Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
1.1. Généralités
Les PP sont des outils et des moyens mis en œuvre par les pouvoirs publics pour
atteindre des objectifs dans un domaine particulier de la société.
« Une PP se présente sous la forme d’un programme d’actions propres à une ou
plusieurs autorités publiques ou gouvernementales. » - Jean-Claude Thoenig
Mais la frontière entre actions privées et publiques est de plus en plus floue, d’où le
succès de la notion de « gouvernance », une conception horizontale des PP.
Pierre Muller, 2009 → décrit les acteurs des PP en France aujourd'hui par 4 cercles
concentriques:
- Le Président de la République, le PM et le ministre des Finances qui arbitrent
entre les différents problèmes sur l'agenda politique. Bercy participe à la
détermination de ce que sont les priorités budgétaires.
- Les autres ministères et les grandes collectivités chargées de mettre en œuvre les
PP.
- Les acteurs extérieurs à l’État (dont on observe une démultiplication aujourd'hui)
tels que les syndicats, les associations.
- Le Parlement qui, affaibli sous la Ve, est parfois moins influent que les lobbies du
cercle ci-dessus.
Au fil du temps, on a vu une extension des missions de l’État, à mesure que le débat
public en appelle à l’État pour régler certains problèmes grâce à son pouvoir de
coercition, et via la dynamique de la mise sur agenda.
Cette extension engendre une augmentation des prélèvements obligatoires. De 10%
en 1900, le taux de prélèvements obligatoires est passé à 46% aujourd'hui en France.
A partir des années 80, apparaît un discours sur la bonne « gouvernance » de l’État =
l'ensemble des dispositifs visant à mettre en conformité les intérêts des gouvernants et
des administrés. On applique un concept qui vient de la gestion des entreprises à la
gestion de l’État. La gouvernance est un discours qui définit un problème et qui
définit en même temps des solutions, des bonnes pratiques qui viendraient du monde
de l'entreprise. Ce discours repose sur la dénonciation d'un contre-modèle qui est la
bureaucratie. La bureaucratie, l'administration est décrite comme sclérosée et trop
nombreuse. Elle serait coûteuse et peu transparente pour le public. L’État devient
donc également objet de son action, les responsables politiques et les fonctionnaires
sont appelés à construire un discours contre leur propre pratique. La réforme de l’État
est une réforme publique ambivalente: à la fois elle cherche à rendre son action plus
efficace, mais en même temps elle tend à délégitimer l'action publique. Cela
s'accompagne de l'abandon du référentiel keynésien dans les PP, mis en évidence par
Pierre Muller, au profit du référentiel de marché.
Elle a été initiée par des entrepreneurs de cause tels que des hommes politiques et des
hauts fonctionnaires comme Vincent Gournay, « inventeur » du terme de bureaucratie
qui dénonce l'intervention tatillonne des pouvoirs publics et oppose la bureaucratie au
« laissez-faire », qui publient des ouvrages dans lesquels ils dénoncent la mauvaise
gestion des fonds publics. Ce genre littéraire rencontre un écho particulier dans les
médias, et ce dans un double contexte de crise économique durable à laquelle l'action
publique ne parvient pas à répondre et de hausse des prélèvements obligatoires. Des
débats sont organisés entre responsables politiques, chercheurs, chefs d'entreprises,
etc. La réforme de l’État devient ainsi peu à peu un problème public et est mise à
l'agenda politique. Certains responsables politiques en font un thème de campagne
dans les pays anglophones et scandinaves (Thatcher, Reagan, travaillistes d'Australie
et de Nouvelle-Zélande, sociaux démocrates en Suède). En France, les PP sur ce
thème reposent sur le principe de « responsabilisation » et de « transparence ». Il
s'agit d'appliquer les recettes du « néo-management » des entreprises aux institutions,
on créé des indicateurs de performance publique = « néo-management public ». On
a principalement deux PP sur ce thème:
- la loi organique ( = une loi qui organise le vote des autres lois) des lois de
financement (LOLF), 2001 = les administrations deviennent responsables de
l'allocation de leurs dépenses (responsabilisation). Cette loi précise les modalités de
préparation, de vote, d'exécution et de contrôle du budget de l’État et permet de
surcroît d'évaluer les décisions budgétaires systématiquement au regard d'une logique
de performance (donc de mieux évaluer la performance des PP). Le gouvernement est
aussi obligé de présenter un rapport sur les prévisions de croissance et de
prélèvements obligatoires sur les 4 prochaines années (transparence).
- la révision générale des PP (RGPP), 2007: permettre une réduction du rapport
entre la dette et le PIB. La mesure phare de cette initiative est le non-remplacement
d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. On a aussi la fusion de l'ANPE
(placement des chômeurs) et des Assedic (allocations) = Pôle Emploi. Pour évaluer
la performance des administrations, on ne recourt plus seulement aux corps
d'inspection, mais aussi à des chercheurs ou à des cabinets privés. La RGPP est
devenue en 2012 la Modernisation de l'Action Publique.
Les problèmes publics sont des objets de controverses dans le débat public. Ces
problèmes de société n'existent pas en soi, ce sont des construits sociaux...
Ils sont précisément construits par la mobilisation (forme de participation politique)
de certains acteurs = des « faiseurs de revendications » = des « entrepreneurs de
cause » = « claimsmakers » = un groupe qui mobilise ses ressources pour changer
la perception de la société d'un problème.
Exemple d'ATD-Quart monde : Fondée dans les années 50, l'association n'organise
pas de distribution de vêtements ou de distribution de nourriture mais organise des
manifestations culturelles pour changer le regard de la société sur les pauvres.
Selon Fuller et Myers, de la théorie du conflit des valeurs (value-conflict theory), les
conditions objectives ne suffisent pas à désigner un problème social. Si les membres
d’une société n’énoncent pas de jugements de valeur sur une situation qui leur semble
insupportable ou indésirable, alors il n’y a pas de problème social. Dans les années
60, Becker, Strauss et Blumer ont reformulé cette position dans les termes de
l’interactionnisme symbolique. Pour Becker comme pour Blumer, le « maquillage
objectif des problèmes sociaux est inutile ». Nombre de situations pourraient être
thématisée comme aussi urgentes et dommageables mais sont passées sous silence.
Cependant, il ne faut pas réduire les problèmes sociaux à l’appréhension et à
l’appréciation qu’en ont les acteurs. Les problèmes publics ne sont pas toujours des
fictions collectives. Certes la normativité du concept de problème public pose sans
cesse la question de sa réalité et de sa légitimité au cœur des opérations de
connaissance qui tentent d’en rendre compte, mais la factualité du problème public
n’est pas pour autant niée quand elle est ressaisie au travers d’une multiplicité d’actes
de constitution ou de configuration…
D'autre part, ils font exister le problème dans l'espace public, en produisant des
images, des discours, des témoignages relayés par les médias, ou même en
construisant des personnages médiatiques (ex : l'abbé Pierre).
A partir du moment où le problème existe dans le débat public, il est mis ou non sur
«l'agenda politique ». On doit le concept d'agenda politique à Cobb et Elder
(Participation in American Politics: The Dynamics of Agenda-Building, 1972) =
ensemble des problèmes perçus comme relevant du débat public et de l'intervention
de l’État, qui font dès lors l'objet d'un examen et d'un traitement de la part des
autorités publiques. On distingue trois phases au processus de mise sur agenda:
mobilisation, médiatisation, politisation. Cette mise sur agenda n’a rien
d’automatique et dépend très largement du calendrier électoral, des pouvoirs de
pression des acteurs et parfois du hasard… Elle est le produit d'interactions entre les
entrepreneurs de cause, les acteurs du débat public, et les responsables politiques.
On distingue 3 types de discours faisant appel à l’État :
- Demande de prise en charge d'un problème qui n'était pas du ressort de l’État.
- Appel à transformer les moyens de l'action publique, notamment si ils sont perçus
comme insuffisants.
- Demande de transformation des fins de l'action publique.
Il faut rappeler que la mise sur agenda est toujours un choix plus ou moins contraint
pour les autorités.
Ainsi il n'y a pas de problème qui soit politique par essence. Les problèmes publics
sont codés au sein de l'espace politique où ils acquièrent une signification
particulière. Pour qu'un tel problème émerge, il faut un triple travail de mobilisation,
de médiatisation et de récupération politique par les responsables politiques. L'action
publique n'est pas une solution à un problème préexistant, bien que ce soit ainsi que
la présentent les responsables politiques.
Les PP sont le fruit d'interactions entre différents acteurs: acteurs étatiques, élus
locaux, fonctionnaires européens, membres d’institutions internationales,
mouvements sociaux, ONGs, « experts »… Ainsi l’acteur social est non seulement le
destinataire des PP mais aussi une composante de leur mise en œuvre, de leur mise à
l’agenda, et partie prenante de la décision (plus rare...).
Les acteurs publics sont confrontés à certaines contraintes issues des intérêts propres
de certains groupes sociaux. Certains groupes professionnels reconnus et légitimés
par les instances publiques comme étant représentatifs (syndicats, gestionnaires des
caisses de sécurités...) sont même parfois intégrés au processus de décision. On parle
alors de « néo corporatisme». Pierre Muller (Le technocrate et le paysan) donne
l'exemple de la politique agricole pendant la IIIe République à partir de la création du
ministère de l'agriculture en 1881: les politiques se sont efforcés de maintenir le
monde rural en l'état, pour freiner l'exode et la modernisation et protéger l'agriculture
locale (adoption du tarif Méline en 1892).
Les décideurs politiques sont considérés comme responsables mais ils ont, dans les
faits, une influence limitée sur la décision.
- La légitimation
Le responsable politique tente de rendre sa décision acceptable aux yeux des autres
acteurs: entrepreneurs de cause, acteurs du débat public, ressortissants... Très souvent,
la légitimation passe par une stratégie de dé-légitimation des autres solutions. Il fait
comme si la solution qu'il retient était la seule envisageable alors que très souvent,
dans la phase de formulation il a hésité entre plusieurs formulations.
Dans les faits, la rationalité des acteurs est toujours limitée: le cheminement idéaliste
identification du problème – inscription sur l'agenda politique – réparation – décision
– mise en œuvre est rarement opératoire... Nombre de décisions politiques sont, par
exemple, prises dans des situations d'urgence (Herbert Simon). L'analyse des PP vise
en partie à remettre en cause la rationalité supposée des décideurs pour s'interroger
sur le contexte d'interaction et les contraintes qui pèsent sur eux.
L'organisation publique est ainsi qualifiée par James Mars d'« anarchie organisée »
(Decisions and organisations), puisque la prise de décision obéirait plus à certaines
routines qu'à un choix rationnel. Se pose également le problème de la « dépendance
au sentier » («path dependence ») formulée notamment par Douglas C. North
(Institutions, institutional change and economic performance), principe selon lequel
la marge de manœuvre des décideurs se trouverait altérée par certains choix « lourds»
qui modifieraient considérablement les comportements et seraient difficiles à remettre
en cause pour des raisons de stabilité (par exemple le clavier Qwerty existerait encore
simplement par habitude, puisque d'autres plus ergonomiques ont été développés). La
décision dépend également d'une part du « référentiel global » (Muller) =
représentations découlant de valeurs à partir desquelles les individus confrontent
leurs solutions et élaborent des propositions → « référentiel interventionniste »
pendant les 30 glorieuses, puis « référentiel de marché » à partir des années 70/80,
qui s'accompagne d'un retrait de l’État interventionniste. Ce «référentiel global »
influence les « référentiels sectoriels »: politique sportive, environnementale, etc.
D'autre part, on peut parler avec John Kingdon (Agendas, Alternatives and Public
policies) de « fenêtre politique» (« policy window»...) lorsque apparaît pour certains
acteurs une opportunité de promouvoir un type particulier de proposition ou d'attirer
l'attention sur un problème particulier.
Une fois décidée, la mise en œuvre d'une PP dépend du jeu des interactions entre la
puissance publique, les metteurs en œuvre (qui ne sont pas nécessairement
l'administration, de plus l’État peut par exemple financer des associations ou des
structures mixtes, à la fois administrations et associations) et les ressortissants : non
seulement le « terrain résiste » mais les fonctionnaires ressemblent peu au modèle du
bureaucrate wéberien appliquant scrupuleusement des règles rationnelles...
La mise en œuvre des PP suppose également des dispositifs (trois types d'outils : la
contrainte administrative (règles), l'incitation (jeu sur les prix), la promotion
(information et sensibilisation) → en général contrainte > incitation > promotion
mais la contrainte peut porter atteinte au bilan des entreprises, qui utilisent le contre-
argument du chômage) et une théorie du changement social = hypothèse
anticipatrice des effets d'une PP, notamment sur le comportement des ressortissantes.
Une théorie du changement social peut évidement être fausse: dans les 1930, les États
ont mis en place des politiques déflationnistes pour lutter contre la crise économique.
Aujourd'hui, on sait que ces politiques ont aggravé la crise.
Même quand la théorie du changement social n'est pas fausse, les PP peuvent ne pas
atteindre les effets escomptés. On distingue 3 raisons du dysfonctionnement de la
mise en œuvre :
- les metteurs en œuvre ne coordonnent pas suffisamment leurs actions.
- le metteur en œuvre (ici administration ou entreprise) connaît des
dysfonctionnements bureaucratiques.
- la mise en place de catégories pour rendre le problème intelligible change le
regard de la société sur les ressortissants (CF cours HK échec de la PP des ZEP).
Une fois qu'une PP est mise en œuvre, les pouvoirs publics mobilisent des experts
(sociologues, économistes...) qui évaluent son efficacité relativement aux objectifs
affichés. Si les objectifs ne sont pas atteints, les pouvoirs publics vont redéfinir la
PP...
* * *
Une PP est avant tout un outil pour comprendre l'action publique. En appliquant ces
concepts, on saisit l'action publique en tant que construction sociale.
Il ne s'agit donc pas d'une solution à un problème préexistant, bien que ce soit ainsi
que la présentent les responsables politiques, puisqu'il n'y a pas de problème qui soit
politique par essence. De plus, la sociologie de l'action publique rend sociologique
notre regard sur l’État en tant qu'on ne le perçoit plus comme une institution unifiée
aux ordres du seul décideur politique, un acteur rationnel et qui rechercherait l'intérêt
général, mais comme un groupe hétérogène qui abrite en son sein des systèmes
administratifs bien différents et qui ont une influence sur l'effet ou sur les décisions
des PP. Il s'agit de sortir d'une vision étatiste qui voudrait que les PP soient le résultat
d'un volontarisme du décideur politique. La volonté du décideur politique est quelque
chose de revendiqué a posteriori, elle n'est que la partie émergée de l'iceberg, d'un
processus multiforme issu de nombreuses interactions. En effet, les acteurs publics
sont confrontés à des groupes sociaux qui défendent des intérêts divergents. Ainsi, le
sens de l'action publique ne peut se réduire ni se déduire des objectifs affichés par les
responsables politiques.
Il est donc intéressant de proposer une analyse du politique à partir de l'étude des
politiques.