexe comme une totalité, ses propriétés ne pouvant être expliquées à partir de
ses seuls composants. Le holisme s'oppose au réductionnisme qui cherche à expliquer
un phénomène en le divisant en parties et à l'atomisme. Il se décline dans de nombreux

29
domaines : science, métaphysique, sociologie, psychologie, politique, médecine,
biologie, etc.

Holisme méthodologique

En sociologie, le holisme méthodologique est le mode de pensée qui permet


d'expliquer des faits sociaux élémentaires par d'autres faits sociaux et selon lequel le
fait global de la société est irréductible. Les individus y ont des comportements
socialement déterminés. Emile Durkheim (1858-1917) en est le père fondateur, avec
Karl Marx (1818-1883) sur certains aspects. Il s'oppose à une vision de la sociologie,
l'individualisme méthodologique, qui, avec Max Weber (1864-1920), part des
individus avant de les voir en action dans la société qui est l'agrégation des actions
produites par l'ensemble des individus qui la composent.

Holisme écologique

Le holisme écologique est une approche qui permet de mieux percevoir les
interactions entre les êtres vivants et le reste de l'écosystème auquel ils appartiennent.
La compréhension d'une entité (molécule, organe, organisme, population, écosystème
etc.) nécessite la prise en compte de sa position, de ses relations et de son activité au
sein du système plus vaste dont elle fait partie.

En psychologie

Le holisme est une conception unitaire et dynamique du fonctionnement du cerveau,


par opposition à la conception atomistique pour laquelle un ensemble d'éléments
nerveux pouvait suffire à représenter l'intelligence et les fonctions sensori-motrices.
Holisme et réductionnisme

Le holisme et le réductionnisme s'opposent en général dans des querelles irréductibles


et des débats métaphysiques sans fin quant à la nature de la réalité : finalisme contre
déterminisme, monisme contre dualisme, vitalisme contre mécanisme, etc.
B. La démarche holiste prend le contre-pied de la démarche individualiste

Il s’agit, pour comprendre un phénomène social, de partir de la société, envisagée dans


sa globalité, et d’analyser particulièrement la contrainte que celle-ci exerce sur la
conduite des individus.

Cette méthode rappelle celle préconisée par Durkheim qui considérait que rompre avec
les prénotions consistait justement à mettre entre parenthèses les raisons que l’individu
donne de son action puisque celui-ci est rarement en mesure de comprendre les réels
« motifs » de ses actes. Durkheim estime ainsi que la sociologie se doit d’analyser de
quelle manière la société imprime à l’individu des manières de penser et d’agir qui
finissent par lui apparaître comme « naturelles ».

S’intéressant à la religion et plus particulièrement au sacré dans les religions


primitives, Durkheim remarque que l’une des caractéristiques essentielles de la
religion est sa dimension collective qui a pour effet de contribuer fortement à resserrer
les relations sociales entre individus. Autrement dit, la religion est une affaire de
société puisque selon Durkheim « les intérêts religieux ne sont que la forme

30
symbolique d’intérêts sociaux et moraux ». La religion représente ainsi une dimension
centrale de la vie d’une collectivité et tend à la transcender (transformer).

Les actes et les pensées que nous nous imaginons personnels (tels que la prière, par
exemple) nous ont donc été préalablement transmis par la société.

ainsi étudiés, non en eux-mêmes, ni pour eux-mêmes mais à partir de leurs relations à
l’environnement », c’est-à-dire au système social global.

De son côté Pierre Bourdieu, sociologue et ancien professeur au Collège de France,


souscrivait, concernant le holisme méthodologique, au point de vue d’Émile
Durkheim. Ce dernier concevait les faits sociaux comme des choses, indépendamment
de leurs auteurs. La réalité sociale s’explique par des liens de causalité, comme dans
les sciences naturelles. Dans les Règles de la méthode sociologique, il écrit : « la cause
déterminante d’un fait social doit être recherchée dans les faits sociaux antécédents, et
non parmi les états de la conscience individuelle ».

Alors que pour Weber, la sociologie est une science de l’action sociale, pour
Durkheim, elle est une science des faits sociaux.

Dans le modèle déterministe de Bourdieu, l’individu est toujours pensé comme un


produit ou un jouet des structures sociales et des normes collectives. L’acteur social
est comme une pâte molle sur laquelle viendrait s’inscrire les données de son
environnement, lesquelles lui dicteraient ensuite son comportement.

Prenons l’exemple de l’éducation et de la politique scolaire, auxquelles Bourdieu a


consacré deux ouvrages avec Jean-Claude Passeron, « Les Héritiers » en 1964 et « La
Reproduction » en 1970. Partant du constat statistique d’une corrélation entre échec
scolaire et milieux populaires défavorisés, Bourdieu en déduit que les forces sociales
agissent pour maintenir la domination d’une classe sur une autre. Sa thèse est que
l’école est un système de sélection et de reproduction des élites qui légitime et perpétue
les inégalités sociales. Dans ce contexte, la position initiale des individus ou leur
origine sociale déterminerait toujours leur position finale, c’est-à-dire leur statut
social.

En 1973, Raymond Boudon écrit « L’inégalité des chances », en réponse à Bourdieu.


Selon Boudon, une proportion significative d’individus échappe aux déterminismes
sociaux énoncés par P. Bourdieu et J.-C. Passeron. Il leur reproche ainsi de brosser un
tableau de l’école où les habitus des acteurs et la « violence symbolique » du système
sont tellement déterminants qu’ils ne laissent aucune place au potentiel de résistance
ou de stratégie des individus. Par ailleurs, il critique la théorie du complot qui sous-
tend la thèse de Bourdieu. Tout se passe comme si des forces sociales agissaient, à
l’insu des acteurs sociaux, pour maintenir l’opposition entre une classe dominante et
une classe dominée. L’école valoriserait, sans le dire, la culture de la classe dominante,
la culture générale (dite « bourgeoise ») et jugerait ainsi les individus en fonction de
leur familiarité avec cette culture.

Finalement, on retrouve chez Bourdieu les deux grandes thèses de la vulgate


nietzschéenne et marxiste :

- Les comportements et les croyances sont déterminés par les forces sociales ;

31
- Toutes les sociétés se composent de dominants et de dominés.

La démarche holiste est développée, à la suite de Durkheim, par le courant


fonctionnaliste particulièrement important dans la sociologie américaine : ses
principaux représentants sont Talcott Parsons (1902 – 1979) qui cherche a formuler
une théorie générale de l’action en combinant les analyses de Weber, de Durkheim, et
Robert Merton (1910-2003) qui propose une nouvelle approche du fonctionnalisme.

Le fonctionnalisme est une démarche utilisée en premier lieu en anthropologie par


Malinowski : on parle alors de fonctionnalisme absolu. La société est envisagée
comme un ensemble cohérent dont chaque élément remplit une fonction particulière
utile à l’équilibre global. Autrement dit, les diverses institutions sociales (la famille, la
religion, l’Etat……) n’existent et ne se perpétuent que parce qu’elles contribuent,
chacune à leur manière, au maintien de l’ordre social. Les différents éléments sont

Le mot « holisme » a été introduit par Jan Smuts en 1926. Il désignait alors la tendance
de la nature à former des entités plus grandes que la somme des parties. À l’époque,
Smuts se situait dans le débat autour de l’évolution naturelle et de la philosophie des
sciences et se revendiquait comme « holiste ». Dans les sciences sociales, ce terme a
connu un succès important, mais paradoxal. En effet, peu de sociologues dits
« holistes » se sont revendiqués comme tels .

Durkheim est souvent présenté comme le fondateur de l’approche holiste alors qu’il
n’a lui-même jamais utilisé ce terme. Le « courant holiste » a surtout été défini et
discuté par des sociologues qui lui étaient hostiles par exemple, Boudon (1979), Bunge
(1998) et Coleman….

Ainsi, contrairement à la philosophie ou à la psychologie, en sciences sociales, le


concept de « holisme » a été davantage construit par ses critiques que par ses adeptes.
Il n’est donc pas étonnant que ce terme porte en lui-même une connotation polémique,
et non seulement épistémologique. À titre indicatif, voilà ce que dit Bourdieu à propos
du « holisme » :

« D’abord ce mot “holiste” ne veut pas dire grand chose. [...]. C’est un mot qu’un
certain nombre de gens parmi les économistes et les sociologues opposent au concept
“individualiste”. En général, “holiste” est un mauvais mot, une insulte [...]. Les gens
qu’on met dans cette case expliqueraient les phénomènes sociaux comme une totalité
par opposition à ceux qui partent des individus. C’est une opposition qui n’a pour moi
aucun sens comme l’opposition entre individu et société. Elle est partout, sert de sujet
de dissertation mais elle ne veut strictement rien dire dans la mesure où chaque
individu est une société devenue individuelle, une société qui est individualisée par le
fait qu’elle est portée par un corps, un corps qui est individuel [...]. » 

Pourquoi les sociologues considérés comme « holistes » se défendent-ils de l’être ? Sa


connotation polémique suffit-elle à l’expliquer ?

Le concept classique de « holisme » en sciences sociales contient en lui-même une


confusion. Il désigne en effet deux types d’explications sociologiques bien différents,
aussi éloignés l’un de l’autre que chacun peut l’être de l’ « individualisme
méthodologique ». Autrement dit, l’acception traditionnelle du terme « holisme »

32
englobe non pas un seul paradigme, mais deux : le paradigme « holisme durkheimien »
et le paradigme « holisme bourdieusien ».

Le choix des termes « holisme durkheimien » et « holisme bourdieusien » s’explique


avant tout par le fait que Durkheim et Bourdieu ont tous deux formulé une théorisation
et une étude empirique proches du type pur qu’ils représentent ici.

Ce que ces deux approches ont en commun – et qui leur vaut une appellation
commune – est l’idée qu’un phénomène sociologique ne peut s’expliquer par
l’interaction d’individus placés dans un contexte donné, que le recours aux individus
dans l’explication sociologique est superflu, tout au plus, secondaire. Il suit de ce trait
commun deux autres caractéristiques.

Premièrement, une conception « isolationniste » ou « antiréductionniste » de la


sociologie, qui consiste à définir celle-ci comme une discipline scientifiquement
indépendante ne pouvant être mise en cause par d’autres disciplines, en particulier par
la psychologie. Il faut noter que l’ « isolationnisme » est un trait présent également
dans certaines variantes de l’individualisme méthodologique, notamment dans celles
pratiquées par de nombreux économistes jusqu’aux années 1970

Deuxièmement, l’idée « organiciste » selon laquelle seule une entité sociale peut être
la cause d’une autre entité sociale. Cette idée suppose qu’il existe des faits sociaux sui
generis et des relations causales spécifiques à ce type de phénomènes 

Nous présenterons ici ces deux types de holisme, à partir de deux ouvrages
sociologiques majeurs : Le suicide d’Émile Durkheim et La distinction de Pierre
Bourdieu ;

C. Holisme durkheimien

Ce type d’approche peut être identifié d’emblée par trois traits caractéristiques (mais
non exhaustifs) de ce type d’approche :

- les explications des comportements individuels et les explications de phénomènes


résultant de l’agrégation des comportements individuels diffèrent
nomologiquement ;
- les caractéristiques et l’identité des individus ne sont pas pris en considération
dans l’explication ;
- les régularités sociologiques ne correspondent pas à des régularités
psychologiques.

Afin de rendre compte des spécificités de l’approche durkheimienne, nous


présenterons l’explication dite du « filtrage » en l’illustrant ensuite par l’explication
que Durkheim fournit du taux de suicide.

33
Selon l’explication du « filtrage », il existe un filtre qui élimine tous les individus qui
n’ont pas une propriété. Nous pouvons en trouver des exemples dans un certain nombre
de théories évolutionnistes. Durkheim a fait appel à une explication de ce type pour
rendre compte de l’apparition de la division du travail.

Exposée dans ses traits essentiels, celle-ci consiste à dire qu’avec l’accroissement de
la densité et du volume de la population dans une société, la concurrence pour l’accès
aux biens premiers s’accroît. Dans ce contexte, les plus faibles disparaissent ou se
spécialisent. La spécialisation est donc conçue comme une adaptation à un
environnement surpeuplé. Cet environnement constitue un « filtre » entraînant la mort
des sociétés qui ne se spécialiseraient pas. En cela, il explique la spécialisation et la
division du travail qui s’ensuit. Même si nous ne connaissons pas les stratégies, la
formation ou les expériences des individus, cette explication apparaît largement
suffisante. Il se peut même qu’il soit impossible de trouver une propriété explicative
commune à tous les individus. Plus encore, il est probable que la spécialisation de
chaque personne doive s’expliquer différemment : dans un cas cela pourrait être le
fruit d’une découverte, dans un autre le fruit du hasard. À l’inverse, le phénomène de
« division du travail » s’explique ici uniquement par l’augmentation de la densité et
du volume des sociétés.

L’explication du « filtrage » ne fait donc aucune référence aux comportements ou à


l’identité des individus. Elle ne rapporte la régularité sociologique observée (la relation
entre densité et division du travail) à aucune régularité psychologique.

L’explication par le filtre apparaît néanmoins limitée en ce qu’elle ne concerne qu’un


petit nombre de phénomènes sociologiques. À l’inverse, la caractéristique la plus
intéressante du holisme durkheimien est qu’il peut être élargi à un ensemble très
important de phénomènes.

Examinons, à cet égard, l’explication que Durkheim offre de la variation du taux de


suicide dans un certain nombre de pays européens. Soulignons avant tout trois aspects
concernant les différences entre le taux de suicide et les suicides individuels.

L’étude des taux de suicide dans une société donnée offre des régularités plus
nombreuses et plus significatives que l’analyse des fréquences de suicides individuels.
Durkheim trouve 10 régularités pour le taux de suicide :

Le suicide individuel est un fait dont il faut expliquer l’apparition, alors que ce dont il
faut rendre compte dans le taux de suicide est sa variation ;

Le suicide individuel est un phénomène exceptionnel et considéré comme


pathologique, alors que le taux de suicide est normal et stable dans toutes les sociétés ;

On perçoit ici l’importance de ne pas attribuer aux phénomènes agrégés les mêmes
propriétés qu’on attribue aux phénomènes individuels. Ces différences ne prouvent en
aucune manière que les phénomènes agrégés ne peuvent être expliqués par les actions
individuelles. Mais cette hétérogénéité est une condition nécessaire pour pouvoir
concevoir des lois sociologiques indépendantes des lois psychologiques.

34
L’idée sous-jacente dans Le suicide consiste à montrer qu’un élément négligeable dans
l’explication du suicide individuel devient très important lorsqu’il s’agit d’expliquer
le taux de suicide.

Prenons l’exemple du « suicide égoïste ». Il est difficilement concevable que


l’affaiblissement des liens sociaux soit la cause première du suicide individuel. Nous
trouvons en effet très rarement, dans une lettre d’un suicidé ou dans une analyse
psychologique, l’idée selon laquelle le suicide serait provoqué par la faiblesse de liens
sociaux. En revanche, et c’est ce que montre Durkheim dans Le suicide, cette
explication apparaît comme une des causes principales du taux de suicide.

Ainsi, nous n’avons pas besoin de savoir pourquoi (explication individuelle) les
individus se suicident pour expliquer le taux de suicide. Nous n’avons pas non plus
besoin de contrôler que ce sont les personnes les plus désocialisées qui se suicident.
Quand bien même il n’y aurait pas d’explication satisfaisante du suicide individuel, il
en existe une du taux de suicide. Et alors que chaque suicide s’explique différemment
du point de vue psychologique, l’approche sociologique établit des régularités dans les
explications du taux de suicide. Nous retrouvons ici la même structure argumentative
que pour l’explication du filtrage : le suicide individuel et le taux de suicide ne
s’expliquent pas de la même manière, l’explication sociologique du taux de suicide
n’a pas besoin d’une théorisation du comportement individuel. Un phénomène
individuellement imprévisible devient un phénomène social stable et prévisible pour
la sociologie.

Ainsi, puisque les causes diffèrent selon qu’il s’agit d’individus ou de phénomènes
collectifs, il faut bien admettre l’existence d’une indépendance ou d’une
incommensurabilité méthodologique des explications des phénomènes macro sociaux
et des explications des phénomènes individuels.

Cette indépendance est le point central de l’approche holiste durkheimienne.

D. Holisme bourdieusien
Tout comme Le suicide de Durkheim, La distinction de Bourdieu est un livre
provocateur par le choix même de son objet. En effet, si le suicide est un acte
individuel, isolé, donc ne pouvant faire l’objet d’une analyse sociologique, le goût est
souvent perçu comme un des éléments constitutifs de l’individualité et de la spécificité
des personnes.

« Chacun ses goûts », “ de gustibus non disputandum est ”, autant de maximes qui
tendent à souligner l’irréductibilité des goûts à autre chose que l’individualité pure.

En expliquant les goûts, Bourdieu adopte une démarche qui ressemble à première vue
à celle de Durkheim : montrer comment la sociologie peut expliquer des phénomènes
considérés traditionnellement comme éminemment individuels. Pourtant, le parallèle
s’arrête là.

Car, alors que Durkheim souligne le caractère individuel du suicide pour mieux
montrer le caractère social du taux de suicide, Bourdieu récuse la prétendue

35
subjectivité du jugement de goût. Autrement dit, c’est bien le goût individuel qui est
pris pour objet d’analyse chez Bourdieu.

On peut distinguer trois traits caractéristiques du « holisme bourdieusien » qui le


différencient de l’approche durkheimienne :

- les comportements individuels sont conçus comme des phénomènes sociaux ;


- les comportements individuels et les phénomènes qui résultent de l’agrégation
de comportements individuels s’expliquent de la même façon par d’autres
phénomènes sociaux ;
- les régularités psychologiques s’expliquent, en grande partie, par des variables
macrosociologiques.

Une des caractéristiques spécifiques du holisme bourdieusien est de refuser l’idée


selon laquelle la société et l’individu seraient deux niveaux de description différents.
En un mot, de rejeter la distinction entre micro- et macrosociologie. Dès lors, les
phénomènes individuels n’ont plus une place particulière par rapport aux phénomènes
sociaux. Ils deviennent des phénomènes sociaux, voire des événements qui
exemplifient des processus sociaux plus généraux.

Pour que cette conceptualisation des comportements individuels puisse se faire, il faut
une théorie psychologique susceptible de mettre en avant la thèse selon laquelle les
caractéristiques individuelles sont déterminées avant tout par des facteurs sociaux. Les
comportements et goûts individuels pourraient être expliqués simplement par les
origines sociales. Chez Bourdieu, la notion d’habitus fait le lien entre l’individu et la
société :

« Parler d’habitus c’est poser que l’individuel, et même le personnel, le subjectif, est
social, collectif. L’habitus est une subjectivité socialisée. » 

Les comportements individuels deviennent des variables dépendantes explicables


par des variables macro sociales. C’est ce que montre Pierre Bourdieu dans son
ouvrage « La distinction ».

La cause première des goûts individuels réside dans les conditions d’existence, c’est-
à-dire dans l’environnement économique, social et culturel. Ce sont donc ces
conditions d’existence qui vont structurer l’habitus en tant que « schème d’action et
de perception ». Ce « schème » constitue le « point de vue » à partir duquel les
individus construisent leur manière d’être, leurs valeurs et leurs goûts. En particulier,
acquérir un goût consiste à attribuer un classement à un ensemble d’objets physiques.
Ce classement dépendra donc des conditions initiales d’existence puisqu’il sera
conditionné par un habitus dépendant de l’environnement social. Cet habitus peut
simplement transmettre les goûts déjà présents dans la classe d’origine, ou bien les
transformer dans des directions socialement déterminées. Dans la mesure où les goûts
sont essentiellement conditionnés socialement, la façon dont ils influeront sur d’autres
phénomènes sociaux (comme l’homogamie, par exemple) sera également socialement
déterminée. La classe sociale d’appartenance est la cause aussi bien des goûts que des
sentiments amoureux (homogamie).

36
Ainsi, le holisme bourdieusien consiste à considérer qu’un ensemble de phénomènes
sociaux (ou économiques) peuvent être davantage mobilisés pour expliquer d’autres
phénomènes sociaux que les actions individuelles.

« Loin que la description des attitudes, des opinions et des aspirations individuelles
puisse procurer le principe explicatif du fonctionnement d’une organisation, c’est
l’appréhension de la logique objective de l’organisation qui conduit au principe
capable d’expliquer les attitudes, les opinions et les aspirations. » 

Cette optique permet de mettre en évidence les influences que la société exerce sur
l’individu. Il est possible d’y voir les trois aspects du « holisme bourdieusien » :

- les goûts individuels sont considérés comme des variables sociologiques ;


- bien qu’individuels, ils s’expliquent de la même façon que des phénomènes
sociaux (tels que l’homogamie), à savoir par les conditions sociales d’existence
et l’habitus ;
- les régularités en matière de goûts individuels se ramènent à des variables
macro (l’appartenance à une classe sociale).

Différences centrales entre ces deux types de holisme

En décrivant le holisme durkheimien et le holisme bourdieusien, il a été démontré


comment ces deux orientations naissaient d’un impératif commun de rupture et
d’indépendance de la sociologie vis-à-vis des autres disciplines.

Le holisme durkheimien et le holisme bourdieusien apparaissent incompatibles du


point de vue des relations de la sociologie avec les autres disciplines (en particulier
par rapport à la psychologie) et du point de vue de la question de l’objet d’analyse
sociologique.

E. Holisme Durkheimien, holisme Bourdieusien et individualisme méthodologique

Le paradigme de l’ « individualisme méthodologique », traditionnellement opposé celui du


holisme, se situe, au regard de certaines caractéristiques, à mi-chemin par rapport aux deux
approches holistes présentées. L’intérêt de réintroduire ici la notion d’individualisme est de
montrer que ce dernier n’est pas plus éloigné des deux types de holisme présentés que l’un
d’eux l’est à l’autre. En ce sens, cela permet de penser que ces deux types de holisme sont
réellement des paradigmes différents.

Cette idée implique que toute explication qui mélangerait les deux approches serait
probablement incohérente.

L’individualisme méthodologique se caractérise par le fait qu’il explique tout phénomène


social par les actions, les propriétés et les motivations des individus qui en font partie 

Du point de vue des traits qui distinguent le holisme durkheimien du holisme bourdieusien,
l’individualisme méthodologique se situe souvent à mi-chemin par rapport à ces deux
approches.

37
III. Dépasser l’opposition individualisme / Holisme

Le succès du fonctionnalisme en psychologie permet de proposer une nouvelle perspective


dans le débat en sociologie entre holisme et individualisme.

Au cours des dernières années, ces débats ont tourné autour de la primauté de l’individu sur
le groupe ou, au contraire, du groupe sur l’individu. Ils ont également abordé la question de
la liberté individuelle et du déterminisme.

En un mot, ils ont opposé l’individualisme méthodologique à ce que nous avons appelé le
holisme méthodologique bourdieusien. Sans remettre en cause l’une ou l’autre de ces
approches, force est de constater qu’une variante du holisme méthodologique, dont le
fondateur était Durkheim, a été de moins en moins prise en compte dans les débats actuels,
en dépit de l’existence d’un certain nombre de théories qui appartiennent clairement à cette
tradition, notamment l’évolutionnisme institutionnel  ou un certain nombre d’explications
fonctionnalistes (au sens sociologique).

En ce qui concerne ces dernières, un exemple visible de leur appartenance à la classe du


« holisme durkheimien » est la théorie explicative fonctionnaliste de la « déviance ». Celle-
ci fait référence à toute action qui contredit les valeurs dominantes d’une société et qui est
objet de réprobation. Elle ne fait donc appel à aucun comportement ou croyance particulière.

Ces deux courants peuvent être situés dans le sillage de Durkheim, qui privilégiait des
mécanismes évolutionnistes pour rendre compte de la naissance des institutions et les
explications fonctionnalistes pour expliquer leur permanence.

Le « holisme durkheimien », contrairement aux deux autres paradigmes, pose clairement la


question de la réductibilité méthodologique de la sociologie aux propriétés psychologiques.

Sa réponse – radicalement négative – peut sembler aujourd’hui excessive. Cependant, toutes


les explications fournies par le holisme durkheimien ne sont pas à rejeter. Au contraire, si la
psychologie (ou la référence aux individus) est souvent utile pour fournir des explications
dans les sciences sociales, une telle conclusion ne peut être généralisée à toutes les
explications. Si donc il est difficile de soutenir une position forte de l’indépendance
méthodologique des sciences sociales par rapport aux autres sciences, il est néanmoins
possible de défendre une quasi-indépendance. Celle-ci s’exprimerait alors ainsi : certaines
explications en sciences sociales n’ont besoin d’aucune référence au niveau psychologique
(ou plus généralement individuel).

L’opposition holisme/individualisme fait partie d’un ensemble de couples antithétiques qui


n’intéressent pas seulement les sciences sociales. Toutes les disciplines sont concernées par
la tension entre objectivité et subjectivité, déduction et induction, l’analytique et le
synthétique.

Des termes comme diachronie ou macroanalyse, avec leur antonyme synchronie et


microanalyse, qui ont d’abord eu une aire d’application privilégiée – la linguistique et
l’économie –, sont aujourd’hui étendus à de très nombreux domaines d’étude.

À la différence de celles qui désignent des états – le normal et le pathologique, par exemple
–, ces oppositions suggèrent à la fois des différences significatives dans le choix des

38
procédures d’investigation à mettre en œuvre, une optique privilégiée, une option
méthodologique.

En anthropologie, qu’elle soit philosophique ou psychanalytique, et en sociologie, générale


ou appliquée, le sujet et la structure, l’individu et la société font figure de référents
déterminants, exposés à des accentuations et à des interprétations diverses qui, d’emblée,
semblent faire sens.

L’antinomie que paraît immédiatement manifester le couple holisme/individualisme n’est


pas dissociable des débats qui s’alimentent aux sources des autres contradictions
enregistrées.

Qu’il s’agisse souvent de faux débats, la querelle Tarde/Durkheim suffit à le montrer. Mais,
quelles qu’en soient les origines, les circonstances et les issues, ils font partie intégrante de
l’histoire des sciences sociales, et derrière la querelle trop rapidement qualifiée de stérile,
au-delà même des enjeux et des biais idéologiques, doit être aperçue la fécondité des
controverses scientifique.

PARTIE IV :
QUELAQUES PRINCIPAUX THEMES DE LA SOCIOLOGIE

I. La Culture
II. La Socialisation
III. Le Contrôle Social
IV. Le Pouvoir Politique
V. L’Opinion Publique

-------------------------------------------------

I. La Culture

En philosophie, le mot culture désigne ce qui est différent de la nature.


En sociologie, la culture est définie de façon plus étroite comme « ce qui est commun à un
groupe d'individus » et comme « ce qui le soude », c'est-à-dire ce qui est appris, transmis,
produit et créé.
39
Ainsi, pour une institution internationale comme l'UNESCO : « Dans son sens le plus large, la
culture peut aujourd’hui être considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels,
matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social.

Elle englobe, outre les arts, les lettres et les sciences, les modes de vie, les lois, les systèmes de
valeurs, les traditions et les croyances ». Ce « réservoir commun » évolue dans le temps par et
dans les formes des échanges. Il se constitue en de multiples manières distinctes d'être, de
penser, d'agir et de communiquer en société.

Par abus de langage, on utilise souvent le mot « culture » pour désigner presque exclusivement
l'offre de pratiques et de services culturels dans les sociétés modernes, et en particulier dans le
domaine des arts et des lettres.

A. Pluralité de définitions

Différentes définitions du mot « culture » reflètent les théories diverses pour comprendre ou
évaluer l’activité humaine. En 1952, les anthropologues Alfred Kroeber et Clyde Kluckhohn
ont rédigé une liste de plus de 150 définitions différentes du mot culture dans leur livre Culture:
a critical review of concepts and definitions.

L’utilisation populaire du mot « culture » dans beaucoup de sociétés occidentales, permet de


réaliser un classement de son caractère en fonction de croyance, de la consommation de biens
ou de l’exercice d’activités considérées comme élitistes : la cuisine, l’art, et la musique par
exemple.

La culture est, selon le sociologue québécois Guy Rocher, « un ensemble lié de manières de
penser, de sentir et d'agir plus ou moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une
pluralité de personnes, servent, d'une manière à la fois objective et symbolique, à constituer ces
personnes en une collectivité particulière et distincte. » (Guy Rocher, 1969, 88).

La définition que peuvent en faire les gouvernements lorsqu’ils fixent sa mission au Ministère
de la Culture diffère de celle que l’on en donne dans les sciences humaines ou de celle qui
correspond à la « culture générale » de chacun.

Il existe de puissants enjeux politiques et économiques pour définir et encadrer la culture.


Lorsque les entrepreneurs tentent de faire valider la notion de « culture d'entreprise » ou les
ingénieurs celle de « culture technique », ils contribuent à étendre l'amplitude des significations
mais au prix d'en diluer certaines caractéristiques spécifiques, comme l'opposition plus
traditionnelle entre des styles plus spontanés, artistiques, religieux, fondés, comme le disait
Hegel, sur le « sentiment » et des types d'actions davantage fondés sur le calcul, la cognition,
la règle. Bien que fréquemment les deux mondes s'entrecroisent, doit-on pour autant les
confondre, contribuant alors à privilégier une conception totalisante de la culture ?

Le mot « culture » est parfois employé dans un sens restreint pour désigner l'industrie des
« biens culturels », c'est-à-dire les entreprises et activités de production, de distribution et de
gestion de droits d'exploitation de spectacles et de contenus audio-visuels reproductibles. Ce
secteur, sous l'effet du développement des technologies de l'information et de la
communication, est en pleine transformation et son avenir fait l'objet de controverses politiques
tendues.

40
La Culture : Point de vue sociologique

La culture d'un point de vue sociologique : Chaque individu, étant donné qu'il est un produit
socio-historique, un homme vivant parmi d'autres hommes, éduqué d'une certaine façon et
habitué à des pratiques sociales qu'il juge « normales », se fait ses propres représentations de
ce qui est légitime et non-légitime, beau et laid, bien ou mal. L'individu n'est pas un atome isolé
qui ferait ce qu'il fait naturellement, mais répond à des exigences dont il ne se rend pas compte.

Quand on s'interroge sur la Culture — qu'est-ce qu'une culture et qu'est-ce qui n'en est pas
une ? — il faut dépasser un certain ethnocentrisme, il faut étudier la Culture comme étant un
objet scientifique comme un autre, comme le physicien par exemple étudie les astres. Car
définir la Culture, doit différer et se débarrasser des jugements de valeurs et des jugements
moraux.

On a tendance à penser la Culture comme un noyau dur inaltérable qui ne changerait que par
« périodes » ou « stades » de l'évolution humaine. Mais la Culture est une affaire de tous les
jours ! La Culture est ce que les hommes en font ; elle n'est pas par ailleurs chose tombée du
ciel, par une sorte d'ésotérisme réservée à des génies qui seraient génies innés. Norbert Elias,
dans son opus du Processus de civilisation, invite à penser la Culture comme une dynamique
de transformations successives dans l'histoire de l'Homme en liaison aux changements sociaux
(centralisation de l'État, principe de différenciation et de logique concurrentielle entre les
individus, pacification des mœurs) et aux évolutions techniques. Derrière le mot Culture donc,
des forces coexistent, se repoussent et fusionnent entre elles.

Pour Pierre Bourdieu, la Culture ne fait référence qu'à l'existence d'une culture dominante et
légitimée, antagonique à une culture dominée dont les valeurs ne sont pas reconnues. Chaque
individu, doté d'un capital économique, d'un capital social et d'un capital culturel déterminé par
son champ social, est forcé d'intérioriser les normes reconnues par le champ dominant pour
pouvoir à son tour être reconnu. Par exemple, la musique symphonique/classique est dite
légitime, alors que la musique métal ou le rap ne le sont pas. Dans les pratiques culturelles des
individus positionnés en haut de l'échelle sociale, on observera qu'aller à l'opéra est plus
fréquent que pour un ouvrier ; pour saisir cette domination, il faut non pas simplement
s'intéresser aux œuvres-mêmes, mais les catégories sociales dont les individus sont issus, car
selon la position sociale que l'on occupe, les représentations changent : il y a l'influence de
règles sociales sur les pratiques individuelles.

B. Culture individuelle et culture collective

En langue française, le mot « culture » désigne tout d’abord l’ensemble des connaissances
générales d’un individu. C’est la seule définition qu’en donne en 1862 le Dictionnaire national
de Bescherelle. Les connaissances scientifiques y sont présentées comme élément de premier
plan. C’est ce que nous appelons aujourd’hui la « culture générale ».

Après le milieu du XXe siècle, le terme prend une seconde signification, en plus de la
conception individuelle, une conception collective : ensemble des structures sociales,
religieuses, etc., des manifestations intellectuelles, artistiques, etc., qui caractérisent une
société. Le terme peut alors revêtir l’un ou l’autre sens, mais la proximité des domaines
d’utilisation de chacun en fait une source d’ambiguïté.

Il y a actuellement en français deux significations différentes pour le mot culture :

41
• la culture individuelle de chacun, construction personnelle de ses connaissances donnant
la culture générale ;
• la culture d'un peuple, l'identité culturelle de ce peuple, la culture collective à laquelle
on appartient.

Ces deux significations diffèrent en premier lieu par leur composante dynamique :

• la culture individuelle comporte une dimension d’élaboration, de construction (le terme


Bildung est généralement traduit en éducation), et donc par définition évolutive et
individuelle ;

• la culture collective correspond à une unité fixatrice d’identités, un repère de valeurs


relié à une histoire, un art parfaitement inséré dans la collectivité ; la culture collective
n’évolue que très lentement, sa valeur est au contraire la stabilité figée dans le passé, le
rappel à l’Histoire.

La culture collective comporte une composante de rigidité pouvant s’opposer au


développement des cultures individuelles, ou pouvant conduire à des contrecultures,
concept qui est inimaginable avec le sens individuel, la connaissance ne pouvant être
que positive.

C. Les grandes manifestations de la culture collective

Culture et art

La culture est aussi indissociable du patrimoine artistique, au sens où elle est un rattachement
à des valeurs traditionnelles.

Lorsqu’on parle de patrimoine, on pense le plus souvent au patrimoine bâti et à l’architecture,


mais c’est aussi la sculpture, la peinture, le vitrail, la musique, la littérature, le folklore, la
langue. Depuis plusieurs années, l'UNESCO a développé un programme en direction du
patrimoine immatériel (convention de 2003 pour la sauvegarde du patrimoine culturel
immatériel)

Culture et langage

La langue est probablement, dans les sociétés humaines, ce qui permet le mieux de véhiculer
une culture, tant orale qu’écrite. C’est ainsi que la culture française s’est développée dans
l’Europe des Lumières, en fait essentiellement parce qu’elle était parlée dans plusieurs cours
princières.

La France est probablement l’un des seuls pays au monde où la langue parlée (et officielle) est
soutenue par un système d’académies, qui en contrôlent le bon usage. L’Académie française
fut fondée dans ce sens par Richelieu en 1635.

42
La protection de la langue française est aujourd’hui intégrée dans le droit français : article 2 de
la Constitution de 1958, loi Toubon, etc.

La France a également établi des liens culturels avec les pays de langue française dans le
monde : la francophonie.

Aujourd’hui, la langue anglaise est devenue une langue véhiculaire, porteuse d’un grand
nombre d’informations dans des domaines comme le militaire, la finance, la science, et aussi et
surtout l’informatique, la plupart des langages informatiques étant historiquement formés sur
des mots de la langue anglaise. Les normes, en particulier comptables (l’informatique étant
issue à l’origine de la comptabilité générale), tendent à imposer un certain modèle culturel.

On voit également s’établir des liens culturels autour de l’espagnol, entre l’Espagne et
l’Amérique du Sud par exemple.

L’arabe est également un bon exemple des liens culturels établis autour de cette langue parlée
le plus souvent dans le monde musulman, et qui véhicula une brillante civilisation entre le VIIIe
et le XVe siècle.

Le multilinguisme est, au moins officiellement, reconnu dans la politique linguistique de


l'Union européenne, comme portant une valeur de diversité culturelle.

D. Importance et place de la culture collective

La diversité culturelle dans les communautés humaines

On distingue à travers le monde, les cultures écrites et les cultures orales.

La langue, écrite ou orale, joue ainsi un rôle essentiel dans l’élaboration d’une forme de
connaissance sociale, qui est la pensée du sens commun, socialement élaborée et partagée par
les membres d’un même ensemble social ou culturel. On appelle quelquefois cette connaissance
commune une représentation sociale.

Dans le domaine de l’archéologie et de l’anthropologie, la culture se définit comme étant


l’ensemble des connaissances et des comportements qui caractérisent une société humaine, ou
plus généralement un groupe humain à l’intérieur d’une société.

Seulement quelques cultures sont parvenues à l’état de civilisation dans l’Histoire de


l’humanité.

Même s’il existe une culture dominante dans une société, généralement formée autour de la
culture de l’élite, il se forme toujours des groupes sociaux dont les intérêts, les pratiques, sont
particuliers par rapport à la culture dominante. On trouve ainsi diverses formes de cultures,
comme la culture populaire, la culture de masse, la culture de jeunesse, ou ce que l’on appelle
la subculture (ou culture intime).

Le facteur culturel dans la mondialisation

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Sans doute la mondialisation fait intervenir des enjeux culturels considérables. Après la fin de
la guerre froide, on assiste ainsi parfois à ce que l’on appelle un choc des civilisations.

Depuis la chute du mur de Berlin (1989), on tend ainsi à voir apparaître un modèle prédominant,
le modèle anglo-saxon réputé « libéral », mais où, en fait, on trouve un engagement très fort de
la puissance publique américaine dans l’industrie de l’armement et l’industrie informatique.
L’emprise américaine est particulièrement forte sur les aspects culturels, et joue sur les
interactions multiples (entreprises, partenariats avec des ONG) à partir des composants
fondamentaux de la culture (valeurs, normes, institutions, artefacts). L'influence socioculturelle
s'exerce par l'intermédiaire du social learning, et de ses composantes que sont l'enseignement,
la langue, et le cinéma.

Ce modèle anglo-saxon, appuyé sur l’anglais comme langue véhiculaire, tend à imposer
certains modes de fonctionnement dans les institutions mondiales, notamment commerciales,
qui, selon certains observateurs, peuvent traduire une forme d’impérialisme culturel et
linguistique.

Le développement de la culture de masse depuis les années 1930, dans le sillage de


l’américanisation, a favorisé des modes de consommation et de production qui ne sont plus
forcément aujourd’hui compatibles avec les contraintes sociétales contemporaines.

Face à cette forme de domination, certains pays réagissent en prônant la diversité culturelle, et
s’organisent en conséquence.

En France, l’expression exception culturelle recouvre l'ensemble des solutions adoptées pour
défendre la diversité culturelle. Elles passent par des formes d’action concentrées autour de
l’État (aides publiques et subventions aux différentes formes de médias) mais aussi par la
démarche privée grandissante et l'effort de qualité sur le matériel artistique.

La culture par rapport au patrimoine

Spontanément, l'expression patrimoine culturel fait penser à un patrimoine matériel (sites,


monuments historiques, œuvres d'art, etc.). L'UNESCO a établi en 1972 une liste du patrimoine
mondial, composée de plusieurs centaines de sites dans le monde.

Cette conception du patrimoine a évolué depuis une quinzaine d'années. On lui a d'abord adjoint
une liste Mémoire du monde (1992), qui recense les collections documentaires d'intérêt
universel (déclaration des droits de l'homme et du citoyen, instauration du système métrique,
mémoire du canal de Suez, etc.).

En 1997, la notion de patrimoine oral et immatériel de l'humanité a été définie par l'UNESCO.

On s'oriente donc progressivement vers une conception du patrimoine qui inclut à la fois un
patrimoine matériel, mais aussi un patrimoine culturel immatériel (PCI).

Ce changement de conception du patrimoine n'est pas sans avoir de conséquence sur les
représentations sociales et la psychologie sociale des communautés, puisque les traditions
vivantes (carnaval de Binche par exemple) et documentaires sont reconnus au même titre que
les monuments et œuvres d'art du passé.

44
Lorsque des effets similaires se produisent sur un ensemble d’individus appartenant à une même
communauté, on parlera plutôt de biais culturel.

Les relations entre culture et entreprises privées

L’objectif des entreprises n’est pas le plus souvent de produire de la culture. Néanmoins, et
même dans les secteurs autres que la culture, d’une part, on trouve de plus en plus de liens avec
les activités culturelles, et d’autre part la notion de culture d'entreprise se développe, avec
l’apparition de chartes définissant les valeurs partagées des personnes travaillant dans une
même entreprise.

Historiquement, ce fut la création des comités d'entreprise qui permit d’abord aux employés de
bénéficier d’activités culturelles proches de leur lieu de travail (prêt de livres, de disques, etc.).

Plus récemment, les activités de mécénat se sont multipliées, afin de renforcer l’image des
entreprises : par exemple le sport (voile, tennis, football, cyclisme, etc.), pour donner une image
d’esprit d'équipe.

Le mécénat tend à s’ouvrir aujourd’hui à des activités plus artistiques. On peut voir par exemple
des entreprises privées participer à l’organisation d’expositions. Ainsi une entreprise du secteur
pétrolier peut trouver des intérêts à participer à des expositions en relation avec la culture arabo-
musulmane par exemple.

Dans le cadre de stratégies de développement durable et de responsabilité sociétale, on trouve


aujourd’hui une multiplication des messages des entreprises autour de chartes d’entreprise, et
de mécénats culturels ou sociaux. Ces différents aspects ont pour objectif de renforcer l’image
de l’entreprise.

Ce type d’activité est très naturel aux États-Unis, où les relations entre entreprises et ONG
s’établissent facilement. Ce mode de fonctionnement décentralisé et privé n’est pas encore
totalement passé dans les mœurs dans beaucoup de pays européens, particulièrement en France,
où la puissance publique, on l’a vu, joue traditionnellement un rôle important. Les ONG
culturelles peuvent pourtant favoriser l’éducation dans les pays en développement (en Afrique
par exemple), et renforcer les liens.

Néanmoins, si l’entreprise considère le mécénat comme de la communication pure dans ses


rapports d’activité annuels (voir responsabilité sociétale), cela peut cacher dans certains cas des
insuffisances dans les stratégies.

La culture d'entreprise, impulsée par les décideurs, et expliquée aux employés et aux parties
prenantes de l’entreprise, devrait ainsi participer, d’une manière générale, à la construction
d’une culture stratégique d’entreprise.

E. Évolution, diffusion et sélection culturelles

Principes généraux de l’évolution culturelle

Les cultures concernant la seule espèce humaine, et que l'on peut repérer dans le vivant au lien
étroit qu'elles entretiennent avec le langage symbolique et avec les formes spécifiques
d'organisation, les techniques et technologies qui en découlent, se modifient sans cesse depuis
leur émergence, il y a plusieurs centaines de milliers d'années. Elles se situent dans le
45
prolongement des cultures des primates qui furent nos ancêtres, et qui ressemblaient
plausiblement en partie à celles qui sont encore celles de « nos cousins » les grands singes.

Toutefois, entre l'utilisation de la voix (dans l'aria des gibbons) ou le recours à l'instrumentation
simple, voire l'existence de relations sociales très complexes (chez les chimpanzés), et le
fonctionnement découlant d'une interposition d'une grille de signifiants commune entre les
individus d'une même société et le monde, il existe une rupture. Celle-ci est difficilement niable,
quels que soient les efforts - méritoires et fort utiles - pour abolir la notion de « propre de
l'homme », qui reste à expliquer, notamment pour ce qu'il a entraîné une divergence assez
extraordinaire entre le destin de notre espèce et ceux des autres, les plus proches.

Il se manifeste deux lignes d'analyse antagoniques sur ce problème : l'une met en avant
légitimement l'appartenance de l'humanité à la nature, et se défie des préjugés religieux
(préférant situer l'origine de l'homme dans une décision divine), ou de la réticence largement
partagée à accepter que nous sommes aussi une espèce animale. La seconde, fondant les
sciences humaines et sociales, tente de résister à un « naturalisme » réducteur en défendant leur
domaine propre, irréductible à d'autres niveaux de réalité : le domaine d'une anthropologie qui
trouve précisément son territoire dans l'étude de ce que l'homme ne partage pas avec les autres
animaux. Il faut sans doute dépasser les formes dogmatiques de cet antagonisme inévitable pour
définir plus finement le rapport entre « continuité naturelle » entre cultures des primates et
cultures humaines, et l'apparition d'une divergence spécifique. Pour ce faire, on peut recourir
jusqu'à un certain point à l'analogie entre la « longue évolution » (du vivant) et la « très courte »
(de la culture humaine) : des biologistes (comme Jean Claude Ameisen) ont étudié l'histoire des
bactéries, afin de comprendre l'incroyable complexité des mécanismes assurant vie et mort des
cellules dans les organismes multicellulaires. Ils concluent à la nécessité de reconstituer des
« époques disparues », pour interpréter la situation présente, et comprendre des phénomènes
comme le cancer. D'autres biologistes se sont intéressés davantage à l'histoire des espèces elles-
mêmes : dans tous les cas, l'analogie avec les histoires humaines se révèle heuristique, quitte à
payer le prix de l'anthropomorphisme en dotant les gènes ou les cellules de traits humains
intentionnels comme des « intérêts », ou des « stratégies ». En revanche, les spécialistes des
sciences humaines utilisent peu le recours aux savoirs biologiques. Ils ont sans doute tort en
partie, mais leurs arguments n'ont rien à voir avec une variante du Créationnisme : ils tentent
seulement de mettre au point des outils d'analyse qui ne soient pas d'abord importés d'autres
disciplines, alors que dans leur propre domaine (notamment pour la période de moins de
30 000 ans pour laquelle ils disposent de traces incontestables de la culture symbolique : rites
funéraires, représentations, systèmes de signes), la diversité et la confluence, bref le mouvement
des cultures, semble obéir en priorité à des lois spéciales.

Analogies avec l'évolution biologique

Tout comme il y a une évolution biologique, certains éthologues, ainsi que plusieurs
généticiens, estiment qu’il y a une évolution culturelle, et que cette évolution se fait par
mutation, puis est transmise par des « gènes » de la culture, appelés mêmes, qui subissent une
pression sociale et environnementale, aboutissant à leur disparition ou au contraire à leur
expansion (propagation).

La spécificité durable des cultures humaines est qu’elles fonctionnent comme des
« conversations politiques » entre positions différentes, des processus de propositions-
objections, réorganisant constamment les collectifs sociaux. La disparition d’une culture n’est
donc pas nécessairement la « mort » d’un organisme, mais le passage à une autre configuration
conversationnelle ; l’abandon de certaines métaphores collectives pour d’autres. L'analogie

46
avec l'évolution des formes vivantes demeure intéressante et fructueuse car, comme les cultures
langagières humaines, les espèces biologiques sont les produits d'une histoire : elles ne
« meurent » pas comme les organismes, mais se transforment. Comme l’a montré
l'anthropologue britannique Mary Douglas, aucune culture humaine n’est « homogène » : elle
résulte toujours d’une différenciation interne entre partisans (ou adeptes) de valeurs plus
individualistes, de valeurs plus collectives, de solutions organisationnelles hiérarchiques et
enfin de formes de résistance passive ou active à toutes les valeurs en vigueur. Même dans les
sociétés dites — à tort — « primitives » et supposées « sans histoire », il n’existe pas de
stabilité culturelle, de consensus sans résistance, d’unicité sans variations individuelles ou
collectives. De la même façon, il n'existe pas d'espèces « homogènes » constituées d'individus
tous identiques, toute espèce se caractérise en effet par un répertoire de gènes communs mais
aussi une diversité génétique entre les individus qui la composent. Dans une espèce donnée,
l'apparition et la diffusion de nouveaux allèles résultera d'une compétition au sein du pool
génétique, elle aussi marquée par une « résistance » au changement quantifiable en termes de
dérive génétique.

L'analogie entre évolution biologique et évolution culturelle doit toutefois être mesurée : il ne
s'agit pas des mêmes espaces de temps, l'évolution du vivant courant sur des centaines de
millions d'années, alors que les cultures humaines se distinguent des cultures des autres
primates par le fait qu'elles se développent probablement seulement depuis quelques centaines
de milliers d'années, certains linguistes datant même l'émergence du langage symbolique à
moins de 60 000 ans.

Coévolution gène-culture

D'autres liens plus directs ont été proposés entre l'évolution des cultures humaines et l'évolution
biologique de l'espèce humaine sous le concept de coévolution gène-culture. Selon cette théorie
développée par les sociobiologistes Charles J. Lumsden et Edward O. Wilson au début des
années 1980, les traditions culturelles peuvent être décomposées en petites « unités » de culture.
La transmission culturelle est donc fortement influencée par la nature de l'esprit humain qui est
le produit d'une évolution biologique. Mais réciproquement, un comportement culturel peut
aussi favoriser évolution génétique via la stabilisation de certains gènes qui donnent un
avantage adaptatif dans le groupe où ce comportement culturel est observé.

Histoire et devenir des cultures humaines

Depuis que les primates humains ont adopté le langage symbolique pour représenter leurs
relations, celui-ci les a entraînés dans un mouvement rapide qui les distingue des cultures des
autres primates (telles que les décrit par exemple l’éthologue Frans de Waal, lorsqu’il parle de
« politique du Chimpanzé ») : les mots fixés par les systèmes de signifiants ne sont en effet
jamais assez précis et englobant pour empêcher la controverse. Ainsi l’histoire des cultures (à
commencer par celle des mythes étudiés par Claude Lévi-Strauss) est-elle celle d’une sorte de
« course-poursuite » entre différentes façons de « prendre la vie ».

Il est possible que la culture mondiale en formation réduise la richesse des possibilités des
milliers de cultures encore existantes, mais elle pourra difficilement absorber dans un modèle
unique les différentes « passions fondamentales » dont elle est le lieu d’expression, non
seulement dans l’art ou la religion, mais aussi dans l’activité pratique et dans le débat politique.

Culture et transmission, la Toile

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Conscients de l’importance des médias (journaux, radio, téléphone, télévision, etc.), dans la
diffusion de la culture, les gouvernements ont souvent eu la tentation de contrôler la diffusion
des informations par la prise de contrôle des médias. Cela prit parfois des formes de
propagande, soit via l’art, ou la nationalisation des moyens de diffusion par l’État.

À l’époque du web, l’approche moderne pour appréhender la diffusion de la culture par les
médias, mais aussi par la langue, est sans doute celle de la médiologie. Ce qui caractérise
aujourd’hui la diffusion par les médias, spécifiquement internet, c’est que l’individu n’est plus
seulement destinataire de l’information (radio, télévision) ou émetteur dans une relation un à
un (téléphone). Il peut aussi émettre à un grand nombre d’individus, par le biais de forums,
messageries, blogs, etc.

Cette forme de communication fait penser à l’apparition de l’imprimerie au XVe siècle. On sait
comment cette forme de diffusion bouleversa la société européenne, pour finalement assurer un
fort développement lors de la Renaissance, à travers les grandes découvertes.

À notre époque, nous vivons un passage de la culture de l’écrit à une culture de l’information
codée numériquement sur support électronique : disque, CD-ROM, diffusion par internet, etc.
Cette transformation radicale n’est pas sans poser des problèmes de propriété intellectuelle pour
les artistes. Par exemple, l’industrie du disque peut être gravement menacée par la
multiplication des actes de piratage.

Un autre aspect significatif de cette mutation est le fait que les bibliothèques sont maintenant
amenées à s’ouvrir aux médias numériques. On appelle de plus en plus les bibliothèques des
médiathèques, puisque le support du média n’est plus seulement le papier, mais un support
numérique. Il s’agit alors de bibliothèques numériques. La sélection sur critères des ouvrages
sur des écrans informatiques permet de trouver plus facilement l’ouvrage dans les rayonnages,
et l’information recherchée.

Lorsque la médiathèque renferme des jeux, il s’agit alors d’une ludothèque.

Le nombre de sites web dans chaque pays, et notamment le nombre de sites web par habitant,
est un indicateur de la diffusion contemporaine de la culture, autour de la langue.

Régis Debray pense que la transmission de la culture comporte une forte composante de
croyance et de sacré. Selon lui, après deux premières révolutions, celle du codex (la Bible), et
celle de l'imprimerie, l'humanité vit aujourd’hui une nouvelle révolution qui s'appuie sur les
technologies de l'information et notamment sur la Toile.

Culture et zones de contact entre civilisations

L’Histoire montre que les zones de contact entre civilisations peuvent être sources de conflits,
ou extrêmement fructueuses sur le plan des échanges culturels.

On peut citer par exemple les échanges maritimes dans la Grèce antique entre les cités et leurs
colonies (Élée, Phocée, etc.), dans la Rome antique, Venise, les zones de contact en Espagne
entre musulmans et chrétiens (Califat de Cordoue), la Syrie après les conflits des Croisades, la
route de la soie, le royaume de Roger II de Sicile (qui apporta une connaissance cartographique
précieuse à l’Occident à partir du savoir arabo-musulman, à Palerme ; les contributions de Al
Idrissi en sont emblématiques.), les voyages de missionnaires et d’explorateurs, le commerce à

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partir de Bruges (villes hanséatiques et relations maritimes avec le sud de l’Europe), le
protectorat français au Maroc, etc.

C’est par ce type d’échanges que de nombreux traités scientifiques et philosophiques sont
parvenus en occident, depuis la Grèce antique, l’Asie, la Mésopotamie, l’Inde, ainsi que des
techniques très utiles : boussole, sextant, informations cartographiques, papier, imprimerie,
chiffres arabes, etc.

Culture générale d’un individu :

La culture d’un individu, aussi appelée culture générale, correspond à l’ensemble des
connaissances qu’il a sur le monde.

Elle est en partie construite par l’éducation et l’enseignement, mais comprend de surcroît une
part de construction active de la part de l’individu. Elle comprend aussi une dimension de
structuration de l’esprit, vis-à-vis de l’ensemble des connaissances : La culture est ce qui reste
lorsque l’on a tout oublié (attribué en général à Édouard Herriot). Cette structuration donne au
sujet cultivé la capacité de rattacher facilement un quelconque domaine d’étude à ses
connaissances. C’est la culture générale.

Ainsi, la culture générale peut inclure des connaissances aussi diverses que l’histoire, la
musique, l’art, la littérature, les sciences, l’astronomie, la géographie, la philosophie, le cinéma,
le sport, etc.

On voit cependant que cette conception de la culture, qui peut paraître élitiste, correspond en
fait à la définition de la culture individuelle. Les cultures de différents groupes sociaux (culture
populaire par exemple) peuvent comporter des formes de connaissances plus variées ou plus
particulières.

Par rapport à ces formes de culture, la culture générale est le fond de culture minimal que devrait
posséder un individu pour pouvoir s’intégrer dans la société.

II. La socialisation

La socialisation est le processus au cours duquel un individu apprend à vivre en société, durant
lequel il intériorise les normes et les valeurs, et par lequel il construit son identité psychologique
et sociale.

Elle résulte à la fois de contraintes imposées par certains agents sociaux, mais aussi du
développement de comportements pro-sociaux et d'interactions entre l'individu et son
environnement physique et socioculturel. Elle favorise la reproduction sociale sans éliminer les
possibilités de changement social.

Ce processus est majeur durant l'enfance (« socialisation primaire ») et l'adolescence, mais se


poursuit tout au long de la vie (« socialisation secondaire »).

A. Processus de socialisation

Il débute dès la naissance et se déroule généralement dans la société à laquelle appartient


l'enfant, mais il se poursuit tout au long de la vie pour s'achever à la mort.

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Les sociologues distinguent deux grandes phases de socialisation :

1. primaire, de la naissance à la fin de l'adolescence, qui façonne durablement la


personnalité des individus et où l'enfant acquiert des normes et des valeurs, elle
est assurée par le groupe primaire de l'individu (sa famille ou éventuellement ceux
qui la remplacent, l'école, le groupe), pendant sa prime enfance ;

2. secondaire, qui entraîne une reconstruction de l'identité individuelle, durant l'âge


adulte et jusqu'à la mort.

B. Des instances multiples

Plusieurs agents (ou instances) interviennent aux différentes étapes de ces processus. La
famille est sans doute l'instance de socialisation la plus déterminante, puisqu'elle est
chronologiquement la première. Elle perd cependant le monopole de son influence sur
l'enfant au-delà de la prime enfance. L'école, les groupes de pairs (amis), les
organisations professionnelles (entreprises, syndicats), les églises, les mosquées, les
associations, les médias contribuent également à l'apprentissage des valeurs, des normes
et des rôles sociaux, d'une manière qui peut soit prolonger, soit contredire la
socialisation familiale. En s’intéressant aux figures d’engagement juvénile, une étude
suisse met en évidence le rôle socialisateur des clubs sportifs de proximité.

C. Des modalités diverses

Les modalités de cet apprentissage, qui transforme progressivement un nouveau-né en


être social, sont multiples. Il est en partie, mais en partie seulement, le résultat d'une
éducation. Parentale ou scolaire, l'éducation est une entreprise consciente et explicite de
transmission de valeurs et de normes et contribue donc de manière importante à la
socialisation. Mais si celle-ci inclut le travail éducatif, elle ne s'y réduit pas. En effet,
l'apprentissage des normes et des rôles est également le résultat d'un contrôle social
quotidien et répété : la vie en société expose sans cesse l'individu à des jugements de
conformité, et aux sanctions — positives ou négatives — qui en découlent, du sarcasme
aux amendes, en passant par les remises de peine et les compliments. Autrement dit, les
institutions éducatives n'ont pas le monopole de la socialisation. En outre, la
socialisation peut être le résultat de transmissions inconscientes, c'est-à-dire
inconscientes non seulement pour l'individu à socialiser, mais aussi et surtout pour les
individus qui le socialisent. Par exemple, lorsque des parents offrent une poupée à leur
fille pour Noël, ou si les enseignants donnent plus fréquemment la parole, en classe, aux
garçons, ce n'est pas pour perpétuer les stéréotypes de genre — ils y contribuent
pourtant, à leur insu.

Mais l'individu lui-même contribue à sa socialisation, au travers des efforts cognitifs par
lesquels il cherche, dès son plus jeune âge, à décoder les signes qu'il reçoit et à en
émettre. La langue, en particulier, est tissée de normes et de rôles implicites qui se
glissent dans les schèmes cognitifs de l'individu à mesure qu'il apprend à parler.
L'asymétrie des genres grammaticaux, par exemple, n'est sans doute pas sans effet sur
la construction des genres sociaux. Autrement dit, l'individu parlant se socialise lui-
même, par l'intermédiaire du langage, là encore à son insu. On pourrait allonger sans fin
la liste des modalités de la socialisation (imitation, identification, généralisation, etc.) :

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elles sont en fait aussi diverses que les multiples influences que les individus, en société,
exercent les uns sur les autres.

D. Des socialisations différenciées

Si la socialisation fournit aux individus des schémas culturels partagés, elle contribue
également, indissociablement, à les différencier. Cette différenciation est double :

Socialisation de groupe

Les individus reçoivent des socialisations différentes selon leur groupe d'appartenance.
Une société n'est pas un ensemble homogène : elle est constituée de groupes sociaux
distincts, dotés d'une culture (en partie) propre, transmise lors de la socialisation
primaire.

Conséquence : lorsqu'elle a lieu, la mobilité sociale est un processus d'acculturation,


plus ou moins aisé. C'est ce que montre l'exemple classique, analysé par Richard
Hoggart, d'un garçon boursier, tiraillé entre les codes de l'école, où il côtoie des jeunes
gens issus de milieux sociaux plus aisés que le sien, et la culture populaire de sa famille.
C'est également l'un des ressorts de la « double absence » (Abdelmalek Sayad) vécue
par les individus qui ont émigré : tenus pour étrangers dans leur société d'accueil, ils le
sont aussi quand ils retournent dans leur société d'origine. C'est également le sens du
phénomène de « socialisation anticipatrice » (Robert K. Merton), lorsqu'un individu
épouse par avance les normes, non pas de son groupe primaire, mais d'un groupe de
référence qu'il aspire à rejoindre. Le groupe social auquel l'individu appartient est aussi
déterminant pour la socialisation politique.

Socialisation de genre

Les individus reçoivent des socialisations différentes selon leur sexe. C'est l'un des
aspects les plus puissants de la socialisation que de transformer une différence
biologique (le sexe) en une différence sociale (le genre) : « On ne naît pas femme : on
le devient », écrivait Simone de Beauvoir, dans Le Deuxième Sexe. Non seulement
orientées par une différence génétique, les identités masculines et féminines sont aussi
des constructions sociales, produites par la socialisation primaire, et confortées par la
socialisation secondaire, à l'école, dans le couple, et au travail : les oppositions sexuées
sont plus fortes à la sortie du système scolaire qu'à l'entrée, elles induisent un partage
des tâches domestiques et parentales au sein du couple très inégalitaire, celles-ci pèsent
sur le taux d'activité, le temps de travail et la carrière des femmes — donc sur leur
rémunération.

E. Effets

Processus décisif pour la construction de l'individu comme être social, la socialisation


fait débat entre la sociologie et la psychologie, et entre les différents courants de la
sociologie. Ce débat porte à la fois sur les effets de la socialisation et sur la marge de
manœuvre qu'elle laisse à l'individu.

La production d'un habitus (apparence)

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La première approche est celle qui court d'Émile Durkheim à Pierre Bourdieu : conçue
comme un processus d'intériorisation du social, la socialisation produit des dispositions
durables et contribue à la reproduction de l'ordre social.

Dans l'approche durkheimienne, la socialisation est un processus par lequel la société


attire à elle l'individu, à travers l'apprentissage méthodique de règles et de normes par
les jeunes générations, elle favorise et renforce l'homogénéité de la société. D'où
l'importance accordée par Durkheim à l'école, à qui il assigne la mission de forger des
individus à la fois autonomes et socialisés : l'autonomie individuelle n'est compatible
avec la cohésion sociale qu'au terme d'une intériorisation des normes.

Dans une optique bourdieusienne, la socialisation consiste également en un processus


d'intériorisation par l'individu des manières de faire et de penser propres à son groupe
primaire : elle produit un habitus, c'est-à-dire un ensemble de dispositions profondément
incorporées, qui orienteront durablement les pratiques, les goûts, les choix, les
aspirations des individus. Elle contribue ainsi à la reproduction sociale, d'autant qu'elle
transmet d'une génération à l'autre, de manière active ou par imprégnation, un capital
culturel (manières de parler, goûts, connaissances, etc.) à la fois très inégal selon les
groupes sociaux, et décisif pour la réussite scolaire – donc sociale – des individus.
Une suite d'interactions

Dans les approches précédentes, la socialisation est conçue comme un processus par
lequel la société fait l'individu. D'autres approches la conçoivent au contraire comme
une suite d'interactions au cours de laquelle, également, l'individu fait la société. La
divergence avec les approches précédentes est double :

• D'une part, la socialisation n'est pas exclusivement un processus unidirectionnel.


Les interactions sont des actions réciproques porteuses d'influences mutuelles
entre les êtres sociaux.
À la faveur de ces interactions se construisent, se confortent, se défont et se
reconfigurent des manières d'être ensemble, des modes de coexistence, mais aussi
des systèmes d'attitudes. La socialisation apparaît donc comme un processus
d'interaction entre un individu et son environnement. Il existe des phénomènes de
socialisation réciproque entre générations, par exemple entre enfants, parents et
grands-parents, les enfants initiant souvent les parents à l'informatique ou aux
cultures récentes.

• D'autre part, les normes sont moins intériorisées qu'interprétées. C'est le cœur de
l'analyse de Jean Piaget sur l'éducation et la socialisation des enfants. Il pense que
les individus sont actifs dans leur socialisation, qu'ils y participent, qu'ils
interprètent – et à l'occasion rejettent – en fonction de leur expérience les normes
et les valeurs qu'on leur transmet, ce qui contribue à les faire évoluer et favorise
le changement social. C'est ainsi que l'on constate que les enfants n'ont jamais tout
à fait les mêmes croyances, les mêmes valeurs et les mêmes manières de vivre que
leurs parents.

III. Le contrôle social :


Les réactions à la déviance et leurs déterminants

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«Respectez et faites respecter cet espace vert », cette simple phrase, apparemment banale,
et repérable dans de nombreux jardins publics, met en avant plusieurs comportements
particulièrement intéressants dans une approche de psychologie sociale :

Tout d’abord, elle informe quant à des comportements que l’on doit adopter ou éviter dans
ce lieu : les promeneurs doivent être respectueux de l’espace vert, ils doivent éviter de le
piétiner, de jeter des détritus, etc. Cette phrase rappelle ainsi l’existence d’une norme sociale.

Ensuite, en incitant à «faire respecter cet espace vert», cet avertissement laisse entendre que
parfois, des personnes ne respectent pas les normes en question, et détériorent cet espace
vert de par leur comportement. On apprend alors que certaines personnes adoptent ou
pourraient adopter des comportements déviants – ou contre-normatifs – dans ce lieu.

Enfin, cette petite phrase rappelle aux individus qu’ils sont responsables de faire respecter
les normes prescrites. Elle leur signifie que, face au comportement déviant d’autrui, ils
peuvent intervenir pour le faire cesser. Cette intervention face au comportement déviant
d’autrui correspond à ce que l’on nomme, en psychologie sociale, du contrôle social.

Norme sociale, déviance, contrôle social : ce sont ces trois concepts qui sont mis en avant
par la phrase «Respectez et faites respecter cet espace vert». Ce sont aussi trois concepts
fondamentaux de la vie sociale qui ont, à ce titre, suscité l’intérêt des psychologues sociaux.

1. Les normes sociales et la déviance : Présentées parfois comme le «ciment de la


société» ou comme un «lubrifiant social», les normes sociales font partie des piliers à la
base du bon fonctionnement des groupes sociaux. Il s’agit de règles, de standards, établis
dans chaque groupe ou unité sociale et qui décrivent les comportements pouvant ou non
être mis en œuvre dans un contexte donné.

Autrement dit, les normes sociales prescrivent la manière appropriée et proscrivent la


manière inappropriée d’agir, de penser, de se comporter dans une situation ou un
contexte donnés : il faut respecter les espaces verts, il ne faut pas jeter de détritus sur les
pelouses par exemple. Il s’agit ici de normes prescriptives.

Mais les normes sociales peuvent également être issues des comportements réels des
individus dans une situation donnée. Alors, si tout le monde jette ses papiers dans un
recoin précis d’une allée du jardin public, les passants vont considérer comme normal
de jeter eux-mêmes leurs détritus à cet endroit. Il s’agira ici d’une norme descriptive.

C’est sur la base de ces normes que les conduites des individus vont être évaluées et
jugées comme acceptables ou non par les autres membres de leur groupe. Un
comportement conforme aux normes va alors être évalué positivement tandis qu’un
comportement allant à l’encontre d’une norme va être évalué négativement.

Ainsi les membres d’un groupe social, censés avoir connaissance et adhérer à
l’ensemble des normes de ce groupe, vont la plupart du temps adopter des
comportements conformes à ces prescriptions : ils ne vont pas marcher sur les pelouses
du jardin public.

Néanmoins il arrive qu’un membre du groupe ne respecte pas l’une des normes en
vigueur dans ce groupe. Un individu peut en effet adopter un comportement non
conforme ou proscrit par une norme : il va jeter sa bouteille vide sur la pelouse du jardin

53
public. Ce sont ces comportements transgressant les normes que l’on qualifie de
déviants ou de contre-normatifs.

Face à ces comportements déviants, et comme les y incite la phrase «respectez et faites
respecter» cet espace vert, les individus ont la possibilité d’exprimer leur désaccord
envers l’auteur de ce comportement et ainsi de faire respecter la norme à laquelle ils
adhèrent. On parlera alors, comme nous l’avons vu en introduction, d’une réaction de
contrôle social.

2. Le contrôle social : Le terme de contrôle social fut utilisé en sociologie bien avant que
les psychologues sociaux ne s’intéressent à ce concept. Georges Vincent parle de
contrôle social dès 1896, un terme repris et généralisé par Edward A. Ross en 1901 avec
son ouvrage «Social Control : A survey of the foundation of order».

Le contrôle social peut être défini comme l’ensemble des dispositifs employés dans une
société pour assurer la cohésion sociale et assurer le respect des règles édictées.

Le contrôle social peut être défini, dans le cadre d’une approche de psychologie sociale,
comme toute réaction informelle que peut avoir un individu afin de manifester sa
désapprobation envers le comportement d’un tiers qui s’écarte d’une norme.

La définition proposée met l’accent sur l’une des caractéristiques du contrôle social sous
sa forme la plus pertinente dans une approche de psychologie sociale. Elle insiste sur
l’idée de réaction «informelle».

Deux formes de contrôle social coexistent en effet et l’on distingue le contrôle social
formel du contrôle social informel.

Le contrôle social formel : il correspond aux sanctions qui vont être adressées aux
auteurs de comportements déviants par des individus dont c’est le rôle dans la société,
dont la fonction ou le métier consiste à réguler et aller à l’encontre des transgressions.
Dans notre exemple, le contrôle social formel correspondra au coup de sifflet, voire à
l’amende que délivrera le gardien du parc à la personne qui marchera sur la pelouse.

Le contrôle social informel : il est, parallèlement, mis en œuvre par les pairs, c’est-à-
dire par des individus qui n’ont aucune fonction particulière les conduisant à agir en ce
sens. Ce type de contrôle social peut ainsi être le fait d’un parent, d’un ami, d’un pair
du déviant, ou de quelqu’un qui lui est inconnu.

Dans notre exemple, on parlera de contrôle social informel quand un simple promeneur
va interpeller la personne qui piétine la pelouse et lui demander de revenir sur l’allée.
Cette conception étend le cadre du contrôle social informel à des manifestations très
diverses pouvant survenir face à un comportement déviant.

Ainsi, les pressions à la conformité qui se manifestaient par une accentuation des
communications adressées au déviant dans un premier temps, puis par un rejet du
déviant hors du groupe peuvent être considérées comme des réactions de contrôle social.
Désapprouver le comportement d’autrui peut prendre la forme d’un regard
désapprobateur, d’un soupir, d’une remarque orale polie ou injurieuse, voire d’une
réaction agressive, d’une stigmatisation ou d’une exclusion de l’individu en dehors du
groupe pour les cas les plus extrêmes.

54
Quelle que soit sa forme, le contrôle social a pour fonction principale d’amener les
individus à respecter les normes sociales ce qui le dote d’un rôle fondamental dans le
maintien de ces normes et l’équilibre de la vie au sein des groupes. Si les individus
déviant sont très fréquemment jugés négativement par leurs pairs, un rapide tour
d’horizon des travaux existant sur le contrôle social, c’est-à-dire non pas sur une simple
dépréciation du déviant mais sur une réelle sanction clairement adressée au déviant, met
en évidence que l’exercice de contrôle social est sensible à de nombreux facteurs.

a. Les déterminants du contrôle social.

Qu’est-ce qui fait qu’un individu va décider, face à un comportement contre-normatif,


de signaler à l’auteur de ce comportement qu’il n’agit pas de façon correcte? Qu’est ce
qui fait qu’un promeneur va dire à l’individu qui jette ses vieux papiers sur la pelouse
du jardin public qu’il devrait ramasser ses détritus ?

Les déterminants principaux du contrôle social mis en évidence à ce jour peuvent se


regrouper en deux grandes catégories de facteurs : d’une part, les facteurs liés à l’acte
contre-normatif lui-même et à la situation dans laquelle survient cet acte et, d’autre
part, les facteurs liés à l’individu susceptible d’exercer le contrôle social.

Les facteurs liés à l’acte contre-normatif : quels sont les comportements déviants
suscitant du contrôle social?

Face aux grandes variations observées dans les fréquences d’intervention face aux
comportements déviants, on pense très rapidement au fait que les réactions diffèrent
probablement en fonction du comportement déviant lui-même. Des travaux récents
montrent en effet que tous les comportements déviants ne suscitent pas les mêmes
réactions.

Par exemple, le niveau de déviance attribué au comportement influence la décision des


témoins d’exercer ou non du contrôle social. Plus un comportement est perçu comme
étant déviant, plus il est fortement sanctionné. Par exemple, jeter des ordures dans la rue
est considéré comme un acte plus déviant des normes que parler fort au téléphone dans
un bus et provoque plus de contrôle social. Dans la même veine, la fréquence d’un
comportement incivil influence les réactions qu’il suscite. Les individus exercent plus
de contrôle social face à un comportement peu fréquent.

Ainsi, jeter une bouteille vide dans un espace vert est perçu comme fréquent et suscite
peu de contrôle social, tandis que garder sa place assise dans les transports en commun
face à une femme enceinte est perçu comme étant un comportement peu fréquent et
suscite un contrôle social fort.

Dès lors qu’un comportement devient fréquent, son caractère déviant est d’emblée remis
en question, une norme descriptive va se mettre en place de part la répétition du
comportement, et le contrôle social devient obsolète face à ce comportement.

« Le contrôle social peut être défini comme toute réaction informelle que peut avoir
un individu afin de manifester sa désapprobation envers le comportement d’un
tiers qui s’écarte d’une norme »

55
Enfin, parallèlement aux caractéristiques de l’acte lui-même, un facteur semble
constituer l’un des principaux déterminants de l’exercice du contrôle social : les
conséquences du comportement déviant pour les témoins.

Le fait de subir soi-même directement des conséquences négatives de la transgression


conduit les individus à être particulièrement sévères et à exercer du contrôle social plus
fréquemment que lorsque l’acte ne les affecte pas. On parle alors de sentiment
d’implication personnelle. C’est lorsque les individus sont personnellement impliqués
parce qu’ils souffrent des conséquences du comportement déviant qu’ils vont décider le
plus fréquemment d’intervenir et d’exercer du contrôle social. Pour illustrer cet effet, il
a été mis en évidence que des individus voyant une personne jeter des mouchoirs en
papier par terre vont le sanctionner dans 40% des cas si le comportement a lieu dans un
grand jardin public et dans près de 80% des cas si le comportement a lieu dans le jardin
de leur immeuble.

Si les conséquences subies par les individus constituent l’une des sources du sentiment
d’implication personnelle, d’autres éléments peuvent être considérés comme favorisant
ce sentiment. Le fait de se percevoir comme étant particulièrement responsable de
l’intervention va également accroître l’implication ressentie par les témoins d’un acte
déviant.

Mais quand se sent-on particulièrement responsable d’intervenir et d’exercer du


contrôle social en dehors de la situation où l’on souffre matériellement des
conséquences de l’acte déviant?

L’une des réponses possibles à cette question nous conduit à prendre en considération
le contexte dans lequel survient le comportement déviant et à nous pencher sur les
déterminants situationnels du contrôle social.

b. Les déterminants situationnels : quand exerçons-nous du contrôle social ?

L’effet de l’appartenance groupale des déviants et témoins fait que les individus sont
généralement plus sévères avec les individus déviants appartenant à leur propre groupe
social qu’avec ceux appartenant à un autre groupe, et ceci bien que le comportement
déviant soit identique. Ainsi, une mauvaise prestation orale est évaluée comme plus
mauvaise par des étudiants quand elle est réalisée par un étudiant de leur propre filière
que par un étudiant d’une autre filière. Cette subjectivité dans l’évaluation des déviants
est connue sous le terme d’effet Brebis Galeuse.

Par extension, il a été montré que cette différence d’évaluation se retrouve dans
l’exercice de contrôle social. Ainsi, les individus exercent plus de contrôle social quand
un comportement incivil est commis par un membre de leur groupe plutôt que par un
membre d’un exo-groupe.

Par exemple, un Français demandait plus à un compatriote qu’à un Belge d’arrêter de


fumer lors d’une réunion dans un lieu non-fumeur. Ce phénomène s’explique par le fait
que le comportement déviant d’un membre de l’endo-groupe constitue une menace.

Cette légitimité du contrôle social est centrale dans le processus de régulation des
comportements et dans les conséquences et l’efficacité du contrôle social.

56
c. Les conséquences et l’efficacité du contrôle social : Qu’est ce qu’un acte
de contrôle social efficace ?

La fonction du contrôle social consiste, nous l’avons vu, à réguler les comportements
contre-normatifs afin de perpétuer certaines normes sociales. Dès lors le contrôle social
est efficace si il rempli ces fonctions et fait cesser les comportements incivils à plus ou
moins longue échéance. Cependant, que l’on se penche du côté des sociologues ou de
celui des psychologues sociaux, on peut noter que le contrôle social peut avoir des
conséquences tout autres et pour le moins négatives.

En effet, le contrôle social peut susciter chez l’individu cible des réactions émotionnelles
hostiles susceptibles de déclencher des réactions agressives envers l’auteur du contrôle
social ou une tierce personne. Insulter le conducteur qui klaxonne parce que vous êtes
garé en double file, s’énerver parce que quelqu’un vous demande de ramasser le papier
que vous venez de jeter par terre, etc. Toutes ces réactions peuvent être considérées
comme des manifestations de colère ou d’hostilité envers le contrôleur social.

Ainsi le contrôle social, lorsqu’il suscite ce type de réactions, ne remplit pas sa fonction
et, au contraire, est à l’origine d’un nouveau comportement déviant. Cette apparition
d’émotions hostiles est au centre des conséquences perverses du contrôle social. Alors
que la transgression de norme est associée traditionnellement à des émotions morales
comme la culpabilité, la honte, ou l’embarras, et aux comportements de réparations qui
leur sont associés comme des excuses ou l’arrêt du comportement problématique, le
contrôle social peut parfois provoquer les effets inverses.

Il est alors nécessaire de se poser la question : qu’est ce qui fait basculer les cibles de
contrôle social de l’embarras à la colère? De l’excuse à l’agression?

Des travaux récents (Nugier, Niedenthal, Brauer, & Chekroun, 2007) mettent l’accent
sur un facteur que nous avons abordé précédemment : la légitimité du contrôle social.

Le contrôle social est d’autant plus facilement exercé qu’il est légitime, mais il est
également d’autant mieux accepté qu’il est légitime. Si vous considérez que la personne
qui vous demande de ramasser votre papier a raison, que sa remarque est légitime, que
ce que vous avez fait n’est effectivement pas correct, alors vous vous sentirez
probablement embarrassé, ramasserez votre papier, et y repenserez peut-être la
prochaine fois que vous serez sur le point de jeter un autre papier dans un parc. Par
contre, si vous pensez que cette personne n’a pas à intervenir parce que ce que vous
avez fait n’est pas si grave, que c’est le parc juste à côté de chez vous et qu’elle n’est
pas elle-même du quartier, qu’elle vous a parlé d’une façon agressive, alors vous allez
ressentir de la colère et peut-être entrer en conflit avec cette personne. Par ailleurs, cela
ne vous empêchera peut-être pas de recommencer.

La légitimité de l’intervention apparaît donc comme centrale aussi bien dans la prise de
décision d’exercer du contrôle social que dans l’efficacité de cette sanction. Si la
légitimité est perçue de la même façon par les témoins d’un comportement déviant que
par son auteur, le processus de contrôle social est alors particulièrement efficace.

Conclusion : La consigne «Respectez et faites respecter cet espace vert» a-t-elle un


intérêt pour faire respecter la propreté d’un jardin public? Notre propos n’était pas ici

57
de déterminer l’efficacité du rappel de la norme sociale «Respectez cet espace vert» sur
le comportement ciblé mais plutôt de tenter de comprendre ce qui pouvait conduire les
promeneurs à «Faire respecter cet espace vert». Comme nous l’avons vu, les
sentiments d’implication personnelle, de responsabilité individuelle, et de légitimité
sont déterminants dans l’exercice de contrôle social et donc dans la prise de décision
d’intervenir face à un comportement irrespectueux d’une norme de ce type. C’est
lorsque les témoins d’un acte déviant ou incivil perçoivent les conséquences négatives
de cet acte pour eux-mêmes qu’ils sont les plus à même d’exercer du contrôle social.
Subir les conséquences négatives d’un comportement déviant renforce le sentiment de
responsabilité des témoins du comportement et leur donne ainsi la possibilité de
dépasser l’inhibition liée à l’éventuelle présence de nombreux autres témoins.

Si rappeler aux promeneurs qu’il leur est demandé de «Faire respecter cet espace vert»
va effectivement favoriser le sentiment de responsabilité, ou rendre légitime une
intervention face à quelqu’un qui détériorerait les lieux, on peut penser que rappeler aux
passants combien leur coûte personnellement l’entretien du parc public et que «Ce parc,
c’est chez vous» faciliterait d’autant plus leur décision d’exercer du contrôle social.

Effets du contrôle social :

- effet positif : dissuasion (les sanctions clarifient ce qui est normal et déviant,
importance de l’automaticité de la sanction et la sévérité de la peine) ;
- effet négatif : stigmatisation, avec l’exclusion d’une partie de la société.

3. La déviance :

La déviance est une notion de sociologie désignant des comportements non conformes aux
normes sociales. Dans les sphères normatives de la société, la déviance peut être punie par
la loi, par des sanctions sociales, ou vu comme un trouble psychologique ou
comportemental.

Les normes sociales étant sujettes à des modifications, certaines conduites déviantes
peuvent donc devenir acceptable socialement, ou voire conformistes, de même que des
conduites conformistes peuvent à leur tour devenir déviantes. Le cas de l'acceptation ou
non de l'homosexualité et de son déclassement en tant que trouble mental illustre cette
évolution des normes.

Selon Émile Durkheim, les conduites déviantes permettent le changement social, car sinon
on assisterait à une reproduction sociale à l'identique, de génération en génération.

La sociologie ne porte pas de jugement de valeur sur la déviance : il n'y a pas de « bonne »
ou de « mauvaise » déviance. La sociologie étudie comment et pourquoi émergent des
comportements et des attitudes différents des normes sociales majoritaires dans une société
donnée.

Pour les tenants de la sociologie de la déviance, comme Albert Ogien, la notion de déviance
est relative car elle diffère selon les sociétés étudiées et les époques. La déviance étant
considérée comme une attitude ou des comportements non conformes aux normes et
valeurs véhiculées par une société, si ces valeurs ou normes évoluent, alors la perception
de ces attitudes et des comportements évoluent également.
58
Cela renvoie à un facteur essentiel de la notion de déviance : les entrepreneurs de morale.
Un entrepreneur de morale est l'individu par le prisme duquel un acte observé sera qualifié
de déviant. C'est donc par le regard d'autrui qu'un acte sera ou non déviant selon Howard
Becker dans Outsiders (processus d'étiquetage).

Plus largement, c'est la société dans laquelle s'insère l'individu qui déterminera, en fonction
de ses valeurs et normes, si un acte est déviant ou non. On peut donc aussi ajouter qu'un
même individu, s'adonnant aux mêmes actes (considérés comme déviants par sa société),
pourra ne pas l'être dans une autre société ou à une autre époque si les normes et valeurs
en place diffèrent.

Howard Becker (sociologue du XXe) note que le caractère déviant dépend de la manière
dont les autres vont réagir, plutôt que de l'acte en lui-même. C'est-à-dire que l'acte lui-
même n'est pas déviant mais qu'il le devient vis-à-vis du regard d'autrui.

Nous retrouvons là l'esprit de la définition que Simmel donne des pauvres : « Ce n’est qu’à
partir du moment où ils sont assistés - ou peut-être dès que leur situation globale aurait dû
exiger assistance, bien qu’elle n’ait pas encore été donnée - qu’ils deviennent membres
d’un groupe caractérisé par la pauvreté. Ce groupe ne demeure pas uni par l’interaction de
ses membres, mais par l’attitude collective que la société, en tant que tout, adopte à leur
égard ». Georg Simmel note en effet que cette définition s'applique également pour la
déviance. Selon lui, « ceci est analogue à la manière dont le crime, dont la définition
substantive engendre de telles difficultés, est défini comme une action punie par des
sanctions publiques »

Nouveauté : déviance primaire / déviance secondaire :

Déviance primaire = l’individu transgresse des éléments de son rôle sans être étiqueté et
sans changer de rôle.

Déviance secondaire = l’individu transgresse son rôle, et réagit à son étiquetage par un
changement radical de rôle s’opposant à la norme.

La déviance primaire désigne la transgression de la norme, la déviance secondaire désigne


la reconnaissance et la qualification de cette déviance par une instance de contrôle social.

Ces théories expliquent comment une transgression est repérée, stigmatisée par la société,
et intériorisée par l’individu.

La déviance primaire s’intéresse à la question : pourquoi un individu à tel moment


transgresse une norme.

La déviance primaire n’aboutit pas forcément à une déviance secondaire : si l’individu


déviant n’est pas reconnu par une instance.

IV. Le Pouvoir politique :

A. le pouvoir politique selon Max Weber

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Le pouvoir politique, c'est la domination exercée par une personne ou un groupe de
personnes dans une société, dans le but d'organiser celle-ci. La cohérence d'un projet
politique est assurée par un pouvoir politique qui mène cette action. Ce contrôle peut être
fait à l'encontre de la volonté populaire (dictature) ou au nom du peuple, c'est à dire par et
pour le peuple (démocratie). A ce niveau, il est questions de systèmes et de régimes
politiques, qui méritent deux fiches supplémentaires!

Il faut commencer par définir ce pouvoir politique, puis voir quelles formes il peut prendre.
On parlera alors ici de régimes et de systèmes (tout de même), mais aussi de domination, de
portées anthropologiques, historiques, culturelles, philosophiques... Pour constater, en
conclusion, les choses n'ont pas tant évolué ces derniers siècles... Avec, encore une fois, un
rapport à l'actualité.

Définition

La plus utile, et la plus célèbre, c'est celle qu'a énoncée Max Weber dans Le Savant et le
Politique (1919) : "Le pouvoir politique, c'est le monopole de la violence légitime".

Retenir cela, c'est déjà posséder l'essentiel en la matière...

Il s'agit désormais de comprendre ce que cela implique concrètement.

La violence légitime, c'est la violence qui est reconnue par tous comme légitime, c'est à dire
nécessaire au bon fonctionnement de la communauté. S'il n'y avait pas de violence dite
"légitime", n'importe qui pourrait se faire justice soi-même et la loi du plus fort, ou encore
du "chacun pour soi" règnerait. Par "violence", il ne s'agit pas que d'agression physique, mais
aussi et surtout de violence symbolique (exemple : un redressement fiscal ne se règle pas
avec des coups de bâton...).

Hobbes dit que "L'Homme est un loup pour l'Homme" : Le pouvoir politique permet de
distribuer plus ou moins équitablement les droits et devoirs entre les citoyens. Et cela passe
par l'acceptation collective d'une autorité qui exerce cette violence légitime, c'est à dire cette
possibilité de fixer des limites à ceux qui dépassent les règles et empiètent sur la liberté
d'autrui ("la liberté de chacun s'arrête là où commence celle d'autrui"...). Chez hobbes, la
société organisée est une nécessité pour échapper à un état de nature qui n'engendre que la
guerre. Chez Rousseau, ce "contrat social" est un compromis, une régulation entre l'aspect
fondamentalement social de l'Homme et sa nature qui, ici, est pensée comme
fondamentalement bonne.

Donc, l'armée, la police, la justice, sont des instruments de cette "violence légitime", qui
permet d'empêcher ou de punir les cas de violence individuelle (interdire de se faire justice
soi-même, c'est lutter contre la Loi du plus fort). Mais ils doivent être utilisés dans un cadre
juridique, sans quoi ils deviennent, également, illégitimes. Ainsi, ce pouvoir implique,
naturellement, qu'un policier qui fait un usage abusif de son arme soit puni. Tout pouvoir qui
ne possède pas de contre-pouvoirs est dit "absolu".

La violence légitime est une notion positive, qui doit sans cesse (surtout en démocratie) se
remettre en question.

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Bref, une fois que quelqu'un a le pouvoir de taper, on l'écoute... Donc, le pouvoir politique,
qui exerce cette domination légitime, est à même de structurer la société, pour le meilleur
comme pour le pire.

Pour définir ce qu'est la violence illégitime (celle qui doit être combattue pour assurer le
respect des droits et devoirs des citoyens), il est important que les bases du pouvoir reposent
sur des Lois, sur une juridiction.

Le pouvoir politique peut s'exercer de plusieurs manières... Il faut, dès ici, faire la différence
entre trois concepts fondamentaux: les types de domination, les systèmes politiques, et enfin
les régimes politiques... ce sont trois facteurs qui peuvent être cumulés entre eux...
Les 3 types de domination politique : un éclairage que l'on doit à Max Weber...

Trois types :

- La domination traditionnelle : le chef est chef en raison de ses ascendances divines,


de ses pouvoirs mystiques, de son lien avec l'au-delà... Ex : Selon les sociétés :

✓ tribus d'Amazonie : le chaman est, souvent, le chef du village


✓ Egypte Antique : le pharaon est aussi un demi-dieu...
✓ Royaumes européens : le roi possède une légitimité divine, souvent renforcée par
des pouvoirs spécifiques (comme ce fut le cas pour les Rois Thaumaturges).

Bref, la domination traditionnelle, c'est la fusion originelle de l'occulte et du politique.


Celui qui, dans le groupe, peut revendiquer un lien quelconque avec l'au-delà, se trouve
en mesure de revendiquer le pouvoir politique... traditionnel peut-être mais efficace.

- la domination charismatique : c'est le "niveau 2" du pouvoir politique : en raison de


son comportement héroïque, de son charisme, de l'admiration irrationnelle qu'un être
suscite, celui-ci est considéré comme le chef naturel, spontanément plébiscité... Une
survivance moderne de cette domination est le moteur du mythe de l'"homme
providentiel" (ou de la femme, bien sûr), encore vivace sous notre Vème République.
Exemples concrets :

✓ Attila est le meilleur guerrier des Huns? C'est donc le chef des Huns...
✓ Périclès est le meilleur gestionnaire, tacticien, guerrier, orateur et économiste de la
Grèce Antique? Il impressionne même les plus fervents partisans de l'aristocratie?
Aucun doute, c'est lui qu'il faut à Athènes...
✓ Plus récent, en France... et beaucoup moins glorieux au regard de l'Histoire : Pétain
est un héros de 1914? Alors on espère qu'il va nous sauver en 1940... Comme quoi...

Et enfin, le type de domination le plus avancé, le plus moderne, le plus... souhaitable :

- la domination légale-rationnelle : là, c'est simple, on prend plus compétent, celui qui
est à même de gouverner le pays non pas parce qu'il impressionne, mais juste parce
qu'il fait bien son travail...

Limites

Il faut bien garder en tête que ce sont des exemples absolus, et qu'on peut tout à fait combiner
les trois...

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B. Fondement du pouvoir politique

Le pouvoir politique, ses formes, ses modes d'organisation sont des réalités que la science
politique constate et cherche à expliquer. Pourquoi n'y a-t-il pas de société humaine sans
pouvoir politique ? Ou bien, si de telles sociétés existent, à quelles conditions peuvent-elles
s'en passer ?

Ces questions sont philosophiques. La tradition de la pensée occidentale leur donne deux
réponses contraires, entre lesquelles le débat s'est renouvelé sans cesse du Ve siècle avant J.-
C. au XIXe siècle.

Selon la première, le pouvoir politique est une nécessité inscrite dans l'ordre de la nature,
selon la seconde, le pouvoir politique est un artifice qui résulte d'un accord passé entre les
hommes pour mettre fin à des conditions naturelles d'existence jugées insupportables.

La doctrine de la nécessité naturelle se dédouble elle-même en deux thèses opposées. Si


l'ordre de la nature est un champ de forces qui s'affrontent, il est conforme à la loi naturelle
et donc nécessaire que ceux qui sont à la fois les plus forts et les plus rusés dominent les
autres. Le pouvoir politique n'est alors rien d'autre que cette domination fondée sur une
nécessité de fait, d'ordre physique. Mais si l'ordre de la nature est une harmonie qui exprime
ou reflète la raison universelle, il est conforme à la loi naturelle et donc nécessaire que les
relations entre les hommes soient réglées harmonieusement par des normes universellement
valables (le « droit naturel ») et que certains hommes spécialement choisis et qualifiés
veillent au respect de ces règles. Le pouvoir politique n'est alors rien d'autre que ce
gouvernement raisonnable, fondé sur une nécessité de droit, d'ordre logique : il s'ensuit qu'on
ne doit pas obéir aux commandements qui seraient contraires au « droit naturel ».

C. Définition du pouvoir politique en droit constitutionnel:

• Étymologiquement : c’est le pouvoir dans la cité, dans l’Etat.


• C’est le pouvoir de prévision, d’impulsion, de décision et de coordination qui
appartient à l’appareil dirigeant du pays, en principe de l’Etat, c’est-à-dire aux
gouvernants (organes exécutifs essentiellement) et qui permet de déterminer et de
conduire la politique nationale.

Caractères :

• C’est un phénomène d’autorité. Donc, il nécessite une double relation :


commandement et obéissance. C’est pourquoi on distingue les gouvernants (à qui
le pouvoir est dévolu) qui commandent des gouvernés qui obéissent.
• Il est contraignant. La contrainte matérielle sert, non pas à fonder le pouvoir,
mais à le maintenir.
• Il est initial car tout part des dirigeants.
• Il a une vocation globale. L’autorité du pouvoir politique s’applique à tous et peut
porter sur tous les domaines. Ex : économie, social, enseignement, … c’est ce qui
permet de le distinguer d’autres phénomènes d’autorité.

D. Les différentes façons d’exercer le pouvoir politique ?cookies sur notre site pour
collecter et

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Il existe de nombreuses façons d’exercer un tel pouvoir, la plus évidente étant celle du chef
politique officiel d'un État, tel qu'un président, un premier ministre, un roi ou un empereur.
Les pouvoirs politiques ne sont pas limités aux chefs d'État vive ou aux dirigeants, et
l'étendue d'un pouvoir se mesure à l'influence sociale que la personne ou le groupe peut
avoir, influence pouvant être exercée et utilisée officiellement ou officieusement.

Dans beaucoup de cas, la sphère de l'influence n'est pas contenue dans un seul État et on
parle alors de puissance internationale. Traditionnellement, le pouvoir politique se fonde et
se maintient au moyen de la puissance militaire, en accumulant les richesses et en acquérant
la connaissance.

Risque d'abus

L'histoire est remplie d'exemples où le pouvoir politique a été utilisé nuisiblement ou d’une
manière insensée (abus de pouvoir). Ceci se produit, le plus souvent, quand trop de pouvoir
est concentré dans trop peu de mains, sans assez de place pour le débat politique, la critique
publique, ou d'autres formes de pressions correctives. Des exemples de tels régimes sont le
despotisme, la tyrannie, la dictature, etc.

Pour parer à de tels problèmes potentiels, certaines personnes ont pensé et mis en pratique
différentes solutions, dont la plupart reposent sur le partage du pouvoir (telles que la
démocratie), les limitations du pouvoir d’un individu ou d’un groupe, l’augmentation des
droits protecteurs individuels, la mise en place d’une législation ou de chartes (telles que
celle des droits de l'homme).

Montesquieu affirmait que sans un principe permettant de contenir et d'équilibrer le pouvoir


législatif, les pouvoirs exécutifs et judiciaires, il n’y a plus aucune liberté, ni aucune
protection contre l'abus de pouvoir. C'est le principe de la séparation des pouvoirs. Pour
Henry Kissinger, « Power is the ultimate aphrodisiac » (Le pouvoir est l'aphrodisiaque (le
stimulant) suprême).

Aujourd’hui, le pouvoir politique est institutionnalisé c’est-à-dire qu’il s’est dissocié de la


personne des gouvernants pour se porter sur une entité qui lui sert de support, soit l’Etat
(depuis le XVe siècle). Cette évolution est capitale car les dirigeants n’ont de compétences
qu’en raison de leurs fonctions, ils ne sont que dépositaires provisoires du pouvoir. La
légitimité les dépasse et leur survie.

E. Le problème des contre-pouvoirs

Définition :

• Centres organisés de décisions, de contrôle, d’intérêts ou d’influence qui, par leur


seule existence ou par leur action ont pour effet de limiter la puissance de
l’appareil dirigeant de l’Etat.

Utilité :

• Eviter l’omnipotence du pouvoir soit en participant directement à l’exercice du


pouvoir soit en se situant à l’extérieur du pouvoir mais en l’influençant.
• Il permet un équilibre favorable aux droits et libertés des gouvernés.

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• Ils sont présents dans les régimes pluralistes et inexistants dans les régimes
totalitaires.
• Des Nuances doivent être relevées : l’abus de contre-pouvoir serait contraire à la
démocratie car cela ferait prévaloir les intérêts catégoriels sur l’intérêt général.
Tout est une question d’équilibre.

Nature :

• Institutionnels : ils sont prévus pour assurer l’équilibre interne du pouvoir


politique et éviter les excès. La théorie de la séparation des pouvoirs tend à
instituer des contre-pouvoirs. Ex : les Assemblées.
• Politiques : ce sont les partis politiques qui disposent d’une liberté d’action, la
presse écrite quant à elle est indépendante du pouvoir, les médias audiovisuels
quand ils ne relèvent pas du monopole de l’Etat.
• Sociaux : ce sont les forces économiques et sociales (ex : syndicats), les forces
militaires, les forces spirituelles (ex : Eglise). Leur rôle de contre-pouvoir est
exceptionnel.

F. Les rapports entre pouvoir politique, institutions et droit

Le pouvoir politique constitue la source des institutions et du droit. C’est lui qui établit
les organes exerçant le commandement et en assure le fonctionnement, il édicte les normes et
prévoit leurs sanctions.

Mais le pouvoir politique doit respecter les institutions et se soumettre au droit. Et il doit
respecter les règles édictées pour toute modification. Ex: la révision de la Constitution. C’est
la garantie d’un Etat de droit. L’Etat de droit est plus facile à faire respecter dans les régimes
pluralistes car les pouvoirs sont croisés que dans les régimes où le pouvoir est centralisé.

a. Le pouvoir politique, l'Etat et la nation

Le pouvoir politique permet à un individu d'obtenir un comportement souhaité d'un autre


individu.

Le pouvoir politique est une forme particulière de pouvoir qui concerne tous les membres
d'une société.

Il prend toute son importance dans les sociétés complexes composées de groupes sociaux aux
intérêts potentiellement divergents. Ces divergences d'intérêts peuvent déboucher sur des
conflits susceptibles de faire éclater la société.

Le pouvoir politique a pour fonction d'éviter cet éclatement, soit en imposant un ordre au sein
de la société, soit en facilitant la conciliation entre les groupes en conflit.

b. La spécificité du pouvoir politique : science politique, 1996)

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"Le pouvoir politique a pour fonction de défendre la société contre sa tendance à l'entropie
qui la menace du désordre". (George Balandier, Anthropologie politique, 1967). Pour cet
anthropologue, la société est marquée par un désordre qui a naturellement tendance à
augmenter. Elle a plus d'aptitude à détruire qu'à construire.

c. L'État.

1. Définitions et rôle de l'Etat.

Dans un premier sens, l'État peut être assimilé au pays (ex. : l'État français = la France).

Mais, en sociologie comme en science politique, l'État est plus souvent analysé comme
étant l'instrument d'un pouvoir politique institutionnalisé et non pas individualisé : ceux
qui gouvernent ne le font pas en leur nom propre et sont obligés de respecter des
procédures et des réglementations qui leurs sont imposées. En tant qu'instrument de
pouvoir, l'État repose à la fois sur la contrainte (privilégié dans les dictatures) et sur
l'assentiment de la population (privilégié dans les démocraties) ou la légitimité.

L'État peut ainsi être défini sociologiquement, avec Max Weber, comme « une
communauté humaine qui, dans les limites d’un territoire déterminé […], revendique
avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime ».

Seuls l'État et ses services (police, gendarmerie), a le droit de mettre en œuvre la


violence (et plus encore : la violence armée) à l’encontre de ceux qui violeraient les lois
établies.

Ceux qui usent de violence physique, en dehors de l'État, sont illégitimes et peuvent
donc être considérés soit comme des délinquants, des criminels, voire comme des
mercenaires ou des terroristes.

Le monopole de la violence est le garant du pouvoir de l’État sur son territoire. Il permet
la pacification des rapports entre les citoyens puisqu'il permet à des individus et des
groupes sociaux différents, aux intérêts parfois divergents, de vivre ensemble en
interdisant toute violence d'un individu ou d'un groupe sur un autre.

Pour éviter tout abus de ce monopole, il convient de protéger par la loi les citoyens
contre l'arbitraire et la violence exercée par l'État. Un tel État est appelé "État de Droit".
La légitimité du pouvoir politique doit normalement lui permettre de limiter le recours
à la violence (ex. : démocraties).

2. L'État comme résultat d'un processus historique

L'institutionnalisation de l'État s'est faite par un long processus historique.

Dans les sociétés féodales, le pouvoir politique était incarné par des hommes (les
seigneurs) qui régnaient chacun sur leur propre territoire. À partir du XIe siècle en
Europe, on a d'abord assisté à une lente concentration du pouvoir politique au profit du
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roi (la collecte des impôts, la monnaie, la sécurité publique, la défense sont devenues
quelques-unes de ses attributions).

L'apparition de la monnaie a d'abord permis au souverain de récompenser ses


subordonnés en argent et de s'assurer leur service et leur fidélité.

C’est ainsi que se constituèrent les armées et les administrations modernes, où les
subordonnés restent dépendants de l’État, qui, de la sorte, échappe à la tendance
permanente à l’éclatement, caractéristique de l’époque féodale.

Puis le pouvoir politique s'est institutionnalisé, ce qui signifie à la fois qu'il ne réside
plus dans un individu mais dans une fonction (ex.: la présidence de la République) et
qu'il doit respecter les lois.

Au XXème siècle, l’État étend son rôle pour devenir un « État-providence », régulateur
et protecteur.

d. La Nation

1. Définition un ensemble de personnes vivant sur un territoire commun, conscient de son


unité (historique, culturelle, etc.) et constituant une entité politique.
Le passé commun est à l'origine d'une histoire partagée constitutive du sentiment d’identité
commune. Certains événements, servent ainsi de référence à tous (mémoire collective), et
aident à forger une identité nationale. Il en est de même pour les valeurs.

Si le passé commun est une condition nécessaire pour constituer une nation, cela n'est pas
une condition suffisante, car la nation suppose un projet politique partagé.

2. De l'État à l'État-nation.

Historiquement, la construction de la nation a accompagné celle de l'État. L’État s’est


construit grâce à la mise en place d’institutions socialisatrices et nationale.
On peut ainsi définir l'État-nation comme une unité politique où la nation est constituée et
structurée par un État.

Les institutions, les médias, la vie politique continuent à unifier la population, mais ils sont
concurrencés par la tendance à l'internationalisation, la montée en puissance des
organismes internationaux (l'Union européenne, l'ONU…) et une culture de plus en plus
mondialisée. (avec la multiplication des échanges internationaux, notamment à travers
Internet).

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V. L’opinion publique

L’opinion étant un jugement (que l'on porte sur un individu, un être vivant, un fait un objet, un
phénomène...), ce que l'on appelle l’opinion publique désigne l'ensemble des convictions et
des valeurs, des jugements, des préjugés et des croyances plus ou moins partagées par la
population d'une société donnée.

De même qu'une opinion se caractérise par son aspect normatif et se différencie de l'esprit
critique (marqué, lui, par le questionnement, l'argumentation, l'approche contradictoire et le
souci d'approcher une certaine vérité), l'opinion publique peut parfois être construite sur des
avis tranchés, des émotions, des informations non vérifiées pouvant se révéler fausses, qu'elles
soient véhiculées intentionnellement ou non.

L'ensemble des sociologues s'accordent sur l'idée que ce n'est qu'au XXe siècle, avec l'apparition
des médias de masse, qu'il est légitime de parler de « société de masse » et d'« opinion
publique ». Ils démontrent également combien celle-ci est manipulable par des techniques de
propagande, ce qui explique notamment l'apparition des grands régimes totalitaires (fascisme
communisme, nazisme...).

Dans les démocraties, la propagande vise essentiellement à influer sur les choix politiques. Plus
largement, et dès lors que l'idéologie dominante est le capitalisme, la publicité est considérée
comme une forme de propagande visant à façonner les comportements et les styles de vie dans
le sens du consumérisme.

À la fin du XXe siècle, le débat confronte essentiellement deux camps :

• le premier (et le plus important majoritairement) de sensibilité post-marxiste, selon qui


l'opinion est façonnée par les propriétaires des grands médias et l'ensemble de leurs
soutiens, les acteurs principaux du capitalisme ;

• le second, minoritaire, de sensibilité techno critique, selon qui l'évolution des moyens
de communication et le fait qu'ils sont de plus en plus accessibles à un grand nombre
conditionnent les individus au point que la frontière entre "propagandistes" et
"propagandés" devient extrêmement relative.

Ce débat est relancé au XXIe siècle, quand, avec internet, les individus ne sont plus seulement
"consommateurs" mais "producteurs" de médias et que, n'étant soumis à aucune déontologie, à
la différence des journalistes, un certain nombre d'entre eux en viennent à répandre des quantités
de fake news sur les réseaux sociaux.

Évolution du concept

La doxa est généralement considérée comme la figure anticipatrice de "l'opinion publique" .


Cette notion traverse l'histoire de l'Antiquité jusqu'à la fin du XVIIIe siècle et c'est à partir du

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moment où naissent la démocratie moderne et "les processus qui la renforcent ou la dévoient"
que les intellectuels pensent en termes d'opinion publique.

Selon Dominique Reynié, « l'histoire des théories de l'opinion peut être segmentée en trois
moments :

- De l'Antiquité à la fin du Moyen Age, l'opinion des hommes ordinaires, ou l'opinion


du vulgaire, est stigmatisée comme l'expression d'un ensemble de préjugés que les
esprits savants doivent ignorer mais que les princes doivent surveiller et conduire.

- De la Renaissance à la fin du XVIIIe siècle, le déploiement de l'imprimerie favorise la


constitution d'un public éclairé. Les lecteurs accèdent à l'énoncé public depuis le
nouvel espace éminemment privé du for intérieur. D'un autre côté, les guerres de
religion font éclore les premières grandes batailles d'opinions.

- A partir du XIXe siècle, la question de l'opinion publique se lie étroitement à la quête


de sa mesure. L'opinion devient un objet que les sociologues disputent aux
philosophes, tandis que l'argument si particulier de la quantité joue un rôle peu à peu
déterminant dans la qualification d'une opinion commune ».

Antiquité : Les Grecs

La Grèce antique est connue comme le lieu de naissance de la démocratie. Mais d'une part il
s'agit d'une démocratie réduite à un petit nombre de personnes, les aristoi, au sein d'une société
esclavagiste, d'autre part "la" Grèce n'existe pas encore mais seulement des cités (s'opposant
d'ailleurs souvent les unes aux autres) : la question de "l'opinion publique" ne se pose donc pas.
En revanche se pose celle de l'opinion et l'enjeu des débats menés par les philosophes est
précisément de distinguer un simple avis (doxa) d'une réflexion élaborée. Or ce qui permet de
faire cette différence, c'est la raison (logos) ; plus exactement sa nature contradictoire, ou
dialectique, qui - seule - constitue une garantie d'esprit critique.

Moyen Âge

Au Moyen Âge, l'Europe entière est christianisée. Comme sous l'Antiquité, l'ensemble de la
population — sa "masse" — est illettrée. Alors que les « invasions barbares » ont ruinée
l'édifice politique élaboré par les Romains, le Pape siège toujours à Rome et l'Église exerce une
emprise spirituelle sur les différents monarques. Ce sont donc des religieux qui constituent
l'élite de tout le continent. Et la seule doctrine qu'ils imposent, du moins explicitement, est celle
contenue dans la Bible. A cette fin, la population étant illettrée, les fresques et les vitraux ornant
les édifices religieux remplissent une fonction éducative : la doctrine est "médiatisée" par les
images et celles-ci sont précisément conçues pour alimenter directement "l'imaginaire" des
populations.

Au cours des dix siècles qui jalonnent le Moyen-Age, les choses vont évoluer mais on n'observe
rien à cette époque qui puisse s'apparenter à ce que l'on appelle aujourd'hui "l'opinion publique".

Pour qu'émerge le concept d'opinion publique, il faudra attendre que naisse le sentiment
d'appartenance à l'État (au XIXe siècle) puis qu'avec les médias de masse émerge au XXe siècle
ce que les sociologues appellent la "société de masse".

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Il faut toutefois attendre le XVIIIe siècle, plus précisément la période précédant la Révolution
française, pour qu'émergent à la fois les notions d'intérêt général et d'opinion publique. Certes,
dans la pure tradition philosophique, l'article Opinion de l'Encyclopédie oppose l'opinion à la
science : « la science est une lumière pleine & entière qui découvre les choses clairement, &
répand sur elles la certitude & l’évidence, l’opinion n’est qu’une lumière faible & imparfaite
qui ne découvre les choses que par conjecture, & les laisse toujours dans l’incertitude & le
doute. » Mais comme le note l'historienne Mona Ozouf, on trouve alors chez les philosophes la
volonté de « constituer une opinion publique éclairée. »

L'avènement de la République fait du "peuple" un acteur à part entière, à tel point que Saint-
Just parle de « conscience publique ». Le syntagme opinion publique apparaît dans le
Dictionnaire de l'Académie en 1798.

Cette « opinion publique » suscite un certain enthousiasme, notamment par Burke et Bentham.

Dans Qu'est-ce que les Lumières ?, Kant souhaite lui aussi que s'exprime la volonté du peuple
entier mais il rappelle l'importance de la raison critique dans le cadre de la société bourgeoise
où l'économie privée semble relever de l'ordre nature.

XXe siècle : Les débuts de la sociologie

Les toutes premières analyses scientifiques du phénomène de l'opinion publique (et plus
généralement du comportement des individus à l'ère industrielle) datent de la naissance de la
sociologie, à la fin du XIXe siècle.

En 1895, dans Psychologie des foules, Gustave Le Bon (pionnier de la psychologie sociale)
souligne non seulement que le comportement d'un individu peut différer sensiblement quand il
est dans une foule ou quand il est isolé. La foule, selon Le Bon, est distincte du simple agrégat
d'individus. « Dans certaines circonstances, et seulement dans ces circonstances, une
agglomération d'hommes possède des caractères nouveaux fort différents de ceux des individus
composant cette agglomération. La personnalité consciente s'évanouit, les sentiments et les
idées de toutes les unités sont orientés dans une même direction».

En 1901, Gabriel Tarde, qui a beaucoup correspondu avec Le Bon, publie L'opinion et la foule :
« des milliers d'individus séparés peuvent à un moment donné, sous l'influence de certaines
émotions violentes, un grand événement national par exemple, acquérir les caractères d'une
foule psychologique ». Selon lui, "l'opinion publique" peut venir concurrencer dangereusement
la raison. En revanche, en 1904, le sociologue américain Robert E. Park, passionné par le
phénomène de l'urbanisation et théorisant la notion d'espace public, aborde la notion d'opinion
publique de manière pragmatique.

Après la Première Guerre mondiale

C'est principalement aux lendemains de la Première Guerre mondiale que s'amorce le débat sur
"l'opinion publique" et les techniques de manipulation des consciences. Durant le conflit, les
journaux ont abondamment utilisé la propagande et le « bourrage de crâne » pour fédérer les
populations contre « l'ennemi » et valorisé « la nation ». L'époque est également marquée par
la montée des régimes totalitaires (le communisme en URSS et le fascisme en Italie...), utilisant
les techniques de communication de masse pour susciter l'adhésion à leurs idéologies.

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C'est finalement aux États-Unis (pays pionnier en matière de production et de communication
de masse et où naîtront les techniques de sondage d'opinion, en 1936) que s'élaborent les
premières véritables études sociologiques sur "l'opinion publique" et la société de masse. Elles
débutent par un séminaire organisé par la fondation Rockefeller à New-York de septembre 1939
à juin 1940, auquel participent notamment les sociologues Paul Lazarsfeld (pionnier en matière
d'enquêtes pour la collecte d'informations) et Harold Lasswell (qui a été propagandiste durant
la Première Guerre mondiale et qui est par ailleurs expert en sciences politiques à l’université
de Chicago) ainsi que le psychologue Hadley Cantril.

En comparaison de l'important dispositif déployé par les chercheurs américains, les Européens
s'en tiennent à des positions réservées et plutôt convenues. Après une analyse poussée de Jean
Stoetzel sur la "théorie des opinions", en 1943, la réflexion s'essouffle. Tout au plus, en 1956,
l'économiste et sociologue français Alfred Sauvy, publie un Que sais-je sur le sujet et l'année
suivante, le philosophe Gaston Berger coordonne un ouvrage collectif rendant compte de débats
tenus à l'Institut d'études juridiques de Nice mais dont la réception est limitée.

Sondages d'opinion

Un élément particulier fait considérablement évoluer le débat sur l'opinion publique : le sondage
d'opinion. Dans ce contexte, le sociologue Pierre Bourdieu considère l'« opinion publique »
comme un objet construit, « un artefact pur et simple dont la fonction est de dissimuler que
l'état de l'opinion à un moment donné du temps est un système de forces, de tensions et qu'il
n'est rien de plus inadéquat pour représenter l'état de l'opinion qu'un pourcentage ». Il ajoute
que « l'effet fondamental de l'enquête d'opinion est de constituer l'idée qu'il existe une opinion
publique unanime, donc légitimer une politique et renforcer les rapports de force qui la fondent
ou la rendent possible ». Bourdieu intitule d'ailleurs son article « l'opinion publique n'existe
pas ».

Dans le sillage d'un Bourdieu, le sociologue Alain Accardo considère que la réalité de
l'« opinion publique » « tient pratiquement tout entière dans ce qu'en disent les médias et tout
spécialement aujourd'hui les instituts de sondage qui, sans s'interroger outre mesure sur le bien-
fondé de leur démarche, collent à des fins d'agrégation statistique, cette étiquette abusivement
globalisante et homogénéisante sur une série limitée d'opinions individuelles artificiellement
provoquées par leurs questions et de surcroît arbitrairement considérées comme
interchangeables ».

L'avènement d'internet dynamise le débat puisqu'avec internet, les individus ne sont plus
seulement "consommateurs" mais aussi "producteurs" de médias.

Pas question donc d’avoir recours à des données aussi subjectives que des sondages, qui restent
à la marge de la sociologie dans les années 1940 et 1950, malgré des rapports continus entre les
promoteurs des sondages et les sociologues, comme en atteste la participation de Jean Stoetzel
à la création de la Revue française de sociologie.

Progressivement, des évolutions internes et externes à la sociologie vont conduire cette dernière
à intégrer des données d’opinion à la production d’enquêtes. Les consciences individuelles
jusqu’alors non étudiées, vont devenir l’objet d’investigations scientifiques. La publication par
Alain Touraine en 1966 de La conscience ouvrière, reposant en grande partie sur l’utilisation
de sondages, est révélatrice de cette évolution.

La démesure de l’opinion publique


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L’opinion publique parvient, au cours du XXe siècle, à s’imposer comme incontournable au fur
et à mesure que se développent les outils permettant de la mesurer.

Entre 1945 et 1963, on recensait dans le monde 450 sondages par an. En 1983 on pouvait en
décompter 500 uniquement en France. En 2017, selon un rapport de la Commission nationale
des sondages, 560 sondages ont été publiés sur la seule thématique de l’élection présidentielle.

Cette inflation du nombre des sondages médiatisés est d’autant plus impressionnante que la
majorité des enquêtes d’opinion ne sont jamais publiées. Elles constituent une source
d’information que les clients des instituts se gardent bien de diffuser, et utilisent pour réaliser
leurs stratégies (électorales ou commerciales), leurs investissements, etc.

L’industrialisation croissante de la fabrication des sondages est rendue possible par l’évolution
des modes d’administration des questionnaires. Initialement réalisés en face à face ou par
téléphone, les sondages sont aujourd’hui dans leur grande majorité le produit de réponses par
Internet. Cela permet une réduction très importante des prix mais également une forte
diminution du temps nécessaire à la production. Commander un sondage devient dès lors
beaucoup plus accessible et de nombreux médias, entreprises, associations ou partis politiques
développent leur usage de l’outil.

L’ensemble de ces évolutions nous offre la possibilité d’une connaissance plus fine des
représentations individuelles et collectives, des valeurs et des préférences qui traversent la
société.

Mais ces instruments, aussi élaborés soient-ils d’un point de vue technique, ne contiennent pas
en eux-mêmes les réponses aux questions qui sont celles des sciences sociales depuis le début
du XXe siècle : qu’est-ce que l’opinion publique ? Que mesure-t-on exactement avec un
sondage ? Y a-t-il des variables plus pertinentes que d’autres pour expliquer les comportements
individuels ?

Toutes ces questions font l’objet de débats, de recherches, mais aussi de polémiques et de
discordes au sein des champs scientifique, politique et plus largement dans la société dans son
ensemble.

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