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Partie 4 : L’État et le gouvernement au concret

Séance 11 : Contester l’État : société civile et mobilisations collectives

Cette séance porte sur les formes de non-contestation, la question de la façon dont les
pratiques de mobilisation et de contestation de l’état prennent forme en Afrique
postcoloniale, et plus particulièrement en s’intéressant aux mobilisations collectives qui en
appellent à l’état. Cela nous permettra d’étudier les formes de gestion de la protestation de la
part des appareils étatiques : selon les cas, ils disposent d’instruments variés pour répondre
aux contestations éventuelles comme la répression ou la cooptation. On peut l’imaginer
comme un continuum en termes de violences politiques de la forme de l’état. `

La notion de société civile, est intéressante malgré tout puisqu’elle rencontre un grand
succès auprès des acteurs de terrain, des bailleurs de fond internationaux et des institutions
internationales. Comme le dit Johanna Siméant, la notion de société civile est une catégorie
analytique mais aussi pratique puisqu’elle est appropriée par un tas d’acteurs
empiriquement.

Nous allons nous interroger sur le plan scientifique relativement à ce que signifie cette notion
de société civile dans une perspective critique pour essayer de mieux saisir les modalités
qu’elle recouvre. Nous allons également nous interroger sur ce que cette notion est à même
de nous dire, relativement à l’évolution des rapports entre état et société dans un contexte
de transition politique.

1. Définitions préalables
A. Société civile

Il n’y a pas de définition consensuelle de la société civile. Selon Jean Cohen et Andrew Arato
(1992), c’est “a sphere of social interaction between economy and state, composed above all
of the intimate sphere, the sphere of associations, social movements and forms of public
communication”. C’est ce qui dépasse les individus, les groupes primaires et socialement,
s’oppose à l’état. La société civile a ses représentants qui seraient distincts des
professionnels de la politique, voire concurrents.

La société civile est dans un rôle d’intermédiaire, d’interface entre le public et le privé, entre
l’étatique et le privé. C’est un espace non contrôlé par l’état, ou du moins censé ne pas
l’’être. Les acteurs qui la composent sont liés entre eux par la poursuite d’objectifs communs.
Elle est composée de plusieurs groupes (syndicats, associations). L’une des composantes
ce sont les mouvements sociaux puisque c’est un espace de lutte sociale.

B. Espace public (Jürgen Habermas)

Dans les années 1960, Jürgen Habermas observe un distinguo entre espace privé et espace
public. L’espace privé c’est le lieu de mise en valeur des rôles familiaux et personnels. À
l’inverse, l’espace public se construit à partir du 17ème siècle en France et en Grande-
Bretagne. C’est un phénomène urbain qui va prendre forme avec la naissance d’un
« public » (Habermas) qui fréquente les cafés, les théâtres, les concerts, les salons où vous
se réunir la noblesse et la grande bourgeoisie.

Avec les Lumières, il va y avoir la généralisation de la « conversation » (Habermas). À la


faveur de tout cela va se créer une sociabilité généralisée puisque vont circuler entre les
membres de ces publics des idées, des opinions d’autant plus que la presse se développe.
Tout cela va renforcer la cohérence du public. L’espace public renvoie plus précisément à
l’émergence d’une forme critique de citoyenneté puisque des réseaux bourgeois de socialité
vont se former.

L’espace public suppose qu’il y ait :

- Une participation égale de tous à la délibération


- Une émancipation des citoyens vis-à-vis des autorités religieuses et politiques
- Les individus pensent et agissent rationnellement
- Une bourgeoisie forte et indépendante et liée selon les réseaux de sociabilité

- Une absence de violence

- La garantie de l’exercice des libertés civiques.

C. Mouvement social (Charles Tilly, 2003)

Pour Charles Tilly, c’est « un mouvement social consiste dans une opposition durable aux
détenteurs du pouvoir (...) Un mouvement social incarne une interaction de contestation ».
Pour François Chazel (1993), c’est « une entreprise politique collective de protestation et de
contestation visant à imposer des changements – d’une importance variable – dans la
structure sociale et/ou politique par le recours fréquent – mais pas nécessairement exclusif –
à des moyens non institutionnalisés ».

Pour étudier un mouvement social, il faut :

- Identifier les autorités publiques et les groupes contestataires


- Analyser les interractions (répression, pression, recherche du consensus
- S’intérroger sur l’environnement politique qui va rendre possible une mobilisation.

S’intéresser au politique invite à ce qu’on s’intéresse au régime en place. À ce titre, il faut


distinguer les mouvements sociaux en régime démocratique et en régime autoritaire.
L’existence des mouvements sociaux est acceptée en démocratie même si la montée des
violences policières pose question quant au respect des mouvements sociaux en
démocratie.

En régime autoritaire ou plutôt quand la démocratie n’est pas absolument consolidée (cf.
démocratie à adjectifs), les tactiques disponibles ne sont pas les mêmes qu’en démocratie.
Le rapport de force est encore plus inégalitaire puisqu’on assiste à une privation des droits et
à une répression très forte au point que l’expression protestataire dans l’espace public est
exceptionnelle voire héroïque.

On peut penser aux répressions violentes au Nigéria avec le mouvement end SARS (nom de
la police d’état) contre les violences policières qui ont été vivement réprimées par le pouvoir
politique nigérian. Dans ce type de régime, la protestation existe mais faut d’autant plus aller
chercher la résistance par le bas dans des expressions subtiles.

Cela ne signifie pas que des formes explicites de contestation n’existent pas. Le plus
souvent, la protestation passe par des voies détournées, comme le montre Denis Constant
Martin : « Le citoyen ne se tait jamais totalement. D’une manière ou d’une autre, il parvient
toujours à formuler son opinion et à communiquer sa réaction aux actes de pouvoir qui le
concernent » (chansons, graffitis, humour, langage codé).
Pour Erik Neve, les mouvements sociaux sont perçus comme « un registre d’action
dominé » : tendanciellement, il s’agit de groupes qui sont du mauvais côté des rapports de
force. Cette position de dominés explique pourquoi ils vont avoir recours à des formes moins
officielles de prise de parole.

D. La problématique africaine

Johanna Siméant (2013) in « Protester/mobiliser/ne pas consentir. Sur quelques


avatars de la sociologie des mobilisations appliquée au continent africain », Revue
internationale de politique comparée, Vol. 20, p. 125-143.

De nombreuses questions émergent concernant les acteurs non étatiques en interaction


avec l’état. S’agit-il d’une société civile qui serait autonome de l’état ? Quid de la catégorie
« société civile » pour penser le politique en Afrique ? La politologue Johanna Siméant dans
un article de 2013, montre que jusque dans les années 1990/2000, la sociologie des
mouvements sociaux était très occidentalo-centrée. Il y aurait une sorte d’implicite dans la
littérature selon lequel, pour qu’il y ait mouvement social, il faut un espace politique qui soit à
la fois industrialisé et démocratique.
- Mouvements sociaux = démocratie
- Révoltes = autoritarisme

Pendant longtemps, on a observé dans la littérature une difficulté à penser l’articulation


enntre mobilisation d’une part et autoritarisme d’autre part puisque l’implicite de la notion
même de mouvement social est qu’ils sont intrinséquement liés à la démocratie. Johanna
Siménant veut envisager le fait que les mobilisations sont possibles même en l’absence de
démocratie ou plutôt de stabilité et de systèmes politiques. Elle s’intéresse aux conditions
matérielles d’émergence des groupes : quel est le rapport à l’international des groupes
susceptibles de se mobiliser ?

Bien souvent, les groupes assimilables aux mouvements sociaux se construisent dans une
logique d’extraversion ce qui leur permet d’avoir des ressources matérielles et ça a des
conséquences concrètes en termes de modalités de mobilisation. Elle montre que l’industrie
du développement a été vecteur de promotions de techniques de mobilisation mais qui parce
qu’elles sont sous tendu par l’industrie du développement, sont dénuées de beaucoup de
leur aspect de confrontation (politique par le bas, OPNI/émeutes) . On pourrait prendre pour
exemple l’advocacy (plaidoyer) qui est une forme douce de mobilisation. Elle veut prendre en
compte la pluralité des formes.

Dans le cadre des régimes d’aide, la société civile est fondamentale parce que dans une
large mesure la plupart des bailleurs de fond, on est dans une nouvelle philosophie de l’aide
qui veut renforcer l’état. Ce n’est plus une logique de réduction de l’état, simplement dans
l’idée que l’état ne peut pas tout faire. La société civile, tout comme le marché, peut faire à la
place. La société civile est un des piliers du développement. Dans le cadre du régime d’aide,
c’est un allié de la démocratisation : elle doit être active et autonome de l’état afin de
consolider la démocratie. Néanmoins, la difficulté de la notion réside dans le fait que c’est
une catégorie analytique mais aussi pratique.

Société civile = espace des luttes sociales


Il faut entendre la société civile comme le lieu des luttes sociales. Cela permet de penser
ensemble les groupes situés entre l’état et la sphère privée et de peser les manières dont
ces groupes se structurent et se mobilisent. Cela permet de considérer les rapports de ces
groupes à l’état, aux acteurs internationaux et de penser les difficultés que ces groupes
rencontrent. C’est le problème d’adapter des concepts occidentaux à des analyses
africaines.

Tarik Dahou montre que l’état colonial, de la même façon que l’état postcolonial ont
fonctionné sur une logique néopatrimonial avec une personnalisation à l’extrême. Tout cela a
eu pour conséquence d’anéantir les possibilités de délibération politique public. Or, le fait
qu’il soit possible de délibérer est un préalable à l’existence d’une société civile. L’autre
enjeu qui interroge est le lien dans la littérature entre société civile et démocratisation. Une
question se pose quant à l’utilisation de ce terme hors occident. La société civile est
présentée comme le résultat de la démocratisation : comment penser des sociétés sans
institutionalisations et internationalisation des règles du jeu politique ? Sans culture
politique ? Sans claire dissociation entre politique et économie ? Aussi, certains présentent
la société civile comme vecteur de la démocratisation. Si la société se développe, il va y
avoir mécaniquement développement de la démocratie.

Mais quid de l’applicabilité du concept hors Occident ? = l’enjeu de la démocratisation


i.e. SC = résultat de la démocratisation vs. SC = vecteur de démocratisation
Cela pose question avec les zones grises, les régimes en transition où on constate un
développement de la société civile sans réalisation de la démocratie. Achille Mbembé dit que
l’état a une main mise sur la société civile. À l’inverse, d’autres disent qu’elle s’autonomise
progressivement de l’état et c’est cela qui permet l’avènement progressif de la démocratie.
Pour sortir de ces débats, il faut garder à l’esprit que l’intérêt des théories est de les faire
circuler et pas tant d’essayer de ranger les phénomènes observés dans des idéaux-types et
de porter le regard là où il n’avait pas été jusqu’alors. Il faut être modeste dans l’analyse : la
notion invite à poser des questions. Même si la notion est floue, dans la mesure où elle est
utilisée en Afrique, on ne peut pas l’ignorer. Il faut l’interroger de manière critique.

2. Société civile et démocratisation


A. La structure des opportunités politiques

Si on considère la période pré-transition démocratique, peut-on considérer qu’il n’y avait rien
face à l’état (avant les années 1990) ? De la même façon, suite aux reflux autoritaires, les
organisations de la société civile ont-elles disparu ou échoué ? Le contexte est important en
sociologie des mouvements sociaux à partir de la SOP (structure des opportunités
politiques). Selon le contexte, les modalités d’expression ont été différentes.

Peter Eisinger (1973), « The Conditions of Protest Behavior in American Cities »,


American Political Science Review 67: 11–28.
La notion de SOP a été développée par Peter Eisinger qui cherchait à comprendre les
conditions de développement des mobilisations des noirs aux États-Unis (fin 1960/début
1970). La conclusion de ces travaux est que pour qu’il y ait émergence de mobilisation, il faut
un minimum d’ouverture du pouvoir local vis-à-vis de la protestation. Cette ouverture est ce
qu’il appelle SOP qui est presque un instrument analytique afin de mesurer le dégré de
réactivité et d’ouverture d’u système politique vis-à-vis des mobilisations. 0 mobilisation
égale, les contextes politiques vont réduire ou au contraire augmenter les chances de
succès des mobilisations politiques : tout dépend de la nature du. Système en place et de la
manière dont il réagit aux manifestations.

Notion de répertoire d’action


Dans les années 1980, Charles Tilly montre que les stratégies des mouvements sociaux
s’expriment à travers des répertoires d’actions. Il utilise la métaphore du jazz pour montrer
qu’il y a un répertoire de standard mais qui n’empêche pas les improvisations Camille
Goirand définit de la sorte en 2010 « le répertoire désigne l’ensemble des moyens et des
pratiques que les acteurs connaissent, ont à leur disposition, et sont capables de mettre en
œuvre pour contester les autorités et organiser la mobilisation »
En contexte autoritaire
Les marges de manœuvre sont plus restreintes mais elles ne sont pas inexistantes comme
l’a montré Denis Constant Martin, elles peuvent être recherchées ailleurs. La résistance
emprunte des canaux multiples dès lors qu’il n’est pas possible de s’exprimer librement (cf.
travaux de Comi Toulabor au Togo). En ex-Zaïre, on disait que l’office des routes devenait
l’office des trous. En Nigéria, la NEPA (= EDF) devient la No Electric Power Again. Vincent
Bonnecase étudie la « Faim et mobilisations sociales au Niger dans les années 1970 et 1980
: une éthique de la subsistance ? », Genèses, 81, pp. 5-24.
Il étudie le Niger avant les transitions démocratiques. Il souligne que l’idée globalement
retenue est que la faim ne suscite pas de protestations puisque les populations sont
fatalistes. Bonnecase n’est pas d’accord avec cette idée parce que c’est un problème qui a
été rendu visible par les victimes de la faim elles-mêmes. Il faut ensuite préciser ce que l’on
entend par mobilisation. Vincent Bonnecase propose une approche de politique par le bas.
Quelque soit la forme de mobilisation, les pouvoirs publics vont devoir y répondre d’une
manière ou d’une autre. Pour lui, dans les années 1970/1980, les pouvoirs publics ont du
répondre au problème de la faim alors même qu’il n’y avait pas eu de mobilisation explicite.

- D’abord, des déplacements de population de la campagne vers la ville et des


nomades vers le sud du fait de ce contexte de faim. Des camps se sont créés : ces
stratégies ont obligé les pouvoirs publics nigérians à reconnaitre le problème, à
mesurer son ampleur. Ce n’est pas une mobilisation classique.

- Ensuite, le rôle de la rumeur puisqu’il y a eu un bruit comme quoi dans un village du


fait de la faim les gens mangeaient leurs excréments pour survivre. Le préfet est
envoyé pour enquêter et il va confirmer que la rumeur est vraie. Les pouvoirs publics
envoient rapidement des vivres. Pour Bonnecase, il reste quand même un certain
doute à ce que le préfet a vu puisqu’il y a pu y avoir une mise en scène des
villageois. Dans tous les cas, les pouvoirs publics ont répondu à une demande.

- Des formes plus organisées comme les protestations étudiantes. La faim n’était
pas au cœur de leurs revendications mais en faisait partie. Les étudiants en ont fait
une étude en termes d’économie politique à partir des théories de la dépendance : le
gouvernement privilégie l’exportation au lieu des cultures vivrières. Il y a une mise en
visibilité de la mobilisation bien plus claire que dans les deux premiers cas mais qui a
entrainé une réponse bien plus violente.

La mobilisation se fait par des voies détournées ce qui montre la capacité des populations
dominées à délégitimer les autorités politiques et d’obtenir de leur part des réponses à leurs
revendications.

Des mobilisations en contexte de démocratisation réussie : l’Afrique du Sud


La tradition de société civile est forte en Afrique du Sud du fait de la logique d’apartheid. Les
populations noires se sont organisées rapidement en dehors de la sphère politique
institutionnalisée dans le cadre de structures associatives et syndicales. Très rapidement, il y
a eu une réelle consistence des mouvements sociaux.

Les civics sont des organisations qui apparaissent dans les années 1980 d’abord à Soweto
(Township de Johannesburg). Elles se préoccupaient des bread and butter issues, du
quotidien. Elles portaient des revendications contre la hausse des loyers, le prix des
services, etc… Assez vite elles ont adopté une vocation politique et se sont mobilisées pour
nier la légitimité des BLA (black legal authorities) mises en place par les blancs contre les
townships.
En 1994, c’est la fin de l’apartheid : l’ANC arrive au pouvoir. On rentre dans une logique de
pacification : les vocables société civile et société arc en ciel deviennent très usités. Les
civics ne sont plus des représentants de la communauté noire mais des acteurs parmis
d’autres de la démocratie libérale. L’émergence de la société civile va enteriner en Afrique
du Sud une sorte de division du travail : les organisations politiques ont en charge l’espace
de l’expression politique légitime et la société civile est chargée de la gestion et de
l’encadrement des forces sociales. Il y a la mise en place de PAS.

L’ANC opère un virage à droite et de nouvelles organisations vont capter le mécontentement


grandissant des township. En effet, les civics collaborent avec l’ANC. Le combat contre
l’apartheid est utilisé comme le modèle de la contestation. Comme sous l’apartheid, pour se
mobiliser, il faut s’inscrire dans l’ordre de la désobéissance civile et dans l’illégalisme
(sabotage de compteurs éléctriques, raccordage illégal à l’eau et à l’électricté). Ces
protestations se justificent parce qu’elles sont au nom des droits des citoyens qui ne sont
pas reconnus de l’état. Il y a un rejet du principe représentataif. Si on estime que ces actions
s’incarnent dans une société civile, on voit que le terme signifie autonomie mais aussi rejet
de la sphère politique.

Des mobilisations en contexte de démocratisation échouée : le Cameroun


Le cas d’étude est celui des manifestations étudiantes de 2004/2005 comme le montre la
politiste Marie-Emmanuelle Pommerolle. (2007), « Routines autoritaires et innovations
militantes. Le cas d’un mouvement étudiant au Cameroun », Politique Africaine, n°108, pp.
155-172. Le cas du Cameroun montre que l’ère des transitions démocratiques s’est
transformée sur la restauration d’autoritarismes.

Au Cameroun, il devient compliqué pour les étudiants qui doivent faire face à un pouvoir
répressif et à une opinion publique qui a une mauvaise image des étudiants. Les étudiants
s’étaient illustrés en utilisant beaucoup de violence lors de la transition démocratique de
1991/1992. Ils vont parvenir à se mobiliser au début des années 2000 et vont faire varier leur
répertoire d’action militants. Cette fois, ils ne veulent pas passer par la violence puisqu’ils
risquent la répression du pouvoir en place qui sera encore plus illégitime et sans fondement.
Ils veulent avoir la meilleure image possible auprès de l’opinion publique. Ils vont utiliser la
grève de la faim.

Il y aussi le registre religieux puisqu’un des leaders étudiants va afficher ostentatoirement


ses croyances chrétiennes : c’était une manière pour lui de gagner en respectabilité et
d’obtenir des négociations avec les pouvoirs en place. Il y a aussi l’expertise militante : les
étudiants vont faire des rapports au sujet de la corruption du milieu universitaire, de
l’insalubrité des logements étudiants, de la mauvaise gestion des universités, du gaspillage
des droits de scolarité. Ces études vont leur donner de la crédibilité auprès des pouvoirs
publics et qui vont leur permettre d’obtenir gain de cause.

Les répertoires d’actions varient. La revendication politique est plus ou moins assumée et la
répression est plus ou moins forte. Il faut souligner l’existence de marges de manœuvre de
la part de la société civile et l’existence d’une réelle capacité à faire régir les pouvoir publics.
Cela montre que tout n’est pas décidé par l’état quelle de que soit la nature du régime en
place. Cela est d’autant plus vrai depuis les années 1990 avec l’investissement croissant des
bailleurs de fond dans la société civile africaine.

B. L’émergence d’une société civile favorisée par des soutiens à l’international

Au-delà des structures d’opportunité politique, il ne faut pas négliger la question des
ressources fondamentales pour conduire une mobilisation et pour l’inscrire dans la durée.
Cette question montre l’importance des connexions internationales qui apportent des
ressources financières, matérielles mais aussi en termes d’expertise et de savoir-faire.

Dire que l’international a un rôle important ne permet pas de parler d’une société civile
internationale. Adhérer à cette idée serait naïf puisqu’il conduirait à nier les inégalités
géopolitiques et culturelles importantes. L’intervention internationale renforce les
organisations de la société civile au moins à deux niveaux.

Le sociologue français Erik Neveu distingue deux effets :


- L’effet de certification : c’est une forme de transfert de légitimité, de représentativité
grâce auquel un mouvement social peut acquérir au sein de son système politique un
minimum de légitimité parce qu’il a des connections dans un réseau international
reconnu (sorte de certificat, de label)
- L’effet de diffusion : il fait référence aux expertises, aux formations, aux
argumentaires, aux techniques de protestation qui circulent entre les pays. Cette
connexion à l’international va être bénéfique dans le partage des connaissances.

On peut imaginer que des organisations au Nord vont pouvoir arguer qu’elles ont des
réseaux dans de nombreux pays différents et ainsi gagner en légitimité.

Étude de cas : les mouvements de femmes – travaux de Marième N’Diaye (2016) in La


réforme du droit de la famille. Une comparaison Sénégal-Maroc, Montréal, PUM.
Marième N’Diaye montre que les organisations de femmes ont explosé dans les années
1990 à la faveur du contexte de démocratisation : leur objectif n’est pas de se cantonner au
social ou au caritatif mais d’investir pleinement leur rôle de citoyenne pour revendiquer une
égalité des droits. La volonté de ces organisations de femmes est de s’émanciper
doublement : à l’égard des traditions puisqu’elles maintiennent les femmes aux rôles de
cadets sociaux, et vis-à-vis du patriarcat public (discriminations produites par l’état et par le
droit de l’état). Les revendications sectorielles n’empêchent pas le fait qu’elles aient un
combat visant un impact politique plus général.

Pour Marième N’Diaye, il y a une évolution qualitative de la protestation qui peut se faire
d’avantage politique et moins sectorielle. Jusque là, les organisations de femmes étaient
largement instrumentalisées par les états autoritaires et par les régimes de parti unique.
Avant les transitions démocratiques, on parle de féminisme d’état. C’est notamment grâce à
l’appui de bailleurs de fond que les associations de femmes vont permettre de s’émanciper.
On peut parler d’un véritable impact de la transnationalisation du militantisme.

C’est au contact de réseaux internationaux comme le forum social mondial de Nairobi (2007)
que les femmes africaines ont pu se familiariser à de nouveaux outils (genre, droit
international), à de nouvelles stratégies (loobying) et à se professionaliser en tant
qu’organisation. Cette logique d’extraversion pose un certain nombre de problèmes puisque
finalement on peut penser que cette extraversion de la mobilisation est une illustration d’une
nouvelle dépendance. Cela pose question quant à la représentativité de ces mouvements là
mais dans le même temps elle offre la possibilité pour ces organisations d’apparaitre comme
des interlocuteurs crédibles auprès des autorités étatiques et leur permet aussi de participer
au processus d’action public sur les questions relatives aux femmes et aux genres. Cela va
les installer dans des rôles de plus en plus reconnus par les pouvoirs en place.

Exemple de l’AJS, l’association des juristes sénégalaises, créée en 1974


Au fur et à mesure que l’association va s’inscrire dans ces réseaux, elle va apparaitre
comme un interlocuteur légitime pour le pouvoir en place. De fait, l’association a développé
de plus en plus au cours des années 2000, plusieurs projets et partenariats avec les
autorités locales : les membre de l’AJS sont consultées en tant qu’expertes au sein de
commissions parlementaires, par exemple pour la réforme du code pénal en 2006 ou du
droit de succession en 2010. Le président sénégalais Abdoulaye Wade leur a même accordé
un statut d’organe consultatif et lui a confié des missions comme l’envoie de membres de
l’association à un sommet des Nations Unies en 2005.

Marième N’Diaye montre que le fait que cette association soit inclue dans le processus de
décision n’explique pas tout mais permet de comprendre au moins en partie les progrès fait
au Sénégal en termes législatifs et en matière d’égalité juridique.

3. Société civile et processus de « détotalisation » de l’État

La protestation est variable selon le type de régime en place, mais quel que soit le régime,
elle existe et peut prendre plusieurs formes. La protestation peut bénéficier de connexions à
l’internationale surtout à la faveur des transitions démocratiques des années 1990. À ce truc,
on peut parler d’un processus de détotalisation de l’état, qui fait référence au processus de
déconstruction de l’ambition totalisante de l’état.

Les régimes de parti unique se justifiaient en disant qu’ils étaient les seuls à pouvoir porter la
dynamique de modernisation. Toutes les forces vives de la Nation doivent être chapotées
par le parti unique L’État ambitionne de tout gérer sans laisser d’autres formes de
participation voire d’expression du politique : il a une ambition totalisante. Or, l’émergence
progressive d’une société civile correspond à un désengagement progressif de l’état.

A. L’émergence progressive de la société civile = désengagement progressif de


l’État

L’état en Afrique n’a pas le choix puisqu’il traverse une crise multidimensionnelle dans les
années 1990 et est soumis aux multiples contraintes imposées par les PAS. Au final, il n’est
plus en mesure de faire fonctionner aussi bien qu’avant le système clientéliste et répressif.
On peut identifier deux grandes tendances :

L’émergence d’ « espaces publics liminaires » (Matthieu Hilgers, 2013) et d’ « espaces


publics de la parole » et de « parlements de rue » (Richard Banégas et al. 2012)
Pour Matthieu Hilgers, même s’il y a eu des restaurations autoritaires, il y a malgré tout eu, à
la faveur des transitions démocratiques, l’instauration de structures formelles de la
démocratie. Parce que ces formes existent, cela favorise des pratiques plus franches et
marquées d’opposition de luttes, de délibération, d’insubordination. C’est ce qu’il appelle des
espaces publics liminaires qui trouvent leur source dans l’instauration du multipartisme et qui
sont à même d’émerger à la faveur de la liberté de la presse, des syndicats, et par la
multiplication des organisations de la société civile.

Des effets en termes de conscientisation citoyenne


Pour les régimes en place, il y a une vraie tension puisqu’ils doivent permettre l’existence
d’un espace public et en même temps limiter son potentiel subversif. Les régimes ne
peuvent faire autrement que de laisser, si ce n’est prospérer du moins exister à minima, ce
qui participe d’une conscientisation citoyenne plus large, notamment des groupes qui vont
s’investir dans des problèmes qui touchent la communauté faute d’engagement de l’état
(entretien des routes

Richard Banégas évoque les espaces de la parole et des parlements de rue. Il travaille
principalement sur la côte ouest : dans ces pays émergent des parlements de rue qui sont
des phénomènes urbains, des endroits où on peut discuter, débattre se rassembler, prendre
la parole, et des endroits qui réunissent des populations variées selon divers types d’affinités
(sociale, culturelle ou encore politique). Il y a un investissement de la rue, du milieu urbain. Il
montre qu’on assiste à un effondrement de l’état qui n’arrive pas à faire face à toutes ces
missions : des nouvelles formes d’auto-organisation se mettent en place.

Les parlements de rue traduisent des dynamiques d’informalisation et de fragmentation de la


souverrainté. Puisque le politique n’est plus accaparé par le seul état, de plus en plus
d’organisations et d’individus vont pouvoir y participer même de manière informelle. Banégas
précise bien que ce sont des dynamiques qui ne sont pas égalitaires : seul un certain type
d’individus y participent (étudiants, militants, partis politiques d’opposition, peu de femmes).
Malgré ces limites, il y a des effets en termes de conscientisation citoyenne.

Face à cet État autoritaire critiqué et dévalué de toutes part, les institutions
financières internationales font la promotion de la société civile comme solution
alternative
La société civile dans le discours mais aussi dans le programme de ces organisations, va
être présentée comme une ressource potentielle que de nombreux acteurs vont s’approprier.
Cette centralité de la société civique dans les programmes de l’aide internationale illustre un
glissement flou et insensible de la critique de l’état autoritaire à la critique de l’état comme
institution.

Ce qui entraine un glissement insensible de la critique de l’État autoritaire à celle de


l’État comme institution
Cette promotion de la société civile ne critique pas vraiment les régimes autoritaires mais
plutôt l’état comme institution qui n’est pas à même de tout prendre en charge. Cette
dynamique est concomitante à la nouvelle philosophie de l’aide qui met officiellement au
cœur de sa philosophie une reconstruction de l’état comme institution. Il y a énormément
d’ambiguïté des instances internationales en la matière. Il y a d’un côté un régime de l’aide
qui est pour une reconstruction de l’état et de l’autre des discours et programmes qui
insistent sur le nécessaire appui aux organisations de la société civile.

La société civile est portée par une idéologie libérale. Elle n’est plus seulement un outil de la
contestation mais un outil de développement. Cela pose des questions relatives au fonctions
réelles de la société civile et aux changements que cette société civile est en mesure
d’apporter.

4. L’enjeu de la constitution d’un espace public contestataire


A. Les obstacles à l’émergence d’une société civile en tant qu’espace des luttes
sociales

La société civile est le lieu des luttes sociale et peut donc souffre de répression et
d’instrumentalisation politique. Dans un cas comme dans l’autre, il va y avoir une remise en
cause de la capacité de la société civile à s’affirmer comme un acteur autonome face à l’état.
La société civile est dépouillée de son potentiel contestataire et est ramenée à sa fonction
d’aide, de substitution à l’état. Elle est largement voire totalement dépolitisée, ce qui remet
en cause son rôle dans le processus de transition démocratique. Le fait d’être dépolitisée
n’est pas partisé.

La force de la répression
Matthieu Hilgers souligne que dans des contextes semi-autoritaires, la répression est
proportionnelle au degré de politisation des enjeux défendus. Plus l’enjeu est sensible
politiquement, plus il est probable de voir de la répression s’exercer.

Exemple des mouvements étudiants au Cameroun (Pommerolle, 2010)


C’est le cas des mouvements étudiants au Cameroun. Les étudiants montrés par Marie-
Emmanuelle Pommerolle craignaient les représailles politiques et ont fait en sorte que leurs
revendications ne soient pas dans une logique frontale. Ils se sont cantonnés à des
revendications sectorielles, qui avaient essentiellement trait au fonctionnement de l’université
qui était jugée corrompue et clientélaire. Cette logique sectorielle a peu de chance d’agréger
d’autres types de revendications et donc de créer un espace public protestataire plus large.
Pommerolle explique que le coût de la répression au Cameroun est réel : les intimidations,
arrestations arbitraires sont courantes ce qui use les militants. Une des plus grandes
victoires du mouvement étudiant est d’avoir pu voir se mettre en place une relève puisque
passer le flambeau est aussi une manière d’injecter de nouvelles forces dans le mouvement.

Exemple des « parlements du peuple » en Ouganda


C’était des réunions organisées dans des bars populaires et retransmises à la radio mais qui
ont été jugées trop contestataires et interdites en 2009.
Exemple du combat de Wangari Muta Maathai au Kenya
C’est une militante écologiste (PNB 2004) et est à l’origine du green belt movement. Elle a
connu au Kenya de la répression par les forces politiques. Tant que le mouvement de la
ceinture verte paraissait inoffensif il n’y avait pas de problème mais critiquer la déforestation
et défendre l’environnement a finalement été synonyme de remettre en question des choses
plus sensibles comme les règles d’accès à la terre et la spéculation immobilière. Quand la
critique a été trop forte, le mouvement a été fortement réprimé. Militer est tolérer mais tant
qu’il n’y a pas de critique frontale du régime en place.

Le problème pour les régimes est de la pression internationale sur laquelle s’appuient de
plus en plus les organisations de la société civile notamment pour conforter leur statut
d’interlocuteur légitime et pour dénoncer les abus dont elles sont victimes. Cette pression
internationale va expliquer que les régimes vont avoir tendance à délaisser la répression et
miser sur l’instrumentalisation politique ou la cooptation dans une dynamique clientéliste. La
force de répression et la cooptation ne sont pas exclusifs : au Cameroun au début des
années 1990, des étudiants se sont vu offrir de l’argent ou des postes dans l’administration
en échange de l’abandon de leur militantisme. Pommerolle explique que la plupart des
étudiants ont accepté ces sommes d’argent mais au service de leur cause.

La cooptation
Des membres éminents de la société civile sont recrutés au sein du gouvernement ce qui
permet au gouvernement de se donner une bonne image et de rendre ces membres
comptables de l’action du gouvernement et éviter qu’ils soient dans l’opposition

Exemple du Sénégal
Le président Mack Sall va nommer Sidika Kaba, président de la ligue des droits de l’homme
sénégalais et avocat de la défense va devenir ministre de la justice.

Exemple des Premières Dames


Elles se mobilisent et créent des fondations avec un affichage apolitique. Elles arrivent à
capter un certain nombre de ressources notamment issues de l’aide internationale. C’est le
cas des questions liées à la lutte contre le SIDA, l’excision. Elles se revendiquent de la
société civile. L’opposition politique va aussi investir ces formes-là. Les partis d’opposition en
Afrique de l’Ouest n’hésitent pas à investir les parlements de rue.

Ce lien avec le politique crée un certain doute quant à la valeur de la société civile africaine
qui est censée opérer en dehors de l’appareil de l’état. La société civile doit faire preuve
d’indépendance et d’autonomie avec une ligne d’action axée sur la citoyenneté et sur
l’empowerment du citoyen.

C’est ce que note Johanna Siméant quand elle écrit « J’ai été amenée à réviser cet implicite
qui assimile la mobilisation à la protestation en découvrant par exemple à quel point les
marches qui se déploient à Bamako sont loin de posséder tous les attributs de la
protestation, et renvoient à un rapport privilégié à l’État, soit du fait du statut de ceux qui
défilent, soit de l’habitude de ces nombreuses journées nationales de mobilisation qui sont
l’apanage de l’État, en partenariat ou non avec des organisations internationales, soit enfin
du fait de l’aspect très policé de la marche ». Parfois, la mobilisation peut aussi être un
instrument de l’état. Parfois, une protestation peut être chapotée par l’état.

Les ONG se revendiquent de la société civile alors qu’elles sont de plus en plus
professionalisées et en lien avec le pouvoir. Ces dynamiques renvoient au fait que la société
civile est largement conçue comme étant un moteur, un outil au service du développement et
non pas un espace des luttes sociales. C’est en écho avec le fait que la société civile est
portée par une idéologie libérale qui la conçoit comme un type de développement. Cela
correspond à une idéologie de dépolitisation.
B. La société civile au service du développement : le processus de
dépolitisation à l’œuvre

Il ne s’agit pas de dire que le fait qu’il y ait investissement de la société civile dans des
missions des développement n’est pas nécessairement contradictoire avec des objectifs de
démocratisation. Plusieurs auteurs ont montré que la société civile marocaine est revitalisée
ce qui a favorisé un gouvernement davantage participatif avec une implication croissante des
individus dans les affaires de la cité. Ce type d’implication favorise surtout une libéralisation
politique plus qu’une réelle démocratisation. Il faut faire le distinguo entre libéralisation
politique et démocratisation réelle ou substantielle. Il y a des sas de décompression où le
pouvoir en place va lâcher du lest pour pouvoir mieux garder la main sur l’essentiel. Le cas
du Maroc est archétypale puisque la société civile apparait comme une ressource pour le
régime. Elle est en liberté surveillée.

Bertrand Badie : pas de société civile envisageable au Sud


Bertrand Badie montre qu’au Sud, il n’y a pas de différenciation des sphères public/privée,
d’individualisation des relations sociales et des solidarités horizontales. La société civile ne
peut donc pas exister en Afrique.

René Otayek : confusion des rôles entre État et société civile


René Otayek dit qu’il y a une confusion des rôles : la société civile est valorisée par les
bailleurs tant et si bien qu’elle va apparaitre comme un élément qui va palier l’état ou
remplacer un état bélliquecent. C’est une vision libérale qui défend l’idée du moins d’état or
si on veut espérer qu’il y ait démocratisation, cela ne peut se faire sans l’état. La société
civile seule sans état ne permettrait pas la démocratisation. Elles doivent être autonomes et
complémentaires.

5. Mobilisations et désir d’État : texte support Vincent Bonnecase (2013)

Bonnecase, Vincent (2013), « Politique des prix, vie chère et contestation sociale à
Niamey : quels répertoires locaux de la colère ? », Politique africaine, n°130, pp. 89-
111.

- L’accent sur le contexte local d’émergence des mobilisations + sur l’histoire


longue des imaginaires
- La mise en lumière de formes plus larvées de la colère : contester l’état n’est pas
forcément frontale.
- La dialectique entre mobilisation et État : les mobilisations pour contester l’état
correspondent aussi à une demande à un besoin et à un désir d’état

Johanna Siméant montre qu’observer les mobilisations, cela consiste aussi à comprendre de
quelle façon l’Etat est parfois moins la cible des protestataires que ce à quoi ils aspirent.
Cette demande d’état caractérise une situation autant post ajustement structurel que post
colonial. C’est ce que Bonnecase dit quand il parle de désir d’état. Ceux qui se mobilisent
expriment un lien amer, désemparé vis-à-vis d’un état qui est perçu comme l’ombre de ce
qu’il fut, avant les PAS ou avant l’indépendance. Parfois les mobilisations illustrent une
certaine nostalgie de l’état colonial.

6. Les violences politiques

Philippe Braud : la difficile définition de la violence politique


Comme le souligne Philippe Braud (2018), la violence politique n’est pas aisée à définir. Il y
a une grande diversité de ses modalités, et une frontière parfois délicate avec l’action
pacifique. On parle d’insurrections contre l’État, attentats terroristes, émeutes… Définir ce
qui relève de la violence politique en soit est un enjeu politique. Il faut appréhender la
violence d’état et la violence contre l’état. Quand il s’agit de la violence d’état, on est dans un
registre euphémisant (coercition, rétablissement de l’ordre public).

Il y a beaucoup de violence politique en Afrique coloniale :


Le groupe Boko Haram dans la région Nord Cameroun et au Nigéria avec de nombreux
enlèvements et des milliers de morts. Au Cameroun, il y a un cycle de violence entre l’armée
royaliste et l’armée séparatiste depuis 2016 dans la zone anglophone du pays avec des
milliers de morts, des centaines de villages détruits, 500 000 personnes déplacées, des
actions de terreur avec des enlèvements, des attaques dans les écoles.

Depuis 2017 au Nord du Mozambique, il y a une série d’attaques avec une mouvance locale
du nom d’Al-Shabab : des attaques armées, décapitations, destructions d’édifices. Pour
l’historien Éric Morier-Genoud, le groupe Al-Shabab est une secte radicale qui prône une
application stricte de l’Islam avec des ramifications en Tanzanie. Ces dynamiques sont à
penser en lien avec la situation locale. Au Nord du Mozambique, elles sont en lien avec des
tensions sociales, religieuses et politiques locales. Au Cabo Delgado est la province la plus
pauvre du Mozambique où il y a des réserves importantes de pétrole et de gaz qui
contribuent à développer un sentiment de marginalisation et d’abandon chez les populations
locales. La population musulmane a tendance à se sentir assez marginalisée par rapport à
d’autres groupes qui eux ont un accès privilégié au pouvoir politique national depuis
l’indépendance. La conjonction de ces dynamiques contribue à l’émergence d’un discours
islamiste anti-état.

Il y a de nombreux exemples de violence politique qui sont très éloignés des cas évoqués
dans le cours relativement à la société civile et aux luttes sociales pour contester l’état. Il est
légitime de se demander comment on peut penser la violence politique et le terrorisme en
lien avec la question plus générale de contestation de l’état.

Le terrorisme : un modus operandi spécifique


C’est bien la terreur qui est un objectif en soi plutôt qu’un effet latéral de la violence armée.
Les groupes en question ont des buts politiques mais la terreur est érigée comme un moyen
délibéré d’atteindre ces buts-là. En général, il existe une « grande cause » qui va justifier le
passage à l’acte en désignant des cibles légitimes. Cette grande cause va se baser sur des
hautes valeurs religieuses, idéologiques, civilisationnelles qui sont disponibles dans l’univers
culturel de ces groupes-là.

Ces grandes causes peuvent être assimilées à une contestation de l’état mais plus encore à
une négation de l’ordre public tel qu’il existe. L’idée est de faire table rase. Ça va plus loin
qu’une contestation de l’état comme on a pu le voir dans le cours. La difficulté qui réside est
que souvent les revendications sont finalement assez floues, et d’autant plus que bien
souvent ce type de violence a des ramifications transnationales. Cela atténue alors sa
catégorisation en tant que contestation spécifiquement anti-état.

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