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Dossier pédagogique

Annoncer la Couleur dans les provinces et à Bruxelles


Annoncer la Couleur en Brabant wallon
Promoteur: Fabrice Corbusy
Direction d’administration des Affaires sociales
de la Province de Brabant wallon
Bâtiment Folon - Chaussée des Nerviens, 25 - 1300 WAVRE
Tél.: 010/23 60 95 - Fax: 010/23 60 84
e-mail: annoncerlacouleur.brabantwallon@belgacom.net

Annoncer la Couleur pour Bruxelles-Capitale


Promotrice: Anne Marie Arias Canel
MINTH a.s.b.l. (Maison Internationale - Internationaal Huis)
Rue Haute, 139 - 1000 Bruxelles Vivre ensemble
autrement
Tél.: 02/213 12 14 - Fax - 02/213 12 12
e-mail: annoncerlacouleur.bruxelles@minth.be

Annoncer la Couleur en Hainaut


Promotrice: Fabienne Malaise
Direction générale des Affaires culturelles du Hainaut
Rue A. Warocqué, 59 - 7100 LA LOUVIERE
Tél: 064/22 53 46 - Fax: 064/22 39 37
e-mail: dgac.annoncerlacouleur@hainaut.be

Annoncer la Couleur en Province de Liège


“Les Chiroux”
Centre culturel

Promotrice: Céline Martin


Centre culturel “Les Chiroux”
Place des Carmes, 8 - 4000 Liège
Tél: 04/223 19 60 (Général) ou 04/250 94 33 (Direct) - Fax: 04/222 44 45
e-mail: alc@chiroux.be

Annoncer la Couleur en Province de Luxembourg


Promoteur: Mathieu Léonard
Département des Affaires sociales
et hospitalières de la Province de Luxembourg
Square Albert 1er, 1 - 6700 ARLON
Tél.: 063/21 27 63 - Fax: 063/21 27 99
e-mail: m.leonard@province.luxembourg.be
Province de Luxembourg

Annoncer la Couleur en Province de Namur


Promotrice: Florence Chauvier
Service de la coordination administrative des services médico-sociaux -
Administration de l’action sociale, de la santé et du logement
Rue Martine Bourtonbourt, 2 - 5000 NAMUR
Tél.: 081/72 95 74/57 - Fax: 081/74 56 82
e-mail: florence.chauvier@province.namur.be

www.annoncerlacouleur.be

Dans le cadre de la campagne


Coordination générale
Annoncer la Couleur Penser les migrations
Coordinateur: Olivier Balzat
Assitante: Stéphanie D’Haenens autrement
Responsable pédagogique: Guy Simonis
MINTH a.s.b.l.
Rue Haute, 139 - 1000 Bruxelles
Tél.: 02/213 12 06 - Fax - 02/213 12 12
e-mail: annoncerlacouleur@minth.be

Avec le soutien de
Dispositif fédéral
la Direction Générale de la Coopération Internationale (DGCI)
de sensibilisation aux
Ministère des Affaires étrangères relations Nord-Sud
Service de l’Information à l’initiative du secrétaire
Rue de Brederode, 6 - 1000 Bruxelles d’Etat à la Coopération
Tél.: 02/519 02 11 - Fax: 02/519 05 44 au développement
Table des matières

Présentation générale

“Penser les migrations autrement”, une campagne en trois volets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 5

“Vivre ensemble autrement”: de la peur de l’Autre au dialogue des cultures . . . . . . . . . . . . . . p. 7

Chapitre 1

Le cadre: le monde est là... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 9

Chapitre 2

Manifeste pour l’action interculturelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 15

Chapitre 3

La démarche interculturelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 21

Chapitre 4

Projet pour des temps métis dans les contenus scolaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 25

Pour en savoir plus...

La culture: essai de définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 35

Le concept d’identité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 41

Références bibliographiques et outils . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 45

Octobre 2002

Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique


I 3
Présentation générale
“Penser les migrations autrement”, une campagne en trois volets

“Penser les migrations autrement”,


une campagne en trois volets
Annoncer la Couleur est un dispositif fédéral de sensibilisation aux relations Nord-Sud
placé sous l’égide du secrétaire d’Etat à la Coopération au développement. Depuis 1997,
Annoncer la Couleur s’adresse aux jeunes entre 12 et 20 ans afin de les sensibiliser aux
relations Nord-Sud par le biais de campagnes d’éducation spécifiques et originales.
L’ambition de ces campagnes est de contribuer à élargir
leur vision du monde dans un esprit d’ouverture et de res-
pect. Elles visent également à aiguiser leur esprit critique
pour mieux appréhender les réalités d’une société multicul-
turelle et pour leur permettre d’acquérir une expérience liée
à la démocratie et à l’action collective.

Un des points forts du dispositif est de s’appuyer sur les


partenaires provinciaux pour sensibiliser les acteurs de © Annoncer la Couleur - Robert Vanden Nest
l’éducation, en suscitant des synergies locales sur l’en-
semble du territoire francophone. Ce dispositif s’ancre de “Penser les migrations autrement” s’inscrit ainsi dans le
manière dynamique dans les provinces du Brabant wallon, sillage des campagnes de sensibilisation précédentes qui
de Hainaut, de Luxembourg et de Namur, ainsi qu’au sein abordaient d’une part, les effets de la mondialisation (“Les
de la MINTH (Maison internationale-Internationaal Huis) gens d’abord!”) et d’autre part, les inégalités d’accès aux
pour Bruxelles et du Centre culturel “Les Chiroux” pour droits économiques et sociaux entre les deux hémisphères
Liège. La coordination générale, qui est assurée au sein de (“Droits et développement”).
la MINTH depuis 1999, est reprise par la Coopération
Pour aborder la complexité de la thématique, Annoncer la
Technique Belge (CTB) à partir de 2003.
Couleur a fait appel à l’apport cognitif et aux compétences
La gestion administrative d’Annoncer la Couleur est assurée pédagogiques des formateurs de l’organisation non gou-
par la Direction de l’information de la Direction générale de la vernementale ITECO (Centre de formation pour le déve-
Coopération internationale (DGCI). loppement).

Dans chaque province, un promoteur mène à bien les cam- La réalisation du dossier et du guide “Vivre ensemble
pagnes de sensibilisation. Pour ce faire, les promoteurs autrement” est le fruit d’une collaboration entre l’équipe
d’Annoncer la Couleur proposent aux personnes-relais que d’Annoncer la Couleur et une cellule pédagogique compo-
sont les enseignants et les animateurs socioculturels, des sée du Centre Bruxellois d’Action Interculturelle (CBAI), de
pistes de réflexion et des outils pédagogiques appropriés. la Confédération Générale des Enseignants (CGE),
d’ITECO et de l’agence de presse InfoSud-Belgique.
La campagne “Penser les migrations autrement”, qui se
développe en trois volets, a pour objectif général d’inviter Vous trouverez plus d’informations sur nos activités et sur
les jeunes, les enseignants et les animateurs à confronter les campagnes auprès des promoteurs provinciaux
leurs représentations des migrations internationales à des d’Annoncer la Couleur (voir contacts en dos de couverture)
réalités complexes et multiples. ou sur le site www.annoncerlacouleur.be

Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique


I 5
Construire un dialogue des cultures.
Bruxelles, quartier Matonge, mai 2002
© Annoncer la Couleur - Robert Vanden Nest

6
I Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique
Présentation générale
“Vivre ensemble autrement”: de la peur de l’Autre au dialogue des cultures

“Vivre ensemble autrement”: de la peur


de l’Autre au dialogue des cultures
Vivre ensemble, autrement... tout un programme.
Ou plutôt un défi, une décision.

En effet, la peur de l’Autre gagne du terrain, elle sème l’in- Au cours de cette troisième et dernière étape, “Vivre
quiétude et alimente sournoisement le sentiment d’insécu- ensemble autrement”, il sera question de la rencontre
rité. Entraînant chez certains le désir de se replier frileuse- interculturelle. Il s’agira, d’une certaine façon, de porter de
ment sur soi, entre “mêmes”, elle nourrit leur fantasme: ils nouvelles lunettes culturelles pour découvrir l’Autre sous un
se croient assiégés par des ennemis attachés à la perte de jour différent, en s’étant débarrassé, autant que possible,
l’Occident et de ses valeurs. Voulant voir dans les événe- du prisme ou de l’écran des stéréotypes et des préjugés à
ments du 11 septembre 2001 la spectaculaire confirmation travers lequel il est bien souvent perçu. En entrant ainsi en
de leurs peurs, ils en viennent à croire que la cohabitation contact avec l’Autre pour mieux le connaître, c’est aussi
de citoyens porteurs de cultures différentes est impossible une part de soi-même que l’on peut découvrir; l’image que
et que le “choc des civilisations” est inévitable. l’Autre nous reflète, comme dans un miroir, nous permet de
mieux apprécier ce qu’il y a de différent mais aussi de sem-
A l’opposé, Annoncer la Couleur fait clairement le choix du
blable entre nous.
dialogue des cultures. C’est le fil conducteur qui traverse
notre campagne “Penser les migrations autrement”.
Cette prise de conscience de la logique de l’altérité mais
Pour nous, toutes les cultures sont riches d’expériences,
aussi de la ressemblance entre humains devrait contri-
toutes sont porteuses de valeurs universelles et aucune ne
buer à un vivre ensemble plus respectueux des valeurs
peut en revendiquer le monopole.
de chacun, enrichi des apports spécifiques des diffé-
Dans le premier volet, “Le parcours du migrant”, nous rentes composantes de nos sociétés multiculturelles.
avons essayé de mieux cerner la réalité des migrations.
Nous y avons rappelé qu’elles font partie de l’histoire de Vivre ensemble autrement nous renvoie aussi à notre rela-
l’humanité; que, depuis toujours, poussés ou attirés par tion avec les pays du Sud. Comment la diversité culturelle
toutes sortes de raisons, des hommes se sont mis en peut-elle nous pousser à établir des rapports plus équi-
route pour trouver “ailleurs” de meilleures conditions de tables entre pays riches et pays pauvres? Comment un
vie. Très souvent, ils ont ainsi été des acteurs de dévelop- dialogue fructueux entre les cultures peut-il nous amener à
pement, tant du pays d’accueil que de leur pays d’origine. nous décentrer pour interroger, avec nos partenaires du
Sud, nos conceptions du progrès et du développement?
“Penser l’accueil autrement”, le deuxième volet de la
C’est un des enjeux de notre campagne dont le présent
campagne, s’intéressait aux politiques mises en place par
dossier est le support.
les pays d’accueil: “comment jouent-elles sur l’ampleur
des migrations, sur les pratiques concrètes d’accueil et
également, de manière parfois plus subtile, sur la percep-
tion des migrants par la population locale?”1

1 Penser l’accueil autrement, Dossier pédagogique, p. 7.

Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique


I 7
Que peut-on trouver dans ce dossier? Les projets pour des temps métis dans les contenus
scolaires que nous proposons dans ce dossier ont été pen-
Tout d’abord un cadre, celui dans lequel nous situons
sés dans cet esprit. Ils invitent les enseignants à franchir le
notre action. En effet, prôner la démarche interculturelle
pas et à intégrer la démarche interculturelle dans leur cours.
sans faire référence aux rapports de force qui traversent
Ces propositions de contenu3 ne sont bien entendu pas des
notre monde serait pur angélisme.
séquences “clé sur porte”, mais des pistes à développer
Dans le manifeste pour l’action interculturelle, nous par l’enseignant en fonction de son contexte scolaire. Et
développons l’alternative politique qui sous-tend la puisque la démarche interculturelle se fonde sur la ren-
démarche proposée: il s’agit d’un appel à s’attaquer aux contre de l’Autre, pourquoi ne pas les travailler dans une
inégalités qui divisent notre monde, tant au Nord qu’au Sud, démarche interdisciplinaire ou en partenariat avec des
et à soutenir, en tant que modèle de développement, associations? Là où des professeurs travaillent en commun,
d’autres finalités que la recherche du profit maximal et de la entre disciplines différentes ou avec des associations, ils
domination. C’est seulement sur ces bases qu’un dialogue, préfigurent la société interculturelle où se croisent des com-
sinon une action interculturelle fructueuse, peut se nouer. pétences différentes et complémentaires.

La démarche interculturelle est au cœur de notre cam- Le guide pédagogique, deuxième partie de ce matériel de
pagne et de notre dossier. Démarche sans doute riche, sensibilisation, ouvre d’autres pistes et présente d’autres
mais n’excluant pas d’autres approches. Elle se garde de types d’activités pour le professeur ou l’animateur qui vou-
réduire l’autre à sa dimension exotique voire folklorique, drait développer une action plus spécifique. Le but
mais le considère comme un partenaire à part entière. Elle d’Annoncer la Couleur est de donner une impulsion, d’invi-
est une réflexion sur notre relation à l’autre et elle s’ap- ter à passer à l’action, et aussi de soutenir toute initiative qui
prend. Elle implique la capacité de prendre distance par irait dans le sens de la démarche interculturelle que nous
2
rapport à son propre modèle culturel et le désir de péné- développons. Les promoteurs présents dans chacune des
trer le système de l’Autre afin de mieux percevoir ce qui provinces sont, à cet effet, des personnes ressources qui
fonde sa conduite: c’est à ces conditions qu’une véritable peuvent vous orienter vers ce que vous cherchez.
négociation peut s’ouvrir. Il ne s’agit évidemment pas
Une société interculturelle respectueuse des droits et des
d’une recette, d’une méthode fermée: la démarche inter-
spécificités de chacun: tel est l’objectif de ce dernier volet
culturelle met les partenaires en route dans un processus
de la campagne Penser les migrations autrement. Elle mise
en évolution permanente; elle cherche à créer les condi-
sur le dialogue des cultures. Elle vise à faire de chacun un
tions d’un dialogue pour construire un “vivre ensemble”
acteur déterminé à la défense des droits de l’Autre, de
plus respectueux de chacun.
l’étranger reconnu comme mon semblable. Elle nous invi-
te à entrer de plain-pied dans les temps métis, d’autant
Une démarche adaptée plus riches qu’ils confrontent et conjuguent les apports dif-
aux contenus scolaires férents de chacune de ses composantes.

L’école peut être le lieu de la démarche interculturelle. Dans


des activités spécifiques et ponctuelles; dans la manière de
concevoir d’autres rapports entre les élèves, ainsi qu’entre
les différentes composantes de la communauté scolaire;
2 On trouvera d’autres documents pour approfondir
mais aussi - et peut-être surtout - dans le cadre des cours.
les concepts d’identité et de culture dans le chapitre Pour en
Si les nouveaux programmes incitent les enseignants à
savoir plus… à la fin du dossier.
partir de situations-problèmes, ils les laissent souvent
dépourvus quant aux réelles possibilités ainsi offertes. 3 Voir ch.4 p. 25.

8
I Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique
Chapitre 1
Le cadre: le monde est là...

Le cadre: le monde est là...


Avant d’entrer plus avant dans la compréhension de l’interculturalité,
thème de ce dernier volet de la campagne, il nous a paru bon de tracer quelques lignes
de force de notre temps, de dessiner le cadre dans lequel l’action interculturelle s’inscrit.
D’autres approches sont évidemment possibles, mais nous avons cherché à donner
de la cohérence à notre démarche en la situant clairement dans la perception
des contextes économique et socio-politique que nous avons de notre temps.

Les volets précédents de la campagne “Penser les A la recherche d’un ailleurs


migrations autrement” visaient à développer la compré-
Les migrations sont un élément constitutif de l’histoire de
hension du phénomène des migrations, loin des slogans
l’humanité: les deux volets précédents de la campagne
que l’on entend trop souvent. Puisqu’une des caractéris-
l’ont démontré. De tous temps, les hommes se sont dépla-
tiques de la modernité est la complexité croissante de nos
cés pour chercher un avenir meilleur ailleurs - ou tout sim-
sociétés, il paraît essentiel de donner aux jeunes des outils
plement un “ailleurs” - où ils ont été plus ou moins bien
qui leur permettent d’appréhender un peu mieux le monde
accueillis. Poussés par la guerre, la faim, les catastrophes
dans lequel ils vivent. Et cela, entre autres, afin de les pré-
climatiques ou d’autres raisons, ils se mettaient en route,
munir contre toutes tentatives de désigner l’Autre comme
pour un exode souvent temporaire. Aucun pays n’a échap-
bouc émissaire, responsable de tous nos maux.
pé à ce phénomène. Il est d’ailleurs intéressant d’observer
Nos campagnes poursuivent un objectif supplémentaire: l’alternance entre émigration et immigration en Europe:
développer l’esprit critique, sinon la résistance, par rap- “Un demi-siècle a suffi à changer la face de l’Europe des
port à un “système” que d’aucuns ont tendance à présen- migrations. Un continent qui restait largement voué à
ter comme le seul possible. Pour les tenants de l’économie l’émigration et aux exils en 1945 s’est mué, à l’orée du XXIe
ultralibérale en effet, il n’y a pas d’alternative: le marché siècle, en une terre d’immigration, potentiellement ouverte
est le véritable régulateur de la société; et s’il engendre à tous les vents de la planète, à tous les métissages. Une
des méfaits, ce ne sont que des “dégâts collatéraux” qui prétendue terre de cocagne, dont chaque Etat désormais,
se corrigeront d’eux-mêmes avec le temps, en intensifiant même parmi ceux que les habitants fuyaient, voilà peu de
la libéralisation. Pour contrer le sentiment d’impuissance temps encore, accueille, de gré ou de force, une part des
devant une situation qui semble figée à jamais, il nous flux mondiaux d’hommes et de femmes en quête d’un
paraît indispensable de proposer des alternatives en pre- avenir meilleur”4. Quant aux Etats-Unis d’Amérique, tentés
nant résolument le parti de l’humain contre le profit, afin par le même repli à l’intérieur de “la forteresse”, ils doivent
que toute personne désireuse de se mettre en route ne se leur puissance à l’apport de générations d’immigrés.
trouve pas démunie face à la question: “Que peut-on y
faire?”. A tous niveaux, un autre monde est possible pour-
vu que chacun prenne conscience de son pouvoir d’action
sur son environnement.

4 Philippe Bernard in Le Monde, Dossiers et documents. Immigrés:


l’Europe entre accueil et rejet, 9/10 juin 2002.

Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique


I 9
Aujourd’hui cependant, le phénomène connaît une ampleur structures supranationales, telles que l’Union européenne,
jamais égalée dans le passé. Dans le cadre d’une économie l’ALENA5 ou le MERCOSUR6. La constitution de ces
de plus en plus mondialisée, les migrations de main- vastes ensembles crée sans doute une grande interdé-
d’œuvre ne cessent de s’accroître. Par ailleurs, l’exode de pendance, bénéfique à certains égards, entre leurs
réfugiés revêt d’autres formes. Si la plupart des Etats recon- membres, mais au prix d’une perte significative de pou-
naissent la définition du réfugié établie par la Convention de voirs autrefois dévolus aux Etats-nations. De plus, de
Genève, il apparaît que, depuis la fin de l’immigration déci- grandes organisations au pouvoir d’injonction considé-
dée par beaucoup de pays “riches”, les candidats à l’émi- rable dictent également leur politique aux Etats. C’est le
gration n’ont d’autres solutions, pour entrer dans les pays cas du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque
du Nord, que d’être reconnus comme demandeurs d’asile. mondiale ou de l’Organisation mondiale du commerce
Les chiffres du Haut Commissariat des Nations unies pour (OMC). Leur intervention est le plus souvent conditionnée
les réfugiés (HCR) précisent l’ampleur du phénomène: si à l’application de plans économiques sévères qui touchent
l’on prend en compte les réfugiés et les personnes dépla- les populations les plus fragilisées, principalement dans
cées - celles qui, dans leur fuite, n’ont pas traversé de fron- les domaines de la santé, de l’éducation, de la culture. Et
tière - l’on est passé de 8,5 millions de personnes en 1980 c’est au sein des clubs très fermés du G8 (les pays les plus
à 40 millions au seuil du 3e millénaire. riches du monde) ou de l’OCDE (Organisation de coopéra-
tion et de développement économiques) que les discus-
sions et les études tracent les grandes orientations écono-
Le monde: village ou champ de bataille?
mico-politiques auxquelles devront se soumettre, demain,
La multiplication des conflits explique sans doute en par- les Etats souverains.
tie l’accélération d’un phénomène enraciné dans l’histoire
des hommes. Mais ces conflits sont bien souvent liés -
Le roi est nu...
directement ou indirectement - à la compétition féroce que
se livrent les puissances économiques dans leur conquête Ainsi, en même temps qu’ils vantent les qualités d’une poli-
de nouvelles parts de marché. Les technologies modernes tique de proximité ou du travail sur le terrain et tandis qu’ils
de l’information et de la communication et, plus largement, proposent l’écoute de la base comme remède contre les
les outils de la technoscience offrent aux nouveaux poussées extrémistes auxquelles on assiste dans la plupart
conquérants des perspectives inconnues jusqu’ici: le villa- des démocraties occidentales, les mandataires élus se
ge planétaire devient leur champ d’action et, dans les faits, disent dépourvus de pouvoir de décision sur les grandes
globalisation ou mondialisation sont souvent des termes orientations socio-économiques, contraints qu’ils sont d’ap-
commodes pour désigner la volonté d’étendre l’économie pliquer des politiques qu’ils n’ont pas vraiment choisies.
de marché néolibérale à l’ensemble des pays du monde.

Le “progrès à portée de tous” promis par les chantres de


la mondialisation se réduit pourtant le plus souvent à un
5 En 1994, le Canada, les États-Unis et le Mexique ont lancé
slogan qui cache mal les conséquences qu’elle entraîne
l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et formé ainsi
pour un nombre croissant d’habitants de la planète. Quant
la plus vaste zone de libre-échange du monde.
aux gouvernements, ils se retranchent derrière ce “pro-
cessus irréversible” pour justifier leurs choix et les consé- 6 Le Marché commun du Sud - MERCOSUR pour les hispano-
quences qui en découlent. Renonçant à se positionner phones - constitue le quatrième espace commercial du monde
résolument et à mobiliser les citoyens autour de projets (derrière l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie du Sud-Est);
politiques et sociaux clairement orientés, ils se disent il a été institué en 1991 entre le Brésil, l’Argentine, le Paraguay
contraints de gérer l’Etat à partir des directives issues de et l’Uruguay.

10
I Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique
Chapitre 1
Le cadre: le monde est là...

Quant aux grands ensembles supranationaux, leur politique


contribue le plus souvent au renforcement de l’économie
néolibérale et met à mal les structures collectives capables
de faire obstacle à la logique du marché pur. Ainsi, la fonc-
tion de redistribution des richesses dévolue à l’Etat - l’Etat-
providence - est malmenée au profit de la conception d’un
Etat “efficace” - d’un point de vue économique essentielle-
ment - qui exige la levée des barrières administratives ou
politiques susceptibles de gêner les détenteurs de capitaux
dans leur recherche du profit maximal: suppression des
réglementations sur le marché, à commencer par celui du
travail, privatisation généralisée des services publics,
réduction des dépenses publiques et sociales.
© Eric de Mildt
Les chocs culturels peuvent être multiples. Plage au Sénégal.
Le culte du winner
“Et pourtant le monde est là”, comme l’écrit Pierre la “mondialisation” ne fait que creuser encore un peu plus
Bourdieu7, “avec les effets immédiatement visibles de la le fossé. Ainsi, lorsqu’en 1949 le président Truman lançait
mise en œuvre de la grande utopie néolibérale: non seule- la notion de sous-développement en poussant les quatre
ment la misère d’une fraction de plus en plus grande des cinquièmes de la population mondiale sur la voie du déve-
sociétés les plus avancées économiquement, l’accroisse- loppement, certains rêvaient encore d’une vie meilleure
ment extraordinaire des différences entre les revenus, la pour le plus grand nombre. Mais il fallut vite déchanter; et
disparition progressive des univers autonomes de produc- le mal ne fait qu’empirer. En effet, si en 1960 les pays
tion culturelle (cinéma, édition, etc.) par l’imposition intru- industrialisés étaient globalement 20 fois plus riches que
sive des valeurs commerciales, mais aussi et surtout la les pays pauvres du tiers monde, 20 ans plus tard, l’écart
destruction de toutes les instances collectives capables avait plus que doublé et les pays les plus développés
de contrecarrer les effets de la machine infernale, au pre- étaient désormais 42 fois plus riches que les autres. Au
mier rang desquelles l’Etat, dépositaire de toutes les milieu du siècle dernier, l’on pronostiquait que le Mexique
valeurs universelles associées à l’idée de public, et l’impo- ou le Brésil rejoindraient les pays développés en l’espace
sition, partout, dans les hautes sphères de l’économie et de 20 ou 25 ans; les estimations récentes comptent désor-
de l’Etat, ou au sein des entreprises, de cette sorte de dar- mais en siècles et des calculs futuristes montrent, par
winisme moral qui, avec le culte du winner, formé aux exemple, qu’il faudrait 3.000 ans à la Mauritanie pour
mathématiques supérieures et au saut à l’élastique, ins- rejoindre les pays développés, au rythme actuel de son
taure comme normes de toutes les pratiques la lutte de développement... si tant est que la chose soit possible.
tous contre tous et le cynisme.”

Et pourtant le monde est là, pourrait-on poursuivre, avec


les conséquences de la mondialisation néolibérale pour
une part croissante de la population mondiale. Si, dans les
sociétés les plus avancées économiquement, la précarité
et la misère touchent un nombre croissant de nos conci-
toyens, on constate par ailleurs que, loin de réduire la frac- 7 BOURDIEU Pierre: L’essence du néolibéralisme - Le Monde
ture économique entre les pays du Nord et ceux du Sud, diplomatique, mars 1998, p. 3.

Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique


I 11
Schéma en coupe de champagne de la répartition des richesses

20% de la population mondiale se partage 82,7% des richesses

11,7% des
richesses
mondiales

Chaque tranche
2,3% des richesses
représente un cinquième
mondiales
de la population mondiale

1,9% des richesses


mondiales

1,4% des richesses


mondiales

Source: Rapport mondial sur le développement humain publié par le PNUD en 1992 et adapté par ITECO. La population mondiale y est divisée en 5
tranches de 20 %; à chacune de ces tranches correspond la part du total des richesses mondiales auquel elle a accès. Ainsi, tandis que la tranche la plus
favorisée de la population mondiale (20%) dispose de 82,7% des richesses, la tranche la plus défavorisée (20%) se partage 1,4 % de ces mêmes richesses.

Et la fracture ne fait que croître: si l’on observe le sché- La “forteresse Eldorado”


ma en “coupe de champagne” de la répartition des
Qui s’étonnera dès lors du rêve des laissés-pour-compte
richesses établi dans le Rapport mondial sur le dévelop-
de la mondialisation, lorsque la situation perdure et s’ag-
pement humain publié en 1992 par le PNUD, l’on imagi-
grave? Certains en arrivent à n’avoir plus qu’une seule
ne que son goût est bien amer pour le plus grand
envie: essayer par tous les moyens d’atteindre une terre
nombre. Les 20% les plus riches se partagent 82,7 % du
d’accueil où vivre dans la dignité avec leurs enfants.
revenu mondial. Tandis que les 20 % les plus pauvres
Beaucoup espèrent que cet exode sera passager, le temps
n’en reçoivent que 1,4%8/9.
que la situation se calme ou qu’ils aient acquis un savoir-
faire utile au développement de leur pays. Certains sont
8 HOUTART François, Des alternatives crédibles au capitalisme mon- même envoyés au loin par leur famille ou leur communau-
dialisé, (http://www.forumsocialmundial.org.br/bib/houtartfra.asp). té, pour y trouver ce qui permettra à la collectivité de sor-
tir de la situation difficile qu’elle traverse.
9 BAJOIT Guy, Les théories du développement,
(http://www.iteco.be/boite_outils/concepts_base/modeles_deve-
loppement_fichiers/frame.htm).

12
I Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique
Chapitre 1
Le cadre: le monde est là...

Quant aux pays riches du Nord, en voyant arriver des réfu- Diversité culturelle
giés, ils se croient envahis par des hordes d’ennemis aux-
C’est dans ce contexte général d’un monde largement
quels ils ne prêtent qu’une seule intention: s’emparer de
dominé par l’économie de marché néolibérale et du profit
leurs richesses. Gagnés par la peur, ils ne veulent pas voir
à tout prix que le concept de diversité culturelle11 pourrait
que des pans entiers de leur propre économie reposent
nous guider pour construire des rapports plus justes avec
sur l’exploitation de cette main-d’œuvre à bon marché.
nos contemporains. Par diversité culturelle, l’on entend “la
Bien plus: certains trouvent assez commode de détourner
non-domination d’une culture par rapport à une autre, (...)
sur cette population étrangère exposée le ressentiment
l’acceptation du partage des biens et des valeurs cultu-
que des autochtones précarisés éprouvent à cause d’un
rels.” Il s’agit donc bien d’un partage: de la même façon
système économique qui ne profite qu’aux plus forts.
que nous partageons la même planète, nous sommes invi-
Renonçant à s’atteler à une véritable politique sociale
tés à partager les savoirs, les savoir-faire, les technologies
interne et à gérer les flux migratoires en s’attaquant à leurs
nouvelles et anciennes. La diversité culturelle s’oppose
causes (entre autres les déséquilibres Nord-Sud), les gou-
ainsi aux effets pervers de la mondialisation économique
vernements des pays de l’Union européenne, en applica-
qui place la marchandise au centre du monde; elle véhicu-
tion de mesures concertées au niveau supranational, veu-
le l’idée d’un dialogue nouveau pour un partage des biens
lent persuader que le problème réside aux frontières. Dans
en toute équité.
un réflexe sécuritaire, ils multiplient les mesures de police
destinées à rassurer leur population et rehaussent les murs Il suffit cependant de jeter un coup d’œil aux échanges
de la forteresse. Tout autour, ils tolèrent pourtant des économiques mondiaux pour s’en convaincre, poursuit
zones tampons où se concentre une main-d’œuvre non Tanella Boni: la place de la diversité culturelle est réduite à
qualifiée, discrètement admise à l’intérieur lorsque le sa plus simple expression. Il y a ceux qui produisent et
besoin s’en fait sentir, mais à laquelle tout droit est dénié. ceux qui consomment; ceux qui travaillent de leurs mains
Plus insidieusement, lorsque la main-d’œuvre qualifiée et à la sueur de leur front, et ceux qui se répartissent les
vient à manquer, certains gouvernements entrouvrent les dividendes de cette production. Les premiers se trouvent
barrières et ne laissent passer que ceux dont ils ont bien souvent dans les pays du Sud, qui ne profitent que
besoin. Et la logique est poussée jusqu’au cynisme très faiblement des richesses inestimables de leur sous-
lorsque certains gouvernements envisagent de réduire l’ai- sol, tandis que les seconds, au Nord, engrangent les béné-
de au développement, voire de suspendre les accords de fices sans pour autant les utiliser à bon escient. En effet,
coopération avec les pays qui feraient preuve de mauvai- l’exploitation des richesses naturelles et le commerce des
se volonté pour contrôler les réseaux d’immigration ou armes font souvent bon ménage, tout en entretenant le
réadmettre leurs nationaux expulsés10 . chaos dans nombre de pays du Sud. “Il s’agit là de l’une
des figures les plus cyniques de la mondialisation écono-
mique”, accuse Tanella Boni. “Comment parler en effet de
démocratie et de droits de l’Homme et favoriser, dans le
même temps, un marché contraire au respect de l’huma-
nité et à toute éthique de préservation de la paix? Les
10 Comme cela avait été initialement proposé au sommet des chefs inégalités parmi les hommes commencent là où l’écono-
d’état à Séville en juin 2002. mie ignore la diversité culturelle et impose ses lois comme
étant les seules universellement valables.”
11 BONI Tanella, Place et rôle de la diversité culturelle dans les désé-
quilibres Nord-Sud, Groupe d’Etudes et de Recherches sur les
Mondialisations (GERM) - http://www.mondialisations.org/germ
2001/pages/index2.html

Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique


I 13
Par ailleurs, les politiques de développement dans les
pays du Sud ne prennent guère en compte la manière de
voir et de penser de ceux qui pourraient bénéficier de ce
développement, au point que bien souvent “les impératifs
de développement sont d’abord économiques avant d’être
humains”. Et même si, depuis les années 1990, il est
désormais question de développement humain, place-t-on
pour autant la culture au centre de tout développement?
Pourtant, “la diversité culturelle est à placer au début et à
la fin de tout développement humain durable”. Il s’agit
d’admettre que les cultures, malgré leur diversité, sont
appelées à cohabiter sur une même planète dont nous
devons économiser les richesses naturelles et culturelles
en vue de réduire les déséquilibres entre Nord et Sud.
Dans cet esprit, chaque peuple et chaque nation dispose
d’un droit égal à l’existence, en parlant ses langues et en
appliquant ses manières de voir et de penser. Au-delà du
rôle de régulation qu’il peut exercer en déniant à toute cul-
ture la prétention à être supérieure, le principe de diversité
culturelle est aussi à même de contrer les effets pervers
© Eric de Mildt
d’une certaine mondialisation économique qui réduit tout Revendiquer une autre manière de voir le monde.
bien et toute richesse à une marchandise.

C’est pourquoi, conclut la poétesse-philosophe, “le princi- Vivre ensemble


pe de diversité culturelle constitue un nouvel humanisme
Dès lors, considérer toute personne porteuse d’une culture
au début d’un siècle qui s’annonce comme celui du dia-
différente comme source d’enrichissement mutuel plutôt
logue des cultures bien qu’il puisse apparaître à certains
que comme une menace devient une exigence dans un
comme celui du choc des civilisations.” Mais le dialogue
monde marqué par des interactions à l’infini. Il ne s’agit ni
ne peut avoir lieu que si l’humain est respecté, dans sa vie
d’une mode teintée d’exotisme, ni de bons sentiments.
comme dans sa dignité.
Placée dans la perspective des événements du 11 sep-
tembre 2001, il s’agit plutôt d’une voie susceptible de nous
préserver de tout repli identitaire et de l’arrogance d’une
position dominante. Elle n’a de sens que si des actions
sont développées au niveau local en vue d’un véritable pro-
jet politique de lutte contre la fracture sociale. Au niveau
mondial également, la diversité culturelle peut nourrir des
alternatives à un modèle qui ne profite qu’à une petite par-
tie de l’humanité. Plus que jamais, Vivre ensemble autre-
ment apparaît comme un appel à un nouvel humanisme,
mais aussi une exigence vitale pour le XXIe siècle.

14
I Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique
Chapitre 2
Manifeste pour l’action interculturelle

Manifeste pour
l’action interculturelle
Après avoir dégagé quelques lignes de force du monde dans lequel
nous vivons, il convient à présent de définir l’esprit dans lequel
Annoncer la Couleur envisage une action interculturelle.
En effet, il existe différentes façons de penser la cohabita- Afin de faciliter la compréhension et la communication
tion - la façon de “vivre ensemble” - de populations, de entre les différents acteurs d’une campagne telle que
groupes, d’individus différents, que ce soit à l’échelle d’un “Vivre ensemble autrement”, il est nécessaire de baliser
quartier, d’une région ou de la planète. Dans le contexte d’emblée le champ de significations des principaux
actuel et surtout depuis le 11 septembre 2001, une vague concepts que nous allons utiliser. Il ne s’agit donc pas uni-
de fond sécuritaire semble l’emporter. L’heure est à la quement de préciser ces concepts au moyen de défini-
méfiance, à la fermeture, au renforcement des mesures de tions, mais aussi de les situer dans le contexte des diffé-
police et des contrôles. rentes approches où ils sont mis en œuvre12.

L’action interculturelle que nous proposons se veut une Des controverses émaillent en effet ce champ de significa-
alternative politique à cette tendance au repli identitaire et tions: elles opposent différentes conceptions sociopoli-
sécuritaire. Une alternative à l’exclusion, à la répression, à tiques du “vivre ensemble”. Ainsi, si l’on se place du point
l’obsession angoissée du contrôle. Elle offre, en tant que de vue de l’Etat, il s’agit de la “gestion” de la diversité socia-
telle, d’autres finalités que la recherche du profit et de la le et culturelle, tandis que du point de vue des acteurs
domination. sociaux individuels ou collectifs, il s’agira de l’élaboration de
modalités, soit d’évitement, soit de rencontre et d’interac-
Comme règle du jeu, elle propose la coopération plutôt
tion, entre porteurs d’identités culturelles différentes.
que la compétition. Toutefois cette alternative politique
n’est ni une doctrine ni une idéologie: l’action interculturel- En outre, à côté des questions liées aux enjeux idéologiques
le constitue un ensemble de pratiques, de savoir-faire, de et politiques, le champ des significations de nos concepts est
démarches individuelles et collectives qui font le pari de la bien souvent brouillé par une grande confusion de vocabu-
rencontre, de la coopération et de la négociation. L’action laire. Les différents acteurs, qu’ils soient décideurs politiques,
interculturelle est un art de faire “avec” l’altérité plutôt que chercheurs universitaires, militants ou travailleurs sociaux,
“contre” elle, de construire des passerelles plutôt que des font en effet un usage assez anarchique de concepts tels que
murailles, des zones d’intérêt et d’identité communs aux “multiculturel”, “interculturel” ou encore “intégration”.
différents habitants de la planète plutôt que d’artificiels
Ces divergences et ces confusions appellent une clarifica-
conflits de civilisation.
tion, une traduction: à chaque élément de vocabulaire,
sera attribué une signification précise.

12 En complément de ce chapitre, il sera intéressant de se référer


aux annexes consacrées à la culture et à l’identité, ainsi qu’aux
différentes questions qu’elles soulèvent, dans le chapitre Pour en
savoir plus… situé en fin de dossier.

Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique


I 15
Ces distinctions étant posées, il convient de préciser que
l’adjectif substantivé “l’interculturel” peut être utilisé à trois
niveaux de significations différents mais complémentaires:

1. Celui du phénomène
Depuis la nuit des temps, des interactions ont lieu entre
des individus ou des groupes humains porteurs de
cultures différentes. Ces rencontres et interactions pren-
nent des formes diverses selon qu’elles se produisent
dans le contexte d’échanges économiques, d’influences
techniques ou religieuses, de migrations, de guerres,
d’invasions ou encore de conquêtes coloniales.
© Annoncer la Couleur - Robert Vanden Nest
Aller au-delà de la multiculturalité... Bruxelles, mai 2002. Ce phénomène est aujourd’hui intensifié par le déve-
loppement technologique des moyens de transport et
de communication. Toutefois, même des sociétés ou
Du multiculturel à l’interculturel 13
des groupes à première vue culturellement homo-
L’adjectif “multiculturel” et le substantif “multiculturalité” gènes, sont traversés et travaillés par des différences:
qui en est dérivé se rapportent à la description d’une situa- entre sexes, familles, classes ou castes, sous-groupes
tion, au constat de la coexistence, dans une situation don- d’appartenance divers. L’interculturalité constitue dès
née, d’une multiplicité de personnes ou de groupes por- lors un phénomène qui est déjà omniprésent: toute cul-
teurs d’identités culturelles différentes. Ainsi, un groupe ture est interculturelle.
d’élèves peut-il être décrit comme multiculturel, de même
que l’on parlera de la multiculturalité d’une ville ou d’un 2. Celui du champ de recherches
quartier, que l’on fera le constat de la multiculturalité dans en sciences humaines et sociales
une école ou un hôpital. Le phénomène des interactions interculturelles consti-
tue un objet d’observation scientifique. L’ensemble des
L’adjectif “interculturel” et le substantif “interculturalité”
observations et études sur ce phénomène dans ses
qui en est dérivé ont trait à des processus dynamiques, à
formes multiples (psychosociales, politiques, écono-
des interactions, aux rencontres et aux relations entre des
miques et spécifiquement anthropologiques ou cultu-
groupes ou des individus porteurs d’identités culturelles
relles) constitue un champ de recherches nécessaire-
différentes. Il faut donc qu’il y ait d’abord une situation
ment interdisciplinaires.
multiculturelle - qu’il y ait de la “multiplicité culturelle” -
C’est un champ de recherches relativement jeune, qui
pour que se produisent alors des interactions intercultu-
a été stimulé notamment par le phénomène des immi-
relles. Cela signifie aussi qu’il ne suffit pas qu’il y ait multi-
grations économiques et d’importation de main-
plicité pour que se produisent des interactions: les indivi-
d’œuvre vers les pays “développés” à la fin de la pério-
dus ou les groupes peuvent être séparés, isolés ou se nier
de coloniale et durant la seconde partie du XXe siècle.
mutuellement, de la même manière qu’entre les différents
Dans ce contexte, les chercheurs se sont particulière-
habitants d’un immeuble, il n’y a pas nécessairement d’in-
ment intéressés aux interactions entre les migrants et
teractions significatives.
les travailleurs sociaux et enseignants chargés de leur
accueil et de leur “intégration”.

13 Voir les travaux de Martine ABDALLAH-PRETCEILLE, notamment


L’Education interculturelle, PUF, Que sais-je ?, 1999.

16
I Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique
Chapitre 2
Manifeste pour l’action interculturelle

3. Celui de l’action interculturelle Un exemple fort connu pose les limites de cette
Il s’agit ici d’un projet volontariste, à caractère politique approche: la leçon “Nos ancêtres les Gaulois...” que
et social, situé au carrefour de plusieurs traditions cul- l’on a longtemps fait ânonner aux enfants africains et
turelles et idéologiques spécifiquement occidentales. asiatiques à l’époque de la colonisation française.
Toutefois, on peut distinguer, dans la plupart des sys- L’approche assimilationniste peut prendre des formes
tèmes culturels des peuples de la Terre, de grands extrêmement normatives et se dissimule souvent der-
thèmes anthropologiques semblables à ceux qui ali- rière le vocabulaire de “l’intégration”: dès lors, s’intégrer
mentent l’action interculturelle: l’hospitalité, la solidari- consiste à s’assimiler, se convertir, changer d’identité
té, la confiance, le respect de l’altérité, l’affirmation de pour correspondre au modèle dominant, si incertain
l’esprit contre la lettre ou de la sagesse contre la colè- soit-il. Jusqu’il y a peu, par exemple, l’obtention de la
re et la haine. Cette sagesse est en définitive une forme nationalité belge était notamment subordonnée à la
de réalisme, de bon sens dans l’évaluation des coûts preuve d’une “volonté d’intégration”, lors d’une enquê-
et des risques. te menée par le commissariat du quartier de la person-
Ces thématiques constituent en effet une trame ne demanderesse. Ainsi, le policier de service pouvait
basique de l’interculturalité dont les fils traversent les très bien demander à un jeune Marocain vivant en
frontières des différentes identités culturelles. Notons Belgique s’il buvait de la bière et mangeait du jambon,
enfin que l’action interculturelle, issue des pratiques du deux habitudes alimentaires liées à l’identité belge à
travail social et du champ de l’éducation, s’élabore laquelle il s’agissait de s’assimiler, même pour une per-
dans une interaction constante entre les expériences sonne dont la religion interdit la consommation de ces
de terrain et le domaine de la recherche, en termes de aliments. Dans le même esprit “d’assimilation”, des
théorisation, de construction de modèles et de typolo- pays comme l’Autriche, l’Allemagne ou les Pays-Bas se
gies, ainsi que de mise au point de méthodes. disposent à imposer aux nouveaux immigrés et aux
étrangers extérieurs à l’Union européenne un contrat
d’intégration qui les obligerait à apprendre non seule-
Trois perspectives divergentes
ment la langue, mais aussi l’histoire, la civilisation, le
Ces définitions posées, il est important de distinguer - sché-
droit du pays, et à se familiariser avec les “usages” en
matiquement - trois grandes écoles, trois conceptions socio-
vigueur dans la société d’accueil.
politiques du “vivre ensemble” en société multiculturelle:
> l’approche assimilationniste Portons toutefois au crédit de cette approche les
> l’approche communautarienne14 valeurs qu’elle prétend actualiser: les droits de
> l’approche interculturelle l’Homme, ici entendu en tant qu’individu. Les droits de
l’Homme individuel participent du projet émancipateur
A. L’approche assimilationniste de la modernité qui vise à protéger l’individu de l’arbi-
Parfois qualifiée de républicaine, l’approche assimila- traire de ses appartenances familiales, religieuses ou
tionniste est souvent présentée comme un modèle communautaires15. Cette approche, par contre, ne
français. Elle affirme, d’une part, le caractère universel tient pas compte de la réalité vécue des apparte-
des valeurs, des normes et des procédures républi- nances et des solidarités familiales et communautaires.
caines françaises et, d’autre part, la nécessité pour les
“étrangers” de s’assimiler à ces valeurs, normes et
14 De l’anglais “communautarian”, parfois traduit par communautariste.
procédures, de les adopter en rejetant dans la sphère
privée celles qu’ils ont héritées de leur propre culture et 15 Comme la pression sociale villageoise, le fameux “qu’en dira-t-on?”
qui sont considérées dès lors comme archaïques ou qui entrave la liberté du choix personnel, sans oublier certaines
primitives, en tous cas inférieures au modèle français. contraintes radicales comme les mariages forcés.

Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique


I 17
B. L’approche communautarienne
Appelée parfois multiculturaliste, l’approche commu-
nautarienne est d’origine anglo-saxonne: l’appartenan-
ce communautaire y prime sur la conception individua-
liste du citoyen. Au nom de la nécessaire reconnais-
sance des différentes “minorités” - terme utilisé par les
communautariens - culturelles présentes dans une
société multiculturelle16, c’est l’appartenance commu-
nautaire et l’identité culturelle qui sont valorisées. En
effet, différentes dispositions sont prises en faveur des
personnes dans la mesure où elles revendiquent leur
appartenance à telle ou telle communauté ou minorité:
discrimination positive, quotas, cours d’histoire spéci-
fiques pour chaque minorité, etc...

Dans cette perspective, l’Etat gère la coexistence


séparée de différents groupes “communautaires” qui
constituent une multiculturalité non interactive. Dans
ce sens, le multiculturalisme - autre nom de l’approche
communautarienne - est une idéologie d’orientation
ségrégationniste. Elle assigne les individus à leur
© Eric de Mildt
appartenance communautaire (“si tu es noir, reste
parmi les noirs”) et favorise le développement de zones
géographiques réservées à des populations homo-
gènes “ethniquement” que l’on appelle parfois des
ghettos: ainsi le quartier noir, le quartier chinois, le
quartier juif, le quartier italien, etc...

La gestion multiculturaliste de la diversité, en mettant


en avant la dimension de l’appartenance communau-
taire et en objectivant les identités culturelles, sert poli-
tiquement, selon le sociologue Pierre Bourdieu, à mas-
quer la question de la domination et des rapports de
force entre classes sociales: plutôt que d’être un
exploité ou un exclu du système économique, un jeune
Mexicain de Los Angeles est d’abord le membre d’une
“minorité ethnique”, et la violence entre “gangs eth-
niques” sert de dérivatif à la contestation sociale.

16 Et presque toutes les sociétés sont multiculturelles aujourd’hui.

18
I Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique
Chapitre 2
Manifeste pour l’action interculturelle

C. L’approche interculturelle
L’approche interculturelle consiste en l’élaboration des
modalités du “vivre ensemble” à partir des interactions
concrètes des individus ou des groupes porteurs
d’histoires, de codes et d’héritages culturels diffé-
rents. Contrairement aux deux premières approches,
elle n’oppose pas le projet de l’émancipation indivi-
duelle à la réalité des ancrages communautaires ni à la
nécessité de l’action collective; elle constitue donc
une “voie du milieu”. Dès lors, l’ouverture d’espaces
sociaux de rencontre, d’échange et de négociation est
favorisée, au sein desquels une créativité culturelle et
identitaire devient possible; des espaces où le respect
et la reconnaissance des identités permettent, très
pragmatiquement, une production commune de la cul-
ture et de la société. Cette approche interculturelle
suppose une certaine confiance dans les ressources
et capacités des habitants de la Terre à s’inventer un
devenir collectif meilleur. Elle implique également le
© Annoncer la Couleur - Robert Vanden Nest
développement de compétences spécifiques de
Découvrir une culture et aller au-delà de la musique en expérimentant
négociation, d’analyse critique des situations et des la complexité des codes musicaux. Bertrix, mai 2002.

informations, d’évaluation et de prise de décisions sur


des problèmes communs. Elle suppose enfin la diffu-
idéologiquement a priori), l’approche interculturelle est
sion et la généralisation d’une aptitude à penser les
issue des pratiques et de la créativité expérimentale
nuances et la complexité, l’encouragement des atti-
des acteurs sociaux de terrain confrontés à des situa-
tudes participatives et coopératives. Ainsi, des forma-
tions concrètes nouvelles.
tions sont-elles organisées, des groupes de réflexion
thématiques, des comités d’habitants de quartier Dans son développement, l’approche interculturelle
sont-ils mis sur pied, des actions de sensibilisation ou implique aussi un certain protagonisme social indispen-
de médiation interculturelles, des interventions auprès sable au changement des normes et à la modification
d’équipes de travailleurs sociaux et d’enseignants des rapports de force sociaux: il faut s’organiser en
sont-elles lancées. L’approche interculturelle trouve groupes et en réseaux, définir des objectifs et des
son origine dans les pratiques des acteurs de terrain, moyens d’action, bref se mettre en projet pour que les
associations issues de l’immigration, services sociaux choses changent, prendre le chemin vers une autre
d’aide ou d’accueil, écoles ou encore maisons de façon de vivre ensemble à tous les niveaux, du local au
jeunes. Même si, par la suite, elle a pu être revendi- global. Cela passe par l’affirmation d’autres valeurs que
quée et promue par des décideurs politiques (au le profit et le contrôle, par une réappropriation collective
niveau des municipalités ou des ministères), ce n’est des technologies et de leurs finalités, et par une remise
pas à ce niveau qu’elle a été mise en œuvre et élabo- en question permanente des fonctionnements socio-
rée. Contrairement aux deux autres approches, qui politiques institués. Au niveau global, cette approche
trouvent leur origine dans la philosophie politique implique la reconnaissance que le mode de pensée
(c’est-à-dire qu’elles sont pensées “d’en haut” et occidental n’est pas le modèle culturel supérieur.

Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique


I 19
Spécificités et ouvertures Du point de vue interculturel, l’idéologie peut être un outil
qu’il est intéressant de connaître ou d’utiliser. Mais il ne
Bien plus que les formes de revendication politique qu’elle
s’agit pas d’être utilisé par elle, et encore moins de la faire
peut prendre ou susciter, l’action interculturelle travaille au
prévaloir a priori sur le débat interculturel dont elle n’est
niveau des mentalités et des représentations collectives.
qu’un élément parmi d’autres. Ce point de vue de l’ap-
Elle consiste d’abord en l’organisation de dispositifs où
proche interculturelle est d’ailleurs valable pour tout systè-
s’élabore collectivement une culture alternative. On peut
me de croyance, idéologie ou religion.
considérer que l’action interculturelle, consiste essentielle-
ment en un dispositif de production culturelle17 qui vient L’approche interculturelle s’est développée depuis une
répondre à la perte des appartenances collectives et à la trentaine d’années, principalement sur la base de l’expé-
crise actuelle des identités. rience des immigrations. Ce qu’elle représente aujourd’hui
permet de rencontrer les questions plus générales du
Cette subjectivité collective de l’interculturel est par natu-
“vivre ensemble”, de la diversité et de la conflictualité
re inachevée, ouverte, en devenir: à l’instar de la culture
sociale et culturelle.
démocratique, elle se fonde en effet sur le débat, la négo-
ciation, l’élaboration délibérée de normes qui peuvent être Au-delà des aspects parfois un peu folkloriques qu’elle
évaluables et modifiables. C’est ce caractère inachevé et peut prendre, l’action interculturelle propose en effet des
participatif qui différencie l’approche interculturelle de outils issus de l’expérience immigrée, qui permettent de
l’idéologie, laquelle prétend être un système universel, et mettre en question différentes formes de domination,
donc achevé, de lecture du monde. d’aliénation ou d’exclusion: la différence culturelle, en
effet, est aussi celle des cultures de classes sociales; celle
© Annoncer la Couleur - Robert Vanden Nest - Namur, mai 2002. des multiples cultures institutionnelles, professionnelles,
religieuses ou idéologiques (auxquelles correspondent
autant de modèles normatifs et identitaires, qui contri-
buent autant à enfermer et à exclure qu’à structurer); celle
des identités en fonction de l’âge, du sexe et de la position
sociale ou de la localisation géographique.

L’action interculturelle rend visible l’apport de l’expérience


des immigrations dans les ressources collectives dont
nous disposons pour faire face aux problèmes sociaux
actuels (en termes de lien social, de valeurs, de solidarité,
d’identité et de sens partagés). Ainsi, elle démontre que les
migrations ne sont pas seulement un problème, mais aussi
une réalité porteuse de sens et d’évolution collective.

17 Dans le sens de la production d’une subjectivité collective,


du tissage d’une trame de liens sociaux et symboliques.

20
I Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique
Chapitre 3
La démarche interculturelle

La démarche interculturelle

Partons d’un constat: en dépit de la mondialisation et de l’avènement d’un prétendu


“village global”, la multiculturalité, telle qu’elle existe un peu partout, n’entraîne pas
nécessairement des relations interculturelles riches et harmonieuses.
La relation entre des individus ou des groupes d’origines culturelles différentes
est trop souvent déformée par un écran teinté de préjugés et de stéréotypes qui
engendrent malentendus, incompréhensions, jugements de valeurs et tensions.

Schéma de “l’écran des préjugés”

Extrait du schéma de l’Interaction Interculturelle d’ITECO

res s
Filt orsion s
t e
Dis éotyp
r
Je Sté Il Elle
Nous Eux

Malentendus - Incompréhensions
Jugements de valeur - Tensions / échecs

C’est le constat que pose Margalit Cohen-Emerique18, 18 Voir, par exemple, ses articles:
chercheuse en psychologie sociale, qui suit la question de > Le Choc culturel, in Antipodes, une publication d’ITECO,
l’immigration et de ses différentes manifestations depuis n°145, juin 1999;
de très longues années. A partir de l’observation du travail > Connaissance d’autrui et processus d’attribution en situations
des acteurs sociaux sur le terrain, elle a cherché à “forma- interculturelles, in Cahiers de Sociologie économique et culturelle
liser” la démarche interculturelle. Elle a analysé les interac- (Ethnopsychologie), n°10. 95-107;
tions qui ont lieu entre les personnes d’origines culturelles > Le modèle individualiste du sujet, écran à la compréhension
différentes et a identifié les principaux obstacles à la com- des personnes issues de sociétés non occidentales, in Cahiers
munication entre le migrant et toute personne de la socié- de Sociologie économique et culturelle (Ethnopsychologie),
té d’accueil avec laquelle il entre en contact (l’enseignant, n°13, juin, 9-34.
l’assistant social, le médecin, etc.).
Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique
I 21
Le simple fait de recevoir des informations sur l’Autre, sur Les trois étapes
sa culture et ses origines contribue-t-il à construire une de la démarche interculturelle
société interculturelle harmonieuse? Les recherches de
Dans ce contexte, Cohen-Emerique identifie trois phases
Margalit Cohen-Emerique démontrent que, dans une
qui jouent en étroite interdépendance dans toute
démarche interculturelle, la connaissance théorique de
démarche interculturelle:
l’Autre ne suffit pas, pour deux raisons.
> la décentration (démarche vis-à-vis de soi-même);
D’une part, la démarche de découverte de l’Autre est trop > la compréhension de l’autre
souvent empreinte de stéréotypes: ainsi, les Africains sont- (démarche vis-à-vis de l’autre);
ils souvent perçus comme de grands amateurs de musique > la négociation (démarche vis-à-vis de la relation).
et de danse et lors de compétitions de football, les équipes
africaines sont assimilées à leur marabout, prétendument à
Schéma de l’étoile ou le chemin de l’interculturel
l’origine de la victoire. Il est courant de projeter mécani-
quement sur un individu ou sur un groupe les connais- d’après ITECO

sances parfois trop maigres que l’on a de sa culture, sans


prendre en compte le caractère unique de sa personne.
Décentration
A fortiori, lorsque l’on se sent atteint dans son identité, on
s’estime menacé et on réagit sur le mode émotif, en répli-

Pe
re

quant, parfois agressivement, et en réaffirmant les fausses

rso
ltu

images que l’on a de l’Autre. Le conflit est alors inévitable.


Cu

Ainsi, l’approche se limitant à diffuser de l’information sur nn


e
l’Etranger se révèle-t-elle insuffisante: l’accent doit être mis
sur la relation entre une personne et l’Autre. Dans une
démarche interculturelle, en effet, des échanges interactifs
n
sio

(interactions) ont lieu entre individus ou groupes porteurs de


en

cultures différentes. Ce qui importe, c’est ce qui se produit


go

éh
c

lorsque deux personnes ou deux groupes “d’enracinements


iat

r
mp

culturels différents” entrent en contact et interagissent. Ce


ion

Co

type d’apport peut avoir des conséquences enrichissantes


et formatrices sur le développement de la personne.
Société
D’autre part, la rencontre interculturelle implique des indivi-
dus, avec leur personnalité et leurs caractéristiques
propres: “Ce qui rentre en contact, ce ne sont pas des cul-
tures ou des identités nationales mais des personnes”, disait 1. La décentration
Lipiansky, chercheur en psychologie sociale qui a beaucoup La décentration est le processus qui permet de
travaillé sur l’identité. La relation interculturelle se joue donc “prendre conscience de ses référents culturels, de
à la fois à un niveau interpersonnel, qui met en jeu l’identité prendre distance par rapport à eux pour arriver à une
personnelle et sociale de l’individu, et à un niveau inter-cul- relativisation de ses points de vue, pour accéder à une
turel, qui fait intervenir les différences culturelles entre les certaine neutralité culturelle qui n’est pas synonyme
individus en présence et entraîne une série d’attitudes et de de négation de son identité mais, au contraire, une
réactions propres à toute personne entrant en contact avec reconnaissance maîtrisée de son identité”.
une personne dite “étrangère” ou “différente”.

22
I Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique
Chapitre 3
La démarche interculturelle

En d’autres termes, se décentrer, c’est confronter nos 2. La compréhension de l’Autre


points de vue avec d’autres pour les nuancer. Chaque Pour Cohen-Emerique, découvrir l’Autre, “pénétrer son
opinion particulière est relative et ce n’est qu’après inter- système”, exige une attitude d’ouverture et de curiosi-
action avec d’autres qu’elle prend véritablement forme. té. Il s’agit de lui donner la parole pour découvrir ce qui
Pour comprendre l’Autre, il s’agit d’apprendre à porter un donne sens et valeur à son comportement et à ses
regard sur soi-même et d’être capable de prendre du réactions (y compris ceux issus de la société d’accueil
recul par rapport à son propre système de valeurs, qui et qu’il a assimilés).
fonctionne bien souvent de façon inconsciente.
Cette découverte de l’Autre peut se faire soit:
Dès lors que l’on accepte de pratiquer la décentration, > en s’informant par la lecture ou par des stages
une confrontation avec le monde de l’Autre permet une concernant la culture de l’Autre. C’est intéressant,
prise de conscience de nos propres valeurs, compor- mais certainement pas suffisant; cette approche peut
tements et modes de pensée. L’Autre joue le rôle d’un même se révéler dangereuse dans la mesure où elle
miroir: il reflète notre identité culturelle et nous donne renforce les stéréotypes: certains jeunes se conten-
l’occasion d’identifier et de relativiser nos perceptions tent de suivre des cours de “danse africaine” ou de
et nos jugements. Autrement dit, la connaissance d’au- “cuisine africaine”, persuadés d’approcher ainsi la
trui passe par la connaissance de soi, mais en interac- culture de ce continent, dont la richesse ne se limite
tion avec les autres. bien sûr ni à la cuisine, ni à la danse, ni à la musique.
Ce sont là des productions culturelles, tandis que la
On le voit, la notion d’identité est le concept clé du pro- culture est, bien plus profondément, une façon d’être
cessus de décentration. Or, l’identité d’une personne au monde, d’habiter le temps et l’espace, de vivre en
est multiple, passant par son nom, son appartenance société, de donner sens au fait d’exister;
19
sexuelle, sa profession, sa classe sociale, etc . > en s’informant auprès de son interlocuteur: il est le
Chacun d’entre nous, lors de la rencontre avec l’altéri- premier et sans doute le mieux placé pour faire part
té, sera plus ou moins touché dans l’un ou l’autre de ses valeurs. Cela implique bien sûr de le recon-
niveau de son identité. C’est ce que l’on appelle les naître en tant qu’informateur crédible;
zones sensibles, liées à notre histoire personnelle mais > en observant les comportements non verbaux et le
aussi à l’histoire collective. Un chômeur, par exemple, langage utilisé par les personnes dont on cherche à
sera probablement plus touché par une question pro- connaître les valeurs;
fessionnelle, tandis que les femmes occidentales > en veillant à ne pas censurer, dans toute perception, les
seront vraisemblablement plus sensibles à la problé- informations qui a priori ne font pas sens pour nous. Il
matique de l’égalité des sexes, étant donné l’héritage est en effet fréquent d’inscrire des découvertes nou-
du combat féministe en Occident. velles dans des catégories que nous maîtrisons déjà,
quitte à négliger les aspects qui ne cadrent pas avec
Lorsque les zones sensibles sont à vif, elles ont tendan-
elles, à l’instar d’un médecin qui “n’entendrait” pas cer-
ce à provoquer des réactions affectives et peuvent frei-
tains symptômes décrits par un patient parce qu’ils ne
ner, voire empêcher toute communication. On risque
correspondent pas à ses diagnostics habituels.
alors de tomber dans une logique de conflit. Pour tendre
vers une démarche interculturelle plus positive, il est La découverte de l’univers de l’Autre, exige tout dabord
important de prendre conscience de ses propres zones du recul par rapport à son propre système de valeurs
sensibles et d’approcher celles de ses interlocuteurs. (décentration); elle réclame aussi du temps, raison pour
laquelle Cohen-Emerique rappelle qu’il faut, dans la
démarche interculturelle, “donner du temps au temps”.
19 Cfr. infra Le concept d’identité, p. 41.

Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique


I 23
3. La négociation - médiation
Une situation conflictuelle entre personnes d’origine
différente apparaît lorsque les codes culturels des indi-
vidus sont soit “en grande distance”, soit carrément
“en opposition”. La négociation constitue un moyen de
trouver des solutions acceptables pour les différentes
parties. Ce problème n’est d’ailleurs pas réductible à la
seule dimension culturelle: il apparaît, comme nous
l’avons rappelé, dans un contexte historique, socio-
économique et politique.

Mais la “négociation interculturelle” est fondée sur les dif-


férences entre individus, leurs valeurs, leurs subjectivités,
leurs présences dans des contextes multiculturels. Pour
garantir son bon déroulement, a priori délicat, le respect
de quelques conditions préalables est nécessaire.

Il est d’abord essentiel de reconnaître que l’on se situe


bien dans un “conflit de valeurs”, c’est-à-dire d’attribu-
tion de sens, de lecture ou d’interprétation de la réalité.
© Eric de Mildt - Bruxelles, quartier des Marolles, 2001
Ensuite, l’Autre doit être considéré comme un partenai-
re incontournable, dont la légitimité est reconnue, et à Dans le cas de jeunes adolescents issus de l’immigra-
qui l’on suppose un certain degré de rationalité, même tion, cette forme de “négociation interculturelle” n’est
si elle est différente. Cela implique que les groupes ou pas chose aisée car “ils sont pris entre leur loyauté à la
individus en présence soient ouverts et acceptent la culture familiale et leur volonté d’être de la société qui
diversité culturelle. les a vus naître et grandir”, explique A. Manço, Docteur
en psychologie sociale à l’Institut de Recherche,
De plus, toute attaque personnelle doit être évitée, et la
Formation et Actions sur les Migrations (IRFAM) à Liège.
caricature, bannie.
Ce “paradoxe” est très clair dans le cas de jeunes filles
Enfin, un accord sur la manière de négocier peut favo- issues de l’immigration musulmane, qui portent le fou-
riser le bon déroulement de cette démarche. lard et fréquentent, par exemple, l’université. Il explique
que “ce compromis vestimentaire qui contribue à calmer
Quelques autres préceptes sont aussi à respecter. Par
l’angoisse parentale face à l’éventualité d’une assimila-
exemple: les usages de présentation en vigueur dans
tion culturelle de leur fille est, en quelque sorte, la mon-
la culture de l’interlocuteur; ne pas hésiter à avouer sa
naie d’échange d’une liberté de mouvement et d’ins-
méconnaissance des spécificités culturelles de l’Autre
truction, sans rupture avec la famille”20.
et à le questionner pour ne rien laisser dans l’implicite
et l’incompris.

20 MANCO A., Violences à l’encontre des jeunes filles musulmanes


et négociation interculturelle: bilan de récentes recherches et
actions en Belgique francophone, in Francopsy, juin 2001, n°4.

24
I Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique
Chapitre 4
Projet pour des temps métis dans les contenus scolaires

Projet pour des temps métis


dans les contenus scolaires
Que l’éducation à la citoyenneté constitue un vaste programme ou une
simple étude formaliste du fonctionnement des institutions politiques,
elle reste l’une des missions de l’enseignement.
Pas seulement parce qu’un décret nous l’impose, mais pas souhaitable que les projets éducatifs se juxtaposent
aussi parce qu’une société démocratique qui ne prendrait aux contenus scolaires sinon l’enseignant - à moins qu’on
plus la peine de transmettre ses valeurs aux générations lui donne plus de temps et une autre formation - renonce-
successives de citoyens, perdrait le fil qui les relie les uns rait à enseigner pour éduquer. Enseigner les contenus sco-
aux autres. L’éducation à la citoyenneté s’impose donc laires (des outils et des connaissances qui permettent de
comme une nécessité démocratique. comprendre, d’analyser et de se faire une opinion) consti-
tue un enjeu démocratique en soi. Par contre, éduquer
Elle est aussi un projet politique, qui vise non seulement à
sans enseigner relève du projet totalitaire. C’est donc grâce
préserver un lien social de type démocratique, mais aussi
aux contenus scolaires et non en concurrence avec eux
à lui donner un contenu, à le nourrir d’un choix de société
que nous avons pensé ce “Projet pour des temps métis”.
pour demain. Or l’évolution du contexte international lance
un nouveau défi aux générations futures. Les sociétés L’approche idéale de ce projet est interdisciplinaire et
démocratiques conçues et organisées sur une base natio- coordonnée par branche sur l’ensemble du parcours sco-
nale font face à une internationalisation généralisée des laire des élèves de la 1ère à la 6e année de l’enseignement
relations humaines. Les contenus scolaires également. secondaire. Cependant, la réalité de la pratique pédago-
gique doit aussi tenir compte de nombreuses contraintes
Notre choix d’un “Projet pour des temps métis” reflète l’une
institutionnelles: ainsi, les conditions de pratiques collec-
de nos intimes convictions: les confrontations sociocultu-
tives d’équipes interdisciplinaires d’enseignants sont-elles
relles et économiques ne seront positives pour nos sociétés
rarement réunies. Ce projet peut dès lors aussi être abor-
démocratiques que si les citoyens de demain disposent des
dé dans le cadre d’un cours ou en petites équipes coor-
outils et des connaissances qui leur permettent de dépas-
données, de manière plus ponctuelle.
ser leurs préjugés, les réactions d’exclusion et de rejet, et
de construire des projets politiques qui rassemblent au-delà Il est également possible de s’inspirer de ces contenus
des frontières nationales, économiques et culturelles. Nous pour les adapter aux contenus scolaires de l’enseigne-
pensons donc que l’éducation à la citoyenneté est aussi ment fondamental.
une éducation à la démarche interculturelle.
La grille ci-dessous propose des thèmes de projet et des
Quel est le rôle dévolu à l’enseignement? Comment les contenus possibles par matière. Deux lectures sont per-
enseignants peuvent-ils agir, dans leur classe, pour cette mises: soit la lecture individuelle d’un enseignant qui
“éducation à la citoyenneté interculturelle”? cherche des exemples de contenus à aborder, soit la lec-
ture collective d’une équipe d’enseignants qui cherche
Le tableau que nous proposons ci-dessous suggère qu’il
non seulement des contenus par matière mais aussi des
n’est pas nécessaire de sortir des contenus scolaires pour
ponts interdisciplinaires qui relieront leurs pratiques.
aborder l’éducation à la citoyenneté interculturelle. Il n’est

Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique


I 25
Savoirs pour des temps métis
Des empires à la mondialisation - Migrations, développement et géopolitique internationale
Nationalismes et identités culturelles - Les identités multiples - La différence et l’égalité

Education physique
> Le jeu des chaises
> En collaboration avec les cours de biologie et de sciences sociales, un travail sur les performances sportives:
les préjugés sur les étrangers, le débat nature/culture, les connaissances de la génétique

Morale et religion
Histoire des religions
> Le rôle des religions dans l’extension des zones d’influence de l’Europe et du monde arabe
> Christianisation et islamisation
> Les croisades
> L’empire ottoman
> Le cas de l’Espagne et de la progression arabe
> La colonisation de l’Afrique et son évangélisation
> La colonisation de l’Amérique du Sud et la controverse de Valladolid
> L’inquisition
> Les chrétiens orthodoxes
> Le schisme protestant et le développement industriel
La question du développement
> L’humanisme et les droits de l’Homme: critique de l’esclavagisme
> L’aide au développement et le travail des ONG: entre démarches caritatives, théologie de la libération
et approches révolutionnaires
> La question de l’intérêt individuel et de l’intérêt collectif: la solidarité, le quart-monde
> Le lien entre migrations et répartition des richesses
> Démocratie et totalitarisme: le lien entre légitimité interne du pouvoir et développement, légitimité externe du pouvoir
et dépendance

Options artistiques
Une histoire de l’art politique des confrontations culturelles
> Evolutions et influences
- Au travers de contenus
- Au travers de la forme
- Au travers des formes de l’art
> La place de l’art dans l’organisation sociale
- Dans les différentes civilisations
> L’art et la politique
- Art et colonisation
- Art et confrontations culturelles
- Art et mondialisation

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I Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique
Chapitre 4
Projet pour des temps métis dans les contenus scolaires

Histoire
Histoire des religions (voir Morale et religion)
Histoire de l’éducation, histoire de la catégorie “jeunesse”
> Enfant
> Adolescent
> Adulte
> Les jeunes comme classe dangereuse
Empires et civilisations
> Les exemples multiples de lecture de l’histoire, de la préhistoire à nos jours,
sous l’angle des différents modes de gestion des territoires par les civilisations dominantes
> Le lien entre ces zones d’extension et les confrontations culturelles
- Les cas de génocides culturels (peuples autochtones)
- Les cas de mélange culturel
Les histoires oubliées par l’Europe
> Histoire des civilisations d’Asie, d’Amérique, d’Afrique, d’Océanie, qui précède leur “découverte”
> Histoire de la destruction de certaines de ces civilisations par les puissances coloniales
La construction de la puissance des pays industrialisés
> La colonisation (colonies de ressources, colonies de peuplement, esclavagisme, la question des races,
le partage des territoires et la naissance d’Etats “artificiels”)
> La révolution française (droits de l’Homme, égalité des citoyens, démocratie)
> La révolution industrielle (capitalisme, classes sociales, pensée libérale et pensée marxiste)
> La montée en puissance des Etats-nations
> La guerre froide, le rideau de fer comme frontière de l’Europe, les impérialismes
(URSS, pacte de Varsovie et Comecon; USA, UE, OTAN)

Géographie et Histoire
Histoire des migrations
> L’histoire de l’humanité en tant qu’histoire de grandes migrations, de la préhistoire à nos jours: une approche thématique
pour comparer des moments clé, les différentes formes des migrations depuis la Mésopotamie jusqu’aux grandes migrations
du XXe siècle; les mouvements de populations dans le temps et dans l’espace (voir aussi les mouvements de populations
dans les pays du Sud)
> Les colonies de peuplement, le cas des Etats-Unis, l’esclavagisme, l’apport des pays européens,
la problématique des peuples autochtones
> Belgique, pays d’émigration, pays d’immigration
> Histoire de la politique d’asile

Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique


I 27
Géographie
Histoire des peuplements des territoires, tectonique des plaques et grands changements climatiques
Le regard sur les autres civilisations
> Le concept de race
> L’ethnocentrisme
> La démarche anthropologique (évolution)
> Peuple et ethnie
> Catégories objectives
> Catégories d’ascription
> Catégories de classement et d’analyse
> Classes et milieux sociaux: des catégories à croiser avec les catégories culturelles
Nationalisme et identités
> L’étranger, évolution historique du concept
> La nationalité
- Le droit du sol
- Le droit du sang
- L’évolution vers une distinction plus nette entre nationalité et citoyenneté
- Pays, Etat, peuple, nation, des concepts à distinguer
- Politiques d’assimilation: le nationalisme monoculturel et la confusion entre peuple et nation
- Politiques d’acculturation: le nationalisme pluriculturel et la distinction entre peuple et nation
La problématique des pays en voie de développement
> Les théories du développement
- La théorie du retard
- La théorie de la dépendance
> L’enjeu démographique
- Surpopulation et répartition des richesses
- Pourquoi les pays qui ont le moins de richesses sont-ils ceux dans lesquels la croissance démographique est la plus élevée?
- L’enjeu de la transition démographique
> La dette et le développement
- L’origine de la dette
- Le FMI et la Banque mondiale: la théorie du retard
- Le contexte géopolitique: la guerre froide, l’OPEP, l’internationalisation du capital
- La détérioration des termes de l’échange et l’enjeu de la suppression de la dette
- Les effets boomerang de la dette (la problématique de la drogue, de la corruption, du grand banditisme international…)
> La proposition de la taxe Tobin
> La problématique de l’autosuffisance alimentaire
- Les réformes agraires
- Cultures vivrières et cultures d’exportation
- Irrigation et désertification, la question de l’eau et du reboisement
> L’enjeu du contrôle des ressources mondiales
- Le pétrole, les minerais, les cultures d’exportation
- Les zones géostratégiques
> L’enjeu du développement social
- L’Etat et les protections sociales
- La main-d’œuvre à bon marché et les conditions de travail
- La législation sociale dans les pays développés
- Les syndicats
- L’internationalisation du capital et la délocalisation

28
I Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique
Chapitre 4
Projet pour des temps métis dans les contenus scolaires

Géographie
> L’enjeu de la valeur ajoutée: création et répartition
> L’enjeu environnemental
- Couche d’ozone
- Effet de serre, réchauffement de la planète, les responsabilités respectives, le protocole de Kyoto,
la consommation d’énergies fossiles dans le monde
- L’intervention des Etats, les réglementations de protection de l’environnement et l’internationalisation du capital
> La question de l’eau
- Eau potable et eau d’irrigation des cultures
- Hydroélectricité et besoins en eau des industries
- Urbanisation et consommation de l’eau
- Le traitement des eaux usées
- Les réserves d’eau et leur contrôle
L’organisation du monde
> Les grands ensembles géopolitiques, géoéconomiques et géostratégiques après la fin de la guerre froide
> La réorganisation des zones d’influence
> Les zones de conflit comme frontières de ces zones d’influence
La construction de l’UE
> Le libre échange
> La libre circulation (des capitaux, des travailleurs)
> La problématique de l’intégration européenne (l’Europe à deux vitesses)
> La problématique de l’élargissement
- Dans la perspective de la chute du rideau de fer
- La question des réformes des institutions
- La réorientation de l’Europe, de l’Afrique vers les pays de l’Est
- Les nouveaux migrants en provenance des pays d’Europe centrale et d’Europe de l’Est
> Le contrôle des frontières extérieures et la politique d’immigration
> Vers une Europe sociale?
Etude du cas de la Turquie (par exemple)
> Les populations turques en Europe
> La candidature à l’UE
> Europe/Asie, chrétienté/islam, panturquisme
> Zone Economique de Coopération de la mer Noire
> L’Otan et l’aspect géostratégique de la Turquie pour le contrôle du Moyen-Orient
> La question du pétrole de la mer Caspienne
> La question kurde
> La question chypriote
> Mustapha Kemal et l’Etat laïc
> La démocratie et les droits de l’Homme

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I 29
Français
Thèmes de lecture puis d’expression écrite, avec travail sur les représentations des élèves
> Les préjugés et les clichés sur la question des migrations
- “L’UE ne peut accueillir toute la misère du monde”
- “Les migrants s’imaginent venir dans un paradis et viennent pour profiter des avantages sociaux”
- “Il suffirait de renvoyer tous les étrangers pour résoudre les problèmes du chômage et de l’insécurité”
> Les liens entre les migrations et les menaces sur la civilisation européenne (islamisation, perte de valeurs, insécurité,
terrorisme international, la question de l’égalité des femmes...)
> Les colonies, l’esclavagisme, les races, le bon sauvage
La découverte de la littérature des pays d’origine des migrants (turque, arabe, africaine, des pays de l’Est)
> En mettant l’accent sur des ouvrages qui permettent de sortir des clichés
> En mettant l’accent sur des ouvrages qui nous renvoient une image différente de l’Europe, une image inversée de notre civilisation
Travail de linguistique sur l’origine et l’évolution des langues
> Migrations, zones d’influence des empires et zones d’extension des langues, du français en particulier
> Les enrichissements et les appauvrissements de la langue française
- L’influence de l’anglais et des autres langues
- Le cas du français de Belgique
- Le français populaire, le français de la rue
- Le français des étrangers
- Les différents niveaux de langage

Mathématique
Histoire des mathématiques
> Mise en évidence des apports des différentes civilisations
La différence et l’égalité dans les mathématiques
> L’équation
> Egalité, inégalité et la différence
> L’équivalence
> Les ensembles et les individus
Travaux de statistiques et de traitement des données concernant
> Les migrations
> Le développement et la répartition des richesses dans le monde
> La démographie
> Le lien dette, taux de change du dollar et taux d’intérêt
Les progressions géométriques
> Le lien entre développement industriel et accumulation du capital
Analyses de fonctions
> Tangentes, dérivées et taux de croissance dans les modèles économiques ou démographiques
Représentation graphique et analyse des données statistiques
> Représentation graphique et propagande, ou comment présenter des données pour faire passer une idée
> Corrélations et conclusions abusives (par exemple sur la criminalité et les étrangers, le chômage et les migrations, etc.)

30
I Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique
Chapitre 4
Projet pour des temps métis dans les contenus scolaires

Sciences
Biologie: la génétique
> Les races et l’espèce humaine
> La reproduction et l’hérédité
> Le génome humain
> L’eugénisme
> Les brassages génétiques et les facultés d’adaptation de l’espèce
> La préservation de la diversité biologique et l’enjeu alimentaire
> Le commerce du patrimoine génétique végétal, animal et humain, le cas des pays en voie de développement
qui vendent ce patrimoine aux entreprises multinationales
> Les questions éthiques des manipulations génétiques
> Les manipulations génétiques et la productivité agricole
Biologie et chimie: les produits pharmaceutiques
> Les progrès de la science
> Les enjeux de leur diffusion dans le monde
> Ethique de la recherche scientifique et de son financement: l’enjeu public/privé
Physique et chimie: l’enjeu énergétique
> La formation des combustibles fossiles et leur consommation
> Les bilans énergétiques des différentes sources d’énergie
> Les bilans environnementaux des différentes sources d’énergie
> Maîtrise énergétique et développement: taille des projets et dépendance
La désertification des sols et l’exploitation des forêts tropicales
Les théories sur l’évolution
> Histoire de ces théories, de l’interprétation biblique aux apports de la génétique en passant par les théories darwinistes,
la sélection naturelle
> Rapport entre civilisation dominante et dominée et les tentations de la sociobiologie

Economie
Les théories du développement (voir aussi géographie)
Emploi, chômage et migration: le marché du travail
> La confrontation des modèles libéraux et socialistes
> Le mouvement ouvrier, le syndicalisme, l’amélioration des conditions de travail, la sécurité sociale et la législation sociale
> L’enjeu de la répartition de la valeur ajoutée et le rapport salarial
> Le fordisme, la croissance et l’emploi
> Les politiques keynésiennes et l’emploi
> La question du rôle de l’Etat
- Services publics, privatisations et nationalisations
> La concurrence sociale, les délocalisations, vers un syndicalisme transnational?
Le commerce mondial
> Libre échange et protectionnisme
> L’enjeu de la valeur ajoutée
> Les mécanismes de la dépendance (voir aussi géographie et développement)
Les entreprises transnationales et leurs stratégies
> Internationalisation du capital: les aspects technologiques
> Les paradis fiscaux
> Les paradis sociaux
> Les paradis environnementaux

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I 31
Sciences sociales
Migrations et politiques d’accueil
> Confrontations culturelles
- Processus d’assimilation
- Processus d’acculturation
- La question de l’intégration
> Les modèles d’organisation sociale
- La vision multiculturelle (modèle de la cohabitation et des “ghettos”)
- La vision interculturelle (modèle du métissage et de l’intégration)
Développement industriel et urbanisation
> L’exode rural
> La destruction des structures agraires et du lien social
> Les bidonvilles
La question de l’égalité
> L’égalité formelle et l’égalité substantielle
> La problématique juridique de l’égalité
- Egalité et nationalité
- Egalité et citoyenneté
> La problématique politique de l’égalité
- Egalité des chances
- Egalité des résultats
- Les classes sociales
> La problématique économique de l’égalité
- Organisation de la production et répartition des richesses
> Sur base de ces repères, l’enjeu des inégalités aux différents niveaux d’analyse
- Au niveau mondial
- Au niveau européen
- Au niveau national
- Au niveau de l’établissement scolaire

Cours de langues
Les aires d’extension linguistiques
> Le lien entre langue et culture
> Le lien entre langue et identité
Sur l’ensemble des thèmes abordés dans les autres cours ou en lien avec le thème:
> Travail sur des textes
> Travail d’expression
> Travail sur le vocabulaire spécifique de la problématique et comparaison avec le vocabulaire et les significations en français

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I Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique
Chapitre 4
Projet pour des temps métis dans les contenus scolaires

Latin et grec
L’impérialisme romain, première mondialisation: après l’élimination de Carthage (bipolarisation du monde), la conquête
et la peur des barbares (le monde unipolaire)
> Les repères historiques de la peur
- Le sac de Rome en -390 (épisode des oies du Capitole)
- L’invasion des Cimbres et des Teutons en -121
> Les terrae incognitae
- Peuples divisés et nomades
- Le chaos, les conflits et la pauvreté
> Les villes et sociétés opposées à la Rome sédentaire, rationnelle et ordonnée
> La romanisation: colonisation des chefs et uniformisation du monde conquis
> L’idéologie du LIMES
- Ligne de démarcation gardée
- Contrôle et murs-frontières
- Routes stratégiques, camps fortifiés et retranchements
> L’armée et la diplomatie de l’inégalité
- L’armée sur le pourtour
- Les zones tampons pour les échanges fructueux, la dépendance économique, la corruption et le contrôle des populations
> A l’intérieur, l’abondance
- Richesse culturelle grâce au pluralisme et au dynamisme des nouveaux citoyens
- L’unité politique
- La richesse économique
L’extension du droit de cité
> De l’intérieur: la plèbe sur pied d’égalité (théorique) avec le patriciat (Tite-Live: discours de Canuleius en -445)
> De l’extérieur: incorporation au peuple romain d’étrangers issus de peuples vaincus
- Octroi de la civitas aux Sabins, aux peuples d’Italie, aux Gaulois, aux Espagnols
- L’affranchissement des esclaves (manumissio)
- Acquisition des droits politiques à la troisième génération
- Autorisation des mariages mixtes
Le cosmopolitisme, l’universalisme ou la charité stoïcienne
> Le genre humain est universel. Par nature, tous les hommes sont égaux
> L’idée de Socrate (citoyen du monde), d’Aristote, d’Alexandre le Grand (la Cité-Etat devient un Empire, plus tard celui de Rome),
reprise par les stoïciens, fondatrice du christianisme et affirmée au 18e siècle: la déclaration des droits de l’Homme.

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I 33
Pour en savoir plus…
La culture: essai de définition

La culture: essai de définition


Qui parle d’interculturalité parle évidemment de cultures.
Celles-ci - avec leurs codes - évoluent en permanence.
Au cours de leur histoire, elles éliminent certains éléments
et en acquièrent d’autres, lors des phénomènes de programmation
culturelle et de transformation culturelle.

La culture
Définir le concept de culture n’est pas chose aisée car il
évolue continuellement: la définition que l’on donnait de la
culture au Moyen-Age n’a rien à voir avec le concept tel
qu’il est envisagé de nos jours. Par ailleurs, il s’agit, aujour-
d’hui encore, d’un concept polysémique. C’est précisé-
ment cette caractéristique qui en complique la définition.

D’une manière générale, les anthropologues et les socio-


logues appellent culture, l’ensemble des productions d’un
groupe tendant à répondre à ses besoins, au sein d’un pro-
jet collectif, soumis à régulation. Autrement dit, la culture
recouvre la notion de “mode de vie”; il s’agit d’un système
© Annoncer la Couleur - Robert Vanden Nest - Bertrix, mai 2002.
intégré de réponses à l’environnement physique, clima-
tique, technologique, social, etc., qui est partagé par un Les cultures sont subjectives et incarnées
certain nombre d’individus. Cela les constitue en groupe Les cultures sont véhiculées par les personnes. Ce ne sont
se définissant par une identité culturelle commune et par pas des cultures que l’on rencontre, mais des personnes
des différences avec d’autres groupes producteurs de qui ont intériorisé une culture. Ces personnes sont à la fois
systèmes culturels distincts. vecteurs de culture (elles les reproduisent) et acteurs de
culture (elles les transforment). Lorsque l’on parle de la
Malgré la difficulté d’établir LA définition de la culture, il est
culture d’une personne, l’on fait référence à certains élé-
cependant possible d’en dégager quelques grandes
ments culturels qu’elle a reçus, mais aussi à la manière
caractéristiques.
dont elle les a transformés selon son histoire personnelle
et son contexte.
La culture développe des valeurs
Toute culture parle du bien et du mal. Elle fournit des Les parents éduquent leurs enfants selon leurs principes
normes, c’est-à-dire des règles de conduite sur ce qu’il du bien et du mal. Ces enfants traiteront ces normes en les
faut faire, dire, penser et sentir, mais aussi des orientations croisant et en les modelant avec d’autres normes issues
d’actions, d’attitudes, de pensées. C’est ce qui est bien de leur propre contexte, c’est-à-dire des autres groupes
vu, mal vu, accepté ou pas par une société. La parole des sociaux, de l’école, des groupes d’amis, des messages de
anciens, par exemple, sera mieux acceptée et valorisée la télévision, etc. Ces enfants exprimeront la culture d’une
dans certaines cultures que dans d’autres. autre manière que leurs parents.

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I 35
Les cultures sont plurielles Les cultures évoluent dans le temps et dans l’espace
Il existe des macro-cultures, des grandes aires culturelles et en même temps restent stables
(ex. Occident/Orient, culture judéo-chrétienne/arabo- Les cultures ont un aspect permanent, durable, transmis-
musulmane, culture industrielle/traditionnelle). sible et, en même temps un aspect dynamique et chan-
geant. La culture n’est pas figée: elle se transforme
Il existe aussi des micro-cultures ou des sous-ensembles
constamment.
culturels, par exemple les cultures liées à la classe d’âge,
au sexe, à la classe sociale, à la ville ou à la campagne, à Jadis, une femme “convenable” devait suivre certaines
des institutions, aux professions, à la famille; on parlera de normes, qui ont aujourd’hui perdu en partie leur force nor-
culture ouvrière, de culture jeune, de culture femme, de mative. Par exemple, au XIXe siècle, une femme ne pouvait
culture de Liège. être écrivain: George Sand devait signer ses œuvres d’un
pseudonyme masculin... Cette norme a changé.
La culture d’une personne est constituée d’un ensemble de
normes et de valeurs qui proviennent des différents De même, au XIXe siècle, en Europe, peu de femmes fai-
groupes sociaux auxquels celle-ci appartient. Ainsi, un saient des études universitaires. Aujourd’hui, leurs arrière-
homme belge, fils de parents ouvriers, laïc, travaillant dans petites-filles poursuivent des études mais peu choisissent
la sidérurgie, sera différent d’un homme belge de la nobles- des carrières techniques. La norme a donc changé mais
se, catholique, travaillant à la tête d’une multinationale. Par pas totalement: une partie de la règle continue à modeler
ailleurs, une femme cultivatrice, belge, catholique, âgée de le comportement des femmes.
45 ans ressemblera à une femme du même âge qui vient
d’un autre pays et qui pratique le même métier.

Les niveaux d’influence de la culture: l’analogie de l’iceberg


Schéma de Kohls d’après la définition de Clyde Kluckohn, adapté par ITECO
Le connu de la culture

Eléments culturels Composante


dont nous sommes émotive assez
relativement conscients importante
Comportements
externes,
manières,
coutumes
L’inconnu de la culture

Eléments culturels Langue Composante


dont nous sommes émotive très
moins conscients Valeurs, attitudes importante

Préjugés

Vision du monde

36
I Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique
Pour en savoir plus…
La culture: essai de définition

Les codes
Au-delà des systèmes de valeurs, il existe d’autres diffé-
rences qui peuvent être source d’incompréhension et de
chocs culturels. Ainsi, les codes culturels constituent un
ensemble de normes qui fixent les comportements des
personnes. Ils rendent les conduites prévisibles et rédui-
sent la marge d’inconnu et donc l’insécurité: dans telle cir-
constance, on sait comment les gens vont se comporter.
Ainsi, les codes servent à entrer en contact avec d’autres
de manière prévisible et sécurisante. Il suffit de penser au
rituel de salutations, différent selon les cultures, ou à l’usa-
ge de la main gauche, ou encore à la tenue vestimentaire
et aux coutumes liées au repas. Quand on ne connaît pas
les codes, on peut se sentir perdu, voire déstabilisé. La
place laissée à l’interprétation est alors béante, avec tous
© Eric de Mildt
les risques que cela comporte dans une démarche inter-
culturelle. On appellera donc “incident critique” un com-
Les cultures sont inventées par les humains
portement qui choque parce qu’il ne fait pas partie des
On est souvent fier de sa culture, la prétendant bonne,
codes et qu’il heurte une zone sensible. Si l’on ne connaît
supérieure aux autres, voire universelle... alors qu’elle est
pas le code d’accueil de l’Autre, on peut paraître très
historique, en rapport avec le temps et l’espace. Elle a été
impoli, voire irrespectueux, à ses yeux.
créée pour donner des réponses à l’environnement, c’est-
à-dire au milieu physique, à la géographie, au système
politique, économique, social, à l’Histoire partagée.

Les cultures sont en rapport de domination entre elles


Quand des groupes de cultures différentes se rencontrent
et si, de surcroît, ils entretiennent des rapports de cohabi-
tation conflictuelle, des hiérarchies se mettent en place qui
se traduisent par des valorisations différenciées. Lorsque
des cultures se rencontrent, il y en a toujours une qui est
plus valorisée.

Les cultures ne se développent pas en dehors de rapports


de forces. Elles sont toujours influencées par les situations
politiques, économiques et sociales; c’est ainsi qu’il y aura
toujours une culture plus valorisée et moins valorisée, une
culture majoritaire et une minoritaire, une culture dominan-
te et une dominée.

Conscient / inconscient
Les cultures comportent des aspects conscients, mani-
festes, visibles et d’autres inconscients, latents, invisibles.

Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique


I 37
Quelques autres notions utiles à maîtriser La transformation culturelle
La transformation culturelle s’opère au contact d’autres
La programmation culturelle
cultures. Il s’agit donc d’un processus dynamique par
La programmation culturelle est le processus qui permet à
lequel des personnes, des groupes et leurs représenta-
un individu de se constituer en tant qu’être humain en
tions évoluent sous l’influence d’une autre culture. En
assimilant les valeurs sociales et les traditions culturelles
effet, les contacts directs (ou même indirects) et continus
du groupe humain auquel il appartient. Ce processus de
entre des personnes de cultures différentes provoquent
socialisation passe par l’apprentissage du langage, par
des changements dans les deux groupes.
l’éducation, par l’instruction et l’acquisition des disciplines
du groupe en général et permet de transmettre à chacun A des degrés divers, toute personne est confrontée à ce
de ses membres les modèles, les normes, les systèmes de phénomène. Le fait de passer de la campagne à la ville,
valeurs caractérisant sa culture. d’une classe sociale à une autre ou simplement d’assimiler
la culture (musicale ou cinématographique) d’un autre conti-
Autrement dit, les êtres humains sont le résultat d’un
nent engendre une transformation culturelle dite “sponta-
mélange de génétique - ce qui est inné - et d’apprentissa-
née”, parce qu’elle n’entraîne pas de résistance: il s’agit ici
ge - ce qui est progressivement acquis: chaque personne
d’un phénomène qui permet aux sociétés de muer.
naît avec des caractéristiques génétiques qui déterminent
ses capacités (intellectuelles, sportives, etc.) et ses limites; Pourtant, la transformation culturelle est souvent perçue
la mise en valeur de ces caractéristiques dépend de la négativement, étant donné son caractère inégal; c’est le
socialisation de l’individu au cours de sa croissance et de cas lorsque les changements sont imposés par la commu-
son développement. C’est par l’interaction avec la société nauté qualifiée de “dominante” (souvent sur le plan éco-
que les capacités innées sont révélées, rehaussées ou frei- nomique et parfois politique), aux dépens de celle recon-
nées. La personnalité humaine résulte donc d’une interac- nue comme étant “dominée”. Dans l’histoire, la transfor-
tion complexe entre l’inné et l’acquis. Ni l’héritage géné- mation culturelle a souvent été imposée autoritairement,
tique ni l’héritage culturel ne détermine entièrement la des- par la violence: la majorité des situations de colonialisme
tinée d’un individu. et surtout l’esclavagisme en constituent des exemples.
Dans le cas de l’immigration, elle est imposée par la situa-
Les enfants apprennent qui ils sont en interagissant avec
tion, mais se produit à un rythme propre à chaque indivi-
d’autres et, au cours de cette interaction, ils assimilent les
du, qui jouit d’une certaine marge de liberté pour en déci-
valeurs de la société, qui deviennent une base sur laquel-
der les modalités, dans les limites cependant d’un rapport
le s’organisent la moralité, les convictions, les valeurs et la
de forces qui penche en faveur de la société d’accueil.
pensée selon un schéma que l’on accepte comme normal,
naturel et vraisemblable. C’est par ce moyen que les gens Quant aux jeunes issus de l’immigration confrontés au
appréhendent la réalité et, de ce fait, il est indispensable à phénomène de transformation culturelle, ils vivent un pro-
leur bien-être mental et émotionnel. cessus d’identification beaucoup plus complexe: en plus
de l’identité qu’ils doivent se construire par rapport à leurs
parents - et à leur culture d’origine -, ils se trouvent insé-
rés dans des mécanismes d’adaptation à la vie quotidien-
ne de leur pays de séjour, dont les modalités dépendent
bien souvent de l’origine socio-économique de leur milieu
familial. Dans leur cas, les problèmes intergénérationnels
sont souvent renforcés par ceux résultant à la fois de dif-
férences culturelles et de classes sociales.

38
I Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique
Pour en savoir plus…
La culture: essai de définition

Les jeunes filles d’origine marocaine ou turque de Belgique, > L’assimilation


par exemple, côtoient les jeunes autochtones et peuvent L’assimilation consiste à couper le lien avec sa culture
être attirées par le modèle occidental d’émancipation et de d’origine en abandonnant son identité culturelle, pour se
consommation qui leur est proposé tant par les médias fondre totalement dans la culture dominante de l’autre.
que, tout simplement, par le milieu scolaire, tandis que, L’assimilation demeure toutefois un leurre. En effet, à
dans leur univers d’origine, ce modèle ne représente pas supposer qu’on le veuille, faire table rase de son passé
une libération mais une autre forme d’aliénation (la femme- et de sa culture d’origine est impossible; et de toutes
objet). Elles sont alors confrontées au modèle familial d’un façons, la société continuera à percevoir des diffé-
côté, qui donne l’exemple d’une mère entièrement dévouée rences, telles que le nom de famille ou la couleur de la
à ses enfants et à sa famille, et, de l’autre, le modèle socié- peau par exemple.
tal qui laisse entrevoir l’autonomie individuelle et la réussi- Du côté de la société d’accueil, nombreux sont ceux qui
te économique comme résultats d’une longue période de se disent prêts à accueillir l’étranger à condition toute-
21
scolarisation . C’est à partir de ces deux cultures dans les- fois qu’il renonce à sa personnalité propre et adopte
quelles elles grandissent qu’elles forgeront progressive- intégralement et rapidement les valeurs et les comporte-
ment leur identité, sans doute par des apports de part et ments de la société d’accueil. “J’accepte l’autre s’il renie
d’autre. Néanmoins, la transformation due au contact avec sa différence” constitue une position typique de cette
deux cultures différentes ne se déroule pas toujours sans attitude; c’est le cas de certaines opinions exprimées
mal; elle peut engendrer contradictions et tiraillements, être dans le débat relatif au droit de vote des étrangers en
source d’angoisse voire d’une véritable crise. Comment se Belgique.
situer, en effet, lorsque les références culturelles sont
contradictoires? > L’intégration
L’intégration est un processus ouvert, position intermédiai-
Trois attitudes sont possibles: l’acceptation, le rejet ou la
re entre les deux précédentes. Elle se produit lorsque la
recherche de positions intermédiaires, qui correspondent à
personne adapte certaines de ses façons de faire, de pen-
trois concepts: l’assimilation, la séparation ou l’intégration.
ser et de sentir à la culture dominante, ce qui lui permet
d’éliminer, dans ses relations avec l’environnement, les
> La séparation ou la ségrégation
tensions provoquées par les différences. Parallèlement, elle
La communauté minoritaire peut souhaiter la séparation
reste fidèle à ses anciennes références culturelles. La per-
ou la ségrégation pour conserver son identité. C’est le
sonne “choisit” - non sans tensions internes - ce à quoi elle
cas de certains Gitans qui cherchent à vivre volontaire-
souhaite s’adapter: elle maintient son identité culturelle en
ment à l’écart de la société d’accueil. Ils essaient ainsi
cherchant à se faire adopter par la culture dominante.
de maintenir leur identité culturelle sans adopter la cul-
L’intégration table sur la durée, elle fait le pari, à terme, d’un
ture dominante.
métissage fécond. Idéalement, l’intégration devrait être
A l’inverse, la ségrégation peut être favorisée par la
un processus réciproque d’accommodements entre une
société dominante, lorsqu’une volonté gouvernementale
population d’origine étrangère et une société d’accueil;
limite le métissage racial ou culturel. Ce fut le cas en
de la rencontre devrait découler un métissage, source
Afrique du Sud, au moment de l’apartheid.
d’enrichissement réciproque. Dans les faits, cependant,
la société d’accueil attend plutôt un processus d’assimi-
lation des migrants, sous le couvert de leur “intégration”,
c’est-à-dire une conversion pure et simple aux codes
21 MANCO A., Violences à l’encontre des jeunes filles musulmanes
culturels de ladite société.
et négociation interculturelle. Bilan de récentes recherches et
actions en Belgique francophone, in Francopsy, juin 2001, n°4.

Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique


I 39
Pour en savoir plus…
Le concept d’identité

Le concept d’identité
Le concept d’identité est fondamental pour comprendre la situation interculturelle.
Autrefois utilisé d’un point de vue psychologique essentiellement, il apparaît
aujourd’hui partout et pour expliquer les situations les plus variées.

La construction de l’identité individuelle constitue un tra-


vail laborieux, qui va en se complexifiant; jadis, le choix
des comportements était moins large et les règles de
conduites étaient plus claires - et plus rigides! -; aujour-
d’hui, chaque personne dispose de plusieurs possibilités:
une relation de couple, par exemple, peut être institution-
nalisée par le mariage ou prendre la forme d’une simple vie
commune. Cependant, l’individu se retrouve relativement
seul face à ces multiples possibilités.

Identité des immigrés, identité wallonne ou flamande, repli


identitaire, défense de l’identité, identité pure ou non pure...:
© Annoncer la Couleur - Robert Vanden Nest
il est probable que ce type d’expressions nous deviennent
A chaque individu sa manière d’exprimer son identité - Liège, mai 2002.
de plus en plus familières, puisque nous vivons une période
L’intérêt particulier qu’a pris la notion d’identité à partir des de forts changements, impliquant la question de l’identité.
années 50 reflète les préoccupations du monde moderne.
Cette notion s’est imposée à cause de changements cultu- Qu’est-ce que l’identité?
rels importants provoqués par des modifications profondes
L’identité (comme dans “carte d’identité”) est un ensemble
dans la société. La mondialisation de l’économie, l’établis-
articulé de traits spécifiques à un individu ou à un groupe:
sement d’un modèle économique unique qui fonctionne
homme, 35 ans, belge, 1,75m, 65 kg, cheveux bruns, catho-
sur des principes de rationalité et d’efficacité, et l’introduc-
lique, liégeois, employé de banque, marié, père de famille...
tion de nouvelles technologies et de moyens de communi-
cation sont à l’origine de grandes altérations dans les L’identité constitue aussi un système de représentations et
sociétés actuelles. Se sont enchaînés: l’exode rural et les de valeurs qui permet d’affronter différentes situations
transformations urbaines qui ont donné naissance aux quotidiennes. Elle opère comme un filtre qui aide à les
grandes villes, où il est difficile de conserver les liens décoder, à les comprendre pour ensuite fonctionner.
sociaux; le chômage et les changements dans la concep-
Cela explique que face à telle situation, un individu, avec
tion du travail; les revendications régionales; l’immigration
ses valeurs et ses manières de penser, de sentir et d’agir,
massive; les transformations au sein des rôles sexuels.
réagira probablement d’une façon définie. Il compte pour
Ces évolutions ont atteint l’identité individuelle et collecti- cela sur un répertoire de formes de penser, de sentir et
ve et ont provoqué des effets psychologiques, sociaux et d’agir qu’il peut combiner à un moment donné. Ce réper-
politiques concrets. La société occidentale est passée toire est en constante recréation.
d’une forme communautaire à une autre, dont l’individu
est le centre. L’individualisme est l’un des changements
les plus importants de notre époque.

Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique


I 41
Caractéristiques de l’identité
L’identité est composite
Chaque culture et chaque sous-culture véhicule des valeurs
et des indications d’actions, de pensées et de sentiments.
A l’instar de la culture, l’identité est souvent mise en rapport
avec de grandes aires culturelles et d’ailleurs limitée à elles:
l’appartenance territoriale, la couleur de la peau, la religion...
L’on parle d’un Turc, d’un Flamand, d’un noir, d’un musul-
man... Ainsi, l’influence de l’appartenance à des sous-
ensembles culturels sur la structure identitaire est négligée.
© Eric de Mildt
Ces sous-ensembles peuvent être la classe sociale, la pro-
fession, le sexe, l’origine (urbain-campagne, institution), les En définitive, notre identité est à la fois constante tout en
différentes formes que peut prendre une religion... changeant au cours de notre vie.

L’identité est la synthèse que chacun fait des valeurs et La base de l’expérience émotionnelle de l’identité provient
des indications de comportements transmises par les dif- de la capacité de l’individu de continuer à se sentir lui-
férents milieux auxquels il appartient. On intègre ces même à travers les changements continuels. Un proces-
valeurs et ces prescriptions selon ses caractéristiques sus d’articulation permanente du nouveau avec l’ancien
individuelles et sa propre trajectoire de vie. L’étranger doit avoir lieu, de manière telle que le nouveau soit perçu
intègre à son identité son statut de migrant ou de réfugié comme ayant une relation acceptée avec ce qui existait
politique, et les changements culturels qu’il a vécus pen- avant lui. En intégrant le nouveau dans le même, il y a
dant son séjour dans le pays d’accueil. changement dans la continuité. Le sentiment de l’identité
demeure tant que le sujet parvient à donner à l’altération le
L’identité est dynamique sens de la continuité.
“C’est moi!”, répondra une personne à laquelle on deman-
L’adolescence est un bon exemple. Les changements qui
de ce que représente son identité; en la poussant plus loin
se produisent à cette étape de la vie sont si forts, si pro-
dans son raisonnement, elle dira: “c’est ce qui, en moi,
fonds et si visibles que tous les être humains ont plus ou
demeure le même”. La constance apparaît en effet la
moins de difficultés à passer ce cap. Les difficultés ces-
caractéristique la plus évidente de l’identité. Celle-ci est
sent quand le jeune arrive à se reconnaître comme le
attachée à des éléments qui reviennent continuellement et
même, bien que différent.
qui nous semblent permanents: “je suis comme ça”, “je
suis toujours la même personne”. On confond ainsi l’iden-
L’identité est dialectique
tité avec ce qui, en une personne, est immuable.
La construction de l’identité n’est pas un travail solitaire et
Cette manière de voir n’est pas totalement erronée mais individuel. L’identité est modifiée par la rencontre avec
les comportements, les idées et les sentiments changent l’Autre, dont le regard a un effet sur elle. L’identité se situe
selon les transformations du contexte familial, relationnel, toujours dans un jeu d’influence avec les autres: “je suis
institutionnel et sociétal dans lequel nous vivons. Nous influencé par l’identité de l’Autre et mon identité influence
changeons avec l’âge, lorsque notre corps vieillit, si nous l’identité de l’Autre”. Dans un constant mouvement d’aller-
passons du statut de travailleur à celui de chômeur, ou retour, les autres me définissent et je me définis par rap-
même quand nous changeons de statut professionnel au port à eux. Ces définitions mutuelles empruntent la voie de
sein d’une même institution. L’identité est une structure signaux, de messages verbaux et non verbaux, comme le
dynamique. Elle est en évolution permanente. choix d’un vêtement ou d’une coiffure.

42
I Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique
Pour en savoir plus…
Le concept d’identité

Même quand l’Autre ne regarde pas, il y a toujours une Dans certaines circonstances, cela va de soi: le milieu où
interaction, qui se produit à l’intérieur d’un contexte l’on vit renvoie une image positive de soi; on s’y sent bien
influençant la relation avec l’Autre, entre deux personnes et l’on connaît les codes pour y agir. Dans d’autres situa-
ou deux communautés différentes. Il est important de défi- tions, notamment l’immigration, la tâche devient plus com-
nir à chaque fois le contexte dans lequel se produit une pliquée, tout comme pour quiconque vit une situation
rencontre: avec le même jeune, l’interaction sera différen- dévalorisante de manière prolongée.
te si elle se produit à la piscine, dans la maison de ses
Pour l’immigré, la complication s’accentue: il ne connaît
parents ou à l’école, et si le jeune est seul ou en groupe;
pas tous les codes d’adaptation et il a pourtant besoin
un Belge développera une relation différente avec un autre
d’être reconnu dans ce qu’il est, c’est-à-dire dans “sa”
Belge s’ils se rencontrent en Belgique ou à l’étranger; la
culture - sa façon propre d’avoir intégré les différentes cul-
rencontre entre la communauté immigrée italienne et la
tures et sous-cultures qui le traversent - que les autres
communauté belge était différente avant l’entrée de l’Italie
méconnaissent souvent. Un effort constant de reconnais-
dans la Communauté européenne.
sance doit être mis en marche, en même temps que des
En fait, la question est moins “qui suis-je?” que “qui suis- stratégies d’adaptation à la nouvelle situation, même si
je par rapport aux autres?” et “que sont les autres par rap- elle est dévalorisante. Il est donc en permanence en train
port à moi?”. de négocier son identité.

Fonctions de l’identité Les stratégies identitaires22


L’identité est le centre de deux actions indispensables à Les individus qui grandissent et évoluent entre des sys-
l’équilibre psychique de la personne. La première consiste tèmes culturels différents, aux valeurs parfois contradic-
à se donner une image positive de soi-même; la seconde, toires, doivent malgré tout parvenir à évoluer au cœur des
à s’adapter au contexte où la personne vit. C’est ce qu’on deux. Pour ce faire, ils élaborent dès lors ce que l’on
appelle les fonctions de l’identité: une fonction de valori- appelle des “stratégies identitaires” au niveau de leur com-
sation de soi et une fonction d’adaptation. portement, qui leur permettent de surmonter l’angoisse ou
la tension créée par les codes culturels différents. Ils cher-
La fonction de valorisation de soi est la recherche que
chent ainsi à trouver leur place dans la société.
mène tout être humain pour avoir du sens et de la signifi-
cation: il cherche à avoir une image positive de lui, à deve- Ces “stratégies”, qu’une personne peut adopter afin de
nir une personne de valeur, à se concevoir comme capable réguler la diversité socioculturelle à laquelle elle est
d’agir sur les événements et sur les choses. confrontée, ont été analysées au sein d’une grande entre-
prise française spécialisée dans l’exportation et la produc-
La fonction d’adaptation consiste en la modification de
l’identité en vue d’une intégration au milieu. L’individu
adapte des traits de son identité, tout en assurant une
22 Pour le développement de cette partie du document, nous nous
continuité. Il s’agit de la capacité des êtres humains de
sommes largement fondés sur les travaux de Carmel CAMILLERI,
prendre en main leur identité et de la manipuler, de leur
expert en psychologie sociale, qui s’est concentré sur le thème
capacité de changer sans perdre le sentiment qu’ils conti-
de l’identité et plus particulièrement des stratégies identitaires.
nuent à être eux-mêmes.
Voir notamment:
> CAMILLERI C., Identité et gestion de la disparité culturelle. Essai
d’une typologie, in « Intercultures » n°24, avril 1994
> CAMILLERI C., Chocs de cultures. Concepts et enjeux pratiques
de l’interculturel, L’Harmattan, Paris, 1989

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I 43
tion pétrolière, qui compte de nombreux étrangers parmi Ces compromis seront “irrationnels” lorsqu’un individu
ses cadres23. On y retrouve des individus aux prises avec conserve les traits de la culture d’origine qu’il estime avan-
de multiples appartenances culturelles, différents par leurs tageux et abandonne les obligations qui y sont relatives. Il
modes d’existence et leurs représentations. Pour ces cumule ainsi les deux systèmes culturels, en “maximisant
hommes et ces femmes, il s’agit de rester fidèles à leur les avantages”. C’est le cas d’hommes qui épousent des
communauté d’origine tout en cherchant à s’épanouir femmes modernes, dont ils attendent qu’elles soient, en
dans l’organisation qui les rémunère. Ils doivent manœu- même temps, des épouses traditionnelles.
vrer entre les deux systèmes culturels (le leur et celui de
Ces compromis peuvent également être d’ordre plus
l’entreprise) en élaborant des “stratégies identitaires”.
“rationnel” et sont généralement le fait d’individus capables
C’est aussi le cas des immigrés, comme de toute person- d’intégrer un changement, et donc de s’adapter dans une
ne confrontée à une multiplicité de codes, qu’il s’agisse de logique de continuité avec les valeurs d’origine. Ils parvien-
ceux de milieux sociaux ou d’autres appartenances (famil- nent ainsi à dépasser le conflit intérieur. Une relecture de la
le, amis, milieu de travail...). Des stratégies sont néces- tradition, par exemple, peut être envisagée pour y trouver
saires pour naviguer entre les codes culturels du milieu des éléments compatibles avec la modernité. Des pra-
d’origine et d’autres que l’on rencontre, ainsi que pour tiques jugées archaïques peuvent également être intégrées
assurer une mobilité sociale24 . Cette nécessité a notam- dans un contexte qui les rend plus facilement acceptables:
ment été soulignée à propos de la différence entre la cul- les enfants comprennent mieux certaines attitudes paren-
ture des milieux populaires et celle de l’école. tales lorsqu’ils en dominent le contexte.

Ces “stratégies” peuvent être de nature différente chez Une même personne ou un même groupe peut développer
l’un ou l’autre individu, en fonction de critères particuliers, simultanément plusieurs stratégies identitaires, susceptibles
tels que l’âge, la profession, etc. de générer des contradictions, sinon des crises. En effet,
lorsque nous appartenons à des groupes très différents et
La stratégie “à cohérence simple” privilégie la logique
sans cohérence commune, l’identité des individus est sans
“ou/ou”. Ainsi, pour tenter de résoudre les tensions que
cesse en mouvement. D’ailleurs, il n’est pas rare, dans une
provoque la contradiction entre les deux types de culture,
telle situation de “biculturalité”, qu’une identité négative se
on peut délibérément décider de faire fi de l’une des deux
forge. Ainsi, dans la société occidentale, certaines cultures
cultures dans lesquelles on vit et adopter l’ensemble des
d’origine sont perçues et connotées plus négativement que
valeurs et des représentations de l’Autre. Ainsi, des per-
d’autres. La double appartenance - à la fois à la culture d’ori-
sonnes d’origine étrangère tenteront de s’assimiler totale-
gine et à celle de la société d’accueil - est d’autant plus dif-
ment à la culture occidentale en prétendant rejeter leur
ficile à gérer pour les jeunes qu’elle se greffe sur la crise
culture d’origine. Ou, au contraire, un individu peut se
d’adolescence, période de la vie où l’identité se construit.
replier sur sa culture d’origine en exaltant ses valeurs et en
niant les valeurs de la société d’accueil: c’est le cas de
tous les intégrismes.

La stratégie “à cohérence complexe” constitue une secon-


de voie, qui répond à la logique du “et/et”. Ici, l’individu
cherche à combiner les deux cultures. Pour ce faire, il est 23 PIERRE P., Les élites de la mondialisation:
contraint à certains compromis, qui peuvent être d’ordre quelles constructions identitaires? in Education permanente
irrationnel ou rationnel. n°150, janvier 2002, pp. 129-160.

24 Voir, par exemple: ERNAUX Annie, La honte, Gallimard,


1997 ou Poche Folio, 1999.

44
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Pour en savoir plus…
Références bibliographiques et outils

Références
bibliographiques et outils
Nous avons sélectionné ici quelques références que nous jugeons
éclairantes dans le cadre de ce dossier. Pour obtenir des listes de
références plus exhaustives et mises à jour, nous vous invitons, d’une
part, à consulter notre site www.annoncerlacouleur.be et d’autre part,
nous vous renvoyons aux outils Annoncer la Couleur déjà publiés
dans le cadre de la campagne “Penser les migrations autrement”25.

Quelques articles et ouvrages pour COHEN-EMERIQUE Margalit, L’approche interculturelle


enseignants et animateurs dans le processus d’aide, in Santé Mentale au Québec,
XVIII/1, p. 711-792
ABDALLAH-PRETCEILLE Martine,
DESMET N. - RASSON N. (C.G.E.), A l’école de l’interculturel.
L’éducation interculturelle, PUF (Que sais-je?), 1999
Pratiques pédagogiques en débat. Bruxelles, EVO, 1993
ABDALLAH-PRETCEILLE Martine,
ERNAUX Annie, La honte, Gallimard, 1997
Quelle école pour quelle intégration? Paris, Hachette, 1992
GROOTAERS D., Culture Mosaïque. Approche Sociologique des
ABOU Sélim, L’identité culturelle, Anthropos, 1981
Cultures Populaires. Bruxelles, Vie Ouvrière Ed., 1984
BASTENIER Albert et DASSETTO Felice,
MAALOUF A., Les Identités Meurtrières, Grasset, 1993
Immigration et espace public. La controverse de l’intégration,
CIEMI, L’Harmattan, 1993 MANÇO Altay, Violences à l’encontre des jeunes
filles musulmanes et négociation interculturelle.
CAMILLERI Carmel, Identité et gestion de la disparité culturelle.
Bilan de récentes recherches et actions en Belgique
Essai d’une typologie, in “Intercultures” n° 24, avril 1994
francophone, in Francopsy, Juin 2001, n° 4
CAMILLERI Carmel (et alii), Stratégies identitaires, PUF, 1990
MANÇO Altay, Intégration et identités. Stratégies et positions
CAMILLERI Carmel et COHEN-EMERIQUE Margalit,
des jeunes issus de l’immigration, De Boeck, 1999
Chocs de culture, L’Harmattan, 1989
MARTINIELLO Marco, La nouvelle Europe migratoire,
Centre pour l’Egalité des Chances et la Lutte contre le Racisme,
Labor, 2001
Engagements pour l’égalité. Rapports annuels 1994, 1995, 1996,
MARTINIELLO Marco, Sortir des ghettos culturels,
1997, 1998, 1999, 2000 et 2001
Presses de la Fondation Nationale Socio-Politique, 1997
COHEN-EMERIQUE Margalit, Le choc culturel, in Antipodes,
MARTINIELLO Marco, Leadership et pouvoir dans les
une publication d’ITECO, n°145, juin 1999, Bruxelles
communautés d’origine immigrée. L’exemple d’une communauté
COHEN-EMERIQUE Margalit, Connaissance d’autrui
ethnique en Belgique, L’Harmattan, CIEMI, 1992
et processus d’attribution en situations interculturelles,
MORELLI Anne (sous la dir. de), Histoire des étrangers
in Cahiers de Sociologie économique et culturelle
et de l’immigration en Belgique de la préhistoire à nos jours,
(Ethnopsychologie), n° 10, p. 95-107
CBAI, Vie Ouvrière, 1992 (sera mis à jour sous peu)
COHEN-EMERIQUE Margalit, Le modèle individualiste du sujet,
écran de la compréhension des personnes issues de sociétés
non occidentales, in Cahiers de Sociologie économique et
culturelle (Ethnopsychologie), n° 13, p. 9-34 25 “Le parcours du migrant”, “Penser l’accueil autrement”,
“Plus de 150 outils pour mieux comprendre les relations Nord-Sud”.

Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique


I 45
PIERRE P., Les élites de la mondialisation: Quelques sites et outils
quelles constructions identitaires? in Education permanente
Académie Universelle des Cultures
n° 150, janvier 2002, p. 129-160
www.academie-universelle.org
REA Andrea (sous la dir. de), Mon délit? Mon origine.
Agence pour le Développement des Relations Interculturelles
Criminalité et criminalisation de l’immigration, De Boeck, 2001
www.adri.fr
REA Andrea, Immigration, Etat et citoyenneté: la formation
Annoncer la Couleur
de la politique d’intégration des immigrés de la Belgique,
www.annoncerlacouleur.be
Thèse de doctorat, 2000 (à paraître)
Association pour l’Education Interculturelle du Québec
REA Andrea (sous la dir. de), Immigration et racisme en Europe,
www.cssh.qc.ca
Complexe, 1998
Centre Bruxellois d’Action Interculturelle
VERBUNT Gilles, Les jeunes et l’autorité.
www.cbai.be
Aspects culturels, CNDP, 1998
Centre de Ressources Ville-Ecole-Intégration
VERBUNT Gilles, Les obstacles culturels aux interventions
www.cndp.fr/vei
sociales, CNDP, 1996
Centre pour l’Egalité des Chances et la Lutte contre le Racisme
VERBUNT Gilles, Les obstacles culturels aux apprentissages,
www.antiracisme.be
CNDP, 1995
Centre d’Intégration De Foyer
WAAUB Pierre, La démocratie est-elle soluble dans l’école?,
www.foyer.be
Quartier Libre Labor, 1999
Confédération Générale des Enseignants
WAAUB Pierre, L’école: bonne à tout faire?
www.espace.cfwb.be/cge
Quartier Libre Labor, 2001
ITECO
www.iteco.be
Quelques revues Pas d’Histoires! 12 regards sur le racisme au quotidien
Agenda Interculturel - CBAI - Avenue de Stalingrad, 24 - 1000 Dossier pédagogique publié par les Grignoux 2001
Bruxelles - 02/289 70 50 - fax 02/512 17 96- cbai@skynet.be
Le site portail des revues de l’interculturalité
Antipodes - Une publication d’ITECO - Rue Renkin, 2 - 1030 www.Revues-Plurielles.org
Bruxelles - 02/243 70 30 - fax 02/245 39 29 - iteco@iteco.be
Steunpunt Intercultureel Onderwijs
Echec à l’échec - CGE - Chaussée de Haecht, 66 - 1210 http://sico.rug.be
Bruxelles - 02/218 34 50 - fax 02/218 49 67 - cge.bxl@cfwb.be http://users.skynet.be/suffrage-universel
Hommes et Migrations - Gip Adri - Rue René Villermé, 4 Les séquences pédagogiques conçues par Christine PARTOUNE
75011 Paris - 00 33 1 40 09 69 19 fax 00 33 1 43 48 25 17 - du Laboratoire de Méthodologie de la Géographie de l’Université
hetm@adri.fr - www.adri.fr de Liège: http://www.ulg.ac.be/geoeco/lmg/activites_tabl.html
Nouvelle Tribune - Avenue de Stalingrad, 89 - 1000 Bruxelles - Le cd-rom S’enrichir de la différence pour mieux vivre ensemble
02/502 28 38 - fax 02/502 34 84 - nouvelle.tribune@yucom.be réalisé dans le cadre de projets européens Socrates:
Sciences Humaines - www.scienceshumaines.fr http://www.cp.asso.fr/querbes/eedpr/index.htm
VEI Actualités (ex-Migrants Nouvelles) - Centre de Ressources
Ville-Ecole-Intégration - Rue Gabriel Péri, 91 - 92120 Montrouge
(FR) - 00 33 1 46 12 87 82 - fax 00 33 1 46 12 87 90 -
vei@poste.cndp.fr - www.cndp.fr/vei

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I Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique
Associations ayant collaboré à ce dossier
Conception et rédaction
La cellule pédagogique coordonnée par Guy Simonis:
Centre Bruxellois d’Action Interculturelle (CBAI)
Marc André (CBAI), Namur Coral (ITECO),
Avenue de Stalingrad, 24 - 1000 Bruxelles
André Linard et Valérie Michaux (InfoSud-Belgique),
Tél.: 02/513 96 02 - Fax: 02/512 17 96
Gülü Simçek (CGE), Pierre Waaub (CGE).
www.arsc.be - www.cbai.be
Anne Marie Arias Canel, Olivier Balzat, Florence Chauvier,
Fabrice Corbusy, Stéphanie D’Haenens, Mathieu Léonard,
Confédération Générale des Enseignants (CGE)
Fabienne Malaise, Céline Martin,
Chaussée de Haecht, 66 - 1210 Bruxelles
Adélie Miguel Sierra (ITECO).
Tél.: 02/218 34 50 - Fax: 02/218 49 67
www.espace.cfwb.be/cge
Graphisme
Kaligram
InfoSud-Belgique
Rue Haute, 139 - 1000 Bruxelles
Remerciements
Tél.: 02/213 12 56 - Fax: 02/213 12 57
Nous remercions chaleureusement toutes les personnes qui
www.infosud.be
nous ont aidés et conseillés pour préparer cette campagne,
ainsi que Françoise Van Poucke pour sa relecture attentive et
ITECO (Centre de formation pour le développement)
ses suggestions. Nous remercions également le CBAI, la CGE
Rue Renkin, 2 - 1030 Bruxelles
et ITECO d’avoir partagé leurs compétences et leurs outils
Tél.: 02/243 70 30 - Fax: 02/245 39 29
propres dans le cadre de cette campagne.
www.iteco.be

Editeur responsable
Olivier Balzat, MINTH - rue Haute, 139 - 1000 Bruxelles

Tous droits réservés, en tout ou en partie


© Annoncer la Couleur MINTH octobre 2002.

Crédit photographique
Photo de couverture: © Eric de Mildt

Imprimé sur papier recyclé

Vivre ensemble autrement Dossier pédagogique


I 47
Pour nous contacter:
www.annoncerlacouleur.be

Le site de vos projets:


www.democouleur.be

Annoncer la Couleur dans les provinces et à Bruxelles


Annoncer la Couleur en Brabant wallon
Fabrice Corbusy
Direction d’administration des Affaires sociales
de la Province de Brabant wallon
Avenue Einstein, 2 - 1300 Wavre
Tél.: 010/ 23 60 95 - Fax: 010/ 23 60 84
e-mail: pbw.annoncerlacouleur@publilink.be
Annoncer la Couleur pour Bruxelles-Capitale
Nadine Minampala
Commission communautaire française (COCOF)
Service des Relations internationales
Rue des Palais, 42 - 1030 Bruxelles
Tél.: 02/ 800 83 51 - Fax: 02/ 800 84 56
e-mail: alc_bruxelles@cocof.irisnet.be
Annoncer la Couleur en Hainaut
Fabienne Malaise
Direction générale des Affaires culturelles du Hainaut
Rue Warocqué, 59 - 7100 La Louvière
Tél.: 064/ 31 28 26/17 - Fax : 064/ 31 28 21
e-mail: dgac.annoncerlacouleur@hainaut.be
Annoncer la Couleur en province de Liège
Cécile Mestrez
Les Chiroux, Centre culturel de Liège
Place des Carmes, 8 - 4°étage - 4000 Liège
Tél.: 04/ 250 94 33 - Fax: 04/ 222 44 45
e-mail: alc@chiroux.be
Annoncer la Couleur en province de Luxembourg
Mathieu Léonard
Département des Affaires sociales et hospitalières
de la Province de Luxembourg
Square Albert 1er, 1 - 6700 Arlon
Tél.: 063/ 21 27 63 - Fax : 063/ 21 27 99
Province de Luxembourg
e-mail: m.leonard@province.luxembourg.be
Annoncer la Couleur en province de Namur
Florence Chauvier
Service provincial d’action sociale
Rue Martine Bourtonbourt, 2 - 5000 Namur
Tél.: 081/ 72 95 74 - 57 - Fax 081/ 74 56 82
e-mail: florence.chauvier@province.namur.be

Coordination générale
Olivier Balzat, coordinateur
Fabienne Laloux, assistante administrative et promotion
Marie Close, chargée de projets
Coopération Technique Belge sa
Rue Haute, 147 - 1000 Bruxelles
Tél.: 02/ 505 18 22/23/24 - Fax: 02/ 505 18 21
e-mail: annoncerlacouleur@btcctb.org

Un programme fédéral
de sensibilisation aux relations Nord-Sud

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