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RERJ –N°2 2‫ العدد‬2018 ‫المجلة اإللكترونية لألبحاث القانونية‬

La politique criminelle entre crise du système de dissuasion


et nécessité d’un contrôle pénal et social adapté aux
valeurs universelles

157

Chahid SLIMANI
Enseignant-Chercheur à la FSJES.
Université Moulay Ismail.

RESUME

Si la théorie de la dissuasion chère aux pénalistes et aux sécuritaires a toujours voulu


englober à elle seule toute la politique criminelle, une remise en question scientifique et
juridique des fondements théoriques et pratiques de ce système nous parait nécessaire et
d’actualité. De L. Hulsman1 nous retenons que la prévention des crimes et donc du
terrorisme, est une tâche impossible dans la perspective actuelle. Il faut avant tout
promouvoir une politique de justice sociale (dans le domaine de la santé, du travail, de
l'habitat, etc.) qui permettra d'éviter bien des « situations-problèmes ».

MOTS-CLES :

POLITIQUE CRIMINELLE, DISSUASION, CRIMINALITE, TERRORISME, SANCTION


PENALE, SECURITE INTERIEURE, ETAT DE DROIT.

Introduction:

Dennis Szabo qui fut parmi les premiers à avoir consacré une analyse approfondie et
une interprétation du problème multiforme, complexe et aux conséquences politiques très
graves qu'est la violence collective et sa version la plus chaotique, le terrorisme international,
a donné assez d’importance dans ses analyses aux concepts du monopole de la force, de la
menace pénale, de la dissuasion générale et de la prévention par la dissuasion. Une dissuasion
dont la chaîne d'intervention se compose de trois maillons : l'application des lois par l'action
policière, l'appareil judiciaire qui constitue la seconde ligne de défense ainsi que les
institutions correctionnelles (dépôts, prisons, pénitenciers, probation, liberté surveillée,
régimes de semi-liberté, etc.). Des concepts dont l’auteur et ses contemporains comme
Maurice Cusson, vont démontrer l’inefficacité et souvent le résultat le plus redouté, à savoir,
‫ـــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــ‬
- Louk HULSMAN, (1923-2009) est chercheur en sciences humaines et sociales et professeur de
droit pénal et de criminologie à l'université Érasme de Rotterdam.
ISSN: 7476-2605 ‫ردمـد‬
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la récidive. On comprend alors que l'augmentation de la sévérité des sentences, par la
réduction du pouvoir d’appréciation du magistrat est un échec total de toute politique de
dissuasion dite de prévention. Face au terrorisme, la loi pénale ne peut être efficace qu’en
exprimant clairement son attachement aux valeurs profondément enracinées dans la
conscience collective dont la sauvegarde des libertés individuelles, la promotion de la dignité
humaine et la reconnaissance des relations impliquant la responsabilité entre les personnes.
Une rupture nette avec le système de dissuasion et de répression immédiate (I), ainsi qu’une
refonte urgente du système de dissuasion (II), sont des propositions plus acceptables que
l'abolition du système, voire du droit pénal, préconisées par Hulsman1.
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I. La crise annoncée du système de dissuasion et de
répression immédiate
Le Code pénal, appelé par Maurice Cusson « le recueil de menaces » et qui prétend
envoyer un message clair aux citoyens, « si vous attentez à la personne ou à la propriété
d'autrui, gare à vous, on vous privera de votre liberté, on prendra votre argent et même on
vous enlèvera la vie. » 2, ne représente que le volet théorique de tout système de dissuasion
(I.1), alors que la pratique semble plus complexe qu’un simple discours menaçant (I.2).

I.1. L’impasse de la dissuasion théorique

L’objectif des peines que précise le droit pénal, est sans aucun doute, dissuader chaque
membre d'une société à commettre des crimes dans l'accomplissement ou la réalisation de
ses désirs. L’Etat en exerçant le monopole de la force au service de la sanction donne ainsi
de la crédibilité dans l'exécution de cette menace. Une exécution dont la première et la plus
importante promesse, est l'application des lois « law enforcement ». La seconde ligne de
défense étant constituée par l'appareil judiciaire (parquet et tribunal). Alors que le troisième
maillon d'une chaîne d'intervention qui concrétise et sur lequel prennent appui la menace
pénale, la dissuasion générale, ne sont autres que les institutions correctionnelles (dépôts,
prisons, pénitenciers, probation, liberté surveillée, régimes de semi-liberté, etc.)3. Un
mécanisme d’apparence efficace mais qui va se fourvoyer dans l’impasse du tout sécuritaire
en s’adressant à un terroriste présumé plus inintimidable que jamais.
Les sanctions pénales peuvent agir de quatre manières sur la criminalité en général et
le terrorisme plus particulièrement:
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Louk HULSMAN et Jacqueline BERNAT DE CELIS, Peines perdues : le système pénal en
question, Paris, Centurion, 1982.
Maurice CUSSON, Le contrôle social du crime, Les Presses universitaires de France, Collection
Sociologies, Paris, 1983, p. 154.
Denis SZABO, Science et Crime, Librairie J. VRIN, Paris, 1986, p. 170.
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1- la dissuasion générale : c'est-à-dire l’effet d’intimidation que peut avoir le spectacle
de l’arrestation et des peines subies par les criminels sur leurs camardes et sur les autres. De
bouche à oreille, la mauvaise nouvelle peut atteindre un nombre incroyable d’individus. Les
mass-médias jouent aussi un rôle dissuasif important.
2- La dissuasion individuelle : il s’agit de l'influence intimidante que la peine exerce
sur celui qui la subit. Subir une peine et les conditions qui l’entourent peuvent dissuader bien
des délinquants de récidiver. C’est ce que confirme une recherche publiée en 1988 par Van
Dusen et Mednick.
3- La garantie : c’est-à-dire que la certitude de la peine rassure les citoyens sur
l’effectivité de la loi et sur son respect par les autres. C’est cette effectivité qui garantit leur 159
coexistence.
4- Le blâme : grâce au blâme le système pénal prévient l'indulgence, la complaisance
et la banalisation du crime et des peines par les citoyens et préserve le climat moral du
groupe.
Mais pour que les sanctions pénales soient efficaces face à la criminalité et au
terrorisme, le système pénal (services de police, parquets, agences d'exécution de peines etc.)
tout entier doit l’être aussi. Or nous avons partout des systèmes pénaux trop bureaucratiques
qui s’engorgent très vite par la masse des faits criminels déclarés, ne laissant aux
gestionnaires du système que trois options possibles :
1- augmenter la capacité de l'appareil : investir plus d'argent pour embaucher plus de
fonctionnaires, plus de magistrats ou de policiers pour construire plus de palais de justice,
plus de prisons, etc.
2- rationaliser les opérations dans le but d'obtenir un meilleur rendement avec les
ressources existantes. Ex : simplification des procédures judiciaires : (correctionnalisation,
suppression de l'instruction, négociation de plaidoyer, procédures sommaires,
déjudiciarisation etc.) et remplacement des sanctions lourdes par des mesures moins
coûteuses comme l'amende, la probation ou la courte peine.
3- évacuer le trop plein d'affaires qui engorgent le système : en ignorant certaines
plaintes, en fermant les dossiers, en classant sans suite, en ajournant sine die, en refusant
d'admettre de nouveaux détenus, en libérant prématurément ceux qui s'y trouvent etc. En
d’autres termes, on traite les affaires jugées prioritaires et on rejette les autres.
Il est clair alors que la propension au crime et au terrorisme résulte avant tout de
l'immaturité, d'un laisser-aller éducatif, de l'ambivalence morale et religieuse, de
l'encouragement de pairs, de l'hédonisme et d'une fixation dans le moment présent1.
Six points, selon Maurice CUSSON, nous permettent d’avoir une idée claire sur la
théorie de la dissuasion2 :
‫ـــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــ‬
Ibid. p. 77
Maurice CUSSON, Le contrôle social du crime, op.cit., p. 154.

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1. Les menaces : le Code pénal est considéré et voulu par l’Etat comme un recueil de
menaces. La loi pénale, comme méthode de contrôle social, ne repose alors ni sur la
persuasion morale ni sur l'appel à la raison, mais sur la force. Sur la violence et la menace de
violence. Tout « terroriste potentiel » comprendra ainsi que l’Etat répondra à sa violence par
la violence.
2. L'exécution : l'État ne fait pas de menaces en l'air. La police, les tribunaux et les
systèmes correctionnels sont chargés de mettre à exécution les menaces du code pénal de la
manière la plus spectaculaire, en matière de lutte contre le terrorisme surtout. La présomption
d’innocence est alors la première victime de ce « processus ».
3. L'alternative : le criminel potentiel comprendra qu’il n’a que deux options devant 160
lui : respecter le code pénal ou subir sa violence.
4. La balance des gains et des pertes : toute personne qui décide de commettre un délit
ou de s'en abstenir pèse bien les avantages qu'elle espère en tirer. Dans le cas du terroriste
potentiel cette balance semble plus complexe vu qu’il a souvent une conception totalement
religieuse et morale de la question des gains et des pertes.
5. Certitude et sévérité : toute personne qui décide de commettre un délit ou de s'en
abstenir doit comprendre que tout crime est toujours puni et de la manière la plus sévère.
6. Hypothèses de base : Deux prédictions découleraient alors de cette doctrine de la
dissuasion : Premièrement, le nombre de crimes commis variera inversement avec la
certitude des peines. Deuxièmement, le nombre de crimes commis variera inversement avec
la sévérité des peines.

I.2. L’échec de la dissuasion sécuritaire


Malgré le fait que les fondements idéologiques et les modes d’action des terroristes,
comme les conséquences des attentats, montrent une évolution du phénomène, mais aussi
certaines similitudes, les législateurs arguent systématiquement du caractère sans précédent
de la menace terroriste à laquelle ils sont confrontés pour justifier de la nécessité et de la
proportionnalité des dispositions drastiques et dérogatoires au droit commun qu’ils
adoptent1.
Les attentats du 11 septembre ont marqué durant les années 2000 la synthèse de
certaines évolutions radicales au sein de la sécurité intérieure qui a fait du droit pénal de
l’ennemi sa nouvelle théorie. Ce qui s’est caractérisé alors par l’anticipation de la répression,
le retrait de certains droits fondamentaux et la sévérité des sanctions2. Selon une définition
de Maurice Cusson 3, la sécurité intérieure est l'ensemble des moyens qui ont pour but
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Olivier CAHN, « Cet ennemi intérieur, nous devons le combattre. Le dispositif antiterroriste
français, une manifestation du droit pénal de l’ennemi », Archives de politique criminelle 2016/1
(n° 38), p. 94.
Ibid. 96.
Maurice CUSSON, « Qu’est-ce que la sécurité intérieure? », Revue internationale de criminologie
et de police technique et scientifique, 2000, p. 9.
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d'assurer la protection des personnes, des biens et des institutions contre les menaces issues
de la société elle-même, dont le terrorisme bien entendu.
L’auteur qui trace les contours d’une sécurité intérieure adaptée et efficace au sein des
sociétés urbanisées modernes, rappelle en même temps le paradoxe que ces sociétés doivent
affronter. L’appareil mis en place pour garantir toute sécurité risque de porter atteinte aux
droits mêmes qu'il est censé protéger. La liberté et la sûreté seront toujours menacées par de
graves abus dont des surveillances abusives, des détentions arbitraires, des brutalités
policières etc., et de rappeler qu’un excès de sécurité devient vite insupportable par les
contraintes, les rigidités et les nuisances qu'il occasionne.
Les repères suivants nous sont proposés: 161
- la sécurité absolue est une dangereuse utopie : croire qu’il y a une solution sécuritaire
immédiate au terrorisme, c’est tout simplement renoncer sans le soupçonner à plus de
libertés.
- les inconvénients liés à l'action de sécurité peuvent être supportés tant et aussi
longtemps que le danger paraîtra réel et pressant.
- la peur joue un rôle déterminant au sein d’une société : plus on a peur, plus les
surveillances et les contrôles seront tolérés. Moins on a peur, moins les mesures de sécurité
seront acceptées sans mobilisation.
La sécurité intérieure se révèle ainsi comme un champ de forces en équilibre instable
traversé par des tensions et des oppositions : tension entre les exigences de la sécurité et
celles des droits individuels, opposition entre les délinquants et les protecteurs, entre la
prévention et la répression, entre l'intervention d'urgence et l'analyse des problèmes1.
Un processus en cinq phases détermine alors selon l’auteur la fin poursuivie par toute
sécurité intérieure :
- Première phase : la menace s'actualise. C'est l'incident : un crime est perpétré, une
émeute a éclaté...
- Deuxième phase : l'intervention d'urgence. Interposition des policiers entre les
combattants, aide et conseils aux victimes, dispersion des émeutiers…
- Troisième phase : l'enquête ou la phase répressive du processus. On espère alors
l'arrestation et la condamnation du coupable.
- Quatrième phase : l’analyse, la réflexion et donc les enseignements tirés de l’incident
qui a permis de prendre une conscience plus précise de la menace. Pour qu’enfin des
correctifs soient mis en place.
- Cinquième phase : la prévention. Les dispositifs déjà en place sont améliorés et
d'autres sont ajoutés pour que l'incident ne se reproduise plus.
Le droit se charge alors de fixer les limites des pouvoirs des enquêteurs :
1- en leur dictant la procédure à suivre dans le respect des droits et des
libertés ;
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Maurice CUSSON, op.cit., p. 27.
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2- en définissant les preuves admissibles et les moyens acceptables pour
les obtenir ;
3- en réglementant et restreignant le pouvoir policier de recourir à la force.
Nous comprenons alors le rôle décisif que peut jouer la sécurité intérieure dans toute
politique de prévention, notamment en matière de terrorisme, mais nous mesurons aussi à
quel point la troisième phase de ce processus où il est question avant tout de répression, peut
être une réelle menace sur les droits et les libertés sans le contrôle du droit et ses principes
dont bien entendu la préemption d’innocence. Certes, le policier est souvent surchargé de
travail et il est assez souvent mal entraîné, et dans sa tâche, il n'est pas approuvé, et même
162
souvent méprisé, ce qui le laisse désarmé face à la compréhension et aux contacts avec les
groupes dissidents1.
En évoquant le rôle supposé de la police dans les sociétés démocratiques, Dennis
Szabo nous rappelle bien évidemment que tout l'art de la démocratie consiste dans la
conciliation de l'ordre et de la liberté : c'est là le rôle crucial de la police dans la société
contemporaine2. Toutefois, entre la nature des fonctions de la police et l’ambigüité des lois,
un pouvoir d'appréciation du policier s’installe et peut parfois briser ou entraver cette
conciliation entre l'ordre et la liberté, car souvent sa conduite même si elle est régie par la
loi, s'exerce dans une zone grise intermédiaire qui se situe entre la morale et la loi. L’auteur
avance les trois solutions envisagées pour réduire des abus possibles3 :
a) la réglementation de l'usage du pouvoir d'appréciation qui n'exclut cependant pas la
préservation d'une certaine souplesse : le policier ne doit alors procéder à des arrestations
que s'il croit, pour des motifs raisonnables et probables, que l'intérêt public ne peut être
sauvegardé autrement. Un intérêt public qui se définit à la lumière de toutes les circonstances
de l'infraction qui prennent en compte : l'identification du criminel, la conservation de la
preuve, la préservation de la répétition de l'infraction ou de toutes les autres infractions,
l'assurance raisonnable que la personne se présentera devant le tribunal etc.
b) la professionnalisation des policiers et des corps de police : grâce entre autres aux
recherches approfondies, à la systématisation de l'expérience et des connaissances, ainsi
qu'une expérimentation continuelle de la validité des hypothèses et des conclusions etc. Ce
concept du professionnalisme de la police implique alors la discipline additionnelle qu'une
profession impose. C'est-à-dire avoir des connaissances spécialisées et un niveau élevé
d'éducation, de formation, de talent et d'expérience4.
‫ـــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــ‬
André NORMANDEAU, Frédérick MCCLINTOCH, Philippe ROBERT et Jérôme SKOLNICK,
« Police et violence collective », Police, culture et société. Les Presses de l'Université de Montréal,
1974, p. 102.
Denis SZABO, Science et crime, op.cit., p. 227.
Ibid. 232.
André NORMANDEAU, Frédérick MCCLINTOCH, Philippe ROBERT et Jérôme SKOLNICK,
op.cit.,p.140.
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c) l'exercice d'un contrôle sur ce pouvoir de la police. Un contrôle qui émane avant
tout du public, donc de la société.
Concernant la professionnalisation des policiers il faut rappeler avant tout que le
terroriste présente la particularité de n’être pas nécessairement un « gibier de police », ce qui
oblige à adapter l’appareil répressif pour lui permettre d’identifier et de neutraliser des
individus qui ne ressortissent pas nécessairement à son champ d’action habituel1. La société
a alors le droit de façonner la police et pas l'inverse : c'est une société civilisée qui seule peut
avoir le droit et le privilège d'avoir une police civilisée, conclut l’auteur.
II. Adaptations du contrôle pénal et social aux valeurs
163
universelles
Face à une criminalité plus galopante et complexe que jamais, il est clair que les
adaptations de la législation devraient théoriquement être circonscrites et ciblées. Nous
comprenons mieux maintenant pourquoi Maurice Cusson avait terminé son ouvrage 2 en se
tenant au milieu entre un contrôle pénal adapté (II.1) et un contrôle social (II.2) qui
mèneraient ensemble à la justice.

II.1. Un contrôle pénal soucieux des droits et des libertés


Comme le remarque Olivier Cahn 3, la législation antiterroriste dit autant sur l’Etat qui
l’adopte que sur les criminels qu’elle est destinée à combattre et qu’il n’est pas
nécessairement évident de distinguer, dans la multiplication récente de textes, ce qui relève
de l’adaptation de l’appareil répressif au terrorisme « global » et ce qui participe de
l’adhésion du législateur au penal realism et de la passion incontinente pour l’élaboration de
normes répressives qui l’affecte depuis les années 2000. En garantissant les droits reconnus
universellement au bénéfice des parties à un procès, surtout en matière pénale, la Convention
européenne des droits de l'homme a tracé dans son article 6, entre autres, la ligne à suivre de
tout contrôle pénal nécessaire pour maintenir l’ordre et la sécurité au sein de la société mais
jamais aux dépens des droits et des libertés. Ainsi, toute personne accusée d’une infraction
est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. Cet accusé a
droit notamment à :
- être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une
manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
- disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
- se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a
pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat
d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
‫ـــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــ‬
Olivier CAHN, op.cit., p.94.
Maurice CUSSON, Le contrôle social du crime, op.cit., p. 313.
Olivier CAHN, op.cit., p.93.
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- interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et
l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
- se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la
langue employée à l’audience. ».
Mais malgré ça comme le remarque Olivier Cahn en citant G. Jakobs, la
«dépersonnalisation» du terroriste est justifiée par la rupture que ce dernier a consommée
avec la société politique. A partir de là il n’est pas surprenant de constater que le présumé
« terroriste » est soumis à une « procédure moins ‘garantiste’ privilégiant la rapidité et
l’efficacité aux droits de la défense ». L’enquête, la poursuite et le procès sont ainsi confiés
à des services de police et des juridictions « spécialisées ». La durée de la détention provisoire 164
est alors allongée, comme la prescription de l’action publique et des peines tandis que sont
prévues des réductions, voire des exonérations de peines pour les repentis et que le législateur
a récemment restreint le champ d’application des immunités applicables en matière de non-
dénonciation de crime1.
II.2. Du contrôle social à la justice sociale
En se basant sur les remarquables travaux de Maurice Cusson sur les théories du
contrôle social, notamment son célèbre ouvrage Le contrôle social du crime, nous avons pu
comprendre que le criminel, voire le terroriste, est avant tout un individu qui souffre du
manque d’intégration dans sa société, car s’il est encadré et manipulé par un groupe criminel
ou terroriste soit-il, c’est bien parce que sa propre société refuse de l’intégrer. Cette
intégration relève de ce qu’on appelle le contrôle sociale.
Maurice Cusson résume ainsi les théories du contrôle social en cinq propositions2 :
1. Chaque individu possède les virtualités criminelles simplement parce que l'homme
est un être de désir pour qui le crime peut être un expédient commode, un moyen facile de
résoudre une foule de problèmes et d'assouvir certains besoins, dont des besoins religieux
bien entendu.
2. Pour tenir en échec ces pulsions perturbatrices, les sociétés imposent des règles aux
individus et exercent une pression pour qu'ils s'y soumettent.
3. C'est cette pression que l'on désigne par l'expression contrôle social. Il s’agit de
l'ensemble des moyens par lesquels les membres d'une société s'imposent les uns aux autres
la conformité aux règles du jeu social.
4. Le contrôle social s'exerce plus vigoureusement sur un individu s’il est fortement
intégré à sa société.
5. Sans l'intégration au groupe comme l’une des conditions nécessaires à l'exercice du
contrôle social, les impulsions antisociales se manifestent de la manière la plus extrême.
Sans justice sociale toutefois, le contrôle social par le biais de l'intégration à la société
ne peut conduire automatiquement ni à la conformité ni à la prévention des actes terroristes.
‫ـــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــ‬
Olivier CAHN, op.cit., p. 101.
Maurice CUSSON, Le contrôle social du crime, op.cit., p. 109.
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Alors que le droit pénal et ses principes vacillent devant l’intransigeance politiques des
terroristes et juridique des sécuritaires, Denis Szabo, se pose une question
importante : « lorsque nous avons admis le rôle moral du droit pénal, protégeant les valeurs
d'intégrité des personnes et des biens, n'avons-nous pas accepté toutes les conséquences du
fonctionnement imparfait de l'appareil pénal ? »1.
Comme réponse radicale Hulsman2 voudrait une rupture plus nette avec la situation
présente. En critiquant l'inefficacité, les effets pervers, l'injustice du système pénal etc.,
Hulsman dénonce le fait que :
a) le système vole leurs conflits aux personnes directement impliquées. La victime est
particulièrement mal traitée : elle n'apparaît que comme témoin dans l'instruction que prépare 165
le parquet. Le délinquant, lui, est subordonné à la logique du système juridique qui le détache
du contexte existentiel de son acte répréhensible.
b) le système pénal a pour objet de produire la souffrance. Le régime carcéral est, par
nature, déshumanisant et rend l'individu pire qu'il ne fut à l'origine.
c) les souffrances sont inégalement réparties. Les variations dans la pratique du
sentencing, le rôle des stéréotypes et celui des boucs émissaires, la relativité du concept
d'infraction, l'insuffisante protection des économiquement faibles dans les procédures
judiciaires, etc. entravent la justice. Le système écrase les plus faibles et renforce, dans ses
effets, les inégalités sociales.
Hulsman demande tout simplement la suppression du système pénal en proposant :
a) toute une vie sociale est caractérisée par un jeu complexe d'antagonismes et de
conflits personnels ; ils trouvent leur origine dans la diversité des individus. La politique
sociale doit s'orienter vers le bien-être collectif et devrait diminuer ainsi les conflits latents.
Une politique culturelle orientée vers la tolérance devrait réduire la quantité des conflits
ouverts.
b) tout comportement indésirable (aujourd'hui appelé « crime ») doit être envisagé
comme une « situation-problème ». Lorsqu'on désire le faire cesser ou le surmonter, il
convient de le restituer dans le contexte interpersonnel, culturel et sociopolitique qui lui a
donné naissance.
3) un conflit né d'une « situation-problème » ne peut trouver une solution dont
résulterait l'apaisement que si les personnes directement impliquées et psychologiquement
proches sont appelées à y participer.
d) quand l'intervention extérieure est inévitable, on doit recourir en priorité aux
groupes sociaux naturels, agissant à titre de conciliateurs.
e) devant l'échec des procédures de conciliation, l'appel doit être conçu sur le mode
civil de règlement de conflits. L'imposition de toute souffrance gratuite doit être éliminée.
‫ـــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــ‬
Chahid SLIMANI, Criminologie, Oumayma, Fès, 2011, p. 164.
L. HULSMAN, « An abolition perspective on criminal justice systems, and a scheme to organize
approaches to problematic situations », in Dangerosité et justice pénale. Ambiguïté d'une pratique,
sous la direction de C. Debuyst, Masson, Genève 1981 ; L HULSMAN, Réponse à Maurice Cusson,
Déviance et Société, 1990, 14,3, pp. 325-334.
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La « prévention » des « crimes » étant une tâche impossible dans la perspective actuelle
pour Hulsman, il est souhaitable alors de promouvoir une politique de justice sociale (dans
le domaine de la santé, du travail, de l'habitat, etc.) qui permettra d'éviter bien des «
situations-problèmes ». L’environnement doit prendre en charge la recherche d'une solution
juste et apaisante lorsqu'un événement regrettable se produit à la suite d'une « situation-
problème ». Des petits groupes proches et chaleureux doivent offrir aux protagonistes du «
drame », aux « victimes » comme aux « délinquants », les possibilités de règlement de
conflits, acceptables et jugées justes par les membres de la communauté.
On distingue généralement entre deux approches de la prévention : celle qui se base
sur le système de justice pénale et celle qui s'appuie sur la communauté. Deux approches qui 166
peuvent être subdivisées entre celle qui est axée sur le criminel et qui tente d'influencer les
motivations et la conduite du délinquant et celle qui est axée sur la victime et son milieu et
qui envisage des mesures défensives qui visent à réduire le risque d'une victimisation en
prévoyant l'accroissement des mesures de protection du public.
Nous comprenons ainsi de Hulsman que la « prévention » des « crimes » et donc du
terrorisme, est une tâche impossible dans la perspective actuelle. Il faut avant tout
promouvoir une politique de justice sociale (dans le domaine de la santé, du travail, de
l'habitat, etc.) qui permettra d'éviter bien des « situations-problèmes ».

Bibliographie
 CAHN Olivier, « Cet ennemi intérieur, nous devons le combattre ». Le dispositif
antiterroriste français, une manifestation du droit pénal de l’ennemi »,
Archives de politique criminelle 2016/1 (n° 38).
 CUSSON MAURICE, « Qu’est-ce que la sécurité intérieure? », Revue
internationale de criminologie et de police technique et scientifique, 2000.
 CUSSON MAURICE, Le contrôle social du crime, Les Presses universitaires
de France, Collection Sociologies, Paris, 1983.
 HULSMAN L., Réponse à Maurice Cusson, Déviance et Société, 1990, 14,3.
 HULSMAN LOUK et Jacqueline BERNAT DE CELIS, Peines perdues : le
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MASSON, Genève 1981.
 NORMANDEAU ANDRE, FREDERICK MCCLINTOCH, PHILIPPE

ROBERT et JEROME SKOLNICK, « Police et violence collective »,


Police, culture et société. Les Presses de l'Université de Montréal, 1974.
 SLIMANI CHAHID, Criminologie, Oumayma, Fès, 2011.
 SZABO DENIS, Science et Crime. Librairie J. VRIN, Paris, 1986.

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