Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Regard sur les modes de gouvernement étatique (intrusion du sociologue politique dans un
« champ » qui est habituellement plutôt celui du constitutionnaliste).
Régimes politiques : notion qui permet de situer les uns par rapport aux autres les modes de
gouvernement étatique.
Des catégories d’analyse - dictature ou démocratie / régime pluraliste, autoritaire… ou totalitaire -
qui ont une longue histoire.
Au fond : degré d’ouverture et de compétition pour l’exercice du pouvoir d’Etat ; statut de
l’opposition dans un système politique.
3 types de régimes : autoritaire, totalitaire, pluraliste
Selon le politiste Juan Linz : Régimes autoritaires = Régimes fondés sur des « mentalités ».
Mentalités = « manière de penser et de sentir plus émotionnelles que rationnelles, qui déterminent
des façons non codifiées de réagir aux situations qui se présentent »
1
3°) Typologie des régimes autoritaires
a) autoritarisme patrimonial
Ou néo-patrimonialisme (selon Eisenstadt) : le monarque distingue mal ses ressources de celles de
l’Etat / confusion des intérêts / clientélisme (cf. plus bas).
Ex. : Gabon, monarchies du Golfe…
b) oligarchies clientélistes :
Démocratie de façade (pour se protéger ; tenter de légitimer le pouvoir), corruption :
Ex. : Amérique latine (mais évolutions vers pluralisme), Tunisie de Ben Ali, Congo de Kabila (puis F.
Tshisekedi ?)…
[digression] : Clientélisme :
« Relation d’échange asymétrique entre 2 personnes de statut inégal, un « patron » et un « client »,
reposant sur un partage d’intérêts :
- le patron accorde sa protection et distribue des ressources à ses clients
- en contrepartie, les clients apportent au patron leur soutien et contribuent donc au maintien de sa
domination » (selon O. Nay).
En science politique : liens entre chefs politiques (élus, dirigeants) et diverses catégories : groupes
d’électeurs, entreprises, lobbies, associations, médias, citoyens…
Le clientélisme existe aussi dans régimes démocratiques autour de l’Etat social ou de l’organisation
du territoire (décentralisation).
Et bien qu’illégal, le clientélisme n’est pas toujours considéré comme illégitime (cf. Italie /
Mezzogiorno, Japon…).
e) « démocrature »
Combinaison démocratie / dictature selon P. Hassner pour caractériser par ex. la Russie de Poutine.
On parle aussi de « démocratie illibérale »
Concept attribué à Fareed Zakaria, politologue américain, pour désigner dans les années 1990 les
régimes post-soviétiques. Nouvelles démocraties avec des institutions sans passé relevant du
libéralisme constitutionnel (séparation des pouvoirs, Etat de droit, protection des libertés…).
Type de régime qui serait celui de la Hongrie, avec V. Orban, par ex. (débat à ce propos en Europe).
Régime à pluralisme limité. Protection limitée des libertés. Pouvoir semi-autoritaire…
2
S’appliquerait à de nombreux pays : Europe de l’Est, Russie, Israel, Singapour, Amérique latine, voire
Etats-Unis… France ? …. Cf. tribune de Philippe Bas sur la crise de la démocratie française, Le Monde,
14 janvier 21.
« La démocratie illibérale pourrait également être caractérisée par les pouvoirs importants d’un chef
d’État ou de gouvernement, par une séparation des pouvoirs déséquilibrée, par l’affaiblissement des
contre-pouvoirs (notamment le Parlement et les juges),par la remise en cause de l’indépendance de
la justice, par des révisions de la Constitution s’apparentant à des manipulations institutionnelles »
(Vanessa Barbé, publiciste)
3
« Concernant le système politique russe, il faut le qualifier d’autoritaire. La guerre d’agression lancée
par Poutine n’entraîne pas de qualificatif spécifique à mon avis. Certains politistes parlent de régime
fasciste ou totalitaire mais ces qualificatifs ne font pas consensus. Une collègue de Mulhouse qui
travaille sur la Russie [confirme]. Pour l’autoritarisme, je me réfère souvent à la définition de G.
Hermet dans le Traité de sciences politiques de 1986 : usage de la cooptation plutôt que de la
compétition dans le choix des gouvernants + usage de la force plutôt que de la persuasion pour
légitimer le régime. » (Alexandra Goujon)
Et d’ajouter encore : « C’est la répression qui pourrait rapprocher la Russie du totalitarisme tout
comme son idéologie d’extermination de la nation ukrainienne mais pas de parti unique (comme le
souligne R. Aron), pas de terreur de masse au sens crimes de masses contre sa propre population
(comme le souligne H. Arendt), ni de mobilisation politique globale de la population (comme le
souligne J. Linz) »
Juan Linz souligne la dimension idéologique de ces régimes (à distinguer des régimes autoritaires où
ne jouent « que » des mentalités)
Idéologie = « système de pensée plus ou moins élaborées par des intellectuels ou pseudo-intellectuels
ou du moins avec leur aide »
2°) Exemples :
- la Révolution bolchévique :
Proclamation par Lenine de la dictature du prolétariat (3 nov. 1917). Selon Nicolas Werth (historien) :
4
« En quelques semaines (fin oct. 1917 – janv. 1918), le « pouvoir par en-bas », le « pouvoir des
soviets » qui s'était développé de février à octobre 1917… se transforme en un pouvoir par en-haut, à
l'issue de procédures de dessaisissement bureaucratiques ou autoritaires.
Le pouvoir passe de la société à l’Etat, et dans l’Etat au parti bolchévik »
Promesse d’une société sans classe.
Toutes les libertés interdites [il y a toujours de « bonnes raisons » pour le faire].
Tous les opposants = ennemis du peuple ou contrerévolutionnaire.
La Tchéka (police politique pourchassant les ennemis) sème la terreur.
Il faut développer une « terreur de masse impitoyable.
Une révolution sans peloton d’exécution n’a aucune chance » (Lenine).
Témoignage sur la barbarie du Grand Bond (cité par Libération, oct. 2009) :
« La cantine servait, par jour et… personne, deux louches d’une soupe claire… avec de l’herbe, des
racines… de l’écorce…
Nos forces ont… décliné. Nos jambes… enflé...
Personne ne travaillait plus aux champs…
…il n’y avait plus d’animaux, puisqu’on ne pouvait… les nourrir.
Il n’y avait plus d’herbe, ni de feuilles… ou d’écorce, car c’est ce que nous mangions - et sans les faire
bouillir puisqu’on nous avait saisi… nos casseroles…
Peu à peu, les fossés des routes se sont remplis de cadavres de gens qui mouraient de faim....
Personne n’avait la force d’enterrer les corps...
La nuit, ceux qui avaient trop faim mangeaient des cadavres, ceux des enfants de préférence. »
- Violence et peur
- contrôle de tous les moyens de pouvoir, et terreur
* mise en place d’administrations concurrentes des administrations officielles : surveillance,
insécurité juridique, terreur, purges régulières. Ex. Wehrmacht / SS
* pas forcément un système de parti unique (parfois pluripartisme de façade… pour mieux contrôler
la société et éventuels opposants)
* système policier et concentrationnaire / flou des incriminations pénales / élimination des
opposants ou personnes non conformes /
« solution finale », goulag, laogaï…
5
Simon Leys (1935-2014) fut l’un des premiers à dénoncer la Révolution culturelle : Les habits neufs
du président Mao (1971)
Une des premières dénonciations d’un régime qui a fasciné l’Occident et notamment ses
intellectuels, ses politiques, sa jeunesse et, du coup, la critique fut sévère avec ce livre.
Mao n’accepte pas sa « mort politique » après l’échec du Grand bond et, à partir de réseaux qu’il a
conservés, notamment dans l’armée, il lance la révolution culturelle à compter de 1966 (en réalité
une sorte de guerre civile marquée par de nombreuses exécutions). S. Leys dénonce l’imposture de
cette révolution masquant une lutte pour le pouvoir.
S. Leys fut notamment attaché culturel de Belgique à l’ambassade de Pékin (quand elle rouvrit en
1971) et était dirigé alors par Patrick Nothomb.
- Corée du nord :
Dernier régime totalitaire ?
Idéologie Juche / Chuche / Djoutché. 3 piliers :
- indépendance politique
- défense nationale indépendante
- autonomie économique
Culte de la personnalité (Kim Il Sung, « soleil de la nation »).
Puis Kim Jong Il et Kim Jongeun
Mais remise en cause des alliances avec l’URSS et la Chine au début des années 1990.
Impact catastrophique sur l’économie.
Mais, plus récemment, alliance avec la Russie de Poutine.
Culte du chef : Kim Il Sung [Soleil de la nation] ; puis Kim Jong Il [Soleil du 21e siècle] ; puis Kim
Jongeun [depuis déc. 2011]. Installation d’une véritable dynastie au pouvoir.
Le dirigeant actuelk est né en 1983. Il exerce diverses fonctions officielles à partir de 2010. Il est SG
du Parti du travail de Corée depuis avril 2012.
2 observations complémentaires
1. La grille « totalitaire » ne permet de décrire que des situations politiques assez courtes
- régime qui mobilise beaucoup d’énergie (mobilisation de la population, guerres…)
- interventions extérieures renversant ces régimes (Allemagne, Cambodge)
- évolution vers bureaucraties autoritaires inefficaces… qui s’effondrent (URSS de Brejnev)
6
2. Débat concernant la juxtaposition nazisme / communisme
Deux régimes assimilables ?
Des perspectives idéologiques certes différentes, mais des modes de fonctionnement comparables,
voire des thématiques croisées
- le nazisme a récupéré des thématiques de rupture propre à l’extrème gauche
- le stalinisme a repris thématiques antisémites et xénophobes a priori propres aux nazis)
[selon Ph. Braud et S. Courtois…]
Le peuple n’exerce jamais directement la souveraineté (sauf cas - rare - de démocratie directe)
La théorie constitutionnelle décrit donc différents agencements des représentants du peuple.
a) le régime parlementaire
Définition (Ph. Braud) : « Le gouvernement (ou conseil des ministres) qui exerce le pouvoir au nom
d’un chef d’Etat irresponsable est politiquement responsable devant une assemblée légiférante
susceptible d’être dissoute ».
Ce système est censé favoriser la collaboration entre les pouvoirs.
Système d’équilibre harmonieux entre les pouvoirs.
Selon Blum (apocryphe ?) : « Le régime parlementaire c’est la vie de ménage »
* exécutif dominant
Basé sur « parlementarisme rationalisé » (Royaume Uni, Suède, Allemagne fédérale…) :
- modalités réduites de mise en jeu de la responsabilité politique
- maîtrise par le gouvernement de l’ordre du jour des assemblées
- limitation de la durée des sessions du parlement
Une marginalisation du parlement en raison de mécanismes de décision de plus en plus complexes,
appuyé sur l’expertise
b) le régime présidentiel
7
Autonomie réciproque du gouvernement et des assemblées (pas de droit de dissolution / pas de
responsabilité du gouvernement)
(NB : élection du président au SU direct ≠ clé du régime présidentiel)
Ce système caractérise d’abord les Etats-Unis. Mais, en réalité, il n’y a pas de séparation absolue des
pouvoirs :
- veto législatif du président
- le président a besoin de l’assentiment du sénat pour nommer les principaux responsables
ministériels
- le président peut être visé par une procédure d’impeachment (Andrew Johnson, Nixon, Clinton,
Trump)
c) La démocratie directe
- Cas de la Suisse par exemple (assemblée cantonale à Glaris, proche Zurich, et plus largement
pratique de référendums d’initiative populaire ou « votations » en Suisse)
- Cas d’Etats américains, avec la procédure de recall (rappel de certains élus), dans certains Etats
comme en Californie
Ex. : Gray Davis (destitution, 2003) remplacé par A. Schwarznegger
Echec en sept. 2021 de la tentative de destitution de Gavin Newsom (DP) [gouverneur et ex-maire de
San Francisco, diplômé en sce politique, mis en cause sur la gestion de la crise sanitaire ; besoin de
12% de signature des votants à la dernière élection, en 2018, pour lancer la « procédure de rappel »,
puis vote : G. Newsom confirmé par 63% des électeurs puis réélu en 2022)
- Débat sur le référendum d’initiative citoyenne (RIC) en France…
2 fonctions du suffrage :
- il légitime les gouvernants / donc : fonde l’obéissance au pouvoir
- il permet d’intervenir dans le choix des gouvernants. Pas de choix à proprement parler… car
encadrement juridique des choix (« Les représentants ne sont pas élus, ils se font élire » selon
Gaetano Mosca)
Besoin de garantir la séparation des pouvoirs (et l’Etat de droit), qui sont fragiles et souvent
menacés. Cela passe par :
- un statut (spécifique) de l’opposition, une justice constitutionnelle, le respect des autonomies
locales…
L’Etat de droit = soumission des pouvoirs publics au droit, soit au principe de la séparation des
pouvoirs.
Mais quand un parti majoritaire domine à la fois le Parlement et le gouvernement, ce principe est
affaibli… et, donc, risque de basculement autoritaire…
Rappel : Hitler (44% des voix en mars 1933 + 8% Parti national allemand de Von Papen)… est arrivé
au pouvoir par la voie démocratique avant de remettre immédiatement en cause la démocratie.
D’où l’importance – en particulier - d’un statut à l’opposition… qui prend le relais de la séparation des
pouvoirs… et garantit l’Etat de droit…
8
Statut de l’opposition : le Royaume Uni a montré le chemin : « opposition de Sa Majesté »
Plus communément, on parle du : Shadow Cabinet, dirigé par Jeremy Corbyn, Labour (2016-2020)
puis Keir Starmer (depuis 2020), député de Londres, chef du Labour, parti de l’opposition.
Ruth Benedict pose la question dans son livre Le chrysanthème et le sabre [concernant le Japon
pendant la guerre] : « Ce que les Etats-Unis ne peuvent pas faire - pas plus qu’aucune nation
étrangère - c’est créer par décret un Japon libre et démocratique. Cela n’a jamais marché dans aucun
pays dominé.
Aucun étranger ne peut décider qu’un peuple qui n’a ni les mêmes habitudes ni les mêmes a priori
que lui adoptera une manière de vivre conforme à la sienne.
On ne peut décréter que les Japonais vont accepter l’autorité de personnalités élues... »
… propos qui pourraient éclairer aussi d’autres cas : Irak, Libye, Afghanistan, Mali, Centrafrique…
Démocratie avant tout le produit d’une culture politique.
Propos de l’opposant chinois Liu Xiaobo (1955-2017), professeur de lettres, Prix Nobel de la paix
2010. Emprisonné par le gouvernement chinois et mort en prison (2008-2017).
Pour conclure :
Enquête internationale (Fondapol, K. Adenauer Stftung...) sur la démocratie dans 55 pays (2022).
A noter : approbation massive des interviewés (47 408, dans 55 pays [démocratiques], en 45 langues,
39 questions) de la démocratie représentative.
9
Positionnement par rapport au chacun des items suivants :
6 types de régimes proposés :
- l’armée dirige : 25 % d’approbation
- un homme fort : 36 %
- démocratie censitaire fondée sur la savoir : 43 %
- gouvernement des experts : 62 %
- Démocratie directe (pouvoir citoyen) : 70 %
- Démocratie représentative (un parlement contrôle le gouvernement) : 81 %
A noter, la démocratie participative se classe au 2 e rang dans toutes les catégories de la population...
ce sont les catégories populaires qui sont le plus favorable au « pouvoir citoyen ».
(Pouvoir d’un homme fort ou de l’armée l’emportent en Inde)
Pour autant : critique du fonctionnement de la démocratie.
Les femmes, les catégories populaires et intermédiaires, les plus jeunes sont les plus critiques sur le
fonctionnement de la démocratie.
Globalement les Européens (et parmi eux les Français !) sont les moins critiques... comparés aux
autres pays... Même s’ils estiment que la démocratie fonctionne « assez mal » ou « très mal » à 50%.
Ces taux sont bcp plus élevés dans des pays tels le Liban ou le Nigéria (80 à 90%)
La corruption = principale menace pesant sur la démocratie.
[NB : 63% des Français pensent que « toutes les personnes qui nous gouvernent sont corrompues »]
(à suivre…)
10