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Introduction à la science politique

I. La notion de politique

A. Un terme polysémique
1. Des usages multiples
Politique = notion courante
En français on utilise ce terme comme adjectif et comme nom. En anglais, ce terme est plus
nuancé : politics, policy, polity/the political

2. Des définitions imparfaites


Le terme politique vient du grec politikos qui signifie “de la polis” c’est-à-dire de la Cité. Ce
terme est donc relatif au gouvernement du groupe qui constitue cette Cité - ce qui relève de
l’organisation et de l’orientation de la vie collective.
Les activités politiques sont le plus souvent prises en charge par l’État.

● L’État
Max Weber a dit : “Une communauté humaine qui, dans les limites d’un territoire déterminé
revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique
légitime”

➢ “Violence physique”
Déploiement de la contrainte mais pas forcément de la violence. La contrainte physique est
effective ou potentielle.
Contrainte physique effective = capacité réelle d'utiliser la force physique
Contrainte physique potentielle = possibilité future d'utiliser cette force

➢ “Légitime”
Reconnue comme acceptable par la société

➢ “Monopole de la violence physique légitime”


L’Etat revendique ce monopole et prétend être le seul à imposer cette violence légitime.
L’Etat se définit donc comme “unique source du “droit” à la violence”
- Violence utilisée par lui (police, justice)
- Violence utilisée par d’autres avec son autorisation (vigiles, milice)

● Illustration d’actualité : La mutinerie du groupe Wagner en Russie en juin 2023


Wagner ne fait pas partie officiellement de la Russie mais défend la Russie à l’étranger. Le
conflit en Ukraine a révélé des tensions entre l’armée officielle et Wagner. Evgueni Prigojine
contestait l’offensive russe. Wagner ne pouvait plus recruter des mercenaires en prison. Le
groupe Wagner a occupé une ville et prévoyait de prendre Moscou. Au bout de 24h la
mutinerie prend fin.
On remarque dans cet exemple que l’Etat se trouve concurrencé par le groupe Wagner.
L’Etat cherche donc à faire signer des mercenaires pour les faire travailler de façon officielle.
L’Etat voit son monopole de la violence légitime dilué par le groupe Wagner alors qu’il ne
contrôle pas ce groupe. Cette dilution du monopole peut affaiblir le pouvoir de l’Etat.
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Moscou a autorisé les régions à créer des milices pour lutter contre les attaques extérieures.
Pourquoi ? C’est un moyen de diluer les responsabilités. Ainsi, si une région est attaquée,
l’Etat n’est plus coupable.
On pourrait penser que l’assassinat de Prigojine est une manifestation de pouvoir de l’Etat
pourtant il s’agirait davantage d’une manifestation de faiblesse. En effet, cette situation
montre bien que le monopole de la violence de l’Etat n’est pas assuré.

Le politique - Notion qui renvoie au gouvernement de la vie collective


Certains donnent la direction à cette vie collective (gouvernants)
D’autres suivent cette direction, en ayant plus ou moins de capacité à l’orienter (gouvernés)

Actes et règles mises en oeuvre


● Par ceux qui exercent le pouvoir
● Par ceux qui y obéissent
○ Pour désigner ceux qui exercent ce pouvoir
○ Ou tenter de les influencer

Activités visant à réguler les conflits d’intérêts qui s’expriment nécessairement (les pacifier,
les encadrer, les éliminer, suivant les régimes…). Le régime démocratique cherche un
moyen de concilier les avis divergents.

B. Des contours flous et évolutifs : “tout est potentiellement politique” (J. Leca)
1. Tout fait social peut être pris en charge (ou non) par le politique
Beaucoup de choses n’ont pas toujours relevé des pouvoirs publics. Par exemple, le
ministère de la culture en France n’existe pas dans tous les pays et n’a pas toujours été
présent en France. La culture a donc été politisé. Autre exemple : le droit du travail.
Désormais des règles encadrent la relation de travail et contiennent des sanctions si elles ne
sont pas respectées (âge légal du travail, durée du travail). Pendant longtemps le travail ne
relevait pas du domaine politique. On se contentait du contrat entre le travailleur et
l’employeur. Il a fallu attendre le milieu du XIXe siècle pour que l’Etat intervienne pour la
première fois dans le domaine du travail. Ainsi, l’Etat interdit aux enfants de moins de 8 ans
de travailler. Des institutions sont créées afin de permettre à l’Etat d'exercer son monopole
de la violence légitime comme l’inspection du travail.
On peut donc voir que ce qui n’était pas du tout naturel à l’origine est devenu naturel : c’est
le caractère politique naturalisé. Il n’existe pas de faits sociaux naturellement politiques
mais beaucoup sont susceptibles de le devenir : c’est le processus de politisation.
Le droit est un des vecteurs centraux des politiques publiques. Ce dernier est évolutif.

● Politisation d’une question


Pour politiser un sujet, il faut que ce dernier ait été identifié comme un problème ou que la
politique en place n’est pas la bonne. Pour cela, différentes voies existe :

➢ Initiative des pouvoirs publics

➢ Influence du contexte (exemple : coût de l'énergie liée à la guerre en Ukraine)


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Le 10 juillet 1976, une explosion dans l'usine chimique Icmesa a entraîné la formation d'un
nuage de dioxine qui a gagné la ville de Seveso en Italie. Cette catastrophe industrielle a
poussé les pouvoirs publics à agir. C’est ainsi que la Directive Seveso voit le jour.
La directive Seveso impose aux États membres de l’Union Européenne d’identifier les sites
industriels à risque pour y maintenir un haut niveau de prévention. Les Etats doivent aussi
établir un plan d’urgence interne et externe.

➢ Rôle des médias


En sociologie, les médias “créent” l’événement. En effet, si les médias parlent de quelque
chose, cela fait événement. Quand l’opinion publique n’est pas au courant d’un événement,
les pouvoirs publics peuvent plus facilement l’ignorer. En créant l’événement, les médias
apportent l’attention du public sur l’événement et incitent les pouvoirs publics à intervenir. À
l’inverse, des questions qui ne sont pas médiatisées auront beaucoup de mal à recevoir un
traitement des pouvoirs publics.

➢ Rôle des mobilisations


Ces mobilisations peuvent être des manifestations ou l’émergence d’une association qui va
militer pour défendre une cause particulière. Ces mobilisations peuvent souvent contribuer à
politiser une certaine question. Par exemple, l'émergence de la loi EGalim est liée aux
manifestations pour le bien être animal. Pourtant le problème persiste malgré cette loi. Tout
peut devenir politique mais tout ne le devient pas nécessairement. Pleins de problèmes ne
sont pas toujours pris en charge. Ce qui relève du politique change d’un pays à l’autre et
d’une époque à l’autre.

2. Toute activité sociale peut avoir (ou non) une dimension politique
Le carnaval de Trinidad est un lieu de critiques envers les gouvernants et un lieu
d’inversement des rôles. En renversant symboliquement l’ordre à des dates fixes, on
contribue en fait à le maintenir en dehors du carnaval. Parfois le carnaval peut faire
déboucher à une véritable insurrection politique comme le mouvement Black Power (années
70) influencé par le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis.
Denis Constant-Martin a étudié le carnaval de Trinidad. Il s’agit d’une des manifestations les
plus fortes de la culture trinidadienne. Denis Constant-Martin montre que ce carnaval
contribue à installer à Trinidad des codes symboliques qui évoquent le pouvoir et vont avoir
une incidence sur la vie politique de façon générale. Par exemple, la compétition entre les
groupes de carnaval est centrale dans ce carnaval. Cet aspect influence la conception de la
compétition politique.
Le carnaval de Trinidad évoque aussi le goût du rire et de la critique. En effet, les
trinidadiens sont attachés à la liberté de parole. Le carnaval déteint sur la vie politique. Le
mouvement nationaliste s’est appuyé sur les groupes de carnaval.

➢ La rumeur des voleurs de sexe au Cameroun


Cette rumeur donne lieu à des scènes de violence extrême. Les forces de l’ordre
n’interviennent pas alors les citoyens se font justice eux-mêmes. Les violences vont parfois
jusqu’au meurtre de ces “voleurs”.
La rumeur des voleurs de sexe se répand au milieu des années 90 après la libéralisation du
régime politique. Le Cameroun n’est donc plus dans une phase autoritaire et dictatoriale.
Pourtant, le mécontentement de la population camerounaise n’est pas pris en compte par le
pouvoir qui a d’autres priorités. Un des problèmes centrales est celui de l’insécurité. La
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population ne voit pas ce problème pris en charge par les pouvoirs publics. Par conséquent,
la rumeur est un moyen alternatif d’exprimer des revendications politiques. Elle
permet de recentrer le débat sur l’insécurité et de renforcer l’unité de la collectivité. En effet,
les “voleurs” désignés sont souvent des étrangers. Ces “voleurs” sont souvent des Nigériens
à cause des tensions entre le Niger et le Cameroun. Malgré les apparences, une rumeur a
donc une dimension politique.

➢ Indices
Jean Leca donne des indices pour repérer les sujets à dimension politique :
- Montée en généralité (se référer à des grands principes)
- Dimension conflictuelle de la position (existence de clivages)

II. Un regard scientifique sur les phénomènes politiques

A. Autonomisation et émancipation par rapport aux disciplines voisines

La philosophie (philosophie politique) La science politique

Caractère prescriptif : les philosophes Caractère descriptif et interprétatif :


réfléchissent à ce qui devrait être interpréter ce qu’on observe, identifier les
forces et acteurs

Dimension spéculative : ne s’appuie pas Dimension empirique : démarche fondée


sur des données concrètes sur le recueil et l’analyse des faits, observer
la façon dont la réalité politique se
manifeste

Ambition universitaire : idée de “pacte Attentive aux variations et différences


sociale”, dimension universelle

Le droit (droit administratif et La science politique


constitutionnel)

Aspects institutionnels du politique Objets politiques variés, au-delà des


seules institutions

Dimension normative Dimension empirique : comment les faits


se déroulent concrètement et pourquoi ?
Analyse des rapports sociaux

B. Une science sociale : démarche et méthodes

Discours non scientifique Savoir scientifique

Savoir spontané : on tente de comprendre Savoir construit : arguments scientifiques


son environnement (dont la politique) en
élaborant des théories

Opinion non étayée Démarche empirique rigoureuse : comme


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pour les sciences exactes, en science po


on apporte des preuves empiriques

Jugements de valeur Objectivité : le scientifique interprète et


évalue les faits sans jugement

Chapitre 1 - Notions générales : pouvoir et démocratie

I. Le pouvoir politique

A. La notion de pouvoir
1. Une définition du pouvoir
“A exerce un pouvoir sur B dans la mesure”

Pour qu’il y ait pouvoir, il faut qu’il y ait une asymétrie. Selon la définition de Robert Dahl :
- Il n’y a pas de pouvoir tout seul
- Il faut une capacité réelle à soumettre quelqu’un à son volonté pour parler de pouvoir
- B n’agit pas forcément contre sa volonté

2. Les différents ressorts de l’obéissance


Il existe deux types d’obéissance : l’obéissance subie et l'obéissance consentie.
Pouvoir d’injonction (donner un ordre) ➡ obéissance subie ⬌ possibilité de sanction
La garantie ultime du pouvoir d’injonction est l’usage de la force.
On peut aussi obtenir une obéissance consentie grâce à un pouvoir d’influence. Dans ce
cas, l’obéissance va engendrer des gratifications. Dans tous les cas, on a une forme de
pouvoir.

B. Pouvoir politique, obéissance et légitimité


Le pouvoir politique :
➢ s'exerce sur la société dans sa globalité
➢ obéissance subie : pouvoir d’injonction (cf. violence physique légitime)
➢ mais aussi recherche systématique d’un minimum de consentement
➢ perception de la légitimité du pouvoir

Légalité Légitimité

Conforme à la loi ou à la norme “acceptabilité sociale fondée sur des


croyances partagées” (Philippe Braud)

Les 3 types idéaux de légitimité selon Max Weber sont :

● Légitimité traditionnelle
Elle repose sur la “croyance en la sainteté de traditions valables de tout temps et en la
légitimité de ceux qui sont appelés à exercer l’autorité par ces moyens”
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➡ on obéit au pouvoir parce qu’il incarne la tradition, la coutume, l’héritage du passé


● Légitimité charismatique
Elle repose sur le charisme du détenteur du pouvoir (la “grâce personnelle et exceptionnelle
d’un individu”)
➡ on obéit au pouvoir en vertu des qualités exceptionnelles de son détenteur
● Légitimité légale-rationnelle
Elle repose sur la croyance en la légalité :
➢ Des ordres auxquels on obéit
➢ Et de statut de ceux qui les énoncent et qui les transmettent

Le pouvoir doit travailler la perception de cette légitimité, c’est un processus de


légitimation. La légitimité n’est pas acquise, on doit en permanence la faire accepter.

II. Une modalité particulière d’exercice du pouvoir politique : la


démocratie représentative

A. Une typologie des régimes politiques


1. Les régimes totalitaires
Régime totalitaire = Abolition de l’Etat et de la société. L’Etat contrôle l’ensemble de la
vie sociale y compris l’intimité des individus. En gros, l’Etat fait ce qu’il veut.
Régime totalitaire : Etat = le parti unique.
Pour Raymond Aron, un régime totalitaire possède 5 gros monopoles :
➢ Monopole de l’activité politique
➢ Monopole de l’idéologie
➢ Monopole des activités économiques et professionnelles
➢ Monopole des moyens de force et de persuasion (police politique omniprésente,
garante de la soumission permanente de la société)
➢ Monopole de la terreur (répression très violente)

2. Les régimes autoritaires


L’Etat cherche à établir une frontière imperméable entre la société et lui. Le régime
autoritaire est un type de régime en creux. Dans tous les régimes autoritaires, le pouvoir est
concentré entre les mains d’une ou de quelques personnes. L’objectif de cette personne
ou de ce groupe est de soustraire son sort aux aléas de la concurrence électorale.
Pour autant, ce que montre les analystes comme Juan Linz est que le régime autoritaire se
caractérise par le “pluralisme limité” càd qu’il peut y avoir des partis d’opposition. La
répression politique exercée est plutôt une répression sélective. Les régimes autoritaires ne
demandent pas forcément une admission forte et massive de la population. La passivité
politique est acceptée et il n’y a pas d’embrigadement total.

3. Les régimes démocratiques


Ici la société est en mesure d’exercer un certain contrôle sur l’Etat. Les démocraties
reconnaissent la légitimité du conflit politique. On va également avoir une garantie des
libertés individuelles et collectives. Tout cela est garanti par une conformation à l’Etat de
droit. L’Etat est lui-même soumis au droit. Dans les démocraties, le système juridique est
stable. Ce système juridique est caractérisé par une justice indépendante.
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B. Les caractéristiques de la démocratie représentative


1. La distinction traditionnelle entre démocratie directe et démocratie représentative

Démocratie directe Démocratie représentative

Le peuple (demos) exerce le pouvoir de Cf. théorie de la souveraineté nationale


manière directe (kratos) qui délibère et vote (abbé Sieyès)2
au sein de l’assemblée (ecclesia)1

Gouvernants = gouvernés Gouvernants ≠ gouvernés


1
Chaque citoyen de la démocratie athénienne peut prendre la parole et voter la loi. Pas de
distinction entre gouvernants et gouvernés
2
La souveraineté est détenue par le peuple mais le peuple n’est pas vu comme une somme
d'individus mais comme une entité unique (=la nation). Des représentants élus de la nation
vont s’exprimer au nom du peuple. Un mandat représentatif est confié aux représentants
⇒ il consiste à désigner un représentant qui devient indépendant de la volonté de ses
électeurs. On légitime la démocratie représentative par des concepts de la démocratie
directe alors que ses concepts sont totalement différents. Cette forme de gouvernement
représentatif n’est pas directement reconnaissable comme démocratique.

2. Une distinction plus complexe

Démocratie directe Démocratie représentative

Tirage au sort + rotation des charges Election = désigner la meilleure personne

Tout le monde peut être tour à tour Seuls les meilleurs des gouvernés peuvent
gouvernant et gouverné devenir gouvernants
Bernard Manin explique qu’à Athènes il y avait aussi des représentants par exemple dans la
rédaction des textes de lois. Ce qui distingue les deux démocraties est la manière d'élire
les gouvernants : à Athènes les représentants étaient élus par un tirage au sort complété
par un système de rotation des charges. Les athéniens sont réticents face à la
professionnalisation car pour eux il faut être tour à tour gouvernant et gouverné.
Or dans la démographie représentative il faut avoir des qualités pour être un bon
représentant. Donc il y en a certains qui sont plus capables que d’autres d’être des
représentants contrairement au principe athénien.
Le tirage au sort met tout le monde à égalité (mécanisme de sélection à fonction
démocratique) contrairement à l’élection (mécanisme de sélection à caractère
aristocratique). Mais à Athènes n’était élu que ceux qui avaient envie d’être représentants.
De plus, les représentants avaient des comptes à rendre à la fin de leur mandat et pouvaient
être révoqués. Un des arguments avancés en termes de difficulté pratique est que la
démocratie directe est réservée aux petits États. Il y a une volonté délibérée d’écarter une
partie du peuple car jugé peu apte à délibérer quotidiennement sur les affaires de la Cité
(volonté de s’appuyer sur une conception aristocratique). Les révolutionnaires ont aussi
une volonté de fonder le pouvoir sur un consentement du peuple (légitimation) ⇒ ce serait
un meilleur moyen puisque le peuple légitime le pouvoir à travers l’élection. La démocratie
représentative repose sur des éléments d’apparence non démocratique. Le mandat
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représentatif manifeste une indépendance du représentant vis-à-vis des idées du peuplée ➡


le représentant peut ne pas tenir compte de l’avis du peuple pendant son mandat
Néanmoins, il y a un respect de la liberté d’opinion et d’expression ⇒ le peuple
peut s’exprimer en dehors des élections. De plus, il y a une réitération de l’élection ⇒
remise en jeu du mandat et anticipation du jugement des électeurs

Dans le cadre de la démocratie représentative, l'élection a un rôle central et aboutit à


l'émergence d’un groupe qui va avoir tendance à se spécialiser dans la fonction de
gouvernant là où à Athènes personne n'était gouvernant de façon durable. En revanche, les
démocraties représentatives ont abouti à une séparation entre les gouvernés (dont la très
grande majorité ne sera jamais au pouvoir) et les gouvernants (qui cherchent de plus en
plus à rester durablement au pouvoir). On a un phénomène de professionnalisation
politique. Être candidat provient d’une construction de rôles sociaux : rôle d’électeur/rôle
de représentant.

Chapitre 2 - La construction sociale du rôle d’électeur


Les choses qui paraissent évidentes de nos jours se sont en fait construites historiquement.
Cela est lié au rôle qu’on a voulu donner au citoyen. Le droit de suffrage a connu une
extension progressive, le suffrage universel n’était pas une évidence à l’origine. Les raisons
des modalités matérielles du vote sont liées au rôle qu’on a voulu donner au citoyen.

I. L’encadrement du suffrage par le droit : extension progressive du droit


de vote et “capacité” des électeurs

A. L’influence de la philosophie des Lumières


Dans l’Ancien Régime l’ordre social était très hiérarchique. Les philosophes des Lumières
ont contesté cet ordre hiérarchique. En somme, ils développent l'idée que la souveraineté
doit être entre les mains du peuple. Enfin, ils développent qu’un bon ordre politique se base
sur l’ordre de la raison.

1. La contestation de l’ordre hiérarchique régissant la société d’Ancien Régime


Dans la société d’Ancien Régime, un individu fait obligatoirement partie d’un groupe
constitué, d’une communauté, d’un ordre. La position sociale dépend de l’appartenance
sociale à un groupe. Il y a donc une hiérarchie sociale avec des différences de droits. On
a assisté à des transformations sociales et économiques ➡ développement de l’agriculture
et du commerce. La bourgeoisie profite de cette croissance économique. C’est la catégorie
sociale montante du XVIIIe siècle. Les membres de la bourgeoisie ont une influence sociale
assez importante ce qui transforme l’ordre social mais l’ordre politique et juridique reste figé.
Par conséquent, les bourgeois remettent en cause le principe de la hiérarchie et prônent
une idée d’égalité entre les individus.
Ils développent deux idées importantes : on ne doit plus se définir par rapport à son
appartenance à un groupe et ces individus sont fondamentalement tous égaux.

2. L’idée de souveraineté du peuple


Introduction à la science politique

Sous l’Ancien Régime, la souveraineté est détenue par le monarque et personne ne peut
contester ses décisions. Les philosophes des Lumières contestent l’absolutisme royal. Pour
eux, le souverain doit être le peuple et non le monarque.

3. L’usage de la raison
Selon les philosophes des Lumières, c’est l’usage de la raison qui va mettre fin à
l’absolutisme royal. L’Ancien Régime est fondé selon eux sur le fait que le peuple est
maintenu en enfance (on ne lui permet pas de réfléchir par lui-même). La solution selon les
philosophes des Lumières est d’éclairer le peuple à travers leurs écrits. Ainsi, le peuple a les
moyens d’exercer sa raison et d’exercer son sens critique sans être guidé par quiconque.
Les révolutionnaires sont très largement les héritiers de cette conception. L’article 3 de la
DDHC exprime que le peuple est un tout. Pierre Rosanvallon a réfléchi à l’histoire du
suffrage universel. L’exercice de la souveraineté répond à une exigence du nombre,
d’inclusion (volonté que tous les individus soient égaux). Rosanvallon dit que le suffrage
universel doit répondre à l’exigence de la Raison (idée d’être capable de réfléchir par soi
même).

B. Les évolutions du droit de suffrage


1. Une absence de coïncidence entre citoyenneté et droit de suffrage
Le fait de voter doit être individuel et réfléchi. Les révolutionnaires s’entendent sur le fait que
c’est désormais le peuple qui détient la souveraineté donc l’exigence du nombre est remplie
mais de manière abstraite. Les révolutionnaires font une distinction entre citoyens actifs
(qui ont le droit de voter) et citoyens passifs. Puis ils mettent en place un suffrage indirect
afin de s’assurer que l’exercice de la Raison soit mis en œuvre. Tous les citoyens sont
égaux devant la loi mais la limitation de la participation au vote montre qu’on a peu
confiance en la rationalité des citoyens. La distinction citoyen actif/passif permet de
dissocier ceux qui sont capables de réfléchir de façon autonome de ceux qui ne le
sont pas (réserver le droit de vote à ceux qui sont capables d’exprimer leur volonté). Les
citoyens actifs sont censés être dotés d’une indépendance intellectuelle à l’égard des
groupes auxquels ils appartiennent. De ce fait, la citoyenneté active est réservée aux
hommes d'âge mur par opposition aux mineurs de moins de 25 ans. Le vote est aussi
interdit aux femmes car on les considèrent influençables. Un citoyen actif doit se prononcer
en tant qu'individu et non en tant qu’appartenant à un groupe : c’est l’indépendance
sociologique. Ainsi, les révolutionnaires interdisent les corporations, les congrégations
religieuses. L’électeur doit aussi avoir une activité économique indépendante pour ne pas se
faire dicter par son employeur par exemple. De ce fait, on exclut de la citoyenneté active les
domestiques. On met en place un impôt qui s’appelle le cens. En 1991, le cens est fixé à un
impôt correspondant à trois jours de salaire.
On va aussi établir un suffrage à 2 degrés. Les citoyens actifs (cens électoral : 3
jours de travail) élisent les délégués (cens : 10 jours de travail) qui élisent les représentants
(cens d’éligibilité : 1 marc d’argent + être propriétaire). On renforce donc les critères de
raison à chaque niveau supérieur. On établit en fait des filtres pour s’assurer que les
représentants soient le plus éclairés possible. En 1791, on a beaucoup de citoyens actifs
(4M) mais aussi beaucoup de citoyens passifs (3M). En 1820 on a drastiquement réduit le
nombre de citoyens actifs (100 000 citoyens actifs). En 1831, le cens est moins élevé. En
1848, les opposants de gauche réformistes organisent des réunions politiques sous couvert
de banquets (Campagne des banquets).
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2. L’idée d’un vote comme acte individuel de la Raison


Une fois la République rétablie, on se soucie de l’éducation des masses populaires
notamment avec les lois Ferry sous la IIIe République. Le droit de suffrage aux Antilles reste
restreint durant tout l’Empire. Le vote est l’expression d’une opinion, d’une préférence
claire et un acte individuel.

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