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L'action publique.

Action publique = ensemble des actes et non-actes (effets d'annonce, création de


commissions, visites médiatisées... ou choix intentionnel de ne pas agir) d'une
autorité publique face à un problème de son ressort.
Autorité publique = institution détentrice d'un pouvoir de coercition: un État, une
collectivité territoriale (qui exerce le pouvoir de coercition par délégation de l’État)
ou un organisme supranational...
Les ressortissants = acteurs auxquels s'applique le programme de l'autorité
publique.

1 Les politiques publiques (PP)

1.1. Généralités

Les PP sont des outils et des moyens mis en œuvre par les pouvoirs publics pour
atteindre des objectifs dans un domaine particulier de la société.
« Une PP se présente sous la forme d’un programme d’actions propres à une ou
plusieurs autorités publiques ou gouvernementales. » - Jean-Claude Thoenig
Mais la frontière entre actions privées et publiques est de plus en plus floue, d’où le
succès de la notion de « gouvernance », une conception horizontale des PP.

Selon Thoenig et Mény, les PP ont 4 caractéristiques :


- Les mesures ne sont pas isolées, mais s'inscrivent dans des programmes plus
vastes.
- Ces mesures sont de nature plus ou moins contraignante, dès lors qu'elles reposent
sur des règles formelles.
- Ces mesures s'appliquent à des ressortissants, ceux dont on cherche à modifier les
comportements.
- Les mesures sont des moyens pour parvenir à des objectifs explicites.

Typologie des PP de Théodore Lewi :


- Politiques réglementaires = poser des règles, des obligations
- Politiques distributives = attribuer des autorisations, des prestations
- Politiques redistributives = fixer des règles concernant un groupe
- Politiques constitutives = poser les procédures que doivent respecter les acteurs
des PP
Mais la réflexion est limitée aux raisons qui justifient le recours aux PP...

L'action publique est un processus qui fait l'objet de controverses...


Lasswell le divise en 7 étapes :
- La compréhension
- La promotion d'options
- Le choix d'une façon de faire
- La contrainte
- L'application de mesures par l'administration et les tribunaux
- L'achèvement de la politique
- L'évaluation
Mais ce modèle est remis en cause par Jones et Anderson qui en distinguent 5 :
- L'identification d'un problème et la dynamique de la mise sur agenda
- La formulation d'une PP et la décision
- La mise en œuvre
- L'évaluation
- La terminaison

Pierre Muller, 2009 → décrit les acteurs des PP en France aujourd'hui par 4 cercles
concentriques:
- Le Président de la République, le PM et le ministre des Finances qui arbitrent
entre les différents problèmes sur l'agenda politique. Bercy participe à la
détermination de ce que sont les priorités budgétaires.
- Les autres ministères et les grandes collectivités chargées de mettre en œuvre les
PP.
- Les acteurs extérieurs à l’État (dont on observe une démultiplication aujourd'hui)
tels que les syndicats, les associations.
- Le Parlement qui, affaibli sous la Ve, est parfois moins influent que les lobbies du
cercle ci-dessus.

1.2. Les différentes approches des PP

En France, l’analyse des PP a pendant longtemps été la chasse gardée des


économistes. Pourtant, si l’on veut comprendre comment un problème de société
devient un problème public ou si l’on veut savoir qui prend vraiment les décisions et
à quelles conditions les PP réussissent, le sociologue et le politiste ont beaucoup à
nous apprendre. La pluridisciplinarité que requiert l’analyse des PP permet de porter
un regard approfondi sur de nombreux enjeux politiques actuels. Au fil du temps, on
a eu différentes approches des PP:

Les « policy sciences » :


The Policy Sciences, Lernet et Lasswell → Aux États-Unis, les premiers travaux des
sociologues et politistes sur les PP débutent dès les années 1950 avec les « policy
sciences ». L’objectif de leurs promoteurs est de rationaliser l’action publique: la
science doit permettre de découvrir le meilleur instrument permettant d’atteindre
l’objectif que l’État s’est fixé. Il s'agit d'améliorer l’efficacité des PP en
rationalisation l’action étatique. Prédominance de l’approche économique et
gestionnaire. Ces « policy sciences » postulent alors la rationalité des décisions.

La sociologie des organisations:


Lindbolm, March, Simon, Scharpf, Mayntz, Crozier... → Postulat d'un
dysfonctionnement étatique, qui mène dans les années 70 à une remise en cause de
l’État. On observe une différenciation croissante entre l’analyse des PP et l'économie
publique. La sociologie des organisations, et notamment les travaux de Crozier,
montrent que la pratique du pouvoir n'est pas réductible au droit. La vision (naive)
des PP promue par les « policy sciences » est mise à mal par la sociologie des
organisations qui souligne les dysfonctionnements de la bureaucratie et conduit à une
conception plus relationnelle, interactionniste du pouvoir politique. Non seulement
l’État ne doit plus être envisagé comme un « despote omnipotent, omniscient et
bienveillant » (Dixit) mais encore est-il nécessaire de prendre en compte le rôle de
tous les acteurs qui participent à la décision publique et qui contribuent (ou non) à
son succès. L'action collective est envisagée comme une véritable «construction
collective d’acteurs en interaction ».

La sociologie politique de l’action publique:


On essaye d'expliquer les PP par des caractéristiques structurelles. L’État n’est plus
au centre de l’analyse. On remplace le terme PP par action publique. Les spécialistes
viennent désormais de domaines académiques différents: sociologie, droit, économie,
histoire... Les sciences politiques mobilisent aujourd'hui de plus en plus les
techniques d'enquête forgées par la sociologie (observations, entretiens,
questionnaires...). Dans ce cas, on parle de plus en plus de sociologie politique.

1.3. La mutation des instruments, des missions et des catégories de


l'action publique

Au fil du temps, on a vu une extension des missions de l’État, à mesure que le débat
public en appelle à l’État pour régler certains problèmes grâce à son pouvoir de
coercition, et via la dynamique de la mise sur agenda.
Cette extension engendre une augmentation des prélèvements obligatoires. De 10%
en 1900, le taux de prélèvements obligatoires est passé à 46% aujourd'hui en France.

Jusqu'à la Révolution, l’État = l’État-gendarme est limité à ses fonctions régaliennes


= la sécurité, la justice et la défense. Donc on a seulement trois types de PP: PP
visant le maintien de l'ordre, PP fiscales et militaires.
A la fin du XIXè siècle, on considère désormais l’État comme l'émanation de la
solidarité nationale et on lui reconnaît un rôle dans la protection contre les risques
sociaux = l'Etat-Providence. Les solidarités publiques reposent sur des catégories
formelles (chômeurs, invalides, retraités...) et protègent des droits, définis de manière
impersonnelle. C'est donc en même temps que l'Etat-Providence qu'émerge la notion
de droits sociaux, vus comme le corollaire de la citoyenneté. On a donc l'apparition
de PP redistributives.
Au cours du Xxe siècle, on a une extension des droits sociaux protégés par l’État =
les nouvelles catégories de l'action publique (illettrisme, familles monoparentales...).
Affirmation croissante des PP constitutives et incitatives.
Après la 2GM, on considère que l’État ne doit pas faire qu'intervenir ponctuellement
dans l'économie mais qu'il a pour mission de la réguler = rupture keynésienne.

Exemple de l’État en France: Pierre Rosanvallon, L’État en France de 1789 à nos


jours, 1990 → critique l'approche de l’État par la seule comptabilité nationale, qui
consiste à faire comme si l’État était un objet non historique avec un poids croissant
dans l'économie, comme si ses missions et ses instruments étaient invariants au cours
du temps, là où il est un ensemble de relations sociales. Évolution de ses missions:
- Le léviathan démocratique = à partir de la Révolution, l’État doit être une
représentation de la nation. Se développe peu à peu une transparence autour du
budget de l’État dès lors que l'Assemblée obtient le droit de le voter et de le débattre.
- L'instituteur du social = l’État est responsable de la cohésion sociale, il joue un
rôle qui était auparavant tenu par les corps intermédiaires (corporations, provinces...).
- La Providence = émerge la notion de droits sociaux qui s'entendent comme des
droits à la protection contre les risques sociaux.
- Le Régulateur de l'économie = l’État est jugé responsable du bon
fonctionnement de l'économie dans son ensemble.

A partir des années 80, apparaît un discours sur la bonne « gouvernance » de l’État =
l'ensemble des dispositifs visant à mettre en conformité les intérêts des gouvernants et
des administrés. On applique un concept qui vient de la gestion des entreprises à la
gestion de l’État. La gouvernance est un discours qui définit un problème et qui
définit en même temps des solutions, des bonnes pratiques qui viendraient du monde
de l'entreprise. Ce discours repose sur la dénonciation d'un contre-modèle qui est la
bureaucratie. La bureaucratie, l'administration est décrite comme sclérosée et trop
nombreuse. Elle serait coûteuse et peu transparente pour le public. L’État devient
donc également objet de son action, les responsables politiques et les fonctionnaires
sont appelés à construire un discours contre leur propre pratique. La réforme de l’État
est une réforme publique ambivalente: à la fois elle cherche à rendre son action plus
efficace, mais en même temps elle tend à délégitimer l'action publique. Cela
s'accompagne de l'abandon du référentiel keynésien dans les PP, mis en évidence par
Pierre Muller, au profit du référentiel de marché.
Elle a été initiée par des entrepreneurs de cause tels que des hommes politiques et des
hauts fonctionnaires comme Vincent Gournay, « inventeur » du terme de bureaucratie
qui dénonce l'intervention tatillonne des pouvoirs publics et oppose la bureaucratie au
« laissez-faire », qui publient des ouvrages dans lesquels ils dénoncent la mauvaise
gestion des fonds publics. Ce genre littéraire rencontre un écho particulier dans les
médias, et ce dans un double contexte de crise économique durable à laquelle l'action
publique ne parvient pas à répondre et de hausse des prélèvements obligatoires. Des
débats sont organisés entre responsables politiques, chercheurs, chefs d'entreprises,
etc. La réforme de l’État devient ainsi peu à peu un problème public et est mise à
l'agenda politique. Certains responsables politiques en font un thème de campagne
dans les pays anglophones et scandinaves (Thatcher, Reagan, travaillistes d'Australie
et de Nouvelle-Zélande, sociaux démocrates en Suède). En France, les PP sur ce
thème reposent sur le principe de « responsabilisation » et de « transparence ». Il
s'agit d'appliquer les recettes du « néo-management » des entreprises aux institutions,
on créé des indicateurs de performance publique = « néo-management public ». On
a principalement deux PP sur ce thème:
- la loi organique ( = une loi qui organise le vote des autres lois) des lois de
financement (LOLF), 2001 = les administrations deviennent responsables de
l'allocation de leurs dépenses (responsabilisation). Cette loi précise les modalités de
préparation, de vote, d'exécution et de contrôle du budget de l’État et permet de
surcroît d'évaluer les décisions budgétaires systématiquement au regard d'une logique
de performance (donc de mieux évaluer la performance des PP). Le gouvernement est
aussi obligé de présenter un rapport sur les prévisions de croissance et de
prélèvements obligatoires sur les 4 prochaines années (transparence).
- la révision générale des PP (RGPP), 2007: permettre une réduction du rapport
entre la dette et le PIB. La mesure phare de cette initiative est le non-remplacement
d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. On a aussi la fusion de l'ANPE
(placement des chômeurs) et des Assedic (allocations) = Pôle Emploi. Pour évaluer
la performance des administrations, on ne recourt plus seulement aux corps
d'inspection, mais aussi à des chercheurs ou à des cabinets privés. La RGPP est
devenue en 2012 la Modernisation de l'Action Publique.

Historiquement, l'émergence des État-nations correspond à l'unification des marchés


nationaux avec la révolution des transports au XIXe siècle. On est aujourd'hui en
plein mouvement d'unification des marchés au niveau mondial et se pose donc la
question du niveau pertinent d'intervention pour l'action publique, notamment
lorsqu'il s'agit de réguler les firmes transnationales et de faire face aux déclarations de
bénéfices dans les pays où elles sont le moins taxées.
Aujourd'hui les niveaux de pouvoir sont de plus en plus nombreux (communes,
structures intercommunales, départements, régions, État, Union Européenne...). On
observe une perte de souveraineté des États sous l'effet de la mondialisation. L'une
des questions fondamentales de la « gouvernance » est l'articulation entre ces
différents niveaux de pouvoir. Après la 2GM est apparue une nouvelle gouvernance
mondiale avec des institutions multilatérales comme l'ONU, le FMI, la BM, le
GATT...
On constate donc la mise en place de PP qui mobilisent plusieurs États. Cela peut
relever de la coopération intergouvernementale (G8, G20...) ou encore de la création
d'organisations internationales (OMC, FMI, BM, UE, ONU...). Dans les traités
européens, l'Union a inscrit le principe de « subsidiarité » comme mode de
gouvernance = un problème doit être traité par la plus petite entité capable de gérer
le problème par elle-même. Concrètement, pour définir le niveau pertinent d'action,
on doit veiller à être le plus proche possible des citoyens pour être efficace.

2 La construction des problèmes publics et leur mise sur agenda.

Les problèmes publics sont des objets de controverses dans le débat public. Ces
problèmes de société n'existent pas en soi, ce sont des construits sociaux...
Ils sont précisément construits par la mobilisation (forme de participation politique)
de certains acteurs = des « faiseurs de revendications » = des « entrepreneurs de
cause » = « claimsmakers » = un groupe qui mobilise ses ressources pour changer
la perception de la société d'un problème.

Exemple d'ATD-Quart monde : Fondée dans les années 50, l'association n'organise
pas de distribution de vêtements ou de distribution de nourriture mais organise des
manifestations culturelles pour changer le regard de la société sur les pauvres.

Selon Fuller et Myers, de la théorie du conflit des valeurs (value-conflict theory), les
conditions objectives ne suffisent pas à désigner un problème social. Si les membres
d’une société n’énoncent pas de jugements de valeur sur une situation qui leur semble
insupportable ou indésirable, alors il n’y a pas de problème social. Dans les années
60, Becker, Strauss et Blumer ont reformulé cette position dans les termes de
l’interactionnisme symbolique. Pour Becker comme pour Blumer, le « maquillage
objectif des problèmes sociaux est inutile ». Nombre de situations pourraient être
thématisée comme aussi urgentes et dommageables mais sont passées sous silence.
Cependant, il ne faut pas réduire les problèmes sociaux à l’appréhension et à
l’appréciation qu’en ont les acteurs. Les problèmes publics ne sont pas toujours des
fictions collectives. Certes la normativité du concept de problème public pose sans
cesse la question de sa réalité et de sa légitimité au cœur des opérations de
connaissance qui tentent d’en rendre compte, mais la factualité du problème public
n’est pas pour autant niée quand elle est ressaisie au travers d’une multiplicité d’actes
de constitution ou de configuration…

Les entrepreneurs de cause ainsi que les « entrepreneurs de morale » (Becker...)


construisent un discours, tentent d'imposer leur définition de la réalité à l'ensemble de
la société, et ce sont à travers les catégories qu'ils ont construites que l'on aborde le
problème dans le débat publique.

Exemple de la lutte contre l’illettrisme (très classique): Bernard Lahire, L'invention


de « l'illettrisme », 1999 → Promotion d'un nouveau terme , « illettrisme » pour
changer le regard porté par la société sur cette question : « analphabète » est vu
comme péjoratif, et l'illettrisme renvoie plus à des questions de pauvreté, chez des
gens qui ont été scolarisées en France, là où « analphabète » est liée à l'immigration
et désigne les problèmes de migrants qui n'ont pas été scolarisés en France. Dans les
années 1980, certaines associations et certains travailleurs sociaux reprennent le
terme d'illettrisme pour relancer l'action sociale. Ils cherchent à attirer l'attention des
médias et l'illettrisme devient alors un problème de société, un enjeu de débat public.
Le terme entre dans le dictionnaire en 1985. Au début des années 80, le
gouvernement veut montrer qu'il s'est saisi du problème. Il créé une commission qui
publie un rapport en 1984, à la suite duquel est créé le Groupe Permanent de Lutte
contre l'Illettrisme (GPLI), qui a pour mission principale de promouvoir la recherche
sur l'illettrisme et est doté de moyens financiers. Lahire note que la création du GPLI
modifie la carrière du terme d'illettrisme. Le terme, jusque-là limité aux militants
associatifs et aux travailleurs sociaux qu'il appelle les « missionnaires » (métaphore
religieuse, ceux qui propagent un discours), se répand dans l'administration et dans le
monde de la recherche. Des laboratoires, des doctorants vont s'intéresser à
l'illettrisme pour bénéficier du financement. L'INSEE et l'INED lancent des enquêtes.
L'usage devient l'apanage des « fonctionnaires du temple » (Lahire), ceux qui
exercent leur fonction de manière routinière. Le discours des missionnaires s'est
propagé dans toute la société grâce à l'action de l’État, l'illettrisme est devenu une
catégorie administrative.

Ils construisent le problème et participent à la définition des moyens qui permettent


de traiter le problème. Notamment, ils en appellent ou non aux autorités publiques,
dès lors que le ressort d'une autorité publique n'est pas une nécessité, mais une
construction sociale...

Exemple de la sécurité routière : Jusqu'aux années 60, le problème est uniquement


posé en termes techniques. On en appelle à l'action des constructeurs automobiles. A
la fin des années 60, une association lance un débat public en présentant les
conducteurs en état d'ivresse comme un danger pour la société. Dès lors, on en
appelle à l'action des forces de l'ordre. La conduite en état d'ivresse était illégale
depuis 1958 mais aucun seuil légal n'avait été fixé avant 1970. Jusqu'au milieu des
années 70, les policiers n'ont aucun matériel permettant de mesurer l'alcoolémie.
Exemple des fumeurs de marijuana : CF Outsiders, Becker

D'autre part, ils font exister le problème dans l'espace public, en produisant des
images, des discours, des témoignages relayés par les médias, ou même en
construisant des personnages médiatiques (ex : l'abbé Pierre).

A partir du moment où le problème existe dans le débat public, il est mis ou non sur
«l'agenda politique ». On doit le concept d'agenda politique à Cobb et Elder
(Participation in American Politics: The Dynamics of Agenda-Building, 1972) =
ensemble des problèmes perçus comme relevant du débat public et de l'intervention
de l’État, qui font dès lors l'objet d'un examen et d'un traitement de la part des
autorités publiques. On distingue trois phases au processus de mise sur agenda:
mobilisation, médiatisation, politisation. Cette mise sur agenda n’a rien
d’automatique et dépend très largement du calendrier électoral, des pouvoirs de
pression des acteurs et parfois du hasard… Elle est le produit d'interactions entre les
entrepreneurs de cause, les acteurs du débat public, et les responsables politiques.
On distingue 3 types de discours faisant appel à l’État :
- Demande de prise en charge d'un problème qui n'était pas du ressort de l’État.
- Appel à transformer les moyens de l'action publique, notamment si ils sont perçus
comme insuffisants.
- Demande de transformation des fins de l'action publique.
Il faut rappeler que la mise sur agenda est toujours un choix plus ou moins contraint
pour les autorités.

Pierre Muller identifie 3 conditions de mise sur agenda:


- L'enjeu doit pouvoir être imputé à une autorité publique spécifique.
- L'enjeu doit être perçu par la majorité comme relevant de l’État.
- L'enjeu doit être lisible.

Ainsi il n'y a pas de problème qui soit politique par essence. Les problèmes publics
sont codés au sein de l'espace politique où ils acquièrent une signification
particulière. Pour qu'un tel problème émerge, il faut un triple travail de mobilisation,
de médiatisation et de récupération politique par les responsables politiques. L'action
publique n'est pas une solution à un problème préexistant, bien que ce soit ainsi que
la présentent les responsables politiques.

3 Élaboration, mise en œuvre, évaluation des PP

Les PP sont le fruit d'interactions entre différents acteurs: acteurs étatiques, élus
locaux, fonctionnaires européens, membres d’institutions internationales,
mouvements sociaux, ONGs, « experts »… Ainsi l’acteur social est non seulement le
destinataire des PP mais aussi une composante de leur mise en œuvre, de leur mise à
l’agenda, et partie prenante de la décision (plus rare...).

3.1. La décision publique

Thoenig et Mény (1989) → le processus de décision comprend deux phases :


- La formulation
On cherche à formuler des solutions aux problèmes sur l'agenda politique, qui sont
des programmes par lesquels passe l'action publique = des PP. Le responsable
politique n'est très souvent pas assez compétent dans le domaine voulu et s'appuie
donc sur des conseillers.
Le Savant et le Politique, Weber, 1919 → le savant a un rôle d'expert et c'est le
politique qui tranche, car il est responsable politiquement.
Ce processus relève de la « rationalité limitée » (Herbert Simon) puisqu'il y a DDT au
sein du pouvoir politique. Ce sont les conseillers qui explorent l'ensemble des
solutions possibles et en anticipent les conséquences, le responsable politique choisit.
Il ne choisit pas forcément, d'ailleurs, la solution optimale mais la première solution
satisfaisante, à savoir une solution praticable politiquement! Il prend en compte ses
intérêts électoraux et veille à ne pas susciter une forte opposition. De plus, la décision
politique n'est pas le fait du seul responsable politique, mais le produit d'interactions
entre le responsable, ses conseillers, les entrepreneurs de cause, les acteurs du débat
public, les ressortissantes, des groupes d'intérêts...

Exemple: Graham T. Allison, Essence of Decision: Explaining the Cuban Missile


Crisis.

Les acteurs publics sont confrontés à certaines contraintes issues des intérêts propres
de certains groupes sociaux. Certains groupes professionnels reconnus et légitimés
par les instances publiques comme étant représentatifs (syndicats, gestionnaires des
caisses de sécurités...) sont même parfois intégrés au processus de décision. On parle
alors de « néo corporatisme». Pierre Muller (Le technocrate et le paysan) donne
l'exemple de la politique agricole pendant la IIIe République à partir de la création du
ministère de l'agriculture en 1881: les politiques se sont efforcés de maintenir le
monde rural en l'état, pour freiner l'exode et la modernisation et protéger l'agriculture
locale (adoption du tarif Méline en 1892).
Les décideurs politiques sont considérés comme responsables mais ils ont, dans les
faits, une influence limitée sur la décision.
- La légitimation
Le responsable politique tente de rendre sa décision acceptable aux yeux des autres
acteurs: entrepreneurs de cause, acteurs du débat public, ressortissants... Très souvent,
la légitimation passe par une stratégie de dé-légitimation des autres solutions. Il fait
comme si la solution qu'il retient était la seule envisageable alors que très souvent,
dans la phase de formulation il a hésité entre plusieurs formulations.

Dans les faits, la rationalité des acteurs est toujours limitée: le cheminement idéaliste
identification du problème – inscription sur l'agenda politique – réparation – décision
– mise en œuvre est rarement opératoire... Nombre de décisions politiques sont, par
exemple, prises dans des situations d'urgence (Herbert Simon). L'analyse des PP vise
en partie à remettre en cause la rationalité supposée des décideurs pour s'interroger
sur le contexte d'interaction et les contraintes qui pèsent sur eux.
L'organisation publique est ainsi qualifiée par James Mars d'« anarchie organisée »
(Decisions and organisations), puisque la prise de décision obéirait plus à certaines
routines qu'à un choix rationnel. Se pose également le problème de la « dépendance
au sentier » («path dependence ») formulée notamment par Douglas C. North
(Institutions, institutional change and economic performance), principe selon lequel
la marge de manœuvre des décideurs se trouverait altérée par certains choix « lourds»
qui modifieraient considérablement les comportements et seraient difficiles à remettre
en cause pour des raisons de stabilité (par exemple le clavier Qwerty existerait encore
simplement par habitude, puisque d'autres plus ergonomiques ont été développés). La
décision dépend également d'une part du « référentiel global » (Muller) =
représentations découlant de valeurs à partir desquelles les individus confrontent
leurs solutions et élaborent des propositions → « référentiel interventionniste »
pendant les 30 glorieuses, puis « référentiel de marché » à partir des années 70/80,
qui s'accompagne d'un retrait de l’État interventionniste. Ce «référentiel global »
influence les « référentiels sectoriels »: politique sportive, environnementale, etc.
D'autre part, on peut parler avec John Kingdon (Agendas, Alternatives and Public
policies) de « fenêtre politique» (« policy window»...) lorsque apparaît pour certains
acteurs une opportunité de promouvoir un type particulier de proposition ou d'attirer
l'attention sur un problème particulier.

Exemple de la politique du livre: l'élection de Mitterrand aurait constitué une fenêtre


politique pour les libraires et les éditeurs en crise, de sorte que l'adoption de la loi
Lang sur le prix unique du livre aurait fait suite à une reprise des propositions du
milieu de l'édition.
Finalement, l'analyse cognitive des PP part du constat selon lequel les PP ne servent
pas seulement à résoudre les problèmes publics. Contrairement à ce que veulent faire
croire les responsables politiques, la relation entre action publique et problèmes
publics est beaucoup plus complexe que ne le suggère l'idée commune selon laquelle
les PP serviraient à résoudre les problèmes publics... Jean Leca montre le dilemme du
gouvernement qui doit se montrer à la fois « responsive » (conscient des problèmes et
des demandes de la population), « accountable » (susceptible de rendre compte de
son action, ce qui suppose qu'il sache ce qu'il fait et quels en sont les résultats) et
«problem solving » (capable de résoudre les problèmes...).

3.2. La mise en œuvre des PP

Une fois décidée, la mise en œuvre d'une PP dépend du jeu des interactions entre la
puissance publique, les metteurs en œuvre (qui ne sont pas nécessairement
l'administration, de plus l’État peut par exemple financer des associations ou des
structures mixtes, à la fois administrations et associations) et les ressortissants : non
seulement le « terrain résiste » mais les fonctionnaires ressemblent peu au modèle du
bureaucrate wéberien appliquant scrupuleusement des règles rationnelles...

Exemple de l'illettrisme : Collaboration de plusieurs metteurs en œuvre → les


administrations (le ministère de l’Éducation, celui de la Défense (mesure de
l'illettrisme lors de la JDC), ministère de l’Économie (mesures de l'INSEE), celui du
Travail (incitations aux entreprises à conduire des actions) et les collectivités
territoriales), les associations qui mettent en place des ateliers de remédiation en
partie financés par les pouvoirs publics, les entreprises (nouvelles formes
d'organisation du travail pour les ouvriers incapables de gérer leur rythme de travail
(tableaux lumineux) ou des machines à commande numérique, mise en place
d'ateliers de remédiation financés au titre de la formation professionnelle (loi de
1971)).

La mise en œuvre des PP suppose également des dispositifs (trois types d'outils : la
contrainte administrative (règles), l'incitation (jeu sur les prix), la promotion
(information et sensibilisation) → en général contrainte > incitation > promotion
mais la contrainte peut porter atteinte au bilan des entreprises, qui utilisent le contre-
argument du chômage) et une théorie du changement social = hypothèse
anticipatrice des effets d'une PP, notamment sur le comportement des ressortissantes.
Une théorie du changement social peut évidement être fausse: dans les 1930, les États
ont mis en place des politiques déflationnistes pour lutter contre la crise économique.
Aujourd'hui, on sait que ces politiques ont aggravé la crise.

Exemple de dispositifs de PP:


Problème Ressortissants Contrainte Incitation Promotion
public visés
Consommation Consommateurs - Interdiction de - Hausse du - Interdiction de
de tabac fumer dans les prix du tabac la publicité
lieux publics et par des taxes pour le tabac
de travail - Photographies
- Interdiction de et informations
la vente aux sur les paquets
mineurs de cigarettes
Obésité Consommateurs Interdiction des - Taxe sur les - Promotion des
distributeurs de boissons trop fruits et
friandises à sucrées légumes frais
l'école dans les
publicités
Faible accès Partis politiques - Quotas de - Réduction des - Création de
des femmes et grandes femmes dans subventions des l'Observatoire
aux postes de entreprises les scrutins à partis qui ne de la Parité (qui
pouvoir listes (50%) présentent pas publie des
- Quotas de 50% de études
femmes dans candidates aux dénonçant les
les Conseils législatives mauvaises
d'administration pratiques)
(40%) des
grandes
entreprises

Même quand la théorie du changement social n'est pas fausse, les PP peuvent ne pas
atteindre les effets escomptés. On distingue 3 raisons du dysfonctionnement de la
mise en œuvre :
- les metteurs en œuvre ne coordonnent pas suffisamment leurs actions.
- le metteur en œuvre (ici administration ou entreprise) connaît des
dysfonctionnements bureaucratiques.
- la mise en place de catégories pour rendre le problème intelligible change le
regard de la société sur les ressortissants (CF cours HK échec de la PP des ZEP).

3.3. L'évaluation et la terminaison des PP

Une fois qu'une PP est mise en œuvre, les pouvoirs publics mobilisent des experts
(sociologues, économistes...) qui évaluent son efficacité relativement aux objectifs
affichés. Si les objectifs ne sont pas atteints, les pouvoirs publics vont redéfinir la
PP...

Exemple de l'illettrisme : Le GPLI a été critiqué par un rapport ministériel de 1999,


qui avance que le groupe s'est concentré sur la recherche et a négligé la lutte effective
contre l'illettrisme. Selon le rapport, ce serait dû au fait que les universitaires ont
massivement investi le GPLI et l'ont orienté selon leurs propres intérêts. Ce dernier
reproche également aux différents ministères dont dépend la lutte contre l'illettrisme
de ne pas avoir assez coordonné leurs actions. Lahire souligne également le fait que
la lutte contre l'illettrisme a des effets stigmatisants: les chercheurs soulignent les
difficultés d'accès à l'emploi ou à la citoyenneté, de sorte que les ressortissants sont
étiquetés comme des personnes ayant du mal à contrôler leur vie et hésitent alors à
avoir recours aux dispositifs de remédiation (on a 2 des 3 dysfonctionnements de
mise en œuvre vus plus-hauts). Le rapport de 1999 a été rédigé par une chercheuse
évincée du GPLI. Sur la base de celui-ci, le GPLI a été remplacé par l'Agence
Nationale de Lutte Contre l'Illettrisme (ANLCI) et elle en a pris la tête. Il y a bien une
lutte de pouvoir pour contrôler la mise en œuvre des PP. L'ANCLI a pour mission de
promouvoir les études sur l'illettrisme et de favoriser la coordination des différents
acteurs de la lutte contre l'illettrisme, c'est une PP qui essaie d'agir sur les metteurs en
œuvre.

Contrairement à ce que souhaitait Durkheim, Weber affirme que le sociologue n'est


pas censé proposer des directement des PP, mais a principalement un rôle d'expert. Il
aide le responsable politique à prendre conscience des conséquences des PP et se
charge de leur évaluation.
La démarche d'évaluation est une démarche scientifique (crédible si elle repose sur
des méthodes transparentes et reproductibles) qui répond à 2 objectifs:
- déterminer si les objectifs affichés ont été atteints ou non
- mettre en évidence les sources du dysfonctionnement des PP
Il s'agit, notamment, de distinguer ce qui relève des effets de la PP et ce qui est dû à
d'autres facteurs.

Exemple des PP de lutte contre le chômage: Une hausse/baisse du chômage est-elle


imputable à la PP ou à la conjoncture économique?

L'évaluation est également un enjeu de pouvoir: c'est le responsable politique qui


choisit l'expert auquel il s'adresse et la discipline dans laquelle il est spécialisé.

Exemple du choix de l'indicateur pour évaluer la recherche scientifique: Quel critère


choisir?
- la bibliométrie = le nombre de fois qu'un article a été cité dans d'autres revues
académiques.
- le nombre de brevets déposés → avantage les sciences naturelles et la recherche
appliquée.
- le transfert des connaissances vers les étudiants.
- l'originalité des travaux → publications moins fréquentes...

Ainsi, les modalités de l'évaluation des PP doivent permettre de freiner le népotisme,


et si la France a mis en place la LOLF (CF plus haut), elle ne dispose d'aucun
organisme pleinement indépendant. La France ainsi ne dispose pas de centre de
recherche équivalent au Manpower Demonstration Research Corporation américain
ou à l'Institute for Fiscal Studies britannique, et ses organismes dépendants du
parlement (les commissions parlementaires) n'ont ni le budget du Government
Accountability Office (GAO) d'outre-Atlantique ni les effectifs du National Audit
Office outre-Manche. La Cour des comptes est surtout habilitée à certifier et vérifier
les comptes de l’État et à contrôler l'exécution des lois liées à la finance, mais ce
contrôle n'a rien de systématique pour les PP ex-ante (évaluer la faisabilité) et ex-post
(évaluer les résultats) comme peut le faire le GAO. De plus, le recrutement de la Cour
des comptes se fait parmi des énarques, donc des acteurs liés aux décideurs, et son
premier président ainsi que le secrétaire général sont nommés par le Président lui-
même...

L'évaluation des PP implique donc souvent la rétroaction, on a un mouvement en


boucle puisque l'évaluation oblige souvent à revenir à la phase de
développement/formulation de la PP. Quant à la terminaison = on change ou les
mesures ou les metteurs en œuvre ou les ressortissants, elle est toujours partielle. Une
PP continue à avoir des effets après qu'on l'ait arrêtée.

* * *

Une PP est avant tout un outil pour comprendre l'action publique. En appliquant ces
concepts, on saisit l'action publique en tant que construction sociale.
Il ne s'agit donc pas d'une solution à un problème préexistant, bien que ce soit ainsi
que la présentent les responsables politiques, puisqu'il n'y a pas de problème qui soit
politique par essence. De plus, la sociologie de l'action publique rend sociologique
notre regard sur l’État en tant qu'on ne le perçoit plus comme une institution unifiée
aux ordres du seul décideur politique, un acteur rationnel et qui rechercherait l'intérêt
général, mais comme un groupe hétérogène qui abrite en son sein des systèmes
administratifs bien différents et qui ont une influence sur l'effet ou sur les décisions
des PP. Il s'agit de sortir d'une vision étatiste qui voudrait que les PP soient le résultat
d'un volontarisme du décideur politique. La volonté du décideur politique est quelque
chose de revendiqué a posteriori, elle n'est que la partie émergée de l'iceberg, d'un
processus multiforme issu de nombreuses interactions. En effet, les acteurs publics
sont confrontés à des groupes sociaux qui défendent des intérêts divergents. Ainsi, le
sens de l'action publique ne peut se réduire ni se déduire des objectifs affichés par les
responsables politiques.
Il est donc intéressant de proposer une analyse du politique à partir de l'étude des
politiques.

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