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COURS INSTITUTIONS POLITIQUES

LICENCE 1 ANNEE 2019-2020


Dr Papa Fara DIALLO

INTRODUCTION: LA SOCIOLOGIE POLITIQUE DES INSTITUTIONS


: OBJETS, THEORIES, METHODES
1) Des exemples pour commencer
Je voudrais commencer par évoquer 3 éléments/anecdotes qui nous serviront de point de
départ :

Prestation de serment pour l'installation dans les fonctions présidentielles


- L’article 37 de la Constitution du Sénégal stipule que le président de la République est
installé dans ses fonctions après avoir prêté serment devant le Conseil constitutionnel en
séance publique. Le serment est prêté dans les termes suivants :

"Devant Dieu et devant la Nation sénégalaise, je jure de remplir fidèlement la charge de


président de la République du Sénégal, d’observer comme de faire observer scrupuleusement
les dispositions de la Constitution et des lois, de consacrer toutes mes forces à défendre les
institutions constitutionnelles, l’intégrité du territoire et l’indépendance nationale, de ne
ménager enfin aucun effort pour la réalisation de l’unité africaine."

Introduction de Histoire politique du Sénégal de Gerti Hesseling, 1985, karthala

1
2
Discours de Barack Obama devant le Parlement du Ghana, Accra (Ghana) | 11 juillet
2009
"C’est pourquoi je suis convaincu que la période actuelle est tout aussi prometteuse pour le
Ghana et pour l’Afrique que celle pendant laquelle mon père est devenu adulte et que de
nouveaux États sont apparus. C’est une nouvelle période de grande promesse. Seulement cette
fois-ci, nous avons appris que ce ne seront pas de grandes personnalités telles que Nkrumah et
Kenyatta qui décideront du destin de l’Afrique. Ce sera vous, les hommes et les femmes du

3
Parlement ghanéen et le peuple que vous représentez. Ce seront les jeunes, débordant de
talent, d’énergie et d’espoir, qui pourront revendiquer l’avenir que tant de personnes des
générations précédentes n’ont jamais réalisé.
(....). En ce XXIe siècle, des institutions capables, fiables et transparentes sont la clé du
succès - des parlements puissants et des forces de police honnêtes ; des juges et des
journalistes indépendants ; un secteur privé et une société civile florissants, ainsi qu’une
presse indépendante. Tels sont les éléments qui donnent vie à la démocratie, parce que c’est
ce qui compte dans la vie quotidienne des gens. (...). Alors ne vous y trompez pas : l’histoire
est du côté de ces courageux Africains, et non dans le camp de ceux qui se servent de coups
d’État ou qui modifient les constitutions pour rester au pouvoir. L’Afrique n’a pas besoin
d’hommes forts, mais de fortes institutions".

Qu’est-ce qu’ont en commun ces différentes entités : L’État, l’Église, l’armée, la police, le
parlement, la présidence de la république, la justice, les hôpitaux psychiatriques, l’université,
la famille, la Cour des comptes, les ministères, le mariage, les partis politiques, le code de la
route, les rites de politesse etc. ?

Celle d’être des institutions sociales en général et pour certaines des institutions politiques. Ce
sont des structures sociales stabilisées dans le temps qui contribuent à la régulation des
rapports sociaux. Les Institutions sont des mécanismes essentiels pour comprendre la
cohésion des groupes sociaux. c'est pourquoi, il n’y pas de société sans institutions et comme
il n y a pas de sociétés sans politique, il n y a donc pas de sociétés sans institutions politiques,
qu'elles soient formelles ou pas, codifiées ou pas.
Yves schemail, Introduction à la science politique : "Parmi les institutions publiques, on
trouve des collectivités locales, des établissements publics d'enseignement, de santé, de
culture, des institutions régaliennes (l'armée, la police, la justice : tout ce à quoi tenait
autrefois le pouvoir du roi et qui est resté au cœur de l'activité étatique aujourd'hui) et surtout
l'Etat qui les englobe et les dépasse. Toutes les grandes organisations internationales sont elles
aussi des I, car elles sont à la fois les émanations des Etats et des regroupent d'Etats
s'imposant à chacun d'entre eux, notamment l'ONU, l'OMC, OSCE, le FMI etc..."

2) un concept polysémique et problématique


Nous tenons donc là un concept qui est important mais qui semble caractériser une très grande
diversité de phénomènes. Il nous faut donc aborder, cerner avec précaution ce concept.

Rappel : qu'est-ce qu'un concept ?


Hervé Dumez Qu’est-ce qu’un concept? AEGIS Le Libellio, 2011, 7 (1, Printemps -
Supplément), pp.67-79. <hal-00574166>

Le triangle conceptuel simple


Ogden et Richards (1923) ont proposé la figure d'un triangle pour comprendre le
fonctionnement de la signification d'un mot ou concept (meaning). Dans sa version originale,
ce triangle est assez complexe mais, pour les besoins de l’analyse de ce qu’est un concept, il
peut être simplifié de la manière suivante :

4
Pour faire simple, un concept est fait de trois choses :
1. un nom,
2. une dimension de compréhension (en anglais intension, connotation ),
3. une dimension d’extension (extension, denotation).

La dénomination
Le nom, tout d'abord.
a) il y a des concepts qui sont des mots du vocabulaire courant et auxquels on cherche à
donner un statut conceptuel. Par exemple, le concept de champ chez Bourdieu, le concept de
rationalité (absolue ou limitée de Herbert Simon),
b) La deuxième consiste à inventer un mot, par exemple à partir de racines grecques ou latines
(le concept de polyarchie de Robert Dahl : Etymologie : du grec poly, plusieurs, et arkhê,
pouvoir, commandement, autorité). ... Le concept de polyarchie a été créé par Robert Dahl
(né en 1915), politologue américain, afin de décrire le fonctionnement politique des sociétés
démocratiques occidentales. (Cf. les théories pluralistes de la démocratie).

La polyarchie, ou gouvernement par beaucoup, est une démocratie représentative dans


laquelle toutes les classes sociales et tous les groupes démographiques, sans distinction de
race, d'appartenance ethnique, de religion ou de genre, ont à peu près le même accès politique
et le même pouvoir politique au sein du gouvernement. Le concept a été développé au sein de
la science politique par Robert A. Dahl dans une série de publications qui a débuté avec son
ouvrage de 1956, A Preface to Democracy, puis affiné dans son livre de 1971, Polyarchy :
Participation and Opposition. Dahl a soutenu que les États-Unis étaient le premier pays à se
développer en tant que polyarchie. Les polyarchies confient le contrôle des politiques et les
procédures décisionnelles aux organes élus ou par le biais de référendums publics explicites.
Les gens à leur tour acceptent l'autorité et la légitimité des élections et des organes élus. Les
conditions nécessaires à une polyarchie incluent des élections régulières, libres et ouvertes, le
suffrage universel ou quasi-universel des adultes, la liberté d'expression et la liberté de la
presse. Les polyarchies sont également marquées par la saine concurrence des idées entre
groupes et intérêts. Les critiques du concept, y compris Dahl dans certains de ses travaux
ultérieurs, soulignent que même si un pays remplit les critères principaux d’une polyarchie
qui fonctionne, le système peut toujours priver de ses droits des segments de sa population.
Par exemple, les groupes défavorisés, tels que ceux à faible revenu ou les pauvres, peuvent ne
pas avoir le même accès politique que les autres groupes de la société. En outre, il est peu
probable que les groupes exclus de la citoyenneté ou de tous les droits de la citoyenneté
possèdent les mêmes droits politiques que le reste de la population.

5
Ou encore le concept de gouvernance qui vient du du grec kubernân, signifiant à l'origine «
diriger un navire »… et du latin gubernare « diriger, gouverner »

Durkheim, dans Le suicide, inventa le néologisme «anomie» à partir du grec. a nomos

c) La troisième stratégie consiste à combiner des mots ou a construire des mots composés –«
E-governance, E-voting, E-democracy, E-politics», par exemple.

L’utilisation de mots courants implique les connotations contenues dans ces mots. L’attention
managériale, par exemple, renvoie à tous les emplois du mot attention dans le langage courant
(«fais attention», «prêter attention à», «attirer l‟attention de... sur...», etc.) ainsi qu‟aux
théories psychologiques de l‟attention. L‟invention d‟un mot nouveau–«anomie»–ne
comporte pas cet effet de halo des connotations. L‟utilisation d‟un mot composé combine les
halos des deux mots, tout en créant un effet nouveau. Elle peut aussi introduire un effet de
classification hiérarchique (parler d‟«acteur-tiers» suppose qu‟il existe une catégorie
générique, les acteurs, avec des sous-catégories dont l‟une est faite des acteurs-tiers).

La compréhension
La compréhension est souvent conçue comme la définition du concept. Définir, c'est Établir
avec précision. C’est déterminer, restituer la spécificité et la teneur d'un concept. C'est
Formuler de manière brève et précise le contenu d'un concept, le sens d'un mot.
Étymol. et Hist. 1. Fin xiies. definir « faire connaître ce qu'est une chose, la préciser ».
Définir une chose, c'est littéralement la délimiter par rapport aux éléments permanents ou
fugaces où elle est encastrée. Définir, c'est isoler, c'est exclure : c'est dire pourquoi une chose
n'est pas toutes les autres. C'est « déterminer exactement, fixer »
Si la dénomination est un mot courant, elle doit s'appuyer, pour que le concept soit
opérationnel, sur une définition plus rigoureuse que celle généralement donnée dans les
dictionnaires. Ex. le concept de légitimité.

L’extension
L'extension recouvre les cas empiriques auxquels va s'appliquer (et ne va pas s'appliquer) le
concept. Le problème posé est donc: à quels types de cas empiriques s'applique le concept,
jusqu'où doit aller cette application, et où doit-elle s'arrêter ? Autrement dit, il n'y a pas de
concept sans repérage d'un domaine empirique de validité. Certains concepts ne renvoient
pas directement à une réalité observable. C'est par exemple le cas des «ressources» ou des «
capabilités » de Amartya Sen, la gouvernementalité de Foucault. Il faut alors réfléchir à la
manière de passer du non-observable à une classe de phénomènes observables.
 si la dénomination n'évoque rien de connu, elle doit correspondre à des
phénomènes empiriques qui jusque-là n'ont pas été reconnus, ou mal étudiés. Ex.
le concept de monopole de la violence symbolique légitime chez Bourdieu 1 vs
monopole de la violence physique légitime de Weber2
 Si la définition du concept est étroite, le nombre de cas empiriques auquel renverra
le concept sera peu élevé.
 Si la compréhension devient floue et que le nombre de cas empiriques est très
élevé et très divers, il est probable que la définition du concept est mal conçue,

1
L’Etat est « un principe de production, de représentation légitime du monde social.
2
Conçu en termes de force publique ou institutionnelle à travers la police, l’armée, la justice, l’hôpital
psychiatrique, l’école, etc.

6
que l'on est dans un cas d‟«étirement conceptuel» («conceptual stretching» –
Sartori, 1970, p.1034).

La détermination dynamique du triangle

Pourquoi les concepts sont importants? Pourquoi le travail des sciences sociales consistent au
moins en partie à en produire ? : une fois construit correctement comme une interaction entre
les trois pôles, l'intérêt d'un concept réside dans son potentiel:
il doit guider l'attention du chercheur vers des faits nouveaux, non anticipés
il doit permettre, non pas seulement d'éclairer les problèmes de départ de la
recherche, mais surtout de faire surgir de nouveaux problèmes.

Application de la définition du concept à l'institution

a- la dénomination

INSTITUTION, subst. fém.


Étymol. Empr. au lat. institutio, -onis « disposition, arrangement », c'est un emprunt au latin.
Le bon vieux Gaffiot de notre enfance atteste en effet institutio en latin classique (chez
Cicéron) en trois sens qui sont :

1 - Disposition, arrangement.
2 - Formation, instruction, éducation.
3 - Principe, méthode, système, doctrine.

Le verbe réfèrent en est instituo, qui renvoie à cinq directions :

1 - Placer dans.
2 - Mettre sur pied, disposer,
3 - Préparer, commencer.
4 - Établir, fonder.
5 - Organiser, régler.

L'ensemble est également attesté de l'époque classique (Cicéron, César, Pline). La racine doit
être cherchée vers statuo, qui part du sens matériel d'établir, poser, pour aboutir au sens
figuré de décider, résoudre; lequel réfère lui-même à sto, se tenir debout.

Dans un ouvrage récent, J. Ardoino et R. Lourau, figures majeures de l'analyse


institutionnelle, poussent la recherche étymologique, du côté de struo, qui veut dire
disposer par couche, puis ranger, puis construire; « Le mot institution correspondra à l'action
par laquelle on institue, établit, forme, instruit, mais désignera également "tout ce qui est

7
inventé par les hommes en opposition à ce qui est de nature", la chose instituée, l'école ou
la maison d'éducation.

II semble que le mot lui-même soit employé pour la première fois en français dans les
Sermons de Saint Bernard, en 1190, au sens de « la chose instituée », en référence à la règle
religieuse, elle-même trouvant son origine dans le droit romain, où institutio désignait à la fois
la science des dispositions juridiques et ces dispositions elles-mêmes, selon [Encyclopaedia
Universalis (2).

b- la compréhension
De très nombreuses définitions. Institution peut signifier beaucoup de choses à la fois :

Le principal ouvrage étymologique de référence, le Trésor de la langue française (TLF)


propose 2 grandes directions :
1 .a : Action d'instituer, d'établir pour la première fois (établissement, fondation). [En parlant
d'une chose] Institution d'un ordre religieux, d'un régime politique; institution des jeux
olympiques, d'une fête nationale; etc....

1 .b : (par métonymie3) La chose instituée (l'organisation. L'institution est ce qui est institué :
D'institution. Qui ne s'est pas établi naturellement, mais a été institué par les hommes. Ce
qui est d'institution est sujet à changement (LITTRÉ) : C'est ce qui s'oppose à la nature : c'est-
à-dire la chose établie, les normes déjà là, l'état de fait
À la fin du quatrième et au commencement du cinquième siècle, le christianisme
n'était plus simplement une croyance individuelle, c'était une institution : il s'était
constitué; il avait son gouvernement, un corps du clergé, une hiérarchie déterminée pour les
différentes fonctions du clergé, des revenus, des moyens d'action indépendants...GUIZOT,
Hist. civilisation, leçon 2, 1828, p. 22.
1.c. lorsqu'on utilise le terme au pluriel, il désigne l'Ensemble des structures politiques et
sociales établies par la loi ou la coutume et qui régissent un État donné. Soit l' « ensemble
des structures fondamentales d'organisation sociale » : Les institutions athéniennes; les
institutions de la France; institutions démocratiques, monarchiques; permanence, progrès,
réforme des institutions. Les révolutions seules savent détruire les institutions depuis
longtemps condamnées (RENAN, Avenir sc., 1890, p. 328) :

2.a : Action d'instruire, d'éduquer quelqu'un (sens vieilli). C'est en ce sens, hors d'usage
aujourd'hui et faisant donc contresens pour la compréhension moderne de la notion, que
Montaigne parlait de « l'institution des enfants ».
2.b : (par métonymie) Établissement privé d'éducation.
« instruction, éducation » / institution notre Dame etc...

3
Une métonymie est une figure de style qui, dans la langue ou son usage, utilise un mot pour signifier une idée
distincte mais qui lui est associée. L'association d'idée sous-entendue est souvent naturelle (partie/tout,
contenant/contenu, cause/effet…), parfois symbolique (ex. royauté/couronne) ou encore logique : l’artiste pour
l’œuvre, la ville pour ses habitants, le lieu pour l’institution qui y est installée, etc.

8
II. A. Vx. Action d'instruire, d'éduquer quelqu'un; résultat de cette action. Synon.
usuel éducation. L'institution de la jeunesse est d'une grande importance dans l'État
(Ac. 1835, 1878).
B. P. méton. Établissement privé destiné à l'instruction et à l'éducation des enfants
et des jeunes gens. Institution libre ou religieuse; institution de jeunes filles; diriger,
établir, ouvrir, tenir une institution. Institution des Aveugles, des Sourds-Muets (Ac.
1835-1935).
Par extention : Organisme public ou privé, régime légal ou social, établi pour
répondre à quelque besoin déterminé d'une société donnée. Institution de
bienfaisance, charitable; éducative, institutions militaires, politiques, religieuses;
institutions nationales, internationales.

c- L'extension
Rappel : L'extension recouvre les cas empiriques auxquels va s'appliquer (et ne va pas
s'appliquer) le concept. Le problème posé est donc : à quels types de cas empiriques
s'applique le concept ?

définition Cas empiriques

Action d'instituer, d'établir pour la [En parlant d'une chose] Institution d'un ordre
première fois (établissement, religieux, d'un régime politique; institution des
fondation). jeux olympiques, d'une fête nationale; etc....
institutions juridiques, politiques et religieuses,
sociales, culturelles, sportives
La chose instituée (l'organisation) Qui ne s'est pas établi naturellement, mais a été
institué par les hommes : tous les faits de culture

lorsqu'on utilise le terme au pluriel, Les institutions athéniennes; les institutions de la


il désigne l’ensemble des structures France; institutions démocratiques, monarchiques;
politiques et sociales établies par la permanence, progrès, réforme des institutions.
loi ou la coutume et qui régissent un
État donné

Action d'instruire, d'éduquer « L'institution de la jeunesse est d'une grande


quelqu'un importance dans l'État »
Établissement privé destiné à l'instruction et à
l'éducation des enfants et des jeunes gens.

Le mot institution s'applique à un nombre extrêmement élevé de phénomènes. Les


significations, on le voit, sont multiples et le champ d'application extrêmement vaste.
Exemple parfait de l'étirement conceptuel.

9
D’où un nombre impressionnant de critiques ; « L'institution : le mot est unique, les réalités
qu'il désigne sont multiples ». Éric Millard, Prof de droit public, Droit et Société (p. 30/31-
1995).

Mieux encore, largement utilisé par toutes les sciences sociales, le concept d'institution
semble avoir perdu en compréhension ce qu'il a gagné en extension ; devenu fuyant et
insaisissable, il est, comme le souligne justement René Lourau (1970), « polysémique,
équivoque, problématique » : il varie avec les disciplines sans jamais désigner dans une de
ces disciplines un concept clairement identifiable (Lourau, 1970) ; non seulement le sens
qui lui est donné varie d'une discipline à l'autre, mais encore il renvoie à
des réalités très hétérogènes, sans que sa véritable portée apparaisse pour autant clairement.

Voyons de plus près comment les diverses sciences sociales ont pensé ce concept.

3) un objet de recherche pour toutes les sciences sociales ?


Il convient d'abord de relever que l'objet institutionnel intéresse toutes les sciences sociales :
aussi bien les économistes (l'économie institutionnelle) que les sociologues, les historiens
(histoire politique) l’anthropologie et surtout les juristes et les politistes.

3.1. Des usages diversifiés de la notion d’institutions / la famille des institutions/ les airs
de famille

3.1.1. En sociologie
Chevallier, 1996 : Le concept d'institution a été pour la sociologie française, et notamment
Marcel Mauss et Emile. Durkheim, un véritable concept fondateur, qui a permis sa
constitution en tant que science sociale autonome. Dans Les règles de la méthode
sociologique (Préface à la 2e éd. 1894), Durkheim va jusqu'à définir la sociologie comme « la
science des institutions, de leur genèse et de leur fonctionnement ». Selon Durkheim, "les
institutions sont des phénomènes sociaux, impersonnels et collectifs, présentant permanence,
continuité et stabilité"4

Patrick Boumard , « Institution », Recherche & formation Année 1996 23 pp. 151-161

La sociologie durkheimienne, considère en effet l'institution comme la composante


essentielle du corps social. Toute société est caractérisée par l'existence d'un ordre, supérieur
aux individus et aux groupes, qui assure sa cohésion, réalise son intégration et fonde sa
pérennité. Armature de la vie collective, les institutions sont l'expression et la garantie de cet
ordre : dotées d'une consistance propre, détachées des volontés qui les ont fait naître et
installées dans la durée, elles imposent leur loi aux membres de la société, en modelant les
pensées et les comportements. Chevallier, 19965 : « Par institutions, il faut entendre
l'ensemble des faits sociaux qui, s'inscrivant dans la durée, ont l'apparence d'une réalité «
objective », « naturelle », et sont vécus comme tels par les individus.

4
Cité par Quermonne, L'appareil administratif de l'Etat, seuil, 1999.
5
Jacques Chevallier, Institutions politiques, 1996, Paris, LGDJ, coll. « Systèmes », 1996, 207 p.

10
Pour Durkheim en effet, les institutions sont des «manières collectives d'agir et de penser»
(formes juridiques, conventions, coutumes) qui ont une existence propre, en dehors des
individus, et auxquelles ceux-ci tendent spontanément à se conformer. qui constituent
l'armature de la vie collective, en étant dotées d'une stabilité particulière.

Les institutions étant perçues comme une « solution permanente à des problèmes
permanents » [Berger et Luckmann, 1986]

Il la définira donc par son caractère contraignant. Mais la forme de la contrainte doit être à
l'aune de la légitimité de chaque institution. Le processus d'intériorisation des normes fera
ainsi apparaître la double dimension de contrainte en tant que force, et d'autonomie du sujet
par rapport à la contrainte institutionnelle elle-même. Contrairement à une conception
réductrice qui assimile souvent la pensée de Durkheim au déterminisme positiviste, on a donc
ici une conception très moderne de l'institution, où on pourrait trouver les prémices de ce que
l'analyse institutionnelle nommera plus tard la dialectique de l'institué et de l'instituant.
Durkheim en donne un exemple à propos du système éducatif : « Un système scolaire, quel
qu'il soit, est formé de deux sortes d'éléments. Il y a, d'une part, tout un ensemble
d'arrangements finis et stables, de méthodes établies, en un mot d'institutions ; car il y a des
institutions pédagogiques comme il y a des institutions juridiques, politiques et religieuses.
Mais en même temps, à l'intérieur de la machine ainsi constituée, il y a des idées qui la
travaillent et qui la sollicitent à changer. »

Et, au fond, c'est là ce qu'il y a de plus essentiel dans la notion de la contrainte sociale. Car
tout ce qu'elle implique, c'est que les manières collectives d'agir ou de penser ont une
réalité en dehors des individus qui, à chaque moment du temps, s'y conforment. Ce sont des
choses qui ont leur existence propre, l'individu les trouve toutes formées et il ne peut pas faire
qu'elles ne soient pas ou qu'elles soient autrement qu'elles ne sont ; il est donc bien obligé d'en
tenir compte et il lui est d'autant plus difficile (nous ne disons pas impossible) de les modifier
que, à des degrés divers, elles participent de la suprématie matérielle et morale que la société
a sur ces membres. (....). Ainsi qu'on l'a fait remarquer 6, il y a un mot qui, pourvu toutefois
qu'on en étende un peu l'acception ordinaire, exprime assez bien cette manière d'être très
spéciale : c'est celui d'institution. On peut en effet, sans dénaturer le sens de cette
expression, appeler institution, toutes les croyances et tous les modes de conduite
institués par la collectivité ; la sociologie peut alors être définie : la science des
institutions, de leur genèse et de leur fonctionnement 7.

6
Voir Art. SOCIOLOGIE de la Grande Encyclopédie, par MM. Fauconnet et Mauss.
7
De ce que les croyances et les pratiques sociales nous pénètrent ainsi du dehors, il ne suit pas
que nous les recevions passivement et sans leur faire subir de modification. En pensant les institutions
collectives, en nous les assimilant, nous les individualisons, nous leur donnons plus ou moins notre
marque personnelle; c'est ainsi qu'en pensant le monde sensible chacun de nous le colore à sa façon et
que des sujets différents s'adaptent différemment à un même milieu physique. C'est pourquoi chacun
de nous se fait, dans une certaine mesure, sa morale, sa religion, sa technique. Il n'est pas de
conformisme social qui ne comporte toute une gamme de nuances individuelles. Il n'en reste pas moins
que le champ des variations permises est limité. Il est nul ou très faible dans le cercle des phénomènes
religieux et moraux où la variation devient aisément un crime; il est plus étendu pour tout ce qui

11
Durkheim, préface à la 2nd édition, 1894, RMS

Cette analyse de Durkheim trouve son origine dans des travaux plus anciens, et notamment
ceux de Fustel de Coulanges (voir F. Héran, RFS 1987, n° 1, 67 sq.) - qui était directeur de
l'Ecole normale supérieure quand Durkheim y était élève. Tout au long de son célèbre
ouvrage La Cité antique (1864), Fustel de Coulanges s'est attaché à décrire ces formes fixes
et durables que sont dans la Cité antique les rites, les lois, les formules officielles, les
règles de filiation, les lignages,

« Nous entendons par ce mot aussi bien les usages et les modes, les préjugés et les
superstitions que les constitutions politiques ou les organisations juridiques essentielles »
(Marcel Mauss).

Voici la définition qu'en propose le politiste français Jacques Lagroye. Selon lui, l'institution
désigne un ensemble de pratiques, de rites et de règles de conduite entre des personnes ainsi
que l'ensemble des représentations qui concernent ces pratiques, qui définissent leur
signification et qui tendent à justifier leur existence.

3.1.2. En droit
C'est dans la doctrine juridique qu'une théorie de l'institution a d'abord été élaborée, alors que
les politistes privilégiaient d'autres domaines d'investigation. L''école institutionnaliste,
illustrée par le nom de M. Hauriou8

Chevallier, 1996 : La théorie juridique de l'institution est illustrée surtout par Maurice
Hauriou (Maurice Hauriou (1856-1929), éminent théoricien du droit public).

« La théorie de l'institution et de la fondation (essai de vitalisme social)», in Hauriou M.,


(1925), Hauriou : « Une institution est une idée d'œuvre ou d'entreprise qui se réalise et
dure juridiquement dans un milieu social ; pour la réalisation de cette idée, un pouvoir
s'organise qui lui procure des organes ; d'autre part, entre les membres du groupe social
intéressé à la réalisation de l'idée, il se produit des manifestations de communion
dirigées par les organes du pouvoir et réglées par des procédures ».

Faisant des institutions l'élément-clé de l'organisation sociale, assurant la conciliation de


l'ordre et de la liberté, M. Hauriou les conçoit comme le produit d'une lente évolution,
l'institution consiste en un « système d'équilibres de pouvoirs et de consentements construit
autour d'une idée».

concerne la vie économique. Mais tôt ou tard même dans ce dernier cas, on rencontre une limite qui ne
peut être franchie.
8
« La théorie de l'institution et de la fondation », 1925 in « Aux sources du droit : le pouvoir,
l'ordre et la liberté », Bloud et Gay, n° 23, 1933, pp. 89 sq. et Précis de droit constitutionnel,
Sirey, 2ème éd., 1929.

12
a) Les éléments constitutifs de l'institution

Il faut donc commencer par « décortiquer » cette formulation, pour y faire apparaître les trois
éléments qui, selon Hauriou, sont constitutifs des institutions :

1. une « idée d'œuvre » ou d'entreprise, qui naît dans un milieu social ;


2. la mise sur pied d'organes destinés à la réaliser ;
3. l'assentiment de ceux qu'elle englobe et les manifestations de communion: alors,
l'organisation devient durable, « instituée ».

L’idée d'œuvre : II s'agit dans la pensée d'Hauriou de l'idée directrice de l'entreprise, qui
devient action, qui se concrétise. Elle n'est pas le but : le but est extérieur à l'entreprise
puisqu'on cherche à l'atteindre. L'idée d'œuvre lui est, quant à elle, intérieure : il y a dans
l'idée d'œuvre un élément de plan d'action, d'organisation, qui n'est pas dans le but. Elle
dépasse le but pour être à la fois ce but (ce que l'on cherche à atteindre), et autre chose : les
moyens pour y parvenir notamment.
- Exemple 1 l'idée d'œuvre de l'institution universitaire (éclairer la société par la
production et la transmission de connaissances)
- Exemple 2: l'idée d'œuvre de la démocratie, c'est la protection des libertés publiques et
individuelles.
Protéger les libertés publiques n'est pas le but de la démocratie, mais bien l'idée d'œuvre de
l'État démocratique : c'est à la fois un objectif à atteindre, et un moyen pour atteindre les
objectifs de cet État. C'est dire alors que tous les moyens ne sont pas bons pour protéger les
libertés, notamment parce qu'ils porteraient atteinte à ces mêmes libertés ou à d'autres droits
fondamentaux. Dans l'énoncé du but (élément extérieur), il y a aussi l'énoncé des moyens
(élément intérieur qui constitue l'État parce qu'il lui donne les moyens d'agir).

La mise sur pied d'organes destinés à la réaliser ou le pouvoir de gouvernement organisé

II découle directement de l'idée d'œuvre : il est pour sa réalisation, et à son service. C'est ce
qu'on appelle couramment l'organisation de l'institution.

Hauriou : II. Le second élément de toute institution corporative est [...] un


pouvoir de gouvernement organisé qui est pour la réalisation de l'idée de
l'entreprise et à son service. C'est ce qu'on appelle couramment l'organisation
de l'institution. [...]

Résultat d'une réaction de certains individus à l'idée, il doit permettre à l'idée de se réaliser, et
donc à l'entreprise de s'objectiver : d'acquérir une dimension sociale. On est ici dans une
logique de l'acte de fondation, comme le rappelle le titre de l'article de 1925 : La théorie de
l'institution et de la fondation.
- Exemple 1 : mise en place de facultés, d'une présidence, d'une administration pour
l'université. Autre exemple, tous les décrets pris à la suite de la création d'une nouvelle
institution, le HCCT par exemple.
- Exemple 2 : séparation et équilibre des pouvoirs, le pluralisme politique, le suffrage
universel, le régime représentatif, le contrôle judiciaire, etc.

13
L’assentiment de ceux qu'elle englobe et les manifestations de communion

La réalisation de l'institution nécessite ainsi des manifestations de communion des membres


du groupe, aussi bien que des organes de gouvernement, soit en l'idée d'œuvre à réaliser, soit
en celle des moyens à employer. Il y a adhésion de chacun des membres du groupe à l'idée,
qu'il assimile et la fait sienne. Donc, les institutions sont aussi des structures, formelles ou
informelles, qui dépassent le niveau individuel pour désigner des configurations d’interactions
entre individus. Plus fréquemment, l'institution repose sur une communion froide liée à
son fonctionnement : dans l'acceptation par les divers membres du groupe non pas de
telle ou telle décision ou action déterminée, mais du fonctionnement général de
l'institution, c'est-à-dire dans l'acceptation de la règle du jeu. Hauriou voit cette
communion par exemple dans le fait que la minorité accepte la décision de la majorité, non
pour elle-même, mais parce qu'il s'agit de l'exercice du pouvoir au service de l'idée. Il s'agit
donc là d'une communion qui se réalise à tout instant et qui se reproduit à tout instant : une
communion au pouvoir, qui assure la durée.

Puis Hauriou distingue deux types d'institutions :

a) les institutions « vivantes », de nature corporative9 ie des organisations qui tendent à la


personnification morale ; les institutions-personnes ou corps

b) les institutions-choses ou institutions « inertes », qui sont de la catégorie des choses, qui
sont dépourvues d'autonomie et prennent naissance au sein des premières ie des institutions
vivantes (le droit).
Seules en fait les institutions vivantes comportent les trois éléments fondamentaux de
l'institution : dans les institutions-choses, le pouvoir organisé et les manifestations de
communion restent extérieurs à l'idée d'œuvre. Les institutions vivantes, elles, sont l'objet d'un
double processus:

- Un processus d'incorporation, qui résulte de la mise en place d'un pouvoir organisé :


l'institution cesse alors de se réduire aux individus qui s'y trouvent rassemblés ; elle forme «
corps », acquiert une individualité objective, à travers les organes qui agissent en son nom.

- Un processus de personnification, qui résulte des manifestations de communion :


l'idée d'œuvre passe à l'état
subjectif, dans les consciences individuelles ; l'institution devient alors une

9
Qui a la structure d'une corporation. Un groupement corporatif, une organisation corporative.
Étymol. et Hist. 1830 « propre à un corps, à un groupe de personnes ». 2. [Selon M. François
Perroux] La communauté de travail ou la corporation comprendrait plusieurs degrés : à l'échelon
inférieur, des corporations primaires comme la boucherie, la boulangerie, l'épicerie; un peu plus
haut, la fusion des corporations primaires en des corporations plus vastes comme l'alimentation, la
métallurgie ou les textiles; au sommet enfin la confédération de toutes les corporations.
WILBOIS, Comment fonctionne une entr., 1941, p. 56. Ensemble de personnes ayant une activité ou des
intérêts communs permanents ou temporaires.

14
communauté effective, une « personne ».

Ici on note une similitude avec Berger et Luckmann (extériorisation-objectivation-


intériorisation).

« Une institution est une idée d'œuvre ou d'entreprise qui se réalise et dure
juridiquement dans un milieu social ; pour la réalisation de cette idée, un pouvoir
s'organise qui lui procure des organes ; d'autre part, entre les membres du groupe
social intéressés à la réalisation de l'idée, il se produit des manifestations de
communion dirigées par les organes du pouvoir et réglées par des procédures. [...]
I. L'élément le plus important de toute institution est celui d'idée d'œuvre à
réaliser dans un groupement social ou au profit de ce groupement. [...] Il ne
faut pas confondre l'idée de l'œuvre à réaliser qui mérite le nom «d'idée
directrice de l'entreprise» avec la notion de but, ni avec celle de la fonction. [.
. .] Si l'idée était la création subjective de l'esprit d'un individu déterminé, on
ne concevrait guère comment elle pourrait acquérir le caractère objectif qui
lui permettrait de passer dans un autre esprit. Du moment que les idées
passent d'un esprit à un autre, elles doivent avoir, dès le début, une nature
objective. En réalité, il n'y a pas de créateurs d'idées, il y a seulement des
trouveurs. Un trouvère, un poète inspiré rencontre une idée à la façon dont
un mineur rencontre un diamant : les idées objectives existent d'avance dans
le vaste monde, incorporées aux choses qui nous entourent ; dans des
moments d'inspiration, nous les trouvons et les débarrassons de leur gangue.
[...]
II. II. Le second élément de toute institution corporative est [...] un pouvoir de
gouvernement organisé qui est pour la réalisation de l'idée de l'entreprise et à
son service. C'est ce qu'on appelle couramment l'organisation de l'institution.
[...]
III. III. [. . .] un dernier élément de l'institution corporative qui est la
manifestation de communion des membres du groupe et aussi des organes de
gouvernement, soit en l'idée de l'œuvre à réaliser, soit en celle des moyens à
employer. [. .] Ces mouvements de communion ne s'analysent pas du tout en
des manifestations d'une conscience collective ; ce sont les consciences
individuelles qui s'émeuvent au contact d'une idée commune et qui par un
phénomène d'interpsychologie, ont le sentiment de leur émotion commune.
Le centre de ce mouvement c'est l'idée qui se réfracte en des concepts
similaires en des milliers de consciences et y provoque des tendances à
l'action».
Les extraits qui suivent sont tirés de « La théorie de l'institution et de la
fondation (essai de vitalisme social)», in Hauriou M., (1933), «Aux sources du
droit, le pouvoir, l'ordre et la liberté», Les Cahiers de la nouvelle journée, n°
23, p. 89-128. Il s'agit de la réédition d'un texte de 1925.

Hauriou établit aussi un lien étroit entre institution et droit : non seulement parce

15
que le droit est déjà par lui-même une institution, relevant de la catégorie des
institutions inertes, mais aussi parce que les institutions vivantes ont besoin du droit
pour exister.

« Les institutions naissent, vivent et meurent juridiquement ; elles naissent par des
opérations de fondation qui leur fournissent leur fondement juridique en se
continuant ; elles vivent d'une vie à la fois objective et subjective, grâce à des
opérations juridiques de gouvernement et d'administration répétées, et, d'ailleurs,
liées par des procédures ; enfin, elles meurent par des opérations juridiques de
dissolution ou d'abrogation. Ainsi, elles occupent juridiquement la durée et leur
chaîne solide se croise avec la trame plus légère des relations juridiques passagères
».

Nous avons ici des précisions de taille faites par Hauriou (il ne parle vraisemblablement
pas des règles informelles de vie en société, telles la mode etc. bref de ces "manières
collectives d'agir ou de penser", qui ont une existence propre, agissent "du dehors" sur
les individus, mais de quelque chose de plus restreint : on peut retenir dans un premier
temps une définition simple de l'institution dans l'analyse juridique : une forme sociale établie
dans la durée/ une formes stable d'organisation sociale/ une institution doit constituer un
élément structurel de la société ou du système politique / ou la structure organisée d'un secteur
de l'activité sociale. C'est en ce sens qu'on parle, par exemple, de l'institution scolaire,
l'institution corporative, familiale etc...
Cette forme sociale, il lui faut une certaine stabilité dans le temps. Les institutions sont
des éléments stables de la société et du système politique, bien que ceci n’implique pas
qu’elles ne peuvent à certaines conditions se transformer, voire même de façon
fondamentale. Les institutions structurent le monde et, en raison de leur stabilité ainsi
que de leur permanence, servent de repères.

Appliqué à ce secteur spécifique de la société qu'est le secteur politique, les institutions


politiques peuvent être définies comme l'ensemble des formes stables qui encadrent la vie
politique. Ou les institutions politiques sont assimilées par les juristes aux structures stables
établies par la Constitution, ie les institutions de la République. Ou encore les « institutions
politiques, entendues au sens le plus simple de cadres organisés de la vie politique officielle ».
Lacroix et lagroye (1992)10 ou encore institutions officielles de l'Etat, dont le
fonctionnement est encadré par les règles constitutionnelles.

On peut citer des exemples d'organisation à appréhender comme institutions politiques : l'État,
la commune, le Parlement, le Gouvernement, la Cour des comptes, les ministères et autres «
corps constitués11 », les institutions politiques étant celles qui sont instituées par la

10
Bernard Lacroix, Jacques Lagroye (dir.), Le Président de la République, Paris, PFNSP, 1992.

11
En France, on appelle corps constitués les corps établis par la Constitution ou les lois. Ils sont souvent des
personnes morales de droit public. Au niveau national, ce sont les corps chargés des fonctions législatives ou
gouvernementales supérieures, comme l'Assemblée nationale, le Sénat, le Conseil d'État, la Cour des comptes,

16
constitution, auxquels se limite la définition de sens commun juridiquement informée. Ce sont
là pour le sociologue et je juriste des institutions particulièrement institutionnalisées, si l’on
peut s’exprimer ainsi, qui ont atteint un très haut degré de cristallisation.

Selon le Petit Robert, les institutions "sont non seulement les organes, les structures
permanentes dont la création, la composition, l'organisation sont prévues par le droit, mais
également les règles de comportement"

Les institutions politiques, ainsi définies doivent donc être conçues comme des foyers de
droit. Hauriou montre que toute institution secrète un droit qui lui est propre et qui est
indispensable pour assurer la réalisation de l'« idée d'œuvre » autour de laquelle elle a été
érigée. Ce droit institutionnel se dédouble lui-même en un droit « statutaire », par lequel
l'institution s'organise et définit ses équilibres internes, et en un droit « disciplinaire », par
lequel elle impose les disciplines nécessaires à ses éléments constitutifs.

Comme l'a montré M. Hauriou, le droit doit lui-même être considéré comme une institution,
même s'il ne s'agit que d'une « institution inerte », produit d'une volonté subjective. En tant
que « forme instituée », il doit donc être constamment mis en relation avec les « forces
instituantes » qui l'ont posé et dont l'action contribue en permanence à le faire évoluer. Cette
perspective dynamique s'applique aussi à l'étude des règles constitutionnelles : non seulement
celles-ci ne sont pas le produit d'une génération spontanée mais le produit d'un rapport de
forces politique, mais encore elles sont appelées à évoluer au gré de l'inflexion des équilibres
politiques ; aussi la constitution ne saurait-elle être envisagée indépendamment de ce substrat
social et politique. D'une part, toute constitution résulte d'un « acte constituant », résultant de
l'action d'un pouvoir : comme le soulignait G. Burdeau, l'élaboration d'une constitution permet
à ceux qui détiennent « la force politique prépondérante d'imposer à tous leur représentation
de l'ordre social désirable » ; au fil du temps cependant, la constitution tendra à se détacher de
ceux qui l'ont conçue pour s'inscrire dans la durée, en se transformant en patrimoine commun.
Néanmoins, cette « fondation constituante » (M. Hauriou) ne signifie pas pour autant que les
rapports de force politiques seront effacés dans l'objectivité des formes juridiques : les
énoncés constitutionnels ne prennent leur véritable signification qu'à travers les usages
concrets qui en sont faits ; et des luttes incessantes opposent les acteurs politiques, qui
cherchent à imposer leurs interprétations, sans que l'institution d'un juge constitutionnel, lui-
même inséré dans le jeu politique, soit suffisante pour mettre un terme à ces querelles. Cette
dynamique d'évolution des règles constitutionnelles se traduira dans l'existence de ces «

le Conseil constitutionnel, la Banque centrale, etc. Au niveau local, ce sont les autorités judiciaires,
administratives, cantonales, départementales et municipales dans les différentes villes du territoire.

17
conventions de la constitution », si bien analysées par Pierre AVRIL, qui témoignent de
l'impossibilité de réduire la constitution réelle aux seules dispositions du texte
concstitutionnel. Encore faut-il tenir compte du jeu possible des interprétations et des
pratiques qui se développent au-delà du texte, par voie d'accord entre les acteurs politiques.
Le droit constitutionnel apparaît ainsi plus que jamais comme un « droit politique »48. Cette
consubstantialité du droit constitutionnel et des institutions politiques ne peut qu'influer sur le
traitement scientifique

Chevallier 200112: 1954 : c'est cet entendement de l'IP l'enseignement de droit constitutionnel
de première année de licence en droit est désormais couplé à l'étude des institutions
politiques. Le droit constitutionnel a été conçu à l'origine comme le droit des institutions
politiques (« droit constitutionnel institutionnel »).

Le droit constitutionnel a été perçu à l'origine comme indissolublement lié aux institutions
politiques, ce qui en faisait un « droit politique» par essence : si, au départ, la relation est
quasi-tautologique, les institutions politiques étant celles qui sont instituées par la
constitution, la prise en compte de la dynamique sociale et politique dont elles sont le produit
conduira à des analyses plus subtiles sur le rapport du droit et de l'institution ; et le refus de
réduire les institutions politiques au carcan des textes entraînera un double élargissement des
perspectives, en ouvrant vers d'autres acteurs et d'autres pratiques.

Aux Etats-Unis, au début du xxe siècle, d’un ancien institutionnalisme. Ce « vieil


institutionnalisme », qui faisait des institutions les fondements et les cadres de la vie
politique, par l’utilisation des institutions comme variables explicatives autonomes, un
champ d’investigation plus vaste que la démocratie et ses institutions formelles, Ses
thématiques couvrent ainsi l’étude traditionnelle de l’État, des institutions formelles ou
sociales, de la démocratisation
Approche occultée ensuite par le behaviorisme triomphant de l’après Deuxième Guerre
mondiale. Les behavioristes, qui trouvaient cette approche trop empreinte d’idéalisme et de
formalisme, ont alors proposé une explication des phénomènes politiques en termes de
comportements et de valeurs, explication qui devait dominer la science politique américaine
des années 1950 à 1970.
Le nouvel institutionnalisme se rapproche de l’ancien (et diffère du behaviorisme), mais il
s’en distingue par une acception plus complexe de l’institution.

3.1.3. En science politique

A) L'APPROCHE POLITISTE DES INSTITUTIONS POLITIQUES

12
Jacques Chevallier, « Droit constitutionnel et institutions politiques : les mésaventures d'un couple fusionnel »
in La République, mélanges Avril, Montchrestien, 2001, pp. 183-199.

18
Olivier Nay : L’ouverture de la science politique au raisonnement sociologique a eu des effets
concrets sur la manière d’aborder les institutions en France. Depuis les années 1990, il ne
s’agit pas de « redécouvrir » les institutions (comme l’ont souhaité les politistes américains),
mais bien de les « revisiter » à l’aune des méthodes d’observation des sciences sociales.

1. une approche holiste

Une théorie politologique des institutions qui repose sur 3 éléments :

IP = institué + processus+instituant

Pour les politistes, le terme institution renvoie nécessairement à au moins deux choses, qui se
complètent. L'institution est d'une part ce qui est institué c'est-à-dire l'institué :
l'organisation et ses règles formelles ; dès lors, l'institution est un concept essentiel de
l'analyse, que l'on peut décrire comme objet.

Mais d'autre part, l’institution est également le processus qui institue : moins que la forme
instituée, elle est le processus de constitution de cette forme dans la durée ; l'accent ne
porte alors pas véritablement sur l'organisation elle-même, mais sur le phénomène social de
l'engendrement et de la durée de cette organisation ; le concept institution n'est ainsi plus
directement l'objet de l'analyse mais son outil immédiat. De sorte que c’est moins l’institution
que les processus d’institutionnalisation qui intéressent les chercheurs, et que, c’est bien
l’articulation entre ces processus et l’ordre social que ces derniers s’efforcent de comprendre.

Brigitte Gaiti : "Ce sont alors les processus d’institutionnalisation, ou, pour le dire comme
Bernard Lacroix, les processus d’objectivation sociale, qui sont aujourd’hui au cœur de la
sociologie des institutions. Ouvrir la boîte noire des institutions, retrouver les institutions « en
train de se faire », pour reprendre cette fois un vocabulaire aux accents latouriens, c’est ne pas
prendre comme point de départ l’institution « toute faite », telle qu’elle s’offre à
l’observation, installée dans ses bâtiments, arborant ses organigrammes, le nom de ses
fondateurs, sa philosophie et ses principes, et déclinant l’étendue de son domaine
d’intervention. Il s'agit de "Retrouver la consistance sociale et historique des
institutions"

XXX
Par ailleurs, les politistes insistent sur le fait que les institutions n'ont de sens qu'en
relation avec les individus. Institutions et individus sont deux réalités concomitantes,
indissociables et unies symbiotiquement : les institutions ne peuvent exister que par la
médiation des individus qui les animent, leur donnent force agissante et les font évoluer ; à
l'inverse, les individus ne peuvent construire leur identité propre qu'à travers un processus de
confrontation aux institutions.

Centrée sur les règles, l'analyse juridique considère en effet que les individus (ou même les
groupes) engagés dans le fonctionnement des institutions politiques ne sont que des variables
secondaires de l'analyse (la règle de droit est impersonnelle). À l'opposé de cette posture, les

19
politistes ont cherché à redonner un statut d'acteurs à ces individus. La science politique
leur reconnaît ainsi une capacité relative à jouer avec les règles de droit que ce soit pour les
neutraliser ou les contourner cf. les legislatives studies. De même leur reconnaît-elle une
capacité à fabriquer des règles conventionnelles, des règles tacites du jeu politique
[Bailey, 1971] qui, bien que n'étant pas juridiquement codifiées, ordonnent tout autant
que les règles de droit la compétition politique.

« L’institution peut être considérée comme une forme de « rencontre » dynamique entre ce
qui est institué, sous forme de règles, de modalités d’organisation, de savoirs, etc., et les
investissements (ou engagements) dans une institution, qui seuls la font exister concrètement
» (Lagroye et Offerlé, 2010 : 12).

2e. une approche agnostique et critique des institutions

Jean Claude Thoenig, 2014, PP in dico des PP

"Les sciences sociales se distinguent également d’une approche purement formelle ou


institutionnelle parce qu’elles prennent en compte les faits observables. Elles s’intéressent non
pas à ce qu’une autorité est censée faire selon le mandat qui l’institue, mais à ce qu’elle fait et
ce qu’elle renonce à faire face à une situation ou à un problème. Elles analysent aussi ses
actes concrets tels qu’ils se mettent en œuvre au quotidien, et la manière dont ils modifient les
problèmes et perturbent les situations dans la société. Le regard des sciences sociales est donc
agnostique face aux volontés affichées, face aux cadres formels qui norment les
responsabilités, face aux finalités annoncées dans les discours des décideurs".

Qu’est-ce que cela veut dire ?

Que l' approche politologique n'implique nullement l'abandon du terrain du droit


constitutionnel, mais elle modifie profondément le point de vue sur la discipline : en effet,
pour la science politique, l'étude des dispositions constitutionnelles doit être intégrée
dans une analyse plus globale du « régime politique», prenant en compte d'autres
acteurs tels les partis, et d'autres variables, telles que les idéologies.

Le terme d'institutions politique inviterait à «considérer la vie politique comme un objet


d'étude par-delà les règles de droit qui la régissent13 », ce qui conduirait à «déborder le
droit constitutionnel14 »: englobant, non seulement les institutions officielles de l'Etat,
dont le fonctionnement est encadré par les règles constitutionnelles, mais encore d'autres
institutions (partis, collectivités locales, pouvoirs sociaux) qui interfèrent avec elles, il
permettrait d'« appréhender l'ensemble qu'elles forment », c'est-à-dire le « régime politique»,
qui est lui-même indissociable d'un ensemble plus large qu'est- le système politique :
(structures socio-économiques, idéologies religieuses et systèmes de valeurs...). C'est donc à
une approche holiste qu'invite la science politique.
Sévigny, 2016 : Seule la science politique tente de dresser l’ensemble du paysage
institutionnel entourant l’État.

13
G. VEDEL, Cours de droit constitutionnel et institutions politiques, 1958-59, p. 10.
14
A. HAURIOU, Droit constitutionnel et institutions politiques, Montchrestien, 5ème éd., 1972, p. 21

20
A l'intérieur d'une société donnée, les institutions sont en effet liées entre elles (comme le
disent Berger et Luckmann, elles tendent à « coller ensemble ») : elles forment un ensemble
cohérent et structuré, un « ordre » (l'ordre social) ; elles se présentent comme les éléments
constitutifs d'un ensemble, les parties d'un Tout qui les intègre et les dépasse et au sein duquel
elles tiennent une certaine place. Cet ordre s'est complexifié au fur et à mesure du
développement social ; la division du travail s'est accompagnée d'une différenciation
concomittante des institutions.
En effet, comme le rappelle Jacques Chevallier, 1996 : « Les institutions politiques ne sont
jamais qu'une variété d'institutions sociales : aussi leur analyse doit-elle s'appuyer sur une
théorie plus générale du phénomène institutionnel".

En effet, les textes sont loin d’enfermer la réalité des institutions politiques. Par exemple, on
ne saurait résumer le président aux « fonctions » et rang que lui attribue la Constitution de
2016.

« Article 26. - Le Président de la République est élu au suffrage universel direct et à la


majorité absolue des suffrages exprimés ».
« Article 27. - La durée du mandat du Président de la République est de cinq ans. Nul ne peut
exercer plus de deux mandats consécutifs ».
« Article 28. - Tout candidat à la Présidence de la République doit être exclusivement de
nationalité sénégalaise, jouir de ses droits civils et politiques, être âgé de trente cinq (35) ans
au moins et de soixante quinze (75) ans au plus le jour du scrutin. II doit savoir écrire, lire et
parler couramment la langue officielle »
TITRE III - DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE (articles 26 à 52 dont les articles 26
à 28 nouveau)
Article 42
Le Président de la République est le gardien de la Constitution. Il est le premier Protecteur des
Arts et des Lettres du Sénégal.
Il incarne l'unité nationale.
Il est le garant du fonctionnement régulier des institutions, de l'indépendance nationale et de
l'intégrité du territoire. Il détermine la politique de la Nation. Il préside le Conseil des
Ministres.
Article 43
Le Président de la République signe les ordonnances et les décrets. Les actes du Président de
la République, à l'exception de ceux qu'il accomplit en vertu des articles 45, 46, 47, 48, 49
alinéa 1, 52, 60-1, 74, 76 alinéa 2, 78, 79, 83, 87, 89 et 90 sont contresignés par le Premier
Ministre.
Article 44
Le Président de la République nomme aux emplois civils.
Article 45
Le Président de la République est responsable de la Défense nationale. Il préside le Conseil
supérieur de la Défense nationale et le Conseil national de Sécurité.
Il est le Chef suprême des Armées ; il nomme à tous les emplois militaires et dispose de la
force armée.
Article 46
Le Président de la République accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires
auprès des puissances étrangères. Les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires des
puissances étrangères sont accrédités auprès de lui.
Article 47

21
Le Président de la République a le droit de faire grâce.
Article 48
Le Président de la République peut adresser des messages à la Nation.
Article 49
Le Président de la République nomme le Premier Ministre et met fin à ses fonctions.
Sur proposition du Premier Ministre, le Président de la République nomme les Ministres, fixe
leurs attributions et met fin à leurs fonctions.
Article 50
Le Président de la République peut déléguer par décret certains pouvoirs au Premier Ministre
ou aux autres membres du Gouvernement, à l'exception des pouvoirs prévus aux articles 42,
46, 47, 49, 51, 52, 72, 73, 87, 89 et 90.
Il peut en outre autoriser le Premier Ministre à prendre des décisions par décret.
Article 51
Le Président de la République peut, après avoir recueilli l'avis du Président de l'Assemblée
nationale, du Président du Sénat et du Conseil constitutionnel, soumettre tout projet de loi
constitutionnelle au référendum.
Il peut, sur proposition du Premier Ministre et après avoir recueilli l'avis des autorités
indiquées ci-dessus, soumettre tout projet de loi au référendum.
Les Cours et Tribunaux veillent à la régularité des opérations de référendum. Le Conseil
constitutionnel en proclame les résultats.
Article 52
Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité du territoire
national ou l'exécution des engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et
immédiate, et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ou des institutions est
interrompu, le Président de la République dispose de pouvoirs exceptionnels.
Il peut, après en avoir informé la Nation par un message, prendre toute mesure tendant à
rétablir le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions et à assurer la
sauvegarde de la Nation.
Il ne peut, en vertu des pouvoirs exceptionnels, procéder à une révision constitutionnelle.
Le Parlement se réunit de plein droit.
Il est saisi pour ratification, dans les quinze jours de leur promulgation, des mesures de nature
législative mises en vigueur par le Président. Il peut les amender ou les rejeter à l’occasion du
vote de la loi de ratification. Ces mesures deviennent caduques si le projet de loi de
ratification n’est pas déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale dans ledit délai.
L’Assemblée nationale ne peut être dissoute pendant l'exercice des pouvoirs exceptionnels.
Lorsque ceux-ci sont exercés après la dissolution de l'Assemblée nationale, la date des
scrutins fixée par le décret de dissolution ne peut être reportée, sauf cas de force majeure
constaté par le Conseil constitutionnel.

Le PR occupe une place essentielle dans le circuit de la décision politique aujourd’hui, il est
incontournable pour qui s’intéresse au « métier » politique3 et, plus largement, à la
représentation politique. C’est d’abord un trophée majeur de la compétition partisane ...Il est à
la tête d'un parti, c'est lui qui valide les listes électorales pour les législatives, etc.

Comme le souligne G. Vedel, « tout le droit constitutionnel n'est pas dans la constitution ». Il
est donc possible de produire une connaissance sur les institutions politiques autre que celle
qu’apportent les sciences juridiques. C’est à cette ambition que s’attèlent depuis le début des
années 1990 un certain nombre de chercheurs en science politique. S’ils ne constituent pas à

22
proprement parler une « école », ces derniers se revendiquent tous de l’approche formalisée
par Jacques Lagroye et Bernard Lacroix dans un livre pionnier, Le Président de la
République, considéré comme fondateur de ce domaine d’investigation en France.

Bernard Lacroix, Jacques Lagroye (dir.), Le Président de la République, Paris, PFNSP, 1992.

3. Que rajoute in fine l'analyse politiste des institutions à l'analyse juridique ?

Tout d'abord, à contrario du formalisme juridique, les politistes vont prôner une approche
sociohistorique des phénomènes institutionnels sans évacuer leur aspect formel. Mais "la
sociologie des institutions c’est aussi une sociologie du droit dans les institutions". Jacques
Lagroye et Michel Offerlé.

Ensuite, ce que les politistes vont faire, ce sera une analyse de l’institution « en pratiques »,
pour reprendre le titre d’une contribution de Jacques Lagroye à la Revue suisse de science
politique en 2002, consacrée justement aux apports de Pierre Bourdieu à une sociologie des
institutions.

Sociologie de l'institution, Publisher : Belin, Editors: Jacques Lagroye, Michel Offerlé

Brigitte Gaiti, 200615 : Le programme de la sociologie des institutions qui s’est développé en
France depuis les années 1980 pourrait être décrit à partir d’une double entrée : d’une part, il
s’agit de faire revenir dans l’analyse des institutions les acteurs et leurs pratiques, les
conjonctures, les interactions, les manières historiquement situées de penser, de calculer et

15
Brigitte Gaïti, « Entre les faits et les choses. La double face de la sociologie politique
des institutions », in Antonin Cohen et al., Les formes de l'activité politique,
Presses Universitaires de France « Hors collection », 2006.

23
d’agir ; (...) mais sans doute n’a-t-on fait qu’une partie du travail puisqu’il s’agit également
de penser l’autonomisation des institutions et leur existence propre en tant que « choses
», détachées des pratiques et des significations qui les ont réalisées, leur perception sur le
mode de la réalité objective et leur capacité à agir sur les acteurs sociaux et politiques, à
infléchir leurs comportements et leurs identités sociales, à informer les stratégies qu’ils
développent, les visions du monde qu’ils adoptent, ou, d’un autre point de vue, à configurer
les orientations d’action publique, à limiter les changements en « résistant » en quelque sorte
à certains types d’investissements".

Cette vision conduit à s'intéresser à la théorie de l'institutionnalisation de Berger et


Luckmann :

• Berger et Luckmann, La Construction sociale de la réalité, Paris, 1989.

l'institutionnalisation ie le fait de donner à quelque chose un caractère permanent : un


processus en trois temps :
i) d'extériorisation, par lequel les institutions se détachent des individus qui les
ont fait naître ; le propre des institutions politiques) est de gagner en autonomie
ii) d’objectivation, par lequel elles acquièrent l'apparence d'une réalité objective ;
puisqu’il s’agit également de penser l’autonomisation des institutions et leur existence propre
en tant que « choses », détachées des pratiques et des significations qui les ont réalisées,
Dépersonnalisé et exprimé par un titre, une fonction, en vertu duquel l'obéissance des
gouvernés est due. Dr. constit. Processus par lequel le pouvoir est dissocié des individus qui
l'exercent et incorporé dans l'institution étatique``

• iii) d'intériorisation, au terme duquel elles sont incorporées au vécu de chacun.


• leur capacité à agir sur les acteurs sociaux et politiques, à infléchir leurs
comportements et leurs identités sociales, à informer les stratégies qu’ils développent,
les visions du monde qu’ils adoptent, ou, d’un autre point de vue, à configurer les
orientations d’action publique, à limiter les changements en « résistant » en quelque
sorte à certains types d’investissements.

5) les objectifs du cours

a) Dulong, 2012 : analyser les IP comme un objet à part entière de la sociologie politique,
autrement dit qu’on cherche à élaborer un savoir théorique qui leur soit spécifique avec les
méthodes et les outils classiques des sciences sociales.

Une approche qui sera celle de la sociologie politique : Chevallier, IP, 1996 : « la question des
institutions sera abordée, non à travers le prisme juridique ou formelle-légale, mais d'un point
de vue sociologique. Le cours ne se confond pas avec une analyse juridique des institutions ie
l'idée que la connaissance des institutions se confondrait avec celle des textes juridiques qui
les définissent. (cf cours de DC et d’institutions administratives et institutions judiciaires)

b) plus spécifiquement, cela signifie que nous allons analyser :

24
 Comment naissent, évoluent et meurent les institutions politiques ? les institutions
constitutives des régimes démocratiques (parlements, gouvernements, présidents,
partis politiques, etc.)
 comment fonctionnement les IP ?ouvrir la boîte noire des institutions pour étudier in
situ les conditions pratiques d’exercice du pouvoir
 à quoi servent les institutions politiques ? les fonctions et la raison d’être des
institutions
 les effets des institutions (Goodin, 1996). l’approche externe vise à évaluer l’impact
des institutions sur les populations qui y sont soumises.
 étudier (Dulong) la dualité intrinsèque des institutions : les institutions politiques
doivent se comprendre comme un ensemble stabilisé de pratiques situées dans le
champ politique et de croyances relatives à cet univers ; elles sont à la fois un produit
et un moteur de l’activité sociale ; ce sont des structures de coopération et de conflit ;
elles fournissent des ressources aux acteurs tout en limitant leur marge de liberté, etc.

6) méthode d'évaluation

Examen portant sur les théories politologiques des institutions : 60% (10 questions qui
parcourent l'ensemble du cours)

Examen pratique : 40%

Vous vous mettrez par groupe de 5 issus de la même localité (hameau, village, commune,
ville, département) et adoptant la même démarche que Gerti Hesseling, vous identifierez
toutes les institutions politiques de la collectivité et vous les décrirez.

PREMIERE PARTIE : NAISSANCE, VIE ET MORT DES


INSTITUTIONS POLITIQUES

Le titre est un clin d'œil à Maurice Hauriou : "Les institutions naissent, vivent et meurent
juridiquement"
Cette vision biologique de l'institution conduira le politiste à s'intéresser à la suite de Lacroix
et Lagroye, 1992 à quelques séquences : tour à tour :

 d'abord, la séquence initiale, celle des mécanismes de construction de l'institution, à


travers l'étude des processus de codification/formalisation,
 ensuite aux usages, qui traduisent la consolidation/incorporation des règles mais
contribuent aussi à remodeler la figure de l'institution,
 enfin aux processus de redéfinition, qui se déroulent aussi bien dans les «
conjonctures critiques » que dans les conjonctures de stabilisation.

CHAPITRE 1: COMMENT NAISSENT LES INSTITUTIONS


POLITIQUES ? ANALYSE DES PROCESSUS DE CODIFICATION ET
DE FORMALISATION

25
Pourquoi la question de la naissance des IP est-elle importante quand on sait avec Durkheim,
préface à la seconde édition des RMS, 1894 : que « la majeure partie des institutions sociales
nous sont léguées toutes faites par les générations antérieures ; nous n'avons pris aucune part à
leur formation ».

Et avec Dulong, Delphine, Sociologie des institutions politiques. La Découverte, 2012 : que
"comme beaucoup d'autres institutions, celles qui constituent les régimes politiques
contemporains se caractérisent par l'anonymat de leurs origines.

Si cette question est importante, c'est parce que selon Bourdieu "L’institution instituée fait
en effet oublier qu’elle est issue d’une longue série d’actes d’institution et se présente
avec toutes les apparences du naturel. C’est pourquoi il n’est sans doute pas
d’instrument de rupture plus puissant que la reconstruction de sa genèse : en faisant
resurgir les conflits et les confrontations des premiers commencements et, du même
coup, les possibles écartés, elle réactualise la possibilité qu’il en ait été (et qu’il en soit)
autrement et, à travers cette utopie pratique, remet en question le possible qui, entre
tous les autres, s’est trouvé réalisé » (Bourdieu, 1994 : 107).
La question des origines permet de dépasser le formalisme institutionnel (les textes) et de
retrouver le savoir de l'enquête historique. C'est un travail de sociologie (politique) génétique.
Interroger les contextes de production des institutions, c'est en effet se donner les moyens
d'étudier les facteurs aussi bien structurels que conjoncturels qui ont présidé à leur naissance.
C’est donc revenir à un moment où rien n'est figé, où tout est encore possible, et par là même
redécouvrir d'autres possibles, voire certains sens enfouis ; c'est encore — et surtout — être en
mesure d'observer les acteurs engagés dans la définition des institutions, les enjeux
symboliques et pratiques qui les animent, les rapports de force entre eux, ainsi que les
compromis auxquels ils aboutissent. En somme, ce type de questionnement permet de
réintroduire dans l'analyse tout ce qu'il peut y avoir de social et contingent dans des
phénomènes qui se donnent à voir comme intemporels et universels.

Exemple de création d'institutions politiques :


Exemple des premières institutions américaines via Tocqueville
L'institution communale en Amérique
Chez la plupart des nations européennes, l'existence politique a commencé dans les régions
supérieures de la société et s'est communiquée peu à peu, et toujours d'une manière
incomplète, aux diverses parties du corps social.

En Amérique, au contraire, on peut dire que la commune a été organisée avant le comté,
le comté avant l'État, l'État avant l'Union.

Dans la Nouvelle-Angleterre, dès 1650, la commune est complètement et définitivement


constituée. Autour de l'individualité communale viennent se grouper et s'attacher fortement
des intérêts, des passions, des devoirs et des droits. Au sein de la commune on voit régner une
vie politique réelle, active, toute démocratique et républicaine. La commune nomme ses
magistrats de tout genre; elle se taxe; elle répartit et lève l'impôt sur elle-même. Dans la

26
commune de la Nouvelle-Angleterre, la loi de la représentation n'est point admise. C'est sur la
place publique et dans le sein de l'assemblée générale des citoyens que se traitent, comme à
Athènes, les affaires qui touchent à l'intérêt de tous.

Lorsqu'on étudie avec attention les lois qui ont été promulguées durant ce premier âge des
républiques américaines, on est frappé de l'intelligence gouvernementale et des théories
avancées du législateur.

Il est évident qu'il se fait des devoirs de la société envers ses membres une idée plus élevée et
plus complète que les législateurs européens d'alors, et qu'il lui impose des obligations
auxquelles elle échappait encore ailleurs. Dans les États de la Nouvelle-Angleterre, dès
l'origine, le sort des pauvres est assuré ; des mesures sévères sont prises pour l'entretien des
routes, on nomme des fonctionnaires pour les surveiller ; les communes ont des registres
publics où s'inscrivent le résultat des délibérations générales, les décès, les mariages, la
naissance des citoyens ; des greffiers sont préposés à la tenue de ces registres; des officiers
sont chargés d'administrer les successions vacantes, d'autres de surveiller la borne des
héritages; plusieurs ont pour principales fonctions de maintenir la tranquillité publique dans la
commune.
Pour comprendre cette configuration particulière des IP en Amérique (commune, comté,
Etat, Union) et la place première et déterminante de la commune, il faut retourner aux origines
:
Tocqueville :

C'est dans les colonies anglaises du Nord, plus connues sous le nom d'États de la Nouvelle-
Angleterre16, que se sont combinées les deux ou trois idées principales qui aujourd'hui
forment les bases de la théorie sociale des États-Unis.

Les principes de la Nouvelle-Angleterre se sont d'abord répandus dans les États voisins; ils
ont ensuite gagné de proche en proche les plus éloignés, et ont fini, si je puis m'exprimer
ainsi, par pénétrer la confédération entière. Ils exercent maintenant leur influence au-delà de
ses limites, sur tout le monde américain.
La fondation de la Nouvelle-Angleterre a offert un spectacle nouveau; tout y était singulier et
original. (...).

Les émigrants qui vinrent s'établir sur les rivages de la Nouvelle-Angleterre appartenaient
tous aux classes aisées de la mère patrie. Leur réunion sur le sol américain présenta, dès
l'origine, le singulier phénomène d'une société où il ne se trouvait ni grands seigneurs, ni
peuple, et, pour ainsi dire, ni pauvres, ni riches. Il y avait, à proportion gardée, une plus
grande masse de lumières répandue parmi ces hommes que dans le sein d'aucune nation
européenne de nos jours. Tous, sans en excepter peut-être un seul, avaient reçu une éducation
assez avancée, et plusieurs d'entre eux s'étaient fait connaître en Europe par leurs talents et
leurs sciences. Les autres colonies avaient été fondées par des aventuriers sans famille; les
émigrants de la Nouvelle-Angleterre apportaient avec eux d'admirables éléments d'ordre et de
moralité ; ils se rendaient au désert accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants. Mais ce
qui les distinguait surtout de tous les autres, était le but même de leur entreprise. Ce
16
Les États de la Nouvelle-Angleterre sont ceux situés à l'Est de l'Hudson: ils sont aujourd'hui
au nombre de six: 1º le Connecticut; 2º Rhode Island; 3º Massachusetts; 4º Vermont; 5º New
Hampshire; 6º Maine.

27
n'était point la nécessité qui les forçait d'abandonner leur pays; ils y laissaient une position
sociale regrettable et des moyens de vivre assurés; ils ne passaient point non plus dans le
nouveau monde afin d'y améliorer leur situation ou d'y accroître leurs richesses; ils
s'arrachaient aux douceurs de la patrie pour obéir à un besoin purement intellectuel; cri
s'exposant aux misères inévitables de l'exil, ils voulaient faire triompher une idée.

Les émigrants, ou, comme ils s'appelaient si bien eux-mêmes, les pèlerins (pilgrims),
appartenaient à cette secte d'Angleterre à laquelle l'austérité de ses principes avait fait donner
le nom de puritaine. Le puritanisme n'était pas seulement une doctrine religieuse; il se
confondait encore en plusieurs points avec les théories démocratiques et républicaines les plus
absolues. De là lui étaient venus ses plus dangereux adversaires. Persécutés par le
gouvernement de la mère patrie, blessés dans la rigueur de leurs principes par la marche
journalière de la société au sein de laquelle ils vivaient, les puritains cherchèrent une terre si
barbare et si abandonnée du monde, qu'il fût encore permis d'y vivre à sa manière et d'y prier
Dieu en liberté.

Quelques citations feront mieux connaître l'esprit de ces pieux aventuriers que tout ce que
nous pourrions ajouter nous-mêmes.

Nathaniel Morton nous l'historien des premières années de la Nouvelle-Angleterre, entre ainsi
en matière 17: « J'ai toujours cru, dit-il, que c'était un devoir sacré pour nous, dont les pères
ont reçu des gages si nombreux et si mémorables de la bonté divine dans l'établissement de
cette colonie, d'en perpétuer par écrit le souvenir. Ce que nous avons vu et ce qui nous a été
raconté par nos pères, nous devons le faire connaître à nos enfants, afin que les générations à
venir apprennent à louer le Seigneur; afin que la lignée d'Abraham son serviteur et les fils de
Jacob son élu gardent toujours la mémoire des miraculeux ouvrages de Dieu (Psaumes, CV, 5,
6). Il faut qu'ils sachent comment le Seigneur a apporte sa vigne dans le désert ; comment il l'a
plantée et en a écarté les païens; comment il lui a préparé une place, en a enfoncé
profondément les racines et l'a laissée ensuite s'étendre et couvrir au loin la terre (Psaumes,
LXXX, 13, 15); et non seulement cela, mais encore comment il a guidé son peuple vers son
saint tabernacle, et l'a établi sur la montagne de son héritage (Exode, XV, 13). Ces faits
doivent être connus, afin que Dieu en retire l'honneur qui lui est dû, et que quelques rayons de
sa gloire puissent tomber sur les noms vénérables des saints qui lui ont servi d'instruments. »

Il est impossible de lire ce début sans être pénétré malgré soi d'une impression religieuse et
solennelle; il semble qu'on y respire un air d'antiquité et une sorte de parfum biblique.

La conviction nous qui anime l'écrivain relève son langage. Ce n'est plus à vos yeux, comme
aux siens, une petite troupe d'aventuriers allant chercher fortune au-delà des mers; c'est la
semence d'un grand peuple que Dieu vient déposer de ses mains sur une terre prédestinée.

Les émigrants nous étaient au nombre de cent cinquante à peu près, tant hommes que femmes
et enfants. Leur but était de fonder une colonie sur les rives de l'Hudson; mais, après avoir
erré longtemps dans l'Océan, ils furent enfin forcés d'aborder les côtes arides de la Nouvelle-

17
New England's Memorial, p. 14 : Boston, 1826. Voyez aussi l'Histoire de Hutchinson, vol. II, p.
440.

28
Angleterre, au lieu où s'élève aujourd'hui la ville de Plymouth. On montre encore le rocher où
descendirent les pèlerins18.
Il ne faut pas croire que la piété des puritains fût seulement spéculative, ni qu'elle se montrât
étrangère à la marche des choses humaines. Le puritanisme, comme je l'ai dit plus haut, était
presque autant une théorie politique qu'une doctrine religieuse. A peine débarqués sur ce
rivage inhospitalier, que Nathaniel Morton vient de décrire, le premier soin des émigrants est
donc de s'organiser en société. Ils passent immédiatement un acte qui porte19 :

« Nous, dont les noms suivent, qui, pour la gloire de Dieu, le développement de la
foi chrétienne et l'honneur de notre patrie, avons entrepris d'établir la première colonie
sur ces rivages reculés, nous convenons dans ces présentes, par consentement mutuel
et solennel, et devant Dieu, de nous former en corps de société politique, dans le but
de nous gouverner et de travailler à l'accomplissement de nos desseins; et, en vertu de
ce contrat, nous convenons de promulguer des lois, actes, ordonnances, et d'instituer,
selon les besoins, des magistrats auxquels nous promettons soumission et obéissance.»

Ceci se passait en 1620. À partir de cette époque, l'émigration ne s'arrêta plus.

Les colonies anglaises, et ce fut l'une des principales causes de leur prospérité, ont toujours
joui de plus de liberté intérieure et de plus d'indépendance politique que les colonies des
autres peuples ; mais nulle part ce principe de liberté ne fut plus complètement appliqué que
dans les États de la Nouvelle-Angleterre.

+ L'indépendance du Sénégal en 1960 et les premières IP

Gerti Hesseling, p 189 :

"Quelqu'un a t-il des remarques à faire sur l'article 70? Non? Alors je porte l'article 70 aux
voix. L’Assemblée a adopté l'article 70. Je porte maintenant tout le projet aux voix.
L'Assemblée a adopté le projet, debout et par acclamation!"
Tels furent les mots prononcés le 26 Aout 1960 par Lamine Gueye, président de l'AN du
Sénégal, lorsque cette dernière adopta la constitution de la République indépendante du
Sénégal, au cours d'une séance solennelle.

18
Ce rocher est devenu un objet de vénération aux États-Unis. J'en ai vu des fragments
conservés avec soin dans plusieurs villes de l'Union. Ceci ne montre-t-il pas bien clairement que la
puissance et la grandeur de l'homme est tout entière dans son âme? Voici une pierre que les pieds
de quelques misérables touchent un instant, et cette pierre devient célèbre; elle attire les regards
d'un grand peuple; on en vénère les débris, on s'en partage au loin la poussière. Qu'est devenu le
seuil de tant de palais? Qui s'en inquiète ?
19
Les émigrants qui créèrent I'État de Rhode Island en 1638, ceux qui s'établirent à New Haven
en 1637, les premiers habitants du Connecticut en 1639, et les fondateurs de Providence en 1640,
commencèrent également par rédiger un contrat social qui fut soumis à l'approbation de tous les
intéressés. Pitkin's History, pp. 42 et 47.

29
Ismaïla madior Fall in Evolution constitutionnelle du Sénégal, 2009 : "Suite au double
mouvement historique de l'accession à l'indépendance20et du retrait de la Fédération du Mali,
le Sénégal réorganise son régime politique par l'acte juridique fondamental qui s'intitule
expressément "loi n°60-045 AN du 26 Aout 1960- Loi sénégalaise portant révision de la
Constitution de la République du Sénégal". Rédigée par le gouvernement et soumise à la
Commission des lois et de la législation de l'Assemblée Nationale, la loi constitutionnelle a
été votée sans débats. (...).
Les IP de la constitution du 26 aout 1960 sont :
- le président de la république
- Le gouvernement
-l'Assemblée nationale
- l'autorité (le pouvoir) judiciaire

1. La codification
Lacroix et Lagroye, 1992 :

La codification, qu'on ne saurait étudier isolément, est un registre - formellement le plus


légitime - de ce travail de mise en forme; inscription dans l'ordre juridique approprié des
règles et des prescriptions concernant l'institution, elle tend à réduire et à contraindre la
variété de ses significations, à dire de quelle espèce est son identité stable, à établir son rang et
sa place dans un ensemble institutionnel complexe et hiérarchisé; elle met en conformité et
dans l'ordre".

Dulong : Le registre légal joue un rôle central dans ce processus de Codification.


Les institutions politiques démocratiques modernes sont en effet définies dans le langage
particulier du droit, langage à la fois impersonnel et intemporel qui n'explique leur mission et
leur fonctionnement qu'en termes de postes, de pouvoirs et de règles générales. Pas de futur ni
de passé, donc, encore moins de noms de personnes, comme si les institutions politiques
n'étaient que des choses anonymes et sans histoire.

Le droit apporte en effet la « force de sa forme » [Bourdieu, 1986b] à la légitimation des


institutions politiques. Parce qu'il s'agit d'un langage neutre, à la fois anhistorique et
asociologique, le droit offre des règles impersonnelles et générales, universellement valables.
C'est pourquoi les régimes politiques, bien qu'issus de compromis historiques entre les
principales forces politiques en présence (cf. chapitre 2), ne sont généralement pas perçus
comme étant fortuits et reliés à des intérêts catégoriels [Lacroix, 1984]. Le langage juridique
dans lequel sont traduits ces compromis contribue en effet à effacer leur caractère arbitraire en
détachant les positions de pouvoir politique de l'histoire singulière de leurs fondateurs. En
d'autres termes, il les « anonymise ».

20
Loi constitutionnelle n°60-041 du 20 aout 1960 proclamant l'indépendance de la République du Sénégal.

30
Dans son livre sur la naissance de la Ve République, B. François [1996] explique ainsi que
l'institutionnalisation passe par un processus d'anonymisation qui consiste à transformer
l'histoire, avec ses événements fondateurs et ses acteurs singuliers, en droit impersonnel et
général : « Pour que la Constitution naissante ne vaille pas seulement pour les personnes
qu'elle implique directement, (...) il faut qu'elle puisse être objectivée dans une mise en forme,
un système de signes qui accorde aux expériences sédimentées un statut d'anonymat naissant
en les détachant de leur contexte original de biographies individuelles et en les rendant
généralement accessibles à tous ceux qui partagent ou partageront le système de signes en
question". C'est à ce prix, ou par ce biais, que ces "temps nouveaux", dont la Constitution
naissante ouvre la perspective, pourront devenir pertinents pour ceux qui n'ont pas vécu ou
qui n'ont qu'un rapport lointain avec les événements fondateurs. En effet, cette anonymisation
— ce détachement des personnes singulières qui sont l'histoire immédiate des origines [...] —
permet seule l'élargissement de la validité de cette nouvelle Constitution, par
l'universalisation de ses significations, propre à discipliner dorénavant les conduites
originairement les moins liées à son avènement » [François, 1996, p. 90-91].

Exemple : Comment comprendre l'attachement des américains à une constitution qui date de
1787 (18eme siècle) ? :

» La Virginie, en 1786, invita les douze autres États à tenir une « convention »
destinée à établir une constitution fédérale définitive (mai- septembre 1787)
» La constitution américaine de 1787 est célèbre, par la solidité des institutions qu’elle
met en place (c’est la plus ancienne constitution actuellement en vigueur).
» un système bicaméral: deux représentations à assurer, celle des États et celle de la
population. Les États furent représentés au Sénat, et la population à la Chambre des
représentants, où chaque État disposerait d’un nombre de sièges proportionnel au
nombre de ses habitants
» Le gouvernement fédéral est compétent pour la défense et la diplomatie, + le droit de
percevoir l’impôt et de réglementer le commerce, tant entre États qu’entre les États-
Unis et l’étranger. Les États n’ont plus droit de battre monnaie, ni de voter des lois
« portant atteinte aux obligations des contrats ».
» Les citoyens des États sont liés par ces lois et les autorités des États doivent les
appliquer.
» En revanche, dans les autres domaines, les États restent souverains.
» Le Président est élu, pour un mandat de quatre ans renouvelable une fois, selon un
système indirect
Les juges fédéraux sont nommés à vie par le Président, sur avis et avec le consentement du
Sénat. Un sytème de checks and balances (« freins et contrepoids ») permet de limiter le
risque que le Sénat, la Chambre des représentants ou le Président fassent adopter seuls une loi.
En fait, une loi ne peut passer que si ces trois instances sont d’accord.

» Les dix premiers amendements (1791)


» Comme les antifédéralistes redoutaient que l’État ne devienne despotique, cinq États
avaient en effet exigé, avant de ratifier le texte, qu’on ajoutât à la Constitution un
« Bill of Rights » ie une « Déclaration des droits »dans lequel seraient mentionnés
explicitement les droits du peuple qui seraient déclarés « inaliénables » et sur lesquels
la législation de l’État fédéral n’aurait pas le droit d’empiéter.

31
» un bloc de dix amendements fut, en 1791, ajouté à la Constitution.

Bill of rights La « Déclaration des droits »

» Article 1. first amendment: Le Congrès ne fera aucune loi qui touche à l’établissement
ou interdise le libre exercice d’une religion, ni qui restreigne la liberté d’expression,
ou celle de la presse, ou le droit qu’a le peuple de s’assembler paisiblement et
d’adresser des pétitions au gouvernement pour la réparation des torts subis.
» Article 2. Une milice bien ordonnée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, le
droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas restreint.
» Article 3. Aucun soldat ne sera, en temps de paix, logé dans une maison sans le
consentement du propriétaire, ni en temps de guerre, si ce n’est de la manière prescrite
par la loi.
» Article 4. Le droit des citoyens d’être garantis dans leurs personne, domicile, papiers
et effets, contre les perquisitions et saisies déraisonnables ne sera pas violé, et aucun
mandat ne sera délivré, si ce n’est pour un motif plausible, corroboré par un serment
ou une déclaration solennelle, ni sans qu’il décrive précisément le lieu à fouiller et les
personnes ou les choses à saisir.
» Article 5. Nul ne sera mis en jugement pour un crime capital ou autrement infamant si
ce n’est sur déclaration de mise en accusation (presentment) ou acte d’accusation
(indictment) présentés par un grand jury, sauf en cas d’actes commis dans l’armée de
terre ou de mer ou dans la milice, en temps de guerre ou de péril public. Nul ne pourra
pour le même délit être deux fois menacé dans sa vie ou dans sa personne. Nul ne sera
tenu de témoigner contre lui-même dans une affaire criminelle. Nul ne sera privé de
vie, de liberté ou de propriété [La triade lockéenne) sans procédure légale régulière
(without due process of law). Nulle propriété privée ne sera expropriée pour un
usage public sans une juste indemnité.
» Article 6. Dans toutes les poursuites criminelles, l’accusé aura le droit d’être jugé
promptement et publiquement par un jury impartial de l’État et du district où le crime
aura été commis – le district ayant été préalablement délimité par la loi –, d’être
instruit de la nature et de la cause de l’accusation, d’être confronté avec les témoins à
charge, d’exiger par des moyens légaux la comparution de témoins à décharge et
d’être assisté d’un conseil pour sa défense.
» Article 7. Dans les procès de common law où la valeur en litige excédera vingt dollars,
le droit au jugement par jury sera observé, et aucun fait jugé par un jury ne sera
examiné à nouveau dans une cour des États-Unis autrement que selon les règles de la
common law.
» Article 8. Des cautions excessives ne seront pas exigées, ni des amendes excessives
imposées, ni des châtiments cruels et inusités infligés.
» Article 9. L’énumération, dans la Constitution, de certains droits ne sera pas
interprétée comme déniant ou dépréciant les autres droits que le peuple aura gardés
par-devers lui.
» Article 10. Les pouvoirs qui ne sont pas délégués aux États-Unis par la Constitution,
ni refusés par elle aux États, demeurent l’apanage respectif des États, ou du peuple.

2. La formalisation

Lacroix et Lagroye, 1992 :

32
Par le terme de formalisation peut être généralement désigné l'effet des processus établissant
la « figure» de l'institution et conférant du sens aux pratiques qui en relèvent. S'inscrit dans
cet ensemble de processus la multiplicité des discours tenus et des conduites adoptées par un
grand nombre d 'agents dispersés, engagés simultanément dans plusieurs sites d'interaction et
dont les activités font surgir les différents aspects d 'une identité institutionnelle irréductible
au seul discours officiel.

Une fois mise en place, l'institution devient progressivement un corps objectivé de règles, de
savoirs et de savoir-faire, tenu par des logiques sur lesquelles les individus ont d'autant moins
de prise qu'elles sont l'objet d'un incessant travail de légitimation,
Exemple d'un nouveau ministère : Voir article de Meimon sur la naissance du ministère de la
coopération en 1959.

Chevallier, 1996 : Les institutions politiques recouvrent ainsi les phénomènes de tous
ordres (significations, structures relationnelles, formes d'action collectives) qui,
caractérisés par l'impersonnalité et s'inscrivant dans la durée, traduisent un processus
d'objectivation de la vie politique et de normalisation de l'interaction politique.

Dulong : Ce questionnement sur la naissance des IP a débouché sur deux types de travaux très
différents :

a) ceux qui s'intéressent à la genèse des institutions en tant qu'instrument de régulation de la


compétition politique ie que les IP naissent, émergent pour résoudre des problèmes de
coopération entre acteurs
et
b) ceux qui s'intéressent aux changements de régime, ici entendus comme l'« agencement des
instances spécialisées de gouvernement, les caractéristiques de ces instances, le type de
relations qui définit leurs rapports habituels — leur configuration — et qui se donne à voir
sous la forme de schémas institutionnels routinisés, autrement dit une combinaison de règles
de conduites attendues, de hiérarchie de positions, de principe de classement, etc. » [François,
2006].

a. la genèse des institutions en tant qu'instrument de régulation de la compétition


politique
Une première façon d'appréhender l'institution du politique consiste à interroger la
genèse des institutions en tant qu'instrument de régulation de la compétition
politique. Dans cette perspective, largement dominée aux États-Unis par les
théoriciens du choix rationnel,

Rappel Théorie du Choix rationnel


La TCR (rational choice ou public choice) est un courant très influent en sciences
sociales, né de la Public Choice societey, une association scientifique fondée en 1965
aux USA réunissant les chercheurs qui ont développé cette théorie. Celle-ci repose sur
l’idée que l’action publique comme toute action humaine s’explique par des stratégies
d’individus cherchant à maximiser leur intérêt personnel. L’homme serait un être
égoïste, constamment à la recherche d’utilité personnelle. Toute action sociale devrait

33
donc être ramenée à cette motivation originelle : la quête des individus pour bénéficier
au maximum d’une situation donnée.

Ce modèle de l’homo oeconomicus postule que l’action collective (l’action ou la


coopération entre plusieurs individus) est un phénomène plutôt rare. La TCR contraint
ainsi l’analyse à s’interroger en permanence sur la possibilité de l’action collective et à
trouver des explications logiquement cohérentes avec le modèle d’action individuelle
plutôt que de considérer l’action collective comme allant de soi. C’est ainsi par
exemple que Mancur Olson dans son travail classique sur la logique de l’action
collective (1978) arrive à la conclusion que l’existence d’un intérêt commun ne suffit
pas pour expliquer l’avènement d’une mobilisation en vue d’obtenir un bénéfice
commun. En effet d’un point de vue individuel, la stratégie rationnelle consiste à
chercher le ticket gratuit (free riding) ie à attendre que les autres acteurs intéressés se
mobilisent. Ainsi l’avènement d’une mobilisation collective exige outre un intérêt
collectif, l’existence d’incitations individuelles (selective incentives) pour participer à
la mobilisation. Il peut s’agir d’incitations positives (progression dans la carrière pour
les organisateurs de grève) ou d’incitations négatives (sanctions prises à l’égard des
non grévistes).
Dans la perspective de la TCR, les institutions politiques sont alors généralement
présentées comme le produit d'un accord volontairement passé entre des acteurs
cherchant à régler leur coopération au mieux de leurs intérêts respectifs. Les
théoriciens du choix rationnel considèrent en effet que la création des institutions
politiques est une réponse au problème suivant : comment les individus, qui
poursuivent des intérêts contradictoires, peuvent-ils surmonter les inévitables
problèmes de leur action collective pour s'engager dans une coopération bénéfique
pour tous ? Cette dernière, aléatoire et coûteuse lorsqu'il s'agit d'effectuer des
transactions au niveau individuel, serait facilitée au niveau institutionnel pour les
raisons suivantes : « Les pratiques, les arrangements et les structures institutionnels
économisent les coûts de transaction, réduisent l'opportunisme et autres formes de
"dérapages", et par là même renforcent la perspective d'obtenir des gains grâce à la
coopération [...]. Les institutions, en ce sens, s'apparentent à des pactes ex ante sur la
structure de la coopération » [Shepsle, 1986, p. 74].

Pour la TCR, les institutions politiques sont des dispositifs de coordination de l'action :
elles constituent une condition du jeu politique, car elles permettent de fonder un
accord sur les règles, accord sans lequel il ne peut y avoir de jeu. En d'autres termes,
ceux des économistes, les institutions établissent des conventions entre les acteurs
[North et Thomas, 1973 ; Boltanski et Thévenot, 1991] qui leur permettent à la fois de
faire l'économie de la réflexion chaque fois qu'ils doivent agir, d'entrer en relation les
uns avec les autres et donc aussi de développer des échanges. Pour Douglass C. North
et Robert P. Thomas, la stabilité des régimes politiques serait ainsi une clé du
développement économique, et l'absence de cadre institutionnel — ici, au sens large

34
du terme, comprenant les traditions, le droit, etc. — expliquerait les difficultés des
pays en développement.

Yves Schemeil, Introduction à la science politique : "en effet, seule l'institution


garantit que des règles du jeu seront élaborées et respectées. Elle assure l'échange
d'informations sur les intentions, l'identité et les ressources respectives des actives
(fonction de switchboard). Ces deux processus ont de grands avantages. ils limitent les
affrontements ouverts, voire les conflits armés (Robert Keohane). Ils encadrent les
façons de faire de la politique dans des limites acceptables (processus dit de framing)".
Ainsi, les institutions structurent la vie en société en définissant les balises de l’action
socialement acceptable. En raison de leur permanence et de leur stabilité relative, les
institutions imposent des contraintes pouvant être facilement anticipées. Bien qu’elles
restreignent l’action du gouvernement et des autres acteurs politiques, les institutions
ont l’avantage de réduire la possibilité de changements sociaux radicaux et de protéger
la population de l’arbitraire des gouvernants

Cette grille d'analyse a par exemple été appliquée à la genèse de la démocratie dans
l'Angleterre du XVIIe siècle. Comme l'expliquent D. North et B. Weingast [1989], le roi
avait besoin d'argent pour mener ses campagnes militaires, mais avait des difficultés à lever
des fonds. Car, quelles que fussent les promesses qu'il pouvait faire aux bailleurs potentiels,
son pouvoir était tel qu'il pouvait revenir sur ses promesses qui n'étaient de ce fait guère
crédibles. La solution à ce dilemme fut donc de lier les mains du roi en établissant un nouveau
système de gouvernement qui transférait une partie du pouvoir royal au Parlement et à des
institutions judiciaires indépendantes. D'un côté, les élites financières, représentées au
Parlement, pouvaient désormais prêter de l'argent en toute sécurité puisque leurs droits étaient
protégés ; de l'autre, le roi, s'il y perdait en pouvoir, y gagnait en puissance financière et
militaire. Et ce compromis, qui engageait les uns et les autres à la coopération tout en leur
procurant des gains mutuels, fut d'autant plus stable qu'aucune des parties n'avait intérêt à le
rompre.

b) ceux qui s'intéressent aux changements de régime ie que certaines IP naissent lors de
changements de régime
Les régimes politiques ne sont jamais établis une fois pour toutes : certains s'effondrent
subitement, d'autres voient leur fonctionnement évoluer en dehors de toute réforme
constitutionnelle. La fin du XXe siècle a vu par exemple le passage de nombreux régimes
autoritaires vers la démocratie — d'abord en Europe du Sud (dans les années 70), puis en
Amérique latine et plus récemment en Europe de l'Est et en Afrique (années 90). Dans le

35
champ scientifique, cela s'est traduit par le développement d'une nouvelle discipline, la
« transitologie » (Philippe Schmitter), qui a pour ambition première de construire une théorie
générale des transitions démocratiques.
Dans un premier temps, les « transitologues » — comme Guillermo O'Donnel, Philippe C.
Schmitter, Arendt Lijphart, Juan J. Linz ou Giovani Sartori — se sont surtout intéressés aux
conditions du passage à la démocratie. Puis les travaux se sont orientés vers l'analyse des
luttes pour le pouvoir entre divers groupes et factions au sein de l'État.

En s'appuyant sur les travaux de M. Dobry [La sociologie des crises politiques, 1986],
Richard Banégas rappelle ainsi que les crises constituent des périodes critiques (conjonctures
critiques) qui doivent avant tout se comprendre comme des situations de grande fluidité
politique où, sous l'effet de mobilisations multisectorielles, les accords stabilisés entre
groupes sociaux sont invalidés et la relative autonomie des différents secteurs de l'activité
sociale est compromise21.
M. Dobry (1986) conçoit la société comme formée d'une multitude de « secteurs »,
inextricablement enchevêtrés et simultanément plus ou moins autonomes les uns par
rapports aux autres : gouvernés par des logiques spécifiques, qui pèsent sur les acteurs
(captation des calculs sectoriels), ces secteurs sont caractérisés par une configuration
stable de rapports, vécus sur le mode de l'objectivité ; l'autonomie, qu'ils préservent par
le recours à une gamme de technologies institutionnelles, n'exclut
pas l'existence de « transactions collusives » par lesquels ils confortent mutuellement
leur légitimité et qui conduisent à des « formes intersecto- rielles de domination ».
Ce phénomène de désectorisation, qui bouscule les rapports intersectoriels routiniers, crée
tout d'abord une interdépendance élargie entre les acteurs. Tout se passe en effet comme si les
enjeux catégoriels propres à chaque secteur perdaient leur spécificité et s'alignaient
progressivement sur une problématique générale commune à tous les secteurs, i.e. une
problématique politique. « Au Bénin, lorsque les étudiants se mettent en grève en
janvier 1989, occupent le campus d'Abomey-Calavi, c'est d'abord pour réclamer le versement
des arriérés de bourse. Les enseignants, les fonctionnaires et une partie de l'armée les
rejoignent dans la protestation sur le même thème des arriérés de salaires. La mobilisation
devient alors multisectorielle et une dynamique de désectorisation s'enclenche. Rapidement,

21
Dans le même sens, Pour B. Jobert et P. Muller aussi (1987), il faut se
représenter la société comme une « sorte d'enchevêtrement de secteurs », constitués par l'assemblage de rôles
sociaux, qui se chevauchent, se superposent, s'interpénètrent.

36
les revendications et les enjeux matériels se chargent d'un nouveau sens, sont investis par
d'autres acteurs (notamment les évêques, Mgr de Souza en tête, qui diffusent alors une lettre
pastorale appelant au changement de régime) » [Banégas, 1993, p. 7]. C'est donc à un
processus de politisation que l'on assiste en même temps qu'à un processus d'apprentissage
politique où — comme pour la révolution de 1789 — les objectifs et les préférences des
acteurs, loin d'être établis à l'avance, se découvrent par et dans l'action. Et l'on comprend alors
pourquoi l'incertitude est la caractéristique majeure de ces conjonctures fluides : elles ont pour
autre conséquence d'invalider tous les repères sur lesquels l'action s'appuie en temps normal.
En effet, dans un contexte de changement de régime, les acteurs ne savent plus avec certitude
où est le pouvoir, qui fait quoi, ni même les effets des coups qu'ils peuvent jouer. Il n'est pas
jusqu'à la valeur des ressources mobilisables qui ne soit remise en jeu. Par conséquent, aux
luttes matérielles pour la conquête du pouvoir se superpose une lutte symbolique pour
l'imposition d'une définition légitime de la situation [Dobry, 1986]. De sorte que, dans ce type
de contexte, seules certaines saillances situationnelles, comme par exemple les résultats des
élections, peuvent aider à clore les controverses ou du moins à rétablir quelques certitudes
partagées en éclaircissant les rapports de force.

Dans les conjonctures de stabilisation, ie dans les conjonctures de stabilisation, où semble


momentanément conjuré le risque d'une redéfinition radicale, et où la force propre de la
codification paraît s'imposer à tOUS les agents.

Si les phénomènes de désectorisation se déclarent subitement, dans le temps court de la crise,


les mobilisations multisectorielles qui en sont la cause peuvent s'amorcer bien des années
avant d'éclater au grand jour dans la violence des combats politiques. En effet, comme le
montrent les travaux sur l'avènement de la Ve République [François, 1996 ; Dulong, 1997 ;
Gaïti, 1998], le moment constituant peut n'être qu'un temps fort d'un processus qui commence
bien avant le changement officiel de régime et se poursuit après, dans la mesure où ce
processus se joue tout autant dans les structures sociales que dans les structures mentales.

CHAPITRE 2: COMMENT VIVENT ET FONCTIONNENT LES IP ?


ETUDE DES PROCESSUS DE CONSOLIDATION/INCORPORATION
DES REGLES

37
Commençons par rappeler ici un des fondements de l'approche politologique des institutions :
Les institutions ne peuvent exister que par la médiation des individus qui les animent, leur
donnent force agissante et les font évoluer ; à l'inverse, les individus ne peuvent construire
leur identité propre qu'à travers un processus de confrontation aux institutions.

« L’institution peut être considérée comme une forme de « rencontre » dynamique entre ce
qui est institué, sous forme de règles, de modalités d’organisation, de savoirs, etc., et les
investissements (ou engagements) dans une institution, qui seuls la font exister concrètement
» (Lagroye et Offerlé, 2010 : 12).

L'institution n'a « pas d'autre existence concrète que la multiplicité des pratiques auxquelles
s'activent ceux qui, de leur propre mouvement, la font vivre » [Lagroye, 2002, p. 117],

Olivier Nay22: La démarche la plus naturelle consiste à étudier les institutions à travers leurs
formes instituées, c’est-à-dire tout ce qui contribue à entretenir les conditions de production
de la légitimité institutionnelle et des pratiques qui lui sont liées : les gardiens de l’institution.

Analyser la vie d'une institution, c'est donc étudier son fonctionnement, ie les manières
concrètes dont les agents travaillent, échangent, coopèrent, décident et résolvent les
problèmes rencontrés. C'est regarder comment sont produits les routines, les savoir-faire et les
savoirs, mais aussi les « inventions»
Etudier une institution c''est pratiquer l’observation systématique des usages, des
comportements et des représentations des acteurs qui habitent et qui interagissent avec cette
institution.
Gaiti : étudier une institution vivre, c'est dépasser la façade formelle, légale, officielle des
organisations, et mener une enquête empirique qui se propose d’en découvrir le
fonctionnement réel, de mettre au jour le poids de l’informel, des relations interpersonnelles,
des réseaux, des « arrangements » ou encore des jeux avec les rôles et les règlements".

8 différentes dimensions du fonctionnement de l'institution peuvent être


mises en exergue :

1) La force de l'institué ie la stabilisation de ses usages légitimes

Olivier Nay :
Il s’agit de comprendre les processus complexes, qui concourent à la formation et à la
stabilisation des formes institutionnalisées ie : les dispositifs d’énonciation des règles et des
normes collectives, les représentations et les symboles partagés, les mécanismes de rappel à
l’ordre, les modèles de comportements dominants (les rôles), les procédures et les routines,
etc.
C’est aussi travailler sur l’ordre institutionnel, sur la consolidation et la reproduction des
institutions, sur les phénomènes de convergence et de mimétisme entre institutions, sur la
diffusion (dans l’espace) et la transmission (dans le temps) des normes institutionnelles, bref
sur la force de l’institué.

22
In « Débat en forme de conclusion et d’ouverture, Perspectives de la sociologie des institutions », in Lagroye
et Offerlé, Sociologie des institutions, 2010.

38
2) La socialisation à l'institution : Rôles et prescriptions de rôles
À la fois « produit des pratiques et moteur des conduites » [Gaïti, 2006], l'institution pose dès
lors la question des mécanismes par lesquels l'acteur est socialisé à l'institution. La
socialisation – ce processus fondamental qui fait tenir ensemble les entités sociales tels les
groupes professionnels –, est un processus de construction identitaire au long cours.

La socialisation - ce par quoi on nous apprend à faire société, à être membre d'un groupe,
d'une I- dans l'institution passe par, à travers les rôles et les prescriptions de rôles.

La notion de « rôle » est intéressante: l’appartenance à une institution (une administration,


l’université, un parti, l’Église, l’armée, etc.) est constitutive des rôles légués par cette
institution ; la « prise de rôle » indique l’entrée dans l’institution ;
La notion de rôle redéfinie par Jacques Lagroye comme l'« ensemble des comportements qui
sont liés à la position qu'on occupe et qui permettent de faire exister cette position, de la
consolider, et surtout de la rendre sensible aux autres » [Lagroye, 1997, p. 8]. Ainsi conçue, la
notion de rôle permet de saisir l'expérience sociale des acteurs qui occupent une position
institutionnelle.

Selon Dulong, les prescriptions de rôle sont les représentations collectives sur la bonne
manière d'occuper telle ou telle position. On pourrait penser que ces représentations
collectives sont relativement anodines et ne méritent guère l'attention de la sociologie
politique. Mais elles sont en réalité grosses d'enjeux sociopolitiques. Car ces représentations
collectives sur la bonne manière d'occuper telle ou telle position ne disent pas seulement
comment on doit le faire ; simultanément, elles déterminent tout autant que les règles de droit
qui peut légitimement l'occuper.
Les prescriptions du rôle agissent ainsi comme des règles tacites qui indiquent les propriétés
sociales nécessaires pour exercer telle ou telle autre fonction politique. Loin d'être
déconnectées des rapports sociaux, elles discriminent en cela certaines catégories d'acteurs et
en avantagent d'autres.
En Suisse, par exemple, un « bon » conseiller fédéral doit faire preuve de « modération », de
« pragmatisme » et d'« indépendance vis-à-vis des instances partisanes » [Mazzoleni et
Rayner, 2008]. Ce rôle s'apparente donc moins à celui d'un ministre français qu'à celui d'un
« sage » ou d'un « magistrat », car si le Conseil fédéral est l'organe du pouvoir exécutif en
Suisse, il est aussi perçu comme le « garant de l'unité des diversités ».
Les féministes le dénoncent d'ailleurs depuis longtemps en s'efforçant de sensibiliser l'opinion
publique au fait que les institutions politiques, théoriquement universelles, enferment en
réalité des ressources « masculines » qui handicapent les femmes en politique. Elles
requièrent en effet la maîtrise de savoir-faire et savoir-être — savoir s'imposer dans des
rapports de force, prendre la parole en public, retenir ses émotions, etc. — auxquels les

39
hommes sont mieux préparés que les femmes par leur socialisation primaire [Achin, 2005b ;
Dulong et Matonti, 2007].
L'une des principales raisons pour lesquelles la sociologie gagne à étudier les institutions
politiques est sans doute là. Cet objet permet en effet de montrer que les procédures officielles
de dévolution du pouvoir — élection, nomination, cooptation — ne sont pas les seules
conditions d'exercice légitime du pouvoir politique. Elles ne sont que des conditions
formelles. En plus des soutiens qu'il faut mobiliser à l'extérieur comme à l'intérieur du champ
politique, il faut aussi posséder certaines « qualités » ou « attributs sociaux » socialement
reconnus comme nécessaires pour incarner l'institution. Ce type de normes ne sont cependant
verbalisées que dans des circonstances exceptionnelles car les mettre au jour, c'est dévoiler la
part d'arbitraire que comportent les institutions politiques du fait de leur relation de
dépendance avec l'ordre social.
3) la non conformation au rôle
Mais L’intérêt pour l’histoire singulière des acteurs dans l’institution a incité ces mêmes
chercheurs à ne pas étudier simplement les attitudes de conformation ou d’ajustement à
l’institué, mais aussi à scruter les multiples « tensions » existant dans l’ordre institutionnel.
De nombreuses études – à commencer par celle de Jacques Lagroye sur l’Église catholique –
s’attachent ainsi à montrer les résistances, les réticences, les désajustements, les incertitudes,
les distorsions, les défections, les contestations, les déviances, les pratiques subversives dans
l’institution. Elles nous renseignent sur les tensions qu’exercent les prescriptions
institutionnelles sur les individus dont le parcours antérieur ne les prédispose pas à la prise de
rôle ou à la docilité. Elles nous renseignent également sur l’importance des luttes entre les «
gardiens de l’institution » et ceux qui ont intérêt à les faire évoluer, entre ceux qui en jouissent
et ceux qui en pâtissent, entre insiders et outsiders, entre les acteurs « centraux » et tous ceux
qui sont « à la lisière » de l’institution (marginaux-sécants, passeurs, intermédiaires…), qui
sont en position de faiblesse (précaires, dominés, subalternes, minoritaires, bizuts…), ou
encore qui aspirent à prendre le contrôle des positions dirigeantes dans l’institution
(prétendants, rivaux, adversaires…).

4) L’incorporation et la consolidation des institutions


Nay: On peut ajouter une autre singularité de la sociologie de l’institution : son attention à
accorder une place majeure aux processus d’intériorisation des institutions par les
individus, c’est-à-dire aux formes d’appropriation des normes, des rôles et des usages
institutionnels (processus de subjectivation des formes instituées du jeu politique).
L'institutionnalisation se mesure notamment à l'« emprise » qu'à la règle institutionnelle sur
les acteurs. 5.1.1. L’expérience Milgram et la soumission individuelle à l’autorité

« A une très grande majorité, les gens font ce qu’on leur dit de faire dès que l’ordre leur paraît
émaner d’une autorité légitime » (Milgram, 1974)

40
Lacroix & Lagroye, 1992 : incorporation qu'il faut chercher non seulement dans les pratiques
gestuelles et discursives de ceux qui « incarnent» l'institution, mais aussi dans les attitudes et
les comportements de ceux qui, sommés de montrer leur déférence, expriment corporellement
la distance qui sied à ses représentants officiels, disent ainsi quel est son rang, et manifestent
concrètement sa « nécessité » sociale".
Toutes les institutions sont en effet équipées d'un stock de connaissances sur ce qu'il convient
de faire ou de ne pas faire, de dire ou de ne pas dire lorsqu'on les incarne. Ces prescriptions
de rôle agissent simultanément comme ressource (habilitations) et contrainte pour
l'acteur. Comme ressources elles aident celui qui endosse pour la première fois un rôle à
s'orienter dans l'univers des pratiques relatives à sa position. Mais, d'un autre côté, ces
représentations collectives du rôle lui interdisent toute une série d'actions. En effet,
l'institution impose à ses représentants un certain type de comportements et les rôles qu'elle
prescrit seront progressivement intériorisés.

Un nouveau président de la République, par exemple, sait à peu près ce qu'il doit faire et dire
lors d'une revue militaire bien que ne l'ayant jamais fait auparavant. Il sait comment s'adresser
à la presse, recevoir un chef d'État étranger, etc. Mais il sait aussi qu'il ne peut descendre dans
la rue manifester comme n'importe quel autre citoyen ; pas plus qu'il ne peut faire de blagues
salaces en public, ni se coiffer d'une perruque comme le font en revanche certains magistrats.
Car ce n'est pas ce que l'« on » attend d'un président de la République. De tels comportements
seraient considérés comme indignes de la fonction présidentielle et, parce qu'ils pourraient la
dévaloriser ou parce qu'ils seraient décalés par rapport à la représentation que l'on en a, ils
discréditeraient toute personne qui, agissant ainsi, ne jouerait pas son rôle.
L'« emprise » de l'institution

En janvier 1879, Léon Gambetta accède à la présidence de la Chambre des députés et, du jour
au lendemain, son comportement change radicalement. Dès son entrée en fonction, cet ancien
révolutionnaire abandonne en effet ses habitudes en adoptant notamment une toilette soignée
conforme à la coutume — à cette époque, le président vient en jaquette aux séances, muni
d'un chapeau dont il peut se coiffer en cas d'incident grave pour signifier la fin de la séance. Il
engage par ailleurs des dépenses somptuaires pour l'institution et la publicité des séances où il
fait régner l'ordre de main de maître, en faisant expulser au besoin les parlementaires les plus
agités. Sa nouvelle charge ne modifie pas seulement son comportement public, mais affecte
aussi ses relations privées : ayant décidé de résider à l'hôtel de Lassay qu'il fait rénover dès
son élection, il oblige désormais ses amis à lui demander audience pour lui parler. Nombreux
sont les exemples qui attestent de la même manière que les institutions peuvent avoir une
certaine emprise sur ceux qui les incarnent. Mais si ce type de phénomène institutionnel est
généralement admis par la communauté scientifique, son importance comme ses ressorts
continuent de la diviser.

Toutes les institutions secrètent de la même manière de « qualités sectoriellement reconnues


et de codes de conduite informels, tels que l'honnêteté et la compétitivité dans le monde des

41
affaires, la neutralité impersonnelle dans l'univers bureaucratique, la probité en politique, la
confiance et l'affection dans la famille [...], la rigueur et la probité dans les institutions
académiques. Aucune institution ne peut fonctionner si ces codes de conduites informels
et les ethos (ensemble de valeurs qui guident la conduite) qui leur correspondent ne sont
pas observés » [Offe, 2006, p. 16].

L&L, 1992 : L'incorporation des règles et des compétences faisant exister concrètement
l'institution apparaît alors comme une dimension essentielle du travail de consolidation.
La consolidation de l'I, c'est la sédimentation de prescriptions, de pratiques, de savoirs
et de croyances qui dessine les formes de l'institution autant dans les conjonctures
critiques que dans les conjonctures de stabilisation. Mais chaque nouvel apport, loin de
s'ajouter simplement aux précédents, modifie aussi leur structure et leur poids, brise
l'ordonnance de leur ajustement, remet partiellement en question les définitions qu'ils
avaient consacrées".

L’institutionnalisation entraine donc une routinisation des pratiques.

Un concept central dans ce travail de socialisation à l'institution est celui d'habitus.

Bourdieu, "habitus, codes et codifications" : l'habitus est ce qui fait que les agents qui en sont
dotés se comporteront d'une certaine manière dans certaines circonstances.

L'habitus, qui résulte de la socialisation et fonctionne comme un ensemble de dispositions


durables et transposables, est de fait « ce qui permet d'habiter les institutions, de se les
approprier pratiquement, et par là de les maintenir en activité, en vie, en vigueur, de les
arracher continûment à l'état de lettre morte, de langue morte, de faire revivre le sens qui s'y
trouve déposé, mais en leur imposant les révisions et les transformations qui sont la
contrepartie et la condition de la réactivation » [Bourdieu, 1980, p. 96]. C'est pourquoi
« l'utilisation du concept de rôle ne doit pas conduire à mettre en relief le caractère "donné"
des rôles et, par là, à exprimer le dualisme action/structure qui caractérise tant de perspectives
en théorie sociale » [Giddens, 1987, p. 136]. La relation acteur/institution, en effet, n'est pas
univoque : ressource et contrainte à la fois, l'institution façonne l'acteur, lequel en retour la
fait et la défait en permanence dans une mesure qui doit être appréciée à chaque fois.

5) les rites de rénovation


Toutes les institutions (politiques, religieuses) vivent avec le risque de l'érosion progressive
des soutiens, lequel n'est écarté qu'au prix d'une remotivation régulière via le rite et la
croyance [Héran, 1987]. Les spectacles organisés par les rois de France [Apostolidès, 1981],
les voyages des chefs d'État [Mariot, 2006 ; Dereymezet al., 1998], les fêtes républicaines
[Ihl, 1996] ici la fête de l'indépendance, fete nationale, les élections [Déloye et Ihl, 2008] et
plus largement tous les actes de théâtralisation par lesquels les institutions se donnent en
spectacle (présentation des vœux, cérémonie de remise de médailles etc.) constituent ainsi une
forme élémentaire de la légitimation [Lagroye, 1985]. Ce sont des rites de renovation par

42
lesquels les institutions politiques renouent avec l'ordre social, avec ses principes de
classement et ses finalités affichées.

Pour les religions : les pèlerinages, gamou, magals, prières du vendredi et du dimanche.

6) La sociologie des institutions est une sociologie des professions

Jean-Michel Eymeri-Douzans23 :
Il est intéressant de souligner que certains travaux de sociologie des institutions puisent
beaucoup de leurs questionnements de recherche quant à la dynamique des groupes,
groupements et corps qui peuplent et portent les institutions, dans une lecture des travaux
américains de sociologie des professions.
Dans cette perspective, la notion de « carrière », dont on observe l’usage croissant en
sociologie politique française ces dernières années, est fondamentale : l’on sait qu’elle
s’entend à la fois comme la trajectoire socioprofessionnelle objective des individus en termes
de postes et de positions successivement occupés, et comme un parcours de socialisation-
resocialisation continuée au fil des institutions et rôles institutionnels que la vie leur fait
connaître.
La sociologie des professions met aussi au cœur de son analyse la question du pouvoir. Les
professions constituées (hauts fonctionnaires ou subalternes, street level bureaucrats,
administrateurs civils, inspecteurs d'Etat, etc.) y sont appréhendées comme des groupes
sociaux à fondement statutaire, mobilisés dans une forme d’action collective tendant à
reproduire sous la forme d’un privilège d’état une clôture sociale et culturelle qui leur assure
le contrôle d’un marché du travail particulier, à la fois prestigieux, bien rémunérateur, et
donateur d’influence et d’autorité. C’est la démarche d’Eliot Freidson (en particulier dans
Professional Powers, publié en 1986) que j’ai par exemple beaucoup utilisé dans ma
sociologie des Gardiens de l’État en France : il s’attache, d’une façon qui n’est pas sans
rappeler les réflexions de Michel Foucault sur les « dispositifs de savoir-pouvoir », à rendre
raison de l’institutionnalisation des corpus de savoirs formels (body of formal knowledge)
qui, transformés en « instruments de pouvoir diffus », tant à l’intérieur de la profession que
dans ses rapports avec la clientèle et les pouvoirs publics, constituent son socle de
légitimation.

les gardiens de l'Etat. Thèse de Jean-Michel Eymeri-Douzans : Cette thèse porte sur les
administrateurs civils issus de l'ENA, ces "énarques de ministère" jusqu'à présent si peu
étudiés. Au carrefour de la théorie des élites, de la sociologie des professions, de la science
administrative, de l'analyse de la décision et des politiques publiques, cette étude fondée sur
un triple travail statistique, de longs entretiens semi-directifs et d'observation ethnographique,
est divisée en cinq vastes chapitres : le premier s'intéresse a la sociogénèse des énarques avant
l'ENA, en terme d'origine sociale comme de socialisation scolaire. Le deuxième restitue le
double processus de conformation et de classement par lequel l'ENA crée une
homogénéisation culturelle mais une différenciation corporative et sociale entre les
énarques. Le troisième, démontrant les dynamiques très variées de carrière, et portant un
regard neuf sur les questions du pantouflage et de la politisation, établit que les
administrateurs civils ne forment pas vraiment un corps. Le chapitre IV, étudiant les taches et
métiers des énarques de centrale, s'attache à cerner les "cultures institutionnelles" propres à
chaque ministère, à chaque direction et/mais à souligner l'existence d'une "culture de

23
Chapitre 12 " Débat en forme de conclusion et d’ouverture".

43
l'Etat" qui est largement la "culture d'Etat" des anciens élèves de l'ENA et dont ils sont
les gardiens et les champions face aux autres partenaires de l'action publique. Le dernier
chapitre, "les administrateurs et le pouvoir", par l'étude détaillée de leur rôle collectif dans la
fabrication des décisions, cerne au plus près la nature et les limites de leur pouvoir dans les
procès de gouvernement de notre société. Il dessine au final la figure ambivalente de
serviteurs-ministres.

7) les échanges interinstitutionnels

Nay: On peut aisément considérer les systèmes politiques contemporains comme un


enchevêtrement d’univers institutionnels imbriqués les uns dans les autres. Les
interdépendances horizontales ou verticales entre des sphères d’activités et des organisations
variées (ministères, assemblées parlementaires, collectivités territoriales, administrations,
partis politiques, groupes d’intérêts, syndicats, acteurs économiques, acteurs associatifs,
groupes de médias, organisations internationales, mouvements religieux, etc.) génèrent des
échanges continus, qui se consolident par des arrangements plus ou moins durables. Ces
échanges n’ont pas pour seul effet de concourir à la formation de « réseaux interinstitutionnels
» ; ils contribuent à la construction des règles du jeu, des savoirs, des rôles et des idées
légitimes au sein même de chaque institution.
Les relations interministérielles au sein d’un gouvernement, par exemple, contribuent à la
redéfinition constante des ressources, des « périmètres d’intervention » et des pratiques
administratives au sein de chaque ministère. De même, la coproduction des politiques
publiques associant un grand nombre d’acteurs publics et privés issus de différents univers
institutionnels, contribue à construire des routines, des savoir-faire spécifiques et des règles,
au sein même de chaque univers. Cette perspective nous invite tout particulièrement à nous
intéresser aux acteurs qui, par leurs activités, leurs attentes et leurs intérêts, contribuent à la
consolidation des relations.

8) l’étude des « clientèles », des usagers ou des récipiendaires des institutions

Une première possibilité est de travailler sur tous les acteurs qui, bien qu’étant à l’extérieur de
l’institution, entretiennent des liens durables avec elle. On peut ainsi entreprendre l’étude des
« clientèles », des usagers ou des récipiendaires des institutions, en particulier lorsque ces
dernières sont des organisations pourvoyeuses de ressources. Par exemple, travailler sur des
institutions internationales mettant en œuvre des politiques de développement suppose de
prendre en compte les pratiques des destinataires de l’aide, notamment les relais dans les
administrations nationales, les acteurs politiques et les représentants des groupes et des
communautés impliquées dans les projets sur le terrain. On devrait également orienter
systématiquement l’analyse vers les partenaires institutionnels dont les activités sont
susceptibles d’influer sur le travail et les règles dans l’institution. La sociologie des
organisations a bien montré, à cet égard, comment certains segments de l’administration
centrale parvenaient à se consolider et à renforcer leur autonomie en développant des liens
durables avec des acteurs importants dans leur environnement (organisations professionnelles,
groupes d’intérêts, entreprises privées, réseaux associatifs). Cette problématique, finalement
assez classique en sociologie de l’administration, mériterait d’être appliquée à d’autres types
d’institutions, par exemple aux organisations internationales ou aux parlements nationaux (les
cas du Congrès américain et du Parlement européen sont assez bien étudiés en ce sens).

44
CHAPITRE 3 : MORT, TRANSFORMATION OU PROCESSUS DE
REDEFINITION DE L'INSTITUTION

« Les institutions naissent, vivent et meurent juridiquement ; elles naissent par


des opérations de fondation qui leur fournissent leur fondement juridique en se
continuant ; elles vivent d'une vie à la fois objective et subjective, grâce à des
opérations juridiques de gouvernement et d'administration répétées, et,
d'ailleurs, liées par des procédures ; enfin, elles meurent par des opérations
juridiques de dissolution ou d'abrogation. Ainsi, elles occupent juridiquement la
durée et leur chaîne solide se croise avec la trame plus légère des relations
juridiques passagères ».

Lacroix et Lagroye, 1992 : l'institution n'a pas cette belle permanence dont nous sommes
spontanément portés à lui faire crédit. Sans même évoquer sa vulnérabilité (songeons à toutes
les conjonctures qui se soldent par la naissance de nouveaux régimes).

Gerti Hesseling, Histoire politique du Sénégal, p 152 : La 2eme guerre mondiale eut de
profondes répercussions au Sénégal. Lorsque la France capitula en juin 1940, les colonies se
trouvèrent devant un choix difficile : Pétain ou de Gaulle, la collaboration ou la résistance.
Dans les colonies, la décision fut en fait un choix personnel du gouverneur-général de
chacune des fédérations de l'AOF et de l'AEF. La population fut tenue à l'écart, même au
Sénégal, seule colonie dotée d'un organe représentatif. Le régime de Vichy avait
immédiatement supprimé toutes les institutions représentatives (le Conseil colonial, les
conseils municipaux et la représentation à l'Assemblée nationale française).
Pour les transitions, la mort des partis uniques.

Sylvie Grandguillaume, « La mort d'une institution », La Revue administrative,


54e Année, No. 321 (MAI JUIN 2001), pp. 252-254

Sylvaine Lauler, « Pour une réflexion sur la mort des institutions administratives »,
La Revue administrative, 57e Année, No. 341 (SEPTEMBRE 2004), pp. 376-379

CHAPITRE 4 : synthèse - A quoi servent les institutions ?

Il convient de tenir à distance toute vision normative des institutions politiques car ces
dernières ne sont ni bonnes ni mauvaises : ce sont des structures de coopération au sein
desquelles la répartition asymétrique du pouvoir entre les groupes sociaux est en permanence
un enjeu de luttes.

La sociologie politique des institutions ne doit pas conduire à une explication téléologique des
institutions où ces dernières seraient réduites aux seules fonctions pour lesquelles elles ont été
créées. Ce type d'explication est en effet inconciliable avec le credo fondateur de l'analyse

45
institutionnelle selon lequel institutions do matter. Si les institutions peuvent être considérées
comme des variables importantes et non comme des paramètres secondaires, c'est en raison de
leur capacité à s'autonomiser de leurs fondateurs.

 fonction d’ordonnancement du monde


- Dulong : Dans leur très grande majorité, les chercheurs conçoivent avant tout les
institutions comme des facteurs d'ordre qui stabilisent les interactions politiques,
coordonnent l'action des acteurs, régulent les rapports sociaux, contribuent à
l'intégration des secteurs de l'activité sociale, etc. Ainsi les institutions sont pensées
comme des choses « utiles » qui ont des « fonctions », et pas n'importe lesquelles :
sortir de l'état de nature, fonder le contrat social, pacifier les relations sociales, etc.
Ainsi classées du côté de ce qui est « solide », « nécessaire », « harmonieux », etc.,
« les institutions politiques contribuent alors à faire en sorte que la contrainte, la
hiérarchie, le pouvoir oppressif prennent la forme de la raison objective » [Lagroye,
1985].

 Fonction de coordination de l’action

De fait, un certain nombre de chercheurs considèrent que la raison d'être des


institutions politiques « est de rendre possibles un échange mutuellement bénéfique et
la coopération » [Weingast, 2002, p. 670]. Elles réduisent l'incertitude dans les
échanges entre les acteurs (individuels ou collectifs), abaissent du même coup les
coûts de transaction et augmentent l'attractivité des échanges [North, 1991]. En
d'autres termes, ce sont des structures de coopération qui conditionnent l'existence
même du jeu politique dans la mesure où elles servent de point de coordination de
l'action politique.

 Fonction informationnelle et cognitive (les IP fournissent des ressources et de


l’information)

-Dulong, 2012 : les institutions orientent la compétition politique en fournissant aux


acteurs un certain nombre d'informations essentielles à leur activité. En tant que
typifications partagées, elles constituent en effet un stock de connaissances publiques
— i.e. accessibles à tous — sur l'espace des activités politiques. À l'instar des
Constitutions qui les définissent en droit, elles peuvent en cela être comparées à des
sortes de « pense-bêtes » [Lacroix, 1984] qui rappellent ce qu'il est possible de faire,
de dire et même de penser dans telle ou telle situation.

46
DEUXIEME PARTIE : L’INSTITUTION ETATIQUE : UNE META-
INSTITUTION OU UNE « INSTITUTION D'INSTITUTIONS »24 ?

Max Weber (1864-1920) Economiste et sociologue allemand. Reconnu avec Durkheim


comme un des fondateurs de la sociologie, Max Weber fut, un profond analyste de la
modernité, qui voyait dans la tendance croissante à la rationalisation une caractéristique
spécifique du développement de la civilisation occidentale. Définition de l’Etat selon Weber :
« entreprise politique de caractère institutionnel lorsque et tant que sa direction
administrative revendique avec succès dans l’application des règlements, le monopole de la
contrainte physique légitime. »
Etat ie un pouvoir politique institutionnalisé qui, selon la formule de M. Weber, revendique
avec succès le monopole de la violence physique légitime définie par une population, un
territoire, des activités de production, des activités de communication et un ensemble de
règles sociales,

Olivier Beaud : « En effet, on ne peut pas simplement définir l'État comme une entité
géopolitique délimitée par des frontières territoriales, à l'intérieur desquelles des lois
s'appliquent et des institutions exercent l'autorité. Nous tenterons donc de montrer que la
notion d'État, spécifiquement juridique, est à la fois plus riche et plus complexe. Au préalable,
il convient de souligner que l'État est aussi et d'abord un produit historique ». Etat,
encyclopédie universalis

Il existe plusieurs perspectives pour étudier l’Etat : une perspective juridique, sociologique, il
y a une analyse fonctionnaliste qui étudie l'Etat à partir de ce qu'il fait, ou ceux pour qui il le
fait (Analyse des Politiques publiques dont le crédo est l’analyse de l’Etat au concret). La SP
des Institutions (Bourdieu) cherche à comprendre ce qu'est l'Etat en tant qu'institution
instituée, autrement dit comment l'Etat s'est constitué historiquement comme Etat, c'est-à-dire
comme lieu de concentration et de monopolisation de l'ensemble des ressources de sens sur le
monde social, comment il fonctionne et comment il se transforme.

Pour cela, il faut se livrer à une véritable sociogenèse25, ou sociologie génétique de l'Etat, afin
de mettre à jour les principes qui ont contribué à sa constitution. Faire une sociologie
génétique permet de repérer comment ce qui va de soi aujourd'hui (l’assemblée nationale, les
corps constitués, l’ensemble des institutions étatiques), s'est constitué historiquement comme
allant de soi.

Cette approche génétique permet de mettre au jour tout d’abord que l’Etat est :

- une méta-institution ie quelque chose qui existe à un niveau dépassant celui des
institutions que nous avons étudiées jusqu’ici. Cette méta-institution est une

24
Pour Michel Troper, "la Constitution est une méta-régle qui organise la production d'autres régles" in Pour
une théorie juridique de l'Etat, Paris, Puf, 1992.
25
Sociogenèse, subst. fém. Genèse sur le plan sociologique. Si l'on pouvait reconstituer dans le détail la
sociogenèse d'un certain nombre de « représentations collectives » (Traité sociol., 1968, p. 236).
e
Sociogénétique, adj. Relatif à la sociogenèse. (Dict. XX s.).

47
Institution dont les composantes sont d’autres institutions / ensemble complexe et
articulé d'institutions (alors que les composantes des institutions « simples » sont
des organes mis en place pour lui permettre d'agir).

Dans la théorie de Hauriou, on retrouve toutes ces caractéristiques essentielles dans l'Etat, qui
n'est lui-même qu'une institution mais une institution spécifique :
- idée d’œuvre : l'État naît d'un vouloir-vivre collectif,

- la mise sur pied d'organes destinés à la réaliser ou le pouvoir de gouvernement


organisé : ce sont les IP, administratives et judicaires, militaires.
- l'assentiment de ceux qu'elle englobe : la personnification est atteinte au stade du
gouvernement représentatif. C’est pourquoi on parle d’Etat-nations26
On retrouve toutes ces caractéristiques essentielles dans l'Etat : cependant, cette institution
n'en présente pas moins des spécificités, qui lui donnent une place « éminente » ; ayant
imposé sa domination, l'Etat est devenu « l'institution primaire », qui englobe et dépasse
toutes les autres27 ou « le premier degré de l'échelle des institutions » (Georges Renard28).
L'État lui aussi est en effet une institution, Hauriou nous dit qu'il est une « institution
d'institution».

- Cette perspective change le point de vue sur le droit constitutionnel : la


constitution apparaît comme le « statut organique » de l'Etat, l'acte par lequel l'Etat
est fondé en tant qu'institution ou l’acte par lequel le pouvoir politique est
institutionnalisé; l'Etat a en effet besoin du droit, qui lui donne une existence
propre et définit ses équilibres internes. Texte juridique suprême, la constitution
fixe à la fois l'aménagement du pouvoir au sein de l'Etat (règles organiques) et les
normes fondamentales auxquelles ils sont tenus de se conformer (règles
substantielles). Cette juridicisation va au-delà des institutions étatiques pour
s'étendre à l'ensemble des institutions politiques, et notamment aux partis qui, non
seulement, comme le souligne Pierre AVRIL, sont marqués par leur « matrice
institutionnelle », mais sont eux-mêmes producteurs d'un ordre juridique interne.
On ne peut donc aborder la question des institutions politiques sans prendre en
compte cette juridicisation : la réalité politique est une réalité juridiquement
constituée, une réalité encadrée, régie et codifiée par le droit, une réalité que le
passage par le droit contribue à objectiver ; et la déconstruction de ces processus
d'objectivation suppose la prise en compte de la « force contraignante du droit ».
Sans doute, le degré de juridicisation des institutions est-il variable : l'institution ne
se réduit pas au droit ; l'ordre institutionnel passe encore par un ensemble de
traditions et de représentations, consolidées par l'observation du rituels et
réactivées par le recours à des opérateurs idéologiques. Il reste que le droit n'en est
pas moins un élément constitutif de l'institution.

26
Parler d’intégration ou d’appartenance signifie simplement que la majorité des gens savent, pensent ou «
croient » qu’ils « appartiennent » à une même entité sociale qu’ils considèrent en même temps comme la « leur
».
27
Voir J.A. MAZERES, « La théorie de l'institution chez Maurice Hauriou ou l'oscillation entre l'instituant et
l'institué », Mélanges Mourgeon, Bruylant, 1998, pp. 239 sq
28
Juriste. - Professeur de droit public à l'Université de Nancy et disciple de Maurice Hauriou (1856-1929).

48
CHAPITRE 5: SOCIOGENESE DE L'ETAT MODERNE OU LES
APPROCHES SOCIO-HISTORIQUES DE L’ETAT

A.L’État moderne : une construction historique issue de la féodalité

Etat moderne s’oppose à Etat féodal et se construit entre le XIe et le XVIIe.

Place considérable des travaux de Norbert Elias dans la sociogenèse de l’Etat moderne
occidental. C’est donc en exil, à la bibliothèque du British Museum, qu’il rédige son œuvre
majeure, Über den Prozess der Zivilisation, qui sera bien après traduite en français sous la
forme de deux livres séparés : La Civilisation des mœurs et La Dynamique de l’Occident.
Publié chez un éditeur suisse en 1939.

Norbert Elias et la loi du monopole

Florence Delmotte29: L’État et la nation dans le processus de civilisation :


interdépendance et intégration

Dans La Dynamique de l’Occident, Elias considère l'Etat moderne comme le produit d’un
processus social aveugle et non planifié, ie qui n'a ni début, ni fin, ni but. La sociogenèse
décrite par Norbert ELIAS n’est pas un processus conscient ; « la France est le résultat d´une
série de combats d´élimination, de la formation automatique de réseaux d´interdépendances et
non d´une vision prophétique de l´avenir »30.

Quels sont ces processus qui mènent à l'émergence de l'Etat ? Elias montre que dans certaines
conditions, qui sont celles de l’Europe occidentale à la fin du Moyen Âge (11eme siècle), les
dynamiques sociales « obéissent » à une tendance compétitive forte caractérisée par un «
mécanisme monopoliste ». Le processus de monopolisation a été initié au XI° siècle en
Occident.
C’est l’idée que, sur une très longue période, des unités sociales plutôt petites et relativement
indépendantes se trouvant en concurrence entrent en conflit et ont tendance à s’intégrer en
entités sociales de plus en plus étendues et puissantes. C’est ce qu’Elias appelle la dynamique
agonistique. Elias prend l’exemple bien connu du royaume de France pour illustrer cette
longue série de luttes éliminatoires aboutissant à la victoire du monopole royal sur les
anciennes seigneuries et autres « maisons ».

La loi du monopole consiste en « la centralisation des pouvoirs militaires et fiscaux par


une seule unité sur l’ensemble d’un territoire ». Ces deux « monopoles clefs » se
complètent : le pouvoir militaire permet au seigneur d’imposer le paiement de l’impôt qui

29
Delmotte Florence, « La sociologie historique de Norbert Elias », Cahiers philosophiques, 2012/1 n° 128, p.
42-58.
30
Norbert ELIAS, La dynamique de l’Occident, Agora, coll. Pocket, Paris, 1990, p. 82.

49
servira en retour à financer la force armée. Ceux-ci nécessitent la mise en place d’un
« appareil administratif permanent et spécialisé ». Il importe ici de souligner que la genèse de
l’État en Occident a bien eu, comme Charles Tilly ou d’autres l’ont montré, la guerre et
l’impôt comme principaux moteurs. La guerre, puissant agent de cohésion de la société
politique, qui joue un véritable rôle moteur dans l'évolution de l'Etat moderne. La guerre est
le moteur de l'Etat moderne qui, avant tout, est un Etat de guerre.

Chartier Roger, « Construction de l'État moderne et formes culturelles : perspectives et


questions ». In: Culture et idéologie dans la genèse de l'État moderne. Actes de la table ronde
de Rome (15-17 octobre 1984) Rome : École Française de Rome, 1985. pp. 491-503.
(Publications de l'École française de Rome, 82);
"Pour éviter toute ambiguïté, je voudrais énoncer tout d'abord la définition que
j'accepterai comme celle de «l'État moderne» et indiquer les mécanismes qui me
paraissent, sur le long terme, le construire.
Deux propriétés peuvent peut-être caractériser la «modernité» de l'État en
Europe occidentale à l'époque où, progressivement, il se différencie des «États
féodaux» (pour reprendre l'expression utilisée par Marc Bloch). La première est le
monopole fiscal qui centralise l'impôt et donne au souverain la possibilité de rétribuer
en argent, et non plus en terres, ses fidèles et serviteurs. La seconde est le monopole
établi sur la violence légitime qui attribue au roi seul la force militaire, partant le rend
maître et garant de la pacification de la société. Certes, ces deux monopolisations ne
sont jamais complément réalisées entre XIe et XVIIe siècle : à côté de l'impôt royal, et
en concurrence avec lui, subsiste le prélèvement seigneurial, ecclésiastique ou
municipal, et, malgré les progrès de l'ordre imposé par le roi, perdurent les armées
nobiliaires, les vengeances familiales, les violences réciproques.
Toutefois, malgré ces restrictions et nuances, il paraît possible de proposer comme
définition minimale de l'État moderne celle qui le caractérise par l'instauration
progressive de la fiscalité publique et d'un ordre garanti par le pouvoir de
commandement du souverain".

Par ailleurs, ces deux monopoles, fiscal et militaire, ne suffisent sans doute pas à
définir l'État moderne qui suppose d'autres transformations - par exemple, la
conscience de sa propre histoire et l'organisation des instruments nécessaires
pour qu'elle soit écrite, conservée, transmise.
Il est donc légitime d'associer le développement de l'État moderne et le recours
croissant à l'écrit (manuscrit puis imprimé) dans l'administration des hommes et
des choses, Appuyé sur l'écrit, l'État moderne exige une formation particulière de ceux
qui sont ses agents.
(…) ainsi qu’une formalisation-codification des liens institués entre le prince (ou la
république) et ceux qui le servent : le sang, l'hommage, la fidélité, l'office, la
commission etc. ( contrôler ou transformer les institutions et modes de formation de
ceux destinés à devenir ses agents. via les structures universitaires existantes et fonder,
à côté des facultés anciennes, de nouvelles institutions, généralement caractérisées par
un curriculum modernisé, ouvert aux savoirs délaissés par l'université. Ex. les écoles
militaires et techniques).

50
Jean-Philippe Genet « Genèse de l’État moderne », Actes de la recherche en sciences
sociales, 118, 1997.

Pour bien marquer les caractères déterminants de l'État moderne en tant que structure socio-
politique originale et distincte, je proposerai une définition de travail : un État moderne, c'est
un État dont la base matérielle repose sur une fiscalité publique acceptée par la société
politique (et ce dans une dimension territoriale supérieure à celle de la cité), et dont tous les
sujets sont concernés. Tous les éléments, dans cette définition, comptent ; pour être plus
précis, reprenons- les successivement.
1) c'est un Etat, ie une forme d'organisation sociale, qui au nom de sa propre légitimité,
garantit sa propre sécurité et celle de ses membres/sujets, disposant au moins à cette fin d'un
contrôle sinon d'un monopole de la justice et d'une force militaire spécifique; mais un Etat
qui ne dispose que d'un appareil judiciaire et d'une force militaire performants n'est cependant
pas, ipso facto, un Etat moderne.
2) Sa base matérielle repose sur une fiscalité publique, un système d'impôts, qui suppose,
d'une part une distinction entre les sphères du public et du privé, et qui d'autre part, n'est pas
complètement arbitraire. Par contre, cette fiscalité peut prendre des formes multiples.31
3) cette fiscalité est acceptée, ce qui implique la réalité d'un dialogue avec la société politique,
dialogue dont la manifestation la plus évidente est la mise en place et le fonctionnement
d'institutions représentatives mais qui concrètement peut transiter par d'autres
médiations (.....).Ajoutons que tout Etat pourvu d'une fiscalité publique n'est pas forcément
un Etat moderne, car il faut qu'elle soit acceptée (ainsi l'Etat romain n'est pas un Etat
moderne); une même entité politique peut passer par des phases successives où elle présentera
tantôt les caractères d'un Etat moderne et tantôt ceux d'un autre type d'Etat. (...). La réalité du
dialogue, et donc le caractère moderne de l'Etat, est prouvée par la réalité de l'existence d'une
société politique cohérente plus que par les aspects institutionnels formels.
4) Par la société politique : le terme de SP, appliqué à la période pré-révolutionnaire, se
comprend à deux niveaux. Tout d'abord, il désigne ce que les textes médiévaux appellent à la
suite d'Aristote, la politia, ce que nous appelons, nous, la société civile, et que nous avons
précisément pris pour habitude (paradoxale?) d'opposer à l'Etat: or, Etat moderne et SP sont
en fait indissociables, l'un fonde l'autre. Mais cette SP ne coïncide pas avec celle qui subit le
prélèvement fiscal : si les théories politiques et juridiques ont su vite transcender les statuts
particuliers des hommes (qu'il s'agisse de la servitude, de la noblesse ou de l'état religieux)
pour imposer la fiscalité à une large population, la SP a longtemps été beaucoup plus
restreinte : par l'existence de structures comme celles des ordres, plus tard lorsque l'idée
de citoyenneté s'est imposée, par le cens ou l'élimination des femmes de la vie politique.
en fait, la SP a une réalité plus concrète, dérivant directement des rapports sociaux affectant la
société d'un Etat donné à un moment donné, de ses modes de reproduction et des formes de

31
Cette grille d'analyse a par exemple été appliquée à la genèse de la démocratie dans l'Angleterre du
XVIIe siècle. Comme l'expliquent D. North et B. Weingast [1989], le roi avait besoin d'argent pour mener ses
campagnes militaires, mais avait des difficultés à lever des fonds. Car, quelles que fussent les promesses qu'il
pouvait faire aux bailleurs potentiels, son pouvoir était tel qu'il pouvait revenir sur ses promesses qui n'étaient de
ce fait guère crédibles. La solution à ce dilemme fut donc de lier les mains du roi en établissant un nouveau
système de gouvernement qui transférait une partie du pouvoir royal au Parlement et à des institutions judiciaires
indépendantes. D'un côté, les élites financières, représentées au Parlement, pouvaient désormais prêter de l'argent
en toute sécurité puisque leurs droits étaient protégés ; de l'autre, le roi, s'il y perdait en pouvoir, y gagnait en
puissance financière et militaire. Et ce compromis, qui engageait les uns et les autres à la coopération tout en leur
procurant des gains mutuels, fut d'autant plus stable qu'aucune des parties n'avait intérêt à le rompre.

51
contrôle et de domination des forces productives: par exemple au moment précis où apparait
l'Etat moderne, le féodalisme.
5) dans une dimension territoriale supérieure à celle de la cité : certains de ces éléments, sinon
tous, existent dans les cités antiques et, à nouveau, dans les plus importantes.

Chapitre 6 : La sociogenèse de l'Etat moderne en Afrique

Après la sociogenèse de l'Etat moderne en Occident, nous poursuivons notre analyse du


politique par l’étude de la vie politique « moderne » en Afrique. Mais qu’est-ce que cette
« modernité politique » ? C’est l’ensemble des institutions, pratiques et idéologies politiques
qui sont co-produites à partir de la rencontre coloniale et qui se manifestent par la mise en
place de structures politiques, administratives et judiciaires nouvelles (municipalités, écoles,
hôpitaux, tribunaux prisons), par une nouvelle représentation et organisation du territoire
(communes, protectorat), par l’émergence d’organisations diverses ( groupes de pression,
médias, associations, syndicats…), de pratiques politiques inédites (élections, grèves).

Qu’est-ce que l’Etat colonial ?


1. Un Etat fiscal
2. Un Etat de la violence physique illégitime, un état hors la loi
3. Un Etat secret, qui ment et oublie (blanchard , p 21)
4. Un Etat raciste
5. Un Etat ethnographe
6. Un Etat classificateur, qui cherche à identifier tout le monde : catégorisation : blancs,
indigène, sujets, métis, mulâtres…

Comment cet Etat de type weberien se met en place et se construit en Afrique et au Sénégal,
quelle est sa sociogenèse ?

Comment l’Etat colonial va progressivement s’approprier le monopole de la violence


physique légitime (en Allemand: Gewaltmonopol), va réorganiser le territoire, va garantir son
existence et la validité de ses règlements ?

Idée d’une co-production de l’Etat moderne en Afrique.

Première partie : Repères chronologiques


- Recueil sur la vie des Damels : http://www.histoire-
ucad.org/archives/index.php/remository.html?func=startdown&id=38

- Mamadou Diouf, Le Kajoor au XIXeme siècle. Pouvoir ceddo et conquête


coloniale, Karthala, 1990

- Emission Demb de la 2S sur Lat Dior

52
LES INSTITUTIONS DE L'ETAT COLONIAL

« L’essence de l’Etat colonial, c’est l’exercice de la contrainte »

Jean Fremigacci. L’Etat colonial : « C’est le conservatoire ou la résurgence des structures de


l’Ancien Régime outre-mer». « Il était difficile à la démocratique IIIe République, à l’aube
du Xxe siècle, d’admettre qu’elle avait recrée outre-mer un Etat autoritaire présentant de très
fortes analogies avec l’Ancien Régime monarchique honni ».

« On est frappé de constater à quel point l’outre-mer F a été le refuge et le conservatoire de


structures mentales et sociales périmées et condamnées par l'évolution en métropole ».

Centralisation de la pyramide administrative – ministre des Colonies, gouverneurs


généraux, Lieutenants-gouverneurs, commandants de cercle, chefs de subdivision, chef
de canton, chef de village

- Le code de l’indigénat de 1887 (décret du 18 juillet 1887) : une monstruosité


juridique
Merle Isabelle. De la « légalisation » de la violence en contexte colonial. Le régime de
l'indigénat en question. In: Politix. Vol.17, N°66. Deuxième trimestre 2004. pp. 137-162.

Essence du régime de l’indigénat : violence, humiliation, arbitraire

Blanchard & Glasman , chapitre sur la question du droit colonial

53
Le système fonctionne sur une inégalité raciale fondamentale, inscrite dans le Code de
l'indigénat de 1887 : les autochtones n'ont pas de droits politiques et sont soumis à un
régime juridique spécifique, beaucoup plus répressif ; ils sont également assujettis au
travail forcé, des corvées périodiques destinées à l'aménagement d'équipements publics.

Le régime de l'indigénat fut d'abord expérimenté en Algérie à partir de 1881 a été appliqué
durablement, jusqu'à son abolition en 1946 (loi Houphouet Boigny, dans l'ensemble des
colonies françaises sous des formes variées).

Merle Isabelle : « le principe, le régime de l'indigénat consiste à concevoir une justice


répressive « spéciale », au sens de située « en-dehors des règles communes », pour
réprimer des infractions commises par les seuls indigènes, infractions qui ne sont ni
prévues ni réprimées par la loi française. Il s'agit de créer un espace juridique nouveau,
spécifiquement réservé aux indigènes, qui s'ajoute au droit pénal auquel, par ailleurs, ils
sont soumis : un registre dans lequel les indigènes commettent des délits inconnus ou non
prévus en France mais qualifiés comme tels en ce qui les concerne dans les colonies, pour
lesquels on va prévoir des peines qui n'entrent dans aucune catégorie pénale (criminelle,
correctionnelle, temporaire ou perpétuelle, politique ou de droit commun, civile ou
militaire), peines qui peuvent être individuelles ou collectives. Cette justice répressive
n'est pas seulement « spéciale » parce qu'elle ne concerne que les indigènes et crée de
nouveaux délits et de nouvelles peines, mais aussi parce qu'elle peut être exercée par
l'autorité administrative - échelons supérieurs (gouverneurs) ou intermédiaires
(administrateurs, chefs de cercle ou de district, chefs indigènes) - au mépris d'un principe
fondamental du droit français, à savoir l'exigence d'une séparation des pouvoirs judiciaire
et administratif, garantie des libertés publiques ».

Le régime de l’indigénat dote le gouverneur des pouvoirs exceptionnels, dits « de haute


police», permettant de prononcer sans publicité, contradiction ou défense, trois types de
peine :

1. l'internement (emprisonnement, assignation à résidence, déportation),

2. l'amende (individuelle ou collective) et

3. le séquestre (spoliations de biens fonciers ou autres).

Le régime de l'indigénat recouvre un double niveau de répression. Le premier, exercé par


le gouverneur, concerne les actes graves ou jugés tels, mettant en péril la « sécurité
publique ». Aucune liste de ces actes graves n'est a priori définie, ce qui laisse au
gouverneur une très large marge d'appréciation. Celui-ci dispose d'une panoplie de peines
lourdes dont la forme et la durée ne sont pas précisées. Le régime de l'indigénat s'exerce à
un autre niveau, localisé cette fois. Car il est aussi un moyen de répression « de proximité
» et de « simple police », placé entre les mains d'agents subalternes de l'administration qui
sont chargés de sanctionner les indigènes en fonction d'une liste d'infractions précises, par
des peines en principe strictement définies et limitées (jouer du tam tam, l’appel à la
prière, la vagabondage.

54
• Thioub montre que la colonisation introduisit et généralisa l’usage de la prison comme
instrment pénal. Elle fut d’abord expérimentée à SL et à Gorée avant d^’être étendu.
Mais la prison coloniale semble mal entrer dans le modèle métropolitain. Loin d’être
ciblé, individualisé, mesuré, l’emprisonnement colonial était massif. Florence Bernault
estime qu’à la fin des années 1930 au Congo, 10 % de la population adulte masculine
fut incarcérée. Dans un cercle du sud du Gabon en AEF, en 1915, plus de 21 % de la
population masculine avait passé au moins un jour en prison. En 1935, il est infligé au
Sénégal, dans le cadre de l’indigénat 2423 peines d’emprisonnement pour un total de
11833 jours de prison; ceci pour la population des six cercles de la colonie estimée à
environ 655. 000 hbts. Soit 55 jours de prison en moyenne par sujet.

En outre, la prison coloniale mêlait souvent fonctions économiques et fonctions coercitives.


Les détenus effectuaient des travaux publics d’assainissement, de construction de routes, de
ramassage des déchets ; la distinction entre travail pénal et « corvée » obligatoire était mince
67. ils travaillaient au service de compagnies privées, dans des plantations, dans des mines, ou
encore au chargement des bateaux.

• S’y ajoute l’impôt de prestation, acquitté en nature pour l’exécution des travaux
publics tels que l’entretien des routes, des ponts, des puits…règlementé pour la
première fois en 1912. le maximum de journées de travail exigibles est de 10. il
s’applique à tous les indigènes de 16 à 60 ans qui ne veulent ou ne peuvent se libérer
de cet impôt par le versement au Trésor d’une somme égale à la valeur globales des
journées de travail exigées.

GW Johnson, p 88: « la distinction établie entre régions urbaines et rurales [ie entre les 4C
d’administration directe et les protectorats jusqu’à la réorganisation administrative de
1920] fut encore accrue par le système judicaire qui avait fini par prendre forme au
Sénégal. Il existait 3 types de procédures judiciaires auxquelles un Africain pouvait avoir
recours:

- 1er cas: les habitants des zones rurales étaient sujets au droit et aux tribunaux
indigènes. Ceux-ci étaient présidés par l’administrateur de la province, assisté dans
cette tâche par 2 notables locaux versés dans les questions de droit coutumier. Le droit
français servait de référence mais la coutume de la région et le tempérament de
l’administrateur concerné restaient les facteurs déterminants du fonctionnement de ces
tribunaux

- 2e cas: les Africains légalement assimilés aux citoyens français, ou qui étaient des
habitants des 4C, avaient accès à un système de lois, de codes et aux tribunaux
français tant en matière civile que criminelle

- Enfin les habitants des 4C pouvaient s’adresser à des tribunaux religieux en matière de
mariage, d’héritage ainsi qu’à un certain nombre de questions relevant de la justice
civile.

55
1. LE GOUVERNEUR GENERAL
1890 : Les possessions françaises ayant désormais de la consistance, il est décidé de les
regrouper en 1890 dans une Fédération de l’Afrique Occidentale sous la responsabilité
d’un gouverneur général.

Le premier gouverneur général est Chaudié qui cumule ses fonctions de GG avec celle de
gouverneur du Sénégal. Il en est de même pour Ballay.

A partir de la mise en place de l’AOF, dans la colonie, c'est de façon institutionnelle, et dans
la pratique même, que le pouvoir s'incarne dans un seul homme, que l'expression énigmatique
d'un décret de 1895 qualifie de «dépositaire des pouvoirs de la République». (Origines
coloniales de la personnalisation du pouvoir)
Il est assisté d’un SG32 . Divers services comme le bureau des affaires indigènes étaient
directement sous son autorité
Pierre Ramognino33 : « Dans chacune des deux fédérations de l’AOF et de l’AEF, ils sont en
effet les seuls dépositaires des pouvoirs de la République française. Résidant à Dakar pour
l’AOF et Brazzaville pour l’AEF, ils sont assistés d’un secrétaire général et d’un Conseil
de gouvernement. Le secrétaire général dirige les bureaux d’administration générale et des
finances et, assure l’intérim en cas d’absence ou de mutation du gouverneur général. Par
ailleurs, le gouverneur général dispose d’un cabinet, d’un bureau militaire, d’une direction des
affaires politiques et administratives, d’une inspection du service de santé, d’une inspection
générale des travaux publics et des mines, d’un service des affaires économiques, d’une
inspection des douanes, d’une inspection des postes, télégraphes et TSF et d’une inspection
des contributions directes, bref, d’un véritable gouvernement dont les membres ne sont
responsables que devant lui. Il dispose même d’une représentation officielle en métropole.
L’AEF est ainsi représentée officiellement à Paris par le directeur de l’Agence économique de
l’Afrique équatoriale française et l’AOF par le directeur de l’Agence économique de
l’Afrique occidentale française. Ces agences ont pour mission de renseigner les hommes
d’affaires souhaitant investir dans les colonies, d’organiser la propagande coloniale
notamment dans les expositions mais aussi de suivre les affaires concernant leurs fédérations
respectives au ministère.

Le GG est assisté d’un Conseil de gouvernement qui se réunissait chaque année à Dakar et qui
rassemblait les LG des territoires, les officiers supérieurs militaires F et un certain nombre de
hauts fonctionnaires+ des membres non officiels comme le député du Sénégal, les Pt du
Conseil Régional du Sénégal et de la Chambre de commerce de Dakar+ délégués autres
colonies,

Le Conseil de gouvernement n’a qu’un rôle consultatif. Dans tous les domaines, le pouvoir
de décision revient en fait entièrement au gouverneur général. Il fixe le mode d’assiette, la
quotité et les règles de perception des taxes douanières et de tous les impôts et redevances en

32
SG : Le rôle du SG consistait à superviser les finances, les affaires politiques et administratives, les services
économiques, et les inspecteurs généraux des colonies.
33
Pierre Ramognino, « Les vrais chefs de l’Empire », Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique [En ligne],
85 | 2001, mis en ligne le 14 septembre 2009, consulté le 09 juillet 2014. URL : http://chrhc.revues.org/1743

56
transmettant au ministère des Colonies les arrêtés les établissant. Si au bout de quatre mois
après leur transmission, leur annulation n’a pas été prescrite, les arrêtés deviennent
exécutoires. Inversement, le gouverneur général peut repousser l’application, autant qu’il le
juge utile, d’une loi votée au parlement ou d’un arrêté du gouvernement.

Les gouverneurs généraux sont également responsables de la défense intérieure et extérieure


de leurs fédérations mais ils n’exercent pas le commandement direct des troupes, ce qui est la
seule limite réelle à leur pouvoir. En AOF, les forces militaires étaient placées sous les
ordres d’un général de division, commandant supérieur résidant à Dakar ; en AEF,
d’un commandant des troupes ou d’un commandant de la marine. L’unité de vue entre le
gouverneur général et le commandant supérieur des forces armées était le complément
indispensable à un véritable contrôle des fédérations, surtout en cas de guerre.

En 1902, A partir de 1902, les 2 fonctions sont disjointes. Tous les chefs de colonie, y
compris au Sénégal, furent désormais des lieutenants-gouverneurs. Les deux fonctions sont
séparées et le gouverneur-général de l'A.-O.F. s'installe à Dakar :

 1902: Dakar devient la capitale de l’AOF (Sénégal, Cote d’Ivoire, Dahomey


(Bénin), le Soudan (Mali), la Mauritanie, le Niger, et la Haute Volta (Burkina
Faso)
 Saint-Louis demeurera la capitale de la colonie du Sénégal jusqu'en 1957.

Cette situation de dualité fonctionnelle cesse en 1902 avec Ernest Roume (1902-1908) puis
William Ponty qui s’installe à Dakar. A la tête du Sénégal est placé un lieutenant- gouverneur
Camille Guy ((1902-1908), Peuvergne (1909-1911) et Charles Cor. Un décret de 1902 fixe les
attributions du GG « dépositaire des pouvoirs de la République », il assume l’ensemble des
responsabilités sur le colonies de la fédération, dirige et contrôle le personnel civil. Le pays ne
dispose, au début, que d'une administration légère, et la colonie doit s'autofinancer. Le
territoire est organisé en unités administratives concentriques placées sous la responsabilité
d'administrateurs français

Les gouverneurs généraux de l’AOF


1. 1902- 1908: Ernest ROUME: il entreprit de concentrer tous les pouvoirs fédéraux
entre ses mains et pour accroitre le prestige de sa fonction, fit construire un palais
gouvernemental de 3 millions de F face à l’Atlantique. L’école coloniale fondée à
Paris en 1889 formai des dizaines d’administrateurs et de magistrats. C’est là que
Roume recrutail le personnel nécessaire à ses nouvelles créations administratives
2. 1908- 1915 : William Ponty: homme a forte réputation. Il s’était déjà fait connaitre
comme gouverneneur du Soudan F: il avait essayé de mettre fin à l’esclavage en
créant à l’exemple de Faidherbe, des « villages de liberté » ainsi qu’en faisant des
avances de semance et de grain aux esclaves libérés.
3. 1915-19XX:
4. 1917-XXXX: joost Van Vollenhoven: le plus célébre GG qui n’occupa pourtant le
poste que 6 mois. Plein d’idées de réforme. Qd le gouvernement de guerre de
Clémenceau de recruter encore davantage d’Africains, VV refusa, démissionna et
s’engagea lui-même. Il mourut sur le champ de bataille

57
5. 1932 à 1937 : Jules Brévié, Gouverneur de l’AOF

Le commandant de cercle : les vrais chefs de l’empire


- Commandant de cercle: Les ordres de l’administration centrale partaient vers les
différentes régions ou cercles qui assuraient l’ossature de la colonie. Mais le pouvoir
central étant trop faible et trop lointain, les gouverneurs généraux et les gouverneurs
des colonies étant impuissants, les commandants de cercles apparaissaient comme les
vrais chefs de l’Empire, de véritables seigneurs dans leurs domaines, concentrant les
pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires permettant ainsi tous les abus d’un pouvoir
arbitraire :

- L'analogie est plus nette encore au niveau de l’administration territoriale où émerge la


figure de l’administrateur, commandant de cercle ou chef de province « les vrais chefs
de l’empire », « les rois de la brousse », les «empereurs sans sceptre», aux fonctions
qui les apparentent à l'intendant de police, de justice, des finances d’avant 1789 en
France.

Dans le domaine judiciaire, un décret du 30 sept 1887 avait donné aux commandants de cercle
le pouvoir d'infliger des pénalités allant jusqu'à 15 jours de prison et 100 francs d'amende.

« Lorsqu’en 1939 Robert Delavignette (directeur de l’ecole coloniale) publia un livre


décrivant la carrière administrative coloniale, il lui donna pour titre : Les vrais chefs de
l’Empire. Aucun ne pouvait mieux être choisi, car, dans tous les sens du terme, les
administrateurs coloniaux furent jusqu’à la Seconde Guerre mondiale les hommes qui
modelèrent cet empire. Ils en étaient, presque incontestablement, les maîtres… Le caractère
décentralisé de l’administration coloniale, l’essence même de sa doctrine et les pouvoirs
étendus conférés aux commandants de cercle assurèrent à ces derniers un rôle prééminent
dans la formation de l’Empire, tout en diminuant l’influence de leurs supérieurs dans la
hiérarchie administrative. » historien US William B. Cohen, Empereurs sans sceptre. Histoire
des administrateurs de la France d’outre-mer et de l’École coloniale, Paris, 1973,

A l’aide d’une brigade de la garde indigène, il maintient l’ordre par de fréquentes tournées,
organise le recensement, base des contrôles fiscaux et du recrutement militaire, dirige la
prison provinciale, toutes tâches absorbantes car réfractaires, «sans-cartes» et autres
«vagabonds» sont inévitablement nombreux : la justice est donc, dans ce contexte, un rouage
auxiliaire du pouvoir.

2 armes : le droit et la chicotte

Parallèlement les administrateurs F obtiennent des pouvoirs de plus en plus larges. Dans le
cadre de l’indigénat, le commandant de cercle dispose d’attributions si vastes qu’elles lui
permettent d’infliger des peines pénales sans intervention du juge ainsi que des corvées.
« Le principal défaut du système autoritaire que les Français avaient établi était qu’il n’y avait
aucun recours contre les actes arbitraires des administrateurs… »8 De fait, les abus des chefs
de cercle furent nombreux, et William Cohen cite, parmi bien d’autres cas, l’exemple du
commandant de cercle de Sédougou au Soudan, auteurs de sévices graves sur des villageois,

58
d’au moins trois meurtres d’Africains et de détournements de fonds en 1916, qui bénéficia
pourtant d’un acquittement et qui poursuivit une confortable carrière jusqu’à sa retraite en
1930. » William B. Cohen

- Sous les ordres du CC, se trouvaient les fonctionnaires inférieurs qui commandaient
aux subdivisions et au-dessous d’eux les chefs de Canton qui administraient un
ensemble de villages. Au niveau de la subdivision et du canton, l’administration
nommait souvent un chef traditionnel local pour assister l’administrateur français. Au
fil des années, ces chefs furent soit supprimés soit non remplacés après leur décès. Au
dessous des cantons, se trouvaient les villages presque toujours administrés par des
chefs de village. Le chef de village était chargé de la collecte des impôts (il recevait
une commission), du recrutement pour les corvées, du règlement des litiges villageois,
de l’arrestation des contrevenants à la loi F et coutumière

Conclusion :

L'Etat entre construction et formation (Bruce Berman John Lonsdale, Unhappy valley Conflict
in Kenya and Africa, Ohio University Press 1992)

L’ensemble de l’ouvrage relève de la sociologie historique de l’action selon une perspective


théorique souvent très proche de celle Anthony Giddens plusieurs fois cité. Il repose de ce
point de vue sur une distinction cruciale que Lonsdale introduit dans le chapitre entre la
construction de Etat (state-building), effort conscient pour créer un appareil de contrôle et la
formation de l'Etat (state-formation) processus historique en grande partie inconscient et
contradictoire de conflits de négociations et de compromis entre différents groupes dont les
actes et les échanges motivés par intérêt constituent la vulgarisation du pouvoir 5). Car
l'embryon d'Etat ne fut pas seulement délibérément construit comme moyen de canaliser et de
diriger le pouvoir au bénéfice de quelques-uns. Il fût aussi formé par les "actions anonymes de
nombreux acteurs". Ce thème de la vulgarisation du pouvoir définie comme la capacité d'une
minorité croissante d'Africains d'utiliser les institutions coloniales leurs propres fins 192)
renvoie nous semble-t-il une autre source inspiration théorique beaucoup plus discrètement
invoquée Michel Foucault. Mais comment ne pas penser
- son œuvre lorsque Berman restitue avec précision les pratiques de gouvernement des
administrateurs coloniaux chap 7) que condensaient tout un ensemble de proverbes et
de maximes 163) ou lorsque Lonsdale se penche sur économie morale des Kikuyu
chap 11 et 12).

59
CHAPITRE 7 : L'ETAT ET SES INSTITUTIONS (les institutions étatiques)

L'institutionnalisation des rapports politiques, qui a pris avec l'avènement de l'Etat moderne
une nouvelle dimension, passe en effet par la médiation des institutions politiques.
Lenoir, R. (2012). « L'État selon Pierre Bourdieu ». Sociétés contemporaines, 87,(3), 123-154.
doi:10.3917/soco.087.0123. : Bourdieu utilise le terme d’État pour désigner des institutions et
des agents qui sont à la fois et inséparablement des producteurs de l’État et des produits de
l’État.

Eric Sévigny, 2016 : L’Etat s’exprime par le prisme de ses institutions. L’Etat se définit par
ses institutions. Ce sont les institutions des différents pouvoirs qui le constituent, ie l’exécutif,
le législatif et le judicaire, qui ont été institutionnalisées afin d'assurer l’organisation et le
fonctionnement de l’Etat. Chacune des institutions représente une de ses facettes et impose un
cadre à l’intérieur duquel l’action gouvernementale doit se retrouver. Ainsi, les institutions
politiques, administratives, législatives et judiciaires sont le cadre de déploiement de l’action
étatique et elles donnent aux citoyens des repères leur permettant d’anticiper, dans une
certaine mesure, les actions du gouvernement. Elles limitent la possibilité de changements
radicaux et protègent la population de l’arbitraire du gouvernement.

L’organisation de l'Etat/ la théorie de l’équilibre des pouvoirs


(Montesquieu)
Montesquieu distingue 3 pouvoirs essentiels au sein de l'Etat:

- la puissance législative (celle de faire des lois, de les modifier et de les abroger)

- la puissance exécutrice (celle en charge de la sureté intérieure, de la diplomatie et de la


défense)

- la puissance de juger (punir les crimes, juger les différends des particuliers)

Sévigny, 2016 : le fractionnement des institutions est souvent justifié pour créer un système
de poids et contrepoids limitant l’arbitraire des gouvernants. Chaque branche du pouvoir jouit
de pouvoirs limités par les autres branches :

« Mais la garantie sérieuse contre une concentration progressive des différents pouvoirs dans
le même département, c’est de donner à ceux qui administrent chaque département les
moyens constitutionnels nécessaires et un intérêt personnel pour résister aux empiétements
des autres. Les moyens de défense doivent être, dans ce cas, comme dans tous les autres,
proportionnés aux dangers d’attaque. Il faut opposer l’ambition à l’ambition, et l’intérêt de
l’homme doit être lié aux droits constitutionnels de la place. C’est peut-être une critique de la
nature humaine, que ces moyens soient nécessaires pour contrôler les élus du gouvernement.
Mais qu’est le gouvernement lui-même sinon le plus grand critique de la nature humaine? Si
les hommes étaient des anges, il ne serait pas besoin de gouvernement; si les hommes étaient
gouvernés par des anges, il ne faudrait aucun contrôle extérieur ou intérieur sur le

60
gouvernement. Lorsqu’on fait un gouvernement qui doit être exercé par des hommes sur des
hommes, la grande difficulté est la suivante : il faut d’abord mettre le gouvernement en état
de contrôler les gouvernés, il faut ensuite l’obliger à se contrôler lui-même. La dépendance
vis-à-vis du peuple est, sans doute, le premier contrôle sur le gouvernement; mais
l’expérience a montré la nécessité de précautions complémentaires » (Hamilton, Jay et
Madison, 1902 : no 51).

Conséquemment, le fractionnement des institutions sert à limiter la tendance naturelle des


humains à l’ambition démesurée et aux abus de pouvoir. Son rôle normatif en est un rôle de
prévention… lié à la nature humaine

" Si les hommes étaient des anges, il ne serait pas besoin de gouvernement; si les hommes
étaient gouvernés par des anges, il ne faudrait aucun contrôle extérieur ou intérieur sur le
gouvernement. Lorsqu’on fait un gouvernement qui doit être exercé par des hommes sur des
hommes, la grande difficulté est la suivante : il faut d’abord mettre le gouvernement en état
de contrôler les gouvernés, il faut ensuite l’obliger à se contrôler lui-même.» (Hamilton, Jay
et Madison, 1902 : no 51).

Le fractionnement institutionnel répond à un impératif de la démocratie en insufflant de la


prudence dans le processus législatif et en protégeant les citoyens de l’arbitraire des
dirigeants.

de Plus, le fractionnement n’a pas que la vertu de créer un système de contrepoids. Chacune
des institutions politiques a des raisons d’être complémentaires, lesquelles ne peuvent être
incarnées dans une seule institution. L’opposition entre les institutions a une valeur
épistémique parce qu’elle permet d’envisager une même question sous des angles différents.
Par exemple, le débat vif et générateur d’idées nouvelles dans la Chambre basse est
contrebalancé par la prudence et s’inscrit dans une optique de longue durée grâce au second
examen objectif de la Chambre haute. Ces deux façons d’analyser une question politique
peuvent difficilement cohabiter dans une même institution.

Au Sénégal, c'est la loi constitutionnelle n° 2016-10 a redéfini ces institutions. Ce sont


maintenant :

1. le Président de la République ;
2. l’Assemblée nationale ;
3. le Gouvernement ;
4. le Haut Conseil des Collectivités territoriales ;
5. le Conseil économique, social et environnemental ;
6. le Conseil constitutionnel, la Cour suprême, la Cour des Comptes et les Cours et
Tribunaux ».

Mais cela relève des autres cours


Ce sur quoi je voudrais mettre l'accent c'est sur ce quoi Dulong et Gaiti in (…)

Dulong : Si les institutions politiques (exécutif et législatif) importent dans l'analyse de la vie
politique, c'est d'abord qu'elles sont des trophées majeurs de la compétition électorale pour

61
les professionnels de la politique. Elles fournissent des pouvoirs et des ressources, elles
orientent l'activité stratégique des acteurs politiques et sont en cela constitutives de l'action
politique.
Les institutions confèrent un certain nombre de ressources symboliques et pratiques plus ou
moins rares aux acteurs qui les incarnent. Devenir maire, par exemple, c'est gagner un pouvoir
discrétionnaire de recrutement et de nomination à certains postes administratifs. C'est aussi
gagner en pouvoir symbolique puisque la parole du maire devient performative en certaines
circonstances — comme lorsque, au cours de la célébration d'un mariage, il dit : « Je vous
déclare mari et femme. » C'est encore gagner en prestige et relations sociales, la figure du
maire étant l'une des figures politiques les plus familières et la position donnant accès à des
réseaux notabiliaires et clientélaires qui augmentent du même coup le pouvoir politique de
celui qui l'occupe [Le Bart, 2003].

Dans le Fouta, La formalisation des liens institués entre le Maire, les élu-e-s locaux et les
ressortissants du territoire n’est qu’une partie, sans doute la plus superficielle, des rapports
politiques entre ces différents acteurs. La politique au Fouta est une politique relationnelle
faite de parenté, d’alliances, d’allégeance, de clientélisme et donc de réciprocité. Dans le Nord
reculé où le lien avec l’État pouvait être très distant et violent (impôts), la relation au pouvoir
politique a été médiatisée par des personnalités charismatiques, des "barons" et notables
locaux. La personnalisation du pouvoir est une constante forte de la région. Faire de la
politique, c’est être en capacité de construire et maintenir des relations clientélaires. La
redistribution en est une composante essentielle. On ne peut expliquer la longévité électorale
de certains hommes politiques qu’en rapport avec leurs réalisations sociales. Alioune Diop de
Bodé Lao, chargé de mission du Président Wade semble indétrônable car c’est son activisme
qui a permis l’érection du village en commune en 2008, il l’a par la suite dotée de nombreuses
infrastructures. À Boké Dialloubé, le Ministre Abdoulaye Daouda Diallo a soutenu la mise en
place d’un crédit mutuel avec un apport personnel de 15 millions. C’était là une demande de
la commission féminine. À Dodel, le Maire Mamadou Sall a financé la radio communautaire
pour un coût de 270 millions (le bâtiment et la radio). À Pété, le Maire a doté chacun des huit
quartiers d’un moulin à mil. À Ndioum et Golléré, les indemnités du maire sont reversées aux
organisations de femmes et de jeunes etc.

Il est important de préciser que ces dons politiques, qui fondent en grande partie les rapports
de clientèle et d’allégeance, ne s’adressent pas seulement aux électeurs mais aussi aux élu-e-s,
sous forme cette fois d’aides privées et de services divers. Les écarts entre le pouvoir
économique du Maire et celui des conseillers sont en effet démesurés. Dans des communes
sans ressource, où les élu-e-s ne sont pas indemnisé-e-s, il se crée un peu partout une relation
de dépendance qui affaiblit fortement le parlementarisme local et accroit le pouvoir du Maire.
L’exercice du pouvoir local est donc partout marqué par la suprématie de l’exécutif et la
faiblesse du parlementarisme. Pour une Présidente de commission genre : « on a appris à tout

62
le monde à tendre la main. Y compris les élu-e-s. Les femmes en particulier sont trop
dépendantes du Maire ». Le même constat se retrouve chez les élus-es : « il n’y a pas de
liberté du tout ici. Les élu-e-s sont dans une extrême dépendance à son égard. Est-ce vous
pouvez contredire quelqu’un qui règle en partie vos problèmes ? Quelqu’un qui apporte tout
et vous rien ? », déclare un conseiller municipal de cette commune (faiseur de liste PDS).

Ce déséquilibre des pouvoirs exécutif et législatif au niveau local est encore renforcé par les
stratégies des partis politiques.

De la même manière, occuper une position de parlementaire, c'est participer au pouvoir


normatif qui fixe les règles en vigueur dans la société ; c'est aussi avoir un pouvoir de contrôle
des activités du gouvernement qui peut aller jusqu'à la censure ;

Les membres du gouvernement peuvent être entendus à tout moment par l’Assemblée
nationale et par ses commissions. De même, les députés peuvent poser au Premier Ministre,
aux ministres et aux secrétaires d’Etat, qui sont tenus d’y répondre, des questions écrites et
des questions orales avec ou sans débat (articles 66, 81 et 85). Les commissions permanentes
de l’Assemblée nationale peuvent entendre les directeurs généraux des établissements publics,
des sociétés nationales et des agences d’exécution.

C'est encore acquérir un titre prestigieux ou, pour le dire autrement, une forme de capital
symbolique qui donne accès à toute une série d'avantages auxquels n'ont pas droit les citoyens
ordinaires — accès facilité aux médias, immunité parlementaire, collaborateurs rémunérés sur
fonds publics, etc. À s'en tenir à cet aspect des institutions, on pourrait ainsi définir les
institutions politiques comme un « ensemble de positions qui autorisent ceux qui s'en
réclament à se livrer légitimement à des pratiques sans encourir le risque d'être accusés
d'imposture ou d'arbitraire » [François, 1992b, p. 305]. Les institutions politiques, en
d'autres termes, tendent à objectiver l'exercice du pouvoir. L'institution parlementaire, par
exemple, pose que la loi est votée dans une enceinte particulière par une classe d'acteurs
nommés députés/sénateurs et selon des procédures spécifiques. S'il venait aux députés l'idée
de sortir de cette convention — par exemple en votant la loi dans un champ de pâquerettes —
ou si d'autres qu'eux prétendaient voter le budget, leur action paraîtrait incongrue et ses effets
seraient considérés comme nuls et non avenus. L'hémicycle parlementaire, tout comme la
procédure législative ou encore l'écharpe du maire sont autant de dispositifs symboliques et
pratiques qui, en typifiant la situation, rendent l'exercice du pouvoir légitime dans ce type de
situation.
Toutes les institutions politiques ne sont cependant pas équivalentes sous ce rapport. Il existe
en effet une hiérarchie entre les institutions qui obéit à une logique qui tient autant au nombre

63
et au type de ressources fournies par chaque institution qu'à l'importance de leur juridiction ou
à l'estime que leur portent les citoyens ordinaires. La place réservée à ces derniers par chaque
institution est d'ailleurs très étroitement corrélée à celle qu'occupe l'institution dans cette
hiérarchie politique [Gaxie, 1980]. Pour le dire plus précisément, la proportion de non-
professionnels de la politique dans l'institution est un bon indicateur de son importance dans
le champ politique : plus elle est haut placée dans la hiérarchie des institutions politiques et
moins on y trouve de « profanes » ; inversement, plus on descend vers le bas de la hiérarchie
et plus les institutions leur ouvrent leurs portes. En France, par exemple, l'espace des
institutions politiques se divise en trois pôles hiérarchiquement ordonnés. Tout en bas de la
hiérarchie se trouvent la Région [Nay, 1997] et le Parlement européen [Costa, 2001], deux
institutions encore jeunes, très dépendantes des autres lieux de l'action publique et au mandat
un peu flou dans l'esprit des citoyens. À leurs côtés, les maires et conseillers municipaux des
petites villes de moins de 30 000 habitants bénéficient d'un plus fort capital de confiance en
tant qu'institution de « proximité » incarnant le territoire [Le Bart, 2003]. Mais ils ont des
prérogatives plus faibles, surtout depuis que les établissements publics de coopération
intercommunale (EPCI) ont pour partie vidé les conseils municipaux de leurs pouvoirs. Ces
trois types d'institutions ont pour point commun d'accueillir une proportion de « profanes » et
semi-professionnels — jeunes en voie de professionnalisation ou moins jeunes au faible
capital politique — nettement plus importante que dans les autres institutions politiques. Elles
sont aussi beaucoup plus féminisées en raison de l'obligation paritaire à laquelle elles sont
soumises depuis les années 2000 [Achin et Lévêque, 2006].
Juste au-dessus dans la hiérarchie, les maires des grandes villes de plus de 30 000 habitants et
les conseillers généraux se situent au même niveau hiérarchique que le Parlement. Leur
juridiction est certes plus limitée que celle du Parlement — respectivement à la commune et
au département. Mais ce dernier a vu ses prérogatives fortement diminuer depuis la
rationalisation du régime parlementaire opérée par les constituants de 1958 et l'avènement du
fait majoritaire [Garrigues, 2007]. Depuis 1958, les parlementaires ne légifèrent en effet plus
que dans certaines matières énumérées de manière restrictive à l'article 34 de la Constitution,
et dans le respect de cette dernière. Ils ne maîtrisent par ailleurs plus leur agenda ni même la
procédure législative, et leur capacité à contrôler l'action du gouvernement, et plus encore à le
sanctionner, a été très soigneusement limitée. Autant de limites imposées en droit, que
l'apparition dans les années 1970 d'une majorité soutenant loyalement l'action du
gouvernement est venue renforcer. À la liberté de vote s'est alors substituée, dans le camp de
la majorité comme de l'opposition, une relative discipline de vote qui diminue beaucoup

64
l'intérêt de la délibération parlementaire — comme en atteste l'absentéisme des parlementaires
dans l'hémicycle. Si la position de parlementaire demeure prestigieuse, elle n'est pourtant
guère plus importante dans la construction d'une carrière politique que celles de conseiller
général et de maire d'une grande ville. Ces dernières positions procurent en effet d'importantes
ressources notabiliaires qui permettent à ceux qui en bénéficient de se préserver une relative
indépendance vis-à-vis des états-majors partisans [Cadiou, 2009] (supra, chapitre IV). Pour
des raisons ainsi différentes, ces trois institutions sont alors réservées de facto à une « élite
professionnalisée et très largement masculine qui s'y maintient par des pratiques — cumul des
mandats, clientélisme local —, des positions — notamment au sein des partis —, mais aussi
des règles particulières de dévolution du pouvoir qui, comme le scrutin uninominal
majoritaire, favorisent les candidatures notabiliaires » [Achinet al., 2007, p. 128].
Au sommet de cette hiérarchie, l'institution présidentielle polarise aujourd'hui toute la
compétition politique [Lacroix et Lagroye, 1992]. Sa conquête apparaît à ce point décisive
que l'ensemble des enjeux électoraux se sont partiellement alignés sur ceux de l'élection
présidentielle et que l'on a assisté à une présidentialisation des partis. S'il en est ainsi, c'est que
les prérogatives incomparables que lui confie la Constitution de 1958 ainsi que son histoire —
le fait qu'elle ait été incarnée pendant les onze premières années du régime par un personnage
« charismatique » dans des circonstances dramatiques — en ont fait la position prééminente
du champ politique. C'est en effet la seule position en France à autoriser certaines pratiques
(la dissolution, le droit de grâce, le droit de déclencher l'arme nucléaire, etc.) ; en outre, elle
bénéficie d'une légitimité supérieure à toutes les autres positions qu'elle légitime d'ailleurs en
partie. Son prestige est si grand qu'elle « ennoblit » ceux qui l'occupent — on parle alors de
« charisme d'institution » —, à l'instar de la position pontificale à laquelle on peut du reste la
comparer [François 1993], puisque ces deux positions semblent entretenir une relation de
proximité avec le « sacré », ou à tout le moins avec ce qui est considéré comme le plus
important dans une société — l'unité nationale, la paix, etc.

Le président de la République (en France et aux USA)

Aux USA, la présidence est l'institution dominante de la vie politique. cette importance est
liée à la personnalisation car le président est élu au suffrage universel et par conséquent objet
de l'attention des médias. Sa prééminence vient aussi du rôle majeur joué par l'exécutif dans
les relations extérieures (Secretary of state et la défense "les gendarmes du monde"). La durée

65
du mandat est de 4 ans renouvelable une fois34.Le chef de l'Etat est le seul détenteur du
pouvoir exécutif. il ne partage pas le pouvoir comme dans un régime parlementaire avec un
premier ministre. Totalement indépendant puis qu'il n'est pas responsable politiquement
devant le Congrès, appuyé par des services administratifs nombreux, il apparait comme l'un
des exécutifs les plus puissants dans un régime démocratique. il dispose d'importants pouvoirs
sur l'administration et de pouvoirs en matière de relations extérieures et de défense. pour lutter
contre le système des spoils systems, depuis 1883, le pourcentage d'emplois à la discrétion du
président ne dépasse pas 10% mais il s'agit des fonctions les plus importantes (représentants
aux NU et dans ses agences, Cour supreme, Cabinet

le vice-président (USA)

Le vice président n'a pas d'attributions propres si ce n'est qu'il préside le Sénat avec le droit de
trancher en cas de partage des voix dans cette chambre. Pour le reste, il assiste aux réunions
du cabinet et des conseils et exécute les taches que lui confie le président. Traditionnellement,
il jouait un rôle essentiellement protocolaire mais on note une tendance contemporaine des
présidents à s'appuyer davantage sur leur VP. en vas de vacance de la présidence (décès,
démission ou destitution), le VP élu en même temps que le Président vient remplir cette
fonction jusqu'au terme normal du mandat

- / le Chancelier en Allemagne et le premier ministre en Angleterre)


- Le gouvernement (premier ministre et ministres)

Le cabinet Aux USA

Il est composé de 15 membres35, responsable chacun d'un département ministériel nommés


par le Président avec l'avis et le consentement du Sénat. le cabinet n'est pas un organe
collégial et n'est pas responsable devant le Congrès. les membres du cabinet conseillent le
président, lequel n'a aucune obligation de les consulter. selon la formule de Lincoln "sept oui,
un non, le mien, les non l'emportent". le président est le seul détenteur du pouvoir exécutif. Le
Secrétaire d'Etat qui a la charge de la politique étrangère est l'un des principaux personnages
du cabinet (Mike Pompeo).

Les services de la présidence : ils comprennent notamment les conseillers du P (White


House Office), les services de l'executive office of the president avec office of
mamangement and Budget, le national security council, la central intelligence agency, le
groupe des conseillers économiques.

34
Autrefois la pratique voulait que le président ne sollicite pas plus de 2 mandats comma l'avait fait le premier
président Washington. Après que Roosevelt ait postulé avec succès pour 4 mandats consécutifs (1933-1945), le
XXII e amendement de la Constitution limite à deux le nombre des mandats.
35
Secrétaire d'Etat, S du Trésor, S de la Défense, S à l'intérieur (ressources naturelles), Procureur Général,
Agriculture, commerce, travail, Santé et services sociaux, Logement et développement urbain, Transports,
Energie, Education, Anciens combattants, S.E. à la sécurité intérieure.

66
Pouvoir exécutif

1. le Président de la République ;
2. le Gouvernement ;

Le Président de la République et le gouvernement

Le pouvoir exécutif procède du Président de la République et du Gouvernement. L’exécutif


dispose du pouvoir réglementaire et de l’initiative de la loi aux côtés de l’Assemblée. Le
Président détermine la politique de la Nation que le Gouvernement sous l’autorité du Premier
ministre conduit et coordonne. Le Président de la République est le gardien de la Constitution,
l’incarnation de l’unité nationale ; le garant du fonctionnement régulier des institutions et de
l’indépendance nationale. Sa prééminence est nette : il signe les ordonnances et les décrets36,
promulgue les lois, nomme aux emplois civils et militaires, nomme et révoque les membres
du gouvernement et n’est pas responsable devant le Parlement. Le Président de la République
dispose de différents services : i) un cabinet chargé de l’assister dans ses fonctions politiques ;
ii) un Secrétariat général composé de conseillers techniques et de chargés de missions ; iii) un
état-major particulier chargé de le conseiller sur les questions de défense nationale.

Après sa nomination, le Premier Ministre fait une déclaration de politique générale devant
l'Assemblée nationale qu’il est tenu de rencontrer au moins une fois par mois37. Le Premier
Ministre dispose de l'administration et nomme aux emplois civils déterminés par la loi. Outre
le contreseing d’un grand nombre de décisions présidentielles, le Premier ministre dispose
aussi du pouvoir règlementaire subordonné. Il est en effet l’autorité chargé de prendre les
règlements d’exécution des lois. Au-delà, le rôle du Premier ministre consiste essentiellement
à diriger et coordonner l’action du Gouvernement. Cette action se fait principalement par le
conseil des ministres qui se réunit chaque mercredi.

Le Premier Ministre dispose de services importants : i) un cabinet composé de nombreux


conseillers techniques ou de chargés de missions, ii) le Secrétariat général du Gouvernement
(SGG) qui occupe, au plan administratif et politique, un rôle capital. Ce secrétariat est chargé
de préparer les réunions interministérielles, notamment le conseil des ministres, de veiller à la
régularité de l’élaboration des textes depuis leur préparation jusqu'à la mise en œuvre de leurs
mesures d’exécution, ou encore d’informer les ministères des décisions prises. Le SGG assiste
au pré-conseil des ministres et au Conseil des Ministres.

Le Gouvernement comprend le Premier Ministre, chef du Gouvernement, et les Ministres. Le


Gouvernement exécute la politique de la Nation. Il est responsable devant le Président de la
République et devant l'Assemblée nationale. Le Gouvernement est une institution collégiale et
solidaire.

36
Délibérés en Conseil des Ministres et non délibérés en Conseil des ministres.
37
La régularité n’est pas respectée même si le PM Dionne a rencontré l’Assemblée nationale 08 fois entre 2016
et 2017, ce qui est un record.

67
Dans l’exercice de leurs missions fondamentales de délivrance des services publics et de
police administrative38, les autorités exécutives centrales (Président de la République, Premier
ministre, ministres) prennent des actes législatifs39 et administratifs : projets de loi,
ordonnances, décrets, arrêtés, circulaires.

- Les chefs de l’administration territoriale (Gouverneurs, Préfets et sous prefets)


- l'administration

Pouvoir législatif
- L’Assemblée nationale ou le parlement/ le congres/
les institutions consultatives ( le Haut Conseil des Collectivités territoriales ; le
Conseil économique, social et environnemental )

L’Assemblée nationale

L’Assemblée nationale exerce le pouvoir législatif.

Aux côtés de ses deux autres missions classiques que sont le vote de la loi et le contrôle de
l’action gouvernementale, il a été rajouté l’évaluation des politiques publiques (Article 59
nouveau de la Constitution).

Les 165 députés de l’Assemblée nationale sont élus au suffrage universel direct pour un
mandat de 5 ans. Les attributions de l’Assemblée nationale sont stipulées au Titre IV de la
Constitution de 2001 et aux articles 59, 60, 62, 71, 78, 81, 85, 86 nouveaux (loi de 2016).

Si théoriquement l’Assemblée nationale « vote seule la loi » et si elle partage l’initiative de sa


fabrication avec l’exécutif, dans la réalité, elle ne participe pas substantiellement à sa
fabrication qui est pour l’essentiel du ressort du pouvoir exécutif. La procédure législative en
effet ne considère comme recevables que les propositions de loi et les amendements qui
n’entrainent pas de diminution des ressources publiques ni la création ou l’aggravation d’une
charge publique à moins que ces propositions ou amendements ne soient assortis de
propositions de recettes compensatrices (article 82). En conséquence, l’Exécutif demeure en
fait l’espace privilégié de production de la loi (cf. encadré cycle d’un projet de loi) et il n’y a
quasiment pas de propositions de loi.

La deuxième mission qui est assignée à l’Assemblée nationale est le contrôle de l’action
gouvernementale. L’Assemblée nationale vote les lois de finances mais selon des procédures

38
Si ces activités de service public visent essentiellement à procurer des biens ou des services aux administrés, la
raison d’être de la police administrative est, elle, d'assurer un certain ordre social. A travers cette fonction de
réglementation, l'Administration tente, alors, de concilier la préservation de l'ordre public et le respect des
libertés publiques
39
L’initiative de la loi appartient à la fois à l’exécutif qui peut déposer des projets de loi et au Parlement : on
parle alors de proposition de loi.

68
qui montrent là aussi la domination de tout le processus budgétaire (élaboration, adoption,
exécution et contrôle de l’exécution) par le pouvoir exécutif.

La dernière compétence qui est dévolue à l’AN consiste dorénavant à évaluer les politiques
publiques. Cette nouvelle prérogative très importante vient compléter et élargir le contrôle de
l’action du gouvernement à tous les secteurs. Dans un contexte où les principes de la
gouvernance démocratique tendent à devenir universels (participation, inclusion,
transparence, efficience) l’Assemblée nationale pourrait par cette mission d’évaluation
devenir une véritable instance d’aide à la décision pour le gouvernement et d’espace
démocratique d’information et de reddition des comptes aux citoyens.

Les séances de l’Assemblée sont publiques. Le compte-rendu in extenso des débats ainsi que
les documents parlementaires sont publiés dans le journal des débats ou au journal officiel.
Les membres du gouvernement peuvent être entendus à tout moment par l’Assemblée
nationale et par ses commissions. De même, les députés peuvent poser au Premier Ministre,
aux ministres et aux secrétaires d’Etat, qui sont tenus d’y répondre, des questions écrites et
des questions orales avec ou sans débat (articles 66, 81 et 85). Les commissions permanentes
de l’Assemblée nationale peuvent entendre les directeurs généraux des établissements publics,
des sociétés nationales et des agences d’exécution.

L’AN dispose par ailleurs de 11 commissions permanentes :


1. la Commission des études, de la planification et du suivi de l’évaluation des
politiques de décentralisation, de développement et d’aménagement du territoire.
2. La Commission de développement des pôles-territoires
3. Commission de la coopération et du financement des collectivités territoriales
4. Commission de l’environnement, des ressources naturelles et des industries
extractives
5. La Commission de l’urbanisme, de l’habitat, du cadre de vie et de la
promotion de l’équité territoriale
6. La Commission de suivi du contrôle de légalité des actes des collectivités
territoriales
7. La Commission des Affaires foncières et domaniales territoriales.
8. La Commission de la santé et des affaires sociales
1. La Commission du genre, des migrations et de la sécurité
2. La Commission de l’éducation, de la formation et de l’emploi
3. La Commission culture, communication, jeunesse et sports

Le Conseil économique, social et environnemental


Le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) a été créé par la loi n°2012-16
du 28 septembre 2012 portant révision de la Constitution tandis que la loi organique n°2012-
28 du 28 décembre 2012 a fixé son organisation et son fonctionnement.

Le CESE est la deuxième Assemblée constitutionnelle du Sénégal. Composé de 80 conseillers


nommés pour un mandat de cinq (5) ans et 40 membres associés, personnalités adjointes au
CESE pour une durée d’une année renouvelable, il constitue auprès des pouvoirs publics, une

69
assemblée consultative dont le rôle est de rédiger des rapports, études et avis à la demande de
l’exécutif et des assemblées parlementaires. Il peut aussi s’auto-saisir de l’examen de
questions économiques, sociales et financières, entreprendre à cet effet les études et enquêtes
nécessaires et émettre en conclusion, les avis et suggestions de réforme qui lui paraissent de
nature à favoriser le développement économique, social et environnemental de la Nation.

Le CESE est saisi, pour avis, par le Président de la République :

- obligatoirement pour les projets de lois de programme et de plan à caractère


économique, social ou environnemental ;
- facultativement pour les projet de loi de programmation définissant les orientations
pluriannuelles des finances publiques, des projets de lois, d’ordonnances ou de décrets
ainsi que des propositions de lois entrant dans le domaine de ses compétences.
Il peut, de sa propre initiative, attirer l’attention du Gouvernement et de l’Assemblée nationale
sur les réformes qui lui paraissent nécessaires tout comme il contribue à l’évaluation des
politiques publiques à caractère économique, social ou environnemental.

Enfin, le CESE peut être saisi, par voix de pétition signée par 5.000 citoyens, de toute
question à caractère économique, social ou environnemental.

Le CESE comprend 10 commissions techniques40, parmi lesquelles :

1. Commission de la Santé et des affaires sociales


2. Commission de la jeunesse, de l’éducation, de la formation du travail et de l’emploi
3. Commission du Genre, de l’équité et de la bonne gouvernance
Le CESE tient deux sessions ordinaires par an (de février à avril et de septembre à novembre).
Il peut se réunir en session extraordinaire à chaque fois que de besoin.

Le Haut Conseil des Collectivités territoriales


Mis en place suite au référendum de 2016, le Haut Conseil des Collectivités territoriales est
une Assemblée consultative chargé de donner un avis motivé sur les politiques de
décentralisation et d’aménagement du territoire. (Article 66-1 nouveau de la Constitution).
Conformément aux dispositions de la Loi organique n° 2016-24 du 14 juillet 2016 relative à
l’organisation et au fonctionnement du Haut Conseil des collectivités territoriales, le HCCT:

- participe au suivi de l’élaboration et de la mise en œuvre des politiques de


décentralisation, de développement et d’aménagement du territoire ;
- concourt au renforcement du dialogue entre l’Etat et les acteurs territoriaux ;

1. Commission de l’Économie, des finances, de la conjoncture et du Commerce.


40

2. Commission du Développement rural


3. Commission du Développement industriel, de l’énergie et des technologies
4. Commission de la Santé et des affaires sociales
5. Commission de la jeunesse, de l’éducation, de la formation du travail et de l’emploi
6. Commission de l’Artisanat, de la culture du tourisme et des sports
7. Commission du Développement territorial et local
8. Commission du Genre, de l’équité et de la bonne gouvernance
9. Commission du Cadre de vie, de l’environnement et du développement durable
10. Commission Spéciale du plan, des études générales et de synthèse

70
- promeut le développement des bonnes pratiques dans la gestion des collectivités
territoriales ;
- étudie les moyens à mettre en œuvre pour le développement des territoires et le
bon fonctionnement des collectivités territoriales ;
- reçoit et examine les rapports sur le contrôle de légalité, sur le fonctionnement des
collectivités territoriales et l’état de la coopération décentralisée ;
- élabore un rapport annuel destiné au Président de la République ;
- participe à l’évaluation des politiques de décentralisation, de développement et
d’aménagement du territoire.
Le Haut Conseil des collectivités territoriales comprend cent cinquante (150) hauts conseillers
qui se répartissent dans 11 Commissions41. Parmi celles-ci, quatre semblent particulièrement
pertinentes pour les OSC qui travaillent autour des questions de santé :
4. La Commission de la santé et des affaires sociales
5. La Commission du genre, des migrations et de la sécurité
6. La Commission de l’éducation, de la formation et de l’emploi
7. La Commission culture, communication, jeunesse et sports

Le Haut Conseil des collectivités territoriales tient quatre sessions ordinaires par an d’une
durée de deux mois pour les sessions ordinaires. Ses séances sont publiques, sauf décision
contraire de l’Assemblée. Les avis et rapports du Haut Conseil des collectivités territoriales
sont transmis au Président de la République. Les membres du Gouvernement et leurs
collaborateurs ont accès au Haut Conseil des collectivités territoriales et à ses Commissions.
Ils sont entendus lorsqu’ils le demandent.

Le pouvoir judiciaire

Les Cours et Tribunaux


Le pouvoir judiciaire est exercé par le Conseil constitutionnel, la Cour des Comptes, la Cour
suprême, les Cours d’appel, les Tribunaux de Grande Instance (TGI) et les Tribunaux
d’Instance (TI). Aux termes de l’article 91 de la constitution « Le pouvoir judiciaire est
gardien des droits et libertés définis par la Constitution et la loi ». Le principe de
l’indépendance des juges est consacré au Sénégal par les alinéas 2 et 3 de l’article 90 de la
constitution qui disposent que « Les juges ne sont soumis qu’à l’autorité de la loi dans
l’exercice de leurs fonctions. Les magistrats du siège sont inamovibles ».

41
1. la Commission des études, de la planification et du suivi de l’évaluation des politiques de décentralisation,
de développement et d’aménagement du territoire. 2. La Commission de développement des pôles-territoires 3.
Commission de la coopération et du financement des collectivités territoriales 4. Commission de
l’environnement, des ressources naturelles et des industries extractives 5. La Commission de l’urbanisme, de
l’habitat, du cadre de vie et de la promotion de l’équité territoriale 6. La Commission de suivi du contrôle de
légalité des actes des collectivités territoriales 7. La Commission des Affaires foncières et domaniales
territoriales.

71
Ces règles, ajoutées au principe que les magistrats du corps judiciaire sont nommés par décret
sur proposition du ministre de la Justice, après avis du Conseil supérieur de la Magistrature
(article 4 loi n°2017-10 portant statut des magistrats), sont des garanties statutaires
importantes d’indépendance. La loi 2014-26 du 03 novembre 2014 abrogeant et remplaçant la
loi 84-19 du 02 février 1984 fixant l’organisation judiciaire a initié la mise en œuvre d’une
réforme importante du système judiciaire. Les trois innovations majeures introduites par cette
loi correspondant aux objectifs d’accessibilité, de proximité et d’égalité à l’égard des
justiciables. Elles se sont traduites par :

1. la définition d’une nouvelle carte judiciaire (tribunaux d’instance et de grande instance


à la place des tribunaux départementaux et régionaux) ;
2. une nouvelle répartition des compétences afin de faire des tribunaux d’instances de
véritables juridictions de proximité ;
3. la création de chambres criminelles permanentes au niveau des cours d’appel et des
TGI : en mettant fin aux sessions annuelles des assises, on promeut ainsi une justice
plus rapidité et des détentions préventives moins longues.

Mimétisme institutionnel
Nay : Une seconde piste intéressante, me semble-t-il, est de travailler sur les processus de courtage et de
traduction entre les univers institutionnels. La circulation des idées, des catégories, des principes de
légitimité, mais aussi des connaissances techniques et des savoirs pratiques, doit être un objet à part entière
de la sociologie des institutions ; de même que l’analyse des arrangements transversaux permettant à des
institutions représentant des intérêts divergents de composer les unes avec les autres. On peut ainsi
s’intéresser aux catégories d’acteurs jouant un rôle de « passeur » entre institutions (comme on a tenté de le
faire avec Andy Smith dans Le gouvernement du compromis, 2002). Les intermédiaires jouent un rôle
essentiel dans un monde où les dispositifs de l’action publique sont plus ouverts, plus concurrentiels et
moins stabilisés. Ils peuvent dans certains cas contribuer à réduire les lignes de clivage ou de démarcation
entre institutions (par exemple en concourant à la construction de partenariats dans l’action publique). Mais
ils sont loin de faire disparaître les frontières entre institutions. Bien au contraire, ils participent en
permanence à leur réactualisation. L’analyse des échanges interinstitutionnels peut s’inspirer, notamment,
des travaux néo-institutionnalistes sur les organisations qui ont étudié la question du « mimétisme
institutionnel ».
Elle peut également puiser des hypothèses de recherche dans les nombreuses études s’intéressant au
transfert et à la diffusion des idées, des normes et des instruments d’action publique. Elle peut encore
trouver des éléments intéressant dans les travaux de relations internationales qui portent sur l’adaptation «
locale » des normes fixées dans les accords internationaux. Ici, il s’agit moins d’inventer de nouvelles
hypothèses de recherche, que de faire discuter la sociologie de l’institution avec d’autres sous-disciplines.

72
TROISIEME PARTIE : LES INSTITUTIONS DE LA DEMOCRATIE
LIBERALE ET REPRESENTATIVE

Sévigny, 2016 : Selon l’institutionnalisme, la démocratie s’exprime par le prisme de ses


institutions. Les différentes valeurs qui y sont inhérentes, comme l’égalité, la liberté et la
justice, ont été institutionnalisées afin d’en assurer le respect. Les 2 grands buts de la
démocratie sont i) d'assurer la libérer et ii) assurer l'égalité. On peut y rajouter la justice

Sévigny, 2016 :

Il, il n’est pas possible d’obtenir un portrait cohérent des actions de l’État sans se référer à ses
institutions. L’État ne peut agir que par leur truchement. Si elles permettent à l’État d’agir,
elles remplissent également une fonction démocratique. Sans institution, il n’y a pas de
démocratie : « It is only through democratic institutions, with all of their complexities, that we
will be able to realize the values that inhere in the democratic tradition (Weinstock, 2015 :
306). »

Les valeurs d’une démocratie doivent être exprimées par un mécanisme, sinon elles resteront
un vœu pieux. Par exemple, l’égalité politique des citoyens doit être mise en œuvre par des
institutions comme le vote majoritaire et les chartes des droits et libertés. La configuration des
institutions influence donc la réalisation des 2 principes normatifs de la démocratie. (…). Par
exemple, les questions de justice et d’égalité sont importantes, mais elles seront
nécessairement médiatisées, mises en œuvre par les institutions du politique. Les institutions
actualisent les valeurs démocratiques et leur forme peut être plus ou moins en adéquation avec
les principes qu’elles doivent défendre. Elles sont la transposition de principes théoriques
dans le réel.

Lefort Claude. « Pour une sociologie de la démocratie ». In: Annales. Economies, sociétés,
civilisations. 21ᵉ année, N. 4, 1966. pp. 750-768.

"II n'y a pas lieu de considérer longuement la thèse des libéraux ni de montrer pourquoi, à un
certain moment de l'histoire, le modèle démocratique en est venu à se confondre aux yeux
du plus grand nombre avec celui d'un système strictement politique — l'ensemble des
règles en vertu desquelles le pouvoir est conféré et exercé s'avérant déterminer entièrement la
nature d'un régime social. Rappelons-en seulement les principaux traits :

1° La légitimité du pouvoir est assurée du fait que les dirigeants sont issus d'une
consultation populaire qui permet à une majorité de se dessiner et de donner ainsi figure
à la volonté générale ;
2° Cette procédure implique une compétition entre deux postulants au moins, hommes,
équipes ou partis ;
3° La compétition suppose à son tour la liberté d'organisation et d'expression des parties
;
4° La répétition de la consultation à intervalles réguliers commande encore la protection
de la minorité (ou des minorités) et, en particulier, sa représentation permanente dans la

73
ou les assemblées où sont réitérées dans ces intervalles des consultations sur des mesures
d'intérêt public ;
5° La puissance politique est limitée ; elle garantit l'indépendance du pouvoir judiciaire,
seul susceptible d'assurer dans les limites de la loi les libertés et la sécurité du citoyen ;
6° D'une façon générale, le pouvoir est lui-même soumis à la loi ; il revient à une
assemblée représentative du peuple entier de modifier les lois ou d'en créer de
nouvelles."

Les « démocraties libérales » sont donc caractérisées par l'affirmation du pluralisme,


l'existence d'une compétition politique et la garantie de l'État de droit, la séparation des
pouvoirs et le régime représentatif.

Yves Schemeil, Introduction à la science politique, p 136 et suivantes : les


institutions démocratiques

On compte quatre formes d'institutions qui incarnent la démocratie.

Il s'agit :

1. des institutions représentatives

2. des institutions participatives

3. des institutions délibératives

4. des institutions associatives.

Les institutions participatives favorisent le pouvoir des citoyens, c'est la forme la plus pure
de la démocratie, à condition que le suffrage soit universel et non pas censitaire (ie fondé sur
le patrimoine ou l'impôt payé) et qu'il soit direct et non pas indirect (ie quand on élit ceux qui
éliront les élus). Il s'agit là d'un idéal le plus souvent car il s'agit d'une démocratie inclusive
dans laquelle tous participent ou participent le plus possible. Mais la démocratie est le plus
souvent exclusive : il faut remplir des conditions minimales pour participer et de fait
beaucoup n'ont pas la possibilité réelle de le faire, il y a des citoyens de plein exercice et des
citoyens de seconde zone qui hésitent à se rendre aux urnes ou en sont empêchés, la liberté de
choix n'est pas tjrs assurée. Des taux d'abstention très élevés partout. Enfin, les consultations
publiques, les jurys de citoyens, le référendum et les démarches participatives locales ne
semblent pas combattre efficacement ces tendances à la dépolitisation.

Les institutions représentatives : A la fin du 18eme siècle, l'option de choisir des


mandataires de leurs mandants a été retenue par presque tous les pays occidentaux comme l'a
montré Bernard Manin dans Principes du gouvernement représentatif. Ces représentants sont
choisis dans le cadre d'élections pluralistes, à la différence de régimes non démocratiques, où
ils sont désignés au sein de corps intermédiaires (familles, tribus, partis etc.…). Ils ne sont pas
choisis non plus par tirage au sort comme les citoyens athéniens. Une fois élus, les

74
représentants sont libres de leur décision à l'assemblée (mandat non impératif ie exécuter ce
que les électeurs leur ordonnent de faire).

Les institutions associatives : (ex : les partis politiques)

Gerti Hesseling, p 159 et suite : création du RDA + P 167 +


D'un autre côté, en effet, un certain nombre de dispositifs de contrôle, pratiques et
symboliques, sont apparus avec la professionnalisation du personnel politique. Parce que les
ressorts de l'obéissance reposent en grande partie sur les propriétés des acteurs et qu'une partie
des règles relatives à l'exercice du pouvoir ne sont pas codifiables alors qu'elles font l'objet de
luttes incessantes, ces dispositifs ont principalement ciblé l'entrée dans le champ politique.
Véritables « bureaux de recrutement du personnel politique » [Ostrogorski, 1979], les partis
politiques contrôlent en effet l'entrée dans la profession et donc dans les institutions
politiques. Avant même l'adhésion, les dirigeants des partis peuvent ainsi, par un système de
parrainage plus ou moins formel, s'assurer de l'inscription du futur adhérent dans un réseau de
sociabilité connu et se prémunir par là contre les profils trop décalés. Par leur organisation de
« jeunesse », ils peuvent inculquer à leurs futurs adhérents les règles tacites du jeu politique et
les socialiser aux attentes des rôles politiques qu'ils auront à tenir — comment construire un
discours politique en interne, l'adapter à un public externe, organiser un service d'ordre pour
une manifestation, etc. [Bargel, 2009]. Par ailleurs, les partis contribuent aussi à
l'homogénéisation du personnel politique dans la mesure où ils jouent un rôle de plus en plus
important dans la régulation des carrières politiques. Certains ont pu par exemple gérer le
profil de leurs cadres par le système des biographies [Pudal et Pennetier, 2002]. Mais, le plus
souvent, c'est via la délégation du capital collectif (matériel et symbolique) que les plus
« gradés » incitent les moins « gradés » à se conformer à leurs attentes. Par exemple, lorsqu'ils
sont autorisés à prendre la parole en public au nom du parti, les « nouveaux » sont testés et
évalués par ceux qui occupent des positions de pouvoir élevées dans la hiérarchie du parti. Et,
si l'épreuve est jugée réussie, d'autres leur seront proposées, jusqu'au baptême du feu que
représente l'investiture à une élection. L'investiture, en effet, constitue à la fois une rétribution
importante du militantisme [Gaxie, 1977] et un dispositif efficace de contrôle du personnel
dirigeant. On l'a vu lors du premier scrutin paritaire des élections municipales de 2001 : le
renouvellement espéré par la parité homme/femme sur les listes a été largement neutralisé par
la pratique des investitures [Achinet al., 2007]. En puisant dans les viviers associatifs,
amicaux ou même familiaux plutôt que partisans, en recrutant des institutrices plutôt que des
chefs d'entreprise, en sélectionnant les candidates sur la base de leurs attributs personnels
(âge, origine ethnique, etc.) plutôt que sur celle de leurs réseaux, les faiseurs de listes ont

75
écarté du recrutement les femmes déjà engagées dans la compétition et bien insérées dans des
réseaux militants au profit d'un profil de candidates plus conforme à leurs attentes : des
femmes « profanes », aux compétences « féminines » et peu intéressées par la carrière
politique. Ce recrutement — qui révèle au passage les attendus auxquels doivent se conformer
les femmes en politique — a alors en grande partie désamorcé la charge subversive de l'entrée
des femmes en politique en limitant leurs chances de faire carrière et/ou en excluant les plus
« dangereuses » (telles les militantes aguerries et les féministes).

Les institutions délibératives : Assemblée nationale…

CHAPITRE 8 : LA SOUVERAINETE POPULAIRE ET SES INSTITUTIONS

La souveraineté du peuple, la souveraineté nationale : quelle différence ?

Le suffrage universel : le vote majoritaire

Le suffrage universel est une découverte récente : en Grande Bretagne (1928), en


France 1944; en Belgique 1948, en Suisse 1971, aux USA 1964-65.

Voir article de Ismaïl Madior Fall, "Quelques réserves sur


l'élection du président de la république au suffrage universel"
Afrique contemporaine, 2012/2 n°242, pp 99-112.

Sevigny 2016. Huntington (1968 : 12) donne la définition suivante des institutions : «
Institutions are stable, valued, recurring patterns of behavior. » Finalement, elles encadrent la
société pour la faire progresser vers un idéal.

De manière générale, nous pouvons affirmer que ces institutions visent à assurer la stabilité
d’un régime politique en orientant les comportements d’une population vers un objectif
commun (Goodin, 1996). Au sein des régimes démocratiques, les institutions servent à
actualiser et à rendre possible le respect des principes de la démocratie. Par exemple, le
contrôle judiciaire, par le biais des chartes des droits et libertés, assure l’égalité réelle des
citoyens en définissant une sphère d’autonomie inviolable pour chacun d’eux. De même, la
société civile, en amplifiant des réactions de groupes minoritaires, permet à l’État une mise en
œuvre de ses politiques plus ajustée et équitable. Notre démarche tente de rallier ces deux
approches. En effet, la raison d’être d’une institution doit être mise en œuvre par un design
efficace. Les institutions politiques servent à préserver et à actualiser les facettes de la
démocratie. Suivant les développements philosophiques et politiques, des institutions ont dû
être créées afin de répondre à de nouvelles considérations ou afin de se rapprocher autant que

76
possible à une nouvelle définition de l’idéal démocratique. Les chartes de droits et libertés
sont apparues pour éviter que soient sacrifiés des droits individuels pour une conception du
bien commun. Elles tirent leur origine dans l’affirmation du caractère inaliénable de
l’autonomie des individus. Les institutions revêtent un autre rôle en démocratie, celui de la
séparation des pouvoirs6 (Walzer 1984, dans Olsen, 1997 : 213). Le fractionnement des
piliers de la démocratie met en place un système de poids et contrepoids afin d’éviter des
dérives arbitraires de la part du gouvernement envers sa population ou de la majorité envers
une minorité :

Constitutive rules specify agencies and agents, and their proper jurisdictions, responsibilities and
relations. They create procedural reliability and predictability. They regulate the use of arbitrary
power. They protect inalienable liberties and freedoms and specify partly autonomous institutional
spheres outside the immediate reach of majority government. The emphasis is on “government of
laws, and not of men,” deliberately limiting the legitimate discretion of shifting majorities in order to
avoid majority tyranny (Berg, 1965, dans Olsen, 1997 : 213).

 Institutionnalisme et Néo-institutionnalisme

Sévigny, 2016 : L’étude des institutions a donné naissance à deux courants de pensée :
l’institutionnalisme et le néoinstitutionnalisme. L’institutionnalisme se concentre sur la
structure des institutions. La configuration de l’institution est garante de son impact. Ainsi,
une institution cohérente dans son design doit apporter des résultats cohérents. Le néo-
institutionnalisme propose d’ajouter une composante comportementale à cette analyse. Les
individus poursuivent leurs intérêts propres, lesquels ne concordent pas toujours avec les
objectifs des institutions. Conséquemment, même si une institution propose théoriquement
des buts nobles, il est possible qu’elle n’obtienne pas le résultat escompté en pratique. La
structure d’une institution est pertinente pour savoir quel résultat elle obtiendra. Par contre, il
est nécessaire de tenir compte de sa capacité réelle à faire respecter sa mission. Pour le néo-
institutionnalisme, l’important n’est pas ce que les individus sont censés faire, mais ce qu’ils
font réellement (Goodin, 1996). Par exemple, une agence de revenu peut avoir clairement
défini lesmontants qu’elle doit collecter. Toutefois, sans agents pouvant contraindre les
citoyens et sans punitions plus importantes que le fait de donner une part de son revenu, il est
fort probable que plusieurs citoyens prendront des moyens pour ne pas être collectés. Le néo-
institutionnalisme tente de réconcilier les deux termes de cette dichotomie (Lukes, 1973,
Wendt, 1987, dans Goodin, 1996).

Le néo-institutionnalisme est particulièrement utile à notre analyse des institutions politiques.


L’étude de la structure des institutions permet de comprendre les grands paramètres dont doit
tenir compte le gouvernement lorsqu’il formule des politiques publiques. En effet, la force de
certaines institutions limite grandement la capacité du gouvernement d’agir. La Chambre
basse, le bicaméralisme et le contrôle judiciaire sont des institutions liant

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constitutionnellement le gouvernement. En raison de leur robustesse, il est peu probable que
le gouvernement puisse agir en tant que resquilleur, ce qui limite l’impact de la dimension
comportementale. Par contre, les aspects psychologiques des institutions ont une grande
influence sur la tenue des actions gouvernementales. Les acteurs se servent du design des
institutions pour poursuivre des buts personnels ou politiques ne correspondant pas
nécessairement aux fondements philosophiques des institutions. De plus, la dimension
psychologique du gouvernement est d’une grande importance dans le cas de la société civile,
puisqu’elle représente une institution informelle.

 L'analyse des institutions Elle soulève en effet un certain nombre de questions qui
sont autant d’énigmes passionnantes. Comment les institutions politiques peuvent-
elles avoir une emprise sur les acteurs alors qu’elles ne sont qu’un produit de leur
activité ? Pourquoi sont-elles perçues comme des choses anonymes alors qu’elles
n’existent pas en dehors des pratiques de ceux qui les font concrètement vivre ? Si
elles n’existent qu’en actes, comment font-elles pour survivre à la mort ou au
renouvellement de ceux qui les incarnent ? Si elles sont des cadres immuables de
l’action, comment expliquer le changement politique et institutionnel ? Autant de
questions que l’on peut rassembler dans une problématique globale, formulée il y a
quelques années par les sociologues P. Berger et T. Luckmann [1986] dans La
Construction sociale de la réalité de la manière suivante : comment se fait-il que
l’homme soit capable de produire un monde de « choses » qu’il expérimente ensuite
comme une force sui generis, indépendante de sa volonté, qui s’impose à lui de
l’extérieur ?

 Typologie des institutions politiques


Aborder les politiques publiques par le biais de l’élaboration d’une typologie c’est s’inscrire
dans une tradition wéberienne des sciences sociales qui considère le « concept idéal-typique »
comme « un concept limite purement idéal, auquel on mesure la réalité pour clarifier le
contenu empirique de certains de ses éléments importants, et avec lequel on la compare »
[Weber, 1965, p. 185]. Il s’agit donc avant tout d’un « moyen de la connaissance » [Weber,
1965, p. 183], d’un outil méthodologique et non d’un but de la recherche en sciences sociales.

On peut, à partir de cet exemple, schématiquement classer les institutions en deux catégories.
D'un côté, il y a celles qui sont peu contraignantes pour leurs membres. C'est le cas par
exemple des services administratifs de l'État légal-rationnel. Les agents y ont pour seules
prescriptions d'appliquer un certain nombre de règles générales et impersonnelles en refoulant
l'expression de leurs opinions et émotions dans l'exécution des tâches qu'ils ont à y accomplir
[Merton, 1997]. Mis à part cette contrainte, leur rôle fait la plupart du temps l'objet d'une
définition lâche et incertaine, et leur comportement est faiblement contrôlé, de sorte que les
pratiques et conduites non souhaitées s'y déploient d'autant plus facilement qu'au mieux elles

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se révèlent « fonctionnelles », au pire elles n'engagent pas vraiment l'institution [Dubois,
2007]. De l'autre côté, les institutions totales, comme par exemple l'hôpital psychiatrique,
rassemblent un nombre d'individus coupés du monde extérieur pour une période relativement
longue, en établissant un fossé infranchissable entre le groupe restreint des dirigeants et la
masse des « reclus » dont la vie est explicitement et minutieusement réglée par diverses
techniques — telles la mortification, la dépersonnalisation et la mise en place d'un système de
privilèges [Goffman, 1968].
Les institutions politiques démocratiques se situent entre ces deux extrêmes — les partis se
rapprochant davantage toutefois des institutions totales « ouvertes » [Bargel, 2009]. Elles sont
en effet prises dans des logiques contradictoires liées à l'histoire du champ politique : celle de
la démocratisation de la vie politique et celle de la professionnalisation des activités qui s'y
rapportent. Ainsi, d'un côté, la démocratisation de la vie politique a progressivement produit
un certain nombre de règles qui empêchent les institutions politiques de fonctionner à
l'identique des institutions totales. Les principes théoriques qui sont au fondement de la
démocratie constituent en effet un frein à la sélection et à l'homogénéité du personnel
politique. Ils rendent du même coup plus difficile le travail de conformation aux conduites
attendues. En premier lieu, les positions de pouvoir politique sont censées être accessibles à
n'importe quel citoyen. L'inscription de ce principe dans le marbre du droit limite au protocole
la codification juridique des prescriptions de rôles, ce qui laisse aux acteurs une marge de
liberté relativement grande pour habiter leur rôle.

institutions établissements publics ou surtout


publiques (administratives collectivités locales)

les institutions privées (entreprise, famille, etc.)

Chevallier, 1996 : Les institutions politiques recouvrent ainsi les phénomènes de tous ordres
(significations, structures relationnelles, formes d'action collectives) qui, caractérisés par
l'impersonnalité et s'inscrivant dans la durée, traduisent un processus d'objectivation de la vie
politique et de normalisation de l'interaction politique.

Cette diversité reflète également celle des institutions politiques dont le fonctionnement, les
conditions d’accès et l’étendue des prérogatives varient d’un régime à un autre et selon la
nature de leur pouvoir (législatif/exécutif, local/national, individuel/collectif).

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