Vous êtes sur la page 1sur 47

République du Sénégal

Un Peuple – Un But – Une Foi

UNITE DE FORMATION ET DE RECHERCHE


DE SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES

SYSTEME
POLITIQUE
SENEGALAIS
Licence 2

Année 2020-2021
Introduction

Un système est un ensemble d’élément interdépendant et interagissant, confronté aux facteurs


de déséquilibre et d’instabilité provenant de son environnement. Le système politique selon
David Easton théoricien du systèmisme, c’est l’allocation des ressources et des avantages à
travers des décisions faisant autorité dans la société qui est conçu comme le produit des
interactions entre des individus cherchant la satisfaction de leurs besoins personnels. Dans le
modèle Easton le système politique est considéré comme un lieu opaque et obscur qui échappe
à l’entendement d’où sa désignation par la notion de boite noire. Pour Easton la seule réalité
connaissable reste les transactions multiformes entre le système et son environnement. On
distingue les inputs et les outputs.

Les inputs sont des messages ou impulsions que le système reçoit de l’environnement ce sont
en effet le3s exigences (attentes ou demandes sociales) et les soutiens (manifestations en faveur
du système).

Les outputs sont le produit de la réaction du système aux exigences et soutiens. Ils expriment
à travers des décisions et des actions. La régulation désigne alors le processus de maintien d’un
Etat stationnaire en sachant intégrer pour les annulés l’effet des perturbations extérieurs.

Le cours de système politique sénégalais pourrait être envisagé sous l’angle du systèmisme mais
cela pose le problème épistémologique de laisser de côté l’étude des institutions en elle-même
comme l’ensemble de contraintes et de ressources qui souvent détermine le comportement et
les stratégies des acteurs. A cela s’ajoute que le systèmisme semble être une théorie a-
conflictuelle parce qu’étant une théorie du changement stabilisateur. Et présente en ce sens
l’inconvénient de ne point permettre d’étudier comment les contradictions politiques
provoquent des changements dans les structures institutionnelles Et comment les structures
institutionnelles régulent les contradictions politiques.

Le cours de système politique sénégalais est un cours qui à cheval sur le droit l’histoire et la
science politique pour expliciter la sociologie de la construction démocratique au Sénégal. Cette
option pédagogique et académique s’exprime par la profondeur historique et anthropologique
des racines de la démocratie au Sénégal. En effet les royautés traditionnelles sénégalaises
étaient toujours tempérées par des mécanismes de limitation du pouvoir par le truchement du
pouvoir magicoreligieux dépositaire de la coutume et par les règles et structures
constitutionnels de désignation et de contrôle du souverain. Le roi était assisté par le conseil du
1
peuple où toutes les catégories de la société (homme libre, captif, maitre de la terre, marabout,
tièdo, …).
Dans le royaume du sine l’autorité selon Léopold Sédar Senghor repose sur la prédominance spirituel
la connaissance des traditions, l’expérience de la vie, le sens des responsabilités, mais également sur
certaine qualité comme l’honneur, la kerssa, la persévérance (Diom), la patience (mougn).

C’est en 1970 qu’est enclenché une lutte d’indépendance dont le meneur le plus distinguer fut
DIAL DIOP jusqu’à 1812 date à laquelle fut fonder la république parlementaire lébou.

L’assemblée composée de deux collèges : l’assemblée générale de Dakar et l’assemblée des


notables du quartier. Ce sont ces chefs qui sélectionné au sein de l’une des grandes familles
lébou un sérigne ndakaru chef, juge et instance d’appel suprême de la communauté, éducateur
du peuple dont l’origine est un principe maraboutique. Il choisissait aussi le diarraf titre donné
auparavant au gouverneur nommé par le damel. Celui-ci fixait l’époque des semailles, réglait
les disputes sur les terres et les questions d’héritages en même temps il faisait respecter l’ordre
public. Le troisième personnage officiel désigné par l’assemblée était le ndeye ndu rew «
ministre de l’intérieur et des affaires étrangères », il fut chargé des contacts avec
l’administration française. Les deux collèges avaient l’obligation de le consulter avant de
prendre toutes décisions. Il devient le porte-parole du peuple et on lui donna même le pouvoir
de forcer le Serigne de rendre compte si cela s’avérait nécessaire. C’était lui qui signé les traités
avec les nations des contrées. Ainsi selon Makhtar Diouf, La république lébou du cap vert «
une véritable république n’ayant rien à envier au modèle occidental ni au plan de l’antériorité
ni au plan de cohérence des structures d’organisations ».

Dans le même ordre d’idée, la république théocratique de THIERNO BAAL instaurer en 1776
a constitué une véritable révolution à travers les principes édictées contre l’arbitraire et
l’exploitation.
1ère principe : choisissez un homme savant, pieux et honnête qui n’accapare pas les richesses de
ce bas monde pour son profil personnel ou pour celui de ces enfants.
2ème principe : détrônez tout imam dont la fortune s’accroit et confisquez l’ensemble de ses
biens.
3ème principe : combattez et expulsez-le s’il s’entête.
4ème principe : veillez bien à ce que l’imama ne soit pas transformé en une royauté héréditaire
où seuls les fils succèdent à leurs pères.
5ème principe : l’imam peut être choisi dans n’importe quelle tribu.
6ème principe : choisissez toujours un homme savant et travailleur.

2
7ème principe : il ne faudra jamais limiter le choix à une seule et même tribu.
8ème principe : fondez-vous toujours sur le critère de l’aptitude.

De même l’histoire coloniale peut être convoquée dans la construction de la tradition


démocratique du Sénégal. En effet en 1789 la colonie du Sénégal avait envoyé depuis saint
louis des cahiers de doléances du Sénégal à Versailles. Il existait déjà en 1776 un maire nommé
à saint louis sous la monarchie de juillet une ordonnance 7 septembre 1840 institue le conseil
général de la colonie, une sorte de parlement local avec des compétences restreintes en matière
budgétaire, établissement de l’assiette de l’impôt et du montant des taxes et perceptions. Le 30
octobre 1848, des élections pour la représentation de la colonie au palais Bourbon ont été
organisées (Assemblée Nationale Française). Cette représentation est supprimée par le prince
président Napoléon le 02 février 1852 et confirmé en 1871 sous la 3ème république dont
l’universalisme ira en faveur de l’extension du mouvement communal dans l’empire français.
Les communes de plein exercice de Saint-Louis et Gorée sont alors créées par un décret du 10
aout 1872, de Rufisque par un décret du 12 juin 1880 et de Dakar par un décret du 17 juin 1887.
Ces communes fonctionnaient sur la base du suffrage universel et de la gestion libre des affaires
locales. De 1840 à 1914 ce sont les négociants européens Bordelais le plus souvent et les métis
ou mulâtres qui dominent la scène politique jusqu’à l’élection de Blaise Diagne le 10 mai 1914
qui a marqué un tournant décisif dans la prise de conscience et dans la maturité de l’électorat
noir. Blaise Diagne est constamment réélu jusqu’à sa mort en 1934.

La forte tradition démocratique que voilà explique que le cours sera articulé autour d’une
sociologie de la construction démocratique du système politique sénégalais.

3
CHAPITRE I : LA PROBLEMATIQUE DE LA CONSTUCTION DEMOCRATIQUE
ENTRE AFFIRMATION AUTORITAIRE ET LIBERALISATION POLITIQUE

La construction démocratique est ici envisagée à travers les luttes de pouvoirs au sein de l’élite
politique. Elle repose sur la logique de l’affirmation d’un pouvoir personnel qui entraine des
résistances et des réticences de forces socio politiques qui entretienne un mouvement de
libéralisations politiques.

SECTION I : DE LA REPUBLIQUE PARLEMENTAIRE A L’AUTORITARISME MODERE

La République parlementaire de 1960 avait instauré un régime parlementaire avec un


bicéphalisme du pouvoir exécutif incarné par Léopold Sédar Senghor président de la république
et Mamadou Dia président du conseil.

La crise politique du 17 décembre 1962 va provoquer une rupture entre les deux ordres ainsi de
la fin de la république on passe alors du partage du pouvoir au pouvoir sans partage. Mais en
quoi a tenu la crise du 17 décembre 1962. L’accord tacite de la primauté des instances partisanes
sur les organes constitutionnels assurait l’équilibre et le fonctionnement harmonieux du système
de parti Etat.

La rupture du consensus intervint du moment où un groupe de député influent de l’UPS,


Abdoulaye FOFANA, Maguette LO, Doudou THIAM, Ousmane NGOM, Théophile JAMES,
Lamine GUEYE (président de l’assemblée nationale), Boubacar GUEYE, Xar Ndoféne
DIOUF, décident de déposer une motion de censure contre le gouvernement de Mamadou DIA.
Le président du conseil en même temps ministre de la défense réquisitionne le 17 Décembre
1962 les forces de gendarmerie pour s’opposer à la réunion des députés au siège de l’assemblée
nationale. Il demande à un détachement de la gendarmerie de faire évacuer l’Assemblée
Nationale et 4 députés furent interpelés (Théophile JAMES, Maguette LO, Abdoulaye
FOFANA, Moustapha CISSE). L’arbitrage de l’armée tourne en faveur de Senghor, Le
Président du Conseil est arrêté le 18 Décembre en même temps que les ministres qui le
soutenait. Les parlementaires qui lui avaient manifesté leur attachement verront leur immunité
levée. L’assemblée nationale adopte le 07 janvier 1963 une résolution demandant la traduction
de Monsieur DIA devant la Haute Cour de Justice, accusée d’avoir fomenté un coup d’Etat.
C’est finalement le 09 Mai 1963 que le Président DIA est jugé par la Haute Cour de Justice.
Bien qu’ayant toujours soutenu qu’il ne voyait pas la nécessité de faire un coup d’Etat, vu qu’il
disposait de la réalité du pouvoir, il est condamné à perpétuité après un procès d’une durée de
4
5jours. Ces compagnons écopent de peines moins lourdes que la sienne, Valdiodio NDIAYE,
Ibrahima SARR et Joseph MBAYE sont condamnés à 20 ans de réclusion Criminel et Alioune
Tall à 5ans d’emprisonnement. Ils ne sont libérés que le 28 mars 1974 à la faveur d’une grâce
présidentielle.

Sur le plan juridique, la crise est liée à la dyarchie (deux têtes) instaurée au sein de l’exécutif
par la constitution du 25 Aout 1960 qui cherche à instituer un équilibre non pas entre l’exécutif
et le législatif mais entre les deux fractions de l’exécutif : la présidence de la république et la
présidence du conseil. C’est ainsi qu’il résulte de l’examen de la charte fondamentale de 1960,
l’existence de compétence concurrente entre deux autorités différentes par leur statut et leur
rôle dans le fonctionnement du régime qui prédispose au conflit. SENGHOR exposant son
programme de gouvernement le 19 Décembre 1962 s’inscrit dans la même perspective : « à vrai
dire les structures de notre Etat, notre constitution sont plus responsables dans cette douloureuse
affaire, que les caractères des hommes quoi qu’on dise. L’éclatement du Mali avait prouvé
qu’une fédération à deux était impossible. La fin d’une collaboration de 17 ans prouve qu’en
Afrique pour le moment, l’exécutif bicéphale est impossible ». (Depuis la création du BDS).

Mais le conflit n’était pas seulement d’ordre constitutionnel et formel, il était aussi politique
opposant un courant pro-français et conservateur incarné par SENGHOR et un courant
prosoviétique et progressiste incarné par Mamadou DIA favorable à l’application des réformes
d’indépendances et de développement économique fondés sur un socialisme autogestionnaire
inspiré par Tito (Président de la Yougoslavie) et qui menaçait les intérêts de la métropole et des
marabouts.

En définitive les circonstances politiques ont été déterminantes dans l’avènement du pouvoir
personnel instauré par Senghor, crise de la fédération du Mali, élection de 1960 troublé par la
violence, la crise du 17 décembre 1962 notamment. Le président Senghor estimait alors qu’il
fallait mettre en place un pouvoir fort qui devait reposer sur le monolithisme politique et
idéologique et qui adoptait une constitution qui lui accordât des droits exorbitants. Le Président
de la république concentre ainsi entre ses mains tout le pouvoir en sa qualité de chef de l’Etat,
de chef du parti hégémonique qui devient un parti unique de fait à partir de 1966 et en qualité
de père de la nation. Il n’est ainsi responsable qu’en cas de haute trahison ou de violation
intentionnelle de la constitution, ce qui dans la pratique n’a guère une signification symbolique.
A la suite d’une expérience de 4 ans, le Président Senghor procède à une nouvelle révision
constitutionnelle en date du 20 Juin 1967 à l’effet de faire coïncider le mandat du Président de

5
la république avec celui de l’assemblé nationale pour une durée identique de 5ans tout en
modifiant par ailleurs l’allocation du pouvoir entre l’exécutif et le législatif.

Dès lors le Président de la république détenait le pouvoir de dissoudre l’assemblée nationale en


cas de conflit, la dissolution devant entrainer obligatoirement la démission du Président de la
république. Ainsi le conflit entre les deux pouvoirs devait-il être résolu par l’arbitrage du peuple
souverain, qui peut donner tort au Président en élisant un successeur ou alors désavouer les
parlementaires opposants et renvoyer à l’assemblée nationale une majorité cohérente favorable
à la politique présidentielle.

Sur le plan politique Senghor construit son hégémonie en combattant toutes les forces politiques
voulant émerger au moyen de la répression policière et judiciaire qu’elles aient été des forces
clandestines avec des stratégies de subversion par la violence ou de simple association de partis
politiques, même si certaine organisation comme le PAI (Parti Africain de l’Indépendance, un
parti marxiste-léniniste) semblent jouer sur les deux registres. En effet le PAI après sa
dissolution, suite aux élections troubles et violentes de 1960 poursuit ses activités clandestines
au Sénégal et à l’étranger. Mahjmoudh DIOP est élu secrétaire général, Babacar NIANG et
Seydou CISSOKO deviennent ses adjoints directs. La propagande reprend ainsi que les
distributions de tracts et du journal « moom sa réw indépendance », utilisant à leur compte la
solidarité internationale. Des jeunes désœuvrés (sans emploi, occupation) sont recrutés en 1963-
1964 et envoyés à l’université Patrice LUMUMBA en URSS, alors que d’autres sont initiés aux
techniques de la guérilla à Cuba. 22 d’entre eux s’infiltrent au Sénégal Oriental pour y mener
une agitation en milieu rural. Inadapté au contexte et mal préparés cette activité subversive
échoue Les fauteurs de trouble sont dénoncés, capturés et condamnés à des peines de prisons
d’un an à 30 mois par le Tribunal Spécial de Dakar, le 19 Mars 1966. Un autre groupe délivré
s’active au Mali d’où il tente de déstabiliser le gouvernement sénégalais. Ainsi l’opposition
clandestine est traquée, jugée et condamnée. Une stratégie des plus subtile est utilisée par
Senghor contre les partis légaux de l’opposition susceptibles d’appuyer le PAI. Le 15
Septembre 1961 est constitué le bloc des masses sénégalaises dirigé par Samba DIOP alors que
l’une des vice-présidents est confiée à l’ex ministre de la justice du Mali, Boubacar DIEYE et
le secrétariat général à l’historien Cheikh Anta Diop. Des contacts sont entrepris par le parti au
pouvoir sur les suggestions du khalife général des Mourides. Ces pourparlers ayant abouti en
parti, on assiste au départ de B. GUEYE et une partie des membres du bloc que rejoint le PS.
Profitant de cette division le ministre de l’intérieur prend un arrêté constant la dissolution du
parti de l’opposition. CAD et S.DIOP organise la parade en créant le front national sénégalais
le 3 Novembre 1963 prenant acte de la jonction du nouveau mouvement politique avec les
6
partisans de Mamadou DIA ex-président du conseil emprisonné, qui sont devenus
majoritairement la direction du front, la décision de dissoudre celui-ci intervient fondé sur des
craintes de déstabilisation du gouvernement qui explique la décision. Une unité d’organisation
et d’action est tentée contre le parti dominant de Senghor et regroupe le Parti du Regroupement
Africain (PRA), les militants du PAI qui évoluent dans la clandestinité, les anciens militants du
Front National et quelques opposants esseulés faisant liste commune aux élections législatives
sous la bannière de Démocratie et Unité Sénégalaise (DUS). Mais personne n’accepte de
concourir avec Senghor pour la présidentielle qui se tenait en même temps. Une première
escalade de la violence se produit avec l’incendie d’une permanence du mouvement majoritaire
le 25 novembre alors que le 29 on assiste à des batailles rangées et à l’assassinat d’un policier.

Le secrétaire général du PRA en appelle à l’arbitrage des militaires et gendarmes qui « ne


sauraient demeurer indifférents à ce qui se passe à la maison, à ce qui arrive à leurs frères et à
leurs sœurs au devenir de leur pays. » Il est arrêté pour incitation à la rébellion ; ce qui rajoute
à la tension. De nombreux actes de violences sont décomptés à Rufisque, à Thiès mais surtout
à Dakar. La police et la gendarmerie interviennent. L’armée est appelée en renfort. Le bilan est
lourd : 11 morts et de nombreux blessés dont des enfants et des adolescents.

L’épisode des élections de 1963 fut l’un des plus sanglants de l’histoire politique du Sénégal.
Si elles ont abouti à des troubles et manifestations durement réprimés, cela était en partie lié au
caractère inique (injuste) du mode de scrutin qui avait été mis en place pour décourager toute
opposition. Il s’agit du scrutin majoritaire à un seul tour avec une seule circonscription le
territoire national.

Mais il faut dire que malgré cette répression, le régime de Senghor a su garder une certaine
mesure considérée ou qualifiée en cela d’autoritarisme modéré comme le confirme Christian
Coulon (spécialiste du Sénégal des années 1980 et auteur de marabout et prince) « le régime
n’a jamais débouché sur un Etat policier ou inspiré par la violence. » Dans le même sens du
caractère modéré de l’autoritarisme senghorien, Me Abdoulaye Wade, lors d’une conférence
organisée par le Club Nation et Développement en 1969, affirme « alors que la dictature est
instaurée dans la plupart des pays d’Afrique, notre pays en a été épargné. Les craintes que les
uns et les autres avions pu manifester sur ce point ont été tôt dissipées parce que le président de
la république n’avait pas le tempérament d’un dictateur bien qu’il avait tout pour exercer la
dictature. Qu’il soit incontestable que le régime présidentiel que nous vivons présente un vice
fondamental qui est la grande centralisation avec son corolaire (conséquence évidente)
l’irresponsabilité des autres, je suis le premier à l’admettre. Mais il est juste de reconnaitre que
7
disposant des mêmes pouvoirs que les autres chefs d’Etats, Senghor a laissé la magistrature
indépendante et fait respecter les libertés fondamentales. »

Après la répression, l’autre arme redoutable détenue par le président Senghor est la cooptation
(fait d’inclure dans une structure d’autres membres avec l’avis des uns qui la composent)
stratégie idéologiquement enrobée par la nécessité de réaliser l’unité nationale par l’unité
partisane. Dès lors après la vague de la répression, le courant s’établit lentement entre la
formation politique du président Senghor et le PRA. Un premier rapprochement se fait à la suite
d’une crise interne du PRA dont les scissionnistes menés par Malick Dione, Yaya Traoré,
Ibrahima Diouf et Moussa Thiam créent le PRA Rénovation et rejoignent en février 1964 le
parti présidentiel non sans préciser au préalable que leur désaccord avec leurs camarades de
parti se situait « non pas sur le programme et le sigle… mais sur le partage des responsabilités
politique et gouvernemental. » Mais la majorité du parti reste dans l’opposition.

Les péripéties ou rebondissements judiciaires consécutifs aux élections de décembre 1963 avec
particulièrement la condamnation du leader du PRA Abdoulaye Ly à une peine
d’emprisonnement de deux (2) années vont conduire progressivement à un nouveau
rapprochement avec le parti au pouvoir. En effet, le président Senghor prend un décret en date
du 04 avril 1965 qui accorde une remise de peine au dirigeant du PRA dans un premier temps
avant de poser un autre acte politique en ouvrant des négociations secrètes avec les responsables
de ce parti. C’est ainsi qu’en mai et juin 1966 le président Senghor en compagnie d’Abdoulaye
Fofana et d’Alioune Badara Mbengue rencontre Abdoulaye Ly, Assane Seck et Abdoulaye
Gueye.

Ces pourparlers aboutissent à un accord signé le 13 juin 1966 dont voici la teneur « entre
l’Union Progressiste Sénégalaise et le PRA Sénégal, convaincus de la nécessité de réaliser
l’unité africaine pour la sauvegarde et la consolidation de l’indépendance nationale et pour
l’accélération du développement social du Sénégal conformément aux aspirations populaires ;
constatant la convergence de leurs points de vue sur l’orientation générale et l’accord sur la
façon réaliste d’aborder la question du programme, il a été convenu ce qui suit :
1) l’unification dans le cadre de l’UPS
2) la participation de 10 membres du PRA Sénégal au bureau politique de l’UPS
3) la participation de 54 membres du PRA Sénégal au conseil national de l’UPS
4) l’unification à la base
5) la participation au gouvernement de 3 membres du PRA Sénégal ».

8
Face à l’imminence des élections générales, il est fort probable qu’un arrangement ait été trouvé
concernant le nombre de sièges de députés à réserver au PRA. Dans la foulée, le président
Senghor prend un décret portant remaniement ministériel et nomme ministre de la République
Amadou Mokhtar Mbow à qui est confié le département de l’Éducation Nationale, Abdoulaye
Ly qui dirige le ministère de la Santé Publique et Assane Seck celui des Affaires Culturelles.
Le parti de Senghor engrange ainsi environ 20.000 nouveaux adhérents supplémentaires. Le 03
juin 1966, Samba Diop président de l’ancien Front National se rallie à son tour au parti de
Senghor.

L’entreprise de contrôle politique du régime de Senghor s’étend aussi aux syndicats qui sont
intégrés dans le régime pour neutraliser leur capacité de nuisance politique à travers l’idéologie
de la « participation responsable ». Celle-ci consistait essentiellement à leur octroyer des postes
ministériels et des sièges à l’assemblée nationale.

Là où le bât blesse dans cette formule de participation au pouvoir c’est qu’il est fort à craindre
que les luttes syndicales ne soient détournées de leurs objectifs d’amélioration des conditions
d’existence matérielle et morale des travailleurs pour ne porter que sur la compétition pour
accéder aux postes attribués aux dirigeants syndicaux. Selon leur degré d’allégeance et de
loyauté au pouvoir. Car Domestiqués, les syndicats cessent alors d’être des contre-pouvoirs. En
conséquence, on peut dire qu’avec l’idéologie de la participation responsable, on assiste à la
neutralisation des syndicats comme forces politiques comme le souligne Léopold Sédar
Senghor lui-même « la réalisation de la participation responsable a permis d’éviter la
multiplication des grèves qui caractérise les régimes parlementaires en Europe surtout il est vrai
dans les pays latins. De temps en temps, il y a des grèves sauvages bien sûr mais tout de suite
la direction de la Confédération Nationale des Travailleurs Sénégalais intervient. C’est la paix
sociale qui nous a permis en grande partie de surmonter la sécheresse qui en 18 années
d’indépendance a sévi neuf fois et d’avancer quand même. » Mais le pouvoir de Senghor n’est
pas épargné pour autant des troubles dans la mesure où les grands évènements de 1968-1969
avec les grèves des ouvriers et des étudiants combinées avec le développement des activités
politiques clandestines ont violemment ébranlé le régime. En effet, il est résulté de tout cela
que le Président Léopold Sédar Senghor a opéré des réformes politiques.

SECTION II : LA DECONGESTION DU SYSTEME POLITICO ADMINISTRATIF

Cette décongestion est allée dans deux (2) sens. D’une part la déconcentration du pouvoir
exécutif et d’autre part l’ouverture contrôlée du jeu politique.
9
PARAGRAPHE I : LA DECONCENTRATION DU POUVOIR EXECUTIF

Dans ces réformes de relâchement autoritaire, il s’est d’abord s’agit de déconcentrer le pouvoir
exécutif car la très forte centralisation du pouvoir entre les mains du président de la
république était source de déresponsabilisation pour toutes les autorités politique et
administrative. Le but de la révision constitutionnelle du 26 février 1970 était d’y remédier.
Elle permettait dans le même temps de régler le problème de la succession du président
Senghor.

Il ne s’agissait pas d’une remise en cause fondamentale du présidentialisme mais seulement


d’une réadaptation de celui-ci comme l’affirme Saïd Michel Adjani il s’agissait de « permettre
au président d’être secondé par un gouvernement qui assure dorénavant la responsabilité de
l’exécutif non seulement devant lui mais également devant le législatif qui contrôlera son action
sans pour autant mettre en cause la responsabilité du président ». En d’autres termes, il a fallu
procéder à une division du pouvoir exécutif de déconcentrer le régime présidentiel de 1963,
pour mettre fin à ce que le président Senghor appelait le « poncepilatisme » (néologisme formé
par Senghor qui veut dire s’en laver les mains) pour que ses collaborateurs aient une
responsabilité personnelle aussi bien devant le Président de la République que devant
l’Assemblée Nationale. Concrètement, il s’agissait de mettre en place un gouvernement présidé
par un premier ministre solidairement responsable devant le Président de la République et
devant l’Assemblée Nationale.

Néanmoins le système reste présidentiel en ce sens que c’est le président seul qui détient la
plénitude du pouvoir exécutif. Ainsi le premier ministre dirige quotidiennement le
gouvernement et à travers ce dernier l’administration détient tant dans le domaine pratique que
dans le domaine juridique un certain pouvoir distinct du pouvoir du président de la république
qui donne dès lors sa teneur à l’idée d’un exécutif présidentiel déconcentré.

A cela, s’ajoute le prestige personnel du président Senghor perçu aux yeux des masses et des
leaders politiques comme l’unique chef du pays et des institutions qui fait du premier ministre
un fidèle collaborateur qu’il se charge de former en vue de sa succession. Après la création du
poste du premier ministre le Président Senghor s’engage dans une ouverture contrôlée du jeu
politique.

10
PARAGRAPHE II : L’OUVERTURE CONTROLEE DU JEU POLITIQUE

Celle-ci est étroitement liée ou associée à Abdoulaye Wade. En effet, ce dernier va d’abord
s’illustrer dans le cadre du Club Nation et Développement qui était un forum de discussions, de
dialogues et d’échanges créé après les événements de 1968 et qui permettait une expression
canalisée des revendications, de participation dans un contexte où l’Etat pour asseoir son
autorité devait faire preuve d’imagination tant dans le domaine économique que politique.
S’interdisant toute activité politique, les buts de ce club était de constituer un groupe de
réflexion, de recherches et de travail, d’entreprendre des études sur les questions concernant la
nation et son développement, de stimuler la création artistique et littéraire, de contribuer à
l’édification d’une démocratie sénégalaise authentique par la participation large et responsable
des cadres à la construction de la nation, d’engager un dialogue permanent avec les autorités et
les forces vives de la nation. Abdoulaye Wade fut l’un des animateurs de cette association. Lors
d’une conférence intitulée « Options structurelles pour un développement optimal » présenté le
24 janvier 1969 et présidé malgré son caractère hérétique (qui s’écarte des fondements d’une
doctrine) par le ministre de la culture d’alors Alioune Sène, Abdoulaye Wade dégage les
principaux reproches faits au régime de Senghor :
- Premièrement d’un côté un régime présidentiel dont la tare essentielle est la grande
centralisation et partant l’irresponsabilité des autres autorités administrative et politique.
- Deuxièmement d’un autre côté beaucoup de cadres et de jeunes sénégalais qui,
marginalisés par le régime, n’ont pas de prises réelles sur la vie quotidienne.
- Troisièmement enfin des masses privées de structures d’accueil, d’institutions capables
de les faire participer dans leur environnement immédiat à des projets conçus en
fonction de cette participation donc des masses non conscientisées et à la limite
inconscientisables.
Abdoulaye Wade finit par militer à l’UPS en 1970 et s’engage à la base dans son terroir natal
de Kébémer. Aux élections pour le poste de secrétaire général de la coordination
départementale, il obtient d’après lui 1001 voix contre 804 pour son adversaire Dourou Fall.
Mais en l’absence de commissaire politique, les résultats ne furent pas entérinés ou validés et
lors de la réunion du bureau politique du parti, son adversaire fut déclaré élu. C’était en juin
1971. Abdoulaye Wade dénonce alors les blocages anti-démocratiques qui existent au sein du
parti au pouvoir et décide de démissionner officiellement de l’UPS. Élu en décembre 1971
doyen de la faculté de droit et de sciences économiques, en désaccord avec le pouvoir tant sur
le plan politique que sur les mesures économiques, il est sommé de choisir entre l’enseignement
et le barreau sous prétexte d’une incompatibilité entre les deux fonctions.

11
En 1972, il quitte l’université et se livre à des activités de consultance auprès de l’Organisation
de l’Unité Africaine et de la Banque Africaine de Développement. C’est alors qu’il rédige en
aout 1973 le manifeste démocratie et développement signé par 200 cadres sénégalais. Ce texte
est conçu « plutôt comme une contribution à la réorientation de la politique nationale. » Il se
donne pour objectif « moins d’engager une polémique que d’affirmer avec détermination un
point de vue sur la direction qu’il convient désormais de donner à la politique nationale et à la
gestion des affaires publiques. »

Le manifeste s’articule autour de thèmes majeurs tels que l’apport d’une contribution à la
réorganisation de la politique nationale, le refus de cadres sénégalais d’être marginalisés, la
primauté accordée au militantisme étant préjudiciable à la démocratie, à la compétence et à la
valeur personnelle, le rappel avec force du panafricanisme, la contestation de la stratégie de
développement qui repose principalement sur l’aide extérieur et qui n’accorde pas la priorité
aux ressources humaines, l’adoption d’une stratégie visant la révision des accords liant le pays
à l’extérieur de manière à les inscrire davantage dans le sens de l’effort national. Bref le
Manifeste des 200 se prononçait en faveur d’une politique résolument africaine, d’une
démocratie réelle, d’une véritable politique nationale de développement économique et social
et d’une politique d’indépendance nationale et sera intimement lié à la future création du PDS.

Le contexte politique d’alors est ambigu avec un parti unique de fait et un multipartisme de
droit puisque la constitution du 07 mars 1963 disposait en son article 3 « les partis et
groupements politiques concourent à l’expression du suffrage, ils sont formés et exercent leurs
activités dans les conditions déterminées par la loi. Ils doivent respecter les principes de la
souveraineté nationale et de la démocratie. » Cette inadéquation entre le droit et le fait a ramené
le président Senghor à parler de parti unifié que plutôt de parti unique. Saisissant cette
opportunité, Abdoulaye Wade mandaté par le groupe des 200 décide par simple courtoisie selon
son expression d’informer le président Senghor gardien de la constitution de sa volonté de créer
un parti politique conformément à un droit reconnu par la charte fondamentale. A l’occasion
d’un entretien avec le président Senghor à Mogadiscio lors du 10ème sommet des chefs d’Etats
de l’OUA, Abdoulaye Wade lui soumet le problème et le président accède immédiatement à sa
demande. Instamment Me Wade avertit alors la presse et choisit de présenter ce parti comme
un parti de contribution et non d’opposition pour éviter de heurter des esprits habitués à la
césure abrupte entre parti au pouvoir et partis d’opposition. Le 31 juillet 1974, le PDS dépose
ses statuts conformément à la loi et obtient son récépissé de déclaration délivré par le ministre
de l’intérieur le 08 aout 1974 qui était synonyme de reconnaissance légale. Mais il existe
également deux autres raisons intéressantes qui sont à la base de la création du PDS. Ce sont le
12
refus d’un éventuel chantage politique pour obtenir une position de pouvoir au sommet en
menaçant de créer une dissidence d’une part et d’autre part la volonté prêtée au président
Senghor de faire adhérer son parti à l’international socialiste qui exigeait le pluralisme partisan.
Concernant la première raison, Abdoulaye Wade ayant été un militant de l’UPS dont il a
démissionné, le président Senghor pensait qu’il s’agissait de sa part d’une stratégie pour
rebondir. La seconde raison est liée au désir du président Senghor d’intégrer l’international
socialiste pour redorer son blason pour accroître son prestige international.

Mais la création du PDS de Maitre Abdoulaye Wade avait incité d’autres dirigeants politiques
à formuler des demandes de reconnaissance légale.

Dans cette optique, une réforme constitutionnelle est mise en œuvre à travers un tripartisme à
contenu idéologique. Le courant sociale et démocratique pour Senghor, le courant libéral pour
Wade et le courant marxiste-léniniste pour le PAI de Mahjmoudh DIOP. Dans l’exposé des
motifs de cette loi constitutionnelle on peut lire « s’il apparait que le régime du parti unique
pourtant de plus en largement adoptée dans de nombre pays dans le monde particulièrement en
Afrique n’est pas souhaitable pour le Sénégal et que le pluralisme des partis politiques est une
garanties du lire exercice de la démocratie par les citoyens dans la diversité de leurs opinions
on peut penser cependant qu’une prolifération des partis politiques peut également constituer
un péril mortel pour le bon fonctionnement des démocraties. Il est donc apparu souhaitable tout
en conservant le principe du pluralisme de limiter son exercice en précisant qu’il ne pourra
exister simultanément dans notre pays plus de 3 partis politiques correspondants à des courants
de pensées différents »

En effet, la loi n°76-26 du 06 avril 1976 abrogeant et remplaçant l’article 2 de la loi n°75-68-
du 09 juillet 1975 relative aux partis politiques disposait en son alinéa 2 que « les trois partis
politiques autorisés par la constitution doivent représenter respectivement les courants de
pensées suivants libéral et démocratique, socialiste et démocratique, marxiste-léniniste ou
communiste. Les statuts des trois partis politiques doivent se référer expressément et
respectivement à l’un de ces trois courants de pensées. »

En outre, ce texte précisait que les partis politiques pouvaient être dissous par décret motivé dès
lors que les déclarations répétées de leurs responsables nationaux les motions et décisions prises
publiquement par leurs instances nationales prouvent qu’ils ne respectent pas les objectifs
définis par leur statut par référence à l’un des trois courants de pensées mentionnées à l’alinéa
1 de l’article 2.
13
Pour ce qui est des courants idéologiques, il faut dire qu’Abdoulaye Wade avait choisi
initialement l’idéologie travailliste avant de se résigner à accepter l’étiquette libérale qui a été
collée de force à son parti pour éviter sa dissolution. Le travaillisme originel de Me Wade
s’inspirait de l’Angleterre et de la doctrine du mouridisme car pour lui, le Sénégal étant un pays
pauvre, il ne saurait fonder son développement sur le facteur capital sauf à l’emprunter et à
devenir indéfiniment débiteur. Le travaillisme de Wade se fonde alors sur le travail comme
premier facteur de production. C’est un travaillisme différent de celui britannique où il s’est agi
après une longue période d’accumulation de procéder à une redistribution du profit en faveur
du facteur travail. Cet aspect est retenu dans le travaillisme de Wade en plus des possibilités
d’utiliser à titre gracieux le facteur travail pour des tâches d’intérêt national. Quoiqu’il en soit
les partis politiques reconnus étaient tenus de rester dans le corset idéologique imposé par la loi
car la limitation tripartite des courants idéologiques, selon les tenants du pouvoir, était une
manière d’élever le débat politique. Elle obéissait donc selon les gouvernants à une volonté de
privilégier la confrontation des idées et des projets de société afin de transcender les clivages
interpersonnels et endiguer les ambitions individuelles du pouvoir. D’où une organisation du
jeu politique autour d’idéologies structurantes.

(La partie ci-dessous en italique a été supprimé par le prof mais elle peut toujours servir)
Au demeurant, on comprend difficilement qu’une loi puisse contraindre un parti d’adopter une
manière de voir le monde. Ainsi, en imposant des carcans de prêts à penser aux formations
politiques dès le départ et dont le non-respect entraine la dissolution par simple décret (acte
juridique émanent du pouvoir exécutif), ce sont les notions de libertés d’expression et
d’association qui sont bafoués. Car de deux choses l’une soit on nourrit une idéologie contraire
à ses convictions, à ses aspirations soit on développe des idées qui ne reflètent pas l’idéologie
que la loi impose et le parti est dissout.
Le président Senghor avait bien mûri sa décision car le résultat aurait été le même si la
reconnaissance de trois partis était prévue, qui devaient ensuite choisir librement leur idéologie
? Le cas échéant ils auraient été en effet quasiment impossibles de sortir du schéma senghorien
d’autant plus que la loi prévoyait que si deux parties se réclament de la même idéologie, seul
le plus ancien sera autorisé. Par conséquent, le socialisme démocratique lui était attribué
d’avance car son parti avait été créé en 1948 bien avant le PDS qui, donc, ne pouvait se
réclamer de ce courant. Par ailleurs, le PDS rejetait l’idéologie marxiste qu’il jugeait comme
contraire aux réalités sénégalaises. Encore que le marxisme-léninisme était l’idéologie d’un
parti créé en 1957 le PAI devenu clandestin après sa dissolution en 1960 suite aux violences
enregistrées aux élections de cette année et qui lui été imputé.

14
En posant ces barrières idéologiques et juridiques, Senghor écartait un autre opposant Cheikh
Anta Diop qui en février 1976 avait introduit une demande de reconnaissance qui fut rejeté
pour vice de forme. Ce parti était dans tous les cas exclus car il véhiculait comme idéologie le
nationalisme. Par pragmatisme autoritaire donc le constituant et le législateur de 1976
imposaient le nombre de partis, les idéologies des partis et l’identification des partis aux
idéologies.

Mais en définitive, la loi des trois courants était ambiguë car elle constituait un recul par rapport
au multipartisme illimité posé ou illustré par la constitution mais qui n’existait plus dans les
faits en raison d’un processus d’absorption des partis politiques concurrents de l’UPS et en
raison de la répression systématique de toute velléité d’opposition. Vu le contexte
d’autoritarisme modéré d’alors, la loi des trois courants est cependant une avancée car en plus
du PDS, il y avait un autre parti qui accéder à la légalité le PAI. Évoluant dans ce climat d’une
démocratie très encadrée, le PDS a su éviter les écueils en faisant montre de réalisme d’abord
en acceptant d’être un parti de contribution et ensuite en évitant de trop se cristalliser sur les
considérations d’ordre idéologique se résignant à porter l’étiquette du libéralisme démocratique
qui lui a été collée par la loi contrairement à ses convictions puisées dans le socialisme
travailliste.

En 1978, le président Senghor décide de créer un 4ème courant dit conservateur animer par
l’avocat Boubacar Gueye à la suite de la réforme constitutionnelle n°7860 du 28 décembre
1978. Ce qui constituait encore un pas franchi dans l’élargissement du multipartisme. Le dernier
volet des réformes politiques initiées par Senghor est son retrait volontaire du pouvoir au profit
d’Abdou Diouf son dauphin constitutionnel.
En effet, la loi constitutionnelle n°76-27 du 06 avril 1976 prévoyait en son article 35 alinéas 2
qu’« en cas de démission du président, celui-ci est remplacé par le premier ministre. » Le
passage du pouvoir à Abdou Diouf fut qualifié par l’opposition le PDS de coup d’Etat
constitutionnel prémédité qui, malgré la légalité dont il s’est artificiellement entourée, n’en
instaure pas moins au Sénégal un pouvoir légitime que le peuple sénégalais ne saurait accepté ».
Autrement dit pour le PDS, l’installation d’Abdou DIOUF à la présidence de la République
n’était dû qu’à la volonté de Senghor et le régime installé par la loi scélérate était illégitime.
Dès lors, le PDS estimait, selon le principe du parallélisme des formes que seul un référendum
populaire aurait pu légitimement modifier les modalités de succession à la présidence de la
République telle qu’elle découle de la Constitution de 1963 adoptée par référendum. Quoi qu’il
en soit, il a été possible d’organiser sans heurts juridiquement une succession au pouvoir qui
est un point très névralgique dans le système politique africain de l’époque et même aujourd’hui
15
dans lequel le chef a tendance à vouloir régner à vie ou alors est destitué par coup d’état. Il ne
faut pas oublier également qu’on est ici en présence d’une alternance au pouvoir mais qui est
intra-partisane. Mais le président Senghor explique sa démission en raison de son âge avancé
(74ans) et des difficultés économiques qu’il charge son premier ministre et technocrate Abdou
Diouf de résoudre.

SECTION III : COMPROMIS ET CONFRONTATIONS POLITIQUES SOUS LE


MAGISTERE D’ABDOU DIOUF

Abdou Diouf élargit la compétition politique en instaurant le multipartisme intégral. Mais dans
le même temps, il instrumentalise et monopolise la production des règles juridiques du jeu
politique pour ses intérêts exclusifs et ceux de son parti afin de conserver le pouvoir. Le
multipartisme intégral est par ailleurs un moyen d’éparpiller les forces politiques
oppositionnelles. De tout cela, il est résulté des confrontations avec l’opposition. Elles sont
d’autant plus violentes qu’elles se déroulent dans un contexte historique d’impasse politique
marqué par les effets pervers des mesures draconiennes dictées par les institutions de Breton
Woods. Ce faisant, la logique politique contradictoire d’exercice et de conservation du pouvoir
d’Abdou DIOUF finit par être résolu à travers la recette de la cogestion du pouvoir.

PARAGRAPHE I : L’AFFIRMATION DU POUVOIR PERSONNEL DANS LA


CONFRONTATION AVEC L’OPPOSITION

Arrivé au pouvoir, Abdou Diouf instaure le multipartisme illimité. L’article 3 de la constitution


est révisé par la loi constitutionnelle n°81-16 du 06 mai 1981 qui instaure le multipartisme
intégral en faisant sauter la limitation des partis à quatre et le système des idéologies préétablies
et neutralise dans cette foulée le réveil des particularismes de tout bord susceptibles de
provoquer l’éclatement de la nation. Le nouveau texte dispose en effet « les partis politiques
concourent à l’expression du suffrage. Ils sont tenus de respecter la constitution ainsi que les
principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. Il leur est interdit de s’identifier à
une race, à une ethnie, à un sexe, à une religion, à une secte, à une langue ou à une région. »
Cette loi permettait d’éviter la politisation de certaines identités qui peuvent être de nature à
fausser le jeu démocratique.

On peut dire également qu’en instaurant le multipartisme intégral, Abdou Diouf a développé
une stratégie consistant à diviser pour mieux régner car l’article L148 du code électoral
interdisait les coalitions. Chaque parti étant donc obligé de présenter sa propre liste aux
16
élections législatives et un candidat à la présidentielle. L’instauration du multipartisme illimité
était donc une ruse de conservation du pouvoir dans laquelle Robert Fatton a vu le
parachèvement d’une révolution passive enclenchée sous le régime de Senghor.

La révolution passive désigne chez Fatton une volonté de la classe dirigeante par l’instauration
de la démocratie de désamorcer le potentiel révolutionnaire des acteurs sociaux susceptibles de
la prendre en charge. Cette thèse est à nuancer pour plusieurs raisons. Elles tiennent au fait
qu’au Sénégal, le marxisme-léninisme a eu beaucoup de mal à exister dans les entrailles de la
société à cause de l’athéisme qu’il prône mais surtout parce que cette idéologie concernait plus
une élite intellectuelle restée fermée dans la mesure où la qualité du militant par la formation
était jugée plus importante que la quantité. Ce qui explique que ces partis ont eu du mal à se
massifier. Par conséquent, il aurait été difficile qu’ils eussent réalisé la révolution. En tout cas
la possibilité offerte par le multipartisme intégral de s’organiser politiquement était une avancé.
Mais en réalité, le règles du jeu politique été manipulé.

En effet en 1982 un nouveau code électoral entre en vigueur dans ce nouveau contexte politique
du multipartisme illimité. Mais ledit code est jugé antidémocratique par les partis d’opposition
notamment le PDS considérant qu’il ne créait pas les conditions pour garantir des élections
transparentes.

En somme, l’opposition revendiquait l’égalité des partis politiques dans l’utilisation des moyens
de propagande, la sincérité du scrutin en ce qui concerne le nombre, la composition et le
fonctionnement des bureaux de vote, les conditions de fonctionnement des commissions de
distribution des cartes d’électeurs, l’identification de l’électeur, le passage à l’isoloir, le contrôle
des opérations électorales par les partis politique etc. Les partis d’opposition contestaient
également la procédure d’édiction des nouvelles règles électorales en dehors de toute
concertation préalable notamment en ce qui concerne le mode de scrutin. Aussi, ont-ils critiqué
les conditions de déclaration des candidatures, le montant du cautionnement jugé trop élevé et
la nature mixte du nouveau mode de scrutin pour l’élection des députés. Une moitié de députés
étant élue à la représentation proportionnelle et l’autre moitié au scrutin de liste majoritaire à
un tour au niveau du département. Ce texte essentiel définissant les règles de la compétition au
pouvoir sera l’enjeu central de la construction démocratique car l’opposition voulait que le jeu
fut assez ouvert et transparent de manière à lui donner des chances d’accéder au pouvoir alors
que les dirigeants en place cherchaient avant tout à consolider leur domination en organisant le
jeu de telle façon que le pouvoir ne puisse pas leur échapper.

17
Malgré toutes ces récriminations de l’opposition sur le code électoral jugé inique, les élections
générales de 1983 furent organisées et largement remportées par Abdou Diouf. Une fois soumis
avec succès au test du suffrage universel, le président Diouf s’emploie à la construction d’un
pouvoir personnel quand bien même il n’était pas doté des mêmes ressources politique et
symbolique de son prédécesseur Léopold Sédar Senghor présenté comme le père de
l’indépendance et de la nation.

Celui-ci également théoricien du socialisme africain a su utiliser politiquement le combat


culturel et littéraire mené avec ses camarades Aimé Césaire et Léon Gontran Damas dans les
années 1930 à Paris pour la défense et l’illustration des valeurs de civilisations africaines.
Abdou Diouf cherche quant à lui à se démarquer de Senghor pour affirmer sa personnalité et
construire son hégémonie. Il utilise une stratégie politiquement payante en posant des actes
forts dès son accession au pouvoir. Il s’engage à lutter contre la corruption en créant le délit
d’enrichissement illicite ainsi qu’une cour de répression de ladite infraction afin de moraliser
la vie publique. Au paravent Abdou Diouf avait organisé les états généraux de l’enseignement
le 28 janvier 1981. Au plan politique Abdou Diouf consolide son pouvoir personnel aidé en
cela par son homme de confiance Jean Collin. Cette construction hégémonique est passée par
la suppression du poste de premier ministre confié à son ami Habib Thiam. Cette réforme
institutionnelle est introduite par la loi n°83-55 du 1er Mai 1983. Le constituant affirme dans
l’exposé des motifs sa volonté d’établir un lien direct entre le président de la république et le
peuple tout en renforçant l’indépendance et la puissance de l’assemblée nationale. Évincé du
poste de premier ministre Habib Thiam devient président de l’assemblé et poursuit le bras de
fer avec Jean Collin. Une autre réforme constitutionnelle vient mettre fin à ces velléités
d’autonomie et de résistance face au rouleau compresseur présidentielle savamment manipulé
par jean Collin. Le président de l’assemblé nationale Habib Thiam s’oppose à une réforme
constitutionnelle visant à octroyer au présidant de la république le droit de dissoudre
l’assemblée nationale. Le refus obstiné du président de l’assemblé nationale d’avalisé cette
réforme le place dans le collimateur du pouvoir présidentiel il est alors désigné comme un
élément à neutralisé. C’est ainsi qu’une loi constitutionnelle n° 84-34 du 24 mars 1984
abrogeant l’alinéa 1 de l’article 51 de la constitution vint réduire le mandant du président de
l’assemblé nationale de 5 à 1 ans renouvelable. Elle obéissait officiellement à une volonté de
restaurer l’équité par rapport aux autres membres du bureau vice-président secrétaire questeur
et président des différentes commissions du parlement qui tous était élu pour 1 ans
renouvelable. Mais le texte lève un point du voile sur les motivations sujette à caution de la
réforme qui de toute évidence cherchait à liquider un potentiel adversaire politique. En effet
le constituant précise en outre il peut paraitre inconséquent que « dans un régime démocratique
18
comme le nôtre au sein d’une institution parlementaire démocratique comme la nôtre, la
grande majorité des élus du peuple puisse à quelque moment que ce soit se sentir impuissant
et désarmé face à un membre qu’ils ont librement et démocratiquement porter à leur tête au
cas où les intérêts de la masse ou ceux des mandants seraient menacés ou bafoués ».
L’argument est spécieux, car le même raisonnement peut s’appliquer au président de la
république aux députés et a tous les élus pendant la durée de leur mandant. Dépité par tous ces
manœuvres Habib Thiam démissionne de toutes ses fonctions politiques de la présidence de
l’assemblée nationale, du poste de député, de secrétaire générale de la coordination
départemental de Dagana de secrétaire générale adjoint de l’union régionale de la région du
fleuve, de membre du conseil national et du bureau politique. S’il n’a pas démissionné du parti
socialiste c’est dit-il en raison de son amitié pour Abdou DIOUF.

Une fois le président DIOUF assuré de la stabilité de son pouvoir personnel en éclipsant ou en
éliminant tous ses rivaux potentiels de son temps, il lui fallait préserver son pouvoir devisé de
l’opposition. De ce fait, il se posait à Abdou Diouf un dilemme cornélien comment dans un
contexte de crise économique donner toute les apparences d’une démocratie afin de conserver
un pouvoir autocratique fondé sur le prestige d’être un démocrate. C’est dire que les limites à
la construction hégémonique d’Abdou DIOUF se posent dans les termes gestion problématique
du pouvoir dans la confrontation avec l’opposition.

Les difficultés politiques rencontrées par le régime d’Abdou DIOUF sont liées à la contestation
des élections par l’opposition qui juge le code électoral inique en ce qu’il favorise des fraudes
à grande échelle. Cette pierre d’achoppement est à l’origine de remous sociopolitiques qui sont
aggravés par le contexte historique de l’ajustement structurel. Cette crise sociale sur fond de
malaise de la jeunesse ne manque pas de générer chômage, pauvreté et marginalisation. Les
élections générales de 1988 constituent un point culminant dans la confrontation entre le
pouvoir et l’opposition qui dégénère dans la violence. Les bus sont saccagés, ce qui n’est pas
nouveau, ainsi que les voitures de l’administration et des particuliers, les feux de signalisation,
les cabines téléphoniques etcetera. L’état d’urgence est décrétée et le couvre-feu établi partout
à Dakar. Les principaux leaders de l’opposition notamment Me Wade sont arrêtés et déférés
devant la Haute Cour de Justice. La situation politique demeure trouble et instable alors que les
principales revendications de l’opposition liées à la réforme constitutionnelle du code électoral
sont méconnues du pouvoir.

Abdou Diouf est porté à la tête de l’État avec 73,20% des voix et 103 députés de son parti sont
élus sur les 120 que comptait l’assemblée nationale. Il élude la question relative à la crédibilité
19
du système électoral lors d’une conférence de presse, précisément en ce qui concerne
l’identification de l’électeur qui a constituée pour l’opposition une source importante de fraude
par les votes multiples. Cette confrontation avec l’opposition met le pays dans une situation
politique on ne peut plus tendue que le régime d’Abdou Diouf va tenter de dénouer en
s’acheminant progressivement vers une cogestion du pouvoir.

PARAGRAPHE II : LE DENOUEMENT PROGRESSIF DES TENSIONS POLITIQUES :


VERS LA COGESTION DU POUVOIR

Il y a eu un jeu subtil entre le président Diouf et son principal opposant dans la gestion de la
crise politique de 1988. La résolution de celle-ci s’est faite à travers leur complicité objective
l’un œuvrant pour la paix sociale afin de poursuivre les politiques d’austérité imposées par les
bailleurs de fonds et l’autre voulant obtenir des garanties d’une compétition électorale équitable
afin d’avoir des chances d’accéder au pouvoir. Cette période de négociation dans une certaine
instabilité politique du pays a été cruciale dans la construction démocratique du Sénégal. Cela
étant, pour juguler la crise de 1988, le pouvoir s’est essayé à une reprise en main qui s’annonce
avec le discours du président Diouf le 1er mai en lieu et place du défilé traditionnel des
travailleurs. Le président se limite à la sphère économique : prix aux producteurs, pouvoir
d’achat, projets de création d’emplois. En ce qui concerne l’augmentation du pouvoir d’achat
et l’emploi, il prévient « je réprouve la démagogie qu’avons-nous entendu ces derniers mois :
le riz à 60fr, l’emploi pour tous et tout de suite et d’autres promesses tout aussi stupides que
leurs auteurs seraient bien incapables de réaliser tout simplement parce qu’elles sont
impossibles aujourd’hui. Croire à de telles élucubrations c’est faire confiance à des charlatans,
je le dis comme je le pense. »

Abdou Diouf annonce ensuite la baisse des denrées dites de première nécessité le riz, le sucre,
et l’huile d’arachide. C’était là pour lui un moyen d’atténuer l’impact du discours subversif de
l’opposition et de désamorcer sa capacité de nuisance en lui enlevant ses thèmes les plus
mobilisateurs et les plus populaires. Abdoulaye Wade est condamné à une peine
d’emprisonnement avec sursis et retrouve la liberté le 11 mai 1988 alors que Boubacar Sall
condamné à deux (2) ans d’emprisonnement ferme fut transféré à Kolda ; ce qui était une
manière d’exercer une pression sur le PDS et l’obliger à négocier. La décrispation politique est
scellée à travers une loi d’amnistie adopté le mardi 24 mai 1988 en conseil des ministres et voté
le samedi 28 mai 1988 par l’assemblée nationale.

20
Moins d’une semaine plus tard, à l’occasion de l’Aïd El Fitr (la fête qui marque la fin du
ramadan) fête de réconciliation et de pardon célébrée par la communauté musulmane les mardi
et mercredi 16 et 17 mai 1988, le président Diouf révèle dans son adresse à la nation les mesures
prises pour apaiser la situation politique et sociale : « j’avais décidé de lever à la fin de cette
semaine l’état d’urgence que j’avais décrété dans la région de Dakar au lendemain des élections.
J’ai décidé également de déposer sur le bureau de l’Assemblée Nationale un projet de loi
d’Amnistie. J’ai décidé également d’appeler Abdoulaye WADE, chef de l’opposition
parlementaire à me rencontrer pour que nous recherchions ensemble les voies et moyens pour
une vraie concertation sur les grands problèmes qui préoccupent les sénégalais, sur la
consolidation de notre démocratie, sur les questions économiques et sociales, sur les problèmes
de la jeunesse, de l’école et de l’emploi ; l’opposition a son mot à dire et le gouvernement doit
l’entendre »

Dans la lignée de cette ouverture, Maitre Wade est reçu par Abdou Diouf le jeudi 26 mai en
présence d’Ousmane Ngom et de Jean Collin. A sa sortie d’audience, Me Wade fait une
déclaration lue par Ousmane Ngom et dont voici la teneur « après la volonté exprimée de part
et d’autre d’une concertation, nous nous sommes retrouvés aujourd’hui et nous avons passé en
revue tous les problèmes qui se posent au Sénégal sans en exclure aucun. Nous pensons que
des solutions peuvent être trouvées à condition qu’il y ait une concertation démocratique
permettant d’aboutir à un consensus. Nous avons réfléchi sur une approche et nous avons
proposé un cadre de concertation sous la forme d’une table ronde nationale à laquelle sera
conviée l’opposition. Cette table ronde travaillerait sous forme de commission correspondant
aux différents secteurs identifiés :

1. Politique,
2. Jeunesse, éducation et emploi,
3. Économie,
4. Social.

Ces commissions devraient pouvoir siéger dans un délai de quinze jours et terminer leurs
travaux dans les plus brefs délais.

Mais Abdoulaye Wade en acceptant le principe de la discussion avec Diouf n’était plus en phase
avec le cadre des 11, la structure autour de laquelle s’était organisée l’opposition et dont la
plateforme revendicative s’articulait autour de deux points essentiels : la démission de Diouf et
de Jean Colin et l’organisation de nouvelles élections, libres et démocratiques. C’est ainsi que
seul le PDS et ses alliés le PIT (partie de l’indépendance et du travail), la LDM/PT sont allés à

21
la table ronde avec le PS et ses partis satellites dont l’UDSR (union démocratique sénégalaise
rénovation) de Mamadou Puritain Fall et le PDSR de Sergine Diop. Prévues pour le 15 juin, les
négociations sont finalement entamées le 04 juillet 1988. Après des débats passionnés, seule la
commission politique a fonctionné et le consensus ne fut établi que sur un point à savoir
l’élection du président de la république au scrutin majoritaire à deux tours. Le PS et ses alliés
d’un côté et l’opposition De l’autre se renvoient l’accusation de sabotage des négociations.
Abdoulaye Wade se retire à Paris le 29 aout 1988.

Malgré les garanties formelles apportées pour fiabiliser la compétition politique notamment à
travers la réforme du code électoral, la charte de la démocratie, le statut de l’opposition, le
financement des partis politiques etc., l’opposition choisit de radicaliser la lutte pour maintenir
la pression sur le président Abdou Diouf. Après son séjour parisien de près de six mois,
Abdoulaye Wade rentre triomphalement à Dakar le 07 mars 1989 qui a été pour lui une occasion
d’effectuer une remarquable démonstration de force. Les menaces les plus radicales pour le
PDS de Wade étaient de constituer un gouvernement parallèle, de publier des résultats des
élections à partir des procès-verbaux détenus par le PDS et de contester la légitimité d’Abdou
Diouf. La publication des « vrais » résultats selon le PDS intervient en mars 1989 dans le n°52
du journal Sopi du 10 mars 1989 après l’échec des négociations entre Maitre Wade et le
pouvoir. Plusieurs manifestations sont organisées par l’Alliance Sopi entre le 07 mars et le 04
avril 1989. A partir de cette date, les meetings de l’opposition sont systématiquement interdits
à Dakar.

Finalement plusieurs facteurs vont faciliter le rapprochement entre pouvoir et opposition dont
le conflit sénégalo-mauritanien, le départ de Jean Collin et les mutations géopolitiques
internationales marquées par les transitions démocratiques en Afrique dans les années 90. Dans
la crise sénégalo-mauritanienne, les perspectives économiques offertes par les barrages et la
volonté de l’Etat mauritanien de contrôler exclusivement la rive droite en confisquant au besoin
les terres des autochtones contrairement au droit coutumier et en dépit des démarches
d’apaisement semblent constituer les ressorts profonds du conflit. Il se passe alors un climat de
tension entre les deux protagonistes qui culmine avec l’incident frontalier de Diawara survenu
le 9 avril 1989 qui se répercute dans les deux pays par une spirale de violences aveugles et de
pillages. Il est résulté de cette crise sénégalo-mauritanienne une prise de conscience de
l’existence d’intérêts nationaux vitaux à préserver au-delà des querelles partisanes.

Le raccommodement entre le pouvoir et l’opposition a été également favorisé par le départ du


très puissant ministre d’Abdou Diouf en l’occurrence Jean Colin considéré pour beaucoup
22
comme étant à l’origine d’une certaine intransigeance du pouvoir quant à opérer les réformes
démocratiques souhaitées par l’opposition. Il a joué un rôle déterminant pour rendre irrévocable
le projet de démission de Senghor et la montée d’Abdou Diouf au premier plan ; ce qui lui
vaudra une licence à tout faire à lui concédée par le chef de l’Etat en plus d’une estime et d’une
admiration sans borne qui frise le fanatisme.

Jusqu’à son départ, Jean Colin marquera très personnellement l’Etat sénégalais plus que ne
l’aura fait Abdou Diouf. Il a construit progressivement son influence et sa mainmise sur
l’appareil étatique et servi d’écran entre Abdou Diouf et les autres. En fin stratège et tacticien,
il a su combattre tous ceux qui étaient susceptibles de porter ombrage à Diouf ou qui
manifestaient des velléités d’autonomie. Etant français et donc ne pouvant pas succéder à Diouf,
il réunissait en sa personne les conditions requises pour gérer la réalité du pouvoir sans inquiéter
celui qui en était constitutionnellement le détenteur. Jean Colin, au sommet de sa puissance, a
combattu âprement tout rapprochement entre président Diouf et son opposition notamment Me
Wade qu’il considérait comme « un dangereux aventurier capable de mettre le Sénégal en péril
» en voulant « faire passer le pays de l’Etat de non droit à l’Etat de droit en 48 heures ».
Longtemps attendu, la disgrâce de Jean Colin intervient le 30 mars 1990 à l’occasion d’un
remaniement ministériel.

Cette passerelle établit entre les différents protagonistes engagés dans la compétition au pouvoir
était également tributaire des bouleversements géopolitiques intervenus dans la nouvelle donne
internationale précisément la conjonction dans une conjoncture fluide de facteurs internes et
externes favorable à la démocratisation des régimes politiques africains.

Finalement les pourparlers enclenchés au mois de janvier 1991 connaissent un dénouement


heureux. Ainsi le leader du PDS devenait-il ministre d’Etat auprès du président de la république
alors qu’Ousmane Ngom pilotait le ministère du travail et de la formation professionnelle
pendant que Jean Paul Diaz était nommé à l’intégration africaine et Aminata Tall à
l’alphabétisation. Plusieurs interprétations théoriques de ce mode de gestion du pouvoir peuvent
être échafaudées. On pourrait la rattacher au transformisme c’est-à-dire l’absorption par la
classe dominante des intellectuels susceptibles de diriger politiquement et idéologiquement les
classes subordonnées. Cela d’autant plus que le PDS et son leader étaient particulièrement
populaires. Pour d’autres, l’opposition lassée par une confrontation éprouvante avec le pouvoir
recherchait une trêve à la faveur de laquelle elle pourrait accéder aux ressources économiques
et symboliques et gouter aux délices du pouvoir.

23
Le gouvernement de majorité présidentielle élargie peut encore être interprété comme une
collusion stratégique, « un gentleman agreement » entre le président officiel et le président
officieux, le président de la république et le président de la rue publique, entre les deux
principaux leaders du pays Abdou Diouf et Abdoulaye Wade. Les intérêts contradictoires au
départ entre les deux principaux adversaires se disputant le pouvoir seront surmontés pour
aboutir à un compromis. En effet, le pouvoir voulant se maintenir, avait besoin de combler le
gap de légitimité induit par les effets néfastes des politiques économique et sociale drastiques
menées sous l’égide des institutions de Bretton Woods tout en rompant le cercle vicieux des
contentieux et troubles électoraux récurrents avec leurs lots de violence. C’était là également
une manière de s’inscrire dans le contexte international favorable à la démocratisation en
Afrique. L’opposition quant à elle voulait gagner en crédibilité en démontrant son aptitude à
gouverner en même temps qu’elle cherchait de l’intérieur un moyen d’obtenir plus efficacement
et plus facilement des réformes politiques à travers une compétition électorale transparente et
loyale susceptible de déboucher sur une alternance. C’est dans cette perspective qu’il faut
appréhender la mise en place du premier gouvernement de majorité présidentielle élargie
présidé par Habib Thiam. Le gouvernement de majorité présidentielle élargie s’analyse dès lors
comme un creusé de la construction démocratique entre politisation du droit et juridicisation de
la politique.

24
CHAPITRE II : LA DYNAMIQUE DE LA CONSTRUCTION DEMOCRATIQUE
ENTRE POLITISATION DU DROIT ET JURIDICISATION DE LA POLITIQUE

Progressivement, l’évolution du système politique sénégalais est allé dans le sens d’un contrôle
juridictionnel devenu plus efficace fondé sur des règles plus équitables (section 1) mais
également vers la régulation médiatico-électorale de la compétition politique (section 2).

SECTION I : UN CONTROLE JURIDICTIONNEL PLUS EFFICACE FONDE SUR DES


REGLES PLUS EQUITABLES

Il s’agira dans un premier mouvement d’étudier les conditions d’élaboration du code électoral
consensuel et dans un second l’évolution qualitative du contrôle juridictionnel.

PARAGRAPHE I : L’ELABORATION D’UN CODE ELECTORAL CONSENSUEL


EPROUVE PAR LA PRATIQUE

La sécrétion de règles électorales consensuelles n’a pas manqué de susciter des tensions et
dissensions politique autour de l’application du code consensuel.

A- LA SECRETION DE REGLES ELECTORALES CONSENSUELLES

Dans le contexte de la gestion concertée du pouvoir, il était plus aisé pour l’opposition d’obtenir
des garanties pour améliorer le processus démocratique. En ce sens, une commission nationale
dirigée par le magistrat Kéba Mbaye est mise en place pour réformer le code électoral afin d’en
finir avec la rémanence des contestations et violences qui émaillent les joutes politiques. Le
document ainsi produit est le fruit d’un consensus autour duquel était agglutinée une quinzaine
de partis politiques.

Parlant du texte législatif, le président Abdou Diouf affirme que c’est le « meilleur code
électoral dont on ne devrait pas changer une virgule. » Il est adopté par l’assemblée nationale à
l’unanimité le 07 février 1992 et promulgué le 22 mars de la même année. Le code introduit de
nombreuses et cruciales innovations qui visaient à rétablir l’équilibre entre le parti au pouvoir
et l’opposition lors des compétitions électorales et à assurer plus généralement la loyauté et la
limpidité des scrutins. D’abord la majorité électorale est ramenée de 21 ans à 18 ans ; c’était là
une revendication constante de l’opposition pensant à tort ou à raison qu’elle détenait un
immense potentiel de suffrage parmi les jeunes notamment ceux-là qui avaient participé aux
25
émeutes de 1988 sans avoir voté pour autant parce qu’ils n’étaient pas inscrits sur les listes
électorales, ou n’avaient pas leur carte d’électeur, ou n’avaient pas atteint l’âge de 21 ans requis
pour s’acquitter de leurs devoirs civils. C’est en vue de régler ce problème que l’article « L1 »
du code électoral dispose « sont électeurs les sénégalais des deux sexes âgés de 18 ans
accomplis, jouissant de leurs droits civils et politiques et n’étant dans aucun cas d’incapacité
prévu par la loi. »

Pour une plus grande équité, le code électoral interdit au parti au pouvoir d’user et d’abuser de
sa position dominante notamment à travers la prohibition de la propagande déguisée et
l’utilisation des biens de l’Etat à des fins électoralistes. Abondant toujours dans le registre des
ruptures d’égalité pouvant provenir des capacités financières des divers candidats à la
compétition électorale, l’article L59 du nouveau code dispose « les frais de fournitures des
enveloppes, bulletins de vote, procès-verbaux et papeteries ainsi que ceux qu’entraine
l’installation des isoloirs et des bureaux de vote sont à la charge de l’Etat. » De même, les
candidats sont protégés par une immunité prévue à l’article L83 en effet « De l’ouverture
officielle de la campagne électorale jusqu’à la proclamation des résultats du scrutin, aucun
candidat ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé pour des propos tenus ou des
actes commis durant cette période et qui se rattache directement à la compétition électorale ».
Le code opère une libéralisation de la compétition politique en ce sens que les coalitions de
partis sont autorisées de même que les candidatures indépendantes à l’élection présidentielle
tout comme aux élections législatives.

De telles dispositions sont de nature à tempérer l’hégémonie du parti au pouvoir et créent des
conditions juridiques susceptibles de faciliter l’avènement d’une alternance démocratique
considérée par l’opposition comme un support fondamental de consolidation de la démocratie.
Le code consensuel permettait également une plus grande représentation des petits partis dans
la mesure où il rompu la parité entre le soutien majoritaire départemental la représentation
proportionnelle. En effet il prévoyait sur 120 députés d’en élire 50 au scrutin majoritaire
départemental et 70 par le biais de la proportionnelle ; ce qui avantage les partis de faible
envergure nationale pour la simple raison que le quotient est différent.

Dans le même sens le code assurait la démocratisation de certaines informations stratégiques


en prévoyant de communiquer la carte électorale à tous les partis politiques supprimant ainsi la
possibilité d’existence frauduleuse de bureaux de vote.

26
En ce qui concerne les listes électorales, un droit de regard est reconnu aux partis politiques. En
plus les représentants des partis politiques acquièrent le droit de siéger dans les bureaux de vote
pour apprécier la régularité des opérations électorales en même temps que la possibilité est
donnée aux candidats de se rendre dans les bureaux de vote où ils compétissent pour s’enquérir
du déroulement des opérations.

Au surplus, les pouvoirs du président du bureau de vote sont strictement encadrés en matière
de police pour éviter tout abus. Des dispositions sont également prises pour rendre le vote à la
fois secret dans le choix de l’électeur et transparent dans sa procédure. En effet, avant de voter,
l’électeur doit être clairement identifié et soustrait à toutes sortes de pressions de quelque nature
qu’elles fussent. L’identification préalable de l’électeur permet d’éviter les votes multiples. Elle
est complétée par une imprégnation au pouce d’une encre indélébile et par le passage obligatoire
à l’isoloir. Toutes ces dispositions sont prévues à l’article L50 du nouveau code électoral. Par
rapport au dépouillement, des règles strictes sont posées en même temps qu’il est fait appel à
des scrutateurs dont le rôle participe à la crédibilisation des suffrages exprimés.

Chaque membre du bureau, les représentants des candidats et partis politiques notamment
signent le procès-verbal (PV). Après l’établissement des procès-verbaux, la loi électorale
prévoit les mesures devant présider à leurs acheminements par des personnes assermentées sous
le contrôle des délégués de la cour d’appel.

De même, le code consensuel exprime une volonté de sécuriser les opérations et lieux de vote
de même que les personnes préposées à la supervision des procédures électorales. Le code sévit
(puni) les citoyens coupables de fraude pour avoir exercé faussement, indument un ou plusieurs
fois l’acte de vote. Aussi sont-ils pénalement punis les actes frauduleux perpétrés dans le
décompte ou le dépouillement des suffrages. D’autres mesures sont également prévues par la
nouvelle loi électorale visant à pacifier l’atmosphère des opérations (interdiction de toute forme
de propagande le jour du scrutin, sanction des manœuvres dolosives consistant par des rumeurs,
des bruits ou tout autre moyen à empêcher des citoyens à exercer leurs devoirs civiques, des
faits de violence individuels ou collectifs avec ou non usage d’arme de nature à porter atteinte
au bon ordre dans les lieux de vote ou à entacher la sincérité des opérations électorales. Mais
avoir produit des règles consensuelles de compétition électorale, il s’en est suivi cependant des
tensions et dissensions politiques relatives à l’application du code consensuel.

27
B- LES TENSIONS ET DISSENSIONS POLITIQUES AUTOUR DE L’APPLICATION DU
CODE CONSENSUEL

Après la période euphorique de l’unité politique réalisée autour du code consensuel,


l’unanimisme s’estompe dès lors que le code est mis à l’épreuve de la pratique lors de l’élection
présidentielle de 1993 notamment à travers le blocage de la Commission Nationale de
Recensement des Votes (CNRV). Les travaux de la commission buttent en effet sur plusieurs
obstacles tenant à des irrégularités notées à la méthode de travail et d’interprétation des textes
mais également à cause de sa composition. En effet, elle regroupe tous les représentants des
partis politiques et un magistrat mais ce dernier ne peut prendre la décision d’envoyer les
procès-verbaux au conseil constitutionnel sans l’avis de tous les membres restés attachés aux
intérêts contradictoires de leurs partis. Concernant les irrégularités, il y avait le contentieux
délicat des ordonnances car si le nouveau code rendait obligatoire l’identification de l’électeur,
la question de la rectification des erreurs contenues dans le fichier électoral d’avant cette date
se posait. Cela a donné lieu à un décret afin que les autorités judiciaires puissent rectifier les
erreurs éventuelles compte tenu des preuves qui leurs sont présentées. Ce problème de
rectification des erreurs contenues dans le fichier a été à l’origine de fraudes massives dans la
mesure où les ordonnances délivrées qui devaient pourtant être la solution aux problèmes
originels ont donné lieu à des votes multiples qui ont entaché la sincérité du scrutin. La
commission nationale de recensement des votes est définitivement bloquée par une autre forme
de discorde lorsque les commissaires représentant les candidats de l’opposition exigent que
soient revus tous les procès-verbaux des six (6) départements que sont Dagana, Kaolack,
Ziguinchor, Matam, Podor et Mbour totalisant 1515 bureaux de vote.

La présidente « Andrésia Vaz » estime alors que cette requête n’entre ni dans la compétence, ni
dans les missions de la commission nationale. Compte tenu de la paralysie de la CNRV et des
multiples controverses juridiques et politiques, Mme Vaz transmet le dossier au conseil
constitutionnel le samedi 27 février 1993 avec un rapport circonstancié annexé à celui des autres
commissaires et avec l’ensemble des pièces provenant des 31 commissions départementales.
Les représentants des candidats de l’opposition protestent alors contre cette décision arguant
leur volonté de poursuivre leurs missions au sein de la commission nationale jusqu’à la
proclamation définitive des résultats conformément à l’article L58 du code. En effet, ils
estiment que le conseil constitutionnel ne peut être saisi qu’aux termes de l’article 48 du code
électoral à la triple condition que la commission nationale finisse le recensement général des
votes, que les résultats provisoires soient proclamés et qu’une copie du procès-verbal de réunion
soit remise à chaque représentant de candidat. Considérant que la CNRV n’a statué que sur
28
quatre des 31 procès-verbaux, les représentants de l’opposition dans une lettre adressée au
président du conseil soutiennent que la saisine de la juridiction suprême est irrégulière et ne
saurait légalement aboutir à la proclamation des résultats.

Le conseil constitutionnel estime quant à lui qu’en dehors de toute disposition textuelle, la
commission nationale de recensement des votes doit pouvoir statuer dans un délai raisonnable
de 72 heures. Passé ce délai, le conseil constitutionnel devra être saisi qu’il y ait ou non
proclamation des résultats.

En fait, le code portait en lui-même les germes du conflit qui, en érigeant la toute-puissance des
parties en règle absolue, a privé le jeu électoral d’un arbitre ayant la mission et le pouvoir de
freiner les passions partisanes. C’est dire que le consensualisme et l’unanimisme qui ont prévalu
l’adoption du code ont trompé la vigilance de ses rédacteurs qui s’en sont fiés de bonne foi à la
culture démocratique postulés des acteurs politiques sans prévoir l’hypothèse d’un arbitrage
nécessaire et efficace pouvant transcender les prétentions et intérêts partisans. On comprend
dès lors la position du juge Kéba Mbaye président de la commission nationale de réforme du
code électoral lorsque démissionnant de la présidence du conseil constitutionnel, il affirme «
nous avons élaboré un code, qui je le répète, reste pour moi excellent. Mais il reste bien entendu
que ce code comme je l’avais dit d’ailleurs à l’occasion d’une interview le 31 décembre à la
télévision nécessite une certaine culture démocratique et l’acceptation sans arrière-pensée du
jeu, des règles qui permettent de jauger les pulsions du peuple et de les respecter telles qu’elles
soient. »

Mais à la vérité, il s’agit moins d’un déficit de culture démocratique que d’une erreur juridique
car le droit est pour les acteurs politiques à la fois une contrainte et une ressource politique. Ils
utilisent le droit pour faire valoir leurs intérêts personnels et partisans tout comme le droit
produit à leur encontre des obligations, des contraintes auxquelles ils ne peuvent échapper. Cela
étant, dans sa composition comme dans son fonctionnement, la commission nationale avait ceci
d’incohérent que les partis politiques engagés dans la compétition électorale étaient ceux-là
mêmes qui devaient trancher les litiges y afférent et dès lors la confrontation de leurs intérêts
contradictoires ne pouvait que déboucher sur une impasse. Comme on pouvait le prévoir en
raison de la radicalisation des uns et autres dans leur position la CNRV connait un nouveau
blocage fondé précisément sur des divergences relatives aux méthodes de travail notamment le
souhait des représentants des candidats de l’opposition d’appliquer la règle de la majorité. Pour
Mamadou Diop, représentant le candidat Abdou Diouf, cette position n’est rien d’autre qu’une
manœuvre politicienne « en réalité dit-il le fond du problème est qu’on pense qu’avec la loi
29
automatique de la majorité (c’est très claire et il y a deux blocs formés sept contre un) on pense
pouvoir régler les élections au niveau de la commission nationale. Ils veulent avec ce principe
annuler les votes des départements de Kaolack, Podor, Matam et Ziguinchor et c’est dit partout.
Cela permet simplement d’abaisser les résultats du candidat Diouf et d’aller au 2ème tour. Est –
ce que cela est acceptable ? Ce n’est pas acceptable. Voilà le problème. » Dès lors il semble
que l’opposition ait voulu instrumentaliser les normes électorales en cherchant à faire appliquer
la règle du quart bloquant prévue par l’article 28 de la constitution du 07 mars 1963 qui disposait
« le scrutin a lieu un dimanche, nul n’est élu au 1 er tour s’il n’a obtenu la majorité absolue des
suffrages exprimés représentant au moins le quart des électeurs inscrits. Si aucun candidat n’a
obtenu la majorité requise, il est procédé à un second tour de scrutin le 2ème dimanche suivant
celui du 1 er tour. Seuls sont admis à se présenter à ce second tour les deux candidats arrivés
en tête au 1 er tour. En cas de contestation, le second tour a lieu le 2ème dimanche suivant le jour
du prononcé de l’arrêt du conseil constitutionnel. Au second tour la majorité relative suffit. »
Le conseil constitutionnel tranche finalement le litige et publie les résultats de la présidentielle
remportée par Abdou Diouf. Du blocage de la commission nationale de recensement des votes,
il est sorti l’idée d’une nécessaire réforme du code électoral.

La réforme est finalement introduite par la loi n°93-08 du 21 mai 1993 et concerne les articles
L44 et L58 du code électoral alors que les articles LO111 et LO112 sont modifiés par la LO
n°93-09 du 23 avril 1993.

Les partis politiques continuent de siéger dans les commissions départementales mais n’ont que
des attributions de pure comptabilisation. En revanche la composition de la CNRV est modifiée
avec des prérogatives plus grande et une présence renforcée des magistrats qui seuls ont voix
délibérative. Ils prennent la décision finale hors la présence des représentants des partis
politiques. Ils peuvent toutefois assister aux réunions à l’exception de la délibération et peuvent
porter leurs observations au procès-verbal.

Après la production concertée de règles électorales consensuelles, élaborées à la suite de


tensions et de dissensions, il convient également de s’appesantir sur l’évolution qualitative du
contrôle juridictionnel.

PARAGRAPHE II : L’EVOLUTION QUALITATIVE DU CONTROLE JURIDICTIONNEL

Le juge électoral a toujours fait l’objet de suspicion en ce sens on peut donner comme exemple
le vote public du premier président de la cour suprême Amadou louis GUEYE lors des élections
30
générales de 1983 que l’opposition à interpréter comme étant une manière de démontrer sa
loyauté au régime malgré l’obligation de réserve qui pesait sur lui. Plus surprenant encore, est
le choix du président Abdou Diouf portait sur Ousmane Camara un ami, camarade de classe au
lycée et homme politique à part entière de son parti comme président de la cour suprême
chargée notamment du règlement du contentieux général présidentiel et législative de 1988.
Avec le consensualisme qui a prévalu à l’adoption du code électoral consensuel de 1992, Kéba
Mbaye est nommé président du conseil constitutionnel. Nomination qui emporte l’adhésion de
tous les protagonistes du jeu politique. La démission du président Kéba Mbaye et l’assassinat
du vice-président Maitre Babacar SEYE le 15 mai 1993 relancent les contradictions autour de
l’instance juridictionnel. Il n’en demeure pas moins que la Cour Suprême s’est illustrée par
l’application rigide de la loi inique et le Conseil Constitutionnel par l’application plus
judicieuses de règles équitables.

A- L’APPLIATION RIGIDE DE LOI INIQUE PAR LA COUR SUPREME

Avant 1978, les décisions de la cour suprême en matière électorale ne sont point intéressantes
dans la mesure où il n’y avait à proprement parler de contentieux car un seul parti et un seul
homme étaient concernés pour les élections présidentielles et législatives. L’examen du
contentieux électoral vidé par la cour suprême révèle une vicieuse manipulation du jeu politique
dans laquelle les citoyens sont pris en otage et où les opposants n’ont pas les moyens de faire
valoir leurs droits car le juge pose des conditions draconiennes (sévères) dans l’administration
des preuves tout en étant neutralisé lui-même par la loi. Dans cette situation, il est évident que
le processus démocratique était encore claudiquant c’est-à-dire boitant, il n’a pas encore permis
l’affirmation suffisante du juge électoral pour arbitrer de manière convenable et acceptable la
compétition politique. Il convient d’analyser successivement toutes ces idées qui constituent la
charpente sur laquelle repose le pouvoir minutieusement gardé par le PS dans les compétitions
électorales arbitrées par la cour suprême.

D’abord, il s’agit de la coloration partisane des membres du bureau qui faussent complètement
la compétition électorale. Ainsi les bureaux de vote ont été présidés par des candidats du PS
aux élections législatives, municipales et rurales de 1978. Ce grief soulevé avec pertinence par
les requérants est balayé par le juge qui dans sa décision n°4c78 du 13 mars 1978 considérant
que c’est ce que la loi prévoit en tire la conclusion suivante « le fait que les personnalités
énumérées aient pu être candidates à une élection législative, municipale ou rurale ne constitue
pas un empêchement pour leur désignation à la présidence des bureaux de vote. » On voit ici
que le juge a les mains liées qu’il doit se baser sur la loi pour trancher le contentieux électoral
31
alors que celle-ci est injuste car il se pose la question de fond de savoir si ceux qui sont engagés
dans la compétition politique peuvent en superviser le déroulement sans que cela ne porte
atteinte à la sincérité des opérations de vote.

Lors des élections de1983, le juge va encore plus loin et estime dans l’arrêt conjoint n°4c, 5c,
6c, 8c-83 du 23 mars 1983 concernant les recours du PDS, de la LDM/PT, du MDP et du PAI
que le fait pour les membres des bureaux de vote d’appartenir au parti au pouvoir n’a rien
d’incidences sur les résultats des élections. A travers cette position jurisprudentielle, c’est un
principe élémentaire de droit et d’équité selon lequel on ne peut pas être juge et partie qui est
foulé au pied. La suspicion est en effet légitime si on sait que ceux qui établissent les procès-
verbaux sont eux-mêmes candidats ou sont membres d’un parti qui est en lice dans les joutes
électorales. Pour ces mêmes élections de 1983 la loi cautionne également l’arbitraire en donnant
au président des bureaux de vote choisis sur des bases partisanes des pouvoirs étendus de
maintien de l’ordre qui sont abusivement utilisés. Dans une telle situation de deux choses l’une
ou le délégué laisse faire les membres du bureau dans leur penchant à la partialité et les intérêts
de son parti sont lésés tout en cautionnant la mascarade par sa présence ou il ne se laisse pas
faire et alors il est expulsé et remplacé par un suppléant si tenter qu’il y en ait et qui est tenu de
faire profil bas. La coloration partisane des membres du bureau couvre un enjeu fondamental
celui de l’identification de l’électeur car dès lors que le vote est public et qu’on peut savoir le
choix de l’électeur, il leur est aisé d’être complaisant et peu regardant lorsqu’il s’agit d’un
électeur voulant voter pour le parti au pouvoir. La question de l’identification de l’électeur a
soulevé plusieurs controverses dans la mesure où l’opposition a toujours soutenu que le non-
respect de cette condition était source de fraudes massives.
Dans le contentieux électoral, il y a la question essentielle du secret du vote. Là- dessus, la
responsabilité du juge est flagrante dans la mesure où c’est un principe prévu par la constitution
et dès lors que la loi ne saurait déroger à celle-ci l’alibi du juge ne tient plus. La question du
secret du vote est un aspect essentiel de la démocratie comme capacité d’un individu autonome
à exprimer librement ses choix politiques. Cependant, ce principe constitutionnel est vidé de sa
substance par les lois votées par la majorité. En effet, l’article 2 alinéa 3 de la constitution du
07 mars 1963 dispose « le suffrage peut être direct ou indirect, il est toujours universel, égal et
secret. » Ce principe permet de garantir la liberté de l’électeur qui peut subir des pressions dans
un environnement socio-culturel marqué par des rapports de dépendances clientélistes. Le juge
électoral le reconnait lorsqu’il affirmant « le caractère secret du vote tel qu’il résulte des
dispositions ci-dessus rappelées a pour but et pour objet de protéger les électeurs. » Mais ce
principe constitutionnel était totalement dévoyé par l’article L50 du code électoral de 1978 qui

32
précisait en son dernier alinéa « les isoloirs doivent être placés de façon à ne pas dissimuler au
public les opérations électorales. »

Pour parer à toute éventualité, le parti au pouvoir effectue une manipulation de la loi encore
plus pernicieuse en conférant aux électeurs le droit de se soustraire à l’obligation de respecter
le secret du vote ; ce qui est un bon moyen de contrôler leur loyauté vis-à-vis du parti au pouvoir.
Dans ces conditions, le vote n’était plus secret mais public car on pouvait identifier
efficacement les électeurs indécis qui votaient pour l’opposition et contre lesquels on pouvait
exercer des représailles contre eux. En refusant de procéder à un contrôle de constitutionnalité,
le juge laissait primer la loi expression de la volonté du parti au pouvoir sur le texte suprême
qu’est la constitution.

Par rapport à ce volontarisme posé comme échappatoire, il convient de faire remarquer un


aphorisme bien connu en droit selon lequel « entre le fort et le faible c’est la liberté qui opprime
et la loi qui libère ». Dans le même registre, il est intéressant d’évoquer un autre moyen de
pression à savoir la présence d’autorités administratives dans les bureaux de vote dans un
système de confusion entre l’Etat et le parti au pouvoir.

En effet ces autorités n’ont rien à faire dans les bureaux de vote dont la sécurité est assurée par
les forces de l’ordre. En fait, vu qu’en milieu rural, ces autorités sont respectées et craintes par
les populations qui ne font pas la différence entre celles-ci et le parti au pouvoir ou l’Etat, leur
présence favorise le parti au pouvoir. En effet ces autorités n’ont rien à faire dans les bureuax
de vote dont la sécurité est assurée par les forces de l’ordre. En fait vu qu’en milieu rural ces
autorités sont souvent très respectées et craintes par les populations qui ne font pas la distinction
entre celles-ci et le parti au pouvoir ou l’Etat, leur présence favorise le parti au pouvoir. Mais
le juge estime dans sa décision n°4c-78 du 13 mars 1978 que même si la présence de ces
autorités dans les bureaux de vote n’est pas souhaitable, aucune disposition législative ou
réglementaire ne l’interdit. En d’autres termes, toute la difficulté d’exercer un contrôle efficace
par le juge électoral réside dans cette contradiction à savoir d’une part la loi électorale soit
l’expression des intérêts du parti au pouvoir qui détient une forte majorité au parlement 111/120
députés en 1983 et d’autre part cette même loi soit regardée par le juge comme étant
l’expression de la volonté générale et par conséquent qu’il ne peut aller au-delà de celle-ci sans
contredire le principe de la séparation des pouvoirs.

Cette contradiction vicieuse est renforcée par le fait que le juge électoral refuse d’apprécier la
loi par rapport à la constitution, texte qui fait pourtant partie intégrante du système juridique.
33
Quant au requérant, il se heurte à l’obstacle difficilement surmontable d’apporter les preuves
de ses allégations du fait même de la complexité des situations et de la sévérité des conditions
posées par le juge concernant le régime juridique de la preuve. En 1978, le juge a rejeté les
griefs avancés par les requérants faute de preuves notamment sur la violation du secret du vote
et sur la corruption en nature et en argent aux abords des bureaux de vote. Cette tendance au
rejet des allégations des requérants pour absence de preuve se confirme à l’issu des élections
présidentielles et législatives de 1983 précisément par rapport aux inscriptions multiples et au
fait que les procès-verbaux n’aient pas été signés par l’ensemble des membres des bureaux de
vote. Mais lors des élections générales de 1988 par rapport aux deux requêtes introduites par
Abdoulaye Bathily et Opa Diallo à travers lesquelles il était demandé au juge d’annuler les
élections au motif que 156 procès-verbaux de bureaux de votes ont été annulés par la
commission de recensement de la cour suprême ; ce qui était de nature à biaiser la
représentativité des partis en compétition. La cour suprême a purement et simplement rejeté le
grief considérant que la signature des procès-verbaux est une formalité substantielle dont
l’inobservation doit être sanctionnée de nullité. Il faut remarquer que cette solution apparait
pour le moins simpliste car vu le nombre élevé de procès-verbaux en question et compte tenu
du fait que les requérants ont soutenu que les délégués du PS avaient refusé de les signer, le
juge aurait dû approfondir la question pour savoir si cela n’était pas l’expression d’une volonté
délibérée de frauder. La complicité agissante entre le parti au pouvoir, les autorités
administratives et les membres de bureau de vote a permis de construire un système de tricherie
électorale manifeste dans lequel les règles et principes démocratiques sont dévoyés. En effet les
membres des bureaux de vote sont choisis par les autorités administratives sur des bases
partisanes tout comme ces dernières doivent leur nomination plus à leur loyauté au parti
gouvernant qu’à l’Etat. Présente dans les bureaux de vote (ou le vote est public) elles intimident
les citoyens qui ne peuvent opérer librement leur choix surtout en milieux rural. Souvent
militant du parti au pouvoir les membres des bureaux organisent le vote de manière
complaisante, la non identification des électeurs est alors une source massive d’irrégularité à
travers les votes multiples. Les représentants des partis d’opposition manifestant leur courroux
sont expulsés car les présidents de bureaux détiennent des prérogatives étendus en matière de
police des lieux. Les requérants quant à eux ne peuvent faire valoir leur droit à cause des
conditions drastiques (sévère) d’établissement des preuves devant un juge électorale qui exclut
par ailleurs toute annulation globale des élections. Le juge quant à lui est piégé par le caractère
dévoyé du principe de la séparation des pouvoirs qui fait qu’il ne peut statuer que sur la base
de la loi, dont on sait qu’elle n’est ni neutre ni impartial parce que voté par une majorité de
coloration politique bien déterminée. Un principe fait pour garantir l’indépendance des pouvoir
devient ainsi un moyen de neutralisation du pouvoir judiciaire. Le juge lui-même ne semble pas
34
faire preuve d’audace car même lorsque des dispositions constitutionnelles sont violés, il refuse
d’en tirer les conséquences arguant en 1978 qu’en droit positif sénégalais il n’existe pas de
contrôle de constitutionalité des lois alors qu’il est sensé justement faire évoluer le droit. En
effet rien ne l’empêche sur le plan strictement juridique de faire œuvre de jurisprudence
prétorienne en sanctionnant au moins la violation de la constitution notamment en ce qui
concerne le secret du vote prévu par l’article 3 de la Constitution du 7 mars 1963. Il résulte de
tout cela un certain discrédit de l’instance judiciaire quant à trancher les litiges politiques.

Ainsi en 1988, le nombre particulièrement élevé de recours introduit par les partis d’opposition
auprès de la cour suprême pendant la campagne électorale de février 1988 et qui ont tous étaient
rejetés pour irrecevabilité ou défaut de base légale ont donné l’impression que la cour était aux
ordres du pouvoir exécutif. De tout cela, il résulte que la cour suprême ne semble pas avoir
beaucoup apporté au contrôle juridictionnel de la compétition politique. Ce handicap était lié
au contexte historique marqué par la forte emprise du parti au pouvoir sur les règles du jeu. Dès
lors avec les mutations d’ordre politique, juridique et institutionnel intervenues au début des
années 1990, la justice du politique évolue qualitativement. Ainsi avec la réforme judiciaire de
1992, la cour suprême est éclatée en trois juridictions souveraines et spécialisées : conseil
d’Etat, cour de cassation et conseil constitutionnel. Ce dernier s’emploie à appliquer plus
judicieusement des règles électorales plus justes.

B- L’APPLICATION PLUS JUDICIEUSE DE REGLES PLUS EQUITABLES PAR LE


CONSEIL CONSTITUTIONNEL

A partir de 1993, le contrôle des élections par le juge connait une certaine évolution à la suite
du consensus politique qui a permis au pouvoir et à l’opposition de se retrouver pour élaborer
un code électoral adopté sans qu’une virgule n’ait été retranchée pour reprendre l’expression
du président Abdou Diouf. Le conseil constitutionnel rappelle cette nouvelle donne dans sa
décision n° 05-93 du 02 mars 1993 et ne manque pas d’élaborer une nouvelle doctrine quant au
contrôle des opérations électorales. La juridiction souveraine affirme en ce sens « considérant
en effet que le code électoral de 1992 dit « nouveau code » est inspiré par la volonté commune
de rendre les opérations électorales totalement transparentes et les résultats des élections fiables
grâce au rôle prépondérant accordé aux candidats dans la conduite desdites opérations. » il est
notamment stipulé « chaque liste de candidats ou chaque candidat a le droit de contrôler
l’ensemble des opérations électorales depuis l’ouverture des bureaux de vote jusqu’à la
proclamation et l’affichage des résultats dans ces bureaux. » Par rapport à cette évolution à la

35
fois politique, juridique et institutionnelle, le juge électoral formule un principe de succession
et non de cumul entre les différents niveaux de contrôle.

A cet égard, le conseil constitutionnel affirme « considérant que depuis les bureaux de vote
jusqu’à la commission nationale de recensement des votes, les contrôles se succèdent mais ne
se cumulent pas ; qu’ainsi le bureau de vote contrôle le scrutin, la commission départementale
de recensement des votes contrôle les procès-verbaux des bureaux de vote et la commission
nationale de recensement des votes contrôle les procès-verbaux des commissions
départementales de recensement des votes. » Cette doctrine du conseil semble logique et
cohérente et paraît être de nature à garantir une bonne justice. En effet les partis politiques
représentés à chaque échelon du contrôle peuvent faire mentionnés dans les procès-verbaux
leurs réserves et les irrégularités qu’ils ont eu à constater. Cela donne cet avantage qu’à chaque
niveau ils sont plus au fait des réalités qu’ils dénoncent et au cas où ils ne le feraient pas la faute
leur incomberait. En plus même si cette doctrine ne renvoie pas à une synthèse dans la
vérification de tous les contrôles par le conseil constitutionnel juge en dernière instance chargé
de la proclamation définitive des résultats, il n’en demeure pas moins que le conseil peut
examiner selon les circonstances de l’espèce des cas de fraudes, d’irrégularités ou de la
violation de la loi dans des cas précis. En application de cette doctrine, le conseil constitutionnel
a eu à préciser l’étendue de son contrôle de manière très claire en 1993. Ce contrôle semble
s’exercer essentiellement sur celui opéré par la commission nationale de recensement des votes.
Dans cette rationalisation de l’organisation du contentieux, le conseil constitutionnel estime que
les questions relatives à l’utilisation des médias publics de manière inéquitable en faveur du
parti au pouvoir relèvent de la compétence de l’instance de régulation de l’audiovisuel ; pour
les inscriptions électorales, qu’elles sont du ressort de tribunal départemental et du conseil
d’Etat (aujourd’hui remplacé par la cour suprême) ; et pour l’utilisation des moyens et biens de
l’Etat à des fins de campagne, la haute juridiction estime que de tels griefs doivent être déférés
à l’attention du juge pénal.

Dans le même ordre d’idées, le juge réfute également tous les arguments qui auraient dû être
mentionnés au niveau des échelons inférieurs de contrôle. En effet, les réclamations faites
devant le conseil constitutionnel ne sont recevables que dès lors qu’elles ont été soulevées
préalablement par les représentants des candidats ou des partis politiques associés à tous les
échelons du contrôle des opérations électorales.

Mais, lorsque la juridiction spécialisée est compétente pour statuer sur les allégations des
requérants, ceux-ci n’obtiennent gain de cause qu’en se soumettant à un certain régime
36
d’administration des preuves. Celui-ci repose sur deux critères cumulatifs, des faits constants
et avérés dont la matérialité est clairement établie d’une part et d’autre part que ces mêmes faits
soient de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin.

Ces deux critères ont été adaptés au principe de la succession des contrôles édictés par le conseil
constitutionnel en 1993 pour rationaliser le contentieux électoral. Fidèle à cette doctrine, la
haute juridiction a rejeté toutes les prétentions non étayées de preuves.

En ce sens, lors de la présidentielle de 1993, le juge a estimé par rapport aux allégations de
corruption ce qui suit : « considérant que la distribution gratuite de denrées et de vivres dans
les départements de Matam et de Podor est également simplement alléguée mais pas davantage
prouvée, décide au fond le rejet des recours de Abdoulaye Bathily, Babacar Niang, Abdoulaye
Wade, Iba Der Thiam, Landing Savané comme mal fondés. » De même, dans sa décision n°
19A29/E-98 du 08 juin 1998, le moyen (argument ou grief) tiré du trafic d’influence exercé par
le parti au pouvoir aux alentours des bureaux de vote avancés par l’alliance Jëf Jël – USD a été
rejeté par le juge « considérant qu’il est difficile de rapporter la preuve que tous ceux qui
gravitent le jour du scrutin auprès des centres de vote appartiennent à une formation politique
déterminée ; qu’il ne s’agit là que d’une simple affirmation sans influence déterminante sur le
déroulement normal du scrutin dont la sincérité ne saurait être entachée par ce fait. »

En 2000, une affaire de fraude a été signalée au juge concernant les électeurs du Mali
précisément à Kayes. En effet, il a été reproché à un responsable du parti au pouvoir d’avoir
fait massivement voter des Maliens avec de faux documents sans que cela ne soit prouvée par
les requérants. Régulier dans sa logique, le conseil constitutionnel a rejeté de telles allégations
(prétentions).

Tous ces inconvénients dans l’administration des preuves ont été sensiblement réduits avec la
création de l’Observatoire National des Elections (ONEL) en 1997. En effet, cette institution
va contribuer substantiellement au relèvement de la qualité du contentieux électoral car les
rapports fournis par ses instances présentes au niveau des bureaux de vote et du département
vont permettre de contourner l’obstacle quasi-structurel de fournir des preuves à l’appui des
allégations de fraudes qui devaient être établies par exploit d’huissier. Or, il est hypothétique
de trouver des huissiers en nombre suffisant pour les déployer dans les milliers de bureaux de
vote existant sur toute l’étendue du territoire.

37
Ajoutant à cela, la nécessité d’établir un rapport de cause à effet quant à la sincérité des
opérations électorales, on comprend alors aisément que l’ONEL a assuré une mission
essentielle tendu vers une atténuation considérable des difficultés relatives à l’administration
des preuves. La logique du juge en la matière est simple. Les faits allégués sont favorablement
accueillis si les documents de l’ONEL les confirment et s’ils ont été mentionnés dans les
niveaux inférieurs de supervision conformément au principe de succession des contrôles. Cette
position est adoptée par le conseil constitutionnel lors des législatives de 1998. Eu égard aux
griefs fondés sur l’absence, l’insuffisance ou la soustraction de bulletins dans les bureaux de
vote, les organes de l’ONEL n’ayant pas signalés de telles irrégularités et les requérants n’ayant
pas pu fonder matériellement la véracité de leurs allégations, le juge a tout simplement rejeté
les faits. Lors de ces mêmes élections de 1998 la question des documents administratifs sur la
base desquelles il est possible de voter et revenir à travers le problème de certificat de
conformité ayant été al la base de vote frauduleux. Égal à lui-même, le juge a rejeté le moyen
au motif des preuves de tels allégations n’ont été rapporté ni par les requérants pas plus que de
tel faits n’ont été mentionné par les instances de l’ONEL. Le juge estime en effet « considérant
que ses allégations ne s’appuient sur aucun moyen de preuve ; en effet si quelques procès-
verbaux font allusions à de faux certificats de conformité, aucun document établissant leur
existence n’a été versé au dossier par les requérants ni produit par l’ONEL car supposé que ces
fausses pièces ait réellement existées il n’a pas été prouvé qu’elles ont effectivement servi à
voter ; que dès lors les allégations les allégations des candidats de l’alliance jëf jël ne pourrait
être retenu. »

A Rufisque, lors de la présidentielle de 2000, le parti au pouvoir estime avoir été victime d’actes
de violence, de bourrage d’urnes et de disparition de feuilles d’émargement.

Invariable dans sa démarche, le juge rejette de telles allégations qui n’ont été ni consignées ni
confirmées dans aucun document électoral et sans que le requérant ait établi lui-même la
matérialité des faits.

Par ailleurs, le juge a pu procéder à des annulations sélectives dès lors que les
dysfonctionnements soulevés par les requérants ont été confirmés par les procès-verbaux des
bureaux de vote et par ceux de l’ONEL. En ce sens, le conseil constitutionnel se fondant sur de
tels documents a accédé à la demande d’annulation des résultats dans certains bureaux à
Rufisque en raison de votes multiples notamment les bureaux 4 & 5 de Mérina. Une autre
orientation majeure du conseil constitutionnel est d’accorder toujours dans sa démarche la
primauté et la priorité à la volonté des électeurs. Dès lors, il ne recourt pas de manière
38
systématique et absolue à l’annulation. Il utilise pour cela plusieurs techniques qui l’amènent à
faire primer l’esprit de la loi sur la lettre ou à chercher à reconstruire la volonté des électeurs a
posteriori tel un véritable faiseur de système pour faire respecter autant que faire se peut la
souveraineté populaire qui est le socle sur lequel repose la démocratie. Le juge a estimé que des
procès-verbaux transmis par des personnes non assermentées conformément à la loi n’est pas
en soi un motif d’annulation. « Considérant que l’annulation d’un procès-verbal transmis dans
de tel condition et pour cette seule raison est injustifiable s’il n’a subi aucune modification ou
altération au cours de sa transmission ; qu’aucun cas de cette nature n’a été signalé bien que
tous les représentants des candidats eussent en possession en exemplaire du procès-verbal
transmise ». Persistant dans son option d’accorder la prééminence de l’esprit de la loi sur la
lettre, le juge a assoupli les règles relatives à la validité formelle et matérielle des procès-
verbaux. Concernant leur validité formelle en rapport avec la présence, le statut et le rôle des
représentants des partis politiques dans les bureaux de vote, le conseil constitutionnel affirme :
« le seul fait qu’un procès-verbal n’ait pas été signé par un ou plusieurs membres n’emporte
pas en lui-même nullité dudit procès-verbal. » cf. elec 1983 où la non signature constituait un
motif d’annulation.
Le juge a fait primer également l’esprit de la loi sur la lettre dans le contentieux de 1998 eu
égard à la prorogation (prolongation) de l’heure de clôture du scrutin jugée illégale par les
requérants de l’alliance Jëf Jël. Le juge considère que « cette circonstance même si elle est le
fait des membres de bureaux de vote est sans influence sur la régularité de l’élection surtout
lorsqu’elle a pour objet essentiel de compenser le retard pris à la suite de l’ouverture tardive
des bureaux de vote ; que dès lors le moyen doit être écarté. »

Dans le même registre de protéger et de préserver l’expression de la volonté populaire, le conseil


constitutionnel écarte l’annulation systématique du fait des irrégularités. Il s’emploie plutôt
ingénieusement à démontrer dans quelle mesure celles-ci ont entaché la sincérité du scrutin de
telle sorte qu’elles ont faussé le verdict des urnes.

Sur la question des ordonnances en 1993 le juge électoral atteste « considérant toutefois qu’il
n’a pas été prouver que les candidats d’un tel ou tel parti politique ont été les seuls à en
bénéficier qu’au contraire de forte présomption porte à croire qu’il n’en n’a été fait usage au
bénéfice des candidats de tous les partis politiques qu’ainsi suivant une jurisprudence constante
les irrégularités qui en résulte s’annulent et ne peuvent en conséquence constituer
obligatoirement une cause d’annulation des élections. »

39
Un autre problème de compétition déloyale au profit du parti au pouvoir a été soulevé lors des
élections de 1998 sous la forme d’un grief fondé sur la nomination irrégulière et tardive des
membres de bureaux de vote. Dans cette affaire, le juge semble avoir adopté une démarche
pragmatique en ne cherchant pas à savoir si les allégations de collusion avec le parti au pouvoir
sont avérées, preuve qui est à la charge des requérants. Le juge semble plutôt privilégier le
caractère effectif du vote dès l’instant que les membres du bureau à la neutralité remise en cause
n’ont pas été à l’origine d’irrégularités et que d’autres irrégularités n’ont pas été constatées et
consignées dans les procès-verbaux par les représentants des partis politiques.

Au 1er tour de l’élection présidentielle de 2000, la question d’un transfert illégal d’électeurs
dans le département de Kaolack a été soulevée devant le juge électoral. Là encore, l’annulation
des suffrages a été refusée au motif essentiel que le nombre de personnes concernées était
insignifiant. Dans certaines situations, même lorsque l’irrégularité est établie, le juge essaie
d’en circonscrire les effets pour éviter une annulation globale. C’est la solution qui a été retenue
lors de la présidentielle de 2000 suite au vote de mandataires dans un bureau du département
de Linguère.

Le conseil constitutionnel déclare à cet égard : « considérant que l’examen du procès-verbal du


bureau de vote n°1 de Madène montre effectivement les deux mandataires susvisés ont voté
dans ce bureau alors qu’aucune disposition du code électoral ne leur en donne le droit ; qu’en
conséquence il y a lieu d’annuler leur vote et de soustraire leurs voix du nombre de suffrage
obtenu par le candidat dont ils sont les mandataires. »

Cette doctrine du juge qui fait primer le respect de la volonté des électeurs sur le respect de la
légalité dans son abstraction semble avoir été formulée par le président du conseil
constitutionnel Youssoupha Ndiaye (remplaçant de Kéba MBAYE) dans son allocution du 03
avril 1993 à l’occasion de la cérémonie de prestation de serment du président de la république
en ces termes « lorsqu’il a à connaitre d’un litige électoral, le juge doit être guidé avant tout
par le souci de faire respecter la sincérité du scrutin c’est-à-dire la volonté du corps électoral.
Ainsi lorsqu’il est en présence d’une illégalité ou d’une fraude, il ne doit pas procéder à
l’annulation systématique, il ne le fait que lorsqu’il a acquis la conviction que la volonté des
électeurs a été trahie et de manière telle qu’il est impossible de la restituer a posteriori de façon
certaine. »

La contribution du conseil constitutionnel à la construction démocratique est non négligeable.


Dans certaines affaires, le juge ne se borne plus à affirmer de façon péremptoire sa position
40
dans un langage abscons (ésotérique, réservé aux initiés), il fait une véritable œuvre
pédagogique en élaborant des hypothèses qu’il s’emploie à dégager et à étayer de manière
logique et rationnelle. On a pu remarquer que les décisions du conseil constitutionnel en matière
électorale sont beaucoup plus longues que celles de la cour suprême ; ce qui illustre cette
volonté didactique, pédagogique du censeur du politique. Cela milite également en faveur de
l’acceptation de la justice du politique car lorsqu’elle est bien comprise, elle gagne en légitimité
et en autorité ; ce qui est essentiel au renforcement de la démocratie et permet d’éviter le recours
à la violence.

Au demeurant, le juge électoral est resté très rigoureux dans l’administration des preuves à
savoir les critères cumulatifs classiques à savoir l’établissement matériel des faits et que ceci
soit articulé dans une relation de cause à effet de nature à compromettre la sincérité des
opérations électorales.

En plus de ces critères, le juge exige également que les faits aient été signalés au niveau des
échelons inférieurs de surveillances électorales selon le principe de la hiérarchie des contrôles.
La création de l’ONEL a permis de relever substantiellement la qualité du contentieux électoral
en surmontant les difficultés d’administration des preuves. Il faut ajouter à cela que la haute
juridiction ne verse pas dans l’annulation systématique en cas de fraude. Il met en avant la
volonté des électeurs et la protection de leurs droits ; ce qui semble plus conforme aux valeurs
et principes démocratiques. Pour cela, le juge fait primer l’esprit de la loi sur la lettre par rapport
à la validité formelle ou matérielle des procès-verbaux, par rapport à leurs modes de
transmission, par rapport à des décisions administratives suspectes comme la délocalisation des
bureaux de vote ou autres. Il apprécie dans tous les cas s’il y a eu ou non intention de fraude et
s’il y a eu fraude effective.

Dans son rôle d’arbitre ultime des joutes électorales, le conseil met en avant la volonté des
électeurs citoyens et refuse de suivre l’opposition dans le sens d’une annulation systématique
des procès-verbaux conflictuel car : « de l’avis du conseil constitutionnel, les irrégularités qui
peuvent entacher les opérations électorales ne doivent pas être apprécié en elle-même mais en
fonction des conséquences qu’elles peuvent avoir ou non sur la sincérité du scrutin. Elles ne
doivent entrainer la nullité des élections que si leurs importances ou leurs gravités sont tel
qu’elles affectent sérieusement cette sincérité. Le conseil considère en effet que tout contrôle
de la régularité des opérations électorales doit avoir comme seul objectif le respect de
l’expression libre et démocratique du choix des citoyens et qu’un contrôle qui irait à l’encontre
de cet objectif est injustifiable ».
41
SECTION 2 : LA REGULATION MEDIATICO-ELECTORALE DE COMPETITION
POLITIQUE

Il sera question d’étudier la régulation électorale par rapport à l’usage des médiats publics et
privé. Et ensuite la régulation de la compétition politique eu égard à l’encadrement du processus
électoral par l’ONEL (observatoire national des élections) crée en 1997 et devenu la CENA
(commission électorale nationale autonome) en 2005.

PARAGRAPHE 1 : LA REGULATION DEMOCRATIQUE DE L’ACCES AUX MEDIAS


PUBLICS

Celle-ci doit être envisagée à travers une double détente à savoir d’une part les contradictions
relatives à la mise en place de l’institution de régulation médiatique et d’autre part les
contradictions relatives à la mise en œuvre de la fonction de régulation.

A) LES CONTRADICTIONS RELATIVES A LA MISE EN PLACE DE


L’INSTITUTION DE REGULATION

Fruit des récriminations récurrente des parties politiques l’organe de régulation de régulation
des médias est créer en 1991 dans un contexte de rapprochement entre pouvoir et opposition, il
est néanmoins étroitement contrôlé par le parti au pouvoir en dépit des modifications
intervenues dans son statut juridique. Cependant malgré la faiblesse de ses moyens de coercition
et de contrôle l’instance de régulation a pu garantir dans une certaine mesure l’accès des partis
d’opposition aux médias publics. A quelques encablures de la fin de l’année 1990 les partis
d’opposition manifestent pour dénoncer le monopole étatico-partisan sur les médias publics à
l’issu de laquelle certains leaders de l’opposition sont alors molestés. Cette lutte étaient on ne
peut plus légitime pour le philosophe Sémou Paté Gueye un des responsables du PIT (Parti
pour l’indépendance du travail) il affirme « la bataille pour l’accès aux médias d’Etat était
indispensable car tant qu’on était dans un régime de parti unique on pouvait comprendre sans
pouvoir le justifier que l’information ait été monopolisé et même caporalisé. Cette situation ne
pouvait plus être accepté dans un régime multi partisane ». Dans ce nouveau contexte de dégel
et d’ouverture dans les rapports entre le pouvoir et l’opposition après la crise électorale violente
de 1988 le président de la république Abdou DIOUF dans son discours traditionnel du 31
décembre 1990 assure : « la volonté des pouvoirs publiques d’améliorer sans relâche les
garanties du pluralisme se traduira dans les prochains jours par la création d’un haut conseil de
42
la radiotélévision pour le libre accès des parties politiques aux médias audiovisuels ». Le décret
n°91-537 du 25 mai 1991 porte sur les fonts baptismaux, le haut conseil de la radio télévisé. Ce
décret est intervenu assez tardivement car il devait assurer l’applicabilité de l’article 5 de la loi
89-36 du 12 octobre 1989 « les parties politiques régulièrement constitués ont accès aux
antennes de ORTS pour la diffusion de leur communiqué de presse, la couverture de leur
manifestation statutaire et dans le cadre de la retransmission des débats parlementaires. En outre
ils peuvent être invité à participer à des émissions à caractère politique notamment sur la forme
de débat ou de Table ronde ».

Cette couverture est qualifiée d’insuffisance par les partis d’opposition qui étalent dans un
mémorandum adressé à l’État leur grief, droit du public à l’information non garantie, exclusion
de la presse écrite du champ de compétence de l’institution, éducation des populations
hypothéquée. Les critiques essuyées par l’organe de régulation sont à la base d’une réforme
envisagée par le ministre de la Communication d’alors Mokhtar TEPE. Après avoir produit son
premier rapport annuel, le décret portant création d’un HCRT (Haut Conseil de la radio-
télévision) est remplacé par la loi n°92-57 du 03 septembre 1992 qui précise en son article
5 : « les partis politiques légalement constitués disposent à la radio et la télévision d’un temps
d’antenne égal dans le cadre des émission hebdomadaires qui leur sont réservées pour faire
connaitre leurs options et donner lecture des communiqués adoptés par leurs instances
statutaires. La couverture de leur manifestation statutaire publique, la diffusion de leur
communiqué de presse et la retransmission des débats parlementaires sont assurés de manière
équilibrée par les organes publics de l’information et en particulier par la radio et par la
télévision dans le strict respect du pluralisme et de l’objectivité conformément aux règles de
déontologie applicables à la profession de journaliste. En outre les partis politiques légalement
constitués sont invités à participer à des émissions à caractère politique, économique, culturel,
social et sportif notamment sur la forme de débats ou table ronde »

L’acte législatif introduit essentiellement trois nouveautés :

- Premièrement le principe de l’égalité stricte du temps d’antenne alloué aux partis


politiques sans tenir compte de leur représentativité électorale.
- Deuxièmement l’institutionnalisation d’une émission hebdomadaire de propagande où
chaque parti une fois toutes les semaines bénéficie d’un temps d’antenne de cinq minutes à la
télévision et dix minutes à la radio.

43
- Troisièmement l’affirmation d’une obligation du service public de la radiodiffusion
télévision sénégalaise de convier les partis à des débats sur des questions relatives certes à la
politique mais également à l’économie, à l’agriculture, au social, au sport.

En définitive, excepté le principe de l’égalité absolu des partis dans l’accès au médias publics,
en dehors du critère de la représentativité électorale, le décret de 1991 n’a subi que quelques
modifications. Cette évolution d’un statut juridique réglementaire à un statut juridique législatif
semble alors s’expliquer par la volonté d’écarter certains membres de l’institution qui n’étaient
pas disposés accepter une mainmise du parti au pouvoir sur les médias de l’Etat.

Le premier et éphémère président du Haut Conseil de la Radio-télévision Cheikh Tidiane SARR


affirme dans ce sens « quand nous avons été nommés, nous croyions vraiment que nous
pouvions faire quelque chose pour un équilibre démocratique dans les médias. C’est ainsi que
nous avons pris les décisions pour mettre fin à certaines pratique archaïque qui avaient encore
cours à la RTS. Ces décisions n’ont pas dû plaire en haut si bien qu’on a décidé de se débarrasser
coûte que coûte de certains membres. On peut d’ailleurs épiloguer sur la neutralité de certains
membres qui n’ont pas été limogés car les décisions l’étaient de manière collégiale »

L’expertise utilisée pour évincer certains membres révèlent le désir du pouvoir de contrôler
jalousement les médias publics alors que dans le fond presqu’aucune proposition des
participants à la concertation, partis politiques et journalistes, n’a été accueillie favorablement.
La préoccupation du pouvoir de garder son emprise sur l’institution semble se confirmer
lorsqu’il est devenu le HCA (Haut Conseil de l’Audiovisuel) pour s’adapter au nouvel
environnement du pluralisme radiophonique.

En effet, dès 1994, le HCRT recommande de procéder à un changement dans la mesure où il


est tout à fait inutile de censurer des propos d’un parti politique si celui-ci a la possibilité de
faire diffuser ces mêmes propos sur les ondes de la radio privée. On comprend dès lors que
cette réforme n’est guère aboutie à l’affermissement des prérogatives de l’instance de régulation
dans le sens des préoccupations des partis d’opposition. Dans le même ordre d’idée, cette
évolution s’explique au regard de l’exposé des motifs de la loi portant création du HCA par les
impératifs liés à l’intégration africaine, le foisonnement des organismes de protection et de
promotion des droits et libertés démocratiques, la régionalisation, la libéralisation de
l’économie, l’exacerbation de la demande de transparence dans la société, l’évolution
technologique dans le secteur de la communication et l’ouverture de l’espace audiovisuel.

44
Le domaine de compétence du HCA est élargi. En effet aux termes de l’article 2 de la loi n°98-
09 « tous les médias audiovisuels entrent dans son champ de compétence quel que soit leur
statut juridique ». Les médias privés sont désormais placés sous la surveillance de l’organe de
régulation pendant les joutes électorales. En ce sens l’article 23 alinéa 2 du cahier de charges
des commerciales précise « en période de campagne électorale toutes les dispositions du code
électoral en matière de couverture médiatique et de propagande de toute sorte s’appliquent aux
radios privées qui portent leur traité relatif aux campagnes ». Il leur incombe l’obligation de
respecter le pluralisme posé par l’article 23 du cahier de charge « toute émission diffusée doit
obligatoirement respecter le caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et
d’opinion en particulier dans le traitement des sujets de portée nationale, les temps d’antenne
des interventions portées sur l’échiquier politique sont répartis comme suit : 1/3 à la majorité
parlementaire, 1/3 à l’opposition. en période de campagne électorale toutes les dispositions du
code électoral en matière de couverture médiatique et de propagande de toute sorte s’appliquent
aux radios privées qui portent leur traité relatif aux campagnes »

Au total, au regard des des dispositions de l’article 3 de la loi n°98-09, le HCA a pour mission :

- Premièrement de garantir dans le respect de la loi, l’indépendance et la liberté de


l’information et de la communication des médias audiovisuels.
- Deuxièmement de veiller dans le respect de la loi et de la préservation des identités
culturelles à l’objectivité et au respect de l’équilibre dans le traitement de l’information
véhiculée par les médias audiovisuels.
- Troisièmement de veiller au respect de l’accès équitable des partis politiques, des
syndicats et des organisations reconnus de la société civile aux médias d’État dans les
conditions fixées par les lois et règlements en vigueur.
- Quatrièmement de fixer les règles concernant les conditions de productions, de
programmations et de diffusion des émissions réglementées des médias audiovisuels lors des
campagnes électorales.
- Cinquièmement de favoriser, de promouvoir la libre et saine concurrence entre les
médias audiovisuels.

La loi institue une innovation non négligeable en conférant une dimension contradictoire à
certaines émissions. Des garanties sont assurées aux membres de l’institution par l’article 11 :
« le président et les membres du HCA sont nommés par décret pour une durée de six ans, leur
mandat n’est pas renouvelable. Ils ne peuvent être révoqués, ils ne peuvent être poursuivis,
recherchés, arrêtés ou jugés à l’occasion des actes accomplis, des mesures prises ou des
opinions émises dans l’exercice de leur fonction »

45
A côté des contradictions relatives à la mise en place de l’institution de régulation, il convient
d’examiner celles relatives à la mise en œuvre de la fonction de régulation.

B) LES CONTRADICTIONS RELATIVES A LA MISE EN ŒUVRE DE LA FONCTION


DE REGULATION

Au-delà de ces régimes juridiques et ses dénominations, le HCRT puis HCA, l’organe de
régulation des médias manque de ressources et de prérogatives qui ont limité l’efficacité de sont
travail. Le déficit des moyens se révèlent de par les difficultés relatives aux messages des partis
politiques délivrés en langues nationales. La récurrence du problème a même suscité des
suspicions de certains partis politiques à l’égard de l’instance de régulation. Considérant que
cela est contraire à la Constitution qui reconnait l’existence de cinq autres langues nationales
en dehors du wolof, ils estiment que cela est irrévérencieux à l’égard des populations et prônent
la mobilisation des ressources nécessaires pour engager des traducteurs afin de déchiffrer les
messages exprimés en langues locales.

Pour assurer la démocratisation de l’accès aux médias publics des différents partis politiques,
le HCRT manque cruellement de moyen de contrainte. En effet, comme le souligne
pertinemment le professeur El Hadj MBODJ, « il n’a pas de pouvoir de sanction, ni sur la radio,
ni sur la télévision, il ne peut ni nommer, ni sanctionner les responsables, il a moins de pouvoir
que ses homologues des pays africains. Au Sénégal, le hall du HCRT se borne à la régulation
du jeu politique et non à celle des médias. Il faut qu’il redevienne une institution consensuelle
avec des compétences juridictionnelles ».

46

Vous aimerez peut-être aussi