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EAF 16 

: Juste la fin du monde

Lecture linéaire : Jean Luc Lagarce, Partie 1 scène 9, (1990)

Introduction :

La pièce de théâtre Juste la fin du monde est une pièce contemporaine parue en 1990 et qui
pourrait se rapprocher du théâtre de l’absurde. Elle fut écrite par Jean Luc Lagarce, un comédien,
metteur en scène, directeur de troupe et dramaturge français et malgré le fait qu’il soit mort le 30
septembre 1995, il est aujourd’hui l’un des auteurs contemporains les plus joué en France. L’œuvre
quant à elle traite de retrouvailles entre le protagoniste Louis qui va mourir et sa famille après 12 ans
d’absence mais alors que Louis souhaitait leur annoncés sa mort prochaine, de vieilles querelles
familiales vont refaire surface. On est donc dans une tragédie. La scène que nous tâcherons d’étudier
est la scène 9 de la partie 1.

Prb : En quoi les retrouvailles familiales sont-elles un échec ?

Le texte peut être séparé en 4 mouvements, la langueur, Suzanne tente de s’affirmer, rivalité entre
les deux frères et une union impossible

Mouvement 1 : La langueur

La Mère. - C'est l'après-midi, toujours été ainsi :


Le repas dur plus longtemps,

On n'a rien à faire, on étend ses jambes.

Catherine. - Vous voulez encore du café ?

(Prof)

 C.L du temps / de la durée / valeur itérative


 Catherine est étrangère à la scène / emploi du vouvoiement
 Pronom indéfini « on > x2. Valeur générale

(Internet)

 La Mère évoque un après-midi de dimanche et insiste sur le caractère


coutumier « toujours été ainsi ».
 Comme à la fin de la scène 8, la Mère insiste sur le temps et la durée comme le montre le
champ lexical du temps : « après-midi », « toujours », « dure », « plus longtemps ».
 La Mère est assimilée à Saturne, Dieu du temps qui symbolise la mélancolie.
 Le pronom impersonnel « on » et le parallélisme de construction « on n’a rien à faire, on
étend ses jambes » montre l’état de langueur dans lequel plongent les personnages.
 Catherine, qui est le seul personnage ne faisant pas partie de la famille biologique, crée
un effet de distance avec Louis par le vouvoiement : « Voulez-vous encore du
café ? ». Catherine est le symbole des conventions sociales et maintient une distance
respectueuse.
Mouvement 2 : Suzanne tente de s'affirmer
Suzanne. - Tu vas le vouvoyer toute la vie, ils vont se vouvoyer toujours ?
Antoine. - Suzanne, ils font comme ils veulent !
Suzanne. - Mais merde, toi, à la fin !
Je ne te cause pas, je ne te parle pas, ce n'est pas à toi que je parle !
Il a fini de s'occuper de moi, comme ça, tout le temps,
Tu ne vas pas t'occuper de moi tout le temps,
Je ne te demande rien,
Qu’est-ce que j'ai dit ?
Antoine. - Comment est-ce que tu me parles ?
Tu me parles comme ça,
Jamais je ne t'ai entendue.
Elle veut avoir l'air,
C’est parce que Louis est là, c'est parce que tu es là,
Tu es là et elle veut avoir l'air.
Suzanne. - Qu'est-ce que ça a avoir avec Louis ?
Qu'est-ce que tu racontes ?
Ce n'est pas parce que Louis est là,
Qu’est-ce que tu dis?
Merde, merde et merde encore !
Compris ? Entendu ? Saisi ?
Et bras d'honneur si nécessaire ! Voilà, bras d'honneur !
La Mère. - Suzanne !
Ne la laisse pas partir,
Qu’est-ce que c'est que ces histoires ?
Tu devrais la rattraper !
Antoine. - Elle reviendra

(Prof)

 Remise en cause des conventions / cela va avec sa jeunesse et son esprit de rébellion
 Violente opposition à son frère aîné
 Discours virulent / emploi d'un langage vulgaire (triade répétitive)
 Gradation
 Didascalie sous-entendue (le geste du bras d'honneur / son départ suggéré par la réplique de
la mère: « ne la laisse pas partir ») ? »)
 Rythme ternaire (« compris ? Entendu ? Saisi ? »)

(Internet)

 Suzanne plus jeune (21 ans mentionnent les didascalies initiales) symbolise la génération
de l’immédiateté, qui ne supporte pas la médiation du vouvoiement, le poids
des traditions et des relations sociales.
 Elle remet ainsi en cause l’emploi du vouvoiement par Catherine : « Tu vas le vouvoyer
toute la vie, ils vont se vouvoyer toujours ? ». La répétition en miroir des deux
propositions souligne l’impatience de Suzanne.
 Son discours la rattache à l’adolescence comme le montre l’interjection
grossière (« Mais, merde toi à la fin ») et la forme négative (« Je ne te cause pas, je ne te
parle pas, ce n’est pas à toi que je parle») qui souligne une posture d’opposition à
l’autorité familiale caractéristique de l’adolescence.
 La gradation ternaire « Je ne te cause pas, je ne te parle pas, ce n’est pas à toi que je
parle ! » annonce la montée de la colère qui va exploser.
 Suzanne reproche à Antoine d’être intervenu. Le champ lexical de la parole (« cause »,
« parle » « je parle » , « tu me parles » « racontes ») montre que la parole se libère et
que les tensions pulsionnelles reviennent à la surface.
 La querelle s’envenime avec la question rhétorique d’Antoine : « Comment est-ce que tu
me parles ? »
 Le pronom interrogatif « comment » met en cause la manière dont Suzanne énonce ses
propos, soulignant l’incapacité du langage, dans sa forme même, à réconcilier les
individus.
 La parole d’Antoine est en forme de chiasme, c’est à dire de structure ABBA :  « Elle veut
avoir l’air / c’est parce que Louis est là, c’est parce que tu es là / tu es là et elle veut avoir
l’air ». Cette structure fermée souligne la volonté d’Antoine de contrôler Suzanne.
 Antoine infantilise Suzanne en lui reprochant de changer son comportement en présence
de Louis.
 Suzanne se révolte contre ce corset comme en témoigne la multiplication
des interrogations et exclamations. Sa parole est placée sous le signe de
la répétition selon le modèle A B A B : « Qu’est-ce que ça a à voir avec Louis, / qu’est-ce
que tu me racontes ? / Ce n’est pas parce que Louis est là / qu’est-ce que tu dis ? »)
 Ces répétitions témoignent d’une parole enfantine et hystérique avec un rythme
ternaire qui montre la colère du personnage (« Merde, merde et merde encore ! » /
« Compris ? entendu ? saisi ? »).
 Sa dernière réplique fonctionne comme une didascalie interne enjoignant l’acteur à
effectuer le geste : « Et bras d’honneur si nécessaire ! Voilà, bras d’honneur ».
 La dispute qui se déclenche au départ sur un mot (« ils font ce qu’ils veulent » )
contamine tous les sujets (le comportement de Suzanne, Louis) et va jusqu’à la violence
physique symbolisée ici par le geste grossier.
 La phrase prononcée par la Mère (« Ne la laisse pas partir ») est aussi une didascalie
interne qui suggère un jeu de scène, celui du départ fracassant de Suzanne de la scène
familiale.
 Antoine adopte la voix du père qui connaît ses enfants et leurs sautes d’humeur, avec le
futur de l’indicatif : « Elle reviendra ».

Mouvement 3 : Rivalité entre les deux frères


Louis. - Oui, je veux bien, un peu de café, je veux bien.
Antoine. - « Oui, je veux bien, un peu de café, je veux bien. »
Catherine. - Antoine !
Antoine. - Quoi ?
Louis. - Tu te payais ma tête, tu essayais.

(Prof)
 Antoine singe son frère pour le ridiculiser de façon puérile
 La rivalité fraternelle (thème récurrent au théâtre) éclate dans cette scène et rappelle
sûrement leurs disputes d'enfants
 La réponse de Louis est polysémique (se moquer ou plaisanter ?)
 Lagarce laisse le choix de l'interprétation à ses lecteurs

(Internet)

 Louis répond à la question de Catherine qui a occasionné cette scène de crise : « Oui, je
veux bien, un peu de café, je veux bien. ».
 La réponse différée de Louis montre que la famille est fractionnée, fracturée comme si
les personnages ne parvenaient à entrer en communication.
 Cette réponse, qui intervient après la crise, a également quelque chose de comique,
comme dans le théâtre de l’absurde de Samuel Beckett (dans En attendant Godot par
exemple) où le tragique côtoie le burlesque.
 Antoine répète alors mot pour mot la phrase de Louis « Oui je veux bien un peu de café,
je veux bien » comme le font les jeunes enfants qui se provoquent. L’imitation est
ironique et a pour but de réactiver la rivalité fraternelle.
 La réponse de Louis (« Tu te payais ma tête ») peut avoir plusieurs sens.  « Se payer la
tête de quelqu’un » signifie bien sûr se moquer de lui, et Louis rappelle à son frère qu’il
n’est pas dupe de son intention.
 Mais on peut aussi voir une touche humoristique de Lagarce dans le choix de cette
expression.
 Cette famille ressemble à une cour parodique, avec trois générations successives
d’hommes qui portent le prénom de Louis, comme dans la royauté française. Or Antoine
voudrait se « payer la tête » du frère aîné, comme Philippe Égalité a voté la mort du roi
Louis XVI, guillotiné en 1793.
 Mais l’imparfait surprend dans la réplique de Louis : « Tu te payais ma tête, tu essayais ».
Ce temps du passé suggère que Louis mate la révolution et remet son frère à sa place.

Mouvement 4 : Une union familiale impossible

Antoine. - Tous les mêmes, vous êtes tous les mêmes ! Suzanne !
Catherine. - Antoine ! Où est-ce que tu vas ?
La Mère. - Ils reviendront.
Ils reviennent toujours.
Je suis contente, je ne l'ai pas dit, je suis contente que nous
Soyons tous là, tous réunis.
Où est-ce que tu vas ?
Louis !
(Prof)

 Didascalie sous-entendue puisqu'Antoine quitte la scène, comme sa sœur


 La mère emploie le futur (< ils reviendront ») et se pose en Pythie (prêtresse de l'oracle
d'Apollon à Delphes qui annonce l'avenir).
 Antithèse: « je suis contente que nous soyons tous là, tous réunis Où est-ce que tu vas ? ».
On se rapproche du théâtre de l'absurde ? Ainsi, au lieu de se retrouver, les personnages
quittent la scène les uns après les autres !

(Internet)

 Antoine quitte la scène, reproduisant le geste de Suzanne comme le suggère la réplique de


Catherine qui fonctionne comme une didascalie interne (« Antoine ! Où est-ce que tu vas ? »).
 La Mère voyant Suzanne et Antoine partis déclare « Ils reviendront. Ils reviennent toujours ».
Avec le futur de l’indicatif, la Mère reprend ici le rôle de la Pythie qui connaît l’avenir. Elle
semble sûre d’avoir suffisamment tissé sa toile pour que ses enfants ne lui échappent pas.
 Mais la situation est d’une ironie tragique. Au moment où la Mère dit l’unité familiale, à la
1re personne du pluriel « Je suis contente que nous soyons tous là réunis », tout le monde
quitte la scène, y compris Louis ( » Où est-ce que tu vas ? Louis ! » ).
 La didascalie précise à la fin de la scène que « Catherine reste seule ». On devine donc que la
Mère, elle aussi, quitte la scène.

Conclusion :

- Les retrouvailles familiales sont généralement dominées par un mouvement centripète


autour de la figure parentale.
- Ici, c’est le contraire qui survient : la famille est animée par un
mouvement centrifuge, vers l’extérieur, comme si tous les personnages était
littéralement expulsés de scène par une force incontrôlable : la rébellion de la jeunesse,
la rancune, la rivalité fraternelle, la désunion foncière d’une famille en crise.
- Seule reste sur scène Catherine, l’étrangère de la famille, celle qui est liée à la famille
non par le sang mais par alliance.

Ouverture :

- Ainsi les rapports familiaux sont compliqués tel que dans la tragédie grecque Antigone de
Jean Anouille

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